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Université Rennes 2 ALC/Information-Communication Société de l’information L’écologie et l’économie de l’attention 2016-2017 Licence 3 Semestre 6 Eva RADEK Pauline NOËL Charlotte QUEFF Clément PÉDRON Camille RANNOU Helena POUSSIER

L’écologie et l’économie de l’attention · scientifiques américains avec les marques Coca Cola et Pepsi6. Lors de la première dégustation avec les yeux bandés, les

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Université Rennes 2 ALC/Information-Communication

Société de l’information L’écologie et l’économie de l’attention

2016-2017 Licence 3

Semestre 6

Eva RADEK Pauline NOËL

Charlotte QUEFF

Clément PÉDRON Camille RANNOU

Helena POUSSIER

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I - Introduction

Dans notre société actuelle, nous sommes constamment sollicités par les images et les informations, il y en a une surabondance. Cette dernière entraîne une dispersion de l’attention, une difficulté de concentration, phénomènes que l’on peut observer dans nos processus de socialisation comme à l’école par exemple. On peut étudier ces faits d’un point de vue économique mais également socio-technique. L’économie de l’attention est une nouvelle branche des sciences économiques et de gestion. Elle traite l'attention comme une ressource rare. Gabriel Tarde, sociologue et philosophe français du XXème siècle, constate que la surproduction industrielle nécessite des formes de publicités qui puissent « arrêter l'attention, la fixer sur la chose offerte. » Cependant l’attention n’est pas qu’une question économique, il faut aussi la penser dans sa globalité avec ses aspects socio-techniques, ce que l’on appellera écologie de l’attention. En effet, l’attention doit être réfléchie dans un rapport à l’environnement complexe qu’est le nôtre. Il est sujet à des interactions multiples entre les personnes et les dispositifs techniques. Le problème qui est posé par l’écologie de l’attention est celui de la dispersion de l’attention due à la multiplication et à l'hyper-sollicitation des sources qui nous entourent. Selon Yves Citton “L’étude pose donc les fondements d’une écologie de l’attention comme alternative à une suroccupation qui nous écrase”1.

Yves Citton a publié en 2014 l’ouvrage “Pour une écologie de l’attention”. Il y propose une vision élargie des questions portant sur l’attention, la concentration, la distraction ou encore la géolocalisation2. Selon lui, la sur-sollicitation de notre attention est bel et bien un problème mais cela ne nous condamne pas à une “dissipation abrutissante”3. Il explique que le temps ainsi que la qualité de notre attention sont des facteurs importants dans l’écologie de l’attention. La “qualité importe au moins autant que la quantité” en ce qui concerne la réception. Selon l’auteur, nous faisons nous-mêmes un filtrage de ce que l’on voit, qu’il soit conscient ou non4. Ce filtrage, ainsi que la dimension sociale et culturelle fait qu’il préfère parler d’écologie de l’attention plutôt que, simplement, d’économie de l’attention. On observe que les avis divergent sur les questions d’économie et d’écologie de l’attention. Nous allons donc, dans cet article scientifique, essayer de comprendre en quoi les notions d’économie et d’écologie de l’attention sont différentes et permettent d'éclairer des phénomènes de société ? Pour répondre à cette question, nous avons décidé de nous appuyer sur le point de vue de différents auteurs dont notamment Yves Citton, Nicholas Garnham, Pierre Bourdieu, Antonio Casilli. Ainsi nous avons rédigé un article théorique pour mieux appréhender les notions d’écologie et d’économie de l’attention en les mettant en lien avec des faits d’actualités. 1Yves Citton, “Pour une écologie de l’attention”. Paris, Seuil, La couleur des idées, 2014 2Yves Citton, Livres, http://www.yvescitton.net 3Digital Society Forum, “Yves Citton - L’écologie de l’attention”, 16 septembre 2016 4Théo Corbucci, “Yves Citton : Il faut passer d’une économie à une écologie de l’attention”, Microsoft RSLN, https://rslnmag.fr/cite/economie-attention-ecologie-yves-citton-entretien-infobesite/, 28 décembre 2014

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II - L’économie

L’économie est une branche de l’écologie de l’attention, qui est une notion très controversée. Cela s’explique par le fait que dans le système capitaliste, on ne produit pas pour satisfaire un besoin mais pour se faire plus d’argent. Ainsi, les grandes entreprises vont mettre en place plusieurs techniques de marketing pour solliciter les individus à acheter leurs produits, notamment via la publicité. On observe donc différentes stratégies afin d’imprégner aux consommateurs des habitudes d’achats.

