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LE RAMAYANA UNE LEGENDE INDIENNE

Le Ramayana

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LERAMAYANAUNE LEGENDE INDIENNE

LERAMAYANATraduit, adapt, comment,et illustrparOlivier Zappelli 2004Zappelli Le Ramayana1CHAPITRE 1l y a bien longtemps de cela, vivait en Inde un peuple heureux nomm Kosala. Ilstait tabli sur les bords de la rivire Sarayou, dont le sol trs fertile produisaitdes crales en abondance.Sa capitale tait Ayodhya, cit glorieuse de soixante-huit lieues de long et de trente etune lieues de large. Elle tait perce de rues vastes et nombreuses, et traverse en sonmilieu par une grande voie royale, perptuellement jonche de fleurs et arrose deauparfume. Des fosss profonds la rendaient inaccessible, et lon pouvait voir merger,par-dessussesmuraillescolossales,destemplescouvertsdepierresprcieuses,pareils des montagnes.DanscettevillergnaitDhasarath.Ctaitunroiperspicaceetjuste,aimdeshabitants de la ville et de la campagne, mais un roi puissant aussi, vainqueur de toussesennemis.Lesministresdecemagnanimesouveraintaientdotsdequalitsminentes : sages conseillers et physionomistes experts, ils se plaisaient dans lutile etlagrable. Le roi tait aussi assist dun saint homme, le yogi Vashishta. Ainsi la paixet la prosprit rgnaient dans tout le royaume.Dhasarath avait trois pouses fidles et affectueuses, Kausalya, Soumitra et Kakeyi.Mais ce puissant monarque se voyait avec douleur sans enfant. Il navait point de filspour perptuer sa race.Unjour,alorsquiltaitassisrflchirdanssonboudoir,uneideluivintsoudainement lesprit : Pourquoi noffrirais-je pas un sacrifice pour obtenir un fils ? Sarsolutionprise,ilallatoutdroitlademeuredeVashishtapourluicontersesjoies et ses peines. Lermite essaya de le rconforter : Reprends courage, mon roi, car tu auras quatre fils qui seront clbrs dans le monde entierjusqu la fin des temps ! VashishtachargealebrahmaneSringhidaccomplirlesacrifice.Lorsqueleprtreoffrit loblation, lesprit du feu apparut avec loffrande dans ses mains : Je suis plus satisfait que je ne puis lexprimer, dit-il, et tout seraexauc pour ton bien, roi ! Alors lesprit disparut, aprs lui avoir expliqu tout ce qui devait tre fait. Dhasarathne pouvait contenir sa joie et son excitation, et fit aussitt venir ses trois pouses. AKausalya, il donna une moiti de loblation, et fit deux parts de la moiti restante. Ilen offrit une Kakeyi et divisa lautre nouveau en deux parties quil mit dans lesmainsdeKausalyaetdeKakeyi,etensemble,elleslesdonnrentSoumitra.Decette faon, les trois reines tombrent rapidement enceintes, et la joie grandit dans lecur de toute la cit. Resplendissantes, les reines brillaient dans le palais, pleines debeaut et de gloire.IZappelli Le Ramayana2Lessaisonspassrent,etpourKausalyalejourdaccoucherarrivaenfin.Laconjonction des plantes fut extraordinaire quand son fils naquit, au neuvime jourdu mois de Chat, dans la quinzaine lunaire, sous Abhijt, sa constellation protectrice.Quand Dhasarath sut quun fils lui tait n, son me fut submerge dextase, et il neput se lever du trne avant de stre recueilli un instant. Stant ressaisi, il envoya lesmnestrels chanter lheureuse nouvelle aux quatre coins de la ville et du royaume, etfitappelerVashishta.Lesainthommeaccouruthonorerlenfantsansgal,carsabeautetsagrcetaientau-deldecequelesmotspeuventexprimer.Lacitfutrempliededrapeauxmulticolores,etlonclbradanstoutAyodhyalavenueaumonde du prince.A peine avait-on commenc les clbrations que Kakeyi et Soumitra accouchrent leurtour.Kakeyimitaumondeunfilslapeauclaire,etdeSoumitranaquitgalement un garon dun teint ple, et enfin un autre, au corps sombre comme unnuage dorage.Quelques jours avaient passs, lorsque le roi, estimant que le moment tait venu dedonner un nom ses enfants, fit venir Vashishta : Saint pre, il est temps dappeler mes fils par leurs noms, selon ce que tu as dcid. Leurs noms sont merveilleux, roi !, rpondit lermite. Ton premier fils, au corps sombrecomme la nuit, la source de tous les dlices, sappellera Rama. Le deuxime, enfant de Kakeyi,sera Bharat, le soutien. Ton troisime fils sera Lakshman, de belle apparence, et ton quatrimefils, roi, je lai nomm Satroughn, le destructeur des ennemis. Et ainsi les noms des quatre fils de Dhasarath furent gravs sur la pierre de lternit,pour la gloire de leur temps et pour toutes les gnrations venir.!Septmoispassrent,etlestroisreinessedlectaientdevoirgrandirleursnourrissons. Cependant un jour, Kausalya, aprs avoir lav et habill Rama, le laissa la garde de sa nourrice pour aller lui prparer elle-mme manger. Pendant quellelaissaittidirlanourriture,ellesemitdcorerletemplepourlespriresdusoir.Quellenefutpassasurprise,lorsquellerevintlacuisine,detrouversonfilsentrain dengloutir le repas. Furieuse, elle courut aussitt la nurserie, o elle trouvason enfant en train de dormir paisiblement sous la garde de la servante. Elle revint entremblantlacuisine,etvitnouveauRamaentraindesempiffrer.Bouleverse,incrdule, Kausalya narrivait pas croire quelle avait vu deux Rama ! Ai-je perdu la raison, se dit-elle, ou est-ce un miracle ? Quand Rama vit lmotion de sa mre, il clata de rire et lui rvla sa nature secrte.Il lui apparut en vision, et elle contempla, travers la bouche et les yeux de son fils,des myriades dunivers remplis dinnombrables soleils, de plantes, de montagnes etdocanstournantlesunsautourdesautres.Alavuedeceprodige,Kausalyafutfrappe de terreur. Alors Rama assuma nouveau lapparence dun enfant et senfuit quatre pattes en poussant des gloussements de dlice, la bouche pleine de riz et deyoghourt.!Zappelli Le Ramayana3Lorsquelesquatregaronsatteignirentlgedeseptans,leurprelesinvestitducordonroyaletsedcidalesfairetudier.IlenvoyaRamalermitagedeVashishta, o lenfant acquit la connaissance en peu de temps. Les livres sacrs et lasciencedelahautemagietaientdsormaiscommelhaleinedesabouche.Leurstudesaccomplies,lesquatreprincescommencrentpratiquertouslesgenresdesports et darts martiaux, et la joie rgnait dans tous les curs."Zappelli Le Ramayana4Chapitre 2esannespassrentainsidansunbonheursansnuage,lorsquunvnementdimportance vint mettre fin lenfance insouciante de Rama.DansunefortduroyaumevivaitunermiteappelVishvamtra,quipassaitson temps en mditation. Or deux dmons de la pire espce, Maricha et Soubahou,dcidrent un jour de le har et ne cessrent de venir le tourmenter par des visionspouvantables. Le pauvre Vishvamtra, puis, se disait : Cesdmonsveulentmamort,etseuljenepuislutter.Ilfaudraitunpuissantguerrierlme pure pour me sauver. Et ce guerrier existe ! Les oracles nont-ils pas parl de la venuedu prince Rama, qui nous dlivrerait un jour de lemprise du dmon ? Mais il nest encorequun enfant, et il se ferait dvorer en une seconde cependant je nai pas le choix, et aveclaide de Shiva, il accomplira des miracles ! Il alla se baigner dans la rivire Sarayou, et fila de bon train Ayodhya.Quand Dhasarath apprit son arrive, il se leva et escorta lui-mme le mage jusquausige dhonneur ct de son trne. Puis il fit amener ses quatre fils, resplendissantsde toute la beaut de leur douze ans.Lorsque Vishvamtra vit Rama, il en oublia la solitude de sa fort et resta bloui parsa perfection.Vnrable sage, lui dit aimablement Dhasarath, quelle est la raison de ta venue ? Parle,et ton dsir sera exauc ! Je te remercie de ta gnrosit, roi, rpondit lermite. Ecoute donc : Il y a dans ma fortune paire de diables qui me harclent jour et nuit, et je viens toi avec cette prire : laisse-moiemmenerRamaetsonfrreLakshman,carlamortdecesdmonsestlaseulechosequejedsire.Confie-lesmoiavecjoie,etceseradetapartunactemritoire.Soistranquillepoureux ! Quand le roi entendit cette cruelle requte, son cur cessa de battre et tout lclat desa face se ternit en une seconde. En tremblant, il rpondit :Dansmavieillesse,Dieumadonnquatrefils.OVishvamtra,tuasparlsansconsidration ! Demande-moi des terres, du btail, des trsors et je te donnerai tout ce que jepossde avec bonheur. Mme ma vie, je te la donnerai immdiatement. Mais tous mes fils mesontpluschersquemonme,etcausedecela,jenepeuxtedonnerRamaetLakshman.Quest-ce que deux petits enfants contre des dmons froces ? Mais Vishvamtra lui rappela sa promesse, et par sa magie, subjugua le roi qui cdasans rsistance. Dhasarath lui donna donc ses deux fils. Il les embrassa en pleurantsilencieusement, et dit lermite : Mes deux enfants sont ma vie et toi, Vishvamtra, tu es prsent leur seul pre. Aprsavoirfaitleursadieuxleursparentseffondrs,lesdeuxprincesprirentlaroute,heureuxderendreserviceausainthomme.LunsombrecommeunnuageLZappelli Le Ramayana5dorageetlautreblanccommelaneigedessommets,ilsallrentsurleurchemin,Vishvamtra leur tte.Aprsquelquesjoursdemarche,ilsarrivrentenfinlermitageduvieuxsage,etunefoisrestaursdefruitsetderacines,ilssendormirentpaisiblementsurdescouches de brindilles et de feuilles.Le lendemain, Vishvamtra appela Rama : Mon fils, luidclara-t-il,afindassurertavictoiresurlesdmons,jevaistedonnerdesarmes magiques que jai confectionnes expressment pour toi. Chacune delles est consacre un esprit particulier, et tu ne manqueras pas de linvoquer chaque fois que tu utiliseras sonarme. Voici la lance de Shiva, le carreau de foudre de Vishnou, les harpons de Kla, larc et lesflches dIndra. Rama sexclama : Muni de tout cela, je serai effectivement invincible. Mais je dsire en connatre lemploi. Le sage sourit et rpondit : Tu en connais dj lemploi, prince, et il est superflu de ten dire plus. Ramasinclinaavecrespectdevantlapanopliedarmesdivines,quisoudaindevinrent luminescentes comme le soleil. Dans un clair aveuglant, elles changrentdaspectetapparurentsousdesformeshumaines,vanescentescommelafume.Elles sinclinrent leur tour devant lenfant et reprirent en une seconde leur premiertat. Rama sourit et demanda Vishvamtra : Mon frre et moi aimerions savoir quel moment nous devrons chasser les deux dmons. Veillez six nuits, dit le saint homme, pendant que je plonge dans la mditation. Au boutde ce temps, Maricha et Soubahou apparatront. Ainsi les princes veillrent sur la mditation du sage en se relayant pour monter lagarde.Le sixime jour stait lev, et Vishvamtra tait encore plong dans sa contemplationdu Suprme, lorsquun bruit fracassant se fit entendre dans le ciel, jetant lpouvantedanslafort.Commedesnuagesquicouvrentlhorizonlasaisondespluies,lesdeux dmons et leurs hordes apparurent, effroyables de laideur et de mchancet, etse mirent vomir des flots de sang sur le pauvre ermite et son ermitage.Rama, la vue de ce dsolant spectacle, ajusta posment une flche sans tte sonarc, et frappa Maricha en pleine poitrine. Le monstre fut projet cent lieues de l,sur lautre rive de locan. Puis il tua net Soubahou dune flche de feu, pendant quesonfrremettaitendroutelafouleentiredesdmons,prisedepaniqueparlasubite et incomprhensible dfaite de leurs chefs. Alors subitement, le ciel redevintclair, et le sang qui couvrait Vishvamtra disparu comme par enchantement.Le calme tait revenu. Les oiseaux de la fort qui staient tus larrive des dmonsse remirent chanter, et leur clameur sembla proclamer la victoire des deux hros.Vishvamtra, les larmes aux yeux, serra les jeunes guerriers contre son cur : Grce vous, mon dsir le plus cher a t exauc, et je ne sais comment vous remercier. Parvotre prsence, vous honorez cet ermitage et