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L A R E V U E Trimestriel – Janvier-Mars 2017 Numéro 116 – Prix : 7 DANS CE NUMÉRO p. 6-7 Et l’Europe dans nos débats électoraux ? par Marcel Grignard p. 12-13 Europe politique : vers une double démocratie, par Michel Aglietta et Nicolas Leron p. 14-15 Brexit, le casse-tête budgétaire, par Hervé Jouanjean p. 17 Quelle organisation du secteur financier après le Brexit ? par Odile Renaud-Basso p. 21 La microfinance : un outil éthique, social et... européen, par Philippe Maystadt, Patrick Sapy et Dominique de Crayencour p. 23 Entrepreneurs sociaux et avant tout européens, par Hugues Sibille p. 25 Vers une économie post-capitaliste ? par Michel Bauwens p. 30 Défense et sécurité : déni ou sursaut ? par Nicole Gnesotto Élections 2017 BESOIN D’ EUROPE

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L A R E V U ETr imestr ie l – Janv ier -Mars 2017 Numéro 1 16 – Pr ix : 7 €

DANS CE NUMÉRO

p. 6-7 Et l’Europe dans nos débats électoraux ? par Marcel Grignard

p. 12-13 Europe politique : vers une doubledémocratie, par Michel Aglietta et Nicolas Leron

p. 14-15 Brexit, le casse-tête budgétaire, par Hervé Jouanjean

p. 17 Quelle organisation du secteurfinancier après le Brexit ? par Odile Renaud-Basso

p. 21 La microfinance : un outil éthique, social et... européen, par Philippe Maystadt,Patrick Sapy et Dominique de Crayencour

p. 23 Entrepreneurs sociaux et avant tout européens,par Hugues Sibille

p. 25 Vers une économie post-capitaliste ? par Michel Bauwens

p. 30 Défense et sécurité : déni ou sursaut ?par Nicole Gnesotto

Élections 2017

BESOIN D’EUROPE

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Auditions et médias

Retrouvez podcasts audio et vidéo sur confrontations.org

Auditions

Brexit et avenir de l’Union◗ Marcel Grignard et Anne Macey ont été entendus à l’Assemblée Nationale, le 15 décembredernier, sur le Brexit et l’avenir de l’Union.

Socle des droits sociaux◗ Marcel Grignard et Anne Macey ont été auditionnés, le 12 octobre dernier, par les sectionsdes Affaires sociales et de la Santé et Travail etemploi du Conseil économique, social et envi-ronnemental (CESE) dans le cadre de la saisinegouvernementale : « La construction d’uneEurope dotée d’un socle des droits sociaux ».

Interventions radiophoniquessur RFC (Radio chrétiennefrancophone), Bruxelles

Budget européen post-Brexit◗ Hervé Jouanjean était l’invité de Léo Potierdans l’émission L’espace Europe sur RCFBruxelles le 21 décembre 2016.

Banques italiennes◗ Carole Ulmer a été interviewée sur RCFBruxelles le 14 décembre 2016.

Emploi des jeunes en Europe◗ À l’occasion de la semaine européenne descompétences professionnelles, Katarina Ciroddeétait interviewée sur RCF Bruxelles le 7 décembre.

Citoyenneté européenne◗ Dans le cadre du programme Hear my voiceorganisé par Confrontations Europe, RCFBruxelles a diffusé une partie de la rencontrequi s’est tenue au Centre régional d’informationjeunesse entre de jeunes Lillois et l’assistant parlementaire Jean-Gabriel Audebert du Parlement européen le 30 novembre dernierà Lille. Retour sur les questions de renouvel lementdémocratique et de citoyenneté européenne.

Perturbateurs endocriniens◗ Marcel Grignard est intervenu le 30 novembre,sur les ondes de RCF Bruxelles, pour décrypterun enjeu de santé publique encore loin de faireconsensus en Europe.

Identité européenne◗ Philippe Herzog était l’invité de Léo Potier surRCF Bruxelles le 16 novembre.

Intervention télévisée

Automatisation et numérique◗ La peur des immigrants semble avoir été aucœur du vote du Brexit et de l’élection de DonaldTrump. Les étrangers sont-ils à blâmer pour lesbaisses d’emplois dans l’industrie et le tertiaire ?Qu’en est-il des robots qui petit à petit rempla-cent la main-d’œuvre humaine ? Invitée par France 24 (en anglais), Carole Ulmera parti cipé à un débat sur ce sujet.

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Alors que nous venons de vivre un séisme avec lasortie du Royaume-Uni d’une Union européennequi n’avait été conçue que pour s’élargir, ou, aumieux, une farce, si l’on en juge par les difficultésdes partisans du Brexit à présenter une feuille

de route claire et alors que les prévisions de croissanceplacent encore l’Europe en queue des grandes zoneséconomiques nous laissant à la traîne d’un monde qui courtaprès toujours plus de biens de consommation sans vraiments’inquiéter des externalités négatives, il y a un risque fort quela démocratie ne congèle une nouvelle fois les volontés dechangement. Comme souvent, les médias caricaturent lesenjeux au lieu de fournir le cadre d’un échange pédagogiquenécessaire à la compréhension d’un environnement de plus

en plus complexe et les candidats ne semblent pas vraiment enclins à élever ledébat en se contentant de messages simplistes. Or ce temps fort de la viedémocratique, qu’est une campagne présidentielle, devrait susciter un large débatqui s’appuie sur un diagnostic réaliste de l’état de la France, qui détermine lesgrands enjeux économiques et sociaux et permette d’énoncer des choix clairs. C’estcollectivement, à l’échelle européenne, et non, en prônant, comme certains candidatset pas seulement dans les partis d’extrême droite, le repli sur des frontières nationales,nécessairement trop exiguës pour répondre aux enjeux actuels, qu’il nous fautprendre notre destin en mains.

À l’extérieur même des frontières de l’Union européenne, les pays dotés duconsensus social le plus fort, comme la Suisse ou la Norvège, l’ont bien compris ets’arriment à l’Europe, y reconnaissant des valeurs que nous ne mettons pas suffi-samment dans la colonne « actifs » du vivre ensemble, quand certains États membresne voient souvent en elle qu’une pompe à subventions. C’est cette Europe qui offredes cadres dans lesquels peuvent s’inscrire les politiques nationales que nous met-tons en avant dans ce numéro. Un budget européen réduit – du fait du départ duRoyaume-Uni – peut être démultiplié s’il est mis au service d’opérations trans-frontières (de Recherche&Développement, par exemple) et si chaque État membrecesse de raisonner en retour net de sa contribution. Une Union économique et moné-taire qui favorise la transversalité est appelée de nos vœux. Aux citoyens qui atten-dent de l’Europe des contributions concrètes en matière de sécurité, on dira ce quel’Europe peut faire en démultipliant les politiques nationales si les États membresfont preuve de plus de volonté politique.

L’Europe va sans doute moins mal que les populistes de tout poil veulent nous lefaire croire. Les élections du printemps prochain devraient aussi être l’occasion derappeler tout ce qu’on lui doit au quotidien dans les grandes et les petites choses etau sein du cadre juridique le plus sûr de la planète, ce qui n’est pas le moindre deses actifs. Il faudrait, pour cela, que les candidats, quelle que soit leur étiquette poli-tique, aient un peu d’humilité et beaucoup d’intelligence et admettent que l’union,la complémentarité, le partage rendent plus riche que le repli sur soi et les égoïsmes.La démocratie, française, européenne, en sortira alors renforcée. Décongelée. �

CONFRONTATIONS EUROPE LA REVUE Numéro 116 – Janvier-Mars 2017

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SOMMAIREÉDITORIAL

➧ LIBRE PROPOS

p. 4 Changer ou subir, par Philippe Herzog

➧ NATIONS ET DÉMOCRATIE

p. 6 Et l’Europe dans nos débats électoraux ?par Marcel Grignard

p. 8 Mettre fin au double langage, par Thierry Philipponnat

p. 10 Le double angle mort de la démocratie, par Antoine Vauchez

p. 11 Retour sur le « non » au référendum italien par Edoardo Reviglio

➧ RELANCER L’EUROPE

p. 12 Europe politique : vers une double démocratie, par Michel Aglietta et Nicolas Leron

p. 14 Brexit, le casse-tête budgétaire, par Hervé Jouanjean

p. 16 Productivité, le défi de notre temps par Carole Ulmer

p. 17 Quelle organisation du secteur financier après le Brexit ? par Odile Renaud-Basso

➧ QUEL NOUVEAU MODE DE DÉVELOPPEMENT ?

p. 18 Industrie 4.0 : vers une approche globalepar Carole Ulmer

p. 19 Favoriser la visibilité des projets à l’échelle régionale, par Jean-Louis Marchand

p. 20 Mobilité durable : réguler et innover ?par Édouard Simon

p. 21 La microfinance : un outil éthique, social et... européen, par Philippe Maystadt,Patrick Sapy et Dominique de Crayencour

p. 22 Quelles priorités pour le socle social européen ?par Jean-François Pilliard

p. 23 Entrepreneurs sociaux et avant tout européens, par Hugues Sibille

p. 24 Pour une économie collaborative : équitable et participative, par Nicole Alix

p. 25 Vers une économie post-capitaliste ? par Michel Bauwens

p. 26 L’Europe et les jeunes, une histoire d’emploi par Katarina Cirodde

p. 27 Faut-il supprimer la DG Commerce ? par Alain Berger

➧ CLIMAT/ÉNERGIE

p. 28 COP 22 : après l’effervescence, un réveil douloureux, par Michel Cruciani

➧ SÉCURITÉ

p. 30 Défense et sécurité : déni ou sursaut ?par Nicole Gnesotto

➧ LIVRES

p. 31 « L’Âme des peuples », par Clotilde Warin

L A R E V U ECONFRONTATIONS EUROPEFondée par Philippe Herzog et Claude Fischer. Directeurs de la publi cation : Marcel Grignard et Anne Macey • Rédactrice en chef : Clotilde Warin • Iconographie : Alexis Couette • Comité de rédaction :Marie-France Baud, Irina Boulin-Ghica, Katarina Cirodde, Olivier Fréget, Marcel Grignard, Philippe Herzog, Hervé Jouanjean, Anne Macey,Thierry Philipponnat, Carole Ulmer, Jérôme Vignon, Clotilde Warin.227, boulevard Saint-Germain, F-75007 Paris. Tél. : 00 33 (0) 1 43 17 32 83.Fax : 00 33 (0) 1 45 56 18 86. Courriel : [email protected]. Internet : confrontations.org • Commission paritaire n° 0419 P 11 196.N° ISSN : 1955-7337 • Réa lisation : C.A.G., Paris. Imprimé en France. Illustration de couverture : © DR

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Par

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Dominique GraberVice-présidente de Confrontations Europe.Directrice des Affaires publiques du groupe BNP Paribas

UNE DÉMOCRATIECONGELÉE ?

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DR

Philippe HerzogPrésident fondateur

“Il y a nécessité de

forger une vision et une

politique de l’Europe

dans le monde.

CONFRONTATIONS EUROPE LA REVUE Numéro 116 – Janvier-Mars 2017

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LIBRE PROPOSLIBRE PROPOS

Les temps changent et les choix politiques àfaire vont requérir toute notre intelligence.Commençons par sortir du piège qui consisteà englober les mouvements politiques en courssous le vocable de « populismes ». Des couches

populaires souffrent et changent d’attitude envers lamondialisation : comprenons-les. Méfions-nous desamalgames, comme nous y invite Paul Krugman : lespolitiques conduites en Pologne et en Hongrie – oùnotre inquiétude concerne les atteintes aux libertéspubliques – ne sont pas les mêmes qu’aux États-Unis,où le « populisme » de Trump et de ses acolytes est unepure duperie qui prépare la casse de l’État social. Etsurtout constatons que coller des étiquettes sert souventd’alibi à ceux qui refusent de faire leur autocritique. Enprétendant rassembler contre les populismes, des élitesarrogantes imposent des choix culturels et politiquesque nombre de populations rejettent.

Les mutations sociopolitiques sont révélatricesd’une crise profonde de l’Occident ; elles annoncentune période critique pour l’Europe et la France enparticulier. Sommes-nous condamnés à subir lesévénements ? Il n’y a rien de plus difficile que de seremettre en cause. À ceux qui demandent nos suffrages, nous devons exiger qu’ils fassent desoffres politiques novatrices reposant sur un dia-gnostic sérieux des réalités. Et qu’ils gouvernent en faisant appel à la participation de toutes les forcesvives de la société.

Une nouvelle géopolitiqueDes changements de la géopolitique et de l’économiemondiale s’annoncent. Donald Trump affiche sonmépris à l’égard des préoccupations relatives à la paixet à l’écologie. Il s’inscrit dans une pure logique degrandes puissances rivales, s’en prend à la Chine etse rapproche de la Russie, renverse les pactes nouésen Asie et en Europe depuis l’après-guerre. En Syrie,au nom du combat contre le terrorisme – qui sedéplace – Assad, Poutine et d’autres ont, pourreprendre les mots de Tacite, créé un désert et ilsappellent cela la paix.

S’il y a nécessité de forger une vision et une poli-tique de l’Europe dans le monde, c’est bien aujour-d’hui. Et le retour au contrôle des frontières nationalesest une absurdité. Il y a besoin d’une Europe puissantequi établisse sa sécurité collective intérieure et exté-rieure, organise un marché européen du travail,accueille l’Ukraine, investisse massivement sur le

continent africain… autant de défis qui rompentavec les conceptions obtuses des souverainismesnationaux de droite et de gauche, et qui appellent undialogue franc et d’intérêt mutuel avec la Russie, laTurquie, et tous les États concernés.

Trump, c’est aussi la guerre monétaire et com-merciale. Il prépare une relance de l’économie amé-ricaine conçue de façon à susciter un boom des profits,les marchés financiers applaudissent. Mais la reloca-lisation d’emplois aux États-Unis sera plus difficilequ’il n’est proclamé et le déficit commercial américains’aggravera. Le dollar engage une hausse durable,c’est une très mauvaise nouvelle pour les pays émer-gents qui sont lourdement endettés en dollars et pourla Chine. La rhétorique protectionniste de Trump vase traduire en actes, mais le protectionnisme ne pro-tège plus et la violence des antagonismes va redoubler.

Sortir de la stagnation en EuropeL’Europe devrait reprendre son combat pour de nou-velles régulations multilatérales et entreprendre unemutation de l’Union en puissance publique capabled’une politique économique intérieure et extérieure.C’est d’autant plus nécessaire que la stagnation s’ins-talle. Bien entendu il faut et on peut combattre lesexcès de l’hyper-libéralisme – on le voit par exempleavec les efforts entrepris en matière de fiscalité desgrandes entreprises. Mais il faut souligner aussi les res-ponsabilités des dirigeants politiques et des affairesissus de couches sociales libertaires aisées. Ils ontnégligé le rôle fondamental du travail pour la dignitéde l’homme et pour la production d’une société. Enreléguant le travail aux oubliettes, tout en préten-dant protéger les travailleurs, ils ont choisi de cultiversystématiquement la consommation. Comme le sou-ligne bien Pierre-Yves Gomez, le néolibéralisme et la« post-modernité » soi-disant progressistes font bonménage dans l’idéologie contemporaine.

Si l’adhésion de nos populations à l’euro demeure,elle est néanmoins en régression. La mésententeentre l’Allemagne d’un côté, la France et les paysd’Europe du Sud de l’autre, traduit une dissymétriedes forces productives, source de déséquilibre profonddes balances de paiements. Comment Pascal Lamypeut-il juger la désindustrialisation inéluctable, alorsque les Allemands avancent systématiquement vers« l’industrie 4.0 » ? Assouplir la règle budgétaire dudéficit sous les 3 % et demander à l’Allemagne derelancer sa consommation ne règlent rien à l’affaire.

CHANGER OU SUBIR

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CONFRONTATIONS EUROPE LA REVUE Numéro 116 – Janvier-Mars 2017

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LIBRE PROPOS

Patrick Artus a raison de le souligner. Je crois indis-pensable d’établir une certaine division du travailen Europe pour stopper l’affaissement industriel et lacarence des capacités d’innovation dans les paysfaibles. Ceci nécessite des investissements et transfertsmassifs en leur direction et de réorienter le pland’investissement communautaire vers des projetstransfrontières d’intérêt mutuel.

Et cessons de ne voir que l’eurozone et de regretterl’élargissement. L’Allemagne et bien d’autres pays sepréoccupent beaucoup plus que nous de l’Union des27. Notre lien avec les pays d’Europe centrale et orien-tale a autant de valeur que celui que crée l’euro.

Brexit et intérêt mutuelSur cette toile de fond se greffe la question duBrexit. Il n’y a pas de bonne solution, sauf à articu-ler la négociation qui va s’engager avec un proces-sus de refondation de l’Union dans un espritd’intérêt mutuel. Mais le gouvernement britan-nique est placé devant une contradiction : mettre enœuvre la sortie et garder les avantages du marchécommun et de l’Union douanière. La durée desnégociations sera très brève puisque cette sortiedoit être effective début 2019. Il faudra cinq à dix anspour négocier de nouveaux accords bilatérauxdurables entre le Royaume-Uni et tous ses parte-naires commerciaux s’il quitte l’Union douanière.Le gouvernement de Theresa May a exploré la pos-sibilité d’un « accord transitoire » d’assez longuedurée pour éviter une sortie brutale de l’Union :ce serait un « soft Brexit ». Mais, à l’heure où j’écrisces lignes, il revient à l’idée d’un « hard Brexit »,c’est-à-dire de quitter rapidement le marché etl’Union douanière. En tout cas, l’Union n’a pasintérêt à concéder un accord provisoire conçu poursoutenir le Royaume-Uni dans ses errements. Elledoit faire valoir que tout partenaire extérieur vou-lant bénéficier des avantages de l’Union douanièreet disposer d’un passeport sur le marché intérieurdoit respecter nos règles. Elle ne doit céder ni sur laliberté de circulation des travailleurs, ni sur la par-ticipation au budget. Le Brexit aura un coût pourceux qui l’ont voulu. Mais associer le peuple bri-tannique à une coopération structurelle dans lefutur pour résoudre en commun les défis de lasécurité, de l’environnement et de la croissance enEurope est souhaitable.

