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ECOLE DES DIRIGEANT S DE LA PROTECTION SOCIAL E 121 Les contentieux de l’Assurance maladie Par Fanny RICHARD, Responsable du département de la règlementation, CNAMTS Responsable du Département de la Réglementation à la Direction Déléguée à la gestion et à l’organisation des soins (DDGOS) à la CNAMTS. F ondée sur le principe de la solidarité nationale, l’organisation de la Sécurité sociale en France est fortement marquée par l’intervention de l’État qui progressivement a mis en place des garanties au profit de toute personne dont la santé ou la situation économique serait menacée. Ainsi, à la création des assurances sociales, la loi du 30 avril 1930 avait prévu le principe que les différends entre les caisses et les assurés soient soumis à l’appréciation d’un organisme particulier. De cette intervention par voie législative ou réglementaire, constitutionnellement reconnue, est né un droit de la Sécurité sociale dont l’application relève d’une juridiction judiciaire spécialisée à laquelle il revient de garantir à chacun, dans le respect des droits fondamentaux, un égal accès aux prestations et la possibilité pour l’assuré de faire reconnaître ses droits de manière simple, rapide et à peu de frais. Le caractère complexe et par voie de conséquence, sa lenteur d’exécution, puis l’intégration de la législation sur les accidents du travail, ont amené à une procédure organisant le contentieux général de la sécurité sociale. Les modifications les plus notables ont été apportées par l’ordonnance n° 58-1275 du 22 décembre 1958 et le décret n° 58-1291 du même jour. La réforme opérée marque essentiellement « un infléchissement très net du contentieux de la Sécurité sociale vers l’ordre judiciaire et un effacement corrélatif de l’empreinte administrative 1 ». Il est naturel que les appréciations de demandes de prestations émanant des assurés diffèrent de celles des caisses d’assurances débitrices. Des litiges de nature très diverse peuvent naître de l’application des lois de Sécurité sociale. Le contentieux de la sécurité sociale, et plus particulièrement le contentieux de l’Assurance maladie, a ainsi été défini et organisé par les articles L. 142-1 à L. 142-9 et R. 142-1 à 142-40 du Code de la Sécurité sociale. Conformément à l’article L. 142-1 du Code de la Sécurité sociale, le contentieux général règle les différends auxquels donne lieu l’application des législations et réglementations de Sécurité sociale et qui ne relèvent pas, par leur nature, d’un autre contentieux, tels que le contentieux technique médical à l’article L. 143-1 et le contentieux du contrôle technique aux articles L. 145-1 et suivants (I). 1 - M. DUPEYROUX cité par L. BIHL, Le contentieux de la Sécurité sociale et de la mutualité sociale agricole, Librairies techniques, 1971, p.5.

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ECOLE DES DIRIGEANTSDE LA PROTECTION SOCIALE

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Les contentieux de l’Assurance maladiePar Fanny RICHARD, Responsable du département de la règlementation, CNAMTS

Responsable du Département de la Réglementation à la Direction Déléguée à la gestion et à l’organisation des soins (DDGOS) à la CNAMTS.

Fondée sur le principe de la solidarité nationale, l’organisation de la Sécurité sociale en France est fortement marquée par l’intervention de l’État qui progressivement a mis en place des garanties au profit de toute personne dont la santé ou la situation économique serait menacée. Ainsi, à la création des assurances sociales, la loi du 30 avril 1930 avait prévu le principe que les différends entre les caisses et les assurés soient soumis à l’appréciation d’un organisme particulier.

De cette intervention par voie législative ou réglementaire, constitutionnellement reconnue, est né un droit de la Sécurité sociale dont l’application relève d’une juridiction judiciaire spécialisée à laquelle il revient de garantir à chacun, dans le respect des droits fondamentaux, un égal accès aux prestations et la possibilité pour l’assuré de faire reconnaître ses droits de manière simple, rapide et à peu de frais.

Le caractère complexe et par voie de conséquence, sa lenteur d’exécution, puis l’intégration de la législation sur les accidents du travail, ont amené à une procédure organisant le contentieux général de la sécurité sociale. Les modifications les plus notables ont été apportées par l’ordonnance n° 58-1275 du 22 décembre 1958 et le décret n° 58-1291 du même jour. La réforme opérée marque essentiellement « un infléchissement très net du contentieux de la Sécurité sociale vers l’ordre judiciaire et un effacement corrélatif de l’empreinte administrative1 ».

