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LES CONCOURS DE PÉTANQUE DU 14 JUILLET À NEW YORK Valérie Feschet P.U.F. | Ethnologie française 2013/1 - Vol. 43 pages 123 à 135 ISSN 0046-2616 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2013-1-page-123.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Feschet Valérie, « Les concours de pétanque du 14 Juillet à New York », Ethnologie française, 2013/1 Vol. 43, p. 123-135. DOI : 10.3917/ethn.131.0123 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour P.U.F.. © P.U.F.. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Feschet Valérie - 92.150.199.192 - 15/01/2013 18h22. © P.U.F. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Feschet Valérie - 92.150.199.192 - 15/01/2013 18h22. © P.U.F.

LES CONCOURS DE PÉTANQUE DU 14 JUILLET À NEW YORK€¦ · en passant par le tournoi de pétanque de Brooklyn ou la Street Fair du French Institute (Alliance française) – un après-midi

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LES CONCOURS DE PÉTANQUE DU 14 JUILLET À NEW YORK Valérie Feschet P.U.F. | Ethnologie française 2013/1 - Vol. 43pages 123 à 135

ISSN 0046-2616

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2013-1-page-123.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Feschet Valérie, « Les concours de pétanque du 14 Juillet à New York »,

Ethnologie française, 2013/1 Vol. 43, p. 123-135. DOI : 10.3917/ethn.131.0123

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La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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Les concours de pétanque du 14 Juillet à New York

Valérie FeschetInstitut d’ethnologie méditerranéenne européenne et comparative

RÉSUMÉ

Depuis une vingtaine d’années à New York, la fête du 14 Juillet s’accompagne de concours de pétanque. Organisés dansManhattan et Brooklyn, ces concours très attendus témoignent du rapport nostalgique de la communauté française à certainsmotifs de la culture populaire qu’elle a perdus en s’installant aux États-Unis. Le pari de faire rentrer toute la « France de sonenfance » dans un concours de boules reflète l’intensité des motivations sous-jacentes et permet de créer des liens nouveauxavec la Provence comme horizon.Mots-clés : Pétanque. Diffusion. 14 Juillet. États-Unis. Nostalgie.

Valérie FeschetIDEMEC – UMR 7307MMSHAix-Marseille Université, AMU5, rue du Château-de-l’Horloge13094 Aix-en-Provence cedex [email protected]

À l’occasion de la commémoration du 14 Juillet,banquets, bals et feux d’artifice réjouissent la commu-nauté française en France comme à l’étranger qui fêtele souvenir d’un épisode essentiel de son histoire collec-tive. Depuis une vingtaine d’années à New York, desconcours de pétanque 1 ont été ajoutés au programmedes festivités. Ces concours sont devenus des événe-ments festifs très attendus (12 000 visiteurs en 2009,15 000 en 2010). Devant l’ampleur du phénomène, leconsul général de France à New York, Philippe Lalliot,a même mentionné ces concours de boules dans sondiscours du 14 juillet 2010 en remerciant :

Toutes celles et tous ceux qui contribuent à faire de cejour l’un des grands événements festifs de New York.[…] Du bal organisé par le Comité des associations fran-çaises à la soirée des French Tuesdays à Long Island City,en passant par le tournoi de pétanque de Brooklyn oula Street Fair du French Institute (Alliance française) – unaprès-midi de réjouissances familiales sur la 60e rue entrela 5e Avenue et Lexington Avenue –, il y en pour tousles goûts et dans tous les quartiers de New York.

Le succès des concours de pétanque organisés àl’occasion du 14 Juillet à New York, nommé Bastille Dayaux États-Unis, n’est pas un phénomène isolé. Il faitécho à une tendance contemporaine qui superpose, enFrance, la fête et les jeux de boules 2. Dans le Midi plusparticulièrement, les fêtes communales (fêtes votives,kermesses, commémorations) sont systématiquementassociées à des concours de pétanque. Certes lesmanèges, les stands forains, les repas collectifs, les bals,feux d’artifice et petits spectacles de chant sont toujoursprésents, mais de tous les concours d’adresse (sauts, tirs,lancers, courses, nages…) qui émaillaient le programmedes festivités des XVIIIe et XIXe siècles [Fournier, 2010],il ne subsiste aujourd’hui que des concours de boules(qui n’étaient pas très valorisés auparavant). Par unincroyable tour de passe-passe, la pétanque (qui estpourtant un jeu emblématique de l’identité provençale)est devenue le symbole de la fête nationale en France,incarnant à sa manière les valeurs républicaines deliberté, de fraternité et d’égalité [Feschet, 2013a]. Lesboules ont remplacé les « mamelles » de la Républiquesur le buste de Marianne. L’avènement de la pétanque

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à New York dans le cadre du Bastille Day s’inscrit danscette tendance générale.

L’enquête de terrain conduite à New York entre2009 et 2011 permet d’éclairer sous un angle particulierla problématique de la perte des racines dans les situa-tions de migration volontaire et des usages sociaux etculturels qui peuvent en être faits. Il s’agit d’un senti-ment ambivalent associant une émancipation assumée àla nostalgie d’une identité partagée. Il serait hors de pro-pos de parler ici de « pays perdu » au sens dramatique duterme car l’émigration française vers les États-Unis estgénéralement associée à un projet d’épanouissementpersonnel. Les Français rencontrés lors de cette étudeétaient tous heureux de leur destinée. Ils avaient la pos-sibilité de rentrer en France visiter leur famille et leursamis et de marcher à nouveau dans les pas de leurenfance. Ils le font d’ailleurs régulièrement. La plupartavaient envisagé de rentrer à un moment donné, mais ilsy ont finalement renoncé, se sentant mieux à New York.Dans ce contexte-là, que cherchent-ils à mettre enforme à l’occasion des reconstitutions opérées lors desBastille Day ? Que souhaitent-ils vivre, ou revivre, sur lebitume de Brooklyn ou de TriBeCa, les pieds dans lesable et boules de pétanque à la main ? Il ne s’agit pasd’exprimer une souffrance collective, de pleurer un ail-leurs perdu, un moment douloureux. La reconstructionse veut gaie et exubérante. Le pays ré-imaginé est unefête, une farce, une sorte de communion fraternelle,presque carnavalesque. Toutefois, l’émotion est palpableet les discours plus profonds qu’on pourrait le penser.Le spectacle produit se nourrit d’un décor embléma-tique (bar-tabac, babyfoot, merguez grillées) qui reflèteun « art de vivre » que les organisateurs, tous originairesdu midi de la France, ont voulu recréer sur le sol amé-ricain. L’énergie déployée se concentre sur un certaintype de souvenirs d’enfance où entrent en scène pèreset grands-pères, et sur des motifs qui donnent la partbelle à une sociabilité masculine traditionnelle. Ce quiétait insignifiant car trop ordinaire au village ou en ville,selon les cas, devient à New York le support d’uneidentité assumée qui se souvient tout d’un coup del’immense valeur des petites choses qu’elle a perdues enchangeant de lieu.

