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Le XXe siècle - Numilogexcerpts.numilog.com/books/9782262001575.pdfMax Gallo A mon père, témoin lucide de ce siècle. 1 Étrange XX siècle J e voudrais vous raconter le xx siècle,

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    intensément ces quatre années violentes. J'ai, avec six de mes romans

    (le Cortège des vainqueurs, les trois volumes de la Baie des Anges, et les deux tomes des Hommes naissent tous le même jour), commencé le roman- histoire de ce « siècle des tempêtes »

    qu'est notre temps. J'achevais d'écrire les Hommes naissent tous le même jour quand les animateurs de l'émission de France-Inter, l'Oreille en coin, m'ont proposé de raconter en

    vingt émissions d'une heure le vingtième siècle. Ce livre est né de cette série d'émissions. Il ne s'agit donc pas d'une étude érudite mais bien du récit des

    principaux événements qui ont fait ce siècle.

    type="BWD" « grands » événements et les « grandes

    question » sont aussi passionnants que les « petits », sinon plus. Bien sûr tout le siècle n'est pas présent.

    Il m'a fallu choisir dans cette période foisonnante ce qui me paraissait le plus significatif. Après avoir lu ce livre, je voudrais que le lectuer éprouve comme moi le sentiment de la richesse inépuisable,

    contradictoire, inquiétante et pourtant pleine de lendemains de ces années qui

    ont, dans l'avanture des hommes, compté plus que cent mille ans.

    M a x G a l l i

  • LE XX SIÈCLE raconté par

    MAX GALLO

  • DU MÊME AUTEUR

    Romans (Robert Laffont, éditeur)

    LE CORTÈGE DES VAINQUEURS, Paris 1972 UN PAS VERS LA MER, Paris 1973 L'OISEAU DES ORIGINES, Paris 1974

    LA BAIE DES ANGES :

    Tome I La Baie des Anges, Paris 1975 Tome II Le Palais des Fêtes, Paris 1976

    Tome III La Promenade des Anglais, Paris 1976

    QUE SONT LES SIÈCLES POUR LA MER, Paris 1977

    LES HOMMES NAISSENT TOUS LE MÊME JOUR :

    Tome 1 Aurore, Paris 1978 Tome 11 Crépuscule, Paris 1979

    Histoire, essais

    L'ITALIE DE MUSSOLINI, Paris, Perrin, 1964 LA GRANDE PEUR DE 1989, Paris, Laffont, 1966

    L'AFFAIRE D'ÉTHIOPIE, Paris, Le Centurion, 1967 GAUCHISME, RÉFORMISME ET RÉVOLUTION, Paris, Laffont, 1968

    MAXIMILIEN ROBESPIERRE, HISTOIRE D'UNE SOLITUDE, Paris, Perrin, 1968

    HISTOIRE DE L'ESPAGNE FRANQUISTE, Paris, Laffont, 1969 CINQUIÈME COLONNE 1930-1940, Paris. Plon, 1970

    TOMBEAU POUR LA COMMUNE, Paris, Laffont, 1971 LA NUIT DES LONGS COUTEAUX, Paris, Laffont, 1971 LA MAFIA, MYTHES ET RÉALITÉS, Paris, Seghers, 1972 L'AFFICHE, MIROIR DE L'HISTOIRE, Paris, Laffont, 1973

    LE POUVOIR A VIF, Paris, Laffont, 1978

  • L E X X S I È C L E

    raconté par MAX GALLO

    Librairie Académique Perrin

  • La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les «copies ou reproductions stricte- ment réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représenta- tion ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1 de l'article 40).

    Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les arti- cles 425 et suivants du Code pénal.

    © Libra i r i e A c a d é m i q u e Perr in , 1979.

    I S B N 2-262-00-157-X

  • PRÉFACE

    Parcourir notre vingtième siècle, tenter de le raconter et de le comprendre, vouloir le rendre présent et l'expliquer, tel est depuis plusieurs années l'un de mes souhaits.

    De livre d'histoire en roman, de cours devant des étudiants à des analyses de livres dans l'Express, j'ai essayé de réaliser ce vœu, venu sans doute du fait que mon père, ancien combattant de la Première Guerre mondiale, m'a fait contemporain de ses épreuves par ses récits et, qu'enfant pendant le deuxième conflit mondial, j'ai vécu intensément ces quatre années violentes.

    J'ai, avec six de mes romans (le Cortège des vainqueurs, les trois volumes de la Baie des Anges, et les deux tomes des Hommes naissent tous le même jour), commencé le roman-histoire de ce « siècle des tempêtes » qu'est notre temps.

    J'achevais d'écrire les Hommes naissent tous le même jour quand les animateurs de l'émission de France-Inter, l'Oreille en coin, m'ont proposé de raconter en vingt émissions d'une heure le vingtième siècle.

    Ce livre est né de cette série d'émissions. Il ne s'agit donc pas d'une étude érudite mais bien du récit des

    principaux événements qui ont fait ce siècle. J'ai évité ce qu'on appelle « la petite histoire ». Je crois que les « grands » événements et les « grandes questions » sont aussi passionnants que les « petits », sinon plus.

    Bien sûr tout le siècle n'est pas présent. Il m'a fallu choisir dans cette période foisonnante ce qui me paraissait le plus significatif.

