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Les acteurs de distribution des produits alimentaires dans les années 70 en Algérie L'Algérie n'ayant pas opté pour un socialisme de type soviétique ni pour un libéralisme de type occidental, il était tout à fait normal de retrouver à tous les niveaux de l'économie une certaine dualité. Dans le secteur commercial, nous retrouverons une situation inverse de celle qui prévalait dans l'industrie : l'Etat ne détient pas à lui seul les rênes de la distribution; il doit conjuguer avec un secteur privé important. C'est parce qu'il n'y a pas une unité d'action dans l'intervention de l'un et de l'autre secteur que l'Algérie connaîtra tant de difficultés sur le plan commercial qui toucheront aussi bien la disponibilité des produits que leurs prix excessifs. Cette situation n'est pas due aux seuls intervenants privés : les sociétés nationales auront, en la matière, bien des choses à se reprocher. Sachant que les dépenses des ménages algériens sont en grande partie consacrées à la consommation alimentaire nous nous intéresserons aux circuits de distribution des produits alimentaires. En 1974, il y avait en Algérie, coexistence de

Les acteurs de la distribution des produits alimentaires en Algérie dans les années 70

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Article repris dans "Les Annales de la distribution" Tome 1 2008, Ed. INC Alger

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Page 1: Les acteurs de la distribution des produits alimentaires en Algérie dans les années 70

Les acteurs de distribution des produits alimentaires

dans les années 70 en Algérie

L'Algérie n'ayant pas opté pour un socialisme de type soviétique ni pour un libéralisme

de type occidental, il était tout à fait normal de retrouver à tous les niveaux de l'économie une

certaine dualité. Dans le secteur commercial, nous retrouverons une situation inverse de celle

qui prévalait dans l'industrie : l'Etat ne détient pas à lui seul les rênes de la distribution; il doit

conjuguer avec un secteur privé important. C'est parce qu'il n'y a pas une unité d'action dans

l'intervention de l'un et de l'autre secteur que l'Algérie connaîtra tant de difficultés sur le plan

commercial qui toucheront aussi bien la disponibilité des produits que leurs prix excessifs.

Cette situation n'est pas due aux seuls intervenants privés : les sociétés nationales auront, en la

matière, bien des choses à se reprocher.

Sachant que les dépenses des ménages algériens sont en grande partie consacrées à la

consommation alimentaire nous nous intéresserons aux circuits de distribution des produits

alimentaires. En 1974, il y avait en Algérie, coexistence de trois formes de distribution : l’une

privée, l’autre étatique et la troisième coopérative. Dans la première catégorie de loin la plus

importante puisqu’elle assurait près de 90 % du chiffre d’affaire de la distribution, on retrou-

vait les grossistes et les détaillants, quelle que soit la forme que prenait leur commerce (ambu-

lants, dans un souk, dans un magasin...). Dans la seconde, on retrouvait toutes les sociétés na-

tionales et les offices créés pour prendre en charge les fonctions importantes de la distribution.

Ainsi va-t-on y dénombrer toutes les entreprises détentrices de monopoles d’approvisionne-

ment ou d’importation (comme 1’ONACO1 ou la SNSEMPAC2) ainsi qu’une entreprise, la

SNNGA, chargée de la gestion des supermarchés. La troisième catégorie intéresse unique-

ment les coopératives dont le rôle est lié à la commercialisation des fruits et légumes. Les co-

opératives de consommation en 1974 n’étaient pas encore suffisamment développées pour

jouer un rôle notable dans la distribution. 1 Office national de Commercialisation2 Société Nationale des SEMouleries, PAtes et Couscous

Page 2: Les acteurs de la distribution des produits alimentaires en Algérie dans les années 70

Toutefois, pour comprendre la situation qui prévalait dans les années 70, il faut remon-

ter le temps et s'intéresser au legs colonial et aux décisions qui furent prises dès les premières

années de l'indépendance.

L’héritage colonial

A l’image des autres secteurs de l’économie algérienne, la distribution était monopoli-

sée par les Français qui s’étaient partagé la meilleure part du gâteau, ne laissant que des bribes

de liberté d’action aux Algériens. Ces derniers s’étaient vus cantonnés dans le petit commerce

d’alimentation et le bazar et dans une moindre mesure celui du textile. Les autres secteurs de

gestion étaient le domaine exclusif des Français comme celui des biens d’équipement. Le sec-

teur tertiaire était caractérisé par un développement pléthorique, ce phénomène était le corol-

laire de la transformation des Européens en commerçants, et ce au fil des générations alors

qu’ils étaient à l’origine des agriculteurs. Ce secteur représentait en 1958, 47 % de la produc-

tion intérieure brute (soit 445 milliards de francs) contre 27 % pour l’industrie (soit 255 mil-

liards de francs) et 26 % pour l’agriculture (soit 240 milliards de francs) ceci rendait les cir-

cuits de distribution extrêmement allongés et les coûts plus élevés1.

Rien que pour le sucre il y avait plus de 600 importateurs pendant l’ère coloniale. Par

ailleurs, le marché algérien était segmenté de deux façons:

- Une segmentation horizontale qui avait trait aux marchés dominants dans les grandes

régions de l’Algérois, de l’Oranais et du Constantinois.

- Une segmentation verticale concernant le pouvoir d’achat des différentes couches de

la population. Ainsi dans la région du Constantinois, il y avait un marché limité à 800.000 ha-

bitants (ce qui représentait 20 % de la population pour moitié citadins et pour moitié ruraux et

dont le pouvoir d’achat était presque inexistant), un marché traditionnel, au pouvoir d’achat

faible, (concernant 65 % de la population, soit 2,5 millions d’habitants, pour 1/5 seulement de

1 A. NOUIRI, La planification des supermarchés jusqu’en 1984 et la définition d’un nouveau modèle de distribu-tion. Thèse de doctorat d’économie - Université de Montpellier I - 1985

Page 3: Les acteurs de la distribution des produits alimentaires en Algérie dans les années 70

citadins) et un marché dit évolué, réservé à la population européenne et à 10 % de la popula-

tion algérienne (soit 530.000 habitants), toutes deux urbanisées à 90 % 2

Les grandes surfaces n’étaient pas très développées et elles prenaient, la plupart du

temps, la forme de grands magasins, situés en plein centre-ville, sur trois ou quatre étages,

comme à Alger, Cran, Annaba et Constantine, ainsi que dans certaines localités telles que

Skikda, Sétif, Blida, Béjaïa et Mostaganem. La grande distribution se limitait à quelques en-

seignes : Monoprix, Les Galeries de France et les magasins Le Globe (Constantine et Skikda).