Il est naturel que les appréciations de demandes de prestations émanant des assurés diffèrent de celles des caisses d’assurances débitrices. Des litiges de nature très diverse peuvent naître de l’application des lois de Sécurité sociale.

Le contentieux de la sécurité sociale, et plus particulièrement le contentieux de l’Assurance maladie, a ainsi été défini et organisé par les articles L. 142-1 à L. 142-9 et R. 142-1 à 142-40 du Code de la Sécurité sociale.

Conformément à l’article L. 142-1 du Code de la Sécurité sociale, le contentieux général règle les différends auxquels donne lieu l’application des législations et réglementations de Sécurité sociale et qui ne relèvent pas, par leur nature, d’un autre contentieux, tels que le contentieux technique médical à l’article L. 143-1 et le contentieux du contrôle technique aux articles L. 145-1 et suivants (I).

1 - M. DUPEYROUX cité par L. BIHL, Le contentieux de la Sécurité sociale et de la mutualité sociale agricole, Librairies techniques, 1971, p.5.

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Les juridictions du contentieux de l’Assurance maladie, sous le contrôle de la Cour de cassation, ont mis en œuvre, en matière de droits et libertés fondamentaux, une double démarche, d’une part, pour assurer la protection des personnes face aux prérogatives des organismes sociaux, d’autre part, pour garantir un régime de protection sociale conforme aux exigences de ces droits (II).

Un recours spécifique pour l’Assurance maladie permet également de contribuer à la préservation et à la garantie de la pérennité de ces droits fondamentaux (III).

I- Une diversité, une complexité et une forte spécialisation des contentieux de l’Assurance maladie…I.1- Le contentieux général et l’expertise

Les principales catégories de litiges relevant du contentieux général, sont les suivantes : affiliation et immatriculation aux régimes de Sécurité sociale ; droit, calcul, montant des prestations ; assiette des cotisations ; prestations familiales.

On y décrit quatre phases successives :  Une phase amiable où les contestations sont soumises à une commission de recours

amiable (CRA) constituée au sein du conseil d’administration de l’organisme,  Un recours contentieux de première instance devant une juridiction : le Tribunal des

Affaires de Sécurité Sociale (TASS),   Un recours contentieux d’appel porté devant la Chambre Sociale de la Cour d’Appel,  Et un recours en cassation.

Dans le cadre de ce contentieux général, toute contestation d’ordre médical relative à l’état de santé du malade ou à l’état de la victime donne lieu à une expertise médicale. La procédure doit en être simple, facilement accessible, offrant des garanties de compétence et ne pas être en conflit avec le droit institutionnel. L’expertise médicale peut être mise en œuvre dans trois types d’hypothèses : lorsqu’elle est demandée par la victime ; lorsqu’elle est demandée par la caisse et, enfin, lorsqu’elle est ordonnée par une juridiction. Confiée à un médecin expert, l’expertise médicale est déterminée par les articles L. 141-1 à L. 141-3 et R. 141-1 à R. 141-10 du Code de la Sécurité sociale.

De même, une contestation d’ordre médical relevée dans l’exercice du contrôle médical sur l’attribution d’une prestation soumise à accord préalable peut donner lieu à une telle mesure. Si le litige est relatif aux soins dentaires ou à la prothèse dentaire, ces dispositions sont applicables en faisant appel à un praticien spécialisé en matière dentaire.

À la suite de l’expertise médicale, l’affaire reviendra devant le tribunal des affaires de Sécurité sociale (TASS) qui l’a ordonnée, ou fera l’objet d’une nouvelle décision de la caisse signifiée à l’assuré dans les quinze jours de la réception des conclusions motivées de l’expert ; cette décision pourra elle-même être contestée devant la commission de recours amiable puis devant le TASS. Ce sont donc les juridictions du contentieux général qui auront en charge de trancher la question.