    Après avoir lu ce livre je voudrais que le lecteur éprouve comme moi le sentiment de la richesse inépuisable, contradictoire, inquié- tante et pourtant pleine de lendemains de ces années qui ont, dans l'aventure des hommes, compté plus que cent mille ans.

    Max Gallo

  • A mon père, témoin lucide de ce siècle.

  • 1

    Étrange X X siècle

  • J e voudrais vous raconter le xx siècle, notre siècle, qui, dans moins de vingt-cinq ans, sera achevé. Je voudrai s vous le raconter comme pourrait le faire un homme qui l'aurait vécu et compris. Ne croyez pas que ce genre d'homme n'existe pas. Il y a des anonymes, dont l'Histoire ne retient pas l'existence, ils ne sont rien, c'est-à-dire qu'ils sont comme vous et moi, sans pouvoir politique, sans gloire, et pourtant, leur époque, ils essaient d'en saisir les mécanismes. De ces hommes-là, j'en connais. Disons que l'un d'eux pourrait être mon père. Ils sont nés autour des années 1890, ils ne sont plus très nom- breux, hélas; ils ont, aujourd'hui, autour de quatre-vingt-cinq ans; mais, ces hommes-là, ces survivants de l'autre siècle, ces hommes qui ont parcouru en adultes, déjà, tous les événements de notre temps, je les écoute parler, fasciné. Je voudrais, en racontant ce xx siècle, me faire leur porte-parole, dire leurs étonnements et leurs expériences.

    De ce siècle, ils portent d'abord les cicatrices. Imaginez-les un instant, ces hommes, oubliez qu'ils sont des vieillards, ne fixez que leurs yeux; ils les ont jeunes encore. Ils étaient enfants vers 1900, la plupart d'entre eux ignoraient encore ce qu'était l'électricité, un phénomène étrange; ils s'éclairaient à la lampe à huile, au gaz, à l'acétylène, à la bougie. Quand ils se déplaçaient, ce n'était pas si fréquent, ils le faisaient souvent encore dans des diligences, prendre le train les étonnait, les voitures automobiles étaient des engins mystérieux, voler, presque un miracle. En France, quand ils feuilletaient un magazine, l'Illustration, par exemple, on y parlait de la grande Exposition universelle de Paris, celle de 1900. Ceux qui habitaient la campagne, vivaient encore le temps des veillées, des travaux des champs à l'ancienne, et au fond, en 1900, les mœurs, les coutumes, les légendes, dans bien des parties du monde,

  • étaient encore proches de ce qu'elles avaient été, les siècles précé- dents.

    1900, au moment où ces hommes-là étaient encore enfants, c'est le début du XX siècle.

    L'Europe semblait encore dominer le monde. La France achevait de se tailler un empire colonial, mais, déjà, en même temps, des résistances s'ébauchaient.

    Le gosse de dix ans, qui, en 1900, apprend que le Chinois se révolte, qu'un certain Sun Yat-sen fonde le Parti révolutionnaire socialiste chinois, ne sait pas que la Chine s'éveille et, qu'un demi- siècle plus tard, elle sera grande puissance.

    En 1900, Anglais, Français, Américains, Russes, Allemands, Italiens, Japonais rétablissent l'ordre à Pékin. 1900, début de notre siècle.

    Imaginez l'un de ces enfants qui va devenir l'un de ces adolescents qui s'inscrivent un peu partout, en Europe, dans des sociétés de gymnastique, parce qu'il faut aux armées des corps sains et disci- plinés.

    En 1914, le voilà soldat, combattant pour quatre ans. C'est l'ouverture, en fanfare, du siècle; la Première Guerre mondiale, un temps de barbarie, qu'on dira, encore aujourd'hui, temps d'hé- roïsme. Les hommes qui sont nés en Europe vers 1890 et qui vivent encore, il faut que nous sachions qu'ils sont d'abord les survivants de cette guerre-là.

    Elle leur a fait découvrir la modernité, la mécanique des mitrail- leuses, des pièces d'artillerie et des avions, la chimie des gaz. Elle les a mis en groupes, elle a fait naître le temps des masses, le temps du monde unifié : les Etats-Unis entrent en scène, l'Afrique, l'Asie sont déjà des enjeux. Le monde, comme une pomme, est enserré dans la main d'une histoire unique.

    Ceux qui sont revenus de la guerre, jour après jour, comme un engrenage qui tourne trop vite, ont vu la vie quotidienne et l'Histoire changer de visage.

    Ils venaient du temps de l'éclairage au gaz ou à l'huile, ils décou- vrirent l'électricité, puis la voiture, l'avion, les images de la télévision et, bien sûr, la radio.

    Ils subirent le deuxième conflit mondial, et certains d'entre eux furent encore assez jeunes pour combattre, aussi, dans cette guerre- là. Ils virent le champignon de l'arme atomique et les peuples colo-

  • niaux vaincre les conquérants glorieux, ceux qui, en 1900, croyaient construire des empires.

    Ils avaient parfois applaudi la Révolution russe de 1917, ces dix jours qui ébranlèrent le monde, selon la formule du journaliste américain John Reed. Mais quand ils eurent autour de quarante ans, ils virent, à Moscou, se dresser des bourreaux et on leur dit, quand ils atteignirent la soixantaine, que l'U.R.S.S. avait été gou- vernée par un tyran sanguinaire.

