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Dimanche 20 - Lundi 21 septembre 2015 - 71 e année - N o 21983 - 2,20 € - France métropolitaine - www.lemonde.fr Fondateur : Hubert Beuve-Méry - Directeur : Jérôme Fenoglio Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 2,20 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF, Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,20 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 10,50 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA Ces intellectuels que revendique le FN Le Front national se réjouit d’« être à l’origine » des thèses dont se rappro- chent désormais des figu- res a priori éloignées de ses positions politiques Jacques Sapir, directeur d’études à l’EHESS et pro- che du Front de gauche, appelle dans « Le Figaro » à un « front de libération nationale » contre l’euro Le philosophe Alain Finkielkraut, le géographe Christophe Guilluy, le so- ciologue Emmanuel Todd se défendent d’être des « alliés objectifs » du FN Ces intellectuels « nous aident, peut-être malgré eux, à développer nos ar- guments », estime Florian Philippot, bras droit de Marine Le Pen Michel Onfray, se disant « assailli par le politique- ment correct », va contre- attaquer lors d’un meeting à la Mutualité LIRE PAGE 10 Michel Onfray : « Marine, si tu m’entends... » JEAN-LUC BERTINI/PASCO Le philosophe récuse dans une tribune au « Monde » l’idée qu’il fait le jeu du Front national L’historien François Cusset dénonce la dérive droitière décomplexée des penseurs médiatiques LIRE DÉBATS PAGES 16-17 ÉCONOMIE L’AGENCE MOODY’S FAIT LA LEÇON À LA FRANCE LIRE LE CAHIER ÉCO PAGE 3 FRONDE DES MAIRES ET DÉMAGOGIE LOCALE LIRE PAGE 27 CLIMAT LES ÎLES KIRIBATI SOUS LA MENACE DES FLOTS LIRE PAGES 8-9 GRÈCE DÉSENCHANTÉS, LES JEUNES N’IRONT PAS VOTER LIRE PAGE 6 L e pape François aime dire qu’il a vocation à bâtir des ponts là où s’élevaient des murs. C’est un pont aérien qu’il jettera entre Cuba et les Etats- Unis, mardi 22 septembre, lors- qu’il décollera de l’aéroport de Santiago de Cuba pour la base d’Andrews, près de Washington. Deux mois et demi après le réta- blissement des relations diplo- matiques entre deux pays jus- qu’alors ennemis, ce trajet vaut autant qu’un discours. Il donne au voyage que le pontife argentin fera à Cuba (19 au 22 septembre) puis aux Etats-Unis (22 au 27 sep- tembre), deux pays où Jorge Ber- goglio se rend pour la première fois, une signification continen- tale. Il adresse aux Etats-Unis une exhortation : profiter du nou- veau cours de sa politique envers Cuba pour « repenser leur respon- sabilité » à l’égard de l’ensemble de l’Amérique latine, selon une expression employée au Vatican, et pour développer la solidarité. LIRE LA SUITE PAGE 2 INTERNATIONAL LE PAPE FRANÇOIS EN VISITE D’ESPOIR À CUBA par cécile chambraud L a Fashion Week de New York s’est clôtu- rée, jeudi 17 septem- bre, sur trois défilés ma- jeurs : Ralph Lauren, Calvin Klein et Marc Jacobs. Ces trois légendes nationales, bien entourées dans le ca- lendrier des collections prin- temps-été 2016 par une génération très créative (Alexander Wang, Proenza Schouler, Phillip Lim, Hood by Hair en tête), ont prouvé que la mode made in USA n’avait rien perdu de sa vitalité. p LIRE PAGE 26 Chez Ralph Lauren. BEBETO MATTHEWS/AP La mode américaine adoucit ses mœurs Les défilés de la Fashion Week ont mis en valeur des « executive women » rêveuses La « saison croisée » France- Corée, inaugurée, vendredi 18 septembre, au Palais de Chaillot, à Paris, ouvre, avec une longue série d’événements culturels, l’An- née de la Corée en France, jus- qu’en août 2016. Elle se pour- suivra, jusqu’au mois de décembre suivant, par une Année de la France en Corée. Le Festival d’automne pro- pose ainsi, dès le 20 septem- bre, une cérémonie chamani- que au Théâtre de la Ville, à Paris, ou du « pansori » – récit chanté – aux Bouffes du Nord. La plupart des musées multi- plient les expositions, à Paris mais aussi à Lille, Metz, Marseille, Dijon, Saint- Etienne, Chambord… Plongée à Séoul chez les créateurs d’une génération, celle qui a été le ferment de la « révolution de velours » et a enterré en 1987 la dictature militaire. p LIRE PAGES 18-19 Les matins calmes de la saison croisée France-Corée REPORTAGE Marguerite UN FILM DE XAVIER GIANNOLI PHOTO : LARRY HORRICKS © 2015 - FIDÉLITÉ FILMS - FRANCE 3 CINÉMA - SIRENA FILM -SCOPE PICTURES - JOUROR CINÉMA - CN5 PRODUCTIONS - GABRIEL INC. ACTUELLEMENT AVEC ANDRÉ MARCON MICHEL FAU CHRISTA THÉRET Le Figaro U n grand divertissement spectaculaire. C atherine F rotformidable. Le Monde Paris Match U njoyau . O nritautant qu onpleure. L’Obs Hilarant. Métro Unesplendeur. Le Point Hilarant, bouleversant et sublime. Marianne Très drôle. Marie-France Une perle. L’Humanité Somptueux,drôleetémouvant. Télérama Le JDD Exaltant.

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Dimanche 20 - Lundi 21 septembre 2015 ­ 71e année ­ No 21983 ­ 2,20 € ­ France métropolitaine ­ www.lemonde.fr ― Fondateur : Hubert Beuve­Méry ­ Directeur : Jérôme Fenoglio

Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 2,20 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF, Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,20 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 10,50 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA

Ces intellectuels que revendique le FN▶ Le Front national se réjouit d’« être à l’origine » des thèses dont se rappro­chent désormais des figu­res a priori éloignées de ses positions politiques

▶ Jacques Sapir, directeur d’études à l’EHESS et pro­che du Front de gauche, appelle dans « Le Figaro » à un « front de libération nationale » contre l’euro

▶ Le philosophe Alain Finkielkraut, le géographe Christophe Guilluy, le so­ciologue Emmanuel Todd se défendent d’être des « alliés objectifs » du FN

▶ Ces intellectuels « nous aident, peut­être malgré eux, à développer nos ar­guments », estime Florian Philippot, bras droit de Marine Le Pen

▶ Michel Onfray, se disant « assailli par le politique­ment correct », va contre­attaquer lors d’un meeting à la Mutualité→ LIRE PAGE 10

Michel Onfray :« Marine, si tu m’entends... »

JEAN-LUC BERTINI/PASCO

▶ Le philosophe récuse dans une tribune au « Monde » l’idée qu’il fait le jeu du Front national

▶ L’historien François Cusset dénonce la dérive droitière décomplexée des penseurs médiatiques

→ LIRE DÉBATS PAGES 16-17

ÉCONOMIEL’AGENCE MOODY’S FAIT LA LEÇONÀ LA FRANCE→ LIRE LE CAHIER ÉCO PAGE 3

FRONDE DES MAIRES ET DÉMAGOGIE LOCALE→ LIRE PAGE 27

CLIMATLES ÎLES KIRIBATI SOUS LA MENACE DES FLOTS→ LIRE PAGES 8-9

GRÈCEDÉSENCHANTÉS,LES JEUNES N’IRONT PAS VOTER→ LIRE PAGE 6

L e pape François aime direqu’il a vocation à bâtir desponts là où s’élevaient des

murs. C’est un pont aérien qu’il jettera entre Cuba et les Etats­Unis, mardi 22 septembre, lors­qu’il décollera de l’aéroport de Santiago de Cuba pour la base d’Andrews, près de Washington.Deux mois et demi après le réta­blissement des relations diplo­matiques entre deux pays jus­qu’alors ennemis, ce trajet vaut autant qu’un discours. Il donne au voyage que le pontife argentin fera à Cuba (19 au 22 septembre) puis aux Etats­Unis (22 au 27 sep­tembre), deux pays où Jorge Ber­goglio se rend pour la première fois, une signification continen­tale. Il adresse aux Etats­Unis une exhortation : profiter du nou­veau cours de sa politique envers Cuba pour « repenser leur respon-sabilité » à l’égard de l’ensemblede l’Amérique latine, selon une expression employée au Vatican,et pour développer la solidarité.

→ LIRE L A SUITE PAGE 2

INTERNATIONAL

LE PAPE FRANÇOISEN VISITE

D’ESPOIR À CUBApar cécile chambraud

L a Fashion Week deNew York s’est clôtu­rée, jeudi 17 septem­

bre, sur trois défilés ma­jeurs : Ralph Lauren, Calvin Klein et Marc Jacobs. Ces trois légendes nationales, bien entourées dans le ca­lendrier des collections prin­

temps­été 2016 par une génération très créative (Alexander Wang, Proenza Schouler, Phillip Lim, Hood by Hair en tête), ont prouvé que la mode made in USA n’avait rien perdu de sa vitalité. p

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Chez Ralph Lauren. BEBETO MATTHEWS/AP

La mode américaine

adoucit ses mœurs▶ Les défilés de la Fashion Week ont mis en valeur des « executive women » rêveuses

La « saison croisée » France­Corée, inaugurée, vendredi 18 septembre, au Palais de Chaillot, à Paris, ouvre, avec une longue série d’événements culturels, l’An­née de la Corée en France, jus­qu’en août 2016. Elle se pour­suivra, jusqu’au mois de décembre suivant, par une Année de la France en Corée.

Le Festival d’automne pro­pose ainsi, dès le 20 septem­bre, une cérémonie chamani­que au Théâtre de la Ville, à Paris, ou du « pansori » – récit chanté – aux Bouffes du Nord. La plupart des musées multi­plient les expositions, à Paris mais aussi à Lille, Metz, Marseille, Dijon, Saint­Etienne, Chambord…

Plongée à Séoul chez les créateurs d’une génération, celle qui a été le ferment de la « révolution de velours » et a enterré en 1987 la dictature militaire. p

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Les matins calmes dela saison croisée France­Corée

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Le FigaroUn grand divertissement spectaculaire.CatherineFrot formidable.

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Très drôle.Marie-France

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2 | international DIMANCHE 20 - LUNDI 21 SEPTEMBRE 2015

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Le pape François en visite d’espoir à CubaAprès avoir œuvré au rapprochement avec les Etats-Unis, l’Eglise espère cueillir les fruits de sa médiation

suite de la première page

C’est le coup de théâtre du 17 dé-cembre 2014, lorsque les prési-dents américain, Barack Obama,et cubain, Raul Castro, avaient an-noncé simultanément leur inten-tion de renouer des relations, qui a conduit quelques mois plus tardle Vatican à faire précéder la visitede François aux Etats-Unis par une étape dans l’île. Les deux chefs d’Etat avaient remercié le chef de l’Eglise catholique de ses bons offices pendant les négocia-tions. Le pape argentin avait en ef-fet mis à profit sa parfaite con-naissance de la situation régio-nale et les relations diplomati-ques ininterrompues du Vaticanavec l’Etat cubain depuis quatre-vingts ans pour jouer le rôle de fa-

cilitateur. Après Jean Paul II (1998), après Benoît XVI (2012), ilsera le troisième pape en dix-sept ans à se rendre dans l’île. Mais lepremier à pouvoir le faire dans uncontexte d’optimisme.

Le programme de la visite dedeux jours et demi en atteste : le pape ne va pas à Cuba « pour susci-ter la controverse » avec les autori-tés. Il s’y rend d’abord, souligne-t-on au Vatican, dans un esprit pastoral, pour « embrasser le peu-ple cubain », pour célébrer en quel-que sorte le début de la mise en œuvre du programme fixé en son temps par Jean Paul II. Lors de sa venue, le pape polonais avait ap-pelé Cuba à « s’ouvrir au monde » et« le monde à s’ouvrir à Cuba ».

En dehors de ses entretiens avecRaul Castro – qu’il a reçu en mai à

Rome –, des messes qu’il célé-brera à La Havane, Holguin et San-tiago, des rencontres qu’il aura avec le clergé de l’île, des jeunes à La Havane et des familles à Santi-ago, ne figure à l’emploi du tempsofficiel de François aucune de ces rencontres auxquelles il attache tant de prix – et qui auront lieu aux Etats-Unis – avec des détenus,des sans-abri ou des déshérités. Ceux-ci sont pourtant innombra-

bles dans ce pays à l’économie dé-vastée et où la misère se perçoit à chaque coin de rue.

Il est encore moins prévu decontact avec des Dames en blanc,qui demandent la libération desprisonniers politiques, ou encoreavec des témoins des drames de l’exil. Il n’y a pas si longtemps, le détroit de Floride a servi de sépul-ture à des balseros, ces Cubains quitentaient de gagner les Etats-Unis sur des embarcations dont toutes n’ont pas atteint leur destination. Pourtant, le thème des migrationsfigurera en bonne place dans la vi-site de François aux Etats-Unis. Il n’est cependant pas impossible que, comme il en est coutumier, lepape ajoute à cet agenda cubain une rencontre ou un geste impré-vus qui témoignent de ces préoc-

cupations. Un ajout en tout cas a été jugé « vraisemblable et prévisi-ble » par Federico Lombardi, le porte-parole du Vatican, mardi 15 septembre, à savoir une rencon-tre entre le pape et Fidel Castro, l’ancien chef révolutionnaire qui avait été séduit par Jean Paul II.

Dialogue discret

La prudence politique du pro-gramme pontifical à Cuba est le prolongement direct de la ligne suivie par l’Eglise cubaine depuis la révolution de 1959 : un dialogue discret avec le régime pour favori-ser une libéralisation politique en douceur. Les papes successifs ont soutenu cette option. Ils ont con-damné l’embargo économique imposé par les Etats-Unis. Benoît XVI l’avait qualifié d’« injuste et moralement inacceptable ». Fran-çois ne devrait pas déroger à la tra-dition. Mais les encouragements en faveur de la mise en œuvre des libertés fondamentales pour-raient être réservés à Raul Castro lors de leur entretien, dimanche après-midi. Le pape aura d’ailleurssans doute plusieurs occasions de lui faire passer des messages : ensortant de sa rencontre avec Fran-çois, à Rome, en mai, le président cubain avait déclaré qu’il se ren-drait « à toutes les messes » qu’il cé-lébrera dans l’île et que « si le pape continue à parler ainsi, un jour [il] recommencerai [t] à prier et retour-nerai [t] à l’Eglise catholique ».

L’Eglise locale a bénéficié decette ligne de conduite dans la me-sure où elle est demeurée la princi-pale organisation non étatique to-lérée, même si sa latitude d’action a connu des hauts et des bas. Béné-ficiera-t-elle de la nouvelle confi-guration politique qui émergera peut-être de la fin de l’isolement de l’île ? Le pape argentin vient aussi pour épauler l’Eglise cubaineet la conforter comme force so-ciale avec laquelle le pouvoir devracompter. A La Havane, pendant la messe sur la place de la Révolu-tion, cinq enfants recevront leur première communion des mains du pape, « signe d’espérance dans la croissance de l’Eglise », a précisé le père Lombardi.

Equateur, Bolivie et maintenant

A La Havane,mardi

15 septembre,les préparatifsavant la visite

du papeFrançois.

ANA RODRIGUEZ/AFP

L’Eglise locale

est demeurée

la principale

organisation non

étatique tolérée

La prudence controversée du cardinal Ortega

L es téléspectateurs cubainsn’avaient jamais vu ça :après deux heures d’entre-

tien, le 1er septembre, le journalisteAmaury Pérez a embrassé l’an-neau du cardinal Jaime Ortega, 78 ans, devant les caméras. La télé-vision d’Etat, la seule autorisée dans un pays où le parti unique dispose du monopole des médias, n’avait jamais accordé un tel traite-ment de faveur au chef local de l’Eglise catholique, alors que le pape François était attendu à La Havane le samedi 19 septembre.

Comme souvent avec Mgr Or-tega, la controverse s’est emparée des modalités et du contenu de cette interview, d’un côté comme de l’autre du détroit de Floride. La vieille génération de Cubano-Américains – « l’exil historique » –déteste l’actuel archevêque deLa Havane, comme s’il avait com-mis un sacrilège en remplaçant le cardinal Manuel Arteaga, morten 1963. Ce dernier avait fini réfu-gié dans une ambassade puis à la nonciature apostolique, à causedes persécutions contre les reli-gieux. Le jeune Ortega lui-même, à peine ordonné prêtre en 1964, a connu les camps militaires de

« rééducation » en 1966-1967.Né le 18 octobre 1936 à Jagüey

Grande, dans la province de Ma-tanzas, Jaime Lucas Ortega y Ala-mino est le fils d’un commerçant et d’une ménagère. Francophoneet francophile, il a été décoré de laLégion d’honneur par FrançoisHollande lors de sa visite, le 11 mai. Ses habits de dignitaire ec-clésiastique permettent de le re-pérer facilement dans les jardins de l’ambassade de France, où il estun habitué des 14-Juillet.

C’est le pape polonais Jean PaulII qui l’a fait évêque, en province, àPinar del Rio (1978), puis archevê-que de La Havane (1981) et enfincardinal (1994), le premier depuis la mort de Mgr Arteaga. Un an avant d’accéder au cardinalat,Jaime Ortega, le courageux arche-vêque de Santiago de Cuba, Pedro Meurice, et les autres évêques de l’île avaient signé une lettre pasto-rale, intitulée « L’amour espèretout », qui n’a guère été appréciée par le pouvoir et n’a jamais été dif-fusée par les médias officiels.

Pourtant, après une phase de re-pli, l’Eglise cubaine avait opéré un tournant en adoptant une « théo-logie de la réconciliation », propo-

sée au début des années 1980 par le prêtre français René David. Fidel Castro, à son tour, avait esquissé une ouverture dans ses entretiens sur la religion avec le Brésilien Frei Betto (1983), mettant fin au dogmede « l’athéisme scientifique ».

Le catholicisme cubain, fragilisépar la répression et par le syncré-tisme religieux, allait effectuer unlent retour grâce au prudent lea-dership de Jaime Ortega et au sou-tien constant du Vatican et del’Eglise des Etats-Unis. Trois papesauront visité Cuba, Jean Paul II (1998), Benoît XVI (2012) etaujourd’hui François, ce qui est énorme pour une île de 11 mil-lions d’âmes et très peu de fidèles.

Onctuosité et modération

A la demande de Raul Castro, frère cadet et successeur de Fidel, le car-dinal Ortega a joué le rôle de mé-diateur dans l’élargissement d’unecentaine de prisonniers politi-ques, en 2010, joignant chacun d’entre eux au téléphone pour les persuader de quitter le pays. Une libération conditionnelle critiquéepar une partie de la dissidence et par des exilés radicaux, mais qui a replacé l’Eglise au centre du jeu.

« Le cardinal a déclaré récem-ment qu’à Cuba il n’y avait pas de prisonniers politiques ni de société civile », déplore Berta Soler, porte-parole des Dames en blanc. Lorsde son entretien télévisé, Mgr Or-tega a poussé les euphémismes etles allusions à l’extrême, pour évoquer ce sujet tabou que sont les prisonniers politiques et leurs épouses (les Dames en blanc), ré-primées tous les dimanches à la sortie de l’église Sainte-Rita, pa-tronne des causes désespérées.

L’onctuosité du cardinal Ortega,la modération, sa pompe ecclé-siastique contrastent avec la dé-contraction tropicale et l’austéritécontrainte des Cubains. Lorsqu’ildit la messe à la cathédrale de La Havane, on compte plus de touristes que de paroissiens. « La controverse sur le chef de l’Eglisecubaine découle sans doute de l’at-tente excessive placée dans un mé-diateur extérieur, qui serait capa-ble de régler les problèmes de l’îleaprès un demi-siècle d’autorita-risme et d’économie sous perfu-sion, estime un diplomate occi-dental en poste à La Havane. Mais Cuba n’est pas la Pologne. » p

paulo a. paranagua

LE CONTEXTE

CUBALe pape François arrive à LaHavane samedi 19 septembre.Dimanche matin, il célébrera une messe sur la place de la Révolu-tion, puis s’entretiendra avec Raul Castro avant de rencontrer des jeunes dans un centre cultu-rel catholique. Lundi, il se rendra à Holguin puis à Santiago.

ÉTATS-UNISLe pape s’entretiendra avecBarack Obama mercredi 23 sep-tembre à la Maison Blanche. Jeudi, il prononcera un discours devant le Congrès et rencontrera des sans-abri. Vendredi à New York, il s’exprimera devant l’As-semblée générale des Nations unies et participera à une rencon-tre interreligieuse au mémorial de Ground Zero. Puis il rencon-trera les enfants de familles im-migrées dans une école de Har-lem. Le week-end, il participera à la rencontre mondiale des fa-milles à Philadelphie, où il rendra visite aux détenus d’une prison.

Cuba : en trois mois et deux voya-ges, le pape aura fait précéder son arrivée aux Etats-Unis par une vi-site chaleureuse à trois des paysdu continent les plus éloignés po-litiquement et les plus critiques du géant nord-américain, et où sa propre vision des dégâts du sys-tème économique mondialisé trouve un écho tout particulier. Après avoir demandé un change-ment radical « de style de vie, de production et de consommation »dans l’encyclique Laudato si’sur leclimat, en juin, après avoir appelé à opposer « une résistance active au système idolâtrique qui exclut,dégrade et tue » et dénoncé « la ty-rannie de l’idole argent », en juilletà Santa Cruz, en Bolivie, le pape s’emploiera ensuite, à partir demardi, à convaincre les catholi-ques américains. p

cécile chambraud

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0123DIMANCHE 20 - LUNDI 21 SEPTEMBRE 2015 international | 3

Le Japon révolutionnesa défense dans la controverseLe Parlement a adopté des lois facilitant les interventions armées

tokyo - correspondance

Echauffourées, coups bas,manifestations, pétitions,motions de censure…l’adoption par la Diète des

lois controversées sur la sécurité nationale clôt des mois de débats tendus. La Chambre haute les a vo-tées à 2 h 18 du matin, heure locale,samedi 19 septembre. La Chambre des représentants s’étant pronon-cée le 16 juillet, les textes sont défi-nitivement adoptés malgré le rejetqu’ils suscitent au sein d’une ma-jorité de la population. Le premier ministre japonais, Shinzo Abe, a salué des textes « nécessaires pour protéger la vie des gens et un quoti-dien pacifique ».

Le gouvernement était déter-miné à les faire passer avant le week-end, pour éviter l’intensifi-cation des manifestations alorsque débute une semaine de congés. La journée de vendredi a été marquée par le dépôt de plu-sieurs motions de censure, l’op-position ayant tout fait pour re-tarder l’échéance. Ses dirigeantsont enchaîné les discours-fleuves.

La veille, les deux formations aupouvoir, le Parti libéral démocrate(PLD) et son allié, le Komei, avaientréussi à faire voter le texte en com-mission, en utilisant des subterfu-ges comme celui de changer unesalle de réunion sans en avertir l’opposition. S’en était suivie une échauffourée au moment du vote,en présence d’un M. Abe impassi-

ble. « Une adoption dans un tel cli-mat de violence, a par la suite réagiTetsuro Fukuyama, secrétaire gé-néral adjoint du Parti démocrate du Japon (PDJ), c’est la mort de la démocratie dans notre pays. »

Les sondages montrent que plusdes deux tiers des Japonais – pro-fondément attachés au pacifisme en vigueur depuis la guerre – res-tent hostiles à ces textes. Beau-coup craignent de voir le Japons’embarquer dans des conflits me-nés par les Etats-Unis à travers le monde. Ils citent la guerre en Irak,lancée par les Américains en 2003,avec l’appui de Tokyo. Cette hosti-lité explique la forte baisse de la cote de popularité de Shinzo Abe,tombée à 36 %, selon un sondage réalisé mi-septembre par le quoti-dien de centre gauche Asahi.

La mobilisation s’est intensifiéeau fil des mois. D’importantesmanifestations ont mobilisé plu-sieurs dizaines de milliers de per-sonnes. Depuis le 14 septembre, leParlement est, malgré une impo-sante présence policière, assiégé par les manifestants. Le matin

du 19, il n’y avait plus personne.Outre la remise en cause du paci-

fisme, ces lois sont considérées comme contraires à la Constitu-tion. « C’est le principal problème de ces textes, souligne Aki Okuda, l’un des dirigeants des SEALDs (Ac-tion d’urgence étudiante pour unedémocratie libérale), une organi-sation étudiante en pointe dans le mouvement d’opposition. Si l’on accepte le principe de la démocra-tie parlementaire, il faut respecter la Constitution. »

Mini-révolution

Plusieurs dizaines de spécialistes de droit constitutionnel se sont mobilisés pour critiquer ces pro-jets. Le 14 septembre, 75 juges re-traités sortis exceptionnellement de leur réserve ont présenté un texte qui considère les projets comme allant « à l’encontre des principes de la démocratie ».

M. Abe les a ignorés, déclarant lejour-même qu’avec le temps, les gens finiraient par soutenir l’ini-tiative. Quoi qu’il en soit, le Japon vit là une mini-révolution. Pour la

première fois depuis la fin de la guerre en 1945, il se donne le droitde participer à des systèmes de défense collective.

Ce projet était un objectif majeurde Shinzo Abe, qui veut faire de l’Archipel un « pays normal ». Pour le gouvernement, soutenu par les Etats-Unis, favorables à un rôle ac-cru du Japon dans les affaires in-ternationales, il s’agit de répondreà « un environnement sécuritaire qui a fondamentalement changé autour du Japon ». Tokyo s’in-quiète notamment de l’intensifi-cation des activités maritimes de la Chine. Les deux voisins se dis-putent la souveraineté sur les îlotsSenkaku (Diaoyu pour les Chi-

nois), en mer de Chine orientale.Cette inquiétude vis-à-vis des

activités chinoises est partagée par certains pays d’Asie du Sud-Est, comme les Philippines, qui ont salué la décision nippone. APékin, on considère que ces nou-veaux textes pourraient « compli-quer » l’environnement sécuri-taire régional.

Au fil des débats, certaines mo-difications ont été apportées. A la Chambre haute, trois partis d’op-position ont obtenu, entre autres,le renforcement du rôle du Parle-ment pour le déploiement des forces d’autodéfense japonaises (FAD) à l’étranger. Pour en arriver là, le gouvernement avait com-

Deux tiers

des Japonais,

attachés au

pacifisme,

restent hostiles

à ces textes

Au Brésil, Lula tend la mainà la présidente Dilma RousseffMme Rousseff pourrait être destituée dans le cadre de l’affaire Petrobras

sao paulo (brésil) - correspondante

P résident chéri des Brési-liens de 2003 à 2010, dé-fenseur de la classe

ouvrière, fondateur du Parti des travailleurs (PT, gauche), Luiz Ina-cio Lula da Silva vole au secours deDilma Rousseff, présidente (PT) la plus impopulaire depuis le retour de la démocratie. Pragmatique,l’ancien syndicaliste appuiera dé-sormais sans ambiguïté la politi-que d’austérité de sa successeure, quitte à froisser la base électorale de son parti.

« Bien qu’il ne soit pas d’accordavec certains points de l’ajuste-ment budgétaire proposé par le gouvernement, Lula s’est engagé à aller au sacrifice et à défendre plus franchement les mesures annon-cées », indiquait, vendredi 18 sep-tembre, le quotidien Folha de Sao Paulo, citant des sources proches de l’ancien président. Contacté,l’Institut Lula, créé par l’ancienchef d’Etat, n’a pas souhaité fairede commentaires.

Il s’agit d’un virage tactique de lapart de Lula qui ne s’était pas privé,jusqu’ici, de critiquer la politique de rigueur mise en place par la pré-sidente et son ministre de l’écono-mie, le très orthodoxe Joaquim Levy. Ce dernier, formé à Chicago, a mis sur pied un plan d’écono-mies budgétaires drastique, com-posé de 24,7 milliards de reals (5,5 milliards d’euros) de réduction

des dépenses et de 40,2 milliards de reals de recettes supplémentai-res. Une cure justifiée par la réces-sion et les difficultés budgétairesdu géant d’Amérique latine, qui re-doute la colère des marchés finan-ciers. La dégradation de la note du pays par l’agence américaine Stan-dard & Poor’s, le 10 septembre, éti-queté comme un potentiel mau-vais payeur, n’a fait qu’amplifier lezèle de M. Levy et de la présidente, prêts à rogner dans les program-mes sociaux.

Situation « gravissime »

Dénigrée, isolée, menacée de des-titution (impeachment), pousséepar ses adversaires à la démission,Dilma Rousseff n’avait pu, jus-qu’ici, trouver appui auprès deson mentor. Il y a une semaine en-core, Lula avait critiqué les pre-mières mesures annoncées, sou-lignant leurs méfaits potentiels sur l’emploi. Cette posture per-mettait à l’ancien président de conserver l’adhésion de la base duPT, s’estimant trahie, pour préser-ver ses chances lors d’une pro-chaine élection présidentielle.

Si Lula aujourd’hui est prêt à secompromettre avec Dilma Rous-seff et sa politique de rigueur, c’estque la situation est grave. « Gravis-sime », aurait dit l’ex-président. Lula croit désormais à la possibi-lité d’une destitution et se batpour l’éviter. Jeudi, il se serait en-tretenu à Brasilia avec celle qui fut

sa protégée pour élaborer une stratégie et éviter qu’une procé-dure de destitution ne soitouverte à la Chambre des députés.Le lendemain, il rencontrait leprésident de la Chambre des dé-putés, Eduardo Cunha (du Parti du mouvement démocratique brésilien, PMDB, centre), pour plaider son appui.

Lula cherche à apaiser les ten-sions entre les partis de la coali-tion gouvernementale de centre gauche, à laquelle appartient le PMDB. Il veut aussi éviter que la rue ne s’embrase. Trois fois déjà cette année, des centaines de mil-liers de manifestants anti-Dilma et anti-PT ont battu le pavé dans les grandes villes du pays pour ré-clamer le départ de la présidente et d’un parti au pouvoir depuisdouze ans, entaché par l’affaire decorruption Petrobras.

« L’échec de Dilma, c’est la fragili-sation du PT, de Lula et de sa capa-cité à rester au pouvoir », résumeCaio Navarro de Toledo, profes-seur de sciences politiques à l’uni-versité de Campinas. « Dilma est un produit de l’école Lula. Si elle tombe, le PT restera dans l’histoire pour de mauvaises raisons », abonde Marco Antonio Carvalho Teixeira, politologue à la fonda-tion Getulio Vargas. L’ex-prési-dent semble jouer une dernière carte pour redorer son image, etcelle de son parti. p

claire gatinois

Manifestationcontre les lois

sécuritairesà Tokyo, le

18 septembre.YUYA SHINO/REUTERS

mencé par réviser en juillet 2014l’interprétation de l’article 9 de la Constitution, affirmant le renon-cement à la guerre.

Il s’est ensuite attelé à modifiercertains cadres législatifs, notam-ment l’acte sur les FAD, pour leur permettre d’intervenir à l’étran-ger, éventuellement pour porter secours à un allié. Le nouvel arse-nal législatif doit faciliter les inter-ventions dans le domaine sécuri-taire, en cas de prise d’otages hors du Japon ou pour des opérationsde maintien de la paix. Il doitaussi « renforcer l’aspect dissuasifen Asie-Pacifique de l’alliance nip-po-américaine ». p

philippe mesmer

D ’ A P R È S L E B E S T - S E L L E R D E V E R A B R I T T A I N

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V I K A N D E R

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4 | international DIMANCHE 20 - LUNDI 21 SEPTEMBRE 2015

0123

Attentat de Bangkok : la piste djihadiste ouïgoureLes activistes ouïgours fuyant la Chine transitent par Bangkok avant de se rendre en Turquie, et parfois en Syrie

pékin - correspondant

Le Parti islamique duTurkestan (PIT), princi­pale franchise terroristeouïgoure avérée, est-il

derrière l’attentat de Bangkok du 17 août ? La montée en puissance récente de ce groupuscule affilié àAl-Qaida sur le théâtre syrien le place, lui ou ses alliés, sur la liste des possibles commanditaires.

Les deux hommes soupçonnésà ce stade d’avoir eu un rôle déter-minant dans l’organisation de l’attentat sont ouïgours – un seula été arrêté, l’autre est en fuite. Mardi 15 septembre, à Bangkok, le chef de la police thaïlandaise a avancé comme mobile qu’une « filière de trafiquants » a agi « en représailles » contre le démantèle-ment de leur réseau en mars 2014 : près de 400 clandes-tins ouïgours souhaitant gagner la Turquie, dont une majorité de femmes et enfants, avaient été in-terceptés dans le sud de la Thaïlande. En juillet, Bangkok avait finalement envoyé 173 fem-mes et enfants en Turquie, mais expulsé 109 hommes en Chine– une décision qui a conduit au saccage du consulat thaïlandaispar des manifestants à Istanbul.

Les Ouïgours, turcophones etmusulmans, constituent la popu-lation autochtone du Xinjiang, ré-gion de l’ouest de la Chine, où Pé-kin réprime tout aussi brutale-ment les milieux islamisants que les cercles laïques et intellectuels.

Aucun groupe n’a revendiquél’attentat, ni le PIT ni d’autreséventuels complices dans la mou-vance islamo-nationaliste turque. En Chine, Pékin reste muet à ce stade, faisant valoir que « l’enquêteest en cours ». Seul le quotidienchinois Global Times a évoqué dans un article du 9 septembre, ef-facé depuis, une piste ETIM (ou Mouvement islamique du Turkes-tan oriental, une autre désigna-tion du PIT que la Chine préfère, car elle figure sur la liste des orga-nisations terroristes de l’ONU) : ce-lui-ci accuse la Turquie de servirde « sanctuaire aux terroristes de l’ETIM ». Les attaques chinoises

peuvent contenir des éléments devérité, mais sont souvent à l’em-porte-pièce et sans preuves.

« Dommage collatéral »

Une chose est certaine, Pékin ne cesse, depuis l’affaire des clandes-tins ouïgours de Thaïlande, de dé-noncer le rôle de la Turquie dans la régularisation des réfugiésouïgours et l’octroi discret de pa-piers dans des pays tiers pour ga-gner la Turquie : de là à dire que cette dernière, dont le jeu est am-bigu en Syrie, instrumentaliserait cette filière djihadiste dans soncombat contre le régime de Ba-char Al-Assad, il n’y a qu’un pas.

Certes, la majorité des Ouïgoursfuyant les persécutions restent enTurquie, notamment à Kayseri,où ils sont pris en charge par les ONG de la diaspora. Pour Ankara, l’exode de Chine de clans entiers

d’Ouïgours est d’autant plus légi-time que Pékin a imposé ces der-nières années des restrictions ex-trêmement discriminatoires à l’obtention de passeports par les Ouïgours. Ces restrictions ali-mentaient un ressentiment in-tense au Xinjiang – elles viennent,étonnamment, d’être assouplies au mois d’août par la Chine.

Or, cet exode semble bien aussialimenter les canaux de recrute-ment de djihadistes. Les représen-tants de la diaspora ouïgoure laï-que et prodémocratique s’alar-ment ainsi régulièrement de la vulnérabilité de certains réfugiés. « Qui est derrière le PIT ? La Chine, la Turquie ? Les Ouïgours sont un dommage collatéral de tout cedésordre ! », nous confiait récem-ment l’un d’entre eux.

« Je penche pour la thèse selon la-quelle les mêmes réseaux de trafi-

quants impliqués dans l’attentat de Bangkok servent bien à faire venir des Ouïgours en Syrie, dont certains rejoignent le PIT », estime Jacob Zenn, un spécialiste du dji-hadisme à la Jamestown Founda-tion qui a étudié l’émergence duParti islamique du Turkestan. Il écarte toutefois l’hypothèse « d’une connexion directe entre le PIT et l’attentat de Bangkok car iln’y a aucun précédent d’attaquesdu PIT en Asie du Sud-Est, et que le PIT n’en a clairement pas reconnu la responsabilité ».

De plus en plus actif en Syrie

Dans ses publications relais comme le Bulletin islamique du Turkestan oriental, le PIT fait re-monter sa filiation au soulève-ment de Baren (Xinjiang) du 5 avril 1990, maté dans le sang ; 1996 marque la migration vers

l’Afghanistan, sous la direction d’Hassan Mahsun (tué en 2003) aunom du « djihad afghan ». Puis viendra, à partir de 2012, la partici-pation à la « guerre glorieuse du peuple syrien contre le régime bru-tal de Bachar Al-Assad ». Dans une interview accessible sur Facebook, un cadre du PIT, Ibrahim Mansour,expliquait en 2014 la difficulté pour les combattants ouïgours d’agir au Xinjiang, où ils n’ont ac-cès « qu’à des couteaux », et l’im-portance de les faire venir en Syrie pour « s’entraîner et se former ».

Alors que le Pakistan a récem-ment assuré à la Chine avoir « net-toyé » le Waziristan, longtemps base arrière des djihadistes ouïgours, lors de l’offensive ter-restre de juin 2014, le PIT est de plus en plus actif en Syrie, où sa division syrienne, la katiba Tur-kistani, combat le régime Assad

A Bobo Dioulasso, la rue rejette le coup d’EtatLa junte militaire ne contrôle qu’une partie du Burkina Faso

bobo dioulasso (burkina faso) -

envoyé spécial

I ls ont chaud, ils ont soif, maisils jurent qu’ils ne lâcherontpas. Ils n’ont pas peur et pour

cause, les forces de l’ordre sont in-visibles. « Ici, l’armée est républi-caine », proclame Youssouf Sirima,qui se dit chef de « l’armée civile » de Banfora. A la tête d’un groupe d’une dizaine de chenapans qui nedemandent pas mieux que de s’ériger en gardiens de la démocra-tie, ce « commerçant pour ainsi dire » contrôle une barrière de pneus et de branchages à l’entrée de cette ville, située à une cinquan-taine de kilomètres de la frontière ivoirienne. « Peut-être que des gensmalveillants ou des terroristes peu-vent s’infiltrer dans la ville. » « Les terroristes ce sont les putschistes àOuagadougou », précise-t-il.

En cela, il reprend les termes del’Union africaine, qui a qualifié, vendredi 18 septembre, les auteursdu coup d’Etat au Burkina Faso de « terroristes ». La libération annon-cée, quelques heures plus tôt, du président de transition, Michel Ka-fando, et de plusieurs de ses minis-tres, à l’exception du premier mi-nistre Isaac Zida, après deux jours de séquestre, n’a pas eu beaucoup d’effet. Les membres de la junte du « Conseil de défense de la démo-

cratie » ont également été interditsde voyager et leurs avoirs ont été gelés.

A Bobo Dioulasso, la deuxièmeville du pays, la nouvelle a été co-pieusement applaudie sur la place Tiefo-Amoro. En début de soirée, ils étaient encore près de 200 ma-nifestants réunis sous une pluie fine pour écouter les mots d’ordre lancés par les meneurs de la con-testation dans une cité où les ad-ministrations, les boutiques et « même les coiffeuses » ont tiré le ri-deau pour répondre à l’appel à la grève lancé par les centrales syndi-cales.

« La flamme de la démocratie »

Il y a là, juchés sur une estrade ins-tallée au-devant de la gare, les re-présentants du Balai citoyen, du Mouvement des jeunes en vert, des Brassards rouges. L’heure du couvre-feu est dépassée mais surla place, tout le monde s’en fiche. Le temps est aux slogans révolu-tionnaires, aux poings levés et à la défense des autorités renversées par les hommes du Régiment de sécurité présidentielle (RSP).

« La patrie ou la mort, nous vain-crons », rugit un orateur du soir. Le RSP et le nouvel homme fort du pays, le général Gilbert Diendéré, sont vilipendés. « Le salopard va bientôt démissionner », promet

l’un des meneurs du rassemble-ment. « On casse rien. On brûle rien.On pille rien », proclame un autre. « RSP = Ebola », indique une pan-carte. La mobilisation reprend les moyens classiques _ mégaphone, distribution de tracts _ mais aussi plus modernes, avec l’utilisation des réseaux sociaux ou de « SMS relais ».

« Ça fait trois jours qu’on est làpour tenir la flamme haute de la dé-mocratie jusqu’à ce que le RSP cède.Nous avons pris notre QG [quartiergénéral] sur la place parce qu’il y a des mouvements qui nous échap-pent », raconte « la Fouine », un grand échalas qui coordonne les actions du Balai citoyen dans la ré-gion. Fin octobre 2014, ce mouve-ment avait été en première ligne dans la contestation ayant abouti au départ de l’ancien président Blaise Compaoré. Si des villas depersonnalités du régime déchu ont été incendiées, « ce n’est pas

« Même les

coiffeuses » ont

répondu à l’appel

à la grève dans

la deuxième ville

du pays

La policescientifique

procède àdes analysessur le site de

l’attentatqui a frappéBangkok, le

17 août.MARK BAKER/AP

LES DATES

201328 octobre

Un attentat sur la place Tianan-men, à Pékin, fait cinq morts.Les autorités chinoises l’attri-buent aux djihadistes ouïgours du Mouvement islamique du Tur-kestan oriental (ETIM), également connu sous l’appellation de Parti islamique du Turkestan (PIT).

20141er mars

Une attaque d’un groupe de huit personnes armées de couteaux provoque la mort de vingt-neuf personnes à la gare de Kunming, dans le sud-ouest de la Chine. Pékin accuse l’ETIM.

– qu’il décrit comme soutenu par la Chine – au côté du Front Al- Nosra (affilié à Al-Qaida) et d’unekyrielle d’autres bataillons isla-mistes. Les sites professionnels desurveillance de la propagande is-lamique, comme SITE, ou The Long War Journal, ont chroniqué ses faits d’armes récents – notam-ment à Idlib – et les fréquentes « louanges » de ses chefs au sujetd’une partie des actions violentes répertoriées au Xinjiang.

Une politique de revendicationaléatoire, qui laisse planer le doute : « Si c’est eux [à Bangkok], il est possible qu’ils prennent leurtemps », estime Caleb Weiss, un contributeur au Long War Jour-nal : « On l’a vu avec l’attaque au couteau de la gare de Kunming en mars 2014, qu’ils n’ont pas entière-ment revendiquée. » Celle-ci a étéattribuée par la Chine à des djiha-distes frustrés dans leur tentative de sortir clandestinement du pays. « Dans l’hypothèse où c’est le PIT, ils peuvent aussi souhaiter at-tendre que certains des auteurssoient en lieu sûr, ou de voir où va l’enquête », poursuit M. Weiss. p

brice pedroletti

une bonne chose, mais c’est la vo-lonté du peuple qui s’exprime », es-time ce professeur de philosophie.

A quelques centaines de mètresde là et quelques heures plus tôt, les manifestations se sont trans-portées devant le camp militaire de la ville. Les femmes ont sorti leurs spatules pour afficher leur hostilité à la junte. Nathanaël Ya-méogo, un étudiant, estime, comme ceux qui l’entourent, qu’« il n’y a pas de tolérance ou de négociation possibles avec les auteurs d’un coup d’Etat » et que la revendication, par la junte, d’élec-tions inclusives « n’est qu’un pré-texte pour échapper à la justice ».

A la différence de la capitale oùles hommes du RSP tirent sur les protestataires, les soldats canton-nés à Bobo Dioulasso les laissent agir. Le commandant de la région militaire observe une prudente ré-serve. Alors que la colère s’étend dans le pays, la junte ne maintient jusque-là qu’un contrôle partiel dela capitale. Le RSP est l’unité la mieux formée et la mieux équipéedu pays, mais les 1 200 à 1 300 hom-mes qui le composent n’ont pas lesmoyens d’étendre leur emprise sur tout le Burkina Faso. Quelle at-titude observera le reste de l’ar-mée ? C’est l’une des clés de l’échec ou du succès du coup d’Etat. p

cyril bensimon

VENEZUEL AUn avion de combat s’écrase près de la frontière colombienneUn avion militaire vénézué-lien Soukhoï 30 s’est crashé près de la frontière avec la Colombie, a annoncé le mi-nistère de la défense, ven-dredi 18 septembre, à Caracas. Les deux pilotes de l’avion de combat sont morts.

Le président vénézuélien, Nicolas Maduro, avait fermé une bonne partie de la fron-tière en août, décrété l’état d’exception et expulsé des immigrés colombiens, provo-quant ainsi une crise diplo-matique avec Bogota.Les présidents des deux pays voisins devraient se rencon-trer, lundi, en Equateur. – (EFE, AP.)

Le pape contrele « fumier du diable»

Par Jean-Michel Dumay

SEPTEMBRE 2015

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6 | international & europe DIMANCHE 20 - LUNDI 21 SEPTEMBRE 2015

0123

Le désenchantement de la jeunesse grecqueLes Grecs, partagés entre déception et indifférence, votent de nouveau dimanche pour élire leurs députés

athènes - correspondance

Ils sont bien sérieux au mi­lieu de leurs livres, de leursexercices de mathématiqueset de théorie informatique.

La plupart de leurs copains sont à la mer en attendant une reprisede la fac qui se fait attendre, mais Lefteris et Nikos ont choisi, eux, de se plonger dès à présent dans leprogramme de leur année d’uni-versité à venir. Et c’est ensemble, entre deux pauses-café et guitare, qu’ils révisent, enfermés dans l’appartement familial du quar-tier résidentiel de Metamorfosi, au nord d’Athènes.

« Je suis étudiant en systèmesélectroniques à la fac d’ingénieurs de l’université du Pirée, expliqueainsi Lefteris Papageorgiou, 19 ans.Ma famille a fourni un effort consi-dérable pour me permettre d’accé-der à cette école et je me dois de réussir. » Ces deux frères veulent y croire, même s’ils savent que trou-ver un emploi s’annonce difficile en Grèce. « Il y a toujours plus de50 % de chômage chez les jeunes. J’espère que d’ici à ce que j’aie ter-miné la fac, les choses iront mieux. Mais à ce rythme-là, on n’est pas près de s’en sortir ! », ironise Nikos.

Les élections législatives de di-manche ? Une préoccupation se-condaire pour ces jeunes hommessi résolument occupés à se cons-truire un avenir. Aux élections de janvier, Lefteris avait pourtantvoté avec enthousiasme pour le parti de la gauche radicale Syriza. « Aujourd’hui, j’ai le sentiment d’avoir été trahi, d’avoir été trompé par quelqu’un à qui j’avais donné toute ma confiance », reconnaît-il, une lueur de colère dans les yeux. Lefteris n’ira peut-être pas voter dimanche. Il ne sait pas encore.

Nikos, lui, n’avait déjà pas votéen janvier. « Personne pour me re-présenter, dit-il. La plupart de mes copains ont voté pour Syriza, mais moi, je pensais qu’il n’arriverait à rien parce qu’il promettait trop.Pour autant, je ne voulais pas voternon plus pour ceux qui nous ont menés à la catastrophe. Alors je mesuis abstenu. Et je vais certaine-ment faire pareil cette fois-ci. »

En promettant d’en finir avecl’austérité, de bouter hors de Grècela très détestée « troïka », mais aussi de préserver un système pu-blic d’éducation gratuit, un der-nier point qui parle beaucoup aux jeunes en Grèce, le premier minis-tre, Alexis Tsipras, avait réussi à fé-dérer le vote de plus de 30 % des 18-34 ans. Selon un sondage paru ily a quelques jours dans le quoti-dien grec Ethnos, ils ne seraientplus que 18,6 % à le suivre.

