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ARCHITECTURE & DESIGN L’OPULENCE SEVENTIES PETER MARINO PHILIPPE STARCK NOÉ DUCHAUFOUR LAWRANCE NOS INTERVIEWS Ce hors-série ne peut être vendu séparément Le Temps Samedi 21 mai 2016 (ADRIEN BARAKAT)

Le Temps Hors Série ARCHITECTURE & DESIGN

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L'OPULENCE SEVENTIES PETER MARINO PHILIPPE STARCK NOE DUCHAUFOUR LAWRANCE NOS INTERVIEWS

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  • ARCHITECTURE & DESIGNLOPULENCE SEVENTIESPETER MARINOPHILIPPE STARCKNO DUCHAUFOUR LAWRANCENOS INTERVIEWS

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  • Ma maison,mon miroir

    DITO

    Une maison, cest un peu comme un vtement, mais en plus vaste et bien plus protecteur. Cela protge du chaud, des froideurs et du regard des autres. Normalement.Certains choisissent de se camoufler derrire des rideaux pais, de drober leurs mystres labri de portes secrtes, comme ils revtiraient un vtement de velours incarnat aux plis amples, qui cachent autant quils rvlent. Et puis il y a ceux qui tentent dliminer toute frontire entre le dedans et le dehors, vivant dans la lumire, avec des fentres comme seule protection, faussement nus, protgs par lapparente fragilit de cette carapace de verre. Le vrai luxe cest la lumire, lespace et le temps. On nen a jamais assez, dit larchitecte et designer Peter Marino.Une maison, un appartement dvoilent des pans de soi destins tres perus par les autres. Des traces de son me, ou des faux-semblants. Les murs se parent, maquillages permanents, racontant des histoires mieux quune page blanche peinte la dispersion. Cest ce besoin effrn de laisser une trace de soi qui minterpelle lorsque je regarde les images de la villa E-1027 conue par Eileen Gray et frntiquement tague par Le Corbusier qui elle lavait prte. Comme si le vide tait insupportable cet homme qui sest construit un palais de 15 m2 o chaque centimtre avait une fonction, pour y passer tous ses ts. Chacun, mme dans une maison de dimension rduite, doit pouvoir rester libre, indpendant, crivait Eileen Gray.Si les murs pouvaient parlerLes architectes sont des voyageurs qui laissent une empreinte immobile de leur passage sur le sol des villes quils ont arpentes. Une architecture est le tmoin dune poque et avec dautres tmoins dautres poques elle cre une ville, vritable anarchie temporelle qui, parfois, sont des miracles dharmonie. Une architecture sagrge avec ce qui tait, ou se dsagrge. Cest cela que je pensais en visitant Cuba rcemment. Une architecture nest pas dfinitive, elle est destine lusage. A lusage du monde.

    Isabelle Cerboneschi

    SOMMAIRE

    6 Seventies

    DR

    8 Peter Marino

    18 Philippe Starck

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    14 Maison de verre

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    6 Lopulence retrouve des intrieurs seventiesElles reviennent une fois encore, ces annes 70. On les mprise un peu, et pourtant quest-ce quon les aime! Est-ce la mode qui a entran le design dans ces retrouvailles, est-ce linverse? Sans doute une conversation est-elle luvre, invitant lart et la musique comme sources dinspiration.Par Isabelle Campone

    8 Peter Marino vs Robert MapplethorpeLe clbre architecte et designer a t nomm commissaire de lexposition XYZ ddie aux uvres de Robert Mapple-thorpe la galerie parisienne Thaddaeus Ropac. Loccasion de parler de sexe, de lobligatoire distanciation vis--vis de luvre du photographe, de ses bracelets de force, de la sensualit des fleurs, mais aussi de ses dialogues imaginaires avec les artistes et de ltat du monde.Par Isabelle Cerboneschi, Paris

    12 LAfrique, cest chicA laide de formes primaires, de fibres de bambou ou dimprims colors, les designers font entrer lesprit africain dans nos intrieurs. Une tribu de meubles atypiques adopter.Par Sverine Saas

    14 Hors les mursDans cette maison contemporaine des bords du Lman, les limites entre lextrieur et lintrieur se devinent ou seffacent. Entirement vitre sur un niveau, elle souvre tel un Rubiks Cube chaque extrmit. Troublante de beaut.Par Emilie Veillon

    18 Starck, rveur de viePhilippe Starck nous a reu au sein de ses bureaux pour une discussion qui saventure dans ses convictions et ses aspirations. Il parle de sa jeunesse, tout comme du futur, quil sacharne transformer.Par Antonio Nieto, Paris

    20 Eclats de verreDans les ddales dun palazzo milanais, rencontres furtives avec huit designers qui ont imagin un lustre ou un objetde table pour Lasvit. Eloge dun matriau complexe et fragile, tout en transparence.Par Emilie Veillon, de retour de Milan

    22 B&B Italia, la petite histoire dun grand diteurLe fabricant de mobilier italien de luxe fte cette anne ses 50 ans dexistence. Retour sur les pisodes marquants dun pass haut en couleur, dides folles en dclics inventifs.Par Graldine Schnenberg

    24 Embarquement pour E-1027E-1027, la villa dEileen Gray, Roquebrune-Cap-Martin, renat. Au cur dun projet de prservation et de valorisation dun site unique, qui comprend aussi le Cabanon et les Units de camping dessins par Le Corbusier. Visite.Par Eva Bensard, de retour du Cap-Martin

    26 No Duchaufour LawranceQuavez-vous fait de vos rves denfant?Par Isabelle Cerboneschi, Paris

    EditeurLe Temps SAPont Bessires 3CP 6714CH 1002 LausanneTl. +41 21 331 78 00Fax +41 21 331 70 01

    Prsident du conseil dadministrationStphane Garelli

    DirectionRingier Axel Springer Suisse SA

    Directeur Suisse romandeDaniel Pillard

    Rdacteur en chefStphane Benoit-Godet

    Rdactrice en chef dlgue aux hors-sriesIsabelle Cerboneschi

    RdacteursEva BensardIsabelle CamponeIsabelle CerboneschiAntonio NietoSverine SaasGraldine SchnenbergEmilie Veillon

    Secrtariat de rdactionEmilie Veillon

    PhotographiesAdrien BarakatBuonomo & Cometti

    Responsable productionNicolas Gressot

    Ralisation, graphisme, photolithoMlody Auberson Nicolas GressotMargaux Meyer

    CorrectionSamira Payot

    Conception maquetteBontron & Co SA

    Internetwww.letemps.chGal Hurlimann

    CourrierLe Temps SAPont Bessires 3CP 6714CH 1002 LausanneTl. +41 21 331 78 00Fax +41 21 331 70 01

    PublicitAdmeira Publicit Le TempsPont Bessires 3CH 1002 LausanneTl. +41 21 331 70 00 Fax +41 21 331 70 01

    Directrice: Marianna di Rocco

    ImpressionISwissprinters AG Zofingen

    La rdaction dcline toute responsabilit envers les manuscrits et les photos non commands ou non sollicits.

    Tous les droits sont rservs. Toute rimpression, toute copie de texte ou dannonce ainsi que toute utilisation sur des supports optiques ou lectroniques est soumise lapprobation pralable de la rdaction. Lexploitation intgrale ou partielle des annonces par des tiers non autoriss, notamment sur des services en ligne, est expressment interdite.ISSN: 1423-3967

    Vue sur le couloir bois dune maison contemporaine lmanique.

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    Lopulence retrouve des intrieurs seventiesElles reviennent une fois encore, ces annes 70. On les mprise un peu, et pourtant quest-ce quon les aime! Est-ce la mode qui a entran le design dans ces retrouvailles, est-ce linverse? Sans doute une conversation est-elle luvre, invitant lart et la musique comme sources dinspiration. Par Isabelle Campone

    Le succs dAlessandro Michele et de son exu-brance foisonnante chez Gucci ravive lesprit des seventies, de mme que les hrones hippies

    jet-set de Chloe ou dEtro. Tout comme les nouveaux lieux chics et incontournables, lAlcazar pa-risien frachement redcor par

    Laura Gonzalez, la Gare ou le Manko quelle a conus dans le mme esprit. Les collectionneurs achtent prix dor des pices de designers cultes et encore un peu con dentiels, comme Gabriel-la Crespi ou Vladimir Kagan, et Ligne Roset rdite Pierre Pau-lin. Le gnial designer franais qui a rvolutionn le design en pensant le mobilier dans son rapport avec le corps fait dail-leurs depuis le 11 mai lobjet dune grande rtrospective au Centre Pompidou.

    dans des lieux publics qui a fait renatre cet esprit. Aux Etats-Unis dabord, o, en 2004 dj, le c-lbre dcorateur Jonathan Adler a conu un htel compltement seventies, le Parker Palm Springs. Puis en 2009, lorsque les dcora-teurs de cinma Roman and Wil-liams sont appels pour conce-voir le bar qui se trouvera au sommet du Standard New York. Ils veulent en faire quelque chose de compltement nouveau et iconique la fois. Le Boom Boom Room sera un hommage cette poque dexcs et de sensuali-t, avec sa amboyante colonne autour de laquelle senroule le bar, ses fauteuils dors, ses ca-naps De Sede faits de couches ondulantes de cuir blanc et ses baies vitres. Une vritable lettre damour Windows of the Wor-ld, le res taurant dessin par War-ren Platner en 1976, au dernier tage du World Trade Center.

    libert perdue? La vie avant le po-litiquement correct et le retour en force des conventions?

    Cette libert nouvelle tait la raction une poque trou-ble, o frappaient les premiers chocs conomiques daprs les Trente Glorieuses, la monte du chmage et lopposition des gouvernements encore rigides et loin du peuple. Mais aussi lenvie dun retour la nature et aux va-leurs simples. Un cho familier nos proccupations actuelles. De mme que la rupture avec le design mid-century sobre et pu-r. On se lasse un peu du mo-dernisme, de Mies et des Eames comme on sen est lass dans les annes 70.

    Revival collectifLa nostalgie a aussi sa part pour la gnration qui a grandi dans ces univers ludiques, chatoyants et chaleureux. Et mme pour celle qui ne les a pas connus. Avant lexposition au Centre Pompi-dou, Alice Lemoine, la belle- lle de Pierre Paulin, soulignait: De nombreux siges Paulin sont entrs dans linconscient collec-tif. Notamment grce la tlvi-sion et au cinma, qui utilisent frquemment ses fauteuils pour reprsenter le futur depuis les annes 60 et toujours au-jourdhui! Cest aussi ce que dit Nicolas Ghesquire, grand collectionneur du designer franais: Quand vous avez vu des meubles pareils, vous ne les oubliez jamais.

    Si certains connais-seurs sont accros depuis longtemps, cest surtout la mise en scne du style

    Les amateurs intgrent de-puis longtemps dans leurs int-rieurs une ou deux pices cultes de la dcennie du changement, une lampe Atollo ou un fau-teuil Togo. Mais aujourdhui, il semble que cest plutt lesprit de cette poque qui sempare de la dco, comme un vrai revival. Pas le plastique orange ou les eurs gantes, mais les seventies ultra-glamour. On est Paris chez Yves Saint-Laurent et Pierre Berg, chez les Pompidou lEly-se, New York chez Halston ou mme au Studio 54. On samusait et on se librait. On vivait presque allongs dans de grands canaps, les enfants ntaient plus parqus dans des chambres loignes, les cuisines sagrandissaient et le mobilier devenait modulaire. Vritable poque de bouleverse-ments, la dcennie a aussi amen de grandes avances en matire de design: les designers dcou-vraient lergonomie, et les indus-triels exprimentaient avec les matires, tous cherchant expri-mer une vision presque futuriste de la modernit.

