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107 Françoise Lecocq « L’œuf du phénix. Myrrhe, encens et cannelle dans le mythe du phénix » Schedae, 2009, prépublication n° 17, (fascicule n° 2, p. 107-130). Schedae, 2009 L’œuf du phénix. Myrrhe, encens et cannelle dans le mythe du phénix Françoise Lecocq Université de Caen – CRAHAM Les parfums antiques sont une réalité économique et sociale, avec des importations venues d’orient et des usages diversifiés 1 , connotés par le plaisir des sens, l’exotisme et le luxe. Ils appartiennent aussi au monde mythologique avec diverses valeurs symboliques exprimées dans des légendes, dont le point commun est le divin, particulièrement solaire, selon la thèse de Marcel Détienne dans son ouvrage Les jardins d’Adonis 2 . Nous examine- rons à notre tour 3 la place et le rôle des aromates dans le mythe du phénix tel qu’il se développe depuis ses occurrences grecques jusqu’à la fin de la latinité, et verrons com- ment la contamination avec d’autres créatures fantastiques et l’introduction de nouveaux thèmes ont infléchi leur nature et leur fonction. C’est donc un point de vue évolutif qui sera adopté ici, prenant en compte toutes les attestations de la légende et leur contexte, tant littéraire qu’historique, volontairement différent du point de vue structural et globalisant, mais pour nous partiel, de M. Détienne 4 . La question est de savoir si les aromates sont un élément intrinsèque du mythe ou bien un développement annexe. Nous avons déjà constaté qu’ils sont très peu représentés dans l’iconographie 5 : plus généralement, la légende du phénix n’a en Grèce qu’une faible repré- sentation textuelle : il nous semble avéré que c’est la littérature latine et la civilisation romaine – dans une antiquité plus tardive, donc – qui lui font prendre son essor, en liaison avec des facteurs bien déterminés. Alors seulement la myrrhe, unique aromate évoqué par Hérodote, destinée à un usage funéraire (pour ainsi dire l’embaumement du corps paternel de l’oiseau transporté vers Héliopolis d’Égypte), est détrônée par la cannelle comme emblématique du phénix, utilisée soit pour la construction du nid – par assimilation avec l’oiseau-cinname, Prépublication n° 17 Fascicule n° 2 1. FAURE 1996. 2. DÉTIENNE 1989, chap. I, « Les parfums de l’Arabie », 19-68 (sur le vautour, l’aigle et le phénix, 40-68). 3. Après HUBAUX et LEROY 1939, chap. IV, 67-98, et VAN DEN BROEK 1972, 163-167 et chap. IX, 335-356. 4. M. Détienne ne parle pas des aromates comme nourriture de l’oiseau et ne tient pas compte de leur quasi-absence dans l’iconographie. 5. LECOCQ 2009.

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    Franoise Lecocq Luf du phnix. Myrrhe, encens et cannelle dans le mythe du phnix Schedae, 2009, prpublication n17, (fascicule n2, p. 107-130).

    Schedae, 2009

    Luf du phnix. Myrrhe, encens et cannelle dans le mythe du phnix

    Franoise LecocqUniversit de Caen CRAHAM

    Les parfums antiques sont une ralit conomique et sociale, avec des importations

    venues dorient et des usages diversifis1, connots par le plaisir des sens, lexotisme et le

    luxe. Ils appartiennent aussi au monde mythologique avec diverses valeurs symboliques

    exprimes dans des lgendes, dont le point commun est le divin, particulirement solaire,

    selon la thse de Marcel Dtienne dans son ouvrage Les jardins dAdonis 2. Nous examine-

    rons notre tour3 la place et le rle des aromates dans le mythe du phnix tel quil se

    dveloppe depuis ses occurrences grecques jusqu la fin de la latinit, et verrons com-

    ment la contamination avec dautres cratures fantastiques et lintroduction de nouveaux

    thmes ont inflchi leur nature et leur fonction. Cest donc un point de vue volutif qui sera

    adopt ici, prenant en compte toutes les attestations de la lgende et leur contexte, tant

    littraire quhistorique, volontairement diffrent du point de vue structural et globalisant,

    mais pour nous partiel, de M. Dtienne 4.

    La question est de savoir si les aromates sont un lment intrinsque du mythe ou bien

    un dveloppement annexe. Nous avons dj constat quils sont trs peu reprsents dans

    liconographie5 : plus gnralement, la lgende du phnix na en Grce quune faible repr-

    sentation textuelle : il nous semble avr que cest la littrature latine et la civilisation romaine

    dans une antiquit plus tardive, donc qui lui font prendre son essor, en liaison avec des

    facteurs bien dtermins. Alors seulement la myrrhe, unique aromate voqu par Hrodote,

    destine un usage funraire (pour ainsi dire lembaumement du corps paternel de loiseau

    transport vers Hliopolis dgypte), est dtrne par la cannelle comme emblmatique

    du phnix, utilise soit pour la construction du nid par assimilation avec loiseau-cinname,

    Prpublication n 17 Fascicule n 2

    1. FAURE 1996.2. DTIENNE 1989, chap. I, Les parfums de lArabie , 19-68 (sur le vautour, laigle et le phnix, 40-68).3. Aprs HUBAUX et LEROY 1939, chap. IV, 67-98, et VAN DEN BROEK 1972, 163-167 et chap. IX, 335-356.4. M. Dtienne ne parle pas des aromates comme nourriture de loiseau et ne tient pas compte de leur

    quasi-absence dans liconographie.5. LECOCQ 2009.

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    Schedae, 2009, prpublication n17, (fascicule n2, p. 107-130).http://www.unicaen.fr/services/puc/ecrire/preprints/preprint0172009.pdf

    soit pour lincinration du bcher selon la coutume des Romains, tandis quil se nourrit par-

    fois dautres substances odorantes. Limportance des parfums devient telle quau maximum

    de lnumration littraire, on recense neuf aromates chez le pote constantinien Lactance,

    et que, dans le dernier grand pome consacr au phnix, Claudien dsigne loiseau comme

    le rex fragrans de la gent aile. Les aromates finissent donc par accompagner le phnix au

    long de sa vie et de sa mort, avec toutes les fonctions possibles.

    Nous examinerons, dans lordre de leur apparition littraire, lusage funraire de la myrrhe

    dans lembaumement du cadavre du pre, puis lusage alimentaire, enfin lusage construc-

    tif de la cannelle et autres aromates pour le nid de vie, au milieu dun pays embaum, ou

    pour le nid de mort, quil sagisse de dcomposition ou de crmation ; enfin, nous verrons

    comment les parfums de la lgende paenne se retrempent aux sources bibliques quand le

    phnix devient un symbole chrtien.

    Luf de myrrheRares sont les occurrences du phnix en gnral et de ses aromates en particulier dans

    les textes grecs : Hubaux et Leroy ont depuis longtemps relev que le mythe est trs peu

    prsent dans la littrature archaque (une mention : Hsiode 6), classique (deux mentions :

    Hrodote7, le pote comique Antiphane 8) et hellnistique (une mention, sans que le nom

    de loiseau y figure expressment : Ezchiel le Tragique 9), et le thme des parfums quasi

    inexistant, lexception de la myrrhe chez lhistorien. Certes ces textes, conservs trois fois

    sur les quatre sous forme de citations ou de fragments, nont jamais pour but doffrir une

    notice exhaustive sur le phnix. Ce qui a frapp ces auteurs, cest, dans lordre chronologi-

    que, 1. la longvit (Hsiode), 2. lattache arabo-gyptienne, 3. le caractre unique, 4.

    lautoreproduction, 5. la rsurrection, 6. le transport du cadavre paternel (Hrodote), 7. la

    relation avec le sanctuaire dune ville du soleil : Hliopolis (Hrodote, Antiphane), 8. la

    beaut extraordinaire (Hrodote, Ezchiel le Tragique) et le caractre royal de loiseau

    (Ezchiel). La liaison avec la myrrhe dun phnix thanatopracteur et patrophore nexiste

    donc que chez lauteur de lEnqute : bien quil prtende traiter dun animal gyptien, ce

    lien avec laromate nest pas du tout attest pour le hron mythique de R-Osiris, le

    benu 10, mme si la religion de ce pays embaume traditionnellement de nombreux ani-

    maux rels, dont des oiseaux comme les ibis 11.

    Le premier aromate faire son apparition dans le mythe, mentionn par le seul Hro-

    dote, mais par trois fois 12, est donc usage funraire, servant en quelque sorte lembau-

    mement externe du corps paternel 13 par le jeune oiseau et permettant son transport. La

    lgende grecque dit que Myrrha, fille du roi de Chypre Cinyras, avec lequel elle eut une

    6. Hsiode in Pline, HN 7, 153.7. Hrodote 2, 73. 8. Antiphane in Athne, Banquet des Sophistes 14, 655 b.9. LExode, fragment 17, v. 256-269, C. R. Holladay (d.), Fragments from Hellenistic Jewish Authors, 2,

    Atlanta, Scholars Press, 1989.10. Sur les points de contact entre phnix et benu, voir LECOCQ 2008.11. R. Siciliano met bnw, nom gyptien du phnix, en relation tymologique avec bnn, la myrrhe comme

    mdicament , et bnb, homme qui vient de la terre de la myrrhe (SICILIANO 1994-1995, 310 et note 7).Sur le culte des ibis, voir SMELIK 1979.

    12. Hrodote, 2, 73 : partant de lArabie, il transporterait au sanctuaire dHlios le corps de son pre enve-lopp de myrrhe, et lensevelirait dans ce sanctuaire. Et, pour le transporter, il sy prendrait de maniresuivante ; il faonnerait dabord avec la myrrhe un uf, de la grosseur de ce quil peut porter, et sessaie-rait ensuite voler avec cette charge ; lpreuve faite, il creuserait luf et y introduirait son pre ; puis,avec dautres myrrhes, il enduirait la partie de luf quil aurait creuse et par o il aurait introduit sonpre, dont lintroduction rtablirait le mme poids ; et, envelopp de la sorte, il le transporterait engypte au sanctuaire dHlios (Ph.-E. Legrand (trad.), Paris, CUF, 1937).

    13. HUBAUX et LEROY 1939, 68.

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    Schedae, 2009, prpublication n17, (fascicule n2, p. 107-130).http://www.unicaen.fr/services/puc/ecrire/preprints/preprint0172009.pdf

    relation incestueuse, mit au monde Adonis et fut transforme en arbre myrrhe ; mais

    jamais le phnix nest mis en relation ni explicite ni implicite avec ces personnages, pas

    mme par ceux qui racontent les mtamorphoses de lun et des autres, tel Ovide 14. La pra-

    tique semble donc renvoyer la composante gyptienne de la lgende : lhistorien cite le

    phnix parmi la faune de ce pays et dcrit par ailleurs les procds dembaumement des

    cadavres humains, dans lequel intervient cet ingrdient, toujours cit en premier15. Mais il

    ne donne pas de dtails sur le lieu ou la mthode de collecte de laromate par le phnix :

    on peut simplement supposer quil le trouve dans son milieu naturel, en loccurrence lAra-

    bie, qui en est effectivement productrice 16.

    Luf de myrrhe hrodoten se retrouve tout au long de la latinit, de Pomponius Mla 17

    Celse18, Lactance et Claudien19, en passant par Tacite20 et Achille Tatius21 : cest laxe

    historique de la tradition sur les parfums du phnix, le plus ancien, connot par lgypte.

    Une nouvelle tradition se dveloppe en effet, combine ou non avec la prcdente, qui

    met au premier plan un second aromate : la cannelle, utilise pour la construction du nid.