Changer la FranceLa France est en période électorale. Ici comme à l’extérieur beaucoup craignent une nouvelle percée duFront National, mais la seule façon de l’endiguer est

de répondre beaucoup mieux qu’hier aux problèmesdes Français. Tous ceux qui se sont inscrits dans unelogique de recul inexorable du travail et de décrois-sance ont nourri la poussée du Front National. Tousceux qui mettent le focus sur la protection du modèlesocial en l’état et font de nouvelles promesses d’allo-cations au lieu de donner la priorité à la réhabilitationde la création, du travail et de l’entreprise, ne peuventque décevoir. Car notre conception du modèle sociala nourri elle-même les inégalités ; c’est évident parexemple dans les domaines fondamentaux de l’édu-cation et la formation. L’innovation dans les bienspublics et dans l’industrie, l’appropriation des nou-veaux outils technologiques, doivent reposer sur unengagement massif des travailleurs privés et publics.C’est ainsi que nous pourrons rénover ensemble notremodèle social et économique. Et ce n’est pas l’Europequi nous oblige à réformer l’État, nous devons le fairedans notre propre intérêt. Par contre l’Europe doitoffrir des politiques publiques favorisant la dyna-mique et la synergie des nations. L’engagement euro-péen des Français devrait être au cœur de nos joutesélectorales et de nos programmes. Nous appelons àune mobilisation civique partout en ce sens, dansnos écoles, entreprises et régions.

Tout ceci appelle la restauration du cadre démo-cratique. La représentation nationale s’est scléroséeet la société civile manque de ressorts. Dans l’entre-deux-guerres et pendant celle de 1939-1945, desesprits animés par la foi et la raison préparaient lasortie de crise et la paix. Mais où sont aujourd’hui lespréparateurs d’avenir ? La séparation des rôles entredirigeants et dirigés, entre intellectuels et produc-teurs, entre les différentes professions, nous divise etnous paralyse. Pour faire renaître le projet euro-péen, nous devons travailler à l’émergence d’uneconscience commune par-delà les frontières. Pourcela nous devons comprendre que la citoyenneténationale est exclusive parce qu’elle réserve ses« acquis » et ses projets aux siens, s’opposant ainsi àla formation d’une citoyenneté européenne et mon-diale. La loi ne crée pas l’esprit d’un peuple ; seule lepeut une mobilité de pensée et d’action portée pardes acteurs européens par-delà les barrières. Mais ilne s’agit pas de stigmatiser l’Europe des nations,car elle peut s’inscrire dans une ouverture et non passignifier un repli. La nation peut renaître si elles’ouvre à l’altérité et se rapproche avec d’autres. Enpartageant une renaissance de la culture et de ladémocratie, nous pourrons redéfinir l’ambitiond’une Communauté européenne. �

Philippe Herzog, 16 janvier 2017

“Mais où sont

aujourd’hui

les préparateurs

d’avenir ?

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CONFRONTATIONS EUROPE LA REVUE Numéro 116 – Janvier-Mars 2017

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NATIONS ET DÉMOCRATIE

ET L’EUROPE DANSNOS DÉBATS ÉLECTORAUX ?

Les candidats à l’élection présidentielle ne parlent d’Europe que de façon incidente et, la plupartdu temps, pour critiquer une institution mal connue, mal aimée, mal en point. Les électeurs attendent qu’émerge

un débat, porteur d’une vision d’avenir et traitant en profondeur les questions européennes.

Qu’attendons-nous des candidats à laprésidentielle française ? Desdébats de qualité qui éclairentl’avenir et de fait ne peuvent éluderla question européenne. L’Europe

ne peut être un bouc émissaire censé « expli-quer » les ratés nationaux, ni un simple ajoutplaqué sur un programme se limitant àl’hexagone. Mais elle doit être cette visionproposant les voies, offrant les moyens dedépasser les crises et de donner aux citoyensdes raisons d’espérer.

L’emploi et ses conditions sociales sont,avec les enjeux de sécurité face au terrorisme,les priorités des Français, comme de la plupartdes Européens. La France a besoin de réformesprofondes pour relever les défis auxquels elleest confrontée au sein d’une économie ouverteet en plein bouleversement. Les leaders poli-tiques ne peuvent faire comme si notre payspouvait assurer seul la maîtrise de ces muta-tions, redoutables par leur ampleur. Les inter-dépendances sont croissantes.

La croissance et l’emploi sont dorénavantcorrélés à une évolution vers une économiedécarbonée, soucieuse de la protection desressources naturelles. Il s’agit là d’un impé-ratif pour que les générations futures nepaient le prix fort de dérèglements déjà large-ment entamés. La population mondiale subitle résultat des comporte-ments cumulés sur lasurface du globe. Et aucunÉtat, si puissant soit-il, nepeut en être seul maître dujeu. La numérisation de l’économie progresserapidement et, avec elle, les incertitudes quantau nombre et à la qualité des emplois quivont en découler. Quel usage sera fait desdonnées personnelles ? Comment en garantirla protection ? Alors qu’un petit nombre deplateformes captent la création de valeur,

comment assurer la redistribution desnouvelles richesses produites ? Le terme« enjeux de société » prend ici tout son sens.

Rôle crucial de l’EuropeLa réussite des réformes que la France engagerapour améliorer sa compétitivité et son niveaud’emploi dépendra aussi de son environ nementéconomique. L’instabilité financière peutréduire à néant ses efforts de maîtrise des

finances publiques. Com -ment la France pourrait-elleobtenir, à elle seule, que lesmultinationales paient leursimpôts pour les activités

qu’elles déploient sur notre territoire, si chaquepays développe ses propres règles sur fond deconcurrence fiscale ? Dans l’ensemble de ces domaines, le rôle del’Europe est crucial. Certes, des progrès ontété accomplis, mais que proposent les candi-dats pour franchir un cap supplémentaire ?

Peser sur ce que sera notre futur, c’est-à-dire exercer notre souveraineté, se poseaujourd’hui de manière radicalement diffé-rente. Vouloir agir à l’échelle d’un seul Étatou, ce qui revient au même, laisser se déliterla construction européenne aboutira àconstater que nous ne maîtrisons pas lesévolutions qui s’imposent à nous. Cela nefera que conforter la déprime d’un paysnostalgique du temps où il était une grandepuissance. Au contraire, agir avec les autresEuropéens, c’est se donner les moyens departiciper à construire notre destin commundans un monde qui doit se réinventer. C’estpar la force de leurs coopérations que lessociétés humaines ont pu se développer etprospérer au fil de leur histoire. C’est aussi enassumant ce choix de la dimension euro-péenne que les leaders politiques parvien-dront à dénouer une des causes majeures dela crise du politique à savoir l’écart grandis-sant entre la complexité et la globalisation des

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La France abesoin de réformes

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CONFRONTATIONS EUROPE LA REVUE Numéro 116 – Janvier-Mars 2017

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NATIONS ET DÉMOCRATIE

problèmes et les limites des moyens mis à ladisposition des dirigeants pour y faire face.Fossé qui conduit à une forme d’impuis-sance et décrédibilise l’action politique.

La France ne peut fuir sa responsabilitéGarantir la sécurité intérieure, gérer les fron-tières, assurer la sécurité extérieure sont indis-sociables et nécessitent la mise en place depolitiques cohérentes et de long terme. Cesdéfis nous imposent de choisir entre une stricteconsolidation des solutions nationales ou unrenforcement de l’efficacité de dispositifs euro-péens communs. Revenir aux frontières natio-nales est onéreux : aux frais liés à la protectiondes frontières (bien plus élevés que la quote-part nationale d’unSchengen amélioré)s’ajoute le surcoût éco -nomique lié à leur fer -meture : la suppressionde Schengen coûterait10 milliards par an à laFrance... Si la solution nationale permet demaîtriser totalement les moyens mis en œuvre,l’efficacité en est limitée à l’heure de la cyber-criminalité et de la porosité des frontières.Opter pour une solution européenne exige,en revanche, de jouer le jeu de la mise encommun des données, de la coopération entreservices de renseignements, de lutte contre leterrorisme et la criminalité.

Les tragiques événements berlinois dedécembre dernier nous ont une nouvelle foisrappelés que la coopération européenne nedoit pas rester un vain mot. La sécurité exté-rieure doit être conjuguée à une force mili-taire et une diplomatie puissante. L’assumerseul est voué à l’échec alors que le siègepermanent de la France au Conseil de sécu-rité apparaît de plus en plus comme l’héritaged’une histoire de plus en plus lointaine. Maissommes-nous prêts à promouvoir une indus-trie de défense européenne et à placer unepartie de nos forces diplomatiques au servicede l’Union européenne ? Souhaitons-nousque l’Europe puisse parler d’une seule voixpour contrebalancer le poids des Russes etdes Américains ?

Des questions, qui peuvent paraîtresimples, n’en sont pas moins essentielles :Que voulons-nous faire ensemble ? Quelsrisques sommes-nous prêts à assumer ? Dans

quels domaines entendons-nous partagernotre souveraineté ? Les Européens doiventrépondre à ces interrogations, qui se tradui-sent dans une multitude de questions précisesportant sur l’emploi, l’économie, l’éduca-tion, la sécurité… s’ils veulent redonner corpsà une politique européenne.

Les sommets européens – indispensablescertes – se succèdent, mais déçoivent, lesÉtats membres restant prisonniers du climatde défiance mutuelle qui s’est peu à peuinstituée et de leur incapacité à dépasser lesintérêts nationaux de court terme. Repenserle fonctionnement institutionnel de l’Eu-rope n’est pas d’actualité tant l’Union euro-péenne semble éloignée des citoyens et

de leurs préoccupa-tions quotidiennes etparvient mal à prendreen compte la diversitéculturelle des peuplesqui la composent. Il esturgent de relancer

de véritables processus de délibération associant les citoyens et de repenser lesliens entre les États membres et l’Union,notamment en y associant les Parlementsnationaux.

Les candidats à la présidentielle doiventéclairer leur vision de l’Europe de demainet dire comment ils entendent mener leschantiers de rénovation de la politique euro-péenne. Quel marché unique ? Quelle Unionéconomique et monétaire ? Comment arti-culer Union européenne, Union économiqueet monétaire et voisinage ?

Le besoin de confianceL’Europe, ce n’est pas 27 fois la France. Pour-quoi les autres pays accepteraient-ils de selaisser dicter des mesures qui apparaîtraientrelever d’un intérêt strictement national ?Sans faire l’effort de connaître les autresEuropéens, sans poser, dans le débat, le fonddes désaccords, nous n’avancerons pas. Unepolitique européenne n’est pas le résultatd’un simple rapport de force entre États oùles plus nombreux l’emportent à l’image del’enjeu électoral national. Elle résulte d'unconsensus recouvrant un intérêt communen construction permanente. Retrouver laconfiance entre Européens est le passageobligé pour y parvenir.

La France a sa part de responsabilité dansle climat de défiance qui s’est installée entreles États membres. Elle n’a pas la réputationd’être celle qui tient toujours ses engage-ments et met en œuvre les réformes qu’ellesait devoir conduire (quand elle ne renvoiepas sur l’Europe les responsabilités qui sontles siennes). L’appartenance à L’Union euro-péenne, à l’Union économique et monétairea ses atouts et ses contraintes. Elle oblige àobserver les règles décidées en commun et àmettre tout en œuvre pour les faire évoluerquand nécessaire.

Qu’appelons-nous de nos vœux ? DesEuropéens agissant ensemble dans le domainedu numérique afin d’en faire une opportunité.Une « économie sociale de marché » à mêmede soutenir un développement économiqueprenant en compte les enjeux sociaux et socié-taux, faisant de leur monnaie commune unmoyen de peser dans l’équilibre de la financemondial... Une Europe référence en matièrede solidarité, de démocratie, de paix. Cethorizon semble lointain, voire inaccessibletant l’Europe semble aujourd’hui enfoncéedans les crises. Mais c’est aujourd’hui qu’ilnous faut poser ces balises.

Que l’ensemble de ces enjeux européenssoient abordés de façon constructive dansla campagne qui s’annonce serait une étape.C’est là l’attente de la grande majorité descitoyens en France, mais aussi en Europe,dans cette période de transition entre unmonde finissant et un futur incertain quenous voulons porteur de progrès. �

Marcel Grignard, président de Confrontations Europe

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Une politique européennen’est pas le résultat

d’un simple rapport deforce entre États

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NATIONS ET DÉMOCRATIE

L’Europe est devenue le bouc émis-saire de tous les maux de la société. Cephénomène est nourri par le doublelangage qui sévit à peu près partout ausein de la classe politique. Il s’agit

aujourd’hui de stopper cela, à défaut de quoil’aventure de l’Union européenne sera bientôtterminée.

Quand il s’agit d’Europe, il existe - à droitecomme à gauche, et tous pays confondus -trois types de personnalités politiques. Enpremier lieu, la grande masse des politiques«  mainstream  »,  qui jouent le jeu de l’Eu-rope quand ils sont à Bruxelles et qui enta-ment la mélodie du «  c’est la faute àBruxelles  » dès qu’ils reviennent chez eux.Ensuite, la catégorie, croissante de surcroît,de ce qu’il est désormais convenu d’appelerles populistes, c’est-à-dire les politiciensspécialisés dans la mise en avant de solu-

tions simplistes à des problèmes complexes.Leur mode opératoire est la division et leurrefrain préféré, le rejet de l’autre. L’Europeest, pour eux, une aubaine. Elle leur permetde prospérer grâce à la conjonction de tousleurs ingrédients favoris : la distance entre«  Bruxelles  » et leurs capitales respectives,la complexité des processusdécisionnels européens etla difficile interaction denombreuses nationalités dif -férentes. Enfin, le dernier« profil », fortement minori-taire, est celui des pro-Euro-péens, généralement des députés auParlement européen. Ces élus bénéficientrarement d’une notoriété conséquente dansleur pays d’origine.

Les deux premières catégories de leaderspolitiques de cette taxonomie rassemblent

l’écrasante majorité de la classe politique.Ce constat signifie que les électeurs – de tousles États membres – sont soumis en perma-nence à une rhétorique populiste qui leurdit que l’Union européenne est à l’originede tous leurs maux, et, en contrepointquelque peu affaibli, l’argumentaire « mains-

tream  » qui flirte avec elledans l’espoir de justifier lesmesures les moins populairesprises « à cause de Bruxelles ».La frange des politiques pro-européens – essentiellementdes Parlementaires européens,

le plus souvent convaincus, compétents ettravailleurs –, est, quant à elle, largementinaudible car les députés opèrent principa-lement dans la sphère européenne, c’est-à-dire loin de leur électorat d’origine.

«  Bruxelles  » n’existe pasDans un monde politique cohérent, l’intérêtdes responsables politiques converge avecl’intérêt de la zone politique dont ils ont lacharge, et le mandat qu’ils reçoivent lors-qu’ils sont élus est en résonance avec laresponsabilité qu’ils assument alors.

Cette situation n’est pas aujourd’hui cellequi prévaut dans l’Union européenne : àl’exception du cas des députés au Parle-ment européen dont le poids politique n’estpas suffisant, les « vrais » patrons de l’Eu-rope sont aujourd’hui les dirigeants despays les plus puissants de l’Union et lemandat de ces derniers leur est conféré àl’échelon national. Compte tenu de cedernier point, il n’est pas étonnant qu’ilstravaillent pour l’intérêt du pays qui les aportés à leur tête.

« Bruxelles » n’existe pas car les plus hautesdécisions de l’Union sont prises par lesresponsables politiques nationaux via leConseil des ministres, d’une part, et leConseil européen, d’autre part. Le fait que cesresponsables n’assument pas leurs décisions©

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METTRE FIN AU DOUBLE LANGAGEL’Europe est minée par les discours de responsables politiques qui jouent double jeu, tenant certains propos à Bruxelles et

d’autres dans leurs capitales. L’Europe est aussi contestée de l’intérieur, notamment au sein du Parlement européen.Comment mettre un terme à ces pratiques qui nuisent à l’Europe et nourrissent son impopularité auprès des citoyens ?

La frangedes politiquespro-européensest inaudible

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NATIONS ET DÉMOCRATIE

ces enga gements.Pour résoudre

eff icacement lesproblèmes qui minent

aujourd’hui la dynamique de la politiqueeuropéenne, les mesures proposées ne suffi-ront pas, à elles seules, loin s’en faut, àconstituer les réponses politiques ambi-tieuses dont l’Union a besoin pour retrouverun souffle. Elles peuvent apparaître, cepen-dant, comme les conditions préalables pourque la classe politique s’empare demain dessujets politiques essentiels que sont, entreautres, l’établissement d’une nationalitéeuropéenne, l’élection directe de représen-tants européens par les citoyens européens,la constitution d’une véritable classe poli-tique européenne, la création d’impôts euro-péens substituables aux impôts nationaux,l’octroi de pouvoirs de taxation au Parle-ment européen (retourner le principe du« pas de taxation sans représentation » en un«  pas de représentation  sans taxation » !).Autant de sujets que l’Europe ne pourrarefuser d’aborder indéfiniment sans renierla cohérence de son projet. �

Thierry Philipponnat*,directeur de l’Institut Friedland,

président du Forum pour l’investissement responsable

* L’auteur s’exprime ici à titre personnel

ressources financières à sapropre destruction ? Ima -gine-t-on un élu à laDouma, un membre duCongrès américain ouun parlementairefrançais travail lerouvertement à la des -truction de la Russie,des États-Unis ou dela France ?

Députés anti-européensAujourd’hui, deux groupes poli-tiques du Parlement européen, Europede la liberté et de la démocratie directe(ELDD) et Europe des Nations et desLibertés (ENL) œuvrent ouvertement à ladestruction de l’Union européenne. Cesgroupes comptent, à eux deux, 83 membresélus – soit 11 % des membres du Parlementeuropéen – ce qui représente une masse sala-riale brute annuelle (hors indemnités deprésence) d’environ 8 millions d’euros àlaquelle il convient d’ajouter environ4 millions d’euros au titre des indemnités defrais généraux. À ces sommes viennents’ajouter les subventions versées à chaquegroupe politique constitué au sein du Parle-ment dont le montant représente plusieurs

millions d’euros paran et par groupe. Onnotera que Jean-Marie Le Pen, NigelFarage et Marine LePen, émargent aubudget européen, en

tant que députés, depuis, res pectivement,33, 18 et 13 ans…

Cette mesure pourrait s’articuler à troisniveaux. Il s’agirait, tout d’abord, de fairesigner à chaque membre élu du Parlementeuropéen une déclaration l’engageant àtravailler en faveur de la construction del’Union européenne. Il conviendrait ausside faire signer à chaque groupe politiqueconstitué au sein du Parlement européenune déclaration similaire, la signature decette déclaration conditionnant le versementdes subventions.