    La jet-set et les artistes ont trs vite adapt leur art de vivre hdo-niste, imprgnant leurs intrieurs dune opulence glamour faite de surfaces mtalliques, de velours pais, de tapis exotiques et de cuirs riches, de motifs animaux, gomtriques ou tropicaux et de plantes vertes en abondance. Une ambiance chic et clectique, un peu foutraque et trs opulente, trs luxueuse et trs bohme, im-prgne de rock et de disco. Est-ce cette atmosphre de dolce vita festive que lon cherche retrou-ver aujourdhui? La qute dune

    Les Amricains adopteront ce revival avec enthousiasme. En tmoigne le succs de Jonathan Adler mais aussi de Nate Berkus et de Kelly Wearstler, dcorateurs su-perstars et fans des seventies. Tout comme celui de la New-Yorkaise Julie Hillman, plus exclusive, qui cre des intrieurs rsolument contemporains, infuss de cet es-prit glamour et connaisseur. Je mets vraiment laccent sur des pices de collection et jaime crer des intrieurs chauds et accueil-lants grce des lignes pures et des juxtapositions de matires et de priodes, nous con e-t-elle. Jaime marier les pices des 70s des meubles plus anciens ou contemporains pour la dcadence que cela apporte une pice.

    Le retour du style des annes 70 nest en effet pas aussi littral

    Le Manko Paris, conu par Laura Gonzalez. Un canap De Sede D 600 et une table de Willy Rizzo dans un intrieur de la dcoratrice Julie Hillman.

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    Dans ces annes-l, il y avait un trs beau mlange dancien et de design. Du mobilier en acier, des pices en altuglas, une explosion de couleurs et une fabuleuse crativit.Yves Gastou, antiquaire

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    6 Architecture & Design Le Temps l Samedi 21 mai 2016

  • qua pu ltre le style mid-century. Cest une ligne qui sempare des lments cls de la dcennie et les adapte au got du jour. Pas de couleurs vives, mais plutt les couleurs de llgance pari-sienne de lpoque, du vert fo-rt, du bleu tropical ou du rose ple, beaucoup de moutarde ou des contrastes noir-blanc, telles les peaux de zbre si em-blmatiques. Du mtal partout, or et laiton surtout. Mais aussi de largent et des miroirs, pou-sant des formes gomtriques nouvelles. Du papier peint aux mmes motifs, quand il nest pas tropical, emprunt des annes 70 lesthtique des annes 40. En- n, la mise en scne videmment du mobilier de grands designers parfois un peu oublis. Les Am-ricains: Platner et Panton nont

    jamais connu la disgrce mais apparaissent plus que jamais dans les pages des magazines de dco et lon redcouvre le tra-vail de Vladimir Kagan dont les canaps serpentins ornent les intrieurs chics ou celui de Milo Baughman, icne des seventies. Quelques Sud-Amricains aussi, limmense Oscar Niemeyer mais aussi Pedro Friedeberg dont la chaise en forme de main, en bois ou en bronze, orne tant dint-rieurs daujourdhui.

    Meubles iconiquesCe sont toutefois les Europens qui ont t les plus clbrs lpoque et qui aujourdhui at-teignent des sommets dans la cote des antiquaires ou des suc-cs commerciaux ininterrompus. Cest le cas de Michel Ducaroy chez Ligne Roset, dont le cana-p modulaire Togo a clbr en 2013 ses 40 ans. Ou le mobilier

    de Pierre Pau-

    lin, que la marque rdite depuis 2006 avec le fauteuil Pumpkin, rinterprtation par le designer des fameux siges quil avait dessins lorsque les Pompidou lui avaient demand de red-corer les appartements privs de lElyse. Les meubles conus alors par le crateur sont les plus recherchs de ses crations, trs dif ciles trouver aujourdhui et qui se vendent prix dor. Plus prcieuses encore, les crations dartistes dont le travail tait dj lpoque plus con dentiel, et qui sont dsormais idoltrs par les collectionneurs. Cest le cas de Maria Pergay et ses sublimes day-beds, de Gabriella Crespi et de ses tables sculptures, qui peuvent se vendre jusqu 100 000 dollars ou de Philippe Hiquily, le Fran-ais designer et sculpteur. Lanti-quaire parisien Yves Gastou, qui dite encore des pices de lar-tiste, con rme cet engouement: Je suis moi-mme un amoureux du mobilier et du design des an-nes 70. Dans ces annes-l, il y avait un trs beau mlange dan-cien et de design dans de fantas-tiques maisons ou appartements au dcor classique. Du mobilier en acier, des pices en altuglas, une explosion de couleurs et une fabuleuse crativit, dans tous les sens du terme. Les collection-neurs se dirigent de plus en plus vers les designers les plus rares et les pices les plus prcieuses, beaucoup deviennent de plus

    en plus exigeants sur leur choix et cela nous per-met, nous antiquaires, de nous dpasser pour trouver ces pices dex-ception.

    Cest sans doute galement un signe de raf nement dsor-mais que dtre un connaisseur du meilleur design de cette poque. Joe Colombo, Mario Bel-lini, Willy Rizzo, le photographe jet-setteur devenu designer, sont aujourdhui priss de riches par-ticuliers, qui adorent ce style, mais aussi des dcorateurs de restaurants ou de magasins qui voquent une poque libre et crent une ambiance raf ne. Cest Nicolas Ghesquire chez Vuitton qui rdite un projet no-made de Paulin pour Design Miami/Basel en 2014 ou prsente sa collection Croisire en 2015 dans une maison seventies de John Lautner. Cest Dior qui, la mme an-ne, prsente la sienne dans liconique Palais Bulles de Pierre Cardin. Pucci qui habille ses boutiques de fauteuils Butter y de Paulin ou encore Chloe qui, dans son magasin parisien, fait rsonner son style bohme chic seventies avec des pices de Crespi et Kagan, Niemeyer ou Louis Weisdorf.Un raf nement qui rend si dsi-rables ces intrieurs inspirs des annes 70 avec leurs rencontres de style. Yves Gastou, qui a tou-jours dfendu le design de ces annes-l, est aussi un amoureux des dcennies prcdentes et des annes 80: Jai toujours t pas-sionn par le mlange, par les pe-tites histoires qui se tlescopent. Pour moi, le grand got, la grande culture, cest avant tout un m-tissage total. Cest ce regard, en

    plus de son expertise qui ont sans doute sduit Lenny Kravitz, la star devenue designer, lorsquil a, avec lui, dcor son htel particulier Paris. Canaps Togo, table Elisse de Gabriella Crespi, chaise main de Pedro Friedeberg ou fauteuil Elda de Joe Colombo, buffets d-ments de Paul Evans mais aussi lampes de Starck ou de Swarovski comme les propres designs du chanteur devenu designer, cest cet amour de la dcennie anti-

    Au centre et ci-dessous: le canap De Sede DS-1025, dessin en 1972 par Ubald Klug, et le fauteuil Pumpkin, cr par Pierre Paulin en 1971 pour les appartements du couple Pompidou lElyse, sont devenus des icnes intemporelles. Ci-contre: plus rare, le mobilier de lartiste franais Philippe Hiquily orne aujourdhui les intrieurs de collectionneurs avertis.

    Le bar de lhtel Mondrian Londres, sign Tom Dixon. Dans le salon de Lenny Kravitz, des canaps Togo et une table basse de Gabriella Crespi.

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    conformiste et de lclectisme qui imprgne tous les projets du chanteur-designer depuis quil sest lanc dans cette activit en 2006. Rsumant sa vision idale du design en une seule image: la rencontre en 3D dYves Saint Laurent et dHelmut Newton. Llgance ultra-luxueuse et opu-lente qui fait aujourdhui le succs de la dcennie de la libert en attendant le grand retour des an-nes 80 et du style Memphis.

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  • MISE EN SCNE

    Peter Marino versus Robert MapplethorpeLe clbre architecte et designer a t nomm commissaire de lexposition XYZ ddie aux crations de Robert Mapplethorpe la galerie parisienne Thaddaeus Ropac. Loccasion de parler de sexe, de lobligatoire distanciation vis--vis de luvre du photographe, de ses bracelets de force, de la sensualit des fleurs, mais aussi de ses dialogues imaginaires avec les artistes et de ltat du monde. Conversation. Par Isabelle Cerboneschi, Paris

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    La galerie parisienne Thad-daeus Ropac a invit en d-but danne larchitecte et designer Peter Marino en tant que commissaire de lexposition ddie Ro-

    bert Mapplethorpe XYZ. Un choix naturel: Peter Marino possde la plus grande collection prive de photographies de lartiste. Grce une scnographie gomtrique, quasiment scientifique, qui cache autant quelle rvle, il a choisi de mettre en scne des thmatiques quil considre comme tant fon-damentales dans luvre du pho-tographe. La collection sappelle XYZ, et fait rfrence aux fameux portfolios X (ddi aux relations homosexuelles et sadomaso-chistes), Y (contenant ses 13 pre-

    et les lgumes. Mais il arrivait les rendre tellement sensuels! souligne Peter Marino. De fait, la botte de carottes photographie par Charles Jones en 1902 est trs vocatrice. Ce pourrait tre une ide, dailleurs, de mettre les deux uvres en regard et de sinterro-ger sur la reprsentation du sexe en photographie

    Quelle fut la plus grande difficult que vous ayez rencontre lorsque lon vous a demand dtre le com-missaire dune exposition ddie Robert Mapplethorpe?Je pense que ce fut de montrer les sujets qui, me semble-t-il, lintressaient le plus savoir les scnes de sexe trs dures, agressives, les fleurs et la peau

    metteur en scne, inventeur de maisons contemporaines o la lumire est reine, concepteur de boutiques pour les plus grandes marques de luxe que compte la plante. Jai cr des boutiques pour tout lannuaire du luxe: per-sonne dautre ne peut montrer un portfolio qui aille de A pour Armani Z pour Zegna, dit-il en riant. Il sait mieux que quiconque rendre lopulence gnreuse.

    Mais pour Robert Mapple-thorpe, Peter Marino sest tenu une mise en scne trs stricte, qui met en lumire lextrme rigueur des compositions des photogra-phies.

    Un autre de mes photo-graphes favoris est Charles Jones. Il tait obsd par les patates

    mires tudes de fleurs), et Z (un ensemble de 13 images montrant des corps dhommes afro-amri-cains).

    Peter Marino, on le remarque de loin. Cest lhomme qui, dans un dfil, porte un pantalon de cuir noir, une cuirasse de cuir noir, des bracelets de force de cuir noir, une casquette de cuir noir. Mme sa moustache est noire. Comme il le dit trs justement, tout le monde porte un masque. Lui, il a choisi de porter celui-l. Ctait a ou le costume cravate quil enfilait en arrivant au bu-reau aprs avoir quitt son panta-lon de motard.