    Hrodote et Aristote22 voquaient une autre crature mythique : loiseau-cinname (ou oiseau-

    cannellier) au nid fait de branches de cannelle, mais aux caractristiques diffrentes de cel-

    les du phnix, que le naturaliste grec ne connat pas, en tout cas ne nomme jamais. Une

    assimilation entre les deux se constate dans la littrature latine du Ier sicle av. J.-C., pour

    des raisons qui nous chappent, quil sagisse soit dtoffer le rcit trs partiel de lhistorien

    (qui ne parlait pas de nid) en combinant ses deux notices, soit de donner une caution aris-

    totlicienne au phnix (ces deux hypothses peuvent dailleurs se cumuler). la mme po-

    que dailleurs, le phnix peut prendre encore dautres formes23 : chez le snateur autodidacte

    Manilius (source explicite de Pline lAncien, dont nous aimerions savoir si luvre tait en prose

    14. Mme si chez Ovide, le phnix et Myrrha (Mt. 10, 298-502) se partagent lArabie et la Sabe. Seul un per-sonnage nomm Phnix est parfois donn pour pre Adonis (Hsiode in Apollodore, Bibliothque 2,85), mais cest une rfrence gographique la Phnicie dont il est originaire.

    15. En 2, 86, cf. FAURE 1996, 35-40. Sur la qualification funraire de la myrrhe encore sous lEmpire romain, voirMartial, pigrammes 11, 54 : olentem funera murram, la myrrhe qui sent les funrailles (H. J. Izaac(trad.), Paris, CUF, 1933).

    16. Mais il ne fait pas de relation avec le culte solaire des Sabens attest par Thophraste (Recherches surles plantes 9, 4, 6 : la myrrhe et lencens sont rcolts de partout et rassembls dans le sanctuaire duSoleil (S. Amigues (trad.), Paris, CUF, 2006).

    17. Chorographie 3, 84 : devenu grand, il sen va porter en gypte les ossements de son ancien corps enro-bs de myrrhe (inclusa murra) et, les dposant dans une ville appele la Ville du Soleil, sur les bchersenflamms dun autel, les consacre par de mmorables funrailles (A. Silberman (trad.), Paris, CUF, 1988).

    18. Celse chez Origne (Contre Celse, 4, 98) : loiseau dArabie, le phnix, qui aprs de longues annes mi-gre en gypte, transporte le corps de son pre, enferm dans une boule de myrrhe comme en un cer-cueil, et le dpose au lieu o se trouve le temple du soleil (M. Borret (trad.), Paris, ditions du Cerf(Sources chrtiennes, n 136), 1968).

    19. Lactance, Carmen de aue phoenice, v. 119-120 ; Claudien, Carmina 27 : Phoenix, v. 75. Voir LECOCQ (collo-que de 2008 paratre).

    20. Annales 6, 28 : il se charge de myrrhe quil sessaie porter pendant un long trajet ; quand il est assezfort pour le fardeau et pour le voyage, il enlve le cadavre de son pre et le porte sur lautel du soleil oil le brle (P. Wuilleumier (trad.), Paris, CUF, 1975).

    21. Le roman de Leucipp et Clitophon, 3, 25, 4-5 : lorsquil meurt [], son fils lapporte sur les bords du Nil,aprs avoir, comme suit, improvis sa spulture : cest une motte de myrrhe, la plus odorifrante possible,suffisante pour la spulture dun oiseau, quil creuse de son bec et quil ouvre en son milieu, et ce creuxdevient un spulcre pour le mort. Aprs avoir dpos loiseau et lavoir adapt ce cercueil, il fermelouverture dun amas de terre ; cest ainsi quil senvole vers le Nil, transportant cet objet (J.-Ph. Gar-naud (trad.), Paris, CUF, 1991). Achille Tatius est le seul auteur insister sur le parfum de la myrrhe ; sonrcit sera repris par le pseudo-Eustathe (Commentarius in Hexaemeron, PG 18, 729C-732A).

    22. Hrodote, 3, 111 (sans nom) et Aristote, Histoire des animaux, 9, 13, 616 a (kinnavmwmon o[rneon, habitantde grands arbres), mais pas Thophraste qui ne parle que de la rcolte plus ou moins fabuleuse de la cas-sia dans des ravins infests de serpents (Sur les plantes 9, 5, 2), la suite dHrodote (3, 110).

    23. Ainsi, le pome Laile du phnix de Laevius : daprs les rares vers conservs, le phnix y parle au fminincomme servante de Vnus la fois toile du matin et desse de lamour (in Charisius, Ars grammatica 4,6, et Macrobe, Saturnales 3, 8, 3).

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    ou en vers : un pote a en effet plus de licence quun savant), luf de myrrhe disparat au

    profit dun nid daromates pour le transfert du cadavre : puis il porte le nid entier prs de

    la Panchae, dans la ville du Soleil, o il le dpose sur un autel (NH 10, 4), un nid pour

    mourir, fait de cannelle et dencens (cassia, tus). La cas(s)ia et le cinnamomum sont des ter-

    mes quasi synonymes, qui dsignent deux varits de cannelle, la fausse et la vraie ,

    la cannelle de Chine (Cinnamomum cassia) et celle de Ceylan (Cinnamomum zeylanicum

    ou uerum) 24. Lencens, quand il est brl ce qui nest pas le cas ici, est le parfum spcifi-

    que des liturgies de toutes les religions depuis la plus haute antiquit. Pomponius Mla

    combine cette nouveaut du nid daromates avec luf de myrrhe hrodoten 25, mais

    Tacite, sil parle aussi dun nid, nindique pas ses matriaux, tandis quil fait brler le cada-

    vre sur lautel du Soleil 26. Lactance ddouble lusage de la myrrhe, la fois pour la cons-

    truction du nid et pour luf mortuaire dans lequel le jeune oiseau enferme les cendres

    paternelles et quil dpose, sans seconde crmation, sur lautel gyptien 27. Chez Claudien

    enfin, luf de myrrhe semble subir une mtamorphose en cocon vgtal 28, apparentant

    le phnix quelque chenille. Nous retrouverons donc plus loin la myrrhe comme simple

    matriau de construction du nid du phnix, avec la cannelle et dautres aromates encore.

    En conclusion, nous ne pouvons tre daccord avec les assertions suivantes de M. Dtienne:

    quand le phnix surgit dans la pense grecque, il apparat comme un oiseau du soleil

    autant que des aromates (p. 55). Loiseau nest cit nommment que trois quatre

    fois chez les auteurs grecs ; seul Hrodote parle dun aromate, et il sagit de la myrrhe

    pour une pratique funraire. Le phnix ne commence devenir loiseau des aromates

    que quand il est assimil loiseau-cannellier, certes connu par Hrodote et Aristote,

    mais sans lien chez eux avec le phnix, pour lequel lassimilation ne devient effective

    quavec les auteurs latins du Ier sicle av. J.-C., dans luvre de Manilius = Pline, dont

    les sources si sources il y a ne sont pas connues. Encore cette assimilation nest-elle

    pas faite par tous les crivains postrieurs, quils soient grecs ou latins.

    Loiseau du soleil ne peut tre quun oiseau des aromates : les mythes examins jusqu

    prsent le prouvent ; depuis Hrodote jusqu Lactance et Claudien, du Ve sicle av. J.-C.

    24. Voir limportant commentaire de S. Amigues Thophraste, Sur les plantes, 9, 5, 1-3 (p. 90-96). Nous uti-liserons ici le nom grco-latin du laurier-casse, cassia, pour viter toute confusion avec la casse purgative,dune autre branche botanique. Le terme kanevla ne se rencontre que dans le Physiologus grec (HUBAUXet LEROY 1939, 76).

    25. Chorographie 3, 83 : il se dresse une couche faite de toutes sortes daromates, sur laquelle il va lui-mmese placer pour sy dcomposer (super exaggeratam uariis odoribus struem sibi ipsa incubat soluiturque),(A. Silberman (trad.), Paris, CUF, 1988). Suite du texte avec luf de myrrhe la note 17.

    26. Annales 6, 28, 7 : lorsquest rvolu le nombre de ses annes et que sa mort est prochaine, il btit son nidsur sa terre natale, et y rpand le principe gnital qui doit donner la vie son successeur ; le premier soinde loiseau devenu adulte, cest de donner la spulture son pre ; et il ne le fait pas au hasard, mais il secharge de myrrhe quil sessaie porter pendant un long trajet ; quand il est assez fort pour le fardeau etpour le voyage, il enlve le cadavre de son pre et le porte sur lautel du soleil o il le brle (P. Wuilleu-mier (trad.), Paris, CUF, 1975).

    27. Le phnix senvole non sans avoir form, des restes paternels, / Des os et de la cendre et des autresreliques, / Un globe que dun bec filial il enrobe / Dans un onguent de myrrhe et de baume et dencens /Dans sa serre il lemporte en Hliopolis. / Il loffre sur lautel du sanctuaire auguste ( Vnguine balsa-meo myrrhaque et ture soluto / Condit et in formam conglobat ore pio), v. 117-122, HUBAUX et LEROY(trad.) 1939, XIX.

    28. Carmina 27, v. 72-75 : aussitt, vers le Nil, en la terre du Phare, il sen va consacrer les restes de son pre.Preste, il poursuit son vol vers un monde tranger, portant le mort enclos au sein des aromates (Portansgramineo clausum uelamine funus) (HUBAUX et LEROY (trad.) 1939, XXVI). Une traduction plus littrale degramineo uelamine serait un voile dherbes , ou encore une enveloppe de verdure (V. Crpin (trad.),Paris, Garnier, 1933). Herbe est en principe impropre pour dsigner la myrrhe, mais nous ny voyonspas dentorse la tradition, contrairement R. VAN DEN BROEK (1972, 225) : cest la consquence de latransformation du phnix arabe en oiseau indien, qui se trouve nanti dun cocon de ver soie (uermis indi-cus), voir LECOCQ (colloque de 2006 paratre) et 2009.

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    jusquau IVe sicle ap. J.-C., le phnix dispose de la myrrhe et de lencens, il sen sert

    pour construire son nid, il va mme jusqu le vhiculer, avant de se consumer sur le

    bcher quil a adress en amoncelant les substances parfumes de toutes espces

    (p. 59) : il ny a pas traces dencens chez Hrodote, ni de nid ; sur la longue dure, la

    cannelle est un ingrdient mieux reprsent que la myrrhe et lencens ; Lactance a des

    rfrences littraires et bibliques autant, sinon plus que mythologiques, pour les par-

    fums quil cite, comme nous le verrons.

    La nourriture parfumeMalgr sa taille et ses serres de rapace (selon Hrodote), le phnix nest pas carnivore,

    contrairement loiseau-cannellier qui dvore des quartiers de buf, mais vgtarien.

    Cette particularit comporte certainement une valeur symbolique : cest une crature sans

    besoins, dtache de la matire impure, ou qui nuse que daliments divins.

    Manilius est le premier voquer ce point, dans une formulation ngative ambigu :

    neminem extitisse qui uiderit uescentem (Pline, NH, 10, 4) nironisons pas sur le fait que

    personne ne pouvait le voir : faut-il supposer que lrudit [] avait, en cet endroit de sa

    notice, rapport que le phnix se cachait pour absorber une nourriture merveilleuse compo-

    se dessences aromatiques et que Pline na pas laiss subsister cette partie de la notice 29 ?

    Ou bien sagit-il de vent ou rose, comme nous le verrons chez Claudien, ou comme pour

    dautres tres lgendaires, tel le rhyntaces perse30, ou mme rels : le camlon dOvide31 ?

    Le pote augusten est le deuxime parler de lalimentation du phnix, en ses deux

    occurrences du mythe :

    dans lloge funbre du perroquet des Amours : le phnix pture aux enfers, on ne

    sait de quoi, en compagnie doiseaux non mythologiques : cygnes, paons, colombes 32

    (le perroquet, lui, se rassasiait de noix, de graines de pavot et deau) ;

    au dernier livre des Mtamorphoses : il ne vit ni de grains ni dherbes, mais des larmes

    de lencens et du suc de lamome 33. Il sagit daromates, sous forme non solide, mais

    liquide. Garantissent-ils, comme lcrit R. Van den Broek34, son immortalit ? Les dieux

    se nourrissent de la seule odeur des parfums. Sur le plan stylistique, deux groupes

    binaires assonants au nombre de syllabes identiques, lun ngatif, lautre affirmatif ; on

    devine une opposition entre aliments naturels et profanes : grains et herbes, et ali-

    ments sacrs, destins un bec pur de toute souillure 35. Lencens est laromate

    sacr par excellence, qui a laspect de gouttes rsineuses ; quant lamome, une varit

    de cardamome, originaire de lInde36, Virgile le fait pousser spontanment sur les ronces

    dans son tableau de lge dor 37 ; dun point de vue sonore, il voque son compos

    29. HUBAUX et LEROY 1939, 79.30. Plutarque, Artaxerxs 19, 4, daprs Ctsias : il existe en Perse un petit oiseau que lon na point vider

    et dont lintrieur est tout rempli de graisse, ce qui fait croire que cet animal ne se nourrit que de vent etde rose ; on lappelle rhyntacs (R. Flacelire et E. Chambry (trad.), Paris, CUF, 1979).