Enfin, dernier point, il serait judicieux d’ins-tituer, au sein du Parlement européen, unecommission disciplinaire veillant au respect de

et adoptent en permanence une forme dedouble langage qui les mène à blâmerBruxelles une fois rentrés chez eux ne changerien à cet état de fait : ce sont eux, les diri-geants nationaux, qui prennent les décisionspolitiques de Bruxelles.

Comment serait-il possible de faire évoluercette situation ? Sans doute en mettant enplace deux mesures. La première aurait pourobjectif de mettre fin au : « c’est la faute àBruxelles  » en améliorant la transparencedes prises de position et de décision. Rendrepubliques et mettre en avant, de façon beau-coup plus systématique qu’aujourd’hui, lesdélibérations du Conseil des ministres, duParlement européen et, dans la limite dupossible, du Conseil européen permettraitde réduire dans une large mesure la pratiquedu double langage. Quoi de plus efficace,pour limiter la tentation naturelle des respon-sables politiques d’adapter leur discours àce que chaque audience locale a envie d’en-tendre, que d’instituer un système suppri-mant de facto la notion d’audience locale ? Lamesure consisterait notamment à mettre enplace, par exemple, une retransmission systé-matique à la fois télévisuelle et via internetdes débats au Conseil des ministres et auParlement et, plus généralement, à établir etdiffuser largement un compte rendu exhaustifdes positions prises.

La deuxième mesureconsisterait à mettrefin au «  je profite deBruxelles en travail lantà sa destruction  » .L’une des grandesincohérences de l’Union européenne est sansnul doute le fait qu’elle finance ceux qui sesont donné comme tâche de la détruire…L’idée ici n’est évidemment pas de contesterle droit de politiques ou de partis de s’opposerau principe même de l’Union européenneou de plaider pour sa disparition. Ce droit estinhérent à la démocratie et doit être protégéau nom même des principes qui fondentl’idéal européen. L’idée est simplement demettre un terme à une situation où des élusau Parlement européen travaillent ouverte-ment à la destruction de l’espace politiquedont ils sont les élus et, pis encore, le font enétant financés par cet espace politique. Quelleentité peut raisonnablement consacrer des

Quelle entité peutraisonnablement consacrerdes ressources financièresà sa propre destruction ?

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NATIONS ET DÉMOCRATIE

L’EUROPE DANS L’ANGLE MORTDE LA DÉMOCRATIE

À l’aube de ses 60 ans, la démocratie européenne se fait encore attendre.Comment faire émerger une politique démocratique au cœur des institutions européennes ?

Parmi les victimes collatérales d’unedécennie de crises politiques, écono-miques et sociales européennes, ilen est une qui est souvent oubliée : l’espoir si longtemps caressé d’une

démocratisation de la politique européenne.L’idée a pourtant été au cœur des multiplesréformes de Maastricht (1992) à Lisbonne(2007) : avec des partis politiques européens,un Parlement co décisionnaire et des instru-ments de participation, c’est toute une boîte àoutils qui a été constituée, au fil des traités, pourpermettre la naissance d’une politique démo-cratique transnationale. Et pourtant.

Dans un contexte qu’on pourrait dire « favo-rable » au regard des enjeux proprement euro-péens qui ont jalonné la décennie (politiquesd’austérité, fraude fiscale, accueil des migrants,etc.), cette politique démocratique européennen’en finit pas… de ne pas naître ! La machi-nerie institutionnelle forgée pour la faire émergerest restée comme inerte, échouant à structurerun débat transnational qui est resté prisonnierdu jeu des chancelleries et des institutions « indé-pendantes » – Banque centrale européenne etCommission européenne en tête.

Il y a pire. Loin de s’étendre, la base sociale decette « politique européenne » n’a cessé de seréduire. Le meilleur baromètre, c’est la crise deshorizons mobilisateurs européens traditionnels(« Europe sociale », « protection des droits fonda-mentaux », etc.) qui se trouvent progressive-ment désinvestis, faute de résultats ; mais c’estaussi l’indifférence diffuse face aux enjeux euro-péens, très marquée au sein des catégories popu-laires convaincues de l’incapacité des acteurspolitiques à affecter le cours d’une Europe vécuesur le mode de la fatalité.

Ce vide de politique européenne a été rapi-dement comblé par les partis populistes d’ex-trême droite qui sont, eux, bel et bien parvenusà imposer un cadrage transnational à la crise entermes de renationalisation et de refus de la

« solidarité européenne », notamment depuis ledébut de la crise des réfugiés.

Pour comprendre les « occasions manquées »d’une politique européenne qui ne voit pas lejour, il faut évoquer l’étau qui l’enserre : entre,d’une part, un jeu national défensif qui politisecontre l’Europe (sur le mode du rapport deforce avec « le national ») et, d’autre part, uneroutine bruxelloise bien plus centrée sur lefonctionnement du Marché (politique de laconcurrence, accords commerciaux interna-tionaux) que sur la construction d’offres poli-tiques capables d’enrôler les citoyens.

Illusion du «  grand soir institutionnel »D’un côté, en effet, «  l’Europe » ne parvientpas à se frayer un chemin dans les systèmespolitiques nationaux autrement que sur le modedu « problème » et de l’« exit » ; de l’autre, « lapolitique » échoue à trouver sa place au sein d’institutions européennes qui restent struc-turellement réticentes à toute forme de politi-sation. Pris dans ce double angle mort, lesclivages politiques et les identités partisanesqui pourraient organiser le débat européenautour de contradictions économiques etsociales essentielles (sur les politiques écono-miques face à la crise, la politique d’accueil desmigrants, la lutte contre la fraude fiscale, etc.)restent à l’état embryonnaire.

On ne peut pour autant renoncer à réfléchiraux moyens de faire émerger cette « politique

européenne ». Au terme de six décennies d’in-tégration économique et sociale, il est en effetillusoire de croire qu’on pourrait faire disparaîtrecet échelon de pouvoir européen (et ses effets)par le simple choix d’un retour au « national ».Mais il faut aussi tirer toutes les leçons de l’écheccuisant de deux décennies de réforme des Traitéset renoncer à l’illusion du « grand soir institu-tionnel » et à son projet de démocratisation« par le haut ». L’enjeu est plutôt de faire émergerune politique démocratique là où s’exerce lepouvoir européen, notamment au cœur des« institutions indépendantes » (Cour de justice,Banque centrale et d’une certaine manière aussiCommission européenne) pour les « conduire »à prendre en compte d’autres attentes socialeset d’autres intérêts sociaux que ceux aujour-d’hui engagés dans la construction du GrandMarché économique et monétaire. Et de laconstruire autour de campagnes européennesconcrètes, telles la lutte contre le dumping social,le renforcement des politiques conduites contrela fraude fiscale ou la protection des droits etlibertés dans l’ensemble des pays de l’Union…C’est à cette condition que les crises européennespermettront de renouer les alliances socialesseules à même d’arracher le projet européen àson isolement et à l’indifférence(1). �

Antoine Vauchez, directeur de recherche au CNRSau Centre européen de sociologie et de science

politique (Université Paris 1-Sorbonne-Ehess).

1) En ce sens, voir aussi Étienne Balibar, Europe. crise et fin, éditions Le Bordde l’eau, 2016.

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Antoine Vauchez est l’auteur deDémocratiser l’Europe,coll. La Républiquedes Idées, Seuil, 2014

À NOTER

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NATIONS ET DÉMOCRATIE

RETOUR SUR LE « NON »AU RÉFÉRENDUM ITALIEN

Les Italiens ont rejeté, lors du référendum de décembre dernier, la réforme constitutionnelle proposéeet défendue par Matteo Renzi. Quelles leçons tirer de cet échec pour l’Italie, mais aussi pour la démocratie ?

La réforme constitutionnelle proposéepar Matteo Renzi a été rejetée à 59 %des voix. La victoire nette et massivedu « non » au référendum porté parRenzi en personne constitue un très

fort désaveu de son gouvernement. Il a doncdémissionné, et au bout de quelques semaines,un nouveau gouvernement a été constitué parl’ancien ministre des Affaires étrangères, PaoloGentiloni. Je voudrais faire trois brèves obser-vations à ce sujet.

La première concerne les futuresperspectives politiques de l’Italie àcourt et moyen terme. Matteo Renzi,une grande partie de la coalition decentre droit (et également le partiForza Italia de Berlusconi) et leMouvement 5 étoiles appellent à desélections anticipées en avril. Toute-fois, il est peu probable que cescénario se réalise, avant tout parcequ’une nouvelle loi électorale devraitêtre votée avant la tenue de nouvellesélections. Il semble inévitable dedevoir harmoniser les deuxchambres au préalable, sans doutesur la base d’un système propor-tionnel. Et trouver des points deconvergence en vue de l’adoptiond’une nouvelle loi électorale ne sera pas unetâche facile, ni rapide. Le scénario le plusprobable est celui de la tenue d’élections auprintemps 2018 sous le gouvernement deGentiloni, à la fin de la législature actuelle.Des rumeurs circulent sur un possible plan Bpour l’Italie, avec la nomination de MarioDraghi au poste de Premier ministre en 2018.De fait, un système proportionnel pourraitpréparer le terrain pour la nomination d’untechnocrate externe soutenu par une solidemajorité au Parlement. C’est un scénariopossible pour 2018, lorsque Draghi auraclarifié son programme d’assouplissement

quantitatif (QE). Il pourrait même démis-sionner quelques mois avant la fin de sonmandat.

Ma deuxième observation concerne la naturedes réformes constitutionnelles proposées par legouvernement Renzi, et peut se scinder en deuxpoints. Tout d’abord, je voudrais revenir sur larestitution à l’État de pouvoirs et tâches qui ontété transférés aux autorités locales avec l’intro-duction d’un système fédéraliste fort en 2001(réforme du Titre V). Le problème, c’est que ces

tâches et compétences ont été transférées sansautonomie fiscale. Sur ce premier point, lespropositions de réforme étaient tout à fait justi-fiées. Deuxièmement, je voudrais parler de latentative de passage d’un système bicaméral à unsystème monocaméral, c’est-à-dire sur le projetde transformation du Sénat en une sorte d’as-semblée locale non élue dédiée à certains sujetsspécifiques. L’objectif était de réduire les coûts(argument peu valable) et d’accélérer leprocessus législatif (argument plus solide).Toutefois, le second point n’est que partielle-ment vrai. Le problème n’est pas les « allers etretours » des projets de loi d’une chambre à

l’autre (ce qu’on appelle « la navetta »). Aujour-d’hui, les lois passent par une procédure accé-lérée qui ne nécessite qu’une majorité simple, etpeuvent être mises rapidement en place grâceaux « decreti attuativi ». Bien souvent, leprocessus est ralenti intentionnellement car il estau centre d’une véritable lutte pour le pouvoirentre politiques et bureaucrates. Ceci étant dit,la seconde partie de la réforme constitution-nelle de Renzi contenait des propositions inté-ressantes, mais insuffisantes pour opérer des

changements importants.Ma troisième et dernière observa-

tion porte sur le modèle démocra-tique occidental. Les pays où lesrisques de dictature sont très faibles(comme les États-Unis et leRoyaume-Uni) peuvent se permettrede conserver des gouvernementsforts et des systèmes bipartites.En revanche, les pays qui ont étéconfrontés à des gouvernements auto-ritaires (comme l’Italie et l’Allemagne)et qui ont, en outre, une traditioncorporatiste plus marquée (et j’en-tends cela dans un sens positif), sontsusceptibles de mieux fonctionneravec un système multipartite et unmode de scrutin proportionnel.

L’Europe continentale a opté pour un modèleà l’anglo-saxonne dans de nombreux secteursde la vie européenne, pas toujours avec succès.Si nous voulons sauver l’Union européenne, etnous y avons tout intérêt, nous devons prendreune position fédéraliste plus ferme au niveaueuropéen. C’est l’une des leçons que j’ai retenuesdes vingt années de tentatives d’introductiond’un système bipartite et d’un pouvoir prési-dentiel fort en Italie. La défaite de Renzi n’estque le dernier échec de la série. �

Edoardo Reviglio, chef économiste à la Cassa Depositi e Prestiti

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Matteo Renzi, président du Conseil italien accompagnéde Paolo Gentiloni, qui lui a succédé après sa démission.

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RELANCER L’EUROPE

EUROPE POLITIQUE :VERS UNE DOUBLE DÉMOCRATIE

La crise financière a d’autant plus atteint l’Union que celle-ci n’avait pas réussi à se doter d’une puissancepublique à l’échelon européen. Il convient d’abandonner cette logique d’intégration mue uniquement

par les marchés : une puissance publique budgétaire doit venir compléter l’union monétaire.

Nous avons un besoin absolu d’Europe. Tel est le slogan de celivre. L’Europe a été atteinte par lacrise financière et ses répercussions,plus gravement qu’aucune autre

région du monde à cause de la faiblesse de sagouvernance politique. L’absence de puissancepublique de niveau européen et l’incomplétudesubséquente de l’euro provoquent l’anémiede la démocratie dans les États membres etmenacent l’Union de désagrégation.

La crise financière et économique mondialea été un révélateur de problèmes beaucoup plusprofonds qui tiennent à la conception de laconstruction européenne. L’illusion est de croirequ’après les décisions prises au bord de l’abîmeen 2012, un statu quo pérenne ait été atteint.La réalité est tout autre. La manière dont l’Eu-rope prétend s’intégrer crée une entropie crois-sante, c’est-à-dire conjointement un vide depuissance publique européenne et un étouffe-

ment sournois des démocraties nationales. Laméthode communautaire, qui renvoie à unelogique dite néo-fonctionnaliste, a recherchél’intégration notamment en faisant prévaloirle droit européen sur les droitsnationaux, donc en établissantla prépondérance de la Courde justice européenne (CJUE).

Or le droit européen estpurement horizontal et monoprincipiel, au sens où il estavant tout un droit du marché intérieur, c’est-à-dire des libertés de circulation des agentséconomiques et, avec la citoyenneté de l’UE,des agents non économiques. Non rattachéà une communauté politique, il heurte lesordres juridiques nationaux qui, eux, procè-dent de la verticalité du politique. Son prin-cipe, qui découle d’ailleurs davantage de lastructure même du système juridique qued’un plan politique intentionnel, est celui du

fondamentalisme du marché : concurrencelibre et non faussée, libre mobilité de tout cequi peut se déplacer. La prolifération de cedroit qui s’impose aux législations nationales

dépossède peu à peu lesParlements nationaux deleurs prérogatives souve-raines. Il produit, en effet,un jeu de concurrence régle-mentaire intra-européen : lesÉtats membres subissent une

pression structurelle à mettre en œuvre unepolitique de l’offre.

Le droit européen est un espace en expan-sion continue. Aucune limite précise nelui est assignée : la Cour de justice euro-péenne revendique l’autorité de juger endernière instance de la répartition des compé-tences. Il entrave la politique industrielle etsociale et conduit à la détérioration desservices publics.

La priorité du droit de la concurrence surles politiques publiques permet-elle un surcroîtd’efficacité économique ? Là réside une autreillusion du fondamentalisme de marché. Laprétendue concurrence libre et non fausséen’a rien à voir avec la concurrence pure etparfaite de la théorie normative. Jointe à l’unionmonétaire, elle a conduit à la concentrationindustrielle dans les pays qui possédaient déjàdes avantages comparatifs, au dépérissementdes territoires dans les régions désindustria-lisées et à la divergence macroéconomique aulieu de la convergence entre les pays. Celasignifie que la logique de l’intégration euro-péenne exclusivement par les marchés produitdes transferts massifs à l’encontre des pays del’Europe du Sud et en faveur du bloc germa-nique. Le refus par l’Allemagne d’une unionde transferts n’est rien d’autre que le refus destransferts positifs qui aideraient à compenserles transferts négatifs dont elle bénéficie massi-

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RELANCER L’EUROPE

vement. Ces transferts positifs consisteraientà produire des biens publics communs dontl’Europe dans son ensemble a le plus grandbesoin après des décennies de dégradation desinvestissements publics, tant quantitativementque qualitativement.

Statu quo juridico-politique non viableLe système juridico-politique européen estaffecté d’une entropie croissante en raison del’absence d’autorité démocratique européenne.La logique de compromis qui en découle nepeut viser qu’à maintenir un statu quo, menacéface aux bouleversements mondiaux par l’in-capacité de conduire une politique macroé-conomique commune. Ce divorce est devenupatent avec l’institution de l’euro qui a crééune puissance publique de nature fédérale, laBanque Centrale Européenne (BCE), tout enla privant de sa souveraineté dans le traité deMaastricht, en arguant de la neutralité de lamonnaie. Il a fallu attendre le paroxysme dela crise financière en zone euro pour que laBCE recouvre la souveraineté du prêteur endernier ressort, accentuant le déséquilibreprovenant de l’absence d’autorité politiqueeuropéenne. Cette absence a été compenséepar un carcan de règles budgétaires arbitrairesinstitué dans le Pacte de stabilité et de crois-sance, et renforcé lors de la crise par le traitébudgétaire de 2012.

Les critiques provoquées par la politiquede la BCE, en l’absence du cadre institutionneleuropéen permettant une coopérationmacroéconomique des pays membres, sontles signes que le statu quo n’est plus viable.Avec l’existence d’une monnaie, bien publicpar excellence, le néo-fonctionnalisme seheurte au problème hautement politique del’identité collective. Il faut rechercher la solu-tion, non pas dans un englobement fédéralsubordonnant les souverainetés politiques desÉtats membres, mais dans une double démo-cratie faisant interagir les niveaux européenet nationaux de puissances publiques.

Pour une véritable puissance publique budgétaireFonder la double démocratie implique unpacte européen qui institue un budget dotéde ressources fiscales propres sous l’autoritéd’un Parlement européen. En effet, le budgetest une dimension constitutive du politique

par la capacité de lever l’impôt et d’émettreune dette de la société vis-à-vis d’elle-mêmepour produire des biens communs. La puis-sance publique budgétaire vient compléterl’union monétaire.