    Peter Marino est architecte, de-signer, collectionneur dart, cra-teur de ses propres vtements,

    des hommes black, mais sans tomber dans le sensationnalisme, et sans encourager le voyeurisme primaire du genre: Oh mon Dieu, regarde ce sexe! Je suis tellement fatigu de ces r-flexions. La mise en scne que jai conue est extrmement carre, symtrique. Je voulais attnuer le sensationnalisme et prsenter mon interprtation de ce quil considrait comme ses meil-leures uvres. Et cest difficile, car ce qui est montr est trs puissant. Mais je voulais quon ne garde en tte que la qualit artistique de ces crations.

    Vous avez d choisir entre 3000 images. Cest un travail de titan. Comment vous y tes-vous pris?

    Jai volontairement t toute sensualit la mise en scne. Le sujet en soi, la crudit de lacte sexuel, ce nest pas ce qui mintressait. Avec tout ce que lon peut voir sur Internet aujourdhui, ce sujet nest plus aussi tabou quil a pu ltre

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    Jai prvenu la Fondation Robert Mapplethorpe et je leur ai dit que jallais tre le curateur de cette exposition, qui sera base sur les trois axes dont je vous ai parl, que jai appels X, Y, Z. Je leur ai dit que je cherchais des images dacte sexuel, les plus belles fleurs quil ait jamais faites et que lon ne voit pas souvent reprsen-tes, et ces images de peaux. La fondation, avec qui jai travaill plusieurs mois, ma normment aid. Et pour faire le tri parmi ces milliers dimages, on a procd par limination: Vous ntes pas intress par des photos couleur? me disait-on, et je r-pondais: Non. Vous ntes pas intress par ses portraits? et je rpondais: Non. Vous ntes pas intress par les animaux, Non. Mais cela ma pris malgr tout une semaine pour chercher dans les archives (rires). Ce sont dnormes archives.

    Mapplethorpe a russi faire dun sujet controvers, lhomosexualit, une uvre artistique. Il est all l o nul ntait all avant lui. Or vous avez choisi un angle trs radical: vous montrez ses uvres presque de manire scientifique.Oui, justement parce que je vou-lais que lon puisse se dtacher du sujet et tudier la beaut de la composition, les lignes. Il tait obsd par les compositions classiques, les tableaux du Titien. Il a repris des compositions du Ti-tien avec le Christ renvers et un homme prs de lui: on retrouve ce genre de compositions dans ses photos, ce que je trouve trs intressant. Jai volontairement

    t toute sensualit la mise en scne. Le sujet en soi, la crudit de lacte sexuel, ce nest pas ce qui mintressait. Avec tout ce que lon peut voir sur Internet au-jourdhui, ce sujet nest plus aussi tabou quil a pu ltre. Je voulais tester. Bien sr, il y aura toujours des gens pour objecter et je le comprends. Mais je pense que lon peut enfin calmement regar-der son uvre, prendre acte de sa passion. Son obsession, ctait de photographier des scnes de sexe homosexuel, entre autres sujets.

    Et cette obsession, on le sait, a finalement eu sa peau. Mais il ne faisait pas ces images dans le but de choquer.

    Certaines photos sont dailleurs dune telle perfection formelle, ont une composition tellement tudie que lon ne remarque plus le sujet.Cest exactement ce que je pense. Je travaille sur le projet depuis six mois et jai compltement oubli quel point les images peuvent tre choquantes, parce que quand on en parlait au

    bureau, ctait pour aborder leur composition et comment on allait les agencer. On en parlait de manire tellement dtache: L, il y a une ligne droite, laxe est ici, l il y a un pnis position-n comme a, l il y a une courbe que lon doit contrebalancer Il fallait entendre nos runions! Ctait tellement drle! Monter cette collection, ctait comme faire un puzzle. Aujourdhui, je ne regarde plus ces images de la mme faon. Certains de mes amis sont venus et mont dit

    que ce que je montrais tait trs dur. Mais je ne men rends pas compte. Jaimerais retourner en arrire et regarder ces uvres avec un il neuf.

    Vous tes un architecte et designer qui travaille pour les plus grands groupes de luxe qui soient, et ce titre, vous devez vous mettre au service de limage des marques pour lesquelles vous travaillez. Mais votre vision, votre style sont tellement puissants que parfois jai limpression que vous prenez le pouvoir sur la force qui est en face de vous. Or avec cette exposition, au contraire, il me semble que vous vous tes mis totalement au ser-vice de luvre de Mapplethorpe.La manire avec laquelle jai mont lexposition na rien voir avec les autres expositions que vous pouvez voir la galerie Thaddaeus Ropac. Jai rinvent lespace, en tant quarchitecte, avec les trois coloris choisis par Mapplethorpe le noir, le gris et le marron trs fonc. Jai suivi ses codes. Mais cela reste une expo-sition darchitecte, je ne peux pas faire autrement. Ce serait int-ressant, quand lexposition sera finie, de me dire qui est le plus fort: lui ou moi? Les marques avec lesquelles je travaille sont trs fortes aussi (rires). Je passe mon temps les pousser dans leurs derniers retranchements. Elles sont comme de grands ba-teaux, des ptroliers, et pour les bouger, il faut la force dHercule! Pousser le bateau Louis Vuitton de 7 degrs, par exemple, cest dramatique. Donc, en effet, je dois tre un peu fort.

    La Galerie Thaddaeus Ropac Paris Marais a invit larchitecte et designer Peter Marino tre le commissaire de lexposition XYZ Robert Mapplethorpe qui sest tenue jusquau 5 mars dernier.

    9Architecture & DesignLe Temps l Samedi 21 mai 2016

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  • Orchid and Hand, 1983, 50,8 x 406 cm.

    Cest pour cela que vous portez des bracelets de force?Oui, ce sont des bracelets un peu guerriers. A New York, un jour quelquun ma demand: Vous tes-vous dj fait attaquer? Je lui ai rpondu: Vous plaisantez? Quand les gens me voient dans la rue, ils changent de trottoir. Je suis 100% en scurit mme dans les mauvais quartiers. (Rires.)

    Est-ce quune sorte de duel post-mortem sest instaur entre Mapplethorpe et vous durant cette exposition?Je ne pense pas. En revanche une sorte de dialogue imaginaire sest instaur entre lui et moi. Jai effec-tu un choix, jai voulu montrer les trois grands thmes de sa vie dartiste. Et je mimagine les lui proposer, lui demander ce quil en pense. Cest la mme chose quand je travaille pour Chanel, jai un discours imaginaire avec Mademoiselle Chanel. Je lui dis: Regardez, cest trs moderne, cest trop? Et elle rpond: Ce nest pas du tout moi! (Rires.) Je pense quavec cette exposition de Mapplethorpe, il pourrait rpondre: Oui, cest ok. Ce nest pas compltement moi, il y a un peu de vous. Et il naurait pas tort. Cest tout lintrt dtre un commissaire dexposition. Je voulais montrer quelque chose de dur, tester les temps que nous vivons aujourdhui.

    Justement, comment percevez-vous les temps que nous vivons actuel-lement?Je pense que nous nous trouvons un point, malheureusement, o les diffrentes branches de la socit sloignent de plus en plus les unes des autres. On entend des choses comme les riches sont de plus en plus riches, les pauvres de plus en plus pauvres. Ce nest pas vrai! Les riches ont toujours t riches. Cela na pas beaucoup dimportance de savoir si vous possdez 1 milliard ou 10 milliards. Est-ce que les gens

    sont plus riches que du temps de Louis XIV? Je ne pense pas. Les puissants possdaient les terres, les immeubles, et mme les gens! Le problme, cest quaujourdhui toutes ces personnes ne se croisent plus, ne se rencontrent plus. Dans les annes 70 et au dbut des annes 80, les gens fortuns allaient au studio de Warhol, o ils pouvaient croiser Mapplethorpe, et tout le monde se mlangeait. Javais tellement desprances dans les annes 70, jtais beaucoup plus jeune. Je me disais que ctait fantastique, que le monde allait dans la bonne direction. Tout ce quon voulait, ctait sortir de la guerre du Viet-nam, protester. Puis les annes 80 sont arrives, et avec elles le sida, et les riches sont retourns

    dans leurs quartiers de riches, les pauvres dans leurs quartiers de pauvres, et plus personne ne sest parl. Aujourdhui, cest encore pire: ils ne sont pas seulement dans leurs quartiers, ils choi-sissent de vivre reclus sur des les prives pour ne pas vivre avec les autres. Et chaque partie a dcid quelle naimait pas lautre. Cest fou! Jaime quand tous les gens se mlangent. Vous savez ce que je dteste le plus? Cest quand je vais un dner et que tout le monde a mon ge et est parfaitement as-

    sorti. Cest dun ennui! Moi, jaime quand il y a des vieux, des jeunes, des enfants de 9 ans, des gens de 20, de 40, de 60 ans. Jai envie de savoir ce quun jeune de 25 ans aujourdhui a dire. Et je veux entendre parler une personne ge de 95 ans, un grand artiste, un crivain, cest tellement int-ressant! Ce qui nous manque le plus aujourdhui, cest ce manque de mlange social, et de pouvoir ainsi apprcier nos diffrences au lieu de se sparer.

    Que disent justement les jeunes qui sont ns aprs la mort de Map-plethorpe lorsquils voient cette exposition?Ma fille Isabelle est ne en 1991 et lui est mort en 1989. Elle ntait pas ne quand il est dcd.

    Jtais trs curieux dcouter les commentaires de ses amis quand ils sont venus. Quand les filles ve-naient avec leur petit copain elles disaient: Cest cool! Mais quand elles taient juste entre elles, elles scriaient: Oh mon Dieu, cet homme a un pnis tellement norme! Alors je leur disais de ne pas se focaliser l-dessus mais sur la composition de la photo, la beaut des lignes blanches et noires. Je suis heureux parce que ce sont des gamins de 25 ans et ils comprenaient que cet homme

    avait russi crer une rupture dans le monde de la photographie, quil tait un artiste, quil photo-graphiait pour personne dautre que lui-mme afin de garder une trace de ses obsessions, de son ide de la beaut et son rapport la peinture classique. Aujourdhui, plus personne ne peut dire que la photographie nest pas un art. Il a pav le chemin. Mais le problme de reconnaissance est venu du fait que la plupart de ses sujets portaient sur lhomosexualit masculine. Les gens se deman-daient: est-ce quon voit de lart, ou est-ce que lon est juste voyeur de scnes de sexe? Jespre quen 2016 les choses sont claires. On a affaire du grand art, quant au sujet, on sen fiche. Cela peut tre une fleur, un sexe, cela na pas dimportance.

    Ses photos de fleurs dailleurs sont plus sexuelles que ses scnes de sexe.Bien sr! Il le faisait exprs! Il pre-nait la photo sous tel ou tel angle de manire induire un double discours. Cest ce que faisaient dailleurs les grands peintres clas-siques. Ctait un jeu dartiste.