    Etrange siècle. Le même homme, en une seule vie, put voir de ses yeux Buffalo Bill pourchasser les Indiens, l'authentique Buffalo Bill devenu attraction d'un grand cirque américain qui fit plusieurs tournées en Europe, et il vit aussi le premier cosmonaute marcher sur la lune.

    Siècle extraordinaire que le XX Jamais, en si peu d'années — une vie d'homme à peine, et c'est si court — autant de transformations scientifiques et politiques, autant d'espoirs aussi, et de déceptions.

    Le XX siècle, siècle des mutations, des accélérations. Tout y a pris de la vitesse, pas seulement les moyens de transport, bien sûr, mais aussi la croissance du nombre des hommes ou la puissance de des- truction des armements, et tout cela dans une seule vie, soixante- dix-neuf ans; l'âge de notre siècle.

    Et brusquement, quand on regarde tout le parcours de cette époque, cette accumulation d'inventions, de transformations, cette succession de guerres et d'espérances, cette émancipation, qui trop souvent s'est transformée en servitudes, la question se pose trop vite : ces changements, nous les hommes qui les avons conçus, qui les avons subis, sommes-nous capables d'en contrôler l'usage, la prolifé- ration?

    Curieux siècle que le nôtre. Bien des oeuvres qui ont actuellement du succès, sont celles, qu'il s'agisse de films ou de livres, qui rappel- lent les mœurs des années 1900, notre origine. Que cherchons-nous? A retrouver le bonheur perdu du début de notre siècle, l'enfance heureuse de ces hommes octogénaires que nous avons pris comme témoins. Sommes-nous à ce point déçus par ce qui s'est accumulé? Le temps d'user les innovations et nous retrouvons la joie de l'ar- chaïsme; à l'auto ne préférons-nous pas, de nouveau, la bicyclette, cette découverte de la fin du XIX siècle?

    XX siècle, siècle décevant, siècle dur et violent qui nous a montré, des camps de concentration d'Auschwitz à la bombe d'Hiroshima, de quoi nous sommes capables, siècle que nous ne pouvons pas supporter et que nous quittons pour retourner à l'enfance de nos grands-pères, siècle qui remet tout en question,

  • c'est-à-dire, notre idée du progrès, de la civilisation, de la science même, car, n'est-ce pas en Europe, l'Europe colonisatrice, civilisée, savante, orgueilleuse, l'Europe blanche, qu'ont surgi et l'univers concentrationnaire du nazisme et celui du stalinisme, qu'ont pris naissance les deux guerres mondiales?

    L'Europe, qui a été la matrice du XX siècle, lui aurait-elle donné ses plus cruelles maladies?

    XX siècle, siècle des questions. Et l'homme qui l'a parcouru jusqu'à aujourd'hui, s'adaptant insensiblement à toutes ses nou- veautés, l'homme qui a subi, s'il est Européen, au moins deux guerres, comment ne s'interrogerait-il pas?

    Pour chaque homme vivant il y a un stock d'explosifs accumulés, supérieur à celui qui provoqua la destruction d'Hiroshima en 1945.

    Alors, XX siècle, siècle de l'apocalypse, siècle de la fin de l'Histoire, de la fin de l'homme dans un grand feu d'artifice plané- taire? Il est, aux approches de l'an 2000, bien des gens qui ont peur, comme il y avait de grandes peurs autour de l'an mil.

    A-t-on raison d'avoir peur? Cette fin du XX siècle est-elle la fin de la vie, ou bien, plus grave encore, l'annonce de la mort qui approche?

    Il est trop tôt pour répondre avec certitude à cette interrogation. Mais, on peut, déjà, en regardant le temps passé, ces presque quatre- vingts années, découvrir. sur le visage de notre siècle, des rides suffisamment creusées pour qu'on sache qu'elles ne changeront plus.

    Notre siècle est d'abord le siècle de la technique et de la science, de la diffusion des connaissances et de leur mise en œuvre. La liste des découvertes de ce siècle est bien plus longue, à elle seule, que la liste de toutes les découvertes accomplies depuis qu'il y a une histoire des hommes.

    Notre siècle est celui de la rupture dans le savoir, dans les connais- sances, une rupture symbolisée par le fait que l'homme a réussi à échapper à l'attraction terrestre, qu'il gravite autour de notre globe, qu'il voit, depuis la lune, un « clair de terre ».

    Mais notre siècle est aussi celui de l'information et cela bouleverse les mœurs, la politique. Il ne faut pas seulement penser à la télévi- sion, aux mass media, mais aussi et sans doute, surtout, à ce grand sorcier qu'on a vu apparaître et qui va peut-être dominer la fin de

  • notre siècle, je veux parler de l'ordinateur. Avec lui, peut-être, notre conscience sera dirigée depuis un centre unique.

    Et tout cela, science, technique, connaissances, information, ordi- nateur, unifie notre globe. Le XX siècle est celui de l'unification et les armements eux-mêmes nous rappellent cette unité de notre globe.

    Pour la première fois, dans l'histoire des hommes, nous pouvons tous disparaître.

    C'est cela le XX siècle. Mais le XX siècle, ce siècle qui fait le monde, c'est aussi celui qui permet aux événements de se répercuter comme un écho, de continent en continent.

