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1 UNIVERSITE DE TUNIS INSTITUT SUPERIEUR DE GESTION TUNIS Mémoire présenté pour l'obtention du diplôme de Master en Gestion des ressources humaines Encadré par: Monsieur Ben Kahla Karim Elaboré par: Manâa Salma Année universitaire 2005/2006 Les déficits institutionnels et managériaux de la gouvernance d’entreprise en Tunisie BATAM, monographie d’un échec "exemplaire"

Les déficits institutionnels et managériaux de la gouvernance d…credo.me.ht/Memoire_Mana_Salma_Memoire_batam.pdf · 2016. 6. 29. · entreprises telles qu'Enron aux Etats-Unis,

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UNIVERSITE DE TUNIS

INSTITUT SUPERIEUR DE GESTION TUNIS

Mémoire présenté pour l'obtention du diplôme de Master

en Gestion des ressources humaines

Encadré par: Monsieur Ben Kahla Karim

Elaboré par: Manâa Salma

Année universitaire 2005/2006

Les déficits institutionnels et managériaux

de la gouvernance d’entreprise en Tunisie

BATAM, monographie d’un échec "exemplaire"

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DEDICACE

Je dédie ce mémoire de recherche à mon père, ma mère, mon époux, ma

famille et tous mes amis.

Je leur dois tout le respect et la reconnaissance pour leur soutien moral et

financier, qui m'était indispensable pour la réalisation de ce travail de recherche.

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REMERCIEMENTS

Un remerciement particulier et une entière reconnaissance à mon

encadreur, Monsieur Ben Kahla Karim, pour sa patience, sa disponibilité, son

sérieux et son précieux encadrement.

Je remercie, de même, les membres du jury d'avoir accepté de soutenir ce

modeste travail de recherche.

Mes remerciements s'adressent également à toutes les personnes qui m'ont

aidé à l'élaboration de ce mémoire, et particulièrement, celles qui ont répondu

généreusement aux entretiens.

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SOMMAIRE

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Introduction générale

1. La gouvernance des entreprises : principaux concepts théoriques

1.1. Aspect macro-économique de la gouvernance des entreprises………………12

1.2. Aspect micro-économique de la gouvernance des entreprises………….……23

2. Les principaux acteurs de la gouvernance d'entreprise en Tunisie

2.1. Cadre législatif, réglementaire et juridique des sociétés cotées et des groupes

d’entreprises en Tunisie…………………………………………………………… 32

2.2. Les mécanismes externes et internes de la gouvernance d'entreprise en

Tunisie………………………………………………………………………………..37

3. BATAM, "monographie d’un cas d’échec"

3.1. Positionnement méthodologique………………………………………………68

3.2. Evolution historique du groupe BATAM……………………………………..80

3.3. BATAM, un modèle de gestion défaillant et un système de gouvernance

inefficient…………………………………………………………………………..…91

Conclusion générale

Bibliographie

Table des matières

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INTRODUCTION

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Apparu aux Etats-Unis dans les années 80 et en grande Bretagne au début des années

90, le concept de "Corporate Governance", traduit par les français par le "gouvernement

d'entreprise", s'est ensuite généralisé à l'ensemble des pays dotés de marchés boursiers actifs

(El Kobbi, 2000).

En effet, l'émergence de ce domaine est d'usage attribuée au débat ouvert par Berle et

Means (1932)1 sur les conséquences de la séparation des fonctions de propriété et de décision

qui caractérise les sociétés "managériales"2. Le problème résidait alors dans l’apparition de

conflits d’intérêts entre propriétaires et dirigeants (Charreaux, 2002).

Cependant, de nombreux débats se sont ouverts par la suite en ce qui concerne les

prises de contrôle, les rémunérations des dirigeants, la responsabilité des dirigeants et des

administrateurs, la composition et le rôle du conseil d'administration, l'information et le rôle

des actionnaires. (Charreaux, 1996).

Toutefois, les déceptions auxquelles ont été confrontées récemment certaines

entreprises telles qu'Enron aux Etats-Unis, France Télécom et Vivendi Universal en France,

Parmalat en Italie, de même que les scandales financiers qui ont frappé le Crédit Lyonnais ou

Air France dans les années 903, ont fortement contribué à la remise en cause de l'efficacité des

procédures de contrôle et des systèmes d'alerte à l'échelle nationale et internationale (Chatelin

et Trébucq, 2003).

En Tunisie, le thème de la gouvernance des entreprises a également pris une grande

importance dans les préoccupations des hommes politiques4, des journalistes5 et des

chercheurs de différents champs disciplinaires (économie, finance, gestion…) suite à des

scandales financiers qui ont agité le milieu des affaires et qui ont perturbé l'activité

économique du pays.

1 Berle A.A. et Means G.C. (1932) The Modern Corporation and Private Property, MacMillan : NY, cité dans Chatelin C. et Trébucq S., 2003, "Stabilité et évolution du cadre conceptuel en gouvernance d’entreprise : un essai de synthèse". 2 Selon Charreaux (1991), la société managériale est une société où l’actionnariat est très dispersé, c'est-à-dire où aucun actionnaire dominant ne détient un pourcentage significatif du capital, et autrement dit, où aucun actionnaire dominant n’existe. 3 Cité dans Charreaux G., juin 1996, "Pour une véritable théorie de la latitude managériale et du gouvernement des entreprises". 4 La présence de ministres dans certaines conférences, comme "Corporate governance conference, october 8, 2004, Tunis, center for international private entreprise". 5 A travers des manifestations dans certaines revues de presse somme l’économiste.

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Incarner une bonne gouvernance d'entreprises représente alors aujourd'hui un souci

mais également une ambition pour les différents pays afin d'assurer une protection efficace

pour les actionnaires, pour les investisseurs financiers, et aussi pour les différents partenaires

de la firme (salariés, clients, fournisseurs…).

Cependant, selon Cannac et Godet (2001), avoir un bon système de gouvernance

d'entreprises revient à mettre au point et à respecter un ensemble de dispositions qui visent à

assurer, autant qu'il est possible, que les actions des dirigeants de l'entreprise sont bien

conformes à la volonté des actionnaires et à leurs intérêts.

Charreaux (1997) estime qu'un système de gouvernement est efficace s'il permet de

maximiser la création de valeur tout en évitant la spoliation d'une catégorie de stakeholders1.

En effet, la gouvernance d'entreprises représente selon Godet (2001) une relation de

pouvoir, et dans une acception plus restreinte, et d'après la définition proposée par Drucker

(1999)2, "la gouvernance d'entreprises consiste à mettre au point et à respecter des règles qui

guident et limitent la conduite de ceux qui agissent au nom de l'entreprise".

Cette gouvernance conduit, selon Godet (2001), à un ensemble de dispositions pour

s'assurer que les objectifs poursuivis par les dirigeants "sont légitimes et que les moyens mis

en œuvre pour atteindre ces objectifs sont performants ou efficients, c'est-à-dire contribuent

au mieux aux objectifs et ce au moindre coûts".

De son côté, Charreaux (1997) a basé sa définition d'un système de gouvernement

d'entreprises sur la nécessité de l'existence de mécanismes organisationnels ayant pour effet

de délimiter les pouvoirs et d'influencer les décisions des dirigeants, autrement dit "qui

gouvernent leur conduite et définissent leur espace discrétionnaire".

En effet, en séparant les mécanismes disciplinaires internes de ceux externes,

Charreaux (1997) estime que le système de gouvernement d'entreprises représente "l'ensemble

1 Une définition des stakeholders consiste à inclure tous les agents qui sont "parties prenantes" au développement de l'entreprise (Hyafil, 1997, p 1977 cité dans El Aouadi Ahmed, mars 2001"Les stratégies d'enracinement des dirigeants des entreprises: le cas marocain". 2 Michel Godet, 2001, "Comment traiter les citoyens aussi bien que les actionnaires, améliorer la gouvernance pour résoudre la crise de gouvernabilité", le Monde 15 février 2001.

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des dispositifs censés contraindre les dirigeants afin d'éviter qu'ils prennent des décisions

contraires aux intérêts des actionnaires".

De nos jours, le concept de la gouvernance a évolué dans un cadre théorique qui a

atteint un certain degré de stabilité à travers deux approches fondamentales; l’une

actionnariale qui focalise sur la relation entre dirigeants et actionnaires, et l’autre partenariale

qui intègre l’ensemble des parties prenantes dans la relation avec les dirigeants.