Les finalités du budget d’une Europepuissance publique sont l’investissementà long terme pour la croissance soutenable.Un budget de 3 à 3,5 % du PIB européenhors Royaume-Uni fournirait l’assise d’uninvestisseur en dernier ressort recherchantla complémentarité entre investisseurspublics et privés. Son rôle serait degarantir un système financier reposantsur un réseau de banques publiques dedéveloppement et sur des clubs d’inves-tisseurs à long terme responsables pourbriser la tragédie des horizons. Le déve-loppement d’un marché d’obligations euro-péennes donnerait à la BCE l’outil poursoutenir la croissance.

Animé d’une vision du futur par l’inves-tissement, le budget européen orienté vers lelong terme contribuerait à des transferts posi-tifs entre les nations et ainsi les redynamiseraitLes rapports entre les pays membres passe-raient d’un jeu à somme nulle ou négative,provoqué par l’austéritégénéralisée des années2011 à 2013, à un jeu àsomme positive qui réta-blirait la confiance. Il yaura double démocratie sile budget européen fortifie les puissancespubliques nationales en desserrant l’étau régle-mentaire de l’UE, celle-ci n’étant plus seule-ment un État régulateur, mais une puissancepublique à part entière.

La recomposition des responsabilités entrele niveau européen et celui des pays membrespermettrait de rendre les politiques de stabi-lisation plus intelligentes et démocratiquementlégitimes en réformant en profondeur lesemestre européen.

En effet, la remontée de la croissance parl’investissement de long terme donnerait lesmoyens de rendre les ajustements nationauxplus symétriques. Le principe consiste à partir

À lire, leur dernier ouvrage publié en janvier 2017, La double démocratie.

Une Europe politique pour la croissance,Éditions du Seuil, 2017.

de l’ajustement budgétaire pour l’ensemblede la zone euro et de le rendre contingent aucycle économique, avant de convenir dupartage entre les budgets nationaux.

Pour cela il faut créer une agence budgétaireeuropéenne indépendante qui détermineraitl’effort budgétaire primaire agrégé dans la pers-pective d’une stabilisation à long terme desdettes publiques et proposerait un partage entre

les budgets nationaux.Cette agence gérerait unfonds de stabilisationcontra cyclique. Sa propo-sition serait soumise à unecommission parlementaire

composée de représentants des parlements desÉtats de l’Union européenne. Après modifica-tions éventuelles, la proposition approuvée parla commission parlementaire aurait une légiti-mité démocratique et devrait obligatoirementêtre prise en compte par le conseil européen.

La double démocratie serait ainsi la réformestructurelle pour retrouver la dimension histo-rique du projet européen. �

Michel Aglietta, professeur émérite à l’université Paris-Ouest et conseiller scientifique au CEPII

et à France Stratégie, et Nicolas Leron, chercheurassocié au Centre d’études européennes

de Sciences Po Paris et président d’Eurocité

Créer une agencebudgétaire européenne

indépendante

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RELANCER L’EUROPE

BREXIT, LE CASSE-TÊTE BUDGÉTAIRELa question budgétaire figurera au centre des négociations engagées au titre de l’article 50 du Traité sur l’Union européenne (TUE)sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union. C’est un sujet peu abordé tant sa technicité est grande. Pourtant, l’enjeu est immense.

Soixante milliards d’euros, ce serait,selon la rumeur, le coût estimé de lasortie du Royaume-Uni de l’Unioneuropéenne. Mais, les conséquencesvont bien au-delà de l’«  exit  »

puisqu’elles concernent l’avenir des politiquesfinancées par le budget européen pour les27 États membres restants.

Le budget de l’Union européenne est pourl’essentiel un budget d’investissement. Lesdépenses de fonctionnement en représententmoins de 6 %. Il est voté annuellement, selonune procédure comparable à celle de nosbudgets nationaux, et il est encadré par uncadre financier pluriannuel de sept annéesqui détermine le plafond des dépenses pourla période, tant en crédits d’engagements qu’encrédits de paiement. Ce cadre fixe aussi lastructure de ce budget, appliquant à chaquegrande famille de dépenses (rubrique) unplafond (croissance et emplois, cohésionéconomique et sociale, agriculture et pêche,sécurité, aide au développement, dépensesadministratives). Pour l’essentiel, ce budgetest géré en gestion partagée, c’est-à-dire quela Commission et les États membres se mettentd’accord en début de période sur de grandsobjectifs qui sont ensuite développés et misen œuvre au plan national, au cours de ladurée du cadre financier.

Aucune disposition juridique particulièredu Traité sur l’Union européenne (TUE) oudu Traité sur le Fonction-nement de l’Union euro-péenne (TFUE) ne traitantla question des modalitésdu retrait d’un Étatmembre, c’est la Conven-tion de Vienne sur le droitdes traités qui s’applique etnotamment son article 70 selon lequel «  lefait qu’un traité a pris fin en vertu de ses dispo-sitions (…) ne porte atteinte à aucun droit,aucune obligation ni aucune situation juri-dique des parties, créés par l’exécution dutraité avant qu’il ait pris fin ». Cette disposi-

tion « s’applique à partir de la date à laquellece retrait prend effet ».

À l’exception de postes comme les dépensesadministratives qui font l’objet d’un paiementdans l’année même où la dépense a étéengagée, il existe un décalage de temps impor-tant entre le stade de l’engagement et celuidu paiement. En jargon tech nique, cette situa-

tion donne naissance auRAL (reste à liquider) quidevrait atteindre 240 Mdsd’euros fin 2016. LeRoyaume-Uni devraassumer la part qui luirevient dans ce RAL quicouvre la période où il était

État membre de l’Union. Une partie de cettesomme servira d’ailleurs à payer les dépensesengagées sur son propre territoire. Comptetenu de sa part dans le financement du budgeteuropéen, qui varie en fonction des années,entre 13 % et 15 %, il en résulte que le

Royaume-Uni devra assumer une charge d’en-viron 36 Mds d’euros uniquement à ce titre.Elle sera apurée au fur et à mesure que lesdemandes de paiement seront présentées à laCommission européenne. La logique voudraitque le rabais accordé au Royaume-Uni (6,1Mds d’euros en 2015) ne soit plus d’applica-tion durant cette période dans la mesure oùce dernier ne participera plus à au financementdes aides directes agricoles au revenu dès sasortie, cause principale de sa forte contribution

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Le budget européen se décline en crédits d’en-gagement et crédits de paiement. Les crédits d’en-gagements permettent de signer les contrats, lescrédits de paiement permettent de procéder auxpaiements au fur et à mesure de la vie d’un projet.Leur niveau atteignait respectivement 162,3 Mdsd’euros et 141,3 Mds d’euros en 2015.

COMMENT SE STRUCTUREUN BUDGET ?

La partdu Royaume-Uni

dans le budgeteuropéen varie entre

13 % et 15 %

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nette. Il en résultera que les rabais sur lesrabais accordés notamment à l’Allemagnedevraient aussi disparaître.

De plus, le Royaume-Uni est lié par lestermes du règlement du Conseil qui a fixé lecadre financier pluriannuel pour la période2014-2020. En application des règlementsadoptés dans le contexte de cadre financierpluriannuel auquel a souscrit le Royaume-Uni en tant qu’État membre, des engagementsont été pris par l’Union européenne en faveurde tous les États membres dans le cadre deprogrammes opérationnels agréés avec ceux-ci. Ces programmes sont mis en œuvre dansle cadre des budgets annuels. Le Royaume-Uni peut donc être considéré comme juridi-quement tenu par ces engagements et appeléà contribuer à leur financement jusqu’à la findu cadre financier actuel, c’est-à-dire le31 décembre 2020.

Un Brexit en trois étapesD’autres sujets à forte résonance budgétaireviendront s’ajouter, par exemple : le finance-ment des retraites d’anciens fonctionnairesbritanniques des Institutions (le fonds depension auquel ils contribuent n’ayant jamaisété créé, ces pensions sont payées par lebudget), la question de la participation britan-nique aux agences européennes et de la relo-calisation de celles situées sur le territoirebritannique, la problématique des actifs quiappartiennent à l’Union européenne tels quele système de navigation Galileo. Comment,enfin, concilier une sortie en milieu d’annéeavec le principe de l’annualité budgétaire,dans le cas, par exemple, des aides directesau revenu payées aux États membres en débutd’exercice budgétaire ?

Ce qui est dû doit être payé et le Royaume-Uni ne pourra échapper à cette réalité. On neconnaît pas encore l’analyse de la Commissioneuropéenne sur cette question. Néanmoins,il faut réfléchir avec pragmatisme à «  l’em-ballage » qui devra entourer cette opération.On ne peut s’empêcher d’établir un lien avecla mise en place d’une période transitoire quisemble inévitable. On pourrait imaginer un« paquet » autour des éléments suivants : au-delà du délai de deux ans prévu à l’article 50du Traité sur l’Union européenne, leRoyaume-Uni, qui perdrait son statut d’Étatmembre, continuerait à payer pour les enga-

gements juridiques déjà pris, mais bénéficieraitd’un certain accès au marché intérieur pourune période qui courrait jusqu’à la fin ducadre financier actuel. Ce Brexit en trois étapespermettrait aux deux parties de construireplus sereinement leur nouvelle relation surla base de leur intérêt mutuel. Cela dit, si lesingrédients semblent être là, le montage seradélicat politiquement et techniquement : quelmarché intérieur ? Quid de la libre circulationdes personnes ? Quelles modalités de gestionpour les fonds concernés ?

S’agissant de l’accès au marché intérieur,il est exclu que le secteur agricole soitconcerné puisque le Traité (art. 38) disposeque « le fonctionnement et le développementdu marché intérieur pour les produits agricolesdoivent s’accompagner del’établissement d’une politiqueagricole commune ». Dès lors,ce secteur devra avoir un trai-tement « pays tiers », ce quiimplique la mise en place decontrôles douaniers dès quecessera de s’appliquer la politique agricolecommune. Mais les produits industriels etles services en bénéficieraient toujours. Ceserait une sorte de statut hybride «  Espaceéconomique européen » et « Union douanièreTurquie », appliqué à titre transitoire. À titretransitoire aussi, la libre circulation despersonnes continuerait à s’appliquer dansdes conditions qui pourraient être prochesde ce qui avait été convenu lors du Conseileuropéen de février 2016. À la fin 2020, leRoyaume-Uni reprendrait définitivementtoute sa liberté.

Compenser le manque à gagnerS’agissant des programmes que le Royaume-Uni serait appelé à financer au titre des enga-gements pris, le Royaume-Uni ayant perdutout droit de vote lié à sa situation d’Étatmembre à la fin de la période de deux ansprévue à l’article 50 du Traité sur l’Unioneuropéenne, il conviendra alors de l’associerde manière ad hoc à la gestion desprogrammes concernés.

La sortie du Royaume-Uni pose un trèssérieux défi au budget européen. La disparitiond’une contribution nette annuelle de l’ordre de11,5 Mds euros pour 2015 (année plus élevéeque la moyenne) va créer une forte pression

sur les politiques de l’Union qui ont une dimen-sion budgétaire. Elle correspond par exempleau montant annuel des fonds consacrés à l’aideau développement, hors pays ACP (Groupedes États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique)ou environ 20 % des dépenses agricoles. Enl’absence de demande officielle du Royaume-Uni au titre de l’article 50, aucune analyse n’a

été rendue publique quipermettrait de se faire une idéedes conséquences pratiques decette nouvelle situation, notam-ment en ce qui concerne laPolitique agricole commune.Mais il faudra bien compenser

le manque à gagner. On peut douter que lescontributeurs nets soient disposés à mettre lamain à la poche, une situation qui sera parti-culièrement délicate pour la France qui appar-tient à ce groupe mais qui est aussi un desgrands bénéficiaires de la PAC. N’est-ce pasune excellente occasion pour reprendre ladiscussion sur de nouvelles ressources propres ?

A ce stade, une révision substantielle ducadre financier actuel pour la durée restant àcourir jusqu’à la fin 2020 serait très difficileà mettre en place. Elle constituerait une remiseen cause majeure de la stabilité nécessaire audéveloppement, des programmes, parexemple, de cohésion territoriale. Il seraitaussi politiquement choquant que leRoyaume-Uni, chaud partisan de l’élargisse-ment à l’est, n’assume pas au moins jusqu’àla fin du cadre financier actuel ses engage-ments à l’égard de ces États membres. Maisil faudra trouver une solution ad hoc pourcombler les éventuels besoins de financement.

C’est donc un débat difficile qui nous attendmêlant intérêts financiers et sen sibilités à fleurde peau. Un cocktail détonnant. �

Hervé Jouanjean, vice-président de Confrontations Europe, ancien directeur général

du Budget à la Commission Européenne

Le Royaume-Uni était, en 2015, le deuxième contri-buteur net au budget européen (11,5 Mds euros)après mise en œuvre du «  rabais  » résultant del’accord de Fontainebleau. C’est 30 % de moinsque l’Allemagne mais le double de la France.

LE ROYAUME-UNI,DEUXIÈME CONTRIBUTEUR

Le montagesera délicat

politiquementet techniquement

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PRODUCTIVITÉ,LE DÉFI DE NOTRE TEMPS

Depuis une vingtaine d’années, les économies européennes, et notamment l’économie française,connaissent un fort ralentissement de la croissance de leur productivité. De quoi susciter de profondes inquiétudes.

Car si «  la productivité n’est pas tout, à long terme elle est presque tout », rappelle Paul Krugman.

La productivité est anémique :comment l’expliquer ? Une premièrediscussion consiste à mettre en avantdes déficiences en termes de mesure.Chacun des termes du ratio définis-

sant la productivité fait débat. Les contro-verses autour de la mesure du PIB(1) sontconnues. Est notamment mis en avant undéfaut de prise en compte de la qualité desservices : comment imaginer en effet que lemonde des technologies de l’information etde la communication n’aiderait pas à mieuxcomprendre, comparer, choisir ? L’évolutiondes modes de vie est aujourd’hui mal priseen considération : que dire de ces consom-mateurs qui aujourd’hui préparent leurscourses sur Internet ? C’est une productiond’usages, non mesurée dans le PIB. Au déno-minateur, mesure du travail et mesure ducapital font tout autant débat. Évaluer laproductivité pour la population au travailou pour l’ensemble de la population active(incluant les chômeurs de toutes catégories)introduit un premier biais.

Difficile mesure du capital immatérielDe plus, faut-il ne prendre en compte queles heures travaillées comme élément demesure du travail ou bien intégrer le niveaumoyen de compétences des salariés ? Pourmesurer le capital, on retient le volume decapital fixe productif. Or, aujourd’hui, unegrande part de la valeur découle en réalitéde capital immatériel qui reste difficile àmesurer. Certaines entreprises sans capitalfixe sont parfois considérées comme ayantautant de «  valeur  » que des entreprises àlourds capitaux fixes (Tesla, que l ’oncompare à General Motors). D’autre part,on ne s’interroge pas assez sur l’efficacitédu capital financier : on mesure commebénéfique une part de ce capital qui sert en

réalité à nourrir des bulles spéculatives…Les problèmes d’indicateurs sont doncmultiples.

Une seconde controverse touche au chan-gement de nature du progrès technologique.Les nouvelles technologies se répandentabondamment, toutefois elles ne se sont pasencore traduites par une accélération durabledes gains de productivité. Pourquoi ? Ledébat fait rage, en particulier aux États-Unisentre les partisans de Robert Gordon, et lestechno-optimistes dans la lignée d’Erik Bryn-jolfsson et Andrew McAfee. Pour Gordon,l’hypothèse d’une croissance infinie est unehypothèse discutable et la troisième révo-lution, celle des technologies de l’informa-tion, est infiniment moins puissante : nousentrons dans une phase de stagnation sécu-laire. Pour les techno-optimistes, les gainsde productivité vont apparaître ; il fautsimplement plus de temps pour aller cueillirles fruits qui sont « plus hauts dans l’arbre ».Le phénomène de destruction créatriceévolue, la productivité diverge de façoncroissante entre firmes innovantes (à la fron-tière) et suiveurs. Selon Philippe Aghion,l’innovation fonctionne aujourd’hui peut-

être davantage qu’avant comme un passageà niveau, ce qui expliquerait l’absence degain global de productivité. Avec de plus enplus de données sous forme numérique, ildevient possible de développer des biens etdes services radicalement nouveaux. Maisc’est la combinaison des services et des biensqui permet d’accéder aux gains de produc-tivité futurs. « Sans révolution des usages, iln’y a pas de croissance », rappelle MichelAglietta. « On ne s’est pour l’instant pasencore approprié cette révolution technolo-gique car elle reposerait sur une combinaisonhommes-machines  » selon LawrenceSummers, et non sur une substitution. DaleJorgenson défend l’idée d’une hystérésis decroissance due à la diffusion lente d’uneinnovation « productrice d’idées » plutôt que«  productrices d’objets et à la rencontreprogressive des innovations et des nouveauxbesoins issus de l’économie durable ».

Face à ce diagnostic encore trop peucorrectement appréhendé, le rôle des insti-tutions publiques est central afin de menerune politique de croissance inclusive et éviterune destruction de la classe moyenne. Favo-riser la croissance des entreprises les plusinnovantes, encourager un dialogue socialet un management de qualité, et surtoutrenforcer le niveau de compétences de lapopulation active et investir dans leshommes, afin qu’ils puissent se saisir de leurcapital éducatif et des nouvelles opportunitésissues de l’innovation sont autant de champsde réformes qu’il faut explorer. �

Carole Ulmer, directrice des études, Confrontations Europe

1) Sur la question de la mesure du PIB, lire Michel Aglietta et Carole Ulmer« Retrouver une boussole pour orienter les comptes publics » Libération,avril 2016, http://confrontations.org/nos-recommandations/retrouver-une-boussole-pour-orienter-les-comptes-publics.

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QUELLE ORGANISATION DU SECTEURFINANCIER APRÈS LE BREXIT ?

Alors que le Premier ministre, Theresa May, n’a toujours pas déclenché, en ce début 2017, l’article 50, les acteurs de la Cityont déjà demandé le maintien du « passeport européen ». Ce maintien supposerait de respecter des règles et principes

dont le Royaume-Uni souhaite s’affranchir… La négociation, qui n’a toujours pas débuté, s’annonce périlleuse.