    Pensons à ce qui s'est passé, il y a dix ans, en 1968. On a vu dans toutes les villes, les villes chinoises de la révolution culturelle, mais aussi les villes américaines, mais aussi Prague et bien sûr Paris, la jeunesse du monde entier s'enflammer et cela, c'était l'information qui le rendait possible. Il y a, dans ce monde unique, les corps qui se ressemblent, les corps des jeunes gens, les chansons qu'ils chantent; que l'on aille dans une capitale de l'Amérique latine ou dans une capitale de l'Amérique du Nord ou en Europe et même, avec un certain décalage dans le temps, à Prague, à Budapest ou à Moscou, et l'on découvrira les mêmes corps de jeunes gens serrés dans les mêmes vêtements, et ils chantent la même chanson.

    Ainsi, ce siècle est celui de l'uniformisation. Quand on survole São-Paulo, au Brésil, on a l'impression d'être à New York et cette identité entre les grandes capitales nous donne aussi l'idée d'une des maladies de notre siècle, qui est la disparition de la personnalité.

    Est-ce pour cela que nous sommes tant attachés à affirmer nos différences? Et cela aussi est une des caractéristiques de notre temps : nous voulons être Corses, nous voulons demeurer Bretons, nous voulons être Occitans, nous voulons être Québécois, nous voulons être Indiens.

    Partout des groupes limités, des groupes que l'on avait cru écrasés par l'Histoire, revendiquent leur personnalité, façon de protester contre cette mutilation qu'est l'uniformité.

    Et puis, dans notre siècle, et lui donnant peut-être son visage le plus heureux, voilà que les femmes se lèvent. Ces femmes, elles avaient été dans l'Histoire, et partout, dans tous les continents, les opprimées, les esclaves de tous les hommes et même des hommes esclaves. Or le XX siècle est celui de la libération de la femme ou en tout cas, de sa revendication pour être une personne. Est-ce la

  • femme qui donnera, à la fin du x x siècle, le sourire qui lui a manqué, car, jusqu'à notre temps, et si nous sommes pessimistes, nous pouvons dire, pour les années qui viennent, nos vingt-cinq dernières années du XX siècle — jusqu'à notre temps, le XX siècle est celui de la violence, celui de la guerre, celui de la révolution, ces révolutions dans lesquelles tant d'hommes ont investi d'espoirs et qui sont devenues des monstres dévorant les espoirs et dévorant les hommes.

    XX siècle, siècle de la guerre, siècle de l'arme atomique, siècle des camps de concentration, siècle des Etats. L'Etat, ce monstre froid, l'Etat qui a étendu son ombre sur tous les villages du monde entier. Etat chinois, Etat russe, Etat de nos pays d'Europe aussi, aux polices puissantes, aux informations dirigées.

    Il faut toujours se souvenir, quand on parle du XX siècle, du petit nombre de démocraties; elles ne représentent qu'une tache étroite sur le planisphère et, sans doute, la fin du XX siècle sera-t-elle dominée par ce grand débat entre, d'une part, la volonté des hommes d'affirmer leur personnalité, d'affirmer leur individualité, et puis cette puissante ombre des Etats porteurs, à la fois de la bombe atomique, porteurs de la bureaucratie, porteurs du despotisme, porteurs du totalitarisme et qui veulent peut-être faire de la fin du XX siècle une grande surface plane, comme celle d'une autoroute.

  • Repères

    • Question. Dans l'une de ces vies, celle d'un homme qui serait né à la fin du siècle dernier, quels sont les événements marquants que l'on pourrait retenir?

    — Il est toujours difficile de choisir, mais c'est nécessaire. Je crois que les premiers événements importants se sont déroulés pendant l'année 1905 : il s'agit de l'affrontement de la Russie et du Japon et de l'ébranlement de l'Empire russe.

    Et puis, bien sûr, il y a eu la guerre de 1914. Nous avons du mal à mesurer, enfin dans les nouvelles générations, ce qu'a pu être ce conflit. Il a été décisif. Décisif pour ceux qui l'ont vécu, décisif pour l'histoire du monde. Et, sans passer en revue tous les événe- ments importants, il y a, pour ne retenir que les grands môles, dans ce siècle pourtant très tumultueux, la Révolution russe, le fascisme, le nazisme. Ce sont trois pics, et nous savons que la Révolution russe a eu beaucoup de descendants. Ce qui se passe aujourd'hui, dans la corne de l'Afrique, est une lointaine conséquence de 1917 et nous sommes encore sous ce grand pic de la Révolution russe, c'est donc un événement décisif.

    Quant au fascisme et au nazisme, ces deux systèmes, ces deux Etats, ont écrasé la vie de millions d'hommes et continuent de peser aussi sur notre destinée. La Seconde Guerre mondiale est évidem-

    ment capitale et, liés à la Seconde Guerre mondiale, deux phéno- mènes qui sont d'une part la fin des empires coloniaux, c'est-à-dire l'apparition de ces dizaines et dizaines de nations en Asie, en Afrique, qui ont apporté sur la scène mondiale la couleur de la peau d'autres hommes qui devenaient indépendants.

    Et d'autre part, toujours liée à cette Seconde Guerre mondiale,

  • l'arme atomique. L'arme atomique, nous tentons de l'oublier. Nous pensons aux centrales atomiques, nous en discutons l'utilité, nous les craignons mais nous oublions cette possibilité — tout à fait extra- ordinaire dans l'histoire des hommes et j'y reviendrai — que nous avons, désormais, de mettre fin à l'histoire des hommes, et cela constitue un événement vraiment décisif. On peut en suivre la genèse pendant tout le XX siècle, jusqu'à l'éclosion du champignon ato- mique, en 1945.