Le plus étonnant chez ces jeunesest la tristesse et la résignation quitraversent leurs regards. Comme si l’échec de Syriza à changer le sys-tème, en Grèce comme en Europe,avait éteint leurs rêves. « C’est exac-tement ce que je ressens, avoue Lefteris. Après ces cinq années très angoissantes, Syriza, c’était un es-poir fort, qui s’est fracassé en moinsde six mois. Que nous reste-t-il ? Vers qui nous tourner ? »

« Génération Grigoropoulos »

Cette question, Andonis Papange-lopoulos, 25 ans, étudiant en ar-chitecture, se l’est aussi posée le 13 juillet au petit matin, lorsque Alexis Tsipras a annoncé, aprèsune très longue nuit de négocia-tions à Bruxelles avec les créan-ciers, avoir signé un nouveau pland’austérité. « J’ai ressenti une grande angoisse pour le jour d’après, explique ce jeune homme. Si Syriza ne peut pas don-ner une réponse claire et perd la bataille, qui va remplir le vide laissé par Syriza contre les politi-ques d’austérité ? Les nazis d’Aube dorée ? Pourquoi la gauche a-t-elle gâché cette opportunité historique

par ce revirement. »Un temps, Andonis a pensé ren-

trer chez lui, se concentrer sur ses études et laisser tomber la politi-que. Et puis, fin août, Panagiotis Lafazanis, un dissident de Syriza,a créé un nouveau parti, l’Unionpopulaire, qui reprend le flam-beau de la lutte antiaustérité. « J’aialors rejoint Lafazanis, non pastant pour lui, mais parce que je crois qu’une véritable politique de gauche ne peut pas s’exprimerdans le cadre d’un mémorandumet de l’austérité. Je crois qu’on n’a pas le droit de se détourner de lapolitique. Parce que les autres, ceux qui sont à l’opposé de ce que jecrois, eh bien eux, ils continuent. »

Zoé Makrigianni, elle, a longue-

ment hésité à prendre ses distan-ces, comme nombre de jeunes militants de Syriza : « Finalement,je suis restée, parce que je pense que la gauche doit s’accrocher dans les situations difficiles et qu’ilfaut lutter de l’intérieur, même si on n’aime pas ce qui se passe. » Zoése souvient du référendum du 5 juillet, sur les propositions descréanciers de la Grèce, comme d’un jour de fête. « Ce soir-là, nous avons été 62 % à dire non à l’austé-rité, non à l’humiliation, non auchantage, non aux forces conser-vatrices du pays qui voulaient nous imposer quoi penser. » Et pourtant, quelques jours plus tard, Alexis Tsipras cédait et si-gnait un nouveau mémorandum.

« Evidemment que ce moment a été très douloureux, mais avions-nous le choix ? J’ai beaucoup pleuréce jour-là, mais j’ai aussi trouvéAlexis courageux et responsable. »

Ces derniers jours, AlexisTsipras en campagne s’est dé-mené pour convaincre cette jeu-nesse désenchantée, tentée par l’abstention, de lui donner une se-conde chance. « Ils n’ont rien com-pris une nouvelle fois, lance, fié-vreux, Konstantinos, un tout jeune homme venu se renseigner au kiosque de campagne du grou-puscule d’extrême gauche Antar-sya. En refusant de voter, on leur dit à tous : foutez le camp et lais-sez-nous le champ libre ! » p

adéa guillot

Dans les rues d’Athènes, devant un stand du parti de la gauche radicale Syriza, vendredi 11 septembre. MICHALIS KARAGIANNIS/REUTERS

Le déploiement militaire russe en Syrie inquiète IsraëlLe premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, devait être reçu lundi, à Moscou, par le président Vladimir Poutine

moscou, jérusalem -

correspondants

E n juin 2014, le Kremlin aproposé d’installer une li-gne rouge sécurisée le re-

liant au bureau du premier minis-tre israélien, attribut des interlocu-teurs de marque. Mais rien ne vautun tête-à-tête lorsque l’heure est grave. Benyamin Nétanyahou est attendu à Moscou, lundi 21 sep-tembre, pour une entrevue avec Vladimir Poutine, huit jours avant que le président russe n’inter-vienne à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies pour lancer un appel au rassemblementcontre l’organisation Etat islami-que (EI).

L’annonce de ce déplacementinattendu a été précédée par des articles dans la presse israélienne

puisés aux meilleures sources. Ils relayaient les inquiétudes officiel-les sur les conséquences du renfor-cement militaire russe en Syrie, ausecours du régime de Bachar Al-Assad.

Les indices de ce déploiements’accumulent, sur la base de Tar-tous mais aussi à Lattaquié, fief du clan Assad. Un millier de soldats russes seraient attendus, avec des avions de chasse Mig-29 et des bat-teries de défense aérienne SA-22. Selon une source israélienne, des hélicoptères de type Mi-28, avec vi-sion nocturne, sont déjà sur place. La Russie examinera « naturelle-ment » la possibilité d’envoyer des troupes si Damas en fait la de-mande, a commenté, vendredi 18 septembre, Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin.

Sur le fond, Israël n’y trouvera

pas à redire, croit savoir Fiodor Loukianov, directeur de la revue LaRussie dans la politique globale et membre du Conseil pour la sécu-rité et la défense de la Russie. « Le pouvoir qui remplacerait Assad se-rait sans doute encore pire pour lui que l’actuel, avec lequel Israël était parvenu à un certain statu quo. Né-tanyahou est donc peu ou prou sur la même ligne que Poutine », obser-ve-t-il.

M. Nétanyahou ne peut s’oppo-ser à ce déploiement, pour l’heure à vocation défensive, destiné à em-pêcher une avancée djihadiste versles zones vitales côtières. Le pre-mier ministre cherche à s’assurer d’une forme de coordination opé-rationnelle, tant le nombre d’inter-venants extérieurs complique la donne en Syrie. Selon Sarah Fain-

berg, de l’Institut pour les études nationales de sécurité, à Tel-Aviv, « Nétanyahou veut négocier avec la Russie un futur ordre régional ». « C’est ce que tout le monde essaie de faire, les Saoudiens comme les Turcs ou les Egyptiens. Aujourd’hui,Israël entre dans la conversation. »

Renforcement de l’Iran

Cet engagement russe risque aussi, aux yeux de Tel-Aviv, de con-solider l’emprise régionale de l’Iran et de renforcer le Hezbollah, la milice chiite libanaise ennemie d’Israël et engagée aux côtés de l’armée syrienne. L’Etat hébreu a tenu, depuis quatre ans, à ne pas apparaître comme un acteur dans le chaos syrien. Mais il veille à évi-ter tout débordement de violence sur le plateau frontalier du Golan, qu’il occupe, ainsi qu’à empêcher tout transfert d’armes sophisti-quées vers la milice libanaise, con-sidérée comme une excroissance du régime iranien. Le Hezbollah, dont « cinq à sept mille hommes » sont engagés en Syrie, selon une source israélienne bien placée, a, par exemple, utilisé dans le passé des missiles antichar Kornet, de fa-brication russe, contre l’armée is-raélienne.

« De façon non officielle, Israël abombardé à 14 reprises les convois d’armements destinés au Hezbol-

« Le pouvoir

qui remplacerait

Assad serait sans

doute encore pire

pour Israël

que l’actuel »

FIODOR LOUKIANOV

directeur de « La Russie dans la politique globale »

que l’on ne retrouvera peut-être ja-mais ? »

Andonis était alors très actifdans le mouvement de jeunesse de Syriza. Il appartient à cette gé-nération que l’on appelle la « gé-nération Grigoropoulos », dunom de cet adolescent de 15 ans assassiné le 6 décembre 2008 parun policier. « J’avais 17 ans à l’épo-que et, comme presque tous lesgens de mon âge, la mort d’Alexis nous a jetés dans la rue et a mar-qué le début de mon engagement en politique. » A l’époque, Syrizaest dans l’opposition et se placeaux côtés de cette jeunesse en co-lère. « M’engager pour Syriza étaitnaturel et j’ai vraiment beaucoup donné. Je suis terriblement déçu

lah, souligne la chercheuse Sarah Fainberg. Il s’agit d’une guerre non avouée avec l’Iran. Or le fait que Moscou décide de protéger le terri-toire encore contrôlé par Assad ren-force les positions de l’Iran dans la région. » La coordination entre Ira-niens et Russes dans leur déploie-ment militaire en Syrie est ac-quise, selon les responsables israé-liens. Ils évoquent notamment les deux visites à Moscou du général Ghassem Soleimani, le chef d’Al-Qods, la force iranienne secrèted’intervention extérieure, qui aurait déjà engagé des centaines d’hommes en Syrie. « Non, je ne peux pas confirmer [sa venue]. Je n’ai pas de telles informations », a éludé M. Peskov, de nouveau inter-rogé sur le sujet le 15 septembre.

Un sujet bilatéral reste très sensi-ble : la menace d’une livraison de missiles S-300 par la Russie à l’Iran,

d’ici à la fin 2015. En 2010, Moscou avait gelé ce contrat, mettant en avant les sanctions internationa-les contre Téhéran. Au cours de sa précédente visite à Moscou en no-vembre 2013, M. Nétanyahou avait tenté, en vain, de convaincre M. Poutine d’annuler la vente. L’en-tretien, qui avait pris fin à minuit après trois heures d’échanges, s’inscrivait dans une offensive di-plomatique israélienne sur le nu-cléaire iranien, à la veille de négo-ciations cruciales à Genève.

Mais en avril, après l’accord-ca-dre de Lausanne sur ce pro-gramme nucléaire, M. Poutine a estimé qu’il n’y avait plus de rai-son valable empêchant la réalisa-tion du contrat. Selon plusieurs sources, la livraison des missiles S-300 pourrait intervenir « avant la fin de l’année », à condition que les parties s’accordent sur le prix. Le règlement de ce contentieux per-mettrait de préserver les intérêts de la Russie lors de l’ouverture du marché iranien. Le président Has-san Rohani a fait partie des invités de marque de Vladimir Poutine lors du sommet d’Oufa, dans l’Oural, au mois de juillet. C’est alors que le chef du Kremlin avait lancé son idée d’une coalition al-ternative contre l’EI. p

isabelle mandraud

et piotr smolar

« Qui va remplir

le vide laissé

par Syriza contre

les politiques

d’austérité ?

Les nazis d’Aube

dorée ? »

ANDONIS PAPANGELOPOULOS

étudiant en architecture

Discussions américano-russes

Le secrétaire américain à la défense a appelé son homologue russe, vendredi 18 septembre, pour évoquer la situation en Syrie, où la Russie a sensiblement accru son soutien militaire au régime Assad, envoyant notamment quatre chasseurs Su-27, selon Washington. Ce dialogue à haut niveau avait été rompu après l’invasion russe de la Crimée en mars 2014. Il a pour but d’éviter tout incident entre avions russes et ceux de la coalition interna-tionale menée par les Etats-Unis contre l’Etat islamique (EI). Par ailleurs, l’aviation syrienne a intensément bombardé les positionsde l’EI à Palmyre, vendredi, après avoir frappé à Rakka, la veille.

La menace

d’une livraison

de missiles S-300

par la Russie

à l’Iran d’ici à la

fin de 2015 est un

sujet très sensible

Page 7: Le_Monde_20_Septembre_2015.pdf

0123DIMANCHE 20 - LUNDI 21 SEPTEMBRE 2015 international & europe | 7

La Croatie, cul-de-sac des candidatsà l’asile dans l’Union européenneMembre de l’UE mais pas de l’espace Schengen, la Croatie a vu arriver 20 000 migrants depuis la fermeture de la frontière hongroise

beli manastir (croatie) -

envoyé spécial

E lle leur a tendu les braspendant deux jours. Puis,submergée, la Croatie a

voulu bloquer l’accès à son terri-toire aux nombreux migrants dé-routés vers son sol à la suite de la fermeture de la frontière méridio-nale de la Hongrie. En vain. « De-puis que les points de passage avecla Serbie ont été coupés, toutes lesheures, 200 nouveaux réfugiés ar-rivent à Tovarnik », expliquait, vendredi 18 septembre, Babar Ba-loch, porte-parole de l’agence des Nations unies (HCR) pour les réfu-giés. Beaucoup trop pour ce pays des Balkans qui estimait mercredipouvoir accueillir 1 500 réfugiéspar jour.

Tovarnik, Aymen Ghalil y estpassé. Comme l’immense majo-rité des migrants, ce Syrien de27 ans a débouché dans ce village d’à peine 2 000 âmes après avoirfranchi la frontière serbe à traversles champs de maïs. Parqué surune route en plein soleil, il y a attendu une journée un train quine venait pas, avant de prendre place avec sa famille à bord d’un bus. Direction Zagreb, croyait-il, d’où ce mécanicien aéronautiquecomptait se rendre en Allemagne.

Fausse route. Pour des raisonsadministratives, il a débarqué avec plusieurs milliers de ses compagnons à Beli Manastir, non loin de la frontière hongroise. Enervé par ce détour forcé, Ay-men a tenté tout l’après-midi deconvaincre des chauffeurs de taxi de l’emmener à Zagreb (à 300 kilo-mètres de là) et de déterminer les destinations des bus passant par ce coin reculé du pays. Car si la Croatie a pu lui sembler ac-cueillante après les heurts vio-

lents à la frontière hongroise, elle avait tout de la terra incognita.Absent jusque-là de l’itinérairemigratoire, le pays n’est pas balisécomme les autres de la région par des groupes Facebook conseillant d’emprunter telle ou telle route.

Incroyable appel d’air

A la différence de ses voisins hon-grois et slovène, la Croatie ne fait pas partie de l’espace Schengen. Et, bien que membre à part en-tière de l’Union européenne de-puis 2013, elle n’a pas à garantir – comme le traité l’exige – « la res-ponsabilité du contrôle aux fron-tières de l’espace Schengen pour le compte des autres Etats de Schen-gen ».

Une situation qui peut expli-quer l’appel, mercredi, du pre-mier ministre croate, Zoran Mila-novic, à permettre le passage sansencombre des migrants sur sonsol. Canalisé, le passage des réfu-giés se fait sans encombre et ils deviennent rapidement le pro-blème des pays en aval, sans que laCroatie n’ait à devenir l’un des centres d’accueil dont l’Europe veut se doter à ses frontières exté-rieures pour examiner les de-

Aymen Ghalil, un

Syrien de 27 ans

a débouché

dans Tovarnik, un

village d’à peine

2 000 âmes,

après avoir

franchi la

frontière serbe

à travers champs

mandes d’asile (les hot spots).Mais deux éléments ont per-

turbé le plan croate, le manque deconcertation et l’incroyable appel d’air créé par cette annonce. Pas plus que le premier ministre hon-grois, Viktor Orban, n’a demandéà ses voisins la permission de fer-mer sa frontière avec la Serbie, laCroatie n’a coordonné ses efforts avec ses voisins au moment d’ouvrir ses portes. Et plus tard, lorsque Zagreb a rétropédaléaprès avoir recueilli en trois jours les 20 000 migrants que le payspensait recevoir en deux semai-nes, M. Milanovic s’est mis à dos laSerbie et la Slovénie. La première ne voulant pas garder chez elle lesréfugiés bloqués à la frontièrecroate, et la seconde refusant le rôle de domino suivant à être ren-versé par l’arrivée des migrants.

Par ailleurs, si la Croatie ne s’estpas privée de critiquer la décision hongroise de barricader sa fron-tière face aux migrants, c’est par cepays que les premiers migrants de la « via croatiana » ont quitté le pays. Vendredi soir, 50 bus et un train ont franchi la frontière avec la Hongrie, dans le nord de la Croa-tie, les deux pays s’étant entendus pour laisser des « groupes de mi-grants vulnérables » poursuivre leur trajet vers l’ouest de l’Europe.

Cet épisode a vidé Beli Manastirde ses réfugiés en un après-midi,mais pour peu de temps. Au coursde la nuit, une nouvelle vague de réfugiés est attendue dans la ville.Avant de passer, eux aussi, la fron-tière hongroise ? « Ce n’est pas un couloir » de migration, a proclaméla ministre croate des affaires étrangères, Vesna Pusic, mais une exception. Pour l’heure, la Croa-tie, itinéraire bis des migrants, reste un cul-de-sac. p

clément martel

Martin Schulz : « Quand on laisse les Etats seuls, rien ne bouge »Le président du Parlement européen fustige la position d’Orban, Sarkozy et Le Pen sur les réfugiés

ENTRETIENbruxelles - bureau européen

Jeudi 17 septembre, MartinSchulz, le président du Parle-ment européen, a fait procé-der en urgence à un vote surla nouvelle proposition de la

Commission pour relocaliser 120 000 demandeurs d’asile par-tout dans l’Union. Le social-dé-mocrate allemand explique au Monde pourquoi il faut soutenir ce mécanisme de solidarité, auquel les pays de l’Est n’adhèrentpas. Les chefs d’Etat et de gouver-nement vont tenter de s’enten-dre, mercredi 23 septembre, lors d’un sommet extraordinaire à Bruxelles.

Pourquoi ce vote au Parlement dans la précipitation, alors que le projet est rejeté par la Hon-grie, la République tchèque, la Slovaquie ?

On voit que, quand on laisse lesEtats seuls s’occuper de la crise migratoire, rien ne bouge. Les ins-titutions communautaires, laCommission et le Parlement doi-vent dès lors agir. A une vitesseexceptionnelle, parce que la situa-tion est exceptionnelle.

Certains disent qu’il faut lais-ser un peu de temps aux pays de l’Est pour qu’ils acceptent d’accueillir des réfugiés…

Des dizaines de milliers de réfu-giés sont déjà en Europe. D’autres arrivent. Débattre de la vitesse desdébats et des bases légales néces-saires pour leur relocalisation est donc très théorique. Des Etats, mi-noritaires, ne veulent pas partici-per à l’effort de solidarité en fonc-tion de leurs moyens ? Il est logi-que que la discussion ait lieu en-tre les autres.

La réunion extraordinairedes ministres de la justice etde l’intérieur, mardi 22 sep-tembre, doit donc déboucher sur un vote à la majorité quali-fiée et non sur un consensus ?

On verra. Mais un vote ne résou-dra pas le problème : on ne peut forcer un Etat qui s’y refuse à ac-cepter des réfugiés, sous peine de faire payer le prix par ces derniers.On peut discuter du clivage actuel [entre pays de l’Ouest et de l’Est], etde sa signification, mais je ne comprends pas pourquoi la Hon-grie, par exemple, refuse les critè-res fixés pour la répartition des demandeurs d’asile, alors qu’ils

lui seraient favorables. Sa positionest idéologique, pas pragmatique.

Vous rejetez donc tous les argu-ments des pays de l’Europe centrale et orientale ?

J’ai du mal à les comprendre. Cespays ont longtemps souffert sous une dictature communiste et beaucoup de leurs citoyens ontété des réfugiés. Maintenant, ils refusent les musulmans, sansvouloir considérer que les Syriensen fuite sont des victimes de L’Etat islamique et du terrorisme fondamentaliste… Viktor Orban,le premier ministre hongrois, est venu nous dire il y a deux semai-nes [au Parlement] qu’il devait surveiller étroitement sa fron-tière pour enregistrer les deman-deurs d’asile, conformément auxrègles de Schengen, et ensuite en-visager leur redistribution dans l’Union. J’ai entendu cet argu-ment. J’étais d’accord. En réalité, ilne voulait pas les enregistrer ! Il me semble dès lors compliqué d’accepter ses reproches.

Faut-il le sanctionner ?La Commission va vérifier s’il a

enfreint les traités, mais ce n’est pas le moment de discuter de

sanctions. J’ai souligné l’urgence d’aider le Liban, la Jordanie et la Turquie en leur versant les som-mes qu’on leur a promises pourl’accueil des réfugiés, mais qui ne sont toujours pas mobilisées [les Européens s’étaient engagés sur 4 milliards d’euros fin 2014, ils n’ontrassemblé que moins de 50 mil-lions…]. Le roi de Jordanie vient dem’indiquer que son pays voulait continuer à faire tout ce qu’il fal-lait pour les réfugiés, mais que les fonds dont il disposait s’épuisent. Du coup, un grand nombre de Sy-riens quittent les camps dans ces pays tiers alors qu’ils veulent, à terme, rentrer dans leur pays.

Les dirigeants des pays de l’Est ont le sentiment que Berlin et Paris veulent tout régenter tan-dis que vous-même dirigez avec Jean-Claude Juncker une grande coalition européenne…

Les présidents du Parlement etde la Commission ont remis le système communautaire en route, avec le large soutien des deux principales formations poli-tiques européennes à Strasbourg [les conservateurs et les sociaux-démocrates]. A propos du couple franco-allemand, rappelons queFrançois Hollande et Angela Mer-kel sont ceux qui ont imposé lessanctions contre la Russie, même si cela coûtait à leurs deux pays. Ilsont aussi insisté sur la nécessaire

protection des Etats baltes et d’Eu-rope de l’Est par l’OTAN. Ils ont né-gocié les accords de Minsk pourun cessez-le-feu en Ukraine. Com-ment dire, dès lors, qu’ils négli-gent les intérêts de certains pays ?

Etes-vous inquiet quant à l’ave-nir de la zone Schengen ?

Les contrôles aux frontières sontautorisés en cas de circonstancesexceptionnelles. Ce qu’il faut rap-peler aux propagandistes anti-Schengen, c’est que ce système ne bénéficie pas seulement aux étu-diants Erasmus. Il est aussi un élé-ment-clé du marché intérieur, basé sur la libre circulation des marchandises, des services et des capitaux. Réintroduire des contrô-les permanents des camions dans la zone où j’habite, dans le trianglefrontalier Allemagne - Belgique - Pays-Bas ? Cela aboutirait vite àl’interruption de la fabrication de voitures dans les usines de Wolfs-bourg ou Stuttgart. Quand, il y a quelques années, les paysans fran-çais ont bloqué des autoroutes à Valenciennes et à Strasbourg, Volkswagen a dû suspendre sa production, faute de pièces. Peut-être certains voudraient-ils, dès lors, laisser passer les camions et contrôler les citoyens, tandis quel’argent noir pourrait, lui, conti-nuer de passer d’un paradis fiscal àun autre sans entraves ? Dans ce cas, une révolte se produirait en moins d’une semaine. Bravo l’Eu-rope de Mme [Marine] Le Pen et de M. [Nicolas] Sarkozy !

Est-il temps de répondre aux courants populistes ou euros-ceptiques ?

La France connaît, avec le Frontnational, un problème dont l’Alle-magne est heureusement préser-vée. Ce parti trouve, pour tous les problèmes, un bouc émissaire. Il pleut ? C’est la faute à Saint-Pierre.

« Rappelons aux

propagandistes

anti-Schengen

que ce système

est un élément-

clé du marché

intérieur »

PROFIL

Martin SchulzDevenu président du Parlement européen en 2012, Martin Schulz, 59 ans, a été réélu pour un deuxième mandat en mai 2014. Ce social-démocrate allemand, élu pour la première fois eurodé-puté en 1994, est l’un des instiga-teurs de la « grande coalition » conservateurs - sociaux-démocra-tes, dont le but est de canaliser les eurosceptiques du Parlement.

L’Etat social français est en diffi-culté ? C’est la faute à Merkel… Ilfaut dire aux gens qui votent pourun tel parti qu’il n’offrira aucunesolution à leurs problèmes. Il estun peu inquiétant, quand même,que sa dirigeante, qui veut deve-nir présidente d’un pays doté d’unsiège au Conseil de sécurité des Nations unies et d’une force de frappe nucléaire, ne trouve pas lechemin de l’hémicycle quand elle vient au Parlement de Strasbourg.

Absorbée par d’autres sujets, l’Union ne néglige-t-elle pas le risque du « Brexit » ?

Les turbulences actuelles ris-quent effectivement de nous faireoublier cet enjeu-clé pour l’Union.Or, le risque du « Brexit » est réel. Je veux donc être très vigilant sur cette question. p

propos recueillis par

cécile ducourtieux

et jean-pierre stroobants

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8 | planète DIMANCHE 20 - LUNDI 21 SEPTEMBRE 2015

0123

PARIS CLIMAT 2015REPORTAGE

angela boliskiribati - envoyée spéciale

Depuis le hublot, Tarawa, atolldes Kiribati, semble flottersans épaisseur entre ciel etmer, fine bande de terre enpointillé dans le grand bleu.

Deux fois par semaine, l’avion de Fiji Airwaysrelie cette petite république micronésienneau hub régional de Nadi, aux Fidji. Après troisheures de vol, il atterrit dans la chaleur moitede cette île serpentine, de 450 mètres de largeen moyenne, bordée d’un côté par son lagon,de l’autre par le récif. L’océan y est partout vi-sible. La journée, on y pêche, le soir, on y fait salon, assis dans ses eaux chaudes et lisses. Mais quand la marée descend, elle laisse ànu, sur le sable corallien, des détritus plasti-ques et électroniques, vieux jerricans ou piè-ces de voiture. Sans parler des excréments – selon la Banque mondiale, 60 % des foyers de Tarawa-Sud, communauté urbaine capi-tale de l’archipel, n’ont pas de toilettes.

Vues d’Occident, les Kiribati ont souventété dépeintes comme ce paradis de sable blanc et de lagon turquoise qui, à y regarderde plus près, ressemble aussi à un enfer, perdu au bout du monde. Isolées, dispersées,minuscules… les trente-trois îles de cet archi-pel sont éparpillées sur 3,5 millions de kilo-mètres carrés (km2) d’océan – soit environ la superficie de l’Inde. Si on les juxtaposait, el-les atteindraient 811 km2, à peine la surfacedu Grand Paris. Ces atolls coralliens occu-pent pourtant une place centrale sur un pla-nisphère : au beau milieu du Pacifique, à lacroisée de la ligne de changement de date et de l’équateur. Paradis ou enfer, l’archipelévoque aussi un autre mythe cher à notre imaginaire : le déluge. Affleurant à deux mè-tres en moyenne à la surface de l’océan, ce pays est l’un des plus menacés par la hausse du niveau de la mer, causée par le réchauffe-

mental sur l’évolution du climat, la montée des eaux pourrait atteindre 98 centimètresd’ici à 2100. Soit un tiers de l’altitude maxi-male de Tarawa. Un rapport de la Banquemondiale, datant de 2000, estime que si rien n’est fait, jusqu’à 54 % de Bikenibeu, une loca-lité de Tarawa-Sud, et jusqu’à 80 % de Buariki,une île du nord de Tarawa, seront submer-gées d’ici à 2050. Erosion costale et submer-sions marines, salinisation des sols et mai-gres ressources en eau douce, mais aussi hausse des températures, hausse de l’acidifi-cation de l’océan… les effets du changement climatique sont, aux Kiribati, aussi pré-

ment climatique. Il est aussi l’un des plus pauvres, dépendant largement des aides in-ternationales et des licences de pêche accor-dées aux navires étrangers pour puiser danssa vaste zone maritime.

INFINITÉ DE PETITS COMBATS

Omniprésente et vitale, la mer est aussi cequi pourrait perdre les habitants des Kiribati,les Gilbertins – des îles Gilbert, l’ancien nom de l’archipel –, qui comptent parmi les pre-miers mangeurs de poisson au monde, avec 77 kg par personne et par an. D’après les esti-mations du Groupe d’experts intergouverne-

Des habitantsde Tarawa

construisentdes murs avec

des rochersde corail pourprotéger leurs

maisons dela montéedes eaux.

J. CARLIN/PANOS-REA

Les îles Kiribati, enfer et paradis

L’archipel, perdu au milieu du Pacifique,

menacé par la montée des eaux,

est devenu l’emblème

du changement climatique.

Toutefois, le périlne vient pas

seulement dela mer, mais aussi

des humains

Le villagede Bairiki,à Tarawa-Sud.ANGELA BOLIS

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0123DIMANCHE 20 - LUNDI 21 SEPTEMBRE 2015 planète | 9

A Betio, l’épave d’un navire de pêche échoué lors du passage du cyclone Pam, en mars.ANGELA BOLIS

Kiribati

AUSTRALIE

RUSSIE

ETATS-UNISOCÉAN

PACIFIQUE

gnants que les propres émissions de gaz à ef-fet de serre de l’archipel sont négligeables – 0,1 million de tonnes de CO2 en 2013, contre 344 millions de tonnes en France et 9,9 mil-liards de tonnes en Chine !

A Tarawa-Sud, la montée de l’océan est déjàune préoccupation quotidienne, donnant lieu à une infinité de petits combats. L’île est bordée de digues – sacs de ciment, blocs decoraux ou détritus entassés, gros ouvrages publics ou petits édifices privés. Près de l’aé-roport, de jeunes palétuviers bien alignés viennent compléter ce frêle rempart. Pourrencontrer des habitants touchés par le phé-nomène ? « Vous pouvez discuter avec quicon-que habite au bord de la mer, tout le monde su-bit les inondations ici », lance Claire Anterea, membre du programme gouvernementald’adaptation au changement climatique.

Tinaai, une jeune militante du KiriCAN (Kiri-bati Climate Action Network, un réseau de trente ONG), est tout de même chargée de nous faire une « visite guidée du changement climatique ». Elle a 23 ans et représentera les as-sociations lors de la conférence de l’ONU sur leclimat (COP21) fin novembre, à Paris. Roulantnonchalamment au milieu des nids-de-poule et des flaques, riant et plaisantant, elle nous mène à Betio, l’un des îlots les plus peuplés del’atoll. En début d’année, plusieurs grandesmarées ont inondé les habitations. Fin février,des vagues, surpassant les murs de protection,ont déferlé sur l’hôpital, qui a dû fermer pen-dant deux mois. « Les malades ont dû se réfu-gier dans le gymnase, explique Tinaai. A la ma-ternité, les mères sont parties en courant avec leur nouveau-né, pour se mettre à l’abri ! »

Le « tour » se poursuit à Tebikenikoora, unpetit village de la commune d’Eita, au centre de l’atoll. C’est marée haute en cet après-midide juillet, et l’eau, passant au travers d’une di-gue ébréchée, rampe peu à peu entre les habi-tations, jusqu’à la maneaba, la « maison com-mune », au cœur de la vie sociale gilbertine.Sous sa vaste toiture végétale, un homme faitla sieste, des enfants jouent à la corde à sau-ter, et Timereta, habitant de ce hameau de-puis trente ans, se livre à une partie d’échecs. « A chaque nouvelle lune et à chaque pleine lune, s’il y a du vent, l’eau entre dans les mai-sons, témoigne-t-il. Les gens mettent leurs af-faires à l’abri, et certains viennent dormir sousla maneaba. Ça fait dix ans que ça dure. La di-gue a été détruite, on l’a reconstruite, puis elle s’est de nouveau détruite… »

Tebikenikoora est l’un des deux sites quel’on montre volontiers aux journalistes étrangers, chercheurs ou officiels de passage– le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon,s’y est rendu en 2011 –, pour illustrer la mon-tée du niveau de la mer aux Kiribati. Le se-cond, Tebunginako, situé sur l’atoll d’Abaiang,est présenté par le gouvernement comme un « baromètre de ce que les Kiribati pourraientdevenir ». Le village a été submergé, et ses ha-bitants relocalisés, il y a une quinzaine d’an-nées, en retrait du rivage. Seuls demeurent, au milieu des flots, une église et des cocotiersmorts. Une carte postale bien commode de lamontée des eaux, emportée dans les carnets et les caméras des médias étrangers.

Dans les deux cas, la réalité se révèle pour-tant plus complexe. Selon une étude, datant

de 2006, de la Communauté du Pacifique (CPS) – la principale agence de développementde la région Pacifique, basée à Suva, aux Fidji –,le recul des zones côtières à Tebunginako, de80 mètres depuis 1964, résulte de l’obturation,il y a probablement un siècle, d’un ancien ca-nal passant entre le lagon et l’océan, entraî-nant une redistribution des dépôts de sable.Quant à Tebikenikoora, c’est une zone insta-ble, qui a été choisie tardivement par un pas-teur évangélique pour y implanter une com-munauté de migrants venus d’autres îles gil-bertines. « A Tarawa, à cause de la pression dé-mographique, les gens s’installent dans des zones où, il y a un siècle, personne ne se seraitimplanté du fait de leur instabilité », explique Molly Powers, responsable du programme cli-mat et océans de la CPS.

MAL-DÉVELOPPEMENT ENDÉMIQUE

A n’en pas douter, la hausse du niveau de lamer est une réalité admise et mesurée par lacommunauté scientifique. Mais le phéno-mène est lent, complexe, variable, impossibleà saisir d’un simple coup d’œil. Et les Kiribati,assaillies par les attentes des médias et agen-ces internationales, qui y voient « l’emblème de la montée du niveau de la mer », seraient fi-nalement tentées de jouer le rôle de « vic-time » que le reste du monde leur attribue.C’est du moins la thèse du climatologue Si-mon Donner dans son article, publié en mars, dans Scientific American, intitulé « Fan-tasy Islands ». Ce biais, juge-t-il, mène finale-ment à exagérer la vulnérabilité de l’archipel,l’urgence et la fatalité de sa situation.

A Tarawa-Sud, en effet, la montée du niveaude la mer est loin de constituer la première menace. Mais elle vient aggraver un mal-dé-veloppement endémique qui rend sa popula-tion et son environnement bien moins résis-tants aux perturbations climatiques.

Dans un lieu où les villes n’existaient pas, etoù l’on vit encore principalement de la pêcheet des cultures – bananier, papayer, cocotier,pandanus, taro géant (babai) –, la colonisa-tion britannique (1916-1979) a fait de cet atoll sa capitale administrative, et l’unique centreurbain. Depuis, Tarawa-Sud n’a cessé de gon-fler, accueillant les habitants des autres îles qui affluent en quête d’emplois salariés, d’écoles, d’infrastructures médicales. Si bienqu’aujourd’hui, près de la moitié des 103 500 Gilbertins y ont élu domicile. La densité de lapopulation dépasse par endroits celle deHongkong. La surpopulation étrangle l’atoll.Soixante-dix pour cent de la mangrove, quiprotège les côtes de l’érosion, ont disparu de-puis les années 1940. Pour construire leurmaison, des habitants extraient du sable desplages, déjà grignotées par la mer. Le fonciertraditionnel, avec ses parcelles s’étirant du ré-cif au lagon, et ses habitations sur pilotis, fai-tes de pandanus et de cocotiers, n’y a plus saplace. S’y est substitué un émiettement depetits lots flanqués de constructions en dur,qui ne permettent plus de se replier facile-ment en cas d’inondation.

L’atoll a aussi été happé par l’histoire de laseconde guerre mondiale, lors de la bataille deTarawa, en 1943, entre Américains et Japonais– 5 700 morts en trois jours, et d’abondants bombardements. L’île est alors criblée de cinq cents ouvrages de défense et de tunnels – donttémoignent encore quelques canons braqués çà et là vers l’océan. Enfin, des routes artificiel-les bordées de digues relient entre elles plu-sieurs îlots de l’atoll, modifiant les chenaux, les courants, les mouvements de sable. Cel-les-ci auraient par exemple causé l’extension de Bairiki, une partie de Tarawa-Sud, de 16 % depuis 1969, selon Simon Donner.

Toutes ces infrastructures influent sur unterritoire déjà mouvant : les atolls sont

comme des organismes vivants, construits par les débris de squelettes des coraux dont les colonies, animales, forment le récif. Ils sedéplacent, s’érodent. Ils grandissent aussi :une étude de la Communauté du Pacifique,publiée en 2010 dans Global and Planetary Change, estime que vingt-trois des vingt-septatolls observés dans le Pacifique depuis lesannées 1960 sont ainsi restés au même ni-veau, voire se sont élevés, malgré la montée des eaux.

A Betio, autre île de l’atoll de Tarawa, unejauge posée par la CPS depuis 1992 évalue en continu niveau de la mer, températures etpressions atmosphériques. D’après les don-nées – à prendre avec précaution en raison dela courte durée des mesures –, la mer ymonte de 2,9 mm par an. En parallèle, selon laBanque mondiale, la croissance verticale du corail y serait historiquement de 8 mm par an. Les atolls pourraient-ils gagner cette lentecourse contre l’océan ? La réponse est haute-ment incertaine, tant les écosystèmes coral-liens sont fragilisés par maintes perturba-tions d’origine humaine : la pollution, maisaussi le réchauffement de l’eau et la concen-tration accrue de CO2 absorbé par l’océan, quicausent des épisodes de blanchissement de plus en plus fréquents.

D’autant qu’il ne faudra pas attendre queles îles reposent au fond du lagon pour qu’el-les deviennent inhabitables : bien avant, les assauts de l’eau salée viendront contaminer la lentille d’eau douce et les sols, les rendant incultivables. Pour tenter d’y faire face, la vingtaine de programmes internationaux et les deux programmes nationaux d’adapta-tion au changement climatique rivalisent de solutions de court terme – plantation de mangroves, construction de digues, amélio-ration des canalisations et de la récolte d’eau de pluie… Le président des Kiribati, Anote Tong, reconnaît lui-même leur relative ineffi-cacité, lui qui a songé à tout : construire des îles flottantes artificielles, rehausser lesatolls… ou partir.

« MIGRATION DANS LA DIGNITÉ »

Il a acheté 20 km2 de terres aux Fidji, officiel-lement pour un projet agricole. Et a lancé unprogramme d’émigration d’une partie de lapopulation, avec formations professionnel-les à l’appui, baptisé « Migration dans la di-gnité ». « C’est le seul moyen que j’ai de don-ner [aux Gilbertins] un sentiment de sécu-rité : au moins, j’ai un plan. Peu importe qu’il soit radical. Ça va être difficile, on va beau-coup y perdre, on ne sait pas ce qu’il advien-dra de notre culture… Mais quels choix a-t-on ?, explique-t-il. Pour une partie du terri-toire au moins arrivera un moment où on nepourra plus rester émergés : peut-être dansvingt ans, vingt-cinq ans, plus tôt qu’on ne le pense à mon avis. »

Partir est pourtant une option hautementanxiogène pour les Gilbertins, qui laisse en suspens de nombreuses questions. Conser-veront-ils leur nationalité, si elle n’est plusrattachée à aucun territoire ? Seront-ils des réfugiés climatiques, un statut qui n’existepas encore ? Leur peuple sera-t-il dispersé en-tre différents pays d’accueil, du Pacifique et d’ailleurs ? Garderont-ils leurs droits sur leur territoire maritime, zone immense mais aquatique ? Réussiront-ils à préserver leur identité culturelle, si la terre de leurs ancê-tres, dans laquelle elle s’enracine inextrica-blement, disparaît sous les eaux ? Beaucoupde Gilbertins ne peuvent même pas envisa-ger ces obscures perspectives. Ou seulement en tout dernier recours. « Si un jour on se re-trouve vraiment submergés, imagine Saï, un habitant de Bairiki, je sais qu’ici nous sommestous d’excellents nageurs et pêcheurs. On pren-dra nos bateaux, ou un bout de bois flottant, eton se laissera porter par le courant jusqu’à ac-coster sur une terre, quelque part. » p

« À TARAWA, LES GENS S’INSTALLENT

DANS DES ZONES OÙ, IL Y A UN SIÈCLE, PERSONNE NE SE SERAIT IMPLANTÉDU FAIT DE LEUR

INSTABILITÉ »MOLLY POWERS

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10 | france DIMANCHE 20 - LUNDI 21 SEPTEMBRE 2015

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Ces intellectuels dont s’entiche le FNLe parti de Marine Le Pen voit en certains penseurs des alliés objectifs. Réalité ou tentative de récupération ?

L’occasion était trop bellepour n’être point saisie.Quand l’économisteJacques Sapir, réputé

proche du Front de gauche, ap-pelle dans une interview au Fi-garo, le 21 août, à un « front de libé-ration national » contre l’euro, dans lequel le Front national aurait toute sa place, du côté du FN, on a rougi de plaisir. Enfin, un intellectuel respecté par une largepartie du spectre politique vali-dait les thèses frontistes ainsi que son rôle d’acteur d’un éventuelchangement.

Dans un tweet, Marine Le Pen sefélicite : « Le débat bouge enfin surl’euro en France. Très heureuse d’enêtre à l’origine et de porter l’espé-rance d’une sortie de cet enfer ». Laprésidente du Front national ne cache pas son admiration pour le travail de ce directeur d’études àl’EHESS, bon connaisseur de laRussie, qu’elle relaie abondam-ment sur Twitter sous son pseu-donyme d’Anne Lalanne.

Quelques jours plus tard, c’est lephilosophe Michel Onfray qui vole au secours de Jacques Sapir, vilipendé de part et d’autre pour ses déclarations, et en particulier dans sa famille politique d’ori-gine, la gauche radicale. « Sapir ne brouille pas les choses, il les éclair-cit, réplique Michel Onfray sur France Culture. L’idée est bonne defédérer les souverainistes des deux bords. Marine Le Pen et Jean-LucMélenchon partagent nombre depositions. Mais il faut s’adresser à un individu au-dessus des partis qui serait capable de fédérer. »

Le fondateur de l’université po-pulaire de Caen a déjà été la ciblede critiques pour avoir estimé queseule Marine Le Pen parlait au « peuple », les élites « libérales » l’ayant selon lui abandonné au profit des « marges ». « Ils sontdans le réel, ils voient que le FN est un grand parti politique qui fait 25 à 30 % des voix, se réjouit FlorianPhilippot, bras droit de Mme LePen. Pour Sapir, un front sans leFront serait un micro front. »

« Porte-parole de campagne »

Les temps changent. Jusqu’ici, de-puis sa fondation, en 1972, le FN nefaisait pas recette chez les intellec-tuels, mais plutôt contre lui. Les di-rigeants frontistes, tout à leur stra-tégie de dédiabolisation, ne peu-vent que se réjouir d’entendre aujourd’hui des personnalités adoubées par le « système » leur ouvrir la porte de la respectabilité. « Tout intellectuel qui sort du trou-peau bêlant du politiquement cor-rect est un allié objectif du Front na-tional », assure Marine Le Pen.

La députée européenne jure nepas chercher à instrumentaliser ces « alliés » présumés. D’autant que ces derniers rejettent une

quelconque volonté d’alimenter ladynamique du FN. « Je suis contre cette technique qui consiste à es-sayer de capter un écrivain pour en faire un porte-parole de campa-gne », revendique la présidente du Front. Voire.

Quand ils s’expriment à la télé-vision ou à la radio, les élus fron-tistes aiment citer des penseurs a priori peu suspects d’accointan-ces avec leur mouvement pour mieux appuyer leur propos. En 2011, Jean-Marie Le Pen pro-mettait une « carte d’honneur » du parti à la démographe MichèleTribalat pour la féliciter d’avoir fait état de ses « inquiétudes » sur l’islam. Désormais, c’est le géogra-phe Christophe Guilluy, auteur dela France périphérique (Flamma-rion, 2014), qui est porté aux nues par de nombreux dirigeants. Ses travaux sur l’abandon des classes populaires dans les zones périur-baines et rurales trouvent un fort écho au FN. Le parti a repris le thème de la « France des oubliés » comme argument de campagne.

« Guilluy est quelqu’un de très inté-ressant. Il théorise et met des mots sur des choses que nous avions perçues, et n’hésite pas à parler du petit monde blanc », applaudit Marion Maréchal-Le Pen.

« Ne pas les “griller” »

Comme la députée du Vaucluse, Florian Philippot distingue lui aussi le géographe pour sa « con-tribution » au débat. Il loue par ailleurs le dernier livre d’Emma-nuel Todd, Qui est Charlie ? (Seuil, 2005), qui selon lui a « brisé le côtémalsain de la religion du 11-Jan-vier ». « Todd a aussi évolué sur l’euro en expliquant qu’il a bousillédes générations entières. Il nous aide, malgré lui peut-être, à déve-lopper nos arguments sur ces su-jets-là », estime le député euro-péen. Hors de question, pour autant, de chercher à rencontrer ces figures du monde intellectuel.Officiellement, il convient de nepas les « griller ». « Les intellectuels,les journalistes, les philosophes quiparticipent de nos idées sont plus

utiles en dehors du parti. Ils ne doi-vent pas être suspectés de conni-vence. Un Onfray surpris à table avec moi serait cloué au pilori dans la seconde », veut croire Ma-rion Maréchal-Le Pen. Ce qui ne l’empêche pas d’égrener les noms de ses « alliés objectifs » : ElisabethLevy, directrice de la rédaction du magazine conservateur Causeur, Alain Finkielkraut, ou encore lejournaliste Eric Zemmour.

Ce dernier jouit d’un traitementà part au sein du Front national, puisqu’il est un des rares à fré-quenter ses dirigeants. « Je les ren-contre comme je rencontre les poli-tiques de tous bords », explique-t-il. « Zemmour est adoré chez les militants du FN – comme chez ceuxde l’UMP – mais il n’est pas écouté sur le plan stratégique. Il se montreassez critique sur les choix écono-miques et sociaux, il est plus sur la ligne de Marion [plus libérale] », note Philippe Martel, ami du jour-naliste et conseiller de Marine Le Pen. Mme Maréchal-Le Pen le lui rend bien puisque la jeune femme

boycotte les plateaux d’iTele de-puis que l’auteur du Suicide fran-çais (Albin Michel, 2014) a été dé-barqué de la chaîne d’informationen continu, en décembre 2014. Lesbouleversements récents opérés à la direction de la chaîne de-vraient changer la donne.

D’autres « alliés objectifs » regret-tent de leur côté que le parti d’ex-trême droite les assimilent à ses thèses. « La récupération, on ne peut rien y faire, note Christophe Guilluy, qui revendique travailler pour le Parti socialiste. Quand j’uti-lise le terme de petit blanc, c’est pour parler des petites gens, toutes

Marine Le Pen en meeting à Arpajon (Essonne), le 14 septembre. CYRIL BITTON/FRENCH POLITICS

POUR « LE MONDE »

« Les intellectuels

qui participent

de nos idées

sont plus utiles

en dehors

du parti »

MARION MARÉCHAL-LE PEN

classes populaires confondues. Le FN, lui, veut utiliser cette expressiondans une logique plus identitaire que sociale. »

Ils défendent surtout le fait queles champs politiques et scientifi-ques ne doivent pas être confon-dus. Les idées ne sauraient être ré-duites à un parti ou à une person-nalité politique. « Daniel Bensaïd [penseur important de la Ligue communiste révolutionnaire] a bien écrit sur Jeanne d’Arc, elle n’ap-partient pas au Front national, fait valoir Jacques Sapir. Pour ma part,je n’écris pas en pensant au FN, je n’ai pas varié depuis quinze ans. Mes idées sont dans le domaine pu-blic, je ne vais pas interdire à quel-qu’un d’acheter mes livres. Ce n’est pas parce qu’Adolf Hitler a fait réfé-rence à Nietzsche que Nietzsche aurait été hitlérien. » Et l’écono-miste de rappeler : ce ne sont pas tant les intellectuels qui alimen-tent le vote en faveur du Front na-tional, mais bien l’action des diri-geants placés à la tête du pays. p

olivier faye

michel onfray s’estime assailli : par la« gauche libérale », par une partie des mé-dias, par le « politiquement correct ». Lephilosophe, accusé par certains de faire lejeu du Front national, a donc décidé de contre-attaquer. « Le 20 octobre, [le jour-nal] Marianne loue la Mutualité pour me soutenir », a-t-il annoncé, vendredi 18 sep-tembre, sur Twitter. Régis Debray, AlainFinkielkraut, Pascal Bruckner, Jean-Fran-çois Kahn, Jean-Pierre Le Goff et bien d’autres devraient être présents pour ma-nifester leur amitié à celui qui se revendi-que toujours de « la gauche libertaire ».