sanctifiez cette fort. Notre seul bonheur est de te servir, Saint Pre, ordonne et nous obirons ! , rpondirentenchurlesdeuxprinces.Secouvrantainsimutuellementdecomplimentsetdamabilits, les trois htes des bois veillrent jusqu la tombe de la nuit.A laube, le vieil homme sadressa ses jeunes protgs : Ecoutez, mes enfants, le roi Janak va organiser dans quelques jours un grand tournoi de laplus haute importance. Nous allons nous y rendre. Ecoute, Rama ! Tu y verras la merveilleZappelli Le Ramayana6des merveilles, un arc magique, larc de Shiva lui-mme ! Il est dune puissance illimite etson clat est insoutenable. Ni les dieux ni les dmons ne peuvent le soulever ni le bander, et plus forte raison les hommes non plus. Cet arc, offert par Shiva au roi Janak en rcompense desa fidlit, repose dans le palais, entour doffrandes diverses, de parfums prcieux et dencensrares. Cela semble merveilleux en effet, Pre, et je me rjouis de le voir de mes propres yeux ! ,sexclama Rama en battant des mains.Alors ils se mirent en route, et arrivrent en peu de temps au bord du Ganges. Aprsstrepurifisdansleausainte,ilscontinurentleurcheminetentrrentdansleroyaume de Mithila, o rgnait Janak. Pendant trois jours, ils traversrent une grandefortauxarbresimmenses,etdbouchrentenfinsurunevasteetverteplaine,enface de la cit de Videha, la capitale du royaume.Sursesquatrects,lavilletaitentoureduncrindejardinsdorchidesetdebocagesdomergeaient,commedesbijoux,lesmaisons,lespalaisetlestemplesincrustsdepierreriesmulticolores.Ausommetdunecolline,perduaumilieudejardins suspendus en cascade, le palais royal scintillait de mille feux.Avisant un bosquet de manguier, Rama scria : Voil justement ce que jadore. Sil te plat, Vishvamtra, restons ici ! Ils sarrtrent donc, car le vieux mage ne pouvait plus rien refuser ses deux jeunessauveurs. Ils se reposrent avec dlice des fatigues du voyage, bercs par le chant desoiseaux.Quand le roi Janak apprit la nouvelle de larrive du clbre ermite, il alla lui-mmeaubosquetdemanguieravecsesministres.Aprsavoirreusabndiction,ilssassirent tous dans lherbe lombre des grands arbres.Janak prit la parole : Aujourdhui, Vishvamtra, jai obtenu une grande faveur du Ciel, puisque je te vois face moi ! Maisilnavaitpasfinisaphrasequelesdeuxfrres,quiavaienttexplorerlesjardins, arrivrent leur tour, lun bleu comme le saphir et lautre brillant comme lapleinelune,dansletendrefleurissementdeleurjeunesse.Toutelassemblefutmue en les voyant.Janak souffla loreille du mage : Dis-moi, qui sont ces deux enfants ? Sont-ils la gloire dune ligne royale, ou alors la doublemanifestation de lEsprit Suprme ? Tu dis vrai, roi, rpondit Vishvamtra en souriant, il nest personne qui peut ignorercesgarons !IlssontlesfilsduroiDhasarath,roidAyodhya,etleurpremelesaconfispour maider vaincre les dmons. Celui la peau sombre est Rama, et lautre est Lakshman,et ils sont aussi forts et justes quils sont beaux et intelligents. Ne te fie pas leur apparencejuvnile, car ils ont tu de leurs propres mains les dmons au combat ! Si je les ai amens ici Videha, cest parce que je leur ai parl de larc de Shiva, et ils brlent de le voir ! Intress, le roi se tourna vers les deux princes : Ecoutezmesenfants,laraisondtredecetournoi :cetarcmefutconfiparShivapourservir dpreuve. Lhomme qui russira le bander sera le destructeur des ennemis des dieux,deshommesetdesanimaux.Maiscenestpastout !Unjourquejelabouraisunchampconsacravecunecharrueenor,afindaccomplirlesacrificeannuelpourlafertilitdesrcoltes, le soc de ma charrue heurta un gros objet dans le sol. Je creusai et trouvai un ufZappelli Le Ramayana7norme.Alintrieurjydcouvrisunepetitefilleendormie.Jadoptaicetteenfantetluidonnai le nom de Sita, le sillon. Cette fille, ne de la terre, je lai leve comme ma propre filleet la destine tre marie lhomme le plus fort qui soit sur terre. Quand elle fut en ge dtremarie,sabeauttaitdjsiexceptionnellequesarenommedpassaitlesfrontiresduroyaume. Alors vinrent des rois pour me demander sa main, mais tous, je leur rpondis : Je ne la donnerai quau plus fort dentre vous Ils vinrent moi en grand nombre, et je leurprsentailarcdeShiva.Biensr,personneneputbandercetarc,nimmelesoulever.Jeconstatai que ces fiers--bras navaient pas plus de force quun moustique, et je leur refusaiSita. Alors ils se mirent en colre et sen allrent en me menaant. Ils revinrent rapidementavecleursarmespourattaquerVideha.Lesigedurauneanneentire.Auboutdecetemps, toutes les rserves de nourriture et darmes taient puises, et nous nous trouvionsdonc dans une situation trs critique. Devant ce dsastre, je me mis jener et prier Shivade maccorder la victoire, en adorant larc avec ce qui restait de nourriture et dencens dans lacit.Ainsi,Shivaentenditmeslamentations.NoussortmesdeVideha,etinvestissoudainementdunefureurdivine,noustaillmesenpicesetdispersrentcesroismalfaisants loin de Mithila. Cet arc, vous le verrez, mes beaux princes ! Si Rama parvient lebander, je lui donnerai Sita, ne sans mre. Aprs-demain, le tournoi commencera, des rois etdes princes de toutes les rgions de la terre arriveront par centaines, et je prie Shiva que Sitatrouve son poux ! Aprs leur avoir ainsi racont son histoire, Janak offrit des appartements ses troishtes dans une somptueuse demeure, puis sen retourna son propre palais."Zappelli Le RamayanaZappelli Le Ramayana8chapitre 3elendemain,lesdeuxprincesdcidrentdallervisiterlaville.Ilsarrivrentaux quartiers de lest, o les listes avaient t prpares pour le tournoi.Au milieu dune vaste place pave de turquoises et de pierres de lune, un autelenormassifavaittrig.Autourdeluisedployaitunelargeplate-formerecouverte dor, pour les princes et les rois concurrents, et juste derrire se tenait unautre gradin circulaire pour les spectateurs, de plus grande taille et richement dcor.Plus haut, mais bien en vue, stendait une magnifique galerie dun blanc immaculo,labridusoleil,lesnoblesdamespouvaientassisterconfortablementauspectacle.Quandilseurentadmircesimpressionnantesinstallations,lesdeuxfrresretournrent vers Vishvamtra.A laube du second jour, ils eurent envie daller cueillir des fleurs, car le temps taitresplendissant. Comme ils dambulaient dans les bosquets, ils avisrent un ravissantjardinorgnaitunternelprintemps,plantdarbresornementauxenlacsdelierres, si riches en fruits et en fleurs que, dans leur abondance, ils auraient fait honte larbre du paradis. Les paons y dansaient en coutant les chants des mainates et desrossignols.Aumilieudujardinbrillaitunlacmerveilleux.Desgradinsincrustsdecristalleceinturaiententirementendisparaissantsouslonde.Sursasurfacepureetpoliereposaientdeslotuspanouisetdesoiseauxaquatiques.Ramaetsonfrrefurentblouis la vue de toutes ces merveilles. Ils aperurent alors un jardinier qui taillaitun grand rosier, et allrent lui demander sils pouvaient cueillir des fleurs. En voyantces deux enfants, si beaux et si purs quils semblaient faire partie du jardin, le bravejardinier les invita se servir autant quils voulaient.Pendantcetemps,laprincesseSitaavaittenvoyeparlareine-mrefairedesoffrandes au temple de Parvati. La jeune princesse emmena avec elle les demoisellesde sa suite, et elles se dirigrent vers le temple en chantant de joyeux refrains. Or cetemple se trouvait ct du lac o se tenaient Rama et son frre.Aprsstrebaignedansltang,Sitasapprochadeladesseetluidemandaunpouxfidleetgnreux.Cestalorsquunedesdemoisellesdesasuite,quistaitloigneuninstantpouradmirerlejardin,aperuparhasardlesdeuxfrres,ettombaaussittamoureusedeleurbeaut.ElleretournaversSitaenfrmissantdehautenbas.Quandlesjeunesfilleslavirentdansunteltat,lesyeuxbaignsdelarmes et les mains tremblantes, elles la pressrent de questions sur la cause de sonmotion. Dun air ineffable, elle rpondit : Deux garons sont venus dans le jardin. Lun est sombre comme la nuit et lautre est claircommelapleinelune.Maiscommentpourrais-jelesdcrire,ilssontsibeaux !Lavoixestaveugle et les yeux muets ! LZappelli Le Ramayana9Lesjeunesfillesfurenttoutesexcitescesparoles.Lunedelles,remarquantlintrt de Sita, sexclama : A mon avis, ma chre, ils doivent tre les fils du roi Dhasarath, comme je lai entendu direhier au palais. Ils sont arrivs avant-hier avec lermite Vishvamtra. Sais-tu que leur beautest telle quils ont dj emport le cur de toutes les femmes de la cit ? Elles ne parlent quede leur perfection. Nous devrions aller les voir, jai limpression quils en valent la peine ! Jirai les voir moi-mme, rpondit Sita, mais montre-moi juste le chemin. Etellessedirigrentversltangengloussantdeplaisirgn.CependantSitanesavait pas quil sagissait dun ancien amour.Lorsquil entendit le son des bracelets dor aux chevilles de la princesse, Rama dit son frre : ImaginelAmourtriomphantsurlemondeentieretfaisantrsonnerlacymbaledelavictoire ! Il regarda alors dans la direction do venait le bruit et, comme la lune, le visage deSita brilla ses yeux. En voyant sa beaut, il tomba en extase. Mais son admirationtait tout intrieure, et les mots lui manqurent dabord. Ayant rflchi un instant, ilmurmura : Frre,jecroisquelleestlafilleduroiJanak.Elleestvenueavecsasuitepourprierautemple.Vois-tulatranedelumirequimarquesespas ?Asavue,moncursestmisbrler. Laprincesseregardaitanxieusementtoutautourdelle,plongedansledoute,carellenapercevaitpaslesdeuxprinces.Alorssacompagnelesluimontra,assislombre des lierres en fleurs. En les voyant, ses yeux se remplirent de dsir, avec lajoiedeceluiquiaretrouvuntrsorlongtempsperdu.AyantreuRamaparlechemin de ses yeux, elle ferma sur lui les portes de ses paupires.Quand son amie la vit aussi bouleverse, elle se sentit trop gne pour profrer unson. Alors les princes mergrent de lombre de la charmille.La servante scria soudain, en regardant la princesse : Il commence se faire tard ! Et elle ajouta avec un sourire entendu : Nous devrions revenir demain la mme heure Ayant saisi lallusion, Sita rougit et rpondit, comme si elle craignait sa mre : Il est tard, en effet ! Etrassemblantsoncourage,elleretournaaupalais.Sousprtextederegarderunoiseauouunpapillon,elleseretournait,etchaquefoisquellevoyaitRamasonamourgrandissaitencore.MaislapensedelarcdeShiva,ellesesentitsoudaintriste et en colre.Quandleprincesaperutquellesenallait,ildessinasursoncur,aveclencreindlbile de lamour, lesquisse de son infinie beaut.LesdeuxadolescentsrevinrentversVishvamtra,etRamaluiracontacequistaitpass.Lesaintprislesfleursoffertesparsesjeunesdisciples,etleurdonnasabndiction en riant de joie."Zappelli Le Ramayana10Chapitre 4e lendemain matin, la nouvelle de linauguration du tournoi avait fait le tour delaville.Chacunquittasontravail,etunefouleimmensearrivasurlaplace,hommes et femmes, enfants et vieillards, et mme les nourrissons dans les brasde leurs mres.Quand Janak vit cette multitude, il donna ses instructions pour faire rgner lordre etle silence. Alors savancrent les deux princes, resplendissants dans lassemble desautresprinces,commedeuxpleineslunesdansuncercledtoiles.Lesroistremblrentlavuedesjeunesguerriers,etlepressentimentdequelquechosedeterriblelessaisittouslagorge.Desdmons,ayantprisformehumainedanslafoule,pensrentquilsvoyaientlimagedelaMortelle-mme,maislesdeuxfrresapparurent aux Justes comme la placide radiance de la srnit. Janak fit venir Sita, etellearrivadunpaslentetsolennel,entouredesasuitedebellesservantes.Dignement, elle sassit sur son trne surmont