    31. Ovide, Mt. 15, 411-412 juste aprs le passage sur le phnix (v. 411 : quod uentis animal nutritur et aura).32. 2, 6, 53-54 : Illis innocui late pascuntur olores / Et uiuax Phoenix, unica semper auis, l, dans ces vastes

    domaines, habitent les cygnes innocents et limmortel phnix, toujours seul de son espce (H. Bornecque(trad.), Paris, CUF, 1989) ; pascor nous semble avoir ici un sens plus concret.

    33. Mt. 15, 393-4: non fruge neque herbis,/Sed turis lacrimis et suco uiuit amomi (G. Lafaye (trad.), Paris, CUF, 1962).34. VAN DEN BROEK 1972, 335.35. Vers 397 : puro ore (G. Lafaye (trad.), Paris, CUF, 1962).36. Thophraste : le cardamone et lamome viennent, selon les uns de Mdie, selon les autres de lInde

    (Sur les plantes, 9, 7, 2, S. Amigues (trad.), Paris, CUF, 2006).37. Bucoliques, 3, 89 et 4, 25. Ovide les associe la Panchae au sujet de Myrrha (Mt. 10, 307-310), comme

    Lactance au v. 62.

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    Schedae, 2009, prpublication n17, (fascicule n2, p. 107-130).http://www.unicaen.fr/services/puc/ecrire/preprints/preprint0172009.pdf

    linguistique, le cinnamome (dont le nom potique est le cinname) 38, cest--dire la

    cannelle, dune autre famille botanique. Loiseau boit donc purs ces aromates qui pi-

    aient les vins des festins romains, comme aussi la myrrhe et le safran 39 ; cest que la

    plupart de ces plantes sont la fois cosmtiques et comestibles : linvention ovidienne

    de la nourriture parfume provient sans doute de cet usage familier 40. Mais lamome

    a galement des usages funraires : Ovide demande son pouse de mler, aprs sa

    mort, des feuilles et de la poudre damome ses cendres41.

    Lautre nouveaut introduite par le pote est de clbrer la puret de loiseau, due

    cette alimentation vgtale faite de substances nobles et prcieuses : elle semble lier au

    contexte de la page : le discours de Pythagore, philosophe de doctrine vgtarienne. Exploi-

    tant la lacune ou lambigut de Manilius personne ne la vu manger , Ovide nous parat

    imaginer une alimentation en conformit avec les thories du locuteur : le phnix qui res-

    suscite est galement un exemple de rincarnation. Il est possible aussi quil exploite un

    jeu de mot avec un autre phnix pur , le palmier-dattier : lexpression foi'nix kaqarov"

    appartient en effet au vocabulaire commercial attest dans les papyrus pour dsigner ses

    fruits dbarrasss de toute impuret, par opposition au rgime de dattes vendu sur sa

    branche qualifi de sale (rJuparov") 42 ; ce serait une affinit supplmentaire entre larbre et

    loiseau ; en tout cas Ovide joue sur lhomonymie grecque entre les deux puisquil attribue

    comme sjour au phnix soit une yeuse (ctait dj larbre des Champs lyses dans les

    Amours), soit un palmier 43 (palma en latin) : il est le premier indiquer dans quel arbre il a

    son nid 44 le cannellier, lui, nichait dans des parois rocheuses 45. On pourrait aller jusqu

    dire que le phnix dOvide embaume ses entrailles vivantes 46 et que cest l une variation

    sur le thme de la momification gyptienne, comme dj peut-tre luf de myrrhe chez

    Hrodote, par un mme mcanisme dinversion des pratiques habituelles.

    Outre lalimentation, un second usage des aromates apparat aussi chez Ovide, la suite

    de Manilius, comme nous le verrons : la construction du nid ; cest cette occasion quest

    mentionn le cinnamome de loiseau-cannellier ; alors mme que le pote fait du phnix un

    collecteur de cannelle pour son nid, il lui attribue une nourriture oppose lalimentation

    carne de ce dernier. Cependant, sil doit lui donner un seul qualificatif, il est en relation

    non avec les aromates, mais avec son immortalit : uiuax 47.

    38. Cinname , pour cinnamome, nest attest en franais que comme translittration du latin ou en con-texte potique : nous ne lutiliserons donc que dans les traductions et dans le nom de loiseau-cannellier.

    39. Cf. Pline, NH 14, 107 : recette de vin aromatique avec roseau, jonc, costus, nard syriaque, amome, cassia,cinnamome, safran, palmier, asarum (voir la note 4 131 de ldition de J. Andr, Paris, CUF, 1958).

    40. ANDR 1981 sur lutilisation des pices.41. Tristes 3, 3, 69.42. MAYERSON 2001, 105-107.43. Mt. 15, 396-397 : Ilicis in ramis tremulaeue cacumine palmae / Vnguibus et puro nidum sibi construit ore,

    pos sur les rameaux dune yeuse ou la cime oscillante dun palmier, il construit un nid (notre traduc-tion ; celle de G. Lafaye, Paris, CUF, 1962 correspond lautre traduction manuscrite : ilicet, aussitt , la place de ilicis).

    44. Par la suite, Pline rapportera quil existait de son temps en gypte un palmier synchrone de loiseau, quimourait et renaissait en mme temps que lui (HN 13, 42) : sans doute un prsage de lavnement de Ves-pasien invent par les contemporains. Lactance exploitera son tour lide : tum legit aerio sublimem uer-tice palmam, / quae Graium phoenix ex aue nomen habet ( lors il lit, dressant sa cime, un haut palmier/ qui loiseau donna son nom grec de phoinix , v. 69-70, HUBAUX et LEROY (trad.) 1939, XVII).

    45. Seul Denys parle de rocher, sans aromates (De aucupio 1, 33 ; cf. EDSMAN 1949, 192-193), mais sa noticeest contamine par des traits de laigle et du cinnamolgue ; elle est reprise par le Physiologus de Vienne,avec aromates (HUBAUX et LEROY 1939, texte et traduction XXXIV-XXXVI).

    46. Chez Jean de Gaza, nourriture et parfums funraires de loiseau seront dailleurs mis en relation puisquele phnix mange beaucoup de plantes aromatiques pour se prparer la mort (VAN DEN BROEK 1972, 336et note 1).

    47. Amores 2, 6, 54.

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    Pline lAncien ne fait que citer Manilius, et le thme de la nourriture nest plus abord

    avant Lactance : le pote constantinien offre au phnix non des aromates, ni aucun aliment

    terrestre, mais le nectar et lambroisie, apanages des divinits homriques 48, dont on ne

    sait sils sont solides, liquides ou volatiles : Jeune, nul nest commis au soin de le nourrir. /

    Il gote du nectar londe ambrosiaque / Que fait tomber vers lui le ciel peupl dtoiles. /

    Tels sont, dans les parfums, les seuls mets que loiseau / Absorbe en attendant son entire

    croissance 49. Lactance est sensible au fait que, toujours seul de son espce, loisillon na

    pas de parents pour lui donner la becque ; il salimente dune liqueur verse du ciel, nec-

    tar confondu avec lambroisie, rose dont la senteur le nourrit autant que la substance, tels

    les dieux olympiens ou encore les lgendaires Astomes indiens 50.

    Un sicle plus tard, le pote Claudien continue de broder sur le thme de la nourriture

    pure : il ne connat pas la faim quon calme avec des aliments, ni la soif quon tanche avec

    leau des sources ; ce sont les purs rayons du soleil qui le nourrissent, cest Tthys qui sur

    laile des vents lui fournit sa pture, et dont il recueille les effluves bienveillants 51. Cest l

    la nourriture du rhyntaces des Perses 52.

    En corollaire de lalimentation, se pose certains auteurs un problme prosaque : si

    loiseau mange, il digre et doit produire des excrments, mais des excrments nobles, en

    loccurrence de la cannelle 53. noter enfin que le phnix peut aussi en thorie tre

    mang : ainsi lexcentrique empereur Hliogabale, dont lorigine syrienne, la fonction

    impriale et ladoration du soleil assurent dj des points de contact avec loiseau mythi-

    que, voulait-il se faire servir du phnix, entre autres volatiles exotiques, sans doute pour

    sapproprier son pouvoir de renaissance et donc son immortalit 54.

    Le nid et le bcher daromatesLe nid de cannelle

    Chez Ovide, la suite de Manilius, le cinnamome apparat pour la construction du nid,

    parmi dautres plantes aromatiques, avec la cassia, le nard et la myrrhe, qui ne sert pas ici

    fabriquer duf funraire puisque cest le nid tout entier qui est transport Hliopolis :

    L il amasse de la cannelle, des pis de nard odorant, des morceaux de cinname, de la

    48. Chez Homre, le mot [] recouvre une conception trs ancienne du parfum nourriture dtres prservsde la condition mortelle [] Ces substances divines [] nettoient et parfument le corps de Pnlope oudHra, ou protgent de la corruption le corps de Patrocle. Ces images potiques rejoignent, du reste,des conceptions philosophiques, pythagoriciennes et stociennes, qui imaginent les mes nourries,comme les toiles, de la vapeur qui slve de la terre (HUBAUX et LEROY 1939, 77). Voir THOMAS 1998 etBALLABRIGA 1997.

    49. Non illi cibus est nostro concessus in orbe / Nec cuiquam implumem pascere cura subest. / Ambrosio libatcoelesti nectare rores / Stellifero teneri qui cecidere polo. / Hos legit his mediis alitur in odoribus ales /Donec maturam proferat effigiem (v. 109-113, HUBAUX et LEROY (trad.) 1939, XIX).

    50. Pline HN 7, 25 : les Astomes sont, comme leur nom lindique, privs de bouches ; voir LECOCQ (colloque2006 paratre).

    51. Purior illum / Solis feruor alit uentosaque pabula libat / Tethyos, innocui carpens alimenta uaporis (Car-mina minora 27, 14-16, V. Crpin (trad.), Paris, Garnier, 1933).

    52. LECOCQ (colloque de 2008 paratre).53. Dans lApocalypse grecque du Pseudo-Baruch, 6, le cinnamome est issu du ver excrmentiel du phnix

    (HUBAUX et LEROY 1939, 81, texte et traduction XXVII-XXXI) : il y a donc palingnsie, non seulement deloiseau, mais aussi de laromate.

    54. Histoire Auguste 23, 6 : On raconte quil promit des convives de leur donner un phnix, ou dfautmille livres dor pour les congdier de faon vraiment impriale (A. Chastagnol (trad.), Paris, Robert Laf-font (Bouquins), 1994, p. 527). On disait propos de lhliodrome, oiseau lgendaire indien qui prsentedes similitudes avec le phnix, que, mang, il procure la sant et lhomme qui le portera ne sera pasmalade pendant tous les jours de sa vie et il senrichira considrablement (3e Cyranide, e H, cit par TAR-DIEU 1974, 251 et note 221). Lide dapprter un phnix a excit limagination contemporaine de A. S. Weiss :Comment cuisiner un phnix ? Essai sur limaginaire gastronomique, Paris, Mercure de France (Le petitMercure), 2004.

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    myrrhe aux fauves reflets ; il se couche au-dessus et termine sa vie au milieu des parfums.

    Alors du corps paternel renat, dit-on, un petit phnix destin vivre le mme nombre

    dannes. Quand lge lui a donn assez de forces pour soutenir un fardeau, il dcharge du

    poids de son nid les rameaux du grand arbre et il emporte pieusement son berceau, qui

    est aussi le tombeau de son pre55. La liste des matriaux est variable et pas toujours

    explicite chez les auteurs suivants 56, jusqu lnumration de neuf aromates par Lactance.