Jean-Pierre Chevènement sera lui ausside la partie. « Nous allons dire que nous ne sommes pas avec Marine Le Pen et que nousexistons à gauche, que nous ne sommes pasinstrumentalisables, prévient le philoso-phe. Nous sommes de gauche. Ceux qui nous traitent de fascistes ne veulent pas penser. »

Depuis plusieurs mois, le fondateur del’Université populaire de Caen étonnequand il s’en prend à la « théorie du

genre », traite Manuel Valls de « crétin » ou dit préférer une « analyse juste » d’Alain de Benoist, penseur de la Nouvelle Droite – uncourant politique majeur de l’extrêmedroite –, à « une analyse injuste d’[Alain] Minc, [Jacques] Attali ou BHL [Bernard-Henri Lévy] ».

« Contre l’euro »

Ces dernières semaines, il s’est rangé auxvues de l’économiste Jacques Sapir, pourqui les souverainistes de gauche et de droite, FN compris, devraient s’unir pour mener la lutte contre l’euro. « S’il y a un front commun possible de ceux qui sontcontre l’Union européenne, contre l’euro,cela me paraît être une bonne idée. Mais personne ne votera pour quelqu’un issud’un parti, estime Michel Onfray. Dans cette affaire, je ne roule pas pour moi, mais je pense plutôt à des gens comme Simone Veil ou Robert Badinter. » L’ancienne prési-dente du Parlement européen et l’anciengarde des sceaux ne sont pourtant pas a priori des souverainistes convaincus.

L’auteur du Traité d’athéologie, qui voitdans le Front national un défenseur de la laïcité, assume de parler de tous les sujets. « Le FN a préempté un certain nombre dequestions, comme l’immigration ou l’iden-tité nationale. On dit qu’elles sont sales, re-grette-t-il. Je revendique le fait qu’il y ait uneréponse de gauche sur ces questions. »

Et, pour prévenir tout soupçon de collu-sion avec l’extrême droite, il ajoute ne pas souhaiter rencontrer les dirigeants du Front national. N’a-t-il pas fondé l’Univer-sité populaire de Caen en réaction à l’acces-sion de Jean-Marie Le Pen au second tourde l’élection présidentielle de 2002 ? « J’aiété invité à Radio Courtoisie, je n’y suis pas allé. Quand je suis dans les locaux d’une chaîne de télévision en même temps queMarine Le Pen, je prends soin de ne pas lacroiser. Et quand Robert Ménard m’a invitépour donner une conférence à Béziers, j’airefusé d’y aller », assure-t-il. A croire que lesassaillants ne viennent pas seulement dela « gauche libérale ». p

olivier faye

Michel Onfray convoque ses soutiens à la Mutualité

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12 | france DIMANCHE 20 - LUNDI 21 SEPTEMBRE 2015

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La crainte d’une « concurrence » entre pauvresLes élus et les associations relaient l’incompréhension des SDF, oubliés depuis la crise des réfugiés

Réfugiés versus SDF :cette « concurrence »commence à inquiéterassociations et élus.

Alors que la mobilisation s’orga-nise pour l’accueil des Syriens – ré-ception des maires volontaires sa-medi 12 septembre Place Beauvau, réunion des préfets de Seine-Saint-Denis pour l’organisation des lieux d’accueil jeudi –, un doute s’est immiscé parmi les ac-teurs qui sont en première ligne. Cet élan solidaire ne cache-t-il pas un choix entre les « bons-réfugiés-fuyant-la-guerre » et les autres sans-abri ? Pourquoi l’Etat met-il en scène une solidarité en direc-tion des seuls réfugiés ?

L’hébergement des sans-abri estdans une phase critique depuis le début de la crise économique. Les centres d’appel sont saturés, leslieux d’hébergement débordés, et les nuitées en hôtel en constante augmentation dans plusieurs dé-partements. La situation est même devenue dramatique en Ile-de-France : seule une personne sur deux appelant le Samu social, au 115, se voit offrir une solution pour la nuit. C’est peu dire que la soudaine capacité de l’Etat à trou-ver en quelques jours des lieux d’accueil a laissé les équipes per-plexes. Solidaires et heureuses de l’élan mais profondément désar-çonnées. « Il y a un vrai agacementde constater que, quand les politi-ques veulent ouvrir des centres, on y arrive très vite. Vingt mille placestrouvées en deux semaines ! Pour-quoi ne l’ont-elles pas été avant ? », s’interroge Florent Gueguen, di-recteur de la Fédération nationale des associations d’accueil et de

réinsertion sociale (Fnars).Dans les centres d’hébergement

et de réinsertion sociale (CHRS) parisiens comme au 115, c’est la même incompréhension. « Nos salariés ne s’expliquent pas pour-quoi cette énergie, cette solidarité n’étaient pas là pour répondre à la montée du nombre de sans-abri. Lacrainte d’une concurrence entre nos publics est montée très vite »,

souligne Christine Laconde, direc-trice du SAMU social de Paris.

Des rumeurs ont ainsi circulé aulendemain de l’évacuation du campement de La Chapelle, à Pa-ris, en juin : on aurait mis à la rue des familles logées à l’hôtel pour y héberger les migrants évacués. Il a fallu tout de suite démentir pour désamorcer la grogne. « Entre cetteincompréhension et la crainte de nepas avoir un dispositif suffisant pour l’hiver, on a un cocktail explo-sif », déplore Mme Laconde.

« Et nous, pourquoi on n’a rien ? »

Sur le campement d’Austerlitz, quelques jours avant son évacua-tion, jeudi, l’inquiétude des quel-ques SDF installés au milieu des Soudanais s’exprimait ouverte-ment. Ils avaient compris qu’ils n’étaient pas concernés par le pland’hébergement pour les réfugiés. « Et nous, pourquoi on n’a rien ? »,

demandait ainsi un jeune aux agents de la ville. « Ils se sentent abandonnés, doublement punis. C’est compliqué d’expliquer que les réfugiés syriens ont droit à un abri tout de suite. Y compris parmi les travailleurs sociaux », raconte Do-minique Bordin, chargé de la mis-sion SDF de la Ville de Paris.

En mettant en scène leur enga-gement, en relayant les élans de solidarité citoyenne, les autoritéssemblent hiérarchiser et ainsi or-ganiser la concurrence entre pau-vres. « C’est quand même curieux, ce traitement des priorités en fonc-tion de l’actualité médiatique ! Les sans-abri à la rue depuis des mois ressentent une profonde injus-tice », prévient Jean-Baptiste Ey-raud, porte-parole du DAL. Der-rière, les travailleurs sociaux sa-vent combien le discours de l’ex-trême droite prospère sur la concurrence entre les sans-abri

français et les réfugiés étrangers.Le FN ne s’est pas privé de dénon-cer l’abandon des « SDF de sou-che » au profit des « clandestins ». Quand bien même 40 % des ap-pels au 115 proviennent d’étran-gers extracommunautaires.

La concurrence des places faitaussi des remous dans les munici-palités volontaires pour accueillir les déplacés. De nombreux élus ont d’ailleurs fait attention, tout

en affichant leur solidarité, à récla-mer l’aide de l’Etat pour l’organi-ser. Ils n’ont pas fait de proposi-tions trop concrètes de lieux va-cants, mais plutôt annoncé leur disponibilité. Les rares qui s’y sont essayé ont dû essuyer des repro-ches. Pierre Aldeguer, maire sans étiquette de Champcueil, petite commune de l’Essonne où l’Etat a décidé de rouvrir un bâtiment hospitalier, a eu droit à quelques rebuffades. « “On ne va pas ac-cueillir toute la merde du monde”, m’ont dit certains très proches de la droite extrême. Mais ils restent mi-noritaires », raconte l’élu.

« Les gens sont à fleur de peau »

Stéphane Peu (PCF), adjoint au maire de Saint-Denis, banlieue pauvre du « 93 » qui a proposé sescentres de vacances, a vu plu-sieurs demandeurs de HLM s’in-quiéter d’une éventuelle priorité donnée aux réfugiés : « On n’a paseu de refus de solidarité, à quelquesrares exceptions près – comme ce mail me disant : “Je suis désolé de ne pas avoir traversé la Méditerra-née sur un rafiot mais ça fait dix ans que j’attends.” On a une tellecrise du logement en Ile-de-France que les gens sont à fleur de peau. » Jean-Luc Laurent (MRC), au Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne), rapporte des réflexions identi-ques. En Ile-de-France, quelque315 000 premières demandes de-meurent non satisfaites.

Pour faire face à cette peur, il fautcréer des lieux propres à l’accueil des réfugiés, soulignent les élus. Etexpliquer. « Il faut parler avec la population, dire que les réfugiés vont rester. C’est dur parfois, mais, si on ne le fait pas, on va au-devant d’une catastrophe », insiste Ber-nard Gérard, maire (LR) de Marcq-en-Barœul, dans le Nord. « La France peut accueillir des centainesde milliers de gens. On l’a bien fait pour les 500 000 exilés espagnols en 1939 ! Mais ça suppose de le dire.Et que les élus n’aient pas peur », as-sure Yvon Robert (PS), à Rouen. A Lille et Marseille, des députés so-cialistes ont d’ores et déjà organisédes réunions d’information. p

sylvia zappi

« Dictée quotidienne » : le coup politique de Najat Vallaud-BelkacemEn focalisant l’attention sur un symbole valorisé par la droite, la ministre de l’éducation a limité les critiques contre les nouveaux programmes

C’ est ce qu’on appellefaire d’une pierre deuxcoups… avec seulement

deux mots. Alors que le Conseil supérieur des programmes (CSP)a remis, vendredi 18 septembre, laseconde mouture des program-mes scolaires du CP à la 3e, la mi-nistre de l’éducation, Najat Val-laud-Belkacem, a pris tout le monde de court en se position-nant pour le retour des « dictées quotidiennes » à l’école, « indis-pensables » selon elle.

Qu’importe si la formule « dic-tée quotidienne » n’est pas pré-sente une seule fois au fil des 375 pages de ces programmes : en mettant l’accent sur une « école

exigeante », la ministre a réussi à focaliser l’attention sur un sym-bole. Fine communicante, elle tient à distance, au moins dans unpremier temps, un possible retourdes critiques qui avaient émaillé ladivulgation de la première versiondes programmes, en avril. Et évite le procès en laxisme que la droite acoutume de lui faire, en reprenantà son compte le « lire-écrire-compter » traditionnellement va-lorisé par les tenants d’une ligne pédagogique plus conservatrice.

Pari réussi ? En tout cas, les poli-tiques, de droite comme de gau-che, étaient moins prompts à réa-gir que d’habitude. Contacté par Le Monde, François Fillon rappelle

« la priorité des priorités » qu’est lamaîtrise de la langue française. Et se souvient d’avoir été « vivement critiqué » en 2004 lorsque, minis-tre de l’éducation nationale, ilavait « demandé que l’on fasse des dictées non seulement à l’école mais aussi au collège ». « Si vrai-ment cela se fait, j’applaudis, dé-clare-t-il, mais je crains que ce gou-vernement n’ait pas assez d’auto-rité pour y parvenir. »

« Cadeau fait aux réacs »

Au Conseil supérieur des pro-grammes, où l’on a à cœur de va-loriser ces nouveaux program-mes, dits « curriculaires », organi-sés par cycle de trois ans et non

plus par année, on s’étonnait dès jeudi soir de « l’interprétation » faite par la ministre. La remise of-ficielle des programmes vendredi s’est accompagnée d’un tweet du président du CSP, le géographe Michel Lussault : « A lire attentive-ment si l’on souhaite ne pas se con-tenter des slogans et des a priori. » Car la formule de la ministre n’est pas sans fondements. Dans cette seconde version des program-mes, l’accent est bien mis sur les« occasions d’écrire très nombreu-ses [qui] devraient faire de cette pratique l’ordinaire de l’écolier », d’« au moins une séance quoti-dienne » en écriture, etc. Mais« c’est sur la régularité des exerci-

ces que nous insistons », explique Michel Lussault. Une préconisa-tion qui s’appuie sur les récentesrecherches du chercheur Roland Goigoux, de l’Institut français de l’éducation (ENS de Lyon), ou du linguiste Alain Bentolila.

Du côté des syndicats ensei-gnants, toutes sensibilités con-fondues, c’est peu de dire que l’ac-cueil des propos de la ministre de l’éducation est mesuré. « Najat Vallaud-Belkacem fait le choix deparler à l’opinion publique plutôtqu’aux enseignants », lance Chris-tian Chevalier, du SE-UNSA, qui évoque un « cadeau fait aux réacs ». « Quelle ambition ! Onparle de refondation de l’école et on

en vient à résumer ces nouveauxprogrammes à une dictée quoti-dienne », s’emporte de son côté Sébastien Sihr, secrétaire général du SNUipp-FSU, premier syndicat en primaire ; selon lui, « l’enjeu dulire-écrire-compter est de savoircomment on fait, avec quels outils et ressources pédagogiques ».

Les propos de la ministre sontglobalement ressentis comme une injonction allant à l’encontre de la liberté pédagogique des en-seignants. « Tant qu’elle y est, ellepourrait aussi prescrire l’heure àlaquelle il faut la faire, cette dictée quotidienne, et la couleur des sty-los » résume Sébastien Sihr. p

séverin graveleau

Evacuationdu campement de

migrants, gared’Austerlitz, jeudi

17 septembre, à Paris.OLIVIER CORET/DIVERGENCE

POUR « LE MONDE »

Le FN ne s’est

pas privé

de dénoncer

l’abandon des

« SDF de souche »

au profit des

« clandestins »

1 000 missions de service civique consacrées au soutien aux réfugiésAccompagnement dans les démarches administratives, soutien linguistique... Le ministre de la jeunesse, Patrick Kanner, a dé-taillé, vendredi 18 septembre, le type de missions qui pourront être confiées à des jeunes en service civique pour participer à l’accueil des réfugiés. Comme il l’avait annoncé en conseil des ministres le 9 septembre, M. Kanner a rappelé son objectif de consacrer 1 000 missions de service civique au soutien aux réfu-giés accueillis par la France. « Nous verrons en fonction des be-soins s’il faut augmenter ce chiffre », a-t-il ajouté devant la presse.

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0123DIMANCHE 20 - LUNDI 21 SEPTEMBRE 2015 france | 13

Le PS appelle à l’union, sans faire recette Jean-Christophe Cambadélis veut lancer, samedi, une initiative en direction de « l’opinion de gauche »

A chaque semaine sonappel désespéré àl’unité. Après avoiradressé le week-end

dernier une lettre ouverte à l’en-semble de la gauche et des écolo-gistes, Jean-Christophe Cambadé-lis devait lancer samedi 19 sep-tembre, à l’issue du Conseil natio-nal du Parti socialiste à la salle de la Mutualité à Paris, une nouvelle initiative en direction de « l’opi-nion de gauche » pour proposer un large rassemblement politi-que. Le premier secrétaire du PS est persuadé que les électeurs de gauche sont majoritairement en faveur d’une alliance des différen-tes formations, et dénonce dans larésolution qui devait être votée samedi « le mauvais calcul fait parcertains d’un nouveau front, gau-che contre gauche, qui ajoute au brouillage général des clivages ».

M. Cambadélis appelle depuisplusieurs mois, au­delà des diver-gences en matière de politique économique, à la constitutionautour des valeurs progressistesd’une « alliance populaire », pourcontourner les blocages partisanspar la base. « La limpidité de l’alter-native devrait nous y aider, c’estsoit le dépassement, soit le dépéris-sement », explique la résolutiondu Conseil national qui devaitêtre votée samedi. Mais la multi­plication des appels du pied ne produit pour l’instant que peu d’effet : le PS ne semble pas en mesure d’imprimer une dynami­que collective ; la société civile n’ajamais paru aussi éloignée de la majorité ; quant aux partis, ils ri­valisent de déclarations acerbes les uns envers les autres.

« Les rencontres continuent avecnos partenaires », assure pourtantM. Cambadélis. A Solférino, on es­père que les communistes ouvrent la porte à une alliance de second tour, comme l’a laissé en-tendre Pierre Laurent, le numéro un du PCF, dans un entretien au Monde. Mais encore faudra-t-il être en mesure de gagner après unpremier tour en ordre dispersé

qui s’annonce dévastateur pour toutes les formations de gauche. Même dans les deux régions où leFront national a une chance de l’emporter, dans le Nord - Pas-de-Calais - Picardie et en Provence-Al-pes-Côte d’Azur, les appels à battrel’extrême droite n’ont pas abouti.

La lettre du PS a davantage agacéles écologistes qu’autre chose. « Je n’ai pas de leçons d’unité à recevoir de Jean-Christophe Cambadélis, pas plus que de radicalité de la part de Jean-Luc Mélenchon, explique Emmanuelle Cosse, la secrétaire nationale d’Europe Ecologie-Les Verts. Il n’est pas interdit au PS et augouvernement de porter une politi-que de transformation sociale et écologiste qui lui permettrait de re-nouer avec ses électeurs. » Le PS, qui devait pourtant annoncer sa-medi le lancement d’un site Inter-net consacré à « la social-écolo-gie », devra trouver autre chose pour ramener les écologistes à de meilleurs sentiments.

Dans son propre camp, M. Cam-badélis rencontre des difficultés àfaire valoir son analyse. Les fron-deurs ont répliqué à sa lettre par une missive de leur cru. La disper-sion peut entraîner la disparition de la gauche ? « La déception acréé la division », rétorque la gau-che du parti, qui reproche à la ma-jorité de s’en tenir à des injonc-tions peu efficaces. « Cambadélis a raison de lancer le débat, mais il n’apporte aucune solution », re-grette Christian Paul, le député dela Nièvre et chef de file des fron-

primaires de tous les progressistespour la présidentielle ».

Derrière les discussions stratégi-ques sur l’union de la gauche, c’estdonc bien le débat budgétaire qui a débuté au sein de la gauche. Au cours de l’été, le PS a adopté en bu-reau national un texte du député des Hauts-de-Seine Jean-Marc Germain sur la réorientation d’une partie du pacte de responsa-bilité destinée aux entreprises vers les ménages, les collectivitéslocales et les PME. Mais dès la ren-trée, Manuel Valls et François Hol-lande ont tour à tour réaffirmé qu’il n’y aurait aucune modifica-tion de ce dispositif, avant de pro-mettre néanmoins 1 milliard

d’euros pour les collectivités loca-les et de nouvelles baisses de l’im-pôt sur le revenu en 2016, le tout financé par de nouvelles écono-mies. « Nous sommes encore dans la discussion, mais nous enregis-trons avec satisfaction les avan-cées du gouvernement », se félicite le premier secrétaire du PS. Et peu importe que le point d’atterris-sage soit pour le moment assez éloigné de la position votée à Sol-férino. « C’est une négociation, Cambadélis a déjà obtenu de peti-tes choses, s’il coche encore une case ou deux ça lui ira », assure un membre de la direction du parti.

Pour les frondeurs – que le pre-mier secrétaire préfère appeler

« les minoritaires » –, il s’agit aucontraire d’un débat sur le rôle duPS dans les institutions. « Camba-délis s’est mis dans la seringue avecle vote du rapport Germain, main-tenant le parti a une position et onva voir s’il la défend, explique Lau-rent Baumel, député d’Indre-et-Loire. La majorité des élus fidèlesà l’exécutif se prépare donc au re-tour des joutes entre socialistes àl’Assemblée nationale. Le prési-dent de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas, s’en amuse-rait presque : « J’attends avec im-patience le moment où les fron-deurs vont nous dire qu’il faut être légitimiste vis-à-vis du PS. » p

nicolas chapuis

Le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, le 28 août, à La Rochelle. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH POLITICS POUR « LE MONDE »

Emmanuel Macron, le « off » brisé et le statut des fonctionnairesFrançois Hollande a dû recadrer les propos du ministre de l’économie sur la fonction publique

I l y a un exercice dans lequelEmmanuel Macron excelleces derniers temps : celui qui

consiste à allumer des polémi-ques, quitte à se faire recadrer en-suite par les plus hautes autorités de l’Etat. Après ses critiques sur les 35 heures, à la fin août, c’est surle statut des fonctionnaires que leministre de l’économie a provo-qué un joli pataquès, vendredi18 septembre, contraignant Fran-çois Hollande à remettre les points sur les i.

A l’origine de la controverse, unpetit-déjeuner/débat organisé, vendredi 18 septembre matin, par le think tank En Temps réel. M. Macron est invité à s’exprimer devant plusieurs dizaines de per-sonnes, parmi lesquelles des hautsfonctionnaires, des dirigeants d’entreprises et quelques journa-listes. Répondant à une question sur la réforme de l’Etat, le ministre se lance dans des considérations sur les règles encadrant le déroule-ment de carrière des agents pu-blics. Ses déclarations sont rela-tées, quelques heures plus tard, par une journaliste de Challenges présente dans l’assistance, Ghis-laine Ottenheimer. D’après le site Internet de l’hebdomadaire, M. Macron a dit que le statut des fonctionnaires n’est plus « adé-quat » pour certaines missions.

Alors qu’il se trouve à Tulle, leprésident de la République est in-terpellé par les médias, sur place. Il profite d’une petite cérémoniepour faire une mise au point. Aumoment de décerner l’Ordre na-tional du mérite au directeur dé-partemental de la cohésion so-ciale, M. Hollande loue en lui le « fonctionnaire d’Etat, un fonc-tionnaire attaché à son départe-ment de la Corrèze et, comme je le suis, attaché à son statut ».

« Il n’y a pas de problème »

« Le président a préféré ne pas tar-der à réagir car il ne voulait pas qu’un doute s’installe concernant le statut de la fonction publique », explique son entourage, sollicité par Le Monde. D’après l’Elysée, il n’y a pas eu d’échange entre MM. Hollande et Macron, ni d’aga-cement chez le chef de l’Etat après la nouvelle sortie du ministre de l’économie. « Ils en parleront sans doute dans les prochains jours, ils se voient souvent, mais il n’y a pas de problème car ce qui compte, c’estce qu’a dit le président, et il a été trèsclair sur le fond », explique l’entou-rage de M. Hollande.

Parallèlement, M. Macron en-voie, dans la soirée de vendredi, une déclaration à l’AFP. « A aucun moment, je n’ai parlé d’une ré-forme du statut de la fonction pu-

blique que le gouvernement envi-sagerait (…), affirme-t-il. Les pro-pos partiels rapportés donnentune vision déformée de ma pensée.Il ne peut y avoir aucune polémi-que à ce sujet. »

L’épisode a en tout cas provoquévendredi après midi de vives ten-sions entre le cabinet du ministre et la presse. Dans les rencontresorganisées par En Temps réel, larègle est de respecter la confiden-tialité des prises de parole. Ce quise dit est, pour reprendre une for-mule journalistique, « off the re-cord » (hors micro). Nos confrèresde Challenges ont décidé de s’af-franchir de cette obligation, esti-mant que les affirmations de M. Macron, sur un sujet aussi im-portant, méritaient d’être dévoi-lées, d’autant qu’elles sont aux an-tipodes des discours habituelle-ment portés par le PS. Ghislaine Ottenheimer a donc rédigé un ar-ticle mis en ligne sur le site Inter-net de Challenges, vendredi, peuaprès 13 heures.

SMS comminatoires

Découvrant ces informations, Le Monde a contacté le cabinet deM. Macron, vers 14 h 40, pour ensavoir plus. Première réponse,par SMS, de l’entourage du minis-tre : « Je ne vois pas de quoi vous parlez. » Nous avons insisté en

envoyant à notre interlocutrice un lien vers l’article. Deuxièmeréponse : « L’article a été retiré. Ils’agissait d’une rencontre tripleoff. Je vous demande de ne pas le reprendre en conséquence. »Deux autres SMS comminatoiresont suivi.

Le Monde n’a pas tenu comptedes remarques de Bercy mais a constaté qu’il n’était effective-ment plus possible d’accéder à l’article incriminé. Contactée, Ghislaine Ottenheimer nous a confié avoir eu conscience dès le départ « de tordre les règles de con-fiance » censées prévaloir à l’occa-sion de ces conférences-débats. Se-lon elle, En Temps réel a contacté un responsable de la rédaction – mais pas elle – pour que l’article cesse d’être en ligne sur le site de Challenges. L’hebdomadaire a ac-cepté, puis est revenu sur sa déci-sion, en le republiant. Un peu plus tard dans l’après-midi, Les Echos ont à leur tour levé le voile sur l’in-tervention du ministre. Les pro-pos relatés sont légèrement diffé-rents mais le sens est le même : se-lon le quotidien économique, M. Macron a déclaré que le statut des fonctionnaires n’était « plus adapté au monde tel qu’il va » et « surtout plus justifiable ». p

bertrand bissuel

et bastien bonnefous

SANTÉLe tiers payant généralisé rejeté au SénatLes sénateurs ont rejeté, vendredi 18 septembre, par 190 voix contre 145 le tiers payant généralisé, la mesure-phare du projet de loi santé, contestée par la majorité des syndicats de médicaux libé-raux. La ministre de la santé, Marisol Touraine, a aussitôt annoncé qu’elle représentera cette mesure lorsque le texte repassera devant l’Assemblée nationale.

EXTRÊME DROITEPlainte du FN après un meeting mouvementéLe Front national a déposé plainte, vendredi 18 septem-bre, contre le maire de Guilles-tre (Hautes-Alpes), Bernard Leterrier (EELV). Il lui reproche de ne pas avoir assuré les con-ditions de sécurité d’un mee-ting à l’issue duquel Marion Maréchal-Le Pen a été chahu-tée. Cette version est contes-tée par l’élu, qui dénonce une « provocation » de la part de la candidate frontiste. – (AFP.)

deurs. Dans leur lettre, ils déplo-rent que « le basculement opérépendant ce quinquennat vers une politique d’inspiration social-libé-rale, tournant le dos aux engage-ments de la campagne de 2012, ag-grave les fractures profondes quise sont creusées au sein de la gau-che française ».

Cambadélis « dans la seringue »

Dès lors, seule « une inflexion de la politique économique et so-ciale » lors de l’adoption du pro-chain budget à l’automne peut permettre de recréer un climat propice à la discussion. Et les frondeurs de plaider pourl’ouverture « d’un processus de

« Le basculement

opéré vers une

politique social-

libérale aggrave

les fractures au

sein de la gauche

française »

Lettre des « frondeurs » àJean-Christophe Cambadélis

Cedimanche à 12h10

0123

REED BRODYPorte-parole de l’ONGHuman RightsWatch

répond aux questions de Philippe Dessaint (TV5MONDE),

Sophie Malibeaux (RFI), Christophe Ayad (Le Monde).

Diffusion sur les 9 chaînes deTV5MONDE, les antennes de RFI et sur Internationales.fr

Page 14: Le_Monde_20_Septembre_2015.pdf

14 | france DIMANCHE 20 - LUNDI 21 SEPTEMBRE 2015

0123

L’Eglise catholique en quête de visibilitéUne nouvelle cathédrale est inaugurée dimanche à Créteil

C’est assez inhabituelpour être souligné.Dimanche 20 sep-tembre, Mgr Santier,

évêque de Créteil, et le cardinal ar-chevêque de Paris, André Vingt-Trois, inaugureront en présence du ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, une nouvelle cathé-drale : Notre-Dame de Créteil. Un édifice formé de deux coques en bois, qui se déploie tout en vertica-lité, avec un clocher culminant à 44mètres de haut et une capacité d’accueil passée de 500 à 1 100 per-sonnes. La semaine précédente, le 12 septembre, dans le nouveau quartier Clichy-Batignolles, à Pa-ris, le cardinal André Vingt-Trois avait inauguré la maison Ozanam, à la fois chapelle et lieu d’accueil dequartier.

Au moment où les églises deFrance sont réputées se vider, ces événements dénotent. Ils témoi-gnent d’un catholicisme qui « ose la visibilité », revendique Bruno Keller, le directeur général des Chantiers du Cardinal, une asso-ciation créée en 1931 dans le but de

restaurer ou de créer des édifices religieux en Ile-de-France et qui a cofinancé les projets. « Nous avonslancé neuf constructions, sorties de terre entre 2014 et 2016, à travers ce que nous appelons “le Grand Paris de l’Eglise” », explique M. Keller. Il s’agit d’aller au-devant des nou-veaux habitants en Ile-de-France, en montrant que l’Eglise n’est pas ringarde. » Sur les terrains des an-ciennes usines Renault de Boulo-gne-Billancourt (Hauts-de-Seine), dans les quartiers réhabilités du Stade de France (Seine-Saint-De-nis), des églises ont vu le jour. D’autres suivront, dans l’Essonne, dans le nouveau centre-ville de Saint-Pierre-du-Perray ou sur le plateau de Saclay, future Silicon Valley à la française qui accueillera 70 000 étudiants.

« Rester dynamique »

Pour Yann Raison du Cleuziou, maître de conférences en science politique à l’université de Bor-deaux, cet allant répond à un en-jeu : « Il s’agit aussi pour l’Eglise de France de rester dynamique auprès

des catholiques des quartiers popu-laires, notamment ceux d’origine africaine ou portugaise. C’est une population importante et qui est oubliée ».

Un autre changement, plus an-cien, est à l’œuvre : « La précédente cathédrale de Créteil, bâtie en 1976, était enfouie » dans le paysage ur-bain, note Nicolas de Brémond d’Ars, prêtre et sociologue au Cen-tre d’études interdisciplinaires des faits religieux. Cette architecture correspond aussi à « un courant ex-trêmement présent dans la spiri-tualité des catholiques des années 1950 aux années 1970 ». Le concile de Vatican II (1962-1965) avait signé

le rejet d’une Eglise triomphante etprosélyte en faveur d’une discré-tion et d’une foi traduite dans des engagements concrets.

Le contexte a profondémentévolué : « La recherche de visibilité aété mise à l’agenda par les évêques de France dans les années 1980 », retrace Yann Raison du Cleuziou, alors que le pape Jean Paul II, élu en 1978, emploie pour la première fois l’expression « nouvelle évan-gélisation ». « Il a relancé l’idée d’une foi fière, analyse Olivier Bobi-neau, sociologue des religions. C’est l’époque où le clerc doit être vi-sible, on assiste par exemple au re-tour du col romain. » Voire des sou-tanes par endroits. Le pontificat deBenoît XVI (2005-2013) n’a pas dé-rogé à la tendance, qui a créé un Conseil pontifical pour la promo-tion de la nouvelle évangélisation.

A partir des années 1980, le ca-tholicisme a aussi été confronté au succès des communautés cha-rismatiques, inspirées du protes-tantisme pentecôtiste. L’évêquede Créteil, Michel Santier, est d’ailleurs issu de ce renouveau charismatique catholique qui im-prègne l’Eglise, à travers des com-munautés comme L’Emmanuel,Alpha ou Aïn Karem. Ainsi, en 2014, le cardinal André Vingt-Trois a demandé à tous les catho-liques de Paris de pratiquer

l’évangélisation de rue pendant lapériode dite de l’Avent qui pré-cède Noël.

Le début de pontificat de Fran-çois, qui appelle à sortir des égli-ses mais dans la miséricorde, ne« redistribue les cartes que de fa-çon relative, croit Olivier Bobi-neau. En France, le nombre d’évê-ques conservateurs reste très im-portant. Toute une génération deprêtres et de fidèles a été formée à la stratégie identitaire.

Pour Nicolas de Brémond d’Ars,le « sursaut identitaire » s’est doncpoursuivi, depuis la « réappari-tion des processions religieuses dès les années 1990 » jusqu’à « LaManif pour tous, son dernier ava-tar, qui défend l’idée que l’on n’a pas peur de descendre dans la rue pour manifester en faveur de la so-ciété que l’on veut ».

Ce mouvement s’inscrit enoutre dans un contexte où l’Egliselutte contre l’érosion de ses trou-pes de fidèles : « Alors que la prati-que dominicale est en baisse régu-lière, le nombre de manifestations extra-ordinaires se multiplient. » L’agrandissement de la cathé-drale de Créteil le démontre, quipourra accueillir 1 100 personnesquand seulement 300 fidèles as-sistent habituellement à la messe du dimanche. Elle se veut un lieud’attraction pour les grandes célé-brations comme la messe de Pâ-ques ou les ordinations sacerdo-tales.

Ce besoin de visibilité ne seraitpas aussi fort s’il ne se vivait pas, enfin, « en réponse à l’affirmation des musulmans dans l’espace pu-blic, fait remarquer Yann Raison du Cleuziou. Les identités religieu-ses se construisent en miroir les unes en rapport aux autres ».

« Il y a un marché du sens et duspirituel à conquérir, poursuit le sociologue Olivier Bobineau. Les cultes doivent élargir leur offre. » Lamaison Ozanam des Batignolles est d’ailleurs un lieu d’ac-cueil avant d’être une église. Le dio-cèse s’est entouré d’associations pour développer une proposition de conseil familial et conjugal et d’éducation des jeunes. p

julia pascual

La nef de la cathédrale Notre-Dame de Créteil. PATRICK KOVARIK/AFP

« Il y a un marché

du spirituel

à conquérir.

Les cultes

doivent élargir

leur offre »

OLIVIER BOBINEAU

sociologue des religions

L'HISTOIRE DU JOUR Dieudonné expulsé avant même d’emménager dans son nouveau théâtre

A voir été condamné à maintes repri-ses pour propos antisémites, diffa-mation, injure et provocation à la

haine et à la discrimination raciale n’est pasla meilleure des cartes de visite pour un aspi-rant locataire. Alors qu’il pourrait bientôt être expulsé du théâtre de la Main-d’Or, à Pa-ris, où il se produit depuis quinze ans (le tri-bunal de Paris doit faire connaître sa déci-

sion le 29 septembre),Dieudonné pensait avoirtrouvé une autre scènepour ses prochains specta-cles, mais il va devoir pros-pecter de nouveau.

Le 8 septembre, la sociétéLes Productions de laPlume signe un bail, dit decourte durée, pour organi-ser des spectacles sur unepartie du site des anciensAteliers Christofle, situés à

Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Elle loue pour deux ans un local d’environ 1 500 mè-tres carrés constitué principalement d’une vaste salle de réception. Idéal pour des repré-sentations.

Le bail aura vraiment été de courte durée :une semaine. Le temps pour le propriétaire des lieux, la SARL des Ateliers Christofle, unefiliale du groupe Madar, spécialisé dans l’im-mobilier de bureaux et d’entreprises, de dé-couvrir « avec horreur et stupéfaction » queson nouveau locataire n’est autre que Dieu-

donné. Jamais son nom n’est apparu dans lanégociation du bail. Selon les documents que Le Monde s’est procurés, c’est sa compagne Noémie Montagne, la gérante des Produc-tions de la Plume, qui a signé le bail à sa place.

Quand il a découvert le tour de passe-passe,le propriétaire est « entré dans une colère noire ». Sa réaction n’a pas traîné. Par e-mail etlettre recommandée en date du mercredi 16 septembre, il a fait savoir aux Productions de la Plume qu’il avait été « trompé » et qu’il considérait de ce fait le bail comme nul. Pour appuyer leur décision, les dirigeants de la SARL des Ateliers Christofle ont expliqué : « Notre consentement a été vicié dans la me-sure où, si nous avions su que cette société était, entre autres, la société de production de Dieudonné M’Bala M’Bala, nous n’aurions ja-mais donné notre accord pour la signature debail. » Le propriétaire invoque aussi « les trou-bles de jouissance au voisinage et les troubles àl’ordre public qui se sont produits par le passé en d’autres lieux ».

Surtout, la direction de la SARL des AteliersChristofle fait savoir « que, pour des raisonsmorales, ils n’auraient jamais loué à un néga-tionniste qui a déjà été condamné à plusieursreprises par les tribunaux ». Dieudonné a déjà été condamné à 25 000 euros d’amende pour des déclarations antisémites proférées lors d’une de ses représentations. Ce sont mainte-nant les avocats des deux parties qui devront régler ce conflit. p

guy dutheil

JAMAIS LE NOM DU POLÉMISTE N’EST APPARU DANS LA NÉGOCIATION DU BAIL

Lundi 21 septembre10h — 22h30 journée exceptionnelle

36 personnalités de la culture interviewées

par la rédaction et par le public

Cécile Allegra/ grand reporter, documentariste

Pénélope Bagieu/ illustratrice, auteur de BD

Bartabas/écuyer, metteur en scène

Valérie Belin/photographe

Mehdi Ben Cheikh/galeriste, auteur

Emmanuelle Bercot / réalisatrice, actrice

José Bové/militant altermondialiste et député européen

Eric Cantona/comédien

Renaud Capuçon/violoniste

Romeo Castellucci /metteur en scène, plasticien

André Comte-Sponville /philosophe

Delphine Deloget / grand reporter, documentariste

Claire Diterzi / auteur-compositrice-interprète

Tiken Jah Fakoly/ chanteur

Brigitte Fontaine/ auteur-compositrice, écrivaine

Thierry Frémaux/délégué gal du festival de Cannes

Pierre Gagnaire/ grand chef cuisinier

Deniz Gamze Ergüven/ réalisatrice

Fabrice Gobert / scénariste, réalisateur

Emilie Hache/philosophe

Yves Jeuland/réalisateur, auteur de documentaires

Philippe Jordan/ chef d’orchestre

Patrick Jouin/designer

Jack Lang/homme politique, président de l’IMA

Simon Liberati / journaliste, écrivain

Vincent Lindon/acteur, scénariste, réalisateur

Alain Mabanckou/écrivain

Mona Ozouf/philosophe, historienne

Patrick Pelloux/médecin urgentiste, chroniqueur

Les Pinçon-Charlot /sociologues

Martial Raysse/peintre, sculpteur, réalisateur

Robin Renucci / acteur, réalisateur

Jean-Christophe Ruin/médecin, écrivain

Boualem Sansal /romancier, essayiste

Lewis Trondheim/auteur de BD

Charline Vanhoenacker/ journaliste

Marc Voinchet /directeur de France Musique

Théâtre du Rond-Point Paris

Infos et réservations sur

www.theatredurondpoint.fr

Dimanche 20 septembre19h30 — 22h soirée spéciale

orchestrée par Jean-Michel Ribes

avec la rédaction de Télérama

«La bande-annonce de la rentrée 2015»

Christine Angot, Sophia Aram, Lou Doillon,

Michel Fau, Emily Loizeau, Muriel Robin,

Eric Ruf, Vianney…

En partenariat avec MGEN

Mutuelle santé, prévoyance

Page 15: Le_Monde_20_Septembre_2015.pdf

0123DIMANCHE 20 - LUNDI 21 SEPTEMBRE 2015 enquête | 15

Les neuf vies

de BastareaudUn soir de juin 2009, il tentait de mettre finà ses jours. Six ans plus tard, le trois-quarts centre surpuissant de l’équipe de France dispute l’édition 2015 de la Coupe du monde de rugby.La rédemption d’un colosse à l’esprit tourmenté

adrien pécout

La nuit est injuste. Il y a ceux quidorment et ceux qui aimeraientdormir. Mathieu Bastareaud re-lève plutôt de la seconde catégo-rie, celle des abonnés aux nuitsblanches, des angoissés des ques-

tions existentielles, des tourmentés qui cogi-tent sans répit. « Ça m’arrive encore, confie-t-il de sa voix de basse, sans tension appa-rente. J’essaie de rester couché, je refais la jour-née. Je repense à mes conversations, à mes entraînements. Je me dis qu’à ce moment-ci j’aurais dû dire autre chose, qu’à ce moment-làj’aurais dû faire une autre passe. Puis je pense à la journée de demain… »

Comment trouver le sommeil, ces derniersjours ? Samedi 19 septembre, à Londres, letrois-quarts centre de l’équipe de France de rugby dispute son premier match de Coupe du monde : les Bleus commencent l’édition2015 de la compétition face à l’Italie. Jeudi, il fêtait ses 27 ans. « J’ai déjà eu neuf vies dans lerugby, comme dans Super Mario », sourit l’amateur de jeux vidéo sous sa barbe drue.Vingt-sept ans, donc, et déjà une autobiogra-phie. En juin, Mathieu Bastareaud publiaitTête haute. Confessions d’un enfant terrible durugby (Robert Laffont, 216 p., 18 euros), pré-facé par le légendaire Jonny Wilkinson.« Quand je pense à ces enfants africains qui envivent des vertes et des pas mûres, je me disqu’il n’y a pas d’âge pour en écrire une… C’est selon la vie de chacun. » La sienne charrie son lot d’angoisses et de déprimes, qu’il a désor-mais appris à surmonter. « Je suis quelqu’un qui a peur », admet-il. Un temps mort. « Qui a peur de décevoir, de perdre. »

En quatre ans, le rugbyman a pourtant déjàacquis un palmarès presque aussi long que saliste de tatouages, des symboles tribaux qui renvoient à l’imaginaire maori, des attrape-rêves amérindiens, ou encore le prénom desa mère, Dania, premier motif de sa collec-tion. Bastareaud est triple champion d’Eu-rope en titre et champion de France 2014 avecle Rugby club toulonnais. Alors pourquoi « cette boule au ventre » qui l’étreint encore par moments ? « Les gens ont toujours vu en moi un potentiel et m’en ont toujours fait part.Même dans les catégories de jeunes [à Créteil-Choisy, puis à Massy], on s’attendait à ce que je fasse gagner l’équipe, se remémore le natifde Créteil, initié au rugby dès l’âge de 5 ans dans un centre aéré. Donc, mine de rien, c’est de la pression. Sauf que moi, cette pression-là, au lieu de l’évacuer, je me la mettais encoreplus… » D’un côté, un joueur surpuissant (quelque 120 kilos pour 1,83 m) capable d’en-voyer valdinguer n’importe quelle défense rencontrée à pleine vitesse. De l’autre, un êtrehumain attachant avec ses fragilités, ses étatsd’âme, ses coups de blues.

MAUDITE NUIT DU 20 JUIN 2009

Cet ascenseur émotionnel, peu de sportifs dehaut niveau auraient osé le raconter. Peud’entre eux auraient eu la force d’avouer comme lui son enfance de dyslexique, sesphases de boulimie lorsque, encore mineur,au Centre national de rugby, à Marcoussis (Es-sonne), il vomissait les plats guadeloupéens de sa mère à la veille d’une pesée. Bastareaudplaisante même des TOC qui lui résistent en-core : « Si j’étais chez moi, par exemple, là ça n’irait pas ! » Joignant le geste à la parole, il ali-gne son smartphone bien parallèle à la table, puis les verres, côte à côte.

Combien auraient confié, six ans après, unetentative de suicide jusque-là tenue secrète ? « Il me l’a dit presque au détour d’une phrase, se souvient Arnaud Ramsay, le journaliste quilui a glissé l’idée de ce livre et lui a proposé decollaborer à sa rédaction. Lors de notre troi-sième et dernière session d’entretiens à Tou-lon, à un moment, il me dit : “J’ai voulu en fi-nir”. Il m’a tout raconté d’une traite. »

Ah, cette maudite nuit du 20 au21 juin 2009 ! Alors en Nouvelle-Zélande, le novice aux dreadlocks se présente, à l’aube, devant l’encadrement médical du XV de France, le visage en sang et l’œil gauche tu-méfié. Le Français de 20 ans prétend avoir étévictime d’une bagarre avec des passants néo-zélandais, à l’issue d’un test-match perdu (14-10) avec les Bleus à Wellington. Cinq jours plus tard, les caméras de surveillance de l’hô-tel démentent ce témoignage. On l’aperçoitentrer encore intact dans le hall, peu après 5 heures du matin. De retour en France, le

joueur reconnaît son mensonge et livre une seconde version : il affirme désormais avoir chuté contre un coin de sa table de nuit, sous l’effet de l’alcool, au moment de se désha-biller. Certains ont encore du mal à admettre cette explication et suggèrent – sans réelle-ment étayer le propos – une bagarre avec des coéquipiers ou la présence encombrante de jeunes femmes.

Très vite, au pays du Rainbow-Warrior, le ba-teau de Greenpeace coulé par les services se-crets français en 1985, l’erreur de jeunesse setransforme en affaire d’Etat. Le premier mi-nistre français, François Fillon, présente ses excuses à son homologue néo-zélandais.« Vis-à-vis de tout le monde, on se sent trèsmal, on se sent sale, on a l’impression d’avoirtrahi, décrit Mathieu Bastareaud, c’est ce sen-timent qui prédomine. » Encensé puis sou-dain enfoncé, l’espoir déchu vit très mal sachute : « A l’époque, on m’a fait passer pour unpetit caïd de cité qui était là par hasard, qui sefoutait de tout et de tout le monde. C’est ce queje lisais le plus souvent. Et c’est ce qui m’a leplus gêné. Surtout que, souvent, les personnes qui écrivaient, je ne les avais jamais vues. »

La tempête médiatique affecte aussi la mèredu joueur. Chez elle, à Quincy-sous-Sénart,dans l’Essonne, où Le Monde l’a rencontrée, Dania Bastareaud évoque un moment exé-crable : « Il était 22 heures exactement. Je me lerappelle bien, j’étais avec Lenny [le demi-frère de Mathieu], je lui disais d’aller se coucher, puis voilà qu’on sonne. J’ai sursauté : qui peut sonner à cette heure-là ? » Qui ? Un journalisteprêt à tout pour obtenir une réaction. « A laradio, ce journaleux avait ensuite donné monnom, mon adresse, il avait dit que j’habitais unrez-de-chaussée. Et il avait évoqué un apparte-ment avec des boîtes aux lettres déglinguées,

alors qu’elles étaient en travaux… », soupire cette femme d’ordinaire pleine d’entrain.

Enfant, Mathieu Bastareaud passait lesweek-ends à Créteil chez son père, salariéd’une entreprise de courses et de livraisons, etvivait le reste de la semaine à Quincy-sous-Sé-nart, dans cette résidence de quatre étages quin’a rien d’un taudis. Plus encore que sa mère, le rugbyman professionnel accuse le coup. Employée dans un bureau de poste, Dania Bastareaud prend une journée de congé pour le réconforter. « Mathieu avait passé la nuit à pleurer, il disait : “Ouais, j’ai fait une bêtise, mais c’est ma maman qu’ils viennent embê-ter”. »

Aucune consolation ne le guérit de cettepeine. Dans la semaine, le jeune homme passe à l’acte dans la cuisine de son apparte-ment parisien. « J’ai saisi un grand couteau et je me suis tranché les veines, écrit-il dans Tête haute. Je me suis aussitôt écroulé sur le sol, tombant dans les pommes. » Ce soir de juin 2009, le rugbyman vient de consulterdans sa chambre une page Facebook « où l’on se défoulait sur [lui] » à grand renfort de« commentaires anonymes ».

