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L’Empire et le Royaume PIERRE LE COZ LOUBATIÈRES

L’Empire et le Royaume

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« Le Royaume est ici mais nous n’en savons rien. Le Royaume est cet unique globe d’azur sous la voûte duquel nous vivons et mourons, mais nous l’ignorons encore. Nous n’avons pas pour le retrouver, à explorer cette roue d’astres qui lentement se meut au-dessus de nos têtes, nous n’avons même pas à le construire car il est là : toujours déjà donné, gracieusement accordé, d’aucun temps ni d’aucun pays mais pouvant partout surgir dès qu’un homme rencontre sa parole et dès qu’une parole rencontre son lieu. Nous avons tous eu l’intuition de sa présence, mais jamais encore nous n’avons su l’aborder. Et quand, par malheur, nous prétendions l’édifier, nous ne faisions qu’instituer l’Empire. Son rêve cependant, depuis le fond des âges, nous hante et nous inspire ; son désir nous accompagne durant l’errance et sous la tente étoilée : son rêve et son désir ont fait l’histoire.

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L’Empire etle Royaume

PIERRE LE COZ

LOUBATIÈRES

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Cet ouvrage est publié avec le concours du Centre régional des lettres de Midi-Pyrénées

© Nouvelles Éditions Loubatières, 2010 10bis, boulevard de l’Europe, BP 27

31122 Portet-sur-Garonne [email protected]

www.loubatieres.fr

ISBN 978-2-86266-608-2

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Pierre Le Coz

L’EMPIREET

LE ROYAUME

(tome troisième de l’Europe et la Profondeur)

Loubatières

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Pour Jean-Philippe Amiot

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Première partie

L’HISTOIRE COMME CRUCI-FICTION

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Le Traité du Même, tome deuxième de L’Europe et la Profondeur, s’ache-vait sur l’analyse de la notion théologique de kénose : au « dieu qui se re-tire » de la Profondeur répondait le « dieu qui se vide » du Traité. Ce vidementsur la Croix inaugurait l’envoi d’une guise nouvelle de l’être : le kamour(« l’être n’est qu’amour »), en route depuis l’Événement de la Crucifixion,et dont l’ombre portée est la guise dominante de notre univers, celle tech-nique de la calculabilité de tout l’étant. C’est à partir de la confrontationentre ces deux guises que pouvait se dessiner l’affrontement final qui doitclore notre piste temporelle uchronique – celui entre l’Empire et leRoyaume–, et qui fait le sujet de ce troisième ouvrage.

Cette confrontation appelée à devenir affrontement dans la figure apo-calyptique de l’Armageddon fait le fond de toute histoire humaine : àchaque époque, peut-être en chaque individu (« l’âme » et « le cœur » duPilate de Jean Grosjean), on retrouve la vieille rivalité entre les deux « prin-cipes » – l’impérial et le « royaumaire » –, entre les deux « entités finales »(Joe Chip dans Ubik). Cette rivalité n’est pas nécessairement hostilité : ellepeut être, à certaines époques, combat amoureux, « harmonieux » – l’en-tente, autour de l’an mil, entre l’empereur Othon et son précepteur le papeSylvestre en est un bon exemple. Cet équilibre cependant demeure tou-jours fragile : de tels moments sont des moments de grâce historique, degrandeur et de paix, et ils ne durent pas. Mais notre époque a ceci de par-ticulier, et c’est bien en cela qu’elle est de tonalité apocalyptique, qu’ellefait venir à découvert la nature même de cette confrontation qui devientdès lors affrontement – c’est un autre trait de la modernité qu’elle sub-sume tout débat sous la figure d’une guerre, celle incessante, inexpiable,qui ravage aujourd’hui notre temps et, en mode écologique, notre séjour.L’un des objets de cet ouvrage sera aussi de délimiter les diverses lignes defront de cette guerre généralisée, pour certaines bien visibles et toutes pra-tiques, pour d’autres, parce que plus profondes, encore secrètes et impen-sées. Ce dont on peut être déjà sûr et convaincu, c’est que, désormais,partout où il y a affrontement, violence, usure, fatigue et souffrance, il ya aussi rivalité, d’essence ontologico-théologique, entre l’Empire et leRoyaume. Or ce trait guerrier de l’époque moderne, l’irréconciabilité avé-rée de l’Empire et du Royaume, paradoxalement, c’est au dieu de douceur,

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au Christ qui parle dans la Révélation, que nous le devons – Il nous enavait d’ailleurs prévenu lui-même : « Je ne suis pas venu apporter la paixmais la guerre. »

De quelle façon ? La guerre dont il est ici parlé, celle qu’« une sociétémène contre elle-même » (Debord), est aussi celle de chaque étant contreles étants voisins : le barrage de l’usine hydro-électrique jeté sur le fleuveest en guerre avec ce fleuve qu’il « pro-voque » (Heidegger) en la guise del’être que constitue le mode technique du dévoilement – le barrage dit aufleuve « tu n’es que ta capacité à produire une certaine quantité d’éner-gie ». Ce que du barrage, de la guise technique du dévoilement, est le re-flet inversé « en un sombre miroir » du que de la guise christique qui poseque l’être n’est qu’amour – l’être est kamour. Cette guerre généralisée àl’étant en son entier qui constitue le trait principal de notre époque est leproduit de ce kamour auquel elle ne peut opposer que son khaine. La venuedu Christ dans le monde brise l’antique accommodement entre dieux,hommes et démons, qui faisait le fonds de tout paganisme : elle sépare ir-révocablement deux camps qui, jusqu’à Lui, avaient vécu peu ou prou en(bonne) entente – Dieu et diable, Bien et Mal, Ciel et Enfer (et aussi bien :Dieu et César, Royaume et Empire). C’est cette stricte séparation qui jettel’humanité, désormais contrainte à se déterminer, dans la guerre généra-lisée que sont en essence les temps modernes. À la vision tragique du mondepar les Grecs se substitue une vision « morale », celle des juifs, qui désor-mais, depuis son universalisation en mode christique, l’a partout emporté.La condamnation d’Œdipe par les dieux est, pour nous, désormais incom-préhensible : elle châtie un innocent, et, par là, fait venir ces dieux pource que, depuis le Christ et la mort du paganisme, ils sont : des démons.Tout autre, bien sûr, était la position grecque, la position de la tragédie deSophocle qui nous invitait à méditer ce mystère de « l’injustice » des dieux :son Œdipe roi (pièce la plus jouée, croit-on, de l’Antiquité) est l’expres-sion la plus haute, la plus achevée du « système » païen ; elle sauve une der-nière fois la mise à ses dieux en posant que l’injustice qui frappe Œdiperelève d’une justice plus haute, peut-être inhumaine, incompréhensible ànous autres, mais « juste » malgré tout. Une telle conception sera révoquéepar le christianisme pour lequel rien, pas même les dieux, ne peut justi-fier une injustice. Et une telle révocation constitue l’arrêt de mort des dieuxpaïens.

