285
Cégep du Vieux Montréal Services pédagogiques Service de la recherche LE TEXTE ARGUMENTATIF ET Robert TREMBLAY • Jean-Guy LACROIX • Lise LACERTE en collaboration avec Fernande Charron et Gérard Noelting LES MARQUEURS DE RELATION

Le Texte Argumentatif Et Les Marqueurs de Relation

  • Upload
    jaime-m

  • View
    50

  • Download
    2

Embed Size (px)

Citation preview

  • Cgep du Vieux MontralServices pdagogiquesService de la recherche

    LE TEXTE ARGUMENTATIF ET

    Robert TREMBLAY Jean-Guy LACROIX Lise LACERTEen collaboration avec Fernande Charron et Grard Noelting

    LES MARQUEURS DE RELATION

  • le texte argumentatif et lesmarqueurs de relation

  • Cette recherche a t rendue possible grce une subvention verse par leministre de lducation du Qubec (MEQ) dans le cadre du Programme daide la recherche sur lenseignement et lapprentissage (PARA). Elle a t menepar les auteurs de juin 1992 juin 1994 au cgep du Vieux Montral (C.V.M.),de mme quau cgep de Ste-Foy et la polyvalente de Charlesbourg.

    On peut obtenir des exemplaires supplmentaires de ce rapport de rechercheauprs du service de recherche du cgep du Vieux Montral, 255 est rue Ontario,Montral (Qc), Canada, H2X 1X6.

    Dpt lgal : Bibliothque nationale du Qubec 3e trimestre 1994

    ISBN 2-921100-09-6

    Code de diffusion : 1532-0516

    Tous droits rservs, Cgep du Vieux Montral (1994) sauf pour le test desCoffrets , Grald Noelting, Facult de psychologie, Universit Laval.

  • Le texte argumentatifet les marqueurs derelationLe rle des marqueurs de relation et de ngation dans lalecture, lcriture et le raisonnement : une tudepdagogique comparative concernant les lves sourds,malentendants et entendants des ordres secondaire etcollgial

    par

    Robert TREMBLAY,

    Jean-Guy LACROIX,

    et Lise LACERTE

    Avec la collaboration de

    Fernande Charron et Grald Noelting

    Cgep du Vieux-MontralServices pdagogiquesService de la recherche

  • Cet ouvrage est ddi la mmoire de FernandeCharron avec tout notre respect et notreaffection.

  • CONTRIBUTIONS

    CHERCHEURS

    Robert Tremblay, chercheur principal, matre en philosophie, docteur ensmiologie.

    Jean-Guy Lacroix, chercheur associ, matre en philosophie.

    Lise Lacerte, chercheure associe, matre en linguistique.

    COLLABORATEURS

    Fernande Charron, matre en linguistique, spcialiste de la L.S.Q.

    Gino Coud, tudiant et assistant de recherche l'Universit Laval, dpartementde psychologie.

    Linda Lelivre, personne ressource pour les transcriptions vido et animatrice aucours des enregistrements, personne sourde.

    Grald Noelting, docteur en psychologie, professeur associ la facult depsychologie, Universit Laval, psychologue piagtien de renommeinternationale.

    Dominique Pinsonneault, matre en linguistique, spcialiste de la L.S.Q.

    Jean-Pierre Rousseau, tudiant en psychologie l'Universit Laval, assistant derecherche, professeur de psychologie au cgep de Ste-Foy.

    PROFESSEURS

    Audrez Castongay, professeur de franais et conseillre pdagogique auprs destudiants sourds, Cgep de Ste-Foy.

  • Elizabeth Gauthier, professeur de franais, tudiants entendants du Secondaire,Polyvalente de Charlesbourg, Qubec.

    Jean-Guy Lacroix, professeur de philosophie, tudiants sourds et entendants,Cgep du Vieux-Montral.

    Rita Perras, professeur de franais, tudiants sourds du secondaire, Polyvalentede Charlesbourg, Qubec.

    CONSEILLER EN STATISTIQUES, MESURES ET VALUATION

    Franois Lasnier, docteur en mesures et valuation, professeur dducationphysique au cgep de Ste-Foy, chercheur et consultant en recherche, formateuren mthodes quantitatives.

    RESPONSABLE DE LA RECHERCHE AU CEGEP DU VIEUX-MONTREAL

    Robert Laferrire, conseiller pdagogique.

    SUPPORT ADMINISTRATIF

    Daniel Fiset, directeur-adjoint des services pdagogiques du C.V.M.

    ILLUSTRATION ET GRAPHISME DE LA COUVERTURE

    Denis Desmarais, graphiste du CVM

    DITIQUE

    Robert Tremblay

    Nous tenons remercier chaleureusement toutes ces personnes sans lapassion, la comptence et le dvouement desquelles cette tude naurait pas vule jour. tous ceux-l et aux lves qui ont particip la recherche, noustenons transmettre nos plus sincres remerciements.

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 7

    RSUMCette tude porte sur la matrise des marqueurs de relation en comprhension eten rdaction des textes argumentatifs. Nous avons compar les performances de21 lves sourds et de 52 lves entendants des niveaux secondaire IV etcollgial 1 et 2. Nous avons mis au point un enseignement modulaire-programminspir de la pdagogie de la matrise portant sur les principaux marqueurs dengation (non, ne pas, ni ni), dimplication (donc, si alors, ) et decause (car, parce que, ).

    Nous avons pris des mesures en matire de comprhension de texte (lpreuveoriginale Parer), de rdaction (lpreuve originale Texdar), de niveau piagtien(lpreuve des Coffrets) et dautres mesures standard comme la frquencederreur et la maturit syntaxique. Les preuves originales mentionnes savrentfidles et valides. Ladaptation graphique du test des Coffrets savre trs utile.Nous montrons galement que la langue des signes qubcoise (LSQ) estparfaitement capable de rendre diverses formes de la ngation et delimplication.

    Notre tude consiste comparer les deux groupes et tenter damliorer lesperformances des lves en matire dcriture argumentative. Lhypothseprincipale stipule que les lves auraient d progresser grce ce programme,les lves sourds peut-tre un peu plus que les entendants. Lhypothseprincipale est rfute sur ses deux aspects. De telles amliorations sont lentes,car il faut compter sur une amlioration du traitement de dcodage-

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 8encodage et de construction des modles mentaux appropris aux fins dereprsenter et construire la macrostructure des textes.

    Nous avons cependant dcouvert que les lves sourds se caractrisent par uncart ngatif en matire de niveau piagtien (stade opratoire concret suprieur),de lecture et dcriture. Nous montrons aussi que les entendants ontgnralement atteint le stade opratoire formel infrieur et que leursperformances en lecture et en criture, mme si elles sont meilleures que cellesdes sourds, restent tout de mme assez basses.

    Nous avons trouv de nombreuses et significatives corrlations, notamment entrele niveau piagtien et les capacits de lecture et dcriture argumentative.Comme limportance de ces habilets est trs grande dans le succs des tudessuprieures, nous concluons quil faudrait laborer un programme correctif ladresse des personnes sourdes, car leur progrs du secondaire au collgial, enmatire de comprhension et de rdaction dmontre leur capacit atteindre leniveau requis sur les principaux indicateurs. Il faut aussi constater que lesperformances des lves entendants sont bonnes en matire de rflexionpropositionnelle, mais quelles laissent dsirer en matire de comprhension etde rdaction des textes argumentatifs.

    Nous faisons aussi tat de nombreuses tudes convergentes avec la ntre surdiffrents points : entre autres, celles de Deschnes concernant le rapport entre leniveau piagtien et les habilets en lecture et criture, celles de Noeltingconcernant la pense formelle des lves et celles de Dubuisson propos descaractristiques de la LSQ.

    En annexe, nous fournissons les lments requis afin de comprendre les tests etmthodes danalyse utiliss. Nous reproduisons le programme denseignementdes marqueurs de relation et nous reproduisons quelques exemples de textesdlves corrigs avec la grille Texdar.

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 9

    table des matires

    CONTRIBUTIONS 5RSUM 71. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 111.1 Problmatique gnrale 121.1.1 Dfinition du problme 121.1.2. tat de la question 151.2 Perspectives thoriques 201.2.1 Les marqueurs de relation et les langues signes 211.2.2 Les marqueurs de relation en franais 261.2.3 Langue et pense logique 301.2.4 La comprhension des textes 391.2.5 La production et la structuration des textes 461.2.6 La pdagogie du texte chez les personnes sourdes 491.2.7 La pdagogie de la matrise 521.3 Les objectifs de la recherche 581.4 Les hypothses de recherche 611.5 La thorie et l'exprimentation 622. MTHODOLOGIE 632.1 Le devis de recherche et les variables mesures 632.2 La population cible 652.3 Les instruments de mesure 672.3.1 Analyse de la langue des signes qubcoise 682.3.2 Le test des Coffrets 712.3.3 Parer, Texdar : des tests de comprhension et de production des textesargumentatifs 772.4 Validit et fidlit des instruments de mesure 832.5 Stratgie pdagogique 922.6 La cueillette et la vrification des donnes 942.7 Les mthodes statistiques utilises 993. RSULTATS 1013.1 Les marqueurs dans la langue des signes qubcoise 1013.2 Application du programme pdagogique 1043.3 Les rsultats quantitatifs 109

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 104. DISCUSSION DES RSULTATS 1334.1 Discussion en rapport avec les hypothses 1334.2 Discussion des rsultats en rapport avec le cadre thorique 1435. CONCLUSION 149BIBLIOGRAPHIE 155ANNEXES 163A.1 Test des Coffrets '93 (2 versions) 164A.2 Lpreuve Parer 187A.3 Lpreuve Texdar 199A.4 Une transcription des squences LSQ 209A.5 Donnes brutes 213A.6 Programme d'enseignement modulaire 225A.7 Notes sur les formes principales de raisonnement 265A.8 Quelques textes dargumentation 271

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 11

    1. INTRODUCTION ETRECENSION DES CRITSCette tude porte sur l'importance des marqueurs de relation (et de ngation)dans la matrise de la langue crite. Elle considre les marqueurs de relation dupoint de vue de leur importance dans la cohrence du texte et en tant quefoncteurs logiques. Le devis de recherche est quasi-exprimental et s'appuie surla comparaison entre 21 lves sourds1 et 52 lves entendants du secondaire IVet du collgial I. Ces lves ont t compars du point de vue de leur aptitude auraisonnement propositionnel (niveau piagtien), de leur comprhension de textesargumentatifs simples et de leur capacit rdiger de tels textes. Un programmede formation construit selon les principes de la pdagogie de la matrised'environ 10 heures leur fut prodigu. Des post-tests ont eu lieu. Nous avonsdonc galement cherch savoir si on pouvait amliorer ces habiletsrapidement en ciblant l'apprentissage sur les principaux marqueurs de relation etde ngation. Dans cette introduction nous allons prsenter les lments de laproblmatique qui nous a inspir ce devis.

