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Jean-Didier BAKALA DIBANSILA Avocat au cabinet RMK & Associés, Assistant et Chercheur à l’Université Protestante au Congo à Kinshasa (RDC) Juin 2016 LES ASPECTS JURIDIQUES GENERAUX DE LA CONSTITUTION DES SOCIETES COMMERCIALES EN DROIT OHADA

LES ASPECTS JURIDIQUES GENERAUX DE LA CONSTITUTION DES …€¦ · commerciale est l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique

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Jean-Didier BAKALA DIBANSILA Avocat au cabinet RMK & Associés,

Assistant et Chercheur à

l’Université Protestante au Congo à Kinshasa (RDC)

Juin 2016

LES ASPECTS JURIDIQUES

GENERAUX DE LA

CONSTITUTION DES

SOCIETES COMMERCIALES

EN DROIT OHADA

2

INTRODUCTION

La société commerciale est une entité à la fois juridique et économique créée

soit par la volonté unilatérale d’une personne1, soit par l’accord de deux ou

plusieurs personnes qui conviennent de mettre en commun des apports en

vue de l’exploitation d’une activité commerciale, industrielle ou professionnelle,

et de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui peut en résulter,

tout en s’engageant de contribuer aux éventuelles pertes.

Les sociétés commerciales, à l’instar de l’homme, naissent, vivent, et meurent.

Il s’agit là, techniquement, de la constitution, du fonctionnement, et de la

dissolution des sociétés. L’étude de toutes ces étapes constitue l’objet du droit

des sociétés. Le lieu n’est pas indiqué pour examiner l’ensemble du droit des

sociétés; nous ne consacrons ces lignes qu’à la première phase de la vie

sociale à savoir : la constitution d’une société commerciale.

En effet, pour bien vivre, la société commerciale doit bien naître, sinon, elle est

vouée à la mort, même de manière anticipée2. Cette bonne naissance est liée

au respect des règles juridiques en la matière et à d’autres aspects,

notamment économiques. Seul le premier volet nous intéresse ici. Ainsi

convient-il, dans les lignes qui suivent, d’examiner successivement le cadre

légal (I) et le processus de la création d’une société commerciale (II).

I. LE CADRE LEGAL DE LA CONSTITUTION D’UNE SOCIETE

Dans l’espace OHADA, la constitution d’une société est régie par un texte

supranational à côté duquel il faudrait ajouter les textes nationaux.

I.1. Au niveau supranational : l’acte uniforme

Le texte principal qui, en droit de l’OHADA régit la constitution d’une société

commerciale est l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et

du groupement d’intérêt économique du 17 avril 1997 lequel a été révisé à

Ouagadougou le 30 janvier 2014 et publié au Journal Officiel de l’OHADA le

04 février 2014 ; il est entré en vigueur 90 jours après sa publication, soit le 06

mai 2014.

1 On parle dans ce cas d’une société unipersonnelle. Cette appellation est en réalité abusive parce que le mot « société » implique toujours la pluralité. Il est donc convenable de parler d’une entreprise unipersonnelle.

2 La « mort anticipée » peut résulter de la nullité de la société prononcée par le tribunal compétent. Cette nullité aura pour effet de mettre fin à la société ce, même avant la durée prévue par les associés.

3

Composé de 920 articles, l’acte uniforme est subdivisé en quatre parties qui

traitent respectivement les dispositions générales sur les sociétés

commerciales et les groupements d’intérêt économique (art. 4 à 269) ; des

règles spécifiques à chaque forme de société (art. 270 à 885) ; des infractions

liées aux sociétés commerciales (art. 886 à 905), et des règles relatives à la

mise en application de cet acte uniforme (art. 906 à 920).

A. champ d’application de l’acte uniforme

Il convient de distinguer le champ d’application matériel du champ

d’application territorial.

Matériellement, l’acte uniforme s’applique non seulement aux sociétés

commerciales et aux groupements d’intérêt économiques, mais aussi aux

sociétés soumises à un régime particulier sous réserve des dispositions

législatives ou réglementaires auxquelles elles sont assujetties3. Cela voudrait

dire que les entreprises à régime particulier telles que les sociétés

d’assurance et les sociétés d’économie mixtes peuvent déroger aux

dispositions de l’acte uniforme pour autant que les clauses de leurs statuts qui

sont contraires à l’acte uniforme soient prévues par le régime particulier4.

Sont exclus du champ d’application matériel de l’acte uniforme, les sociétés

civiles et les sociétés coopératives5.

Territorialement, l’acte uniforme s’applique à toute société commerciale et à

tout groupement d’intérêt économique dont le siège est situé sur le territoire de

l’un des Etats partie au traité de l’OHADA6. C’est donc dire que les sociétés

dont les sièges sociaux sont établis en dehors de l’espace juridique OHADA

ne devraient pas être soumises à l’acte uniforme sous examen. Mais leurs

succursales établis sur le territoire de l’un des Etats parties sont soumis à

l’acte uniforme relatif aux sociétés commerciales7.