Œdipe, le « meilleur des hommes » (grecs), en bien des traits, n’est passi loin du Christ : sa « Passion » constitue, pour le monde païen, l’équiva-lent de la Passion que relatent les Évangiles. Dans les deux cas, nous avonsaffaire à deux victimes innocentes qui, par piété, par amour (de sa cité

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pour le Grec), acceptent l’injustice qui les frappe – donc se « sacrifient ».Ce qui les sépare, c’est l’interprétation de ce sacrifice. Pour Œdipe, ce sa-crifice est nécessaire pour que le monde retrouve sa mesure, mesure queson destin d’assassin de son père et d’époux de sa mère avait mise en dan-ger : son auto-aveuglement puis son départ sur les chemins rendent lemonde à son antique, éternelle stabilité. Tout autre est le sens du sacrificechristique : sa crucifixion puis son départ, eux, jettent le monde dans unedémesure dont il n’est pas sorti ; sa Passion ouvre une piste temporelle iné-dite dont le premier effet est de fermer définitivement la piste païenne quele sacrifice d’Œdipe avait, momentanément, sauvée, remise sur ses railsuchroniques. Œdipe part sur les routes pour que ses concitoyens thébainspuissent demeurer en leur cité (son départ, selon toute probabilité, metfin à la peste) ; le Christ quitte le monde pour que ses disciples partent surles routes « enseigner toutes les nations » – le monde qu’il ouvre (nousl’avons assez montré dans la Profondeur) est essentiellement celui de l’er-rance (spatiale) et de la détresse (temporelle). Œdipe, sa tragédie, sauveune dernière fois le monde du paganisme ; Jésus, sa dramatique, le tue :« Le grand Pan est mort. »

Contre cette démesure dans laquelle le Christ jette le monde, la guisetechnique de l’être ne tente rien d’autre que de pro-poser une ultime me-sure : celle a minima de la calculabilité de tout l’étant, celle de son pur ma-themata. Face à la seule présence-vraie d’un dieu qui s’en va, et en ceten-aller déracine et désenchante, la Technique cherche à fonder une ul-time permanence – la seule exactitude du nombre – : la numérisation àl’œuvre dans le monde, le devenir-monde du nombre, exprime le rêved’une telle permanence ; c’est ce que René Guénon appelle le « règne dela quantité » et Debord le « présent éternel du Spectacle ». L’Empire estl’instrument d’un tel « règne » ; et si son avatar le plus récent, l’Empireaméricain, peut prétendre à la domination planétaire, c’est que la guisetrès particulière de l’être qu’il illustre aspire elle-même, de par son essencemême, « impérialiste », à une domination inconditionnée sur tout l’étant.Le rêve impérial se déploie toujours suivant les deux dimensions d’une do-mination spatiale étendue à l’ensemble de la Terre (les grands conquérants,les « empereurs », ont toujours l’illusion d’avoir conquis, ou d’être sur lepoint de le faire, le monde entier : dans l’Evangile de saint Luc, « CésarAuguste » prétend recenser les « populations de la terre ») et d’une domi-nation temporelle étendue elle à l’ensemble des temps : tout empire aspireà la durée dans un milieu spatio-temporel du monde – tout empire est« Empire du Milieu » (et si l’Empire romain jouit d’un tel prestige auprèsdes « impériaux », dont il est la référence quasi-obligée, c’est probablementdu fait que, de tous les empires, il est celui qui a le plus longtemps per-

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duré). Tout empire se conçoit comme une suspension de l’histoire, refletterrestre de celle ontologique de l’épochè husserlienne : ce que les anciensChinois appelaient le « mandat du ciel ». Dès que l’histoire recommence,ce mandat s’achève et l’empire s’effondre du fait même d’avoir voulu durer,d’avoir voulu un temps nier l’histoire. Vouloir faire régner partout, dansle moindre « vallon samnite » (Grosjean), la « justice » et la « mesure » finitpar faire tomber dans une autre sorte d’injustice et de démesure. Les em-pires meurent spatialement en se dissolvant dans l’étendue (Alexandre enInde, Napoléon en Russie) ; mais ils meurent temporellement en se rétrac-tant dans le temps, en cherchant à n’être plus que ce « présent éternel »dont parle Debord. Le Royaume, lui, illustre la parfaite contraposée del’impossible rêve impérial : spatialement, il ne prétend à aucune domina-tion puisqu’il « n’est pas de ce monde » ; temporellement il est « toujoursen venue », et l’histoire est, non son ennemi, mais son vecteur, la dimen-sion où se propage sa « bonne nouvelle » – la profondeur où doit advenirson Avènement. Alors que l’histoire est l’adversaire de tout empire (la« vieille taupe » qui sape toutes ses (grandes) murailles dressées contre leflux du devenir), elle est la servante du Royaume, de son Avènement : n’est-ce pas lui qui l’a ouverte, lancée et inaugurée au commencement ? Et siquelque chose comme un empire peut un temps prospérer, il ne peut lefaire que dans l’intervalle du « pas encore » de cet Avènement, l’erreur detout empire consistant à prendre cet intervalle pour un milieu.

L’Empire américain, ou américano-occidental (l’Europe n’est qu’uneprovince de cet Empire, un protectorat : la Grèce aux multiples cités divi-sées de cette autre Rome), reproduit de façon moderne les traits caracté-ristiques de tout empire que nous venons de décrire. Spatialement, telAlexandre élevant un autel sur le bord du monde qu’il venait de conqué-rir (aux portes de l’Inde), il a délimité son territoire : ce fut l’expéditionaméricaine de 1969 sur la Lune, point ultime d’une avancée dont « l’ex-trémisme » en mode cosmique dit assez l’ambition planétaire « terrestre »de ses protagonistes, les astronautes américains. Mais temporellement,cette fois-ci en mode économico-politique, le néo-empire américain re-produit lui aussi le rêve impérial d’un figement de l’histoire sur le modèle,censé être indépassable, du libéralisme démocratique: ce qui explique pour-quoi des plumitifs néo-hégéliens se sont empressés de discerner en l’effon-drement de l’Union soviétique la « fin de l’histoire ». Les impériauxaméricains, eux, ne sont pas si bêtes : ils savaient bien que leur rivalité avecl’autre empire, l’avatar impérial soviétique, n’était que le spectacle de l’his-toire, non l’histoire réelle – qui est toujours celle, secrète, « en venue », del’instauration du Royaume –; et que donc l’effondrement de l’URSS n’étaitla « fin » de rien du tout, sinon celle d’une mise en scène à l’échelle pla-