    1. Dans cette tude nous employons des expressions comme sourds,lves sourds ou personnes sourdes pour dsigner indiffremmenttoutes les catgories d'lves sourds et malentendants, signeurs ou non,qui ont particip cette recherche. En outre, le masculin est utilis ausens gnrique uniquement dans le but dallger le texte et sans aucuneintention discriminatoire.

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 12

    1.1 Problmatique gnrale

    Il s'agit dans un premier temps de considrer avec toute l'attention requise leslments principaux du problme pos par le progrs cognitif et scolaire deslves sourds dans le contexte de groupes homognes de franais et dephilosophie.

    1.1.1 Dfinition du problme

    A la suite d'une premire recherche portant sur les meilleures formulespdagogiques requises pour l'apprentissage des concepts par les personnessourdes, Conceptualisation et surdit (Tremblay, Charron, 1992) nous avons pumettre en vidence l'importance cruciale de la matrise de la langue crite dans lacognition. Nous avons alors t en mesure de saisir les lacunes de la rechercheen pdagogie gnrale et encore plus en pdagogie adapte aux personnessourdes en ce qui a trait la comprhension des rapports entre langue et pense.En effet, nous avons l un cas inusit: plusieurs personnes sourdes utilisentcouramment la langue des signes qubcoise (LSQ) pour communiquer maiscette langue ne possdant pas de systme de transcription graphique propre(permettant la lecture et l'criture), ils doivent tudier et communiquer par letexte uniquement dans une langue seconde. Or la structure grammaticale etlexicale du franais et de la LSQ diffrent normment. En outre, plusieurspersonnes sourdes qui ne matrisent pas une langue signe, ou l'utilisent commeune langue seconde, ne matrisent pas non plus le code du franais crit, celamalgr les efforts et les ressources considrables consentis en ce domaine parl'tat et par divers organismes communautaires. On peut d'emble affirmer quenotre connaissance limite des caractristiques de la LSQ et des mcanismes del'apprentissage de la lecture et de l'criture chez les personnes sourdes sont desfacteurs qui peuvent expliquer en partie la faiblesse des rsultats obtenus. Etantdonn l'importance du texte dans la transmission des matires scolaires commedans la vie sociale pour s'informer comme pour s'exprimer le problmedes rapports entre langue et pense chez les personnes sourdes devrait nousproccuper au plus haut point.

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 13Nous avons pu constater que les personnes sourdes semblent avoir une trsgrande difficult saisir les lments et les structures logiques d'un texte toutaussi bien qu' structurer leurs propres crits en respectant le caractreargumentatif des textes raisonns. Les lves entendants prouvent desdifficults semblables, surtout s'ils ont des problmes en franais crit, mais undegr moindre. Faisant souvent appel des illustrations, exemples oucomparaisons, bref des procds analogiques, la plupart des lves prouventla plus grande difficult structurer logiquement leur discours et semblent nepouvoir livrer que des impressions, des sentiments ou des opinions qui ne sontnullement appuys sur des faits ou des arguments acceptables. Inversement, laplupart prouvent la plus grande difficult saisir l'ide directrice d'unparagraphe et confondent souvent celle-ci avec le principal exemple ou le trait leplus frappant (de leur point de vue) de l'expos de l'auteur.

    Nous croyons qu'il y a un lien direct entre ces difficults dans l'apprentissagescolaire et le dficit linguistique des lves sur le plan du texte comme vhiculed'ides. Ces difficults sont encore plus grandes chez les lves sourds puisqueceux-ci sont gnralement assez faibles en franais. Par contre, toutes lesdonnes (fort nombreuses) dont nous disposons pointent vers la conclusionsuivante: les personnes sourdes, mme les personnes sourdes de naissance, n'ontaucun dficit cognitif quelles que soient les aptitudes intellectuelles testes(Sacks, 1989). Les difficults rencontres par les lves sourds dansl'apprentissage des concepts abstraits sont plus complexes dans le cas des lvessourds dont la LSQ est la langue maternelle, tant donn que ces dernierspensent dans une langue qui diffre fondamentalement du franais. Lacomprhension de ces problmes est essentielle au dveloppement d'unestratgie pdagogique adapte.

    Aussi croyons-nous qu'il est de toute premire importance de s'interroger sur cesrapports entre langue crite et pense logique. Cette problmatique estvidemment encore trop vaste, aussi il faut la prciser. Du point de vuelinguistique, la comprhension juste et l'usage correct des marqueurs de relationet de ngation (conjonctions, adverbes, etc.) est un signe vident de maturit

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 14syntaxique (Brouillet, Gagnon, 1990). Par ailleurs, les rapports logiques entre lesides dans un texte sont galement indiqus travers ces marqueurs de relationet de ngation qui prennent aussi quelquefois valeur de connecteurs logiques(Lacharit, 1987). Aussi, il faut concentrer notre attention sur ceux-ci dans leurdouble caractre de structurants du texte et de foncteurs logiques.

    Cette question est encore trs vaste, la comprhension de la logique des languesnaturelles est un chantier de recherche trs actif mais encore incertain et notreconnaissance linguistique de la LSQ sur ce point est trs limite, bien que desprogrs importants aient t raliss rcemment (notamment chez Lacerte,Dubuisson, Pinsonneault). Sil faut chercher restreindre le plus possible l'objetde notre investigation, nous considrerons que la logique la plus lmentairemais aussi la plus solide, le calcul des propositions, traduit l'ensemble desrapports logiques l'aide de quatre foncteurs lmentaires: la conjonction, ladisjonction (inclusive), l'implication et la ngation. Ces rapports logiquespeuvent tre videmment traduits en langue naturelle (franaise) par plusieursmarqueurs de relation et de ngation. Cependant nous pouvons tous lesretranscrire (dans le mme ordre que precdemment) dans les formeslmentaires suivantes (et leurs quivalents logiques): donc, parce que, ne...pas... Il faut tenter de saisir comment ces connecteurs logiques sont rendus enLSQ, comment ils sont compris lors de la lecture de textes d'ides et comment ilssont utiliss dans la rdaction. Si une pdagogie attentive ces marqueurs derelation et de ngation russit modifier sensiblement les performances deslves en lecture, en criture et en raisonnement, alors nous pouvonsraisonnablement escompter qu'il en serait de mme avec tous les marqueurs derelation et de ngation ayant une certaine valeur logique.

    Il faut, en outre, comparer les comportements linguistiques et logiques desentendants de classes rgulires (francophones) et des personnes sourdes(utilisateurs rguliers de la LSQ ou du franais). Une telle tude doit dbouchersur le dveloppement de mthodes d'interventions pdagogiques susceptibles derpondre

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 15

    adquatement aux difficults rencontres par les lves de toutes ces catgories.

    1.1.2. tat de la questionDepuis la fin des annes 70, les travaux concernant les activits de lecture etcriture se sont multiplis en Europe et en Amrique du Nord. Ici, au Qubec, etplus particulirement dans nos collges, si certains professeurs et chercheurs (telRoland Houle du Collge de l'amiante) se sont directement intresss auprocessus de lecture, d'autres (tels les Ribes et Blanger du Collge de Trois-Rivires) visant amliorer les capacits de production crite des tudiants, sesont vous une approche et une intervention correctives de la langue. D'autresencore (tels les Dsilets et Roy du Collge de Rimouski ou les Ploquin et al. duCollge de Bois-de-Boulogne) se sont tourns vers le caractre structurel de lalecture et de l'criture tentant tout comme c'tait le cas dans le rapport ducomit de la Commission des Affaires pdagogiques de la Fdration des cgepsintitul L'aide l'tudiant en difficult d'apprentissage de qualifier lestudiants pour le discours logique, le raisonnement ou l'argumentation. Dans lemme texte, on peut lire la recommandation qui suit: Pour le professeur defranais, il s'agirait d'insister sur la comprhension et l'expression des ides; (...)pour le professeur de philosophie, d'identifier les exercices mettant l'preuve lalogique des tudiants; (...).

    Toutes les tudes concernant les comptences en lecture et en criture despersonnes sourdes (Quigley & Paul, 1984; Lacerte, 1989; Martin, dir. et al.,1989, etc.) dmontrent que celles-ci accusent des retards par rapport auxpersonnes entendantes, peu importe la langue orale servant de pivot l'tude.Les difficults identifies concernent le vocabulaire et la syntaxe des languesorales. Cependant, quelques sourds ont des comptences en lecture comparablesaux entendants (Quigley & Paul, 1984, p.138). Quelques chercheurs (Charrow,1974; Ewoldt, 1986; Lacerte, 1989) ont observ que l'analyse traditionnelle(base sur la comparaison avec les entendants) montre l'agrammaticalit destextes produits par ces lves alors qu'une analyse descriptive met en relief la

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 16

    spcificit de l'criture sourde et en fait ressortir les rgularits .2 Ainsi, ellesparlent de deaf english (Charrow, 1974) ou d'criture sourde (Lacerte, 1989).Dans cette perspective, les recherches rcentes (Ewoldt, 1986; Akamatsu, 1987)mettent l'emphase sur les mcanismes de comprhension et de production d'unelangue orale par les personnes sourdes, afin d'exploiter ces connaissancesimplicites qu'elles ont de leur langue signe pour laborer des mthodesd'enseignement des langues orales adaptes aux locuteurs de langue signe.