Il y a deux façons de faire intégrer la publicité aux individus, en “manipulant” ou en “séduisant”. Avec la séduction, nous en serions moins conscients, plus à même de l’accepter. Il y a du changement en permanence, il faut suivre la mode, les tendances alors même que nous sommes dans un contexte où l’information s’accélère, se multiplie, se banalise. La manipulation est l’action d’orienter la conduite de quelqu’un ou encore d’un groupe dans la direction que l’on désire et ce, sans qu’il ne s’en rende compte. Ce terme, bien différent de celui de propagande, a pris un certain virage dans la sphère de la publicité grâce notamment à l’évolution des supports de diffusion, avec à la clé, un nouveau terme, le “neuromarketing”5. Au fur et à mesure de l’évolution des supports de diffusion et de l’avancée de la science médicale, on a remarqué que cette dernière est au service de la communication. Grâce aux neurosciences, on a pu observer les réactions du cerveau via un IRM lorsque celui-ci est sujet à une publicité. La plus célèbre expérience à cette étude est celle réalisée par des scientifiques américains avec les marques Coca Cola et Pepsi6 . Lors de la première dégustation avec les yeux bandés, les cobayes n’ont observé aucune préférence particulière entre les deux boissons puisque la zone sensibilisée, lors de l’absorption “à l’aveugle”, est celle liée à la sensation du plaisir. Lorsque les personnes ont découvert l’identité des deux boissons, la préférence est donnée à Coca Cola et dans ce cas, c’est la zone dédiée à la mémoire qui réagit. On peut donc en déduire que les marques jouent de plus en plus sur les zones de notre cerveau afin de les faire réagir, et ainsi nous faire acheter tel ou tel produit Après les zones de la matière grise, on peut également faire un parallèle avec un nouveau mode de marketing, cette fois-ci dit sensoriel où ce sont les sens qui réagissent (comme par exemple l’odorat chez Hollister avec le parfum spécial de l’enseigne ou encore l’exemple d’une ambiance “zen” dans les magasins de cosmétique). De part ces stratégies de publicité, les produits sont valorisés pour capter notre attention. Daniel Kaplan explique que “le fonctionnement de marchés dans lesquels l’offre est abondante (et donc économiquement dévalorisée), la ressource rare devient le temps et l’attention des consommateurs”7. Dans ce contexte, le niveau d'attention dont bénéficie un objet est une source de valorisation. Ainsi, les produits bénéficiant d’une surexposition publicitaire vont voir le taux de popularité grimper. Effectivement, avec l’émergence des 5Alan Dedobbeler, “Le Neuromarketing : quand la publicité vous manipule”, http://ad-creatif.com/le-neuromarketing-quand-la-publicite-vous-manipule/, 2015 6 Arnaud Pêtre et Sébastien Bohler, “Le neuromarketing dans la tête du consommateur” http://www.cerveauetpsycho.fr/ewb_pages/a/article-le-neuromarketing-dans-la-tete-du-consommateur-33295.php, octobre 2014 7 Daniel Kaplan, “Musique et numérique : L’économie MySpace est-elle favorable à la création ?”, InternetActu, 12 avril 2007

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mass médias au XXème siècle, on voit apparaître une multiplication d’images qui nous sont imposées. D’après l’École de Chicago, l’individu voit son expérience sociale sensible saturée par toutes les images qui arrivent dans son environnement et qui peuvent sensiblement le déstabiliser. Simmel évoque cette idée dans son livre “La grande ville et la ville d’esprit”8, où il explique que dans la ville, l’individu est soumis à l’attraction constante des images et des informations dans l’espace urbain. Il est alors saturé et doit se replier sur lui-même. Ce qui augmente les risques de “mal information” et d’ ”infobésité”, terme inventé par Dominique Wolton9. Cette surabondance de publicités se situe dans un objectif économique, les médias sont à la recherche de l’audimat. La recherche de l’audience prend parfois même le dessus sur la qualité et la véracité de l’information. On peut reprendre l’exemple du charnier de Timisoara en 1989 où les chaînes de télévision ont diffusé en continu des informations sur la situation en Roumanie sans pour autant prendre du recul sur l’affaire, engendrant la plus grosse désinformation de l’histoire du journalisme moderne. Le problème est que nous sommes dans une société qui souhaite l’information rapidement. Mais ceci entraîne un manque de vérification des sources et un faible niveau d’analyse de la part des journalistes.