■ Des joueurs des quatre coins du monde

Ces tournois de pétanque rassemblent des amateursdébutants comme des champions de haut niveau en

« triplettes montées », c’est-à-dire que la constitutiondes équipes (trois personnes) est laissée au choix desparticipants. Parfois, les équipes sont tirées au sort.L’ambiance et les enjeux symboliques sont alors trèsdifférents. Dans le cadre du Bastille Day, les équipessont clairement déterminées par affinités sociocultu-relles. Du côté des Français, plusieurs groupes se dis-tinguent. Marseillais (selon les classifications localesemployées) mais aussi Bretons et Parisiens se retrouventautour du cochonnet pour fêter ensemble la prise dela Bastille. Ils ne partagent pas la même histoire migra-toire. Les Marseillais se sont installés dans lesannées 1980. La première vague de migration bretonnedate de l’entre-deux-guerres. Les joueurs les plusjeunes sont généralement nés à New York. Les anciens,arrivés juste après la Seconde Guerre mondiale, ontvécu quasiment toute leur vie aux États-Unis. Si lesFrançais constituent la moitié du groupe, ils ne sontpas seuls dans cette aventure. Cette compétition ami-cale accueille également des francophones d’origineafricaine (Maroc, Madagascar, Guinée Conakry,Cameroun, Sénégal, etc.) qui partagent avec les Fran-çais la même expérience sociale de la pétanque (unsport pratiqué à l’échelle du quotidien dans l’espaceurbain ordinaire de leurs pays d’origine).

Si la tonalité française est indéniable, l’autre moitiédes joueurs est américaine ou anglophone. Le nombredes joueurs qui n’ont pas de liens directs avec la Francetend à augmenter. Ces derniers sont parfois franco-philes et le disent ouvertement ; mais nombreuxsont ceux qui ne connaissent pas du tout la France etne parlent pas la langue (ou tout juste deux mots :pétanque et cochonnet qu’ils ont parfaitement intégrésà leur propre vocabulaire). Ce sont des boulomanesconfirmés et ils apprécient de jouer dans ce cadre inso-lite que représente pour eux le Bastille Day de Brooklynou de Manhattan. Cela leur permet, en outre, de défieren public les meilleurs joueurs français. Le challengeest symboliquement important. Certains de ces joueursanglophones sont nés en Amérique, d’autres sontimmigrés de longue date, originaires d’Europe occi-dentale (Danemark, Italie), d’Amérique latine oud’Asie. À l’image des origines géographiques, la diver-sité socioprofessionnelle des joueurs est extrême, demême que les niveaux de revenu : chefs d’entreprisefortunés, vendeurs de tickets de bus, ouvriers, cadres,étudiants, artistes, commerçants, restaurateurs,employés de bureau, chef, maître d’hôtel ou serveursdans des restaurants, ou en recherche d’emploi [Feschet,2011]. Souvent accompagnés de leurs amis et de leur

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famille, les 240 participants sont certes là pour le BastilleDay, mais aussi pour l’amour de la pétanque et pourl’occasion extraordinaire que ce jeu leur donne de seretrouver entre eux, dans un cadre à la fois familier etinsolite. Familier parce que c’est leur ville ; insolite carjouer aux boules dans les rues de New York, fermées etaménagées pour l’occasion, relève d’un exploit dontl’intensité de la signification symbolique se mesure àl’excitation et à l’enthousiasme général.

Peu de travaux éclairent les aspects sociaux et cultu-rels de l’installation des Français sur le sol américainalors que les liens historiques et sociologiques entre laFrance et les États-Unis d’Amérique sont importants[Joutard, 2006]. Il est vrai que l’immigration françaisese caractérise par son extrême modestie. Entre 1961et 1975, seulement 61 000 Français émigrèrent auxÉtats-Unis, soit 1,1 % des migrants comparés aux335 000 Italiens (5,9 %) et aux 818 000 Mexicains(14,5 %) qui fournissent, de loin, le plus gros contin-gent [Fohlen, 1990 : 37-38]. Néanmoins, sans êtremassive cette émigration ne fut ni négligeable ni éphé-mère. Elle a marqué et marque encore de sonempreinte le sol américain, même si les Françaisd’Amérique n’ont pas constitué des communautéslocalisées et identifiées comme telles dans les espacesurbains. En 2010, plus de 70 000 Français vivaient dansles États de New York, du New Jersey et du Connec-ticut. Si seuls 240 joueurs étaient en lice lors desconcours de pétanque observés, l’affluence des visi-teurs, la présence de nombreux stands français sur lesite, le coup de projecteur donné par le consul lui-même donnent à penser que le pourcentage des Fran-çais plus ou moins concernés par cette animationpétanque est loin d’être négligeable.

■ Les concours du Bastille Day

La pratique de la pétanque est en pleine expansiondans la ville de New York, qui compte aujourd’huideux clubs très dynamiques : « La Boule new-yorkaise » fondée en 1968 par un Ukrainien et le« New York Pétanque Club » fondé en 2009 par ungroupe de joueurs originaires du sud de la France. Lesboulomanes disposent de deux boulodromes publicsdans Manhattan (dans Bryant Park et dans WashingtonSquare Park) et d’un troisième, beaucoup plus grand,à Brooklyn à proximité de Prospect Park. Les concoursinternes aux clubs, comme ceux réalisés sous l’égide

de la fédération américaine de pétanque, se multi-plient. Il y a eu 18 tournois en 2011 sans compter lesautres manifestations auxquelles se sont rendus lesjoueurs new-yorkais comme les « Bastille Day Tourna-ments » ou encore le « Ricard Marseillaise » à Montréaldébut août ou l’Amelia Open en Floride organisé parPétanque America qui attire à la Toussaint un très grandnombre de joueurs venant de tous les États-Unis. Endehors de ces différents cadres formels, certains joueurss’exercent également dans les allées de Central Park(Manhattan), à Harlem, à Flushing Meadow Park dansle Queens, dans Mc Carren Park (Brooklyn), ouencore dans quelques arrière-cours de restaurants [Fes-chet, 2011 : 20]. Si l’introduction de la pétanque auxÉtats-Unis comme un sport de compétition apparaîtlente et difficile 3, au niveau local, à l’échelle des Étatset des grandes villes, la pétanque connaît un succèsgrandissant 4.

Les premiers concours du 14 Juillet organisés dansManhattan remontent au début des années 1990 5. Ilsont été tout d’abord sponsorisés par le champagne« Veuve Clicquot » qui trouvait dans cette animationun canal promotionnel idéal, cherchant en cela à imiterla société Ricard [Domenichino et al., 2009 : 49-91].D’après les informations recueillies lors des enquêtesde terrain, le premier Bastille Day Tournament a étéorganisé par le restaurant « Jacqueline » (2 sur la carte) 6,situé sur McDougal Street (Manhattan). Ce restaurant(qui existe depuis les années 1980) est tenu par desNiçois. Il n’est pas étonnant que la pétanque ait d’abordémergé à cet endroit car les Niçois 7 se sont implantésà New York en même temps que les Bretons, bienavant que les Marseillais n’apparaissent comme unecommunauté distincte à travers des restaurants spéci-fiques, la pétanque ou comme supporters de l’OM.