La juridiction contentieuse n’est valablement saisie que lorsque la réclamation doit préalablement avoir été portée devant la commission de recours amiable. Il s’agit d’une formalité « d’ordre

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public » qui vise tous les différends auxquels donne lieu l’application de la législation de la Sécurité sociale, ainsi que le confirme une jurisprudence constante.

La délicate question de la composition strictement paritaire de la CRA est parfois contestée, et certaines décisions du Tribunal administratif reconnaissent que des représentants « des autres catégories d’administrateurs » que celles des employeurs et des assurés peuvent siéger au sein des CRA2. Or, un arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Nancy du 17 juin 20133 a rappelé la stricte composition paritaire, ainsi que le Ministère des Affaires sociales et de la santé dans une question écrite4 publiée le 2 juillet 2013. En conséquence et en application des dispositions de l’article R. 142-2 du code de la Sécurité sociale et de l’article 2 de l’arrêté du 19 juin 1969, la CRA devait être composée, paritairement, de conseillers représentant les assurés sociaux et de conseillers représentant les employeurs. Cette position vient d’être remise en cause par le Conseil d’État le 12 novembre 2014.

Si la CRA a fait droit à la réclamation de l’assuré, l’organisme doit normalement exécuter la décision prise par son conseil d’administration. Toutefois, la décision amiable n’ayant pas le caractère d’un jugement dont l’intéressé puisse exiger l’exécution, le requérant devra, si la caisse n’exécute pas la décision, introduire un recours devant le TASS.

De l’ensemble de ces différends, sont exclues les contestations relevant du contentieux technique relatives à l’invalidité, à l’inaptitude au travail et à l’incapacité de travail, ainsi que le contentieux du contrôle technique.

I.2- Le contentieux technique médical

En effet, la réforme de 1958 a également profondément modifié les contentieux spéciaux. Désormais le contentieux technique (invalidité, inaptitude au travail) est judiciaire ; les pourvois jusqu’alors de la compétence du Conseil d’État, doivent être portés devant la Cour de cassation.

On pourrait penser à première vue que le contentieux technique médical a un domaine englobant toutes les contestations relatives aux questions d’invalidité, d’incapacité permanente et d’invalidité.

Or, un tel raisonnement est incomplet car le contentieux technique est exceptionnel, spécial et sa compétence est strictement limitée aux questions énumérées par l’article L. 143-1.

Ainsi ne relève pas du contentieux technique, mais du contentieux général, la question de savoir si l’incapacité est, pour le tout ou seulement pour partie, justiciable de la législation sur les accidents du travail. En revanche, si la contestation soumise à une juridiction du contentieux général soulève une difficulté relative au degré d’invalidité de l’assuré, elle ne peut être tranchée que par les juridictions du contentieux technique et ne peut en aucun cas donner lieu à la procédure d’expertise médicale5. En revanche, les commissions techniques sont seules compétentes pour connaître des demandes en majoration de rente pour assistance d’une tierce personne6. Il en est de même pour tout différend portant sur l’origine de l’invalidité7.

2 - Voir en ce sens : Jugement du TA Rennes du 20 novembre 2013 n°1301537, TA de Rouen du 29 janvier 2013 n°1000754 ; TA de Lille du 28 mars 2008 - n°0506033

3 - Cour Administrative d’Appel de Nancy, 17 juin 2013 n°12NC014674 - n° 14679 de Me Gosselin-Fleury; réponse publiée au JO le 2/07/2013 (http://questions.assemblee-nationale.fr/q14/14-14679QE.htm)5 - Cass. Soc. 16 déc.19856 - Cass. Soc. 22 fév. 19627 - Cass. Soc. 12 juin 1980

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I.3- Le contentieux du contrôle technique

Les membres des professions médicales sont sans cesse appelés à collaborer avec les organismes de Sécurité sociale. Ainsi que l’a précisé J.-J. DUPEYROUX, « l’exercice consciencieux de leur profession est la condition nécessaire d’un bon fonctionnement du système. Ainsi, un contentieux disciplinaire spécial, dit contentieux du contrôle technique, a-t-il été organisé par les articles L. 145-1 et suivants ».

La loi du 21 décembre 1963 a créé les sections des assurances sociales au sein des conseils régionaux.