    Pourquoi cette importance que prennent peu peu des aromates autres que la myr-

    rhe hrodotenne ? Les points de contact nous semblent tre le soleil et la gographie :

    parce que le phnix est un animal solaire et parce quil est dit originaire de lArabie, puis

    de lInde, il sapproprie une des caractristiques la fois relles et imaginaires de ces con-

    tres productrices de parfums 57. Notons cependant que dune part le phnix des Ier sicle

    av. et Ier sicle ap. J.-C. est, malgr sa nature solaire, sche et dEn Haut (dirait M. Dtienne),

    un tre soumis la dcomposition, dont les aromates ont sans doute une vocation fonc-

    tionnelle masquer lodeur 58, et que dautre part ces aromates du nid ne sont pas encore

    destins tre brls. Bien des textes attestent du couple devenu au sicle de Pline

    lAncien un lieu commun quasi formulaire : Arabie (ou Inde) / aromates, et particulirement

    le cinnamome. Les quations sont les suivantes : phnix = Arabie, Arabie = cinnamome,

    cinnamome = oiseau-cannellier (originaire de lInde dsigne par une priphrase pour

    Pline59), donc phnix = oiseau-cannellier, en remplacement de lquation hrodotenne

    originelle : phnix = Arabie gypte = myrrhe. Mais si le phnix habite un pays daroma-

    tes qui embaume au loin ds Hrodote, le nid odorant dans lequel il sjourne ou meurt

    parfois nappartient pas la version la plus ancienne du mythe : pas de nid chez lhistorien,

    mme si, comme Aristote, il connat celui de loiseau-cinname, ou cinnamolgue comme

    lappellera Pline lAncien : chez ce dernier, la contamination entre les deux cratures est

    accomplie 60, nous lavons vu, et dans sa notice principale sur le phnix au livre 10 (tire de

    Manilius), et encore plus explicitement au livre 12, consacr aux aromates, avec pour source

    55. Mt. 15, 398-405 : Quo simul ac casias et nardi lenis aristas /Quassaque cum fulua substrauit cinnama murra. /Se super imponit finitque in odoribus aeuum. / Inde ferunt, totidem qui uiuere debeat annos, / Corporede patrio paruum phoenica renasci. / Cum dedit huic aetas uires onerique ferendo est, / Ponderibus nidiramos leuat arboris altae / Fertque pius cunasque suas patriumque sepulcrum (G. Lafaye (trad.), Paris,CUF, 1962). On notera le rythme binaire et les assonances en -a : avec un art savant Ovide a rparti cesquatre vgtaux en deux couples dont chacun fait lobjet dun vers (HUBAUX et LEROY 1939, 76-77).

    56. VAN DEN BROEK 1972, 163-166.57. Thophraste (Sur les plantes 9, 7, 3) : la cannelle [cassia], la cinnamome, le cardamome, le nard, lorigan

    du Sipyle, le baume, lalhagi, le styrax, liris, la nart, le costus, la panace, le safran, la myrrhe, le souchet,le jonc < et > le roseau < odorant >, la marjolaine, le mlilot, lanis les plus exceptionnellement parfu-ms proviennent tous de lAsie et des pays chauds (S. Amigues (trad.), Paris, CUF, 2006). Les deux payspartagent galement la qualification de felix, voir LALLEMAND 1988.

    58. De mme, il ny a rien de mythique ce que la putrfaction engendre de la vermine, cest du ralisme ; lemiracle est que le ver se change en une autre espce mais cest aussi attest, entre autres, pour des ser-pents, Ovide en donne lexemple juste avant celui du phnix (Mt. 15, 389-90). Ce ver ne nat dabord pasde la cendre, contrairement ce que dit M. Dtienne (1989, 64-65) : il ny a pas de bcher, ni donc de cen-dres de phnix avant les auteurs latins du Ier sicle ap. J.-C., et les cendres ne produisent pas toujoursexplicitement un vermisseau.

    59. NH 12, 85 : Cinnamomum et casias fabulose narrauit antiquitas princepsque Herodotus auium nidis etpriuatim phoenicis, in quo situ Liber pater educatus esset, ex inuiis rupibus arboribusque decuti carnisquam ipsae inferrent pondere aut plumbatis sagittis, le cinnamome et la casia (cannelle) ont donn lieudans lantiquit, et chez Hrodote tout le premier, la lgende que voici : le cinnamome se trouverait dansdes nids doiseaux, et surtout dans celui du phnix, situs aux lieux o le dieu Liber a t lev, au sommetde rochers et darbres inaccessibles, do on le ferait tomber, soit par le poids de viandes que les oiseauxy apporteraient eux-mmes, soit avec des flches plombes ; quant la casia, elle pousserait au bord demarais (A. Ernout (trad.), Paris, CUF, 1949). Pline fait une mlecture et une dformation dHrodote (3,111) qui ne parle ni de phnix ni darbres, mais de lorigine phnicienne du mot cinnamone .

    60. HUBAUX et LEROY 1939, 71-76. Contrairement eux, nous ne pensons pas que les deux oiseaux ne sontquun. Nous suivons sur ce point lavis de R. VAN DEN BROEK (1972, 166-168).

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    le passage dHrodote sur le cannellier 61. Manilius parlait dencens et de cassia pour le

    nid62, et non de cinname, dont la premire mention se rencontre chez Ovide (Mt.), non

    exclusive dautres aromates. Le compilateur de Pline, Solin, juxtapose trois notices la

    suite : une sur lArabie productrice de parfums, une sur le phnix et une sur loiseau-cin-

    name63, faisant apparatre la relation entre elles implicitement, mais plus nettement que

    les diffrents livres du naturaliste ; le cannellier sy fait un nid, mais le phnix se construit un

    bcher : il ne reprend pas son compte lassimilation de Pline entre les deux oiseaux, parce

    quentre-temps le thme de la crmation du phnix a pris un grand dveloppement. Elien,

    lui aussi, distingue compltement loiseau-cinname, dans ses deux occurrences, du phnix,

    pour lequel il ne cite aucun aromate 64.

    Cest donc par lidentification de Pline avec le cinnamolgue 65 que sexplique la prdo-

    minance de la cannelle dans la liste des parfums. Mais cette relation nest pas pour autant

    exclusive et ne le deviendra qu la toute fin de la latinit, chez Claudien et Sidoine Apol-

    linaire. Contrairement au cannellier, le phnix est loiseau non dun aromate, mais des aro-

    mates, variables en nature et en quantit, et qui tantt comportent deux fois de la cannelle,

    tantt nen comportent pas explicitement ; chez Ovide, quatre composants pour le nid :

    cassia, nard, cinnamome, myrrhe 66 ; chez Pomponius Mla, toutes sortes daromates 67,

    et chez Martial, tout ce que loiseau unique conserve en son nid 68.

    En ce Ier sicle ap. J.-C., une fresque de Pompi offre la premire reprsentation du

    phnix, sur un mur extrieur de la taverne dEuxinus 69 : un oiseau rouge et or aux allures

    colombines pos dans un environnement de plantes fleuries qui ne semblent pas tre des

    aromates, mais des espces natives (laurier-rose) : sagirait-il de lenseigne publicitaire dune

    parfumerie ?

    Personne na encore propos de voir de la cannelle plutt que le laurier de la victoire

    dans la branche que tient entre ses pattes le phnix de la monnaie dHadrien en lhonneur du

    61. Pline, NH 10, 97 : in Arabia cinnamolgus auis appellatur cinnami surculis nidificans ; plumbatis eos sagittisdecutiunt indigenae mercis gratia, en Arabie il y a un oiseau appel cinnamolgue ; il fait son nid avec desrameaux de cannellier ; les indignes abattent ces nids avec des flches plombes pour les vendre (E. de Saint-Denis (trad.), Paris, CUF, 1961). la fusion des deux oiseaux lgendaires sajoute une confu-sion sur le nom cinnamolgus : le mme Pline, aprs Agatharchide, signale en thiopie une tribu fabuleusede Kynamolgoi, ttes de chien (Cynamolgi caninis capitibus, NH 6, 195), tandis que Ctsias citait en Indeun peuple de ttes de chiens (Cynocphales), peut-tre des singes : la zoologie moderne connat unmacaque cynomolgus dans les Philippines et en Indonsie : le cinnamolgus de Pline na en fait rien voirtymologiquement avec la cannelle, mais avec le chien (KARTTUNEN 1984). La notice sur loiseau-cinnamesera reprise non par Solin, mais par Isidore de Sville (tymologies, 12, 7, 23).

    62. Pline, HN 10, 4 : senescentem casiae turisque surculis construere nidum, replere odoribus et superemori, quand il devient vieux, il construit un nid avec des branches de cannellier et dencens, le remplit daro-mates sur lesquels il meurt (E. de Saint-Denis (trad.), Paris, CUF, 1961).

    63. Chap. 34, sur les curiosits de lArabie, [] de lencens, de la myrrhe, du cinname, du phnix, desoiseaux dits cinnamolgues [] : le phnix [] se construit un bcher avec du cinname quil recueille prsde la Panchae, et il tablit ce bcher sur les autels dans la ville du Soleil [] Il y a aussi en Arabie un oiseaunomm cinnamolgue qui, dans les bois les plus levs, construit son nid avec de petites branches decinname ; comme on ne peut les atteindre cause de la hauteur et de la fragilit des branches, les habi-tants du pays abattent le nid de ces oiseaux avec des flches garnies de plomb, et vendent un prix trslev ceux quils peuvent faire tomber, parce que le cinname dArabie est plus estim que les autres (A. Agnant (trad.), Paris, Panckoucke, 1847). De fait, le peuple smitique des Atramites donnait commemessager son dieu Nebo un oiseau Hl qui collectait et transportait les aromates (HUBAUX et LEROY1939, 79 et note 4).

    64. Sur la personnalit des animaux, kinnavmwmo" o[rni" : 2, 34 et 17, 21 ; phnix : 6, 58 (A. Zucker (d.), Paris,Les Belles Lettres (La roue livres), 2001).

    65. Nous sommes daccord avec R. Van den Broek pour dire que Pline identifie probablement de lui-mmeloiseau cinnamolgue et le phnix : ce nest pas une tradition ancienne (167-168).

    66. Mt. 15, 399.67. Chorographie 3, 83, cf. note 25.68. pigrammes 10, 17, 6 : Quidquid et in nidis unica seruat auis (notre traduction).69. JASHEMSKI 1967.

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    dfunt Trajan70. Si cest ventuellement possible iconographiquement la cassia appartient

    la famille des lauraces, cest obscur symboliquement : lment didentification de loiseau en

    rfrence la notice plinienne ? Mais lapparence de la cannelle frache tait-elle si familire

    aux Romains ? Et quel rapport avec Hadrien successeur de Trajan divinis ?

    Fonctions du nidLa fonction de ce nid parfum est diverse selon les auteurs : dabord lieu de mort (par

    dcomposition) construit la fin du cycle du phnix, il devient parfois aussi un nid de vie

    o il sjourne (avec lopposition si rhtorique nid-tombeau / nid-berceau), tandis que le tr-

    pas saccomplit dans une crmation qui nest pas toujours celle du nid, mais dun bcher

    apparemment lev mme le sol. Autres variantes : le transport du nid funraire travers

    les airs jusquau temple dHliopolis, ou encore la construction de ce nid funraire directe-

    ment sur lautel.

    Le nid tombeau

    Cest la premire destination du nid daromates dans les textes au plan chronologique,

    atteste chez Manilius = Pline71. Ce nest pas un lieu de vie on ne sait o il niche dans les

    540 (ou 500) annes de son cycle, mais un nid pour mourir ; les deux aromates express-

    ment cits sont cassia et tus (donc un avatar du nid du cannellier), apparemment distin-

    guer des odores qui le remplissent (en tant que contenu, et non plus contenant), non prciss.