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nétaire, d’une fausse histoire, d’une histoire en mode impérial, c’est-à-dired’une histoire de rivalité entre puissances (ce qui peut expliquer aussi pour-quoi, à peine l’Union soviétique tombée, les États-Unis se cherchèrent im-médiatement un autre et tout aussi « imaginaire » ennemi : ce fut leterrorisme islamiste). L’Empire étatsunien sait, comme tous les autres em-pires avant lui, que l’histoire est son vrai, son seul adversaire ; mais, plussubtil en cela que ses prédécesseurs qui se contentaient de nier cette his-toire, il préfère lui en construire une autre, illusoire et uchronique, « an-tidialectique », qui nous raconte la légende des oppositions entre diversesantinomies factices : ouest et est, liberté et tyrannie, démocratie et théo-cratie, civilisation et barbarie, etc. Cette histoire en mode impérial bienentendu est fausse, « spectaculaire » ; elle n’a été inventée que pour nous« endormir », pour masquer la vraie, la seule, celle qui est en venue depuisle commencement, depuis l’ouverture de la piste temporelle christique,celle qui raconte elle aussi une rivalité, une confrontation – mais non, cettefois-ci, entre empires, entre puissances, mais entre (principe de) puissanceet (principe de) non-puissance : entre Empire et Royaume. L’intérêt finalde la victoire de l’avatar impérial américain sur les autres avatars (nazi, so-viétique), c’est qu’elle a rendu les choses plus claires : elle a fait venir aper-tement l’histoire réelle de ce monde en la débarrassant de tous sesfaux-semblants (malgré les diverses mises en scène et autres « spectacles »,personne ne peut croire sérieusement que le terrorisme islamique consti-tue une menace pour la puissance impériale américaine) pour lui faireépouser sa seule figure vraie, sa figure apocalyptique – celle de l’affronte-ment terminal entre Empire et Royaume.

Il est donc extrêmement tentant, suivant la règle qui veut que tout cequi était au commencement se retrouve à la fin, d’établir un strict paral-lèle entre la situation du monde contemporain et celle qui régnait au débutde notre ère, au commencement de la piste temporelle ouverte par la Ré-vélation. « L’Empire n’a (donc) jamais pris fin » (Dick), il a seulementchangé de nom : de romain il est devenu américain ; il y a toujours uneGrèce divisée, sous protectorat, avec sa pensée philosophique – l’Europeet sa « phénoménologie », ultime avatar de l’ontologie née en Grèce ; enfin,dans la même province, lointaine, excentrée (mais en réalité, pour notrehistoire, bel et bien centrale) du néo-empire romano-américain, il y a denouveau, après dix-neuf siècles d’exil, des juifs, et, conséquemment, dufait de ces juifs, il y a de nouveau d’incessants troubles, révoltes et autresguerres larvées : c’est le conflit israélo-palestinien (israélo-arabe). Le paral-lèle est, on le voit, impeccable ; sauf que, bien entendu, et dans l’intervallede ces dix-neuf siècles, ce qui était seulement en essence dans l’origine –celle de notre piste temporelle – est devenu, avec les siècles, apertement

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visible, pratique. Pour que la correspondance s’actualise parfaitement, de-vienne effective, il ne manque plus qu’un (nouveau) Crucifié – et c’estbien en cela que la situation est apocalyptique : le décor est planté pour leretour (mais cette fois-ci « glorieux ») de Celui-ci, pour l’Avènement de« son » Royaume, qui aura donc pour capitale (à nouveau) Jérusalem, maisune Jérusalem « descendue », « céleste » – cet Avènement coïncidant avecla vraie « fin de l’histoire », c’est-à-dire la fermeture de la piste temporelleinaugurée par la Crucifixion : le temps pourra de nouveau uchronique-ment diverger ; il y aura « un autre ciel et une autre terre » – il y a aurapossibilité pour une autre histoire qui excède les limites de cet ouvrage ;pour une autre fiction, une autre uchronie (la formule terminale de Ki-pling vaut pour toutes les « histoires », celles des contes comme celles desâges). L’histoire qui est donc racontée ici trouve sa fin lorsqu’une cruci-fixion est devenue cruci-fiction ; et c’est le typique retournement dickienqui veut qu’à la fin un roman apparaisse à tous comme un rapport, saufqu’ici, bien sûr, il y a retournement du retournement : l’histoire, le rap-port, se fait roman, de telle manière qu’il y ait place pour, après sa fin, une« autre histoire ». L’ouverture, en mode uchronique, d’une autre piste tem-porelle – inédite et inconcevable pour cette piste-ci – ne peut se faire quesi l’histoire qui la précède a avoué, a rendu visible son être de fiction, aveuqui lui permet de réintégrer, en mode mythologique, l’immémorial sur le-quel, le temps d’une « histoire », elle s’était détachée.

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Nous n’en sommes évidemment pas encore là : nous sommes, nous,engagés dans une histoire, et le seul moyen de la pousser à bout (pour ensortir) c’est, paradoxalement, de la reprendre depuis le début, afin que cedébut soit enfin un commencement – c’est, avons-nous dit, l’objet de cetouvrage. Mais par où au juste commencer/débuter ? Peut-être, à nouveau,par un tableau, une peinture ; de la même manière que l’Art de la peinturede Vermeer avait inauguré la rédaction de L’Europe et la Profondeur (et leBaptême du Christ de Piero della Francesca celle du Traité du Même), ici,pour ce troisième livre, une icône, celle d’Andreï Roublev représentant lasainte Trinité au moment où est prise la décision de l’Incarnation par les« trois-en-un » représentés par l’artiste russe en la figure de ces trois anges,admirables de grâce et de beauté – la décision de la kénose christique. Eten effet, pour le coup, c’est bien à cet instant en-dehors du temps que toutcommence : la fiction se fait histoire, la vérité consent à n’être plus que réa-lité. Par là débute notre histoire, et celle du Royaume dont cette histoiren’est que l’histoire de l’Avènement. Par là aussi s’inaugure le videment dudieu : du baptême du Christ à sa Crucifixion, l’histoire que nous content

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les Évangiles est essentiellement une histoire d’eau et de sang – l’histoired’un écoulement qui devient celui-là même du temps tel que l’inaugurela kénose. Ce dieu qui se vide est une fiction qui s’écoule, donnant par lànaissance à une histoire, celle qui commence au pied de la Croix : la Cru-cifixion est donc bien le début par lequel s’inaugure, dans la coulée dutemps, une Crucifiction. Le moment représenté par l’icône de Roublev estcelui où cesse, dans la décision des « trois-en-un », la suspension en-de-hors de tout temps et de tout espace de la Crucifiction pour « descendre »,se vider en une Crucifixion : c’est aussi le moment où commence la riva-lité Empire/Royaume – le Royaume voulant (étant) cette descente, et l’Em-pire s’y opposant, préférant que l’histoire ne commence pas, que laCrucifixion demeure en sa suspension de Crucifiction : l’essence de l’Em-pire réside en cet « anti-kénosisme », en ce refus de la coulée du Ciel surla Terre via le dieu qui se vide et, en ce videment, inaugure l’histoire (quin’est que l’histoire de ce videment, de cet écoulement de sa divinité – sil’Empire n’aime pas l’histoire, la redoute, c’est bien parce qu’il discerne,reconnaît en son flux cet écoulement même : le videment du dieu, auquel,de toute éternité, il est opposé ; l’Empire aurait préféré que rien ne com-mence, que rien ne descende ni ne se vide, et c’est pourquoi, tel le Pilatede Grosjean, son représentant à Jérusalem, il vit toutes choses au condi-tionnel : « On devrait… On pourrait »). L’Empire illustre ce que Nietz-sche appelait le ressentiment contre le temps et son « ce fut » : il regrettela perte de l’éternité, de ce « temps d’avant le temps », lorsque rien encoren’avait commencé, ne s’était écoulé. Il déplore que le dieu se soit ainsi vidé.