    Ailleurs dans les sciences cognitives, des tudes sur la comprhension et laproduction de textes chez les entendants nous ont aid situer et prciserl'objet de nos recherches et interventions. En effet, quel que soit le modle utilispour analyser ces oprations, c'est--dire que l'on considre que l'individu partdu local pour aller au global (modle bottom-up) ou du global pour comprendrele local (modle top-down), dbat qui concerne indirectement notre recherche,certains processus psychologiques ont t dgags l'activation, laconstruction de la signification, la mmorisation, etc. qui doivent intervenirdans le contexte particulier qui nous occupe. Certaines de ces recherchescontribuent directement justifier notre intrt pour les marqueurs de relation etde ngation. Ainsi, les Brooks et Dansereau (1983), Englert et Hiebert (1984),Jonassen (1982), Kintsch et Van Dijk (1984), Taylor (1980), Walker et Meyer(1980) considrent que: L'organisation constitue une caractristique textuellequi joue un rle fort important dans la mmorisation et la comprhension detextes. 3 Meyer, linstar de Horowitz (1985), pense (...) qu'une plus grandequantit de ces mots charnires (marqueurs de relation) facilite la comprhensionet la mmorisation lors d'une tche de rappel immdiat, en particulier pour leslecteurs faibles. 4 Ce type de mots aurait un effet sur la cohrence de lareprsentation mentale

    2. Lacerte. 1989, p. 39.

    3. Deschnes, 1986, p. 26

    4. Ibid., p. 23.

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 17que se construit le lecteur, ce qui faciliterait la mmorisation. prcisent Vzin etVzin (1982).5

    Sur le plan de la logique dans les langues naturelles et plus particulirement ence qui concerne l'tude des connecteurs logiques dans le texte, nous devons direque les tentatives pour dcrire les langues naturelles sur une base purementlogique, et a fortiriori les tentatives pour rduire les marqueurs de relation etde ngation des connecteurs logiques; voir, par exemple, Vignaux (1976) propos des connecteurs et Martin (1987) sur le ne expltif ont chou parceque dans leur essence les langues naturelles ne sont pas des systmeslogiquement bien dfinis, consistants et complets. Ainsi Ducrot affirme: Dansla mesure o l'infrence relie d'abord les propositions, et ne relie les noncs quepar contrecoup, le linguiste ne saurait tre charg de dcrire l'infrence. 6 Maisil affirme aussi plus loin: ... cela n'implique nullement que la valeur d'unnonc ne comporte pas parfois, comme partie intgrante, certaines desinfrences que cet nonc autorise. 7

    Cest justement le cas des textes d'ides qui en plus d'informer, c'est--dire derendre explicites certaines propositions lementaires, argumentent, c'est--diretentent de convaincre, notamment par des raisonnements, de la vrit decertaines propositions drives. Or, ces propositions sont lies les unes auxautres par des marqueurs de relation qui quelquefois tablissent des rapportslogiques entre elles. Cette dimension est fondamentale justement par soncaractre logique qui est gnralement central dans l'enseignement, qu'il s'agissede sciences, de techniques, de thories littraires ou de philosophie, pour nedonner que quelques exemples.

    videmment, on ne saurait ramener les rapports logiques exprims dans lesnoncs un systme aussi simple que le calcul des propositions ou mme lalogique des prdicats du premier ordre.

    5. Ibid., p. 24.

    6. Ducrot, 1989, p. 76.

    7. Ibid.

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 18Comme l'crit Van Dijk: ... une logique du premier ordre (...) est trs peuadapte cette tche. Elle ne peut pas reprsenter des adverbes, ses symbolesconnecteurs sont trop rigides pour reprsenter des conjonctions, elle ne contientpas des temps verbaux ni des articles et ses oprateurs de quantifications sontincapables de rendre la multiplicit des adjectifs/adverbes de degr de la languenaturelle .8 Aussi propose-t-il de s'orienter plutt vers des logiquesmultivalentes, dontiques et modales.

    Mais cette ide rductionniste n'est pas un prsuppos de notre tude puisquenous ne pensons pas que les marqueurs de relation et de ngation soient toujoursdes connecteurs logiques, ni mme qu'ils doivent invariablement tre compriscomme tels dans tous les contextes et les usages possibles. Notre prsuppos esten quelque sorte l'inverse: nous partons des relations logiques du calcul despropositions parce que ce systme est capable de reprsenter un trs grandnombre de connexions importantes dans l'enchanement des ides et que nouscherchons comprendre quand et comment les marqueurs de relation et dengation sont vhicules de ces relations logiques. En effet, nous pouvonsmontrer, suivant Lacharit (1987), que les textes raisonns comportent unebonne part d'argumentation logique et nous pouvons aussi constater quel'incapacit comprendre ou tablir de tels rapports entre les ides est un grandhandicap pour le dveloppement des facults cognitives de toutes les catgoriesd'lves. En restreignant notre tude aux connecteurs logiques les plus communs,nous obissons un principe d'conomie, mais ce qui est vrai pdagogiquementde ces derniers devraient l'tre a fortiriori des marqueurs de relation et dengation plus complexes.

    En ce qui concerne la situation particulire des personnes sourdes etmalentendantes, il faut dire tout d'abord que les recherches linguistiquesconcernant les langues signes sont relativement rcentes (Klima et Bellugi,1979). Tous les procds d'nonciation de toutes les catgories grammaticalesconnues des langues orales n'ont pas t identifies en langues signes. Au coursdes dernires

    8. Van Dijk, 1972, p. 91.

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 19

    dcennies, des chercheurs ont identifi quelques procds d'nonciation decertaines catgories grammaticales dans diffrentes langues signes dont lesprpositions en langue des signes belge (De Vriendt et Rasquinet, 1990), lesdterminants en langue des signes amricaine, ASL (Zimmer et Patschte, 1990),et les pronoms en BCSL et ASL (Berenze et Ferreira-Brito, 1990). Par contre,les marqueurs de relation et de ngation n'ont pas t l'objet d'tudesparticulires. Toutefois, en ASL, Roy (1989) a not que l'adverbe now peutservir de marqueur de relation lorsqu'il est en dbut de phrase, qu'il est signaprs une longue pause, qu'il n'y a pas de tenue la fin et qu'il apparat avec letopique de la phrase. Dans un des cas mentionns, la position du corps changelgrement vers la droite. Contrairement au marqueur de relation, le marqueurtemporel now, qui peut se signer galement en dbut de phrase, n'est pas li autopique. Pour avoir la valeur smantique d'un marqueur de relation, now doitavoir la tenue finale sur chacune des mains et ne pas tre prcd de pauses.

    En LSQ, la recherche est encore plus jeune. En 1984, Bousquet, Charron et St-Germain dcrivent quelques mcanismes linguistiques de la langue. Bourcier etRoy prsentent en 1985, le premier dictionnaire de la langue des signesqubcoise. En 1990, Pinsonneault termine son mmoire de matrise sur lessignes chos en LSQ. Suite au premier Colloque sur la LSQ qui a lieu l'UQAMen 1989, une parution des communications les plus importantes est faite dans laRevue qubcoise de linguistique thorique et applique.9 Enfin, un recueil detextes sous la direction de Dubuisson et Nadeau vient de paratre.10 Ce sont lquelques-unes des publications d'ordre linguistique sur le sujet. Sur le plan dessolutions pdagogiques que nous envisageons, la fois les conclusions deConceptualisation et surdit (Tremblay, Charron, 1992) et les trs nombreusestudes qui ont eu cours au Qubec sur la question (comme les recherchesPARA qui ont t faites

    9. Fournier, 1991. Mentionnons galement Poulin, La ralisation de larfrence en langue des signes qubcoise : une question de point devue, mmoire de matrise lUqam. et Maccabe, 1993.

    10. Dubuisson et al., 1993.

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 20Shawinigan et Sherbrooke, pour ne mentionner que les plus connues) nous ontmontr la pertinence des mthodes d'enseignement modulaire-programm, dontle Mastery learning (ci-aprs traduit comme pdagogie de la matrise)reprsente le modle d'enseignement collectif le plus complet (Dallaire, 1987,Gilbert, 1987). Cette pdagogie n'a jamais t applique au Qubec l'enseignement du rle des marqueurs de relation et de ngation ni l'enseignement aux personnes sourdes.

    Nous avons voulu savoir si un enseignement spcifiquement centr sur lesmarqueurs de relation et de ngation peut amliorer les rsultats des lves enlecture et en criture, de mme que leurs aptitudes au raisonnement. Nous avonsaussi voulu savoir si les performances des lves sourds et entendants sontcomparables et quelles sont les difficults particulires de chaque groupe (s'il y alieu). Plus spcifiquement, nous voulons comprendre les problmes despersonnes sourdes et malentendantes qui pratiquent la LSQ en rapport avec leurcomprhension des rapports linguistiques et logiques instaurs par les marqueursde relation et de ngation dans les textes franais, tout en comparant cesmarqueurs leurs quivalents en LSQ, de manire dpister quelques causesstructurales de mcomprhension interlinguistique. Bref, nous avons voulusavoir quel est le rle de certains marqueurs de relation et de ngation caractre logique dans la comprhension et la rdaction des textes raisonns etdans le raisonnement en gnral.

    1.2 Perspectives thoriques

    Dans cette partie, il nous parat important d'approfondir les questions de naturethorique immanentes notre problmatique. Nous ferons le point de plusieurstudes portant sur les langues signes, les rapports entre langue et penselogique, la comprhension et la production des textes argumentatifs et lesquestions pdagogiques affrentes notre devis.

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 21

    1.2.1 Les marqueurs de relation et les langues signes

    A. La ngation.

    Les langues signes sont parfaitement mme de rendre les diverses formes dela ngation logique. La ngation qui se retrouve tant dans les formesinterrogatives, exclamatives que passives se manifeste dans les langues signessoit dans la composante manuelle (au niveau lexical ou au niveaumorphologique) soit dans la composante non manuelle du signe.

    Dans la composante manuelle, au niveau lexical, certains signes sontexplicitement ngatifs. Certains chercheurs11 numrent les signes NOT, NOT-YET, NEVER, CAN'T, NOTHING, NOT POSSIBLE pour l'ASL tout enprcisant qu'ils suivent immdiatement les lments qu'ils nient. Moody notepour la LSF les signes NON, RIEN, PAS-ENCORE qui se font gnralement enfin de phrase et qui sont des quivalents de ceux numrs pour l'ASL. Bergman(1984) signale en SSL (Sweedish Sign Language) l'unit lexicale INTE qui sesigne en fin de phrase et dont l'usage indique l'emphase.

    Au niveau morphologique, la ngation est incorpore dans le signe en modifiantle mouvement par un mouvement d'loignement par exemple. L'incorporationdans un signe et son utilisation suffit elle seule pour marquer la ngation. Ildevient donc inutile d'utiliser une autre forme de ngation sauf s'il s'agit d'unrenforcement.