    Le terme gnrique odor insiste videmment sur laspect olfactif et non sur laspect tactile

    et visuel, mais il ne peut sagir que de branchages, feuillages, corces, pis, gouttes de

    rsine, racines

    Le principe du nid est le mme chez Ovide, avec deux prcisions de nature diffrente :

    lespce de larbre o il est difi, et des aromates supplmentaires pour la construction.

    Chne vert et palmier ne sont pas des varits particulirement odorantes bien que lon

    tirt un parfum du palmier-phnix 72 ; limportant est ici un feuillage persistant renvoyant

    la rgnration perptuelle du phnix cest un autre symbolisme qui est en jeu. Sur les

    quatre sortes daromates, deux sont des varits de cannelle : cassia et cinnamome, le troi-

    sime est la myrrhe hrodotenne (mais avec un autre usage) ; le quatrime est nouveau :

    le nard. Odores peut ici renvoyer cette liste et il nest point besoin dimaginer dautres

    varits, sans pouvoir les exclure. Leur rle nest-il pas, trs prosaquement, de masquer

    lodeur de la putrfaction dans cette version de la lgende o le phnix renat de la dcom-

    position de son ancien corps ? Mme si le pote ne le dit pas ici, le contexte gnral et les

    autres exemples animaliers voquent la dcomposition, qui est plus explicite chez Manilius

    70. Il ne sagit en tout cas pas dune palme. Les seuls documents figurs qui reprsentent visiblement desaromates : les brindilles du nid et une branche dans les serres du phnix, sont les deux mosaques de lavilla Casale Piazza Armerina : celle de la Grande chasse et celle dOrphe (IVe sicle, VAN DEN BROEK1972, pl. XVIII, 1-2 et XIX), cf. LECOCQ 2009.

    71. HN 10, 4 : senescentem casiae turisque surculis construere nidum, replere odoribus et superemori. Exossibus inde et medullis eius nasci primu ceu uermiculum, inde fieri pullum, principioque iusta funerapriori reddere et totum deferre nidum prope Panchaiam in Solis urbem et in ara ibi deponere, quand ildevient vieux, il construit un nid avec des branches de cannellier et dencens, le remplit daromates surlesquels il meurt. Puis de ses os et de ses moelles nat dabord une espce de vermisseau qui devientensuite oiselet ; il commence par rendre son prdcesseur les devoirs funbres, puis il porte le nid entierprs de la Panchae, dans la ville du Soleil, o il le dpose sur un autel (E. de Saint-Denis (trad.), Paris,CUF, 1961).

    72. Il sagissait dune prparation base des feuilles de larbre (Thophraste, Des odeurs 28). Aujourdhui, ilexiste un parfum masculin Phnix , cr en 2000, dans un flacon de cristal Lalique : le bouchon, tel unbouchon de radiateur automobile, nous dit-on, est faonn en tte dhomme, cheveux au vent des che-veux qui sont en fait des plumes (LECOCQ 2001b, 34). Mais les valeurs du phnix vantes par largumentpublicitaire sont tonnamment la droiture, la vitesse et lendurance

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    = Pline ; il en va de mme chez Pomponius Mla, ceci prs que loiseau ne construit plus

    expressment un nid , mais un empilement (exxagerata strues), sans doute au sol, qui

    commence faire penser un bcher mme sil ny est pas mis le feu ; le gographe ne

    se proccupe pas de la nature des aromates, signalant seulement leur diversit, donc leur

    multiplicit (uarii odores) et, revenant la tradition hrodotenne, il utilise luf de myrrhe

    pour le transport du corps paternel ( la place du nid de Manilius = Pline et dOvide), uf

    dpos sur les flammes de lautel gyptien.

    Le nid bcher

    Le bcher romain du phnix (Ier sicle av. J.-C. et Ier sicle ap. J.-C.)

    Outre le fait que la myrrhe ou lencens, qui librent leurs senteurs en brlant (donc des

    combustibles), sont des aromates liturgiques, ils sont employs au moins depuis le Ier sicle

    av. J.-C. dans les bchers funraires dont la coutume se rpand Rome. Au-del de son

    aspect utilitaire : masquer les odeurs des chairs dcomposes et calcines 73, le parfum

    symbolise traditionnellement le triomphe sur la mort. Le cinnamome est le principal ingr-

    dient des bchers de luxe, rserv aux grands personnages et la famille impriale, comme

    attest pour Sylla et Poppe 74. Martial et Stace fournissent une liste de ces aromates fun-

    raires75. Il y a bien sr aussi un arrire-plan philosophique, stocien, ce thme du feu

    rgnrateur 76. Pomponius Mla a voqu luf funraire dpos, donc sans doute inci-

    nr, sur la flamme de lautel gyptien : si crmation il y a, ce nest pas celle du monceau

    daromates construit pour y mourir ; Pline nvoque jamais de nid incinr ou de bcher de

    cannelle 77, mais il dit que la cendre de phnix nest pas un remde srieux, dans une autre

    notice que la description du phnix, avec laquelle ce dtail ne saccorde pas et semble

    rvler une source voquant une crmation de loiseau 78. Martial est le premier mention-

    ner explicitement lincinration du nid du phnix, sans quon sache sil sagit des restes du

    vieux phnix ou si le jeune phnix renat des flammes 79 ; il ne cite pas non plus de parfums

    sauf sils se cachent dans le qualificatif assyrien du nid, comme on pourrait le dduire

    de lemploi par son contemporain Stace de cet adjectif, deux reprises, au sujet des aro-

    mates dun bcher doiseau, justement : dans lloge funbre du perroquet dAtdius

    Melior topos de la littrature mondaine auquel le phnix tait dj associ dans les Amours

    dOvide ; Stace, convoquant aux funrailles tous les oiseaux clbres, parle le premier du

    73. Aspect utilitaire vident qui ne sera expressment formul que tardivement, par Ambroise, Hexaemeron5, 23, 79 : Quis igitur huic adnuntiat diem mortis, ut faciat sibi thecam et inpleat eam bonis odoribus atqueingrediatur in eam et moriatur illic, ubi odoribus gratis faetor funeris possit aboleri ? [] Qui donc luiannonce le jour de sa mort pour quil se fasse un coffre et le remplisse de bonnes odeurs, y entre et meurtl o la puanteur de la mort peut tre abolie par des odeurs agrables ? (notre traduction).

    74. Sylla : Plutarque, Sylla, 38 ; Poppe : Pline, NH 12, 83 et Tacite, Annales, 16, 6. Voir aussi REHAK 1990, surPline, HN 12, 94, au sujet dune racine de cinnamome ddie par Livie aux mnes d'Auguste.

    75. Par exemple, Martial, Epigrammes 10, 97 et 11, 54 (unguenta, cassia, myrrhe, encens, cinnamome) ; StaceSilves 2, 6, 85-90 et 5, 1, 210-214 : tout le printemps de lArabie et de la Cilicie, les fleurs de la Sabe, lamoisson de lInde destine la flamme, lencens soustrait au service des temples, et les essences, la fois,de la Palestine et des Hbreux, les plantes coryciennes, et les bourgeons de larbre de la fille de Cinyras (H. J. Izaac (trad.), Paris, CUF, 1944).

    76. ROBERTS 1978 et 1987, selon qui le rle croissant du feu dans la rsurrection du phnix ( la place du ouassoci au thme originel de la dcomposition) sexplique par la doctrine de la conflagration universelle,lejkpuvrwsi", prcdant la rgnration du monde, le phnix tant aussi un symbole cyclique.

    77. Mais, pour lui, le cinnamome est susceptible de combustion spontane (HN 12, 90).78. NH 29, 29, comme aussi la recette de sorcire de Lucain (Pharsale 6, 680). Il est possible quil sagisse en

    fait simplement du nom crypt dun ingrdient naturel, peut-tre vgtal, comme aussi les nerfs de ph-nix sacr (labrotonon ?) que mentionnent les papyrus magiques grecs ; voir HUBAUX et LEROY 1939, 115,note 1, VAN DEN BROEK 1972, 56-57 et VOLPILHAC 1978.

    79. Epigrammes 5, 7, 1-2 : Qualiter Assyrios renouant incendia nidos, / Vna decem quotiens saecula uixit auis, de mme que les flammes renouvellent le nid assyrien de loiseau dix fois sculaire, toutes les fois quila termin le cycle de ses annes (H. J. Izaac (trad.), Paris, CUF, 1930).

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    bcher (rogus) o simmole le phnix 80 ; deux sortes de parfums : celui des cendres,

    lamome assyrien , et ceux des plumes (quivalant une chevelure81), lherbe arabe

    cest--dire lencens, et le crocus, dorigine indienne, ou safran. Ce bcher na rien dun

    nid : cest un monceau daromates dont le dtail nest pas donn (ceux cits auparavant ou

    dautres ?) au haut duquel il faut monter, limage des bchers difis pour les humains,

    puisque perroquet et phnix sont traits comme tels. Cette liste daromates funraires de

    luxe est reprise de manire quasi formulaire pour un autre pome82, dans une numration

    quadruple : l amome assyrien y devient les sucs que distillent les plantes dAssyrie

    (ctait la nourriture de loiseau chez Ovide), l' herbe arabe et le crocus des Sicanes ,

    encens et safran, y deviennent les parfums des Sabens ; le terme supplmentaire est le

    cinnamome dont fut dpouill loiseau de Pharos . La qualification des autres aromates

    tait gographique (avec aussi des rminiscences ovidiennes dans les mots sucs ,

    herbe et, plus loin, larmes ). Seul le cinnamome nest pas nomm par priphrase,

    comme lest le phnix lui-mme par la mention de lgypte, ft-elle alexandrine (Pharia

    uolucris). Lide que loiseau est priv de sa cannelle renvoie clairement la chasse prati-

    que sur le cannellier dHrodote et Aristote ; sur ce point aussi Stace est le promoteur

    dune tradition qui ira jusqu Claudien et Sidoine Apollinaire et quils rendront formulaire :

    le cinnamome comme lingrdient ncessaire et suffisant du bcher du phnix, comme on

    le voit galement chez Solin, lgrement infidle Pline : ayant parl de lencens et de la

    myrrhe dArabie, il note que l aussi nat le phnix []. Il se construit un bcher avec du

    cinnamome quil recueille prs de la Panchae, et il tablit ce bcher sur les autels dans la

    ville du Soleil 83.

    Mais la tradition hrodotenne de la seule myrrhe continue, nous lavons dit, de coexister,

    particulirement chez Tacite. Dans ce rcit trs succinct et dpouill, il sagit dun nid de mort,

    peut-tre lev au sol (lexpression in terris est ambigu), sans mention daromates pour sa

    construction (contrairement Ovide et Pomponius Mla), mais avec le retour de luf de

    myrrhe pour le transport. Il se conforme la plus ancienne source historique, lexclusion

    de la nouvelle tradition (celle de Manilius), mais il semble en manifester la connaissance

    justement dans lindication dun nid, qui nexistait pas chez lhistorien grec. Nous avons

    signal ailleurs 84 la concidence chronologique entre la notice sur le phnix des Annales et

    la premire monnaie au phnix dHadrien en lhonneur de Trajan divinis : lutilisation

    impriale du symbole lui confre une autre image et une autre signification, o les aromates

    ne jouent aucun rle, mme si, comme loiseau, ils sont associs au thme de lge dor.

    Le bcher indien du phnix (IIe sicle ap. J.-C.)

    Ds Ovide, le phnix tait convoqu lenterrement de l oiseau indien par excel-

    lence, le perroquet85 et chez Stace il montait sur son bcher 86. Quand le genre romanesque

    80. Silves 2, 4, 33-37 : [] At non inglorius umbris / Mittitur : Assyrio cineres adolentur amomo / Et tenues Ara-bum respirant gramine plumae Sicaniisque crocis ; senio nec fessus inerti / Scandet odoratos Phoenix feli-cior ignes, Mais ce nest pas sans honneur quil est envoy vers les ombres : ses cendres sontimprgnes de lamome assyrien ; son plumage lger respire lencens des Arabes et le safran desSicanes ; et le phnix accabl par les glaces de lge (sic) ne montera pas plus magnifiquement sur sonbcher odorant (H. J. Izaac (trad.), Paris, CUF, 1961).