dun gigantesque parasol tiss de filsdor. Tenant la couronne de la victoire dans ses mains, elle jetait des regards furtifsaux rois rassembls, cherchant Rama dun cur anxieux, et pas un seul dentre euxnchappa au pouvoir de lAmour.Lesdeuxprincestaientassisctdusaint,etlesyeuxavidesdelaprincessetombrentsureuxcommesurunrichetrsor.Maislavuedelafoule,elleserecroquevilla sur elle-mme et tourna ses regards vers sa suite.Janak fit un signe ses hrauts, qui proclamrent la ronde : Ecoutez tous, nous vous annonons le vux de notre souverain, et les bras levs, appelons leCielprendrececitmoin :devantvoussetrouvelarcdeShiva,etceluiquidanscetteroyale assemble le bandera, sera couronn au Ciel, sur la terre et en enfer, et recevra sur-le-champ la main de la princesse Sita ! Quandilsentendirentlemessageduroi,tousleschampionssemirenttrpignerdimpatience,insolentsguerrierslmesauvage,etceinturantleursreins,seprcipitrentsurlarcdivin.Lesvisagescramoisis,ilstentrentlesunsaprslesautresdelesoulever.Maisquilsymettenttouteleurforce,demillemaniresdiffrentes, ils narrivrent pas le remuer. En effet, ceux qui avaient un peu de bonsens ne sen approchrent mme pas. Ces rois imbciles, sans avoir ts capables desoulever larc, retournrent leur place en tranant les talons, comme si larme avaitaccumul de la force en absorbant tout tour lnergie de chaque concurrent.Puis cent rois essayrent dun coup de le soulever, mais larc ne put tre boug duncheveuetcdaaussipeuquunefemmevertueuseauxparolesdungalant.Lapuissanceetlagloiredessouverainsvaincussemblrenttotalementridiculesetlevisage gristre, ils se rassirent sur la tribune.Lorsque Janak vit la dconfiture des prtendants, il sexclama la ronde :LZappelli Le Ramayana11 En entendant parler du tournoi que jai organis, de nombreux rois sont venus ici, des dieuxet des dmons sous forme humaine. Le prix du vainqueur tait une pouse merveilleuse, ungrandtriompheetunnomimmortel.MaisDieu,semble-t-il,napascrelhommequipourrait bander larc de Shiva : prsent, abandonnez tout espoir et tournez vos visages versle chemin du retour. Mes seigneurs, si javais su quil ny avait en ce monde un seul hommecapable de cet exploit, je naurais mme pas organis ce tournoi ! En entendant ces paroles, Lakshman vit rouge : Puisse-t-iltreuniversellementmpris,celuiquiprofredetellesneries.Sijaitapermission, Rama, je vais soulever le monde entier aussi facilement quun galet et le casseraien morceaux comme un mauvais plat de vaisselle ! Jarracherai le mont Himavat comme unpot fleur ! Alors quest-ce que ce vieil arc us ? Dun signe, Rama fit taire son frre. Vishvamtra, jugeant le moment propice, souffla loreille du prince : Debout, Rama, brise cet arc et dlivre Janak de sa promesse ! Ladolescent se leva sans joie ni tristesse. Comme il montait sur lestrade, le cur delafouleentiresarrta.Ramaregardalarcquisetenaitdroit,simpleetimmobilecommeunestatuevivante.Illesaisitavecunefacilitsuperlative.Commeillabandait,larmedivinesemblatrelavoteduciel.Maislenfantserralarcsifortquil le brisa en deux, dans un fracas pouvantable qui rsonna jusqu lautre boutdu monde.Ramajetalesdeuxpartiescassessurlesoletlaterretrembla,renversantlesroishumilis.Devantceprodige,lamultitudehurladejoie,etsaclameurimmenseemplit latmosphre. La reine se sentit aussi heureuse quune rivire dessche lavenuedelamousson.Janakfutlibrdesessouciscommeunnageurpuisquiatteint enfin la rive. Mais les rois dchus semblrent aussi misrables quune lampe lhuile dont lclat se ternit laube.Alors le ministre Sanatand fit un signe Sita, qui avana vers Rama avec la grce ducygne,suiviedesescompagnesquientonnrentunchantmatrimonial.Resplendissanteaumilieudelles,Sitatenaitdanssesmainslacouronnedelavictoire. Comme elle sapprochait du prince, elle vit sa beaut plus proche encore quela premire fois dans le jardin. Elle se figea devant lui, comme une peinture sur unmur, jusqu ce quune de ses suivantes lui murmure loreille : Princesse, ressaisis-toi, couronne-le ! La jeune fille leva la couronne et la dposa en tremblant sur la tte de Rama, ses yeuxde faon perdus dans les siens.Enfin, Janak sadressa Vishvamtra : Cest grce Dieu que cet enfant a bris larc de Shiva. Ce jeune guerrier a soulag monme dun grand fardeau. O vnrable, conseille-moi sur la suite des vnements. Ecoute-moi, roi ! rpondit lermite. Dpendant de lpreuve de larc, le mariage entra envigueur aussitt que larme fut brise. Expdie donc un messager Ayodhya pour inviter leroi Dhasarath. Janak dpcha aussitt un hraut Ayodhya, puis il sadressa la foule entire : Ecoutez,gensdeMithila !Dcorezlesmarchs,lestemples,lesmaisonsetlesruesauxquatre coins de la ville ! Lafoulesedispersajoyeusementetsemitimmdiatementautravail.Onlevapartout des colonnes en or de la forme de larbre plantain, avec des feuilles en jade etdesfleursenrubis.Onfitaussidesmosaquesavecdesdiamants,dessaphirs,desZappelli Le Ramayana12topazesetdesamthystes,desabeillesetdesoiseauxenoretenturquoiseetdesgrappes de raisin en meraude, pendues leur cordon de soie. Tous ces ornementstaientsimerveilleuxqueleCrateurenfuttoutdconcert.Ilestimpossiblededcrire les innombrables pavillons, et en particulier celui destin aux poux royaux.Quel pote aurait la hardiesse de tenter de les dpeindre ? Dans chaque maison, dunbout lautre de la ville, il y avait la mme splendeur. La joie tait si grande que lepalais fut trop petit pour la contenir, et il se mit dborder par ses quatre cts.Quelques jours plus tard, Dhasarath manqua de strangler dmotion en apprenantlextraordinaire nouvelle. Il runit sans tarder ses meilleurs chevaux, si rapides quilsauraient fait la course avec le vent et lauraient mme dpass ! Ses reines et sa suitemontrentdansdesattelagessomptueux,etlacaravanesbranladansunbruitassourdissant de grincements de roues, de hennissements de chevaux, de tambours,de cloches et de rires de soldats. Se mettant en tte du convoi, ses fils Satroughn etBharat juste derrire lui, le roi sapprocha rapidement de Videha.Quand il sut que Dhasarath et le peuple Kosala taient entrs Mithila, Janak envoyaune dlgation leur rencontre, charge de plateaux en or couverts de ptisseries etde boissons aussi douces et rafrachissantes que le nectar des dieux. Puis Janak sortitlui-mme de la cit, suivi de toute la population, et ils se retrouvrent sur la plainedevantVideha,commedeuxocansquiauraientfaitclaterleurlimiteetstaientrunis.Lorsquelebruitdelarrivedeleurprearrivaauxoreillesdesdeuxfrres,ilscoururent vers lui comme des voyageurs assoiffs du dsert qui aperoivent un oasis.En les voyant, Dhasarath ne put contenir son motion, et serra ses fils sur son curen pleurant des larmes de bonheur. Oubliant la souffrance du pass, il sembla tre unhomme ressuscit.Le jour du mariage arriva enfin. Ctait lhiver, dans le mois de Aghar. Les tambours,danslesilencedelaubenaissante,rendirentleroulementdutonnerre.Avecdeslampes au beurre, les prtresses commencrent clbrer le rite lustral. Rama entradanslepavillonetfutconduitsontrne.Quandleritefutaccompli,ellesrpandirentautourdeluidespierresprcieusesenprofusion,toutenpsalmodiantdesmantras.AlorsonamenaSitaavecsasuite.Laprincesseirradiait,commelabndiction parmi les Grces. Elle monta sur son trne ct de celui de Rama. Leroi et la reine placrent devant le couple des vases dor orns de perles et remplis deparfum.Vishvamtrajoignitlesmainsdespouxensoufflantunmantraleursoreilles. Puis la marie si claire et le mari si sombre firent, pas mesurs, trois toursautourdesdeuxtrnes.Leurimageserefltaitlinfinisurlespiliersdordupavillon, et tincelait comme lincarnation du dieu et de la desse de lAmour. Enfin,Rama appliqua le vermillon sur le front de Sita, et ils se rassirent ensemble, unis pourlternit.Pour pouse, Janak donna Bharat la belle et merveilleuse fille de Koushaktou, sapremirereine,puisaccorda Lakshman ladorablesurcadettedeSita,etdonnafinalementSatroughnlacharmanteSrouti-Kirti-aux-yeux-brillants,pasmoinsgracieuse quintelligente.Commelespouxetlespousessecontemplaienttimidementlesunslesautresetnotaientleurcontrastedecouleur,leurcurfutlgeretilssemirentbrillerdemille feux.Zappelli Le Ramayana13Quand tous les couples furent unis jamais, le pavillon fut rempli de poudre dor etdepierresprcieuses,etlesbrahmanesfirentbrlertantdencensquelafumeenobscurcit le ciel.Telles furent les rjouissances au mariage de Rama et de ses trois frres avec les fillesde Janak."Zappelli Le Ramayana14chapitre 5epuis le jour o Rama revint Ayodhya, il ny eu quune constante successiondejoiesetdedlices.LesquatorzesphresdelaCrationtaientcommedepuissantes montagnes o des nuages de vertu tombaient en averse de bonheur.Labondance,larichesseetlaprosprittaientdesriviresgnreusesquisedversaient dans Ayodhya comme dans locan.Un jour, le monarque tait assis sur son trne dans la salle daudience, entour de sescourtisans. Dans sa main, il tenait un petit miroir et y regardait son reflet, rajustantsacouronne.Contresonoreille,ilaperutuncheveublanc,tellelavieillessemurmurant : Roi, consacre Rama, et ainsi ralise le but de ta vie Ayant longuement mdit sur cette pense, il alla chez Vashishta. Ecoute,Gouroudj,Ramaaeuseizeanscetteanne,etilestprsentparfaitementaccompli. Les serviteurs et les esclaves, les ministres et la population entire, tous dsirent queRama soit leur roi. Je ten prie, Vashishta, couronne-le toi-mme de mon vivant. Heureux le jour o Rama sera proclam rgent ! , rpondit lermite.Satisfait de lassentiment du mage, le roi se dirigea vers son palais et fit appeler sonministre Soumanta. Aujourdhui,Vashishtaaapprouvmadcision,dclara-t-iltoutexcitsonnobleserviteur. Nous allons sacrer Rama ! Prpare-toi imprimer la marque royale son front. Soumanta fut ravi dentendre cette nouvelle, qui lui sembla tre une averse de pluiesur la jeune pousse de son dsir secret. O roi, rpondit-il, la chose que tu proposes est la seule bonne faire concernant ton fils, etla plus excellente des dcisions ! Et ils commencrent organiser les prparatifs sans perdre de temps.Vashishta alla voir Rama ses appartements. coute,monfils,luiditdoucementlesage,leroitonpreadciddeteconfrerladignitdergent.Dsaujourdhui,tuvasteconsacrerauxritesdepurification,pourqueDieu puisse amener cet vnement une issue heureuse. Vashishta sen retourna vers le roi, laissant Rama seul avec ses penses :Mesfrresetmoi-mmesommestousnslemmejour,etensemblenousavonsgrandi,mang,dormietjoupendanttoutenotreenfance.Nousnoussommesrjouisdavoirtoutpartagpartsgales.Leseuldfautdenotreligneestqueseulleplusgpuissetrecouronn, au dtriment de ses frres plus jeunes ! Maisdanstouteslesmaisonsetlespalais,lepeupledeMithilaattendaitimpatiemment le couronnement.DZappelli Le Ramayana15Or, cette poque, la reine Kakeyi avait une servante bossue du nom de Manthara.Quand cettedernirevitlesprparatifsdanstoutelacit,elledemandaautourdelle : Que signifient ces rjouissances ? Lorsque quelle apprit le sacre imminent de Rama, son me senflamma dun coup etelle se mit comploter, perverse quelle tait, afin de le faire chouer la nuit mme.Criant au dsespoir et pleurant chaudes larmes, elle alla chez sa matresse. Quest-ce qui ne va pas, ma fille ? , demanda la reine en lui tapotant sa bosse.Labossue nedonnapourtouterponsequunprofondsoupiretrecommenaverser des flots de larmes. En riant, la reine la railla : Tu as toujours t une impudente, Manthara, et je souponne Lakshman de tavoir donnune bonne leon ! Mais