En 1993, le Bastille Day a été repris par le restaurant« Provence » (3 sur la carte), situé au croisement deMcDougal Street et de Prince Street, à Soho. Ceconcours s’est maintenu jusqu’en 2006. Toujourssponsorisée par le champagne « Veuve Clicquot », lacompétition était réservée à des joueurs issus desmétiers de la restauration. Cette animation permettaitaux amateurs de pétanque de la communauté françaisede se retrouver et de s’adonner à un jeu qui leur rap-pelait leur pays. Les prix (bouteilles de champagne,invitations à la cérémonie d’Halloween du RoyalPalace Hôtel de New York, voyages à Chicago ou àSan Francisco…) stimulaient la compétition. Le sou-venir de ces prix luxueux est aujourd’hui toujours ins-crit dans les mémoires. Des incidents sont venus gâcher

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Localisation des différents endroits où eurent lieu des concoursde pétanque à l’occasion du Bastille Day dans New York en2009 (réalisation Valérie Feschet).Légende :1. Florent, Meat Packing District2. Jacqueline, West Village3. Provence, Soho4. Cercle Rouge, TriBeCa5. Bar-Tabac, Smith Street, South Brooklyn

la fête et quelques participants, trop bons joueurs selonles organisateurs, furent « gentiment » priés de quitterle concours pour laisser une chance aux autres.Cette anicroche fut très mal vécue par les amoureuxde la pétanque qui se sentirent injustement exclus dece qu’ils pensaient être leur fête.

En 2006, le restaurant « Florent » (1 sur la carte),69, Gansewoort Street, situé un peu plus haut dansMeat Packing District, proposa à son tour une anima-tion pétanque qui était toutefois davantage un clind’œil fantaisiste à l’histoire française qu’un concoursde pétanque proprement dit, comme en témoignePierre L G. (un joueur d’origine bretonne né à NewYork de parents immigrés dans les années 1930) : « Thecourts ranged in size somewhere between 1 meter by3 meters, some 2 meters by 7 meters. The only thingthat was consistant was the presence of transvestitesdressed as Marie-Antoinette 8. » Les joueurs passionnésn’y trouvèrent pas leur compte, préférant des anima-tions plus sérieuses respectant davantage les règles dujeu.

Pendant ce temps-là à Brooklyn, Smith Street (5 surla carte), dans un quartier connu aujourd’hui pour êtrehabité par de nombreux Français, un nouveau BastilleDay fut mis en place par des joueurs originaires dumidi de la France (Marseille, Saint-Rémy-de-Provence, Grasse…). Selon Georges F. et Bernard D.,les deux piliers de l’organisation, propriétaires de res-taurants aux noms évoquant une France plutôt« rouge » (« Robin des Bois », « Bar-Tabac », « CercleRouge »), « le concours “Provence” de Manhattanétait avant tout un événement Veuve Clicquot ». Laprésence trop visible du sponsor aurait « pervertil’esprit du jeu » qui ne correspondait plus à un vraiconcours de pétanque comme le souhaitaient lesinitiés :

Les terrains étaient trop petits ; les parties se jouaient en6 points et elles étaient directement éliminatoires ; le prixdes consommations était excessif : 15 $ la coupe dechampagne pour un rendez-vous qui se veut fraternel,ce n’est pas possible ! Les vrais amoureux de la pétanquen’y sont plus allés.

Les organisateurs du Bastille Day de Smith Streetn’ont pas voulu tomber dans le même travers. Ils ontsouhaité faire une « belle fête de quartier » ouverte àtous. Ils ont fixé des prix abordables : 2,50 $ le verrede pastis et 5 $ les sandwichs-merguez. Ce fut immé-diatement un « vrai succès populaire ».

L’impulsion, pour être tout à fait juste, est venued’une Américaine, Bette Stoltz, qui s’occupait de cetteanimation pétanque depuis plus de dix ans dans le cadredu comité de quartier (South Brooklyn Local Deve-loppement Corporation). Dans les années 1990, denombreuses familles françaises sont venues s’installer àBrooklyn. Elles ont ouvert des restaurants, des pâtisse-ries… Les Français qui travaillent à Manhattan n’hé-sitent pas à s’installer dans Brooklyn afin de se logerplus confortablement. Certaines écoles proposentdésormais des cursus bilingues anglais-français. Lasoixantaine passée, Bette, francophile convaincuemariée à un Français, a souhaité valoriser cette identitéen organisant une fête traditionnelle. « Tout acommencé avec le programme de promotion de larue qui cherchait à mettre en valeur le côté frenchy deSmith Street », témoigne Bernard D. (propriétaire durestaurant « Robin des Bois » sur Smith Street et ori-ginaire de Marseille). Lorsque Bette est venue lui pré-senter son projet, il lui a répondu : « Le mieux quel’on puisse faire, c’est un concours de pétanque ! »

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Les terrains de boules sur Smith Street, 2010 (photo de l’auteur).

C’est ainsi que l’histoire a commencé. Le réseau desjoueurs de pétanque de New York, des entrepreneurset des restaurateurs français a immédiatement fonc-tionné. Malgré la lourdeur de l’organisation (quicommence dès le mois de décembre car il convientd’obtenir les autorisations nécessaires auprès de diffé-rentes structures municipales et de coordonner les par-tenariats), la formule a fait ses preuves et rencontretoujours plus de succès au fil du temps. D’autres éta-blissements ont cherché depuis à organiser un concourssimilaire à leur porte, comme le « Cercle Rouge »(4 sur la carte), en plein cœur de Manhattan sur WestBroadway, TriBeCa, qui a repris le concept en 2009puis en 2011, « toujours dans un souci de promouvoirle plaisir de jouer à la pétanque ». La principale

différence avec les concours précédents est liée au statutmême de la pétanque qui est dorénavant au cœur del’événement commémoratif. Il s’agit d’un véritableconcours. Les règles du jeu sont respectées et annon-cées au micro en début de compétition. Les équipes(triplettes) sont choisies à l’avance comme dans lesgrandes compétitions internationales et la plupart desconcours contemporains. Les parties se jouent en13 points. La taille des terrains est conforme (à partirde la demi-finale). Chaque équipe joue au moins troisparties grâce à une « consolante » organisée en parallèleavec le concours principal. Mais, surtout, « les spon-sors 9 sont présents mais ne mènent pas la danse », insisteGeorges, propriétaire du « Bar-Tabac » (un café-restaurant) qui accueille l’événement devant sa porte.