Pour quelle raison ? Peut-être pour la même que celle qui fait dans unpremier temps refuser à Simon-Pierre le lavement de ses pieds par Jésus :l’honneur du dieu ; un dieu ne doit pas s’abaisser ainsi, se vider de toutedignité (celle de dieu puis celle d’homme). La réaction de Pierre, à cet ins-tant, est typiquement impériale, ce qui peut expliquer aussi que ses suc-cesseurs sur le « trône de Pierre » flirteront avec le rêve de ceindre à leurtour la pourpre des Césars – la capitale de l’Église « romaine » est aussil’ancienne capitale de l’Empire. C’est cette mécompréhension de la kénose,illustrée par Pierre lors de l’épisode du lavement des pieds, qui fait le fondsde tout sentiment impérial – celui de l’honneur, à commencer par l’hon-neur du dieu dont l’abaissement est incompréhensible à l’entendement del’apôtre. Celui-ci, après avoir refusé le lavement des pieds, tombe dans unesurenchère qui, elle aussi, est d’essence impériale : il voudrait être lavé en-tièrement (« les mains et la tête ») – ayant pris acte, contraint et forcé parle dieu lui-même, du videment de ce dieu, il voudrait alors que ce vide-ment se fasse en une seule coulée, désir qui témoigne du typique refus im-périal de l’histoire, de ses nécessaires durée, devenir et advenir (qui sont

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ceux-là mêmes du Royaume). L’Empire préfèrerait que rien n’arrive, rienn’advienne, mais, si cela doit malgré tout arriver, alors il veut que cela ad-vienne le plus rapidement possible, que tout soit consommé en un ins-tant, celui d’un présent suspendu qui le rétablit en l’éternité dont il estnostalgique. Cette nostalgie d’une éternité perdue explique la posture im-périale vis-à-vis du temps, y compris celle en mode sexuel : l’homosexua-lité que, dans L’Europe et la Profondeur, nous avons pointée comme le refusde l’enfoncement dans la profondeur temporelle (ce n’est donc pas un ha-sard si tant d’homosexuels sont nostalgiques de… l’Empire romain, dumoins s’intéressent fortement à son histoire). Elle peut expliquer bien descomportements impériaux modernes, à commencer par ce « présent éter-nel » dont rêve le Spectacle, illusion impériale par excellence, illusion gé-nérée par cet Empire même pour se maintenir au pouvoir, main-tenir quin’est rien d’autre que le re-tenir du dieu s’en allant : après avoir tenté des’opposer à son videment, il cherche à contrecarrer son départ, la dissolu-tion dans le devenir historique de toute présence-vraie. Tel est tout em-pire : aspirant à la stabilité, la sienne d’abord, celle de son pouvoir, maisaussi celle de l’étant en son entier : « Qu’ils ne bougent plus… Qu’ils res-tent là » (Céline). L’Empire ne prétend pas faire l’histoire, seulement l’ad-ministrer.

* * *

Le temps nouveau induit par la kénose christique est celui-là même,moderne, torrentueux, de ce que, dans L’Europe et la Profondeur, nousavons appelé la « fuite des essences » – il est celui de la « régression » ubi-kienne, celui d’un solve succédant immédiatement au coagula de la Cru-cifixion : « les noms, depuis le Christ, se sont fait rêves » (Hölderlin). Noussommes désormais plongés tout entiers dans le flux de ce solve, en quelquesorte baptisés par lui : baptisés dans l’eau et le sang jaillis du flanc du dieuqui se vide. Le flux temporel moderne est le flux de ce solve, et, dès lors,« il fuit comme du sang ». À la guise nouvelle de l’être inaugurée par le co-agula de la Crucifixion – l’être en tant qu’amour – correspond donc, lo-giquement, le flux sanglant de son solve : le temps moderne, désormais, nesera plus que cet écoulement du sang du dieu qui se vide, écoulement quiprend source dans le sacrifice suprême, stade ultime de la kénose, du Christsur la Croix. L’histoire du Christ est donc aussi l’histoire d’un changementde l’eau en sang, telles les eaux du Nil où Moïse jette son bâton, préfigu-ration dès lors du bois de la Croix – et aussi bien celle d’un changementde l’eau en vin : miracle de Cana qui inaugure la vie publique du Christ.C’est pourquoi les Évangiles sont bornés par deux scènes à l’évidente conno-tation hydraulique : en amont, le Baptême du Christ où le dieu est bap-

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tisé dans l’eau et qui correspond au stade premier de la kénose (le vidementde sa divinité attesté par la colombe de l’Esprit qui se manifeste à cet ins-tant), et, en aval, la Crucifixion, stade second de la kénose (videment parle dieu crucifié de son humanité) où, cette fois-ci, c’est le dieu qui baptisela future humanité dans son propre sang, sang dont l’écoulement est dèslors celui-là même du temps moderne. À ce titre, la légende médiévale duGraal, le vase où fut recueilli ce sang, et donc momentanément stoppé sonécoulement, permet d’expliquer pourquoi le Moyen Âge est encore unesuspension époquale, et donc pourquoi il dispose encore d’un espace-tempsoù quelque chose comme une « histoire », une « fiction », peut être racon-tée – celle-là même de la quête du Graal, dernier objet sacré dans le monde,mais dernier objet s’opposant, par son recueillement même, à l’écoule-ment du sang du dieu qui se vide. Sitôt que le Graal quitte le monde(1648), « réintègre le centre », cet écoulement peut reprendre, le tempsmoderne se déployer : le Moyen Âge est achevé. C’est le commencementdes temps proprement « modernes », c’est-à-dire apocalyptiques où rienne peut plus s’opposer à l’écoulement du sang/temps divin, où tout l’ef-fort de la science qui naît à cette même époque va consister en un travaild’arpentage, de mesure de cet écoulement. Il est extrêmement troublantde constater que cette première partie du xviie siècle – qui s’achève doncen 1648, date des traités de Westphalie (fin de la guerre de Trente ans enAllemagne et destruction du « Saint Empire ») – contient deux événementsqui sont en rapport avec la reprise de cet écoulement temporello-sanglant :le premier littéraire, la publication du Don Quichotte, et le second philo-sophique avec l’invention par Descartes – précisément en Allemagne et aucours de cette guerre de Trente ans à laquelle il participait – du cogito, quin’est rien d’autre que l’envoi de la guise technique de l’être, c’est-à-direcelle adverse de la guise du dieu qui se vide (de son sang). Ces trois évé-nements – départ du Graal, publication du Don Quichotte, invention ducogito – sont bien sûr les trois facettes (ésotérique, littéraire, philosophique)du même événement de la reprise de l’écoulement sanglant du temps inau-guré par la Crucifixion, et qu’avait « un temps » suspendu l’« épochè » mé-diévale. Le rapport entre la disparition du Graal et le personnage de donQuichotte a été longuement analysé dans L’Europe et la Profondeur, oùnous avons montré que c’est parce que le Graal a quitté le monde (ou estsur le point de le faire) que le personnage de Cervantès est comique ; sinonil serait sublime, un autre Perceval. Le comique du chevalier à la triste fi-gure procède du fait qu’il se met en route dans un monde ontologique-ment désenchanté (sa folie consistant à vouloir à toutes forces le ré-enchanter,que les moulins soient encore des géants et les prostituées de « noblesdames ») par le départ même du dernier objet sacré que recélait ce monde(le sous-titre secret du chef-d’œuvre de Cervantès pourrait être : « l’oubli