    81. Les plumes sont enduites linstar de cheveux (cf. Stace, Silves 2, 1, 160-1).82. Silves 2, 6, 86-90 : [] odoriferos exhausit flamma Sabaeos / Et Cilicum messes Phariaeque exempta uolucri /

    Cinnama et Assyrio manantes gramine sucos, / Et domini fletus : hos tantum hausere fauillae, / Hos bibitusque rogus [] (H. J. Izaac (trad.), Paris, CUF, 1961).

    83. Collectanea rerum memorabilium, chap. 34, A. Agnant (trad.), Paris, Panckoucke, 1847.84. LECOCQ 2001a, 44-46.85. Indiko;n o[rneon chez Aristote (NA 8, 597 b), cf. Ovide Amours 2, 6, 1 : Psittacus, Eois imitatrix ales ab Indis.86. Cf. note 82.

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    grec et la Seconde Sophistique semparent du phnix au IIe sicle ap. J.-C., ils en font

    parfois une crature de lInde87 (pays du soleil levant et du cinnamome, donn comme plus

    ou moins limitrophe de lthiopie elle-mme voisine de lgypte 88). Son sjour stait

    recul de lArabie vers le soleil levant ds Lucain 89 : exceptionnelles sur le plan de la reli-

    gion, puisque, comme dans lge dor, les hommes y vivent dans la proximit avec les

    dieux, les contres extrmes [] sont tout autant exceptionnelles sur le plan de la nature.

    Dans ces pays o abonde ce qui ailleurs est rare, pullulent les pierres prcieuses, les aro-

    mates90 et les animaux fantastiques 91. Le phnix se rapprochait dj dautres volatiles

    des mythes indiens : Clitarque mentionnait un orion vu par Alexandre aux Indes : une sorte

    de hron aux pattes rouges, aux yeux comme des pierres prcieuses, au chant magnifique

    (allant toujours de pair avec un autre oiseau, le catreus) 92, et qui ressemble au phnix tel

    que le dcrivait Ezchiel le Tragique. On sait aussi que le cygne, autre animal solaire, tient

    une place particulire dans la mythologie indo-europenne93, et le phnix lui emprunte

    bientt son chant mythique 94.

    La mort de loiseau sur un bcher est celle mme de ces brahmanes ou encore de ces

    veuves de lInde se jetant volontairement dans les flammes : cette pratique barbare qui

    horrifiait Cicron au Ier sicle av. J.-C.95 et que raille encore Lucien au dbut du IIe sicle ap.

    J.-C. devient un noble sacrifice aux yeux dun Apollonius de Tyane selon Philostrate au

    IIIe sicle.

    Cest dans La mort de Prgrinus que Lucien assimile la figure historique de lIndien

    Calanos, le phnix 96 et un certain Prgrinus, drle doiseau, faux philosophe grec qui se

    rebaptise Prote et Phnix, et se donne pour la gloire une mort volontaire sur un bcher

    Olympie ; parricide et non patrophore, il avait tu son pre pour ne pas le voir vieillir (

    10) ; dfaut daromates, il empile du bois ( 21) ; sa motivation : il veut, par Jupiter, faire

    montre de courage, linstar des Brahmanes. Cest eux, en effet, que Thagne la

    compar ; comme sil ny avait pas aussi dans lInde des fous remplis de vanit. Eh bien !

    quil les imite. Seulement ils ne slancent point dans les flammes, sil faut en croire Onsi-

    crite, amiral dAlexandre, qui vit Calanus se brler ; mais, une fois leur bcher construit, ils

    se tiennent auprs, immobiles, attendant les premires atteintes du feu ; aprs quoi, ils

    montent avec un maintien calme, se couchent et se laissent consumer sans faire le moindre

    mouvement ( 25) ; on ma dit encore quil ne veut plus quon lappelle Prote, mais

    quil a chang son nom en celui du phnix, oiseau des Indes, qui se brle quand il est arriv

    une extrme vieillesse ( 27) 97.

    Chez Philostrate, cest le brahmane Damis qui prsente au hros ponyme les curiosi-

    ts de lInde ; le phnix vient aprs le griffon98. Loiseau quon nomme phnix, et qui tous

    les cinq cents ans vient en gypte, vole dans lInde pendant tout cet espace de temps. Il

    87. Lucien, Sur la mort de Prgrinus, 25 ; Aelius Aristide, Sur la rhtorique, 45, 107.88. Par exemple, Hliodore, thiopiques, 6, 3, 3, o loiseau est dit originaire de lthiopie ou de lInde. Sur

    la confusion des confins, voir SCHNEIDER 2004.89. Pharsale 6, 680, qui voque la cendre de phnix sur lautel de lAurore.90. Non seulement le Cinnamum uerum, mais aussi une varit de nard sont des pices indiennes : Pline HN

    21, 11, voir HUBAUX et LEROY 1939, 175-6, note 1. 91. TARDIEU 1974, 237-238.92. Strabon, Gographie 15, 1, 69, voir HUBAUX et LEROY 1939, 30-31.93. PRVOST 1992.94. Ainsi chez Philostrate, Vie dApollonius de Tyane 3, 49. Mais le phnix peut aussi chanter sans rfrence

    explicite au cygne, comme chez Lactance (v. 81).95. Tusculanes 2, 52 et 5, 77-78. Mais cette pratique devient rapidement une preuve de matrise de soi

    (Lucain, Pharsale 3, 240-41) et de pit conjugale (Properce 3, 13, 15-22 ; Valre Maxime 2, 6, 4). 96. Voir aussi Lucien, Le Navire, 44. 97. La Mort de Prgrinus, E. Talbot (trad.), Paris, Hachette, 1912.98. Comme chez Lucien, Le Navire, 44.

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    est le seul de son espce. Il nat des rayons du Soleil, est tout tincelant dor, a la taille et

    la forme dun aigle, et se pose sur un nid quil se fait lui-mme avec des aromates prs des

    sources du Nil. Quant ce que disent les gyptiens, quil passe dans leur contre, cela est

    confirm par le tmoignage des Indiens, qui ajoutent que le phnix se brle dans son nid

    en se chantant lui-mme son hymne funbre. Cest ce que disent aussi des cygnes ceux

    qui savent les couter99. Aucun aromate nest donc prcis, pas mme le cinnamome indien.

    La posie exploitera son tour le thme du bcher indien du phnix dont le cinname,

    aromate lui aussi indien, deviendra lingrdient essentiel, comme nous le verrons chez

    Claudien et Sidoine Apollinaire. Le phnix indien est beaucoup plus rare dans liconogra-

    phie que dans les textes : au IVe sicle, il est un attribut de lallgorie de lInde sur la mosa-

    que de la Grande chasse dans la villa de Piazza Armerina, reconnaissable par son nimbe et

    son nid daromates en flammes sur le palmier homonyme 100. Un second phnix aux aroma-

    tes se rencontre dans cette mme villa, verrons-nous, sur la mosaque dOrphe.

    Le parangon du bcher aromatique (IIIe sicle ap. J.-C.)

    Les 170 vers du Carmen de aue Phoenice de Lactance sont la premire et la plus lon-

    gue monographie sur le phnix depuis le pome de Laevius et louvrage de Manilius (tous

    deux perdus) au Ier sicle av. J.-C., une date o le symbole imprial du phnix connat un

    renouveau avec Constantin, puis ses fils, et o le symbolisme chrtien du phnix sest affirm

    dans les textes et les images 101. Le passage sur les aromates y fait une dizaine de vers,

    nourris de rfrences littraires ; le cinnamome est le premier terme de lnumration de

    neuf parfums chiffre fatidique ? rpartis sur six vers ; la cassia dbute la phrase suivante,

    en tte de vers, tandis que la myrrhe lachve : cest Lactance [] qui dveloppe le plus

    amplement ce motif 102 dveloppement tout de mme trs limit :

    Les parfums dArabie et les sucs dAssyrie,

    Ceux qui viennent de lInde et ceux que le Pygme

    Cueille dans son pays, et ceux de la Sabe :

    Le cinname et lamome au souffle parfum,

    Il les assemble avec les feuilles balsamiques ;

    La casse lodeur douce et lacanthe embaume,

    Et les larmes dencens tombant en lourdes gouttes,

    Il les joint aux pis encor tendres du nard,

    Avec la panace et lessence de myrrhe103.

    Le pote mentionne des feuilles et des pis, cest--dire des matriaux de construc-

    tion solides, mais aussi des liquides, gouttes et essence , dont on ne sait si elles ser-

    vent de ciment au nid ou lembaument. Dans la suite, loiseau non seulement se tient dans

    ce nid aromatique, mais semble se parfumer comme dune onction toilette funbre, comme

    pour le perroquet de Stace.

    Saluant le soleil par trois fois, il se tait.

    Ensuite, de son bec, il rpand sur ses membres

    99. Vie dApollonius de Tyane, 3, 49 (A. Chassang (trad.), Paris, Didier, 1862 [rd. Paris, Sand, 1995]).100. VAN DEN BROEK 1972, pl. XVIII, 1 et 2 : le nid, apparemment pos au sol, est une demi-coque dont jaillis-

    sent des flammes autour de loiseau qui sy dresse parmi des brindilles. Voir LECOCQ 2009.101. LECOCQ 2009.102. HUBAUX et LEROY 1939, 68.103. Colligit hinc sucos et odores diuite silua, / Quos legit Assyrius, quos opulentus Arabs, / Quos aut Pyg-

    meae gentes aut India carpit / Aut molli generat terra Sabaea sinu ; / Cinnamon hinc auramque proculspirantis amomi / Congerit et mixto balsama cum folio ; / Non casiae mitis nec olentis uimen acanthi /Nec turis lacrimae guttaque pinguis abest. / His addit teneras nardi pubentis aristas / Et sociam myrrhaeuim, panacea, tuam (v. 60-68, HUBAUX et LEROY (trad.) 1939, XVII).

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    Les sucs dont les parfums embaumeront sa mort.

    Parmi tant de senteurs, enfin, il rend lesprit,

    Sans crainte, il leur confie un si noble dpt104.

    Trois hapax dans cette liste : le baume, frquent par ailleurs dans toute numration

    daromates ; lacanthe, sans nul doute en hommage au matre Virgile, dont la fameuse

    IVe glogue voque elle aussi la naissance dun tre nouveau accompagnant le renouvel-

    lement dun ge dor105 ; enfin la panakev", cite ds Thophraste dans la liste des parfums

    orientaux. Comment ne pas penser une brillante variation, tels ces exercices que les co-

    les de rhtorique proposaient couramment sur le sujet 106, pratique ici de main de matre ?

    Nous avons crit ailleurs que ce pome pouvait tre une clbration indirecte de Constan-

    tin, lempereur au phnix, et comporter une signification politique derrire des allures par-

    nassiennes et quelques allusions chrtiennes 107.

    Dernires mtamorphoses des aromates

    Dans la retractatio, plus courte, du sujet de Lactance par Claudien (CM 27, 110 vers),

    un sicle plus tard, on sent la volont de se dmarquer du prdcesseur : au long dvelop-

    pement sur les aromates rpond un quasi silence. Il sagit ici aussi dun nid de mort ; seul

    est cit lencens ; les qualifications des autres parfums sont gographiques, de lArabie

    lInde ; laccent est mis non sur leur nature, mais sur leur quantit et les quidquid rpts

    rfrent non plus Virgile ou Ovide, mais Martial : alors, convaincu que son temps est

    rvolu, il se prpare recommencer une nouvelle existence : il recueille sur les monts des

    herbes dessches par la chaleur et, recouvrant cet amas du prcieux feuillage de Saba, il

    lve le bcher do il va renatre [] Lamas de feuillage odorant sembrase, enflamm

    par les traits divins et brle la dpouille vieillie 108. Le tas dherbes et de feuillages est plus

    ou moins tiss comme un nid. Le pote en cite un seul, par priphrase : le cinnamome,

    lIndus odor (v. 99), dont le parfum est plus doux que le nectar 109. Limportance du thme

    apparat cependant dans la formule rex fragrans (v. 80) et dans limage finale de la partie

    narrative: le delta du Nil embaum (v. 96-100)110. Si comme chez Lactance, le bcher

    sembrase spontanment, loriginalit de Claudien, avons-nous not, quand tout semble

    104. Igniferumque caput ter uenerata silet. / Ore dehinc sucos membris circumque supraque / Inicit exsequiisinmoritura suis. / Tunc inter uarios animam commendat odores / Depositi tanti nec timet illa fidem (v. 90-94, HUBAUX et LEROY (trad.) 1939, XVIII).