3Lecture combinée des articles 1 et 916 al.1 de l’AUSCGIE.

4ALIOUNE DIEYE, Régime juridique des sociétés commerciales et du GIE dans l’espace OHADA, 4ème

éd. 2014, p. 23 ; lire aussi l’alinéa 2 de l’article 916 de l’AUSCGIE.

5 Les sociétés coopératives sont régies par l’acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives adopté le 15 décembre 2010 à Lomé.

6Il y a 14 Etats signataires du traité de l’OHADA. Ces Etats sont : Bénin, Burkina Faso, Centrafrique, Comores, République du Congo, Côte-d’Ivoire, Gabon, Guinée Equatoriale, Mali, Niger, Sénégal, Tchad et Togo. Ces Etats ont par la suite été rejoints par la Guinée Bissau, la Guinée Conakry, et tout récemment en 2012, par la République Démocratique du Congo (RDC), ce qui porte à 17 les pays membres de l’OHADA.

7 Lire les articles 116 à 120 de l’AUSCGIE.

4

I.2. Au niveau national

Au niveau national, les sociétés commerciales et les groupements d’intérêt

économique peuvent être régis par des lois internes ou des actes

règlementaires, mais c’est seulement dans les cas où l’acte uniforme renvoie

expressément à une disposition nationale, ou lorsque ces dispositions

nationales ne sont pas contraires à l’acte uniforme relatif au droit des sociétés

commerciales.

Il résulte de ce qui précède que compte tenu du fait que nombreux Etats

membres de l’OHADA disposent des législations spécifiques concernant les

sociétés à capital public ou les sociétés d’économie mixte, il y a lieu, dans

certains cas, d’appliquer conjointement les règles de l’acte uniforme et celles

des législations nationales, sauf si ces dernières contreviennent à l’acte

uniforme8.

II. LE PROCESSUS JURIDIQUE DE CREATION D’UNE SOCIETE

La création d’une société peut se résumer en trois phases que voici : la phase

préparatoire, la phase constitutive, et la phase de l’acquisition de la

personnalité juridique.

II.1. La phase préparatoire de la création d’une société

La phase préparatoire est celle au cours de laquelle la société est en

formation, c’est-à-dire avant sa constitution effective. Cette phase passe d’une

part par le choix de la nature et de la forme de la société, et d’autre part, par la

constitution du capital social.

II.1.1. Le choix de la nature et de la forme de la société

A. Le choix en fonction de la nature de la société

Tenant compte de la nature de la société, l’acte uniforme a institué la société

pluripersonnelle, (celle qui est constituée par au moins deux personnes), et la

société unipersonnelle (celle qui est constituée par une seule personne).

La société pluripersonnelle qui demeure le principe, résulte de la définition

légale de la société : celle qui est créée par deux ou plusieurs personnes qui

conviennent, par un contrat, d’affecter à une activité des biens en nature ou en

numéraire, ou en industrie, dans le but de partager le bénéfice (et de

contribuer aux pertes) ou de bénéficier de l’économie qui peut en résulter9.

8BORIS MARTOR, NENETTE PILKINGTON et al., Le droit uniforme africain des affaires issu de l’OHADA, 2

ème éd.

Litec, 2009, p. 88. 9Art. 4 de l’AUSCGIE.

5

Dans la société unipersonnelle, qui est une situation exceptionnelle, l’associé

unique affecte une partie de son patrimoine à l’exploitation d’une activité

commerciale ou industrielle, et jouit seul du bénéfice qui pourra en résulter

tout en supportant tout seul le passif social. Cette nature de la société

commerciale n’est possible que pour quelques sociétés limitativement

énumérées par l’acte uniforme. Il s’agit de la société à responsabilité limitée

(Sarl), la société anonyme (SA), et la société par action simplifiée (SAS). C’est

donc dire que la société en nom collectif (SNC) et la société en commandite

simple (SCS) ne peuvent qu’être pluripersonnelles.

De ce qui précède, nous pensons que le choix pour une société

pluripersonnelle devrait être recommandé aux investisseurs pour la simple

raison que les détenteurs de capitaux font plus volontiers crédit aux sociétés

pluripersonnelles qu’aux entreprises individuelles. En outre, dès qu’il ya

groupement, l’entreprise en principe se dépersonnalise et est plus stable10.

Mais la crise de confiance entre partenaires sociaux brise parfois l’idée de la

pluralité au profit des entreprises unipersonnelles.