Le Brexit ne constitue pas une bonnenouvelle, mais il s’agit d’une décisionclaire du peuple britannique quenous devons respecter en recher-chant la meilleure solution pour

l’Union européenne et pour la France. Pourles marchés financiers, le Brexit auraplusieurs conséquences.

Tout d’abord, le marché intérieur signifie,pour les services financiers, la possibilité pourles acteurs économiques d’offrir librement, oude manière facilitée, des services dans tous lesÉtats membres depuis leur État d’origine :liberté d’établissement et libre prestation deservice sont rendues possibles par le méca-nisme du « passeport européen », qui reposesur la reconnaissance del’agrément délivré à unacteur économique dansson pays d’origine par lesautres États membres, lecas échéant.

En l’absence d’accord rééditant le cadreactuel entre l ’Union européenne et leRoyaume-Uni, le Brexit signifierait la dispa-rition du principe de libre prestation deservice (possibilité pour les entités britan-niques de servir le marché européen depuisLondres) et la disparition de la liberté d’éta-blissement (possibilité de servir le marchéeuropéen par le biais de succursales dansl’Union européenne).

En tant que pays tiers, le Royaume-Unipourrait vouloir se voir appliquer les régimesd’équivalence prévus dans les textes européenspour certaines activités. Néanmoins, cesrégimes sont variables et reposent en généralsur une décision de la Commission européennede reconnaissance de l’équivalence de la régle-mentation du pays tiers avec les règles euro-péennes et sur un agrément individuel octroyépar les autorités de supervision de l’Union

européenne aux entités des pays tiers reconnuséquivalents. Or, ces régimes n’ont pas étédéfinis pour garantir l’accès au marché inté-rieur de pays dotés d’un secteur financier aussiimportant et avec un degré d’interconnexionélevé que celui du Royaume-Uni, ce qui n’estpas sans soulever des problématiques spéci-fiques en matière de stabilité financière. Uneadaptation, pour tenir compte du nouvel étatcréé par le Brexit, pourrait s’avérer nécessaire.

Cohérence du marché intérieurConcernant la négociation d’un accord redé-finissant les relations entre le Royaume-Uniet l’Union européenne, la position du gouver-nement britannique n’est pas encore connue.

Les acteurs de la City sesont exprimés pourdemander le maintiendu « passeport euro-péen », au moins à titretransitoire. Une telle

demande ne saurait, en tout état de cause, êtrecompatible avec la possibilité pour le Royaume-Uni de recouvrer une autonomie réglementaireet de supervision, de ne pas être soumis à laCour de Justice de l’Union européenne, d’in-

troduire des restrictions aux quatre libertésde circulation ou encore de renoncer à contri-buer au budget européen. La cohérence dumarché intérieur tient justement au lien indis-sociable entre l’accès au marché et le respectde l’ensemble des règles communes et desinstitutions chargées de les faire appliquer afind’assurer l’égalité de concurrence entre tousles acteurs économiques.

La négociation à venir avec le Royaume-Uni pour redéfinir le cadre de ses relationsavec l’Union européenne, devra nécessaire-ment trouver un équilibre entre l’applicationde ces principes, sans lesquels le marché inté-rieur ne peut exister, et la recherche de lienséconomiques étroits.

En outre, les impératifs de stabilité financièredevront être pris en compte dans la préparationdu Brexit, ce qui peut impliquer un contrôleparticulièrement étroit de certaines activitéssystémiques ou de souveraineté, telles que leschambres de compensation. La question de lalocalisation de ces activités aura vocation àêtre réexaminée.

Enfin, dernier chantier à ouvrir et non desmoindres, la nécessaire réorientation du projetd’Union des marchés de capitaux (UMC),

engagé en 2015 par laCommission européenne,étant donné la place duRoyaume-Uni dans cesecteur. La réalisation de ceprojet demeure essentiellepour apporter à nos entre-prises un marché des ser -vices financiers plus profondau niveau européen et desfinancements diversifiés etinnovants. �

Odile Renaud-Basso,directrice générale du Trésor©

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Nécessaire priseen compte des impératifs

de stabilité financière

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QUEL NOUVEAU MODE DE DÉVELOPPEMENT ?

INDUSTRIE 4.0 :VERS UNE APPROCHE GLOBALE

Face au risque de stagnation séculaire et à la désindustrialisation,l’Union européenne mise sur la transition vers l’Industrie du futur, dite industrie 4.0(1).

L’industrie 4.0, qu’est-ce donc ?Elle désigne l’intégration des technologies de l’informatiqueet de la communication dansles processus physiques (les

« machines », les « usines »). Automa-tisation et robotisation, capteurs intégréset réseaux connectés mais aussiéconomie de la fonctionnalité (quandMichelin propose, par exemple, unelocation de pneus sur la base d’un prixau kilomètre) et déploiement de servicesassociés sont au cœur de cette révolu-tion. Par exemple, lorsqu’Air Liquidelance son projet pilote d’usine du futur, Connect,l’entreprise vise à optimiser sa production etl’efficacité énergétique d’une vingtaine de sitesfrançais alimentant par canalisation des clientsindustriels en gaz divers. En adoptant cetterévolution de l’industrie 4.0, les industrielsentendent moderniser, optimiser et flexibiliserleur production, repenser leursbusiness models en promouvantune concurrence non seule-ment sur les coûts mais aussisur l’innovation (montée engamme) et parfois aussi relo-caliser certaines chaînes deproduction au plus près de leurs clients. Esquissed’un nouveau modèle industriel permettant derépondre aux nouvelles exigences des consom-mateurs en termes de qualité, de personnalisa-tion des pro duits, d’impact environnementalet social, l’industrie 4.0 est aussi une occasion derenouveler la réflexion sur la place de l’industriedans nos sociétés, élément indispensable poursoutenir la compétitivité de nos États.

Quels défis en termes de politiques publiqueset de régulation une telle révolution pose-t-elle ?Quelle est la bonne approche pour faciliter l’in-novation, mettre en œuvre des technologies quibénéficient à la société, et en gérer les risquesassociés ? Les enjeux sont multiples. Un premier

ensemble touche à la structuration de filièrescompétitives à l’échelon mondial et à la défini-tion commune de marchés porteurs européens.Pour cela, non seulement de lourds investisse-ments sont nécessaires, mais il est indispen-sable, de surcroît, d’accepter le changement et decréer des partenariats avec d’autres types d’en-

treprises et de coopérer avec desconcurrents, notamment pourl’établis sement de standards. Unembryon de coopérationfranco-allemande existe enmatière de standardisation, ilfaut la muscler. Parallèlement, la

constitution de filières implique également unemeilleure promotion des technologies auprèsde l’ensemble du tissu industriel, et spécifique-ment des PME. La puissance publique a un rôleà jouer dans la baisse des barrières à l’entréedans les marchés de l’industrie 4.0 pour les PME,et elle doit également veiller aux phénomènes depolarisation industrielle. Les efforts doivent êtreégalement poursuivis dans la facilitation desliens entre start-up et grands groupes.

Point central de la formationUn second point de blocage concerne la forma-tion professionnelle et plus globalement le capitalhumain. Il existe au sein de l’Union des écarts

manifestes en termes de développementdes compétences clés : les entreprises françaises étaient 17 % à avoir employéun spécialiste en Technologies de l’information et de la communication(TIC) et 20 % à avoir organisé des forma-tions dans ce domaine, en 2014, soit 7 et14 points de moins qu’en Allemagne.En Allemagne, les technologies de l’in-dustrie 4.0 sont intégrées dans les cursusde formation depuis deux ou trois ans, cequi n’est que très modestement le casdans l’hexagone. Ce point de la formationest pourtant central, tant les inquiétudes

face à la robotisation des emplois sont impor-tantes. Il y a une tendance encore trop forte denos politiques publiques à se concentrer sur lesaspects techniques et à minimiser les change-ments requis en termes de compétences, maisaussi d’organisation du travail. L’éducation et laformation, les politiques migratoires et de mobi-lité intra-européenne sont dès lors à appré-hender aussi à l’aune de ce défi. Établir un cadrecommun de règles juridiques (propriété intel-lectuelle et protection des données notamment)au niveau communautaire est tout aussi indis-pensable à l’émergence d’un leadership européenen matière d’industrie 4.0.

Si de nombreuses pièces du puzzle sontaujourd’hui identifiées et de nombreux champsexplorés par les institutions, les progrès del’Union européenne dans l’adaptation à cettenouvelle vague d’industrialisation manquentencore du niveau d’ambition politique suffisantet d’une approche globale et commune vérita-blement intégrée pour être à la hauteur del’enjeu. Qu’attendons-nous ? �

Carole Ulmer, directrice des études, Confrontations Europe

1) Khalil Rouhana, « Numériser l’industrie européenne : tirer parti du mar-ché unique numérique » dans Interface «  Innover à l’ère du numérique »,avril 2016, en ligne sur confrontations.org.

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Une meilleurepromotion

des technologiesauprès des PME

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QUEL NOUVEAU MODE DE DÉVELOPPEMENT ?

FAVORISER LA VISIBILITÉ DES PROJETSÀ L’ÉCHELLE RÉGIONALE

Le Plan d’Investissement pour l’Europe (« Plan Juncker ») demeure encore trop axé sur des projets importants,de plus de 10 millions d’euros. Le défi est de donner davantage de visibilité aux projets de dimension

plus modeste, en particulier à l’échelle régionale et locale.

La visibilité est un aspect déterminantpour faciliter le financement et la réali-sation des projets d’infrastructures. Lamise en place de réserves de projetsouvertes à tous est en effet susceptible

de convaincre des investisseurs potentiels etd’améliorer les sources de financement, encomplément ou en alternative aux subven-tions publiques.

Au cours de ces dernières années, denombreuses recommandations provenantd’instances internationales et nationales (G20,MEDEF, Paris Europlace…) ont mis l’ac-cent sur la nécessité de disposer d’unminimum de visibilité sur les réserves (« pipe-lines ») de projets, bien préparés en amont,de façon à renforcer leur attractivité auprèsdes investisseurs.

C’est dans cet esprit que la Commissioneuropéenne a lancé, en juin 2016, son Portaileuropéen des projets d’investissement (EIPP),s’inscrivant dans le cadre du Plan d’investis-sement pour l’Europe, dit « Plan Juncker ». Lafinalité de ce portail est de présenter des projetsd’infrastructures, en attente de financement,

en mettant en ligne une description de leursprincipales caractéristiques.

L’objectif est avant tout d’atteindre les inves-tisseurs potentiellement intéressés. En effet,l’inclusion des projets ne donne en aucun casun accès privilégié aux financements euro-péens. Dans cette démarche, les critères d’ad-mission à cette base de données sont limités.Pour figurer sur le portail,le montant du projet doitêtre d’au moins 10 M€, ildoit pouvoir démarrerdans les trois ans suivantsa mise en ligne sur leportail et être soutenu parune entité juridique publique ou privée établiedans un État membre de l’Union européenne.Il doit, enfin, être compatible avec les législa-tions européennes et nationales en vigueur.

Pour une gouvernance régionaledes infrastructuresLa mise en place d’un site internet présen-tant les projets portés par des promoteurs individuels est une étape importante. Elle peut

contribuer à de plus grandessynergies entre différentessources de financement(fonds structurels européens,financements régionaux/nationaux avec des apportsdu secteur privé).

Elle ne répond cependantque de façon partielle à lavocation initiale d’une réservetransparente de projets àl’échelle européenne. Unaspect encore insuffisammentdéveloppé est la mise envaleur des projets de dimen-sion régionale et locale. L’ex-périmentation d’un portail

adapté à la dimension régionale de projetsd’infrastructures pourrait contribuer plus faci-lement au financement de projets de taillemodeste (inférieurs à 10 M€) et faciliterl’établis sement de financements conjointspublic/privé. La plate-forme de projets,instance de coordination prévue dans le « PlanJuncker », pour agréger des projets de petite

taille afin d’obtenir unvolume suffisant (condi-tion indispensable pourbénéficier de la garantiedu Fonds européen pourles investissements stra-tégiques, instrument

financier du Plan Juncker), est un moteurintéressant qui pourrait parfaitement s’intégrerdans ce dispositif.

Il est en effet fondamental de tirer profit del’intérêt des investisseurs privés pour lesorienter vers des investissements de plus faibletaille (mais très nombreux) afin de développerun véritable marché des infrastructures dedimension régionale à l’échelle européenne.

Plus largement, il s’agit d’accompagner lemouvement vers une gouvernance régionaledes infrastructures. Cette démarche reposesur un véritable partenariat entre acteurspublics et acteurs privés dans la déterminationdes priorités et la conduite des projets au plusprès des territoires.

Au moment où se précise la prolongationdu Plan d’investissement pour l’Europe,l’Union européenne a un rôle important àjouer pour favoriser une mise en contact entreinvestisseurs, porteurs de projets et acteurspublics à l’échelle des régions, espaces deproximité des citoyens. �

Jean-Louis Marchand, président de la Fédération de l’industrie

européenne de la construction (FIEC)

Un portail européencomme réserve

de projets de dimensionrégionale et locale

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QUEL NOUVEAU MODE DE DÉVELOPPEMENT ?

MOBILITÉ DURABLE : RÉGULER ET INNOVER ?Souvent pointée du doigt pour son effet sur l’environnement et le climat, l’automobile est également porteuse de fortes promesses

de mobilité durable pour demain. Encore faut-il que le cadre de régulation permette à celles-ci de se concrétiser.

Les termes du débat sur les liens entrerégulation et innovation sont connusde longue date : la régulation ducomportement des acteurs économiquesest-elle nécessairement un frein à l’in-

novation ? Ou peut-elle, au contraire, permettred’orienter les processus d’innovation vers laréalisation d’objectifs d’intérêt général ?

L’industrie automobile est actuellement aucentre de telles interrogations et ce du fait de lacombinaison de trois facteurs. Tout d’abord,l’automobile, qui est l’une des principalessources d’émission de gaz à effet de serre et deconsommation d’énergie, est directementconcernée par les efforts que doit entreprendrel’UE à la suite de la COP21. Par ailleurs, cetteindustrie connaît des mutations particulière-ment profondes tant du point de vue techno-logique (voiture connectée, voiture autonome,voiture électrique) que de celui des usages(autopartage). Enfin, les enjeux économiques etsociaux sont extrêmement importants pourl’UE (l’industrie automobile représente environ12 millions d’emplois directs et indirects, selonThe European Automobile Manufacturers’ Asso-ciation – l’ACEA) et posent le préalable dumaintien de la nécessaire compétitivité de l’in-dustrie européenne.

Or, se dessine une tension entre le besoind’une orientation des processus d’innovationvers les objectifs sociétaux (l’avènement desvoitures autonomes peut aussi bien permettrede diviser que de multiplier par deux l’intensitéénergétique des véhicules, selon le think tankTransport & Environment) et la nécessité pourles acteurs économiques de tester de nouveauxmodèles économiques en dehors de contraintesréglementaires trop fortes.

L’initiative Drive-me à GöteborgPar ailleurs, différentes études(1) ont démontréque si les réglementations en matière environ-nementale dans le secteur automobile ont uneffet positif indéniable sur l’innovation incré-mentale, elles échouent à promouvoir l’inno-vation dite radicale ou de rupture. Or, ce sont

bien des technologies de rupture qui boule-versent aujourd’hui – ou sont sur le point debouleverser – le paysage industriel automobile(intelligence artificielle, par exemple). Il estessentiel, pour la compétitivité de l’industrieeuropéenne, d’en promouvoir le développe-ment en Europe.

Le développement d’initiatives commeDrive-me, menée par la Région de Göteborg(Suède), semble apporter une première esquissede réponse à ce dilemme. Il s’agit, de fait, duprojet pilote le plus important au monde enmatière de voiture autonome. En associantindustriels, pouvoirs publics, usagers, etc. enamont de la phase de commercialisation, cetype de démarche permet de valider les hypo-

thèses en termes d’usages des innovations derupture et d’identifier notamment les besoinsd’encadrement. C’est cette pratique inclusivequi assure un co-développement synchronisédes processus d’innovation et des activités derégulation. Philippe Herzog plaide(2), « pourfavoriser le développement de partenariats entresecteurs privé et public, afin de marier l’inven-tivité et l’innovation de l’un, l’expérience et laproximité du service aux populations del’autre ». C’est cette association d’acteurs quipourrait contribuer à l’avènement des bienspublics du XXIe siècle. �

Édouard Simon, membre du conseil d’administration de Confrontations Europe

1) J. Crotty & M. Smith, Environmental regulation and innovation driving eco-logical design in the UK automotive industry, Business Strategy and the Envi-ronment, 17 (6), 2008, pp. 341-349 ; J. Lee, F. Veloso & D.A. Hounshell,Innovation and Technology Policy: Lessons from Emission Control andSafety Technologies in the U.S. Automobile Industry, Contribution to the SloanIndustry Studies Conference, 2007 (http://isapapers.pitt.edu/139/, consultéle 9 janvier 2017) ; A. Pilkington & R. Dyerson, Innovation in Disruptive Regu-latory Environments: A Patent Study of Electric Vehicle Technology Deve-lopment, European Journal of Innovation Management, 9 (1), 2006, pp. 79-91.2) Cf.  P. Herzog, Une tâche infinie : fragments d’un projet politique européen,éditions du Rocher, 2010, p. 252.

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Cet article est librement inspiré des échangesayant eu lieu au cours de la réunion “Sustainablemobility & industrial revolution(s): the automo-tive case” qui s’est déroulée le 8 novembre 2016à Bruxelles. Le compte rendu sera prochainementpublié sur le site confrontations.org.

À NOTER

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QUEL NOUVEAU MODE DE DÉVELOPPEMENT ?

LA MICROFINANCE : UN OUTIL ÉTHIQUE,SOCIAL ET… EUROPÉEN

Alors que le chômage, la pauvreté, les inégalités s’accroissent en Europe, le travail indépendantconnaît un véritable essor, la microfinance facilite les créations d’emplois et l’insertion professionnelle.