    Et puis encore, dans cette liste d'événements, mais je ne fais que les mentionner, il y a tellement de naissances! Deux d'entre elles, en tout cas, me paraissent capitales : c'est, d'une part, l'apparition de l'Etat d'Israël, parce que c'est vraiment l'aboutissement d'une his- toire plusieurs fois millénaire, et la réimplantation de ce peuple dans une région du monde, à laquelle il était lié par un livre, par Le Livre, par une tradition religieuse, a bouleversé la vie dans cette région, et peut-être la vie du monde. Et puis, la réapparition de la Chine comme puissance qui, elle, à elle seule, dépasse l'apparition de toutes ces nations venues de la colonisation, mais la Chine est aussi le surgissement d'un Etat qui somnolait, qu'on avait essayé de coloniser, et, vraiment, dans le XX siècle, sa renaissance est l'un des pics qui nous domine.

    • Question. XXe siècle, siècle de rupture dans nos connaissances, siècle de violence, de despotisme, d'étatisme, mais ne peut-on en dire autant des siècles précédents?

    — Sous cet angle-là, sûrement. J'ai écrit Que sont les siècles pour la mer, qui est, sous forme de roman, une réflexion sur le massacre, parce que l'Histoire est un long massacre, et quand on regarde le XX siècle, on peut se dire, qu'après tout, le massacre y est peut-être plus industrialisé, plus techniquement préparé, mais qu'au fond, les Assyriens massacraient aussi, et qu'au fond, au XVII siècle et au XVIII siècle, pendant la Révolution française, on a toujours mas- sacré, qu'il y a eu toujours des génocides et c'est vrai. De ce point de vue, le XX siècle ne fait qu'élargir le fleuve de sang qu'est l'his- toire humaine.

    Seulement, il y a des éléments nouveaux. J'ai déjà parlé, il y a un instant, de cette possibilité, et je ne me lasserai pas d'en parler, de cette possibilité que nous avons de mettre fin à l'Histoire.

    Quand, en 1914, la grosse Bertha, cet immense canon fabriqué par Krupp, bombardait Paris, des quartiers étaient écrasés. Quand il y avait les gaz asphyxiants en 1916, à Ypres ou ailleurs, des mil-

  • liers d'hommes avaient leurs poumons brûlés. Mais aujourd'hui, nous avons des armes qui sont capables de nous détruire tous, de créer vraiment ce que Antonin Artaud appelle la mort universelle et de mettre fin à notre Histoire, et cela est radicalement nouveau. Seulement par une sorte de mécanisme psychologique qui m'étonne toujours, de même que, en tant qu'individu, nous ne songeons jamais à notre mort, de même l'humanité est-elle arrivée au point où elle a la possibilité de mourir et ne veut pas le savoir. Fait radi- calement nouveau dont il faut prendre conscience si nous voulons mesurer, à la fois la singularité du XX siècle et le danger que repré- sente ce siècle.

    • Question. A force d'élargir ce fleuve de sang, est-ce qu'on ne va pas se trouver devant une inondation, est-ce qu'on ne va pas vers la destruction d'une certaine race, en l'occurrence la race blanche?

    — En tout cas, c'est une question, et bien des sociologues se la posent. Certains sont de farouches partisans de la race blanche. Et de fait, il n'y a aucune raison de souhaiter la disparition de cette race. Mais, il est sûr que, même sans faire appel à la guerre, la race blanche, en tant que race, est menacée.

    Elle est menacée parce que, démographiquement, elle ne se déve- loppe pas aussi vite que se développent d'autres races à la surface du globe. Mais au-delà de cette question de la race blanche, je crois qu'il y a la question qu'on peut se poser de la crise des valeurs de la race blanche, de la crise de ce qu'on peut appeler l'Occident.

    On dit l'Occident est en crise, on dit la violence, on dit les Etats démocratiques, qui appartiennent à la zone occidentale, ces Etats démocratiques ne pourront pas résister à la pression d'autres Etats qui ne sont pas démocratiques.

    Il est vrai qu'il y a une crise des valeurs de l'Occident et Spen- gler, cet auteur allemand qui écrivait pendant la guerre de 1914, intitula son ouvrage le Déclin de l'Occident, parce que, précisément, il se posait déjà la question.

    Les deux guerres mondiales ont, à la fois, créé une hémorragie dans la race blanche et dans l'Europe, très précisément, mais elles ont aussi contribué à faire que les centres de puissance se sont déplacés hors de l'Europe.

    L'Amérique qui a été une dépendance culturelle de l'Europe, une création de l'Europe, est désormais radicalement autre que l'Europe. L'Union soviétique, la Russie, elle aussi, est sortie de l'Europe. On constate aussi la croissance démographique de ces peuples qui ne

  • sont pas de race blanche, qui ont une vitalité que nous n'avons plus, incontestablement, pour l'instant, et qui posent le problème de la couleur de l'espèce humaine. Il n'y a pas de couleur préférable à une autre. Le blanc ne vaut pas mieux que le noir ou que le jaune, constatons simplement que, peut-être, l'avenir de l'humanité, je ne me prononce pas, je ne sais pas, mais je me pose la question, l'avenir de l'humanité, c'est peut-être le métissage?

