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Les deux font la paire

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illustration d'une nouvelle de JF Dormois

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Les deux font La paires

Jean-françois dormois

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Les deux font La paires

Jean-françois dormois

Page 4: Les deux font la paire

– Vous allez où ? – J’en sais trop rien.

– Ça tombe bien, parce que c’est là où je vais. non, je plaisante ! Je rentre chez moi. C’est à une

trentaine de bornes. allez, montez. Je vous emmène. posez vos

affaires sur la banquette arrière, ça ne craint pas.

– Merci. Je commençais à désespérer.

– Vous attendiez depuis longtemps sous cette pluie ?

– Je peux pas vous dire. J’ai pas regardé l’heure.

– Vous savez, c’est plutôt la zone par ici. il n’y a pas foule sur cette

route. et puis la faune de la région est plutôt méfiante. difficile de

faire sa place, mais on finit par s’y habituer.

– Vous êtes pas de la région ?– non, pas du tout. disons

qu’on cherchait la solitude. pour employer les grandes formules, on voulait prendre nos distances avec la société. et là, on peut dire qu’on

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– Vous allez où ? – J’en sais trop rien.– Ça tombe bien, parce que c’est là où je vais. non, je plaisante ! Je rentre chez moi. C’est à une trentaine de bornes. allez, montez. Je vous emmène. posez vos affaires sur la banquette arrière, ça ne craint pas.– Merci. Je commençais à désespérer.– Vous attendiez depuis longtemps sous cette pluie ?– Je peux pas vous dire. J’ai pas regardé l’heure.– Vous savez, c’est plutôt la zone par ici. il n’y a pas foule sur cette route. et puis la faune de la région est plutôt méfiante. difficile de faire sa place, mais on finit par s’y habituer. – Vous êtes pas de la région ?– non, pas du tout. disons qu’on cherchait la solitude. pour employer les grandes formules, on voulait prendre nos distances avec la société. et là, on peut dire qu’on

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est servis ! La garrigue à perte de vue ! pas âme qui vive. d’une certaine façon, c’est préférable.

Comme ça, on est tranquilles. pas de commères ni de pipelettes pour lorgner et commenter vos allées et

venues. et vous ?– Moi ? pas grand-chose à

raconter. Je vais, je viens. des petites occupations par-ci par-là. des tâches souvent ingrates, pas

toujours déclarées et souvent mal payées. Mais bon, je parviens

à survivre, c’est déjà ça. tenez, il y a deux semaines, j’ai fait les

vendanges. et là, je descends sur la côte pour passer la mauvaise

saison. Je vais peut-être pousser jusqu’en tunisie si j’ai assez

de thunes. on verra bien. on improvisera… Je peux fumer ?– oui, mais entrouvrez la vitre.

– Vous en voulez une ?– Je veux bien.

– Je vous préviens, c’est des roulées. C’est moins cher.

– dites donc, elle est jolie votre boîte à rouler.

– oui. disons que c’est… mes dernières étrennes.

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est servis ! La garrigue à perte de vue ! pas âme qui vive. d’une certaine façon, c’est préférable. Comme ça, on est tranquilles. pas de commères ni de pipelettes pour lorgner et commenter vos allées et venues. et vous ?– Moi ? pas grand-chose àraconter. Je vais, je viens. des petites occupations par-ci par-là. des tâches souvent ingrates, pas toujours déclarées et souvent mal payées. Mais bon, je parviens à survivre, c’est déjà ça. tenez, il y a deux semaines, j’ai fait les vendanges. et là, je descends sur la côte pour passer la mauvaise saison. Je vais peut-être pousser jusqu’en tunisie si j’ai assez de thunes. on verra bien. on improvisera… Je peux fumer ?– oui, mais entrouvrez la vitre.– Vous en voulez une ?– Je veux bien. – Je vous préviens, c’est des roulées. C’est moins cher.– dites donc, elle est jolie votre boîte à rouler.– oui. disons que c’est… mes dernières étrennes.

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– C’est là chez vous ?– oui, on est arrivés à la tanière.

– sacrée baraque ! Vraiment,c’est chouette. Vachement

chouette. et vous vivez là… toute seule ?