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■ Reconstruire un bout de France

• Recréer le cadre du souvenirLes moyens mis en œuvre sont considérables de

même que le budget nécessaire. Certes, les restaura-teurs équilibrent au final dépenses et recettes, maisl’énergie déployée mérite attention. Des tonnes desable sont déversées vers 10 heures du matin par uncamion-toupie ventru attendu avec impatience par lesorganisateurs. Le sable est étalé, ratissé, les terrainscompartimentés. L’impression de plage devient réellevers 11 heures du matin, d’autant plus qu’il n’y a pasd’arbres pour faire de l’ombre et que la chaleur atteintdéjà, à cette époque de l’année, un bon 35 ºC. Despains de glace sont acheminés aux buvettes et lancentdes éclats de lumière sur la chaussée devenue jauneclair, ce qui accentue l’effet caniculaire. Une immensebanderole « Ricard » est hissée tant bien que mal entravers de la rue, accrochée aux feux de circulation età la façade du « Bar-Tabac ». Elle annonce en grosseslettres jaunes et bleues : Come Celebrate Bastille Day. Lesjoueurs arrivent progressivement et attendent, dans labonne humeur, rassemblés sur les quelques liserésd’ombre que la rue offre encore. Dans le « Bar-Tabac »,le café organisateur, c’est l’effervescence, mais toutautour de cet îlot urbain, dans les laveries, les épiceries,les petits magasins comme Loving Pet Food, la vie conti-nue comme si de rien n’était. La foule arrivera plustard, entre 13 et 14 heures.

Alors que Smith Street se transforme en un boulo-drome de bord de mer, des stands sont installés autourdes 18 terrains et viennent parachever l’illusion

Le stand BZH (Bretagne) du Bastille Day 2010, Brooklyn(photo de l’auteur).

de l’ailleurs. Une tente trône en plein milieu etaccueille les joueurs dans la bonne humeur, exacte-ment de la même manière que lorsque l’on s’inscritpour un concours sur la place d’un village en fête.Malgré la présence d’un stand « champagne » et un del’association « BZH New York, Bretagne. Région deFrance, www.bzh-ny.org » qui propose des crêpessalées, sucrées et d’autres spécialités culinaires, l’idéedu Sud s’impose partout. À la suite du stand Ricard,central, s’agrègent les « saucisses-merguez-frites », lasangria, le « Conseil régional Provence-Alpes-Côte-d’Azur », la région Languedoc-Roussillon. La rue rec-tiligne, bordée de maisonnettes de briques rouges dedeux étages, caractéristique du paysage urbain deBrooklyn, devient le cadre d’une fête votive « à la fran-çaise » installée sur la « place du village », avec sabuvette, ses cafés et ses odeurs de grillades.

Pour couronner le tout, d’anciens babyfoots impor-tés de France ont été installés au coin de la rue etpermettent à tous de partager des matchs endiablésgratuitement. Ces babyfoots sont de véritables supportsidentitaires 10 qui rappellent les parties entre copains etles rares moments où les « jeunes » (les adolescents)pouvaient aller au café, lieu réservé aux hommes adul-tes dans la Provence traditionnelle, pour jouer à cesjeux attrayants. Dans les Bastille Day que j’ai pu obser-ver (trois au total), un clown apportait des touches decouleurs supplémentaires avec son costume bariolé etses ballons de baudruche ; un orchestre French Cancande musiciens en costume accompagnait des danseuseshyper sophistiquées au contact des joueurs et desbadauds, et mettait une ambiance électrique ; les

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« ambassadrices » de boisson en petites robes jaune anisvirevoltaient de-ci de-là et apportaient une touche sexyqui rappelait les « majorettes » aujourd’hui quasimentdisparues en France mais pourtant très présentes dansles années 1970-1980 dans toutes les manifestationscommunales (fêtes votives, corsos, défilés…). Il nemanquait qu’un camion de « chichis », une marchandede barbe à papa, peut-être une tombola et un petitmanège pour enfants, pour que l’illusion soit parfaite 11.

À midi, le coup d’envoi est lancé au micro par unanimateur 12 qui rappelle avec une grande applicationles règles de la pétanque et les particularités duconcours. Vers 14-15 heures, la foule est à son maxi-mum. Il est pratiquement impossible de circuler. S’iln’y a que 80 équipes en lice soit 240 joueurs, desmilliers de visiteurs vont venir jeter un œil, boire unverre entre amis, assister aux demi-finales et à la finalejusqu’à la nuit tombée ou « simplement manger unemerguez et repartir aussitôt » comme l’épouse deLucien R., un joueur d’origine malgache qui habitedans le Queens 13. Chaque année une guillotine estinstallée au milieu des terrains. Certains s’en amusenten se prenant en photo la tête sous la lame ; d’autressemblent ne pas comprendre le sens de cet objet, lelien n’étant pas évident entre la pétanque et l’abolitiondes privilèges d’une noblesse guillotinée.

• Rejouer la scèneJonglant avec des motifs comme le pastis, les mer-

guez, les babyfoots, la pétanque, un cadre festif bienidentifié est recréé. Le jeu de mémoire néanmoinsrequalifie les données en introduisant des élémentsnouveaux. En France, les concours sont plutôt sérieux.Les joueurs sont essentiellement des hommes, âgéspour la plupart d’une bonne cinquantaine d’années. Siles femmes jouent davantage aujourd’hui, on ne lesvoit pas beaucoup lors des concours, qu’ils soientinternes aux « amicales » ou largement ouverts 14. ÀNew York, même si des joueurs assez âgés viennenttenter leur chance, et parfois avec succès comme Bruce(un joueur new-yorkais qui s’est mis à la pétanque surle tard après avoir vu les joueurs de Bryant Park sur la42e rue) ou Jeannot (le doyen des Marseillais sur NewYork) qui disputèrent l’un contre l’autre la finale duBastille Day 2010, les concours du 14 Juillet attirentbeaucoup de jeunes adultes et davantage de femmesqu’en France. Le public est mixte, âgé d’entre 20 et40 ans à quelques rares exceptions, alors que dans lesvillages et les villes françaises la jeunesse se désintéresse

de ce type de spectacle qu’elle juge volontiers ringard,même si cette vision commence à s’inverser. Il s’agit àNew York de magnifier ce qui est plutôt banal enFrance. De « popu » (comme je l’ai souvent entendudans mon enquête) la pétanque devient « branchée » 15.

J’ai été surprise par l’exubérance vestimentaire etcomportementale à l’occasion des Bastille Day : vête-ments du quotidien volontairement mal assortis,postures théâtrales, échanges verbaux ponctués d’ex-pressions méridionales. De nombreux compétiteursaffichaient des attitudes corporelles considérées par laFédération comme un handicap pour l’image demarque de la pétanque (pieds nus, cigarette à la bouche,verre de pastis à la main, etc. 16). Les clins d’œil étaientparfois si appuyés que l’on pouvait se demander si lascène se jouait à New York, ou bien sur les rails dutramway du Redon de Marseille 17. Ces stéréotypesfurent également repris dans les affiches annonçantl’événement où, grâce au génie d’une compositionsémantique brillante, ce que nous pourrions appelerun style « débraillé » (selon l’étiquette sportive actuelle)devient le modèle, un message idéologique, unecontre-culture corporelle.