    Quant la composante non manuelle qui fait partie intgrante du signe, elle estutilise seule ou en combinaison avec la composante manuelle. Selon Veinberg& Wilbur (1990), il semble que le non manuel joue un rle plus important entant que marqueur grammatical qu'lment lexical. Le hochement de ttehorizontal accompagn d'une certaine expression faciale (le froncement dessourcils, les yeux plisss et la bouche dont le coin des lvres descendent) peut lui seul rendre la phrase ngative sans aucun autre signe manuel ncessaire(Liddell, 1980). Il s'agit sans doute du

    11. Moody, Bill, 1983; Fant, Lou, 1983.

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 22comportement le plus frquent dans la ngation. Les marqueurs non manuelssemblent obligatoires selon Coerts (1990) et surviennent dans la plupart desphrases au mme moment que les marqueurs manuels. Un signe ngatif (NOT,NOT-YET, NEVER) peut tre accompagn du hochement ngatif puisqu'il nechangera pas la polarit de la phrase (Liddell, 1980).

    Le hochement de tte ngatif doit accompagner toute la phrase ngative et nonseulement une partie de celle-ci. Tous les signes excuts au mme moment quele hochement subissent la porte de la ngation.

    Pour qu'une phrase soit comprise en fonction de la modalit ngative, un itemlexical ngatif, un hochement de tte ou les deux la fois doivent tre prsents.La prsence du hochement de tte horizontal accompagn d'une expressionfaciale particulire est considre optionnelle lorsqu'un item lexical ngatif estprsent dans la phrase. Certains signes lexicaliss ngativement peuvent leurtour tre optionnels si le hochement marque dj la ngation. S'ils sont utilissmalgr tout, ils marquent l'emphase. Coerts (1990) dmontrent que lesmarqueurs non manuels se joignent toujours la ngation signe, mais prciseque si l'information transmise est connue, alors la superposition des composantesnon manuelle et manuelle n'a pas lieue.

    Les tudes concernant la ngation en LSQ sont peu avances. Le Groupe deRecherche sur la LSQ de l'UQAM procde actuellement une analysed'occurrences extraites de leur corpus afin de recueillir certaines donnes sur langation. Les formes de ngation existantes dans les autres langues signessemblent prsentes en langue des signes qubcoise.

    B. Les marqueurs de relation (donc, parce que, etc.)

    notre connaissance, trs peu de recherches ont t menes sur les marqueursde relation dans les diverses langues signes travers le monde. Certainsmarqueurs, les plus populaires comme par exemple BECAUSE, IF, MEAN,THEREFORE sont relevs en tant qu'lment lexical. La configuration, lemouvement, la localisation

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 23et l'orientation du signe sont connus, mais non son utilisation dans la phrase ni lasignification qu'il prend dans la langue. C'est pourquoi il nous a fallu dmontrerempiriquement l'existence d'un marqueur de consquence, DONC, et de lasimilitude de ses fonctions en LSQ par rapport celles du franais.

    La faon de marquer la condition a intress plusieurs linguistes. Baker &Cokely (1980) mentionnent que la squence sur laquelle porte la condition estaccompagne de sourcils relevs et possiblement de certains autrescomportements non manuels tels que le nez pliss, le hochement ou autrespositions de la tte. Ils notent galement une pause suivie d'un relvement dessourcils et d'un changement dans l'orientation de la tte ou du corps. SelonCoulter (1978, 1979) les sourcils doivent effectivement tre relevs, mais ilajoute que le menton doit lui aussi tre relev.

    Baker-Shenk & Cokely (1980) dans leur ouvrage sur l'enseignement de l'ASL, auchapitre sur les conditionnelles, signalent qu'elles sont construites en deuxparties. La premire fait tat d'une condition accompagne d'un comportementnon manuel qui se signe toujours au dbut et la seconde du rsultat. la jonctiondes deux propositions, une pause permet le changement de plusieurs canaux nonmanuels qui s'adaptent selon le type de phrase (interrogative, imprative,affirrnative). De plus, certains signes indiquent parfois la condition: SUPPOSE,#IF, le wiggly F peuvent apparatre en dbut de phrase.

    En essayant de comprendre le rle que joue la langue des signes dansl'enseignement du franais crit chez les sourds, Mas12 souligne que laconnaissance de la LSF permettra de reconnatre la causale et la subordonne deconsquence. Il rappelle que l'introduction du nouveau signe PARCE QUE dansla langue ne signifie pas que la cause et la consquence n'existent pas. Aucontraire, il attribue ces rles aux signes FAUTE et APRS QUOI (faussequestion) qu'il illustre par les exemples suivants:

    12. Mas, 1983, p. 82.

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 24 La voiture a gliss parce qu'il y avait de la neige. peut se signer comme suit:

    VOITURE A GLISS FAUTE NEIGE

    Il y avait de la neige si bien que la voiture a gliss.

    NEIGE L APRS QUOI VOITURE GLISSER

    Une tude mene par Roy (1989) cite quelques marqueurs de discours colligsau cours de confrences de type informel et social donnes en American SignLanguage (ASL): hochement de tte, les signes OK, ANYWAY, NOW etNOW-THAT. L'auteur analyse plus particulirement le signe NOW qui s'utilisede deux faons distinctes. La premire est un marqueur temporel bimanuelsignifiant maintenant qui se place en position initiale d'une squence. Ladeuxime agit en tant que marqueur de discours et annonce un changement desujet. Le signeur lance ainsi un appel aux auditeurs afin qu'ils portent leurattention sur le sujet suivant. Il apparat galement en position initiale et peutaccompagner un topique contrairement au premier NOW qui ne peut le faire. Ilse ralise deux mains, paumes vers le haut mais en ajoutant une tenue finale.

    Now, as for the male fish, (he) is very jealous.

    NOW MALE FISH SELF VERY JEALOUS

    The fish decides to begin breeding now.

    FISH DECIDE BEGIN NOW BREED

    Une dernire approche suggre une perspective diffrente dans la recherche surles marqueurs. Fischer & Lillo-Martin (1990) abordent une constructionlinguistique qui, selon elles, n'a jamais t discute auparavant en ASL. Lesauteurs tudient le comportement du signe UNDERSTAND qui premire vueressemble un verbe, mais qui, aprs analyse, diffre de ce dernier tant auniveau phonologique, syntaxique que smantique. Le signe

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 25

    UNDERSTAND est un verbe lorsqu'il n'est pas flchi c'est--dire qu'il est fait l'aide d'un seul mouvement. Il adopte une signification diffrente lorsque lemouvement est rpt et lorsqu'un comportement non manuel particulier s'ajoute.Les sourcils relevs, l'avancement du menton, la lvre releve et l'ouverture desyeux sont associs au signe UNDERSTAND. Selon les locuteurs, il sembleexister trois utilisations distinctes. La premire se traduit en anglais parprovided that:

    ME GONE EUROPE, UNDERSTAND' FLY-THERE-DIRECTLY

    I will go to Europe provided I can get a non-stop flight.

    La seconde se traduit par contrary to expectation :

    ME GO-TO GALLAUDET UNDERSTAND' ME NOT MAJOR BUSINESS

    I'm going to Gallaudet, but not to major in business.

    La dernire utilisation est une forme de clarification.

    ME FINISH TOUCH TORONTO, UNDERSTAND' NOT-YET SIGHT-SEE-LEISURELY *#, ME NOT-YET

    I've been to Toronto, though I haven't really had a chance to really see it.

    Les auteures prcisent qu'il existe clairement un noyau smantique se rattachant l'ide de comprhension chez le rcepteur. Il s'agit d'un verbe qui s'esttransform en une conjonction qui s'emploie entre des propositions. FINISH'conjonction adverbiale drive du verbe FINISH (Fischer & Gough, 1972),WRONG/WRONG', SUCCEED/SUCCEED', HAPPEN/HAPPEN' sont d'autrespaires de signes prsentant les mmes caractristiques. Ces drivations seretrouvent aussi dans la langue chinoise et franaise par exemple. On voit doncclairement que certains rapports de cause, de consquence ou de restrictiontrouvent des formes d'expression fort diffrentes dans les langues signes.

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 26Une avenue pour l'instant encore non explore, mais nanmoins intressantedans le cadre des marqueurs de relation est l'utilisation de l'encodage parallle.13Frishberg14 parle de la dominance manuelle dans les signes en ASL et duchangement de main possible mais non obligatoire dans la transmission dumessage. Un tel changement permettrait la mise en valeur de l'opinion dusigneur. Gee & Kegl (1983)15 abordent la simultanit comme la manire demarquer le topique du discours. Il serait plausible de penser que ces encodagesparallles pourraient tre un des procds marquant les relations entre despropositions. La discussion souleve par Frishberg au sujet de la dominancemanuelle semble encore plus intressante puisqu'elle permet de croire qu'unemain pourrait signer une proposition dont le dernier signe par exemple seraittenu et qui serait suivie d'une autre proposition signe cette fois par la secondemain. Il ne s'agit pas exactement dans ce cas-ci de simultanit, mais d'uneopposition possible entre les propositions. (Exemple: L'quipe de baseballrouge rgresse alors que la jaune progresse. ) Des recherches ultrieurespermettront de vrifier cette hypothse.

    Bref, les diffrentes tudes dont nous avons fait tat dmontre de maniregnrale que divers marqueurs de relation sont utiliss dans les langues signes.Il nous reste donc simplement dmonter l'existence de rapports d'implicationen LSQ et tudier ses modalits.

    1.2.2 Les marqueurs de relation en franais

    Par dfinition, les marqueurs de relation tablissent les liens entre les noncs etles ides, facilitant la comprhension du discours et du texte un niveau logique.A l'oral, leur utilisation semble se faire de

    13. Miller, C. & Dubuisson, C. (1992) dfinissent l'encodage paralllecomme l'encodage simultan d'informations lexicales indpendantesutilisant plus d'un canal (p. 11)14. Frishberg, 1975.

    15. Gee & Kegl, J, 1983.

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 27

    faon plus spontane qu' l'crit o un apprentissage s'avre ncessaire pourmarquer les relations entre paragraphes.

    Dessureault-Dober (1974) dans son mmoire de matrise fait l'tude de certainscoordonnants logiques et de marqueurs d'interaction en franais qubcois.Selon les classes sociales et professionnelles des locuteurs, leur ge ainsi que lesniveaux de langues, les termes employs dans une conversation changent. Onretrouve Ca fait que ou faque au niveau familier, dans la classe populaire etchez les jeunes professionnels alors que le donc et le alors se retrouventchez les plus gs et dans un niveau de langue soutenu. Ces trois variantesmarquent la consquence dans la langue orale.