– d’une certaine façon, oui… oui et non… Mais c’est une autre histoire. Vous n’allez pas repartir

maintenant, par cette météo pourrie ? il continue de tomber

des cordes. entrez vous sécher et prendre quelque chose. Ça me fera de la compagnie car on ne

croule pas sous les visites. allez, descendez, on entre par ici.

– ouah, super ! Ces poutres, les pierres apparentes, la cheminée…– oui, mais on finit par s’en lasser.

installez-vous. Mettez-vous à l’aise. Qu’est-ce que je vous sers ? une boisson chaude ? une infusion ?

une bière ?– pour moi, ce sera une bière. Je

peux fumer ?– oui. Vous pouvez encore m’en

rouler une ? J’exagère, non ? Mais ça fait une éternité que je n’ai pas

fumé. Ça et d’autres choses… Je peux voir votre boîte ? C’est vos

initiales qui sont gravées dessus ?– oui.

– tenez, votre bière. Moi, ça sera une infusion. dites donc, vous n’allez pas repartir avec cette

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– C’est là chez vous ?– oui, on est arrivés à la tanière.– sacrée baraque ! Vraiment,c’est chouette. Vachement chouette. et vous vivez là… toute seule ? – d’une certaine façon, oui… oui et non… Mais c’est une autre histoire. Vous n’allez pas repartir maintenant, par cette météo pourrie ? il continue de tomber des cordes. entrez vous sécher et prendre quelque chose. Ça me fera de la compagnie car on ne croule pas sous les visites. allez, descendez, on entre par ici.– ouah, super ! Ces poutres, les pierres apparentes, la cheminée…– oui, mais on finit par s’en lasser. installez-vous. Mettez-vous à l’aise. Qu’est-ce que je vous sers ? une boisson chaude ? une infusion ? une bière ?– pour moi, ce sera une bière. Je peux fumer ?– oui. Vous pouvez encore m’en rouler une ? J’exagère, non ? Mais ça fait une éternité que je n’ai pas fumé. Ça et d’autres choses… Je peux voir votre boîte ? C’est vos initiales qui sont gravées dessus ?– oui. – tenez, votre bière. Moi, ça sera une infusion. dites donc, vous n’allez pas repartir avec cette

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fichue pluie ? elle n’est pas près de cesser. et puis la nuit va tomber.

et malheureusement pour vous, à cette heure-ci, vous ne risquez pas de trouver une âme charitable sur

la départementale. allez, je vous invite à manger et même à passer

la nuit ici. – Mais…

– il n’y a pas de mais. ne faites pas de manières. et puis, rassurez-

vous, pour dormir, ce n’est pas la place qui manque.

– apparemment.– oui. on est à l’aise. et largement.

Mais, comme me le répétait l’agence, c’était une sacrée

opportunité. d’ailleurs, je ne vois pas qui aurait eu l’idée de venir

s’enterrer ici. pour qui aime la solitude, c’est la place rêvée. a

condition d’avoir une vie intérieure très très riche ! Voyez, même pas

la télé ! Heureusement, il y a la bibliothèque, la littérature, la

lecture. Mais là aussi, on finit par se lasser. Comme les balades, on finit par frôler l’overdose ! Les quelques

forêts, les rares étendues d’eau, mais surtout la garrigue, la rocaille,

on finit par saturer !– excusez-moi de vous poser une

question indiscrète, mais…– non ! Je ne travaille pas. J’ai cette

chance inestimable d’être femme

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fichue pluie ? elle n’est pas près de cesser. et puis la nuit va tomber. et malheureusement pour vous, à cette heure-ci, vous ne risquez pas de trouver une âme charitable sur la départementale. allez, je vous invite à manger et même à passer la nuit ici. – Mais…– il n’y a pas de mais. ne faites pas de manières. et puis, rassurez-vous, pour dormir, ce n’est pas la place qui manque.– apparemment.– oui. on est à l’aise. et largement. Mais, comme me le répétait l’agence, c’était une sacrée opportunité. d’ailleurs, je ne vois pas qui aurait eu l’idée de venir s’enterrer ici. pour qui aime la solitude, c’est la place rêvée. a condition d’avoir une vie intérieure très très riche ! Voyez, même pas la télé ! Heureusement, il y a la bibliothèque, la littérature, la lecture. Mais là aussi, on finit par se lasser. Comme les balades, on finit par frôler l’overdose ! Les quelques forêts, les rares étendues d’eau, mais surtout la garrigue, la rocaille, on finit par saturer !– excusez-moi de vous poser une question indiscrète, mais…– non ! Je ne travaille pas. J’ai cette chance inestimable d’être femme

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à la maison. oui, quelle chance ! Vous aussi, vous avez eu de la

veine tout à l’heure. en matinée, c’était la foire hebdomadaire à la ville voisine. une ville ! façon de

parler ! pour les hordes paysannes, c’est l’occasion de descendre

de leurs montagnes. surtout, elles viennent aux nouvelles.