L’affiche du Bastille Day 2009 de Smith Street(31 × 47 cm) représente en effet un joueur de pétan-que habillé de sandalettes de cuir et de chaussettesretombant sur ses chevilles qui laissent voir des molletspoilus et des genoux maigrichons 18. Le joueur arboreune belle moustache, une boule de pétanque dans lamain gauche. Il montre du doigt son objectif d’un airdécidé alors que son béret retombe sur son œil droit.Une cigarette allumée vissée à ses lèvres laisse échapperun filet de fumée qui accentue l’effet de concentrationpour un tir improbable. Il porte un short très large,rapiécé à gros points, la « chiffonnette » utilisée pournettoyer les boules sortant négligemment de sa poche.Le short est maintenu en place par de larges bretelleschassées sur le côté par un ventre généreux soulignépar une chemisette à rayures. Notre pétanqueur setient vaillamment dans une rue ensablée, devant untrottoir caractéristique de New York avec son bétongris et sa borne anti-incendie qui rappelle le contextelocal.

Le Bastille Day de TriBeCa (Manhattan) a étéannoncé par le même type d’affiche en 2009. L’imagevarie un peu. Deux joueurs mesurent un point, l’unagenouillé, l’autre debout, devant la brasserie « CercleRouge » où des serveurs en tenue très stricte seconcentrent sur les commandes de leur clientèle. Unjoueur porte des sandalettes, l’autre des espadrilles

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L’affiche du Bastille Day 2009.

ouvertes sur le talon. Ils sont habillés en short et tee-shirt et affichent eux aussi un embonpoint certain.L’un d’eux porte un béret (qui connote davantage laFrance que la Provence où l’on porte des casquettes).

À ces symboles incarnant une identité populaire etdécontractée s’ajoutent d’autres images plus contem-poraines comme le maillot de l’équipe de France defootball ou celui de l’Olympique de Marseille. Enoutre, lors du Bastille Day 2009 de Smith Street, denombreuses équipes avaient fait imprimer sur leurs tee-shirts des allusions au folklore qui accompagne lapétanque en France et des slogans quasi idéologiquesappuyant l’idée d’une pétanque « libre » de toute éti-quette sportive restrictive : l’image des fesses de Fannypar exemple, une icône servant tout à la fois à consoleret à humilier les perdants 19 ; ou encore « Pastis, pistou,

Provence, puétanque » (une allusion à la prononciationpar les Américains) ; ou bien « cul sec » en référenceaux rafraîchissements qui accompagnent les « parties decabanon » [Feschet, 2013b].

■ Les enjeux symboliques

• Plonger dans ses souvenirs d’enfanceLa motivation des organisateurs et des joueurs de la

première heure est de revivre, le temps d’un concoursde pétanque, la sociabilité festive qu’ils ont connuedans leur enfance. Toutes les personnes d’origine fran-çaise rencontrées m’ont dit combien il fut difficile pourelles d’avoir perdu certaines choses « toutes simplesmais importantes » du mode de vie qu’elles ont connu,notamment une certaine fraternité associée à des usagesde l’espace public très différents des États-Unis. Il suffitde relever le nom des restaurants ouverts ces dernièresannées à New York pour constater que ce n’est pas leluxe et l’élégance que les Français ont emmenés aveceux, contrairement à l’image qui est véhiculée, maisplutôt une idée du bonheur associée à la modestie età la simplicité : le « Bar-Tabac », la « Mangeoire », le« Café Charbon », le Flea Market (marché aux puces),« Jules Bistrot », « Chez Félix », la « Petite Auberge »,le « Pastis », le « Patois », etc.

Le « Bar-Tabac » de Smith Street qui accueille lePétanque Tournament incarne particulièrement bien ceprocessus nostalgique qui tend vers un exotisme desoi-même. Créé en 2000, ce bistrot a été baptiséainsi par Georges F., originaire de Saint-Rémy-de-Provence, car son père l’emmenait au bar-tabac quandil était enfant. Georges a décidé de s’installer à NewYork en travaillant dans la restauration alors qu’il étaitjeune adulte. Les années ont passé mais il n’a jamaisoublié cet endroit familier où les habitués venaientacheter des cigarettes, prendre l’apéritif ou un café touten faisant leur tiercé, en jouant aux cartes ou auxboules selon les saisons et l’heure de la journée. Il avoulu faire de ce french bistrot le miroir de ses souvenirsd’enfance en transférant le modèle quasi intégral, uncarrelage fait avec des carreaux de ciment colorés auxmotifs géométriques, le zinc, les petites tables en bois,les nappes à carreaux, la terrasse sur le trottoir en été,une décoration rappelant la France (pichets de vin,broc à eau, drapeaux, affiches publicitaires « Le PetitParisien », « Suze » et « Ricard »). Les souvenirs d’en-fance sont le moteur de ces créations architecturales et

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événementielles qui ont tendance à se multiplieractuellement en ville. Georges est parfaitementconscient de ce processus :

Le Bastille Day est un événement très attendu où lesFrançais se rappellent leur enfance, leur village, leurquartier, ensemble… À midi, c’est là que ça se passe !Tous les Français se retrouvent. Ça me fait chaud aucœur chaque année. Tout le monde met la main à lapâte. À la limite, je fais tout ça juste pour voir les genssourire. Le meilleur moment, c’est à 11 heures, quandil n’y a encore que les passionnés de pétanque avant quela foule n’arrive… Je vis pour ça !

C’est un travail d’équipe, dit-il, où chacun dans sondomaine cherche à reconstruire l’« esprit provençal ».Pourtant, comme la plupart des joueurs du Bastille Day,Georges n’était pas un « mordu de pétanque » avantd’arriver à New York. Il ne participe pas lui-même auconcours, mais cela ne l’empêche pas de se piquer aujeu, en cherchant derrière les boules bien autre choseque le « cochonnet ».

Gilles, le propriétaire du Flea Market (dans l’EastVillage), avait fait quelques parties de boules avec songrand-père et ses oncles sur les bords de la Loirelorsqu’il était enfant, « mais sans plus » dit-il. Vers15 ans, au moment de son apprentissage professionnel,il n’en a plus eu le temps. Il ne s’est remis à la pétanquequ’à New York, il y a cinq ou six ans, puis, de fil enaiguille, il s’est piqué au jeu. Il a participé en 2009-2010 aux tournois du NYPC (son nouveau club), auxBastille Day, au concours d’Amelia Island en Florideorganisé par Pétanque America, à la « Marseillaise » cana-dienne qui reprend l’idée d’une pétanque festive à Lon-gueil (Canada). Gilles est né dans le Beaujolais, à Tararedans le Rhône. Il est chef diplômé d’une école hôte-lière. En vacances avec sa femme aux États-Unis en1990, ils saisissent l’opportunité qui s’offre à eux detravailler dans un hôtel-restaurant. Il enchaîne ensuiteles emplois à New York, « Chez Félix » en 1992 puisau « Café Charbon ». Il finit par monter sa propreaffaire avec son épouse. La décoration de son restaurantreflète sa nostalgie du pays. Accrochée aux murs etposée sur des étagères, une collection importante depetits objets de brocante achetés en France à l’occasionde ses voyages vient rappeler la culture matérielle dela restauration française. Par exemple, sept petits pan-neaux indiquant le prix des plats servis par un bistrotfrançais avant le passage à l’euro : Jambon 3 F, Poulet,Andouille 3,75 F, Œuf sur le plat 6 F, etc. ou encore

La décoration du Flea Market (West Village), 2009 (photo del’auteur).

quelques plaques publicitaires comme le « ChocolatPaul-Habez », « Le chocolat Pupier, le meilleur cho-colat français », ou bien « Les bottes Le chameau dou-blées cuir souple », la « Levure Alsacienne Alsa », etc.Sur les étagères, des pichets d’eau (Ricard, Pernod,Casanis) sont alignés ainsi que des petites statuettesreprésentant des joueurs de boules.