Ces grands magasins proposaient un très large assortiment, allant de l’alimentaire au

mobilier de luxe (chambres à coucher, ...), en passant par le textile et l’équipement de la per-

sonne. Ils disposaient même de produits exclusifs, qu’on ne pouvait trouver ailleurs comme

les produits importés. Cette formule de vente ne pratiquait le libre service intégral que dans

les rayons alimentaires et ignorait, pratiquement, l’existence du service après-vente. Ces ma-

gasins étaient très fréquentés, même par des gens qui s’ rendaient pour le simple plaisir des

yeux ou pour l’ambiance ; certains rayons connaissaient une forte affluence: il s’agissait sur-

tout des rayon alimentaires et ceux des articles ménagers. Les grands magasins étaient desti-

nés à la population citadine dont le niveau de vie était adapté.

Par ailleurs, l’Algérie connaissait une autre formule représentée par les magasins po-

pulaires. Parmi les enseignes présentes, on notait Prisunic, Monoprix et Uniprix. Ces maga-

sins étaient implantés dans quelques villes du Nord algérien mais leur nombre était insuffisant

comparé à l’accroissement de la population. Cette deuxième formule disposait d’une superfi-

cie moins importante que la première, de même pour l’assortiment qui y était plus restreint.

Durant cette époque coloniale, l’Algérie connaissait une autre forme de commerce dite

traditionnelle qui consistait en des Souks itinérants. Ces souks représentaient un rendez-vous

commercial hebdomadaire où affluait un grand nombre de commerçants, dans le but de

vendre leurs marchandises auprès de paysans venus spécialement pour s’approvisionner pour

la semaine. Ces marchés étaient organisés par spécialité (bestiaux, fruits et légumes, textiles,

graines et céréales.. .etc.), les produits étaient soit étalés sur le sol, soit disposés sur des chapi-

teaux escamotables. La vente se faisait à la criée, le marchandage était de coutume, les prix

fluctuaient d’heure en heure : les produits périssables étaient bradés à la fermeture (ainsi en

était-il de la viande et des fruits et légumes). Les vendeurs préféraient “liquider leurs produits 2 Perspectives économiques. Situation économique de l’Algérie en 1968/1969, document édité par la chambre de commerce et d’industrie d’Alger

Page 4: Les acteurs de la distribution des produits alimentaires en Algérie dans les années 70

plutôt que de les ramener avec eux. Les prix de vente ne tenaient nullement compte des coûts

de production et de logistique, mais variaient selon l’offre et la demande.

A l’indépendance, idéologie et réalité

L’indépendance politique une fois recouvrée, la question de l’heure était: comment

l’Algérie allait-elle conquérir son indépendance économique, dans un environnement interna-

tional où les intérêts néocoloniaux français dominaient ? Il faut se rappeler que jusqu’à l’indé-

pendance, la réflexion et les déclarations de l’Algérie en lutte, portaient beaucoup plus sur le

projet global d’une société algérienne indépendante, que sur les voies et les moyens de

construire l’économie de cette nouvelle société. Le projet algérien de société était particulière-

ment développé dans le Programme de Tripoli (1962), ainsi que dans la Charte Nationale

(1976). Peu avant de recouvrer son indépendance, l’Algérie s’était vue doter, par le Conseil

National de la Révolution Algérienne, d’un programme adopté à Tripoli (Libye en 1962). On

pouvait y lire que la révolution démocratique et populaire est “l’édification consciente du pays

dans le cadre de principes socialistes et d’un pouvoir aux mains du peuple”. Le Programme de

Tripoli stipule que la politique économique de l’Algérie indépendante, qui sera mise en

oeuvre en vue de l’édification d’une économie nationale, visera à soustraire celle-ci de la do-

mination étrangère et du libéralisme économique, par la construction d’une politique de plani-

fication avec la participation des travailleurs.

La Charte d’Alger (1964) reprendra et développera l’essentiel dit Programme de Tri-

poli dans une perspective autogestionnaire et idéologiquement marxisante. Cette charte avait

été votée par le F.L.N. lors de son premier congrès en 1964, où “le socialisme” était un véri -

table leitmotiv et “il n’y est pas défini comme une simple nationalisation des moyens de pro-

duction mais comme une organisation économique et sociale qui permet aux individus d’accé-

der au développement total”. La Charte d’Alger avait mis l’accent sur le développement par le

biais des industries légères à même de fournir des emplois et de satisfaire les besoins des ci -

toyens. Le ton change après le 19 juin 1965 et plus encore après le lancement du plan triennal

(67-69) où cette fois, l’attention va être portée sur les industries lourdes.

Page 5: Les acteurs de la distribution des produits alimentaires en Algérie dans les années 70

Au lendemain de l’indépendance, l’économie algérienne connaissait un désordre que

l’Etat tentait tant bien que mal de résorber. Pour ce faire, et conformément au Programme de

Tripoli (1962) et à la Charte Nationale (1964), l’Algérie s’était fixée deux principaux objectifs

à long terme: construire l’économie du pays et enrayer le chômage. Mais très vite le com-

merce va connaître une période de désorganisation. L’exode massif des Européens avait don-

né lieu, et ce dès les premiers jours d l’indépendance, à un secteur commercial déstructuré.

Afin de répondre aux besoins fondamentaux des masses, le gouvernement va créer, et ce dès

décembre 1962, deux organismes d’intervention directe.

L’Office National de Commercialisation (ONACO), créé le 1 décembre 1962, opéra-

tionnel qu’à partir de 1964, fut la première entreprise d’Etat. Il eut pour objet de fournir à la

population des denrées de base telles le café, le sucre, le beurre, le thé, les arachides les

épices, à des prix stables et faibles et ce grâce à des concours budgétaires. Pour ces produits, il

disposait d’un véritable monopole d’importation et il lui arrivait de procéder dans ses unités à

transformation de quelques uns d’entre eux (conditionnement torréfaction etc...).Il lui arrivait

de jouer le rôle de grossiste auprès d’autres entreprises étatiques surtout dans le sud.