Depuis le salon, ses quatre amis alors pré-sents l’entendent tomber. Hospitalisation d’urgence à l’hôpital Ambroise-Paré de Bou-logne-Billancourt, puis séjour de deux semai-nes dans la confidentialité d’une clinique pri-vée en banlieue parisienne. L’un de ses pro-ches, Soule Diarra, employé de banque, a untemps « culpabilisé » de n’avoir su déceler ceprofond mal-être. « Dans notre groupe, on n’avait pas trop tendance à montrer nos émo-tions. On n’a pas été assez vigilants, je pense qu’on a aussi une part de responsabilité. »

Mathieu Bastareaud va mieux, beaucoupmieux. Plus apaisé, plus ouvert, le sportif a

aujourd’hui mis un mot sur cette déprimequi l’a rongé. « Mathieu est capable d’assumerdevant tout le monde ses anxiétés, ses doutes, dans un monde du rugby qui n’accepte pas fa-cilement ce genre de failles, considère MeriemSalmi, la psychologue du Stade français qui lesuit depuis son passage dans le club parisien (2007-2011). On est dans un sport où n’existentque la force, la puissance physique. Parler deses émotions dans ce contexte, c’est aussi cela, l’intelligence. »

Mais gare aux rechutes. Au mois de décem-bre 2014, le joueur toulonnais craque de nou-veau, devant la caméra : « Je suis arrivé au point de rupture », lâche-t-il, en larmes, à l’is-sue d’une défaite à Paris (30-6) sur le terrainde son ancien club. Sur les conseils de Sébas-tien Tillous-Borde, demi de mêlée de Toulonet du XV de France, Bastareaud, depuis, tra-vaille ses nerfs avec le préparateur mental etboxeur Faïsal Arrami : « Je lui demande parexemple d’être complètement relâché, puis debondir et de cogner dans un sac de boxe detoutes ses forces, décrit le coach mental. Ce nesont pas les émotions qui doivent le contrôler, c’est l’inverse. » « Mathieu a un côté un peufleur bleue, un peu cœur d’artichaut, quand il aune copine, c’est Les Feux de l’amour », plai-sante Soule Diarra à propos de son ami, denouveau célibataire.

« BASTA ROCKET »

« Basta Rocket », la fusée Bastareaud, ainsi que l’avaient surnommé les médias à ses dé-buts en équipe de France (35 sélections de-puis 2009, mais aucune entre mars 2010 etfévrier 2013), peut également s’appuyer sur une mère avec laquelle il a toujours entre-tenu une relation fusionnelle. « C’est peut-être parce que quand je me suis séparé de sonpère, Mathieu était le plus petit de mes trois en-fants, il avait 3 ans, juge-t-elle avec le recul. C’est vrai que je l’ai chouchouté un peu plus.Peut-être que j’ai voulu faire les deux, jouer lerôle de papa et de maman. C’était un enfantqui aimait qu’on lui montre qu’on l’aime. »

Quand son fils jouait au Stade français, Da-nia Bastareaud savait qu’elle recevrait un coup de fil dès le retour aux vestiaires. « “Alorsmaman, tu as vu le match et tout, qu’est-ce quet’en as pensé, est-ce que j’ai bien joué ? est-ce qu’on a bien joué ?” » Aujourd’hui, elle se con-tente de lui envoyer un texto d’encourage-ment avant le match et un autre à la fin. Une attention à laquelle le trois-quarts centre esttoujours aussi sensible. « Une fois, je n’ai paspu lui en envoyer un. Le jour même, il m’a écrit :“Alors, je n’ai pas mon petit message d’après match ?” »

Ce samedi 19 septembre, aucun problèmeen perspective : maman Bastareaud assisteau match contre l’Italie depuis les tribunes dustade londonien de Twickenham. p

Mathieu Bastareaud chroniquera chaque semaine la compétition pour « Le Monde ».

ANNE-GAËLLE AMIOT

« J’AI SAISI UN GRAND COUTEAU

ET JE ME SUIS TRANCHÉ LES

VEINES. JE ME SUIS AUSSITÔT ÉCROULÉ

SUR LE SOL, TOMBANT DANS LES POMMES »

MATHIEU BASTAREAUD

dans son autobiographie « Tête haute »

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16 | débats DIMANCHE 20 - LUNDI 21 SEPTEMBRE 2015

0123

Des intellectuels à la dérive ?Les récents propos tenus par le philosophe Michel Onfray sur les migrants soulèvent une polémique. Dérapage droitier d’un intellectuel de gauche ou inquisition médiatique des « bien-pensants » ? Débats et réflexions sur une scène des idées en plein chambardement

par nicolas truong

La vie des idées n’en finit plus debasculer. Et le bocal intellectuelnational de patauger dans des po-lémiques dont il détient le secret.Formulant des doutes sur la véra-cité de la photo d’Aylan, l’enfant

kurde échoué sur une plage de Bodrum, en Turquie, voici que le philosophe libertaire Mi-chel Onfray évoque, dans les colonnes du Fi-garo du 11 septembre, ces questions qui sont « devenues impossibles à poser ». L’accueil des réfugiés, la dangerosité de l’islam ou la dé-fense du peuple français font partie, on le de-vine, de ces sujets d’après lui occultés. Et voici Michel Onfray accusé, principalement par Li-bération (15 septembre), de « faire le jeu du FN ».

Le fondateur de l’Université populaire deCaen a choisi de répondre dans nos colonnes. Parce qu’il refuse d’être considéré comme « l’allié objectif » de Marine Le Pen. Parce que c’est la « droite libérale » et le « socialisme en-trepreneurial » qui font, selon lui, le jeu du Front national. En reléguant une France péri-phérique ringardisée, la « fausse gauche » ne cesserait d’alimenter le parti d’extrême droite.Pour l’historien des idées François Cusset, ce nouvel épisode est le signe d’une « surenchère nauséabonde » de fast thinker condamnés, pour exister, à la « dérive droitière décom-plexée ». Et d’appeler les intellectuels critiques à « ne pas laisser le monopole de la diatribe auxclercs les plus cocardiers ».

Victime du « bûcher médiatique » allumé parles belles âmes à la conscience morale inquisi-toriale, Michel Onfray contribue au contraire à« clarifier enjeux et clivages » au sein de la gau-che, notamment sur la question européenne, affirme le politologue Laurent Bouvet. Sa « dé-rive » est plutôt le signe d’un pays qui « perd le nord », d’une France complètement « à l’ouest », se désole, de son côté, l’écrivain Eric Naulleau. Une France oublieuse de sa véritableidentité, qui doit reposer sur sa « générosité » envers les réfugiés, qu’ils soient dissidents est-européens ou boat people vietnamiens.

Il y a beaucoup de fils à démêler pour com-prendre ces conflits idéologiques. Mais tout d’abord, comment expliquer la récurrence detelles polémiques ? Sans doute en raison de la transformation de la vie intellectuelle par la métamorphose du champ médiatique. Avec pour conséquence une simplification du dé-bat public. Sur toutes les stations de radio et les chaînes de télévision – les journaux ne sont pas épargnés –, c’est le modèle des « gran-des gueules » qui a triomphé. Ce ne sont plus guère des dialogues ni même des controver-ses, mais des matchs de catch qui sont propo-sés. Pour chaque « sujet », il faut un « pour » (le retour des blouses grises à l’école) et un « contre » (idéalement favorable aux pédago-gies alternatives). Ou bien un entretien déca-

Marine, si tu m’entends...

par michel onfray

I l y a un procédé psychologi-que bien connu dans les coursde récréation dont la formule

est : « C’est celui qui le dit qui y est ». Qu’on me reproche d’être l’al-lié objectif de Marine Le Pen estaberrant ! Qu’elle le dise n’est pas étonnant dans sa course à la res-pectabilité, dans son envie d’avoir des noms d’éventuels compa-gnons de route, dans son besoin stratégique et tactique d’un point de vue électoral de remplir le vide intellectuel de son parti.

Toutefois je remarque que lapresse qui ne croit jamais rien de Marine Le Pen et qui met en doute son soutien aux juifs de France et aux juifs d’Israël, son diagnostic que la communauté juive est en danger dans certains quartiers français, son aveu qu’Auschwitz fut le plus grand crime du XXe siè-cle, sa réitération sur tous les tons que son père et elle n’ont plus rien à voir – ce dont témoigne sa mise au rebut du libéralisme et de l’anti-sémitisme de son père –, cette presse, donc, qui met en doute tout ce qu’elle dit, ne met pas en doute cette affirmation qu’avec d’autres je serais un allié objectif !

Mon athéisme avéré, mon oppo-sition à la peine de mort, ma dé-fense de l’avortement et du ma-riage homosexuel, mon combat pour l’euthanasie et le clonage thé-rapeutique, mon refus de jeter tout l’art contemporain à la pou-belle, ma défense d’un socialisme libertaire, mon refus de ceux qui, chez elle, relèvent du canal histori-que du FN, ainsi que mon dédain de toutes les classes politiques dont elle fait partie, tout cela fait que Marine Le Pen n’est pas plus ma tasse de thé que Hollande ou Mélenchon, Sarkozy ou Bayrou. Qu’ils s’en aillent tous comme di-rait l’autre. Je suis devenu et reste-rai abstentionniste. Un « athée so-cial » pour le dire comme Georges Palante, auquel j’ai consacré mon premier livre en 1989. Je ne crois plus qu’à la politique de la base, celle du peuple qui dit non et s’or-ganise en dehors des syndicats et des partis.

LE PROLÉTARIAT AU FOSSÉ

En revanche, je m’étonne qu’on ne pointe pas les réels alliés objectifs de Marine Le Pen : autrement dit tous ceux qui la rendent possible depuis un quart de siècle. A savoir :la droite libérale et la gauche libé-rale qui ont fait du mot « souverai-niste » une insulte ; le socialisme qui a renoncé à la gauche en 1983 et qui a vendu une télé publique à Berlusconi et fait de Bernard Tapie un ministre et un héros des temps du socialisme entrepreneurial ; celle qui, avec Joffrin [directeur de la rédaction de Libération] déjà, et, déjà, dans Libération, annonçait aux chômeurs un obscène « Vive la crise ! » en 1984 ; celle qui a fait deMaastricht l’horizon indépassable de la politique, et qui, par consé-quent, a précarisé des millions de prolétaires en Europe ; celle qui a jeté le prolétariat au fossé pour lui préférer les bobos qui, plus nom-breux, votaient pour elle ; celle qui

Ce sont les politiques libérales, de gauche comme de droite,qui ont contribuéà ce que le peuplese tourne aujourd’hui vers le Front national. Athée et favorable au mariage homosexuel, je reste un socialiste libertaire

¶Michel Onfray est philosophe, fondateur de l’Université populaire de Caen. Il a récemment publié « Cosmos » (Flammarion, 528 pages, 22,90 €).

vit Sarkozy et Hollande sur la même couverture de Paris Match et qu’on retrouvait, copains comme cochons, pour mépriser le vote des Français qui avaient dit non au traité européen en 2005, etqui l’ont quand même eu après que le congrès fut invité à voter contre le peuple ; celle qui, aujourd’hui, propose aux femmes chômeuses de louer leur utérus pour gagner leur vie.

Cette fausse gauche-là et lesjournalistes qui, à la télé, chaque matin sur les ondes de la radio du service public, dans la presse sub-ventionnée par les contribuables, ne cessent de vendre la soupe qui nourrit la petite entreprise de Ma-rine Le Pen. Ensuite, ils lui repro-chent ses bourrelets. Ceux-là, oui, sont les véritables alliés de la montée du FN.

Mais qui le leur dira ? Sûrementpas les journalistes, trop dans l’es-prit de corps et pas assez bêtes pour froisser ceux qui les nom-ment et les appointent. Ni les intel-lectuels de cour. Ni la classe politi-que tout à son jeu d’élection et de réélection. Mais nombre de Fran-çais qu’on n’entend jamais, eux, le savent et le pensent.

Cette gauche-là a renoncé à êtrede gauche. Pour ma part, je n’ai pasrenoncé à la gauche, celle du 10 mai 1981. Dès lors, le renégat, c’est moi ! Bien sûr… Il le faut bien si cette prétendue gauche veut en-core pouvoir se regarder le matin dans la glace quand elle se rase enpensant à la prochaine présiden-tielle, son seul horizon. Présiden-tielle à laquelle je ne voterai pas. p

pant, voire outrancier, avec une star des idées. Des types, des jeux de rôle, des personnages, presque des caricatures. Voilà ce qui a détrôné les joutes de l’ancienne cléricature.

L’effacement progressif de la figure de « l’in-tellectuel universel », à l’image de Jean-Paul Sartre ou Albert Camus, encore incarnée aujourd’hui par Alain Badiou ou Edgar Morin, explique aussi ce passage du philosophe criti-que au bateleur médiatique. Peut-être fau-drait-il également ajouter la défaite momen-tanée de « l’intellectuel spécifique ». Théori-sée par Michel Foucault, cette figure du cher-cheur qui ne s’engage que sur ses domaines decompétences (le logement, l’hôpital, l’immi-gration, l’asile ou l’université) semble avoir moins de portée que par le passé. A force de bouder l’arène médiatique ou d’en être bouté, l’expert engagé est peut-être en train de laisserl’autre camp gagner la bataille des idées.

L’une des conséquences de ce chambarde-ment est la transformation par les médias de certains « intellos » en marque de fabrique, en petite entreprise polémique. Or, une mar-que, ça se démarque. Et puisque la distinctionest aujourd’hui davantage du côté viriliste et autoritaire que du côté libéral et libertaire, ilest logique que la transgression se fasse plu-tôt du côté de la décomplexion droitière. Or, Michel Onfray continue de se réclamer du « socialisme libertaire ». Et c’est pourquoi laquerelle prend un tour plus grave et singulier.D’autant que l’auteur du Traité d’athéologie n’est pas un simple chroniqueur starisé parles écrans de télé, mais un philosophe pro-lixe, un pédagogue des idées, un contre-his-torien de la pensée. « Trahison des clercs », di-sent, avec l’écrivain Julien Benda, les vigies in-dignées par ses débordements jugés « droi-tiers ». Trahison de « la splendide promessefaite au tiers état », répliquent, avec le poète russe Ossip Mandelstam, les intellectuels dé-çus, comme lui, par les socialistes au pouvoir.

POSTURE VICTIMAIRE

Il s’agit donc d’un véritable clivage au sein de la gauche sur le rapport au « peuple ». Gare,toutefois, aux simplifications binaires. Car on peut à la fois être sensible à la « décence com-mune », comme dit George Orwell, des gensordinaires et ne pas forcément épouser leursplus inavouables pensées. Comme disait le philosophe allemand Theodor W. Adorno, « glorifier les malheureux pauvres diables re-vient à glorifier le merveilleux système qui fait d’eux ce qu’ils sont ». D’autant que la montée vers l’extrême est réelle et le basculement à droite d’une partie de l’opinion, indiscutable. Coauteur d’un ouvrage d’entretiens avec le po-lémiste « national-socialiste » Alain Soral et complice du journaliste Eric Zemmour à la té-lévision, Eric Naulleau affirme même prendre sa part de « responsabilité » dans l’ascension de ces histrions devenus leaders d’opinion. Car l’envie de faire craquer la chape de plomb du politiquement correct a parfois contribué àbanaliser l’abject.

Face à cette déferlante, la posture victimairedes essayistes surmédiatisés tout comme lareductio ad hitlerum des moralistes indignés semblent en retard d’une guerre. Les pre-miers continuent de jouer les martyrs alors qu’ils font la couverture de tous les hebdos. Or, le disque est rayé et le subterfuge large-ment éventé. Sans compter le risque de lasserleurs aficionados qui ne sont pas des gogos. Aforce d’invoquer le retour des années 1930, dene pas traiter avec le même soin les questionssociétales et les affaires sociales, les seconds passent parfois, aux yeux de l’opinion, pour d’irresponsables bobos.

Gageons que les véritables intellectuels,même pris dans le tourbillon d’une polémi-que médiatique, auront suffisamment de re-cul pour ne pas tomber dans le piège de la su-renchère. Car l’époque est suffisamment troublée pour ne pas réduire la pensée au slo-gan. p

« TRAHISON DES CLERCS », DISENT LES VIGIES INDIGNÉES PAR CES DÉBORDEMENTS JUGÉS « DROITIERS ».

TRAHISON DE « LA SPLENDIDE PROMESSE FAITE AU TIERS ÉTAT »,

RÉPLIQUENT LES INTELLECTUELS

DÉÇUS PAR LA GAUCHE AU POUVOIR

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0123DIMANCHE 20 - LUNDI 21 SEPTEMBRE 2015 débats | 17

Honneur de l’accueil, déshonneur du philosopheAu lieu de réactiver le cosmopolitisme, une flopée de penseurs médiatiques a opté pour la dérive droitière décomplexée. Les intellectuels de gauche doivent se réveiller

par françois cusset

N ous vivons à l’époque du dépla-cement du monde, qu’il soit l’ef-fet de massacres de civils, en Sy-

rie et en Erythrée, ou ailleurs, de la vio-lence systémique du taux de profit. De cedéplacement, affolé, incontrôlable, il s’agit aujourd’hui d’être à la hauteur. Lemoins qu’on puisse dire, c’est que ce n’estpas ce que fait Michel Onfray, quand il in-voque, dans Le Figaro, le 11 septembre,« le peuple français méprisé » auquel ses élites préféreraient « les marges célébrées par la pensée d’après 1968 » : pendant queles « populations étrangères [sont] ac-cueillies devant les caméras du 20 heu-res », explique-t-il sans vergogne – et sansêtre allé voir, surtout, comment elles sur-vivent dans des recoins de forêts ou descollèges désaffectés –, « la République fait la sourde oreille à la souffrance des siens »,à « ce peuple old school, notre peuple, monpeuple », ajoutant que « c’est à ce peuple que parle Marine Le Pen » – qui n’en de-mandait pas tant.

Après Alain Finkielkraut pleurant,en 2013, L’identité malheureuse (Stock) d’une société française disloquée par l’im-migration, on se demande si la suren-chère nauséabonde n’est pas l’ultime re-cours d’un intellectuel français moribond,dont la seule stratégie de distinction en-core viable, si c’est en se distinguant du

tout-venant « bien-pensant » qu’il paraîtra courageux, serait la dérive droitière dé-complexée : jouer la nation exsangue con-tre la mondialité libérale et ses déplacés sans nombre.

Ajoutez le silence gêné ou indifférent,dans ce contexte, des derniers penseurs de gauche, et face à eux, les leçons que donne une Caroline Fourest sur la liberté d’expression, ou l’assurance avec laquelle Elisabeth Badinter estimait il y a peu que la vraie laïcité ne serait (hélas) défendue qu’au FN – sans même aller jusqu’aux dé-rapages plus assumés des agitateurs sou-verainistes Natacha Polony ou Eric Zem-mour –, et on ne peut qu’en conclure à la fin d’une icône, ou d’une spécialité fran-çaise : Zola défendant le capitaine Dreyfus, Sartre sur son tonneau à Billan-court, Foucault solidaire à la Goutte-d’Or sont cette fois morts et oubliés.

Chez nos voisins, moins rodés au ritueldes plumitifs engagés, la dite « crise des réfugiés » réveille pourtant de plus di-gnes débats : le Slovène Slavoj Zizek sou-pèse droits et devoirs de l’accueil, l’ItalienErri De Luca oppose les entrants hier d’El-lis Island et les noyés aujourd’hui de Lampedusa, tandis que la gauche alle-mande se déchire entre ceux qui redou-tent une « disparition » du pays sous l’af-flux des étrangers (comme l’ex-SPD Thilo Sarrazin, le mal-nommé) et ceux qui ré-clament non seulement l’asile mais aussila pleine participation politique des réfu-

giés – du modéré philosophe Jürgen Ha-bermas au plus à gauche Raul Zelik, jeunesociologue proche de Die Linke. Et au mo-ment même, outre-Rhin, où les bureau-crates « réalistes » incitent les politiciens « hospitaliers » (car même à 100 000 réfu-giés accueillis, l’Allemagne reste loin du million et demi de Syriens échoués au Li-ban) à refermer soudain les frontières, lestenants britanniques du libre marché et les néoconservateurs américains ten-dance compassionnels – pour s’en tenir aux « unes » des magazines Time et TheEconomist – ont beau jeu de jeter l’oppro-bre sur cette Europe-forteresse, lancée pourtant elle-même, rappellent-ils, par-tout sur les routes il y a soixante-dix ans.

Outre l’intérêt qu’ils y voient dans cer-tains secteurs d’emploi, les idéologues néolibéraux font ici de l’accueil des réfu-giés la cerise morale sur le gâteau d’unordre économique immuable qui n’écœure pas que les Grecs, et qu’il pour-rait donc être loisible de réenchanter de la sorte, fût-ce ponctuellement – puisquel’étranger, on se contentera de le tolérer, on lui fera la faveur de l’exception.

UN PEUPLE DÉSORMAIS ABSENT

D’un côté, en somme, une droite peuunanime, alliant réalisme économique et messe du dimanche, prête à tous les opportunismes ; de l’autre, une gauche embarrassée par la mission qu’elle s’était donnée jadis de parler au nom d’un peu-ple désormais absent, peuple mi-social mi-national qu’elle a perdu sciemment. Face à si piteux tableau, il est urgent de ne pas laisser le monopole de la diatribe aux clercs les plus cocardiers, ou aux pluscyniques.

Pour que cette affaire, vitale pour l’ave-nir politique du continent, ne soit pas ré-duite à la charité chrétienne et au réflexe moralisant, il faut la repolitiser sur toute la longueur. La repolitiser en la croisant avec celle de l’immigration des plus dé-munis, car au sud du monde, il n’y a pas que la guerre qui soit invivable. La repoli-tiser en la reliant à la crise du modèle européen, pris entre dette grecque etdéni de démocratie, ouverture des mar-

chés et fermeture des frontières. Et en re-posant ainsi à cet endroit précis, au lieu même du refuge et de la précarité, de l’ac-cueil et de la survie, la vieille question ducommun. Et là, feu les intellectuelsauraient leur mot à dire. Ceux d’hier, qui furent sur ces questions d’une autretrempe que M. Onfray. Et ceux d’aujourd’hui, qui trop souvent se tai-sent.

Emmanuel Levinas faisait de l’accueill’étape liminaire de toute éthique, pour se défaire de sa place en faisant place à un autre. Hannah Arendt voyait les dé-placés comme des victimes des droits de l’homme, qui ne concernent toujoursque ceux qui ont déjà un sol : or c’est àpartir de ceux qui n’ont nulle part où al-ler, suggérait-elle, que la démocratie peutêtre réinstituée.

Gilles Deleuze opposait les sciences no-mades et les errances de l’exil aux savoirsd’Etat et à la tristesse du pouvoir. Daniel Bensaïd soulevait le paradoxe de « l’étranger intime », l’étranger dont il fautreconnaître la part qui nous habite. Et même le vieux Kant, dans son Projet de paix perpétuelle, appelait de ses vœux un« Etat universel cosmopolite ». Lui quiaurait sans doute rejoint ceux, trop rares,qui aujourd’hui proposent que l’Unioneuropéenne, si vraiment elle veut dépas-ser les Etats-nations, accorde la citoyen-neté européenne à ceux-là même à qui les nations la refusent. Soyons à leur hauteur à tous. Et à la hauteur, surtout, de ce qui arrive, de tous ceux qui nous ar-rivent. p

par laurent bouvet

L’ engagement des intellectuelsdans le débat public n’a jamais étéune promenade de santé, mais il

connaît depuis quelques années une évo-lution nouvelle et rapide, dont les figures classiques de l’intellectuel engagé ou de l’intellectuel médiatique n’arrivent plus à rendre compte. Même « l’intellectuel ter-minal », bien repéré et décrit par Régis De-bray, semble désormais insuffisant pour saisir ce qui est à l’œuvre.

On sait ce que doit une telle évolution àla transformation des conditions mêmes de la production du débat public, en parti-culier à l’évolution des médias sous l’in-fluence de l’information continue et per-manente et, depuis quelques années, de réseaux sociaux devenus omniprésents.

L’immédiateté, le caractère éphémère etcaricatural de toute polémique politico-intellectuelle sont devenus la norme. Poli-tiques, intellectuels, journalistes, respon-sables économiques ou associatifs, artis-tes, sportifs… Nul ne semble en mesure d’y échapper. Seul le degré de notoriété del’auteur de tel propos ou de tel acte en commande généralement l’intensité.

C’est à gauche que les dégâts sont lesplus visibles comme en témoigne le cas Onfray. A la fois parce que ce camp politi-que, sous différentes étiquettes, a long-temps cru détenir le monopole de l’enga-gement intellectuel au nom de la « vé-rité », historique ou philosophique, et parce que, matériellement, la majeure partie de ceux qui ont prétendu au statut d’intellectuel depuis l’affaire Dreyfus se sont retrouvés dans ce qu’a été la gauche pendant plus d’un siècle. C’est sans doute là que se situe le changement, au-delà des conditions médiatiques. Pour le com-prendre, il est indispensable de dépasser l’explication, le plus souvent formulée

comme une dénonciation politique, par la « droitisation » d’un champ intellectuel qui suivrait celle de la société française.

Mieux vaudrait repartir de l’éclatementde la gauche antitotalitaire auquel on a as-sisté à partir des années 1990 – à l’occa-sion de l’effondrement du système com-muniste, de l’accélération de la mondiali-sation, des nouveaux conflits (Irak, ex-Yougoslavie…), du débat européen ou de l’approfondissement des « fractures fran-çaises ». C’est à partir de là que chaque prétendant au rôle d’intellectuel public issu de ses rangs a en effet dû revoir sa grille d’analyse et de compréhension de lasociété et du monde et, de là, prendre po-sition sur de nouveaux enjeux, souvent difficiles à ranger de gauche à droite.

Ainsi, sur l’Europe – sa définition politi-que, son rôle dans les bouleversements del’ordre du monde, ses frontières… – qui estdevenue le lieu de nouveaux clivages, qu’il s’agisse d’économie ou d’identité. Ils ne correspondent plus ni aux délimita-tions partisanes et idéologiques ni aux postures intellectuelles qui en décou-laient jusque-là. Dans une telle perspec-tive, Michel Onfray contribue, avec d’autres, et quoi qu’on pense de ses con-clusions, à alimenter un débat susceptiblede clarifier enjeux et clivages sur la ques-tion européenne aux yeux de nos conci-toyens, jouant ainsi son rôle d’intellectuel.

C’est pourquoi plutôt que de dresser sonbûcher médiatique pour « mauvaise pen-sée », la gauche Savonarole gagnerait à s’appliquer à elle-même le pluralisme qu’elle professe par ailleurs, en partici-pant au débat auquel invite Onfray. Elle y gagnerait en crédibilité et, qui sait, peut-être des lecteurs et des électeurs. p

¶Laurent Bouvet est professeur de science politique à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines

Il est urgent que la France généreuse se ressaisisse ! A force de laisser prospérer les leaders d’opinion extrémistes, la France se défigure. Il est temps qu’elle renoue avec sa générosité, qui constitue son identité

par eric naulleau

C e ne sont pas 24 000 réfugiéssyriens qui menacent l’identitéfrançaise. Ce qui menace en

profondeur l’identité française, c’est le travail de sape mené depuis des an-nées par le Front national, une f(r)ange de l’opposition qui en répand les idées sans oser encore le rejoindre, un quar-teron d’éditorialistes en vue, quelquesintellectuels supplétifs, une poignéed’idiots utiles, des islamophobes réci-divistes comme Michel Houellebecq dans son dernier roman Soumission, sans oublier diverses officines qui s’emploient à fédérer toutes les extrê-mes pour hâter l’avènement du pire – et tous leurs alliés objectifs réunis.

Responsabilité collective dont nesaurait s’exclure l’auteur de ces lignes, puisque les fossoyeurs d’une certaineidée de la France ne sont jamais forts que de nos propres faiblesses. Ulcérés par le politiquement correct, l’entre-soi, le goût jamais assouvi du pouvoirréel ou symbolique, l’éloignement du peuple et de ses réalités vécues qui ca-ractérisent maints milieux de gauche,nous avons laissé quelques espritsforts ferrailler contre leurs représen-tants les plus caricaturaux. Mieuxaurait valu s’efforcer de refonder unepensée progressiste.

Laurent Ruquier en vint aussi tardi-vement que logiquement regretter d’avoir laissé la parole durant cinq sai-sons à Eric Zemmour dans son émis-sion « On n’est pas couché ». Dont l’in-vité sera, samedi 19 septembre, le phi-losophe Michel Onfray, devenu un frère ou un demi-frère de pensée de

mon partenaire de plateau pour desraisons sans doute plus psychologi-ques qu’idéologiques. Mordu aux mol-lets par tous les chiens de garde de labien-pensance chaque fois qu’il expri-mait une opinion jugée scandaleuse,l’auteur de Cosmos ne cesse depuis d’en rajouter pour mieux les provo-quer comme dans sa récente interview donnée au Figaro où ses commentai-res sur la photo du petit Aylan ne peu-vent que susciter la consternation chezquiconque possède un cerveau et un cœur placés aux bons endroits. Mieux aurait valu le défendre avec davantage de vigueur contre des attaques parfois scandaleuses que d’assister aujourd’hui à sa dérive.

DRÔLES DE PAROISSIENS

Quel en est le résultat ? Notre pays ne se ressemble plus, millions de citoyens apeurés par l’apparition d’un étranger en haillons pour peu qu’il se déclaremusulman. Notre pays est devenu mé-connaissable, bocal de poissons rougesen eau viciée dont la mémoire échoue à ranimer le souvenir de ces temps en-core proches où des bateaux emplis de migrants juifs parcouraient en vain les sept mers pour trouver un port d’ac-cueil — et leurs passagers revenaienten Allemagne pour subir le pire des sorts à Auschwitz et ailleurs.

Notre pays se défigure, une fille aînéede l’Eglise dont certains enfants, tels les maires de Roanne ou de Belfort, prônent la moins chrétienne des chari-tés en refusant d’héberger des malheu-reux d’une autre foi que la leur. Le papeFrançois vint heureusement sauver l’honneur de ces drôles de paroissiens en invitant chaque communauté ca-

tholique à recueillir une famille dans laplus évidente détresse matérielle et morale — bon saint (François d’Assise) ne saurait mentir !

Notre pays n’est plus la France, peu-ple oublieux de ce que certains des meilleurs d’entre nous se réfugièrentici au fil du temps mauvais pour fuir toutes les tyrannies (juifs, Russes blancs, Arméniens, Espagnols, Cam-bodgiens, intellectuels d’Europe de l’Est…). Et si ce n’est eux, c’est donc leurfrère – le nôtre par conséquent. Notre pays a perdu son visage, certains l’ont affublé d’un masque comme celui que le premier ministre hongrois, ViktorOrban, contraint ses policiers de portercontre les prétendues maladies des mi-grants – on ne se souvient pas de telles précautions lorsque, le 2 mai 1989, des milliers de Hongrois profitèrent de la chute des barbelés entre leur pays et l’Autriche.

Notre vieux pays perd le nord, notrevieux pays abandonne le Sud, notre vieux pays se tourne vers l’Est d’oùvient l’exemple allemand. Notre vieux pays est à l’ouest. Notre pays perd ses couleurs, lesquelles flottèrent bien haut lors de la campagne de Libye donton mesure chaque jour davantage les désastreuses conséquences dans cettecrise migratoire – les atermoiements envers Bachar Al-Assad, alias le bou-cher damascène, firent le reste. LaFrance ne peut sans doute accueillir toute la misère du monde, mais elledoit au moins prendre la part qui lui enrevient comme un boomerang.

Allons enfants de la patrie, le tempsest venu de la générosité envers celui qui a perdu la sienne. p

¶Eric Naulleau est écrivain.En 2013, il a publié « Dialogues désaccordés » (Edition Blanche, Hugo & Cie), un livre d’entretiens avec l’essayiste d’extrême droite Alain Soral.Il a également écrit « Au secours, Houellebecq revient ! », en collaboration avec Christophe Absi et Jean-Loup Chiflet (Hugo & Cie, 2005)

¶François Cusset est professeur à l’université Paris-Ouest-Nanterre. Il est l’auteur d’« Une histoire (critique) des années 1990 » (La Découverte, 2014) et « Les Jours et les jours » (POL, 352 p., 17,90 €)

Non au bûcher médiatiqueAyant longtemps cru détenir le monopole de l’engagement intellectuel, la gauche est devenue inquisitoriale et refuse de s’appliquer le pluralisme qu’elle professe

ISABEL ESPANOL

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18 |culture DIMANCHE 20 - LUNDI 21 SEPTEMBRE 2015

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Longtemps, on traita ses enfants en bonsélèves habiles à la copie. Ce n’est plus le cas.De Nam June Paik à Lee Ufan, le marché de l’art contemporain a explosé. En musique, la K-pop, ces boys bands nourris de rap etd’électro-pop, attire désormais les produc-teurs hollywoodiens.

Quant au cinéma, soutenu par un systèmed’aides gouvernementales comparable au (etcopié sur le) CNC français, il tient la dragée haute, en termes d’audience, aux blockbus-ters américains, avec une palette large qui va de la série B populaire au cinéma d’auteur, et,dans le rôle du maître vénéré, le vieil Im Kwon-taek, 80 ans, devenu réalisateur parce que l’entreprise de recyclage de bottes de l’ar-mée, qui l’employait comme coursier au len-demain de la guerre, décida un beau jour dese reconvertir dans le cinéma.

« La culture coréenne ? Je n’ai rien à dire des-sus. Je n’aime pas les idées, les concepts, les gé-néralisations », marmonne le cinéaste Hong Sang-soo, dont In Another Country, avec Isa-belle Huppert, fut montré à Cannes en 2012. Ah bon ? Et ces films cousus d’histoirescomme autant de chroniques d’une société ? « Ils se contentent de jouer avec les stéréoty-pes. » Le réalisateur de Right Now, WrongThen (« Bien aujourd’hui, mal hier »), qui a obtenu le Léopard d’or en juillet à Locarno, n’est pas amateur d’interviews. Aucun ne l’est. Le Coréen n’aime pas décrypter ni êtredécrypté. Lui moins que tous les autres.

« Je finance mes films. Si je reçois un e-maildu gouvernement me proposant des subven-tions, je le supprime. Je veux être le plus indé-pendant possible, dit-il. Mes films ne parlentpas de politique. Si on commence à le faire, onest avalé. Et la politique ne parle pas de lavraie vie. » Lunettes posées sagement sur ses arcades sourcilières, un clope à la main, il ra-juste dans la poche de sa chemise les petitspapiers sur lesquels il note tout, comme lesscènes de ses films qu’il écrit le jour mêmedu tournage. Hier soir, il s’est couché à 4 heu-res du matin. Rien de très original dans cepays qui partage un problème national de boisson.

génération marquée par la guerre qui n’en fi-nit plus de se confronter à son passé. On les appelle les « sam ppal yuk », les 3-8-6… 3, parce qu’ils avaient 30 ans lors du grand es-sor économique des années 1990 ; 8, parcequ’ils ont été le ferment de la révolution de velours des années 1980 qui mit fin à la dicta-ture, le 10 juin 1987 ; 6, parce qu’ils sont nés dans les années 1960.

La « saison croisée » France-Corée, qui ainauguré ce vendredi 18 septembre au Palais de Chaillot, à Paris, une longue série de spec-tacles, d’expositions, de concerts, de projec-tions tout au long de l’année et un peu par-tout en France, est l’occasion de leur donnerla parole.

Restée pendant des siècles sous le joug chi-nois, colonisée de manière violente au XXe siècle par les Japonais qui voulaient enéradiquer la langue et la culture, aujourd’hui bordée au nord par son frère ennemi com-muniste – après une guerre fratricide qui fit un carnage de 1950 à 1953 – et guidée, jus-qu’en 1987, par un dictateur qui se pensaitéclairé, la Corée est un pays jeune, chaotique.

qu’œuvré naguère pour Pina Bausch.Minouk Lim lui tombe dans les bras. Long-

temps qu’ils ne se sont vus. Minouk Lim estplasticienne. « Tout ça est bien à l’image de Séoul, dit-elle. C’est une société de paradoxes où coexistent l’ultramodernité et quelque chose de très primitif. Comme s’il n’y avait paseu d’évolution, mais un saut. Lorsque j’habi-tais à Paris, j’y ressentais un sentiment d’im-muabilité. Ici, tout bouge. Vous regardez un immeuble qui est là depuis dix ans et vous vous demandez : comment se fait-il qu’il n’aitpas encore été détruit pour être remplacé par un autre ?… » Elle rit sans rire. « Ici plane enpermanence le sentiment de la mort. On de-vrait toujours interroger la mort, comme cela on serait un peu plus humain », songe-t-elle, alors qu’on la suit de bar en bar dans la nuit de Hongdae, le quartier des universités.

Comme le plasticien Choi Jeonghwa, l’écri-vain Kim Young-ha ou le cinéaste HongSang-soo, enfants de militaires ; comme l’ar-tiste Lee Bul, la compositrice Unsuk Chin ou la danseuse Ahn Euh Me et ses grands-mèresdansantes, Minouk Lim fait partie de cette

REPORTAGEséoul (corée du sud)

Ce soir-là, les tirs de roquettesréveillent les deux côtés du38e parallèle. Au GobchangJeon Gol (le bien nommé « ra-goût de tripes de bœuf »), unbar de Séoul aussi allumé que

son nom, on s’en contrecarre comme de son premier verre de soju, l’alcool traditionnelle-ment de riz et, là, de pomme de terre qui,avec la bière, est ici le commencement de toutes choses.

Derrière une lourde porte, le patron a amé-nagé une exiguë salle de concert avec bar et balcon droit sortis d’un décor des années 1920. Sur scène, Lee Hee-moon, chanteur depansori travesti avec bas jaunes et paillettes, réinterprète sans vergogne le répertoire tra-ditionnel populaire (le minyo) sur une musi-que rock dressée pour l’occasion par le bas-siste Jang Young Gyu, un taiseux qui a com-posé des musiques de films aussi bien

Les beaux inquiets du matin calmeLa saison France-Corée met en valeur les créateurs de la génération qui a lutté contre le régime militaire

on ne prétendra pas être exhaustif sur la marée d’événements qui vont se succéder en France tout au long de cette « saison croisée » (Anneefrance-coree.com). Notons néanmoins que :

Le Festival d’automne propose,outre un cycle Unsuk Chin et les piècesd’Ahn Eun-Me (la chorégraphe qui fait danser les grands-mères, mais aussi lesados et les hommes « d’âge moyen »), une cérémonie chamanique unique auThéâtre de la Ville (le 20 septembre) et du pansori au Théâtre des Bouffes du Nord.

De grandes expositions se tiennentà Paris : au Musée Guimet, au Musée Cernuschi ; au Musée des arts décora-tifs pour « Korea Now ! Design, craft,

mode et graphisme en Corée ». Le Pa-lais de Tokyo présentera l’installation Aubade III, de Lee Bul, à partir du 19 oc-tobre. Quant au Musée du quai Branly, il rend hommage à la Corée lors du Fes-tival de l’imaginaire.

A Lille, sous la houlette de Jean-MaxColard, commissaire de l’exposition« Séoul, vite, vite ! », on retrouve, au Tripostal, une belle brochette, la « gé-nération des sam ppal yuk », de Lee Bulà Minouk Lim, en passant par Choi Jeong Hwa et Noh Suntag. Le Centre Pompidou-Metz accueille, à partir du 25 octobre, l’installation To Breathe, de Kimsooja. La Friche Belle de Mai, à Marseille, présentera l’exposition « The Future Is Now ! », tandis que Le

Consortium de Dijon exposera le tra-vail de deux artistes lors d’une exposi-tion intitulée « Lee Ungno & Han Mook : deux peintres modernistes co-réens à Paris ». Le photographe Bae Bien-U est à Chambord et au Musée des beaux-arts de Saint-Etienne.

Au MAMA 2015 (Marché des musi-ques actuelles), concert le 14 octobre deJambinai, dont les trois membres joi-gnent les cris distordus d’une guitare électrique aux frottements lancinants du haegym et aux basses frappées du geomungo. Ils sont ensuite à La Fabri-que de Nantes, aux Docks des Suds, à Marseille, à La Bobine, à Grenoble, et aux Primeurs de Massy.

Au cinéma : à Paris, en attendant la

rétrospective Im Kwon-taek prochaine à La Cinémathèque française, le Forumdes images propose une imposante et passionnante programmation, « Séoulhypnotique en 80 films », qui met en scène les mutations de la capitale et dupays, des films produits à la chaîne pendant la reconstruction aux divaga-tions alcoolisées de Hong Sang-soo (jusqu’au 1er novembre).

Au printemps, la foire Art Paris ArtFair comme le Salon du livre ouvriront leurs bras aux artistes et écrivains co-réens. Alors que le Centre dramatique national d’Orléans présente L’Empire des lumières, pièce tirée du livre de KimYoung-ha. p

pauline forgue

Des chamans aux grands-mères dansantes, itinéraires coréens en France

LE MARCHÉ DE L’ART CONTEMPORAINA EXPLOSÉ. EN

MUSIQUE, LA K-POP, CES « BOYS BANDS »

NOURRIS DE RAP ET D’ÉLECTRO-POP, ATTIRE DÉSORMAIS LES PRODUCTEURS HOLLYWOODIENS

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s’amuse un jeune artiste. Et si, sur la frontière,à une cinquantaine de kilomètres au nord de Séoul, dans la DMZ, la zone démilitarisée, on continue à se faire peur – deux soldats sud-co-réens ont explosé en août sur des mines anti-personnel qui n’auraient pas dû être là –, la jeune génération, qui a ramené en 2012 la filledu dictateur déchu au pouvoir, est, elle, pas-sée à autre chose, nourrie aux mangas, à l’électro et à la consommation de masse.

Mais, à côté des enfants prodigues du show-business façon Gangnam Style – « Pour moi, lepire mot, c’est “responsabilité’’ », confie sans états d’âme Psy, fils à papa et auteur de cetube planétaire faussement révolté – émerge également une contre-culture inquiète de se trouver une place et un sens dans le « miracle économique » coréen.

C’est du côté de lieux alternatifs et de collec-tifs comme The Loop ou The Common Centerqu’il faut aller chercher cette parole émer-gente. Parce qu’ils n’ont pas de boulot, ne pos-sèdent rien, parce qu’ils pensent qu’ils n’ontpas de rôle, cette jeune garde en bourgeon s’est trouvé un nom qui sonne comme un manifeste : la « génération surplus ». Mais ça,ce sera pour la prochaine « saison croisée ». p

laurent carpentier

raconte-t-il, assis en tailleur sur un vaste ca-napé en skaï faux Louis Vuitton, quelques ca-nettes de bière vides posées sur le sol, unmari battait sa femme, un père battait son fils,j’ai été battu à l’armée, une sorte d’absurdité voulait que tout le monde devait battre quel-qu’un. Pour moi, l’art, ma mission, c’est d’em-brasser. »

Au centre de Séoul et de sa constructiviteendémique, la maison-atelier de Choi Jeong-hwa, signe de sa réussite, fait figure de havre.Objets plastiques, éclats de lumière ramassésici et là, déchets colorés d’une société de con-sommation tout à la fois joyeuse et vaine…Dans un coin, on reconnaît le personnage degendarme – mannequin grandeur nature –qui ornait la chambre du héros de Sympathiefor Mr Vengeance, du réalisateur Park Chan-wook, dont il fut le décorateur. Chauve, pe-tite barbichette, de grosses lunettes d’écaille, un jean bleu déchiré, il navigue à mi-chemin entre dérision et poésie. Le passé rangé au rayon des souvenirs. Au-delà de la vie (la sengwahl), il plaide, facétieux, pour la « seng sengwahl wahl… La vie immense ».

Les « sam ppal yuk » ont vieilli. Ils se ran-gent. Ils suivent le courant. « Ce n’est plus les 3-8-6, mais les 4-8-6 ou même les 5-8-6… »,

« A 16 ans, j’étais ivre du matin au soir ; à 22,je me suis enfui à San Francisco pour me re-construire… » Son père apparaît dans la dis-cussion comme un fantôme, qu’il s’em-presse de faire s’évanouir : « Disons qu’avant je n’avais pas de chance, maintenant j’en ai. Je ne crois pas qu’il y avait des bons et des mé-chants, j’ai été blessé, c’est tout. Je n’aime pas parler de ça. C’est du passé. » Déjà il est de-bout, parti. Vite vite. Pali pali.

Le passé, voilà le point aveugle. Le sanc-tuaire dans lequel vous n’êtes pas invité. On aimerait mieux que vous parliez d’autre chose. De musique sacrée, le pansori, dont ilssont si fiers, comme du ferment de leur iden-tité. Peu nombreux sont les artistes qui, à l’instar du photographe Noh Suntag, interro-gent la guerre fratricide avec le Nord, la vio-lence de la dictature ou les manifestationsqui ont précédé l’arrivée d’un régime démo-cratique. C’est l’apanage de cette génération charnière. On ne peut s’empêcher de penser aux enfants de l’après-guerre en Allemagne, tiraillés entre déni et catharsis.

Le 4 septembre 2014, Minouk Lim a réaliséune performance lors de la Biennale de Gwangju autour des massacres de civils commis par l’armée et la police du pays pen-dant la guerre. Elle y exposait deux conte-neurs où étaient conservés les restes exhu-més des victimes. De cela, elle a tiré une vi-déo documentaire prévue pour être projetée en avant-première à l’Asian Culture Com-plex, un immense ensemble architectural, bâti sur le lieu central du soulèvement deGwangju, le 18 mai 1980, et qui mena sept ansplus tard à la démocratie. Trop, c’est trop ? Lesautorités ont fini par convoquer Minouk Limà « une réunion de négociation », histoire de laconvaincre d’abandonner son projet. Elle a tenu bon, mais lors des projections, les visi-teurs ne pouvaient s’empêcher de s’interro-ger sur la présence de ces gens un peu perduset assis à divers endroits de la salle qui scru-taient si attentivement le public. Les braisescouvent toujours sous la cendre.

Minouk Lim avait 19 ans lorsqu’elle est ve-nue étudier aux Beaux-Arts de Paris. « J’avais intégré la fac deux ans plus tôt. C’était le mo-ment des grosses manifestations, violentes,j’étais dans un club de théâtre, et comme ces groupes culturels étaient à l’université les seuls lieux organisés, ils étaient devenus lesmoteurs du mouvement… Pour moi, la France,c’était le pays de l’existentialisme. On lisait tous Sartre et Camus. Un jour, en cours, j’ai cri-tiqué une nature morte, des fleurs, je disais ne pas y voir de différence avec une banale illus-tration. Le prof a fait un scandale. J’ai dû écrireune lettre d’excuses… », raconte-t-elle. Elle a fui.

Après le retour à la démocratie, la plasti-cienne Lee Bul, elle, a multiplié les œuvresprovocatrices, faisant de son corps unesculpture, exposant des poissons en décom-position dont l’odeur nauséabonde finissaitpar incommoder les très chics amateurs d’art contemporain. Depuis, elle a exposé au MoMA, à New York, à la Fondation Cartier, àParis, ou récemment à Saint-Etienne. On laretrouve, cette année, au Palais de Tokyo, à Paris, et au Tripostal, à Lille. « J’ai donné mon accord pour cette exposition, dit-elle. Mais, enaucun cas, je ne suis ni ne veux de cette imaged’ambassadrice de mon pays. »

Elle a 51 ans, ses cheveux se sont teintés desel, mais elle est restée célibataire, sans en-fants, tout à son art et à ses combats. Dansl’atelier provisoire installé en banlieue oùelle prépare l’exposition entourée d’un com-mando d’assistants, dont son frère et sa sœur, elle dit : « Je me suis toujours demandési j’étais une “artiste coréenne”. La question est simple, la réponse ne l’est pas. Je suis femme dans une société machiste, je suis ar-tiste, je suis asiatique, je suis gauchère. Mino-rité, minorité, minorité, minorité… Je suis et je veux rester du côté de la minorité, chose que jeressens très physiquement. Peut-être parce que, dans le système patriarcal et militaire desannées 1980, je suis aussi devenue artiste pourdes raisons purement sociales. »

La loi coréenne interdit en effet à toute per-sonne arrêtée par la police pour activités poli-tiques, comme à ses enfants, de diriger uneentreprise de plus de dix personnes… Or les parents de Lee Bul étaient des militants de gauche. Circonstance aggravante, sa mèreétait japonaise, venue vivre adolescente en Corée, et restée illégalement dans ce pays vio-lemment nationaliste (98 % des habitants sont coréens, même si le nombre d’immigrésillégaux, principalement chinois, augmenteà vue d’œil). Lee Bul est née au milieu de tout ça, brinquebalée dans la clandestinité.