Car les parlotes, ça y va ! Quant aux œillades dans ma direction

et les remarques en sourdine, je ne vous raconte pas ! Mais c’est

quand même ma journée de liberté, en quelque sorte. faire les

courses pour une semaine, c’est ma bouffée d’oxygène. Quand je

remonte, je traîne en route. tiens, vous ne pourriez pas venir m’aider à décharger les commissions de la

voiture ?

– alors, cette charcuterie locale, ces pommes de terre sautées ?

– impeccables ! et manger chaud, ça requinque. Je sais même plus à quand remonte ma dernière vraie bonne bouffe. La tarte aux prunes

aussi était impeccable.– dans la région, la gente

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à la maison. oui, quelle chance ! Vous aussi, vous avez eu de la veine tout à l’heure. en matinée, c’était la foire hebdomadaire à la ville voisine. une ville ! façon de parler ! pour les hordes paysannes, c’est l’occasion de descendre de leurs montagnes. surtout, elles viennent aux nouvelles. Car les parlotes, ça y va ! Quant aux œillades dans ma direction et les remarques en sourdine, je ne vous raconte pas ! Mais c’est quand même ma journée de liberté, en quelque sorte. faire les courses pour une semaine, c’est ma bouffée d’oxygène. Quand je remonte, je traîne en route. tiens, vous ne pourriez pas venir m’aider à décharger les commissions de la voiture ?

– alors, cette charcuterie locale, ces pommes de terre sautées ?– impeccables ! et manger chaud, ça requinque. Je sais même plus à quand remonte ma dernière vraie bonne bouffe. La tarte aux prunes aussi était impeccable.– dans la région, la gente

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rurale est ce qu’elle est, mais question gastronomie et petites

piquettes, elle s’y connaît. C’est déjà ça. une question : je n’ai pas

été trop bavarde ? Je vous rassure, je ne bois pas toujours de la sorte.

C’est vous qui m’en avez fourni l’occasion.

– Vous êtes certaine que je peux rester dormir ici ? Que je vais

pas déranger ? Même si je traîne sur les routes, c’est pas dans mes

habitudes de taper l’incruste.– Mais non ! et vous

n’entendez pas ce qui tombe ? il y en a pour toute la nuit. Venez, je

vais vous montrer votre chambre. Vous verrez, la déco est plutôt spartiate mais il n’y pleut pas !

– alors, la nuit a été bonne ?- impeccable !

– impeccable… passez à table, j’apporte la cafetière.

– J’abuse.– abusez, abusez… allez,

je vous sers. Brioche ? tartines ? Confiture de prunes ? Gelée

de mûres ? Vous préférez des céréales ?

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rurale est ce qu’elle est, mais question gastronomie et petites piquettes, elle s’y connaît. C’est déjà ça. une question : je n’ai pas été trop bavarde ? Je vous rassure, je ne bois pas toujours de la sorte. C’est vous qui m’en avez fourni l’occasion.– Vous êtes certaine que je peux rester dormir ici ? Que je vais pas déranger ? Même si je traîne sur les routes, c’est pas dans mes habitudes de taper l’incruste.– Mais non ! et vous n’entendez pas ce qui tombe ? il y en a pour toute la nuit. Venez, je vais vous montrer votre chambre. Vous verrez, la déco est plutôt spartiate mais il n’y pleut pas !

– alors, la nuit a été bonne ?- impeccable !– impeccable… passez à table, j’apporte la cafetière. – J’abuse.– abusez, abusez… allez, je vous sers. Brioche ? tartines ? Confiture de prunes ? Gelée de mûres ? Vous préférez des céréales ?