Est-il besoin de rappeler le contexte desdifficultés économiques que vit actuel-lement l’Europe avec ses 20 millions dechômeurs(1), l’accroissement du nombrede ses citoyens vivant sous le seuil de

pauvreté ou s’en approchant (84 millions depersonnes, soit 16,9 % de la population(2)), l’im-périeuse obligation d’accueillir 4 millions demigrants chassés de chez eux chaque annéepar l’extrême pauvreté et les conflits armés, unlourd endettement public contracté lors des« vaches grasses » ?

Paradoxalement, depuis plus de 20 ans, alorsque, dans de nombreux pays, les emploisindustriels déclinent, le travail indépendant,notamment dans le secteur des services,progresse(3) avec l’essor des nouvelles techno-logies. Même si l’on peut regretter, parfois,une forte précarité chez les travailleurs indé-pendants due notamment à un système deprotection sociale moins avantageux que celuides salariés et une dépendance – souvent

forte – à un seul donneur d’ordre,la tendance est bel et bien là. Etpour longtemps. En outre, prèsd’un chômeur sur trois, enEurope toujours, parvient à créerson propre emploi. La micro -finance l’y encourage en luidonnant un accès au crédit qu’iln’obtient plus auprès du secteurbancaire, ainsi que, le plussouvent, un accompagnementpour la gestion de sa mini-entre-prise. Toutefois, les politiquespubliques n’ont pas encore assezévolué pour s’adapter à cette nouvelle donne dumarché du travail.

Ce que beaucoup ignorent, c’est que la micro-finance n’est plus un outil limité au Bangladeshoù il a été réinventé dans les années 1970 et auxpays les plus pauvres. Elle est entrée en Europeet s’est très fortement développée ces dernièresannées à un rythme de 15 à 20 % par an. Une

étude récente réalisée conjointement par lesdeux réseaux de microfinance (le REM et MFC(4))et portant sur leurs membres, soit 149 institutionsde microfinance de 22 pays européens, montreque la demande de microfinance n’a jamais étéaussi haute. En 2015, près de 750 000 clients(micro-entreprises, entreprises sociales,travailleurs indépendants) constituaient unportefeuille total de quelque 2,5 milliards d’euros !Il s’agit bien d’emplois qui sont créés et qui, dansune forte proportion, se maintiennent à terme,permettant autant de réinsertions individuelles et,par la même occasion, d’économies pour lesbudgets publics (baisse d’indemnités de chômageet augmentation de recettes fiscales(5)). �

Philippe Maystadt, ministre d’État, président honoraire de la Banque Européenne

d’Investissement et ancien président de microStart (6), Patrick Sapy et Dominique de Crayencour,

respectivement président et vice-présidentdu Réseau européen de Microfinance

1) et 2) Source Eurostat.3) Il est passé de 15 % à 17 % du total de l’emploi et frôle les 20 % aux Pays-Bas ou en Angleterre. 4) REM : Réseau Européen de Microfinance ; MFC : MicroFinance Center5) Selon une étude de Vlerick Business School et microStart, les pouvoirspublics ont économisé plus d’un million d’euros en allocations diverses et perçuun million d’euros de taxes et de cotisations sociales en encourageant 315chômeurs à créer leur propre emploi. 6) Une institution de microfinance belge.

◗ Établir une définition satisfaisante et uniforme de la microfinance à travers toute l’UE. Il s’agit de prendreen compte l’objectif d’inclusion sociale, l’indispensable accompagnement des clients et un montant maximumqui soit relatif au revenu moyen par tête dans le pays concerné. Une fois bien défini, il faudrait un cadre régle-mentaire approprié et donc proportionnel compte tenu du type de petites institutions financières concernées,de l’objectif social et non commercial, des niveaux de taux d’intérêt élevés nécessaires à couvrir les frais, etc. ◗ Simplifier la création des micro-entreprises et du statut d’auto-entrepreneur(1). Les politiques publiquesdoivent faciliter le passage du statut de chômeur à celui d’entrepreneur afin de supprimer l’obstacle énormeque constitue la perte des indemnités de chômage et l’obligation de cotiser à la Sécurité sociale avant mêmed’avoir produit un premier revenu(2). ◗ Calculer le « rendement », non seulement en termes financiers mais en termes d’impact social. La Commis-sion européenne a mis en place avec le groupe de la Banque européenne d’Investissement (BEI et FEI) desprogrammes de financement de la microfinance qui sont extrêmement utiles, mais il faudra aller plus loin. Dès le moment où la mesure d’impact social sera adéquatement prise en compte, les investisseurs privés etles budgets publics pourront apporter les ressources nécessaires grâce à une approche plus complète du « retoursur investissement ».

1) En France, la loi de 2008 créant le statut d’auto-entrepreneur a permis la mise au travail de quelque 2 millions de personnes. 2) En Belgique, la loi a changé en 2016 pour permettre aux demandeurs d’emploi de créer leur activité de manière progressive en conservantleur allocation de chômage de façon différentielle.

COMMENT FAVORISER L’ESSOR DE LA MICROFINANCE ?

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QUEL NOUVEAU MODE DE DÉVELOPPEMENT ?

QUELLES PRIORITÉSPOUR LE SOCLE SOCIAL EUROPÉEN ?

Le socle européen des droits sociaux, qu’entend mettre en place la Commission Juncker, est d’autant plus important que l’Unionest menacée par les multiples fractures entre les États membres. Mais, pour être efficace, il doit répondre à trois conditions.

L’initiative de Jean-ClaudeJuncker de définir un soclesocial européen peut semblerparadoxale. En effet, l’Europeest la région du monde où les

droits sont les plus nombreux et lesprotections les plus élevées. Ces droitssont inscrits dans de nombreuses direc-tives, dans le Traité, dans la charte desdroits fon damentaux, la charte socialeeuropéenne. Bref, le « modèle socialeuropéen », cette jonction idéale del’économique et du social, est notremarque de fabrique, ce qui nousdistingue du reste du monde et singu-lièrement du monde émergent.

Alors pourquoi un socle européen des droitssociaux ? Parce que l’Europe est fracturée detoutes parts, que la crise de confiance que nousconnaissons est d’une magnitude sans précé-dent et qu’elle menace l’essence même du projeteuropéen. Cette initiative nous permet de redé-finir les contours de l’Europe sociale que nousvoulons, celle de la croissance et de l’emploi,celle de « l’économie sociale de marché ». C’estune opportunité pour réconcilier les peupleseuropéens avec l’idée que l’Europe peut répartiréquitablement les fruits de l’économie mondia-lisée. Mais c’est aussi l’occasion d’être plus enphase avec les réalités du monde du travaild’aujourd’hui, sans tomber dans les dérivestechnocratiques qui ont alimenté la défiance vis-à-vis de l’Union jusqu’à son récent rejet. L’ini-tiative du Président Juncker est une réponsepossible à la crise de sens que connaît l’Europedans la mondialisation. Mais, pour que cettedémarche s’avère efficace, il faut la conduire enrespectant plusieurs conditions.

Mieux définir le socleL’objectif de ce nouvel instrument doit d’abordêtre mieux défini. C’est, en premier lieu, enagissant sur la convergence économique réelle(des structures économiques notamment) que

les Européens avanceront vers davantage deconvergence sociale (aug men tation des salaires,des niveaux de formation…). Ceci implique demieux coordonner nos politiques économiques,grâce notamment au Semestre européen.

La deuxième condition tient précisémentà la bonne articulation avec les instrumentsexistants. L’Europe regorge d’outils, d’initiatives, deprojets efficaces. Utilisons-les. Faisons-les vivre !

Troisième condition, ciblons les prioritéspour garantir l’action et l’effectivité desmesures. Le Socle européen des droits sociauxmanquera sa cible, s’il comporte vingt« domaines ». Nous devons sélectionner lessujets à traiter en tenant compte des défis dumonde du travail de demain. Deux champsméritent une attention particulière. Le premierest celui des nouvelles formes d’emploi et deleurs conséquences sur le droit du travail et laprotection sociale. Nous avons besoin de plusde données sur les trajectoires, les évolutionsdu non-salariat, le poids de la polyactivité, ladiversité des niveaux de protection en Europe.Pour, à terme, compléter éventuellement l’acquis social européen, il faut mieuxcomparer les situations et les pistes dessinées

(par exemple le statut de travailleursindépendants économiquementdépendants en Espagne), avoir unevision plus fine et plus juste de ladiversité des situations, de la réalitédes mutations et des besoins enprotection. Il s’agit de réfléchir collec-tivement à des questions aussi fonda-mentales que la pertinence de ladistinction entre salariat et travailindépendant, la création d’un statutintermédiaire, voire la refonte plusprofonde des statuts et des protec-tions qui y sont attachées.

Le deuxième champ, où l’analysecomparative et l’établissement d’un

cadre de référence sera utile, est celui de l’in-vestissement dans le capital humain et laformation dont l’Europe a tant besoin. Pourtirer son épingle du jeu de la mondialisation,il est urgent d’augmenter la valeur ajoutée desbiens et services produits en Europe, d’amé-liorer notre compétitivité globale et de préparer

l’économie de l’avenir.Mais également de remé-dier à l’inadéquation descompétences. Ce qui sup -

pose de travailler beaucoup plus sur l’acquisi-tion des compétences de base à l’école et dansla formation tout au long de la vie. Mais ausside mieux anticiper les compétences dont lesmarchés du travail de demain auront besoin.Enfin, il convient de réfléchir à l’ouverture del’accès à la formation aux travailleurs non-salariés, ainsi qu’à la portabilité du droit à laformation. Si l’on affirme que la formationtout au long de la vie est la condition de l’agi-lité des travailleurs européens dans la mondia-lisation, il faut garantir l’exercice de ce droit.Voilà le socle que nous voulons. �

Jean-François Pilliard,président de la chaire dialogue social

et compétitivité des entreprises de l’ESCP Europe

Redéfinir les contoursde l’Europe sociale

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QUEL NOUVEAU MODE DE DÉVELOPPEMENT ?

ENTREPRENEURS SOCIAUXET AVANT TOUT EUROPÉENS

Et, si le retour de la confiance en Europe passait par l’entrepreneuriat social et solidaire… Il ne s’agit pas làd’une boutade rhétorique. La dynamique existe. La feuille de route a été dessinée et ne demande qu’à prendre forme.

Les peuples européens se défient del’Europe. Il ne sert à rien de leurasséner des discours moralisateursconstruits par et pour des élitesmondialisées. Il faut répondre concrè-

tement à leurs peurs de l’avenir. La carte élec-torale du Brexit révèle la fracture terrifiante quitraverse l’Europe entière : les jeunes, lesdiplômés, les Londoniens, les actifs d’un côté,et les âgés-retraités, les ruraux, les chômeurs-déclassés, de l’autre.

Les peuples européens n’accordent plusleur confiance à des dirigeants financiers etéconomiques qui les ont conduits à la catas-trophe de 2008. Ils considèrent les institu-tions européennes comme opaques,contraignantes, peu démocratiques.

Quel rapport avec l’économie sociale et soli-daire ? Il est essentiel ! L’entrepreneuriat socialet solidaire pourrait – voire devrait – agircomme un agent de retour à la confiance démo-cratique européenne, un acteur de réconcilia-tion de l’économique et du social écartelésaujourd’hui par la fin des États Providenceeuropéens. Dans cette crise sans précédent quetraverse la social-démocratie, il est un partenairede nouvelles politiques publiques co-construitesavec les sociétés civiles. L’économie sociale etsolidaire est l’une des solutions permettant defaire face aux problèmes. Essayons-la pour devrai. On dit aussi qu’elle est fille de la nécessité.Cette nécessité devient brûlante, avant que lesdémocraties européennes ne se transforment en« démocratures ».

Michel Barnier, après Jacques Delors, l’avaitcompris. Lorsqu’il était Commissaire euro-péen, il a relancé une politique européennefavorable à un entrepreneuriat social moder-nisé, en publiant notamment une Initiativepour l’Entrepreneuriat social (IES), le25 octobre 2011, et en créant un groupe d’experts (GECES) auprès de la Commission.Il était parvenu à secouer le cocotier entre

une vieille économie sociale européenne(coopérative et mutualiste) et le nouvel universdes start-up sociales. Ça renâcle, ça résiste,ça discute, mais ça avance. Les 16 et 17 janvier2014, à Strasbourg, se sont pressés 2 000 entre-preneurs et acteurs de l’ESS européenne, lorsd’une manifestation judi cieusement baptisée :« Entre preneurs sociaux, prenez la parole ! ».La dynamique était au rendez-vous, troiscommissaires et le président de la Commissionprésents. Une déclaration combative a étéadoptée. Ce fut un succès.

Quatre grands problèmesAprès le départ de Barnier, le soufflé estretombé. Les nouveaux commissaires euro-péens se montrent peu empressés sur le sujet.Les acteurs nationaux retournent à leurspréoccupations nationales. Le Parlement sefait discret. Heureusement de petites lumièresbrillent ici ou là. Le Luxembourg, sous l’im-pulsion de son ministre du Travail, de l’Em-ploi et de l’Économie sociale et solidaireNicolas Schmit, met l’ESS à l’ordre du jour desa présidence. Un sommet sur le sujet se tientà Luxembourg, les 3 et 4 décembre 2015. UnGECES 2.0 est relancé et se met au travail

pour produire un rapport, remis à la Commis-sion à Bratislava, le 1er décembre 2016. CeRapport prolonge et approfondit l’initiativeBarnier. Il fait, dès son titre, la synthèse entreÉconomie sociale et Entrepreneuriat social.C’est un appel à l’action, adressé aussi bien àla Commission qu’aux États membres et auxcollectivités territoriales, visant à s’attaquer àquatre grands problèmes : un manque de visi-bilité, de reconnaissance et d’identité ; desdifficultés spécifiques d’accès au financement ;un cadre juridique inadapté dans certains caset un besoin d’internationalisation. Sur tousces sujets le GECES fait des propositions, dansun esprit d’écosystème favorable à l’ESS.

Changer d’échelleEt nous voici, avec une bouteille à moitié videou à moitié pleine. À moitié vide, car l’ESS nefigure pas dans le plan d’action 2017 du Prési-dent Juncker et les Commissaires ne semblenttoujours pas très motivés par l’ESS. À moitiépleine, car une Initiative européenne sur lesstart-up et les scale-up, adoptée à Strasbourgle 22 novembre 2016, fait explicitement réfé-rence à l’économie sociale.

La vérité est que, pour aller plus loin, ilfaudrait davantage de rapport de force, avecune économie sociale plus puissante et mieuxorganisée au niveau européen, et des liensplus forts avec les organisations syndicales etles mouvements civiques et citoyens. Celaurge. L’ESS est une économie sociale demarché qui sait où elle va. Elle privilégie le longterme sur le court terme, les régulations collec-tives sur les réussites individuelles, l’investis-sement social sur la dépense sociale. Elleconcilie la flexibilité et la sécurité. Elle est enphase avec le XXIe siècle européen.

Alors, vite, on change d’échelle ? �

Hugues Sibille, président de la Fondation Crédit Coopératif et du Labo de l’ESS©

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QUEL NOUVEAU MODE DE DÉVELOPPEMENT ?

POUR UNE ÉCONOMIE COLLABORATIVE :ÉQUITABLE ET PARTICIPATIVE

Les business models des géants numériques tendent au monopole, sans assurer de véritable redistributionaux communautés qui créent la valeur, ni répondre aux défaillances de marché et à la nécessité de biens communs.

Il est temps pour l’UE de faciliter aussi l’émergence de plateformes équitables et solidaires.

Les plateformes numériques sont aucœur de l’économie dite « collabora-tive ». Elles constituent des outils puis-sants de mise en relation, de partage etde coopération. Elles posent aussi des

questions de propriété et de gouvernance. Eneffet, la plupart des industries numériquesprônent le partage, la décentralisation et ladémocratie, mais elles sont aussi captées pardes monopoles « netarchiques », selon l’ex-pression de Michel Bauwens.

On ne peut pas se contenter de décrire lesdangers de concentration et de capta-tion de la valeur par des firmestoutes puissantes de la muta-tion numérique et leurimposer des régulations quidatent de l’ère industrielle.On peut éclairer l’avenir etles décideurs publics avecdes modèles diversifiés desolutions « en communs ».Celles-ci revêtent souventdes formes d’organisationscollectives de l’économie socialeet solidaire : coopératives, associa-tions, mutuelles.

Partout en Europe et dans le monde, descitoyens et des entrepreneurs, des collectifsinventent de nouvelles formes de partage et decoopération pour créer, préserver ou accéderà des biens et des services en « communs ».Leurs objectifs d’équité et de redistributionles distinguent fondamentalement des plate-formes numériques qui captent la valeur crééepar leurs contributeurs et utilisateurs en sesituant au-dessus des lois et de la justice sociale.

Par exemple, le mouvement « PlatformCooperativism », lancé fin 2015 à New Yorkréunit des plateformes coopératives gouvernéespar leurs utilisateurs et qui redistribuent dela valeur dans les communautés qu’elles

animent. Il a trouvé écho dans les groupe-ments qui, en Europe, militent pour uneéconomie numérique de justice et de partage.Le modèle coopératif est plébiscité pourconstruire des plateformes numériques équi-tables et solidaires, qui peuvent aussi permettreà l’économie sociale et solidaire de réinventerson modèle de gouvernance décentralisée.

Préservation des biens communs« La diversité des formes d’entreprendre estconsubstantielle du modèle social européen

autant que le dialogue social », rappelleLuca Jahier, Président du groupe

III du Comité économique etsocial européen (CESE).

Favoriser des dynamiquesde mobilisation diversi-fiées, éviter le modèleunique, la polarisation quiimplique l’appauvrisse-

ment, prendre soin desexclus des transitions,

inventer de nouveaux modèlesgagnants, voilà des enjeux qui

s’inscrivent dans une perspective depréservation des biens communs, dont le

plus fragile est sans doute celui de la construc-tion des liens sociaux.