Avant la disparition des grossistes privés, cet office se contentait de leur livrer les den-

rées à charge pour eux d’en assurer la revente. Sa création, pourtant, venait rallonger les cir -

cuits de distribution. Le 12 juillet 1962 est créé l’Office Algérien Interprofessionnel des Cé-

réales (OAIC), organisme sous tutelle du Ministère de l’agriculture chargé de l’importation et

de la commercialisation avant transformation des céréales (blé, orge, maïs, etc....). Cet office,

non seulement avait la haute main sur les importations, mais il supervisait toute la production

locale en céréales de toutes sortes, production qui devait lui être transférée intégralement par

les fellahs algériens.

Une fois l’approvisionnement en denrées alimentaires atteint, l’Etat algérien va s’atta-

cher à organiser les autres circuits de distribution et pour ce faire, il s’y prendra en plusieurs

étapes. En 1964, il décide de mettre en place des Groupements Professionnels d’Achat (G.-

RA), placés sous tutelle du Ministère du Commerce. Ces derniers étaient composés, d’un côté,

de représentants de l’Etat, et de l’autre, d’importateurs grossistes, détaillants et même indus-

triels. Ils étaient chargés d’effectuer des prévisions des importations et de les réaliser sous le

contrôle du ministère du Commerce. Par le biais de ces groupements, l’Etat évitait le mono-

pole exercé par certains grossistes et, par la même occasion, il contrôlait plus efficacement le

marché. Ces groupements avaient pour mission de contrôler les achats à l’étranger, de veiller

Page 6: Les acteurs de la distribution des produits alimentaires en Algérie dans les années 70

à une bonne gestion des stocks et à l’allocation des quotas entre leurs membres. Ils étaient au

nombre de six:

Le BOIMEX : Créé le 30-08-1964, il était chargé des bois et matériaux en bois.

Le GITEXAL : Créé le 01-01-1965, il était chargé des matières premières pour tex-

tiles.

Le GAIRLAC : Chargé du lait et des produits laitiers, il fut créé le 26-08-1964.

Le GADIT: Créé le 01-01-1965, il s’occupait de tout ce qui était textile ou produits an-

nexes. Le GICP: Chargé des cuirs et peaux, il avait été créé le 24-05-1 965.

Le GIAP: Créé le 01 -09-1 964, il était chargé des chaussures.

C’est par un décret1 que les pouvoirs publics vont fixer les statuts ainsi que les attribu-

tions de ces groupements d’achat. Ils seront dissous dès 1970 car leur existence même les

mettait à contre courant des décisions prises par l’Etat dans les différents secteurs de l’écono-

mie où il accroissait de plus en plus son autorité.

A cette époque, l’Algérie vivait une période de mutation, entre l’ère coloniale et la pé-

riode des premières années de l’indépendance.

Dans le secteur commercial, on observait un phénomène inverse de celui du secteur in-

dustriel : l’Etat ne contrôlait pas à lui seul la distribution, il devait faire avec un important sec-

teur privé.

En Algérie, trois formes de distribution vont coexister dès les premières années de

l’indépendance : l’une privée, l’autre étatique el la troisième coopérative.

Le secteur privé

1 N° 64.233 du 10-08-1964

Page 7: Les acteurs de la distribution des produits alimentaires en Algérie dans les années 70

Dans les années 70, l’Algérien était porté sur le commerce, seul domaine où pendant la

colonisation il pouvait intervenir. De 1962 à 1974, une multitude de grossistes, tant dans les

fruits et légumes que dans les produits alimentaires, vont régner en maîtres sur les circuits de

distribution. Ils approvisionneront des détaillants dont les négoces sont parfois très modestes.

Le grossiste a joué en Algérie un rôle prépondérant, surtout dans la distribution des

produits alimentaires. Sa principale qualité est son dynamisme. L’existence d’un nombre im-

portant de grossistes s’explique par la très grande prolifération et la forte dispersion des dé-

taillants, conséquence d’une désarticulation de l’appareil commercial. Ainsi est-il assez fré-

quent de voir le grossiste se mettre en quête à travers une vaste région des besoins des dé-

taillants qu’il livre, de surcroît, par lui-même. Par sa présence régulière sur les lieux d’appro-

visionnement il participe au lancement des produits sur le marché. Il contribue ainsi de ma-

nière efficace au renforcement de l’image de marque du producteur avec lequel il est en af -

faire. Le revers de la médaille, c’est qu’il peut créer à tout moment des pénuries ou élever les

prix inconsidérément s’il est de mèche avec le producteur. Normalement, le grossiste effectue

des tournées avec sa marchandise et le détaillant choisit les produits qui lui manquent directe-

ment au camion de celui-ci. Bien qu’il n’ait pas le plus souvent un réseau de commerçants qui

lui sont fidèles, le grossiste accorde à ses clients certaines facilités (colportage, crédit...) mais

il ne recrute pas beaucoup de personnel : la plupart des commerces de gros ont moins de dix

employés et ils sont implantés le plus souvent dans le tissu urbain.

En 1970, Alger, Oran et Constantine représentaient 65 % des entreprises de commerce

de gros. La capitale à elle seule réalisait 60 % du chiffre d’affaire des commerces de gros qui

se spécialise surtout dans l’épicerie ou l’alimentation générale, domaines où les ventes sont

importantes1

Au sujet du commerce de gros, la charte nationale, adoptée par référendum en 1976,

est très explicite:

1 MELLAH Saada. La distribution des produits alimentaires en Algérie. Analyse et perspectives. Thèse de docto-

rat de 3ème cycle de marketing. Grenoble II 1978.

Page 8: Les acteurs de la distribution des produits alimentaires en Algérie dans les années 70

“La nationalisation du commerce de gros devra être menée à son terme et aboutir à

mettre à l’abri des interventions à caractère parasitaire, le secteur productif ainsi que les uti-

lisateurs et les consommateurs

- assurer l’approvisionnement par les sociétés nationales, de façon régulière et

suffisante, des unités de production et des différents. agents intervenant dans

l’animation de la vie économique du pays

- veiller à l’élimination des pénuries préjudiciables à l’économie et qui nuisent

à la vie quotidienne des citoyens"

Que ce soit en milieu rural ou urbain, l’épicier garde quant à lui, une certaine préémi-

nence que lui confère la faiblesse des flux commerciaux sur le marché intérieur. Plus de 90 %

de la distribution de détail passe par lui et sa présence répond assez bien, en 1974 encore, à un

certain état d’esprit qui règne en Algérie : les ventes sont microscopiques (1/4 de litre d’huile

ou 125 grammes de sucre par exemple) surtout dans les régions déshéritées et la pratique du

crédit est généralisée. Ainsi, les épiciers vont-ils s’entourer d’une clientèle fidèle avec la-

quelle ils effectueront des transactions fort lucratives pour certains mais souvent très mo-

destes pour la grande majorité d’entre eux. En effet, l’épicerie traditionnelle demeure de

faible superficie avec une envergure financière très réduite. C’est avant tout une exploitation

gérée par les membres d’une même famille qui habitent souvent dans des chambres contigües

au magasin. Elle n’est pas spécialisée et on y trouve autant des produits alimentaires, que des

légumes, le pain, les produits de crémerie, les journaux... Cette absence de spécialisation a pu

entrainer parfois un empiètement dans les circuits de distribution qui s’est traduit par des

coûts très élevés. De plus l’absence de programmation dans les commandes est à l’origine de

bien des pénuries momentanées.