    Malgr que certains marqueurs soient utiliss oralement, le passage l'crit n'enest pas facilit. En effet, la relation tablie par faque l'oral ne se transposepas facilement dans un franais standard crit. De plus, toutes les relations quisont cres par une pause du discours ou par des liens implicites rtablis parinfrence par le rcepteur sont frquemment inconscients et non transfrs l'crit.

    Les connecteurs ou les conjonctions de coordination se rencontrentprincipalement l'intrieur de la phrase. Ces mots ou groupes de motsinvariables servent joindre des mots, des groupes de mots, des propositions demme nature ou des propositions subordonnes aux propositions dont ellesdpendent. A l'intrieur d'un texte, leur utilisation devient souvent moinsfrquente. Pour qu'un texte soit intelligible, il est ncessaire de pouvoir tablirdes relations smantiques entre les phrases et les paragraphes. Les connecteurscontribuent cette cohrence, mais s'il sont absents, les liens s'tablissent l'aided'autres moyens. Les temps de verbes permettent de connatre la chronologie desvnements par exemple. Un savoir partag entre le destinateur et le destinatairepeut galement rendre un discours cohrent, mais il est prfrable pour une justecomprhension, de s'assurer que les rfrents soient connus et identiques.

    Lerot16 fait un inventaire, qui semble adquat, de toutes les relations smantiquesqui unissent les phrases d'un texte l'aide de connecteurs et qu'il divise en septcatgories. Il note d'abord, les

    16. Lerot, Jacques. 1993

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 28relations squentielles dans lesquelles sont regroupes les connexionstemporelles (d'abord), les connexions d'ordre (premirement) et lesconnexions binaires (d'une part). En second lieu, les relations de causalitcomprennent les connexions causales (car), les connexions conscutives(donc) et les connexions finales (dans ce but). Les relations logiquessuivent avec les connexions additives (et), les connexions alternatives(sinon) et les connexions d'quivalence (c'est--dire). Les connexions desynthse (en gnral), les connexions d'laboration et celles d'illustrations fontpartie des relations d'extension. En cinquime lieu viennent les relations decomparaison avec les connexions de similitudes (ainsi) et de contraste (parcontre). Les relations restrictives incluent les connexions d'opposition(mais) et correctives (plutt). Finalement, les relations organisationnellescomprennent les connexions rsumantes (bref) ainsi que les connexions derupture (en tout cas). Indpendamment du vocabulaire quil utilise, on voitque le nombre et la diversit des marqueurs de relation ont pour effet derelativiser grandement lattention exclusive que nous avons apport aux seulsmarqueurs de limplication et de la ngation.

    Pour mesurer la maturit syntaxique de l'lve, qui voque un stade o estparvenu un jeune d'ge scolaire dans son appropriation des diverses stratgiessyntaxiques disponibles dans sa langue 17, nous avons utilis l'unit decommunication (UC) telle que dfinie par Loban18 comme mesure d'analyse.L'UC s'explique par un groupe de mots auquel on ne peut rien enlever sansentraner une perte de sens. Elle correspond en fait la phrase de la grammairetraditionnelle qui comprend la racine et l'enchsse. Son utilisation vite lesproblmes causs par une surcoordination et une ponctuation arbitaire deslves.

    17. Brouillet et Gagnon, 1990, p. 7.

    18. Loban, W., 1976.

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 29

    La longueur de ces UC est l'un des indices permettant d'identifier le niveau dematurit syntaxique d'un sujet et cest le seul pour notre part que nousretiendrons. Comme le rapportent Brouillet et Gagnon19, toutes les recherchessur la maturit syntaxique, sans exception, confirment l'allongement de l'UCavec l'ge du scripteur . Cest une mesure simple et gnralement fiable, bienquon puisse imaginer des cas dexception.

    Les UC des sujets forts en syntaxe doivent non seulement contenir un nombre demots levs par UC, mais aussi tre composes du plus grand nombre possiblede structures diffrentes dans toutes les catgories.

    Brouillet et Gagnon rappellent que dans les corpus de Hunt20 pour la 12e anne,un nombre de 14,4 mots a t not par UC alors que dans celui de Patrice21 pourle secondaire 5, un nombre de 11,44 mots avait t relev. Dans leur proprerecherche, ils constatent pour les tudiants de premire anne du niveau collgialun nombre de mots de 17,9.

    Les UC courtes disparaissent progressivement dans le corpus de Hunt passantentre la 4e anne et la 12e de 43% 10% alors que les tudiants en collge 1, 2et 3 marquent un rythme contraire, passant de 13,9% 20,7% pour terminer 25%. Quant aux UC longues, Hunt parle d'une progression allant de 15% 58%jusqu 100% en 12e anne. Brouillet & Gagnon remarquent une progressionquasi inexistante entre les trois annes du collgial (97%, 89% et 100%). Lesauteurs concluent qu'au niveau collgial la progression identifie par Hunt entrela 4e du primaire jusqu' la fin du secondaire et jusque chez les journalistessemble interrompue ou ralentie. Ils proposent comme mesures indicatives leschiffres suivants pour le niveau collgial :

    19. Op.cit., p. 27.

    20. Hunt, K., 1970.

    21. Patrice, Y., 1979.

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 30- UC de longueur moyenne de 14 mots au moins au stade A.

    - UC de longueur moyenne de 15 19 mots au moins au stade B.

    - UC de longueur moyenne de 20 mots et plus au moins au stade C.

    Comme deuxime mesure, ils suggrent pour les UC courtes (moins de 9 mots)au niveau collgial les rsultats suivants :

    - stade A: 27,3% d'UC courtes

    - stade B: 21,4% d'UC courtes

    - stade C: 10,9% d'UC courtes

    Dans le cas de notre tude, nous avons port notre attention principalement surl'utilisation des marqueurs de relation eux-mmes. Nous avons relev tous lesmarqueurs faisant un lien entre les propositions et les paragraphes et nous avonstabli un pourcentage d'utilisation correcte de ceux-ci par rapport au nombre demots contenus dans le texte. Toutes les UC ont t retenues. Les marqueurs(conjonctions, locutions, conjonctives, adverbes, etc) ont t rejetts lorsque leuremploi s'avrait incorrect.

    1.2.3 Langue et pense logique

    On ne peut viter de discuter, serait-ce sommairement, le difficile problme desrelations entre langue et logique. On admettra d'emble que l'expressionlinguistique ne suit pas les rgles canoniques de la logique. Cela tant justementl'une des principales raisons qui amnent les logiciens dvelopper des systmesformels. Il ne s'agit pas ici simplement de reconnatre le fait que la langue permetde tenir des raisonnements illogiques (les systmes formels aussi le permettent),mais plutt le fait que l'expression et l'enchanement des ides dans la langue nesemble pas suivre l'ordre et les rgles prvues par la logique. Invoquons toutd'abord les tournures rhtoriques: Si tout le monde le fait, fais-le donc toiaussi, qui serait classer parmi les sophismes, n'en constitue pas

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 31

    moins un argument convaincant dans bien des cas. On peut ensuite invoquer lescas de phrases grammaticales et smantiquement correctes qui produisent desactes illocutoires indirects dont la logique est chercher plutt dans le contexteque dans leur contenu assertif. Si tu me promets de venir, je viendrai aussi.Mais si tu ne me le promets pas, je viendrai quand mme. Tu me chercherasenfin, mais je ne serai pas l! Bref, argumenter et convaincre ne relvent pastoujours de la logique, mais de la rhtorique et du contexte de valeurs affectivesou sociales communment partages. Par ailleurs les expressions employes parles logiciens pour illustrer les rgles qui devraient rgir le discours, ont quelquechose d'artificiel qui fait ressortir le fait que les gens ne s'exprimentordinairement pas ainsi et doivent donc livrer leurs raisonnements, mmelogiquement corrects, d'une autre manire. On imagine mal, par exemple,quelqu'un expliquer: Les livres sont utiles. Les choses utiles sont bonnes doncles livres sont de bonnes choses.

    Cela tant reconnu, il n'en demeure pas moins que la langue est aussi le vhiculed'expression de raisonnements plus ou moins corrects du point de vue logique,mais ayant une valeur argumentative dtermine et identifiable. C'est le texteargumentatif qui est la forme d'expression de ce type la plus utilise dans uncontexte scolaire. On peut aussi videmment recourir l'change verbal, mais cedernier a le dsavantage d'tre plus volatil et plus difficile manier sur le planlogique, plus sensible aussi aux biais rhtoriques. Le texte argumentatif prsentel'avantage de la stabilit dans le temps, de l'extriorit et de la permanencerelative de son support.

    Gnralement, les relations argumentatives que noue un texte, se marquent parl'utilisation de marqueurs de relation spcifiques, dont les principaux sont ceuxque nous avons inscrits dans notre programme de formation (en annexe 6). Ilfaut cependant souligner deux difficuts majeures.

    l) Les rapports argumentatifs ne sont pas toujours marqus par l'usage deconjonctions ou d'adverbes appropris; ils peuvent tre sous-entendus.

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 32Par exemple, on peut dire: J'ai termin ce livre, alors je te le rends. Mais onpeut aussi simplement dire: J'ai termin ce livre. Je te le rends. Dans les deuxcas, on peut paraphraser par: Je te rends ce livre, parce que je l'ai termin.

    2) Un mot qui sert introduire une implication, peut trs bien avoir galementplusieurs autres fonctions.

    Par exemple, dans la phrase suivant, si a une fonction implicative: S'il fait froid,je resterai la maison. Mais dans l'exemple qui suit, il a une valeurcomparative: Il faisait si froid que je suis rest la maison. Et dans cet autreexemple, il a une valeur concessive: Je resterai la maison, mme s'il faitchaud.

    Ces difficults peuvent paratre banales, puisque tout locuteur comptent est enmesure de reprer la fonction d'un mot selon le contexte, ou peut paraphaser uneexpression pour y introduire une conjonction sous-entendue. Mais les lves nesont gnralement pas des locuteurs, des lecteurs ou des scripteurs si comptentsqu'ils puissent saisir toutes ces nuances. Ainsi, la plupart croient que le doncintroduit toujours une conclusion logique, alors qu'il peut avoir une fonctionpurement rhtorique. Alors qu'en logique, le formalisme permet d'identifier unconnecteur par une fonction unique et explicite, la langue fonctionne de manireplus subtile et admet diverses fonctions smantiques aux mots.