La relation dirigeants - actionnaires est en fait à l'origine des débats sur la gouvernance

des entreprises: les dirigeants mandataires des actionnaires, peuvent, à travers une latitude

managériale, prévaloir leurs propres objectifs au détriment de ceux des actionnaires

(Charreaux, 1996).

Pour cette raison, et en s'inspirant de la citation de Montesquieu1: "pour que l'on ne

puisse pas abuser du pouvoir, il faut que par disposition des choses, le pouvoir arrête le

pouvoir", la mise en place d'un système de gouvernance d'entreprises semble dès lors être

indispensable pour contraindre les dirigeants afin qu'ils prennent des décisions contraires aux

intérêts des actionnaires (Charreaux, 1996).

Selon Caby (2003), le rôle assigné à la gouvernance d'entreprise est alors de mettre en

jeu des leviers d'alignement du comportement des dirigeants afin de lutter contre les

déviations que ces derniers risquent de faire.

Charreaux (1997) affirme que la mise en place de procédures de contrôle (audit,

contrôle budgétaire,…) ou d'incitation (système de rémunération) permet de jouer un rôle

disciplinaire, mais il pense que le système de gouvernance d'entreprise devrait avoir un rôle

préventif (qui permet d'anticiper les crises et les empêcher) et un rôle curatif (qui permet

d'avoir une capacité curative de résoudre les crises issues de la défection de certains

stakeholders).

Si plusieurs auteurs se sont préoccupés de la gouvernance d'entreprises à une échelle

micro-économique, beaucoup d'autres se sont plutôt intéressés à l'aspect macro-économique

1 Cité dans El Kobbi M.F., 2000, "Introduction à la "Corporate Governance": comment adapter ce concept au contexte tunisien", Finances & Développement au Maghreb N°23.

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en s'interrogeant sur l'efficacité du cadre institutionnel, juridique et règlementaire, et leur

capacité de contribuer à une meilleure performance des firmes1.

En Tunisie, les scandales financiers qui ont frappé certaines entreprises familiales

cotées en Bourse nous incitent à réfléchir, d'abord, au contexte dans lequel évoluent ces

entreprises et, ensuite, à la qualité du système de gouvernance d'entreprises et de son

efficacité.

C'est pourquoi, le cas du groupe BATAM nous paraît le plus significatif, dans la

mesure où il représentait un cas exemplaire de réussite pour les grandes entreprises

tunisiennes, et ne peut représenter, aujourd'hui, qu'un cas exemplaire d'échec qui invite à

réfléchir aux insuffisances et aux défaillances du système tunisien de gouvernance

d'entreprises "familiales".

Nous espérons alors que l'étude de ce groupe d'une quarantaine d'entreprises nous

permettra de découvrir et d'expliquer les déficiences du système de gouvernance d'entreprises

tunisiennes, ainsi que de réfléchir aux extrapolations possibles et à l’état du contexte

institutionnel de la gouvernance des entreprises "familiales" tunisiennes.

En effet, l'importance de ce cas, se justifie par une multitude de facteurs. D'abord,

BATAM représente l'un des groupes de sociétés les plus puissants en Tunisie vu le nombre de

son effectif qui dépassait deux milles salariés. Ensuite, le nombre des entreprises le

composant dépassait trente cinq. En outre, le chiffre d'affaires annuel était très important (87

123 535 DT en 2000, 100 033 025 DT en 2001)2 . Enfin, ses dettes (bancaires et non

bancaires) sont trop élevées.

De son côté, Ali Debaya3, administrateur judiciaire du groupe BATAM, affirme que

"l’affaire BATAM représente un dossier très important, au regard de ses graves implications

sur l’économie nationale".

1 North D.C., 1990, "Institutions, institutionnal change and economic performance", Cambridge University Press, p.152, cite dans la Thèse de Ayadi Nassima, 10 Février 2003, "Contrats, confiance et gouvernance : le cas des entreprises publiques agroalimentaires en Algérie". 2 Etat des ventes annuelles en 2000 et 2001, obtenus lors d’un entretien avec un salarié du service comptabilité. 3 Ali Debaya, l'administrateur judiciaire désigné par l'Etat tunisien pour faire le redressement du groupe BATAM, "Redressement de Batam et Bonprix…, objectif atteint", l'Economiste Maghrébin n°349 du 01/10 au 15/10/2003.

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Dans le cadre de cette recherche, nous essayerons d'élaborer une analyse du cas

BATAM pour essayer de répondre à la question suivante : "quelles sont les principales

défaillances du système de gouvernement d’entreprises "familiales" en Tunisie.

L'objet de ce travail de recherche est d'étudier, en premier lieu, le contexte de la

gouvernance des entreprises en Tunisie et, en deuxième lieu, d’étudier le cas du groupe

BATAM avant la crise financière qu’il a eue, et de vérifier, en troisième lieu, si les principaux

acteurs et mécanismes de gouvernance d’entreprises ont bien fonctionné ou non dans ce cas.

Pour atteindre cet objectif, d’abord, une étude théorique ainsi qu’une recherche

documentaire seront réalisées.

Contrairement aux recherches qui ne portent que sur un seul niveau d'analyses, notre

travail aura pour ambition de traiter la gouvernance à la fois au niveau micro et macro

économique. C'est ce double éclairage qui nous semble manquer à plusieurs recherches et que

nous allons essayer de mettre en œuvre pour comprendre le "cas BATAM" et ensuite essayer

d'extrapoler sur les groupes familiaux tunisiens.

Une démarche qualitative exploratoire sera adoptée au cours de l'étude empirique.

Selon Wacheux (1996), la méthode qualitative fournit au chercheur un degré de liberté

important dans la réalisation de son projet.

Par ailleurs, au-delà des modèles financiers abstraits souvent importés, désincarnés et

sans réelle correspondance avec les pratiques de régulation du pouvoir à l'intérieur et à

l'extérieur des entreprises tunisiennes, nous préférons adopter une démarche inductive, qui

"colle" à la réalité, à la pratique concrète et à l'actualité de la gouvernance en Tunisie et qui

tente de comprendre la réalité tunisienne à partir des discours des acteurs tunisiens plutôt que

d'expliquer celle-ci à partir des modèles ou des relations entre variables et réalités

occidentales (Ben Kahla, 2002).

Au cours de cette étape, des entretiens semi directifs seront réalisés avec une

population décomposée en plusieurs catégories d'acteurs ayant eu des relations avec le groupe

BATAM. Il s'agit notamment de son personnel avant ou après la crise, de ses anciens ou

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nouveaux responsables et dirigeants, de son expert comptable, ses banquiers, ses fournisseurs,

des acteurs opérant au conseil du marché financier et à la Bourse de Tunis, etc.

Dans notre cas, l'entretien est utilisé en tant que source d'informations principale. Les

hypothèses sont constituées en modèle explicatif et l'entretien tend à produire des données qui

peuvent être confrontées aux hypothèses et propositions de recherche.

En revanche, pour accéder à un certain réel, et comme le précise Wacheux (1996), il

nous est nécessaire de collecter et d'analyser des situations à partir des représentations et des

observations.

Ce travail nous permettra de répondre à un ensemble de questions utiles dans le cadre

de cette recherche :

- Quels sont les principaux mécanismes et acteurs de la gouvernance des entreprises en

Tunisie? (Il s'agit essentiellement des groupes familiaux)

- Comment évaluer ces mécanismes et acteurs?

- Comment sont-ils perçus par les différents groupes d'intérêt liés au contrôle des

entreprises? (Leurs forces et leurs faiblesses)

- Dans quelle mesure est-ce que le cas BATAM permet de comprendre et d'illustrer les

points forts et les points faibles des mécanismes et des acteurs de la gouvernance des groupes

d'entreprises familiales en Tunisie?

- Est-ce que BATAM est représentatif des pratiques de gouvernement des entreprises

en Tunisie?

- Est-ce qu'il permet de comprendre celles-ci?

- Est-ce qu'on peut faire des recommandations à partir de ce cas?

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S'agissant d'une recherche exploratoire, nous préférons formuler des propositions

plutôt que des hypothèses de recherche. Ces propositions provisoires capables de répondre

aux questions de recherche sont issues d'une recherche documentaire préliminaire:

P1 : le comportement "déviant" des salariés est positivement corrélé au

dysfonctionnement du système de gouvernance d’entreprises.