la misrable servante ne profra pas un mot, et souffla bruyamment comme uncobra. Kakeyi, en souriant nerveusement, insista : Quelquun est-il mort ? Parle donc ! Enfin, Manthara se dcida rpondre :Pourquoi,mareine,medonnerait-onuneleon ?Etpourquicelapourrait-ilalleraujourdhui si cela ne va pas pour Rama, que le roi associe avec lui sur le trne ? Dieu a ttrs aimable pour Kausalya, et tu devrais aller voir dehors la ville en fte. Ton fils Bharat estabsent, et tu ny prtes aucune attention, tant sre de ton influence prdominante sur le roi.Tu ne vois ni sa tratrise ni sa perversit, car tu es paresseuse et proccupe uniquement deton estomac et de ton oreiller ! En entendant cette affectueuse tirade, la reine, qui connaissait bien lesprit opinitrede Manthara, lui rpondit : Paix soit faite ! Et si tu me parles nouveau de cette manire, je te ferai arracher la langueet la jetterai aux chiens errants ! Maiselleserappelasoudainquelebossu,leboiteuxetleborgnesonttoujoursvicieux et rancuniers, et quil vaut mieux ne pas sen faire des ennemis. Je tai seulement donn un gentil conseil, ma fille, ajouta-t-elle en souriant, et je ne suispas le moins du monde en colre. Si ce que tu dis est vrai, cest pour moi le meilleur et le plusheureux des jours. La coutume de la race solaire a toujours t de sacrer lan, et de faire deses cadets ses serviteurs dvous. Si Rama va rellement tre couronn demain, je ten prie,demande-moi ce que tu dsires, et je te laccorderai. Tu sais bien quil ny a pas de diffrenceentre Kausalya et les autres reines, et Rama est juste et bon envers tous, sans distinction. Il aune grande affection pour moi, comme jai souvent pu le remarquer, et si je renais nouveau,Dieu fera que Rama et Sita soient mon fils et ma fille. Si ce garon mest plus cher que ma vie,pourquoi donc te mets-tu en colre cause de son couronnement ? Manthara, en regardant la reine dun air sournois, rpondit en murmurant : Ai-jeunesecondelanguepourparler nouveau ?Jemritedavoirlattecoupepourtavoir caus de la peine par mes paroles dplaisantes. Mais je voudrais quand mme te direqueceuxqui agissenttratreusementetparaissentsincressontlesgensquetucoutesvolontiers, alors que je toffense en te disant la vrit. Dsormais je ne parlerai que comme il teplaira, sinon je garderai le silence jour et nuit. Seulement, je ne peux pas supporter de te voiren disgrce. Pardonne-moi, ce fut une grande faute de ma part En entendant ces paroles bienveillantes, si profondes et si ruses, la reine, qui avaitlespritinfluenable,pritsonennemiepoursameilleureamie.EllelaquestionnaZappelli Le Ramayana16commeunebicheenvoteparlamusiquedunechasseresse.Commeledestinlavait voulu, sa raison chavira. Manthara se rjouissait du succs de sa machination. Tu me questionnes, mais jai peur de rpondre, maintenant que tu mas menac, rtorqua-elle. Cependant coute : tu parles de Sita et de Rama comme de tes enfants dvous. En effet,unjour,Ramataima,maiscesjourssontpasssprsent !Avecletemps,lesamisdeviennent des ennemis, comme le soleil qui revigore la fleur mais la rduit en cendre si ellenapasdeau.Kausalyatarracheraparlaracine,prendsgardetonjardinetvitedetecompromettre !Tuimaginesbiensrquetueslaprfreduroi,ettuneremarquesdoncrien. Mais si loyales sont ses paroles, noir est le cur de Kausalya. Toi, ma reine, tu as unenaturenobleetgnreuse,alorsquelle,aucontraire,esthypocriteetintrigante,etelleatrouv le moyen darriver ses fins. Je sais qu sa propre suggestion, elle a fait envoyer parDhasarath ton fils Bharat chez sa grand-mre, justement parce quil est ton fils, et quil est leplus qualifi pour tre roi. Toi, ma Dame, tu es lpine dans le pied de Kausalya, mais elle esttrop astucieuse pour que tu le comprennes seulement voil, moi, jai djou son plan ! Leroi a un amour particulier pour toi, plus que pour nulle autre, tu le sais, et en tant que rivale,elle ne la pas support. Elle a manipul le roi, et obtenu de lui le couronnement immdiat desonfils.Bien !Cecouronnementestunebonnechosepourlafamilleetlepays,ettoutlemonde est satisfait. Mais quand je pense aux consquences funestes de tout ceci, je suis plusquinquite. Le Ciel les a accumuls au-dessus de ta tte. Manthara monta sa machination mthodiquement, racontant histoire aprs histoirede femmes jalouses, afin daugmenter le ressentiment de sa matresse. Domine parlaforcedudestin,lareinefutconvaincueaufonddesoncur,etellesemitsupplier sa servante de parler franchement. Quevoudrais-tuencoremedemander,tunecomprendstoujourspas ?,rponditsombrement Manthara. Mme lanimal le plus primitif sait ce qui est bon ou mauvais pourlui ! Les prparatifs du sacre durent depuis une quinzaine de jours, et ce nest quaujourdhuique tu lapprends, et par ma bouche en plus ! Je suis habille et nourrie par toi, et cest doncmondevoirdetedirelavrit.Sijinventeunseulmensonge,puisseDieumepayerenretour.Maintenantsache-le,siRamaestcouronndemain,Dieuaurasemsurtoiunercolte de malheur. Tu seras comme une mouche dans un bol de lait et tu ne pourras rester Ayodhya que si tu deviens lesclave de Kausalya et de Rama. QuandKakeyientenditcesparolesacres,ellefutfrappedemutismeetsesmembrestremblantsfurentbaignsdesueurfroide.Alorslabossue,sesouvenantquelledevaitfaireattentioncequelledisait,semorditlalangue,etpardinnombrables ruses entreprit de consoler la reine, jusqu ce quelle lait totalementpervertie. Ainsi linfme devint la favorite et, comme si un merveilleux flamand roseflattaitunvilaincorbeaudplum,lareineluidit : Ecoute,machre Manthara,tesparoles sont certainement vraies. Mon il droit a toujours des lancements et chaque nuit jefaisdesquantitsdecauchemars.Dansmonignorance,jenetenaipasparl.Quepuis-jefaire, mon amie ? Je suis comme le nourrisson qui ne distingue la droite de la gauche. Jusquaujourdhui,jenairienfaitdemal,alorspourquoilesdieuxmont-ilsmisdanscettesituation intolrable ? Je prfre men aller et finir mesjours la maison de mon pre, pluttque vivre comme la servante dune rivale ! Pourquoi parler ainsi, comme si tu te rsignais ta disgrce ?, lui rpondit la misrable.Ton bonheur devrait plutt grandir de jour en jour ! Depuis que jai appris les nouvelles, je nepeuxplusmangerlejouroudormirlanuit.Jaiconsultlesastrologuesetilsmonttousdclar unanimement que Bharat sera roi. Ma reine, je peux te donner le moyen de retournerla situation ton avantage. Te souviens-tu que le roi a une obligation envers toi ? Prenant Kakeyi comme une victime pour le sacrifice, la bossue aiguisa le couteau delatratrisesursoncurdepierre,etlareine,commelagneauquibrouteZappelli Le Ramayana17innocemment le gazon, ne vit pas lapproche du danger. Elle couta ses paroles quitaient comme du miel empoisonn. Tesouviens-tu,madame,ajoutalabossue,delhistoirequetumeracontasunjour?Lhistoire des deux vux qui te furent promis par le roi, quand tu sauvas sa vie sur le champde bataille, lors de la guerre contre le roi Sambara. Il avait t laiss pour mort au milieu desautres cadavres, baignant dans son sang, et sans ton aide providentielle, il serait aujourdhuiauparadis.Iltefitlapromessesolennelledetexaucerdeuxvux,ettulesrservasprudemment jusqu aujourdhui. Demande-les-lui maintenant et soulage ainsi ton me. Leroyaume est pour ton fils, et lexil dans la fort pendant quatorze ans est pour Rama. Ainsi,tu triompheras de ta rivale. Mais ne demande rien avant que le roi aie jur sur la tte de Ramapour quil ne revienne pas sur sa parole. Si tu laisses passer la nuit, il sera trop tard. Va auboudoir et prpare-toi. La reine estima alors que lodieuse servante tait sa meilleure allie, et exaltant sonintelligence, elle conclut : Dans le monde entier, je nai pas damie telle que toi. Demain, si Dieu exauce ma prire, jete chrirai, ma chre, comme la prunelle de mes yeux ! Kakeyi alla dans son boudoir, et y resta dans la pnombre. Sa funeste colre tait laterre sur laquelle Manthara avait sem les graines de la calamit et qui, arroses parla tratrise, prirent racine. En poussant, elles donnrent deux feuilles, les deux vuxdu roi, et enfin le fruit de la ruine totale."Zappelli Le RamayanaZappelli Le Ramayana18chapitre 6e palais et la ville entire sadonnaient aux rjouissances, et nul ne souponnaitque le danger rdait. Tous les citoyens, dans leurs dlices, taient occups auxprparatifsdelafte,etlacourdaudiencetaitconstammentrempliedunfleuve de gens entrant et sortant joyeusement. Enchants des nouvelles, tous les amisdeRamavinrentlefliciteretluirendrehommageetleprince,sensibleleuraffection, les reut tous aimablement les uns aprs les autres.Seul le cur de Kakeyi tait en flammes.Dhasarath,toutheureuxquiltait,allaenchantonnantauxappartementsdesafavorite. Quelle ne fut pas sa consternation lorsquil entendit les cris de rage de sonpouse dans le boudoir. Effray, il nosa pas entrer immdiatement. Lui, dont tous lesprinces attendent les faveurs, fut boulevers dentendre la colre de sa reine. Voyezcomme est grande la puissance de lAmour ! Le roi se dcida pourtant, et savanant pas compts dans la chambre presque obscure, il trouva Kakeyi gisant sur le sol,vtue dhabits sales et uss, tous ses ornements parpills dans la pice. Sa misrableapparence saccordant son misrable dessein.Dhasarath demanda doucement : Pourquoi es-tu fche, dlice de mon cur ? Etilessayadelarelever,maisellelechassadungestebrusque,lefoudroyantduregard comme un serpent enrag. Le roi crut quil sagissait dun caprice de lamour. Dis-moi la cause de ta colre, merveilleuse Dame, sexclama-t-il, qui est-il, celui qui tacontrari ?Oest-il,cetamoureuxdelamort,avecsatteentrop ?Jetueraimmeunimmortel sil est ton ennemi ! Demande-moi tout ce que tu dsires ! Mais avant tout, orne tonadorable personne de pierres prcieuses et te ces vtements inconvenants. Laperverseselevaavecunsourireencoin,etrevtitsonmanteaudereine.Lacroyant revenue de meilleurs sentiments, il sexclama : Ma Dame, le dsir de ton cur va se raliser. La joie est dans toutes les maisons. Demain, jedonneraiRamaletitredergent !Aussi,machrie,prpare-toipourcetvnementextraordinaire ! A ces paroles, elle sursauta comme une grenade trop mre qui clate au toucher. Unsourire forc aux lvres, elle murmura : Demande, demande, en effet, Seigneur, mais dis-moi un jour, tu mas promis deux vux,mais je doute de les recevoir. Jevoiscequetuveuxdire,rponditleroidunairgn,tuasgardmapromesseenrserve et tu ne mas rien demand jusqu ce jour. Et mon habitude, jai tout oubli de cela.Mais coute : la rgle immmoriale de ma famille est quil vaut mieux mourir que trahir unepromesse. Je te jure par Rama de la tenir ! Demande LZappelli Le Ramayana19Ecoute,monbien-aim, quelestledsirdemoncur,fitKakeyi. Pour le premier vu,accorde-moi le couronnement de Bharat, et pour le second, exile Rama dans la fort pendantquatorze annes avec linterdiction dentrer dans une ville ou mme un village, et l quil ydemeure habill en ermite ! Le cur de Dhasarath se glaa. Le puissant monarque se sentit soudain aussi abattuquun palmier frapp par la foudre. Mon dsir, qui a fleuri comme larbre du paradis, a t dracin par un lphant !, gmit-il.Pourquoiunetellechosearrive-t-elleuntelmoment ?Jesuisruindavoirmismaconfiance dans cette femme ! En le voyant dans cet tat,Kakeyi lui jeta mchamment : Quoi ? Alors, Bharat nest-il pas aussi ton fils ? Est-il un esclave comme moi, achet pourun bon prix ? Refuse la promesse que tu mas faite, renie ta parole, et tu seras