Le commerce occupe une importante part de la population active comme on peut le

constater à travers cette enquête1 menée en 1967/68. On relevait ainsi que la population active

du commerce s’élevait à 190.000 personnes soit 7,3 % de la population totale occupée. Par

classe d’âge, nous avons la répartition suivante

1 In Perspectives économiques, situation économique de l'Algérie en 1968/69, édité par la Chambre de Com-merce et d'Industrie d'Alger.

Page 9: Les acteurs de la distribution des produits alimentaires en Algérie dans les années 70

6 -14 ans 0,5 % ;

15-19 ans 4,2 % ;

20-24 ans 8,3%

25-44 ans 52,3% ;

45-64 ans 29,1% ;

65 ans et plus 5,6 %.

Quant aux résultats sur leur niveau de qualification ils sont plutôt édifiants:34,8 %

sans qualification ; 54,9 % spécialisés 9 % qualifiés ou hautement qualifiés ; 1,3 % techni-

ciens, agents de maîtrise et cadres.

Ainsi, la majorité de la population active du commerce (81,4%) a de 25 à 64 •ans et

près de 90 % est peu ou pas qualifiée

En 1984, d’après les chiffres recueillis auprès des responsables du Ministère du Com-

merce, le nombre de personnes occupées par le commerce s’élevait à 350.000 soit un accrois-

sement de 45,4 % en l’espace de 16 ans. Ceci laisse à penser que cette activité devenait lucra -

tive au fil des années mais aussi que les besoins en matière de distribution de détail deve-

naient de plus en plus importants à mesure que la population s’accroissait.

Pour la charte nationale, le commerce de détail constituait le prolongement indispen-

sable de la distribution en gros assurée par les entreprises socialistes. Le commerce de détail

forme le réseau des ramifications qui permettent d’atteindre le citoyen et de mettre à sa portée

les produits dont il a besoin, en n’importe quel point du territoire et particulièrement dans les

régions éloignées ou d’accès difficile. Les petits commerçants, relevant de la propriété privée

non exploiteuse, tiennent et continueront à tenir leur place dans le commerce de détail.

D’après la charte, l’Etat doit intervenir dans le commerce de détail par le biais des

grands magasins en vue d’harmoniser et d’étendre la distribution et de constituer des centres

de vente témoins pour agir sur les prix, pour lutter contre la spéculation et parer aux pénuries

que le secteur privé pourrait être tenté de provoquer pour maximiser son profit. Les Wilayates

Page 10: Les acteurs de la distribution des produits alimentaires en Algérie dans les années 70

et A.P.C. doivent prendre une part de plus en plus grande dans l’activité de distribution, sur-

tout dans les zones insuffisamment desservies.

Ainsi l’Etat, s’il ne veut pas prendre en charge complètement le secteur de la distribu-

tion de détail, ne cherchera pas moins à y être présent par le biais des grands magasins.

Le souk est une forme de distribution qui n’existe que dans les petits villages et dans

les campagnes et qui est spécifique aux pays du Maghreb, du Moyen Orient et à quelques

pays d’Afrique Noire riverains du Sahara. C’est une sorte de rendez-vous commercial ayant

lieu un jour bien précis de la semaine et où un grand nombre de commerçants viennent écou-

ler leurs marchandises auprès des paysans. Ces derniers descendent spécialement de la mon-

tagne pour se rendre à ce marché où ils font provision pour la semaine. On y conclue toute

sorte d'affaire y compris des mariages.

La vente se fait à la criée et les produits sont soit étalés à même le sol soit disposés

sous des chapiteaux escamotables dès la fin du souk. Les prix fluctuent d’heure en heure et à

la fermeture du marché, vers midi, tous les produits périssables comme la viande, les fruits et

les légumes sont bradés. Le vendeur, qui est souvent lui-même un paysan préfère s’en débar-

rasser plutôt que de les ramener chez lui. On trouve régulièrement un stand consacré aux

herbes médicinales et autre panacée tenu le plus souvent par un bonimenteur.

C’est l’offre et la demande qui fixent le prix de cession qui ne tient nullement compte

des coûts de production et de transport. Le marchandage dans les souks est de bonne guerre.

Ce genre de distribution montre à quel point toute transformation des structures de distribu-

tion demeurait conditionnée par un bouleversement radical des traditions et des valeurs socio-

culturelles.

Pour le marchand ambulant, "même s’il n’est pas perçu clairement comme tel, le tra-

vail le plus avilissant reste toujours autre chose qu’un simple gagne pain et le chômage n’est

aussi intensément redouté que parce que la privation économique se double d’une mutilation

sociale. Comment comprendre, en effet, si l’on se place dans la stricte logique de la rentabili-

té économique, la conduite de tous ces petits commerçants ambulants, vendeurs de riens pour

un rien, qui poussent tout le jour leur petite charrette dans l’espoir de vendre deux ou trois

pastèques, quelques vêtements de friperie ou un paquet de cacahuètes ? Quelle peut être la

Page 11: Les acteurs de la distribution des produits alimentaires en Algérie dans les années 70

fonction de ce type de travail qu’il vaudrait mieux appeler occupation pour ceux qui

l’exercent et pour la collectivité ?"1

Pour ceux qui ne pouvaient ni ne voulaient louer leurs bras comme manœuvres restait

ce palliatif qui ne demandait pas un gros investissement ni une instruction particulière. Le

marchand ambulant avec son cri strident s'infiltre partout et rameute les ménagères en quête

de bonnes affaires. Il peut vendre n'importe quoi et parfois même il échange de la quincaille-

rie contre de vieux vêtements. Il se transforme en acheteur d'aluminium (couscoussier hors

d'usage par exemple) qu'il revendra au ferrailleur du coin. On le voit souvent tirer une char-

rette à bras où s'entassent oranges et mandarines, parfois sardines et autres produits de la mer.