Pierre Bourdieu, sociologue français de la deuxième moitié du XXème siècle, s’est notamment intéressé à la sociologie des médias. Il écrit un ouvrage “Sur la télévision” en 199610, dans lequel il souligne la “censure invisible” présente dans les médias. Selon lui, les médias recherchent en permanence l’audimat, “Tout ne s’explique pas par l’économie mais rien ne s’explique sans elle”. En effet, les chaînes sont soumises à de nombreuses contraintes économiques. Le but est de faire vendre et d’attirer les annonceurs ou encore les publicitaires. À savoir que selon une étude du cabinet Ernst and Young, commandée par l’Union des annonceurs (UDA) et l’Union des entreprises de conseil et achat média (UDECAM), les annonceurs ont investi 46,2 milliards d’euros en 2015 dans la publicité11. Le prix d’un spot publicitaire varie selon l’heure de diffusion et selon le support de diffusion. Le passage d’une publicité sur TF1 lors de la série Mentalist coûte 128 000€ les 30 secondes. Soit deux fois plus cher que sur la chaîne M6 lors de la série Elementary puisque celle-ci coûte 58 000€12. Il en est de même pour la radio qui est extrêmement écoutée le matin, les ventes publicitaires sont donc plus chères. De 7h à 7h30, la publicité coûte 12 000€ les 12 secondes. De plus, le coût des pages dans la presse écrite n’est pas le même selon les départements. On cartographie toute la population française pour ajuster le besoin d’un annonceur et positionner la publicité de manière plus optimale. Ainsi, dans le sud on trouvera plus de publicités pour des affaires de plage contrairement à Paris. De plus, un département fortement peuplé verra son coût de publicité augmenter. Du fait qu’il y ait plus de public, l’annonceur a plus de chances de vendre son produit.

8Georg Simmel, “Les grandes villes et la vie de l'esprit”, Paris, Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2013 9Dominique Wolton, “Informer n’est pas communiquer”, Paris, CNRS Éd., coll. Débats, 2009, p.147 10Pierre Bourdieu, “Sur la télévision”, 1996 11Le Monde, Éco & Entreprise, Article “Youtube se met à la télévision payante”, 2 mars 2017 12Le Figaro, article “Combien coûte un spot de publicité à la télévision ?”, http://tvmag.lefigaro.fr/le-scan-tele/actu-tele/2014/12/05/28001-20141205ARTFIG00176-combien-coute-un-spot-de-publicite-a-la-television.php , 5 décembre 2014

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Selon le CSA, les chaînes de télévision sont autorisées à diffuser jusqu’à douze minutes de publicité par heure d’antenne13. De plus, “une période d’au moins vingt minutes doit s’écouler entre des interruptions successives à l’intérieur d’une même émission”14.

Il est également intéressant de souligner que les publicités présentes dans les médias ont forcément une influence sur le contenu et inversement. D’une part, le journal ou la chaîne ne peut se permettre de s’exprimer librement en fonction de ses investisseurs, qui sont la plupart du temps des publicitaires. Il en est de même pour les chaînes de télévision qui appartiennent à de grands groupes économiques, comme TF1, qui fait partie du groupe Bouygues. Cela impliquerait une censure invisible de la part des journalistes, liée au marché à deux versants. Le “two sided market” s’illustre par le processus suivant : le média vend un support publicitaire aux annonceurs et donc en même temps, un contenu médiatique aux consommateurs. D’autre part, le contenu a une influence sur la publicité, à des heures de fortes écoutes, on va mettre des programmes divertissants pour que les téléspectateurs ou auditeurs aient “le cerveau grand ouvert” afin d'accueillir un maximum d’informations. À l’heure du repas, les publicités vont être consacrées à la nourriture afin de donner envie d’acheter tel ou tel produit.