    105. Bucoliques 4, 18-20 : la terre, sans culture, te prodiguera les lierres exubrants ainsi que le baccar, etles colocasies maries lacanthe riante et lamome odorant qui parfume lAsie (E. de Saint-Denis (trad.),Paris, CUF, 1967). Bien dautres chos virgiliens et ovidiens se rencontrent dans le pome, voir GUALANDRI1974, 301.

    106. GUALANDRI 1974, 300-301 ; CALLEJAS BERDONES 1986-1987, 113-120.107. LECOCQ 2001a, 50-52 ; LECOCQ 2008, 253-258.108. [] Tum conscius aeui / Defuncti reducisque parans exordia formae / Arentes tepidis de collibus eligit

    herbas / Et cumulum texens pretiosum fronde Sabaea / Conponit, bustumque sibi partumque futurumFeruet odoratus telis caelestibus agger, / Consumitque senem (v. 40-44 et 59-60, V. Crpin (trad.), Paris,Garnier, 1933) ; cf. Martial, Epig. 10, 17, 6.

    109. Iam flammae commendat onus, iam destinat aris / Semina reliquiasque sui : murrata relucent / Limina,diuino spirant altaria fumo, / Et Pelusiacas productus ad usque paludes / Indus odor penetrat nares com-pletque salubri / Tempestate uiros et nectare dulcior aura / Ostia nigrantis Nili septena uaporat, [il] confie la flamme ce quil a apport ; lautel reoit la fois les restes et les germes de son corps, ldifice en esttout resplendissant, lair exhale un parfum divin ; les baumes de lInde, se rpandant jusquau marais dePluse, frappent lodorat, pntrent les hommes deffluves salutaires, et vont parfumer les sept bouchesdu Nil dune vapeur plus suave que le nectar (v. 95-101, V. Crpin (trad.), Paris, Garnier, 1933).

    110. Mais nous nirons pas jusqu dire comme M. Tardieu : Nul na, mieux que Claudien, su dgager la struc-ture inhrente la renouatio du phnix, le rle des aromates comme feu de la rgnration (1974, 243).Voir LECOCQ (colloque de 2008 paratre).

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    avoir dj t dit, est de faire de luf de myrrhe une sorte de cocon, voire une momie

    vgtale 111.

    Les parfums du phnix se rencontrent aussi dans plusieurs autres pices du pote,

    mythologiques ou courtisanes : encens et / ou cinnamome dans Le rapt de Proserpine 112,

    lloge de Stilichon 113 et lptre Srne o lpisode liminaire des noces dOrphe 114

    semble comme illustr par une des deux mosaques au phnix de la villa de Piazza

    Armerina : loiseau sapproche du pote avec dans les serres un morceau daromate115 ; tou-

    tes les reprsentations mais elles sont peu nombreuses du nid ou du bcher du phnix

    montrent en principe des aromates, mme de manire peu lisible, sous forme de brin-

    dilles116.

    Les potes Ausone et Sidoine Apollinaire font comme Lactance et bien sr Claudien

    un traitement mythologique du thme du phnix et de ses aromates, mais avec des varian-

    tes. Au IVe sicle, chez Ausone, loiseau de Pharos de Stace est dornavant loiseau du

    Gange 117, en un grand cart gographique moins surprenant quil ny parat, puisque

    gypte et Inde sont rputes se rejoindre aux confins du monde : le phnix aux tempes

    rayonnantes y trne en son nid de cinname 118 ; mais il a perdu de son prestige car sa

    beaut est juge infrieure celle du paon 119, contre toute la tradition antrieure. Au

    Ve sicle, Sidoine sinspire de Lactance pour le catalogue des parfums de lOrient indien 120,

    mais invente la liaison du phnix et de son cinnamome avec la pompa triomphale de Bac-

    chus en Inde : loiseau y devient le prisonnier du dieu dans sa conqute du pays fleuri et

    embaum o se lvent le soleil et lAurore121, et le prcieux aromate de son nid ou bcher

    fait partie du butin de guerre ; cest l aussi une des rares images ngatives du phnix, plus

    souvent montr dans sa gloire solitaire, sans autre contact que celui des prtres dHliopo-

    lis. En fait, la logique est inverse : cest parce que la cannelle dont la rgion est rellement

    productrice fait partie du cortge dionysiaque que, par association dides, le lgendaire

    phnix y figure aussi en vaincu. Liber Pater est la seule divinit laquelle il soit associ,

    111. Voir note 27. Ce cocon (comme un ver soie ?) est peut-tre mettre en rapport avec les versions de lalgende qui inventent un ver intermdiaire ici chrysalide entre le phnix mort et le nouveau phnix(voir TARDIEU 1974, 241-243).

    112. 2, 81-84, la nymphe Henna demande Zphyr de parfumer ses campagnes avant le rapt amoureux : quetout lencens exhal par les bois embaums de la Panchae, tous les parfums dont lHydaspe [fleuve delInde] charme au loin lodorat, tout ce que loiseau immortel recueille au fond du royaume de Saba,lorsquil va chercher le bcher dont les cendres le rendront la vie (V. Crpin (trad.), Paris, Garnier, 1933).

    113. 2, 418-420, vol vers lgypte de loiseau du soleil, loiseau qui laisse au loin un sillage lumineux, tout par-fum du cinname de son bcher , [] Solis [] auem ; procul ignea lucet / Ales, odorati redolent cui cin-nama busti (V. Crpin (trad.), Paris, Garnier, 1933). Le sillage lumineux renvoie peut-tre la lgende ducygne indoeuropen, voir PRVOST 1992.

    114. V. 15-16 : aprs les griffons et leur or, les colombes et leurs roses, le cygne et son ambre, les grues et leursperles, le phnix apporte son prsent de noces : Venit et extremo Phoenix longaeuus ab Euro / adportansunco cinnama rara pede, du fond de lOrient, loiseau ternel, le phnix, arrive tenant dans sa serrerecourbe le baume prcieux du cinname (V. Crpin (trad.), Paris, Garnier, 1933).

    115. vrai dire, loiseau semble plus tre pos sur une branche que tenir une brindille dans ses serres : gros-sissement volontaire du dtail ou maladresse de lartiste ? Voir VAN DEN BROEK 1972, pl. XIX.

    116. LECOCQ 2008.117. Griphe sur le nombre trois, v. 16 et Lettres, 20, 9.118. Griphe, v. 17 : cinnameo radiatus tempora nido, avec un contresens de HUBAUX et LEROY pour qui

    Ausone combine assez bizarrement les deux attributs de loiseau en imaginant que la couronne radieque porte le phnix est en mme temps son nid fait de cinname (p. 78, note 3) ; il sagit dun ablatif de lieu.

    119. Lettres, 20, 9-10.120. En des vers qui seront imits par Ennodius, Carmina 1, 9, 149-151.121. Carmina 2, 412-417, le sjour de lAurore : les roses embaument les campagnes et leurs parfums sexha-

    lent dans des champs sans clture ; la violette, le cytise, le serpolet, le trone, le lis, le narcisse, le cannel-lier, la colocasie, le souci, le costus, le malobathrum, la myrrhe, le baumier, lencens naissent dans lesprairies ; cest l aussi que le phnix, voisin de ces lieux, quand la vieillesse frappe la porte, vient cher-cher le cinname qui lui rend la vie (Hinc rediuiua petit uicinus cinnama Phoenix) (A. Loyen (trad.), Paris,CUF, 1960).

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    dans un rapport dantagonisme : mme si loiseau est consacr Sol, il sagit de lastre

    soleil dont on dit parfois quil allume lui-mme de ses rayons le bcher ; ce nest lApollon

    mythologique que nominalement, il nest jamais li aucune de ses aventures, quoique

    appel par priphrase oiseau de Phbus ce titre est en fait celui de la corneille. La

    liaison de Bacchus avec la conqute des aromates orientaux est, elle, beaucoup plus

    ancienne 122. Autre ide nouvelle : il semble que cet aromate devienne un ingrdient

    ncessaire, non seulement accessoire, de la rsurrection du phnix, voire son agent, avec

    un pouvoir magique : cest le cinname qui lui rend la vie 123 : loiseau, sachant que les cin-

    names sont dsormais rservs au tribut pay par lInde son nouveau matre, se demande

    avec terreur, si, priv de son indispensable aromate, il pourra continuer jouir de son pri-

    vilge de mourir pour ressusciter 124. De fait, la cannelle avait anciennement des usages

    mdicinaux 125. Pour Sidoine, comme pour Claudien, le cinnamome funraire du phnix sert

    dailleurs aussi de cosmtique et de prsent de noces 126. Mais loiseau peut aussi avoir son

    image positive traditionnelle de roi en gloire et majest : on le voit collecter le matriau de

    son bcher, suivi dun cortge venu assister sa proche rsurrection, comparable la vic-

    toire que vont remporter Avitus et ses troupes sur Attila127.

    Le symbolisme chrtien des aromatesLvolution du mythe nest pas vraiment diffrente chez les auteurs chrtiens par rap-

    port aux paens, mme si le symbolisme attribu ses composantes nest videmment pas

    le mme, comportant dautres rfrences et connotations. Loiseau devient une icne chris-

    tique quasiment ds la fin du Ier sicle ap. J.-C., dabord dans les textes, puis dans les

    reprsentations figures, de Clment de Rome aux graffitis des catacombes et aux mosa-

    ques des glises. Le thme des aromates se retrempe aux sources judaques et les compo-

    santes du symbolisme du phnix trouvent bien des chos dans la Bible (comme le palmier,

    laurole solaire et la rsurrection).

    Les rfrences bibliques des aromatesLutilisation des aromates du phnix est atteste dans le rituel mosaque et dans la

    composition de lhuile donction (myrrhe, cinnamome, roseau aromatique, cassia). Le Liban

    122. Voir HUBAUX et LEROY 1939, 94, note 1, citant Ovide, Fastes 3, 729 sq., qui montre Liber apportant pourla premire fois aprs les avoir slectionnes lintention du grand Jupiter son pre, les cinnames et lesencens des terres quil vient de conqurir : lOrient tout entier et plus spcialement la rgion du Gange.Les prmices de la rcolte sont galement rservs par le grand prtre, mais destins cette fois au dieuSoleil dans la notice de Pline sur le cinnamome (HN 12, 89). Dj Hrodote 3, 110-111 faisait un lien entrele cinnamome et Dionysos : o il nat et quelle terre le produit, on ne saurait le dire ; simplement, cer-tains, dont les propos sont vraisemblables, prtendent quil crot dans le pays o Dionysos fut lev ,cest--dire pour Hrodote (2, 146) : au-del du Nil, en thiopie. Reste dlimiter cette thiopie, sou-vent confondue avec lInde, cf. SCHNEIDER 2004, 198-200 (S. Amigues, Thophraste, Sur les plantes 9, 91,note 1).

    123. Carmina 2, 417 : rediuiua cinnama ; de mme 9, 325-326 : Indo cinnamon ex rogo petitum, / Quo Phoenixiuuenescit occidendo, le cinname rapport du bcher indien du phnix retrouve sa jeunesse par le trpas ;

    124. 11, 125 : hic Phoenix busti dat cinnama uiui, le phnix y apporte le cinname de son bcher revivifiant (A. Loyen (trad.), Paris, CUF, 1960).

    122. HUBAUX et LEROY 1939, 96, commentant Carmina 22, 50-51 : l aussi figurait le phnix, aprs la perte ducinname, redoutant quune seconde mort ne lui ft plus permise (A. Loyen (trad.), Paris, CUF, 1960).