Les termes de « contentieux du contrôle technique » recouvrent « les fautes, abus, fraudes et tous faits intéressant l’exercice de la profession » relevés à l’encontre des médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes ou pharmaciens à l’occasion des soins dispensés aux assurés sociaux.

Les textes ne donnent aucune définition des fautes, abus et fraudes. Force est donc de s’en tenir aux indications données par la jurisprudence. C’est ainsi qu’ont été sanctionnés les cotations abusives et les actes non justifiés, le fait d’antidater ou de postdater certains actes portés sur les feuilles de soins, les actes fictifs, le fait pour un auxiliaire médical d’établir de fausses prescriptions médicales, de délivrer des prescriptions de complaisance, etc.

Le contentieux du contrôle technique est confié aux juridictions de l’ordre professionnel avec la participation des représentants de la Sécurité sociale.

Les sanctions susceptibles d’être prononcées par les différentes juridictions sont l’avertissement, le blâme avec ou sans publication, ou l’interdiction temporaire ou permanente du droit de donner des soins aux assurés sociaux.

L’ensemble de ces contentieux s’accompagne de la nécessaire préservation des droits des usagers.

II- … en contrepartie de la protection des usagers et de la garantie de leurs droits fondamentaux face aux prérogatives des organismes sociaux…II.1- Le principe de la contradiction

Compte tenu du caractère contraignant des décisions des organismes sociaux, tant à l’égard des employeurs que des assurés, ces derniers doivent être pleinement informés afin de pouvoir se défendre face aux prérogatives des caisses qui sont parfois exorbitantes du droit commun. À défaut, la Chambre sociale n’admet pas que des décisions n’ayant pu être débattues ou contestées en temps opportun puissent produire effet.

On observera que la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leur relation avec les administrations a, de ce point de vue, étendu le champ d’application du principe du contradictoire aux organismes sociaux dont le contentieux relève cependant de l’autorité judiciaire. C’est ainsi que l’article 25 fait obligation aux caisses de motiver leurs décisions se rapportant au reversement des prestations indues. Elles doivent de surcroît indiquer les voies et délais de recours ouverts à

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l’assuré, ainsi que les conditions dans lesquelles il peut présenter des observations écrites ou orales. La Chambre sociale n’a pas tardé à tirer les conséquences de ce texte en exigeant que les organismes sociaux informent les usagers du délai dans lequel doit être saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale, en cas de rejet implicite d’une réclamation8 ; le délai de deux mois à l’issue duquel le recours d’un assuré contre la décision de la commission de recours amiable est frappé de forclusion ne peut à cet égard valablement courir qu’à compter de la date à laquelle l’assuré a régulièrement connaissance de cette décision9.

II.2- La garantie des droits fondamentaux

L’application de l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantit à toute personne le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial.

Saisie de pourvois dans le cadre du contentieux technique de la sécurité sociale, la Cour de cassation a dû rappeler ces principes fondamentaux ignorés dans les règles procédurales propres à ce type de contentieux. Sur le fondement du texte précité, elle a annulé la décision du tribunal du contentieux de l’incapacité présidé par un fonctionnaire représentant du directeur régional des affaires sanitaires et sociales ayant du fait de ses fonctions des liens avec la caisse primaire d’assurance maladie, partie au litige10.

Par ces décisions qui tendent à ce que l’assuré puisse faire valoir ses droits sociaux devant une juridiction impartiale et dans le cadre d’un débat contradictoire, la Cour de cassation a donc entendu se manifester dans ce domaine particulier comme la gardienne des libertés fondamentales.

La Cour de cassation veille en outre strictement au respect des principes de non-discrimination ou d’égalité dont la violation pourrait exclure du bénéfice de prestations ou d’avantages sociaux.

La qualité du conjoint survivant au sens de l’article L. 353-1 du Code de la Sécurité sociale, qui seule ouvre droit à pension de réversion en cas de décès de l’assuré, a été reconnue à la veuve d’un travailleur salarié algérien, alors que le mariage, célébré en la forme musulmane, n’avait fait l’objet d’un jugement de transcription qu’après le décès du mari ; selon l’arrêt11, la veuve avait la qualité de conjoint au sens du texte précité.