P2 : le comportement "opportuniste" des dirigeants a un impact négatif sur la performance

de la firme.

P3 : l’inefficacité du contrôle bancaire est positivement corrélée à l’inefficience du

système de gouvernance d’entreprises.

P4 : les mauvaises pratiques de GRH (recrutement, rémunération, promotion…)

entraînent un dysfonctionnement du système de management.

P5 : la neutralité, la formalité et l’inefficacité du conseil d’administration ont un impact

négatif sur la gouvernance d’entreprises.

P6 : l’absence d’administrateurs externes a un impact négatif sur la pertinence du rôle du

conseil d’administration.

P7 : la "manipulation" du système d’informations comptables et financières a un impact

négatif sur la gouvernance d’entreprises.

P8 : les réseaux sociaux entre dirigeants, grands actionnaires et créanciers favorisent le

surendettement du groupe.

P9 : la divergence d’intérêts entre actionnaires majoritaires (qui sont eux-même

principaux dirigeants) et salariés a un impact négatif sur la performance de la firme.

P10 : l’enracinement des cadres et des directeurs a un impact négatif sur la performance

du groupe.

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P11 : l’insuffisance de contrôle au niveau du conseil du marché financier a un impact

négatif sur la gouvernance d’entreprises.

P12 : l’inefficacité du contrôle des fournisseurs a un impact négatif sur la gouvernance

d’entreprises.

Plan de la recherche

Dans un premier chapitre, ce travail de recherche présentera, les principaux concepts

théoriques de la gouvernance d'entreprises, sous les deux aspects micro et macro

économiques. La première partie de ce chapitre abordera la définition, le rôle et l'importance

des institutions ainsi que les différentes approches théoriques de la gouvernance macro-

économique. La deuxième partie sera consacrée à une étude micro-économique de la

gouvernance d'entreprises, mais également aux principales approches théoriques à savoir,

l'approche actionnariale, partenariale et cognitive.

Dans un deuxième temps, et dans un second chapitre, nous aborderons les principaux

mécanismes et acteurs de la gouvernance d'entreprises en s'intéressant particulièrement au

contexte tunisien. Nous commencerons d'abord par étudier le cadre législatif, réglementaire et

juridique des sociétés cotées et des groupes d’entreprises en Tunisie, et nous examinerons

ensuite les principaux mécanismes internes (le conseil d’administration, les dirigeants

d'entreprises, le système de gestion et les salariés) et externes (l’Etat, le cadre institutionnel,

les autorités de contrôle et de régulation des marchés, le Conseil du marché financier, les

intermédiaires en Bourse, les banques et les fournisseurs) de la gouvernance d'entreprises en

Tunisie.

L'étude empirique du cas du groupe BATAM fera l’objet d’un troisième chapitre, qui

sera composé de trois parties.

Dans une première partie, nous définirons notre positionnement méthodologique et

nous présenterons notre démarche pour élaborer la monographie de BATAM.

En second lieu, on commencera par une présentation historique du groupe (fondation,

expansion, structure, activité et morphologie du groupe).

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Et enfin, on procèdera à une analyse des résultats obtenus afin de vérifier les

hypothèses établies.

En conclusion, nous présenterons les principaux résultats, les apports, les limites et les

voies de dépassement de notre recherche.

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CHAPITRE 1

La gouvernance des entreprises :

principaux concepts théoriques

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La gouvernance renvoie à une pluralité de définitions et une multiplicité

d’analyses dont l'objectif tourne autour de la mise en place de "mécanismes

organisationnels ayant pour effet de délimiter les pouvoirs et d'influencer les décisions des

dirigeants" (Charreaux, 1997).

Dans une optique plus large, Oman, Fries et Bruiter (2003) pensent que la finalité

de la gouvernance d'entreprise repose sur trois axes:

- faciliter et stimuler la performance des entreprises en instaurant et maintenant un

système d'incitations qui encourage les dirigeants à maximiser l'efficience opérationnelle

de l'entreprise, le rendement de ses actifs et les gains de productivité à long terme.

- Restreindre l’abus de pouvoir des dirigeants sur les ressources de l'entreprise.

- Fournir les moyens de surveiller le comportement des dirigeants afin de protéger

au meilleur coût les intérêts des investisseurs et de la société contre les abus des dirigeants

d'entreprises.

La définition de la gouvernance d'entreprise proposée par ces auteurs fait en fait

référence à la nécessité d'un cadre institutionnel qui englobe les institutions formelles et

informelles, publiques et privées, pour régir les relations entre ceux qui dirigent les

entreprises et tous ceux qui investissent des ressources.

En effet, les débats sur la gouvernance d'entreprise se sont également interrogés

sur l'efficacité du cadre institutionnel, juridique et règlementaire, et sa capacité de

contribuer à une meilleure performance des firmes.

Dans cette partie, l'aspect micro-économique de la gouvernance d'entreprise sera

traité notamment en abordant les principales approches théoriques, mais aussi l'aspect

macro sera pris en considération en s'intéressant également aux principaux apports et

concepts traités par différents auteurs.

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1.1. Aspect macro-économique de la gouvernance d'entreprise

Certains auteurs ont accordé un intérêt particulier au cadre institutionnel, au rôle

qu'il joue dans le développement économique et à la nécessité d'institutions efficaces pour

le bien être de la société dans son ensemble.

En effet, l'existence d'une corrélation positive entre le développement économique

et le bon fonctionnement des institutions a été démontrée par plusieurs auteurs. A cet

égard, Oman, Fries et Bruiter (2003), par exemple, avancent que "la qualité des

institutions de gouvernance d'un pays est cruciale pour le développement national" et

ajoutent que "l'aptitude des pays à progresser d'un système essentiellement fondé sur des

relations interpersonnelles vers des institutions de gouvernance d'entreprise et de

gouvernance publique davantage fondées sur des règles est fondamentale pour mener à

bien leur processus de développement à long terme".

La nécessité des institutions pour la croissance économique des pays a été

également évoquée par la Banque mondiale (2002) qui déclare que "les institutions

conçues pour appuyer le marché contribuent largement à promouvoir la croissance et à

réduire la pauvreté".

North (1990)1 considère également que la performance économique d'une société

dépend de son cadre institutionnel et des incitations qu'il offre aux individus.

1.1.1 Définition et importance des institutions

North (1984)2 définissait les institutions comme étant "une série de règles qui

contraignent les comportements, mais c'est également une série de normes de

comportement morales et éthiques qui déterminent les contraintes définissant les règles

adoptées".

1 North, D.C. (1990). "Institutions, institutionnal change and economic performance". Cambridge University Press, 152p. Cité dans Thèse présentée par Nassima Ayadi (2003), "Contrats, confiance et gouvernance: le cas des entreprises publiques agroalimentaires en Algérie". 2 North (1984), "cité dans Thèse présentée par Nassima Ayadi (2003), "Contrats, confiance et gouvernance: le cas des entreprises publiques agroalimentaires en Algérie".

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En effet, la définition précise du terme "institution" revient à North (1990)1 qui le

définit comme " toute règle du jeu, canalisant le comportement humain".

D'autres auteurs comme Oman, Fries et Bruiter (2003) considèrent les institutions

comme "les principaux moyens dont dispose la société pour inciter les entreprises à se

comporter collectivement d'une manière qui soit bénéfique pour la société dans son

ensemble".

Selon ces auteurs, les institutions matérialisent une relation principal - agent entre

la société (le principal) et les entreprises en tant que groupe (les agents): la société fournit

aux entreprises l'incitation à entreprendre (en particulier le droit de faire des profits) et les

moyens d'entreprendre (notamment le droit d'exister, d'agir en tant que "personne morale"

distinctes de leurs actionnaires et de bénéficier de la responsabilité limitée de ces derniers)

et elle cherche en retour, à travers les institutions de gouvernance d'entreprise (avec celles

des régulations de la concurrence et de régulation sectorielle), à s'assurer que les

entreprises dans leur ensemble servent ses intérêts au mieux.

J. Aoudia (2003) adopte une définition large et considère les institutions comme

"l'ensemble des règles formelles (Constitution, lois et règlements, système politique…) et

informelles (fiabilité des transactions, système de valeurs et croyances, représentations,

normes sociales…) régissant les comportements des individus et des organisations

(entreprises, syndicats, ONG…)".