Les plus chanceux disposaient d'un âne, rares étaient ceux qui possédaient une camionnette.

Sa voix très stridente portait loin et lui était d'une grande utilité pour rameuter les chalands.

"La pression de la nécessité économique et la situation de chômage structurel ont

pour effet de perpétuer des pratiques qui empruntent leurs justifications à la morale paysanne

du passé. Il n’est pas rare en effet d’entendre énoncer des préceptes qui à première analyse

paraissent appartenir à la logique de l’éthos traditionnel : “un homme digne, un homme qui

ne veut pas vivre aux dépens des autres, même s’il doit vivre d’expédients, doit travailler. S’il

ne trouve aucun travail, il peut encore vendre à la sauvette”2

Le secteur étatique

Parmi les entreprises d’Etat qui s’occupent de distribution nous nous intéresserons

successivement à 1’ONACO, à l’OFLA, à l’OAIC3 et à la SN SEMPAC qui sont les plus im-

portantes en matière de commerce de gros. Quant au commerce de détail, nous ne ferons réfé -

rence qu’à l’expérience qui eût lieu en 1963, les Magasins Pilotes Socialistes. Les supermar-

chés de la SNNGA seront abordés dans un autre article4. Nous allons nous intéresser dans un

premier temps aux entreprises d'approvisionnement puis nous étudierons celles qui ont voca-

tion de distribuer.

1 Pierre Bourdieu, Algérie 60, structures économiques et structures temporelles. Editions de Minuit, Paris 1960.2 idem3 Office des Fruits et Légumes d'Algérie et Office Algérien Interprofessionnel des Céréales.4 Voir à ce sujet notre article sur les grandes surfaces en Algérie.

Page 12: Les acteurs de la distribution des produits alimentaires en Algérie dans les années 70

Face aux difficultés croissantes que connaissaient les circuits de distribution depuis

l’indépendance, l’Etat a entrepris de raccourcir ces mêmes circuits, encombrés d’intermé-

diaires parasites, en créant des entreprises étatiques d’approvisionnement. En assurant sous

certaines formes la liaison producteur-consommateur, il entendait mettre le holà à toute forme

de spéculation. C’est ainsi qu’ont vu le jour des entreprises publiques soit disposant de mono-

poles de production ou d’importation, soit assurant une large part du marché national c’est le

cas de 1’ONACO, de 1’OFLA, de l’OAIC et de la SN SEMPAC.

L’Office National de Commercialisation (ONACO), créé le 13 Décembre 1962, ne fut

vraiment opérationnel qu’en 1964. Il possédait le monopole de la commercialisation des pro-

duits alimentaires provenant soit du secteur étatique soit de l'importation. Parmi les denrées de

première nécessité dont il a la charge, on peut citer le café, l’huile, le sucre, les épices... Pour

mener à bien sa mission, il dispose de 30 antennes réparties à travers tout le pays. Alors qu’à

sa naissance, il avait recours aux services des grossistes pour atteindre les détaillants, en 1974

il est en mesure de s’en passer tout en assurant la distribution d’une gamme plus large de pro -

duits (allumettes, cigarettes, corps gras.. .)

L’Office des Fruits et Légumes d’Algérie (OFLA) créé le 3 Août 1969 avait pour mis-

sion de commercialiser tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays la production agricole issue

des domaines autogérés. Cet office devait bousculer un quasi monopole des mandataires pri-

vés dans la commercialisation des fruits et légumes. Avant lui l’ONRA (Office National de la

Réforme Agraire) et 1’UNCAC (Union Nationale des Coopératives Agricoles de Commercia-

lisation) n’avaient pu y arriver. Cependant l’OFLA, avec ses 80 points de vente et ses 40

centres de conditionnement, n’assure que 50 % de la distribution des agrumes et environ 40 %

de celle des fruits et légumes. De plus les coûts de distribution demeurent trop élevés par rap-

port aux coûts de production comme on peut en juger d’après le tableau ci-dessous

Tableau n° 1 : Coûts de distribution par 1’OFLA de quelques produits en 1974 U= DA/q

Page 13: Les acteurs de la distribution des produits alimentaires en Algérie dans les années 70

Produits A (en

%)

B (en

%)

Frais de conditionne-

ment1

Frais de tran-

sit

frais di-

vers

Pommes de

Terre

Carottes

Tomates

Haricots verts

Oranges

Raisins

26

39

39,7

40,2

38,4

42,8

38 à 43

31,3

33

24

38

28

6,5

15,7

19,7

31

19,3

29

10,90

12,55

16,30

19

15,3

19

24,90

40,12

49,65

77

39,9

67

Source : Ahmed BENSAFI — “La commercialisation des produits agricoles en Algérie. Mémoire de Diplôme

d’Etudes Supérieures en sciences économiques. Alger, 1974.

Légende :

A = Coût de conditionnement x 100

coût de production

B = Coût de transport x 100

Coût de production

Malgré des moyens logistiques importants, 1’OFLA n’aura qu’un rôle d’appoint dans

la distribution des fruits et légumes qui demeurera sous le contrôle des mandataires privés.

Sur le plan des exportations, grâce à ses 7 antennes extérieures, cet office va réussir à pénétrer

sur les marchés intérieurs français, britannique, belge, italien, scandinave et est-européens.

L'Office algérien interprofessionnel des Céréales (OAIC) créé le 12 Juillet 1962 devait

approvisionner de manière urgente le pays, en céréales, au lendemain de l’indépendance. Ain-

si devait-il aussi bien alimenter les usines en blé que les boulangeries et épiceries en farine et

semoule. Pour son stockage, l’office disposait de dock-silos.

La Société Nationale des Semouleries, Pâtes alimentaires et Couscous (SNSEMPAC),

créée le 25 Mars 1965, avait pour objectif de ravitailler la population via les détaillants en

denrées alimentaires d’origine céréalière et ce au même coût en tout point du territoire. A sa

création la SNSEMPAC ne s’occupait que de production et comptait sur quelques 1400 gros-

sistes et quelques 3000 intermédiaires pour acheminer ses produits vers les détaillants. Mais 1 L’unité des frais de conditionnement, de transit et des frais divers est exprimée en dinars par quintal

Page 14: Les acteurs de la distribution des produits alimentaires en Algérie dans les années 70

sentant le préjudice que pouvait subir cette société et pour préserver le consommateur du dic-

tat des distributeurs privés, l’Etat autorisa la SN SEMPAC à commercialiser elle-même ses

produits grâce à une centaine de dépôts réalisés dans le nord du pays, le sud étant approvision-

né par l’ONACO.