En vertu de l’article L. 712-2 du Code de la Sécurité sociale, les fonctionnaires en retraite bénéficient, ainsi que leur famille, des prestations accordées, notamment en matière d’assurance maladie, aux titulaires de pensions de vieillesse des assurances sociales ; il en résulte qu’un ancien fonctionnaire de l’État bénéficiant d’une pension civile de retraite et assujetti à la Sécurité sociale métropolitaine à laquelle il a régulièrement cotisé, ne peut être privé des prestations maladie de ce régime métropolitain au motif qu’il demeure en Polynésie française12. En l’absence de réciprocité, les caisses refusaient d’accorder à des ressortissants étrangers résidant en France et n’appartenant pas à la Communauté européenne, l’allocation non contributive du fonds national de solidarité ou l’allocation aux adultes handicapés. Ce contentieux a été l’occasion pour la Cour de cassation de censurer les juges du fond qui approuvaient cette position et de rappeler que dès lors que l’intéressé remplissait toutes les conditions exigées pour l’attribution de la prestation, une décision de refus uniquement fondée sur sa nationalité étrangère n’était pas justifiée. Prohibant ainsi toute discrimination liée à la nationalité, cette

8 - Soc. 23 novembre 2000, Bull. n° 4099 - Soc. 6 juillet 2000, Bull. n° 26910 - Soc. 1er mars 2000, Bull. n° 6611 - Soc. 6 mai 1999, Bull. n° 9612 - Soc. 15 avril 1999, Bull. n° 182

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jurisprudence s’est fondée d’abord sur les articles 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 et 1er du protocole n° 1 de cette Convention du 20 mars 1951 dont il résulte dans leur interprétation par la Cour européenne des droits de l’homme, « que les États signataires reconnaissent et assurent à toute personne relevant de leur juridiction la jouissance des droits et libertés reconnus par la Convention, sans distinction aucune, fondée notamment sur l’origine nationale13 ».

Enfin, c’est selon la même démarche que la Cour de cassation s’assure d’une exacte application du principe de non-discrimination. Le juge français ne doit prendre en compte que la nationalité française d’un assuré ayant la double nationalité française et marocaine, de sorte que le droit aux prestations en espèces ne lui est pas ouvert au cours de son séjour au Maroc, nonobstant le principe de non-discrimination énoncé par la convention Franco-Marocaine et l’accord de coopération conclu entre cet État et la Communauté européenne14.

Plus récemment encore, dans le cadre du congé d’adoption pour le père, la Cour d’appel de Reims15 a conclu au caractère discriminatoire du refus de la caisse de verser les indemnités afférentes au congé d’adoption pour un père, alors que le texte stipulait expressément que le congé d’adoption était réservé à la femme par analogie aux dispositions sur le congé maternité.

En revanche, en matière d’Assurance maladie, la jurisprudence retient une interprétation de plus en plus stricte des dispositions du Code de la Sécurité sociale, compte-tenu des impératifs de maîtrise des dépenses de santé. Ainsi, sauf urgence attestée par le médecin prescripteur, la couverture par une CPAM des frais de transport déboursés par un assuré sur une distance excédant 150 kilomètres suppose l’accord préalable de l’organisme social. La demande d’entente préalable adressée à ce dernier doit être complétée et signée par le médecin prescripteur (qui réalise les soins) sur un imprimé réglementaire16. De même, il a été jugé que le transporteur ne peut mettre en œuvre la procédure de dispense d’avance des frais que pour les transports pris en charge par l’assurance maladie conformément à la réglementation en vigueur17. Dès lors, le principe dit « de l’intangibilité de la prescription » ne peut servir à justifier le remboursement d’un transport ne remplissant pas les conditions de prise en charge par l’assurance maladie. En cas de transport non remboursable, l’action en répétition d’indu sera engagée à l’encontre du transporteur. L’article L. 133-4 du CSS permet à la CPAM de recouvrer l’indu né de l’inobservation des règles de tarification ou de facturation à l’encontre du professionnel à l’origine du non-respect de ces règles. Or, c’est en facturant à l’assurance maladie un transport non remboursable que le transporteur se trouve être directement à l’origine de l’inobservation des règles de facturation.