Le CESE a donc permis à 6 organisationsproches de l’économie sociale et solidaire et descommuns(1) de faire découvrir, le 5 décembredernier(2), à près de 200 personnes des expé-riences innovantes de plateformes coopéra-tives, dans le domaine de la culture (1DLab,première plateforme de streaming équitable),de l’alimentation durable (BeesCoop, super-marché coopératif), du foncier (Dynamocoop,coopérative immobilière pour des lieux decréation collectifs), des échanges de servicesentre entreprises (France Barter) et de prise dedécision collective à distance (Loomio, créé

par Inspiral). Cette conférence a été aussi l’oc-casion d’échanger sur les questions de régula-tion : propriété des données (qui conduitactuellement à la constitution de monopoles),rémunération et protection sociale destravailleurs, financement des nouveauxmodèles d’affaires, avec des financements parti-cipatifs et des monnaies locales, mais aussi depointer leurs attentes vis-à-vis de l’Union euro-péenne, des États et des collectivités locales, etde promouvoir de possibles partenariats entremondes coopératifs, des communs, des villes...

Ces modèles coopératifs méritent recon-naissance et soutien, comme une partie inté-grante du projet politique européen. Laréglementation européenne gagnerait à lesaider à répondre aux réelles défaillances demarché et à nourrir le bien commun et l’intérêtgénéral, tout en responsabilisant les consom-mateurs et en protégeant les travailleurs. Ainsi,l’UE peut d’autant moins continuer à secontenter de voir l’économie collaborativecomme un nouveau marché, que les « bienfaitsde l’automatisation », sur la redistribution quecertains mettent en avant, n’apparaissent pastoujours en termes monétaires : taxer les robotspour générer de nouvelles recettes publiques etune possible redistribution n’est pas une solu-tion si simple à mettre en œuvre... �

Nicole Alix, présidente de La Coop des Communs et administratrice de Confrontations Europe

1) La Coop des Communs, Confrontations Europe, P2P Foundation, SMart,Ouishare, Cecop.2) Cf. les présentations et les enregistrements audio sur le site deConfrontations Europe : http://confrontations.org/restitutions-de-travaux/vers-une-economie-collaborative-equitable-et-participative-le-role-des-plateformes-cooperatives.

En février, un Interface revenant sur les temps fortsde la conférence sur les «  communs  » sera publié.

À NOTER

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QUEL NOUVEAU MODE DE DÉVELOPPEMENT ?

VERS UNE ÉCONOMIE POST-CAPITALISTE ?L’économie collaborative se développe-t-elle toujours en faveur de ses utilisateurs ? Pas forcément.

Des plateformes, comme Airbnb, Uber ou Facebook, opèrent une véritable captation de la valeur sans rétributionpartagée. Il serait juste que les utilisateurs soient eux-mêmes détenteurs des plateformes.

Grâce à la technologie numérique et àInternet, la société civile est aujour-d’hui capable de s’auto-organiser etde créer de la valeur sans permis-sion, c’est-à-dire sans nécessairement

passer par des intermédiaires comme les entre-prises ou l’État. Cette économie collaborativebasée sur un fonctionnement de « pair à pair »prend deux formes principales. La première, lepair à pair commun rassemble des personnesautour d’un objet commun (logiciel libre, designpartagé...). Ce commun est une chose partagée,maintenue et défendue par une communautéqui émet ses propres normes de régulation.On y retrouve trois éléments fondamentaux : laressource, la communauté qui gère cetteressource et une gouvernance active qui édictedes règles. Cette forme de collaboration des« communs » existe depuis longtemps à traversles prés communaux ou les coopératives, maiselle est revitalisée par le numérique.

La deuxième forme d’économie collaborative– les relations marchandes distribuées (direc-tement de personne à personne) – s’apparenteà une économie du partage. Mais, dans lesmodèles d’Uber ou d’airbnb, il n’y a pas decommun. Ce sont simplement des personnesqui, par le biais d’une plateforme, sont désor-mais capables de créer des relations marchandesen remplaçant les intermédiaires habituels parune plateforme privatisée. Et c’est ce que l’onappelle le « capitalisme netarchique », unemanière d’aborder le marché par l’exploita-tion directe de la coopération humaine et de laproduction de communs par les pairs, sanspasser par la rémunération du travail. C’estune forme de travail domestique non reconnu.

Ces pratiques collaboratives ne constituentpas un mouvement périphérique ou marginal.1/6 du PNB américain est, aujourd’hui, générépar la connaissance partagée, par des ressourcespartagées qui créent de l’activité économique.La plupart des phénomènes « pair à pair » sontinsérés dans le système capitaliste, comme chezLinux, qui est un système d’exploitation libre et

ouvert où 75 % des développeurs sont payés pardes grandes firmes capitalistes. C’est uncommun partageable, qui peut aussi être fait endehors de ces grandes firmes, mais qui en réalitéest inséré dans l’économie capitaliste.

Hyperexploitation des utilisateursLe problème aujourd’hui, c’est que le capita-lisme netarchique opère une véritable captationde la valeur produite dans les communs. Lesentreprises insèrent le commun dans leursystème productif pour en extraire de la valeurcommerciale. Facebook n’existerait pas sansles interactions de ses utilisateurs, alors que lavaleur commerciale de Facebook n’est nulle-ment partagée avec les co-créateurs de cettevaleur. C’est de l’hyper-exploitation, du moinsau niveau de la valeur marchande. On voitbien que le problème n’est pas nécessairementcelui du développement du numérique ou del’automatisation, mais bien celui de la redistri-bution de la valeur ainsi créée.

Comment remédier à cette exploitation ? Ilfaudrait modifier la sphère marchande demanière à essayer de faire en sorte qu’elle servele commun. C’est tout l’objet du coopérati-visme de plateformes, un mouvement quiessaye, dans la sphère marchande, de faire de laplateforme un commun qui permet des rela-tions marchandes véritablement distribuées(c’est-à-dire sans intermédiaire privé qui captela valeur). L’objectif est d’assurer une justerétribution et représentation des travailleursde l’économie collaborative en appliquant lemodèle coopératif aux plateformes. Ce modèlepermet à chaque utilisateur d’être détenteur

de la plateforme et donc d’être partie prenantede la constitution des règles de la plateforme viaune gouvernance démocratique et de bénéficierd’une redistribution équitable de la valeur créée.

Des résistances se font jour. Lassés d’êtreexploités par des plateformes qui dictent leursconditions et leurs tarifs, des coursiers à véloparisiens sont en train de créer une coopérativeafin de s’assurer une meilleure protectionsociale et des conditions de travail décentes.Ce type d’organisation constitue donc une voiede développement alternative pour l’économiecollaborative, une forme d’économie post-capi-taliste, qui permet de concilier les objectifs deprotection des travailleurs et l’innovationsociale. La triade capital/État/nation estremplacée par un système composé descommuns, entourés d’un marché éthique, lui-même entouré d’un État partenaire. Unemanière de réorganiser les relationsmarchandes en faveur des communs... �

Michel Bauwens, fondateur de la Fondation pour les alternatives P2P

Les « communs » sont des biens partagés (jardinspartagés, logiciels libres, design partagés, rivières...)maintenus et défendus par des communautés d’individus qui émettent leurs propres normes derégulation. Chaque individu contribue à élaboreret/ou entretenir ces « communs » et en bénéficie.

DÉFINITION DES « COMMUNS »

À NOTER

Michel Bauwens est l’auteur de Sauver le monde –Vers une économie post-capistaliste avec le peer-to-peer, Éditions Les Liens qui Libèrent, 2015.

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QUEL NOUVEAU MODE DE DÉVELOPPEMENT ?

L’EUROPE ET LES JEUNES,UNE HISTOIRE D’EMPLOI

L’Union européenne devrait-elle faire appel au réalisateur Cédric Klapisch pour mieux faire connaître ses mesures enfaveur de l’emploi des jeunes ? Il semble que oui ! De fait, si le succès de l’Auberge espagnole a fait connaître le programme

Erasmus, les dispositifs européens d’aide à l’insertion professionnelle des jeunes demeurent encore bien méconnus.

Que fait l’Europe pourl’emploi des jeunes ? Àpremière vue, pasgrand-chose. Seul leprogramme Erasmus,

qui semble réservé aux seulsétudiants, est connu de tous. Etpourtant, pour près de la moitiédes Européens, l’emploi figure entête des défis politiques, d’aprèsl’Eurobaromètre de décembre2016(1). En octobre 2016, 4 millionsde jeunes Européens de moins de25 ans (hors étudiants) n’avaientpas d’emploi(2). Le risque d’une« génération perdue » demeure élevé. Pourrépondre à ce défi de taille, l’Union euro-péenne a lancé, dès 2013, des initiativescomme la Garantie européenne pour lajeunesse et l’Initiative pour l’emploi desjeunes, dont peu de jeunes ont entenduparler… C’est pourquoi ConfrontationsEurope est allée à la rencontre de jeunes Lilloiset Roubaisiens, pas particulièrement tournésvers l’Europe, pour échanger sur ces disposi-tifs et connaître leurs attentes vis-à-vis del’Europe. Pour eux, ces initiatives européenneschangent-elles la donne ?

A l’heure du premier bilan, la Commissioneuropéenne estime que ces dispositifs ont béné-ficié à 14 millions de jeunes et qu’environ9 millions de jeunes ont accepté une offre(d’emploi, dans la majorité des cas)(3). Enpratique, tout en engageant davantage de finan-cements européens, ces initiatives promeuventdes démarches innovantes (accompagnementpersonnalisé du jeune, approche partenarialemulti-acteurs, familiarisation au monde del’entreprise) et incitent les États membres àmettre en œuvre des réformes structurelles deleurs modèles éducatifs ou de leur marché dutravail. Mais elles ne peuvent aboutir qu’à

condition que les États membres et les régionsles traduisent en politiques spécifiques. Le bilanest-il aussi positif ? Il est vrai que le renforce-ment des partenariats entre acteurs des poli-tiques de jeunesse, de l’éducation, de l’emploi,partenaires sociaux et organisations de jeunessea permis de meilleurs résultats. Cependant, lesbénéficiaires ne sont pas toujours les jeunesplus en difficulté, comme le souligne Euro-found(4). Par ailleurs, la qualité des offres restevariable : comment garantir la bonne qualitéd’un stage ou d’un apprentissage ? S’agit-il decontrats aidés qui débouchent sur un emploistable ? Un premier pas a été initié au niveaueuropéen avec le cadre de qualité des stages,mais cela reste insuffisant. L’implication desentreprises apparaît aussi fondamentale, notam-ment dans le cadre de l’identification desbesoins en compétences.

La mobilité, facteur d’insertion professionnelleAutre levier d’action de l’Union européennedans sa lutte contre le chômage des jeunes : lamobilité, grâce à la démocratisation duprogramme Erasmus +(5). Les députés euro-péens, Jean Arthuis en tête, travaillent à la

construction d’un statut européende l’apprenti(6). Cependant des freinsimportants persistent. L’informa-tion parvient mal aux populationsles moins familiarisées à l’Europe. ÀLille ou Roubaix, peu de jeunes onteu connaissance du Service volon-taire européen, un pro grammede mobilité pourtant ouvert àtous, sans condition de diplôme.Les démarches administrativespeuvent aussi constituer un obstacleà la mobilité, autant pour les jeunes,les établissements scolaires quepour les entreprises.

Il est sûr que l’Union européenne agit sousbien des formes pour favoriser l’insertionprofessionnelle des jeunes, mais cesdémarches ne peuvent aboutir que si lesacteurs nationaux et régionaux s’en empa-rent pleinement. Elles doivent égalementgagner en visibilité afin qu’à l ’aubed’échéances électorales nationales, le projeteuropéen puisse rimer avec solidarité. �

Katarina Cirodde, chargée de mission à Confrontations Europe

1) Sondage Eurobaromètre spécial 451.2) Eurostat (décembre 2016).3) « La garantie pour la jeunesse et l’initiative pour l’emploi des jeunes, troisans après », Communication de la Commission, octobre 2016.4) Rapport “Social inclusion of young people”, Eurofound, 23 septembre 2015.5) Lancé en 2014, il regroupe sept programmes antérieurs et s’adresse àun large éventail de personnes et d’organisations. Son budget court jusqu’à2020 et s’élève à 14,7 milliards d’euros. Plus de 4 millions d’européensdevraient en bénéficier.6) Le député Jean Arthuis a d’ailleurs poussé au lancement d’un projet expé-rimental en septembre 2016 promouvant la mobilité des apprentis.

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Retrouvez les propositions des jeunes de Lille et deRoubaix en allant sur le site http://confrontations.org

À NOTER

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QUEL NOUVEAU MODE DE DÉVELOPPEMENT ?

FAUT-IL SUPPRIMER LA DG COMMERCE ?Les récentes négociations commerciales entre l’Union européenne et les États-Unis (TTIP ou TAFTA)

ou le Canada (CETA) ont suscité de vifs débats au sein des opinions publiques. Ce climat de défiance,remet-il en question l’avènement d’une politique commerciale européenne commune ?

Avant même l’élection de DonaldTrump aux États-Unis, la plupart desgrands sujets de politique commer-ciale semblaient faire les frais d’unemisconception, voire d’une remise en

cause. L’épisode du CETA, l’accord de libre-échange entre l’UE et le Canada, a brutalementillustré les tensions autour de la question centraledes compétences de l’Union en matièrecommerciale. Il en a été de même dans le cadredes discussions sur l’accord de Commerce entreles États-Unis et l’Europe (TTIP) :après avoir donné un mandat précisde négociation à la DG Commerceet à ses négociateurs européens, desÉtats membres, et non desmoindres, ont « torpillé » les discus-sions en brandissant la menace d’unveto, tandis que le Parlement euro-péen exigeait encore plus de trans-parence, fragilisant la position denégociation déjà délicate des Euro-péens. Dans les négociations avecSingapour ou le Maroc, la faiblessede la politique européenne se traduitpar les demandes incessantes d’avisjuridique à la Cour de Justice del’Union Européenne (CJUE). Autreexemple : les procédures anti-dumping se multiplient, mais les Étatsmembres ont du mal à s’accorder avec le Parle-ment européen sur la modernisation néces-saire des instruments de défense commercialeproposés par la Commission Européenne.Tout cela, dans un contexte déjà tendu : lestatut d’économie de marché de la Chine, encours de discussions, modifierait substantiel-lement les modèles de calculs économiquesdes « droits » compensateurs en matière dedumping.

A quoi, dès lors, sert la DG Commerce si ellen’est pas en situation de négocier correcte-ment un Accord avec un partenaireétranger, ou pas suffisamment soutenue pourmettre en vigueur un bon Traité ?

La décision de l’avocat général de la Cour deJustice de l’Union Européenne (CJUE) du21 décembre dernier sur Singapour, apporte unéclairage sur ce que pourrait devenir la règle enmatière de compétence. Le texte confirme clai-rement que tout accord commercial traitant desujets de compétences nationales (ou régio-nales), comme l’environnement, les condi-tions de travail, les droits fondamentaux, lesmécanismes de résolution des différends, etc.doit effectivement obtenir l’accord des Auto-

rités nationales ou régionales compétentesavant d’être validé ou mis en vigueur. On nepourra plus dorénavant se réfugier dans cettezone « grise » et c’est heureux.

Ratification à 38 risquéeFaudra-t-il, dès lors, adapter le périmètre denos accords commerciaux aux domaines strictsde compétence de l’Union et continuer à lesfaire négocier par la DG Commerce, ou revenirà des accords négociés par les autorités natio-nales ? Choisira-t-on finalement d’ajouter, àune procédure européenne déjà longue, la rati-fication, souvent risquée, des 38 parlementsnationaux ou régionaux dès lors qu’il s’agi-rait d’un accord « de compétence mixte » ?

Le bon sens a, en effet, bien inspiré lesconstructeurs historiques de l’UE en recon-naissant clairement qu’un traité de commerceou d’investissement, négocié pour le compte de28 États membres, représentant un espaceéconomique de plus de 550 millions deconsommateurs, est plus favorable qu’un textediscuté par chaque État séparément. Ce quiétait vrai hier l’est encore plus aujourd’hui alorsque les membres européens du club des dixprincipales puissances économiques du monde

vont passer de trois à un – l’Alle-magne – dans les dix prochainesannées… Le «  jouer collectif »impose que l’intérêt « commun »soit supérieur à l’intérêt individuel,car il y aura toujours des motifs defrustration dans le cadre d’une négo-ciation « collective ». A titre d’illus-tration, le CETA reconnaît pour latoute première fois les produitseuropéens à «  indications géogra-phiques ». C’est un progrès majeurpour l’Europe qui fera précédent.Mais la France ou l’Italie compte-ront toujours plus « d’appellationscontrôlées » que la Wallonie ou l’Es-tonie. De même, il faut continuer àpromouvoir nos valeurs « huma-

nistes » dans tous nos accords de commerce,mais sans chercher à en faire nécessairementune priorité absolue, en raison de la condi-tionnalité de mise en œuvre, ou de remise encause, effective des traités de commerce.

Nos institutions publiques doivent se posi-tionner clairement pour éviter la cacophonie. Amon sens, la dimension européenne donne clai-rement un avantage en matière de Traité decommerce. Arrêtons donc de nous « chamailler »sur les compétences nationales ou européennes.Et donnons une mission claire à la Commis-sion européenne et à sa DG Commerce. �

Alain Berger, directeur exécutif de la Stratégie, Hill&Knowlton

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Justin Trudeau, Premier ministre du Canada, Donald Tusk, président duConseil européen et Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne.

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CLIMAT/ÉNERGIE

COP 22 : APRÈS L’EFFERVESCENCE,UN RÉVEIL DOULOUREUX

Après le succès de la conférence de 2015 sur le climat, celle de 2016 à Marrakech s’annonçait comme une fête. L’élection de DonaldTrump a subitement obscurci l’avenir de l’accord signé à Paris un an plus tôt. Ce fâcheux exemple pourrait compliquer lesdiscussions autour du « paquet » législatif présenté par la Commission européenne, dont le volume déroute déjà bien des experts.

La 22e conférence internationale sur leclimat (COP 22) s’est ouverte le6 novembre à Marrakech dans desconditions idéales. Moins d’un an aprèssa signature, l’Accord de Paris venait

d’entrer en vigueur, une rapidité sans précédentdans l’histoire des traités internationaux, grâceà la ratification de 111 pays. Tous ont confirméainsi leur engagement à réduire les émissions degaz à effet de serre pour éviter une élévationexcessive des températures sur la planète. Autressignes positifs enregistrés avant l’ouverture destravaux : les 170 pays signataires du protocolede Montréal sur la haute atmosphère ontaccepté de le modifier dans un sens favorable àla protection du climat, et les 191 États membresde l’Organisation Internationale de l’AviationCivile ont convenu de plafonner les émissionsde ce secteur à leur niveau de 2020, quelle quesoit la croissance du trafic aérien.