    Pourquoi avoir choisi de montrer des Polaroid de tables?Je voulais montrer son travail avant quil commence vritable-ment faire des images formelles. Avec ces pola, on est chez le jeune artiste. Or, je pense que le jeune artiste rvle celui venir. Il a pris de nombreuses photos de sexe, mais en mme temps il a pris des photos abstraites de tables. Si lon se replace dans le contexte, au mme moment, dans les annes 70, on a Andy Warhol faisant des images compltement folles: les botes de soupe, Marilyn Monroe et Brigitte Bardot. Cest le ct un peu sex-swing-bulles de lart. Dun autre ct, vous avez Mark Rothko, Jackson Pollock dont luvre est abstraite. Il y a ces deux courants coexistant au moment o la carrire du jeune artiste Mapple-thorpe commence se dessiner. Et

    il reflte avec ces images le temps dans lequel il vit on est en 1974. Il est tiraill entre les abstraits et lhyperralisme pop art. Et certaines images de sexe sont presque du pop art. Elles sont tel-lement iconographiques que cest presque une bouteille de ketchup. Limage est plus forte que lart qui en ressort. Javais envie de montrer cela: la soupe avant le dner.

    Etes-vous un collectionneur de ses uvres?Oui, jai 142 de ses uvres. Je les ai montres Miami.

    Quand on vous voit, il semble vident de vous avoir choisi comme commissaire de cette exposition.Je ne suis de loin pas aussi beau que les hommes sur ces photos! Jaimerais (rires).

    Votre look fait tellement rfrence au sadomasochisme que je me demande si ce nest pas un masque pour cacher le vritable vous?Ecoutez. Tout le monde porte un masque quand il se prsente aux autres. Et vous aussi. Quelquun peut choisir de porter le masque dune personne de la classe moyenne, ennuyeuse, et qui na rien dindividuel, cest aussi un uniforme trs puissant et un mes-sage trs fort. Mon message est celui de lindividualit. Je dessine tous mes vtements, tous mes bi-joux. Jaime dessiner des choses. Je mamuse avec ce que je cre. Cela na pas une signification trs pro-fonde. Il y a des dizaines dannes, je me suis demand pourquoi je devrais porter des vtements que quelquun dautre a crs. Je roulais moto tout le temps. Jarrivais au bureau en vtements de moto, puis je les quittais pour enfiler un costume. Et un jour jai arrt de le faire, je me baladais dans le bureau en pantalon de cuir. Jai fait quelques croquis, javais un excellent tailleur, et jai commenc mamuser. Cela prend tellement de temps pour dcouvrir qui lon est

    Une sorte de dialogue imaginaire sest instaur entre lui et moi. Jai effectu un choix, jai voulu montrer les trois grands thmes de sa vie dartiste. Et je mimagine lui proposer mes choix, lui demander ce quil en pense

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    Jason, 1983, 50,8 x 40,6 cm.

    Phillip Prioleau, 1980,

    50,8 x 40,6 cm.

    10 Architecture & Design Le Temps l Samedi 21 mai 2016

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    Miroir franges Demi-lune,

    Ben & Aja Blanc.

    Papier peint Ananas, collection Fox-Trot 2016, Pierre Frey.

    Etagre Tokyo Tribal Collection, Nendo for Industry+.

    Applique Sorcier, design Marta Bakowski

    pour La Chance.

    Coussin brod Cells, design

    Nathalie Du Pasquier pour

    Wrong For HAY.

    Chaise Banjooli,

    design Sebastian

    Herkner pour Moroso.

    Vaisselier Black Palms, Ralph Lauren Home.

    FLAGRANTS DSIRS

    LAfrique, cest chic!A laide de formes primaires, de bres de bambou ou dimprims colors, les designers font entrer lesprit africain dans nos intrieurs. Une tribu de meubles atypiques adopter. Par Sverine Saas

    12 Architecture & Design Le Temps l Samedi 21 mai 2016

  • TRANSPARENCE

    Hors les mursDans cette maison contemporaine des bords du Lman, les limites entre lextrieur et lintrieur se devinent ou seffacent. Entirement vitre sur un niveau, elle souvre tel un Rubiks Cube chaque extrmit. Troublante de beaut. Par Emilie Veillon. Reportage photographique Adrien Barakat

    Il faut imaginer une petite ca-bane de pcheur dans la prai-rie. Entoure de hautes herbes, de pins et de marronniers. Dans une pente qui reliait les vignes au lac. Une maison de

    passion, de rve, de solitude et damour interdit, qui a teint ce terrain situ sur La Cte, entre Morges et Gland, dune lumire particulire. Belle et intense.

    Cest elle sans doute qui a char-m son nouveau propritaire. Aprs avoir achet la parcelle et son cabanon en 2005, il y a pass des week-ends de la belle saison pendant cinq ans. Le temps de comprendre les lieux. Le temps de se projeter. Jusqu ce quune

    suprieure, de plain-pied, sur un patio reli un chemin de gravier ferm par un portail. Quelques marches mnent au large perron qui fait le tour de ltage, sans porte dentre. Les faades enti-rement vitres sur les quatre cts coulissent, crant ainsi une ouver-ture pour se glisser, ici ou l, vers lintrieur. Nous avons pouss loin lide de la communion entre le dedans et le dehors. A limage dun Rubiks Cube, toutes les faces se mettent en mouvement. Les cinq baies vitres de 20 m de long coulissent dans les deux sens et peuvent se replier sur deux pan-neaux, permettant aux quatre angles du monolithe de souvrir

    pompe chaleur alimente par trois forages, quatre cuves isoles daccumulation deau chaude, ainsi quune ventilation contrle couple un puits canadien al-liant la modernit des mthodes ancestrales.

    Ce monolithe en verre est pos sur une dalle recouverte de tra-vertin. Avec une toiture plate en bton, soutenue par deux cloi-sons centrales et deux crans de bton larrire lisolant ainsi de ses voisins directs, la maison senfonce dans le terrain pour dgager un volume infrieur identique ddi aux chambres coucher au niveau du lac. On ac-cde la demeure par sa partie

    image limpide de maison contem-poraine merge. Jtais tomb sur la photographie dune ferme r-nove Punta del Este. Entre deux vieux murs porteurs, une dalle avait t tire. Ses lignes lances et sobres mont parl, explique le propritaire. Une longue ges-tation et plusieurs moutures sen-suivent, jusqu ce que le chantier soit lanc en 2013, dirig par le matre douvrage, alors quasi en-tirement consacr la conduite du projet. Un projet quil souhai-tait exemplaire en matire de ren-dement nergtique, avec une iso-lation de 25 cm, du triple vitrage, des panneaux photovoltaques et thermiques en toiture, une

    entirement. Les terrasses deve-nant ainsi des prolongements de lespace vivre, poursuit le pro-pritaire. Sur la bande extrieure, nul besoin de canaps et parasols, puisque cest le salon tout entier qui respire lair libre, ombrag par le porte--faux de la dalle de toiture. La longueur de ce dernier a t calcule en fonction du de-gr densoleillement, pour viter dtre bloui en t et capter un maximum de rayons en hiver. Un choix stratgique qui permet de se passer de voilages et rideaux sur tout ltage, lexception de la salle de tlvision o dpais velours rouges plongent la pice dans le noir.

    14 Architecture & Design Le Temps l Samedi 21 mai 2016

  • En haut: la maison vitre sur les quatre cts ne com-prend pas de porte dentre.

    Toutes les faades coulissent. Ci-dessus: vue sur la cuisine

    ralise sur mesure en corian et noyer. Le sol en travertin

    recouvre tout ltage. A droite: la partie infrieure

    runit ct lac cinq chambres denfants, un fitness,

    la chambre parentale et une chambre damis.

    15Architecture & DesignLe Temps l Samedi 21 mai 2016

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  • En haut: le salon parat perch mi-hauteur entre le lac et les cimes. Au centre: le garage, dont le plafond

    semble tapiss comme une bote bijoux.

    A gauche: la cave vin, sa table en noyer, sa porte marocaine

    et limmense panneau en acier rouill perc de citations, ltage

    suprieur. Ci-dessus: vue depuis le lac Lman.

    16 Architecture & Design Le Temps l Samedi 21 mai 2016

  • Unit de lieuxCette limite phmre entre lin-trieur et lextrieur puise sa force dans le choix dune unit des ma-triaux et des clairages. Le sol en travertin, import dune car-rire en Turquie, est compos de 1000 m2 de blocs que le propri-taire avait imagins le plus clair possible, mais surtout brut, afin que les irrgularits de tons ou balafres naturelles lui confrent toute sa vibration minrale.

    La moiti ouest de ltage est d-die au salon et la salle manger, sans aucune cloison intermdiaire. La vue balance entre, dun ct, le calme verdoyant dun jardin japo-nais, des marronniers, des vignes ainsi que du village historique qui les domine et, de lautre, le lac et les Alpes, un tableau de bleu et de gris, travers par des troncs lancs qui donnent limpression dtre per-ch mi-hauteur, entre les cimes et la rive. Cest dans lun dentre eux quun nid de buse renat chaque printemps, sous le regard admiratif du propritaire, et dont il sest inspir pour construire un pitement de table manger mo-numentale en acier rouill. Au-des-sus du plateau en noyer, deux abat-jour dors Flos Skygarden de Marcel Wanders, dont lintrieur est compos tel un plafond ancien moulur, forment deux coupoles potiques. Ct lac, le canap Tufty Time sign Patricia Urquiola pour B&B a t recouvert de velours mordor ou argent. Seul lment en tout temps extrieur, un fau-teuil en rsine dune artiste ita-lienne dont lassise voque la nacre dun coquillage. Ses reflets iriss de vert et bleu changent au gr de la

    lumire, Au point dtre emball dun filet, en fin de journe, form par les ombres gomtriques de la sculpture monumentale en acier rouill qui lui tient compagnie. Contribuant porter la toiture, ce bloc de 25 cm dpaisseur a t d-coup dans un atelier de laminoir, faisant la fiert des ouvriers, qui navaient jamais encore travaill sur une uvre dart, Rive-de-Gier, dans la Loire.

    A lautre extrmit du cube de verre, la partie nord comprend un bureau. Une table en acier pli en U la partie infrieure a t dissi-mule sous la chape de bton et un coffre-fort ancien se retrouvent, une fois langle ouvert, comme intgrs la vaste fontaine d-bordement, au centre de laquelle est pos un modle en pierre dpoque. Il tait situ larrire de la cabane du pcheur, envahi de vgtation. Je voulais lui don-ner une place dans notre projet. Comme il avait lair minuscule dans limmense patio, nous avons imagin une seconde fontaine pour lintgrer, prcise-t-il.

    De rouille et de corianCt lac, la cuisine dessine sur mesure en corian ralise par F.A. Menuiserie situ Meyrin est compose dun lot dont la base courbe se tire en porte--faux pour crer une table, sous laquelle sont disposs des tabourets en co-rian ou noyer, claire par deux lampes blanches Chasen Flos, de Patricia Urquiola. A larrire de la pice, une cloison vitre tire la lumire vers la cage descalier qui descend dans lespace nuit. En face, la mme hauteur, un cran

    en mtal rouill faisant office de cloison de la salle de tlvision, est perc de citations choisies par le matre des lieux. Parmi elles, celle qui se trouvait au-dessus de la porte dentre de lancienne ca-bane du pcheur: De leur meilleur ct, tchons de voir les choses, dAlphonse Karr.

    Entre lomniprsence du verre, du travertin, du bton et les incur-sions de mtal rouill, un bois exo-tique pos en panneau vient habil-ler certaines cloisons, dissimulant tantt des placards de rangement, tantt une cuisine de service. Lessence de zbrano se tire en fil conducteur jusque dans la partie enterre de la maison, laquelle on accde par lescalier en mtal pli, dont les marches foules tin-tent comme un carillon.