B. Le choix en fonction de la forme de la société

Pour ce qui est de la forme de la société, le législateur communautaire oblige

la ou les personnes désireuses de créer une société commerciale de choisir

l’une des cinq formes prévues par l’acte uniforme. Il y a deux sociétés de

personnes (la SNC11 et la SCS) et trois sociétés de capitaux (la Sarl, la SA, et

la SAS). Il est donc interdit d’inventer ou de recourir à une forme de société

non prévue par l’acte uniforme.

Les sociétés de personnes, caractérisées par l’intuitu personae, sont très

proches de l’entreprise individuelles en ce que les associés sont tenus

solidairement et indéfiniment du passif social. La séparation entre le

patrimoine de la société et celui des associés est très faible. Dans les sociétés

de capitaux par contre, les actionnaires ne sont responsables que dans la

limite de leur apport. En outre, l’intuitupecuniae prime sur l’intuitu personae.

Après avoir choisi la nature et la forme de la société, il faut souscrire et libérer

les apports.

II.1.2. La mise en commun des apports

Les apports sont principalement les différents biens que les potentiels

associés affectent à l’activité sociale envisagée. Au-delà des biens, le savoir-

10

ALIOUNE DIEYE, Op.cit., p. 13. 11SNC : Société en nom collectif ; SCS : Société en commandite simple ; SA : Société anonyme ; SARL : Société à

responsabilité limitée ; SAS : Société par action simplifiée.

6

faire constitue aussi une sorte d’apports. Il en découle qu’aucune société ne

peut fonctionner sans apports12.

A. Les types d’apports

La lecture de l’article 40 de l’AUSCGIE révèle qu’il y a trois sortes d’apports :

les apports en numéraire ; les apports en nature, et les apports en industrie.

Tout autre apport est interdit.

1. Les apports en numéraire

Les apports en numéraire sont ceux qui sont réalisés par le transfert à la

société de la propriété des sommes d’argent que l’associé s’est engagé à lui

apporter.

Au-delà de la souscription (promesse de payer), les apports en numéraire

doivent être intégralement libérés (payement effectif) lors de la constitution de

la société, sauf si l’acte uniforme permet le contraire13. L’argent apporté est

bloqué dans un compte bancaire ou auprès d’un notaire et reste indisponible

jusqu’à l’immatriculation de la société.

De manière exceptionnelle, la libération partielle d’un apport en numéraire est

possible dans les sociétés anonymes, mais sans dépasser le quart de sa

valeur nominale. La libération du solde devra se faire dans un délai de trois

ans à partir de l’immatriculation de la société au registre de commerce et de

crédit mobilier14.

2. Les apports en nature

Les apports en nature sont ceux qui portent sur des biens mobiliers ou

immobiliers, corporels ou incorporels. Ils sont réalisés par le transfert des

droits réels ou personnels correspondant aux biens apportés et par la mise à

la disposition effective des biens sur lesquels portent ces droits.

Les apports en nature peuvent être faits en propriété ou en jouissance, et ils

doivent être intégralement libérés lors de la constitution de la société, quelle

que soit la forme de celle-ci15. L’apport en pleine propriété est considéré

comme une vente16, et l’apporteur est alors garant envers la société comme

un vendeur envers son acheteur. Lorsque le bien ou le droit apporté est

soumis à la publicité pour son opposabilité aux tiers, il peut être publié avant

l’immatriculation de la société.

12

BENOIT Le Bars, Droit des sociétés et de l’arbitrage international. Pratique en droit de l’OHADA, éd. Joly, 2011, p. 19.

13 Art. 41 de l’AUSCGIE.

14 Lire l’article 389 de l’AUSCGIE.

15Art. 45 de l’AUSCGIE.

16 A. FENEON, Droit des sociétés en Afrique (OHADA), LGDJ, Moulineaux, 2015, p. 115.

7

Qui est habilité à apprécier la valeur des apports en nature ? En principe, les

associés eux-mêmes y sont habilités17. Cependant, l’acte uniforme prévoit des

cas où un commissaire aux apports doit en contrôler la valeur. Ainsi par

exemple, dans les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés anonymes,

la valeur des apports en nature et la description des avantages particuliers

doivent être contrôlées par un commissaire aux apports18.

3. Les apports en industrie

Les apports en industrie constituent le savoir-faire (connaissances techniques

ou professionnelles, services) que l’apporteur met à la disposition effective de

la société.

Les statuts déterminent les modalités de la libération de l’apport en industrie.

Par la volonté du législateur communautaire, les apports en industrie sont

interdits dans les sociétés anonymes19.

B. La réunion des apports : constitution du capital social

L’ensemble des apports faits à la société, à l’exclusion des apports en

industrie, forme le capital de la société, lequel a pour fonction de garantir les

créanciers, de protéger les associés, et de constituer la clé de répartition des

pouvoirs.