La dynamique créée par l’Accord de Paris asurpris les négociateurs, arrivés à Marrakech

l’esprit léger face à un ordre du jour peu ambi-tieux. Surpris, car si le texte devient applicable,il convient que les États remettent leurs plansd’action officiels ; or la plupart des pays n’ontpas dépassé le stade despromesses, les fameusesINDC, ou intentions décidéesau niveau national de contri-bution à l’objectif commun.Mais la somme des INDC nepermet de contenir le réchauf-fement climatique que vers 3 °C ! Pour rester endessous de 2 °C, objectif de l’Accord de Paris,il faudra que les NDC, c’est-à-dire lesprogrammes précis qui succéderont aux inten-tions, soient beaucoup plus sévères…

L’élection de Donald Trump à la présidencedes États-Unis, survenue le 8 novembre, adétourné l’attention et ouvert une porte desortie pour les gouvernements hésitants. Cesderniers ont pu se contenter de sauver la confé-rence en renvoyant, au sein de comités tech-

niques, la mise au point de diverses modalitésnécessaires pour rendre l’Accord effectif, telleque la mesure précise des émissions de chaquesecteur d’activité dans chaque pays. Car l’arrivée

à la tête de la première puis-sance économique mondialed’un président ayant ouver-tement déclaré son méprispour l’Accord de Parisrassure les pays qui l’ontsigné pour éviter l’opprobre,

mais qui n’envisagent pas encore les conver-sions qu’il implique. Imagine-t-on l’ArabieSaoudite, le Canada, la Russie, le Venezuela, etc.renoncer à exploiter leurs gisements de pétroleou de gaz si les États-Unis poursuivent l’extra-ction de leur charbon ? Or, si l’on veut éviter uncataclysme climatique, l’essentiel de cesressources fossiles devra rester sous terre…

Profil bas de l’Union européenneFace aux pays peu motivés, la victoire de DonaldTrump a amené d’autres États à réaffirmer leurvolonté de lutter sans faiblir contre la menaceclimatique. En bâtissant un programme nationaltrès cohérent, la Chine pourrait ainsi prendre leleadership des pays les plus engagés, aux côtésde pays moins importants en taille mais exem-plaires à plusieurs égards, tels que l’émirat d’AbuDhabi, le Costa Rica ou la Norvège. À Marra-kech, 22 de ces pays ont lancé la « MissionInnovation », destinée à accélérer les recherchessur sept thèmes essentiels pour les annéesfutures. Surtout, les incertitudes sur la politiqueaméricaine ont mis en lumière la déterminationdes acteurs non étatiques. Ces derniers appa-raissent comme de puissants moteurs de l’action.On ne parvient plus à les dénombrer ; mention-nons par exemple les villes et régions réuniesdans la coalition « Under 2° » (dont dix États desÉtats-Unis, six Länder allemands, quatreprovinces canadiennes, etc.), les grandes entre-©

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Les acteursnon étatiques :

de puissantsmoteurs de l’action

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CLIMAT/ÉNERGIE

prises ayant adopté des objectifs internes deréduction de leurs rejets (205 membres dans lacoalition « Science Based Targets », de Coca-Colaà Sony, en passant par Ikea, Carrefour,Renault…), les 30 patrons les plus riches dumonde (dont la fortune personnelle dépasse lePIB de nombreux États) dédiant des sommesrespectables à la recherche via la coalition« Breakthrough Energy », etc. Une tentative decoordination de toutes les initiatives a vu lejour, le Partenariat de Marrakech, mais les asso-ciations revendiquent leur autonomie d’action.

L’Union européenne a fait profil bas à Marrakech, emmenée par la présidenceslovaque du Conseil, peu démonstrative. Cetteattitude effacée reflète probablement le pres-sentiment que de grosses difficultés attendentl’UE pour la mise au point des mesures luipermettant de respecter l’INDC annoncée,consistant en une réduction de 40 % de sesémissions d’ici 2030 (par rapport à leur niveaude 1990). Comment traduire cet objectifgénéral, avalisé par le Conseil Européen d’oc-tobre 2014, en une liste de progrès précis àaccomplir par les 28 États Membres ? LaCommission a posé les deux premières briquesau cours des derniers mois, l’une avec sa propo-sition de réforme du système ETS (qui régit lesémissions des grandes installations), l’autreavec sa proposition de répartition de l’effortentre les pays pour les émissions hors ETS.

Surcoût reporté sur les consommateursCependant, l’exécutif européen est persuadéque les dispositions relatives aux émissions nesuffisent pas pour guider les États. La Commis-sion a donc présenté le 30 novembre, après laclôture de la COP 22, un « paquet » intitulé« Une énergie propre pour tous les Européens »,préconisant la révision de huit textes législatifsen vigueur et introduisant cinq nouveaux règle-ments, comprenant aussi une vingtaine derapports, communications et documents detravail. Cet ensemble vise à modifier profon-dément la physionomie du système énergé-tique européen d’ici 2030, qui devrait être plussobre en consommations et reposer davantagesur les énergies renouvelables. Celles-ci étantparticulièrement développées pour la produc-tion d’électricité, le marché serait aménagépour les accueillir et prendrait une envergurecommunautaire, grâce à un effacement desfrontières techniques ou commerciales.

Compte tenu de la masse des textes à analyser,peu d’observateurs se hasardent à livrer uneappréciation d’ensemble sur le paquet en cedébut 2017. L’auteur de ces lignes ne se risquerapas à cet exercice, mais le travail mené au seindu groupe « Énergie & Climat » de Confronta-tions Europe à l’automne 2016 autorise néan-moins à formuler quelques remarques(1).

Il apparaît que la poursuite simultanée deplusieurs objectifs (réduction des émissions,efficacité énergétique, développement dessources renouvelables) aboutit à une dépenseplus élevée que la poursuited’un seul effort, la baisse desémissions. L’Europe y gagneen indépendance énergétique,mais le surcoût l’affaiblit dansla compétition internationale. Les États étantbien conscients de ce risque tendent à dispenserla grande industrie de sa part du surcoût, qui estalors reportée sur les consommateurs domes-tiques. Appauvris par la crise économique quia amputé leur pouvoir d’achat depuis 2008, cesderniers sont de plus en plus nombreux àsombrer dans la précarité énergétique : selonl’étude Insight Energy d’avril 2015, plus de 10 %de la population éprouve des difficultés à payersa facture dans 24 des États membres de l’UE etce taux dépasse 20 % dans 14 États.

Par ailleurs, la Commission affirme que lesnouvelles orientations vont créer de nombreuxemplois. Il est probable qu’elles vont en détruireégalement un nombre important ; la mésa-venture des fabricants européens de panneaux

photovoltaïques face aux importations venuesd’Asie incite à rester prudent. Mais même ensupposant que le bilan soit positif, les nouveauxlieux de travail ne se situeront sans doute pasdans les mêmes régions et les mêmes secteursd’activité que les anciens. Les États ne disposentpas tous des moyens de reconvertir les salariéset ceux-ci ne seront pas tous enclins à démé-nager vers les territoires qui sortiront vain-queurs d’une compétition accrue par lesnouvelles règles de marché.

Ces considérations rendront certainement les28 États très méfiants dans lesdiscussions qui vont s’ouvrirautour du paquet « Énergiepropre ». Après le Brexit, l’ar-rivée au pouvoir de Donald

Trump, élu sur un programme franchementnationaliste, ne poussera pas les gouvernantseuropéens à l’ouverture. Faute d’une solidevolonté de partage de la part des pays détenantaujourd’hui les meilleurs atouts, de nombreuxamendements aux textes initiaux seront néces-saires pour conclure. Rendez-vous en 2019,pour la COP 25... �

Michel Cruciani, chargé de mission au Centre de Géopolitique de l’Énergie et des Matières

Premières à l’Université Paris-Dauphine, conseillerÉnergie-Climat, Confrontations Europe

1) On trouvera sur le site Internet de Confrontations Europe les comptes ren-dus des deux réunions tenues à Bruxelles sur « Les trajectoires de transi-tion énergétique dans cinq États » et de la réunion tenue à Paris sur« Efficacité énergétique et réduction des émissions ».

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« Une énergiepropre pour tousles Européens »

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SÉCURITÉ

Rarement depuis la guerre froide, l’Europe s’est trouvée à ce pointmenacée. Alors que sa politique visaità consolider, dans son voisinage, deszones de prospérité et de stabilité plus

ou moins démocratiques, c’est l’inverse qui seproduit : ce sont les crises et l’insécurité duvoisinage qui se répercutent en Europe et fragi-lisent sa propre sécurité. L’Union européennese trouve en effet confrontée à des crisesdurables, multiples, sans solution évidente nirapide. Les menaces viennent à la fois desrapports de force classiques, la Russie contes-tant l’ordre européen et s’évertuant à perpétuerune zone grise de conflits et d’insécurité entreelle et l’Union. Les menaces viennent égale-ment des États du Sud, au Moyen-Orientcomme dans la bande sahélienne, en proie àdes conflits. Le tout alimentant, sur le territoiremême de l’Europe, des terroristes djihadistestrès actifs depuis 2015, alors que des centainesde milliers de réfugiés fuient également lesguerres du Sud pour chercher asile sur le conti-nent européen. Au final, biendes éléments – la peur del’adversité, la menace terro-riste, les difficultés d’accueilde réfugiés très nombreux,sur fond de crise écono-mique ou encore le vieillissement des classesmoyennes inquiètes de leur possible paupéri-sation –, nourrissent des mouvements popu-listes et d’extrême droite de plus en pluspuissants. On peut même se demander si laplus grande menace sur la sécurité des démo-craties européennes ne réside pas dans laremise en cause croissante, voire banale, desvaleurs mêmes de la démocratie.

Dans ce contexte déjà fortement dégradé,trois chocs extérieurs viennent assombrirencore un peu plus l’avenir : le Brexit qui remeten cause l’intégrité physique de l’Europe ; la

victoire de Donald Trump auxÉtats-Unis qui fait chanceler l’Al-liance atlantique et les valeursdémocratiques qui la fondent ; etl’autoritarisme croissant enTurquie, bafouant les droits del’homme élémentaires. Avec, àterme, cette question effrayante :que devient l’OTAN si ses Étatsmembres ne sont plus « déter-minés à sauvegarder la liberté deleurs peuples, leur héritagecommun et leur civilisation, fondéssur les principes de la démocratie, les libertésindividuelles et le règne du droit » ?

Échelon européen pertinentL’Europe se trouve face à deux options : le sursautou l’attentisme. Le sursaut suppose une relancerapide et déterminée de la politique étrangère etde défense commune de l’UE, avec les États quile souhaitent et le peuvent sous impulsion fran-çaise, et avec en toile de fond une vision

commune du rôle de l’Uniondans la mondialisation et dubon degré de complémenta-rité avec l’OTAN. L’atten-tisme, lui, se nourrit d’unepropension systématique au

déni, au refus de croire à la réalité du Brexit oude l’évolution politique inquiétante des États-Unis. Les Européens refusent de se prendre enmain, par peur de précipiter ce qu’ils ont toujoursvoulu éviter : l’indifférence, voire l’abandon stratégique des États-Unis.

Si le monde était raisonnable, le volonta-risme européen serait d’ores et déjà en marche,empreint de résilience stratégique et de vigi-lance, voire de résistance, démocratique. Mais,comme l’irrationnel domine un peu partout,c’est plutôt la tentation du déni et de l’im-mobilisme qui semble l’emporter.

Et pourtant, plusieurs arguments militenten faveur d’un sursaut européen. D’une part,la nouvelle équation stratégique de l’Europesemble très simple : les crises sont de plus enplus nombreuses, l’Amérique de moins enmoins présente, ce qui ne peut, logiquement,qu’entraîner plus d’Europe. D’autre part,l’échelon européen s’affirme bien plus perti-nent que l’échelon national : ni la lutte contrele terrorisme, ni la pacification des crises exté-rieures ne peuvent désormais être menées àl’échelle nationale. Enfin, la valeur ajoutée del’Union pour les phases de stabilisation post-crises est sans équivalent : aucun État seul nepeut en effet mobiliser des dizaines demilliards d’euros pour la consolidation de lapaix, comme le peut le budget européen.

Ne pas laisser s’imposer le renoncementstratégique et politique de l’Europe est vital.Car l’un va avec l’autre : si l’Union européennerenonce à prendre en main sa propre sécurité,ne renoncera-t-elle pas aussi à défendre cequi reste le fondement même de son exis-tence : la démocratie politique représentativeet la liberté d’entreprendre et de penser ? �

Nicole Gnesotto, professeur au CNAM et présidente du conseil d’administration de l’IHEDN

(Institut des Hautes études de Défense nationale)

Les Européensrefusent de

se prendre en main

DÉFENSE ET SÉCURITÉ :DÉNI OU SURSAUT ?

L’Europe n’a jamais été autant menacée par les crises à ses frontières et par les attentats djihadistessur son propre territoire, l’attentat de Berlin de fin décembre en est le dernier exemple.

Il est temps que l’Europe réponde à ces défis en mettant en place une politique étrangère et de défense commune.

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«

L’Âme des peuples » : le nom

de la collection de ces petitslivres est déjà porteur depromesses, à la fois invitationau voyage et cheminement

vers la connaissance. Les premiers livresde la collection s’intéressent aux voisinstout proches. « La collection a des racineseuropéennes absolues », explique sondirecteur de collection, Richard Werly,correspondant du quotidien suisse LeTemps à Paris. « C’est à Athènes qu’elleest née, il y a quatre ans. Je couvraisalors la crise grecque. J’avaisrencontré beaucoup d’économistes,d’experts, mais, fin 2012, j’ai inter-viewé le philosophe grec, SteliosRamfos qui m’a très solennellement dit : “Vousne parviendrez jamais à réformer un pays sanscomprendre et connaître son peuple”. Pour lui,la crise grecque n’était pas économique, maisculturelle. Cela a été un déclic. » La collection« l’Âme des peuples », était née.

Publiés chez Nevicata, une maison d’éditionbelge spécialisée dans le récit de voyage et ledocumentaire au long cours, ces petits ouvragesà la belle maquette épurée, se lisent bien souventd’une traite. On y trouve, tout d’abord, un récit

personnel proposé par un auteur, fin connaisseurdu pays, qui est souvent un journaliste ou ununiversitaire. « C’est un récit incarné », préciseRichard Werly, qui a, lui aussi, beaucoup voyagéen tant que grand reporter. Souvent écrit à lapremière personne, ce récit tente de façonpresque intimiste de décrypter l’esprit d’unpeuple, son histoire, ses valeurs… Il s’agit enquelque sorte de pénétrer les viscères d’un peuple,de le comprendre, l’appréhender et le refairevivre sous sa plume. Ensuite, dans une deuxième

partie, l’auteur se livre à un « exerciced’humilité », pour reprendre les termesdu directeur de collection, en proposanttrois entretiens avec des personnalités dupays : le plus souvent, un historien, unsociologue et une figure plus décalée :artiste, architecte, écrivain ou essayiste...

Le dernier né de la collection est laHongrie au sous-titre explicite : L’angoissede la disparition. Cette attention à la dimen-sion culturelle prend tout son sens dès quel’on s’attache à retracer le parcours d’un nouvel

entrant dans l’Union européenne. Defait, comme tient à le préciser, RichardWerly, « il a manqué un accompagne-ment culturel, psychologique desnouveaux pays de l’Union. Alors que

ces pays venaient de vivre des décennies de négationde leur âme, on a pensé que l’économie allait fairele travail d’acculturation. On voulait leur vendrel’Europe, on avait juste oublié le client. Ce qui amanqué à l’Union européenne, c’est un départe-ment “Âme des Peuples”. » La lecture de ces petitslivres, entre récit de voyage et essai, nous offre cesupplément d’âme. �

Clotilde Warin, rédactrice en chef, Confrontations Europe

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LIVRES

EXTRAITS DE « HONGRIE, L’ANGOISSE DE LA DISPARITION » PAR FRANÇOISE PONS

« Seuls sur une île, perdus dans un océan slave, comme assiégés :ainsi se perçoivent les Hongrois qui restent marqués par leurhistoire d’occupations successives depuis le seizième siècle. Ladomination de l’Empire ottoman, des Habsbourg puis le com-munisme ont aiguisé cette sensibilité. »

◗ Balàsz Ablonczy, historien, professeur à l’Université ELTEde Budapest : « Nous sommes un peu désillusionnés par l’Europeen ce sens que nous n’avons pas rattrapé l’Autriche, notre frèreennemi dans l’histoire, notre objectif tant rêvé. Nous sommesfrustrés de travailler comme des malades et avec la même qualitéqu’à l’Ouest, mais pour un salaire de misère ».

◗ Jànos Lackfi, poète, écrivain, traducteur : « La sensibilité denotre bon Hongrois se sent blessée par l’esprit de standardisationvenant de Bruxelles : il voudrait faire autrement, c’est-à-diretout seul ».

◗ Soos Eszter Petronella, politologue : « Avec un Occidentalon parle du Fidesz comme d’un parti conservateur. Mais enréalité en Hongrie, être conservateur c’est être communiste,car le communisme a brisé toute tradition. Il n’y a rien à protégerdu passé. (…) En Hongrie, la droite est révolutionnaire : elle veutcréer un pays d’après sa propre vision ».

« L’ÂME DES PEUPLES »,DES RÉCITS DE L’INTÉRIEUR

« Parce que pour connaître les peuples, il faut d’abord les comprendre », c’est la devise de la collection« L’Âme des Peuples », qui compte désormais trente ouvrages, nous invitant à découvrir, de façon approfondie et intimiste,

des pays. En ces temps de défiance et de réinterrogation des récits nationaux, elle s’avère bien utile.

Retrouvez les livres de la collection publiée aux éditions Nevicata : Allemagne, Croatie,Espagne, Grèce, Hongrie, Italie, Lituanie, Pays-Bas, Pologne pour ne citer que les paysde l’Union européenne. Sans oublier les petits livres dédiés aux villes européennes : Bordeaux, Bruxelles, Milan, Vienne. La collection compte déjà trente ouvrages enfrançais. Au printemps prochain, deux livres paraîtront en anglais : Birmanie et Bruxelles.

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