    Visible travers une paroi vi-tre, la cave vin est la seule in-cursion lensemble bien tram de chambres coucher alignes ct lac cinq pices identiques, pour chaque enfant, communi-quant entre elles par des cloisons mobiles. Derrire une lourde porte ancienne marocaine, la table du carnotzet est forme dune section dun tronc de noyer qui a conserv ses picots et sa peau de crocodile aprs avoir retir son corce de chaque ct. Le long banc qui lac-compagne a t sculpt dans lune de ses branches. Ces bois auraient d finir en copeaux pour le grand festival en plein air de la rgion. Poss par grue avant de couler la dalle suprieure, ils ne pourront plus jamais ressortir de la maison, samuse-t-il. Les tabourets gale-ment en noyer, mais lisses sur tous les cts quant eux, sont monts

    sur des tiges mtalliques, clin dil aux talons aiguilles des dames qui ils sont rservs. Juste ct, une porte mne au garage, reli au patio par un ascenseur voiture. A limage dune bote bijoux pour homme, le plafond est molleton-n, faon royal Chesterfield par un habillage en plastique qui est, la base, un revtement pos en sous-couche en toiture pour les panneaux photovoltaques que le propritaire a souhait dtourner ainsi. Au sol, la dalle en bton est simplement polie, une technique qui lui donne un aspect brillant et, avec lclairage tamis des bandes

    de LED, lapparence dune eau limpide sur laquelle les voitures semblent flotter Les limites du garage sont dissimules par une immense image le lac vu du ciel au dpart du Bol dOr rtro-clai-re sur le pan de mur du fond.

    Toutes les zones de transition des chambres sont recouvertes de bois zbrano, avec des plafonds vo-lontairement trs bas pour plus de chaleur et dintimit. Aucune porte na de poigne, ni de cadre ou seuil. Elles pivotent toutes, dvoilant des espaces insouponns au fil des couloirs tamiss qui contrastent

    avec le bain de lumire de ltage suprieur: lespace parental, une salle de fitness, une chambre damis avec accs privatif, et un pe-tit studio. Si le travertin est droul dans les moindres recoins du haut, le bas est entirement recouvert de pitchpin, un bois trs rsineux, fond jaune vein de brun rougetre que le propritaire avait import en un lot de 20 m3 de Lituanie il y a 20 ans, rcuprs lors de la d-molition danciennes demeures nobles, sans savoir ce quil pourrait en faire. Elles forment dsormais des planches allant jusqu 8 m de long, tires sur tout ltage, sur

    lesquelles se lisent les marques de lge et les stigmates sombres des anciens clous.

    Cette cohabitation entre le de-dans et le dehors, entre des mat-riaux anciens ou bruts poss dans un lan complexe de simplicit, entre des espaces de transparence versus dintimit, entre la versa-tilit du lac, le calme des forts et des vignobles, mais aussi le respect de lhistoire du lieu, de la nature existante, de ses forces visibles ou invisibles forment un tableau fas-cinant dont il faut quelques heures pour merger

    Dans lide dune communion entre le dedans et le dehors, tous les angles vitrs souvrent. Les terrasses devenant des prolongements de lespace vivre

    17Architecture & DesignLe Temps l Samedi 21 mai 2016

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  • CULTE

    Starck, rveur de viePhilippe Starck nous a reu au sein de ses bureaux pour une discussion qui saventure dans ses convictions et ses aspirations. Il parle de sa jeunesse, tout comme du futur quil sacharne transformer. Par Antonio Nieto, Paris

    JAM

    ES B

    ORT

    Qui na jamais crois le chemin dun fau-teuil Louis Ghost? Philippe Starck est un designer, le designer que tout un chacun a

    sur le bout des lvres lorsquon lui demande de citer un nom. Et pourtant il ntait pas le matheux acharn derrire sa calculette, au contraire, lcole buissonnire tait son dada et le banc du bois le voyait plus souvent que celui de sa salle de classe. Son parcours atypique et ses racines ont for-g lenfant un peu pataud, puis lhomme fascinant quil est au-jourdhui. Il sait ce quil fait, et pourquoi il le fait, il veut donner voir sa vision dautres, lgosme le met hors de lui et la production en srie est son moyen de par-tage. Militant contre toute forme de croyance, il voue tout de mme un culte limmatriel, certains diraient que cest le comble pour un crateur de matire. Lui sen sent allg, et privilgie lhumain lobjet. Philippe Starck parle sans filtre, et dvoile sa vision in-time dun monde changeant dans lequel il a un grand rle tenir.

    Pourriez-vous raconter vos dbuts, lorsque vous aviez 16 ans et que vous tiez passionn par le dessin?Ce nest pas exactement a, il y a des gens qui gardent un souvenir merveilleux de leur enfance, moi non. Dans mon cas, lenfance tait un trou noir, de lombre, du dsespoir, de la grande solitude et, pour des raisons que jignore, cela venait principalement dun dun manque dadapta-tion la socit, et donc dun accs la socit pour un enfant par lcole. Jai vcu toute ma jeunesse totalement isol, sans aucun contact avec personne. Je ne suis jamais all lcole, je la fuyais, mais la police me ramenait rgulirement aprs mavoir trouv dans les bois o je me cachais. Le directeur me donnait une norme baffe, je restais 24 heures avant de repar-tir. Et dans les bois, lhiver, sur un banc, quand il neigeait, quil pleuvait et quil faisait froid, ce ntait vraiment pas drle. Je me demande mme comment jai pu supporter cela. Puis vers mes 16 ou 17 ans, jai cess de fuir lextrieur. Je suis rest dans ma chambre et je nen suis pas sorti pendant des annes. Je navais aucun meuble, je couchais dans un coin. Jusqu ce que je ralise que cela ne pouvait pas durer et que je devais reprendre contact avec la ralit, avec les mondes extrieurs. Mon seul exemple tait mon pre, un grand ing-nieur aronautique, un inventeur qui avait sa propre compagnie arienne. Un jour o je me ren-dais au cinma seul, jai assist la projection de LHomme invi-

    pas pay. Ayant t lev par les curs, jai toujours considr largent comme quelque chose de dgotant. Lide de me faire payer ntait pas acceptable. Aussi, je ne pouvais pas toujours me nourrir, alors que je ralisais dj les endroits les plus la mode Paris et qui eux faisaient fortune. Je ne pouvais mme pas y rentrer, ctait trs trange. Jai eu une jeunesse extrmement dure. Je nai pas eu daccident, je nai pas t bless ou maltrait, mais jtais seul avec moi-mme. Dans mon tat de dtresse, beau-coup de personnes auraient flan-ch, allant jusquau suicide. Mais paradoxalement, jai dcid de me construire. Je suis incapable dapprendre, je ne comprends jamais quand on mexplique, je me suis entirement construit par mes choix et par mes exp-riences. Cela fait une diffrence fondamentale dans mon travail, car si mes crations paraissent parfois fantaisistes, elles sont en ralit loppos. Chez moi, tout est construit, tout est structur. A lpoque, les designers taient tous Italiens, jai d minventer en designer franais. En fait, jai restructur tout le mtier pour quil corresponde avec ce que je savais faire. Beaucoup de gens, les vieux du mtier, disent quil y a eu le design avant et aprs Starck, puisque aprs plus rien na jamais t pareil. En bien ou en mal, srement un peu des deux.

    Toutes vos crations ont un fil conducteurJe nai jamais fait lexercice de pyramidaliser la chose, mais il y a des atouts forts ds le dbut, comme la profession ding-nieur de mon pre ou le panache grand bourgeois, lgant et d-cal de ma mre. Je suis dj un peu un mlange de tout cela: un crateur ingnieur dcal et avec du panache. Il y a galement le peu dacquis tirs de mon du-cation religieuse. Je ne suis pas

    finalement les gens maimaient bien. Ils trouvaient que jtais quelquun de sympathique, avec beaucoup dides, mme si, selon eux, mon travail ne marche-rait jamais. Je me disais quils devaient avoir raison, nanmoins jai toujours pens que lavenir ne pouvait avoir un autre visage.

    Un autre visage que le design?Oui. Jai donc continu parce que je ne savais rien faire dautre jusquau jour o je nai plus eu de sous, pas mme pour manger. Et ce moment-l, un crateur de mode que javais rencontr par hasard Hasard incroyable, alors que jallais lui vendre mes modles, je suis pass devant le premier magasin de design Paris, rue du Renard. Un homme italien me vit alors regarder la vitrine, il sappelait Arturo Del Punta Cristiani, un nom extraor-dinaire pour un garon char-mant. Intrigu par mon allure de jeune clochard, il ma demand ce que je faisais. Je lui ai rpondu que je voulais faire du design, mais que mes premiers mo-dles nayant pas eu beaucoup de succs, je mapprtais les vendre pour pouvoir manger. Il ma demand de les lui montrer, je me suis excut. Savez-vous que vous tes le plus grand desi-gner du monde? ma-t-il alors lanc. Je lui ai rpondu que non, que je ne le croyais pas et jai pens quil se moquait de moi. Il ma conseill de les lui laisser quelque temps. Il est parti, puis est revenu deux semaines plus tard me faire signer des contrats chez tous les grands diteurs italiens.

    Le hasard joue un grand rle dans la vie, vous ne pensez pas?Certainement! Mais il faut lentendre. Cest comme cela que jai commenc et que je suis devenu la personne que je suis aujourdhui. A lpoque, mme si je travaillais pour de grands night-clubs, je ntais

    sible. Cet homme tait invisible pendant tout le film, sauf quand il sentourait de bandelettes. Je me suis dit que pour redevenir visible, il fallait que moi aussi je porte des bandelettes. Le seul moyen de les mettre tait de les fabriquer, cest ce moment-l que jai commenc crer. Comme mon propos tait totale-ment solitaire, il tait complte-ment diffrent. Quand je parlais aux gens, ils me regardaient bizarrement, mappelant le cur ou lavocat, car je navais pas un langage de jeune, jtais extrme-ment rserv avec un vocabulaire bien meilleur quaujourdhui. Je ntais pas drle, mais trs gentil, poli, bien lev et habill, mais compltement ailleurs.

    Et plus tard?Aprs, jai eu un ou deux amis un peu plus vieux et on prenait beaucoup de drogues. Un jour, nous nous sommes compos un cocktail de LSD, amphtamines et de je-ne-sais-plus-quoi et nous sommes partis en week-end. A ce moment-l, jai commenc dessiner. Et comme jtais un jeune un peu idiot malgr tout, jai commenc dessiner des voitures de course, probable-ment car jappartenais une famille issue de lautomobile et de laronautique. Quand les effets se sont estomps, je me suis aperu que je navais pas dessin des voitures, mais des siges compltement rvolutionnaires avec des technologies automo-biles. A lpoque, je ne connais-sais rien du tout aux meubles, cela ne mintressait pas car je nen avais jamais possd, mme pas un lit, ou une table. Je me suis alors dit quil y avait quelque chose de nouveau inventer, quelque chose qui ne pouvait pas se trouver dans les magasins de meubles que je voyais lpoque, et qui ntaient pas du mme millnaire.