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du Graal ») – dans un monde où le temps moderne, un moment suspendupar la présence en lui du Graal, a (re)commencé de s’écouler « comme dusang », celui du dieu qui se vide. Toute la saveur du roman de Cervantèsréside en l’opposition incessante, source de tout comique, entre les deuxmondes, les deux écoulements temporels – le sanglant et le graalique, ledésenchanté et l’enchanté, le prosaïque et le merveilleux, le moderne et lemédiéval, ce dernier ne s’écoulant plus que dans l’imagination du cheva-lier errant ; don Quichotte est à lui tout seul une vivante uchronie : seulde son espèce (et de son époque), il vit dans un autre univers parallèle, uneautre fiction, celle-là même qu’avait illustrée le Moyen Âge, celle-là mêmequi nous était racontée dans les romans « bretons » de chevalerie. MaisDescartes ? Quel rapport entretient-il avec le chevalier de Cervantès et, parextension, avec le Graal ? Il n’est certes plus un chevalier, mais il est encoreun soldat, un « cavalier français » dira Valéry, un « héros » affirmera Hegel.Il est certes plus « moderne » que don Quichotte (il a pris acte, lui, du dés-enchantement du monde, c’est-à-dire de la reprise de l’écoulement san-glant du temps, c’est-à-dire encore du départ du Graal), et pourtant ilpartage un trait commun avec le chevalier : il cherche lui aussi à s’oppo-ser, en mode cette fois-ci philosophique, à la reprise de cet écoulement.De quelle manière ? Tout simplement en pro-posant à l’humanité « mo-derne » un Graal de remplacement, un Graal philosophique : le cogito,envoi de la guise technique de l’être. Au recueillement en mode pieux etmédiéval de l’écoulement du sang/temps christique succède un recueille-ment, en mode philosophique et moderne, de ce même sang/temps, maiscette fois-ci sous la guise a minima de la calculabilité de ce temps quis’écoule, de ce sang dont se vide le dieu crucifié – traduit spatialement : lacalculabilité de l’éloignement de ce dieu qui se retire. Il viendra peut-êtreun temps où le « héros » Descartes sera regardé comme un autre don Qui-chotte : à la fois sublime et ridicule ; pour l’instant, parce que la guise del’être qu’il a fondée dans le cogito est encore dominante, il n’est que su-blime. Il nous fait prendre des centrales hydro-électriques pour des géantsen nous faisant prendre le fleuve qui entraîne leurs turbines pour un nom-bre. Le « désenchantement du monde » qu’induit sa Mathesis universalisest encore un (mauvais) enchantement de ce monde même. En posant que« ces moulins sont des géants » (l’être du moulin c’est le géant), don Qui-chotte, après tout, « envoyait » lui aussi, en mode non-philosophique, pra-tique et « chevaleresque », une guise particulière de l’être, une guise« merveilleuse ». Guise qui, si l’on y réfléchit, n’est pas moins sérieusequ’une autre, pas moins en tout cas que celle de Descartes – une époqueentière, celle médiévale, a pu envisager sans rire que l’être du moulin c’estle géant, ou, pour remonter plus loin dans l’histoire, que l’être de la fou-dre c’est la colère d’un dieu; cette guise ne devient ridicule que parce qu’elle

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a fait son temps et que, au moment où le chevalier se décide à partir sur leschemins, elle est devenue obsolète parce que frappée de cela qui discréditeà tout jamais les divers noms de l’être : le kitsch (historique). C’est pour-quoi, dans L’Europe et la Profondeur, nous avons tout de suite affirmé que« l’erreur » don quichottesque consistait, non pas à avoir lu trop de ro-mans de chevalerie, mais bien à n’avoir lu que de mauvais romans de che-valerie, des ouvrages kitsch avant même d’avoir été écrits, parce qu’ayanttoujours déjà oublié l’origine du genre pour n’en garder que les formes,désormais vides de toute substance (littéraire) vraie, devenues clichés, cequi est la définition même, au moins pour la littérature, du kitsch (et donQuichotte, remarquions-nous dans L’Europe et la Profondeur, n’a pas luChrétien de Troyes).

Cet écoulement « sanglant » du temps depuis la Crucifixion, écoule-ment que tente de recueillir, en mode pieux et médiéval, la fiction du Graal,et en mode impie et moderne la « fiction » du cogito, est bien sûr lié àl’envoi de la guise nouvelle de l’être au moment de cette même Cruci-fixion, stade second de la kénose du dieu qui se vide : la dernière philoso-phie a établi, sous l’influence justement de la « bonne nouvelle » de laRévélation, mais sans savoir encore qu’elle se déployait sous cette influence(à son ombre), la nécessaire corrélation entre « être et temps ». Dans l’ou-vrage éponyme, Heidegger a montré que ces deux notions, contrairementà tout ce qu’avait posé et présupposé la philosophie antique, n’étaient nul-lement antinomiques, qu’elles étaient plutôt les deux facettes d’un mêmeÉvénement plus originel (qu’il appelle, lui, justement « Ereignis ») : le tempsn’est que « la dimension où advient la vérité de l’être » ; ou, pour le direautrement, et comme le philosophe de Fribourg le faisait lui-même remar-quer, dans le titre Être et Temps, le mot important n’est ni « être » ni « temps »,mais « et ». Malheureusement pour lui, Heidegger n’a jamais songé qu’unetelle pensée n’avait pu lui (ad)venir que parce que, dans l’intervalle entrelui et les Grecs, il y avait eu « l’Événement » de la Révélation. C’est parcequ’il se situe sur la piste ontologico-temporelle ouverte par cette Révéla-tion (par la Crucifixion et sa « bonne nouvelle ») – peut-être aussi parceque, biographiquement, il pro-vient de la théologie catholique – qu’il peuttisser le fil de ce « et » entre « être » et « temps » ; et peut-être plus encore :le tissage de ce fil, l’établissement philosophique de la corrélation entreêtre et temps, n’est possible que sur cette piste-là, uchronico-christique.Ce qui revient aussi à dire que l’affirmation « le temps est la dimensionoù advient la vérité de l’être » n’est vraie que pour « l’univers parallèle » oùa eu lieu la Crucifixion, n’est vraie que pour la piste uchronique ouvertepar la Révélation. Partout ailleurs, dans un ailleurs qui, il est vrai, ne nousconcerne pas, vers lequel il nous est impossible de diverger tant que cette

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piste-là, cet univers parallèle n’auront pas été refermés, elle demeure fausse :être et temps continuent de s’y opposer, vérité en deçà de ces Pyrénéesuchroniques que constitue, « soulève » l’Événement de la Révélation. Letitre heideggerien d’Être et Temps est un titre (inconsciemment) pétri dechristianisme : il n’est lisible, « compréhensible », que dans un monde oùnon seulement la Crucifixion a eu lieu, mais où aussi sa (bonne) nouvelles’est partout propagée ; et, entre autres significations profondes, l’appari-tion de quelque chose comme une « pensée Heidegger » dit que cette pro-pagation n’est pas loin de toucher à son terme, sur le mode spatial d’uneuniversalisation du message évangélique, sur le mode temporel de l’Apo-calypse, qui est justement le moment où être et temps coïncident parfai-tement, s’identifient – l’être c’est le temps. Le temps n’est même plus le« pré-nom » (le « mot » dirait Dick) de l’être ; il est son nom.