Le Montant du capital social20 est en principe déterminé par les associés.

Cependant, en raison de la forme ou de l’objet de la société, l’acte uniforme

impose parfois un minimum du capital social21. C’est le cas dans les sociétés à

responsabilité limitée et dans les sociétés anonymes22. Il convient de signaler

que l’acte uniforme révisé a apporté une innovation importante sur le minimum

du capital social de la société à responsabilité limitée. Il a autorisé aux Etats

membres de l’OHADA de déroger à l’acte uniforme, et donc de prévoir un

minimum applicable sur leurs territoires respectifs. C’est dans ce sens qu’est

intervenu en RDC l’arrêté interministériel n° 002/CAB/MIN/JGS&DH/014 et n°

243/CAB/MIN/FINANCES/2014 du 30 décembre 2014 déterminant la forme

17

Art. 49 al. 1er

de l’AUSCGIE. 18

Lire utilement les articles 312, 363 (pour la Sarl), et 400 à 403 (pour la SA) de l’AUSCGIE. 19

Art. 50-1 al. 2 de l’AUSCGIE. 20Lire utilement R. MULAMBA KATAMBA, Le montant du capital dans les sociétés commerciales en droit

OHADA, in, www.rmkassocies.org, consulté le 26 mars 2016 à 21h 50. 21

Art. 65 de l’AUSCGIE. 22Dans les sociétés à responsabilité limitée, le minimum légal du capital est de 1.000.000 des francs CFA au

moins, mais une disposition nationale peut prévoir le contraire (Art. 311 de l’AUSCGIE). Dans les sociétés anonymes par contre, le minimum est de 10.000.000 de francs CFA (pas de dérogation possible : art. 387 de l’AUSCGIE).

8

des statuts et le capital social de la société à responsabilité limitée, qui

renseigne en son article 2 que le montant du capital de la société à

responsabilité limitée unipersonnelle ou pluripersonnelle est librement fixé par

les associés en tenant compte de l’objet social de la société. Il en résulte

qu’en RDC, il n’y a pas un minimum légal pour le capital social d’une SARL.

Toutefois, ce minimum ne peut être inférieur à l’équivalent de 5.000 francs

CFA puisque la valeur nominale d’une part sociale dans cette forme de société

ne peut être inférieure à ce montant23.

Une fois constitué, le capital social obéit aux principes de l’intangibilité (le

capital doit être maintenu intact pendant la vie sociale) et de la fixité (les tiers

doivent toujours être informés du capital-chiffre prévu dans les statuts).

Une dérogation est possible en ce que le capital social peut être modifié dans

le sens de l’augmentation (toutes les formes des sociétés peuvent le faire) ou

de la réduction24, sans toutefois aller en deçà du minimum légal. C’est ce

qu’on appelle la variabilité du capital social, qui constitue une dérogation au

principe de l’intangibilité du capital.

Après la phase préparatoire, vient la phase constitutive de la société

commerciale.

II.2. La phase constitutive d’une société commerciale

La lecture de l’article 101 de l’AUSCGIE révèle que la société est constituée à

compter de la signature des statuts ou, le cas échéant, de leur adoption par

l’assemblée générale constitutive. Mais ne peuvent être signés ou adoptés

que des statuts déjà rédigés. Ainsi convient-il d’aborder successivement la

rédaction des statuts et leur signature.

II.2.1. La rédaction du contrat de société

Le contrat de société est l’acte (instrumentum) par lequel les potentiels

associés manifestent leur volonté de s’associer, et déterminent les règles

applicables à leur société. Ce sont les statuts qui constituent le contrat de

société (en cas de société pluripersonnelle) ou l’acte unilatérale de volonté (en

cas de société unipersonnelle). La validité des statuts dépend du respect d’un

certain nombre de conditions.

23

Lire l’article 311 de l’AUSCGIE. 24

L’augmentation du capital peut se faire notamment à l’occasion des nouveaux apports faits à la société, de l’incorporation de réserves, des bénéfices, de primes d’apport, d’émission ou de fusion. La réduction du capital quant à elle peut intervenir en cas de remboursement aux associés d’une partie de leurs apports, ou en cas d’imputation de perte de la société.

9

a. Les conditions de validité du contrat de société

Comme tout contrat, le contrat de société est soumis aux conditions du droit

commun des contrats, à côté desquelles il faudrait ajouter des conditions

spécifiques.