    Jusqu la rencontre avec Pierre CardinOui. A lpoque, ctait un homme trs la mode, le vision-naire, lhomme moderne. Je me disais que mes meubles devaient tre vendus comme les vte-ments de Pierre Cardin. Jai donc russi, au bout dun an, obtenir un rendez-vous avec lui. Jy suis all, en faisant leffort de bien mhabiller, avec une prsentation que je rptais depuis plusieurs jours. Il a t stupfait et ma dit vous tes engag. Je me suis retrouv 18 ans, avec un bureau place Beauvau, en charge du mo-bilier Pierre Cardin. Hlas, trs rapidement, je me suis aperu que nous ntions pas du tout sur la mme longueur donde. Lui tait un capitaliste litiste et moi un communiste. Je voulais donner aux gens un million de meubles 1 euro et lui voulait faire un seul meuble 1 million deuros. Nous ne pouvions pas nous entendre, alors je suis parti.

    Jai commenc crer mes premiers objets gonflables,

    que jai beaucoup amliors ensuite petit petit, en total

    autodidacte. Jtais toujours terroris lide de montrer mes crations

    aux diteurs, mais

    croyant, je suis mme militant contre toute forme de croyance. Nanmoins jai su y trouver des principes de vie, de rigueur, de partage et surtout une lvation desprit et de rflexion sans pour autant croire en Dieu. Puis, la solitude ma amen toujours travailler seul, ce qui me permet de garder une certaine origina-lit de production puisque je ne regarde pas ce que font les autres.

    Cest donc un ensemble?Oui: la crativit, le panache, une forme de posie, la structure religieuse, mme la symbolique religieuse et le travail solitaire. Jai t lev suivant le credo la crativit et la technologie sauveront le monde. Mais fina-lement, chez moi, cette crativit nest pas un choix, cest une vidence. Jai toujours regard vers le progrs, vers le futur. Je nai jamais eu dintrt pour le pass. Parfois, certes, jai jet quelques coups dil en arrire, mais toujours afin de mieux comprendre le prsent et denvi-sager le futur. Je vivais dans une relativit einsteinienne, o rien nexiste rellement, o les choses les plus impalpables comme le temps sont trangement gale-ment les plus quantifiables. La seule chose que je quantifie cest lamour, car nous vivons dedans, cest la seule chose qui existe: lamour passionn. Cest un ter-rain extraordinairement fatigant puisquil est mobile, volubile et jamais fixe. Cest terrible de vivre dans rien, mais cela permet dtre totalement allg et de dployer une extraordinaire fluidit de pense.

    Aujourdhui, tout le monde est designer, tout le monde cre des collections en srie limite, tout le monde est litiste. Il y a mme des crateurs de mode qui disent que la mode est litisteCest une honte, llitisme, la srie limite, la raret, cest un

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    18 Architecture & Design Le Temps l Samedi 21 mai 2016

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    mpris, un gosme, mais cest surtout extraordinairement vul-gaire. Et ces personnes se croient chics, alors quelles crent de lextrme vulgarit. Dans un monde moderne, la vraie l-gance est la multiplication. Si on a le bonheur et la chance dtre visit par une bonne ide, on a le devoir de la partager. Cest une honte de ne pas le faire Alors il est vrai que ce nest pas facile de concevoir des millions dobjets 1 euro, cela demande des annes de travail, de rigueur et de tech-nologie. Il faut avoir le cerveau bien fait, parfaitement structur. Ce que je continue de faire avec les meubles en plastique, per-sonne dautre dans le monde ne sait le faire, je le dois sans doute mes acquis aronautiques.

    Chaque objet que vous dessinez a un prnom, est-ce une touche dhumour?Il y a un peu de a, mais vrai dire ctait venu il y a trs longtemps de lide que puisque chaque chose autour de nous a une in uence, autant que cette in uence soit aimable. Au sens propre du terme, que lon puisse laimer. Cest plus facile daimer quelque chose de vivant, et les choses vivantes ont gnralement des noms. Si nous donnions ds le dbut des noms nos objets, nous pourrions mieux les comprendre et mieux organiser notre relation avec eux. Et puisquil faut choisir des noms, autant quils soient drles. Lhumour est structurel chez moi. Mon pre ne disait ja-mais rien de srieux, il ne disait

    que des btises trs drles. Un humour quasiment surraliste dont jai hrit.

    Cest une sorte de nihilisme?Non, car je ne nie pas lexistence des choses, mais je pense que leur aspect matriel nest pas vrai. Ce nest quune question datomes, donc je ne suis pas nihiliste. Jai simplement une vision aux rayons X de la ralit, des choses chimiques, physiques, lectriques qui prouvent que rien nexiste. Comme entre rve et ralit. Dailleurs, la nuit est un moment fondamental pour moi. Souvent quand je me couche, je dis ma femme Jasmine que je vais au travail. Quand je men-dors, je rentre dans ma vraie vie. Au l des annes, jai constat

    que mes rves sont tellement plus intressants que ce que les journes mapportent vivre ou voir. Je vis des existences incroyables dans mes rves, et qui mpuisent. Avec le temps, je nis par me demander quelles preuves nous avions rellement pour croire que la vraie vie tait celle que nous vivions le jour. Pourquoi ne serait-ce pas celle que nous vivons chaque nuit? Et aujourdhui, rien ne me le prouve puisque la vie du jour correspond la matire en laquelle je ne crois pas, tandis que la vie de la nuit nous invite dans limmatriel auquel je crois.

    Une curiosit philosophique, au fondJe mintresse beaucoup aux fondamentaux et leur dchiffre-

    ment. Les grands changements invisibles me passionnent gale-ment. Il y a un chercheur franais qui a dit que lon peut reprer les grandes rvolutions au fait quelles sont toujours invisibles. Et moi, il y a une grande rvolu-tion qui mapparat, que jai r-alis dans le livre dun auteur su-dois qui sintitule Scne de chasse en blanc, dont je recommande la lecture. Lintrt majeur du livre rside dans le changement de morale. En Occident, notre morale est relativement binaire, nous savons ce qui est bien et ce qui est mal. Nous pensons que cet acquis est d nitif, mais je ne le crois pas. Je pense que la grande rvolution future sera un changement structurel de la morale. Nous en voyons dj les prmices, pas uniquement au su-jet de la sexualit, mme si cette trs intressante thorie devrait tre reconnue par tous: les mde-cins reconnaissent 22 grades de sexualits entre lhtrosexualit et lhomosexualit. Pourtant nous continuons dire quil y a des hommes ou des femmes, ce qui est ridicule et totalement rducteur. Cette binarit de genre cre normment de souf-france et de frustration chez les personnes qui se situent dans les 20 grades intermdiaires qui ne sont pas reconnus. Aujourdhui, cest totalement anormal de ne pas reconnatre ces nuances-l. Et cest cela qui mintresse dans la vie, mon mtier ne mintresse pas, il nest que la scrtion trs faible de mes petites r exions et de mon travail personnel. Mon mtier est surtout trs lche, car manier de jolis raisonnements les plus levs possible pour nale-ment produire une chaise, cest plutt trs faible comme rsultat. Mais cest ce que je sais faire, chacun fait ce quil peut.

    Vous est-il dj arriv dans votre carrire de refuser des projets?Quand jai cr ma socit, je voulais quelle suive des rgles

    thiques. Jai donc conu une charte disant que chez nous, on ne fabriquerait pas darmes, pas dalcool dur, pas de tabac, rien pour les compagnies ptrolires, lindustrie du jeu ou lEglise et que je naccepterais pas de travailler pour de largent dune provenance douteuse. A cause de cela, jai d en perdre beaucoup, car ce sont les domaines qui payent le mieux. Jai eu beaucoup doffres de compagnies dalcool ou de tabac pour des sommes sans rapport avec ce que rapporte habituellement le design. Mais jai toujours refus. Dailleurs, en gnral et pour des tas dautres raisons, nous refuserons 95% des propositions. Technique-ment, voire humainement, nous ne pouvons pas tout accepter puisque je fais tout moi-mme.

    Vous arrive-t-il de travailler dans lurgence?Non. Je suis le lent le plus rapide du monde, et le rapide le plus lent du monde. Je ralise un gros projet par jour personne ne fait cela mais je peux le faire parce que je suis assis sur une mine foi-sonnante de r exions diverses, en gnral inconscientes. Je ne suis pas quelquun qui r -chit, mais souvent quand une question se pose laquelle je dois rpondre, je ralise que jai dj trouv la solution, un moment ou un autre. Cest pour cela que les gens sont sidrs par la vitesse de mon raisonnement, qui est du niveau de la fulgurance. Je peux rpondre nimporte quelle question de manire structure et originale, et ce malgr la diversit des sujets sur lesquels on min-terroge. On me soumet la chose, le problme et je le rsous tout de suite. L mes interlocuteurs me regardent souvent comme si jtais un malade mental, avant de se demander pourquoi ils ny avaient pas pens plus tt. Mon cerveau est structur, et il repose sur ce terreau, des tonnes de terreau, des terres, du sable, des

    verres, des bouts de dchets. Tout cela permet simplement de faire fonctionner les cases, de mainte-nir la structure. Nous ne sommes pas dans le domaine de lurgence ici, mais dans celui de lorga-nisation. Je passe mon temps faire des listes de priorits. Jai dvelopp des processus cratifs mais je suis une machine, je nai pas de vie. Une machine avec des rsultats qui, par d nition, ne sont pas humains. Je suis un Howard Hughes du design avec des mormons autour de moi.

    La beaut, cest quoi pour vous?Ce nest en aucun cas ce que lon entend par le mot. La beaut, cest lharmonie, lquilibre avant tout. Quand tous les paramtres, les sens (voir, sentir, couter, vivre) sont aligns dans une perfection dangle, de propor-tions, de chaleur et de temps, se produit un effet de synthse et cela prend.

    Elle est toujours relativeLa beaut est nalement assez peu relative. Cest dailleurs pour cela que de tout temps et de toutes civilisations, cer-taines choses sont reconnues comme tant universellement belles. Il semble plausible que notre nature humaine, notre peau, nos rcepteurs, nos yeux reconnaissent une quation qui nous corresponde parfaitement. Car ce quelque chose qui nous plat est la reconnaissance dun lieu quel quil soit o lon sera mieux. Et puisque notre nature humaine nous rassemble et nous fait nous ressembler, il est possible de dire que nous pouvons synthtiser cela, dire que certaines sont intemporelles et ternelles. La beaut est donc simplement lorganisation par le hasard, et le travail, des signes que nous recevons. L est la vri-table beaut. Seul lintemporel a de la valeur, la beaut culturelle nen a pas puisquelle nest que passagre.

    Mon cerveau est structur, et il repose sur ce terreau, des tonnes de terreau, des terres, du sable, des verres, des bouts de dchets

    STARCKBIKE with Moustache 2012

    Vlo assistance lec-trique qui dploie sa

    simplicit augmente tel un prolongement

    de lhumain.Motor Yacht A

    2000 Un mga-yacht au design n du mou-

    vement des vagues.ZA Paris France

    2016 Caf urbain et littraire.

    Starck Eyes depuis 1996 Lunettes la charnire bio-

    mcanique brevete.Ipanema with Starck

    2013 Sandale en plastique thique qui rconcilie production industrielle et savoir-

    faire artisanal.