Mais quel temps au juste, et quel être ? Ceux, bien sûr, de l’écoulement« sanglant » du dieu qui se vide et du kamour « envoyé » par ce même dieucrucifié au moment de Sa Crucifixion : au temps « sanglant » qu’inaugurecette Crucifixion correspond la guise de l’être qui se « destine » à partir dece même moment – le sacrifice suprême du dieu sur la Croix, la « consom-mation » de son videment second. Le sang (le temps) du dieu qui se vide(du dieu percé par la lance graalique) est bien la dimension où advient lavérité de l’être en tant que le kamour. Ce sang (ce temps) coule et s’é-couletant que cette « vérité » n’est pas ad-venue, tant que le kamour n’a pas ins-tauré son règne, qui est celui-là même d’un Royaume toujours (encore)en venue. Tel est le temps « sanglant » ouvert par la Révélation : il s’écoule« comme un torrent » tant que la plaie n’a pas été refermée, tant que l’ori-gine n’est pas re-venue en la figure d’un Retour glorieux du Crucifié – tantqu’elle n’est pas ad-venue dans l’instauration du Royaume. C’est pourquoi« le Christ est en agonie jusqu’à la fin (du) temps », puisque ce temps n’estrien d’autre que l’écoulement de son sang, du sang d’un agonisant sur laCroix. Le vrai titre du livre de Heidegger est donc Être et Sang, mais cetitre ne deviendra é-vident que lorsque ce sang aura fini de couler, quelorsque le dieu aura fini de se vider. Dans cette perspective, la posture im-périale consiste à tenter d’empêcher la coulée de cet é-coulement sanglantpar le biais d’un recueillement de ce sang, de ce temps, dans le Graal phi-losophique du cogito – consiste à tenter d’empêcher l’histoire, la fictionqui commence à la crucifiction, d’advenir en la figure de l’instauration duRoyaume. Le titre de notre présent ouvrage est donc encore une traduc-tion, après celle d’Être et Sang, du titre heideggerien. L’Empire est bien sûrtoujours « plutôt » du côté de l’être, et le Royaume « plutôt » du côté dutemps, du sang, puisque le temps, le sang « travaillent » pour lui, et quele temps de l’Empire n’est que l’intervalle par où s’instaure le règne du

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Royaume – l’intervalle entre l’ouverture et la fermeture d’une plaie par oùle dieu se vide. Le « et » qui unit « être » et « temps » (« être » et « sang »)est donc le même que celui qui corrèle Empire et Royaume : tous deux ex-priment une secrète correspondance entre deux notions en apparence hos-tiles et antinomiques, une secrète communication au sens hydraulique des« vases communicants ». « Il faut que je me vide pour qu’il se remplisse »,aurait pu dire tout aussi bien le (lui aussi) très « hydraulique » Jean-Bap-tiste. Le « crime » de l’Empire, bien entendu, c’est de ne jamais concevoirson temps comme un intervalle, certes nécessaire mais sûrement pas éter-nel ; et de vouloir le faire perdurer indéfiniment, quitte à mettre tout l’étanten stock, rêve secret de la Technique et de sa guise d’être – où l’on retrouvele « crime » grec analysé dans L’Europe et la Profondeur : celui de vouloir« durer », et par là de tomber dans la démesure « grecque » d’un « être »s’arc-boutant contre le « temps » (« être » objet et origine de la philoso-phie dite « grecque », c’est-à-dire de la philosophie tout court, y comprisjusqu’à Heidegger et son « retour à la question [du sens] de l’être »). A cecrime « grec » et impérial (illustré notamment par la prétention d’un cer-tain Reich, néo-païen et apostasique, à « durer mille ans ») répond biensûr la « faute » juive et « royaumaire » d’une autre démesure : celle qui vou-drait au contraire accélérer l’écoulement de ce temps, de ce sang, afin defaire advenir plus vite le Royaume – c’est l’hérésie « soviétique » qui finitpar transformer ce royaume prématurément advenu en un avatar de l’ad-versaire impérial.

* * *

L’histoire du xxe siècle fut essentiellement celle de l’affrontement entretrois empires aspirant tous trois, plus ou moins explicitement, à la domi-nation sans partage du monde : l’hitlérien, le stalinien et l’américain (« l’oc-cidental »), ce dernier l’ayant finalement emporté sous la figure économistedu néo-libéralisme. Bien que se combattant les uns les autres, ces empiresavaient au moins un trait commun : ils illustraient tous trois la guise tech-nique de l’être, se battant entre eux à coup d’innovations elles-mêmes tech-niques (bombe atomique américaine, fusées V2 allemandes, spoutniksoviétique) ; et il est probable que les défaites de l’empire hitlérien puis decelui soviétique furent dues en partie à leur incapacité à suivre le train decette incessante surenchère technique : l’Allemagne n’eut pas le temps demettre au point ses « armes nouvelles », l’Union soviétique perdit la courseà l’espace et, à partir d’un moment, devint incapable de seulement maî-triser le dispositif technique qu’elle avait mis en place (catastrophe deTchernobyl). L’empire américain l’emporta parce que, probablement, ilillustrait le mieux cette guise technique de l’être – illustration en mode