C’est avec elle que Choi Jeong-hwa a crééautrefois le groupe Museum, dont le nom joue sur l’homonymie avec le mot « peur » –mu seo ooum, en coréen. « A cette époque-là,

LA JEUNE GÉNÉRATION EST PASSÉE À AUTRE CHOSE, NOURRIE

AUX MANGAS,À L’ÉLECTRO

ET À LA CONSOMMATION

DE MASSE

L’artiste Choi Jeong Hwa et son œuvre « Cosmos ». CHOI JEONG HWA

GA

LE

RI

ES TIM EITEL

Galerie Philippe JousseEn Allemagne, où il est né en 1971, ou aux Etats-Unis, où il a vécu, Tim Eitel est un artiste dont la peinture a depuis long-temps attiré l’attention des collectionneurs et des musées. A Paris, où il vit, il est encore presque un inconnu. Cette exposi-tion de toiles récentes est la première qui lui soit consacrée. En deux grands formats et une dizaine de petits, elle démontre avec quelle subtilité il crée des compositions qui semblent réa-listes d’abord et révèlent ensuite leur étrangeté énigmatique. On reconnaît des figures, des objets, des arbres même parfois, mais dans des espaces dilatés ou écrasés, baignés d’éclairages artificiels ou menacés par une pénombre. La photo et le cinéma sont en cause, mais aussi la sculpture gothique et l’abstraction monochrome. Tim Eitel ne peint pas notre monde, mais com-bien il est difficile aujourd’hui de le voir d’un œil neutre ou naïf – et plus difficile encore de le peindre. p philippe dagen

Tomorrow, 2 Seconds Later… Galerie Philippe Jousse, 6, rue Saint-

Claude, Paris 3e. Tél. : 01- 53- 82- 10- 18. Du mardi au samedi de 11 heures

à 19 heures. Jusqu’au 31 octobre.

MARC DESGRANDCHAMPSGalerie ZurcherDes rideaux qui gonflent empêchent de voir le paysage. Des voilages – en réalité de légères couches de blanc translucide – masquent en partie façades et passantes. Corps et arbres sont diaphanes. Dans ses toiles les plus récentes, Desgrandchamps laisse le processus d’effacement du visible s’aggraver jusqu’à ne laisser souvent que traces et fumées. Dans ce monde vaporisé, des formes pénètrent cependant et s’établissent avec une den-sité et une autorité inexplicables. Elles viennent de loin, sculp-tures sans doute antiques, désormais mutilées ou décapitées de sorte que l’on ne sait pas exactement ce qu’elles étaient ja-dis. Cette peinture est cruellement d’aujourd’hui. p ph. d.

Ombres blanches. Galerie Zurcher, 56, rue Chapon, Paris 3e. Tél. : 01- 42-

72- 82- 20. Du mardi au samedi de 12 heures à 19 heures. Jusqu’au 17 octobre.

« ON EST CONQUIS ! »L’OBS

ACTUELLEMENT AU CINÉMA

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73 ans après, il s’y voit toujoursLe créateur de « Je m’voyais déjà » revient sur scène à l’âge de 91 ans

MUSIQUE

Il s’appelle Charles Aznavour.Aznavourian, on le sait, maissa mère, excellente coutu-rière, a tranché dans le vif,

d’un coup de ciseau – il fait le geste. C’est un nom arménien. La force d’Aznavour, c’est qu’il est ouvert comme un livre, donné comme une chanson, aussi pre-mier degré qu’un enfant, aussi re-tors qu’un homme qui aurait 1 000 ans. Sans illusion, mais pas sans espoirs. Il a 91 ans. Dans la salle, on perçoit une attente très dense. L’orchestre s’installe : deuxclaviers, dont Eric Wilms à la direc-tion et Erik Berchot aux claviers ; un percussionniste, Marc Chante-reau, qui fait le show ; une section féminine de violons, deux choris-tes, une rythmique, Magali Ripoll à l’accordéon, cela nous fait 13 en scène, parité parfaite (7 dames).

Complet anthracite, cheveuxd’argent, silhouette d’ado, visagede toujours, Aznavour entre en scène. En scène, vous avez des ar-tistes dont la taille grandit d’un coup (Sonny Rollins). D’autres qui semblent perdus, s’agitent, cher-chent à occuper l’espace, grim-pent aux rideaux. En scène, Azna-vour a sa (petite) taille exacte, nette, droite. Une main droite tremble-t-elle ? « On me dit, mais

vous avez le trac… Non, pas du tout,j’ai la main qui tremble, c’est tout, cela vous arrivera peut-être. »

Il ouvre avec Les Emigrants etboucle avec Je m’voyais déjà. Les Emigrants met les larmes aux yeux. Même quand il chante « les enfants d’Arménie », il précise en coda qu’il peut s’agir « des enfants du Rwanda ou de partout ». Dans un silence bruyant, Aznavourian,lui, s’est exprimé sur les « mi-grants », les réfugiés politiques, les chassés de chez eux. Avec jus-tesse.

Quelques raretés

Les chansons très connues alter-nent avec quelques raretés. Mou-rir d’aimer succède à Vous et tu. Vous et tu est un refrain gaillard sur les mystères de l’intimité qui changent la plus policée en dé-gourdie olé olé. Et vice versa. Vous se mue en tu. Délices de la langue qu’il scande en scattant.

Il parle de son audition couci-couça, de sa mémoire qui flanche – il aligne 27 chansons –, de son prompteur : « Les autres aussi se servent d’un prompteur, mais je suis le seul à l’avouer. » La voix ?On la guette. Elle est là, bien là. Quisait encore qu’elle a été une des voix les plus moquées du siècle passé ? Cible des chansonniers, des imitateurs, des pas forcément

bien intentionnés. Voix de l’autre.Sur Sa jeunesse, il donne une le-

çon d’écriture de chanson. Enfin… une leçon d’écriture de chanson d’Aznavour. Il part du texte. Il veutque ce soit bien écrit. Que ça rime. Il dit le texte tout nu. Le piano d’Erik Berchot n’arrivera que plustard. Mais justement, c’est là. Quand il dit son texte sous forme de récitatif, Aznavour ne peut s’empêcher de scander, de swin-guer, de danser la langue et lesliaisons. Les paroles entrent déjà dans la musique. Les rappeurs ne s’y sont pas trompés : son duo en-registré avec Kery James sonne juste… Quel amour de la langue,tout de même, dans le hip-hop…

Ceux du jazz, d’où il vient, le sa-

vent depuis toujours. Son album avec le Clayton Hamilton Jazz Or-chestra (2009) en apporte la preuve éclatante. Ses premières chansons aussi. Ici, au Palais des sports, l’orchestre est trop ampli-fié. La choriste en pâtit. Lui, il s’en sort toujours par le haut.

Sa plus grande audace ? Toutdire, vêtu de noir et de candeur.Les petites misères du corps, Mesemmerdes (il fait semblant d’avoir besoin du prompteur), les réprou-vés, l’impossible nostalgie, ce nomde médicament, qu’il caresse danstous les sens, ça nous soigne : Non,je n’ai rien oublié, Désormais, Les Plaisirs démodés (exquis), La Bo-hème (le premier rang se dispute son mouchoir blanc)…

Les grands rendez-vous sonttraités avec la ferveur des grands rendez-vous : Mourir d’aimer, Em-menez-moi, ou ce Comme ils disentqui, malgré les grands change-ments, n’a pas pris une ride. Pour-quoi ? Parce qu’Aznavour ne parle jamais (ou alors toujours) de lui ; jamais (ou alors toujours) d’un groupe à défendre, mais de des-

tins humbles et de phénomènes. Seul comédien de ses propres chansons.

La preuve ? Je m’voyais déjà… Oul’odyssée imaginaire d’un rêveur de music-hall que la vie se charge de doucher. Entrain de big band etchutes diaboliques. Deux remar-ques : ce n’est certes pas la carrièrede Charles Aznavour, même s’il ena bavé. Plus stupéfiant : il a écritcette chanson, dont le héros sem-ble revenu de tout, à l’âge de 18 ans. Avec le toupet monstre de ceux qui tiennent bon. p

francis marmande

Palais des Sports, jusqu’au 27 septembre, à 20 h 30,de 56 € à 165 €.

La premièrereprésentation

de Charles Aznavourau Palais des sports,

le 15 septembreDOMINIQUE JACOVIDES / BESTIMAGE

Sa plus grande

audace ?

Tout dire,

vêtu de noir

et de candeur

Sitôt arrivé, Mikko Franck sait déjà jouer avec le « Philhar » de Radio FrancePour son premier concert, le chef finlandais a dirigé « The Shadows of Time », d’Henri Dutilleux, qu’il connaît sur le bout des doigts

MUSIQUE CLASSIQUE

H omme du Nord (il est néà Angers mais a grandi àDouai), Henri Dutilleux

(1916-2013) a trouvé en Finlande plusieurs interprètes de référence de ses œuvres (les chefs d’orches-tre Esa-Pekka Salonen et Jukka-Pekka Saraste, le violoncelliste Anssi Karttunen). Il n’est donc pas étonnant qu’un Finlandais nou-vellement en poste à Paris ait donné, avec quelques mois d’avance, vendredi 18 septembre, àla Maison de la radio, le coup d’en-voi de la célébration du centenairede la naissance du compositeur.

Mikko Franck débutait, en effet,son premier concert en tant quedirecteur musical de l’Orchestrephilharmonique de Radio Franceavec The Shadows of Time (1997). Œuvre charnière dans la produc-tion de Dutilleux tant par son re-tour à la voix (de manière pres-que fugitive, par l’entremise d’untrio d’enfants chantant « Pour-quoi nous, pourquoi l’étoile ? »)que par la clarté de son message (la partition porte une dédicace àAnne Frank), The Shadows ofTime le fut aussi dans la carrière de Mikko Franck.

En septembre 1998, à Helsinki,le chef alors âgé de 19 ans l’avait dirigée au cours d’un concert dif-fusé sur les ondes nationales et comptant… pour l’obtention de son diplôme à l’Académie Sibe-lius. Pour l’occasion, le composi-teur (présent dans la salle) avait demandé à Seiji Ozawa (comman-ditaire de l’œuvre avec le Boston Symphony Orchestra) de lever l’exclusivité qu’il détenait pour quelques mois encore. C’est dire siHenri Dutilleux avait confiance en Mikko Franck !

Vendredi soir, il n’aurait pas étédéçu. Le nouveau guide du « Phil-har » a parfaitement négocié le grand écart d’une œuvre qui inviteautant à la méditation qu’à l’enga-gement. Sobre mais intense dans le recueillement comme dans la harangue, la lecture réalisée par Mikko Franck transcende la dua-lité fondatrice de ces « Ombres du temps », qui oscillent entre « doute » et « espoir », selon les pro-pres mots du compositeur.

Douceur et bienveillance

Coloriste haut de gamme (notam-ment pour des mélopées orienta-lisantes aux timbres inédits), l’Or-chestre philharmonique de Radio France a su parfaitement maîtrisertous les types de mouvements ; ce-lui du temps égrené avec la régula-rité d’un wood-block comme celui de l’espace atomisé par des défla-grations de cuivres ou de percus-sions.

Intelligemment conçu, le pro-gramme proposait ensuite les Li-tanies à la Vierge noire de Rocama-dour, de Francis Poulenc, une mer-veille de profession de foi alter-nant sensibilité vocale (Maîtrise de Radio France) et tissage instru-

Mikko Franck

rayonne et,

peut-être parce

qu’il dirige assis,

donne

l’impression

de faire partie

intégrante

de l’orchestre

mental (cordes du « Philhar »). Là encore, Mikko Franck se révèle ex-pert en dosage. Attentif au moin-dre frémissement, il enveloppe plus qu’il n’impose. Avec douceur et bienveillance sous les traits d’un Père Noël d’avant la consécra-tion planétaire du personnage ; sans barbe, ni rides.

Après l’entracte, le chef au vi-sage poupon revient pour deuxpoèmes symphoniques de Ri-chard Strauss, aux aspirationstrès différentes, pour ne pas dire opposées. Le premier, Mort etTransfiguration, s’inscrit dans la dimension spirituelle qu’ont in-vestie Liszt et Wagner avec force contrastes de rythmes, d’intensi-tés et de texture.

Mikko Franck rayonne et, peut-être parce qu’il dirige assis, donnel’impression de faire partie inté-grante de l’orchestre dont il ac-compagne la glorieuse ascension en se soulèvement de sa chaise comme un César de la baguette. Les bravos fusent. Till l’espiègle, le second poème symphonique, re-lève de l’imagerie virtuose et spi-rituelle. Les solos sont nom-breux, tout comme les morceauxde bravoure.

De plus en plus détendu – parfoismême facétieux (clin d’œil par-ci, pouce levé par-là) –, le maestro joue de façon renouvelée avec « ses » musiciens. Le résultat est sa-voureux, étincelant, irrésistible. Lepublic exulte. Mikko Franck a réussi son « examen » de rentréemais il prend soin d’associer tousles membres de l’orchestre au sa-lut. A chacun des cinq rappels qui lui sont octroyés… Lui-même ne s’attarde pas. Il a le triomphe mo-deste. Et prometteur pour l’avenir du « Philhar ». p

pierre gervasoni

Le 16 septembre 2015

114 films Lumière restaurés en 4Kpour la première fois en DVD et Blu-ray

Un trésor mondial.Martin Scorsese

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Page 21: Le_Monde_20_Septembre_2015.pdf

0123DIMANCHE 20 - LUNDI 21 SEPTEMBRE 2015 carnet | 21

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0123

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AU CARNET DU «MONDE»

Naissance

Ambrea l’immense plaisir d’annoncer la venue auMonde de sa petite sœur,

Luna,le 29 août 2015.

Très belle journée en Alsace pourDimitri et Vanessa

ainsi que pourses grands-parents.

Familles d’Agostin et AguillonSaint Louis, Sierentz.

Décès

Eve Béart,Emmanuelle Béart,

ses illes,

Laura, Nelly, Yohann, Surafel,ses petits-enfants

Et toute la famille,

ont la douleur de faire part du décès de

Guy BÉART,auteur-compositeur-interprète

poète,

chevalierde la Légion d’honneur,

oficierde l’ordre national du Mérite,

commandeurde l’ordre des Arts et des Lettres,

survenu le 16 septembre 2015.

Les obsèques auront lieu le lundi21 septembre, à 11 heures, au cimetièrede Garches (Hauts-de-Seine), rue desQuatre-Vents, en présence de la familleet de ses amis.

A l’issue de la cérémonie, le publicest invité à lui rendre hommage, à partirde 12 h 30.

Condoléances sur registres.

Cet avis tient lieu de faire-part.

(Le Monde du 18 septembre.)

Jean-Loup Salzmann,président de l’université Paris 13,

Didier Guével,doyen de la Faculté de Droit,Sciences politiques et sociales,

rendent hommage à

Robert ETIEN,décédé à l’âge de soixante-sept ans.

A Paris 13, il a étémaître de conférences HDRen droit public de 1989 à 2014,vice-président du conseil d’administration,doyen de la faculté DSPSet directeur du CERAL.

L’université Paris 13 présente sessincères condoléances à ses quatreenfants.

Claire, Anne, Guillaume et Laure,ses enfants,

ont la profonde tristesse de faire partdu décès de

Robert ETIEN,maître de conférences en Droit,

doyen honoraire, université Paris 13,chevalier de la Légion d’honneur,

citoyen du monde,

survenu brutalement le 16 septembre 2015,à Paris.

La cérémonie religieuse sera célébréele vendredi 25 septembre, à 14 h 30,en l’église Saint-François-de-Sales,6, rue Brémontier, Paris17e, suivie del’inhumation au cimetière parisien deSaint-Ouen.

Cet avis tient lieu de faire-part.

Virolay. Condé-sur-Vire.

Mme Marie-Thérèse Gorge,son épouse,

Ses enfantsEt ses petits-enfants,

ont la tristesse de faire part du décès de

M. Claude GORGE,ingénieur agronome,directeur de sociétés,

survenu le 15 septembre 2015,à l’âge de quatre-vingt-un ans.

Ses obsèques ont eu lieu dans l’intimitéà Virolay.

Catherine,son épouse,

Jules,leur ils,

Hélène et Fanny,ses illes,

Soiane et Sébastien,ses gendres,

Ulysse, Ella, Gabrielle, Marilou,Mattéo et Irène,ses petits-enfants,

Colette et Pierre,sa sœur et son beau-frère,

Ses neveux,Sa nièce,Sa familleEt ses amis,

ont la profonde douleur de faire partdu décès de

Jean François GROLLIER,vice-président (R&D) de l’Oréal

1991-2009,chevalier de la Légion d’honneur,

survenu le 17 septembre 2015.

La cérémonie religieuse sera célébréele mercredi 23 septembre, à 10 h 30,en l’église Notre-Dame-des-Champs,Paris 6e.

L’inhumation aura lieu le jeudi24 septembre, à 14 heures, au cimetièred’Azé (Saône-et-Loire).

Cet avis tient lieu de faire-part.

On nous prie d’annoncer que

Mlle Eliane GUERRIER,professeur honoraire agrégée,

a rejoint ses parents,

M. Louis GUERRIERet

Mme Marthe GUERRIER,née PLANTIN,

et sera inhumée au cimetière nouveau deSaint-Germain-en-Laye, le 22 septembre2015, à 11 heures, après une bénédictiondonnée par le pasteur Cofinet de l’Egliseprotestante unie de France.

« Il convient d’attendre en silencel’aide espérée de l’Eternel. »

Lamentations III 26.

Une messe à l’intention de

Hubert HAENEL,

rappelé à Dieu le 10 août 2015,

sera célébrée le mercredi 30 septembre,à 11 heures, en la cathédrale Saint-Louisdes Invalides, Paris 7e.

Le président de l’Ecole Pratiquedes Hautes Etudes,

Le doyen de la section des scienceshistoriques et philologiques,

Les directeurs d’étudesEt les maîtres de conférences,Les étudiants et auditeurs,Le personnel administratif,

ont la tristesse de faire part du décès,survenu le 16 septembre 2015, de

François MARTIN,titulaire de la direction d’études

« Histoire et philologiede la Chine classique ».

Ils s’associent à la douleur de lafamille.

Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime).

Mme Jacqueline Martinez,son épouse,

Valérie, Laurent et Antonin,ses enfants,

Julien, Eva et Elina,ses petits-enfants,

Sa familleEt ses amis,

ont l’immense tristesse de faire part dudécès de

M. Jean MARTINEZ,oficier

dans l’ordre des Palmes académiques,

survenu le 16 septembre 2015, à Rouen.

La cérémonie religieuse sera célébréele mercredi 23 septembre, à 14 h 30,en l’église Saint-Etienne, à Saint-Etienne-du-Rouvray centre (Seine-Maritime).

Merci de vos dons pour la recherchecontre le cancer à l’hôpital GustaveRoussy :http://www.gustaveroussy.fr/fr/content/parrainage-chercheur-cancer-de-la-prostate-0

Cet avis tient lieu de faire-part.

Mme Jacqueline Martinez,6, rue de Guyenne,76800 Saint-Etienne-du-Rouvray.

Paris.

Nicole Prévost,son épouse,

Anne Prévost,Laure et Sylvestre Guarino,

ses enfants,Marie, Aurélie, Elio et Adrio,

ses petits-enfants,

ont la douleur de faire part du décès de

Roger PRÉVOST,ancien élève

de l’Ecole nationale supérieure, 1946,

survenu le 16 septembre 2015,à l’âge de quatre-vingt-neuf ans.

Les obsèques auront lieu le lundi21 septembre 2015, à 14 h 30, en l’égliseSaint-Lambert de Vaugirard, 2, rueGerbert, 75015 Paris.

Ni leurs, ni couronnes.

Dons à l’Institut du Cerveau et de laMoëlle Epinière (ICM).

332, rue de Vaugirard,75015 Paris.

C’est avec une vive émotion que nousavons appris le décès de notre collègue,

Maurice REUCHLIN.

Ses travaux et ses écrits inluencèrentprofondément l’évolution de la psychologiefrançaise ainsi que de nombreusesgénération de psychologues praticienset chercheurs.

Il fut notamment à l’origine dudéveloppement de la psychologiedifférentielle en France.

Professeur de psychologie différentielleà l’université de Paris 5, il a égalementassuré de nombreuses fonctions endevenant, notamment, directeur del’INETOP et président de la SociétéFrançaise de Psychologie de 1965à 1966.

La Société Française de Psychologietient à rendre hommage à notre collègue etnous adressons nos plus sincèrescondoléances aux proches du professeurMaurice Reuchlin.

Monique Rousseau,son épouse,

Philippe-Olivier Rousseau,son ils

Et toute sa famille,

ont la grande tristesse de faire part dudécès de

M. Paul ROUSSEAU,survenu le 15 septembre 2015,à l’âge de quatre-vingt-six ans.

Les obsèques auront l ieu dansl’intimité.

Ses proches

ont la grande tristesse de faire part dudécès de

HorstSCHMIDT-OHLENDORF,

directeur général honorairedu conseil de l’Union européenne.

Une réunion amicale à sa mémoire auralieu à Paris, dont vous serez informés envous manifestant à[email protected]

Philippe et Véronique,Danièle,Pierre et Mireille,

ses enfants,Maxime et Vadim,Gaëlle et Manon,Vincent,

ses petits-enfants,Le docteur Jean-Louis Wirtz et Mme,

et leurs enfants,

ont la tristesse de faire part du décès de

Marie SEENÉ,née WIRTZ

conseiller d’administration scolaireet universitaire honoraire,

chevalier de la Légion d’honneuroficier

dans l’ordre des Palmes académiques.

survenu le 3 septembre 2015, à Paris,à l’âge de quatre-vingt-douze ans.

Ses obsèques se sont déroulées dansl’intimité familiale.

Bernard Jaubourg,son époux,

Claire Since et Nicolas Jaubourg,ses enfants,

Claude et Bernadette Seibel,ses parents,

Carol ine , Agathe et Mass imo,Matthieu,ses beaux-enfants,Matteo et Louis,ses petits-enfants,

Benoît,son frère

Et Sophie,sa belle-sœur,

Valérie,sa sœuret Gratien,son conjoint,

Antoine (†),son frère,

Sa belle-mère,Ses beaux-frèresEt ses belles-sœurs,Ses neveux et nièces,Ses oncles, ses tantes, ses cousins

et cousines,ont la tristesse de faire part du décès de

Dominique SEIBEL,architecte DESA,

survenu le 16 septembre 2015,dans sa cinquante-quatrième année.

La cérémonie aura lieu en l’égliseSaint-Eustache, Paris 1er, le mardi 22septembre, à 14 h 30.

Fleurs naturelles uniquement,sans couronnes.

Cet avis tient lieu de faire-part.48, boulevard Beaumarchais,75011 Paris.

Remerciements

Nicole Garelli,Anne et Thierry Prévost,

leurs enfants et petits-enfants,Philippe et Cécile Garelli,

leurs enfants,Patrice Garelli,

très touchés des marques de sympathieet d’amitié que vous leur avez témoignéeslors du rappel à Dieu de

M. François GARELLI,le 30 juillet 2015,vous expriment leurs chaleureuxremerciements.

Anniversaires de décès

Le 21 septembre 2006, à Epinal,disparaissait

Christian DEMMERLÉ.Ne l’oublions pas dans l’autre monde.

20 septembre 2015,Claude,

il y a dix ans, tu nous quittais.Tu es chaque jour dans nos cœurs.

Il y a trente et un an, disparaissaitle jeune et brillant

Zouheir LADJIMI,à l’âge de vingt et un ans.

Que tous ceux qui l’ont connu et aiméaient une pensée pour lui.

Souvenirs

Paul SERVY,21 septembre 2010.

Toujours présent malgré l’absence.Famille Servy.

Il y a un an, le 21 septembredisparaissait

Dorothée SITBON-RICCI.Toujours aussi indispensablement

présente dans le cœur et l’esprit de safamille et de ses amis.

Avis de messe

Une messe d’action de grâce àl’intention de

M. Pierre BONSERGENT,

rappelé à Dieu le 12 août 2015,

sera célébrée le samedi 3 octobre,à 10 h 30, en l’église Saint-Jacquesdu Haut-Pas, 252, rue Saint-Jacques,Paris 5e.

Colloque

L’Association française de psychiatriepropose un colloque

Le secret en psychiatrie,de l’intime au dossier

le 9 octobre 2015,à Paris.

Programme et inscription :www.psychiatrie-francaise.com

Débat

Les Mardis de Curie :Qu’est-ce que l’épigénétique ?

Nos gènes ne sont pas seuls maîtresdu destin de nos cellules.

Venez découvrir commentl’épigénétique, déjà qualiiée

de prometteuse par les cancérologues,module la « lecture » de l’informationgénétique avec le professeur Nathalie

Dostatni et Julie Chaumeil,chercheurs de l’Institut Curie,

le mardi 29 septembre 2015,de 18 h 30 à 20 heures.

Institut Curie,amphithéâtre Constant-Burg,

12, rue Lhomond, Paris 5e.www.curie.fr

Cours

L’association Parler en Paixorganise à Paris un enseignement

simultané de l’arabe et de l’hébreu.Toutes informations disponibles

sur le sitewww.parlerenpaix.org

ou par tél.: 07 71 22 77 76.

Communication diverse

Représentation de la pièce« Stimulation cérébrale profonde »

de Camille Chamoux,suite à sa rencontre

avec Eric Burguière, chercheur.

• Jeudi 25 septembre 2015,à 14 h 30 et 21 heures,

au théâtre de la Reine Blanche, Paris 18e.

• Vendredi 26 septembre, à 17 h 30,au festival curiositas

de La Diagonale de Saclay.

• Mardi 6 octobre, à 19 h 30,à l’auditorium de l’ICM.

Plus d’informations surinserm.fr / www.curiositas.fr

Page 22: Le_Monde_20_Septembre_2015.pdf

22 |télévisions DIMANCHE 20 - LUNDI 21 SEPTEMBRE 2015

0123

Présentateur de JT, le corps de l’infoLe journal télévisé ne cesse d’évoluer mais a toujours besoin d’une figure qui l’incarne

ENQUÊTE

Ils étaient plus de dix millions, diman-che 13 septembre, pour regarder lesderniers instants de Claire Chazal à laprésentation du journal de 20 heures

de TF1. « C’était une façon pour les téléspec-tateurs de rendre hommage à une vivante qui rentrait dans les limbes et de faire leursadieux à la présentatrice », observe Olivier Aïm, sociologue des médias et professeurau Celsa. « La télévision est le seul endroit oùune star peut prononcer en direct son orai-son funèbre : c’est à ce spectacle que les té-léspectateurs ont été conviés dimanche », ajoute-t-il.

Les Français entretiennent une relationparticulière avec ceux qui les visitent cha-que soir. Mais ce rapport a évolué ces der-nières années. Le temps où l’on regardait lejournal de Roger Gicquel, de Christine Oc-krent ou, plus récemment, de Patrick Poi-vre d’Arvor est-il cependant révolu ? « Pa-trick Poivre d’Arvor avait, en son temps, des fonctions souveraines, correspondant aux fortes audiences qu’il réalisait et surtout au crédit dont les grands médias bénéfi-ciaient », note Denis Muzet, sociologue etfondateur de l’institut Médiascopie. Le JT n’est plus cette grand-messe que les télés-pectateurs suivaient religieusement cha-que soir, en dînant. « La fonction cérémo-nielle du JT est entamée, car elle correspond à un modèle idéologique contradictoireavec notre époque et les nouveaux médias : le refus de la centralité, la délinéarisation et la désacralisation », juge Olivier Aïm.

Le journaliste ne trône plus derrière sonbureau. En 2009, M6 avait provoqué des ri-canements lorsqu’elle avait décidé que le présentateur du « 19.45 » se tiendrait de-bout, ses fiches à la main. Ce mode d’ani-mation est désormais adopté par presque toutes les chaînes. Sur la Une, fini, la table imposante construite en 2008. Depuis lafin août, le présentateur évolue dans un dé-cor épuré et imaginé « pour le rapprocher du téléspectateur », indique Yoann Saillon, directeur artistique de l’info de TF1. Dans lanouvelle formule du « 19.45 » sur M6, lan-cée le 31 août, le journaliste est au mêmeplan, voire derrière l’image ou l’infogra-phie qu’il commente.

L’habillage du journal est aussi impor-tant que celui qui le présente. France 2 a in-troduit, il y a un an, des infographies en 3D

et la réalité augmentée. L’information de-vient un spectacle. « Il faut que cela ait un sens, comme lorsqu’on suit le robot Philae seposant sur une comète, un événement quenous ne pouvons évidemment pas filmer »,relativise Pascal Golomer, directeur de l’in-formation à France Télévisions. M6 a choiside systématiser cette présentation dans lanouvelle formule de son JT. « Cela apporte de la clarté. Nous proposons un journal“nouvelle génération” », plaide Stéphane Gendarme, directeur de l’information. Le temps que passe désormais le téléspecta-teur devant son ordinateur, son smart-phone ou sa tablette oblige les chaînes àchanger la forme de leur JT. « Nous avonsmodifié la scénographie de notre “20 heures”en mélangeant flux vidéo et éléments chif-frés par exemple, explique Catherine Nayl,directrice de l’information de TF1. Nous de-vions faire évoluer la lisibilité de notre jour-nal avec un monde qui se complexifie. »

Un rendez-vous incontournable

Alors que certains annonçaient la mort du JT, il continue de réunir, peu ou prou, 15 millions de téléspectateurs, toutes édi-tions confondues. Concurrencés notam-ment par les chaînes info et les sites Web, ces journaux se sont fortement renouvelésces dernières années. Mais restent un ren-dez-vous incontournable. « L’offre des chaî-nes info n’est pas la même. Quand on re-garde un JT, on vient chercher un décryp-tage », juge Stéphane Gendarme. Et ce be-soin existe aussi chez les plus jeunes, comme le montre le succès du « 19.45 » sur cette population. « Le JT ne meurt pas. Il se redéfinit, se reconfigure. En théorie des mé-dias, on dit qu’il se remédie, souligne OlivierAïm. Il devient de plus en plus un écran ins-crit avec des rubriques, des verbatim, des on-glets, des séquençages qui font penser auxsites Web d’information et de loisir. Il intègredes rubriques de décryptage, de coulisses, lesguides pratiques et les logiques de l’after : le “13 h 15” de France 2, par exemple, est un pro-gramme de complément ou de supplément, un peu comme l’after des émissions de télé-réalité », ajoute-t-il.

Cependant, le JT est paradoxalement deplus en plus incarné. Le présentateur par-tage désormais la vedette avec d’autres journalistes en plateau ou pas. « Nous pro-posons davantage de reportages où le jour-naliste guide le spectateur. Il n’est pas un

simple observateur, mais il est au milieu del’action », explique Pascal Golomer. Pour autant, le rôle du présentateur n’est pas condamné à un rôle de passe-plat. « Il s’agitde montrer que le JT est le travail collectif d’une rédaction », note Olivier Aïm.

Facteur de différenciation

Les aspérités de celui qui anime le JT res-tent un facteur de différenciation. Sur France 2, même s’ils énervent certains, lesstyles d’un Laurent Delahousse ou d’un Da-vid Pujadas ont contribué au succès de la chaîne. « Le téléspectateur reste attaché à la personne qui présente le JT. C’est un repèrestable, garant d’une certaine humanité dansle monde en bouleversement que nous con-naissons », souligne Denis Muzet. Même les chaînes d’information font appel à des personnalités connues pour certains de leurs rendez-vous du soir, telles Ruth Elk-rief sur BFM-TV, Laurence Ferrari ouAudrey Pulvar sur i-Télé. « Le visage que l’onregarde est symboliquement très impor-tant. Il est à la fois passeur de l’information,de l’événement et témoin de notre propre

émotion. Les grandes chaînes généralistes, àcommencer par TF1, incarnent une huma-nité et donc une communauté. Le JT est la machine télévisuelle et symbolique qui construit un regard commun et donc un bien commun. Celle-ci est incarnée par uncorps et un visage qui donnent du sens à ce qui se passe. Avec cette contrainte pour TF1 de trouver les visages qui peuvent continuerà incarner ce regard commun et humain surla vie du monde », estime Olivier Aïm.

Pour succéder à Claire Chazal, la Une achoisi un profil similaire à celui de GillesBouleau, qui a remplacé Laurence Ferrarien 2012 : Anne-Claire Coudray (son jokersera Audrey Crespo-Mara). Cette journa-liste de terrain, connue des téléspectateurs,a pour mission de relever les audiences d’un JT talonné par celui de France 2. Unetâche d’autant plus difficile que, même en semaine, TF1 est concurrencée par la Deux.Ainsi, mercredi 16 septembre, l’écart entreles deux journaux n’était que de 220 000 téléspectateurs, le plus faible depuismars 2013. p

joël morio

Anne-Claire Coudray succèdeà Claire Chazalpour présenterle JT de 20 heures sur TF1, le 16 septembre.JULIEN CAUVIN/TF1

« Le JT

ne meurt pas.

Il se redéfinit,

se reconfigure.

En théorie

des médias,

on dit qu’il

se remédie »

OLIVIER AÏM

sociologue des médias et professeur au Celsa

les chaînes ne sont pas condam-nées à suivre à chaud l’actualité, ellesprennent aussi du recul. Voilà quatresaisons déjà que dans « 7 jours BFM », BFMTV diffuse des reportageslongs qui reviennent sur des sujets de l’actualité récente. C’est à ThomasMisrachi que l’on doit cette émissiondiffusée le samedi après-midi à13 heures, 18 heures et 21 heures. L’idée n’allait pas de soi sur unechaîne où les téléspectateurs sonthabitués à venir pour connaître en une dizaine de minutes les principa-les informations.

Aujourd’hui, une quinzaine de per-sonnes travaille pour ce magazine. « Aucune société de production ne produit autant de reportages avecdes journalistes, qui peuvent parfois rester jusqu’à quinze jours sur le ter-rain pour traiter un sujet », se félicite Thomas Misrachi. Samedi 19 sep-tembre, « 7 jours BFM » diffusera undocumentaire réalisé par deux re-

porters français pour Spicee sur« Les Escadrons du djihad en Syrie ».

Des extraits de ce film ont déjà étémontrés le 17 septembre dans « Grand Angle ». En semaine, depuis trois saisons, c’est en effet avec « Grand Angle » que BFMTV fait unepause dans le « hard news », en diffu-sant des reportages qui sont ensuite commentés par un témoin.

« Nous devons apporter quelquechose de différent à des gens qui sont très informés », indique Jean-Christo-phe Boursier, qui présente ce maga-zine du lundi au jeudi, de 22 heures àminuit.

Images d’archives et faits récents

Cette rentrée, Hervé Béroud, le pa-tron de la rédaction de la chaîne info,a décidé de renforcer encore les ma-gazines avec « L’Histoire en direct », diffusé le vendredi à 21 heures et le samedi à 10 heures et à 17 heures. « Il s’agit de traiter de sujets de la semaine

en les mettant en parallèle avec lesévénements du passé », explique sa présentatrice, Pascale de La Tour duPin. Entourée de l’éditorialiste Hervé Gattegno et de l’historien Fabrice d’Almeida, elle commente images d’archives de l’INA et faits récents.

« Nous voulons donner des clés auxtéléspectateurs pour comprendre l’ac-tualité. Car on se rend compte que ce que l’on vit aujourd’hui est souventlié à des décisions ou à des événe-ments ayant eu lieu des années aupa-ravant, indique la journaliste, quianime également la tranche mati-nale d’information. C’est dans la vo-lonté de la chaîne de proposer des produits encore plus approfondis. Si la priorité au direct demeure, la chaîne sait également offrir des pau-ses à plusieurs moments de la jour-née, en particulier à partir de 18 heu-res. A la veille de fêter ses 10 ans, c’est le signe de sa maturité. » p

j. mo.

A BFM-TV, l’info sait aussi changer de tempo

Page 23: Le_Monde_20_Septembre_2015.pdf

0123DIMANCHE 20 - LUNDI 21 SEPTEMBRE 2015 télévisions | 23

M6 rate sa rentréeAprès « Rising Star », en 2014, la chaîne essuie un nouvel échec cuisant avec « The Apprentice »

Il n’y a pas de sujet : le débatest clos. M6 « assume » plei-nement « l’échec » de sonprogramme phare de ren-

trée « The Apprentice, qui veut lejob ? ». Mercredi 16 septembre, pour sa deuxième soirée à 20 h 55,cette nouvelle émission – qui pro-met un CDI en or à quatorze can-didats – a attiré seulement 892 000 téléspectateurs. Une se-maine plus tôt, pour son lance-ment, « The Apprentice » avait dé-passé de justesse le million. Cesrésultats d’audience désastreux,que la chaîne n’avait pas connus depuis plusieurs années, ont poussé M6 à déprogrammer l’émission.

L’échec est cuisant et ne semblepas mériter de commentaire. « Le programme n’a pas trouvé son pu-blic, explique-t-on du côté du ser-vice de presse. Encore une fois, c’est un échec, on assume, et c’est non négociable. » Point. Deman-der une interview de Frédéric de Vincelles, le patron des program-mes, irrite même le service de presse. « Et pourquoi vous ne de-mandez pas à lui parler quand uneémission fait de l’audience ? », lance un attaché de presse.

« Un sujet tabou »

Selon la Six, « The Apprentice », quidevait mettre en avant les « valeurspositives de l’entreprise », n’a, en fait, montré que ses aspects les plus détestables : arrogance, mé-pris, violence. « On s’est planté sur le concept, a avoué Nicolas Copper-mann, président d’Endemol France qui produit l’émission, lors d’un déjeuner avec l’Association des journalistes médias, le 15 sep-tembre dernier, et dont les propos ont été repris par le site Pureme-dias. com. Le problème, ce n’est pas la qualité de la production, mais, à ce niveau-là d’audience, je crois quec’est un rejet du concept. »

M. Coppermann a même assuréqu’il n’a « peut-être pas assez adapté le format original », lancé en 2004 aux Etats-Unis, qui avait hissé le riche Donald Trump, can-

épisodes de l’émission soient ac-cessibles chaque mercredi soir sur 6play, la plate-forme Internet du groupe M6. « On verra l’évolution des candidats », ajoute-t-il. Et on connaîtra aussi le nom du vain-queur qui signera le fameux CDI comme directeur du développe-ment commercial dans l’entre-prise de Bruno Bonnell.

Après « Rising Star » en 2014, letélécrochet onéreux et hypercon-necté, M6 vient, de nouveau, de ra-ter sa rentrée. Pas d’inquiétude pour la Six qui assure, sans ciller,

que son émission phare de cette saison n’a jamais été l’émission sur l’univers du travail mais… la quatrième saison du « Meilleur pâ-tissier » (diffusée dans quelques semaines).

« Dix ans de retard »

« Le problème, ce n’est pas l’échecde “The Apprentice”, mais l’accu-mulation des échecs depuis deuxans », note un salarié du groupequi préfère garder l’anonymat. Defait : « Y’a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis », le talk-show

de Valérie Damidot ; « Mon parte-naire particulier » ; « Un air de star » ; « Tous les couples sont per-mis » ; « Vu à la télé » ; « J’ai décidéd’être heureux »… sont autant de programmes qui n’ont pas trouvé leur public. « A défaut d’être une grande chaîne historique, on estdevenu une grande chaîne de la TNT, ironise ce salarié. On a dix ans de retard sur nos concurrents comme TF1 ou France Télévisions,qui ont misé, par exemple, depuis longtemps sur la fiction. »

Face aux débâcles d’audience de

nombreuses émissions, M6 expli-que qu’ainsi va la vie de la télé : « Nous sommes la seule chaîne qui lance le plus grand nombre de nou-veautés, argue le service de presse.Il faut maintenant lancer trois ou quatre programmes pour avoir une marque forte qui s’installe, ce n’était pas le cas avant. » M6 rap-pelle ses récents succès avec « Cousu main », « Les Reines dushopping » ou encore « Chasseurd’appart’» et souligne que le groupe réussit à se maintenir à 10 % de part d’audience, alors que son principal concurrent, TF1,baisse fortement.

Au-delà de l’audience, la mise enplace d’une pointeuse à l’entréedu siège du groupe à Neuilly-sur-Seine a également crispé une grande partie des employés ; maisdans un e-mail envoyé aux colla-borateurs, le 8 septembre, le grand patron, Nicolas de Taver-nost, s’est voulu rassurant : « En effet, le groupe M6 est le seul groupe de télévision à progresser en audience avec ses chaînes gra-tuites. Les programmes de rentréeque nous venons d’annoncer à la presse et aux annonceurs ont reçu un accueil positif et sont promet-teurs. M6 une nouvelle fois se ré-vèle être un laboratoire d’idées, de nouveautés et une pépinière de ta-lents, même si nous savons que les succès et parfois les échecs sont in-hérents à la prise de risque. » p

mustapha kessous

Bruno Bonnell (au centre), patron recruteur, et Salim Azouzi, membre du jury de « The Apprentice ». PIERRE OLIVIER/M6

Les nouveaux défis de la fiction européenneL’avenir de la création, face aux géants du Net, a été le thème central au Festival de La Rochelle

FESTIVAL

V it-on les débuts d’un« âge d’or de la fictiontélé », comme l’estiment

certains ? En France aussi ? Peut-on se réjouir de l’engoue-ment pour les séries nationales enEurope, quand, dans le même temps, apparaissent des concur-rents de dimension mondiale, telsNetflix et Amazon ? Les profes-sionnels réunis en table ronde pour appréhender ces questions, lors du Festival de la fiction TV à La Rochelle, ont soufflé le chaud etle froid, entre satisfecit et mises engarde.

Ainsi, sachant que « le marchéaudiovisuel français pèse 30 % à40 % de moins que celui de l’Alle-magne ou de l’Angleterre », payspourtant à peu près équivalents, et que depuis une décennie « la France produit entre 700 et 800 heures de fiction par an quandl’Allemagne en est à 2 000 », il s’avère indispensable, pour que la France puisse affronter la concur-rence internationale, de « pro-duire plus afin de pouvoir exporter plus et de coproduire plus », pro-nostique Thomas Anargyros, co-président d’EuropaCorp Télévi-sion.

Un avertissement qui fait écho àl’approche plutôt optimiste dePhilippe Bailly, fort d’une étude toute récente produite par son ca-binet d’études NPA Conseil : « Le

climat, aujourd’hui, est plutôt po-sitif : les audiences de la fiction té-lévisée française sont fortesen 2015, comme ce fut déjà le cas en 2014. » Non seulement le ser-vice public et Arte, depuis deux ans, offrent davantage de fictions françaises, avec un succès réel, mais le recours grandissant à la télévision de rattrapage pour les voir en différé témoigne un peuplus encore de la demande du pu-blic en ce domaine : la série « Fais pas ci, fais pas ça » a bénéficié de1 million de vues en différé, « Pro-filage » 800 000, « Plus belle la vie » plus de 500 000 – tout celasans compter les visionnages très importants sur les plates-formesYouTube ou DailyMotion.

Il n’empêche, relève tout demême Philippe Bailly : alors que la France compte 30 millions d’abonnés à Facebook, la fiction

télévisée, elle, n’y vit guère qu’à travers trois comptes : « Scènes de ménage » (M6), qui regroupe2,5 millions de fans, « Plus belle lavie » (France 3), qui en fédère 1,5 million, et « Joséphine ange gardien » (TF1) 840 000, aprèsquoi on tombe dans les comptesFacebook ayant moins de 100 000 abonnés. « C’est donc un domaine qui reste sans doute en-core sous-investi pour mieux faireconnaître et promouvoir les pro-grammes », prévient Philippe Bailly.

Risques créatifs

Les nouvelles plates-formes pro-posant des programmes avec un abonnement mensuel, à l’exem-ple de Netflix, ont par ailleurs oc-cupé une partie du débat, leur évo-lution imposant plus que jamais une réflexion, dans chaque pays, sur le défi à relever et les risques créatifs à prendre pour faire face à ces nouveaux mastodontes du Net.

En effet, sachant que Netflix, déjàprésent dans une soixantaine de pays, aura produit 300 heures de programmes exclusifs cette année(avec un doublement d’une année à l’autre), qu’Amazon arrivera en France avec des programmes mai-son ayant bénéficié de budgets non négligeables, et sachant aussi qu’Apple vient d’annoncer avoirles mêmes intentions, se pose la question de l’intérêt de voir cha-

que chaîne et même chaque pays lutter seul dans son coin pour riva-liser avec ces nouveaux conteurs d’histoires planétaires.

D’où la prédiction de Jan Mojto,PDG de Beta Films, un des princi-paux groupes audiovisuels euro-péens : « Je crois que la clé de l’ave-nir, ce sont des studios européens. Je pense qu’on va en voir naître dans les années à venir. Ce seront des sortes de studios européens peut-être virtuels, qui auront agrégé les talents, les moyens de fi-nancement, etc., pour minimiser lesrisques. » p

martine delahaye

Parmi les œuvres en compétition lors du Festival de La Rochelle, ont été notamment recompensées : « Borderline », écrit et réalisé par Olivier Marchal pour France 2 (meilleur téléfilm) ; « Une chance de trop », écrit par Delinda Jacobs et Patrick Ranault, réalisée par François Velle pour TF1(meilleure série de 52 min) ; « Housewarming », réalisé par Marc di Domenico à partir d’un scénario de Choé Pangrazzi (meilleure web-fiction) ; « No Offence » (Grande-Bretagne), écrit par Paul Abbott, réalisé par Catherine Morshead et David Carr pour Channel 4 (meilleure fiction étrangère) ; enfin le prix de la meilleure réalisation est revenue à Julie Lopes Curval pour le téléfilm « L ’Annonce » (Arte).

Le recours

grandissant

à la télévision

de rattrapage

témoigne un peu

plus encore

de la demande

du public

en ce domaine

« Le problème,

ce n’est pas

la qualité de la

production, mais

à ce niveau-là

d’audience,

c’est un rejet

du concept »

NICOLAS COPPERMANN

président d’Endemol France

6 542 000C’est le nombre de téléspectateurs du « Mystère du lac »

qui ont suivi les deux derniers épisodes de la série diffusée jeudi 17 septembre, à partir de 20 h 55, sur TF1, selon Médiamétrie. En réalisant 25,9 % de part d’audience, la première chaîne s’est largement hissée en première place (loin devant France 3, pourtant en deuxième position, avec ses 3,1 millions de téléspectateurs réunis devant la demi-finale de l’Euro de basket France-Espagne). Cette fiction policière de 6 × 52 minutes, avec Barbara Schulz en rôle ti-tre, est, pour TF1, un incontestable succès.