    Une autre diffrence doit tre souligne entre logique formelle et usagelinguistique. Prenons l'exemple suivant:

    S'il fait beau demain, alors j'irai me baigner. Le commun interprtera justetitre cette phrase de la manire suivante:(2) S'il fait beau tu iras te baigner.Sinon, tu resteras la maison. En effet, on prsupposera qu'elle signifie:(3) J'irai me baigner si et seulement si il fait beau demain. Le logicien objecterait cette interprtation que (l) ne stipule en rien

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 33

    ce que sera le comportement du locuteur s'il ne fait pas beau. Or comme le fauximplique tout, il faudrait interprter (1), de la manire suivante:(4) S'il fait beaudemain tu iras te baigner, mais s'il ne fait pas beau, tu iras ou tu n'iras pas tebaigner (on ne peut pas savoir).

    Cet exemple montre clairement que l'usage linguistique de l'implication necorrespond pas tout fait son usage logique. videmment, il ne faut pas enconclure que la langue devrait se plier la logique, mais plutt que la logique estincapable, sous cette forme classique de la logique des propositions, de rendrecompte des relations linguistiques.

    Il ne faut cependant pas conclure de ce qui prcde que la langue, etspcialement la langue crite, soit incapable de livrer une argumentationanalysable d'un point de vue logique. Au contraire. Les faits de langue analysspar Oswald Ducrot sous le concept des chelles argumentatives (1980) sontextrmement convaincants de ce point de vue. Ducrot distingue tout d'aborddeux domaines distincts de recherche: la logique du langage ou l'tude desrgles internes au discours et l'tude des raisonnements qui relve plutt d'unecomparaison entre la langue et un systme quelconque de logique formelle. Cettedistinction sert surtout tablir l'originalit et la lgitimit de la premireapproche. Tout intressante soit-elle, en effet, la comparaison de raisonnementseffectifs en langue naturelle avec un systme de logique formelle, ne rvle pasles proprits logiques intrinsques de la langue, mais plutt un usage trsparticulier de celle-ci. Au contraire, la logique du langage comme il la conoitillustre les proprits logiques internes de la langue en discours. Cette tude adonc un intrt particulier pour nous, puisqu'elle dmontre que toute languenaturelle possde de telles proprits qui doivent donc tre matrises par lelecteur comme par le scripteur.

    Pour Ducrot, la fonction argumentative se marque dans la phrase elle-mme.L'tude de ces marques relve de la smantique linguistique. Il souligneparticulirement le rle de marqueurs tels que puisque, mais, si, parce que,meme, seulement, ne pas, ne que.

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 34Plus particulirement, il montre qu'une expression du type A puisque B montrenon seulement que A est impliqu dans B, mais aussi qu'tant donn B, il fautadmettre A. Sa fonction argumentative est alors vidente. Ducrot dira que Bappartient alors la classe argumentative de A, laquelle se compose del'argument B et aussi ventuellement des arguments C, D, E, etc. qui pourraienttre invoqus en sa faveur. Bien entendu, ces arguments ne sont pasautomatiquement des preuves de A. Ils accrditent ou appuient une certaineconclusion. Cependant ces arguments n'ont pas tous la mme force. Certainsarguments sont plus forts que d'autres d'un strict point de vue smantique.Prenons l'exemple suivant:

    S'il fait frais, je resterai la maison. S'il fait froid, tu peux tre sr que je nesortirai pas. Notons les propositions de la manire suivante: S'il fait frais (C),je resterai la maison (A). S'il fait froid (B), tu peux tre sr que je ne sortiraipas (A). On peut, en fonction de la force ou du caractre dcisif des arguments,noter l'chelle argumentative suivante:

    On constate que B (il fait froid) a plus de force que C (il fait frais) afin desoutenir la conclusion A (je resterai la maison). On peut ainsi ordonner toutessortes de propositions, indpendemment des conclusions qu'elles pourraientsoutenir: c'est un peu chaud, c'est chaud, c'est brlant / je suis inquiet, je suisanxieux, je suis paniqu.

    Il n'est pas dans notre intention de prsenter tous les aspects de cette intressantethorie, mais de souligner le fait qu'elle permet d'identifier et d'interprter lesprincipales formes de la ngation et de l'implication dans la langue, partir decritres smantiques, donc

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 35sans faire intervenir de l'extrieur de la langue quelque rgle logique que ce soit.Par exemple, dans le cas de la ngation, on aura:

    On voit ici que le fait pour une proposition de faire partie de la classeargumentative d'une certain conclusion, implique que sa ngation fasse partie dela classe argumentative de la ngation de cette conclusion, mais galement quel'ordre des arguments de l'chelle argumentative soit invers.

    S'il ne fait pas froid, je ne resterai pas la maison. A fortiriori, s'il ne fait pasfrais, je ne resterai pas la maison. Dans cet exemple, les propositions doiventtre identifies comme suit:S'il ne fait pas froid (~B), je ne resterai pas lamaison (~A). A fortiriori, s'il ne fait pas frais (~C), je ne resterai pas la maison(~A).

    Si nous considrons l'implication maintenant, Ducrot nonce le premier principeainsi: Est-ce que B si A ? est implicatif lorsque A est, l'avance, tenu pourfavorable B, et concessif dans la situation

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 36contraire. 22 Le second peut tre reprsent aisment de la manire suivante23:

    On pourrait interprter ce schma de la manire suivante: si il fait froid (B) estplus fort que il fait frais (C), alors s'il fait frais, je rentrerai la maison (Q)est plus fort que s'il fait froid, je rentrerai la maison, car s'il fait froid, etmme s'il fait frais, je rentrerai la maison, mais on ne peut pas dire, s'il faitfrais, et mme s'il fait froid, je rentrerai la maison. Mais inversement, si jerentre la maison, c'est qu'il fait froid, est plus fort que si je rentre la maison,c'est qu'il fait frais, car si je rentre la maison, c'est qu'il fait frais et mmequ'il fait froid est sens, alors que si je rentre la maison, c'est qu'il fait froidet mme qu'il fait frais n'a pas de sens. Mme joue un rle cl dans lahirarchisation des arguments sur une chelle argumentative, telle que Ducrot ladfinit.

    Enfin, il conclut que si le smanticien doit rendre compte de la valeurinfrentielle des noncs qu'il dcrit du point de vue des sujets parlants (enopposition aux logiciens)24, cette valeur infrentielle n'est pas une consquencede ses conditions de vrit, que d'ailleurs les noncs implicatifs n'ont pas detelles conditions de vrit.

    22. Ibid., p. 48.

    23. Ibid, p. 55. Nous avons lgrement modifi la notation et lesexemples pour faciliter et raccoucir lexpos.

    24. Ibid. , p. 63.

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 37

    Il serait trop long d'tayer ces conclusions, et particulirement la dernire : nousrenvoyons les lecteurs qui dsireraient plus de dtails sur ces points louvragede Ducrot. Nous avons prsent cette thorie afin de montrer clairement que lalangue naturelle possde des proprits argumentatives intrinsques, qui sontfrquemment articules l'aide de marqueurs de relation dtermins, et cela sansfaire rfrence quelque thorie de logique formelle que ce soit. videmment, ilne s'agit pas d'exclure la logique formelle, mais de lui reconnatre une placeapproprie dans notre cadre thorique.

    Nous terminerons cette partie par une importante remarque concernant le sensd'un raisonnement. Dans ses exemples, Ducrot emploie uniquement desargumentations descendantes de type A donc C ou A et B donc C. Mais si onpeut formuler un raisonnement, en allant des prmisses la conclusion (onparlera alors d'implication, ou de raisonnement descendant), on peut ausi le faireen allant de la conclusion ses justifications (on parlera alors d'explication ou deraisonnement ascendant). La direction logique du raisonnement demeure lamme dans les deux cas, mais l'ordre d'exposition diffre.25

    25. Notons au passage un phnomne intressant qui a t observ enLSQ. En raison des caractristiques visuo-spatiales de cette langue, onremarque que les signeurs ont tendance poser dabord les dcors, puisles personnages et enfin les rapports entre eux. En outre, dans unraisonnement, les lments gnraux sont noncs en premier, puis lescaractristiques sont indiques. Les signeurs de la LSQ procderaientdonc plus volontiers du gnral au particulier, donc en suivant leschma dune argumentation ascendante plutt que descendante,explicative plutt quimplicative. Le schma le plus frquent seraitdonc : Telle et telle chose cause de telles et telles raisons. Ltudescientifique de ce phnomne exigerait cependant un travail spar.

  • 38 LE TEXTE ARGUMENTATIF ET LES MARQUEURS DE RELATION

    ARGUMENTATION DESCENDANTE.

    Exemple:

    Certains maris sont infidles.Les personnes infidles sont instables.Donc il y ades maris instables.

    ARGUMENTATION ASCENDANTE

    Exemple:

    Il y a des femmes intressantes.En effet, les personnes cratives sontintressantes.Et certaines femmes sont trs cratives.

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 39

    1.2.4 La comprhension des textes

    Comprhension et cognition

    Dans la plupart des thories rcentes, la comprhension de texte est dfiniecomme un processus complexe de traitement de l'information.26 Le lecteur doitrorganiser les informations lues de manire construire une structure mentalesimilaire ou identique celle que le scripteur cherche transmettre. Lareprsentation de ce qui est lu rsulte donc d'une interprtation du texte en vuede la construction de la signification du message (...) plutt que d'unemmorisation des structures linguistiques de surface. 27

    Ds lors, quelle est l'importance dans un tel processus de ces petits indicateursde surface que sont les marqueurs de relation et de ngation ? Deschnes crit leur sujet que s'ils (...) n'apportent rien au contenu spcifique trait dans letexte, [ils] servent d'indicateurs de relations qui existent entre les noncs ou lesconcepts et peuvent faciliter la construction d'une reprsentation globale dutexte. 28 Ils introduisent un ordre parmi ces informations et servent lacohrence de la reprsentation mentale que s'en fait le lecteur.