D’autres entreprises publiques vont se lancer dans la distribution comme 1’ONCV

(pour l’exportation de vin) ou la SOGEDIA (conserves de toute nature). Cependant la pré-

sence étatique dans ce domaine sera fort timide car les pouvoirs publics en 1974 n’auront pas

été en mesure de mettre fin à l’action des intermédiaires privés : on était arrivé à un compro-

mis qui tout en préservant les intérêts de ces derniers leur faisait admettre la présence de l’Etat

dans les circuits de distribution ainsi que l’éventualité d’un contrôle du marché plus draco-

nien.

Les Magasins Pilotes Socialistes, MPS, ont vu le jour dans le courant de l’année 1963

et ils avaient pour mission de contrecarrer la hausse des prix des produits de première nécessi-

té. Ces magasins, installés un peu partout dans les villes, devaient donc d’une part répondre

aux besoins des consommateurs en leur proposant les prix les moins chers et d’autre part

concurrencer les magasins privés pour les amener à réajuster leurs prix : ils devaient donc être

des points de vente témoins. Cependant si cette expérience correspondait à une réelle volonté

de protection du pouvoir d’achat des masses populaires, elle ne fut pas entourée de toutes les

conditions nécessaires à sa réussite, notamment sur le plan de la logistique et de l’infrastruc-

ture. Sans moyens de transport propres, ni d’aire de stockage, les MPS se trouvèrent à la mer-

ci des structures qu’ils étaient sensés combattre. Profitant de la faiblesse du contrôle, plusieurs

responsables de MPS n’ont pas hésité à détourner à leur profit une partie des recettes.

L’expérience fut arrêtée en 1964 à la grande joie des détaillants privés.

Le secteur coopératif

Les expériences en matière de coopératives dans la distribution, au nombre de deux, ne

touchent que la commercialisation des produits agricoles. Ces coopératives, CORE en 1963 et

CAPCS/COFEL en 1973, ont été créées pour soutenir les secteurs socialistes de production

agricole , les domaines autogérés pour les premières et les coopératives agricoles de produc-

tion (CAPRA) pour les secondes.

En Octobre 1964, l’Office National de la Réforme agraire (ONRA) créé en mars 1963,

se voit confier la commercialisation des produits agricoles du secteur autogéré. Pour ce faire,

Page 15: Les acteurs de la distribution des produits alimentaires en Algérie dans les années 70

cet office va lancer des coopératives d’écoulement (les CORE). Celles-ci sont dotées d’or-

ganes de gestion semblables à ceux existants au sein des domaines autogérés. L’Assemblée

générale comprend tous les présidents des comités de gestion de l’arrondissement où est im-

plantée la CORE, un délégué syndical de 1’UGTA, un représentant local du parti FLN ainsi

qu’un représentant des collectivités locales. Son rôle consiste à élire le comité de gestion. Ce-

lui-ci n’a pas plus de prérogatives que d’élire à son tour le conseil d’administration et d’ap-

prouver la nomination du directeur. Le premier nommé, élu pour deux ans, est composé de

sept à huit membres et il étudie tous les problèmes de fonctionnement qui se posent à la

CORE. Le Directeur quant à lui, désigné par 1’ONRA, est chargé de la gestion proprement

dite de la CORE. Il fixe après enquête auprès des marchands détaillants, le cours quotidien

des produits qu’il reçoit des domaines autogérés. Ces derniers sont tenus de livrer à la CORE

l’ensemble de leur production (moins l’autoconsommation) qui s’ajoute à celle très faible pro-

venant des rares producteurs privés affiliés à la CORE.

Le schéma ci-dessous, extrait du livre de A. SARNI1 nous renseigne sur les flux de produits à travers les CORE.

Schéma n° 1 : Le flux des produits à travers les CORE

1 A. Sarni, Le commerce des fruits et légumes, quelle structure pour quel marché, Ed. OPU, Alger 1984

Producteurs privés

Autres COREDomaines autogérés

CORA CORE CORE

Industrie Grossistes

Collectivités Détaillants

Exportation

Page 16: Les acteurs de la distribution des produits alimentaires en Algérie dans les années 70

Pour rémunérer leur personnel et amortir leur matériel, les CORE prélèvent sur le

montant des ventes une commission variant entre 6 et 8% selon la taille des coopératives et la

nature des produits à traiter le plus fréquemment. Lorsque le montant des recettes excède celui

des dépenses, les bénéfices sont répartis à raison de 20 % pour le capital social, 30 % desti-

nés au financement d’investissements collectifs ou d’œuvres sociales, 50 % pour les adhérents

et les travailleurs de la coopérative.

De ces CORE, on attendait beaucoup d’avantages. Tout d’abord la substitution d’un

circuit court aux circuits longs devait comprimer les coûts et faire bénéficier tout autant le

producteur que le consommateur de cette compression. Ensuite on s’attendait à l’amélioration

de l’information et la coordination inter-coopérative. Ainsi la connaissance à l’échelon central

de toutes les données du marché (quantités traitées, prix pratiqués) devait permettre d’éviter

les transports inutiles réduisant ainsi au strict minimum le nombre d’intermédiaires. Enfin, à

long terme, on espérait un ajustement de l’offre et de la demande par l’élargissement du cir -

cuit aux produits du secteur privé. Le faible degré d’implantation des CORE ne leur a pas per-

mis de remplir ces objectifs, si l’on exclut une meilleure connaissance des prix.