■ Renouer avec la passiondes jeux de boules

Pour d’autres, ce façonnage nostalgique est l’extra-ordinaire occasion de s’adonner à leur passion mêmesi les souvenirs d’enfance restent toujours très opérants.Pour Pierre L., chef du « Cercle Rouge » depuis 2006,dans le quartier de TriBeCa, jouer à la pétanque àl’occasion du Bastille Day est « un grand jour defête » qui lui permet de renouer avec ses racines. Ori-ginaire du sud-ouest de la France, il était déjà un« fou de pétanque » avant d’arriver à New York : « Déjàtout petit, on soignait l’habillement avec le cousin etle grand frère. On faisait les concours de Colomiers,près de Toulouse […], notamment le concours depétanque du Parti socialiste. » Chaque fois qu’il rentreen France, la pétanque est le support des retrouvaillesfamiliales : « Le premier truc que je fais, c’est une partiede pétanque avec mon père. On se met dehors. Ondiscute. On joue à la pétanque. Père et fils. On seretrouve. » Comme en France, il a toujours sa triplette(un ensemble de trois boules) dans la voiture « au cas

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L’équipe « Pastaga spécial club » lors du Bastille Day en 2009,Brooklyn (photo de l’auteur).

où une occasion se présenterait ». Lors du BastilleDay 2010, Pierre portait un tee-shirt avec pour slogan :« Ricard : préservons la couche d’eau jaune » ; en2009 : « Pastaga spécial club ». Outre le fait que le pastisa toujours été le support emblématique de la pétanque,ces allusions sont des clins d’œil à l’ambiance fraternelleet chaleureuse que véhicule ce jeu et à la chaleur desrelations humaines qui caractérise son univers [Feschet,2011].

Jean-Pierre S. a lui aussi toujours joué à la pétanqueétant enfant. Originaire de Cannes, il a émigré à NewYork en 1975 où il est créateur de parfum, un « nez »comme on dit dans le métier. Lors du Bastille Day« Provence », on lui a proposé de jouer aux boules etc’est à cette occasion qu’il a rencontré d’autres joueursdu Midi. Ils se sont « reconnus de vue », dit-il en sou-riant, et ils ont formé au fil des concours de redoutables« équipes de picholine » (variété d’olive typique deNice). Rattrapé par son ancienne passion, Jean-Pierrea construit un terrain de boules de 18 mètres sur 8dans le jardin de sa maison, dans le New Jersey, à unedemi-heure en voiture de Brooklyn. Il est égalementcofondateur du NYPC, comme toute l’équipe (au senslarge) du Bastille Day de Smith Street.

C’est également la passion de la pétanque conjuguéeà son amour pour Marseille qui anime Xavier T., l’undes meilleurs joueurs du moment aux États-Unis. Ils’est installé lui aussi récemment à New York en 1999.Xavier a grandi à Marseille, dans le quartier de la Val-barelle dans le 11e arrondissement. Il a toujours eu unerelation très forte avec les jeux de boules (longue

provençale et pétanque) qu’il pratiquait au quotidienen bas de son immeuble. Ses partenaires plus âgés quelui l’emmenaient faire des concours dans toute larégion. Après une première carrière en Belgique,comme restaurateur et « coach pétanque », il devienten 2002 premier maître d’hôtel au consulat de France.Xavier gagne systématiquement tous les concours duBastille Day auxquels il participe. Il participe à de nom-breuses compétitions internationales. Avec son équipe,il a représenté les États-Unis aux championnats dumonde de 2010. Chaque année, il rentre en Francepour participer à « La Marseillaise à Pétanque » qu’ilne raterait pour rien au monde. Son amour pour cejeu lui a donné l’énergie de monter avec ses amis undeuxième club de pétanque à New York, le New YorkPétanque Club, une longue et périlleuse aventure maisau final couronnée de succès. Jouer à la pétanque lerapproche de chez lui. Jouer sous le drapeau américainest une façon de faire le lien entre ses racines et sa vietelle qu’elle est aujourd’hui.

■ La Provence comme horizon

Revivre un moment chargé de souvenirs, s’adonnerà sa passion, le Bastille Day est aussi motivé par la volontéde construire à New York une communauté structuréeautour d’une identité « provençale ». C’est du moins lediscours qui est tenu. La pétanque n’est qu’un aspect decette volonté de se retrouver de temps en temps« ensemble » pour partager des moments fraternels àcoloration régionale. Bernard D., le propriétaire du res-taurant-brocante « Robin des Bois » qui est chargé « dedonner au Bastille Day une âme pétanque », a une visionbeaucoup plus large de la question. Bernard n’est pas un« véritable joueur de pétanque ». Originaire de Mar-seille, il s’est installé à New York en 1982. À ce moment-là, ce n’était pas très facile pour lui. « Il y avait zéropersonne du Sud, sauf Titou, un Niçois », se souvient-ilavec émotion. On l’appelait « le Marseillais » car il n’yavait quasiment pas d’immigrants originaires du sud dela France (du moins dans le secteur de la restauration),la plupart des Français étant d’origine bretonne (lesvagues d’immigration remontent aux années 1930 et1960). Ce n’est que dans les années 1990 que « les gensdu Sud » ont commencé à apparaître dans le paysageurbain. Bernard dit avoir souffert de « l’éloignementculturel », « un manque terrible », « un déracinementcruel ». Tout ce qu’il fait en ce moment, le Bastille Day

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Tournament, mais aussi le montage d’autres structuresassociatives avec la Provence comme horizon, il « le tirede là », dit-il : « Je ne veux pas que les minots qui arri-vent aujourd’hui vivent ça ! » C’est pour cette raisonqu’il s’investit dans l’organisation du Bastille Day et qu’ilparticipe avec ferveur au concours même si en Franceil ne jouait aux boules que de temps en temps, « commeça, de façon festive et amicale ». Au-delà de la pétanqueproprement dite, il cherche à créer « un groupe d’amis »,« à faire se rencontrer des gens du Sud ». C’est pour lamême raison qu’il a « toujours suivi l’OM ». Dans lesannées 1980, on ne trouvait le journal L’Équipe que dansune ou deux librairies de Manhattan. Aujourd’hui, Ber-nard est membre de l’association « OMNewYork », fon-dée par Xavier en 2003, qui permet à ses membres desuivre les matchs de l’OM et des championnats interna-tionaux en direct sur le grand écran du « NevadaSmiths », un pub situé au 74, Third Avenue, rebaptisépar les Français le « Nevadrome » (un clin d’œil au stadevélodrome de Marseille) 20. La pétanque comme le footsont des supports d’amitié et permettent de partager despassions communes.