1. Les conditions du droit commun des contrats

En droit congolais, l’article 8 du code civil25 prévoit quatre conditions pour

qu’un contrat soit valablement formé. Ces conditions, qui valent aussi pour le

contrat de société, sont les suivantes :

Le consentement : ici, c’est la volonté de s’associer. Cette volonté doit

exister, doit être sincère et exempte de tout vice ; elle se matérialise le jour

de la signature des statuts par les associés ou leurs mandataires26 ;

L’objet : on vise ici l’activité sociale. Celle-ci doit être licite, et elle doit être

déterminée par les statuts ;

La capacité : c’est l’aptitude à pouvoir s’associer. Il faudrait ici distinguer la

capacité civile et la capacité commerciale. Dans certaines formes de

sociétés telles que la Sarl, la SA, et la SAS, seule la capacité civile (avec

une conception très large) est exigée. Ainsi toute personne physique27,

même mineure ou majeure aliénée, peut y être associée28. Dans la SNC et

la SCS (pour les commandités), la capacité civile ne suffit pas, il faut en

plus avoir la capacité commerciale, c’est-à-dire être commerçant pour

avoir la qualité d’associé. Par ailleurs, les personnes morales (sauf les

sociétés de fait et les sociétés en participation) peuvent souscrire des parts

sociales ou des actions. Une société de capitaux (Sarl, SA, SAS) entre

époux est permise, mais une société de personnes (SNC, SCS-comme

commandités-) entre époux est interdite29.

La cause : c’est le motif pour lequel les personnes décident de s’associer.

Autrement dit, la raison pour laquelle la société est constituée. Très

souvent, on confond la cause à l’objet social car on considère que la raison

d’être de la société est précisément la réalisation de son objet30. Comme

l’objet, la cause doit être licite et morale.

25Il s’agit du décret du 30 juillet 1888 sur les contrats et les obligations conventionnelles, tel que modifié et

complété à ce jour. 26MEMENTO PRATIQUE FRANCIS LEFEBVRE, Droit des affaires : Sociétés commerciales, Ed. Francis le FEVBVRE,

2007, p. 22. 27

Sauf si cette personne fait l’objet d’une interdiction ou d’une incompatibilité, ce qui fait d’elle incapable. 28

Art. 8 de l’AUSCGIE. 29

Art. 9 de l’AUSCGIE. 30MEMENTO PRATIQUE FRANCIS LEFEBVRE, Op.Cit., p. 44.

10

2. Les conditions spécifiques au contrat de société

Les conditions spécifiques de validité du contrat de société sont liées à la

forme même que doit prendre ce contrat, et à l’existence même de la société.

2.1. Les conditions relatives à la forme du contrat de société

Les conditions de forme constituent comme on le sait, une représentation de

l’ensemble des prescriptions à respecter pour établir des actes juridiques.

Ainsi, à la lumière de l’article 10 de l’acte uniforme relatif au droit des sociétés

commerciales, les statuts, qui constituent le contrat de société, doivent être

établis par acte notarié ou par acte authentique, lequel acte devra être

déposé avec reconnaissance d’écritures et de signatures au rang des minutes

d’un notaire. Ceci semble invraisemblablement exclure la possibilité d’établir

les statuts par acte sous seing privé.

Toutefois, l’article 10 précité reconnait aux Etats membres de l’OHADA le droit

d’édicter des dispositions nationales contraires. C’est dans ce sens qu’en

République démocratique du Congo, le ministre de la justice et celui des

finances ont pris, le 30 décembre 2014, l’arrêté interministériel n°

002/CAB/MIN/JGS&DH/014 et n° 243/CAB/MIN/FINANCES/2014 déterminant

la forme des statuts et le capital social de la société à responsabilité limitée,

dont l’article 1 renseigne que les statuts de la société à responsabilité limitée

(Sarl) unipersonnelle ou pluripersonnelles sont établis par acte notarié ou par

acte sous seing privé. Il en résulte que la dérogation ne concerne que les

sociétés à responsabilité limitée.

Quant au contenu, retenons que le contrat de société (les statuts) doit

obligatoirement contenir un certain nombre de mentions prévues à l’article 13

de l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales. Ces mentions

concernent l’identification de la société (dénomination, siège, durée, objet) ; la

nature des apports et l’identité des apporteurs ; le montant du capital social ;

la répartition des résultats ; le fonctionnement de la société, etc.31

2.2. Les conditions relatives à l’existence du contrat de société

Ces conditions sont au nombre de trois : la mise en commun des apports, la

participation aux résultats, et l’affectio societatis.

31Lire utilement l’article 13 de l’acte uniforme révisé du 30 janvier 2014 relatif au droit des sociétés

commerciales.