A travers ces définitions, il est clair que le rôle prépondérant des institutions est de

déterminer les normes acceptables de comportement au niveau des entreprises, et à

s'assurer que ces dernières se conforment à ces normes (Oman, Fries et Bruiter, 2003).

La Banque mondiale (2002), quant à elle, déclare que le bon fonctionnement des

marchés est subordonné à l'existence de règles, de mécanismes assurant leur respect, et

d'organisations facilitant les transactions.

1 North, D.C., 1990, "Institutions, institutionnal change and economic performance". Cambridge University Press, 152p. Cité dans Thèse présentée par Nassima Ayadi (2003), "Contrats, confiance et gouvernance: le cas des entreprises publiques agroalimentaires en Algérie".

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Selon cet organisme, les institutions, dans leur grande diversité, concourent à

diffuser l'information, à faire respecter les droits de propriété et les contrats, et à assurer

l'exercice d'une certaine concurrence.

1.1.2. Types et fonctions des institutions

Le rapport de la Banque mondiale (2002) avance que les institutions exercent trois

principales fonctions:

1- acheminer l'information sur la situation des marchés, les biens et les participants.

2- Définir la nature des droits de propriété et des contrats et en assurer le respect, en

fixant qui obtient quoi et quand.

3- Accroître la concurrence sur les marchés ou la limiter.

Par ailleurs, les principaux travaux sur la gouvernance macroéconomique font la

distinction entre institutions formelles et institutions informelles.

La Banque mondiale (2002) par exemple déclare que "les institutions ne prennent

pas nécessairement la forme de législations ou de réglementations officielles. Il peut s'agir

d'arrangements informels, fondés sur des normes."

Elle distingue en outre entre institutions publiques (système judiciaire, droit de la

concurrence, autorités de contrôle des banques, obligations de divulgation d'information

des sociétés, titres de propriété foncière formels et droit successoral) et institutions privées

(chambres de commerce, bureaux d'information sur la solvabilité des demandeurs de

crédits, prêteurs, liens de réciprocité entre partenaires commerciaux, normes régissant la

transmission des biens fonciers).

Le caractère "formel" et "informel" a été également évoqué par North (1990)1 qui

distingue en fait trois types de règles formelles ayant pour objet de faciliter la relation de

l'échange:

1 North, D.C. (1990). "Institutions, institutionnal change and economic performance". Cambridge University Press, 152p. Cité dans Thèse présentée par Nassima Ayadi (2003), "Contrats, confiance et gouvernance: le cas des entreprises publiques agroalimentaires en Algérie".

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- des règles politiques ou juridiques.

- des règles économiques.

- et les contrats.

Selon cet auteur, ces règles sont conçues pour servir l'intérêt des individus mais

également pour cadrer leurs comportements afin d'harmoniser la société.

1.1.3. Les principales approches théoriques macro-économiques de la

gouvernance d'entreprise

Selon Charreaux (2004), l'analyse macroéconomique de la gouvernance fait

intervenir deux types de théories:

Le premier type représente les théories fondées sur l'appropriation de la rente, le

second est marqué par les théories fondées sur la production.

Dans cette partie, nous présenterons brièvement les apports et les caractéristiques

de chaque approche.

1.1.3.1. Les théories fondées sur l'appropriation de la rente

Selon Charreaux (2004), ces théories, sont d'origine financière, elles privilégient la

perspective disciplinaire et sont centrées sur l'appropriation de la rente organisationnelle et

la protection des droits des investisseurs financiers.

Ces théories partent de l'hypothèse que "le système financier joue un rôle central

pour expliquer la croissance et la prospérité économique", et que dans la perspective de la

gouvernance, la question est de savoir: "quels sont les facteurs institutionnels qui

permettent le développement d'un tel système" (Charreaux, 2004).

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Dès lors, plusieurs travaux ont tenté de répondre à cette question en ayant recours

à des analyses juridiques, politiques et socioculturelles.

En nous référant principalement à l'important travail de Charreaux (2004), nous

essayerons dans ce qui suit, de résumer les principaux aspects de ces analyses:

1.1.3.1.1. La théorie juridico-financière

L'analyse juridico-financière des systèmes nationaux de gouvernance met en avant

le cadre juridique que certains auteurs comme Roe (2002)1 nomment l'argument de la

qualité légale. Pour La Porta et al (1998)2, "la capacité de la loi à assumer la protection

des droits des investisseurs financiers constitue le facteur explicatif déterminant de la

politique financière et la structure de propriété des firmes" (juge, codes légaux, les

procédures écrites et orales…).

Ainsi, Glaeser et Shleifer (2003)3 mettent en avant le rôle protecteur de l'Etat.

Nous comprenons donc que les auteurs qui soutiennent la perspective financière

pensent que l'efficience est conditionnée par la protection des droits des investisseurs

financiers (actionnaires et créanciers financiers), analysée sur la base de la tradition

juridique (Charreaux, 2004).

En effet, comme son nom l'indique, la théorie juridico-financière s'appuie sur deux

critères à savoir la qualité de la protection et la capacité à faire exécuter la loi (Charreaux,

2004).

Selon Berkowitz et al (1999)1, "les pays qui ont su adapter la loi aux conditions

locales ou qui disposaient d'une population déjà accoutumée à cette loi, avaient plus de

chance de construire un cadre légal efficace".

1 Roe M.J., "Political Preconditions to Separating Ownership from Corporate Control", Stanford Law Review, vol. 53, n° 3, December, 2000, p. 539-606, cité dans Gérard Charreaux, janvier 2004, "Les théories de la gouvernance: de la gouvernance des entreprises à la gouvernance des systèmes nationaux". 2 La Porta R., Lopez-de-Silanes F., Shleifer A. et Vishny R.W., "Law and Finance", journal of Political Economy, vol. 106, n° 6, December, 1998, p. 1113-1155, cité dans Gérard Charreaux, janvier 2004, "Les théories de la gouvernance: de la gouvernance des entreprises à la gouvernance des systèmes nationaux". 3 Glaeser E et Shleifer A., "The Rise of the Regulatory State", Journal of Economic Literature, vol. 41, n° 2, June, 2003, p. 401-425, cité dans Gérard Charreaux, janvier 2004, "Les théories de la gouvernance: de la gouvernance des entreprises à la gouvernance des systèmes nationaux".

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Selon Charreaux (2004), l'approche juridico-financière stipule aussi que les

systèmes de gouvernance libéraux sont jugés les plus efficaces étant donné qu'ils reposent

sur le droit coutumier et sur une faible intervention de l'Etat.

Ceci a été confirmé par Djankov et al (2003a)2 qui pensent également que

"l'intervention de l'Etat ne se justifie que lorsque le niveau de désordre est trop élevé pour

être résolu par la voie privée ou par les tribunaux".

En fait, la théorie juridico-financière, qui accorde un intérêt particulier aux

investisseurs financiers, avance que le système de droit coutumier semble plus flexible

pour permettre une meilleure protection des investisseurs financiers, notamment des

actionnaires minoritaires, et par conséquent un meilleur développement des marchés

financiers (Charreaux, 2004).

1.1.3.1.2. La théorie politico financière

Si la thèse de LLSV (position de La Porta, Lopez-de-Silaves, Shleifer et Vishny)3

domine la perspective juridico-financière, celle de Roe (1990,1994, 1997)4 occupe une

position équivalente au sein de la perspective politique (Charreaux, 2004).

En effet, s'il est important de signaler que si LLSV5 soutiennent l'idée que "les

marchés ne peuvent se développer en l'absence d'un système légal protégeant

l'investissement financier", d'autres auteurs comme Coffee (2001a)6 proposent une vision

opposée en disant qu"il existe des mécanismes de substitution de nature privée qui sont

apparus pour offrir cette protection". Autrement dit, le système juridique importe non pas

en offrant une technique de protection des droits des investisseurs, mais en tant que cadre

1 Berkowitz D., Pistor K.et Richard J.F., "Economic Development, Legality, and the Transplant Effect", University of Pittsburg, Working Paper, 1999, cité dans Gérard Charreaux, janvier 2004, "Les théories de la gouvernance: de la gouvernance des entreprises à la gouvernance des systèmes nationaux". 2 Djankov S., La Porta R., Lopez-de-Silanes F. et Shleifer A., "The New Comparative Economics: A First Look", CEPR discussion Paper, n° 3882, May, 2003a, cité dans Gérard Charreaux, janvier 2004, "Les théories de la gouvernance: de la gouvernance des entreprises à la gouvernance des systèmes nationaux". 3 Cité dans Gérard Charreaux, janvier 2004, "Les théories de la gouvernance: de la gouvernance des entreprises à la gouvernance des systèmes nationaux". 4 Idem. 5 Idem. 6 Coffee J., "The Rise of Dispersed Ownership and Control", Yale Law Journal, vol. 111, n° 1,October, 2001a, p. 1-82, cité dans Gérard Charreaux, janvier 2004, "Les théories de la gouvernance: de la gouvernance des entreprises à la gouvernance des systèmes nationaux".