    • Question. Dans ce tableau sombre du XX' siècle, siècle de vio- lence et de destruction et de sang, est-ce qu'il n'y a pas, quand même, des éclaircies, des embellies, est-ce que le XX' siècle n'a pas été, aussi, le siècle de l'espérance?

    — Oui, le XX siècle a été le siècle de l'espérance et certains, aujourd'hui, disent, d'ailleurs, que cette espérance, cette espérance trahie, est une des grandes défaites du XX siècle. En tout cas, la Révolution russe de 1917 a été une très grande espérance, la croyance dans le fait que le socialisme allait pouvoir organiser une société idéale. Pendant une quarantaine d'années, la moitié du XX siècle presque, des millions d'hommes ont été soutenus par cette idée qu'il y avait vraiment un monde meilleur et qu'il se construi- sait, quelque part à l'Est, une sorte de paradis sur terre, et, comme on ne connaissait pas ce quelque part, qu'on n'allait pas en Russie soviétique, qu'on n'écoutait pas les discours ou les récits des dissi- dents des années 30 ou même des années 20, on imaginait la créa- tion d'un Etat nouveau.

    Et puis, on s'est aperçu, et ce fut l'une des grandes secousses du XX siècle, que là-bas, aussi, s'était construit un système étatique, oppresseur incontestablement et qui, par bien des côtés, valait, dans la pratique, ce qu'avait été le nazisme. Cette grande brisure du XX siècle a été la perte de l'espérance pour des millions d'hommes, si bien que nous sommes, maintenant, à un moment critique pour les valeurs, parce que les hommes qui s'étaient investis dans une croyance, dans la possibilité de bâtir une société terrestre meilleure, eh bien, il ne leur reste, après cette déception-là, que le scepticisme. Ils n'ont légué, de ce fait, à leurs fils, que le scepticisme. Mais alors quelles nouvelles valeurs, quelles nouvelles espérances est-il pos- sible, pour cette fin du XX siècle, de mettre en place?

    J'ai eu aussi ma petite expérience du XX siècle, j'ai parcouru aussi toutes ces illusions et j'ai essayé de réfléchir à la possibilité d'une espérance. Je fais confiance à ce qu'on appellerait la conscience critique.

  • Il n'y a pas de salut possible sans la réflexion lucide, modeste, critique, vigilante de chaque individu.

    Le XX siècle nous a appris qu'il ne fallait pas déléguer sa pensée, sa réflexion, à des institutions, à un Etat, à un parti, à un homme. Il faut se dire que c'est en soi, avec les modestes moyens intellectuels et les éléments d'information dont on dispose, que l'on peut chercher à réfléchir.

    Réfléchir seul, non pas pour rester seul. On doit s'associer avec d'autres, mais au terme d'une réflexion qu'on a élaborée en conscience, sans se référer à des diktats, à des croyances venues d'ailleurs. Ne rien admettre qu'on ne soit capable, soi-même, d'exa- miner et de décider.

  • 2

    1905 Cette Année-là, le cuirassé Potemkine...

  • UNE drôle d'année que l'année 1905. Quand on évoque le XX siècle, on précise toujours qu'il commence

    en 1914 ou en 1917, à la Première Guerre mondiale, ou à la Révo- lution russe. Je ne crois pas. En 1905, bien des événements, bien des hommes apparaissent, qui seront à l'origine des grands courants, des grands faits de ce siècle. Deux noms, peut-être, suffiront pour marquer l'importance de cette année-là. 1905, Sigmund Freud publie sa théorie de la sexualité. 1905, encore, Albert Einstein développe ses travaux sur la relativité et découvre des corpuscules, les photons, qui sont essentiels pour la théorie électromagné- tique.

    Freud, Einstein, voilà deux noms qui sont presque les emblèmes du XX siècle et donnent le ton de cette année 1905.

    Bien sûr, si l'on feuillette les journaux de cette année-là, ce qui frappe d'abord, ce sont les différences, ce qui sépare notre aujour- d'hui de ce hier.

    Partout, il n'est question que de rois et d'empereurs. Le monde, l'Europe surtout, sont gouvernés par des princes et ce sont eux que l'on voit aux premières pages des journaux. Tenez, voici l'une des couvertures les plus étonnantes de l'année 1905. C'est celle du 18 février, celle d'un magazine qui est, alors, l'équivalent des grands hebdomadaires illustrés d'aujourd'hui : un bébé de moins d'un an sur son coussin brodé, et la légende donne le climat de toute une époque; un titre : « L'enfant qui sera Tsar ». « Le grand-duc héritier, Alexis Nicolaïevitch, né à Peterhoff, le 12 août 1904.

    Ataman de tous les cosaques, chef du régiment de la garde de Finlande, du 51e régiment d'infanterie de Zitovsk, du 12e régiment de tirailleurs de la Sibérie orientale et du corps des cadets de

  • Tachkent, chevalier de l'ordre de Saint-André. Six mois, et bien des titres, déjà, et beaucoup d'espérance. »

    Cet enfant devrait être tsar. Mais douze ans plus tard, c'est la Révolution russe. Les coutumes séculaires qui font d'un enfant le chef symbolique de milliers de soldats, seront balayées. Et avec elles toute la famille impériale de Russie; le grand-duc héritier Alexis Nicolaïevitch sera abattu par les bolcheviks.