11

La mise en commun des apports (cfr développements ci-dessus) ;

La participation aux résultats : ceci implique que les associés se

répartissent le bénéfice, profitent de l’économie que leur entreprise

commune aura permis de réaliser, et contribuent aux pertes ou aux dettes

soit proportionnellement à leurs apports respectifs (dans les Sarl, SA et

SAS), soit indéfiniment et solidairement (dans les SNC et SCS –pour les

commandités-). La conséquence du principe de la participation aux

résultats, par rapport au partage de bénéfice, est la prohibition des clauses

léonines, la distinction entre une société et une association ;

L’affectio societatis : c’est la volonté de s’associer, le devoir de

collaboration volontaire et active, intéressée et égalitaire. Ceci implique que

l’affectio societatis n’est envisagée que dans une société pluripersonnelle.

b. La sanction contre le non-respect des conditions de validité du contrat

de société : la nullité textuelle

Il est de principe en droit commun des contrats que la violation des conditions

de validité est sanctionnée par la nullité pure et simple du contrat irrégulier. En

droit des sociétés par contre, le principe est celui de la « nullité textuelle ».

Aucune nullité ne peut être prononcée contre une société irrégulièrement

constituée si cette nullité n’est pas expressément prévue par un texte32.

1. Les causes de la nullité

Il y a des causes résultant :

De l’acte uniforme : Il y a d’une part, le défaut d’accomplir une formalité de

publicité. Ceci concerne les SNC et les SCS33. D’autre part, les causes

autres que le vice de consentement ou l’incapacité d’un associé, sauf si

l’incapacité atteint tous les associés fondateurs. Ceci concerne les

sociétés à responsabilité limitée et les sociétés par action34 ;

Du code civil (droit commun des contrats) : Il convient de noter que la

nullité n’est pas forcément prononcée en cas de violation des quatre

conditions de validité des contrats prévues dans le code civil. EX : dans la

SNC et dans la SCS, le défaut et le vice de consentement, l’incapacité

d’un ou de plusieurs associés, l’impossibilité ou le défaut d’objet, l’absence

de cause… n’entrainent pas la nullité de la société, mais sa régularisation.

32

Art. 242 de l’AUSCGIE. 33Art. 245 de l’AUSCGIE. Il convient de signaler que la juridiction compétente (En RDC : tribunal de commerce) a

la faculté de ne pas prononcer la nullité si aucune fraude n’est constatée. 34

Art. 242 al.3 de l’AUSCGIE.

12

Dans les Sarl, les SA et les SAS, l’incapacité et le vice de consentement

n’entrainent pas, nous l’avons vu, la nullité de la société.

2. Les conditions d’exercice de l’action en nullité

Ces conditions sont liées aux personnes habilitées à exercer l’action en

nullité, et au délai d’exercice de cette action.

Pour ce qui est des personnes habilitées, il faudrait distinguer s’il s’agit d’une

nullité absolue ou d’une nullité relative. Dans le premier cas, toute personne

(associé, dirigeant, créancier…) justifiant d’un intérêt ou le Ministère public,

peut agir en nullité. Dans le deuxième cas (nullité relative) cependant, seules

les personnes dont la loi a voulu protégé les intérêts peuvent agir en nullité35.

Quant au délai, le principe est que les actions en nullité d’une société doivent

être exercées dans les 3 ans à compter de l’immatriculation de la société ou

de la publication au Journal Officiel de l’acte modifiant les statuts, sauf si cette

nullité est fondée sur l’illicéité de l’objet social36. Lorsque la nullité concerne les

actes, les décisions ou les délibérations de la société, le délai, toujours de 3

ans, commence à courir à partir du jour où la nullité est encourue sauf si cette

nullité est fondée sur l’illicéité de l’objet social37. Lorsque la nullité envisagée

concerne la fusion ou la scission d’une société, le délai est exceptionnellement

de 6 mois à compter de la date de la dernière inscription au RCCM38.

La régularisation, obstacle à l’exercice de l’action en nullité

Comme dit ci-dessus, une irrégularité dans la constitution d’une société n’est

sanctionnée de nullité que lorsqu’un texte prévoit expressément cette nullité

(nullité textuelle). A défaut d’un texte exprès, seule la procédure de la

régularisation peut être déclenchée devant le tribunal de commerce

compétent, à la demande de tout intéressé ou du Ministère public39. Il a été

jugé que l’énonciation incomplète des mentions dans les statuts ne saurait

entraîner la nullité d’une société commerciale dès lors qu’il est offert la

possibilité à toute personne intéressée de solliciter de la juridiction compétente

la régularisation desdits statuts40.

35

Art. 255 al. 2 de l’AUSCGIE. 36

Art. 251 al. 1 de l’AUSCGIE. 37

Art. 251 al. 2 de l’AUSCGIE. 38

Art. 251 al. 3 de l’AUSCGIE. 39

Art. 75 de l’AUSCGIE. 40CCJA, arrêt n° 001/2010 du 04 février 2010, Aff. Mr Vincent ATHEY BOWER c/INTERTRANS TRADING GABON

SARL et Csrt, in OHADA, Code Bleu, JURIAFRICA, 2014, 167.