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permettant aux modes de régulation privés de se développer de façon décentralisée,

facilitant ainsi le développement des marchés financiers (Charreaux, 2004).

D'autres auteurs comme Pistor et al (2003a)1 admettent que l'important est la

capacité d'adaptation du système juridique aux exigences de la situation économique,

politique et sociale, autrement dit le critère essentiel est celui de la flexibilité du cadre

légal et non pas celui de la protection des minoritaires (Charreaux, 2004).

Selon Charreaux (2004), l'approche politico financière accorde en revanche un rôle

crucial à la politique dans la construction des institutions financières.

En effet, Roe (1990, 1994, 1997)2, qui a proposé la première version de cette

analyse, a montré, à travers "une explication en des termes politiques et non juridiques",

que "la configuration du système financier américain ne s'expliquerait pas exclusivement

par la recherche d'efficience, mais également et peut être d'avantage par les contraintes

politiques qui se sont exercées historiquement et ont conditionné son soutien de

développement" (Caby, 2003).

Selon Roe (2000)3, c'est l'absence ou la présence d'un choix politique social-

démocrate qui explique la co-existence de systèmes de gouvernance différenciés. Selon

cet auteur, les social-démocraties privilégient la stabilité de l'emploi, encouragent le

désalignement avec les actionnaires, et par conséquent proposent des normes

actionnariales plus faibles ce qui se traduit par des coûts d'agence plus élevés. Il pense

alors que la concentration du capital est un moyen de contourner ce contexte.

Roe (2001)4 met en avant le caractère concurrentiel des marchés et affirme que la

sociale démocratie serait plus fréquente dans les nations de petites tailles au faible

1 Pistor K., Keinan Y., Kleinheisterkamp J.I. et West M.D., "The Evolution of Corporate Law: A Cross-Country Comparison", Columbia Law and Economics Research Paper, n° 232a, 2003a, cité dans Gérard Charreaux, janvier 2004, "Les théories de la gouvernance: de la gouvernance des entreprises à la gouvernance des systèmes nationaux". 2 Cité dans Gérard Charreaux, janvier 2004, "Les théories de la gouvernance: de la gouvernance des entreprises à la gouvernance des systèmes nationaux". 3 Roe M.J., "Political Foundations for Separating Ownership from Corporate Control", Stanford Law Review, (Vol 53, 2000), cité dans Jérôme Caby, 2003, " La convergence internationale des systèmes de gouvernance des entreprises: faits et débats". 4 Roe M.J., "Rents and their Corporate Consequences", Stanford Law Review, vol. 53, n° 6, July, 2001, p. 1463-1494, cité dans Gérard Charreaux, janvier 2004, "Les théories de la gouvernance: de la gouvernance des entreprises à la gouvernance des systèmes nationaux".

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caractère concurrentiel. Cette faiblesse entraînerait, selon lui, l'existence de rentes

importantes qui d'une part, procureraient une latitude supérieure aux dirigeants, d'autre

part, constitueraient un enjeu pour les différents groupes d'intérêts.

Dans ses travaux, Roe a également montré que dans les sociales démocraties

(privilégient les intérêts des salariés), les dirigeants sont moins incités à gérer dans l'intérêt

des actionnaires, et que les formes de propriété dominantes dans les sociales démocraties

seraient soit des firmes familiales, soit des firmes à actionnariat concentré.

Selon Charreaux (2004), les travaux de Roe tentent donc de prouver l'existence

d'une corrélation significative tant entre la dispersion de la propriété et le positionnement

politique des nations qu'entre l'importance du marché financier et l'inégalité des revenus.

En effet, pour Roe (2000)1, le problème n'est pas de savoir si l'environnement

législatif est pertinent ou non, mais il pense que, une fois un niveau minimum est atteint,

les marchés financiers peuvent démarrer et l'ajustement légal se produira plus tard, la loi

est moins un déterminant des institutions que leur résultat.

Mais quoiqu'il ne conclue pas que la théorie juridico-financière soit totalement à

écarter, il privilégie toutefois les facteurs politiques ayant fait obstacle à l'émergence d'un

pouvoir financier fort (Charreaux, 2004).

Pour lui, l'argument de la protection légale reste pertinent notamment dans les

nations en voie de développement ou en transition, mais il est loin d'être exclusif voire

déterminant dans les nations développées (Charreaux, 2004).

Et, comme le montre Gourevitch (2003)2, ce n'est pas le droit qui détermine la

demande de protection légale, mais le caractère concurrentiel du marché, c'est-à-dire si les

marchés fonctionnent bien, les rentes sont faibles et les conflits entre parties prenantes

pour les approprier sont mineurs.

1 Roe M.J., "Political Foundations for Separating Ownership from Corporate Control", Stanford Law Review, (Vol 53, 2000), cité dans Jérôme Caby, 2003, " La convergence internationale des systèmes de gouvernance des entreprises: faits et débats". 2 Gourevitch P., "The Politics of Corporate Governance Regulation", Yale Law Journal, vol. 112, n° 7, May, 2003, p.1829-1880, cité dans Gérard Charreaux, janvier 2004, "Les théories de la gouvernance: de la gouvernance des entreprises à la gouvernance des systèmes nationaux".

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1.1.3.1.3. La théorie des dotations

Cette théorie qui revient aux travaux de Beck et al (2001b, 2003b)1, cherche à

étudier "l'émergence des institutions financières dans les anciens pays colonisés, en

relation avec leurs dotations en ressources naturelles et leur état sanitaire".

Dans ce même sens, Sachs (2001)2 prétend que les différences géographiques (le

climat, les dotations en ressources naturelles…) et sanitaires (en particulier les facteurs de

mortalité) ont joué un rôle déterminant dans le développement, et que les pays mal dotés

sont censés avoir éprouvé davantage de difficultés à mettre en place des institutions,

notamment financières, efficaces.

1.1.3.1.4. La théorie socioculturelle

Selon Charreaux (2004), cette théorie comprend, tous les travaux retenant les

variables socioculturelles (comme la religion, la confiance, les normes en général…)

comme facteurs explicatifs des risques encourus par les investisseurs financiers et du

niveau des coûts d'agence.

Les auteurs supporteurs de cette théorie, comme [La Porta et al (1997a), Stulz et

Williamson (2003), Coffee (2001), Licht (2001)]3 mettent en avant l'influence des valeurs

socioculturelles sur les coûts d'agence, en particulier, en réduisant l'opportunisme, et

considèrent que les variables socioculturelles représentent la propension des individus à

coopérer socialement afin d'accroître l'efficience productive.

1 Beck T., Demirgûç-Kunt A. et Levine R., "Law, Politics, and Finance", World Bank Country Economics Department, Working Paper, n° 2585, April, 2001b et "Law, Endowments, and Finance", Journal of Financial Economics, vol. 70, n° 2, November, 2003b, cités dans Gérard Charreaux, janvier 2004, "Les théories de la gouvernance: de la gouvernance des entreprises à la gouvernance des systèmes nationaux". 2 Sachs J.D., "Tropical Underdevelopment", National Bureau of Economic Research, Working Paper, n° 8119, February, 2001, cité dans Gérard Charreaux, janvier 2004, "Les théories de la gouvernance: de la gouvernance des entreprises à la gouvernance des systèmes nationaux". 3 Cité dans Gérard Charreaux, janvier 2004, "Les théories de la gouvernance: de la gouvernance des entreprises à la gouvernance des systèmes nationaux".

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Pour ces théoriciens, la confiance apparaît largement et positivement corrélée à

l'efficacité du système judiciaire, l'absence de corruption, la qualité de la bureaucratie,

l'acceptation de l'impôt et la participation civique (Charreaux, 2004).