Pour Thierry J., jeune diplômé de l’université deNew York installé depuis juin 2007, c’est aussi unmélange de nostalgie et de passion qui l’a propulsé dansles concours de boules nord-américains et qui a fait delui un animateur infatigable des concours de pétanque.Il est également membre de l’association OMNewYorkdont il anime depuis quelques années le site internet.Thierry est originaire de Maillane, en Provence.Comme Xavier et Jean-Pierre, il était déjà un excellentjoueur de pétanque avant de venir aux États-Unis. Lesoir après la classe, dès les beaux jours du printemps,alors qu’il était encore à l’école primaire, il jouait avecles anciens sur le terrain de son village. Sa vie de« jeune », à Maillane, oscillait entre le football et lapétanque. Il évoque dans l’entretien sa première « tri-plette » (trois boules) offerte par sa mère et celle, usagéemais aux normes, offerte par un joueur aguerri qui luia permis de faire ses premiers concours. Il s’est retrouvénez à nez avec ses origines un soir de printemps, parhasard, en se promenant dans Washington Square Park :

Alors que je me baladais, j’ai vu des terrains de pétanque,deux jolis et un en mauvais état… La première fois, iln’y avait personne mais la seconde fois, j’ai vu Ernesto

(un joueur d’origine chinoise et cubaine), Éric (un Fran-çais), Joe (un Italien), Steeve (un Américain), Lucien (unMalgache). Ils jouaient avec ferveur. […] Ils m’ont toutde suite proposé de participer au Spring Tournament deBryant Park qui avait lieu le week-end suivant et quiétait organisé par « La Boule new-yorkaise ».

Il y rencontra les autres « Marseillais » et, de fil enaiguille, il ajouta à la petite boule le ballon rond.

■ Un bain de jouvence nostalgique

Le pari de faire rentrer tout entière « la douce Francede son enfance » dans un concours de pétanque organiséde l’autre côté de l’Atlantique est étonnamment réussi.Réalisée à grands frais, la reconstruction est d’autantplus investie que l’intégration des Français (joueurs depétanque) semble harmonieuse. L’organisation d’un telévénement nécessite une véritable symbiose avec lemilieu socio-économique local. Certes, cette petitecommunauté de joueurs de pétanque originaire du sudde laFrance est assezminoritairepar rapport à l’ensembledes joueurs de pétanque de New York, elle-même trèshétérogène. La pétanque n’est pas non plus l’activité deloisir favorite de tous les Français de New York, loin delà. Toutefois, l’énergie déployée lors des Bastille Day etdans le cadre d’autres structures (New York PétanqueClub, OMNewYork, Provence Horizon…) fait que denombreuses personnes, par relations professionnelles oupar amitié, rejoignent volontiers le groupe, trouvantquelque chose qui leur convient dans l’art de « tirer oude pointer », ne serait-ce qu’une fois par an. La mémoiredu lieu quitté, ici dans le cadre d’une émigration choisieet assumée, est le moteur d’une création événementielleétonnante par la multiplicité des allusions qui s’ydéploient.Bien qu’empruntant au répertoire de la socia-bilité méridionale traditionnelle, les requalifications sebousculent et permettent de conjuguer ensemble lesdeux facettes de l’identité des participants. Par un ren-versement symbolique transformant la valeur des usages,un humour subtil, des clins d’œil laissant échapper uneforte charge affective, les concours du Bastille Day per-mettent aux joueurs et aux visiteurs, quelles que soientleurs origines, de plonger dans un bain de jouvencenostalgique. ■

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Notes

1. La pétanque est un jeu de boules qui aété inventé au début du XXe siècle dans le sudde la France. Ce jeu est la variante de « lalongue » (ou « jeu provençal »). Contrairementà la longue, la pétanque se joue Ped Tanco, piedsfixes, d’où son nom « pétanque »… Sur l’his-toire de la pétanque, voir [Bromberger, 1989],[Tornatore, 1996], [Izoird, 1993], [Reesink etReesink, 2004].

2. Les jeux de boules en France se carac-térisent par de nombreuses variantes régionales.Jeu provençal, longue lyonnaise (sport-boules),boules bretonnes, boule de fort, boule desberges… tous ces jeux traditionnels, exceptionfaite du jeu de boules lyonnais, sont restésancrés dans leur région d’origine. La pétanque,qui est pourtant le dernier né des jeux de bou-les, le premier concours ayant été organiséen 1910 à La Ciotat (près de Marseille), a connuen revanche une diffusion spectaculaire à l’issuede la Seconde Guerre mondiale. En 2011,88 pays étaient membres de la Fédération inter-nationale de pétanque et de jeu provençal, soit531 233 joueurs licenciés.

3. Les distances considérables, le coût desdéplacements, l’absence de support financier etde médiatisation, l’écrasante concurrence desautres sports de balles et boules sont des freinsà son développement. En 2009, il n’y avait que1 456 joueurs licenciés dans tous les États-Unis(pour 313 985 joueurs français).

4. En 2011, une quarantaine de clubsétaient affiliés à la FPUSA. Il y aurait30 000 joueurs réguliers aux États-Unis (selonPétanque America, une société qui cherche àpromouvoir ce jeu aux États-Unis).

5. Il y avait dans les années 1960 d’autresconcours de pétanque organisés par Le Stadebreton (une association communautaire). Cesconcours se déroulaient à l’extérieur de la villelors des pique-niques printaniers.

6. Ces chiffres renvoient à la localisationsur la carte des lieux de concours de pétanque.

7. Des témoignages attestent que lesNiçois, aujourd’hui installés en Floride, jouaientaux boules dans Central Park dans les années1960.

8. Florent Morellet, le restaurateur, appa-raissait déguisé d’une perruque rouge, le couorné d’un large collier de perles, d’un bustierde dentelle blanche et d’une jupe bleue.

9. En 2009, le Bastille Day du « Bar-Tabac » de Brooklyn était sponsorisé par larégion Provence-Alpes-Côte-d’Azur (comitérégional du tourisme), par Ricard, Lillet et parla South Brooklyn Local Developpement Cor-poration. Le champagne Taittinger était présentmais très peu visible.

10. Des babyfoots sont souvent installésdans les cafés fréquentés par la communautéfrançaise dans d’autres villes américainescomme à Washington par exemple.

11. Ce ne sont pas des spécificités françai-ses mais ces éléments de folklore populaire sontprésents dans les fêtes votives en France.

12. Les animateurs, en 2009, 2010 et2011, étaient des joueurs binationaux par filia-tion. Christophe C. est français par samère comme Robert D. et Thierry J. par sonpère. Jouer à la pétanque à New York leur per-met de vivre pleinement leur double identité[Feschet, 2011 : 11-18].

13. Sur le public et l’ambiance du BastilleDay, voir également l’article sonore en ligne deSelin Yasar et Margot Perrier [France-Amérique,20 juillet 2010].

14. La pétanque féminine est en expan-sion. 18,37 % des licenciés en France étaientdes femmes en 2008. Les concours fémininssont de plus en plus nombreux et rassemblentdes joueuses d’excellent niveau.