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– au fait, cette nuit, j’ai dû me lever. et j’ai entendu comme une

plainte dans la cuisine. J’ai même cru apercevoir une silhouette

près de la desserte. Je n’ai pas osé descendre pour aller voir. C’était

vous ?– non… Vous avez dû rêver…

Vous avez vu ? La pluie n’a toujours pas cessé. Vous comptez vraiment

repartir ?– il faut bien. Je vais pas

m’éterniser. La route est encore longue. et pénible. Vous savez

ce que c’est. Guetter, trouver une voiture… et puis devoir

faire la conversation, échanger des banalités. sans compter la

gendarmerie qui te contrôle, qu’en finit pas de vérifier ton identité sur

ses bécanes. Mais là, je pars. J’ai déjà trop abusé… Merci pour la

halte. oh ! regardez par la fenêtre. Là-bas, vers les grosses touffes.

– Quoi donc ?– on nous observe.

– Mais non ! Vous rêvez !– ecoutez, je suis pas miro.

– Mais non, il n’y a personne. il n’y a pas âme qui vive par ici !

– Levez-vous et venez voir.– Je vous répète qu’il n’y a

personne ! – Je vous jure, il y a une ombre qui

s’est faufilée .

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– au fait, cette nuit, j’ai dû me lever. et j’ai entendu comme une plainte dans la cuisine. J’ai même cru apercevoir une silhouette près de la desserte. Je n’ai pas osé descendre pour aller voir. C’était vous ?– non… Vous avez dû rêver…Vous avez vu ? La pluie n’a toujours pas cessé. Vous comptez vraiment repartir ?– il faut bien. Je vais pas m’éterniser. La route est encore longue. et pénible. Vous savez ce que c’est. Guetter, trouver une voiture… et puis devoir faire la conversation, échanger des banalités. sans compter la gendarmerie qui te contrôle, qu’en finit pas de vérifier ton identité sur ses bécanes. Mais là, je pars. J’ai déjà trop abusé… Merci pour la halte. oh ! regardez par la fenêtre. Là-bas, vers les grosses touffes.– Quoi donc ?– on nous observe.– Mais non ! Vous rêvez !– ecoutez, je suis pas miro. – Mais non, il n’y a personne. il n’y a pas âme qui vive par ici !– Levez-vous et venez voir.– Je vous répète qu’il n’y a personne ! – Je vous jure, il y a une ombre qui s’est faufilée .

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– Vous avez des hallucinations !– eh bien, sortons et allons voir.

allez, venez.– Ce n’est pas la peine. ecoutez-

moi. J’essaierai d’être brève.

– Je ne vis pas seule. La silhouette de cette nuit, cette ombre…

C’est… comment dire… Mais vous avez compris… avant

d’échouer ici, je travaillais comme secrétaire dans une usine de

chimie. il y a quelques années, dans la boîte, il y a eu une sale

explosion. une cuve remplie de saloperies acides a explosé. Quand

on se trouve à proximité, ça ne pardonne pas. Carcasse rongée,

brûlée, pratiquement calcinée. face ravagée, méconnaissable,

horrible à voir… pendant plusieurs semaines, c’est la bataille entre la

vie et la mort… on finit par s’en sortir. Mais avec des traces. Je

vous laisse imaginer… après ? La chirurgie esthétique, les greffes…Mais ce fut peine perdue. Comme

fut perdue une certaine jolie petite gueule… L’enquête a vite établi

l’entière responsabilité de la boîte

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– Vous avez des hallucinations !– eh bien, sortons et allons voir. allez, venez.– Ce n’est pas la peine. ecoutez-moi. J’essaierai d’être brève.

– Je ne vis pas seule. La silhouette de cette nuit, cette ombre… C’est… comment dire… Mais vous avez compris… avant d’échouer ici, je travaillais comme secrétaire dans une usine de chimie. il y a quelques années, dans la boîte, il y a eu une sale explosion. une cuve remplie de saloperies acides a explosé. Quand on se trouve à proximité, ça ne pardonne pas. Carcasse rongée, brûlée, pratiquement calcinée. face ravagée, méconnaissable, horrible à voir… pendant plusieurs semaines, c’est la bataille entre la vie et la mort… on finit par s’en sortir. Mais avec des traces. Je vous laisse imaginer… après ? La chirurgie esthétique, les greffes…Mais ce fut peine perdue. Comme fut perdue une certaine jolie petite gueule… L’enquête a vite établi l’entière responsabilité de la boîte