Selon le même auteur, toutes ces théories s'inscrivent dans une perspective

disciplinaire qui considère la protection des investisseurs comme la principale source de

prospérité dans le développement financier.

En effet, si la théorie juridico-financière accorde un rôle déterminant uniquement

aux variables juridiques, la théorie politico- financière met plutôt en avant la variable

politique.

Toutefois, les théories socioculturelles et des dotations montrent que les variables

socioculturelles et les variables représentant les dotations ont un pouvoir explicatif

précédant ou excédant celui des variables juridiques (Charreaux, 2004).

Charreaux (2004) signale que ces théories ne remettent pas en cause l'origine

disciplinaire de la performance, mais contestent tout simplement la hiérarchie des

variables déterminants et les liens de causalité.

1.1.3.2. Les théories fondées sur la production (aspect disciplinaire et cognitif)

Les théories fondées sur la production dépassent les seules dimensions juridico-

financières et les dimensions politico culturelles pour intégrer, selon Charreaux (2004), les

dimensions éducatives, techniques et de relations du travail.

Les analyses productives des systèmes nationaux de gouvernance font en fait

intervenir simultanément des dimensions incitatives (protection du capital humain et

financier) et cognitives (les institutions jouent un rôle central dans la construction et la

transmission des connaissances à travers les processus d'apprentissage).

Il s'agit, d'après le même auteur, de la théorie des variétés du capitalisme (VOC) et

de la théorie de régulation.

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1.1.3.2.1. La théorie des variétés du capitalisme (VOC)

La théorie des VOC qui revient aux travaux de Hall et Soskice (2001, 2002)1

regroupe les principaux travaux qui intègrent la dimension productive.

Cette théorie s'appuie essentiellement sur l'opposition entre les économies libérales

"impersonnelles" (de marché) d'une part, dont la coordination repose principalement sur

les mécanismes de marché, et les économies "relationnelles" d'autre part, dont la

coordination passe majoritairement par les relations non marchandes, les interactions

stratégiques des acteurs, au sens de la théorie des jeux (Charreaux, 2004).

En effet, selon les fondateurs de cette théorie, si le premier type d'économie

(économie "impersonnelle" ou "de marché") a des institutions favorisant la flexibilité et le

redéploiement des ressources, le second type ("économies relationnelles") constitue un

cadre propice aux interactions stratégiques et aux investissements spécifiques.

La théorie de la VOC présente néanmoins une thèse centrale qui avance que "seuls

les systèmes "cohérents", qui privilégient soit les mécanismes de coordination marchands,

soit non marchands, ont une grande efficience productive, les systèmes nationaux de

gouvernance "hybrides" seraient moins performants car moins cohérents en terme de

coordination" (Hall et Soskice)2.

1.1.3.2.2. La théorie des régulations

Boyer et Saillard (2002)3, les fondateurs de la théorie des régulations qui s'est

développée au milieu des années soixante-dix, pensent que le mode de régulation est

supposé dépendre de cinq formes institutionnelles fondamentales: le rapport salarial; les

1 Hall P. A. et Soskice D. (eds.), Varieties of Capitalism: " The Institutional Foundations of Comparative Advantage, New York: Oxford University Press, 2001 et "Les variétés du capitalisme", L'année de la regulation, n° 6, 2002, p. 47-124, traduit de, "An Introduction to Varieties of Capitalism", in P. A. Hall et D. Soskice, Varieties of Capitalism: The Institutional Foundations of Comparative Advantage, New York: Oxford University Press, 2001, p. 1-68, cités dans Gérard Charreaux, janvier 2004, "Les théories de la gouvernance: de la gouvernance des entreprises à la gouvernance des systèmes nationaux". 2 Idem. 3 Boyer R. et Saillard Y. (dir.), Théorie de la régulation: l'état des savoirs, Paris, La Découverte, 2002, cités dans Gérard Charreaux, janvier 2004, "Les théories de la gouvernance: de la gouvernance des entreprises à la gouvernance des systèmes nationaux".

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réformes de la concurrence; le régime monétaire; la configuration des relations entre l'Etat

et l'économie et l'insertion internationale de l'économie.

1.1.3.2.3. La théorie des systèmes sociaux d'innovation et de production

(SSIP)

Cette théorie est considérée par Charreaux (2004) comme une dérivée de la théorie

des régulations. Amable et al (1997)1, les fondateurs principaux de cette théorie, mettent

plutôt l'accent sur la production et l'innovation, et visent à comprendre le phénomène de

croissance endogène en faisant intervenir six sous-systèmes institutionnels (la science, la

technologie, l'industrie, la force de travail, l'éducation et la formation, la finance).

1.1.Aspect microéconomique de la gouvernance d'entreprise

"On ne peut guère s'attendre à ce que les régisseurs d'argent d'autrui y apportent

cette vigilance exacte et soucieuse que les associés d'une société apportent souvent dans le

maniement de leur fonds" (Smith, 1776)2.

En effet, depuis longtemps, le problème de la divergence d'intérêts entre

propriétaire et dirigeants faisait l'objet d'un débat suscitant l'attention de plusieurs auteurs

et les poussant à réfléchir à un système de contrôle efficace et capable de garantir une

meilleure performance des entreprises.

Le concept de gouvernance d’entreprises renvoie en fait à une multitude de

définitions et une multiplicité d’approches.

1 Amable B., Barré R. et Boyer R., Les systèmes d'innovation à l'ère de la globalisation, Economica, 1997, cités dans Gérard Charreaux, janvier 2004, "Les théories de la gouvernance: de la gouvernance des entreprises à la gouvernance des systèmes nationaux". 2 Smith A. (1776) The Wealth of Nations, Glasgow, cité dans Céline Chatelin et Stéphane Trébucq (2003), "Stabilité et évolution du cadre conceptuel en gouvernance d'entreprise: un essai de synthèse".

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1.2.1. Définitions du système de gouvernance d’entreprises

Selon Caby ( 2003), la gouvernance est venue mettre en jeu des leviers d'alignement

du comportement des dirigeants pour lutter contre les déviations que ces derniers peuvent

faire de diverses manières, à travers par exemple des stratégies d'enracinement,

d'opportunisme, de recherche de croissance, etc.

Bien que l'analyse des relations entre les actionnaires et les dirigeants soit souvent

privilégiée, les définitions du système de gouvernement d'entreprise proposées par différents

auteurs dépassent la seule relation entre les actionnaires et les dirigeants et prennent une

dimension beaucoup plus large (Charreaux, 1997).

Selon Charreaux (1997), "le gouvernement des entreprises recouvre l'ensemble des

mécanismes organisationnels qui ont pour effet de délimiter les pouvoirs et d'influencer les

décisions des dirigeants, autrement dit qui "gouvernent" leur conduite et définissent leur

espace discrétionnaire".

L'ICGN1 avance à ce propos que "le gouvernement d'entreprise recouvre à la fois la

structure et les procédures de direction d'une entreprise qui visent à atteindre les deux

objectifs dont sont en charge les administrateurs et les dirigeants, à savoir assurer la viabilité

opérationnelle de l'entreprise et accroître sa valeur à long terme pour ses actionnaires."

Le rapport Cadbury2 avance que le système de gouvernance est "le système par lequel

les entreprises sont dirigées et contrôlées".

Selon la définition proposée par Groenewegen (2000)3, le système de gouvernement

d'entreprise représente l'ensemble des pressions internes et externes influençant le manager

dans ses prises de décisions en faveur des actionnaires.

1 International Corporate Governance Network, cité dans Hélène Ploix (2003), Le dirigeant et le gouvernement d'entreprise, Village mondial. 2 Committee on the financial Aspect of Corporate Governance, cité dans Hélène Ploix (2003), Le dirigeant et le gouvernement d'entreprise, Village mondial. 3 Groenewegen John (2000) " European Integration and Changing Corporate Governance Structures: The Case of France", Journal of Economic Issues, Lincoln, Vol.34, Issue 2, June, pp. 471-479, cité dans Mathieu Paquerot et Géraldine Carminatti-Marchand (2000), "Composition des Conseils d'administration français: évolution depuis 1995".

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1.2.2. Les approches théoriques de la gouvernance des entreprises

A l'échelle micro, la notion de gouvernance est centrée sur la relation entre les

dirigeants et les détenteurs des ressources de l'entreprise.