publiquementdisgraci.Quandtutesengagralisercesdeuxvux,quetimaginais-tu ?Quejedemanderais une poigne de graines dessches ? LesparolesdeKakeyitaientaussimordantesqueleselsuruneblessurevif.Dhasarathlavoyaitsedresserdevantlui,brlantedepassion,tellelpedelafureur tire du fourreau, les funestes conseils de Manthara pour poigne et la cruautpour tranchant, aiguis sur la meule de la bossue. Elle ma transperc dans ma partie la plus vitale, pensa-t-il, mais elle ne me volera ni mavie ni mon honneur. Puis, sadressant elle : BharatetRamasontmesdeuxyeux,mabien-aime,pourquoimedis-tucesmchantesparoles ?Jenefailliraipasmapromesse,etenverraidemainlaubeunmessagerversBharat.Jeluiconfieraisolennellementleroyaume.Ramanaaucuneconvoitisepourlepouvoiretilesttrsattachsonfrre,tulesaisaussibienquemoi.Biensr,jaitoutarrangsanstavoirconsulte,etcestlaraisondemonchec,maischassetonmcontentement et mets un costume de fte. Encore quelques jours de patience et ton fils serargent.Cependantvois-tu,ilnyaquunechosequimecontrarie :Tasecondedemande,vraimentunerequtedraisonnable !Est-ceuneplaisanterie,oues-tusrieuse ?Explique-moiquelleestlafautedeRama .Toutlemondesaitquilestlabontmme.Ettoi,tulechoyais et ladmirais, et donc je suis trs perplexe.Comment peut-il tavoir contrari, lui quicharmerait mme son ennemi ? Tu as fais une montagne de tout cela, ma bien-aime. Fais-moiune demande plus judicieuse, afin que je puisse me rjouir de laccession au trne de Bharat etde la prsence de Rama, car de lui dpend mon existence. Son long discours fit flamboyer la reine comme de lhuile verse sur le feu :Tupeuxinventertouteslesrusesquiteplairont,maistonsubterfugeserasanseffetsurmoi. Soit tu excutes mon ordre, soit tu le refuses et tu ne seras plus rien. Je ne prolongeraipascettediscussion.Siaupointdujour,Ramanestpasexildanslafort,mamortsensuivra, et ton dshonneur aussi ! , hurla-t-elle, dresse comme une vague de colresur une montagne de pch, boursoufle de torrents de passions.Le roi la supplia de sasseoir en criant : Ne sois pas une hache pour les racines de la race solaire ! Demande-moi ma tte et je te ladonnerai sur-le-champ, mais ne me tue pas en chassant Rama, sinon tu seras maudite pourlternit! Dhasarath tomba sur le sol et se mit sangloter lamentablement, le corps bris par latristesse et la gorge aussi sche que celle dun poisson priv deau.Zappelli Le Ramayana20 A prsent, fais ce quil te plaira, murmura-t-il, mais tiens-toi hors de ma vue. Voile-toi lafaceetnemeparleplusjamais,aussilongtempsquejevivrai.Tuleregretterasjusqutamort, sois-en certaine. Kakeyi ne disait pas un mot et regardait le roi qui ressemblait un oiseau aux ailescoupes. Le jour tomba, et cette nuit-l personne ne dormit Ayodhya.A laube, une foule de ministres et de courtisans pitinaient dimpatience la portedu palais royal. Quelle peut-tre la raison pour laquelle aujourdhui, parmi tous les autres jours, le roi ne selve pas ?, sexclamrent-t-ils, cest trs trange Soumantaentraenpremieretfuttoutdesuitesaisiparunetrangeimpression,commesiunmonstretaittapitdanslobscurit,prtbondirpourledvorer.Ilappela,maispersonneneluirpondit.ArrivauxappartementsdeKakeyi,ilcherchadanslapnombre.Alorsillevit,affalparterre,sanscouleurcommeuneplante dracine. Terrifi, le ministre ne put prononcer un mot.Sortant de lombre, Kakeyi lui lana :Le roi na pas dormi de toute la nuit, Dieu seul sait pourquoi. Il na rien fait dautre quegmir jusqu maintenant : Rama, Rama !, sans rpondre mes questions. Va tout de suitechercher Rama et quand tu seras de retour, tu pourras lui en demander toi-mme la raison. Soumanta sen alla tout de suite en courant, comprenant que la reine avait conspirquelque chose. Il tait si anxieux que ses pieds touchaient peine le sol. Il arriva toutessoufflauxappartementsduprinceetensembleilsrevinrentlahteversDhasarath, essayant de garder bonne contenance.LorsqueRamavitlapitoyablealluredesonpre,telunvieillphantterrassparune tigresse, ses lvres se desschrent en une seconde. Pour la premire fois de sonexistence, il voyait le malheur, et jamais il nen avait entendu parler auparavant. Dis-moi, mre, demanda-t-il Kakeyi, pourquoi mon pre est-il dans cet tat ? Ecoutes-en, Rama, la seule et unique cause, lui rpondit la reine. Le roi taime beaucoup.Il ma promis un jour, bien avant ta naissance, dexaucer deux vux, et aujourdhui je lui aidis ce que je dsirais. Mais il a perdu toute sa raison en lentendant et il ne peut se dbarrasserduncertainscrupuletongard.Dunct,ilyasonamourpourtoietdelautresapromesse. Il est ainsi la croise de deux chemins. Donc je te le dis : Sois obissant comme lebon fils que tu es et mets fin son dilemme. Elle se rassis, satisfaite, et continua parler si cruellement que la Cruaut elle-mmeenfuttoutepeine.ElleracontaRamatoutelhistoire.Ladolescentsouritintrieurement et lui dit doucement : Mre, bni soit le fils qui obit aux ordres de ses parents. Jai toujours eu le dsir secret deme joindre aux ermites de la fort et aujourdhui, lordre de mon pre ne fait quun avec cedsirettadcision.Deplus,Bharat,quejaimecommemoi-mme,deviendraroi.Entoutechose, Dieu me comble de bonheur. Ceux qui abandonnent larbre du paradis pour soccuperdesmauvaisesherbeslaissentpasserleurchanceunefoispourtoutes.Cependantjenecomprends pas pourquoi mon pre est si pein pour une chose aussi insignifiante. Dis-moi lavrit ! Comme une sangsue qui avance toujours de travers, la reine lui rpondit tout en luiprodiguant sa fausse affection : Je te le jure par toi et par Bharat , il ny a dautre raison que celle que je tai dj dite. Zappelli Le Ramayana21Leroirevenaitlentementlui.Lorsquilentenditsonfilsparler,ilsetournasurlectengmissantetSoumantalaidaserelever.Ramatombasespieds,maisDhasarath ne put profrer un son. Il pria intrieurement Rama de dsobir. Pre, lui dit le prince, tu te troubles pour une bien petite affaire. Parle-moi, je ten prie !Chasse tes soucis en ce jour de fte et donne-moi tes ordres. En tobissant, jatteindrai le butde mon existence : jirai dans la fort ! Ainsidit,Ramasortitduboudoir.Lesamresnouvellesserpandirentbientttravers tout Ayodhya, comme le venin du cobra qui affecte dun coup le corps entier.Les gens qui les entendirent devinrent comme la broussaille quand la fort prend feu.Leslarmessemirentruisselersurleursjouesetleurcurneputendurerpareilchagrin.LavillefutsecoueparlacolreetcommenacouvrirlareineKakeyidinnombrables injures."Zappelli Le Ramayana22Chapitre 7ajoiepeintesurlevisageetlecur,Ramaallavoirsamre.Cependant,ilnavaitquuneseulecrainte :queleroipuisserevenirsursadcisionetleretenir.Lexiltaitpourluicommeunercrationetilsenrjouissaitlextrme. Les mains jointes, il se prosterna aux pieds de Kausalya. Elle lui donna sabndictionetleserracontreelleenluibaisantlevisage.Admiranttendrementsabeaut, elle lui dit : Dis-moi,monfils,quandtoncouronnementdoit-iltreclbr ?Monchri,faistesablutionsetensuitevamangertesplatsprfrsainsiquetouteslesptisseriesquetuvoudras, puis retourne vite chez ton pre, il y a dj eu trop de retard ! Asonaimablediscoursquiluisemblaittrecommelafleurdelarbreduparadis,Rama rpondit : Mon pre ma donn la fort pour royaume, et jaurai beaucoup y faire. Mre, dans tonaffectionpourmoi,nedonnepascourslangoisse.Monbonheurdpenddetonconsentement. Aprs avoir vcu quatorze annes dans les bois, je reviendrai et nouveau, jeverrai tes yeux de lotus. Naie pas lesprit inquiet ! LesdoucesparolesdeRamapercrentlecurdesamrecommedesflchesenflammes.Ellesefltritcommeunefleursanseau.Sesyeuxseremplirentdelarmes et son corps entier fut agit de tremblements. Mais sans perdre son courage,elle saisit son fils par les paules et lui dit : Mon enfant, tu es lador de ton pre et il ne manque jamais dassister tes exploits. Il adj tout organis pour ton couronnement. Pourquoi taurait-il banni comme cela du jour aulendemain ? Dis-le-moi ! Et Rama lui raconta tout en dtails, plongeant sa mre dans un mutisme profond. Aummemoment,Sita,quielleaussiavaitapprislesnouvelles,allaencourantchezKausalya.Sita,laperfectiondelabeaut,retournaitmilleidesfunestesdanssonesprit :Leseigneurdemavievasenallerdanslafort.Commentpourrais-jesupportersonabsencependantquatorzeans ?Jevoudraistantlaccompagner,mmeparlesprit.Oui,jedois y aller ! Mais les voies du Seigneur sont impntrables. La voyant arriver en pleurs, la reine Kausalya comprit aussitt le dsir de son me etoubliant sa propre tristesse, elle scria : Ecoute, mon fils, Sita est si dlicate, elle est la chrie de tes parents et du royaume entier. EtcestcetteSitaquiveuttesuivredanstonexil ?Desanimauxfrocesetdesogresaffamsrdent dans les bois. Ah, mon fils ! Le dlicat rosier peut-il pousser dans le dsert torride ?Pour la fort, Dieu a cre des femmes qui ne se soucient pas des plaisirs du corps. Lpousedunermitepeutysurvivre,maiscestparamourdelascsequellearenonctouslesplaisirs.AlorscommentSitaferait-ellepouryvivre,ellequiesteffrayeparunesimplestatuette de singe ? Le cygne qui sest dlect dans les lits de lotus du Ganges peut-il trouverLZappelli Le Ramayana23unedemeureconvenabledansuneflaquedeauboueuse ?Rflchiscela,monfils.Siellereste la maison, elle sera le soutien de ma vie et du royaume. Ecoute Sita, dit Rama, si tu dsires notre bien tous, accepte ce que dit ma mre et reste Ayodhyapourconsolermesparentschaquefoisquilspenserontmoi.Lesjourspassentvite ! Mais si tu persistes dans ton obstination, tu en supporteras les consquences jusquaubout. La fort est extrmement pnible et dangereuse, ses ts et ses hivers sont pouvantablesetlespluscourageuxtremblentenypensant.Lessentierssonthrisssderoncesetdecaillouxpointus,ettudevrasmarcherpiedsnus,sanslamoindreprotection.Tunepeuximaginer les montagnes normes, les gouffres, les prcipices, les fleuves larges comme des lacs,les torrents furieux, les tigres, les ours, les loups et surtout les dmons mangeurs dhommesqui prennent toutes sortes dapparences. En bref, les difficults de ces lieux dpassent touteexpression, et toi, ma femme aux yeux de biche, tu es timide et fragile. Je ne crois pas que tusois faite pour cette viel. Sitalaissacoulerleslarmessursonvisagedivoire.Malgrsonchagrin,elleneperdait pourtant pas tout espoir. Mre, pardonne-moi, mais il ny a pas de souffrance plus grande dans le monde que dtrespare de son bien-aim. , dit-elle la reine les yeux baisss.Puis elle se tourna vers Rama : Sans toi, mon amour, il ny a rien dans tout lunivers qui puisse me rconforter. Les oiseauxetlesbichesserontmasuite,lafortmacitetlesrubansdcorcemesrobeschatoyantes.Avec toi, Rama, une hutte de branchages sera comme le palais des dieux. Tu mas numr lesnombreux dangers de ces rgions, mais tout cela nest rien compar la douleur dtre sparedetoi,sansmmetresredeterevoirunjour.Emmne-moiavectoi,Rama,nemabandonne pas ! Imagines-tu que si je reste ici, je survivrai la fin de ton exil ? Si jinsiste pour la quitter, je la quitterai morte. , pensa Rama, et il sexclama : Finis-en avec tes lamentations et viens avec moi dans mon exil. Ce nest plus le moment depleurer. Va faire tes prparatifs ! Le visage de Sita sillumina de bonheur, et sans ajouter un mot elle serra les mains deson poux dans les siennes.QuandleschosdudramearrivrentenfinauxoreillesdeLakshman,ilallatoutdroit chez son frre. Ne sois pas triste, lui dit Rama en le voyant arriver compltement effondr, et sacheque tout ira bien. Ceux qui se soumettent aux ordres du destin sont venus au monde dans