    Pour le lecteur, il s'agit de construire une structure de signification pouvantintgrer tous les lments d'information du texte : bref, d'en faire uneinterprtation cohrente. Ce travail comprendrait d'abord un traitement local del'information consistant en la construction de propositions smantiqueslmentaires comportant non seulement des informations directement issues dutexte mais aussi des ajouts, des modifications ou des transformations puis, untraitement un autre niveau qui se ralise par des activits d'abstraction et detransformation des propositions smantiques par

    26. Deschnes, A.J., La comprhension et la production de textes et ledveloppement de la pense opratoire, Thse de doctorat, Facult depsychologie, Universit Laval, 1986, 324 p.

    27. Ibid., p. 14.

    28. Ibid., p. 23.

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 40des procds comme la suppression, la gnralisation et l'intgration quicondensent et rduisent l'information. D'o, comme le remarque Deschnes, l'instar de plusieurs auteurs: ... il est vraisemblable de penser que celle-ci (lastructure de signification ou macrostructure) prend une configurationschmatique se rapprochant de la forme d'un rsum exprime en langagenaturel. 29

    Ce processus rsulte dune interaction entre le lecteur et le texte, dans un certaincontexte. Ce qui implique que trois genres de facteurs peuvent avoir un effet surle degr de comprhension: (l) le contexte dans lequel se droule la lecture, (2)les caractristiques du texte et (3) les caractristiques du lecteur. Les variablesdites contextuelles regroupent des lments qui font partie de l'environnement dutexte lors d'une activit de comprhension tel que ... la perspective ou le butpropos au lecteur, le titre du texte, les organisateurs introductifs, les questionsadjointes, les dessins, les illustrations, les diagrammes et les modalits deprsentation du texte. 30

    Les variables dites textuelles peuvent tre classes en fonction d'une distinctionentre forme et contenu, aspects linguistiques et aspects smantiques. Ainsi, deslments tels le vocabulaire, la longueur des phrases, des paragraphes et du textepeuvent avoir un impact direct sur la comprhension la complexit sur ce planrend bien entendu le dcodage plus difficile. De mme, la construction du textepeut favoriser ou dfavoriser le processus de comprhension, en fonction de laquantit et de la clart des indicateurs de structure qu'il fournit. De la mmefaon, la hirarchisation des informations peut avoir un effet sur la mmorisationet le rappel.

    Ainsi, un texte peut-il poser plus ou moins de difficult en fonction de sespropositions smantiques et des relations qu'elles entretiennent entre elles. C'estce qu'on dsigne sous l'expression de saisie de la microstructure du texte. Enoutre, la macrostructure du texte qui reflte rarement sa structure formelle peut tre plus

    29. Ibid., p. 70.

    30. Ibid., p. 16.

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 41ou moins facile reconstruire selon qu'elle puisse ou non tre labore partirde la base de texte et selon qu'elle requiert du lecteur un plus ou moins grandtravail de gnralisation, de suppression et d'intgration des informations, deslection et de substitution de ses propositions de surface.

    En ce qui concerne le lecteur, deux facteurs doivent tre considrs: la base etles structures de ses connaissances et les activits cognitives en oeuvre dans latche de comprhension. Plus spcifiquement, la mmoire ne doit pas treconsidre comme un rservoir dont la seule fonction serait l'enregistrement et laconservation des informations. La mmoire est, comme le dit Ehrlich, ... unensemble d'units cognitives permanentes constituant les connaissances acquisesrelatives aux vnements, objets, tats, actions, etc. 31. Elle procde sans cesse lorganisation des signifis, lesquels comportent une partie affective et unepartie cognitive. Toutefois, il faut distinguer entre mmoire court terme etmmoire long terme, l'une tant limite, l'autre pas, et les mcanismes deslection et de reconstruction des donnes intervenant beaucoup moins dans untravail court terme. L'individu relie donc connu et inconnu ou, comme le ditDeschnes, il ...utilise ce qu'il sait dj pour donner un sens ce qu'il peroitcomme nouveau ou ce qui lui arrive quotidiennement..32 Ce travail se faittoutefois en plus ou moins grande profondeur selon la tche.

    Ainsi, on ne peut jamais, lors d'une tche de lecture, ngliger le rle desconnaissances antrieures. Par exemple, lorsqu'un individu lit un texte dont lethme lui est familier: Les informations alors traites et mmorises sont autantcelles qui proviennent du texte que celles qui ont t actives par le texte. 33 Lesconnaissances pralables du lecteur facilitent la construction d'un rseaucohrent de significations en permettant l'intgration des informations nouvelles

    31. Ibid., p. 46.

    32. Ibid., p. 51.

    33. Ibid., p. 56.

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 42 un cadre de rfrence dj constitu. Ce cadre dtermine les points d'ancragesur lesquels les informations nouvelles vont se greffer.

    Prises une une les multiples informations qu'une lecture permet d'assimiler nepourraient tre retrouves, aussi y a-t-il ncessit d'organiser ces informationssur des supports organisateurs. Tantt appels schmas, macrostructures, scripts,cadres de connaissance, scnarios ou schmes, ces divers supports sont desstructures englobantes, plus ou moins gnrales et plus ou moins abstraites quiservent regrouper de manire ordonne les divers types de connaissancesacquises. On peut les comprendre comme des ensembles de catgories, declasses ou de concepts, ou encore comme des rgles ou principesd'interprtation. Qu'ils soient crs l'occasion de la lecture ou prforms, cesschmas jouent diffrents rles dans le processus de lecture en guidant lestockage et le rappel des informations.

    Cependant ces thories s'appuient sur un modle de lecture de type top-down,modle selon lequel la comprhension est un processus continu d'laborationd'hypothses et d'infrences au sein d'une macrostructure interprtative. En effet,selon que l'on considre que la construction de la signification s'appuiedavantage sur la constitution et le rappel de ces schmas ou sur le dcodage desunits de base du texte, on s'appuiera respectivement sur un modle de la lecturede type top-down (descendant) ou de type bottom-up (ascendant).

    Dans le cas des thories ascendantes:

    L'interprtation smantique se fait partir des structures dephrases, les infrences portent principalement sur l'analyse desrfrents et des indices de cohsion explicitement noncsdans le discours et la macrostructure est construite parrduction, condensation et rsum partir des seulesinformations fournies par le texte.34

    Dans celui des thories descendantes:

    34. Deschnes, A.J., La Comprhension et la production de textes,Monographies de psychologie, Presses de lUniversit du Qubec,1988, 136 p., p. 55.

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 43(...) la comprhension est un processus de constructiond'hypothses, d'anticipations, d'infrences, de constructiond'une macrostructure, etc., ds la premire phrase du texte, dsla lecture du titre mme. La construction de la significationglobale du texte s'labore ds le dbut de la lecture par uneide gnrale que se fait le lecteur en partant de sesexpriences personnelles, ses connaissances, les schmas et lesmacrostructures qu'il possde dj. Dans ces conditions, lesmicroprocessus ne sont pas ncessaires ou du moins pasessentiels. La lecture se fait de faon globale, elle est dirigepar le lecteur et consiste essentiellement en une formed'assimilation du texte aux structures existantes qui semodifient tout au long du processus.35

    Quoi quil en soit, ces deux modles ne sont pas tout fait exclusifs l'un del'autre:

    Il serait aussi possible d'expliquer le processus decomprhension par un modle de type interactif bottom-upet top-down selon lequel le lecteur, en fonction du texte etdu contexte, ajuste automatiquement ou consciemment sonfonctionnement cognitif.36

    Notre hypothse de dpart, l'effet que l' amlioration de la matrise desconnecteurs linguistiques peut contribuer l'amlioration de la comprhensiondes textes argumentatifs, pourrait alors relever d'un modle d'explication duprocessus de comprhension type interactif bottom-up et top-down selonlequel le lecteur, en fonction du texte et du contexte, ajuste automatiquement ouconsciemment son fonctionnement cognitif. En fait, nous ne pouvons exclure lacomposante ascendante, bien que nous soyons plutt d'accord avec la dynamiquedescendante, car nous avons constat que les personnes sourdes sont des lecteursqui empruntent souvent un cheminement descendant erron en raison d'undcodage ascendant dficient. Ou dit autrement, il arrive frquemment qu'ilsconstruisent une macrostructure interprtative inapproprie, quoique souventremarquable, parce qu'ils n'arrivent pas saisir les fonctions exactes des mots dela phrase ou ses structures propositionnelles de base.

    35. Ibid., p. 56.

    36. Ibid.

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 44Inversement, le dcodage de surface peut tre dvi en raison de connaissancespralables insuffisantes.

    Un modle bi-directionnel a lavantage dintgrer chacune des activitscognitives dj identifies impliques dans le processus, savoir : la perception,l'activation, la construction de signification, la mmorisation, la rcupration etla production.

    La perception consiste en l'identification des lettres et des mots, bref desindicateurs de surface. Il s'agit de ce qu'on entend d'ordinaire par dcodage.L'activation consiste en ...la recherche en mmoire des connaissancespertinentes associes aux stimuli dcods.37 Il s'agit d'une recherche de signifispouvant correspondre aux stimuli. C'est l que se cre le rapport entre le lecteuret le texte, rapport qui mne la construction de signification: premirement parl'laboration de propositions comprenant des donnes du texte et des ajouts oudes modifications personnelles; puis, par l'application de rgles de rduction,suppression et gnralisation qui, finalement, donnent naissance unemacrostructure reprsentant globalement le texte lu. C'est cette macrostructurequi s'imprgne dans la mmoire long terme et qui fournit des indices facilitantla rcupration des informations pertinentes. La comprhension est videmmentlie la production, activit dont il ne faut pas ngliger la spcificit, attenduqu'elle consiste en ... la linarisation de structures mentales smantiques nontemporalises et non lexicalises () selon des rgles et des conventions propresaux langages crit ou oral.38

    Toutefois, soulignons avec Deschnes que:

    Fondamentalement, les activits de production et decomprhension doivent tre envisages dans le cadre gnralde la communication et peuvent tre tudies comme desphnomnes de transmission et de traitement d'information (...)Ainsi, apprendre lire et apprendre crire peuvent tre vuscomme des aspects d'un seul processus qui est la matrise du

    37. Ibid., p. 66.

    38. Ibid., p. 76.

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 45langage crit (...). Selon Horowitz (1985b), plusieursrecherches rcentes ont montr que les deux processus s'appuient sur deshabilets linguistiques semblables. Ammon (1981) supposeque les deux processus supposent des shmes detransformations comparaison, discrimination, classification,par exemple qui sont indpendants des contenus traits etqui constituent des habilets fondamentales dans toutesituation de communication. Dans ce sens, il est probable quelire et crire sont deux tches cratrices o I'activit du sujet etson volution soient cognitivement analogues lorsqueconsidres dans la perspective de l'acquisition du langage(...).39

    ...il apparat que la construction de signification parl'intermdiaire d'une macrostructure cognitive est communeaux deux activits. De plus, les phases de production encomprhension et de rdaction-dition en productions'appuieraient sur des processus communs ou au moins sur deshabilets d'criture communes.40

    C'est donc dans une perspective de corrlation que nous chercherons mettre enrapport les performances qui sont de l'ordre de la dcouverte et de l'expressionde l'organisation gnrale du texte la macrostructure ou la reprsentationglobale du texte et celles qui sont de l'ordre de la linarisation oumicrostructure du texte. Ces donnes peuvent ensuite tre compares avec lesdonnes rcoltes l'occasion d'un test de production portant principalement surles micro et macrostructure du texte et sur la qualit de rcupration en mmoiredes connaissances antrieures.