DÉBATDu « Polonium » sur Paris PremièreNatacha Polony n’aura pas été absente bien longtemps du petit écran. Dès le 30 octo-bre, elle animera sur Paris Première, chaque vendredi à 22 h 30, une émission de dé-bat, sans public, intitulée « Polonium ». En parallèle, l’ex-chroniqueuse d’« On n’est pas couché » continuera de tenir sa revue de presse sur Europe 1 et d’animer sur cette même antenne « Médiapo-lis » avec Olivier Duhamel.

FESTIVALLe documentaire à l’honneur sur ArteTous les ans, en alternance avec le cinéma, la chaîne franco-allemande consacre son Festival aux films docu-mentaires. Pour cette deuxième édition, Arte pro-posera du 15 au 20 novembre douze films, parmi lesquels Killing Time-Entre deux fronts, de Lydie Wisshaupt-Claudel, Austerlitz, de Stan

Neumann, Hitchcock-Truf-faut, de Kent Jones et Serge Toubiana, ou encore Behe-moth, le dragon noir, de Zhao Liang. Outre cette program-mation télévisuelle, le Festi-val se décline également au cinéma avec la projection de seize documentaires diffusés récemment sur la chaîne ainsi que quelques inédits à découvrir du 13 au 15 novem-bre au cinéma Les 3 Luxem-bourg à Paris.

SÉRIETournage du « Bureau des légendes » saison 2Canal+ a annoncé le tournage de la nouvelle saison de la sé-rie « Le Bureau des légendes », créée par Eric Rochant. Ce-lui-ci, qui débutera le 25 sep-tembre, se déroulera au Ma-roc et en région parisienne, à la Cité du cinéma. La série réunira, autour de Mathieu Kassovitz, Jean-Pierre Dar-roussin, Léa Drucker, Sara Gi-raudeau… ainsi que l’acteur américain Brad Leland (FridayNight Lights).

didat républicain à la présiden-tielle américaine, au rang de star.

Bruno Bonnell, le grand patronqui a animé « The Apprentice » et qui, à l’inverse des responsables deM6, a souhaité s’exprimer sur le sujet, se demande, quant à lui, si « l’emploi et l’entreprise ne seraient pas un sujet tabou à la télévision française ». Comment divertir avecun programme qui donne « l’im-pression de revenir un peu au tra-vail ? », s’interroge-t-il.

Bruno Bonnell n’a aucun regretet se réjouit même que les derniers

Page 24: Le_Monde_20_Septembre_2015.pdf

24 | télévisions DIMANCHE 20 - LUNDI 21 SEPTEMBRE 2015

0123

Les dessous du business de la peur« Cash investigation » s’est penché surle marché de la sécurité, qui fleurit avec la menace terroriste, et en révèle les failles

FRANCE 2LUNDI 21 – 23 H 05

MAGAZINE

Depuis le 11-Septembreet plus récemmentavec les attentats deCharlie Hebdo en jan-

vier, le marché de la sécurité a faitun bond en raison de la menace terroriste. En la matière, chaqueannée, 10 milliards d’euros sontdépensés en France. S’agirait-il d’une vaste arnaque financière ou d’un réel rempart contre l’in-sécurité ? Pendant plusieurs mois, l’équipe de « Cash Investi-gation » a passé au crible discourset statistiques diffusés par les cri-minologues, les industriels et lespoliticiens.

Aujourd’hui, le business de lapeur repose sur deux gros mar-chés. La technologie de la biomé-trie, tout d’abord, a transformé notre corps en carte d’identité ambulante en permettant de dé-tecter nos empreintes, notre voix et jusqu’à notre odeur. Elle inonde tous les secteurs. Des hô-tels aux collèges et lycées, tousont tendance à s’équiper de lec-teurs d’empreintes digitales pourassurer une plus grande sécurité. Un système décrit comme infailli-ble par ceux qui le produisent,mais qu’en est-il vraiment ?

En suivant les conseils d’un hac-keur berlinois, les journalistes de « Cash Investigation » ont percé plusieurs failles de la biométrie. Pis, ils sont parvenus à déjouer lesportiques de passage aux frontiè-res de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. Ce qui n’empêche pasJean-Christophe Fondeur, le direc-teur recherche et technologie du constructeur Safran Morpho, demaintenir que son modèle est l’un des plus efficaces au monde.

Autre secteur juteux, celui de lavidéoprotection. Installées à par-

tir de 2007, les caméras de sur-veillance ont fleuri dans 450 villeset 1 700 petites communes de France. La plupart se sont d’ailleurs endettées pour s’équi-per. A l’image du petit village de Rennes-les-Bains (Aude), où l’équipe de « Cash Investigation »s’est immergée afin de compren-dre ce qui justifiait la présence d’une caméra pour 25 habitants.

Entre l’analyse des statistiques,les propos de l’ancien ministre de l’intérieur Brice Hortefeux etceux de l’ancien président de la Commission nationale de la vi-déosurveillance Alain Bauer, l’en-quête montre que ce systèmen’est qu’un mirage sécuritaire.Sans parler du gaspillage de l’ar-gent public.

Méthodologie douteuse

Nul besoin de résultats concrets quand on a de soi-disant expertsen sécurité qui n’hésitent pas à manipuler les chiffres pour ali-menter les peurs. Le criminolo-gue Christophe Naudin a par exemple répandu celui, farami-neux, de 210 000 Français victi­mes d’une usurpation d’identité chaque année. Seulement voilà : cette donnée repose sur uneétude du Credoc à la méthodolo-gie pour le moins douteuse et trèséloignée de celle de la police, quiévoque seulement 10 997 plaintes en 2009.

Qui donc a eu intérêt à gonflerles chiffres ? La réponse est don-née par le nom du commandi-

par le magazine, dont les rouagesvont sans doute au-delà de cessphères. Avec toujours, comme allié de poids des industriels,l’Etat. p

lauriane clément

Cash Investigation, présenté par Elise Lucet, avec Jean-Pierre Canet, Jean-Marc Manach et Arthur Bouvard (France, 97 min, 2015).

La démocratie au périlde la lutte antiterroristeSpielberg tord les clichés du cinéma d’action en préservant ses délices

CINÉ + EMOTIONDIMANCHE 20 – 20 H 45

FILM

C’ est un film impossible :une reconstructiond’événements incer-

tains, une leçon d’histoire à l’usagede notre temps et un thriller. Ste-ven Spielberg avait voulu se servir du mélodrame pour dire le géno-cide des juifs dans La Liste de Schin-dler. Il se fixe cette fois un but à la fois moins terrible – plutôt que d’essayer la représentation du mal,il ne s’agit que d’affronter le di-lemme moral que pose aux démo-craties la lutte contre le terro-risme – et plus insaisissable.

Nourri de l’expérience que tra-versaient alors les Etats-Unis et dessouvenirs que le cinéaste a gardés de la prise d’otages et de l’assassi-nat des athlètes israéliens lors des Jeux olympiques de 1972, Munich est un film qui avance en titubant sous le poids de l’Histoire.

Munich a beau s’afficher commeun film consacré aux conséquen-ces de l’attentat et à la traque de ceux que les services secrets israé-liens considéraient comme ses responsables, il n’empêche que ce sont les événements du 5 septem-bre 1972 qui tracent le fil conduc-teur de cette entreprise.

De l’intrusion drolatique ducommando palestinien dans le vil-

lage olympique au massacre final (Munich reprend la thèse selon la-quelle les otages sont morts du faitdes Palestiniens, alors que d’autreshistoriens estiment qu’ils sont morts plus tôt, sous les balles de la police allemande), Spielberg frac-tionne le drame et en fait la réfé-rence permanente de l’histoire quise déroule.

Paroxysme sordideCette histoire est celle d’Avner (EricBana), garde du corps du premier ministre israélien, Golda Meir, propulsé chef d’un commando voué à l’élimination des responsa-bles palestiniens de l’attentat. Autour de lui se constitue un groupe hétéroclite où coexistent professionnels du renseignement et assassins improvisés. On recon-naît dans cette situation une fi-gure imposée du film d’action.

Mais Spielberg tord le cliché : cen’est pas le hasard qui a précipité ces hommes ensemble, c’est leur condition de juifs, venus de pays

différents et réunis dans la volontéde défendre Israël. Les préparatifs du premier assassinat d’un res-ponsable palestinien sont décrits dans le style tendu du cinéma d’es-pionnage. Le meurtre n’est qu’un paroxysme sordide qui jette une première lumière sur la nature de la tâche confiée à Avner et à ses ca-marades. Le doute, non pas sur la légitimité du but (préserver la sé-curité d’Israël) mais sur celle des moyens, mine peu à peu les espritset le travail du commando.

Spielberg ne tourne pas pourautant le dos aux délices du ci-néma d’action, et bientôt le film sedisjoint entre des séquences plu-tôt amusantes et des moments plus théâtraux qui mettent aux prises les agents israéliens, parfois directement avec des militants pa-lestiniens. Cette obstination de Spielberg à ne pas lâcher prise, sa volonté de faire vivre des idées ne sont qu’épisodiquement soute-nues par sa faculté à mettre en scène les angoisses et les interro-gations. Et il y a finalement plus debeauté dans la volonté du réalisa-teur que dans le geste qu’il a fini par accomplir. p

thomas sotinel

Munich, de Steven Spielberg. Avec Eric Bana, Hanns Zischler, Marie-Josée Crozes (EU-Can.-Fr., 2005, 160 min).

DIMANCHE 20 SEPTEMBRE

TF120.55 Mariage à l’anglaiseComédie de Dan Mazer(GB-Fr., 2013, 120 min).22.55 Les ExpertsSérie policière créée par AnthonyE. Zuiker (EU, saison 8, ép. 9 à 12/17).

France 220.55 Les Femmes du 6e étageComédie de Philippe Le Guay(Fr., 2010, 105 min).22.40 Un jour, un destinMagazine présenté par Laurent Delahousse. « Michel Serrault,la fureur de rire. »

France 320.50 Les Enquêtes de MurdochSérie créée par Maureen Jennings (Can., S8, ép. 8/18 ; S5, ép. 5/13 ; S3, ép. 13/13 ; S1, ép. 7/13).

Canal+21.00 FootballSixième journée de Ligue 1 : Marseille-Lyon.

France 520.40 Le Marais,un trésor à ParisDocumentaire de Laurent Lefebvre (Fr., 2015, 50 min).22.25 Le jour où…Documentaire de Laurent Joffrinet Laurent Portes (Fr., 2015, 60 min).

Arte20.45 Inspecteur LavardinFilm policier de Claude Chabrol(Fr.-Sui., 1985, 95 min).22.20 Cocteau-Marais,un couple mythiqueDocumentaire d’Yves Riou et Philippe Pouchain (Fr., 2013, 60 min).

M620.55 CapitalMagazine présenté par François-Xavier Ménage.23.00 Enquête exclusiveMagazine présentépar Bernard de La Villardière.

LU N D I 2 1 S E P T E M B R E

TF120.55 Esprits criminelsSérie créée par Jeff Davis(EU, S10, 12/23 ; S9, ép. 7, 4, 6/24).

France 221.00 CastleSérie créée par Andrew W. Marlowe (EU, S7, ép. 5/23 ; S6, 3 et 4/23).23.05 Cash investigationMagazine présenté par Elise Lucet.« Le Business de la peur ».

France 320.50 Francis Cabrel,un chanteur très discretDocumentaire de Laurent Thessieret Thierry Teston (Fr., 2015, 120 min).23.30 Marseille,le jeu du clientélismeDocumentaire de Oscar Lévyet Xavier Monnier (Fr., 2015, 50 min).

Canal+20.55 Spécial investigationMagazine présentépar Stéphane Haumant.« Chasse : main basse sur la savane ».22.20 Paradise LostThriller d’Andrea Di Stefano.Avec Benicio Del Toro,Josh Hutcherson, Brady Corbet(Fr.-Bel.-Esp., 2014, 115 min).

France 520.40 Un village françaisSérie créée par Frédéric Krivine, Philippe Triboit et Emmanuel Daucé (Fr., 2013, S5, ép. 3 et 4/12).22.40 C dans l’airMagazine présenté par Yves Calvi.

Arte20.55 Le Vieil Homme et l’EnfantComédie dramatique de Claude Berri(Fr., 1967, 85 min).22.20 Un moment d’égarementComédie de Claude Berri(Fr., 1977, 80 min).

M620.55 Under the DomeSérie créée par Stephen King(S3, ép. 1 à 3/13).

Lyon, dotée dès 2001 d’un réseau de caméras de vidéosurveillance des rues, fait figure de pionnière en France dans ce domaine. FRED DUFOUR/AFP

taire de l’étude, Fellowes : une so-ciété américaine de broyeuses àpapier, qui n’a pas lésiné sur les moyens pour convaincre les con-sommateurs de s’équiper de leurappareil. « La prochaine fois que quelqu’un essayera de vous fairepeur, demandez-vous ce qu’il a àvous vendre », ironisent les jour-nalistes de « Cash Investigation ».Une fois de plus, une véritable machine à cash est mise au jour

« Munich » est unfilm qui avance

en titubant sous le poids de l’Histoire

L’enquête montreque ce système

n’est qu’un mirage

sécuritaire

Erreur médicaleFrance 4 lance un nouveau programmeaussi indigent qu’indigne du service public

FRANCE 4LUNDI 21 – 20 H 50

MAGAZINE

S i les chaînes diffusent nom-bre de documentaires et re-portages médicaux, en ce

domaine, les magazines sont plu-tôt rares. Est-ce dû à l’omnipo-tence de l’excellent « Magazine de la santé » animé sur France 5 par Marina Carrère d’Encausse et Mi-chel Cymes ? Toujours est-il qu’on ne pouvait que se réjouir de l’ap-parition d’une nouvelle émission sur France 4, annoncée commemi-ludique et mi-médicale, jus-qu’au visionnage du premieropus, dont l’indigence du propos n’a d’égal que sa vacuité créative.

Digne d’un feuilleton pour adosAdaptée de « Menneskeforsog », un format danois dans lequel troiscobayes sont soumis à des expé-riences de toutes sortes et volon-tiers provocantes (boire son urine,être privé de sommeil pendantcinquante heures…), « Testé sous contrôle médical » se veut plusdouce dans son approche. Ainsi, pour comprendre les richesses du corps humain, deux jeunes comé-diens, Léa Dauvergne et Nicolas Portier, jouent un gentil couplesoumis à une série de tests – enca-drés par des médecins et spécialis-tes –, parmi lesquels : faire des

tours dans un manège afin d’ap-préhender le fonctionnement de l’oreille interne ; éprouver le man-que d’oxygène dû à l’altitude dans un caisson hypobar ou connaître des accélérations de 3 à 5 « G » dansune centrifugeuse.

Malgré le petit côté « déjà-vu »du format, qui navigue entre « On n’est pas que des cobayes » et « LesPouvoirs extraordinaires du corpshumain », mais également la pla-titude des petites saynètes de mé-nage dignes d’un feuilleton pour ados et des « debriefs » façon télé­réalité, sans doute aurait­on pris quelque plaisir à regarder ces ex-périences, si toutes avaient con-servé une certaine qualité scienti-fique. Car, que dire de la séquence « épilation » censée nous appren-dre que les hommes sont plus douillets lorsqu’on leur arracheles poils du nez ? Sans parler decelle où, pendant dix bonnes mi-nutes – une éternité –, on s’ennuieferme à regarder nos deux co-bayes s’ébrouer pendant une jour-née dans un bain afin de démon-trer – oh, surprise ! – que nos doigts se fripent à la suite d’une longue immersion dans l’eau…

Récemment, la patronne deFrance Télévisions, Delphine Er-notte, annonçait un vaste pland’économies. Il semble bien que certaines crèvent l’écran. p

christine rousseau

V O SS O I R É E S

T É L É

Page 25: Le_Monde_20_Septembre_2015.pdf

0123DIMANCHE 20 - LUNDI 21 SEPTEMBRE 2015 télévisions | 25

HORIZONTALEMENT

I. Ont belle allure sous leur shako em-

plumé. II. Alimenté pour étancher la

soif animale. Entrent en activité.

III. Elégante du Directoire, magni-

ique en tous temps. IV. Traité pour

mieux résister. Article de Cordoba.

Précieuse essence indienne. V. Ten-

dus pour piéger. A des côtés égaux.

VI. Poisson d’eau douce. Facilite les

calculs. Fait l’innocent. VII. Possessif.

Donné avant exécution. Enzyme.

Convient. VIII. Equilibre en plein vol.

Crie comme un porteur de bois.

IX. Messagère des Olympiens. Point

de départ. X. Font place nette.

VERTICALEMENT

1. Toujours dévoué, surtout s’il est

bon. 2. Pour un bon départ dans

l’univers des mots. 3. Très énervé.

Fond de cours. 4. Alimentent les gla-

ciers. Lâché pour essayer d’avancer.

5. Mettre brutalement in. Met in à la

partie. 6. Romains dans Calvi. Chez

Nini. Personnel. 7. Balancent sur les

lots. Bien dégagé. 8. Délicieusement

craquants dans la salade. Dans

l’immédiat. 9. Fait monter la pres-

sion. Allumé avec intentions. 10. Plus

en service. Cours du Jura. 11. Venu

des fosses. Eut pour origine. 12. Capa-

bles du pire.

SOLUTION DE LA GRILLE N° 15 - 221

HORIZONTALEMENT I. Renonciateur. II. Ovibos. Cadra. III. Manu. Ah. Pain.

IV. Alose. Item. V. Nu. Ictère. Lu. VI. Caméra. Van. VII. Itérative. Ti. VIII. Ein.

Sénilité. IX. Rouge. Nantir. X. Ensorceleuse.

VERTICALEMENT 1. Romancière 2. Evaluation. 3. Niño. Menus. 4. Obu-

sier. Go. 5. No. Ecraser. 6. CSA. Tâte. 7. Hie. Inné. 8. Ac. Trivial. 9. Tapée.

Elne. 10. Edam. Itu. 11. Uri. Lattis. 12. Rancunière.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

IX

X

GRILLE N° 15 - 222

PAR PHILIPPE DUPUIS

0123 est édité par la Société éditricedu « Monde » SADurée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 94.610.348,70 ¤.Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).

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Corinne Mrejen

SUDOKUN°15-222

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65eAnnée - N˚19904 - 1,30 ¤ - Francemétropolitaine ---

Jeudi 22 janvier 2009Fondateur : Hubert Beuve-Méry - Directeur: Eric Fottorino

Algérie 80 DA, Allemagne 2,00 ¤, Antilles-Guyane 2,00 ¤,Autriche 2,00 ¤, Belgique 1,40 ¤, Cameroun 1 500 F CFA, Canada 3,95 $, Côte d’Ivoire 1 500 F CFA, Croatie 18,50 Kn, Danemark 25 KRD, Espagne 2,00 ¤, Finlande 2,50 ¤,Gabon 1 500 F CFA, Grande-Bretagne 1,40 £, Grèce 2,20 ¤, Hongrie 650 HUF, Irlande 2,00 ¤, Italie 2,00 ¤, Luxembourg 1,40 ¤,Malte 2,50 ¤,

Maroc 10 DH,Norvège 25 KRN, Pays-Bas 2,00 ¤, Portugal cont. 2,00 ¤, Réunion 2,00 ¤, Sénégal 1 500 F CFA, Slovénie 2,20 ¤, Suède 28 KRS, Suisse 2,90 FS, Tunisie 1,9 DT, Turquie 2,20 ¤,USA 3,95 $, Afrique CFA autres 1 500 F CFA,

Barack et Michelle Obama, à pied sur Pennsylvania Avenue, mardi 20 janvier, se dirigent vers la Maison Blanche. DOUGMILLS/POOL/REUTERSa Les carnets d’une chanteuse.Angélique Kidjo, née au Bénin, a chantéaux Etats-Unis pendant la campagnedeBarackObamaen2008, et de nouveau

pendant les festivités de l’investiture,du 18 au 20 janvier. Pour LeMonde, elleraconte : les cérémonies, les rencontres– elle a croisé l’actrice Lauren Bacall,le chanteur Harry Belafonte… et l’écono-miste Alan Greenspan. Une questionla taraude : qu’est-ce que cet événementva changer pour l’Afrique ? Page 3

a Le grand jour. Les cérémonies ;la liesse ; lesambitionsd’unrassembleur ;la première décision de la nouvelleadministration: la suspensionpendant cent vingt jours des audiencesde Guantanamo.Pages 6-7 et l’éditorial

page 2a It’stheeconomy... Il faudraà lanou-velle équipe beaucoup d’imaginationpour sortir de la tourmente financièreet économique qui secoue la planète.Breakingviews page 13

a Feuille de route.« La grandeurn’est jamais un dû. Elle doit se mériter. (…)Avec espoir et vertu, bravons une foisde plus les courants glacials et enduronsles tempêtesà venir. »Traduction intégraledu discours inaugural du 44eprésidentdes Etats-Unis. Page 18aBourbier irakien.Barack Obamaa promis de retirer toutes les troupesde combat américaines d’Irak d’iciàmai 2010. Trop rapide, estiment leshautsgradésde l’armée.Enquête page 19

GAZAENVOYÉSPÉCIAL

D ans les rues de Jabaliya, lesenfants ont trouvé un nou-veau divertissement. Ils col-lectionnent les éclats d’obus et demissiles. Ils déterrent du sable desmorceaux d’une fibre compactequi s’enflamment immédiatementau contact de l’air et qu’ils tententdifficilement d’éteindre avec leurspieds. « C’est du phosphore. Regar-dez comme ça brûle. »Surlesmursdecetterue,destra-cesnoirâtressontvisibles.Lesbom-bes ont projeté partout ce produitchimique qui a incendié une petitefabrique de papier. « C’est la pre-mièrefoisque jevoiscelaaprès trente-huit ans d’occupation israélienne »,s’exclame Mohammed Abed Rab-bo. Dans son costume trois pièces,cette figure du quartier porte ledeuil. Six membres de sa familleont été fauchés par une bombedevant un magasin, le 10 janvier.Ils étaient venus s’approvisionnerpendant les trois heures de trêvedécrétées par Israël pour permet-tre auxGazaouis de souffler.Le cratère de la bombe est tou-jours là. Des éclats ont constellé lemur et le rideau métallique de la

boutique. Le père de la septièmevictime, âgée de 16 ans, ne décolè-re pas. « Dites bien aux dirigeantsdes nations occidentales que ces septinnocents sont morts pour rien.Qu’ici, il n’y a jamais eu de tirs deroquettes. Que c’est un acte crimi-nel. Que les Israéliens nous en don-nent la preuve, puisqu’ils sur-veillent tout depuis le ciel », enrageRehbi Hussein Heid. Entre sesmains, il tient une feuille depapier avec tous les noms desmortsetdesblessés, ainsi que leurâge, qu’il énumère à plusieursreprises, comme pour se persua-der qu’ils sont bienmorts.MichelBôle-RichardLire la suite page 5et Débats page 17

Ruines, pleurs et deuil :dans Gaza dévastée

WASHINGTONCORRESPONDANTE

D evant la foule la plus considérablequi ait jamais été réunie sur le Mallnational de Washington, BarackObama a prononcé, mardi 20 janvier, undiscours d’investiture presquemodeste. Aforce d’invoquer Abraham Lincoln,Martin Luther King ou John Kennedy, ilavait lui même placé la barre très haut. Lediscoursne passera probablement pas à lapostérité, mais il fera date pour ce qu’il a

montré.Unenouvellegénération s’est ins-tallée à la tête de l’Amérique. Une ère detransformation a commencé.Des rives du Pacifique à celles de l’At-lantique, toute l’Amérique s’est arrêtéesur le moment qu’elle était en train devivre : l’accession au poste de comman-dant en chef des armées, responsable del’armenucléaire,d’un jeunesénateurafri-cain-américain de 47 ans.

Lire la suite page 6Corine LesnesEducation

L’avenir deXavier Darcos«Mission terminée » :le ministre de l’éducationne cache pas qu’il seconsidérera bientôt endisponibilité pour d’autrestâches. L’historiende l’éducation ClaudeLelièvre expliquecomment la rupture s’estfaite entre les enseignantset Xavier Darcos. Page 10

AutomobileFiat : objectifChryslerAu bord de la failliteil y a quelques semaines,l’Américain Chryslernégocie l’entrée duconstructeur italien Fiatdans son capital, à hauteurde 35 %. L’Italie se réjouitde cette bonne nouvellepour l’économie nationale.Chrysler, de son côté, auraaccès à une technologieplus innovante. Page 12

BonusLes banquiersont cédéNicolas Sarkozy a obtenudes dirigeants des banquesfrançaises qu’ils renoncentà la « part variablede leur rémunération ».En contrepartie,les banques pourrontbénéficier d’une aidede l’Etat de 10,5 milliardsd’euros. Montantéquivalent à celle accordéefin 2008. Page 14

EditionBarthes,la polémiqueLa parutionde deux textes inéditsde Roland Barthes,mort en 1980, enflammele cercle de ses disciples.Le demi-frère del’écrivain, qui en a autoriséla publication, essuieles foudres de l’ancienéditeur de Barthes,François Wahl.Page 20

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Les Unes du Monde

0123

C O N F I D E N C E S

Sur les docks

Pauline Maucort et Emilie Chaudet ont accompagné des insomniaques dans leurs nuits, là où les voix se font douces et profondes. Deux volontaires ont même accepté de garder avec eux un enregistreur pour tenir heure par heure leur journal nocturne jusqu’à ce que le sommeil les gagne. Les auditeurs se laissent bercer par ces confidences intimes. Les productrices ont aussi suivi les employés d’une usine ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre qui parlent, eux, de la nuit qui passe plus vite que le jour.JEUDI 24 – FRANCE CULTURE – 17 HEURES

G A ST R O N O M I E

Je suis d’où je viens

Faustine Bollaert reçoit Anne-Sophie Pic, marraine de la Fête de la gastronomie 2015 (du vendredi 25 au dimanche 27 septembre dans toute la France). L’occasion de mieux connaître la personnalité de cette chef triplement étoilée, et les recettesde son savoir-faire, entre héritage familial et explorations personnelles.DIMANCHE 20 – FRANCE BLEU – 14 HEURES

C O N C E R TS

En direct du Sunset à Paris, Sylvain Beuf Quartet : Sylvain Beuf (saxophone), Philippe Bussonnet (basse), Julien Charlet (batterie), Laurent Coulondre (claviers).JEUDI 24 – FRANCE MUSIQUE – 22 H 30

Messe en ut mineur, de Mozart, en direct de la cathédrale Saint-Louis des Invalides, à Paris. Liliana Faraon, Karen Vour’ch (sopranos), Philippe Do (ténor), Vincent Pavesi (basse). Chœur et orchestre Lamoureux. Direction : Paul Meyer.VENDREDI 25 – RADIO CLASSIQUE –

20 HEURES

France Inter reprend le chemin de l’écoleLa station lance l’opération « Interclass’» pour recréer le lien entre les jeunes et les médias

RADIO

L’onde de choc des atten-tats meurtriers contreCharlie Hebdo et l’Hy-per Cacher au début de

l’année se fait toujours ressentir, et particulièrement dans les collè-ges où les élèves restent très divi-sés face à « l’esprit Charlie ». De-puis la grande manifestation du 11 janvier, proviseurs de lycées, principaux de collèges et profes-seurs ont été nombreux à témoi-gner dans les médias sur le fossé qui s’est creusé entre les jeunes et les médias. Un constat qui les apoussés à solliciter les journalis-tes pour qu’ils viennent dans lesclasses dialoguer et expliquer lesmétiers de l’information.

Leur message a été entendu.« Cette demande nous a interpelléset nous nous sommes demandé comment nous avions pu à ce point être aveugle sur ce qui sepasse dans notre pays », dit aujourd’hui Laurence Bloch, la di-rectrice de France Inter. Pour ten-ter de combler ce fossé, elle a doncdécidé de lancer avec la rédaction,d’ici fin septembre, l’opération « Interclass’», une initiative qui se déclinera sous la forme d’un par-tenariat entre France Inter et cinq collèges d’Ile-de-France classés « difficiles » (Grigny où a habité Amedy Coulibaly le tueur de l’Hy-per Cacher, Paris, Mantes-la-Jolie,Saint-Denis et La Ferté-Gaucher).Principal objectif : faire appréhen-der aux élèves le monde des mé-dias et décrypter la fabrique de l’information.

« Un acte politique »

Tout au long de la saison, cinq équipes de la station publique (journalistes, producteurs et tech-niciens) iront régulièrement tra-vailler dans cinq classes de 4e et 3e des établissements sélectionnés pour fabriquer une vingtaine de « Zooms » (petits reportages de 4 minutes et 30 secondes diffusés à 7 h 14 dans la matinale d’Inter) surles thèmes qu’ils auront choisis.

Une sorte de formation en con-tinu pour les élèves qui vont ap-prendre à réaliser des reportages, pratiquer le montage et le mixaged’une émission sous la conduite des journalistes et techniciens deFrance Inter.

Une websérie, intitulée « Scrnz »(prononcer « screens »), accompa-

gnera également le projet. A par-tir de juin 2016, tous les « Zooms »retenus seront diffusés dans un magazine du week-end de la grilled’été. « Plus que de la radio, c’est unacte politique », affirme Laurence Bloch, qui souhaite « renouer lelien social » très distendu depuisdes années.

Evidente et nécessaire, cetteopération « Interclass’», lancée à lademande de plusieurs membres du corps enseignant, ne s’est pas montée sans mal. EmmanuelleDaviet, chef du service Société à France Inter, qui pilote le projet, explique qu’elle a rencontré de nombreuses difficultés avec l’aca-démie de Créteil, très réticente àl’opération. Même le ministère de l’éducation nationale a refusé de l’aider financièrement. Les 4 000 euros nécessaires pour la lo-cation du matériel ont finalementété donnés par le Centre de liaisonde l’enseignement et des médias d’information (Clemi), un orga-nisme chargé de l’éducation aux médias dans les écoles et collèges.

« Nous faisons le pari que ce tra-vail de longue haleine va apporter une plus-value citoyenne », expli-que Ali Arab, principal du collège Jean-Vilar à Grigny. « Il y a ungrand décalage entre ce qui se vitdans les territoires en souffrance etle regard qu’on peut en avoir via lesmédias. En tout cas, c’est le premierprojet dans lequel on se sent enconfiance avec des journalistes »,souligne-t-il.

« C’est une chance incroyable, carnous partons de très loin », renché-rit Iannis Roder, professeur d’his-toire-géographie au collège Pier-re-de-Geyter à Saint-Denis dans« le 9-3 ». « La marche est haute pour les élèves », note-t-il, en re-connaissant que « le travail va êtrecompliqué car la plupart des collé-giens ont du mal à s’exprimer ».

Susciter des vocations

Une démarche d’autant plus dif-ficile que la quasi-totalité d’entreeux n’écoutent jamais la radio etne connaissent même pas l’exis-tence de France Inter. « Ce n’est

pas une radio de banlieue ! », as-sure dans un sourire Frédéric Hervé, principal du collège deMantes-la-Jolie, qui, fidèle audi-teur de la station publique, se fé-licite que les reportages réaliséspar les élèves soient program-més dans les « Zooms », « la casechic » de la matinale.

Après plusieurs réunions depréparation avec leurs « journa-listes référents », proviseurs etprincipaux se rendront mercredi23 septembre à Radio France encompagnie des 125 collégiens

pour le lancement officiel del’opération et en profiterontpour visiter la Maison de la radio.« Tous n’étaient pas convaincuspar cette initiative, reconnaît Ian-nis Roder. La plupart d’entre euxvivent dans un monde clos etsouffrent du regard que l’on portesur eux. » Malgré tout, ils espè-rent que ce projet suscitera desvocations même si, au départ, lesgamins estiment que ces métiers« ne sont pas faits pour eux ».

« C’est une grande aventurejournalistique et pédagogique, ce n’est pas un gadget », insiste Lau-rence Bloch, qui souhaite péren-niser l’opération. Dès la semaine prochaine, comme premier tra-vail, les collégiens devront expri-mer leurs opinions en remplis-sant un questionnaire surl’image qu’ils ont des journalis-tes et des médias. Et, à la fin del’opération, en juin, ils devrontrépondre aux mêmes questionspour savoir si leur regard achangé. p

daniel psenny

Le quartier de la Grande-Borne, à Grigny, accueillera l’émission « Interclass ». HERVÉ LEQUEUX POUR « LE MONDE »

S É L E C T I O NR A D I O

« C’est une

grande aventure

journalistique

et pédagogique,

ce n’est pas

un gadget »

LAURENCE BLOCH

directrice de France Inter

Page 26: Le_Monde_20_Septembre_2015.pdf

26 |styles DIMANCHE 20 - LUNDI 21 SEPTEMBRE 2015

0123

quand la rigueur devient douceurL’« executive woman » a aussi le droit d’être sensuelle et rêveuse. Pour clôturer la Fashion Week de New York,les institutions de la mode américaine ont proposé des vestiaires plus sensibles. Sans mièvrerie

MODEnew york

L’été est la saison du « lâ-cher prise ». Moins detravail (même si la cul-ture des vacances aux

Etats-Unis n’a rien à voir avec laFrance), plus de temps pour soi :les collections estivales tendent àsuivre ce schéma et à s’éloigner des archétypes dynamiques et ri-goureux de la féminité à l’améri-caine. Les crises économiques, lesdéfis de la politique mondialesemblent écailler – un peu – sonvernis infaillible. Cela ne veut pasdire que la mode qui reflète cette conjoncture est foncièrement poétique et dépressive, mais plu-tôt qu’elle gagne en sensibilité.

Icône de l’Amérique saine ettriomphante, Ralph Lauren con-tinue, bien sûr, de cultiver son luxe dynamique avec une collec-tion sur le thème du yachting.Jupe patineuse aux couleurs vi-brantes, pull marin, veste d’offi-cier et longue robe rayée incar-nent avec conviction la partie lit-térale de ce thème. Mais les néotailleurs-pantalons en lin blanc, les imprimés géométriques fa-çon Sonia Delaunay, les cuirs ca-ramel au lait travaillés commedes Nylons et les aplats de cou-leur qui enveloppent la sil-houette comme une sculptureabstraite sont autant d’indicesd’une autre vie ; plus rêveuse,plus arty, plus sensuelle aussi,même si elle conserve son éner-gie lumineuse.

On connaît aussi la rigueur dulabel allemand Hugo Boss, dont laligne Boss, dessinée par l’améri-cain Jason Wu, défile à New York.

Ce créateur au style hyperfémi-nin adoucit à son rythme la cul-ture tailleur de la marque. Pourl’été, les robes drapées et plissées aux textures diaphanes, les man-teaux peignoirs sans manches et les effets de transparence et desuperposition sur des silhouettesépurées révèlent une féminité dé-cidée et apaisée à la fois.

On retrouve cet esprit chezTheory, une marque de contem-porary (comprendre du luxe ac-cessible et quotidien) qui a bâti son succès dans les années 1990grâce à ses pantalons et tenuesstricts pour « executive women » chics et pressées. La nouvelle di-rectrice artistique Lisa Kulsonélargit subtilement le répertoirede la marque. Jupe plissée et blouse à pois, veste à taille éva-sée, longue tunique en veau ve-

lours ou robe chemise à épaules dénudées composent un ves-tiaire féminin aux légères rémi-niscences années 1970, désin-volte juste ce qu’il faut.

Chez Michael Kors, le tonchange légèrement aussi. On est habitué à ses belles filles saines àcheveux brillants aux tenues élé-gantes et simples avec une pointede sexy. Cette saison, il alterne jupe plissée noire de gladiatrice,robe bohème en mousseline flamboyante ou rebrodée de pé-tales, débardeur à sangles, che-mise en dentelle noire et man-teaux croisés minimalistes. Cevestiaire pléthorique tour à tourromantique, streetwear, hippieou années 1990 témoigne d’une envie d’exprimer différents senti-ments ou différentes facettes dela vie d’une femme. Mais il y a

peut-être trop de pistes dans la même collection.

Chez Calvin Klein, FranciscoCosta en a choisi une seule : « lematin d’après ». Après une fête ouune nuit d’amour, la fille CalvinKlein enfile donc une robe « dés-habillé » en satin de soie aux tein-tes de biscuit et de coquille tendreet des souliers à grosses semelles

de caoutchouc ; manteaux et ju-pes fendues, déstructurées, ajours horizontaux et surpiqûresanatomiques évoquent un épi-sode échevelé. Il y a de la sensibi-lité dans ce vestiaire, de la nostal-gie, peut-être quelques regrets.C’est touchant et très loin de la culture minimaliste un peu sèchede la maison.

Fondé en 2002, le label ProenzaSchouler a toute une culture à in-venter, loin des règles classiques établies par leurs aînés du mar-ché américain. Leur féminité esticonoclaste, un peu étrange etoriginale, à condition qu’ellen’évoque pas une collection Cé-line comme c’est un peu le cas audébut du show avec un thème es-pagnol déconstruit ; mais ce sen-timent s’efface à mi-parcoursquand arrivent les robes aux dé-

coupes et volumes arrondis, taillés dans des dentelles anglai-ses et des textures perforées, im-briquées et tissées de perles demétal. C’est cette excentricitémêlée de rigueur qui fait la ri-chesse de cette marque et laisse rêver à une mode américainepleine de nuances.

Bien sûr, quand on parle d’ex-centricité, personne n’arrive à la cheville de Marc Jacobs. En fin deFashion Week, le créateur s’est of-fert un show flamboyant auZiegfeld Theather, salle de ci-néma new-yorkaise mythique. D’ailleurs, le créateur rêve toutesles femmes en stars du septièmeart. Les mannequins arrivent d’abord sur un tapis rouge à l’ex-térieur qui permet aux passantsde profiter du spectacle. Les cou-leurs des drapeaux américains, les imprimés warholiens d’actri-ces (Janet Leigh, Joan Crawford, Maria Callas..), les coupes rétro et destroy des robes longues et des tailleurs-pantalons, le ma-quillage barbouillé coulé trahis-sent un univers étourdissant où l’imperfection a repris ses droits.

En clôture de show, Beth Ditto,chanteuse du groupe Gossip, avecson physique de punk « felli-nienne » confirme cette impres-sion. Qu’on adhère ou non à l’ex-trémisme des vêtements, le mes-sage de Marc Jacobs est le plus fort ; il revendique le droit à unebeauté dé-normée dans un paysoù les codes de la séduction et dela féminité édictés par Hollywoodsont aussi irréalistes que rigides. Et à l’ère de la société digitale, unevie sans filtre – photo – est une vraie dissidence. p

carine bizet

MARC JACOBS REVENDIQUE LE DROIT À UNE BEAUTÉ

DÉ-NORMÉE DANSUN PAYS OÙ LES CODESDE LA SÉDUCTION ET DELA FÉMINITÉ SONT AUSSI IRRÉALISTES QUE RIGIDES

NEW YORK | PRÊT-À-PORTER PRINTEMPS-ÉTÉ 2016

à new york, la présentation qui a fait parler d’elle est celle d’un futur candidat à l’élection présidentielle américaine : Kanye West. Rappeur, fils d’une professeure d’université, egomaniaque à la logorrhée distrayante, époux d’une drôle d’icône mé-diatique (Kim Kardashian, plus de 46 mil-lions d’abonnés sur Instagram) : le person-nage est aussi incontournable que contro-versé et contradictoire.

Annoncé à la dernière minute, le showYeezy (surnom de Kanye, diminutif deYeezus, variation sur Jesus) est moins un défilé que le reflet d’une nouvelle société du spectacle où mode, médias, réseaux so-ciaux et célébrité composent une mixturepas toujours digeste. Etre ou ne pas être à ceshow n’était même pas la question : Insta-gram met tout en accès libre et instantané.

Il y a ceux qui ont esquivé pour mieux commenter les images des réseaux so-ciaux, postées par d’autres et ceux qui te-naient à en être et à valider leur présenceen partageant ces clichés.

Choc des cultures

Le premier rang aurait fait envie à bien des designers : Debbie Harry, Courtney Love,Riccardo Tisci, Jean-Paul Goude, l’archi-tecte Peter Marino et au moins deux dessœurs de Kim, elles aussi idoles digitales etmachines à promouvoir à tout vent. Pour-quoi l’élite d’un milieu réputé aussi snob que la mode répond-elle à l’appel du mes-sie Kanye ? Par amitié pour certains, par in-térêt et cynisme pour beaucoup. Pour res-ter moderne et compétitif, le luxe a besoin d’accéder aux millions de « followers » pré-

sents sur les réseaux sociaux. La cote des célébrités se mesure désormais à l’aune de leur popularité digitale, pas à celle de leur élégance ou de leur talent.

Ce choc des cultures se retrouve dans leshow. L’artiste Vanessa Beecroft a orches-tré le ballet des mannequins dont les te-nues, couleurs de cheveux et de peau sontassorties et qui s’alignent façon coloramahumain. Commentaire social sur les rela-tions raciales aux Etats-Unis ? Absurdité d’un bataillon en body intégral et panoplie streetwear déjà vue en mieux chez RickOwens ou Helmut Lang ? Les deux ? L’ambi-valence permanente de cette nouvelle so-ciété du spectacle rend tout possible enbrouillant frontières et hiérarchies. Et c’est à la fois libérateur et dangereux. p

c. bi.

Kanye West et la comédie sociale de la mode

Marc Jacobs. GIANNI PUCCI

Ralph Lauren.BEBETO MATTHEWS/AP

Proenza Schouler. JP YIM/AFP

Page 27: Le_Monde_20_Septembre_2015.pdf

0123DIMANCHE 20 - LUNDI 21 SEPTEMBRE 2015 0123 | 27

Parfois, en écoutant ba-tailler les innombrablescandidats républicains àl’élection présidentielle

américaine de 2016, et pas seule-ment le plus décoiffant d’entreeux, Donald Trump, les électeurs doivent se demander s’ils ont bien vécu les mêmes dix derniè-res années.

Plus d’un a dû se frotter les yeuxpendant le débat télévisé du 16 septembre : il y a été question d’un monde où seule une puis-sance militaire écrasante pourrait « make America great again », ren-dre sa grandeur à des Etats-Unis réduits au rang de losers par un président pacifiste de second rang,Barack Obama, qui ne connaît qu’une arme, celle de la négocia-tion. A croire que le fiasco de l’in-vasion de l’Irak, pourtant menée par une puissance militaire écra-sante, est une invention d’Hol-lywood.

Si d’aventure leur venait l’idée des’instruire sur le sujet, ces candi-dats devraient se pencher sur une série de textes publiés au mois d’août par la revue The National Interest, qui, pour son trentième anniversaire, a posé la question suivante à 25 experts de politiqueétrangère : « A quoi doit servir la puissance américaine ? » Le résul-tat est d’autant plus intéressant que, pour son cinquième anniver-saire, en 1990, la même revue avaitposé la même question à plusieursautres analystes. L’année précé-dente, celle de la chute du mur de Berlin, The National Interest avait publié un article retentissant de Francis Fukuyama, « La fin de l’Histoire ? » – avec un point d’in-terrogation.

La comparaison des deux sériesd’essais est un formidable moyen de mesurer l’évolution de la per-ception de la puissance américainepar son establishment sur un quartde siècle. Un quart de siècle pen-dant lequel les Etats-Unis sont pas-sés du statut de superpuissance in-contestée, victorieuse de la guerre froide, à celui de puissance défiée, dans un monde multipolaire, par de multiples nouveaux centres de pouvoir, la Chine, les émergents, la mondialisation de l’économie et les réseaux terroristes.

Contrairement à ce que l’on peutpenser, les commentateurs de 1990 n’avaient guère plus de certi-tudes que ceux de 2015. En 1990, l’Europe de l’Est s’était libérée, mais l’URSS n’avait pas encore ex-plosé ; peu de ces experts se hasar-dent à prédire la disparition de l’autre superpuissance. Certains imaginent un monde multipo-laire à venir, sans pour autant pré-voir l’ascension de la Chine. Le Ja-pon et l’Europe occidentale appa-raissent comme de vraies puissan-ces, et ce qui est alors la Communauté européenne fait fi-gure de rivale.

Le courant « décliniste » se portealors pourtant bien, « avec Paul Kennedy comme brigadier », iro-nise Ben Wattenberg, qui, au con-traire, considère qu’« en tant que dernière superpuissance » les Etats-unis « devraient façonner l’évolu-tion » du monde : « Le contribuableaméricain n’a pas mis des milliards de dollars dans la guerre froide pour créer quelques Suède de plus. Aujourd’hui, la seule culture démo-cratique qui tienne debout, c’est l’américaine. » Surtout pas ! crie

Pat Buchanan, qui est sur la ligne « America, come home » : mainte-nant, occupons-nous de nous ! Charles Krauthammer, lui, vou-drait dépasser le clivage entre inter-nationalistes et isolationnistes ; il propose que les Etats-Unis, « ayant doublement vaincu le totalitarisme, éloignent le monde d’un avenir mul-tipolaire pour le mener vers un monde unipolaire dont le centre se-rait un Occident confédéré ».

Le seul vrai visionnaire danscette affaire est, rendons-lui hom-mage, un journaliste : Robert Bart-ley, à l’époque directeur éditorial du Wall Street Journal, qui an-nonce « une seconde révolution in-dustrielle » grâce à « l’ordinateur » (en 1990, Internet n’en est qu’à ses balbutiements) et « l’émergence d’un ordre mondial interdépen-dant, intégré et inter-connecté » ; pour lui, l’objectif de la puissance américaine doit donc être de « construire des institutions inter-nationales appropriées ».

La nécessité du leadership

Sur cette série d’objectifs, la mis-sion a largement échoué. Cela ex-plique que, vingt-cinq ans plus tard, nos géopoliticiens soient un peu perplexes, voire totalement désorientés. Le bilan est générale-ment sévère, même si les explica-tions varient : la puissance améri-caine a cédé beaucoup trop de ter-rain face « à la montée des autres ».Pour Paul Kennedy, les Etats-Unis se sont perdus « dans une illusion de toute-puissance » et « une grande partie du monde est deve-nue ingérable pour eux ». Joseph Nye, le théoricien du soft power, refuse de parler de « déclin », mais considère que les Etats-Unis, à l’âge de la révolution de l’informa-tion et de la mondialisation, ne peuvent plus tout faire tout seuls.

A quoi donc, dans ce mondechaotique, doit servir la puissance américaine ? « Il n’y a pas de ré-ponse exacte, se hasarde Ian Brem-mer. Mais il faut dépasser l’impro-visation de ces vingt-cinq dernières années, elle a coûté trop cher. » L’Amérique a pris des coups, on la sent un peu groggy. Doit-elle re-monter sur le ring? Certains appel-lent à une redéfinition des intérêtsaméricains, d’autres à « réarmer », d’autres encore à « réinventer » un modèle de leadership américain.