unbutprcis,sansquoileurnaissanceseraitvaine.Aussicoutemesordres :veillesurlafamille. Ni Bharat ni Satroughn ne sont Ayodhya, et le roi est incapable pour le moment deprendrelamoindredcision.Sijetemmneavecmoi,leroyaumeserasansmatre,etunpoidsintolrablepserasurlespaulesdetoutelapopulation.Resteicipoursoutenirlepeuple, car notre pre est prsent un prince des enfers ! Lakshman coutait dun air sombre.Tu mas donn un excellent conseil, rpondit-il, mais je le crois irralisable. Crois-moi, jeparle avec le cur : tout lamour du monde est concentr en toi, Rama. Je suis en esprit, enparole et en acte tes pieds, et tu mabandonnes ? Il tait au bord des larmes, et Rama le serra contre lui en disant : Va, mon frre, dis adieu ta mre et viens avec moi dans la fort ! Le visage de Lakshman sclaira dun sourire ineffable. Son triomphe tait grand etsatristessesenvola.Ilcourutchezsamre,lecuraussiheureuxqueceluidunaveugle qui a recouvr la vue. Pendant quil la saluait, son esprit tait dj loin avecZappelli Le Ramayana24Rama etSita.Aprs avoirfaitses adieuxSoumitra,ilrepartitencourant,lecurtrpidant.IlrejoignitRamaetensemble,avecSita,ilsentrrentdanslepalaisdeDhasarath.Il y avait une grande foule dans la cour daudience. Le ministre Soumanta, en voyantarriver les trois adolescents, releva le roi affal sur son trne. Quand il vit ses deuxfils et Sita, les larmes jaillirent de ses yeux accabls.Pre,luiditRama,donne-noustabndiction.Pourquoies-tusitristeencejourderjouissance ? A ces mots, Dhasarath se leva et prenant son fils par le bras, le fit asseoir ses cts.Il essaya par tous les moyens de le faire renoncer, mais ce fut en vain. Alors il tentade convaincre Sita, mais le cur de la princesse stait pos sur celui de son poux.Non,aucunpalaisneluisemblaitagrableniaucuneforteffrayante.Elletaitcependant trop modeste et timide pour rpondre.Kakeyiselevaetdposadevantlejeunetriounebotecontenantdesvtementsdermite en corce. Puis elle se planta devant Rama et lui lana : Tu sais que pour ton pre tu es plus cher que sa propre vie, et que jamais il ne te dira de tenaller, bien quil y perde son honneur, sa vertu et les clefs du paradis. Pense cela, mon enfant,et agis comme bon te semblera. Ramatasesvtementsprinciersetrevtitleshabitsdcorce,aussittimitparLakshman, et ils vinrent avec Sita se prosterner aux pieds du roi et de Kakeyi. Alorsilssortirentdupalaisensilence,franchirentlaportedenceintedelacitetsloignrent lentement dAyodhya."Zappelli Le Ramayana25Chapitre 8n silence de plomb stait abattu sur la capitale.Dhasarath, ttanis, appela Soumanta : Rama est parti, et ma vie ne sest pas encore envole ! Mon ami, prends un char et valesaccompagnerjusquloredelafort.QuandtuverrasSitahorrifieparcettenaturesauvage, tu saisiras loccasion pour la convaincre de rentrer. Essaye tout ce que tu peux, jeten supplie ! Si elle revient, elle sera le secours de ma vie. Sinon ce sera ma mort. Acesmots,leroisvanouitetseffondrasurlesol.Sansperdreuninstant,Soumantaallaprparersoncharetrejoignitrapidementlaprincesseetlesdeuxfrres.Quand la population dAyodhya vit le prince sen aller, elle se mit le suivre. Ramaessaya de consoler cette foule immense, et elle sen retourna. Mais peine avait-ellefait dix pas quelle revint vers lui, accable par la tristesse. La capitale semblait aussisinistre et oppressante que la nuit noire de la mort. Les gens se regardaient les unslesautrescommedesbtessauvages.Leursmaisonsressemblaientdestombes,leursdomestiquesdesfantmesetleursenfantsauxangesdelenfer.Touslesarbresetleslierresdesjardinssefltrirentetlesriviressemirentcharrieruneboue noire et ftide. Tous les animaux du royaume, mme les oiseaux en cage et lesbtesdesomme,seretinrentderespirer,horrifisparledpartdeladolescent,muets et immobiles comme des statues.Lacitressemblaitunepaissefort.LapopulationendeuiltaitsesanimauxsauvagesetKakeyiunincendiefurieuxquilesconsumait.Jeunesetvieux,tousquittrentleursmaisonsetsuivirentRamajusqularivireTamas,oleprincesarrtapourlapremiretape.Compltementpuisparlechagrin,lepeuplesendormit rapidement.Lorsque la nuit fut suffisamment avance, Rama chuchota au ministre : Nous allons partir sans les veiller. Conduis le char de manire effacer les traces des roues.Il ny a pas dautre moyen pour quils rentrent Ayodhya ! Les deux princes et Sita montrent sur le char et Soumanta le dirigea dans toutes lesdirections, confondant les traces.A laube, lorsque les habitants de la ville virent quils sen taient alls, ils poussrentun immense cri de dsespoir. Voyant les traces des roues qui partaient dans tous lessens,ilssemirentsangloterlamentablement.SeullespoirduretourdeRamalesmaintenait encore en vie.Pendant ce temps, les trois adolescents, conduits par Soumanta, arrivrent la villedeSringavera,aubordduGanges.Ensemble,ilsdescendirentduchar,seprosternrentdevantlefleuvesacretseplongrentdansseseauxpurificatrices,oubliant toute la fatigue du voyage. Comme le soir tombait, le ministre tendit sur leUZappelli Le Ramayana26soldescouchesdherbesetdefeuillesetallachercherdesfruitssurlesbergesdufleuve.Quand Lakshman se fut assur que Rama et Sita dormaient profondment, il ajustauneflchesonarcetallasepostercourtedistance.Soumanta,quineparvenaitpas sendormir, le rejoignit dun air triste : Regarde ton frre, Lakshman. Le monde entier ladore, et le voil contraint de dormir avec safemme mme le sol. Dieu estcontrenous ! Ledestinesttout-puissant, et Kakeyi estunehache pour les racines de la race solaire. Non,Soumanta,personnenestlacausedenotrejoieoudenotretristesse,rponditleprince. Tout ceci est le fruit de nos actions passes. Union et sparation, plaisir et douleur,bien et mal, amiti et inimiti, neutralit ou partialit sont les leurres de lillusion divine. Lanaissance et la mort, la richesse et la pauvret, la destine, le royaume, la cit, le paradis etlenfer,toutcequetupeuxvoir,entendreouimaginerdanstonesprit,toutestillusoireetirrel. En rve, un mendiant devient roi, et un roi un pauvre mendiant, mais lun nest pasplusgagnantquelautreperdant.Tudevraispluttvoirleschosesainsi.Nesoisencolrecontrepersonneetneblmepersonneenvain.Telssontlesdormeursdanslanuitdelillusion, etvoiscombiennombreuxsontlesrves !Danscemondedobscurit,seulssontveillsceuxquisedtachentdelamatireensabsorbantdanslacontemplationduSuprme. Le jour se leva, et Rama alla se baigner dans le Ganges. Il demanda alors quon luiapporte la sve de larbre Br. Il en enduisit ses cheveux et les noua en chignon ausommet de sa tte, bientt imit par son frre. Comprenant quils allaient se sparer,Soumanta se sentit soudain affreusement triste. Jusquau bout, il avait espr que Sitasoitpouvanteparlimmensitdelafortquisedessinaitlhorizon,maislaprincessesemblaitconfianteetheureuse.Iltentacependantdelaconvaincrederentrer Ayodhya, mais sans succs. A son tour, Rama insista. Alors elle rpondit : Ecoute, mon Amour, crois-tu quune ombre puisse exister sans sa substance ? Et quest-ceque le rayon de soleil sans le soleil ? Et elle se tourna vers le ministre : Neleprendspasmalsijetersiste,maisloindeRama,mafamillenapluslamoindreimportance. Ne te fais aucun souci, je serai parfaitement heureuse avec mon poux. Soumantasesentitaussiimpuissantquunlphantsanssatrompe.Sesyeuxnevoyaient plus et ses oreilles nentendaient rien. Il ne put profrer un son et retournalentement vers Ayodhya. Mme les chevaux gmissaient et regardaient sans cesse enarrire.Les trois adolescents se dirigrent vers le bord du fleuve. Un passeur les transportasur lautre rive et ils sen allrent sur leur chemin.Ce soir-l, ils sarrtrent sous un grand arbre, et Lakshman alla chercher le repas dusoir.Alaube,ilscontinurentleurroute.Aumilieudujour,voyantqueSitataitfatigue,Ramasarrtasousungrandfiguieraupiedduquelcoulaitunesourcedeaufrache.Ilssyreposrentlerestedelajourne,mangeantdesfruitsenseracontant dinterminables histoires.Lelendemain,ilssenfoncrentenfindanslafort.Auboutdequelquesheuresdemarche,ilsarrivrentdansuneclairireosetenaitunpetitermitage.Unsainthomme, nomm Valmiki, y vivait en ascte depuis de nombreuses annes. Au milieudesarbresenfleur,lesoiseauxetlesabeillesfaisaientunedivinemusiquequisemblait les accueillir.Zappelli Le Ramayana27Valmiki les avait reconnus avant mme que ses yeux les aient vus, et il sortit de sahutte pour les accueillir. Le premier, Rama le salua respectueusement, et lermite leurdonna sa bndiction en sestimant lui-mme bni.Aprs stre restaur de fruits et de noix lombre de lermitage, Rama sadressa Valmiki : Roi des sages, tu connais le temps pass, prsent et futur, et lunivers est commeune petite fleur au creux de ta main. Alors il lui conta toute leur histoire depuis le dbut. La promesse de mon pre, conclut-il, la machination de Kakeyi, le couronnement de Bharatet ma rencontre avec toi sont pour moi des bndictions. Pourrais-tu mindiquer un endroito je pourrais minstaller pour quelques temps avec mon pouse et mon frre ? Valmiki sourit intrieurement et rpondit : Vrai, vrai ! Il nest que trop naturel pour toi de parler ainsi, Rama ! Tu regardes le dramede la vie, et Brahma, Vishnou et Shiva sont tes marionnettes. Tu me demandes : o puis-jeminstaller ? Mais je rponds : dis-moi o tu nes pas ? L je te dsignerai un lieu ! O monenfant, fixe ta demeure dans les curs de ceux qui ramassent les perles de ta perfection. Comme le prince restait silencieux, Valmiki rajouta : Ecoute, Rama, prends ta demeure dans les collines de Tchittrakot. Tu y trouveras tout cequil te faudra. Cest un endroit merveilleux, dlicatement bois, habit par les lphants, lestigres,lescerfsetlesoiseaux.Uneriviresacreycoule,laMandakni,unaffluentduGanges, aussi prompte effacer les souillures quune sorcire trangler un enfant ! Je saisquedenombreuxermitesyvivent.Va,bnisleurspriresetrestaureladignitdeceslieux ! Rama,SitaetLakshmansalurentlesageetreprirentleurrouteendirectiondeTchittrakot. Ils y arrivrent le lendemain, et les deux princes y btirent sans tarderune hutte de branchages sous un bosquet de figuiers.DepuislejouroRamavcutdanslafort,lesarbresfleurirentetdonnrentdesfruits en abondance. Les lierres poussrent frntiquement et formrent des votesmerveilleuses,commesilarbreduparadis,danssabeaut,avaitabandonnlesbocagesduCiel.Lesfauves,encompagniedesbichesetdescrocodiles,vinrentsedsaltrer en paix la rivire, dans une perptuelle symphonie de chants doiseaux.Encompagniedesonbien-aim,Sitataitsiheureusequelleenoubliacompltementsonpays,safamilleetsasomptueusecapitale.SoncurtaitsiamoureuxdeRamaquelafortluisemblaitmillefoisplusconfortablequesonproprepalais,etsonlitdefeuillescentfoisplustendrequelacouchedudieudelAmour.Inlassablement,Ramaleurracontaitdeslgendesetilspassaientleursjournes lcouter avec ravissement.Ainsi Rama vcut heureux Tchittrakot, gratifiant ses habitants de sa prsence."Zappelli Le RamayanaZappelli Le Ramayana28Chapitre 9oumanta, en voyant Ayodhya au loin, tomba sur le sol en pleurant amrement.Seschevauxhennissaientaussipitoyablementquunoiseauauquelonauraitcouplesailes.ChaquefoisquilprononaitlesnomsdeRama,LakshmanouSita, ils se mettaient hennir et les chercher du regard.Le ministre avait de la peine se mouvoir, ses lvres taient dessches et sa languerestaitcolleaupalais.Lespritconfus,levisagesanscouleur,ilressemblaitunhomme qui vient de tuer pre et mre. MonDieu,quevais-jebienpouvoirdireauroietauxreines ? , sedemandait-ildsesprment.Il pntra dans la cit la faveur de lobscurit, et rentra dans