III - La sociotechnique

Pour analyser justement la dispersion de l’attention et la captation par la surabondance, on ne doit pas se baser uniquement sur une vision économique. L’aspect socio-technique n’est pas négligeable. Comme dit précédemment, le placement des publicités n’est pas fait de manière aléatoire. Prenons l’exemple de Patrick Le Lay, Président directeur général de TF1 qui parle du modèle d’affaire de la chaîne en 2004. Ce discours a fait polémique : “À la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola à vendre son produit. Or, pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible15. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible. C’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages”. Autrement dit, on anesthésie le cerveau, on empêche les téléspectateurs et auditeurs de penser avec ces systèmes. Cette idée est bien représentée par l’image ci-dessous.

13 Benjamin Meffre “Bientôt plus de 12 minutes de pub par heure à la télé ?” http://www.ozap.com/actu/bientot-plus-de-12-minutes-de-pub-par-heure-a-la-tele/498279, 18 mai 2016 14 CSA, la publicité, les communications commerciales, le suivi des programmes, télévision, http://www.csa.fr/Television/Le-suivi-des-programmes/Les-communications-commerciales/La-publicite 15 L’express L’expansion, “Patrick Le Lay, Président directeur général de TF1”, http://lexpansion.lexpress.fr/entreprises/patrick-le-lay-president-directeur-general-de-tf1_1428488.html, 9 juillet 2004

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Nous pouvons évoquer la théorie “Usages & Gratifications”, variante de l’approche

fonctionnaliste des médias. Les récepteurs y sont considérés comme actifs, libres et autonomes, on s’intéresse désormais à leur satisfaction. Les médias dépendent donc des individus et de leurs ressentis. Le consommateur a le choix de se concentrer sur un seul média ou bien sur plusieurs. En fonction du contexte et de ses envies, le consommateur s’orientera vers internet, la télévision, la presse écrite ou encore la radio. Hartmut Rosa soulève une idée intéressante à ce propos, il explique que notre capacité à rester concentré sur un média ou un sujet est de plus en plus réduite, les individus sont de plus en plus multitâches16. Cela s'expliquerait par le fait que nous ne pouvons plus supporter la lenteur et cela se remarque notamment à travers notre attention. Ainsi, Rosa contribue à la théorie critique de l’école de Francfort et critique l’accélération de notre société. Il explique que nous avons l’impression de vivre une pénurie de temps alors qu’en réalité notre temps libre ne cesse d’augmenter. Cependant, même si nous parvenons parfois à échapper à certaines publicités ou programmes, quelques publicités s’imposent à nous comme celles présentent sous forme d’affichages dans la rue ou les transports en commun par exemple. Pour appuyer nos propos, nous avons compté le nombre de publicités vues sur une journée banale de 8h à 22h. Un étudiant de Rennes 2 voit donc près de 170 publicités par jour au total ! En regardant les informations ainsi qu’une série à la télévision, 47 publicités. En sortant de chez soi, 2 publicités sur des vélos, 8 sur des bâtiments, 9 dans un journal, 12 dans le métro, 13 flyers et 38 affiches. Après cela, 3 publicités sur des bus et 5 sur les abris de bus. Mais aussi 11 publicités sur les télévisions de l’université, 20 sur internet (Facebook principalement). Et même 2 sur des sacs de courses.