L'analyse du cadre théorique de cette partie nous permet de dégager trois

principales approches, à savoir l'approche financière (actionnariale), l'approche

partenariale et l'approche cognitive.

1.2.2.1. L'approche financière (actionnariale)

Selon Caby (2003), cette approche représente une conception "traditionnelle"

centrée sur les intérêts des actionnaires et adaptée à la firme "managériale".

Cette théorie qui trouve son origine dans les travaux de Jensen et Meckling (1976),

fait intervenir plusieurs notions dans le cadre d'une optique financière dont

essentiellement la relation d'agence, les conflits d'intérêts entre actionnaires et dirigeants,

l'asymétrie de l'information et l'enracinement des dirigeants.

Dans cette optique traditionnelle, la gouvernance d'entreprise a pour rôle d'aligner

le comportement des dirigeants sur le critère de maximisation de la richesse des

actionnaires, à l'aide de leviers incitatifs et de mécanismes de contrôle (Caby, 2003).

1.2.2.1.1. Définition de la relation d'agence

Selon Gomez (1996), la définition radicale de la relation d'agence est celle avancée

par Jensen et Meckling (1976) qui la considèrent comme étant un contrat dans lequel une

ou plusieurs personnes (le principal) engagent une autre personne (l'agent) pour accomplir

en leur nom une tâche quelconque, qui implique une délégation de prise de décision.

En effet, sachant que "l'agent" peut profiter de la liberté qui lui est

contractuellement accordée pour gérer les affaires de ses mandants dans une logique qui

lui est plus favorable au détriment de ces derniers, Gomez (1996) ainsi que Jensen et

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Meckling (1976) affirment que la relation d'agence génère dans ce cas des coûts de

contrôle et de surveillance appelés les coûts d'agence.

Et dans le même contexte, Williamson (1994)1 confirme le principe en faisant

appel à la notion d'opportunisme, "il faut noter que je n'affirme pas que tout individu

s'adonne continuellement à l'opportunisme, mais que les individus sont opportunistes

quelquefois et que les écarts de loyauté sont rarement visibles ex ante".

Gomez (1996) pense également qu'"il n'est pas toujours rationnel d'agir dans

l'intérêt du principal".

1.2.2.1.2. Enracinement des dirigeants

Paquérot (1997) définit l'enracinement des dirigeants comme étant l'ensemble des

moyens pouvant être utilisés par les dirigeants pour conquérir, conserver ou accroître leur

pouvoir.

Selon Gomez (1996), l'enracinement est un phénomène qui découle de la

délégation du pouvoir générée par la relation d'agence. Autrement dit, le statut de l'agent

censé gérer l'ensemble des contrats qui forment l'organisation, lui procure un pouvoir

asymétrique sur les autres stakeholders2. "Il peut choisir de développer les actifs

spécifiques qui nécessitent particulièrement son savoir-faire et sa capacité managériale, de

façon à rendre sa fonction dans l'entreprise indispensable aux autres acteurs".

Pour El Aouadi (2001), l'enracinement traduit également la volonté du dirigeant de

s'affranchir, au moins partiellement, du contrôle des actionnaires, en vue de conserver sa

position, d'accroître sa liberté d'action et/ou de maximiser ses rentes.

Pour d'autres auteurs comme Gharbi (2002), la théorie de l'enracinement des

dirigeants s'appuie sur le caractère "opportuniste" des acteurs et suppose, selon Alexandre

1 Williamson , 1994, p.86 cité dans Pierre-Yves Gomez, Le gouvernement de l'entreprise, modèles économiques de l'entreprise et pratiques de gestion, 1996, InterEditions, p.106. 2 Une définition des stakeholders consisterait à y inclure tous les agents qui sont "parties prenantes" au développement de l'entreprise (Hyafil, 1997, p 1977) cité dans El Aouadi Ahmed, mars 2001"Les stratégies d'enracinement des dirigeants des entreprises: le cas marocain.

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et Paquérot (2000)1, que les mécanismes de gouvernance mis en place pour délimiter le

pouvoir et influencer les décisions des dirigeants, selon la définition proposée par

charreaux (1997), ne sont pas toujours suffisants pour contraindre des équipes

managériales à gérer la firme conformément à l'intérêt des actionnaires.

Charreaux (1997) souligne également que la stratégie d'enracinement des

dirigeants est une stratégie de neutralisation des mécanismes disciplinaires.

Gharbi (2002) pense aussi que les stratégies d'enracinement émanent d'une volonté

visant à contourner et à éviter les mécanismes de contrôle imposés aux dirigeants.

En effet, le dirigeant peut s'enraciner dans l'entreprise de différentes manières afin

de rendre l'exercice de son pouvoir personnel inévitable pour la survie de celle-ci.

D'après Gomez (1996), le dirigeant peut par exemple orienter les investissements

de l'entreprise vers les domaines qu'il connaît le mieux, il peut embaucher des

collaborateurs avec lesquels il entretient des rapports favorables, ce qui diminue

l'autocontrôle interne entre les gestionnaires. Il peut définir une politique salariale

favorable aux employés, de manière à maintenir sa fonction par la pression des salariés

contre les propriétaires. Cette forme d'enracinement est appelée par Gomez (1996):

l'enracinement organisationnel.

Selon le même auteur, le dirigeant peut parfois privilégier des contrats dans le

cadre d'un réseau de banquiers ou d'entreprises amies. Il échappe alors au marché en

verrouillant des réseaux dans lesquelles ils entretiennent des relations intersubjectives

fortes, quel que soit le surcoût pour l'entreprise. Cette forme d'enracinement est appelée

par Gomez (1996): l'enracinement marchand.

Certaines analyses, attribuant un rôle central aux dirigeants, comme celles de

Charreaux (1996), affirment que ceux-ci peuvent avoir un comportement actif, autrement

1 Alexandre H., Paquerot M., 2000, "Efficacité des structures de contrôle et enracinement des dirigeants", Finance Contrôle Stratégie, Vol 3, N°2, juin, p. 5-29, cité dans Gharbi Héla, 2002, "Enracinement des dirigeants: une revue de la littérature".

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dit, qui se manifeste par "un recours à des stratégies pour neutraliser les mécanismes

disciplinaires et élargir leur latitude discrétionnaire".

La littérature a en fait distingué trois formes de stratégies de neutralisation des

mécanismes disciplinaires, à savoir les investissements spécifiques aux dirigeants1, la

manipulation de l'information2 par ces derniers et les réseaux relationnels3 (Aouadi,

2001).

Cependant, quoi qu'elles aient été le plus souvent considérées comme étant une

source d'inefficacité (El Aouadi, 2001), certaines stratégies d'enracinement paraissent pour

certains auteurs, comme Charreaux (1996), génératrices de valeurs pour les actionnaires et

les stakeholders.

L'investissement "idiosyncratique" par exemple, défini par charreaux (1996),

comme étant l'investissement spécifique aux dirigeants, et qui représentent un moyen

particulier d'enracinement, ne sont pas forcément inefficaces pour les actionnaires. En

effet, selon Castanias et Helfat (1992)4, ces investissements permettent aux dirigeants de

générer des rentes dont les propriétaires de la firme sont indirectement bénéficiaires. Ceci

n'empêche également qu'ils leur permettent d'affirmer leur pouvoir sur les actionnaires et

d'accroître leur espace discrétionnaire (Paquerot, 1997).

L'approche actionnariale ayant pour objectif fondamental la maximisation de la

valeur actionnariale, présente selon Charreaux (2002) une vision étroite dans laquelle le

système de gouvernance d’entreprises représente "l'ensemble des mécanismes permettant

de sécuriser l'investissement financier".

1 Selon Aouadi (2001), un investissement est dit spécifique au dirigeant quand il subit une perte de valeur en cas de départ du P.D.G. 2 C'est l'avantage informationnel dont le dirigeant peut profiter pour accroître la dépendance des actionnaires et l'ensemble des autres partenaires de la firme (Aouadi, 2001) 3 Selon Aouadi (2001), il s'agit d'un moyen d'enracinement basé sur des contrats (implicites ou explicites) passés par les dirigeants avec les différents acteurs intervenant dans la vie de la firme, et il veillera à ce que le maintien de ces relations repose sur sa présence à la tête de la firme. 4 Castanias R.P et Helfat C.E., 1992, "Managerial and windfall rents in the market for corporate control", Journal of Economic Behavior and Organization, 18, p.153-184, cite dans Mathieu Paquerot, 1997, "Stratégie d'enracinement des dirigeants performance de la firme et structures de contrôle", dans Gérard Charreaux, 1997, Le gouvernement des entreprises théories et faits, Economica.