sa maison en laissant lechar sa porte.Alaube,lorsquelescitoyensvirentlechardevantlamaisonduministre,ilssesentirent aussi perdus quun poisson quand leau sest vapore.Soumanta, qui navait pas ferm lil de la nuit, se dcida enfin aller voir le roi. Lepalais de Dhasarath le frappa de terreur comme une maison hante. Sur son chemin,on le harcela de questions mais, la voix brise, il ne put dire un mot. Arriv au palais,il trouva le souverain dchu dans la chambre de Kausalya. Il gisait par terre, amaigri,puis, dpouill de tout ornement et soupirait comme un malade lagonie. Salut toi, roi ! , scria le ministre, plein de fausse assurance.Au son de sa voix, le roi se releva :Ah,tevoil,monami !OestRama ?Emmne-moitoutdesuiteoilsetrouve,sinonmon me senvolera linstant. Les yeux de Soumanta se remplirent de larmes, et il rpondit doucement : Sire, tu es un philosophe, un modle de courage et de vertu. La vie et la mort, le plaisir et ladouleur sont gouverns par le destin, aussi inexorablement que la succession des nuits et desjours.Tonfilsteditdenepaspleurersurlui.Ilestimequetadcisionestuneactionmritoire. Grce toi, il vit dans un bonheur complet. Dans quatorze ans, il reviendra sain etsauf tes pieds. LevisagedeDhasarathseptrifia,etilretombasurlesol,lecurbrisparlatristesse. Kausalya et Soumitra clatrent en sanglots, et au son de leurs lamentations,le Chagrin lui-mme en fut tout pein.Le souffle de vie se tarissait la bouche de Dhasarath. Kausalya se pencha sur lui etlui murmura : Mon roi, imagine que lexil de Rama est comme le vaste ocan, que tu es lhomme la barredu navire Ayodhya et que tes sujets sont ses passagers. Si tu as du courage, tu le traverseras.Sinon, tout le monde se noiera ! SZappelli Le Ramayana29Le roi se tordait par terre comme un poisson quon arrose deau bouillante. Dans undernier souffle, il lcha : Ah, Rama ! Tu vaux plus que ma propre vie, et jai dj vcu trop longtemps sans toi ! A ces mots, il expira.Les reines poussrent un grand cri et se jetrent par terre en sarrachant les cheveux.Dun bout lautre de la cit, la terrible nouvelle se rpandit, et ce ne fut plus que crisetlamentations.LesinjuressemirentpleuvoirsurKakeyi,carelleavaitvolAyodhya son me et sa raison.Le lendemain, Vashishta fit remplir un bateau dhuile de noix de coco et y immergeala dpouille du roi. Puis il fit envoyer des messagers vers Bharat et Satroughn, aveclordre de les ramener le plus vite possible, mais sans rien leur dire au sujet de leurpre.AussittquelestroublesclatrentAyodhya,Bharatfutvisitpardemauvaisaugures. Il vit dans son sommeil deffrayantes visions, et en se rveillant se perdit ende funestes conjectures.CestdanscettatdextrmeanxitquilaccueillitlesmessagersdeVashishta.Ilspartirent pour la capitale le jour-mme. Leurs chevaux couraient la vitesse du vent,mais Bharat se disait : Pourquoi nai-je pas dailes pour voler ? En pntrant dans la cit, le prince fut frapp par des signes inquitants : Des bruitshorriblesjaillissaientdenullepart,lesjardinstaientabandonns.Ilnyavaitpasmequivivedanslesrues,etmmelesoiseauxsetaisaient.Lesrarespersonnesquils croisrent passrent leur chemin sans un mot. La ville semblait aussi morte quesi elle avait t la proie dun incendie gnralis.QuandKakeyiappritlarrivedesesfils,ellecourutleurrencontre,lampeenmain, car la nuit tombait. Aprs les avoir embrasss, elle prit Bharat lcart. Comment cela va-t-il la maison de ma mre ? , demanda-t-elle.Son fils lassura que tout allait bien et rajouta : Mais dis-moi, mre, o sont le roi et les autres reines ? Et mes frres, ne viennent-t-ils pasnous accueillir ? Kakeyi se mordit les lvres. Mon fils, dit-elle, jai tout arrang grce ma servante Manthara, mais je ne sais pourquoi,Dieu a ruin mes plans avant quils ne russissent. Le roi,ton pre,est mort, Bharat, et il estmont au ciel. Le prince fut submerg par lmotion comme un lphant au feulement du tigre : Dis-moi vite pourquoi il est mort ! Je ten prie, dis-moi tout, mre ! Kakeyi,commeinfusantdupoisondansuneblessure,luiracontatoutdepuisledbut. Quand il apprit lexil de Rama, Bharat en oublia la mort de son pre. Ralisantquil tait la cause de cette tragdie, il chancela et resta sans voix.La reine tenta de le rconforter : Mongaron,leroinestpasunsujetdignedelamentation.Ilagagnlagloireetvivraheureux au paradis. Il a ralis tous les dsirs de sa vie et est entr dans la cour des Cieux.Regarde les choses sous cet angle et renonce ta tristesse. Sois roi prsent ! A ces mots, le jeune homme recula en criant:Zappelli Le Ramayana30 Misrablefemme,laruinedenoustous !Pourquoinemas-tupastulanaissance ?Aprs avoir coup un arbre, tu soignes ses branches, maudite ! Quand tu as imagin ton plan,commenttoncurnesest-ilpasbrisenmillemorceaux ?Dieumacrdansunutrushostile Rama. Y a- t-il dans le royaume une seule crature qui naime pas Rama comme elle-mme ? Qui que tu sois, tu as noirci ta propre face aujourdhui. Debout ! Hors de ma vue ! Satroughn,quitaitrestdanslapiceattenante,avaittoutentendudelaconversation. Il brlait de tout son corps, et soudain sa colre fut hors de contrle. Ace moment prcis, la bossue arriva, pare de luxueux vtements et de gros bijoux. Enlavoyant,lejeunefrredeLakshmanbonditsurelleetlafrappasiviolemmentquellestalasurlafigureenhurlant.Sabossetaitfracasse,sattefendueetsabouche ruisselait de sang. Ah, mon Dieu,cria-t-elle,quel mal ai-je fait ? Cest une bien mauvaise rcompense pourmes bons services ! Alors Satroughn, la voyant si infme de la tte aux pieds, la saisit par les cheveux etla secoua dans tous les sens. Bharat, en entendant les cris de douleur de Manthara,arriva la rescousse. Il emmena son frre aux appartements de Kausalya.Lesvtementssalesetfroisss,ple,agite,lecorpsamaigrietlmeaccabledechagrin,elleressemblaitunlotusdorsaisiparlegel.Quandellevitlesdeuxadolescents, elle perdit connaissance et tomba sur son lit comme un arbre quon abat,mais lorsquelle entendit la voix de Bharat, elle ouvrit nouveau les yeux. Mre, pourquoi Kakeyi est-elle venue au monde ? Et puisquelle est ne, pourquoi na-t-ellepas t strile, au lieu de faire de moi la honte de la famille ? Qui est aussi malheureux quemoi dans les trois sphres de la cration ? Kausalyapritlejeunegarondanssesbras,etdesesseinslelaitscoula.Lanuitentire passa ainsi se consoler.A laube, lermite Vashishta vint les rejoindre Fils, fais ton devoir aujourdhui mme ! , dit-il Bharat.Alors ce dernier fit laver le corps du roi et prparer un somptueux char funraire. Onempiladnormesquantitsdeboisdesantaletdalosquonarrosaensuitedeparfums. Le bcher fut lev sur la rive de la Sarayou, et le corps de Dhasarath syconsuma, librant ainsi son me.Lelendemain,touslesmages,lesnoblesetlesministresduroyaumeserunirentdanslachambreduconseilroyaletfirentvenirlesdeuxprinces.Enpremier,Vashishta rpta, lintention de tous, lhistoire de la monstrueuse conspiration deKakeyi. Puis il loua le roi pour sa fidlit ses promesses et pour la grandeur de sonamour de pre, quil prouva par sa mort. Il se tourna ensuite vers le fils de Kakeyi : Ecoute, Bharat ! Le destin est tout-puissant. La vie et la mort sont entre les mains de Dieu.Pourquoi blmer qui que ce soit ? Je te le dis : le roi, ton pre, nest pas plaindre. A plaindreest le roi qui connat les principes du gouvernement et pour lequel ses sujets ne sont pas cherscomme sa propre vie. A plaindre est le riche marchand avare qui nobserve pas ses devoirs decharit. A plaindre est lermite qui a rejet lascse et se complat dans les plaisirs de la chair.A plaindre sont les mauvaises langues et les colriques, les ennemis de leurs propres parents,les malveillants qui se chrissent eux-mme. Mais le roi dAyodhya na pas tre plaint. Sagloire stale au-del des trois sphres. Obis lordre royal ! Dhasarath ta donn le trne ettu as le devoir de respecter sa volont. Pour toi, ce sera un mrite et un honneur, et non unefaute, comme tu te limagines tort. Rama connat tes penses les plus secrtes et il sera trsheureuxpourtoi,tuverras.Asonretour,tupourrasluiremettrelesceptreetleservir,etainsi tu soulageras ta conscience. Zappelli Le Ramayana31Toute lassemble scria : Tu dois obir Vashishta. La terre a besoin dun roi ! Quand Rama reviendra, tu pourrasalors faire ce quil te semblera bon. Mon fils, ajoutaKausalya,sois le refuge de ta famille, de ton peuple et des ministres deltat. Voyant que Dieu est contre nous, prends ta dcision. Bharat coutait en silence. Joignant les mains, il rpondit : Vashishta ma donn un bon conseil, les ministres et le peuple lont approuv. Ma mre maaussi donn un avis trs sage, et je suis bien oblig de mincliner. Mais bien que je comprennetoutceciparfaitement,jenesuispasheureux.Quelleestlavaleurdutrneavectoussessoucis, sans plus voir Rama, Sita et Lakshman ? Il ny a aucune joie dans un corps malade.Permettez-moi de rejoindre Rama, car cest l mon seul dsir. En me faisant roi, vous voyezvotre propre avantage, et vous parlez sous linfluence de laffection. Si vous persistez vouloirme couronner, la terre senfoncera en enfer ! Kakeyi a banni Rama, elle a caus la mort duroi, elle a manipul tout le monde, et vous voulez me faire roi ? Alors que je suis piqu par unscorpion, vous me donnez boire du vin !Quel genre de traitement est-ce donc ? Vous parlezau hasard, comme la fantaisie vous prend. Je vous prie donc de me laisser partir et ainsi Ramareviendra Ayodhya. Un murmure dapprobation parcourut lassemble. Le peuple, qui souffrait du cruelpoisondelasparation,revintlaviecommeausonduneformulemagique.Ondcida de suivre tous ensemble Bharat dans la fort. La rsolution fut prise de partirle lendemain."Zappelli Le Ramayana32chapitre 10anuitentirefutpasseprparerlexpdition.Alaube,BharatappelaVashishta et les autres brahmanes : Mes seigneurs, dclara-t-il, runissez tout ce quil faut pour le couronnement et l-bas, dans la fort, vous investirez Rama de la souverainet. Partez tout de suite ! Vashishta monta le premier sur son char et prit la tte du convoi. Suivirent les soldatsen armes, les brahmanes, les reines et puis tout le peuple, les femmes et les enfantssur des chariots et les hommes pied.Bharat donna le signal du dpart, et linterminable caravane sbranla bruyamment.Ils taient tous aussi impatients de revoir Rama quun troupeau dlphants assoiffsse prcipitant dans un fleuve.Alors quils cheminaient sur leur monture, les deux frres rflchissaient lexil deRama et la duret de sa vie. Ils descendirent de cheval et continurent pieds nus.Emusparcettemarquedaffection,leshommessedchaussrentetlesfemmessuivirent leur tour le convoi en marchant.Voyant cela, Kausalya fit arrter son palanquin et appela Bharat. : Mon fils, supplia-t-elle,jetinviteremontersurtoncheval,sinontoutlemondeensouffrira. Si tu marches, ils marcheront et tu le vois, ils sont dj si affaiblis par le chagrin quejamais ils nauront la force daller jusqu Rama ! Leprinceacquiesca,etfaisantunsigneSatroughn,ilsenfourchrentnouveauleur monture.Le premier jour, ils sarrtrent la rivire Tamsa, et le lendemain, sur les berges dela Gaumati. Ils repartirent laube et sapprochrent alors de la ville de Sringhvera,au bord du Ganges, lendroit mme o Sanatand avait quitt Rama.Cependant, Gouh, le roi de la cit, avait appris que Rama tait pass par l et navaitpaspuentrer.IlconnaissaittoutelhistoireetnourrissaitunerancuneprofondecontreKakeyietBharat.Quandilentenditlanouvelledesonarrive,ilpensatristement : Pourquoi Bharat suit-il la route de son frre ? Il espre peut-tre tuer Rama et Lakshman etensuite rgner en toute scurit. Ce mauvais garon na pas compris les maximes de la saineet juste politique. Dj il y a eu dshonneur et prsent, il y aura mort dhomme ! Il devraitpourtant savoir que mme si tous les dmons se liguaient pour attaquer Rama, jamais ils nysurvivraient. Il cria ses hommes :Alerte,branle-basdecombat !Remplissezlesdouvesetremontezlepont-levis.Armeztoutes les machines de guerre et allez exterminer ces tratres. Ne les laissez pas traverser leGanges vivants ! LZappelli Le Ramayana33Gouh, frntique, excitait ainsi lardeur de ses guerriers. Il se revtit dune paissecotte de mailles, mit son paule un carquois rempli de flches empoisonnes et sesaisit dun arc norme en vocifrant : Dpchez-vous, limaces ! Je voudrais dj voir leurs cadavres devant moi ! Bien Seigneur ! , hurlrent ses hommes en cumant.Et chacun dencourager le zle de lautre, tous ces vaillants guerriers impatients pourla rixe.Quand le roi eut inspect ses troupes, il tonna : Sonnez les trompettes pour lattaque ! Mais au mme moment, le doyen des mages du palais sapprocha de lui: Jai consult les augures, roi, et tu dois rencontrer Bharat, car il ny aura pas de combat. Ilest venu supplier Rama de rentrer Ayodhya. Laugure la dit : il ny aura pas de combat ! Gouh, soudainement refroidit, sexclama : Lancien a bien parl ! On se repent toujours des actes insenss que lon fait la hte. Nousdevrions nous assurer de ses intentions. Rapidement, il fit prparer des prsents de bienvenue. On remplit de grands paniersavec des fruits, des sucreries et des poissons frachement pchs, puis des serviteursrichement pars les placrent sur leur tte et sortirent de Sringhvera la rencontrede larme du prince.Lorsquil les vit sapprocher, Vashishta comprit quils venaient en amis. Il quitta sonchar et savana seul la rencontre de Gouh, qui suivait ses serviteurs distance. Ilssembrassrent avec joie, et le roi fit amener les paniers aux pieds de Bharat, qui lesreut avec amabilit.A la vue des bonnes dispositions de ladolescent, Gouh fut compltement rassur, etordonna de dresser des tentes sous les arbres au bord du fleuve.Aprs stre reposs, Bharat et tout le peuple dAyodhya allrent au gu que Ramaavait travers. O Ganga !, sexclama le prince, tes sables sont les dispensateurs de toute joie, la vache delabondance. Tous ensemble, nous faisons ce vux : que Rama, Sita et Lakshman reviennent Ayodhya ! Et ils simmergrent dans les eaux saintes. Ils prirent ainsi jusqu la nuit tombe.A laube, ils commencrent traverser le fleuve. Vashishta et les reines montrent enpremier sur le bateau. En une heure et demie, tout le monde avait franchi le Ganges.Quand le dernier homme eut dbarqu, Bharat, qui les avait compts, donna le signaldudpart.IlplaaleroideSringhveralattedelacolonne,etfitescorterlesreines par Satroughn. Il se mit en route son tour, les pieds nus, en conduisant samonture par la bride. Ses serviteurs le supplirent de remonter sur son cheval, mais illeur rpondit gaiement : Rama est all pied lui aussi. Il serait juste pour moi de marcher sur les mains ! Alatroisimeheuredujour,ilsarrivrentPrayg.LesampoulesauxpiedsdeBharat luisaient comme des gouttes de rose sur un bourgeon de lotus. Il alla saluerle triple fleuve et sy baigna avec dlectation, rgnrant son corps prouv.Aprsstrerepossquelquesheures,ilsreprirentrsolumentleurrouteversTchittrkout.Lesnuagesamoncelsdansleciellescouvraientduneombreprotectrice. Une douce brise se mit souffler, rafrachissant leur corps brlant.Zappelli Le Ramayana34Au bout de quelques heures de marche, ils firent nouveau une halte au bord de laJamona. Comme Bharat regardait le fleuve, dont la couleur sombre lui rappelait lapeaudeRama,ilplongeadansunemerdedsolation,jusqucequilattrapelebateau de la prudence. Il dcida de camper l, et donna chacun du temps pour cequil avait faire.A laurore, des bateaux arrivrent de toutes les rives, en plus grand nombre quil nepouvaittrecompt.Ainsi,lafouleentiretraversaenunseulvoyage,etcontinuason chemin vers Tchittrkout.Toute la journe, ils avancrent pniblement sous un soleil implacable, Vashishta leur tte. Au crpuscule, ils sarrtrent l o Rama avait bivouaqu.Lelendemain,ilsreprirentleurrouteetfurenttousfrappspardebonsaugures.Alorsilsserjouirentintensment,imaginantmillefantaisiesdansleursttessurexcites. Il marchrent comme sils avaient t intoxiqus par le vin de lAmour,jusqucequilsaperoiventauloin,danstouteleursplendeur,lescollinesdeTchittrkout.Accablsparlmotion,ilsnepurentavancercejour-lquededeuxlieues,etilssendormirentlesunssurlesautres,compltementpuiss.Maisavantleleverdujour, Bharat les rveilla et ils se remirent en marche.Au mme instant, Rama sveilla, bien que le soleil ne ft pas encore lev. Sita, quitait dj debout, lui raconta le songe quelle avait fait la nuit-mme : Jai vu Bharat, suivi dune immense arme. Ils avaient tous lair si tristes et abattus ! Je sens que nous allons apprendre ce que nous navons pas envie dentendre. , murmuraRama gravement.Il descendit se baigner dans la rivire et alla sasseoir lombre, le regard tourn versle nord. Au loin, il remarqua un nuage de poussire, au-dessus duquel volaient desnues doiseaux. Ses soupons se confirmrent alors, et il retourna lermitage.Quelques heures plus tard, quatre villageois de la fort arrivrent trs agits et leurannoncrent lapproche dune norme arme mene par deux jeunes princes. A cesnouvelles, Rama fut remplit de joie. Il a avec lui une grande troupe arme jusquaux dents ! , rajouta un des hommes.Lakshman se pencha vers son frre : Je parle sans avoir t questionn, Rama, et je ne suis que ton serviteur, mais je sais ce quejedis.Toi,tueslasourcedelabont.Tuaimesetfaisconfiancetoutlemonde,ettulesconsidres tous comme pareils toi. Mais coute : lhomme qui est trop attach au monde etquipossdelepouvoirdevientfouetsetrahitlui-mme.Bharatestinstruit,bonetclairvoyant, et comme chacun le sait, trs attach toi. Mais prsent quil est devenu roi, ilpitinetoussesdevoirs.Iltesaitseuldanslafort,etilestvenuavecSatroughnpoursedbarrasserdenousafindassurerdfinitivementsasouverainet.Silnyavaitaucunetratrise en lui, pourquoi serait-t-il venu avec des chars et des lphants ? Mais il a fait uneerreur :iltemprisecommesitunavaisaucunami.Ilcomprendrasonerreurennousaffrontant au combat ! En parlant ainsi, sa colre enfla et ses poils se hrissrent. Soudain, une voix rsonnaen lui : Fils, ceux qui agissent sans rflchir sen repentent toujours, et sont tout sauf dessages ! Lakshman en resta bouche-be, les yeux carquills par la surprise. Rama se tournavers lui et lui rpondit en souriant :Zappelli Le Ramayana35 Ce que tu as dit est plein de sagesse, mon frre : livresse du pouvoir est le pire des dfauts.Y goter ne serait-ce quun peu rendrait fou tout roi qui naurait pas t duqu lcole de laphilosophie.Maiscoutebien,Lakshman :aucoursdemonexistence,jenaijamaisvuouentenduparlerdequelquundaussibonqueBharat.Jamaisilsesenivreraitdepuissance,mme sil tait assis sur le trne de Shiva. Je te jure par notre pre que Bharat est sincre ! Non loin de l, toute la foule se baignaient dans la rivire Nandakni. Discrtement,leprince,sonfrreetleroiGouhsedirigrentverslermitagedeRama,souslaconduite dun villageois. Enfin, ils aperurent, travers le feuillage, une hutte dansuneclairire,etlombredesfiguiers,Rama,SitaetLakshman.Dbouchantdessous-bois, le fils de Kakeyi se prosterna en criant : O Rama, cest Bharat qui te salue ! Acesparoles,Ramacourutserrersonfrrecontresoncur.Ilsrestrentainsilongtemps lun contre lautre, ayant perdu toute notion du temps.EnfinlepeupleKosalaarrivasilencieusement,etremplitbienttlaclairire.Vashishta savana vers les trois adolescents et leur donna sa bndiction. Il sassit ctdeRama,etcommenaparlerdelimpermanencedumondeetdesjoiesdudtachement. Alors il lui annona la mort du roi.En entendant cette nouvelle qui tombait comme la foudre, Rama ferma les yeux. Sitaet Lakshman clatrent en sanglots, pendant que la foule entire retenait ses larmes.Cejour-l,lesdeuxjeunesermitesjenrentetseprivrentmmedeau.Ilsaccomplirent les obsques de Dhasarath en priant de laube au crpuscule.Le lendemain matin, Rama vint trouver Vashishta : Seigneur, tous ces gens doivent tre affams et assoiffs, mais je nai que des racines et desfruits leur offrir. Je ne peux pas supporter de vous voir dans cet tat. Retourne Ayodhya, jeten prie, car le roi est au paradis. Rien nest encore perdu ! ORama,rponditlesage,jenesuispassurprispartesparoles.Jesuisentirementdaccordavectoi,maissilteplat,laisselepeuplesereposerdeuxjoursetserjouirdetaprsence avant de repartir. Ils allrent alors se promener dans les collines boises, o tout tait bon et rien ntaitmauvais. Les torrents charriaient des flots de nectar et lair parfum apaisait toutesles peines du corps et de lesprit.Pendantcesdeuxjours,laprincessesemultipliaenautantdeSitaquilyavaitdegens, soulageant chacun dentre eux avec une gale affection. Nul, hormis Rama, neremarqualemiracledubiquit :carSitaestlepouvoirdelIllusion,etRamaleSeigneur de lIllusion !MaisBharattaitsianxieuxettorturquilnepouvaitdormirlanuitnimangerlajourne.Ilnarrivaitpassedcider.Aupointdutroisimejour,iltaittoujoursaussiindcis.Assislcartdanslherbe,ilsetenaitlatteentrelesdeuxmains.Vashishta vint le trouver avec Satroughn, les ministres et les reines. Quand tout lemonde se fut assis autour de lui, le mage proclama la ronde : Ecoutez tous ! Rama est n sur terre pour le bnfice du monde entier. Les souverains delenfer et du ciel, les magies blanche et noire, tous obissent ses ordres. Son couronnementsera notre couronnement ! Il se pencha alors vers Bharat et Satroughn : Lhomme sage sacrifie la moiti quand il voit lensemble en pril. Vous partirez en exil etRama retournera Ayodhya avec Sita et Lakshman. Zappelli Le Ramayana36Danslecurdesreines,lajoieetlatristessesedchiraientsauvagementetellesemirent sangloter lamentablement. Les paroles de Vashishta sont judicieuses,rponditBharatdunairsatisfait,il na faitquexprimer ce que je dsirais le plus au monde. Je resterai toute ma vie dans la fort ! Vashishta se tourna vers Rama, qui tait rest en retrait : O prince , tout est entre tes mains. Donne-nous ta rponse. Rama savana lentement au milieu de la foule et vint sasseoir ct de Bharat. Pour respecter sa parole, le roi ma abandonn, dit-t-il, et il a quitt sa vie par amour pourmoi. Si je dsobis maintenant son ordre, il sera mort pour rien ! Mon frre, jai entirementconfianceentoietjeteparlefranchement :untelmalheur,ledestintout-puissantlaordonn.Obis-luietlaisse-moigalementobirpourdevenirleprotecteurdelhumanit.Acceptelaroyautetprotgetafamilleettonpeuple.ChassetesregretsetretourneAyodhya.Tuverras,lepoidsduroyaume,dutrsor,dutempleetdelafamilleneserapasplus lourd que la poussire des chemins ! Rama se leva, se dchaussa et remit ses deux sandales de bois son frre. Ce dernierlesreuthumblementcommelesdeuxsymbolesdesonpouvoirspirituelettemporel,etlesplaasursatte.Centaitpasdesimplessandales,maispluttlaprsence mme de Rama, gardienne de la vie de son peuple.Comprenant que tout tait fini, les ministres et les serviteurs sentirent la mlancoliesinsinuer dans leur cur, et allrent se prparer au dpart.Quandtouslesattelagesfurentprts,leroideSringhverafitmonterlafoule.Lestroisadolescentsleurfirentleursadieuxetallrentsasseoirtristemen