Parmi les insuffisances constatées dans le fonctionnement des CORE, nous en retien-

drons deux. Les livraisons inter-coopératives ont été dans l’ensemble très réduites (à peine 6

% en 1969) à cause de la mauvaise diffusion de l’information, de l’absence de moyens de

transport et à cause de l’insuffisance des quantités collectées. Dans le domaine des prix,

lorsque ceux pratiqués par les CORE sont de beaucoup inférieurs à ceux des halles, les gros-

sistes privés s’approvisionnent auprès des coopératives pour revendre ensuite sur le marché

municipal, réalisant ainsi des profits aux dépens du système coopératif. En 1969, plus du quart

des apports aux halles centrales d’Alger est le fait de grossistes qui se sont approvisionnés au-

près d’une coopérative. En raison des difficultés rencontrées, le secteur autogéré de produc-

tion a dû écouler une partie de sa production par l’intermédiaire du secteur privé qui rémuné-

rait mieux les produits proposés tout en offrant des conditions de paiement plus intéressantes

(avance de fonds pour l’achat d’approvisionnements par exemple). Deux années après leur

mise en place, le fonctionnement des CORE a révélé les limites du système coopératif de

commercialisation. En fait, il ne s’agissait que de l’ébauche d’un tel système, car dans la pra-

tique, c’est l’appareil administratif représenté par l’ONRA qui assurait et dirigeait la commer-

cialisation, alors que sa mission devait se limiter à jeter les bases du circuit coopératif pour

ensuite le remettre entre les mains des producteurs. Or ceux-ci se sentaient exclus de la fonc-

tion commerciale.

Page 17: Les acteurs de la distribution des produits alimentaires en Algérie dans les années 70

A partir du 12 Mai 1966, les CORE sont fédérées au sein de 1’UNCAC (Union Natio-

nale des Coopératives Agricoles de Commercialisation). Entre 1’UNCAC et les CORE et CO-

RA l’échelon intermédiaire était représenté par les unions coopératives départementales de

services (UCDS) comme on peut le constater à travers ce schéma

Cependant à cause, entre autres, de la prééminence des instances administratives cen-

trales et des méthodes bureaucratiques de gestion qui prévalaient à tous les niveaux, ces nou-

velles structures coopératives vont se révéler tout à fait inefficaces tout en accentuant la désaf-

fection des exploitations autogérées à l’égard du circuit coopératif. Pour A. Bouzidi1, cette ré-

organisation du circuit de commercialisation est restée sans conséquence sur un accroissement

du rendement des agriculteurs du secteur socialiste. Car “conçu avant tout dans le but de re-

lancer les exportations agricoles, le nouveau système se souciait peu de l’intégration des pro-

ducteurs et de leur participation effective à cette politique”. Le 3 Avril 1969, avec 1a création

de l’OFLA, on va revenir aux structures étatiques de commercialisation : 1’UNCAC disparait

et avec elle ses structures subalternes.

Au cours de l’année 1973, la désorganisation du commerce des fruits, et légumes attei-

gnait un degré de gravité tel que l’expérience de la Révolution agraire (R.A.) entamée seule-

ment depuis deux ans, risquait d’être sérieusement compromise. Malgré les mesures prises

pour revaloriser la production agricole, les revenus des attributaires coopérateurs au sein des

1 A. Bouzidi, Productivité du travail dans l'agriculture algérienne, Ed. Revue Algérienne des Sciences Juridiques, Economiques et politiques, N°4, Alger Décembre 1977

UNCAC

UCDS UCDS

CORA CORE CORA CORE

Page 18: Les acteurs de la distribution des produits alimentaires en Algérie dans les années 70

CAPRA1 restèrent figés. Les prix à la production nettement inférieurs à ceux de détail et sur-

tout le parasitisme du commerce privé ne permirent pas aux producteurs d’envisager l’avenir

sereinement. Une telle situation ne pouvait durer au risque de nuire aux fondements mêmes de

la R.A. Les transferts importants de surproduits réalisés par les circuits commerciaux et l’aug-

mentation rapide des coûts de production continuaient à contrecarrer les efforts des coopéra-

teurs. Aussi est-ce sur ces deux facteurs que l’Etat va agir pour débloquer les circuits écono-

miques du monde agricole et assainir par là-même le marché des fruits et légumes. Les prin-

cipes directeurs qui ont présidé à cette refonte des structures commerciales sont tout à la fois

d’ordre politique, économique et social. Ainsi la priorité est-elle accordée à l’approvisionne-

ment du marché intérieur, seul le surplus pouvant être exporté. Le circuit privé de commerce

de gros est officiellement supprimé. Les producteurs et les autorités locales quant à elles parti-

cipent à toutes les opérations de la R.A. y compris celles concernant la commercialisation.

Cette dernière est appelée à être assurée directement par les producteurs eux-mêmes organisés

en coopératives. Ceci aurait dû réduire les coûts de distribution et permettre une préservation

du pouvoir d’achat des consommateurs ainsi qu’une juste rémunération des producteurs. En-

fin, la décentralisation effective des activités de service est envisagée afin d’éviter les effets

de blocage qu’entraine une gestion trop administrative des circuits de distribution ; le but

étant aussi de favoriser une réelle planification de cette activité aux plans régional et national.

On repasse donc une nouvelle fois vers les structures coopératives après avoir tenté

sans trop de réussite la carte OFLA.

Quelles sont les différences notables de ce système avec celui des CORE ?

Tout d’abord, l’organisation coopérative régit désormais l’ensemble des activités de

commerce de gros, tandis que la suppression envisagée du circuit privé devait entrainer la dis-

parition à terme de la pluralité des structures de commercialisation. Ensuite dans ce nouveau

cadre, les producteurs ont désormais leur mot à dire dans la gestion de ces structures. Ceci

n’était pas le cas auparavant puisqu’il y avait séparation des fonctions production et commer-

cialisation. Enfin, la responsabilisation des nouvelles structures les entraine à assumer les

conséquences de leurs actes ce qui n’était pas le cas auparavant car l’OFLA n’était nullement

affecté, contrairement aux producteurs, par les aléas d’une mauvaise distribution des produits

agricoles. Calquée sur la décision administrative, la nouvelle organisation du commerce des

fruits et légumes prend la configuration décrite dans le schéma qui suit.

1 Coopératives Agricoles de Production de la Révolution Agraire

Page 19: Les acteurs de la distribution des produits alimentaires en Algérie dans les années 70

Schéma n° 2 : L’organisation de la commercialisation des fruits et légumes.