Ne pouvons-nous pas vivre sans être assaillis par les publicités sur tous supports? C’est pourtant l’avenir sombre que nous prédisent les réalisateurs de Black Mirror. Dans l’épisode “15 millions de mérites” (S1E2) nous constatons que nous risquons d’être envahi par les technologies dans le futur, si ce n’est pas déjà le cas. En effet, nous voyons les personnages enfermés et soumis à des contraintes économiques et numériques. Ils sont dans l’obligation de voir défiler des publicités dans la pièce dans laquelle ils se trouvent. Chaque acte exécuté dans le but de vouloir échapper à la publicité entraîne une perte d’argent. De plus, ils doivent sans cesse pédaler sur des vélos électriques, tout en regardant des publicités, afin de récolter de l’argent. C’est à la fois angoissant et terrifiant, car bien que ce soit de la fiction, cela est tout à fait réalisable. En effet, le 6 février 2017 BFM TV annonce une “avancée” majeure. Une publicité suédoise, installée sur les abris de bus, se met à tousser pour interpeller les fumeurs et diffuse alors un message anti tabac. Une autre publicité de prêt-à-porter s’adapte à la météo pour proposer ses vêtements. Enfin, une dernière nous écouterait et afficherait des contenus en fonction de nos sujets de conversations. Ce sont des publicités interactives et intrusives. En plus de cela, un reportage sur le big data nous informe d’une nouvelle stratégie publicitaire17. Lors d’un achat, un système informatique croise les données de la carte de crédit du consommateur et de son smartphone, ainsi le client est géolocalisé. Lors de ses 16 Elodie Wahl, « Hartmut Rosa, Accélération. Une critique sociale du temps », Lectures, Les comptes rendus, http://lectures.revues.org/990, 2010 17 Big Data FR, “Reportage spécial investigation : Big data”, https://www.youtube.com/watch?v=R-1tEh4jTE0, (10:00, 12:06), 2 décembre 2014

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futurs passages devant le même magasin, il reçoit un SMS promotionnel sur son portable. Le client reçoit une offre personnalisée, plus ciblée, mais pour cela, ses déplacements sont espionnés. Non sans rappeler le célèbre “Si c’est gratuit, tu es le produit”. Mais les utilisateurs ne voient pas cette utilisation des données comme aliénante, ayant un résultat positif. Selon Antonio Casilli, le digital labor ne voit pas les publics comme uniquement passifs, puisqu’ils produisent des données revendues, ils sont marchandises et travailleurs18.

Jeremy Rifkin considère que les technologies ont des effets incontournables sur la société et une influence sur la vie des individus19. Pour lui, l’innovation est à la source des transformations majeures des sociétés. Dans le texte de Nicholas Garnham, “La théorie de la société de l’information en tant qu’idéologie : une critique”20, l’auteur évoque le sociologue espagnol Manuel Castells. Il défend l’idée que nous sommes aujourd’hui impliqués dans un paradigme technologique, stimulé en permanence par toutes les innovations, les technologies de l’information et de la communication, présentes dans les sociétés actuelles. On peut notamment citer l’assistant virtuel “OK Google” ou Siri, comment notre téléphone peut-il comprendre que nous nous adressons à lui si ce n’est pas en nous écoutant ? Il est ainsi capable de comprendre nos questions et de nous répondre. Il est donc évident que les français ressentent de plus en plus le besoin d’une présence technologique. D’ailleurs le taux de possession d’un smartphone en France a augmenté entre 2012 et 2014, de 39% à 61%21. Il est possible de faire un parallèle entre l’écologie de l’attention et le cockpit tel qu’il a été analysé par Edwin Hutchins dans “Comment le cockpit se souvient de ses vitesses“22. Le cockpit représente un environnement interactif entre acteurs humains et non-humains. Les technologies sont considérées comme étant en interaction permanente avec les usagers. Effectivement, en tant que consommateur, les technologies que nous possédons nous sont adaptées et sont extrêmement présentes.

Aux Etats-Unis, les télévisions Vizio collectent des données de visionnage et les couplent à des informations comme le sexe, l’âge, le niveau de revenu ou d’éducation, mais aussi le statut marital ou encore la taille du foyer23. Vizio revend ces données aux publicitaires afin que ceux-ci puissent adapter leurs publicités aux habitudes télévisuelles des clients. À savoir que selon Le Monde “Les téléviseurs, quelle qu’en soit la marque, “écoutent” bien ce qui se passe autour d’eux, pour pouvoir faire marcher les fonctionnalités de commande par la voix, mais les constructeurs affirment que ces données sont uniquement utilisées pour les besoins du service et de son amélioration”. La défense de ces structures de collecte de données ou des fabricants est de dire que l’utilisateur a coché les conditions générales d’utilisations. Facebook précise d’ailleurs “Soyez conscients que les informations peuvent être récupérées”. Mais celles-ci sont généralement peu claires nous induisant en erreurs. Mais ce fait ne se limite plus aux smartphones ou ordinateurs, même les jouets sont aujourd’hui touchés. BFM TV aborde