    125. HUBAUX et LEROY 1939, 82-83 ; sur les vertus mdicinales de la cannelle et laromathrapie en gnral, voirANDR et FILLIOZAT 1986, 394 et FAURE 1996, 261.

    126. 9, 325-326 ; 11, 124-125, la suite de Martial, pigrammes 4, 13 ; 6, 50, et de Claudien, ptre Srne,v. 15-16.

    127. Carmina 7, 353-5 : ainsi loiseau de Phbus emportant le cinname de son bcher sur la collinerythrenne, met en moi tout le peuple des oiseaux (A. Loyen (trad.), Paris, CUF, 1960).

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    (livbano" signifie encens en grec), cest lancienne Phnicie qui partage son nom avec

    loiseau lgendaire, mais aussi le pays biblique. La reine de Saba rgnait sur la contre sou-

    vent donne par les auteurs paens comme sjour au phnix : la Sabe, et elle en offre

    gnreusement les aromates Salomon pour qui est crit lamoureux Cantique des canti-

    ques qui mentionne sept fois la myrrhe, entre autres parfums 128. La manne et la rose

    cleste, nourritures dispenses par Dieu-mme aux hommes ou des oiseaux (corbeaux),

    sont des aliments eschatologiques permettant de participer dj la gloire de la fin des

    temps 129. La myrrhe fait partie des cadeaux offerts Jsus par les rois-mages avec

    lencens et lor, chacun pour son symbolisme : on lui donne de lor comme un roi ; lencens

    honore sa divinit ; et la myrrhe, son humanit et sa spulture, parce que ctait le parfum

    dont on embaumait les morts 130. De fait, les pratiques funraires judaques utilisent les

    mmes ingrdients quen gypte et Rome. Les saints ou les martyrs ont la fragrance des

    tres paens divins, tel Alexandre le Grand131, et le paradis132, le jardin dden, est aussi

    embaum que la nature de lge dor mythologique 133.

    Le traitement judaque et chrtien du thme des aromatesLes auteurs juifs et chrtiens tantt suivent la tradition paenne sur les parfums (comme

    nous lavons vu pour Clment de Rome, Lactance, Sidoine Apollinaire), tantt linflchis-

    sent (le Physiologus, Eusbe de Csare). Dans lgypte alexandrine, le Juif Ezchiel le Tra-

    gique qui dcrivait le phnix au milieu de loasis de palmiers dElim dans son Exagoghv (sur

    lExode de Mose) nvoquait pas de parfums, mais la pice est lacunaire. Le phnix judo-

    grec de lApocalypse du Pseudo-Baruch 134 se nourrit de manne et de rose et produit du

    cinnamome comme excrment 135 ; Clment de Rome voque le nid-tombeau fait de plu-

    sieurs aromates, dont il ne cite quencens et myrrhe les parfums liturgiques par excel-

    lence136. Le Physiologus, bestiaire chrtien merveilleux, note, sans le confondre avec le

    cannellier, que le phnix est nourri exclusivement par le Saint-Esprit 137 ; il se brle sur un

    bcher, et un ver renat de ses cendres, qui devient oiseau en trois jours, par analogie avec

    le Christ 138. Un autre Physiologus grec et le Physiologus latin voquent sur lautel du Soleil

    un feu de sarments de vigne, symbole chrtien, pour la crmation du phnix, qui a fait pro-

    vision daromates sur ses ailes au Liban, tape de la migration de loiseau 139, pays de ce

    128. FAURE 1996, chap. 2, 51 sq. ; BRENNER 1983 ; LALLEMAND 2002.129. VAN DEN BROEK 1979, 348.130. Commentaire de lvangile de saint Matthieu II, 11 par Bossuet (lvations sur les mystres, XVII, 9).131. LALLEMAND 1985.132. Le Gange est identifi avec le Physon, un des quatre fleuves dden.133. ALBERT 1990.134. HUBAUX et LEROY 1939, XXVIII-XXIX et 81.135. Ibid., 81 ; TARDIEU 1974, 241-242, note 166 (sur le traitement du thme de la nourriture du phnix par la tra-

    dition juive et gnostique) ; DEPROOST 2005, 126.136. Lorsquarrive le moment o il va se dissoudre dans la mort, il se fabrique, avec de lencens, de la myrrhe

    et autres plantes aromatiques, un nid funraire o il pntre, une fois son temps accompli, et o il meurt.De la chair en putrfaction nat un ver ; il se nourrit des humeurs de lanimal mort et se couvre de plumes.Puis, lorsquil a acquis de la vigueur, il soulve le nid o se trouvent les os de son anctre, et avec ce far-deau il passe dArabie en gypte jusqu la ville quon appelle Hliopolis. En plein jour, aux yeux de tous,il dirige son vol vers lautel du soleil, y dpose le nid et prend alors son lan pour sen retourner (ptreaux Corinthiens, 1, 25, A. Jaubert (trad.), Paris, ditions du Cerf (Sources chrtiennes, n 167), 1971). La for-mule encens, myrrhe et autres aromates est reprise deux fois par saint Ambroise (Sur la mort de sonfrre, 2, 59 et Hexaemeron, 5, 23, 79). Nous ne voyons pas en quoi le rcit de Clment claire celuidHrodote selon M. Dtienne (1972, 67, note 1).

    137. Physiologus grec : HUBAUX et LEROY 1939, 80, note 2 ; Physiologus byzantin, F. Sbordone (d.), Hildesheim New York, Olms, 1976, p. 200.

    138. Physiologus de Vienne, HUBAUX et LEROY 1939, texte et traduction XXXIV-XXXVI. 139. Physiologus grec, ibid., texte et traduction XXXII-XXXIII ; Physiologus latinus, F. J. Carmody (d.), Paris, Droz,

    1939, p. 20. Dans le Physiologus byzantin, le Liban, rput proche de lInde, devient le sjour de loiseau

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    cdre qui apparat dans les aromates funraires chez Cyrille de Jrusalem 140, tandis que le

    Physiologus du Pseudo-Jrme cite lambre141. Le sens allgorique est que le phnix

    revt la figure de notre Sauveur, qui descendant des cieux, a rempli ses deux ailes des plus

    suaves odeurs, cest--dire les paroles du Nouveau et de lAncien Testament142. Au IIIe sicle,

    le locus felix o vit le phnix de Lactance ressemble lden biblique 143 autant quau pay-

    sage idyllique dun ge dor. Loiseau pur et asexu qui habite le paradis, Milcham pour les

    Juifs 144, est le phnix pour les Chrtiens, comme on peut le voir non seulement dans les

    textes 145, mais aussi sur les mosaques de nombreuses basiliques146. Cest l, et non plus

    dans la Sabe, quil cueille dsormais le cinnamome147. Eusbe, lui, associe loiseau

    Constantin : dcrivant ses funrailles, lvque recourt la lgende du phnix paen, pour

    dire finement que, si loiseau se reproduit un seul exemplaire, Constantin, linstar du

    Sauveur qui fait se multiplier les grains de bl, laisse non pas un, mais des successeurs ; les

    aromates partis en fume sont ici opposs au pain nourricier qui produit un plus grand

    miracle quune seule reproduction lidentique : Non comme loiseau gyptien qui, dit-

    on, est unique pendant son existence et meurt sur un bcher aromatique et se sacrifie lui-

    mme pour lui-mme et revient la vie de ses propres cendres et est exactement le mme

    en tous points que son prdcesseur, mais comme son Sauveur qui, par le grain de bl []

    avec une prire Dieu, produit du pain et remplit le monde entier de ce fruit, comme lui, le

    trois fois bni Constantin fut multipli par la succession de ses fils148.

    Le seul thme vritablement nouveau introduit par les Chrtiens, ds Lactance, est celui

    de la virginit et de la chastet, corollaires de la puret alimentaire : la continence va de

    pair avec labstinence 149, mais elle est sans rapport avec les aromates 150.

    ConclusionUn aromate est prsent ds lorigine dans le mythe grec du phnix, sous la forme de

    luf de myrrhe mortuaire. Puis il se multiplie dune faon trs diffrente dans son adapta-

    tion romaine, comme matriau de construction du nid, puis du bcher de loiseau, avec

    une grande diversification : non seulement myrrhe, mais aussi encens, nard, baume, amome,

    et surtout cannelle en ses deux varits, cassia et cinnamome. Le phnix peut se nourrir de

    ces pices et / ou mourir dans leurs parfums, par dcomposition, puis par crmation. La

    prdominance de la cannelle sexplique par une contamination, implicite ou explicite avec

    loiseau-cinname de la lgende grecque dans la littrature latine partir du Ier sicle av. J.-

    C., dans un contexte de pratiques funraires romaines, cest--dire locales et relles, puis

    140. (HUBAUX et LEROY 1939, 171). De nos jours, le prix Le Phnix de littrature tmoigne de la vitalit des cri-vains libanais de langue franaise, tout en rappelant les origines proche-orientales de loiseau et de sesparfums (LECOCQ 2001b, 41).

    140. Catchses 18, 7-8, PG 33, 1025A5-1028A7.141. 7 : electrum, galement cens prendre feu spontanment.142. Physiologus latinus, p. 20.143. TARDIEU 1974, 239, note 147.144. Sur les lgendes rabbiniques et gnostiques de loiseau du paradis, voir TARDIEU 1974 et NIEHOFF 1996.145. VAN DEN BROEK 1972, 172-177.146. LECOCQ 2008. La Renaissance assimilera dailleurs un phnix le vrai oiseau de paradis originaire de

    Nouvelle Guine (HARRISON 1960).147. Avitus, Carmina 1, 238-239 ; Physiologus latin (tertia redactio ps. basiliana), F. Sbordone (d.), Hildesheim

    New York, Olms, 1976, p. 289.148. Vie de Constantin, 4, 72, daprs la traduction anglaise dA. Cameron et S. G. Hall, Oxford New York,

    Clarendon Press Oxford University Press, 1999. Peut-tre lvque fait-il un jeu de mots implicite entrele feu du phnix (pu'r, purov") et le nom du bl (purov", purou').

    149. TARDIEU 1974, 248.150. VAN DEN BROEK 1972, 386-387.

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    indiennes, cest--dire exotiques et littraires, faisant une grande consommation de cet

    aromate. La liste des autres ingrdients varie peu et ne semble pas revtir de signification

    particulire au-del du fait que ce sont des produits prcieux, voire sacrs qui, chez les

    auteurs chrtiens, se retrempent aux sources bibliques et changent non de nature, mais de

    rfrences et de symbolismes.

    Pour interprter les aromates dans la lgende du phnix, les grilles chronologique,

    historique, politique et religieuse, textuelle, smantique et linguistique ont avantage tre

    croises avec les grilles mythologique et symbolique ; il ny a pas selon nous un mythe ori-

    ginel unique et invariant : est-ce vraiment dans le pome de Lactance, chrtien de la fin du

    IIIe sicle, quon trouverait la version la plus pure ou la plus pleine, avec sa liste de neuf

    aromates, de cette origine alors quil sagit dune uvre extrmement travaille, pleine de

    citations, mais aussi dinventions ? Cest partir du principe que tous les dtails, quel que

    soit leur contexte, ont une signification par rapport un sens primordial dont lauteur serait

    inconsciemment porteur, indpendamment du genre, de lpoque, des valeurs culturelles

    et religieuses. Les lectures de M. Dtienne, pour passionnantes et sduisantes quelles

    soient, npuisent pas tout le mythe du phnix, et peut-tre pas mme tous les aspects des

    aromates, si lon prend en compte toutes les occurrences et toutes les images151. Les parfums

    ne sont pas un lment fondateur du mythe ; est-ce dailleurs un mythe grec quand seuls

    trois ou quatre textes en parlent, dont les plus longs sont le paragraphe dHrodote et le

    fragment dEzchiel le Tragique ? Ni les aromates dAdonis, ni sa mre Myrrha, ni le nid du

    cannellier nont de lien avec la singularit, la longvit, lauto-gnration qui caractrisent

    essentiellement le phnix, et surtout sa rgnration cyclique, mythme fondamental, dclin

    sous les espces de la continuit dynastique et du retour de lge dor dans la Rome paenne,

    puis de la rsurrection de