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qui n’avait pas pris toutes les mesures de sécurité nécessaires.

et la boîte a dû payer. elle a dû verser une belle somme, une très

belle somme. très vite, on a pris la décision qui s’imposait, la fuite. on a rompu toute relation. on n’a prévenu personne, ni la famille, ni

les coteries. on a disparu dans la nature. on a fini par trouver cette

retraite, tranquille et retirée. La restauration de la maison à s’en

rompre l’échine, ce fut comme une thérapie. Mais, quand on en a vu

la fin, la situation s’est très vite dégradée. plus question de sortir

des nouvelles limites. pas question de descendre en ville. encore

moins question de fréquenter la rare population de la contrée. Bref, on a entamé une existence recluse que j’ai acceptée. Quelquefois, une

balade en prenant la précaution de mettre une cagoule, de porter

une écharpe dans l’éventualité d’une rencontre. et puis, il ne fut

plus question de quitter la maison. après, ce furent des semaines

passées dans la chambre. Jusqu’à cette idée fixe et tenace de

restaurer la cabane en pierre à l’orée de la forêt. pour y passer toutes ses journées, toutes ses

nuits. depuis deux bonnes années, la claustration volontaire…

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absence et présence à la fois… et même terminée l’habitude de

venir à table, seulement des visites fugaces dans la cuisine, comme

la nuit dernière, pour chaparder quelques victuailles… Maintes fois,

j’ai tenté de parler, de négocier, de convaincre pour faire en sorte qu’on

puisse reprendre une existence commune à peu près normale.

de l’énergie perdue ! aucune réponse, pas la moindre parole…

dès lors, plus personne. Qu’une vague présence, inquiétante et

fuyante… et puis il y eut cette lettre glissée sous la porte. oh ! quelques

lignes ! Quelques lignes qui disaient qu’on était trop lâche pour en finir définitivement… Mais que l’heure

viendrait où… alors, depuis plus de deux années, c’est la dérobade

permanente… C’est la réclusion… occupée à – quelle originalité ! -

occupée à boire, à se gaver de drogues pour dormir, pour oublier. d’une certaine façon, j’entretiens la chose et suis sa complice. Je fournis

les doses nécessaires. Je descends acheter les bouteilles. Je me rends

à la pharmacie. en ville, une toubib accepte mon histoire de dépression

chronique et me renouvelle régulièrement l’ordonnance. sans

être dupe ! Voilà donc résumée ma vie depuis… des années. Mais là,

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je n’en peux plus, vraiment plus. Je suis vidée, lessivée, cassée. Là, je suis prête à… aussi, en fin de journée, quand j’ai aperçu votre

silhouette trempée près de la route, j’ai immédiatement pensé : « enfin !

de la compagnie ! « alors, je vous le demande, vous allez bien rester

une journée et une nuit de plus ?

– alors, c’était bien ?– oui. tu sais, ça fait une

éternité qu’on ne m’a pas touchée. Les dernières fois, c’était sans

envie, sans envie aucune. en fermant les paupières, en tâchant de ne pas sentir ses cicatrices, les

écailles de sa peau. Mais tu sais, c’est la première fois que je fais ça

de cette façon… – Ce sont des choses qui

arrivent. il suffit d’une occasion.– Viens.

– alors, qu’est-ce que tu décides ?

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je n’en peux plus, vraiment plus. Je suis vidée, lessivée, cassée. Là, je suis prête à… aussi, en fin de journée, quand j’ai aperçu votre silhouette trempée près de la route, j’ai immédiatement pensé : « enfin ! de la compagnie ! « alors, je vous le demande, vous allez bien rester une journée et une nuit de plus ?

– alors, c’était bien ?– oui. tu sais, ça fait une éternité qu’on ne m’a pas touchée. Les dernières fois, c’était sans envie, sans envie aucune. en fermant les paupières, en tâchant de ne pas sentir ses cicatrices, les écailles de sa peau. Mais tu sais, c’est la première fois que je fais ça de cette façon… – Ce sont des choses qui arrivent. il suffit d’une occasion.– Viens.

– alors, qu’est-ce que tu décides ?