Car s’il y a un point sur lequel cesexperts n’ont aucun doute, c’est la nécessité du leadership américain.« N’étant pas parvenus à modeler lemonde à leur image, les Américainsdoivent se fixer pour objectifs de continuer à dominer l’Occident et d’empêcher l’hégémonie chinoise sur l’Asie », estime John Mearshei-mer. L’autre élément qui les ras-semble, c’est une confiance iné-branlable dans les principes posés par les Pères fondateurs, ceux d’unpays créé par des immigrés sur desvaleurs de liberté et de démocra-tie. Ils sont, finalement, plusieurs à conclure que la plus grande puis-sance des Etats-Unis, c’est le dyna-misme de ses citoyens, social et économique. Et le meilleur lea-dership, celui de l’exemple. p

[email protected]

A deux mois du prochain congrès del’Association des maires de France(AMF) et à trois mois des élections

régionales que la gauche aborde en très fâ-cheuse posture, François Baroin est en passede réussir une superbe manœuvre politi-que. En appelant tous les édiles de France et de Navarre à se mobiliser, samedi 19 sep-tembre, contre la baisse des dotations de l’Etat aux communes, le président de l’AMF, par ailleurs sénateur de l’Aube (LR) et maire de Troyes, sait qu’il joue sur du velours.

A première vue, en effet, les chiffres par-lent pour lui. Après avoir été gelée entre 2010 et 2013, la dotation générale de fonc-tionnement versée par l’Etat aux collectivi-tés locales a été rabotée de 1,5 milliard d’euros en 2014 et le gouvernement a pro-

grammé une nouvelle et forte baisse de 11 milliards pour la période 2015-2017, soit 3,7 milliards par an. Le bloc communal, c’est-à-dire les communes et les intercom-munalités, doit contribuer à plus de la moi-tié de cet effort d’économies (2 milliards d’euros par an), le reste étant demandé aux régions et aux départements.

Si l’Association des maires de France ad-met que les collectivités locales doivent contribuer, comme l’Etat et la Sécurité so-ciale, à une meilleure maîtrise des financeset des déficits publics, elle juge « insoute-nable » la brutale saignée budgétaire exigéedes communes. Et elle s’alarme de ses ef-fets, qu’elle juge dévastateurs : non seule-ment pour les services publics locaux, qui devront se serrer la ceinture, mais aussipour les investissements publics, dont lescommunes sont le principal commandi-taire en France. En ces temps de croissance faiblarde, l’argument a de quoi inquiéter.

Habile – et d’ailleurs soutenue, bon grémal gré, par nombre de maires de gauche –,l’initiative de l’Association des maires de France apparaît pourtant paradoxale, voire démagogique.

Certes, il se trouve bien des municipalitésque cette baisse inédite de recettes va pla-cer en difficulté. Mais le gouvernementpeut, à juste titre, souligner que les dota-tions de l’Etat aux communes ne représen-tent guère plus du quart de leurs recettes

totales (105 milliards d’euros en 2014). En-tre 2015 et 2017, la baisse de 2 milliards par an de ces dotations pèsera donc un peumoins de 2 % des recettes annuelles descommunes.

En outre, s’ils mettent volontiers en avantleurs dépenses « vertueuses », les maires de France sont beaucoup plus discrets sur celles qui le sont moins : réalisations de prestige, subventions un brin clientélistes et, surtout, frais de personnel. Le dernier rapport de la Cour des comptes sur les fi-nances locales (novembre 2014) est, à cetégard, sans ambiguïté. Le développement des intercommunalités n’a pas permis, de-puis une dizaine d’années, la rationalisa-tion des moyens qui en était attendue. Bienau contraire. Les nouvelles structures inter-communales ont massivement recrutépour assurer les missions tranférées par lescommunes, mais ces dernières ont conti-nué à étoffer leurs effectifs comme si de rien n’était.

Taper sur l’Etat est un sport national bienconnu et un réflexe commode pour mas-quer ses propres responsabilités. Mais il estpour le moins spécieux, de la part des élus locaux, de lui réclamer baisses d’impôts et gestion plus rigoureuse des deniers publics– ce à quoi il s’efforce – et de crier misère quand ils sont priés de faire de même.Comme la charité, les économies bien or-données commencent par soi-même. p

EN VINGT-CINQ ANS, LES ÉTATS-

UNIS SONT PASSÉS DU STATUT

DE PUISSANCE INCONTESTÉE À

CELUI DE PUISSANCE DÉFIÉE

FRONDE DES MAIRES ET DÉMAGOGIE LOCALE

L’AIR DU MONDE | CHRONIQUE

par sylvie kauffmann

Etats-Unis : à quoi sert la puissance ?

LA PLUS GRANDE PUISSANCE DES

ÉTATS-UNIS, C’EST LE DYNAMISME

DE SES CITOYENS

Tirage du Monde daté samedi 19 septembre : 287 521 exemplaires

Lundi

Lemonde.frdans

Spécial immobilierK Propriétaire, à quel prix?

K Les travaux rentables et les autres

K Les nouveaux droits des locataires

Un supplément dans Le Monde, à découvrir dès lundi 21 septembre

VOTRE SUPPLÉMENT

Le street artcôté salon

Sous la houlette demarchands pa

risiens et de

maisons de ventes, l’art de

rue s’institutionnalise.

Au risque d’êtremoins corrosi

f. PLAIS IRS | PAGE 13

Unmécénat

enmutation

é d i t o r i a l

L’image d’Epina

l du phi-

lanthrope, patriarche in

-

dustriel âgése préoccu-

pant sur le tard de faire

acte de

générosité,a du plomb dans

l’aile. Une nouvelle gén

ération

demécènes bouscule les cod

es

du don. Plus jeunes, ve

nant des

quatre coins de la planè

te, avec

autant d’approches cul

turelles de

la philanthropie, ils y im

portent

leurméthode du business. Exi

t

donc la charité à l’ancie

nne, bien-

venue au retour sur inv

estisse-

ment social de cette géné

rosité.

Cettemutation était au cœur des

4es Assises de la philanth

ropie,

organisées par l’Institut

Pasteur

et LeMonde, qui réunissaient

experts et grands phila

nthropes,

français comme étrangers,

le

31 mars, à Paris.

Cette quêted’efficacité e

st loua-

t pas sans poser

Immobilier

LetourdeFrance

desvillesdynamiques

Essordémographique,importantcont

ingentd’étudiants,vastes

projetsd’aménagementsurbains

Certainesagglomérationssed

émarquentetpermettentencor

eàl’investisseurd’espére

runrendementintéressa

nt

PAGES 4-9

Les clés d’une expatriatio

n réussie

Avant de partir travaille

r à l’étranger ou de s’y in

staller

pour sa retraite, un bila

n patrimonial s’avère

indispensable. FAMILLE | PAGE 2

Le coup double du solidaire

Les quatre finalistes du

prix Impact2

montrent queperformance sociale

peut rimer avec rentabilité.

ÉPARGNE | PAGE 3

Picasso affole les compteurs

Le 11mai, «Les Femmes d’Alger»,

tableau estimé à

140millions de dollars, sera la

star d’une vente conçue

commeune exposition. PLAIS IRS | PAGE 10

Cadeauempoisonné

é d i t o r i a l

Une épreuve.

A lire les di-

zaines de questions des

internautesdemandant

de l’aide pour remplir leur déc

la-

ration de revenus lors d

’un appel

à témoignages sur Lemonde.fr,

l’exercice reste un casse

-tête pour

bon nombre de contribuables. Et

encore, la déclaration es

t prérem-

plie et, contrairement aux ann

ées

passéesmarquées parunemulti-

tude de nouvelles dispo

sitions,

synonymes d’alourdissement de

la feuille d’impôt, l’heure

est à la

stabilité. A la décruemême.

La suppression de la pre

mière

tranche et lamodification

du cal-

cul de la décote va perm

ettre à

9millions de foyersmodestes de

voir leur facture diminuer, voire

complètement effacée.Pour les

autres, rienne change. A

revenus

constants, ils paieront l

amême

chose. Doivent-ils pour

autant si-

gner les yeux fermés leur décla

ra-

tion de revenus? Sûrem

ent pas,

ils risqueraient de passe

r à côté

d’options susceptibles d

e réduire

leur impôt.

Une fois franchie cette

étape,

les contribuables qui es

timent

donner tropau fisc nem

anque-

ront pas dese tourner v

ers l’un

des nombreux produits de défis-

calisation.Mais, avant de

croquer

dans la carotte fiscale, n

’oubliez

pas que l’avantage proc

uré n’est

pas sans contrepartie. Ce

s place-

ments sont, eneffet, assort

is de

nombreuses contraintes, et c

er-

tains sont très risqués. I

nvestir

dans des entreprises pa

r le biais

de fonds permet certes de

bénéfi-

ier d’une jolie ristourne

fiscale.

Lessirènesdeladéfiscalis

ation

Avantdesuccomberauxchar

mesdesproduitsdéfiscalis

ants, ilestessentieldem

esurerlesrisquesdetels

placements.Pourréduiresesim

pôts, lapremièreétapeco

nsisteàfairelesbonscho

ixlorsdeladéclarationde

revenus.

PAGES 4-7

Bourse: est-il temps de vendr

e?

L’opportunité de prend

re des bénéfices sur les

actions

européennes, qui ont fla

mbé depuis janvier, divise

les professionnels. ÉPARGNE | PAGE 9

Coût des études élevé, ép

argne

mobilisée Lesfrais de scol

arité,

toujours plus lourds, im

posent

aux parentsd’anticiper

ces futures

dépenses. FAMILLE | PAGE 2

L’hommage d’Art Basel

La Foire d’art contemporain de B

âlemet à l’honneur

des artistesque lemarché n’a pa

s reconnusà leur

juste valeur. PLAIS IRS | PAGE 10

Ménage

à trois

é d i t o r i a l

Alire les enqu

êtes sur la fa-

çon dont lescouples gè-

rent leurs finances, tout

irait pour lemieux dans le

meilleur desmondes. Dans

l’étude du Crédoc «Com

ment se

prennent les décisions a

u sein des

couples?» (mars 2015), 97

% des

personnes interrogées s

e disent

satisfaites de leur organ

isation fi-

nancière. Une telle unan

imité fe-

rait chaud au cœur si elle ne

son-

nait faux. Comme souvent d

ans

ce type d’étude, les sond

és répon-

dent en renvoyant une im

age

idéalisée dufoyer, qui se

révèle

souvent bien loin de la r

éalité.

Dans leménage à trois que

constituentle couple et

l’argent,

l’équilibre est précaire.

Si discu-

ter desmenues dépenses qui

rythment le quotidien est d’une

banalité sans nom, réfléchir au

x

conséquences patrimoniales de

la vie conjugale est qua

si tabou.

Comme si évoquerdes questio

ns

matérielles pouvait compromet-

tre l’idylle.

«Les couples ne prennen

t pas le

temps de s’interroger sur la

possi-

bilité qu’undes deux pu

isse être

désavantagé. Les intérêts

person-

nels ne sontjamais évoqués,

car

cela casse lecôté romantique du

couple», explique Carolin

e

Henchoz,maître d’ensei

gnement

et de recherche en socio

logie à

l’universitéde Fribourg

, en Suisse.

Lourdes conséquence

s

Pourtant, que ce soit dan

s la

gestion desfinances au

jour le

jour, lors del’achat du lo

gement

familial, lorsqu’unmembre du

couple s’arrête de travai

ller pour

élever les enfants, à l’occ

asion

d’un remariage… bref, à chacune

des étapes qui jalonnent

la vie à

deux, les décisions prise

s peuv

être lourdesde conséque

nces.

Et, lorsque le torchon brûle, ce

questions passées sous

silence

remontent violemment à la sur

face. D’autant que, bien

souv

les couplestombent des nu

e

quand ils découvrent le

s cons

quences deleur séparat

ion.

Les notairesregorgent d

’ane

dotes demariés apprenant,

cette occasion, que leur

sta

n’était pas adapté à leur

situ

personnelleou professio

nnel

Quant aux 173000 couple

sés en 2014, savent-ils, par

t pas

Lecouple

à l’épreuvede l’argent

Lesconséquencespatrim

onialesdelavieàdeuxso

nttropsouventpasséess

oussilence…

jusqu’àcequelesdifficult

éséclatent.Ilestpossible

d’agiravantqu’ilnesoittr

optard.

PAGES 4-7

Lemythe des placements plaisir

Aristophil, Marble Art Inv

est... malgré des scandales à

répétition, les offres de

produits atypiques cont

inuent

de fleurir, notamment sur Inte

rnet. ÉPARGNE | PAGE 9Lematch des sites de

location

de vacances Face à la domination

d’Airbnb, lesconcurrents

proposent

des tarifs plus attractifs

et étoffent

leurs services. IMMOBIL IER | PAGE 8

Page 28: Le_Monde_20_Septembre_2015.pdf

DAN STEVENS

in

DAN STEVENS

in

Page 29: Le_Monde_20_Septembre_2015.pdf

Cahier du « Monde » No 21983 daté Dimanche 20 - Lundi 21 septembre 2015 - Ne peut être vendu séparément

MARCHÉSLA BCE DANS L’EMBARRAS ET LES BOURSES NERVEUSES APRÈS LA DÉCISION DE LA FED→ LIRE PAGE 6

INTERNETPINTEREST LÈVEENFIN LE VOILESUR SES 100 MILLIONS D’UTILISATEURS→ LIRE PAGE 8

PERTES & PROFITS | INGENICO-WORLDPAY

Une pépite qui s’envole

La City veut conserver son joyau. Legroupe français Ingenico, le roi des ter-minaux de paiement, s’y est cassé lesdents. Il n’a pas réussi à convaincre les

fonds d’investissement Advent et Bain Capital de lui vendre son rival, le britannique World-pay. Au terme de plusieurs jours de suspense, lasociété a publié, vendredi 18 septembre, un communiqué annonçant qu’elle lançait sonprocessus d’introduction en Bourse.

Cette entrée sur les marchés actions, qui de-vrait être la plus importante à la City en 2015, était prévue de longue date, mais Ingenico avait tenté de faire échouer l’opération en pro-posant de racheter son concurrent pour la ba-gatelle de 6,6 milliards de livres (9 milliards d’euros). Au lendemain de la décision de la Ré-serve fédérale américaine (Fed, banque cen-trale) de laisser ses taux inchangés, levant ainsiune partie des interrogations des investis-seurs, Advent et Bain Capital ont décidé de sno-ber cette offre, lui préférant… la Bourse.

Les deux fonds réalisent une très belle opéra-tion. Ils avaient racheté cette activité de gestionde paiement en 2010 à la banque écossaise RBSpour 1,7 milliard de livres. Ils ont ensuite investi1 milliard de livres dans Worldpay, dont400 millions pour bâtir une plate-forme detraitement considérée comme la « Rolls » du paiement en ligne. En Europe, Worldpay se tar-gue d’ailleurs aujourd’hui de traiter 40 % destransactions initialisées à partir d’Internet. Et c’est bien ce qui faisait saliver Ingenico, aupoint de vouloir casser sa tirelire.

L’entreprise française avait sécurisé un fi-nancement auprès de grandes banques inter-nationales, mais une augmentation de capital aurait été nécessaire, une perspective quen’appréciait guère la Bourse. L’action Ingenicoavait d’ailleurs cédé 20 % sur un mois.

Ruptures technologiques

C’est bien dommage pour la firme tricolore qui avait failli se vendre à l’américain Danaher en 2010 et avait été rattrapée au vol par le gou-vernement au nom de la protection des inté-rêts stratégiques de la France. Le rachat de Worldpay lui aurait permis de changer de di-mension sur un métier en pleine recomposi-tion. Les commerçants demandent en effet uneoffre de plus en plus fluide, permettant à l’inter-naute d’acheter un produit en ligne et d’aller le chercher en magasin s’il le veut. Une exigence simple, mais qui bute sur la difficulté de marierdes infrastructures de paiement distinctes.

Bien connu pour ses boîtiers validant lesachats par carte en magasins, Ingenico a multi-plié ces dernières années les acquisitions pour se développer dans les services de paiement (Easycash en 2009) ou les paiements sur Inter-net (Ogone en 2013). S’il veut aller plus loin, le groupe devra remettre l’ouvrage sur le métier, car la consolidation ne fait que commencer surle secteur du paiement, qui doit s’adapter aux nouvelles habitudes de consommation et aux ruptures technologiques. Un monde virtuel qui ne connaît ni frontières ni argent liquide. p

isabelle chaperon

Les salariés de l’automobile américaine mieux payés

new york - correspondant

A près une décennie de va-ches maigres, les salariésde l’industrie automo-

bile américaine vont toucher leurpart de la renaissance du secteur. Un accord entre la direction deFiat Chrysler Automobile (FCA) et le syndicat United Auto Workers (UAW) a été présenté, vendredi 18 septembre, aux dirigeants del’organisation, lors d’une réunion à Detroit (Michigan).

Ce projet prévoit des hausses desalaire – les premières depuis près de dix ans –, une augmenta-tion de la participation aux béné-fices et, en contrepartie, l’accep-tation d’une délocalisation d’une partie de la production vers le Mexique. Il doit être approuvépar les 40 000 salariés du groupe.Cet accord devrait servir de basepour les négociations salariales qui vont s’ouvrir avec les deux autres constructeurs américains :General Motors (GM) et Ford.

Les contrats de travail en vi-gueur, négociés en 2011, arri-vaient à expiration le 14 septem-bre. Dès 2009, l’UAW, conscient que la faiblesse de la compétiti-vité des Big Three n’était plus soutenable, avait donné son feu vert à l’instauration d’une rému-nération à deux vitesses.

stéphane lauer

→ L IRE L A SUITE PAGE 5

48DOLLARS

COÛT HORAIRE D’UN OUVRIER CHEZ

FIAT CHRYSLER AUX ÉTATS-UNIS

(SOIT 42 EUROS), SELON LE CENTER

FOR AUTOMOTIVE RESEARCH

j OR | 1 139 $ L’ONCE

J PÉTROLE | 47,47 $ LE BARIL

J EURO-DOLLAR | 1,1302

J TAUX AMÉRICAIN À 10 ANS | 2,13 %

J TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 1,03 %

VALEURS AU 19/09 - 9 H 30

La France dégradée par Moody’s

Manifestationdes pilotes

d’Air France,en septembre 2014.

CHRISTOPHE ENA/AP

Air France : un automne sous haute tension

▶ La CGT appelle les personnels au sol à arrêter le travail le 5 octobre, jour du comité centrald’entreprise▶ FO et CFE-CGC menacent d’une « grève dure »▶ La direction envisage des licenciements secs si les négociations sur la compétitivité n’aboutissent pas

→ LIRE PAGE 4

L e commentaire sur le bulletin n’estpas très encourageant. « La crois-sance économique française va res-

ter faible sur le long terme » et cette fai-blesse va constituer un frein dans le re-dressement escompté des financespubliques. Le diagnostic émane de Moo-dy’s, qui a annoncé, vendredi 18 septem-bre, avoir dégradé d’un cran la note de la

dette souveraine de la France. Cette der-nière passe à Aa2 contre Aa1, reléguant l’Hexagone au même rang que le Qatar.

D’une part, l’agence de notation améri-caine juge que la reprise en cours en France est sensiblement plus lente que lors des précédentes décennies. D’autre part, elle pointe les contraintes « politi-ques et institutionnelles » qui pèsent sur

l’économie du pays. Elle assortit toutefoisson « Aa2 » d’une perspective « stable », cequi exclut toute nouvelle modification d’ici dix-huit mois et peut laisser espérerau gouvernement qu’il en a fini avec laspirale des dégradations ouverte en jan-vier 2012 avec la perte du fameux « Aaa ».

Le ministre des finances, Michel Sapin,ne veut d’ailleurs retenir que cet élément

positif de la communication de Moody’s. Le gouvernement, dans ses hypothèsesbudgétaires pour 2016, table sur une croissance de 1,5 % en 2016 après + 1 %cette année. La dette publique du paysdevrait pour sa part rester cantonnée en deçà de 100 % du produit intérieur brut en 2016, avant, ensuite, de refluer. p

→ L IRE PAGE 3

ColetteL’affranchie

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COLETTEL’AFFRANCHIE

Page 30: Le_Monde_20_Septembre_2015.pdf

2 | plein cadre DIMANCHE 20 - LUNDI 21 SEPTEMBRE 2015

0123

INFOGRAPHIE LE MONDE - ELISA BELLANGER, MARIE CHARRELSOURCES : FMI ; EUROSTAT ; COE-REXECODE ; FÉDÉRATION DU COMMERCE GRECQUE ; BANQUE MONDIALE ; BCE

DÉFICIT PUBLIC, EN % DU PIB

RÉPARTITION DE LA DETTE PUBLIQUE GRECQUE, EN MILLIARDS D’EUROSQui sont les créanciers de la Grèce ?

TAUX DE CHÔMAGE, EN %

La dette publique grecque tutoie des sommets

VARIATION DU PIB GREC PAR TRIMESTRE, EN %Malgré les plans d’aide, la croissance du pays reste anémique

Le taux de chômage est le plus élevé de la zone euro

L’industrie patinemalgré la baisse des salaires

Les dépenses de R&Dsont faibles

Le niveau de vie des Grecs est équivalent à celui de 1999PIB PAR HABITANT, EN MILLIERS DE DOLLARS, À PARITÉ DE POUVOIR D’ACHAT 2011

VALEUR AJOUTÉE DE L'INDUSTRIE,EN % DU PIB, EN 2014

DÉPENSES TOTALES DE R&D, EN % DU PIB, EN 2013

GrèceEspagne

PortugalAllemagne

FranceItalie

30,7

19,4

France2,23

21,2

23,1 13,3

23,4

Grèce

Grèce

Espagne

Portugal

Allemagne Italie2,94

1,36

1,24

0,78

24,5

33

24,2

36,2

4341

33,8 34,837,537,437,8

33,3

25

29,331,7

35,2

25,427,3

1,25

2,82,6

0,7

– 3,4

– 3

– 1,7

0,90,9

– 0,2

0,9

– 2,7

– 0,9

– 4,7

102,8108,8

126,2

145,7

171

156,5

177,2

97

172,7

126,3

69,5

99,4

133,8

10,3

4,7

11,18,9

27,8

27,1

7,5

9,3

12,2

16,8

24,1

22,6

12,3

25,2

12,4

Espagne

Portugal

Allemagne

France Italie

Grèce

Espagne

Portugal

Allemagne

France

Italie

Grèce

Espagne

Portugal

Allemagne

France

Italie (T1 2015)

Zone euro

2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014

2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015

2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2E TRIM. 2015

1999 20142007 1999 20142007 1999 20142007 1999 20142007 1999 20142007 1999 20142007

2015

* et 100 milliards d’e�acement de la dette publique détenue par les créanciers privés

Estimations

312milliards d’euros

Fonds européende stabilité financière

131

dont

dont

41,3 prêtéspar l’Allemagne

15,2 financés par l’Allemagne

31 prêtéspar la France

11,4 financés par la France

Fonds monétaireinternational

24Autres15

Banque centraleeuropéenne

27

Autres engagementsfinanciers

28

Investisseurs privés34

Prêts bilatérauxeuropéens

53

PLAN D’AIDE, EN MILLIARDS D’EUROS

AVRIL 2010 MARS 2012 AOÛT 2015110 130* 86

}

}

Pourquoi la Grèce peineà sortir la tête de l’eau

Malgré les plans d’aide européens, l’économie

grecque est loind’être sortie d’affaire.

Et ce alors quese déroulent dimanche

des élections législatives capitales

Q uel que soit le résultat des élec-tions législatives du 20 septem-bre, le prochain gouvernementgrec aura devant lui une tâche

immense : redresser l’économie hellène, essorée par six ans de récession et d’incer-titudes politiques. Les derniers sondages donnaient Syriza (gauche radicale), le partidu premier ministre sortant, Alexis Tsi-pras, au coude-à-coude avec les conserva-teurs de Nouvelle Démocratie. Dans tous les cas, le vainqueur devra sans doute for-mer une coalition. Et sa première mission sera d’appliquer le troisième plan d’aide au pays, adopté le 14 août par le Parlement.

Celui-ci apportera uéne aide de 86 mil-liards d’euros à Athènes sur trois ans, fi-nancée par le Mécanisme européen de sta-bilité et le Fonds monétaire international, qui n’a néanmoins pas encore confirmé saparticipation. En échange, la Grèce devra poursuivre la mise en œuvre de réformes ambitieuses, allant de l’ouverture du mar-ché de l’énergie à la lutte contre la corrup-tion. Si les économistes sont divisés sur la pertinence de ce programme, une chose est sûre : le produit intérieur brut (PIB) grec est toujours inférieur de 25 % à son ni-veau de 2009. Et il faudra des années en-core, peut-être même une décennie, avantqu’il ne le retrouve.

Et pour cause : le taux de chômage estaujourd’hui le plus élevé de la zone euro, culminant à 25,2 %, tandis que l’investisse-ment a reculé en volume de 65 % depuis 2007. La production industrielle, hors bâti-ment, s’est quant à elle contractée de 20 % depuis 1999. Si la baisse des salaires enre-gistrée depuis 2008 (– 25 %) a regonflé la compétitivité des entreprises à l’export, celles-ci sont pénalisées par l’assèche-ment du crédit bancaire et le contrôle des capitaux, instauré le 29 juin par le gouver-nement Tsipras. « Les incertitudes politi-ques et économiques planant sur notre pays depuis des mois sont particulièrementdélétères pour l’activité des PME », se désoleVassilis Korkidis, le président de la Confé-dération nationale du commerce grec.

Le poison des créances douteuses

Après une petite embellie en 2014, l’écono-mie devrait se contracter en 2015 (– 2,3 %) et en 2016 (– 1,3 %), selon les prévisions de la Commission européenne, avant de re-nouer avec la croissance en 2017 (2,7 %). D’ici là, le pays devra régler le problème des créances douteuses, qui empoison-nent les banques grecques. Affaiblies par la fuite des dépôts, ces dernières devraientêtre recapitalisées à hauteur de 25 mil-liards d’euros, puisés dans le programme d’aide, d’ici à la fin de l’année.

Le nouveau gouvernement devra aussiremettre sur la table des négociations la restructuration de la dette publique, qui culmine toujours à plus de 175 % du PIB. Nombre d’économistes la jugent insoute-nable. Le FMI lui-même estime nécessaire de l’alléger – par exemple en allongeant la maturité des prêts. Une option à laquelle certains partenaires européens d’Athènes, dont l’Allemagne, ne parviennent pas pour l’instant à se résoudre.

marie charrel

Page 31: Le_Monde_20_Septembre_2015.pdf

0123DIMANCHE 20 - LUNDI 21 SEPTEMBRE 2015 économie & entreprise | 3

C’est une piqûre derappel qui fait mal, àun peu moins dedeux semaines de la

présentation par le gouverne-ment du projet de budget pour 2016. Moody’s a annoncé dans la soirée de vendredi 18 septembreavoir dégradé la note de la dette souveraine de la France, l’abais-sant d’un cran, à Aa2 contre Aa1.

« La principale raison de la déci-sion de l’agence d’abaisser la note de la France à Aa2 est l’évidence ac-crue que la croissance économiquetricolore va rester faible sur le moyen terme », explique Moody’s dans son communiqué. L’agenceconsidère qu’il s’agit là d’un « frein pour tout retournement conséquent du fardeau important de la dette de la France dans un avenir prévisible ».

« La reprise économique encours en France s’est avérée sensi-blement plus lente – Moody’s croit qu’elle le restera – par rapport aux reprises observées lors des précé-dentes décennies », ajoute l’agence, tout en notant que la sol-vabilité du pays reste extrême-ment élevée, ce qui justifie la noteAa2. Sur l’échelle de Moody’s, ils’agit de la troisième meilleure note possible mais elle ravale l’Hexagone au rang du Qatar, et leplace derrière des pays comme leRoyaume-Uni (Aa1) et l’Allema-gne, bien sûr toujours notée Aaa.

Récemment, lors de la présenta-tion du cadrage économique du projet de budget pour 2016, le mi-nistre des finances, Michel Sapin, a indiqué tabler sur une progres-sion du produit intérieur brut (PIB) en 2016 de 1,5 %, après + 1 % en 2015. Un rythme assez poussif, surtout après trois années de croissance nulle ou quasi nulle.

« Anciennes rigidités »

Outre la faiblesse de la reprise, l’autre raison invoquée par Moo-dy’s pour justifier sa décision est à chercher du côté des « contrain-tes politiques et institutionnelles » du pays qui pèsent sur ses finan-ces publiques. Comme à son habi-tude, l’agence de notation dé-nonce le défaut de compétitivitédu pays, et ses difficultés à se ré-former. Les remous provoqués au sein de la gauche par les proposdu ministre de l’économie, Em-manuel Macron, sur les 35 heures ou sur une évolution du code du travail n’ont pas dû aider l’agence,apôtre du libre marché, à se dé-faire de son diagnostic sur l’Hexa-gone. Moody’s juge ainsi que la

perte des parts de marché de laFrance à l’international est liée à d’« anciennes rigidités ».

En dépit de ce nouveau coup desemonce, l’agence délivre quel-ques satisfecit. Ses économistes assurent que, outre sa solvabilité, la France peut compter sur quel-ques atouts : une économie « di-versifiée », une tendance démo-graphique « favorable » et de fai-bles coûts de financements. Ré-sultat, et c’est le point positif de cette dégradation de la note sou-veraine du pays, l’agence assortit la note Aa2 d’une perspective« stable ». Cela signifie que Moo-dy’s n’envisage pas de modifica-tion de la note dans les 12 à 18mois à venir. Autrement dit, pro-bablement rien avant l’élection présidentielle de 2017.

Après la dégradation de ven-dredi, la France est désormais no-tée à l’identique par les principa-les agences financières de nota-tion – Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch –, et le gouvernement peut espérer être sorti de la spi-rale infernale ouverte en jan-vier 2012 par la perte du fameux Aaa. François Hollande, alors enpleine campagne électorale, avait

estimé « que c’était une politiquequi avait été dégradée ».

Cette fois, Michel Sapin, le mi-nistre des finances, a préféré, sanssurprise, relativiser la portée de ladécision de Moody’s et n’en rete-nir que les aspects les plus posi-tifs. Dans un communiqué, il a pris acte « du passage par Moody’sde la note de “Aa1” avec perspective“négative” à “Aa2” en la plaçant sous perspective “stable” ».

Le ministre considère que lesdernières données économiques et budgétaires « témoignent de lacapacité du gouvernement à faire renouer l’économie avec plus decroissance et plus d’emploi, avec des finances publiques assainies ». Les pouvoirs publics ont con-firmé cette semaine que le déficit public du pays serait ramené à

3,8 % du PIB cette année puis à3,3 % l’an prochain. Quant à la dette publique – elle a atteint, fin 2014, 95,6 % du PIB –, le gouverne-ment escompte qu’elle se stabili-sera « nettement au-dessous de100 % du PIB en 2016 avant de pro-gressivement refluer ».

Face aux critiques sur les diffi-cultés de la France à se réformer,M. Sapin rappelle que « le gouver-nement demeure fermement en-gagé à poursuivre et à amplifier sapolitique de réformes visant à sou-tenir le potentiel de croissance et d’emploi de l’économie française ».Une référence implicite à certainsprojets en cours de réalisation,comme la réforme du travail du travail le dimanche, ou déjà misen place avec la loi Macron. p

anne eveno

L’Italie cherche à Bruxelles des marges de manœuvre budgétairesRome, qui a revu à la hausse ses prévisions de croissance, a besoin de plus de latitude pour financer des baisses d’impôts

rome - correspondant

E ffet Renzi ou épisode con-joncturel ? La croissances’affirme en Italie. Sortie de

la récession au premier trimestre,après trois longues années decrise, la Péninsule a relevé, ven-dredi 18 septembre, ses prévisionspour l’année en cours, tablant dé-sormais sur une progression de son produit intérieur brut (PIB) de0,9 %, au lieu de 0,7 % lors de laprécédente estimation. Optimis-tes, les services du ministère de l’économie, dirigés par le che-vronné Pier Carlo Padoan, envisa-gent une accélération pour 2016, avec une croissance de 1,6 % con-tre 1,4 % initialement prévu. La fé-dération du patronat italien, laConfindustria, s’est également montré confiante en affirmant prévoir 1 % de croissance en 2015 (contre 0,8 % auparavant) et 1,5 % l’année suivante. Plus prudente, l’OCDE, qui a remis à jour ses pré-

visions cette semaine, prédit quant à elle + 0,7 % et + 1,3 %.

« L’Italie n’est plus un problème »,ne cesse désormais de répéter Matteo Renzi, le chef du gouver-nement. Il aurait tort de se priver de pavoiser. Même si elle demeuremodeste, la reprise s’accompagne de signes encourageants. Le taux de chômage a reculé de façon si-gnificative cet été, s’établissant à 12 % de la population active, con-tre 12,7 % auparavant. La signaturede contrats à durée indéterminée est en hausse (18 % de nouveaux contrats signés en juillet contre 13 % l’année précédente).

Position plus confortable

Les exportations continuent de bien se porter (+ 5 % au premier se-mestre) malgré le ralentissement de l’économie chinoise et la baissedes échanges avec la Russie, à la suite de l’embargo qui pénalise la Péninsule de 1,3 milliard d’euros.

Pour M. Renzi, cette embellie

s’explique par le train de réformesqu’il conduit, notamment celledu marché du travail votée au printemps. En échange d’exoné-rations fiscales importantes, lesentrepreneurs italiens embau-chent de nouveau. La reprise de laconsommation serait, selon lechef du gouvernement, le fruit de sa décision de « rendre 10 milliardsd’euros de taxes à 10 millions d’Ita-liens ». Pour M. Padoan, « les réfor-mes structurelles favorisent l’accé-lération de la croissance ». La Con-findustria juge au contrairequ’elle est essentiellement portée « par la baisse des prix du pétrole, les dévaluations de l’euro et les in-jections de liquidités de la BCE ».

Quels que soient les mérites desuns et des autres, le gouverne-ment est dans une position nette-ment plus confortable pour établirle premier budget de la croissance retrouvée. Celui-ci inclut notam-ment une nouvelle promesse de M. Renzi annoncée avant l’été : la

suppression de l’impôt municipal unifié, une taxe sur la résidence principale honnie des Italiens, propriétaires à 80 % de leur loge-ment. Cette suppression est la pre-mière étape d’un allégement fiscalannoncé de 45 milliards d’euros sur les trois prochaines années. Le jeune premier ministre joue une partie de sa crédibilité (et son ave-nir politique) sur cette question.

Des réformes « solides »

Reste un problème, et de taille : l’Italie, qui traîne derrière elle une dette de 2 200 milliards d’euros, n’a pas les moyens de financer en-tièrement ses réformes. Dix mil-liards d’euros manqueraient en-core pour boucler le budget 2016 et le gouvernement doit espérerde Bruxelles des gestes de bonnevolonté. Convaincu que les effortset les bons résultats de la Pénin-sule constituent une preuve de son sérieux, M. Padoan multiplie les contacts avec les autorités

européennes pour les amadouer.« Nous examinons les moyens lesplus efficaces pour obtenir les nou-velles marges prévues par les règlescommunautaires », a-t-il déclaré.

Parmi ces moyens, l’un d’euxconsisterait à différer la promesse de M. Renzi de ramener le déficit de la Botte à 1,8 % du PIB en 2016 pour se contenter de 2,6 %. Entre les deux chiffres, ce sont près de 17 milliards d’euros dont pourrait disposer M. Renzi pour financer ses promesses. L’Italie serait prêteà se contenter de moins. Toutefois,l’Europe voit d’un mauvais œil sonprojet de supprimer la taxe sur la résidence, lui préférant un allége-ment supplémentaire du coût du travail. Les négociations sont ser-rées. Pierre Moscovici, commis-saire européen présent vendredi 19 septembre à Rome, reconnais-sait que les réformes italiennesétaient « solides et concrètes » et que le pays devait « élaborer sa loi de finances en respectant les règles

Michel Sapin, ministre des finances, et son collègue de l’économie, Emmanuel Macron, le 10 septembre, à Matignon. HAMILTON/REA

Moody’s dénonce

le défaut

de compétitivité

du pays et

ses difficultés

à se réformer

Moody’s fait payer à la France sa faible croissanceL’agence a dégradé à Aa2 la note de la dette tricolore, mais a relevé sa perspective de « négative » à « stable »

LEXIQUE

AAANote attribuée par Moody’s à six pays de l’Union européenne (UE) : l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, la Finlande, le Luxembourg et la Suède.

AA1Le Royaume-Uni est le seul pays de l’UE à ce niveau, juste der-rière le triple A.

AA2C’est la note de la France, le troisième rang pour Moody’s.

mais également avec la souplesse prévue par les traités ».

Dans cette négociation, l’Italiedispose d’un atout nouveau.Nommé en février 2014 à la prési-dence du conseil, Matteo Renzi a pu apparaître devant ses contacts européens comme un hâbleur animé de bonnes intentions. Sa promesse initiale de conduire « une réforme par mois » a suscité des interrogations et un peu d’iro-nie. Mais ces doutes ont en partie été dissipés par l’adoption de la réforme du marché du travail etce malgré l’avis contraire des frondeurs de sa formation, leParti Démocrate (PD, centre gau-che). Une autre partie est encours : la fin du bicamérisme, autre facteur d’immobilité. S’ilparvient à faire voter ce projet deréforme constitutionnelle lors de la troisième lecture en cours au Sénat, il disposera d’un atout de plus pour séduire Bruxelles. p

philippe ridet

Page 32: Le_Monde_20_Septembre_2015.pdf

4 | économie & entreprise DIMANCHE 20 - LUNDI 21 SEPTEMBRE 2015

0123

Menace de « grève dure » à Air FranceLes syndicats, qui redoutent des licenciements secs, appellent à un premier arrêt de travail, le 5 octobre

Décidément, les ren-trées d’Air France sontagitées. Après la lon-gue grève historique

des pilotes en septembre 2014, c’est au tour des personnels au solde menacer la compagnie aé-rienne d’un nouveau conflit.

Jeudi 17 septembre, la CGT, trèsreprésentée parmi ces salariés, etFO ont appelé à un arrêt de travailde deux heures le 5 octobre, jouroù se tient un comité central d’en-treprise (CCE). Pour l’heure, aucunsyndicat de pilotes ou d’hôtesseset de stewards n’a souhaité sejoindre à ce mouvement.

Mais ce raidissement soudaindes syndicats est le signe d’une in-quiétude grandissante au sein d’Air France. Auparavant, mer-credi 16 septembre, ce sont laCFDT et la CFE-CGC qui avaient menacé la direction de la compa-gnie d’une « grève dure ».

Désormais, la CGT redoute « en-tre 5 000 et 8 000 postes » suppri-més au sein de la compagnie. Des

licenciements secs, une première au sein de cette compagnie. Des coupes claires, craignent les syn-dicats, que les salariés du sol pour-raient payer au prix fort. Une peurd’autant plus justifiée que les plans de départs volontaires ne font plus recette. Celui lancéen 2014 par la direction (500 dé-parts parmi les personnels des ba-ses de province) n’a pas été com-plètement souscrit.

Plus complexe encore est le blo-cage qui oppose Air France à sespilotes. Après avoir pratiqué la po-litique de la chaise vide et snobé six réunions d’affilée, le Syndicat national des pilotes de lignes (SNPL) a accepté de retourner à la table des négociations. Il a toute-fois attendu de connaître la posi-tion, attendue jeudi, du tribunal de Bobigny, chargé de trancher le litige qui l’oppose à la direction. Celui-ci a l’a finalement renvoyée au 16 octobre.

Il n’empêche, vendredi 18 sep-tembre, le SNPL et la direction ont

recommencé à discuter. Pouraboutir, Air France se dit « prête à rester en réunion jour et nuit pen-dant une semaine s’il le faut ». Elle a même « mis sur pied une équipe de négociations pour aller vite ».

Pertes au premier semestre

Mais le SNPL souffle le chaud et le froid. Au moment où il discute à nouveau avec la direction, il a écrit à tous les salariés de la com-pagnie. Il en appelle à la solidarité

entre tous les personnels « sans exception », qui doivent « faire bloc face aux menaces de la direc-tion. Nos destins sont liés », écrit leprésident du SNPL.

A l’examen, l’émotion a, semble-t-il, gagné toutes les catégories de salariés. Pour preuve, « la fortemobilisation », constatée par lessyndicats, qui étaient réunis,jeudi, en intersyndicale à l’appeldu SNPL. Plutôt qu’une grève, ils ont décidé d’une journée de mo-

bilisation, en uniforme pour plus de solennité, le 5 octobre, devant le siège d’Air France, à Roissy-Charles de Gaulle. Pendant la te-nue du CCE.

La tension monte chez AirFrance à l’approche du 30 septem-bre. La « date butoir », fixée par la direction, pour boucler les négo-ciations sur l’adoption par les dif-férentes catégories de personnels de nouvelles et supplémentaires mesures de productivité à l’occa-sion de la mise en œuvre du nou-veau plan Perform 2020. L’idée étant de réaliser 1,1 milliard d’euros d’économies et de dégagerun résultat opérationnel de 740 millions d’ici à 2017.

Faute d’y parvenir, la directionmenace de sortir son « plan B ». Des mesures d’attrition qui pré-voient, entre autres, le retrait de laflotte de « dix à quatorze avions » et plus de 3 000 licenciements secs. A l’occasion d’un CCE, orga-nisé le 4 septembre, la direction a précisé les dispositions menaçan-

tes de son plan B. En cas d’échec des négociations avec les syndi-cats, elle prévoit « 10 % de réduc-tion sur le long-courrier, un report de l’intégration dans la flotte desfuturs Boeing 787 et des [milliersde] départs contraints ».

Air France veut aller vite car il y aurgence. Au premier semestre, la compagnie tricolore a encore perdu 129 millions d’euros. Lesouhait de la direction est d’obte-nir par anticipation la révision des accords qui la lient aux diffé-rentes catégories de personnels. Elle tente ainsi de « revenir paravenant sur certains chapitres de l’accord collectif » conclu avec les hôtesses et stewards et qui expire à la fin octobre 2016, explique Flore Arrighi, présidente de l’Union des navigants de l’avia-tion commerciale (UNAC). Le seul syndicat d’hôtesses et stewards qui a, jusqu’ici, accepté de négo-cier avec la direction des mesures de productivité de Perform. p

guy dutheil

Accident de Bretigny : les experts pointent trois défaillances majeuresEn déraillant, le train avait causé la mort de sept personnes, le 12 juillet 2013

U ne fissure de rail et la dé-gradation d’un boulonnon détectées malgré de

multiples inspections ont con-duit à l’accident de Brétigny (Es-sonne), le 12 juillet 2013. Ce jour-là,le déraillement de l’Intercités Pa-ris-Limoges avait causé la mort desept personnes. Trente-deux autres avaient été blessées. Avant que la justice ne se prononce sur cet accident, le Bureau d’enquêtes sur les accidents de transport ter-restre (BEA-TT), un organisme d’experts indépendants relevantdu ministère des transports, a pu-blié vendredi 18 septembre sonrapport définitif, un an et demiaprès son rapport d’étape.

Dans ce texte, le BEA-TT retracel’enchaînement des défaillances techniques qui a conduit à l’acci-dent du train n° 3657. A 150 mètresau nord de la gare de Brétigny, le troisième wagon du convoi a butécontre une éclisse, une sorted’agrafe reliant deux rails assem-blé par quatre boulons. Cetteéclisse, qui a pivoté sur l’un de ses boulons d’attache, a fonctionné comme un tremplin pour le train,provoquant son déraillement.

Après l’accident, la SNCF et RFF,le gestionnaire du réseau devenu, depuis juillet 2015, SNCF Réseau, ont rapidement jugé que ce mor-ceau de métal était la principale raison du drame. Cependant, lesdeux entreprises étaient incapa-bles d’expliquer comment cette éclisse avait pu se détacher.

« Le désassemblage » de cetteagrafe a débuté par la rupture de latête du troisième de ses boulons quelque mois avant l’accident, in-diquent les experts. Selon eux, une fissuration du cœur de l’appa-reil de voie a entraîné la rupture duboulon. « Les trois autres boulons ont ensuite cédé, l’un en se dévis-sant, les deux autres par rupture de leur tête, vraisemblablement quel-

ques jours seulement avant le dé-raillement qui a affecté le train In-tercités n° 3657 », assure le BEA-TT.

Selon les enquêteurs, trois dé-faillances majeures ont été repé-rées dans le processus de mainte-nance de l’infrastructure. Lors desinspections du réseau, la « faible attention » aux boulons n’a paspermis de repérer la rupture du troisième boulon du joint qui s’est désassemblé.

Recommandations

Ensuite, en 2011, « le peu de rigu-eur » de la vérification de la traver-sée en question est souligné. En-fin, les experts s’étonnent de « l’erreur d’enregistrement, en fé-vrier 2008, dans le fichier de suivi des défauts de cœur de cette fissu-ration dont l’amorce avait alors étédécelée lors de la vérification »…

Selon le BEA-TT, « si aucun liende causalité direct et formel ne peut être établi avec ces défaillan-ces, il apparaît que plusieurs fac-teurs managériaux, organisation-nels et humains, amplifiés par lesspécificités propres à la région francilienne, y ont probablementcontribué » : vieillissement géné-ral du réseau ferroviaire, l’organi-sation des infrapôles, qui mettenten avant les jeunes cadres peu ex-périmentés, des processus de con-trôle et d’audit qui n’ont pas per-mis de détecter clairement la dé-rive de la qualité de certaines opé-rations de maintenance.

Après avoir émis en 2014 à laSNCF trois recommandations rela-tives à la maintenance, le BEA-TT en propose trois nouvelles. Les ex-perts lui demandent de vérifier ré-gulièrement l’évolution de l’âge des différentes composantes du réseau ferré, mais aussi d’amélio-rer la politique d’affectation des cadres dans les établissements en charge de la maintenance.

Enfin, ils demandent à la SNCFd’intégrer dans les audits de sécu-rité des établissements en charge de la maintenance des contrôles de l’état réel d’un échantillon d’équipements ayant récemment fait l’objet d’interventions de sur-veillance ou d’entretien. Et ce, afind’évaluer la pertinence des règles de maintenance et la qualité de leur mise en œuvre. p

philippe jacqué

Le rapport met

en avant

l’inexpérience de

certains cadres

dans les centres

de maintenance

Démission du directeur général d’Alitalia

Le directeur général de la compagnie aérienne Alitalia, Silvano Cassano, a présenté sa démission – pour « raisons personnelles » –, qui prend effet immédiatement, a annoncé, vendredi 18 septem-bre, le groupe italien dans un communiqué. M. Cassano sera provi-soirement remplacé à son poste par le président du groupe, Luca Cordero di Montezemolo, en attendant la nomination de son suc-cesseur. Les deux hommes avaient été nommés à la tête d’Alitalia en 2014 après le sauvetage de l’entreprise par la compagnie émira-tie Etihad. M. Cassano, ancien directeur général de Benetton, était considéré comme l’homme de confiance du PDG d’Etihad, James Hogan, avec lequel il avait travaillé au sein du groupe Hertz.

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0123DIMANCHE 20 - LUNDI 21 SEPTEMBRE 2015 économie & entreprise | 5

Les « voituriers mobiles » débarquent en FranceUne poignée de start-up vont proposer ce service à Paris, copiant un modèle importé des Etats-Unis

Vous connaissiez les voi-turiers, qui se chargentde garer votre voiture àvotre arrivée dans un

grand restaurant ou un grand hô-tel. Depuis début septembre, vous pouvez aussi découvrir les « voitu-riers mobiles ». Vous arrivez à votredestination en plein centre-ville pour des courses, un dîner, une rencontre sportive ou une pièce de théâtre. Vous demandez, grâceà une application mobile – elle vous géolocalise automatique-ment –, un voiturier qui vient, sou-vent en trottinette et transports publics, récupérer le véhicule et legarer dans un des parkings parte-naires de l’application…

Le concept est né aux Etats-Unis. Luxe Valet, lancé en 2013, et Zirx, fondé en 2014, proposent leur service dans une demi-dou-zaine de villes (San Francisco, Seattle, New York, etc.) avec des ta-rifs de parking à l’heure défiant toute concurrence pour les villesconcernées. Les deux start-up ontrespectivement levé 26 et 36 mil-lions de dollars chacune (23 et32 millions d’euros) pour mener leur expansion… BMW a mêmeparticipé au tour de table de Zirx.