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scientifique mais aussi en mode économique : nous avons montré que lenéo-libéralisme et son devenir-prix, son devenir-étiquette (code-barre) detout étant (et conjointement son devenir-salarié de tout individu) corres-pondait parfaitement au devenir-nombre qu’est en son essence ce modetrès particulier du dévoilement : ce que dans les années 1960 on appelaitla « réification ». À cette facette économique de la guise impériale de l’êtrecorrespond, en mode politique, le triomphe quasi-universel du système(dit) « démocratique » : partout où l’Empire et son néo-libéralisme l’ontemporté, ils ont introduit/imposé la démocratie, « le pire des systèmes àl’exception de tous les autres » disait Churchill. L’analyse de cette démo-cratie comme vitrine du pouvoir étatique-impérial (la « démocratie spec-taculaire » d’un Debord) a déjà été faite dans L’Europe et la Profondeur : enun tel système le « peuple », non seulement n’a jamais eu aucun « pou-voir » de décision politique, mais, à mesure que s’impose toujours plusprofondément le règne du néo-libéralisme, il perd même, sous la figuredu « consommateur », tout pouvoir de décision économique – ce sont dés-ormais les « décideurs » de l’économie qui « décident » de ce que va aimerou ne pas aimer (ou ne plus aimer) le peuple. De plus en plus souvent,pour les intérêts de l’économie, sont introduits sur le marché des objetsou des services absolument inutiles, ou du moins que personne, dans au-cune enquête de marketing, n’avait demandés ; et inversement, d’autres,dont l’utilité était, elle, avérée, en sont mystérieusement retirés – la publi-cité sert essentiellement à faire passer dans l’opinion de tels tours de passe-passe ; la science du marketing est devenue celle d’un anti-marketing :« Comment faire acheter aux gens une chose dont a priori ils ne veulentpas ? » La démocratie, qui n’a jamais existé politiquement (le « citoyen »)a même, donc, perdu toute réalité économique : le consommateur est luiaussi, désormais, « aux ordres ». L’Empire a pris au mot, et beaucoup plusefficacement que les anciens totalitarismes, la remarque humoristique deBrecht : il a bel et bien « dissous » le peuple – en transformant dans unpremier temps le citoyen en consommateur, puis en dissolvant cette ul-time figure ; tel est le coagula et solve très spécial du pouvoir impérial detype moderne. Et cette dissolution du peuple rejoint le devenir-nombrede tout l’étant illustré par la guise impériale de l’être : l’individu lui-même,pour reprendre les termes du In Girum de Debord, « n’est plus qu’un chif-fre dans des graphiques dressés par des imbéciles ».

On peut dès lors se demander pourquoi l’Empire s’obstine à mainte-nir une telle « illusion démocratique », pourquoi il continue d’appeler « ci-toyens », voire « consommateurs », ceux qui ne sont plus que desesclaves-spectateurs ? Pour d’évidentes raisons stratégiques d’abord : lesmots de « citoyen » et de « consommateurs » (de « clients ») appartiennent

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à l’attirail de sa propagande/publicité. L’Empire ne peut se permettre (en-core) d’apparaître pour ce qu’il est, un empire justement ; il lui faut en-core biaiser et (se) dissimuler derrière la vitrine démocratique. L’Empirese sait secrètement une dictature ; mais, dans la mesure où son règne n’estque l’intervalle de l’instauration du Royaume, il se sait, encore plus secrè-tement, une usurpation ; d’où la nécessité pour lui de se dissimuler deuxfois, d’avoir deux vitrines : la démocratique pour le politique, l’économistepour l’ontologique – celle du citoyen et celle du consommateur pourtantpar lui « dissous ». Plus profondément, c’est-à-dire théologiquement, ceque doit à toutes forces dissimuler l’Empire, c’est la guise de l’être qu’il il-lustre, parce que cette révélation ultime signifierait immédiatement l’Avè-nement d’une autre guise, celle du kamour, l’instauration du Royaume.Plus l’Empire devient puissant, c’est-à-dire plus il va vers sa fin (le com-ble de sa puissance précédant immédiatement l’instauration du Royaume)et plus il est contraint à une telle dissimulation qui prend la forme d’une« grande parodie » : parodie de la démocratie (démocratie spectaculaire),parodie d’un âge d’abondance (la « société de consommation »), parodiemême de la vertu théologale de charité (« droits de l’homme » et organi-sations caritatives) ; tous masques qui, probablement, culmineront en uneultime parodie de forme, elle, théologique : il y a aura de nouveau une re-ligion impériale officielle placée sous les auspices du « politiquement cor-rect », religion qui coïncidera avec le règne de l’Antéchrist. L’instaurationdu Royaume qui lui succédera immédiatement consistera dès lors en lesimple rétablissement de toute chose en son essence vraie : il y aura unedémocratie, une abondance et une charité vraies qui feront venir les men-songes impériaux les ayant directement précédées comme les hommagesdu vice à la vertu. La subversion sans violence du Royaume opérera sur lemode d’une prise au mot des slogans impériaux : elle réalisera pratique-ment ce que l’Empire, pour maintenir son pouvoir d’illusion, avait crubon de parodier. Les différents exergues des chapitres d’Ubik préfigurent,en mode publicitaire, une telle subversion royaumaire : surgit tout à la finde leur succession de messages dérisoires l’auto-proclamation du logos ubi-kien (« Je suis Ubik, j’ai fait les mondes… »). Ubik est bien le « mot » du« nom », le pré-nom de l’être en tant que le kamour, mot, prénom qui nesont pas encore « le nom » parce que se ressentant de la traversée de toutl’espace du mensonge publicitaire impérial : le mot « Ubik » est la néces-saire transition sémantique entre l’illusion secrétée par l’Empire et la vé-rité du Royaume. Il dit le moment d’un retournement, d’une con-versionontologiques par lequel, tel un Janus Bifrons, la face claire de la guise del’être en voyage depuis l’Événement de la Crucifixion revient vers nous,dissipant ainsi toute ténèbre, et, en cette révélation, faisant venir sa guiseadverse (technique, impériale) pour ce qu’elle était en réalité et qu’elle s’ef-

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forçait à toutes forces de dissimuler : son « négatif photographique ». C’estpourquoi, de ce côté-ci des apparences, de ce côté-ci du miroir science-fictif que nous tend le roman de Dick, Ubik n’est que le nom d’un banalatomiseur ; de l’autre côté, il est l’Eucharistie, la présence-vraie du dieuqui, à l’origine, s’est vidé pour nous sauver.

* * *

Le coup de génie de Hobbes est de fonder son analyse des sociétés hu-maines, non sur l’égoïsme (le fameux « intérêt bien compris » des écono-mistes à la Ricardo) de chaque individu, mais sur un trait beaucoup pluspuissant et profond : son narcissisme, source de toute vanité et présomp-tion. Dans Enquête sur la démocratie, Pierre Manent commente ainsi cettedécisive avancée :

Par nature, chacun de nous se croit le roi du monde, est emporté par laprésomption et la vaine gloire, et est disposé à prendre tous les risques pour êtrele premier dans cette course qu’est la vie. Seul le « Dieu mortel » qu’est Lévia-than – l’État souverain – peut tenir en respect cette folie qui nous possède, etnous faire effectivement peur […]

La « guerre de tous contre tous » est en réalité la guerre de chaque nar-cissisme contre celui de son voisin, chacun essayant d’imposer à l’autrel’image flatteuse qu’il a de lui-même, quitte à recourir aux moyens les plus« persuasifs », c’est-à-dire les plus violents, source de tous les désordres de-puis qu’il y a des sociétés (et il y en a toujours eu). La notion de narcis-sisme excède donc toute catégorie psychologisante; elle est un trait constitutifde l’être humain. Il n’est pas sûr que les hommes s’aiment eux-mêmes, maistoujours ils aiment l’image d’eux-mêmes qu’ils se sont façonnée, image àleurs yeux si précieuse, si vitale, qu’ils sont prêts à lui sacrifier leur viemême, « à prendre tous les risques » comme le note Pierre Manent qui,dès lors, peut pointer le « caractère paradoxal » du système hobbesien : leLéviathan prétend combattre cette passion, cette « folie » narcissique parune autre passion, celle de la peur de la mort ; mais celle-ci apparaît biendésarmée devant le narcissisme et sa « folle » vanité qui, nous venons dele voir, sont, de toutes les passions, celles qui redoutent le moins la mort.Aussi, ce Léviathan moderne qu’est l’Empire n’a pas suivi exactement lesconsignes de Hobbes, même s’il en a retenu la leçon. Plutôt que de tenterde combattre par la peur l’universelle folie narcissique, il a préféré, en laflattant habilement, s’en faire une arme et un argument. Tel est en parti-culier le sens des mille « spectacles » (médiatiques ou politico-médiatiques)organisés par l’Empire et qui, tous, semblent illustrer la prophétie warho-