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– Je ne sais pas. si tu crois quec’est facile ! Bien sûr, je n’en peux

plus de mener cette vie. si on peut appeler ça une vie ! Je suis encore

jeune. Je me vois mal durer encore comme ça pendant des années. Je

voudrais changer de maison, de contrée ! d’atmosphère ! Les

poutres, les pierres apparentes, la cheminée, j’en ai marre !

La garrigue, j’en ai marre ! La populace de la ville, de la foire,

j’en ai marre ! Je voudrais voir des gens, des vraies ! Je voudrais

retrouver les copines d’autrefois ! Bref, je voudrais être enfin

capable de me de partir, de m’enfuir. Mais je ne peux quand

même pas l’abandonner ? Qui s’en occuperait ? et pourtant,

combien de fois j’ai désiré… partir m’enfuir… et recommencer… d’ailleurs, qui peut se douter que j’ai de… la compagnie ? Qui ? personne ! Quand on a

restauré la maison et qu’il a fallu des fournitures, pas question de

descendre en ville. Les boîtes devaient monter ici pour livrer

les commandes. Quand elles déchargeaient, c’était direction la cachette attitrée. Je crois les entendre : « par ici, on a jamais

vu que la p’tit’ dame de la vieille bergerie. doit pas être feignante

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pour se coltiner toute seule des réparations pareilles ! « en ville, on

ne connaît guère que moi. Je m’y rends toujours seule. Voilà donc

où j’en suis… alors, là, maintenant et concrètement, quelle décision

prendre ? Que faire ? partir sans laisser de traces ? une nouvelle fois ? et recommencer ma vie ?

– il y a une autre solution. – une autre solution ?

– oui.– et laquelle ?

– tu sais bien laquelle…– tu n’y penses pas ?

– Qui peut se douter qu’il y a ici comme une bête traquée ?

tu l’as dit toi-même, toutes vos connaissances ont perdu votre

trace. dans la région, en ville, on connaît ta vie en solitaire. disons

que ça peut faire jaser, mais à part ça ? Même à la cambrousse,

ça fait maintenant partie des mœurs. alors, si tu récapitules, il

n’y a personne pour se douter ou témoigner de…

– tu as conscience de ce que tu me demandes de faire ?

– oh ! je t’arrête ! tu m’as répété toi-même que, certaines

nuits d’insomnie, tu gambergeais, que tu songeais à …

– oui, mais ce n’étaient que des pensées, comme ça. Mais de là

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pour se coltiner toute seule des réparations pareilles ! « en ville, on ne connaît guère que moi. Je m’y rends toujours seule. Voilà donc où j’en suis… alors, là, maintenant et concrètement, quelle décision prendre ? Que faire ? partir sans laisser de traces ? une nouvelle fois ? et recommencer ma vie ?– il y a une autre solution. – une autre solution ?– oui.– et laquelle ?– tu sais bien laquelle…– tu n’y penses pas ?– Qui peut se douter qu’il y a ici comme une bête traquée ? tu l’as dit toi-même, toutes vos connaissances ont perdu votre trace. dans la région, en ville, on connaît ta vie en solitaire. disons que ça peut faire jaser, mais à part ça ? Même à la cambrousse, ça fait maintenant partie des mœurs. alors, si tu récapitules, il n’y a personne pour se douter ou témoigner de… – tu as conscience de ce que tu me demandes de faire ?– oh ! je t’arrête ! tu m’as répété toi-même que, certaines nuits d’insomnie, tu gambergeais, que tu songeais à … – oui, mais ce n’étaient que des pensées, comme ça. Mais de là

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à les mettre à exécution. de là à…– écoute, c’est pas facile à

entendre, mais quelque part, ce serait lui venir en aide. non ?

souviens-toi de la lettre, des quelques lignes de sa propre main ?

– oui. Mais ce n’était qu’une déclaration, très mélo… une

poussée de déprime…– si tu veux. Mais une déclaration

écrite de sa propre main, et même signée, tu m’as dit ! alors, retrouve-moi cette lettre. Je me charge de la

suite. fais-moi confiance.– si tu t’en sens capable…

– on est pas bien là ? tu vois, la tunisie, c’est en face, sur l’autre

rive.– Je sais. ne me prends pas pour

une gourde ! Je connais ma géographie. tiens, donne-moi ta

main. – une boîte à rouler !

– pour remplacer celle que tu as perdue.