13

La régularisation supprime la cause de la nullité. On parle alors de la

couverture de la société. Toutes les nullités peuvent être couvertes sauf

celles fondées sur l’illicéité de l’objet social. Une nullité peut être couverte

jusqu’à ce que le tribunal ait statué sur le fond en première instance. Ce

tribunal peut même d’office accorder un délai pour permettre la couverture de

la nullité. Il ne peut pas prononcer la nullité moins de deux mois après la date

de l’exploit introductif d’instance41.

La conséquence de la régularisation est que l’action en nullité devient

irrecevable mais l’action en dommages-intérêts tendant à la réparation du

préjudice causé par le vice demeure recevable42.

3. Les effets de la nullité

Le principe est que le jugement de nullité entraîne d’abord l’anéantissement

de la société. Il fait disparaître le contrat et la personne morale qui en résulte.

Cette nullité n’est pas rétroactive. On parle de la nullité-dissolution43. La

société (annulée) et les associés ne peuvent se prévaloir d’une nullité à

l’égard des tiers de bonne foi, sauf si la nullité résulte d’un vice de

consentement ou d’une incapacité44.

Ensuite, la nullité de la société entraîne la responsabilité solidaire des

fondateurs de la société si la nullité leur est imputable. L’action en

responsabilité se prescrit en 3 ans à partir du jour où la décision d’annulation

est passée en force de chose jugée.

II.2.2. La constitution effective de la société : la signature du contrat de

société

Après avoir régulièrement rédigé les statuts, les fondateurs de la société

peuvent passer à la dernière étape de la constitution de la société : la

signature des statuts.

En effet, l’article 101 de l’AUSCGIE dispose que «toute société est constituée

à compter de la signature des statuts ou, le cas échéant, de leur adoption par

l’assemblée générale constitutive ».

Il en résulte que la simple signature des statuts ou leur adoption par

l’assemblée générale constitutive suffit pour constituer la société, mais une

telle société n’est pas opposable aux tiers, lesquels peuvent toutefois s’en

41

Art. 247 de l’AUSCGIE. 42

Art. 256 al. 3 de l’AUSCGIE 43

Art. 253 de l’AUSCGIE. 44

Art. 255 de l’AUSCGIE.

14

prévaloir. La société ne sera opposable aux tiers et ne pourra jouir de ses

droits que lorsqu’elle aura acquis la personnalité morale.

III. La phase d’acquisition de la personnalité morale : l’immatriculation de la

société au RCCM

Une société constituée doit, pour exister juridiquement, être inscrite au registre

de commerce et de crédit mobilier (RCCM), lequel a remplacé le nouveau

registre de commerce (NRC) qui a prévalu avant l’entrée en vigueur de

l’OHADA en RDC.

A la lumière de l’article 36 de l’acte uniforme relatif au droit commercial

général, le registre de commerce et de crédit mobilier est tenu par le greffe de

la juridiction compétente ou l’organe compétent dans l’Etat partie. La RDC a

opté pour la seconde hypothèse. Ainsi a-t-il été créé le Guichet Unique de

Création d’Entreprise. C’est auprès de cet organe que les sociétés en

constitutions doivent s’adresser pour être immatriculées au RCCM. Là où ce

guichet unique n’est pas encore opérationnel, l’inscription des sociétés se fait

au greffe du tribunal de commerce du ressort, ou au greffe du tribunal de

grande instance là où les tribunaux de commerce ne sont pas encore installés.

III.1. Les formalités nécessaires pour inscrire une société au guichet

unique

Pour faire immatriculer une société au Guichet Unique de Création

d’entreprise, il faudrait déposer un dossier contenant les éléments ci-après45 :

Une demande écrite ;

Quatre exemplaires des statuts de la société plus la version numérique

desdits statuts ;

Une déclaration de souscription et de versement ;

La preuve de libération du capital social ou l’extrait de compte ;

Les copies des cartes d’identité du Gérant et des associés ;

Le spécimen de signature du Gérant de la société ;

Le paiement des frais d’immatriculation.

45

Ces conditions sont disponibles sur www.guichetunique.cd

15

III.2. Les effets de l’immatriculation d’une société

L’immatriculation de la société régulièrement constituée produit les trois

effets suivant :

L’existence juridique de la société : acquisition de la personnalité

morale et de la qualité de commerçant ;

Point de départ de la durée de la société ;

Les engagements régulièrement souscrits au nom de la société en

formation deviennent des engagements sociaux.

En effet, lorsque la société n’est pas encore constituée (avant la signature des

statuts) les opérations conduisant à sa constitution sont effectuées par les

fondateurs dont le rôle prend fin à la signature des statuts. Si ces opérations

sont régulièrement effectuées, elles sont rétroactivement reprises par la

société après son immatriculation. En cas de non reprise de ces opérations

par la société, les fondateurs en sont solidairement et indéfiniment tenus

responsables46.