    Mais, en 1905, on croit encore à l'avenir du Tsarévitch. Au moins pour ceux qui ne veulent voir que les apparences, qui ne retiennent de l'actualité de cette année-là que les voyages des têtes couronnées; Edouard VII, roi d'Angleterre, à Paris, reçu par le président Loubet, ou bien Alphonse XIII, roi d'Espagne, ou bien Carlos, roi du Por- tugal, ou encore Guillaume II, empereur d'Allemagne, qui, sur un cheval blanc, parcourt les rues de Tanger. Quel étrange défilé que ce cortège impérial : soldats marocains, caïds en burnous, et puis les casques à pointe des officiers prussiens, le tout, dans la foule bigarrée et nombreuse. On se dit, qu'aujourd'hui, il y aurait bien d'autres précautions!

    Drôle d'année que cette année 1905. Le nouveau mêlé au plus archaïque.

    Le cirque de Buffalo Bill, en 1905, est à Paris. Les tentes ont été dressées sur le Champ-de-Mars. Le colonel Cody, Buffalo Bill, prépare ses Indiens pour qu'ils fassent irruption, en une grande cavalcade; d'autres, en costume de guerre, tomahawk à la main, s'apprêtent à bondir : spectacle pour Parisiens. N'oublions pas qu'en 1905, le cinématographe n'en est encore qu'à ses débuts et l'on a toujours le désir de voir, de savoir. Alors, on recrée les événements, puisqu'il y a si peu d'images. Par exemple, comme se déroule une guerre entre Russes et Japonais, sur laquelle je reviendrai, Buffalo Bill met en scène dans son spectacle, des cavaliers japonais et des cavaliers russes. Il faut coller à l'actualité.

    Le cinématographe commence d'ailleurs à le faire. Sur les places, une baraque foraine, une tente, des bancs et un

    écran de toile, où tremblent les premières images accompagnées au piano et à la grosse caisse par un musicien.

    Le neuf et l'ancien étroitement mêlés dans cette année 1905. Par exemple, le circuit d'Auvergne, l'une des premières épreuves

    automobiles, qui avait lieu en juin 1905; des dizaines de véhicules, des dizaines de marques : Renault déjà, mais d'autres oubliées :

  • Richard Brasier, Panhard Levassor, Hotchkiss, De Dietrich. La concentration industrielle n'a pas encore atteint la production auto- mobile. Sur un circuit difficile, des routes poussiéreuses, la vitesse est déjà de 72,500 km de moyenne; parmi les concurrents, un conducteur nommé Lancia.

    Ainsi, les mœurs changent. Peu à peu, l'automobile devient un élément essentiel de la vie

    quotidienne, même si elle n'est encore, en 1905, qu'un moyen de transport excentrique.

    Vie mondaine et automobile, titrent les journaux. Les élégantes, quand elles veulent participer à une promenade automobile, se masquent le visage de voile et de lunettes et les conducteurs s'enve- loppent dans des pelisses.

    Quand on regarde ces photographies des conducteurs d'alors, on a le sentiment que l'année 1905 est bien plus éloignée de nous que les soixante-quatorze ans qui nous séparent d'elle! Erreur. Le monde d'aujourd'hui se met en place. Il est déjà unifié. Un monde fini. Pas une région qui n'échappe à la curiosité ou, déjà, au tourisme.

    De l'Arctique à l'Afrique, les premiers touristes encore un peu explorateurs, en très petit nombre, bien sûr, parcourent notre monde; pas une région que ne saisissent dans leurs objectifs les photographes.

    Si l'on feuillette encore les magazines de 1905, c'est un véritable tour du monde que l'on fait, semaine après semaine, photographies du siège de Port-Arthur par les Japonais, vues du Maroc, une fantasia à Fez, Saint-Pétersbourg et les troubles qui s'y déroulent. Par exemple, le 4 février 1905, photographie d'un homme encore jeune, forte moustache, chapeau de feutre à larges bords, légende de la photographie : « l'écrivain russe, Maxime Gorki, arrêté comme révolutionnaire ». La légende de cette photo, étrangement, nous rappelle le temps d'aujourd'hui, le temps des dissidents russes. Ecoutez :

    « A la suite des troubles qui ensanglantèrent, le 22 janvier, Saint- Pétersbourg, un certain nombre d'hommes de lettres, de journalistes, d'intellectuels, comme on dit, ont été arrêtés par la police russe. Neuf écrivains, qui, la veille de cette tragique journée, avaient été désignés par cent cinquante de leurs confrères, au cours d'une réunion, pour se rendre auprès du ministre de l'Intérieur et tenter d'éviter la collision qu'on pressentait fatale, furent les premières victimes de la répression. Parmi eux, se trouve l'un des écrivains les plus puis- sants, les plus originaux de la littérature russe contemporaine, Maxime Gorki. Saisi à Riga, où il était allé, il a été incarcéré dans une forteresse. On a surnommé Gorki le prince des vagabonds. Nulle

  • existence, en effet, ne fut plus mouvementée que la sienne. Il rappel- lerait assez, par le côté aventureux de son caractère, notre Villon. »

    C'est Gorki que la police russe a arrêté. C'est lui qui, plus tard, adhérera à la Révolution russe. Cet article nous montre, à quel point, ce temps de 1905 est proche d'aujourd'hui. Et cette information précise qui nous concerne encore, nous la retrouvons à propos des pays les plus lointains, que ce soit le Siam ou la Chine, qu'un couronnement ait lieu au Siam, qu'un tremblement de terre ou une émeute se produise en Chine, les photographes sont déjà là.