    19Architecture & DesignLe Temps l Samedi 21 mai 2016

  • > Candy de Fernando et Humberto CampanaCette srie de verres, carafes et vases est une suite de la col-lection de luminaires Candy imagine pour Lasvit. On y retrouve les coules multico-lores des bonbons prsents en profusion sur les tals des marchs brsiliens. Une fois encore, les deux frres, bass So Paulo, parviennent transposer des jalons de la culture populaire sur des uvres joyeuses et chics. Rencontre avec Humberto, le frre an.

    Comment exprimer la uidit de ce matriau rigide?Nous ne voulions imposer aucune rigidit ces uvres. Au contraire, laisser la matire parler delle-mme, couler delle-mme. En ce sens, elles sont uides.

    Si vous deviez choisir entre lombre et la lumireLa lumire. Le Brsil est le pays du soleil. La lumire et la chaleur sont source de vie.

    Que vous voque la transparence aujourdhui?Je suis un menteur terrible. Je ne peux rien cacher, lembarras se lit tout de suite dans mes yeux. Idem chez moi. Mon appartement na aucune cloison, tout est ouvert, visible, de la buanderie la cuisine, en passant par le lit. Je trouve quil ny a rien de pire que les espaces dissimuls.

    Quest-ce que le verre dit de vous?Que jai atteint une certaine maturit. Il maura fallu presque trente-cinq ans pour atteindre une connais-sance et une matrise suf santes de ce ma-triau fragile pour parvenir au rsultat souhait.

    > Ludwig de Maurizio GalanteLe no-classicisme des lignes contraste avec le modernisme des tubes industriels qui composent la structure de ce lustre gigantesque. Pour cette collaboration, le coutu-rier italien souhaitait crer un ob-jet qui vhicule des motions. Une lumire de surprises.

    Comment exprimer la uidit de ce matriau rigide?En sinspirant du savoir-faire textile. Les lments de verre sont travaills comme des rubans et des tissus. Le verre liquide est tiss, nou la main, avant dtre durci pour lternit.

    Si vous deviez choisir entre lombre et la lumireDans les objets que lon dessine, les ombres sont aussi importantes que la lumire r chie. A partir des ombres, on fait de la lumire.

    Que vous voque la transparence aujourdhui?Lhonntet. Elle est fondamentale. Aujourdhui plus que jamais.

    Quest-ce que le verre dit de vous?Le verre, en se rigidi ant, appelle la force de matri-ser ce quon veut demble. Comme le geste assur dun caricaturiste. Je pense que cela me caractrise aussi.

    > FACET de Moritz WaldemeyerCompos dun nombre de mo-dules hexagonaux lumineux extensible lin ni, ce grand lustre dont limage voque un diamant est connect par au-tant de ls quon aimerait ti-rer pour animer cette marion-nette de lumire. Le designer britannique bas Londres parvient ainsi propo-ser un systme clair et rigoureux, tout en laissant la libert aux usagers de crer leur propre mobile.

    Comment exprimer la uidit de ce matriau rigide?En donnant limpression que cette structure hexagonale otte dans lair.

    Si vous deviez choisir entre lombre et la lumireJaime lide de jouer entre les deux puisquelles sont lies. Mais je resterais la lumire, je suis une personne positive, plutt solaire.

    Que vous voque la transparence aujourdhui?Dans mon travail, la transparence me permet de crer la beaut et de faire en sorte quelle puisse susciter une rponse motionnelle.

    Quest-ce que le verre dit de vous?On ne peut sengager avec ce matriau sans avoir une certaine sincrit et authenticit. Il est impos-sible dtre super ciel ou arrogant avec le verre. Le processus requiert daller en profondeur, de se connecter avec les artisans et le processus pour obtenir le rsultat souhait. Je suis comme a, dans la vie.

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    Eclats de verreLUMIRES

    Dans les ddales dun palazzo milanais, rencontres furtives avec huit designers qui ont imagin un lustre ou un objet de table pour Lasvit. Eloge dun matriau complexe et fragile, tout en transparence. Par Emilie Veillon, de retour de Milan

    Clbre pour le savoir-faire de ses matres verriers, le fabricant tchque Lasvit prsentait en avril dernier, loc-casion du Salon du meuble milanais, sa nouvelle collection de luminaires et

    objets de table dans les Sale Napoleo-niche du Palazzo Serbelloni. Loccasion de dresser une vitrine monumentale des plus belles pices et de mettre leurs au-teurs en lumire.

    sance et une matrise suf santes de ce ma-triau fragile pour parvenir au rsultat souhait.

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    20 Architecture & Design Le Temps l Samedi 21 mai 2016

  • > Luminaires Tac/Tile dAndr Fu LivingInspire de la Maison de Verre de 1932, des toitures traditionnelles chinoises en tuiles, du Flatiron Building, mais aussi des pavs de verre caractristiques du modernisme, la collection de cet architecte dintrieur bas Hong Kong reflte la dimension structu-relle et tactile du verre.

    Comment exprimer la fluidit de ce matriau rigide?Dans cette uvre, le verre a t moul de manire ce quil puisse couler avant dtre fig. Des gouttes sinvitent ainsi sur les plaques lisses. Elles refltent son expression versatile, tout en crant des imperfections qui rendent chaque pice unique.

    Si vous deviez choisir entre lombre et la lumireLombre. Parce quil faut la lumire pour crer lombre. En la choisissant, la lumire est forcment dj l.

    Que vous voque la transparence aujourdhui?Lide que les choses peuvent tre visuellement spares mais physiquement relies, comme dans une maison o une vitre connecte et spare la fois lintrieur et lextrieur.

    Quest-ce que le verre dit de vous?Cest un matriau intemporel, flexible et dynamique, qui trouve sa place dans la crativit daujourdhui. Je my efforce aussi.

    > Intergalactic de Petra Krausova et Libor SostakUne mtorite dune autre pla-nte. Voil le fil lumineux qui a guid la designer tchque, cofondatrice de la marque Newvintage, associe pour ce projet au designer industriel tchque fru de nouvelles tech-nologies. Cette sculpture est forme de 1500 pices uniques, animes chacune par un scnario dclairage qui lui est propre.

    Comment exprimer la fluidit de ce matriau rigide?En confrant au verre des formes organiques et en le laissant couler librement, avant quil soit sch.

    Si vous deviez choisir entre lombre et la lumireLa lumire. Cest elle qui donne lclat et le charme au verre. Sans la lumire, ce matriau nexprime rien.

    Que vous voque la transparence aujourdhui?La ncessit davoir une vision claire et un propos limpide.

    Quest-ce que le verre dit de vous?Sa versatilit, sa fluidit et le champ illimit de son applica-tion nous poussent exprimenter, innover des techniques et regarder la cration sous de nouveaux angles chaque projet.

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    21Architecture & DesignLe Temps l Samedi 21 mai 2016

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  • MOBILIER

    Le fabricant de mobilier italien de luxe fte cette anne ses 50 ans dexistence. Retour sur les pisodes marquants dun pass haut en couleur, dides folles en dclics inventifs. Par Graldine Schnenberg

    La campagne publicitaire dOliviero Toscani pour Le Bambole fut censure la Foire de Milan de 1972. Ce qui provoqua la rue de milliers de personnes sur le stand et un succs immdiat.OL

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    Quelle est la res-ponsabilit dun diteur dans la c o m m e r c i a l i s a -tion dun modle sign? Sagit-il seulement pour

    lui de faire son march parmi les propositions des designers? Chez B&B Italia, elle est labou-tissement dune dmarche clai-re de son centre de recherche et dveloppement. Un des ples de lentreprise lombarde avec son usine de rembourrage unique en son genre. Car en termes de col-laboration, ce sont les designers rputs qui plient leur gnie lidentit de la marque.

    Rencontres pionniresUne identit qui doit tout son fondateur, Piero Ambrogio Bus-nelli dcd en 2014. N en 1926 de parents pauvres sur un ter-reau fertile en termes dentrepre-nariat, la Brianza, berceau histo-rique du design dans la province de Cme en Lombardie, il fut un dcouvreur. De talents et dun procd rvolutionnaire de pro-duction en srie, le rembourrage en mousse de polyurthane. Pour construire limage de sa marque sur laquelle il allait btir son em-pire, il misa sur des gnies encore inconnus de larchitecture ou de la photographie avant de sasso-cier des pointures reconnues du design. Ainsi il donna mission un jeune architecte de lui des-siner le sige de sa socit No-vedrate. Mme cach des regards de la cit, il le voulait unique. Il t con ance un jeune archi-tecte qui navait pas encore fait ses preuves. Renzo Piano, cest de lui quil sagit, lui imagina en 1971 une sorte dbauche du fu-tur centre Pompidou qui le ren-

    boomerang, naurait pas pu se concevoir sans une telle simpli-cit structurelle.

    Cest grce ce coup de force de lentrepreneur dans les an-nes 60 que les canaps mo-noblocs, devenus icnes de la marque, ont faonn lhistoire de lditeur. Et pour chacun deux un moule spcialement fabriqu, sorte de gaufrier mo-numental duquel on extrait le meuble entier dont la densit de rembourrage est calcule au pralable de la mme manire que lon confectionnerait une pte gteau. De cette recette applique au design ont explo-s quelques icnes, du temps o ce terme ntait pas galvaud et recelait encore des intentions sditieuses. Et salliant des d-couvertes technologiques, telles que lutilisation de mtal au lieu de bois, par exemple, pour aug-menter les dimensions de las-sise.

    Explosion dinventionsLe modle Coronado, datant de 1966, lanne de la cration de la marque, reprsenta une pre-mire rvolution avec ses quatre lments (dossier, base et accou-doirs) assembls au moyen de six vis seulement, permettant une livraison en kit. Puis les inventions senchanrent. En 1969, Gaetano Pesce conoit un fauteuil rond comme un corps de femme, Up, vendu sous vide

    designers tels que Afra et Tobia Scarpa, Vico Magistretti ou Gae-tano Pesce et cherche indus-trialiser sa propre production. Oblig de trouver des fonds, puisquil na plus dassoci, il fait appel aux banques et, dans un trait dhumour reconnaissant, nomme sa socit B&B pour Banque & Busnelli.

    Tenaill par le besoin de de-vancer le progrs, Piero Ambro-gio Busnelli se retrouve nant Londres la foire des mat-riaux plastiques au milieu des annes 60. Il aperoit un stand prsentant des petits canards dune rondeur parfaite, fabri-qus dune seule pice grce un moule. Pourquoi ne pas extrapo-ler ce procd pour produire un sige, se dit-il? Lentrepreneur revient avec la recette du polyu-rthane qui a donn vie aux fameux canards. Un mlange de deux liquides laiteux qui, en fusionnant, produisent une raction chimique: un volume ampli 40 fois en une pte qui pouse parfaitement la forme de nimporte quel contenant et se stabilise une fois refroidi, en quinze minutes seulement. Une nouvelle faon de concevoir du mobilier est ne tout en permet-tant de rduire drastiquement les cots de production. Et dex-primenter des formes in nies. Un canap organique tel que le Moon System de Zaha Hadid commercialis en 2007, sorte de

    dit clbre quelques annes plus tard: un concept de bote suspen-due lintrieur dune structure mtallique tubulaire avec, lex-trieur, des canalisations appa-rentes et colores.