Légende:

A B signifie: A vends à B

Explication du schéma1:

1 Cette explication est tirée du livre de A. Sarni, op. cit.

Page 20: Les acteurs de la distribution des produits alimentaires en Algérie dans les années 70

Au niveau de la commune on trouve la CAPCS (Coopérative Agricole Polyvalente Commu-

nale de Services) qui regroupe tous les exploitants agricoles qu’ils soient du secteur socialiste

comme les domaines autogérés, les CAPAM (Coopératives Agricoles de Production des An-

ciens Moudjahidine), les CAPRA (Coopératives Agricoles de Production de la Révolution

Agraire) ou du secteur privé. La CAPCS a à son actif des fonctions nombreuses et variées qui

vont de la prestation de services telle la location de camions ou de tracteurs à la vente des se-

mences et autres engrais ou pesticides sans omettre la commercialisation de tous les produits

que lui confient ses "clients". Dans ce chapitre particulier, on remarquera que ses activités

s'articulent autour de la collecte, de l'acheminement et de la distribution des fruits et légumes

dans la limite de sa commune. Il est fait obligation à tous les coopérateurs (CAPRA, CAPAM,

domaines autogérés) de confier leur production à la CAPCS qui va approvisionner les dé-

taillants locaux et confier l'excédent en sa possession à la COFEL voire à l'OFLA.

La COFEL se voit confier la programmation, l'organisation et la réalisation de concert

avec les CAPCS de toute opération de commercialisation des fruits et légumes sur sa wilaya

d'établissement.

Au dernier niveau, l'OFLA a une mission de régulation du marché intérieur tout en

prenant en charge les excédents constatés au sein des COFEL. C'est cet office qui détermine,

après concertation avec les COFEL, les quantités de fruits et légumes à importer pour colma-

ter les manques prévisibles de la production nationale.

Cette organisation pyramidale a péché par manque de démocratie au sein des organes

de gestion, le représentant de l'Etat faisant preuve d'autoritarisme. Les coopérateurs sentant

qu'ils n'avaient plus voix au chapitre vont tourner le dos aux organes de gestion des coopéra-

tives. Ces dernières, tout au moins les COFEL, vont perdre peu à peu leur statut premier pour

se transformer en de véritables entreprises. C'était là la première cause d'échec de l'expérience

coopérative. La seconde résida dans le fait que face à leurs concurrents privés, libres de tout

engagement, les CAPCS et les COFEL avaient les pieds et poings liés, devant respecter une

réglementation par trop draconienne. "C'est ainsi que ne maîtrisant plus la disponibilité du

produit, elles ont perdu la bataille de la distribution, les détaillants préférant s'approvision-

ner auprès des privés quitte à payer plus cher"1.

1 A. Sarni, op. cit.

Page 21: Les acteurs de la distribution des produits alimentaires en Algérie dans les années 70

D'un autre côté, les présidents de CAPRA, peu au fait des subtilités de la commerciali-

sation, délaissèrent ce secteur pour ne se consacrer qu'à la production : ils laissèrent le privé

s'en occuper à leur place ce qui fit péricliter l'expérience coopérative

"Les responsables de l’agriculture ont considéré hâtivement que les circuits coopéra-

tifs étaient en mesure de concurrencer les anciennes structures dès lors que ces circuits

avaient officiellement le contrôle du commerce de gros et qu’ils assuraient aux détaillants des

prix relativement stables et garantis par les mercuriales"1. Ce fut là l'erreur fatale qui sonna le

glas de ce type de distribution qui ne survécut pas aux années 70.

Les constats

+ Le petit commerce est mal structuré. L’activité commerciale ne constitue le plus

souvent aux yeux même de ceux qui l’exercent qu’un pis aller, qu’un moyen de subsistance.

Seule une frange de ce petit commerce, comprenant essentiellement les Mozabites , est ratio-

nalisée. Les bénéfices y sont faibles et réduits. La plupart des commerçants, illettrés, ignorent

la comptabilité en partie double et la distinction entre le budget familial et le budget de l’en -

treprise. Ils confondent souvent rentrées et bénéfices. On passe par transition infinitésimale du

tout petit commerce comme simple occupation au commerce vraiment lucratif.

+ Le circuit commercial de gros privé est lourd à cause de la trop grande multiplica-

tion des intermédiaires2. Les coûts de la distribution y sont élevés. Les grossistes n’hésitent

pas à recourir à la spéculation, organisant même des pénuries temporaires, leurs méthodes de

gestion demeurent archaïques.

+ L’intervention de l’Etat dans le commerce de gros se fait par l’intermédiaire de

quelques entreprises détentrices de monopoles de production ou d’importation. Pour les pre-

mières cela pose le délicat problème de la séparation des fonctions (production et commercia-

1 A. Sarni, op. cit.2 "La proportion de détaillants pour un grossiste est de 43 pour 1 en Algérie alors qu'en France elle est de l'ordre de 140 pour 1; c'est dire que les entreprises de gros sont relativement pléthorique en Algérie" dixit M.E. Bénis-sad, Economie du développement de l'Algérie sous-développement et socialisme, Ed.Economica, Paris 1979

Page 22: Les acteurs de la distribution des produits alimentaires en Algérie dans les années 70

lisation). L’insuffisance de moyens de stockage et de transport de ces sociétés ne permet pas

un approvisionnement correct de certaines régions de l’intérieur du pays et du sud.

+ Le système coopératif a connu deux expériences malheureuses en raison de la trop

grande intervention de l’Etat dans la gestion des coopératives et de l’absence de maîtrise par

ces dernières de la disponibilité des produits.

Page 23: Les acteurs de la distribution des produits alimentaires en Algérie dans les années 70

Bibliographie

Ouvrages

Benachenhou Abdellatif, Planification et développement en Algérie, Ed. OPU, Alger 1982

Bénissad Mohand Elhocine, Economie du développement de l'Algérie sous-développement et socialisme, Ed.Economica, Paris 1979

Boukrami Sid-Ali, Formes de marchés et politique de l'entreprise, Ed.OPU, Alger 1982

Bourdieu Pierre, Algérie 60, structures économiques et structures temporelles, Editions de Minuit, Paris 1960.

Sarni Amar, Le commerce des fruits et légumes, quelle structure pour quel marché, Ed. OPU, Alger 1984

Temmar Hamid, Stratégie de développement indépendant: le cas de l'Algérie, un bilan, Ed. OPU, Alger 1982

Tiano André, Le maghreb entre les mythes, Ed. PUF, Paris 1967

Travaux universitaires

Bensafi Ahmed, La commercialisation des produits agricoles en Algérie, Mémoire de Di-

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Mellah Saada, La distribution des produits alimentaires en Algérie. Analyse et perspectives,.

Thèse de doctorat de 3ème cycle de marketing. Grenoble II 1978.

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versité de Montpellier 1, 1986

Articles

Bouzidi Abdelmadjid, Productivité du travail dans l'agriculture algérienne, Ed. Revue Algé-

rienne des Sciences Juridiques, Economiques et politiques, N°4, Alger Décembre 1977