    Le monde entier entre dans notre regard, le monde entier entre dans notre mémoire.

    Oui. 1905 est bien de notre XX siècle.

    En 1905, le monde est donc déjà uni. Les journaux nous rappor- tent même ce qui se passe dans les régions les plus éloignées.

    L'information, cette caractéristique du XX siècle, est un élément déjà essentiel de la vie quotidienne. Mais de cette année-là, que retenir, que choisir parmi la foule des faits?

    E t la France, d'abord, où en est-elle? Bien sûr, c'est la I I I République, une I I I République qui a été

    secouée par l'affaire Dreyfus et, quand commence l'année 1905, on a un peu oublié l'officier israélite. Une figure domine la politique, Emile Combes, président du Conseil. Il démissionne en janvier 1905, son nom attaché à l'anticléricalisme.

    Ce séminariste, à barbichette grise, est, en fait, un homme que l'on qualifierait de gauche, aujourd'hui. Ce qu'il veut, c'est réduire le pouvoir de l'Eglise, et l'année 1905 sera pour la France, cela : la lutte entre l 'Etat républicain et une Eglise qui est, encore, à la différence d'aujourd'hui, profondément ancrée dans les milieux conservateurs, attachée encore à l'idée monarchique.

    Le 9 décembre 1905, entre l 'Etat républicain et l'Eglise, est instituée la séparation de l'Eglise et de l'Etat.

    Tout simple? En fait, au contraire, cela déclenche des combats, des luttes. L'idée est si ancienne, en France, France fille aînée de l'Eglise, que de voir ces deux frères siamois séparés heurte, et d'autant plus qu'il faut connaître l'étendue des biens d'Eglise. Commence, alors, surtout en 1906, mais déjà à la fin de l'année 1905, cette période dite des « inventaires ».

    Les dragons s'en vont dans les provinces, contrôler la richesse des couvents. Il y a des expulsions et, partout, les troubles se multiplient,

  • partout la tension se fait vive, entre les milieux conservateurs, certains militaires qui protestent contre ces ordres qui sont contraires à leur conviction religieuse, et les milieux républicains.

    Mais une fois les passions éteintes, aujourd'hui, que constatons- nous? Que cette loi de 1905 a été essentielle à la vie civile de la

    nation. L'Eglise de France, au fond, et l 'Etat, bien sûr, ont, tous deux, profité de cette séparation et, finalement, pour les rapports entre une puissance religieuse et l'Etat, la loi de séparation de l'Eglise et de l 'Etat de 1905 fut un fait positif.

    Bonne année donc, que l'année 1905, pour l'Eglise et l 'Etat, en France.

    Un autre événement se produit, qui nous concerne encore : en 1905, la naissance de la Section française de l'Internationale ouvrière.

    L'actualité, aujourd'hui, a mis en lumière ce qu'on appelle le P.S., le parti socialiste. La S.F.I.O. est l'ancêtre du P.S. C'est un événement capital que celui qui se produit le 25 avril 1905, car toutes les sections séparées du socialisme français, celles qui étaient présidées par ces barbus vénérables qu'étaient Jules Guesde et Jean Jaurès, se rassemblent pour constituer la Section française de l'Internationale ouvrière.

    Fait déterminant de la vie politique française. Entre 1905 et 1914, ce parti socialiste va grossir de façon très rapide, jusqu'à obtenir, en mai 1914, plus d'un million de voix, 104 élus à la Chambre des députés, et près de 90 000 adhérents.

    Une force surgit ainsi, sortie de la division des différents courants du socialisme, une force qui va devenir l'une des traditions de la vie politique française. Et naturellement, cette création d'un mouve- ment socialiste unifié va avoir des répercussions sur la vie syndicale, sur d'autres secteurs de la vie politique.

    Bref, après 1905, le visage politique de la France est différent. Seulement, le centre de l'activité internationale, si l'on veut

    retenir dans l'année 1905 ce qui est essentiel, ce n'est pas la France.

    Malgré la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat, la création du parti socialiste, malgré les entreprises coloniales françaises en direction du Maroc, en direction de l'Afrique, l'essentiel, ce n'est pas

    la France qui le crée. L'essentiel se joue ailleurs et, d 'abord, en Russie.

    E t pour nous qui vivons encore confrontés à ce pic qu'a été la

  • E n v i n g t r é c i t s , c e n t a n n é e s q u i ,

    d a n s l ' a v e n t u r e d e s h o m m e s ,

    o n t c o m p t é p l u s q u e c e n t m i l l e a n s .

    Étrange XXe siècle 1905 : Cette Année-là, le cuirassé Potemkine...

    1914-1918 : Les Années de la mort

    1917 : L'Année qui ébranla le monde 1922 : L'Enfant du siècle : le fascisme

    1923 : L'Année inhumaine 1929-1934 : De Wall Street à Berlin

    1936 : Le Front populaire 1919-1939 : La Poigne de Staline

    1936-1939 : « Pour qui sonne le glas »

    1939-1945 : Le Brasier de la guerre 1943 : Le Temps du ghetto

    Les Camps ou le dernier cercle de l'enfer 1945-1948 : Vers la guerre froide

    La Chine au centre du siècle La Décolonisation ou la révolte des Autres

    L'U.R.S.S. sans Staline La France et de Gaulle

    Les Printemps de 1968 Vers la fin du siècle

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