18 Antonio Casilli, « Digital Labor : travail, technologies et conflictualités. Qu’est-ce que le digital labor ? », Editions de l’INA, pp. 10-42, 2015. 19Jeremy Rifkin, “La nouvelle société du coût marginal 0”, 2014 20Nicholas Garnham, « La théorie de la société de l’information en tant qu’idéologie  : une critique », 2000 21CB News, Thierry Wojciak, Article “61% des Français possèdent un smartphone, 46% une tablette...“, http://www.cbnews.fr/etudes/61-des-francais-possedent-un-smartphone-46-une-tablette-a1015147, 2014 22Edwin Hutchins, “Comment le cockpit se souvient de ses vitesses?”, 1994 23Le Monde, Éco & entreprise, Article “Quand les télévisions connectées vous espionnent”, 12 février 2017

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l’intrusion des objets tels que les robots connectés. Le média explique que d’après l’hebdomadaire allemand Stern, la nouvelle poupée de Mattel, nommée “Hello Barbie” serait “capable d’enregistrer les conversations des enfants et d’en faire une base de données”24.

La seule solution pour échapper à ces publicités permanentes serait de mettre en place des bloqueurs de publicités tels que Adblock. Selon le rapport PageFair, “Dans le monde, de plus en plus d'utilisateurs installent Adblock : ils sont 615 millions (...), soit une hausse de 30 %”25. Nous voyons ici que les utilisateurs ressentent le besoin de ne plus avoir accès à ces publicités. Ils sont conscients de cette surabondance et de leur possible assujettissement. En revanche, de nombreux sites nous demandent de désactiver Adblock afin d’avoir accès aux contenus souhaités par l’utilisateur. Ces sites instaurent des contraintes afin de nous obliger à voir leurs publicités, grâce auxquelles ils peuvent survivre.

III – Conclusion

L’économie de l’attention n’est donc pas à étudier en parallèle de l’écologie de l’attention. C’est une branche de cette dernière notion. Pour comprendre les effets sur la société, il est nécessaire de tenir compte de tous les aspects, à la fois économique, technique et sociétale. Les impacts sont non négligeables, notre quotidien est assaillit par l’information et les images. Dans notre société capitaliste, il est devenu difficile d’y échapper, les entreprises et les institutions veulent créer toujours plus de désirs et de besoins. L’écologie de l’attention est un phénomène qui entraîne de la part des individus, une forte envie de consommer et cela qu’ils en soient conscients ou non (Jeremy Rifkin26). Par exemple, via le biais des applications, nous pouvons solliciter rapidement et facilement de nombreux services à distance, comme louer un appartement, commander un taxi ou à manger. Nous sommes donc confrontés aux nouvelles technologies, qui impactent notre quotidien et modifient notre façon de vivre. Les conséquences de l’abondance de l’information sont visibles à travers l’échec scolaire des enfants. En effet, les élèves sont de plus en plus inattentifs notamment à cause de l’augmentation de la place des technologies dans notre société. Ceci entraîne la prise de médicaments dès l’enfance, comme la méthylphénidate.

24BFM TV, Article “Hello Barbie, la poupée qui espionne les enfants”, http://www.bfmtv.com/societe/hello-barbie-la-poupee-qui-espionne-les-enfants-865509.html, 23 février 2015 25 Clubic - Paolo Garoscio, “ De plus en plus d’internautes utilisent Adblock”, http://www.clubic.com/application-web/actualite-824608-internautes-utilisent-adblock.html, 1 février 2017 26 Jeremy Rifkin, “La nouvelle société du coût marginal zéro: L'internet des objet, l'émergence des communaux collaboratifs et l'éclipse du capitalisme”, 2014