    Bref, la production de textes est fondamentalement une activit de constructiond'une macrostructure comprenant des processus de mise en relation etd'organisation des connaissances. Les connaissances actives par l'changeverbal ou par la lecture, supposent divers processus de structuration et derorganisation en fonction du contexte. L'criture d'un texte n'est pasnormalement une simple retranscription de ce qui a t lu, mais une vritable re-cration partir de la macrostructure. Les activits de comprhension et de

    39. Ibid., p. 105. Nous avons allg cette citation en enlevant quelques rfrences.

    40. Ibid., p. 113.

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 46production de textes sont lies entre elles par les activits cognitives que le sujetmet en branle dans leur accomplissement respectif.

    1.2.5 La production et la structuration des textes

    Les thories de l'activit de production de texte ne sont pas aussi labores queles prcdentes mais, comme le remarque Deschnes: Il est en effet probableque l'activit d'criture possde un certain nombre de caractristiquesapparemment trs proches de celles d'une tche de lecture et que certainsmodles de comprhension doivent se retrouver dans les modles de production(...) l'opration de linarisation, dans une tche de rappel ou de rsum lors de lavrification de la comprhension, s'apparente celle exige en production pourexprimer un message. 41 La production d'un texte, comme sa comprhensionimplique une interaction entre stimuli externes et structures cognitives. Leprocessus d'interprtation se droule pour ainsi dire l'envers: nous partons desconnaissances acquises pour les projeter dans une forme d'expression crite,impliquant une reconstruction du sens. La relecture produit un ajustementrciproque des reprsentations mentales et des structures projetes dans le textequi objective mais aussi reconstruit les premires.

    L'activit de production survient dans un contexte comprenant des variablestelles que la nature de la tche, de l'environnement physique et des sourcesd'informations, le texte lui-mme et les autres personnes prsentes lors del'activit ou impliques dans sa ralisation. C'est ce qu'on appelle la situationd'interlocution. Un individu peut performer de faon trs diffrente selon qu'ilcrit librement son journal ou qu'il rdige un texte destin tre corrig par unprofesseur. Il peut aussi tre influenc par le fait de se trouver en classe ou danssa chambre pour se livrer l'criture et toutes les personnes impliques de prsou de loin peuvent avoir un impact sur sa performance. Il en est de mme del'usage de documents qui peut aussi laisser des traces dans la production, sansoublier la contrainte

    41. Ibid., p. 99.

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 47du texte lui-mme, attendu qu'une partie dj crite a tendance orienter ce quiest venir dans une certaine direction. En fait, les capacits cognitives duscripteur seront plus ou moins accapares par les contraintes de la situationd'interlocution et il restera par consquent plus ou moins de ressources pour letravail d'organisation.

    Ces ressources cognitives, ce sont d'abord les structures de connaissance duscripteur qui organisent toutes les informations stockes en mmoire selondiffrents niveaux allant de la proposition smantique simple au cadre deconnaissances. Ces cadres, schmas ou scripts, comprennent une description detraits caractristiques de certaines situations ou de certains vnements.Certaines cases sont vides, permettant l'adaptation du sujet la variation de lacommande environnementale. Ces schmas sont l'origine de la constitution, del'expression, de l'organisation et de la slection des ides. Ils organisent aussi leplan de surface de l'expression : le lexique utilis, le niveau de langue, lesmarqueurs de relation et de cohrence du texte.

    La production de textes est, on le voit, une activit qui implique plusieursoprations. Deschnes, propose un modle d'explication de l'activit deproduction qui identifie cinq processus psychologiques: (l) la perception-activation, (2) la construction de signification, (3) la linarisation, (4) lardaction-dition et (5) la rvision.42

    1- LA PERCEPTION-ACTIVATION

    D'abord, le sujet apprhende la tche et son contenu (phase de perception), ilrecherche en mmoire des informations (phase d'activation ) et actualise oucomble les vides des schmas activs en fonction de la tche.

    42. Ibid., p. 111-120.

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 482- LA CONSTRUCTION DE SIGNIFICATION

    Puis, vient l'tablissement de la macrostructure du texte l'aide des informationsactives ou la construction de signification. C'est l le cur de l'activit deproduction. Slection, organisation des informations et, enfin, gestion desressources: ... dtermination de buts et de sous-buts, de critres d'valuation etde stratgies, de gestion de l'activit dans son ensemble selon les paramtres dela situation et certaines caractristiques particulires du scripteur. C'est lqu'une variable telle que le dveloppement cognitif a le plus d'influence. Deshabilets cognitives permettant la slection, la comparaison, la coordination (...)et la gestion des ressources exigent la rflexion sur l'activit en cours etl'anticipation (...) 43 Cest donc ce niveau galement que s'enclenchent lesmcanismes de la mtacognition.

    3- LA LINARISATION

    Le troisime processus psychologique impliqu est la linarisation. Lamacrostructure est ainsi projete et ordonne de faon horizontale et mise enpropositions smantiques ( ce sont des micro et des macropropositions) en vuede la rdaction.44 Il s'agit donc d'une phase intermdiaire entre la constructionde signification et la rdaction-dition, phase du travail impliquant la mise enmots, la construction de propositions syntaxiques en fonction des codes etconventions d'criture et ...la dtermination de la forme de prsentation ducontenu ( ides principales, secondaires ou thmes, sous-thmes ) et del'arrangement physique du texte ( paragraphes, souligns, titres, sous-titres).45La linarisation est le processus de structuration du texte qui s'accomplit chez lesscripteurs les plus ordonns d'abord sous la forme d'un plan de rdaction, puispar la mise en paragraphes et en phrases des grandes lignes du texte.

    43. Ibid, p. 117.

    44. Ibid., p. 118.

    45. Ibid.

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 494- LA RDACTION-DlTION

    Puis, le scripteur comble les cases manquantes, restructure l'ensemble selon unelogique plus ordonne. L'dition ne pourrait tre considre comme faisant partiedu processus de rvision puisque, comme le remarque Deschnes: Les indicesde l'dition se retrouvent pour la plus grande partie dans la base du texteconstruit au moment de la linarisation.46

    5- LA RVISION

    La rvision est le dernier processus impliqu dans l'activit. Elle ncessite unerelecture, locale ou globale, pour identifier les erreurs de sens ou de forme puisventuellement la correction. C'est un processus plus indpendant que les autresqui sont tous trs imbriqus. Celui-ci suppose une distance et peut parfoisentraner une restructuration globale du texte. L'observation la plus simplemontre que ce processus est de plus en plus dvelopp en fonction del'exprience et de la qualit du scripteur. Les scripteurs ayant le plus besoin decette rvision tant ceux-l mme qui le ngligent le plus.

    On le voit, l'criture est plus qu'un simple processus d'encodage. Elle mobilise la fois les connaissances et les schmas smantiques du scripteur. Elle exige delui qu'il organise ses penses de manire ordonne. Elle mobilise de trsnombreux processus cognitifs.

    1.2.6 La pdagogie du texte chez les personnes sourdes

    La connaissance de la langue joue un rle important dans la progressionacadmique. Pour atteindre les objectifs du niveau collgial en lecture et encriture, l'lve doit possder une certaine comptence linguistique. Or, il a tdmontr dans plusieurs recherches que la personne sourde accuse un retardimportant en lecture et en criture; retard qu'elle ne rcupre jamais ou trsrarement. Cela est d'autant plus vrai que l'on s'attache aux

    46. Ibid, p. 119.

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 50indicateurs grammaticaux et syntaxiques de la qualit de la langue crite.

    Le franais, pour la plupart des personnes sourdes, est une langue seconde aveclaquelle ils entrent en contact principalement par le code crit. Les problmesrencontrs sont donc diffrents de ceux rencontrs par les tudiants rguliers etmme de ceux rencontrs par les tudiants immigrants pour qui le franais estgalement une langue seconde. Les repres auditifs qui peuvent favoriserl'apprentissage de la langue sont, dans plusieurs cas, des lments totalementabsents pour les personnes sourdes. la diffrence de l'entendant qui connatdj la langue orale du code crit qu'il apprend, la personne sourde apprend lecode d'une langue qu'il n'entend pas. Seule sa comptence en lecture labiale peutle rapprocher de l'oral et l'aider dans son apprentissage. Mais la lecture labialeest une mthode de perception de la langue orale trs difficile et peuperformante, spcialement lorsque le vocabulaire utilis implique l'acquisition denotions nouvelles ou d'ides complexes. C'est donc l une des premiresdifficults vcues dans l'apprentissage de l'criture: le passage direct d'unelangue signe un code crit d'une langue seconde qui est orale.

    Les problmes peuvent se diviser en catgories. La premire peut rfrer auxproblmes relis directement au code linguistique. L'interfrence de la languepremire sur la langue seconde durant la priode d'acquisition s'avre unphnomne normal dans la structuration des phrases. Certains problmes desyntaxe dans la production crite de la personne sourde relvent de cetteinterfrence et c'est la raison pour laquelle, il est possible parfois de retrouverdes phrases avec une structure se rapprochant de celle de la langue signe.Toutes les erreurs ne sont pas attibuables cette seule cause, mais retenonssimplement qu'il existe chez la personne sourde plusieurs problmes au niveausyntaxique, morphologique, lexical et smantique.

    Une deuxime catgorie de problmes concerne la faon dont les ides sontstructures, prsentes et comprises. Une langue signe n'est pas l'quivalentd'une transposition d'une langue orale via des

  • 1. INTRODUCTION ET RECENSION DES CRITS 51canaux