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lienne voulant que « dans l’avenir, chacun sera célèbre un quart-d’heure »,ce quart-d’heure constituant une sorte de « minimum garanti » du narcis-sisme. Analysant dans le Traité du Même certaines émissions de télévision,nous avons notamment montré comment le Spectacle parvenait à réaliserce tour de force : satisfaire le narcissisme d’un individu (au moins pendant« un quart-d’heure ») tout en faisant que cette satisfaction ne porte pasombrage au narcissisme de tous les autres, de tous les « spectateurs » decette épiphanie narcissique – en faisant que cet « instant » soit aussi le mo-ment pour l’individu ainsi « glorifié » d’un abaissement, d’une chute del’être-moyen dans l’être-vulgaire et son auto-complaisance : l’être-médio-cre (processus qui explique l’émergence et la prédominance aux temps im-périaux de la figure du « pitre », forme moderne de l’ancien bouffon). Orcette folie narcissique et son « traitement » constituent encore une pierred’achoppement entre l’Empire et le Royaume : tandis que le premier, pourasseoir toujours mieux son pouvoir, la multiplie universellement, le se-cond la guérit.

De quelle manière ? Par l’exemple bien sûr du dieu lui-même qui, danssa kénose, se vide et s’abaisse lui aussi, quoique d’une façon toute différentede l’abaissement médiatico-impérial ; en ce sens, l’épisode analysé plushaut du lavement des pieds constitue une leçon donnée par le Christ lui-même d’anti-narcissisme : si le plus haut, le « Maître et Seigneur », peutainsi s’abaisser si bas, ne pouvons-nous accepter, à notre tour, que notrebelle image ne soit un peu ébréchée ? Cependant, cet anti-narcissisme n’estqu’une première étape dans la guérison de l’universelle folie narcissique :le Christ sait bien que cet anti-narcissisme peut constituer l’ultime argu-ment du narcissisme, sous la forme bien connue, notamment dans les mi-lieux « chrétiens », d’une humilité orgueilleuse – certes on s’abaisse, maisen tirant vanité de cet abaissement. La véritable guérison du narcissismen’a lieu que lorsque nous cessons d’aimer l’image que nous avons façon-née de nous-mêmes pour nous mettre à nous aimer nous-mêmes ; car, ence transfert d’amour, en cette traversée du courtisan miroir narcissique,nous réalisons tout à coup que cette folie narcissique qui nous tenait (cetteuniverselle névrose) n’était que l’effet de la haine secrète que nous nousvouions à nous-mêmes, et d’abord à notre être-moyen, dé-chu, et humi-lié par cette chute même. Le « salut » qu’opère la venue du « Sauveur »dans le monde consiste aussi en cette réconciliation de chacun avec soi-même : dès lors que nous sommes « sauvés », c’est-à-dire lavés de la souil-lure d’une honte originelle, nous sommes en même temps réconciliés avecnous-mêmes et pouvons à nouveau nous aimer sans honte, et donc nouspasser de la belle image de nous-mêmes que, dans le narcissisme, nousnous étions façonnée. Où l’on voit aussi la profonde ironie de la consigne

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«Le Royaume est ici mais nous n’en savons rien. Le Royaume est cet uniqueglobe d’azur sous la voûte duquel nous vivons et mourons, mais nous l’ignoronsencore. Nous n’avons pas pour le retrouver, à explorer cette roue d’astres quilentement se meut au-dessus de nos têtes, nous n’avons même pas à le construirecar il est là : toujours déjà donné, gracieusement accordé, d’aucun temps ni d’aucunpays mais pouvant partout surgir dès qu’un homme rencontre sa parole et dèsqu’une parole rencontre son lieu. Nous avons tous eu l’intuition de sa présence,mais jamais encore nous n’avons su l’aborder. Et quand, par malheur, nous préten-dions l’édifier, nous ne faisions qu’instituer l’Empire. Son rêve cependant, depuisle fond des âges, nous hante et nous inspire ; son désir nous accompagne durantl’errance et sous la tente étoilée : son rêve et son désir ont fait l’histoire. L’histoiren’est que la longue succession des tentatives des hommes pour conquérir le ciel,pour établir le Royaume dans l’ici et le maintenant. Chaque peuple à son tour s’estjeté dans cette aventure fabuleuse, chaque peuple à son tour a régné sur le mondeavant de décliner. Car le Royaume n’appartient à personne, il ne peut être conquisni par la violence, ni par la sagesse ; il ne peut être que donné ou perdu, accordéou repris. Le Royaume n’est aucune utopie. L’erreur de l’utopie n’est pas d’avoirvoulu combattre le malheur mais d’avoir voulu l’exterminer. Ce faisant, elle l’arépandu partout, contaminant les sources même de la joie. Le malheur ne peutêtre supprimé car il est l’incompréhensible, la lumière secrète à laquelle fleurit ouse fane toute joie. Si le soleil chaque soir ne replongeait dans l’informe de la nuit,ne se ressourçait aux forces de chaos et de destruction, il ne pourrait jaillir à l’aubeaussi neuf et aussi radieux. Si la terre, à chaque crépuscule, ne se refermait sur sonantre de noirceur et d’épouvante, elle ne pourrait pousser au matin ses fleurséclatantes qui, elles aussi, sont filles de la nuit. C’est pourquoi le Royaume n’estpas le lieu de l’absence du malheur : il n’est aucune citadelle préservée dans le cielou sur la terre. Le Royaume est l’invisible plan où jouent, combattent et s’épousentdétresse et bonheur – l’ajointement secret de toute horreur et de toute merveille. »

Avec L’Empire et le Royaume se poursuit la méditation commencée dans L’Europeet la Profondeur et le Traité du Même, ouvrages parus aux éditions Loubatières en2007 et 2009. Un quatrième tome, Le Voyage des morts, est en préparation.

Pierre Le Coz est né en 1954. Ses premiers textes ont paru en 1993 dans la revue NRF. Il a publié depuis de nombreux livres – romans, récits de voyage,essais. Il est aussi l’auteur d’un ouvrage consacré à Vermeer : Vermeer ou l’action devoir (en collaboration avec P.E. Laroche, La Lettre volée, Bruxelles, 2007).

ISBN 978-2-86266-608-2

29 €

Illustration de couverture : Woman Reading a Letter, c.1662-63 (oil on canvas),

Vermeer, Jan (1632-1675) / Rijksmuseum, Amsterdam, The Netherlands / Bridgeman Giraudon

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