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IV - Bibliographie Yves Citton, “Pour une écologie de l’attention”. Paris, Seuil, La couleur des idées, 2014 Yves Citton, Livres, http://www.yvescitton.net Digital Society Forum, “Yves Citton - L’écologie de l’attention”, 16 septembre 2016 Théo Corbucci, “Yves Citton : Il faut passer d’une économie à une écologie de l’attention”, Microsoft RSLN, https://rslnmag.fr/cite/economie-attention-ecologie-yves-citton-entretien-infobesite/, 28 décembre 2014 Alan Dedobbeler, “Le Neuromarketing : quand la publicité vous manipule” http://ad-creatif.com/le-neuromarketing-quand-la-publicite-vous-manipule/, 2015 Arnaud Pêtre et Sébastien Bohler, “Le neuromarketing dans la tête du consommateur” http://www.cerveauetpsycho.fr/ewb_pages/a/article-le-neuromarketing-dans-la-tete-du-consommateur-33295.php, octobre 2014 Daniel Kaplan, “Musique et numérique : L’économie MySpace est-elle favorable à la création ?”, InternetActu, 12 avril 2007 Georg Simmel, “Les grandes villes et la vie de l'esprit”, Paris, Payot, coll. “Petite Bibliothèque Payot”, 2013 Dominique Wolton, “Informer n’est pas communiquer”, Paris, CNRS Éd., coll. Débats, 2009, p.147 Pierre Bourdieu, “Sur la télévision”, 1996 Le Monde, Éco & Entreprise, Article “Youtube se met à la télévision payante”, 2 mars 2017 Le Figaro, “Combien coûte un spot de publicité à la télévision ?”, http://tvmag.lefigaro.fr/le-scan-tele/actu-tele/2014/12/05/28001-20141205ARTFIG00176-combien-coute-un-spot-de-publicite-a-la-television.php, 5 décembre 2014. Benjamin Meffre, “Bientôt plus de 12 minutes de pub par heure à la télé ?” http://www.ozap.com/actu/bientot-plus-de-12-minutes-de-pub-par-heure-a-la-tele/498279 , 18 mai 2016 CSA, “la publicité, les communications commerciales, le suivi des programmes, télévision”, http://www.csa.fr/Television/Le-suivi-des-programmes/Les-communications-commerciales/La-publicite L’express L’expansion, “Patrick Le Lay, Président directeur général de TF1”, http://lexpansion.lexpress.fr/entreprises/patrick-le-lay-president-directeur-general-de-tf1_1428488.html, 9 juillet 2004

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Elodie Wahl, “Hartmut Rosa, Accélération. Une critique sociale du temps”, Lectures, Les comptes rendus, http://lectures.revues.org/990, 2010 Big Data FR, “Reportage spécial investigation : Big data”, https://www.youtube.com/watch?v=R-1tEh4jTE0, (10:00, 12:06), 2 décembre 2014 Antonio Casilli, “Digital Labor : travail, technologies et conflictualités. Qu’est-ce que le digital labor ?”, Éditions de l’INA, pp. 10-42, 2015. Jeremy Rifkin, “La nouvelle société du coût marginal 0. L'internet des objet, l'émergence des communaux collaboratifs et l'éclipse du capitalisme”, 2014 Nicholas Garnham, « La théorie de la société de l’information en tant qu’idéologie  : une critique », 2000 CB News - Thierry Wojciak, Article “61% des Français possèdent un smartphone, 46% une tablette...“, http://www.cbnews.fr/etudes/61-des-francais-possedent-un-smartphone-46-une-tablette-a1015147, 2014 Edwin Hutchins, “Comment le cockpit se souvient de ses vitesses?”, 1994 Le Monde, Éco & entreprise, Article “Quand les télévisions connectées vous espionnent”, 12 février 2017 BFM TV, Article “Hello Barbie, la poupée qui espionne les enfants”, http://www.bfmtv.com/societe/hello-barbie-la-poupee-qui-espionne-les-enfants-865509.html, 23 février 2015 Clubic - Paolo Garoscio, “ De plus en plus d’internautes utilisent Adblock”, http://www.clubic.com/application-web/actualite-824608-internautes-utilisent-adblock.html, 1 février 2017 Jeremy Rifkin, “La nouvelle société du coût marginal zéro: L'internet des objet, l'émergence des communaux collaboratifs et l'éclipse du capitalisme”, 2014

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