    Au cur des annes 60, il sagissait pour ce pionnier du design, qui nen est qu ses bal-butiements, de ne surtout pas emboter le pas aux entreprises artisanales qui eurissaient dans la rgion. Mais de sinventer un trac prilleux jalonn de prises de risques en rvolutionnant le processus de production. De coups de poker improbables en intuitions gniales, Piero Ambrogio Busnelli a alors pour objectif de ra er le march avec une approche managriale. A lorigine, B&B sappelle C&B, stant associ lartisan fabri-cant de chaises Cesare Cassina. Mais le voil lorgnant du ct du secteur des matriaux plastiques en plein dveloppement. Il laisse Cassina sa production artisa-nale, emprunte son rseau de

    et qui une fois sorti de son em-ballage prend forme grce un gon age spontan au gaz fron, aujourdhui interdit. Une sorte de performance artistique la-quelle sadjoignait un message politique: le fauteuil tait li, par une corde, une grosse boule cense symboliser la condition des femmes en prison.

    Ou Le Bambole de Mario Belli-ni (1972) qui, prsent la Foire de Milan la mme anne, se t une place grce une campagne publicitaire suggestive signe dun jeune photographe incon-nu Oliviero Toscani, lauteur controvers des pubs Benetton. Laf che, placarde devant le stand, reprsentant le top model Donna Jordan moiti nue vau-tre sur le canap t sagiter le comit de censure. Un scandale qui en provoqua le succs ines-pr.

    Comme les matriaux, les formes aussi ont une histoire chez B&B Italia. Pour faire accep-ter la ligne de son fauteuil Papi-lio, le Japonais Naoto Fukasawa a d revoir sa copie plusieurs fois avant que son concept soit agr par le Centre de recherche et dveloppement. Il dut allger le prototype de ses pieds en m-tal initialement prvus et jugs trop vintage pour aboutir ce cne vid au dossier en forme dailes, ancr au sol, au trac la fois pur et enveloppant. Quant au fauteuil Crinoline conu pour une collection dextrieur, Patri-cia Urquiola sest inspire pour son dossier tress trs n ressem-blant du rotin (ici en bres de polythylne) dun panier rap-port dun voyage.

    Mais la marque naurait peut-tre pas la renomme mondiale quelle connat sans sa ligne plus consensuelle qui fait sa force, Maxalto, cre en 1975 et dont le directeur artistique est Antonio Citterio, architecte et designer. Et pour laquelle B&B Italia a cr une usine de travail du bois ex-ploitant des techniques plus ar-tisanales, du prcieux placage de bois la technique de vernissage de gomme-laque pour concevoir des meubles dont le luxe sinsi-nue dans les plus in mes dtails.

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    Table Tobi-Ishi de Barber & Osgerby

    (2012) dont les pitements sins-pirent des pierres

    dornement des jardins traditionnels

    japonais.

    Piero Ambrogio Busnelli, le fondateur (1926-2014).

    Le sige de B&B Italia Novedrate: une ralisation de Renzo Piano et Richard Ro-gers datant de 1971.B&

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    La campagne publicitaire

    Table Tobi-Ishi de Barber & Osgerby

    (2012) dont les pitements sins-pirent des pierres

    dornement des jardins traditionnels

    japonais.

    B&B Italia, la petite histoire dun gr

    22 Architecture & Design Le Temps l Samedi 21 mai 2016

  • B&B ITALIA

    Le fauteuil Up (ici de la srie

    Up 2000) sign Gaetano Pesce.

    Le premier modle date de 1969. Des formes rondes comme un corps de femme.

    Et reli un repose-pieds boulet pour sensibiliser la condition

    fminine en prison.

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    B&B ITALIA

    Le fauteuil Up (ici de la srie

    Up 2000) sign Gaetano Pesce.

    Le premier modle date de 1969. Des formes rondes comme un corps de femme.

    Et reli un repose-pieds boulet pour sensibiliser la condition

    fminine en prison.

    la petite histoire dun grand diteur

    23Architecture & DesignLe Temps l Samedi 21 mai 2016

    PUBLICIT

  • RESTAURATION

    Embarquement pour E-1027E-1027, la villa dEileen Gray, Roquebrune-Cap-Martin, renat. En cours de restauration, cette icne du modernisme, reste longtemps inaccessible, rouvre ses portes. Elle est au cur dun projet de prservation et de valorisation dun site unique, qui comprend aussi le Cabanon et les Units de camping dessins par Le Corbusier. Visite. Par Eva Bensard, de retour du Cap-Martin

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    Cest une petite vil-la blanche tour-ne vers les flots, entre dans la lgende par son ancrage prcoce

    dans la modernit. On y accde, comme il y a 90 ans, par un sentier des douaniers bord de pins ma-ritimes, de yuccas et de figuiers de barbarie, dominant la splendide plage du Buse. Ce cap sauvage, entre Monaco et Menton, sduit en 1924 lIrlandaise Eileen Gray (1878-1976), en qute dun refuge retir pour travailler et se reposer pen-dant lt. Les opulentes villas qui poussent alors comme des cham-pignons le long de la Riviera sont encore rares sur ces collines diffi-ciles daccs. Entre 1926 et 1929, avec son compagnon Jean Badovici (1893-1956), architecte dorigine roumaine proche de Le Corbusier, la cratrice de mobilier, clbre pour ses paravents en laque et ses meubles tubulaires en acier chro-m, sessaie pour la premire fois larchitecture. Un coup dessai que beaucoup considrent aujourdhui comme un coup de matre.

    Bote en bton arm pose sur des pilotis, plan modulable, baie vitre en bandeau, toit plat, fa-ade libre E-1027 (E pour Eileen,

    10 du J de Jean, 2 du B de Badovici, 7 du G de Gray) reprend les cinq points dune architecture nou-velle thoriss en 1927 par Le Cor-busier. Elle sinspire galement de sa villa Le Lac, dessine prs de Vevey, en 1924. Mais Eileen Gray, assiste de Jean Badovici, affirme sa singularit en jouant sur les analogies avec lunivers nautique. Avec sa terrasse-bastingage, ses stores en toile de bche, sa boue, ses chambres-cabines et ses fau-teuils-transats, ce vaisseau sur-plombant la mer a tout dun petit paquebot. Le duo invente par ail-leurs un systme de baie vitre sou-vrant en accordon, et intgre des lments vernaculaires, comme les persiennes. Les pices lex-ception du sjour sont modestes (120 m2 en tout), mais un mobilier astucieux et multifonctions (pla-card-tte de lit, armoire-paravent, table qui se transforme en bureau, tiroirs pivotants et escamotables), pens dans les moindres dtails par la designer, optimise lespace. Sur les placards, des inscriptions au pochoir oreillers, valises per-mettent aux invits de sinstaller en toute autonomie. Chacun, mme dans une maison de dimension rduite, doit pouvoir rester libre, indpendant, crit Eileen Gray.

    A son achvement, la demeure a les honneurs du tout premier nu-mro de LArchitecture daujourdhui. Mais elle tombe peu peu dans loubli, tout comme sa discrte conceptrice, qui gotait peu les feux de la rampe. Aprs sa rup-ture avec Badovici, Eileen lui laisse la maison, et part sen construire une autre entirement elle, sur les hauteurs de Menton. Au fil des annes, E-1027 perd son identit et devient la villa blanche, ou la maison de Jean Badovici. A la mort de ce dernier, en 1956, elle est revendue deux reprises, avant de finir labandon dans les an-nes 1990. Son classement comme Monument historique en 2000 et son rachat par le Conservatoire du littoral, un tablissement public charg de prserver les ctes fran-aises, marquent le dbut dun lent sauvetage. Ouverte tous les vents, squatte et vandalise, elle a chapp par miracle la destruc-tion. Mais elle tait trs dgrade, se souvient Michael Likierman. Pas-sionn darchitecture, cet homme daffaires britannique prside las-sociation charge depuis 2014 par le Conservatoire de la restauration et de la mise en valeur du site.

    Rebaptis Cap Moderne, ce terrain en pente de 3000 m2 com-

    prend non seulement la villgia-ture dEileen Gray, mais aussi le Cabanon et les Units de camping construits quelques mtres plus haut par Le Corbusier (lire lenca-dr). Un concentr de modernit sur un tout petit territoire, mais aussi une suite de dfis pour les

    restaurateurs, ces difices souffrant de leur exposition lair marin, et de lattaque combine du vent, de leau et du sel. Des contrles clima-tiques rguliers sont ncessaires, estime la restauratrice Marie-Odile Hubert, en charge des peintures murales. E-1027 souffre en effet de problmes dinfiltration, une situation encore aggrave par les malfaons dune restauration in-complte, advenue en 2007. Les

    fondations taient mines par leau et ont ncessit un assainissement complet. On sest aussi aperu que le bton, en vieillissant, tait deve-nu poreux, et se gorgeait dhumi-dit ds quil pleuvait. Sa rimper-mabilisation est en cours, prcise Michael Likierman.

    Autre gageure: la restitution du mobilier. A part certains placards, le dernier propritaire a tout ven-du aux enchres en 1991, dplore Claudia Devaux, architecte sp-cialise dans la restauration du patrimoine moderne. On aimerait refaire les meubles fixes liden-tique, daprs des photographies dpoque, en sapprochant au plus prs des finitions artisanales dEileen Gray. Une entreprise ren-

    A part certains placards, le dernier propritaire a tout vendu aux enchres en 1991. On aimerait refaire les meubles fixes lidentique, daprs des photogra-phies dpoque.Claudia Devaux, architecte

    24 Architecture & Design Le Temps l Samedi 21 mai 2016

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    Les vacances de Monsieur Le CorbusierAlors quaprs la Seconde Guerre mon-diale, le souvenir dEileen Gray E-1027 sestompe, un autre architecte imprime sa marque sur cette petite portion de littoral franais, et contribue clipser la cratrice irlandaise: Le Corbusier. Cette appropriation du site, dont lar-tiste suisse sprend il fait de frquents sjours E-1027 , commence en 1938. A la demande de son ami et collgue Jean Badovici, Le Corbusier ralise deux peintures murales dans la villa. Lanne suivante, il revient pour en ajouter cinq, en se passant cette fois de sa permis-sion. Jai une furieuse envie de salir des murs: dix compositions sont prtes, de quoi tout barbouiller, dclare-t-il. Une initiative qui ne fut pas du got dEileen Gray, qui selon ses biographes ressentit cette intrusion comme une agression. Sur chaque peinture, dont les couleurs franches tranchent avec la blancheur de cette villa puriste, lartiste appose sa signature, comme pour prendre possession des lieux. Cet amoureux de la Mditerrane rve en effet de simplanter sur cette cte ro-cheuse et prserve, et dy btir son tour un refuge au bord de leau. Cela devient possible en 1951, lorsque le Ni-ois Thomas Rebutato, tenancier de la guinguette LEtoile de Mer (ouverte en

    1949 quelques mtres au-dessus dE-1027), lui cde une parcelle de terrain accole son restaurant (en change, larchitecte construit en 1956 pour Re-butato des Units de camping, une suite de cinq chambres sur pilotis). Cest sur ce terrain exigu que nat le Cabanon, modle dhabitat minimal aux allures de cabane de trappeur, achev la mme anne que la Cit Radieuse Marseille. Le 30 dcembre 1951, sur un coin de table, dans un petit casse-crote de la Cte dAzur, jai dessin, pour en faire cadeau ma femme pour son anni-versaire, les plans dun cabanon que je const