15. Voir l’article de Raphaële Rivais [LeMonde, 6 août 2010].

16. Il s’agit parfois d’une prise de positionpolitique dans un contexte où la Fédérationsouhaite rectifier l’image de marque renvoyéepar la pétanque au grand public. Les cigarettes

sur le terrain, l’alcool, les sandalettes, shortsau-dessus des genoux, débardeurs laissant voirtorses et aisselles sont dorénavant des attitudesproscrites. Les tenues, en compétition, doiventêtre correctes. Quelques joueurs sont scandali-sés par ces entraves à leur liberté.

17. Allusion au film de Marcel Pagnol,Fanny, pièce de théâtre jouée pour la premièrefois en 1931 à Paris et mise en images par MarcAllégret en 1932.

18. La Fédération interdit, dans lesconcours officiels, les shorts, les débardeurs, lestorses nus, les chaussures ouvertes, ainsi que lacigarette, pour valoriser l’image de la pétanquepar une étiquette plus sportive. Ces contraintessont parfois rejetées par certains joueurs quitiennent à leur liberté qui est constitutive, seloneux, de l’essence même de la pétanque.

19. Voir à ce propos l’ouvrage de Merouet Fouskoudis [La Fanny et l’imagerie populaire,1982]. Fanny est une légende lyonnaise néedans les années 1860 qui met en scène une filleun peu simple qui avait pour habitude de mon-trer son derrière aux soldats et aux joueurs deboules de la Croix-Rousse pour peu qu’on luidonnât un petit cadeau. L’habitude fut prisedans les clos de boulistes d’imposer aux per-dants d’aller « embrasser le cul de Fanny » enguise de gage, une Fanny matérialisée par despeintures ou des statuettes. Ce rituel facétieuxs’est largement diffusé en Provence dans lesclubs de pétanque.

20. « Ils sont entre cinquante et deux centssupporters de l’association OMNew York à seretrouver tous les week-ends dans un bar del’East Village pour supporter l’Olympique deMarseille, leur équipe de football favorite. […]OMNewYork fait désormais partie de Pro-vence Horizons Foundation, dont l’objectif estde recréer un environnement provençal à NewYork. Club de pétanque, soirée aïoli, [film deMarcel Pagnol], Manhattan n’attend plus queles cigales. […] » (Extrait d’un article de GaétanMathieu [France-Amérique, 20 mai 2010].).

Références bibliographiques

BROMBERGER Christian, 1989, « Ethnographie », in Régis Ber-trand, Christian Bromberger et Jean-Paul Ferrier (dir.), Pro-vence, Paris, Christine Bonneton : 65-177.

DOMENICHINO Jean, Xavier DAUMALIN et Jean-Marie GUIL-LON, 2009, Paul Ricard et le vrai pastis de Marseille, Marseille,Jeanne Laffitte.

FESCHET Valérie, 2011, « Pétanque in New York », Voices. TheJournal of New York Folklore, New York Folkore Society, SpringSummer : 12-20.

FESCHET Valérie, 2013a, « La pétanque et la fête. Ancrage etdiffusion d’un jeu emblématique de l’identité provençale », in

Régis Bertrand (dir.), La Fête en Provence, Aix-en-Provence,Presses de l’Université de Provence, à paraître.

FESCHET Valérie, 2013b, « L’être et le paraître des joueursde pétanque », in Laurent-Sébastien Fournier (dir.), Jeux etrevitalisation, « Ethnologie de l’Europe », L’Harmattan, àparaître.

FOHLEN Claude, 1990, « Perspectives historiques sur l’immi-gration française aux États-Unis », Revue européenne des migra-tions internationales, vol. 6, 1, « L’immigration aux États-Unis » :29-43.

FOURNIER Laurent-Sébastien, 2010, « Courir, sauter, lutter.Jeux et réjouissances profanes des fêtes provençales (1820-1825) », in François Gasnault (dir.), Récits de fête en Provence au

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XIXe siècle, Marseille, Archives départementales des Bouches-du-Rhône, Milan, Silvana editoriale Spa : 53-65.

IZOIRD Jean-Michel, Gérard PÉLISSON-LAFAY, 1996, LaPétanque. Une histoire, un sport, un loisir, une passion, Édi Loire.

JOUTARD Geneviève et Philippe JOUTARD, 2006, De la franco-philie en Amérique. Ces Américains qui aiment la France, Arles,Actes Sud.

MATHIEU Gaétan, « Quand New York prend l’accent proven-çal », Journal français des États-Unis. France-Amérique, en ligne,20 mai 2010.

MEROU Henri et G. P. FOUSKOUDIS, 1982, La Fanny et l’imageriepopulaire, Grenoble, Terre et Mer.

REESINK Henk et Anne-Marie REESINK, 2004, Jeux de boules.3 000 ans d’Histoire et histoires, Lerné, La société de boule defort « La Paix ».

RIVAIS Raphaële, « La pétanque atteint une nouvelle cible,jeune et branchée. L’arrivée d’un public urbain casse l’image“pagnolesque” de ce sport », Le Monde, 6 août 2010.

TORNATORE Jean-Louis, 1993, « Note sur la dramaturgie dujeu de boules. À Marseille, en Provence, et peut-être ail-leurs… », Ethnologie française, XXIII, 4 : 623-626.

YASAR Selin et Margot PERRIER, « La Provence s’invite àBrooklyn », Journal français des États-Unis. France-Amérique, enligne, 20 juillet 2010 (http://www.france-amerique.com/articles/2010/07/20/).

ABSTRACT

The Bastille Day Pétanque Tournaments in New York CityFor the past two decades, the Bastille Day celebration in New York City is accompanied by pétanque tournaments. Organized in

Manhattan and Brooklyn, these highly anticipated competitions demonstrate the nostalgic link between members of the Frenchcommunity and some patterns of popular culture they lost after settling in United States. The desire to situate one’s entire childhoodin France into a pétanque competition reflects the intensity of the underlying motivations and allows the creation of new Provence-related links.

Keywords : Pétanque. Diffusion. Bastille Day. United States. Nostalgia.

ZUSAMMENFASSUNG

Der Pétanque-Wettbewerb am 14. Juli in New YorkSeit etwa zwanzig Jahren gibt es in New York im Rahmen der Feierlichkeiten zum 14. Juli Pétanque-Wettbewerbe. Diese

ungeduldig erwarteten Wettkämpfe, die in Brooklyn und Manhattan ausgerichtet werden, zeugen vom nostalgischen Verhältnis derfranzösischen Gemeinschaft zu bestimmten Elementen der Populärkultur, die sie durch ihre Immigration in die USA aufgeben musste.Der Ehrgeiz, die gesamte France de son enfance (das Frankreich der eigenen Kindheit) in ein Boule-Spiel zu packen, spiegelt dieIntensität der zugrundeliegenden Motivationen wieder und macht es möglich neue Verbindungen zur Provence zu knüpfen.

Stichwörter : Pétanque. Verbreitung. 14. Juli. USA. Nostalgie.

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