Dans une décision du 10 juillet 2014, la Cour de cassation a précisé que « le bénéfice du congé parental d’éducation est soumis à l’information préalable de l’employeur mais ne requiert pas son autorisation pour sa validation »18. Pour autant, la Cour précise que le juge tranche les litiges conformément aux règles de droit applicables et ne peut fonder sa décision sur l’équité : la bonne foi avérée de la plaignante qui n’était pas en mesure de produire l’attestation nécessaire de son

13 - Soc. 14 janvier 1999, Bull. n° 2414 - Soc. 5 novembre 1999, Bull. n° 43615 - Arrêt n°1129 Cour d’appel Reims, 24 oct. 201216 - Articles R 322-10, R 322-10-4 et R322-10-6 du CSS, Cass. Civ., 9 oct. 2014.17 - Cass. 2ème chambre civile. 10 novembre 2011 - n° 10-24496 ; 20 septembre 2012, n° 11-20244; 8 novembre 2012, n° 11-24135,

n° 11-25657, n° 25658, dernièrement rappelé par l’arrêt Civ.2, 6 novembre 2014 n°13-2545418 - Cass. civ. 2ème, 10 juillet 2014 n°13-20372

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employeur pour pouvoir bénéficier des prestations en espèces de l’assurance maternité n’est pas un motif recevable.

Cette question de la préservation de l’équilibre financier de notre système de sécurité sociale considéré comme un motif impérieux d’intérêt général, permet également à l’Assurance maladie d’exercer un dernier type de recours (III).

III- …tout en œuvrant à la préservation des comptes publicsIII.1- Le recours contre tiers

De manière générale, le préjudice subi par le tiers est pris en charge directement par un organisme de Sécurité sociale. Toutefois, cet organisme joue bien souvent le rôle d’assurance et le débat n’est donc pas clos. Du côté de l’assuré, ce dernier peut demander réparation intégrale de son préjudice dans le cas où la Sécurité sociale ne l’aurait pas totalement couvert. De même, l’organisme d’assurance sociale dispose d’un recours subrogatoire afin d’obtenir auprès du tiers remboursement des sommes avancées à la victime (frais d’hospitalisation - frais médicaux et pharmaceutiques - indemnités journalières - rentes AT - pensions d’invalidité …)19.Une évolution de ces recours est marquée depuis ces dernières années avec la gestion des accidents sériels, à l’origine d’un évènement reproductible qui a ou est susceptible d’exposer de nombreuses personnes à des lésions corporelles sur l’ensemble du territoire.

Cet évènement peut être dû à une faute, un écart de pratique (ex : affaire des prothèses mammaires PIP - affaire Costa Concordia) - à la défectuosité d’un matériel ou d’un produit de santé (ex : affaire du benfluorex® ; affaire des sondes cardiaques medtronic®).

Les signaux d’alerte sont principalement :  une concentration spatio-temporelle des cas ;  un nombre de plaintes conséquent ;  un signalement de matério-vigilance.

Ces accidents, de plus en plus nombreux du fait notamment de la rapidité des évolutions technologiques, nécessitent une approche spécifique et la mise en perspective de la réalisation d’actions amiables et contentieuses en lien avec les associations et les collectifs de victimes.

Il est clair que le législateur s’est abstenu de bouleverser l’organisation du contentieux social, se contentant de procéder à des retouches ponctuelles de certains délais de procédure20.Que les médecins et l’Assurance maladie se rassurent : leurs patients et les assurés ne cherchent pas le contentieux à tout prix. Alors que depuis plusieurs années, un sentiment de judiciarisation de la santé et de « dérive à l’américaine » domine, l’Institut droit et santé de l’université Paris-Descartes, a tenté d’analyser les faits en 2012. Un travail de deux ans, qui a permis d’expertiser 50 000 décisions de justice rendues de 1999 à 2009 et qui démonte les idées reçues sur la hausse des demandes de réparation. Que ce soient les procédures administratives pour les contentieux concernant l’hôpital, les procédures civiles et pénales, ou encore disciplinaires, c’est une stabilité qui est constatée, voire une baisse, ces dernières années.

19 - Article L376-1 du Code de la sécurité sociale20 - L. n°89-474, 10 juill. 1989 et D. n°96-1009, 14 nov. 1990).