En France, ce service en est en-core à ses balbutiements. Depuis quelques années, plusieurs servi-ces de « voiturier » existent dans

les aéroports, comme à Roissy et à Orly avec Smart Park ou à Bor-deaux avec Blue Valet qui récupèrevotre véhicule au terminal pour le garer dans un parking à proximité.Mais en pleine ville, c’était jusqu’à présent beaucoup plus rare.

A Paris, une poignée de start-upse positionnent sur ce marché comme Carlili, Drop Don’t Park, Pop Valet ou Planet Valet. Le 4 septembre, ce sont les gilets jau-nes de Pop Valet qui sont passésles premiers à l’action. « Nousavons décidé de lancer ce service d’abord dans les 8e et 16e arrondis-sements, secteurs les plus promet-teurs dans un premier temps, ex-plique Alexandre Poisson, le pa-tron de Pop Valet. Nous disposons déjà de trois voituriers à tempsplein, et nous sommes en train d’enrecruter un autre. Nous voulons encompter neuf en fin d’année. »

Risque sur la rentabilité

Toujours dans la capitale, « nous proposons une prise en charge de 5 euros ainsi qu’une journée de par-king à 20 euros, contre plus du dou-ble s’ils vont dans un parking adja-cent », poursuit l’entrepreneur. Quand le véhicule est convoyé et pris en charge pour être garé, il est assuré. Sur les premières semai-nes, Pop Valet prenait en charge decinq à dix voitures par jour.

n’indique cependant pas encore le coût du service.

« Les voituriers mobiles facilitentbeaucoup la vie des automobilis-tes, indique Vincent Moindrot, lecréateur de Carlili qui réalise pourDrivy, un site de location entreparticuliers, du convoyage de vé-hicules, et étudie l’entrée sur le marché des voituriers mobiles.Même avec une voiture, ils peuvent

déambuler à pied dans la ville, car nous pouvons prendre le véhicule à un point A et le remettre plus tardà un point B. De même, pour les femmes qui n’aiment pas se rendredans un parking sous-terrain,nous proposons une alternativebienvenue. »

Reste que les barrières à l’entréede cette activité sont nombreu-ses. Et la rentabilité encore ris-

quée à long terme. « Pour propo-ser ce service, il faut disposer deplaces de parking à proximité. Etcela peut coûter cher », analyse un entrepreneur. C’est justement le facteur différenciant de Pop Valet,pour lequel ce service est déve-loppé par les créateurs de Parka-dom, un mandataire de places de parking pour des particuliers etdes entreprises.

Parkadom et Pop Valet ont levéun demi-million d’euros pour dé-ployer ces deux services. « Nousdisposons dans notre catalogue de7 000 places de parking à moyen etlong terme et d’environ 15 000 uti-lisateurs », indique AlexandrePoisson. Grâce à ces places àmoindre coût, Pop Valet trouveson modèle économique. Maisavant que le chiffre d’affaires dé-colle, il faudra sans doute encoreattendre, même si l’offre de servi-ces associés, comme le lavage ou le plein d’essence, peuvent amé-liorer les revenus.

Reste qu’au fond, ce service ris-que d’être limité en volume. « Il faut vraiment un nombre impor-tant de véhicules à assister pourassurer une rentabilité. Le marchésemble très restreint, à quelques centaines de cadres à très haut re-venu. Au-delà, c’est hypothétique,car les Français aiment les services,mais n’aiment pas les payer… », glisse un spécialiste du secteur.

Et puis, ces nouvelles offres ontsuscité une réplique… des voitu-riers déjà installés à résidence dans les restaurants et autres pa-laces. Youpark.me, une applica-tion déclinée sur smartphone of-fre à tous les automobilistes, se-lon leur destination, leur presta-tion de voiturier près de leurrestaurant ou de leur hôtel… p

philippe jacqué

Retour des hausses de salaire dans l’automobile américaineL’accord signé entre Fiat-Chrysler et le syndicat UAW prévoit,en contrepartie, la délocalisation d’une partie de la production

suite de la première page

Les nouveaux ouvriers sont em-bauchés au taux horaire de 15 dol-lars (13,28 euros) en moyenne,tandis que les salariés entrés dansl’entreprise avant cet accord con-tinuent à toucher 28,5 dollars. Les premiers représentent désormais 20 % des effectifs chez Ford et GM et même 44 % chez FCA.

Ces efforts, couplés à des res-tructurations, ont permis aux constructeurs américains de combler l’écart de compétitivité avec la concurrence étrangère. Se-lon le Center for Automotive Re-search, le coût horaire d’unouvrier chez FCA est désormais de48 dollars, soit l’équivalent de ce qu’il est chez Toyota ou Honda, chez qui l’UAW n’est pas implanté.

Aujourd’hui, le marché améri-cain a retrouvé ses niveaux d’avant crise et les constructeurs accumulent de confortables bé-néfices. Le but de l’UAW consiste àprofiter de ce contexte favorable pour remettre à plat le système derémunération en revenant à un statut unique.

L’accord en voie de ratificationne va pas jusque-là, mais il pro-met de réduire les écarts sala-riaux avec des augmentations plus fortes pour les moins bien payés et l’instauration d’un méca-nisme d’intéressement aux béné-fices qui leur sera plus favorable.

Les ouvriers avec le plus d’an-cienneté vont obtenir une aug-mentation de 3 % dès la première année du nouveau contrat de tra-vail, puis une hausse similaire ladernière année, en 2018 pour at-teindre les 30 dollars de l’heure.Ceux embauchés récemment ver-ront le leur passer à 17 dollars, puisà 22 dollars dans trois ans.

Les ouvriers bénéficieront d’unnouveau mode de calcul de l’inté-ressement aux résultats. Chaque année, ils toucheront 800 dollars par point de marge opération-nelle réalisée par FCA. Celle-ci s’estélevée à 7,7 % du chiffre d’affairesau deuxième trimestre.

Prime à la signature

Pour les derniers embauchés, les moins bien payés, il y aura un mé-canisme de rattrapage basé sur la rentabilité. Une marge de 8 % leurvaudra un bonus de 1 000 dollars,qui pourra atteindre 4 000 dollarssi la barre des 10 % est dépassée.

Toutefois, si la rentabilité tombeà 2 % ou en dessous, personne ne touchera de chèque. A titre decomparaison, sur les quatre der-nières années, FCA a versé un to-tal de bonus et d’intéressement de 16 500 dollars, soit un peu plusde 4 000 dollars par an enmoyenne. Enfin, dernière carotte, si l’accord est ratifié par une majo-rité de salariés, chacun toucheraune prime de 3 000 dollars.

La direction de FCA s’est enga-gée sur un plan d’investissement aux Etats-Unis sur les quatre pro-chaines années de 5,3 milliards dedollars (4,7 milliards d’euros), soit un peu moins que les 5,7 milliardsde dollars investis par le construc-teur depuis 2009. Mais cet effort aura une contrepartie. Par exem-ple, la production de la Chrysler 200 et celle de la Dodge Dart file-ront au Mexique. L’idée est de concentrer la production améri-caine sur les véhicules à plus fortemarge, comme les gros 4 × 4 et lespick-up, et de délocaliser celle des moins rentables comme les berli-nes pour profiter de coûts de pro-duction meilleur marché de l’autre côté de la frontière.

L’accord présenté vendredi vaservir de base de négociation avecFord et GM. « C’est un contrat quipeut servir de modèle », a dit DenisWilliams, le président de l’UAW, lors de la signature de l’accordavec Sergio Marchionne, le patronde FCA, tout en reconnaissant que« chaque entreprise a sa propre fa-çon de fonctionner ». Le syndicat a prévenu que les négociations se-ront fonction de la rentabilité de chaque constructeur. Au regarddes résultats du deuxième tri-mestre, FCA est le moins rentable des Big Three, Ford réalisant une marge de 11,1 % et GM de 10,5 %.Du grain à moudre pour l’UAW ? p

stéphane lauer

Contrairement à Pop Valet, lesautres services n’ont toujours pas réellement ouvert, et leur tarif n’est toujours pas connu. Créé pardeux anciens du site mobile Coyote et Notus Technologies, lasociété de Geoffroy Roux de Bé-zieux, Drop Don’t Park a déjà levé 300 000 euros pour lancer sonservice dans l’Ouest parisien le 14 septembre. Son site Internet

« Le marché se

restreint encore

à quelques

centaines

de cadres à très

hauts revenus »

UN SPÉCIALISTE DU SECTEUR

AGROALIMENTAIREBigard achète le porc sous le prix réclamé par les éleveursBigard va acheter ses porcs 1,329 euro le kilo, contre 1,40 euro réclamé par les éleveurs et un cours de 1,372 euro le kilo actuellement au Marché du porc breton. « C’est un bras d’honneur magistral, on ne peut pas l’accepter », a réagi Paul Auffray, président de la Fédération nationale porcine. Les éleveurs menacent d’une action contre Bigard lundi 21 septembre. (– AFP.)

Le fisc réclame 3,3 milliards de dollars à Coca-ColaLe fisc américain a infligé un redressement fiscal de plus de 3,3 milliards de dollars (2,9 milliards d’euros) et des intérêts à Coca-Cola, a révélé vendredi 18 septembre l’en-treprise. Ce redressement, que le groupe va contester, fait suite à une enquête de cinq ans sur ses revenus à l’étranger. La période liti-gieuse porte sur les déclara-tions d’impôts du groupe de 2007 à 2009. (– AFP.)

AUTOMOBILEVolkswagen accusé de tricherie aux Etats-UnisVolkswagen fait face à de sé-rieuses accusations de triche-rie aux Etats-Unis pour avoir doté un demi-million de ses voitures diesel d’un méca-nisme permettant de dissi-muler le niveau réel des émissions de gaz polluants. Cette affaire, révélée vendredi 18 septembre par l’Agence en-vironnementale américaine, pourrait engendrer une très lourde amende.

L’HISTOIRE DU JOUR105 photos pour en finir avec les clichés sur l’usine

L es usines, Thierry Bouët n’en avait pas gardé un souvenirfranchement glamour. « Mon père était un industriel, il di-rigeait des sociétés de construction métallique dans le

Nord, raconte ce photographe. Quand j’étais puni, il m’envoyait dans les ateliers redresser des barres… »

Il y a un an, lorsque le METI, l’association des grosses PMEfrançaises, a pensé à lui pour donner une nouvelle image del’industrie, il n’a cependant guère hésité. Quinze jours de ré-flexion, une séance pilote, et tope là. Banco pour un tour de France des usines. Un projet éloigné des travaux habituels de ceportraitiste plein d’humour. Mais l’idée l’intéressait trop. Etpuis « il y avait ce côté madeleine de Proust ».

Le résultat ? Une étonnante exposi-tion de 105 photos, accrochée jusqu’au4 octobre à Paris, au port du GrosCaillou, ainsi qu’à Bercy samedi 19 etdimanche 20 septembre à l’occasiondes Journées du patrimoine. Les cli-chés seront ensuite présentés pendantdeux mois près des sites concernés.

Des images d’usines aux antipodesde celles pleines de sueur, de graisse etde noirceur laissées par les photogra-phes humanistes comme RobertDoisneau ou Willy Ronis, qui imprè-

gnent encore l’imaginaire collectif. Géographiquement, pour-tant, l’industrie n’a pas changé du tout au tout. Le périple effec-tué par Thierry Bouët dans trente-cinq sites l’a par exemple mené dans une papeterie Clairefontaine fondée en 1858.

Mais M. Bouët a fait le choix inverse de ses prédécesseurs.Place aux couleurs vives. Du bleu, du jaune, du rouge. Beaucoupde blanc surtout. « J’ai capté le maximum de lumière, pour éviter d’avoir une impression d’industrie en déclin », dit l’artiste. Troisclichés à chaque fois : un de l’intérieur de l’usine en champ large, un autre montrant un homme à son poste de travail, et ungros plan sur des produits finis ou des machines – ce sont les plus abstraits et les plus fascinants. Le tout dans un format carré, « symbole de la rigueur industrielle », selon le METI.

Avec cette opération de moins de 200 000 euros, ce dernierespère redorer le blason de l’industrie. Des images lumineuses pour lutter contre les clichés les plus sombres. Cela suffira-t-il ? « Ici, au moins, l’usine était un plaisir, plus une punition », sourit Thierry Bouët. p

denis cosnard

LES IMAGES DE THIERRY BOUËT

SONT AUX ANTIPODES

DE CELLES, PLEINES

DE NOIRCEUR, DE

ROBERT DOISNEAU

Page 34: Le_Monde_20_Septembre_2015.pdf

6 | bourses & monnaies DIMANCHE 20 - LUNDI 21 SEPTEMBRE 2015

0123

18 070,21 POINTS4 535,85 POINTS 16 384,58 POINTS6 104,11 POINTS9 916,16 POINTS 4 827,23 POINTS3 157,30 POINTS

TOKYOPARIS NEW YORKLONDRESFRANCFORT NASDAQEURO STOXX 50

− 0,28 %CAC 40

− 0,22 %FTSE 100

− 2,05 %DAX 30

− 0,96 %

+ 0,10 %

− 1,06 %NIKKEIDOW JONES

− 0,30 %

Des marchés très perméables aux inquiétudes de la FedLa banque centrale américaine a laissé ses taux inchangés. Le signe d’un manque de confiance dans l’économie chinoise pour les investisseurs

I l est d’usage de dénoncer lacourte vue des investisseurssur les marchés d’actions, leurs

boussoles réglées sur le gain immé-diat et leur manque de clair-voyance quant aux enjeux de longterme. Voilà un reproche qui, cette fois au moins, ne pourra leur êtreadressé.

Car l’annonce, jeudi 17 septembre,par la Réserve fédérale américaine(Fed) d’un statu quo monétaire ne les a pas trompés et « les marchés »l’ont bel et bien prise pour ce qu’elleest : une décision certes bonne pour les affaires de court terme – des taux d’intérêt bas, en l’occur-rence proches de zéro, favorisent l’investissement et le « business » –,mais qui traduit une inquiétuderéelle de l’avenir, sur fond de décro-chage de la croissance chinoise. Et,par ricochet, des interrogations surla croissance mondiale.

Ainsi, les grands indices euro-péens ont terminé la semaineboursière du 14 au 18 septembreen baisse : – 0,28 % pour le CAC 40à la Bourse de Paris, qui s’est établià 4 535,85 points, ou – 2,05 % pourle Dax de Francfort. Même mouve-ment aux Etats-Unis, où à WallStreet, le Dow Jones a abandonné0,30 %, à 16 384,58 points. Le prin-cipal indice boursier chinois, leShanghaï Composite, s’est pour sapart contracté de 3,20 %.

« Informations déroutantes »

« La Chine risque de peser sur lacroissance des pays émergents et laFed n’a pas voulu commettre lesmêmes erreurs que d’autres ban-ques centrales avant elle, qui avaient relevé leurs taux au mau-vais moment, explique Tangi Le Li-boux, stratégiste chez Aurel BGC,société de Bourse. Ce fut le cas, en-

tre 2010 et 2013, d’Israël, de la Suèdeou de l’Australie, des pays quiavaient été épargnés par la grave crise financière de 2008. Ou de laBanque centrale européenne, juste avant que ne survienne la crise bancaire de 2011. »

« La Fed nous indique qu’elle n’apas une grande confiance dans l’économie mondiale, malgré le re-démarrage de l’économie améri-caine, et ce message n’est pas bon pour les marchés d’actions, pour-suit M. Le Liboux. Jusqu’à la fin dumois d’octobre [date de la pro-chaine réunion de la Fed], les inves-tisseurs vont se demander quand sa présidente, Janet Yellen, se décideraà remonter les taux. »

Pour mémoire, les taux direc-teurs de la Banque centrale améri-caine sont au niveau actuel depuissept ans et le dernier relèvement date d’il y a neuf ans, en 2006. La décision de modifier cet environ-nement auquel les investisseurs sesont habitués n’en est que plus dé-licat, même si la banque centraleaméricaine sait qu’elle doit agirvite pour éviter la formation debulles financières. Une hausse destaux pourrait entraîner d’impor-tants mouvements de capitaux,notamment une fuite d’argent despays émergents vers les écono-mies développées.

« C’était le grand rendez-vous dela semaine pour les Bourses mon-diales, si ce n’est de la rentrée, et le suspense est relancé. L’incertitude

est totale sur le calendrier de re-montée des taux américains. Octo-bre ? Décembre ? », observe RenaudMurail, gérant chez BarclaysBourse. Et de renchérir : « La Fednous dit, en somme, que le redé-marrage de l’économie américaineest solide, tant sur l’emploi que sur l’immobilier, mais que ce n’est passuffisant. Ce qui se passe en Chine est majeur ! »

Or, relèvent les analystes, le flourègne sur l’ampleur de la « décélé-ration » chinoise. Le vrai chiffre de la croissance chinoise ne serait-il pas très en deçà des 7 % désormais officiellement admis ? Faut-il par-ler d’ajustement statistique ? Ou devéritable coup d’arrêt d’un modèle de croissance à bout de souffle ?« Les informations sur la Chine sont assez déroutantes… Nous assistons

à une transition d’une économie dé-pendante de l’exportation, avec des produits à faible valeur ajoutée, versun modèle davantage tourné vers laconsommation intérieure », analyseRenaud Murail.

L’effet du décrochage de ladeuxième économie mondiale surles pays émergents est particuliè-rement redouté. Notamment surle Brésil, qui exporte beaucoup de matières premières en Chine, et sur ses pays voisins, le Vietnam,l’Indonésie ou encore laThaïlande. Et ce, d’autant plus quecertains de ces « émergents » sontdéjà en récession, tels le Brésil oula Russie.

« Phase d’ajustement »

A ce jour toutefois, dans l’attente des chiffres du produit intérieurbrut chinois pour le troisième tri-mestre – qui devraient être pour la première fois établis aux standardsinternationaux, donc assurer plus de transparence –, la plupart des experts financiers privilégient unscénario optimiste.

« Nous sommes dans une phased’ajustement, après une belle pro-gression des marchés d’actions oc-cidentaux, depuis quatre ans aux Etats-Unis et depuis deux ansen Europe, estime ainsi RenaudMurail. L’économie européennes’améliore de façon graduelle. Lesflux continueront d’alimenter lesBourses. » p

anne michel

« La Fed nous dit

que le

redémarrage

américain est

solide, tant

sur l’emploi que

sur l’immobilier,

mais que ce n’est

pas suffisant »

RENAUD MURAIL

gérant chez Barclays Bourse

Le rachat d’Audika en bonne voie

L’Autorité de la concurrence a annoncé, vendredi 18 septem-bre, qu’elle validait le rachat d’Audika, numéro un français de la vente de corrections auditives, par le groupe danois William Demant, sous réserve de la cession ou de la résilia-tion de 11 franchises de magasins dans l’Hexagone. Le groupe danois, qui va débourser 168 millions d’euros pour s’emparer du français, s’est déjà engagé à céder sept centres auditifs et à mettre fin à quatre contrats de franchise. Avec 470 magasins en France et un chiffre d’affaires de 98,7 millions d’euros en 2014, Audika, coté à la Bourse de Pa-ris, possède 10 % des parts de marché, contre 9 % pour Am-plifon et 8 % pour Audition Santé, propriété du fabricant suisse Sonova. – (AFP.)

MATIÈRES PREMIÈRES

Le cacao décroche le cocotier

L e blé, l’huile, le fer, le cuivre…Impossible de faire une listeexhaustive des matières

premières dont le cours glisse inexorablement. Pourtant, dans ce mouvement digne des Lem-mings chutant de la falaise, l’une d’elles se distingue. En l’occur-rence le cacao, dont le cours ne cesse de s’apprécier. Il décrochemême le cocotier, désigné par l’agence Standard & Poor’s comme l’une des valeurs les plus performantes de son indice de matières premières en 2015.

Vendredi 18 septembre, la pré-cieuse fève se négociait à 3 323 dol-lars la tonne à la Bourse de New York. A comparer aux 2 700 dollarsatteints fin mars. Une apprécia-tion de près de 20 % en six mois. Au point de donner quelques sueurs froides aux gourmands, in-quiets de voir leur péché mignon

devenir trop onéreux. Les spécula-teurs, qui prisent toujours la pou-dre noire, soufflent sur les braises. Sans surprise, ils tournent leur re-gard vers l’Afrique de l’Ouest, prin-cipale plaque tournante du com-merce de la cabosse. Bien évidem-ment, les cacaoyers s’enracinent sous d’autres cieux. Pour le plus grand bonheur des « sourceurs ».

Aléas climatiques

A l’instar de Julien Desmedt« chasseur de crus » pour le spé-cialiste français Valrhona, qui vient de décrocher un accord avecune coopérative haïtienne, la Fec-cano. Artisans pâtissiers et choco-latiers devront toutefois patienterpour s’offrir le cru « Haïti », le temps que le partenariat mûrisse.Il avait ainsi fallu près de dix ans de travail pour élaborer le « grandcru Papouasie », nouvelle note

dans la gamme de la société de Tain-l’Hermitage (Drôme).

Il n’empêche. Même pour Val-rhona, qui revendique une palettede quinze origines, la Côte d’Ivoire et le Ghana sont les prin-cipaux fournisseurs (plus de 70 % des volumes mondiaux à eux deux). Les investisseurs scrutentdonc tous les aléas qui pourraientperturber leurs récoltes. Or, lescraintes liées aux effets éventuels du phénomène climatique El Nino, alimentent les inquiétudes sur la future récolte, qui débutera en octobre. Le risque de séche-resse échauffe le cours en Bourse.

En 2014-2015, la Côte d’Ivoire,premier producteur devrait avoir mis en sac 1,7 million de tonnes de fèves. Le Ghana, son dauphin, cet exercice est le plus mauvais en cinq ans. Pour l’Organisation in-ternationale du cacao (ICCO) les ré-coltes mondiales devraient, elles, s’établir à 4,158 millions de tonnes (– 4,9 % sur un an).

Le prix du cacao freine d’autantsa consommation. « En France, les ventes de chocolat ont baissé de 2,2 % en volume depuis le 1er jan-vier », dit Florence Pradier, secré-taire générale du Syndicat du cho-colat. Le broyage de fève devrait être en recul de 4 % cette année dans le monde. Il dépasse toute-fois la récolte de 15 000 tonnes. Le spectre de la pénurie est-il prêt à ressurgir ? L’ICCO calme les spécu-lateurs et met en avant le niveau des stocks (1,6 million de tonnes).Il y aura donc bien du chocolat à Noël. Mais à quel prix ? p

laurence girard

L e bonheur des uns fait le malheurdes autres. En l’occurrence, « le bon-heur de la Réserve fédérale [Fed] fait

le malheur de la Banque centrale euro-péenne (BCE) », écrit Johannes Gareis, éco-nomiste à Natixis, dans une note sur le su-jet. En décidant, jeudi 17 septembre, de ne pas relever ses taux directeurs, au plancherdepuis six ans, la Fed a suscité trois types de réactions.

Certains observateurs se sont réjouis devoir la Fed prendre en considération le ra-lentissement chinois et ne pas courir le risque de remonter ses taux trop tôt. D’autres, à l’inverse, estiment que si la banque centrale américaine a jugé bon de reporter sa décision, c’est que l’économie mondiale va en vérité plus mal encore qu’on ne le pensait jusqu’ici. De fait, la plu-part des places boursières ont reculé ven-dredi 18 septembre, inquiètes du pessi-misme de la Fed.

L’institution n’aura guère le choix

D’autres, enfin, redoutent désormais les conséquences qu’aura le statu quo de la Fed sur la zone euro. Celui-ci risque en ef-fet de tirer vers le bas le cours du dollar face aux autres devises. Et donc de balayer les efforts entrepris par la BCE ces derniers mois pour faire baisser l’euro, dans l’espoir de favoriser les exportations européennes. En rachetant massivement des dettes pu-bliques, elle a augmenté la quantité d’euros en circulation, ce qui en a effective-ment fait baisser le cours, passé de près de 1,40 dollar en mars 2014 à 1,0489 dollar en mars 2015, son point bas depuis douze ans.

Cela a d’autant bien fonctionné en débutd’année que la perspective de la hausse à venir des taux américains – et donc, de rendements plus élevés – a dopé la de-mande de dollars et, donc, poussé le billet vert vers le haut.

Mais ce scénario, qui a profité aux ventesdes entreprises européennes au premier semestre, s’est érodé à mesure que les in-vestisseurs se sont mis à parier que la Fed n’augmenterait pas ses taux. De fait, l’euro a déjà repris 8 % face au billet vert depuis son point bas de mars. Maintenant que la hausse des taux américains est repoussée à décembre, voire à 2016, le mouvement devrait se poursuivre.

Comment va réagir la BCE ? Pour les ana-lystes de Natixis et Capital Economics, elle n’aura guère le choix. Pour freiner la re-montée de l’euro, qui alimentera les ten-sions déflationnistes en tirant vers le bas des produits importés, elle devra prendre des mesures. Par exemple, en augmentant la taille de son programme de rachat d’obligations souveraines et de titres pri-vés. Celui-ci est actuellement de 60 mil-liards d’euros par mois, censé durer au moins jusqu’en septembre 2016. La BCE pourrait l’allonger. Ou passer ses achats mensuels à 80 milliards d’euros.

Les dernières déclarations des membresde la BCE semblent indiquer qu’ils y son-gent. Vendredi 18 septembre, Benoît Cœuré, membre du directoire de l’institu-tion, a ainsi rappelé la « capacité d’agir » de la Banque centrale, déterminée à « proté-ger la zone euro des chocs internationaux », qu’ils viennent « des marchés financiers », « de la croissance des pays émergents » ou « des décisions des autres grandes banques centrales ». Tout un programme… p

marie charrel

2 748

3 323

SOURCE : BLOOMBERG

1ER AVRIL 2015 18 SEPTEMBRE 2015

TRÈS APPRÉCIÉ

COURS DU CACAO, EN DOLLARS LA TONNE, À NEW YORK

+ 20,9 %+ 20,9 %

TAUX & CHANGES

La BCE dans l’embarras

LA SOCIÉTÉ DES LECTEURS DU « MONDE »

0,63€ COURS DE L’ACTION VENDREDI 18 SEPTEMBRE

Société des lecteurs du « Monde »80, boulevard Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13Tel. : 01 57 28 25 01 - [email protected]

Page 35: Le_Monde_20_Septembre_2015.pdf

0123DIMANCHE 20 - LUNDI 21 SEPTEMBRE 2015 argent & placements | 7

VILLES EN MUE

Mulhouse construit un quartier d’affaires

I l y a peu de temps encore, le constatétait amer. Mulhouse (Haut-Rhin) selamentait d’avoir perdu quelque

10 000 emplois en dix ans. Pour enrayer ce déclin, la ville et la communauté d’agglo-mération ont parié sur « l’effet TGV », Mul-house étant desservie par les lignes à grande vitesse Est et Rhin-Rhône. Les élus se sont mobilisés pour qu’elles donnent unnouvel élan à la ville. Ils ont alors logique-ment misé sur la réhabilitation du quartierde la gare au moyen d’une zone d’aména-gement concerté de 23 hectares.

Géré par le cabinet Seura, dirigé par l’ar-chitecte et urbaniste David Mangin, le pro-jet s’étalera jusqu’en 2025. Au programme, la création de plus de 55 000 m2 de surfacesconsacrées aux activités tertiaires. Le tout, sous le signe du vert et de l’eau : mise en va-leur du canal Rhin-Rhône, bâtiments à haute qualité environnementale…

« Ville transfrontalière »

« L’ambition est de faire de ce site un vérita-ble quartier d’affaires et d’y attirer des entre-prises, explique Jean Rottner, le maire (LR) de Mulhouse. Nous avons beaucoup souf-fert de la désindustrialisation. Or, nousavons la chance d’être une ville transfronta-lière, nous devons profiter de notre atout

TGV et de notre proximité avec l’aéroport deBâle-Mulhouse-Fribourg, qui draine près de 7 millions de voyageurs par an. »

Pour réaliser le renouveau urbain de cequartier, un nouveau parvis, plus aéré etaccueillant tous les modes de transport, apris place devant la gare. Des parkings ontété construits et, début 2015, « Le Chrome » et ses 3 400 m² de bureaux et de commer-ces a été livré. Conçu par l’architecte Guillaume Delemazure (cabinet DeA Ar-chitectes), cet immeuble, dont la façade co-lorée est censée rappeler le passé industrielde la région dans le textile, est devenu l’em-blème de cette nouvelle entrée de ville.Dans la foulée s’installeront en 2016 deux hôtels dans un immeuble de plus de4 000 m2. Et d’autres chantiers vont suivre.« Ce sont environ 28 000 m2 qui ont déjà été signés ou qui sont en précommercialisa-tion », poursuit le maire.

Ce nouveau quartier d’affaires s’inscritdans le prolongement de l’hypercentre, dont les espaces ont été requalifiés, et qui aséduit de nombreuses enseignes de com-merce. Il se situe aussi à deux pas d’un autre site en reconversion : le quartier de La Fonderie, qui accueille des PME des technologies de l’information. p

colette sabarly

Pour enrayer le déclinde l’emploi,Mulhouseet la communauté d’agglomé-rationont parié sur « l’effet TGV ».VILLE DE

MULHOUSE/M2A

Location : se porter garant, un engagement fortGare à ne pas donner votre accord à la légère, car il vous engage sur plusieurs années

Une nièce vous demande devous porter caution pourson logement, un ami encontrat à durée déterminée

ne peut trouver un toit sans votre garan-tie… Si vous avez une bonne situation fi-nancière, il est délicat de refuser cette aide. Mais, avant de donner votre ac-cord, n’oubliez pas que vous serez en-gagé financièrement pour plusieurs an-nées.

Légalement, n’importe qui peut seporter caution, à condition de signer unacte dans les normes. Vous pouvez êtregarant d’un membre de votre famille, d’un ami, d’un collègue… Seule con-trainte, « une caution est là pour réglerles arriérés de loyer et de charges », rap-pelle Jean-François Buet, président de laFédération nationale de l’immobilier(Fnaim). « En cas de défaillance, elle doitdonc disposer de revenus saisissables. »Votre solvabilité sera examinée à laloupe : vous devrez fournir au bailleur,ou au gestionnaire du bien, les mêmes

documents que le locataire (bulletins desalaire, avis d’imposition…).

Dès le premier impayé, le bailleur estcensé relancer son locataire, puis le con-tacter le mois suivant pour trouver une solution à l’amiable (plan d’apurement de la dette, par exemple). Sans réponse de sa part, ou si aucune solution n’esttrouvée, il lui enverra un commande-ment de payer, et fera de même avec vous, en tant que caution, dans un délaide quinze jours.

Formalisme à respecter

Dans ce cas, vous serez redevable de l’ar-riéré de loyer. Si vous ne vous montrezpas diligent, la dette grimpera et, aprèsdeux mois de retard, le propriétaire ris-que fort d’enclencher une procédure ju-diciaire contre le locataire défaillant etcontre vous. En tant que caution, vous risquez d’être condamné à devoir toutpayer, dans la limite du montant indi-qué dans l’acte de caution. Ensuite, ilvous incombera de vous retourner con-tre le locataire pour récupérer vos fonds.

Votre caution prend fin automatique-ment à la fin de la durée mentionnéedans l’acte que vous avez signé. « Au terme de la durée de la caution, le bailleurne peut pas en exiger une nouvelle, sauf sile locataire est d’accord pour en fournir une, et le bail se poursuit normalement »,souligne Luc Miegeville, directeur mé-tier chez Foncia. Sachez aussi que votregarantie ne s’achève pas forcément lors-que le locataire a quitté le bien. « Dans le cas d’une location nue, le garant est rede-vable des éventuels arriérés de loyer et decharges jusqu’à la fin du préavis du loca-taire. Mais s’il s’agit d’une colocation, il reste garant six mois après la fin du préa-vis du colocataire dont il était caution »,précise Luc Miegeville.

Si vous souhaitez vous dédire de votre

cautionnement en cours de période,vous pouvez proposer au propriétaire qu’une autre personne s’engage à votre place. Le bailleur peut parfaitement refu-ser ce changement, vous resterez alors engagé jusqu’au terme.

Le bailleur qui opte pour la caution aintérêt à prêter une attention toute par-ticulière à la rédaction de ce document.Pour être considéré comme valable de-vant les tribunaux, un acte de caution doit respecter un formalisme très im-portant. « Il doit être écrit de la main du garant devant le propriétaire ou le ges-tionnaire du bien », précise Jean-Fran-çois Buet.

Cet acte doit indiquer une durée pré-cise, par exemple le bail et son premier renouvellement. S’il est à durée indéter-minée il n’est pas considéré comme vala-ble. Il doit indiquer le montant du loyer et des charges, ainsi que les conditions derévision, tels qu’écrits dans le bail. Il pré-cise la date d’effet du bail, l’adresse dubien loué, le nom du locataire pour le-quel vous vous portez caution ainsi que votre nom et votre signature.

L’acte de caution doit, en plus, préciserla nature et l’étendue de l’obligation que vous contractez, par le biais de la repro-duction manuscrite d’une partie de l’ar-ticle 22-1 de la loi du 6 juillet 1989. Enfin, en tant que garant, vous devez conserver un exemplaire du bail, et des documents annexes, ainsi qu’un exemplaire de votreacte de caution.

Si ce formalisme n’est pas respecté, lebailleur pourra toujours se retourner contre le garant, mais il risque fort d’être débouté de sa demande. Plusieurs arrêts de la Cour de cassation ont confirmé que cette procédure contraignante devaitêtre respectée à la lettre pour que le pro-priétaire puisse faire valoir ses droits. p

marie pellefigue

CLIGNOTANT

BANQUESL’agence perd du terrainLes banques ont du pain sur la planche si elles veu-lent rester en contact avec leurs clients. L’étude pu-bliée par le cabinet Deloitte jeudi 17 septembre mon-tre que, même pour les opérations complexes, les particuliers utilisent Internet et se rendent moins en agence. « Moins d’un sondé sur deux dit encore se dé-placer pour des opérations complexes, comme la sous-cription d’une assurance-vie, contre 57 % en 2014, sou-ligne Daniel Pion, associé chez Deloitte. Et 24 % déclarent ne plus du tout utiliser les services de l’agence. » Autre chiffre marquant de cette enquête : un tiers des personnes interrogées disent qu’elles pourraient ouvrir un compte ailleurs que dans une banque traditionnelle.

QUESTION À UN EXPERT

olivier rozenfeld, président de Fidroit

Peut-on retirer de l’argent

de son contrat d’assurance-vie ?

Contrairement à une idée reçue, l’argent que vous placez dans un contrat d’assurance-vie – produit d’épargne de long terme par excel-lence – n’est pas bloqué. A tout moment, vous pouvez récupérer tout ou au partie de votre pécule, même s’il est préférable d’attendre huit ans pour bénéficier pleinement des avantages fiscaux.Deux solutions s’offrent à vous : l’avance ou le retrait. L’avance a un caractère ponctuel et correspondra à un besoin exceptionnel (le fi-nancement de travaux, par exemple). Le retrait partiel peut être pro-grammé dans le temps et prend, alors, un caractère récurrent pour permettre, par exemple, de compléter vos revenus.L’avance est un prêt accordé par l’assureur et remboursable au bout de trois ans. Vous devez payer des intérêts à l’assureur légèrement supérieurs à la rémunération de votre contrat, qui se poursuit nor-malement. Autre avantage : cette somme prêtée n’est pas imposée. Ce n’est pas le cas si vous optez pour un retrait qui, lui, est définitif : le montant retiré est taxé si le contrat a moins de huit ans (après cette date, les plus-values sont imposées à 7,5 % après un abatte-ment de 4 600 euros pour une personne seule et 9 200 euros pour un couple marié) et vient diminuer la valeur du contrat. p

Assurance ou caution ?

Pour se garantir contre les loyers impayés, le bailleur peut opter soit pour une assurance, soit pour une cau-tion. « Il ne peut plus, aujourd’hui, cumuler les deux, sauf si le locataire est étudiant ou apprenti », signale Jean Perrin, président de l’Union nationale de la propriété immobilière. Parfois, la caution est la seule alternative. C’est notamment le cas si le logement est situé dans une zone sans pénurie de logements, et que le locataire ne répond pas aux critères d’éligibilité des assureurs (être en CDI, gagner au moins trois fois le montant du loyer…). Certains bailleurs affectionnent ce type de ga-rantie, « pour les petites surfaces, occupées pour des courtes périodes », affirme M. Perrin. « La caution est utile, car elle est gratuite, il n’y a pas de période de ca-rence et, en cas d’impayés, le garant fait pression sur le locataire pour régler le problème très rapidement. »

& CIVILISATIONS

&CIVILISATIONS

N° 10OCTOBRE 2015

GENGISKHANLECONQUÉRANTIMPLACABLE

FEMMESDESANNÉES 1780BRILLANTES, INFLUENT

ES,

DÉJÀÉMANCIPÉES

CLÉOPÂTREETMARCANTOINEUNEPASSIONTRÈSPOLITIQUE

LACOMMUNEDEPARISCOMMENTLARÉVOLUTION

ESTPARTIE ENFUMÉE

PÉTRADESMARCHANDSETDESDIEUX

CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX

Chaque mois, un voyage à travers le tempset les grandes civilisations à l’origine de notre monde

Page 36: Le_Monde_20_Septembre_2015.pdf

8 | MÉDIAS&PIXELS DIMANCHE 20 - LUNDI 21 SEPTEMBRE 2015

0123

The Conversation arriveen version françaiseLe site australien propose des contributions d’universitaires sur les sujets d’actualité

Q ui dirige le cabinet fan-tôme [du nouveau chefdu parti travailliste bri-tannique] Jeremy Cor-

byn ? Quelle place joue le haka [une danse guerrière] dans l’iden-tité néo-zélandaise ? Comment lesdifficultés économiques du Bu-rundi éclairent-elles sa crise poli-tique ? Ce sont là quelques exem-ples de sujets rédigés par des uni-versitaires que l’on pouvait lire sur le site anglo-saxon The Con-versation, vendredi 18 septembre.

Partie d’Australie, où elle futcréée en 2011, cette plate-forme àbut non lucratif s’est étendue au Royaume-Uni, aux Etats-Unis eten Afrique, avec l’installationd’équipes à Londres (2013), Boston(2014) et Johannesburg (2015). Lundi 21 septembre, la versionfrançaise devait être lancée, àl’adresse Theconversation.fr, parune nouvelle cellule basée à Paris.

Le site français reste fidèle à lapromesse d’origine de la plate-forme, qui se veut « un site de par-tage de savoirs sur l’actualité » se-lon son directeur de la rédaction, Didier Pourquery, ancien direc-teur adjoint du Monde. Son objet est de mettre en avant des contri-butions d’universitaires qui éclai-rent les événements du moment.

En France, le site, dont le direc-teur de la publication est FabriceRousselot, ancien journaliste deLibération, est édité par une asso-ciation de loi 1901 présidée parl’universitaire Arnaud Mercier. Il est d’accès gratuit, dépourvu de publicité, et publie ses contenus sous le régime des creative com-mons, qui permet et encourage leur rediffusion sur d’autres sites.

Le financement est principale-ment apporté par les universités

qui y contribuent. La Conférencedes présidents d’université, l’Ins-titut universitaire de France, l’université de recherche Paris Sciences et Lettres, l’université Paris-Saclay, l’université de Lor-raine et l’université Sorbonne-Pa-ris-Cité font partie des membresfondateurs.

Travail collaboratif

A partir des événements de l’ac-tualité, l’initiative éditoriale peutvenir du chercheur ou de la petiteéquipe de journalistes qui re-cueille les contributions. S’en-gage alors un travail collaboratiflors duquel le chercheur rédigeune contribution tandis quele journaliste joue le rôle d’édi-teur. C’est l’universitaire qui a ledernier mot et autorise la publi-cation.

Le site utilise la même architec-ture que les versions en langue anglaise, analogue à une plate-forme de blogs. Il propose la plu-part des fonctionnalités couran-tes : possibilité de contacter l’auteur, partage des contenus surles réseaux sociaux, commentai-res, suggestions de lecture…

Les chercheurs peuvent y trou-ver une exposition nouvelle pour leurs sujets, y compris à l’interna-tional, puisqu’une partie du con-tenu français doit être traduite en langue anglaise. L’historien-ar-chéologue français du CNRS Pierre Leriche en a déjà fait l’expé-rience, en voyant son article sur lemartyre de la cité syrienne de Pal-myre publié et traduit, début sep-tembre, sur le site anglais. Il avaitatteint une large audience.

« Beaucoup d’universitaires veu-lent que leurs travaux soientmieux connus et leur voix mieuxentendue », pense Didier Pour-query, qui espère aussi que ce sitedeviendra « une source pour lesmédias » et « un vivier d’expertisespour les télés, les radios et lapresse ».

« C’est une nouvelle étape vers laconstitution d’une rédactionmondiale, nourrie par l’expertiseuniversitaire et l’excellence jour-nalistique », espère The Conver-sation, qui affiche déjà uneaudience de 2,6 millions de visi-teurs mensuels sur l’ensemble deses sites. p

alexis delcambre

L’adaptation

française reste

fidèle

à la promesse

d’origine de la

plate-forme, un

« site de partage

de savoirs sur

l’actualité »

Pinterest revendique 100 millions d’utilisateursLa plate-forme, valorisée 10 milliards d’euros, est trois fois plus petite que Twitter ou Instagram

san francisco - correspondance

Depuis son lancementen mars 2010, Pinte-rest avait soigneuse-ment gardé le secret.

Jeudi 17 septembre, le réseau socialaméricain est enfin sorti de son si-lence, révélant avoir dépassé les 100 millions d’utilisateurs actifs dans le monde. Si ce chiffre est plus élevé que les dernières esti-mations du cabinet ComScore, il demeure encore limité pour une entreprise valorisée à 11 milliardsde dollars (9,7 milliards d’euros) auprintemps.

La plate-forme est trois fois pluspetite que Twitter, le réseau de mi-croblogging, et qu’Instagram, la plate-forme de partage de photos et de vidéos rachetée en 2012 par Facebook. Ce dernier culmine par ailleurs à près de 1,5 milliard d’uti-lisateurs actifs. « La croissance de Pinterest pourrait être plus faible que celle des autres services, avance Debra Williamson, ana-lyste chez eMarketer. L’explication

est simple : ce qu’on y fait ne corres-pond pas forcément à ce qu’un grand nombre de personnes sou-haitent faire. »

Pinterest est une sorte de ta-bleau de liège virtuel, sur lequel les « Pinners » peuvent épingler des photos et des vidéos. « Ce n’est pas un réseau social, parce que les utilisateurs ne partagent rien, dé-crit Evan Sharp, l’un des cofonda-teurs de la jeune entreprise. C’est un catalogue personnalisé d’idées et d’inspirations. » Décoration, ob-jet à faire soi-même, mode, gastro-nomie, voyage font partie des thé-matiques les plus populaires. Le site se voit ainsi davantage en al-ternative aux recherches effec-tuées sur Google, plutôt qu’en ri-val de Facebook ou d’Instagram.

Pour accélérer sa croissance, Pin-terest mise aujourd’hui sur les marchés internationaux. « C’est notre objectif prioritaire », indique M. Sharp. « Nous avons lancé cette stratégie il y a deux ans, ajoute Matt Crystal, directeur du déve-loppement à l’étranger. Désor-

mais, 45 % de nos utilisateurs se trouvent hors des Etats-Unis. Et cette proportion augmente rapide-ment. » L’enjeu est important pour la société qui doit justifier son niveau élevé de valorisation. Avec 55 millions d’adeptes sur le sol américain, le potentiel de croissance y est en effet restreint.

Le défi de la monétisation

Pinterest a donc ciblé cinq pays : la France, le Royaume-Uni, l’Alle-magne, le Japon et le Brésil. L’en-treprise de San Francisco y a ouvert des bureaux. Elle y a formé des équipes chargées de faire vivre l’écosystème. « Nous voulons être certains d’offrir suffi-samment de contenus pertinents à ces différentes audiences, pour-suit M. Crystal. Pour y parvenir, nous souhaitons notamment con-vaincre des distributeurs et deséditeurs de presse de rejoindre no-tre plate-forme. »

En France, le magazine Elle, LaRedoute, Voyages SNCF ou encore le Musée du Louvre disposent

d’un compte sur le site. Pinterest aouvert son antenne parisienne enjuin 2013. Il y emploie près d’une dizaine de personnes. « Depuis deux ans, nous avons réalisé d’im-portants progrès, assure M. Crys-tal. Rien qu’en 2014, le nombre d’utilisateurs français a plus que triplé. » Le nombre d’images et de vidéos épinglées a doublé.

Pinterest cherche également àattirer davantage d’hommes. En particulier aux Etats-Unis, où la plate-forme séduit principale-ment un public très féminin. Se-lon les estimations de ComScore, les femmes génèrent 70 % de l’audience aux Etats-Unis. « A l’étranger, la répartition est pluséquilibrée », note M. Sharp. En 2014, le site a commencé à fil-trer les résultats de recherche par genre, évitant ainsi qu’un hommene tombe sur des centaines de paires de chaussures pour femme.

L’autre défi de Pinterest, c’est lamonétisation. Depuis un peu plusd’un an, la société permet aux marques d’acheter des « pins »

sponsorisés, sur le même modèle que Facebook et Twitter. Pour le moment, ces publicités n’ont été lancées qu’aux Etats-Unis. « Nous générons davantage de chiffred’affaires toutes les semaines », in-dique M. Sharp. La start-up n’est cependant pas encore rentable.

Pour pousser les marques àacheter des « pins » sponsorisés, Pinterest vient de lancer un bou-ton « acheter » qui permet de commander en deux ou trois clics un produit vu sur ses applications mobiles, utilisés par 80 % de ses adeptes. « Cela va permettre de

prouver l’efficacité des publicités », prédit M. Sharp. Sumeera Rasul, patronne du e-commerçant Ma-desmith, espère ainsi « augmenterson taux de conversion ».

Pinterest dispose d’un impor-tant atout : ses utilisateurs « s’enservent déjà comme un outil d’achat », indique Mme William-son. « Ils sont aussi beaucoup plusactifs que les utilisateurs de Face-book », ajoute Brin Morin, direc-teur générale du site Brit + Co, spécialisé dans le « Do it your-self » (fais-le par toi-même).

Souvent évoquée, une introduc-tion en Bourse ne semble pas en-core d’actualité. « Ce n’est pas lebon moment, estime M. Sharp. Nous devons d’abord faire nos preuves et atteindre une taille plus importante. » La société peut se permettre d’être patiente. En cinq ans, elle a accumulé 1,3 milliard dedollars auprès de divers investis-seurs (dont 550 millions en 2015). « Il nous en reste une bonne par-tie », assure son cofondateur. p

jérôme marin

Le réseau social

mise sur

l’international.

Il a ouvert

des bureaux

dans cinq pays,

dont la France

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