– J’aimerais savoir où. Ça me turlupine. Je me demande ce que

j’en ai fait. incapable de la retrouver avant notre virée.

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à les mettre à exécution. de là à…– écoute, c’est pas facile à entendre, mais quelque part, ce serait lui venir en aide. non ? souviens-toi de la lettre, des quelques lignes de sa propre main ? – oui. Mais ce n’était qu’une déclaration, très mélo… une poussée de déprime…– si tu veux. Mais une déclaration écrite de sa propre main, et même signée, tu m’as dit ! alors, retrouve-moi cette lettre. Je me charge de la suite. fais-moi confiance.– si tu t’en sens capable…

– on est pas bien là ? tu vois, la tunisie, c’est en face, sur l’autre rive.– Je sais. ne me prends pas pour une gourde ! Je connais ma géographie. tiens, donne-moi ta main. – une boîte à rouler !– pour remplacer celle que tu as perdue.– J’aimerais savoir où. Ça me turlupine. Je me demande ce que j’en ai fait. incapable de la retrouver avant notre virée.

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pourtant, j’ai cherché, j’ai fouillé, j’ai retourné…

– ne t’inquiète pas !– J’y tenais, tu sais.

– une de tes anciennes ?

– J’ai une autre surprise. enfin, façon de parler. tiens, une lettre que m’a remise la réception. Lis.

– dis donc, ce sont des vraies pointures pour retrouver notre

trace. – oui, tu l’as dit, des vraies

pointures. Je pense qu’il vaut mieux remonter les voir. Qu’est-

ce qu’on risque ? J’ai conservé précieusement la lettre dans laquelle… avec ça, on a une

preuve…– Comment dire ?

– indubitable. une preuve in-du-bi-table.

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pourtant, j’ai cherché, j’ai fouillé, j’ai retourné…– ne t’inquiète pas !– J’y tenais, tu sais.– une de tes anciennes ?– Je répondrai pas. tu m’emmerdes avec mes histoires passées !– J’ai une autre surprise. enfin, façon de parler. tiens, une lettre que m’a remise la réception. Lis.– dis donc, ce sont des vraies pointures pour retrouver notre trace. – oui, tu l’as dit, des vraies pointures. Je pense qu’il vaut mieux remonter les voir. Qu’est-ce qu’on risque ? J’ai conservé précieusement la lettre dans laquelle… avec ça, on a une preuve…– Comment dire ?– indubitable. une preuve in-du-bi-table.

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– Je vous r

emercie d’avoir

répondu à notre convocatio

n

aussi vite

. avant d

e poursuivre, u

n

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ous voulez bien. s

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tendues d’eau

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ficiels. il

arrive qu’on le

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vidange. et d

ans l’un d’eux, o

n a

retrouvé le

corps d

’un noyé. après

enquête, il s’a

vère que ce corps

est celui d

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ari, madame…

Maintenant, quelques q

uestions…

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expliquez-vous q

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était lesté

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plutôt lo

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– Je vous r

emercie d’avoir

répondu à notre convocatio

n

aussi vite

. avant d

e poursuivre, u

n

détail si v

ous voulez bien. s

achez

que certaines é

tendues d’eau

de la ré

gion où vous avez choisi

de vous insta

ller s

ont en fa

it des

étangs arti

ficiels. il

arrive qu’on le

s

vidange. et d

ans l’un d’eux, o

n a

retrouvé le

corps d

’un noyé. après

enquête, il s’a

vère que ce corps

est celui d

e votre m

ari, madame…

Maintenant, quelques q

uestions…

Vous, madame, c

omment vous

expliquez-vous q

ue ce corps

était lesté

de chaînes, de chaînes

plutôt lo

urdes ?

... Comment v

ous

expliquez qu’on a re

trouvé la

présence de tr

aces importa

ntes

de somnifè

res dans l

es bouteille

s

d’alcool que se

mblait conso

mmer

votre m

ari dans s

a cabane ?... e

t

vous, mademoise

lle, c

omment

vous expliq

uez la prése

nce, sur

la berge de cet é

tang, ce cette

boîte à ro

uler ? Ce ne se

rait pas

vos initia

les, là, su

r le couvercle ?

alors ?..

.. nous v

ous écouto

ns

toutes l

es deux.

Page 36: Les deux font la paire