Lorsque la société est constituée mais non encore immatriculée, les premiers

dirigeants prennent la place des fondateurs et peuvent prendre des

engagements précis et déterminés pour le compte de la société. Si les actes

des premiers dirigeants respectent le mandat des associés, ils peuvent être

repris par la société dès son immatriculation. Si ces actes vont au-delà des

pouvoirs des dirigeants, la société peut les reprendre par vote en assemblée

générale (art. 112 de l’AUSCGIE). Les actes et engagements repris par la

société constituée et immatriculée sont censés avoir été contractés par la

société ab initio.

III.3. Les attributs de la personnalité morale résultant de l’immatriculation

L’immatriculation de la société confère à celle-ci :

Son autonomie par rapport à ses fondateurs : la société a un

patrimoine différents de celui de chacun des associés ; elle a une

responsabilité propre ; elle peut ester en justice ;

Une identité : la société peut être identifiée par son siège social

(domicile de la société), sa dénomination (le nom de la société), sa

nationalité (le rattachement de la société à un Etat donné) ;

Une capacité de jouissance et d’exercice de ses droits subjectifs.

46

Art. 110 de l’AUSCGIE.

16

III.4. Les hypothèses des sociétés non immatriculées : absence de la

personnalité morale

L’acte uniforme prévoit des hypothèses où les associés peuvent

exceptionnellement convenir que leur société ne sera pas immatriculée.

Une telle société sera dépourvue de personnalité morale47. L’acte uniforme

règlemente deux sociétés qui n’ont pas la personnalité morale. Il s’agit de la

société en participation et des sociétés de fait.

a. La société en participation48

La société en participation est celle dans laquelle les associés conviennent

qu’elle n’est pas immatriculée au RCCM. Elle n’a pas de personnalité morale

et n’est pas soumise à publicité ; elle se prouve par tout moyen de droit.

Dans cette société, les rapports entre associés sont, sauf dispositions

contraire des statuts, pareils à ceux des associés d’une SNC49. Les associés

conviennent librement du fonctionnement de la société en respectant les

règles impératives prévues par l’acte uniforme, sauf celles relatives à

l’immatriculation des sociétés.

N’étant pas soumise à la publicité, la société en participation est en principe

ignorée des tiers. C’est pourquoi on parle de « société occulte ».

b. La société créée de fait et la société de fait

Il y a société créée de fait lorsque deux ou plusieurs personnes physiques ou

morales se comportent comme associées sans constituer entre elles une des

sociétés prévue par l’acte uniforme50.

Il y a par contre société de fait lorsque deux ou plusieurs personnes

physiques ou morales créent une société reconnue par l’acte uniforme mais

qui comporte un vice de formation non régularisé51.

Ces deux sociétés sont dépourvues de personnalité morale ; elles se prouvent

par tout moyen de droit, et lorsque leur existence est reconnue par le juge, les

règles des associés en non collectif (SNC) sont applicables aux associés

desdites sociétés. Ces sociétés sont en fait reconnues pour les besoins de

leur liquidation.

47

Art. 114 de l’AUSCGIE. 48

Art. 854 et s. de l’AUSCGIE. 49Les associés (dans la société en participation) sont notamment tenus solidairement et indéfiniment au passif

social. 50

Art. 864 de l’AUSCGIE 51

Art. 865 de l’AUSCGIE.

17

C. Quid de la succursale ?

La succursale est un établissement commercial, industriel ou de prestation de

services, appartenant à une société ou à une personne physique, et dotée

d’une autonomie de gestion.

Quoique devant être immatriculée au RCCM, la succursale est dépourvue de

la personnalité morale; l’immatriculation n’étant qu’une mesure de publicité.

Ceci la distingue de la filiale52 qui elle, est juridiquement indépendante de la

société-mère et a une personnalité morale avec tous les attributs qui en

découle.

Notes bibliographiques

BENOIT Le Bars, Droit des sociétés et de l’arbitrage international. Pratique

en droit de l’OHADA, éd. Joly, 2011 ;

BORIS MARTOR, NENETTE PILKINGTON et al., Le droit uniforme

africain des affaires issu de l’OHADA, 2ème éd. Litec, 2009 ;

ALIOUNE DIEYE, Régime juridique des sociétés commerciales et du GIE

dans l’espace OHADA, 4ème éd. 2014 ;

FENEON (A.), Droit des sociétés en Afrique (OHADA), LGDJ, Moulineaux,

2015 ;

MEMENTO PRATIQUE FRANCIS LEFEBVRE, Droit des affaires :

Sociétés commerciales, Ed. Francis LEFEBVRE, 2007.

52

Une filiale est une société dont plus de la moitié du capital est apportée par une autre société appelée société-mère. (lire l’article 179 de l’AUSCGIE).