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1.2.2.2. L'approche partenariale

Le modèle partenarial trouve son origine au sein de la théorie des contrats incomplets,

notamment dans les travaux de Grossman et Hart (1986)1; Hart et Moore (1990)2.

Certains travaux portant sur la gouvernance partenariale sont inscrits dans la théorie

positive de l'agence (Jensen et Meckling 1976, 1992)3. Ceux-ci déclarent en fait que

l'organisation est un système contractuel coopératif où interagissent différents partenaires aux

intérêts divergents. L'existence de conflits reste toujours le problème à prendre en

considération et à résoudre à travers la mise en place de mécanismes de gouvernance chargés

de discipliner ou d'infléchir le comportement décisionnel du dirigeant afin de sauvegarder les

intérêts des différentes parties prenantes (Chatelin et Trébuck, 2003).

En effet, contrairement au modèle financier qui considère les actionnaires comme les

seuls "créanciers résiduels" (Charreaux, 2002), dans l'approche partenariale, le statut de

propriétaire est étendu à l'ensemble des partis au nœud de contrats (Charreaux, 2004) et le

créancier résiduel demeure "celui qui décide en cas d'imprévu et assume les pertes ou les

gains retirés de son usage" (Hart, 1990, Hart et Moore, 1990)4.

Il s'agit, selon Chetelin et Trébuck (2003), d'une approche alternative de la propriété

qui considère que le statut de détenteur de la créance résiduelle; autrement dit de celui qui

1 Grossman S. et Hart O., "The costs and Benefits of Ownership: A theory of vertical and lateral integration", Journal of Political Economy, vol.94, 1986, p. 691-719, cité dans Gérard Charreaux, janvier 2004, "Les théories de la gouvernance: de la gouvernance des entreprises à la gouvernance des systèmes nationaux". 2 Hart O. et Moore J., "Property Rights and the nature of the firm", Journal of Political Economy, vol. 98, n° 6, 1990, p.1119-1158, cité dans Gérard Charreaux, janvier 2004, "Les théories de la gouvernance: de la gouvernance des entreprises à la gouvernance des systèmes nationaux". 3 Jensen M.C., Meckling W.H. (1976) "Theory of the firm: Managerial Behavior, Agency Costs and Ownership structure", Journal of Financial Economics, vol. 3, pp. 305-360, cité dans Céline Chatelin et Stéphane Trébucq (2003), "Stabilité et évolution du cadre conceptuel en gouvernance d'entreprise: un essai de synthèse". Jensen M.C., Meckling W.H. (1992) "Specific and General Knowledge and Organizational Structure", in Werin L., Wijkander H. (eds.), Contracts Economics, Blackwell, pp. 275-281, cité dans Céline Chatelin et Stéphane Trébucq (2003), "Stabilité et évolution du cadre conceptuel en gouvernance d'entreprise: un essai de synthèse". 4 Hart O. (1990) "An Economist's Perspective on the Theory of the firm", in O.E. Williamson (ed.) Organization Theory, Oxford University Press, pp. 154-171, cité dans Céline Chatelin et Stéphane Trébucq (2003), "Stabilité et évolution du cadre conceptuel en gouvernance d'entreprise: un essai de synthèse". Hart O. et Moore J. (1990) "Property Rights and the Nature of the Firm", Journal of Political Economy, vol. 98, pp. 1119-1158, cité dans Céline Chatelin et Stéphane Trébucq (2003), "Stabilité et évolution du cadre conceptuel en gouvernance d'entreprise: un essai de synthèse".

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assume les pertes et les gains résiduels issus des décisions prises, peut être diffus au sein de

l'organisation.

Dans ce modèle, la firme est représentée comme étant une équipe de production au

sein de laquelle la création de valeur est le résultat de la synergie entre les différents facteurs

de production (Charreaux, 2002).

La logique de la démarche partenariale réside en fait dans une généralisation à

l'ensemble des parties prenantes, contribuant à l'origine de la valeur créée. La création de la

valeur repose dans ce modèle sur les compétences particulières offertes dans des relations de

coopération de longue durée, par certains fournisseurs, sous-traitants ou clients (Charreaux,

2002).

Selon Chatelin et Trébucq (2003), cette approche représente la firme comme une

forme de coopération alternative au marché qui s'instaure en raison des gains mutuels qu'elle

seule permet de réaliser.

Pour Zingales (1998)1, ce modèle considère la firme comme "un nœud

d'investissements spécifiques, une combinaison d'actifs et de personnes mutuellement

spécialisées".

Selon Blair (1995, 1999)2, ce modèle accorde une place centrale aux ressources

humaines et proclame une intensité de conflits moins importante qu'au sein du modèle

financier.

Dans cette approche, Charreaux (2002) définit un système de gouvernance comme "un

moyen de protéger la valeur du capital humain des salariés, qui dépend des rentes qu'ils

peuvent s'approprier".

1 Zingales L., "Corporate Governance", in P. Newman (Ed.), The New Palgrave, Dictionary of Economics and the Law, London, Stockton Press, 1998, cité dans Charreaux G., Février 2002, "Quelle théorie pour la gouvernance ? De la gouvernance actionnariale à la gouvernance cognitive", Working papers-FARGO, université de Bourgogne AT : www.ubourgogne.fr. 2 Blair M.M., Ownership and Control: Rethinking Corporate Governance for the twenty-first Century, Washington: Brookings, 1995, cité dans Gérard Charreaux, janvier 2004, "Les théories de la gouvernance: de la gouvernance des entreprises à la gouvernance des systèmes nationaux". Blair M.M., "Firm Specific Human Capital and Theories of the Firm", in M.M. Blair et M.J. Roe, Employees et Corporate Governance, Washington D.C., Brooking Institution Press, 1999, p. 58-90, cité dans Gérard Charreaux, janvier 2004, "Les théories de la gouvernance: de la gouvernance des entreprises à la gouvernance des systèmes nationaux".

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1.2.2.3. L'approche cognitive

Le modèle cognitif de la gouvernance englobe les théories qui accordent une

importance centrale à la construction des compétences et aux capacités des firmes à innover, à

créer leurs opportunités d'investissement et à modifier leur environnement (Charreaux, 2002).

En effet, dans cette approche, la clé de la performance se situe d'avantage dans la

capacité du management à imaginer, percevoir et construire de nouvelles opportunités

(Prahalad, 1994, Lazonick et O'Sullivan 1998, 2000)1.

En fait, si le modèle partenarial considère la firme comme une équipe de production,

dans le modèle cognitif, la firme est conçue autrement: selon Hodgson (1998)2, la firme est

représentée comme un répertoire de connaissance. Selon Teece et al (1994)3, la firme est

conçue comme un ensemble cohérent qui tirerait sa spécificité de sa capacité à créer des

connaissances et ainsi à être rentable de façon durable.

1 Lazonick W. et O’Sullivan M., " Corporate Governance and the Innovative Economy: Policy Implications", STEP Report ISSN 0804-8185, Oslo, 1998. Lazonick W. et O’Sullivan M., "Perspectives on Corporate Governance, Innovation, and Economic Performance", Working Paper, Insead, June 2000. Prahalad C.K., "Corporate Governance or Corporate Value Added?: Rethinking the Primacy of Shareholder Value", Journal of Applied Corporate Finance, vol.6, n°4, 1994, p. 40-50. Cités dans Charreaux G., Février 2002, "Quelle théorie pour la gouvernance ? De la gouvernance actionnariale à la gouvernance cognitive", Working papers-FARGO, université de Bourgogne AT : www.ubourgogne.fr. 2 Hodson G.M., "Competence and Contract in the theory of the firm", Journal of Economic Behavior and Organization, vol.35, 1998, p. 179-2001, cité dans Charreaux G., Février 2002, "Quelle théorie pour la gouvernance ? De la gouvernance actionnariale à la gouvernance cognitive", Working papers-FARGO, université de Bourgogne AT : www.ubourgogne.fr. 3 Teece D.J., Rumelt R., Dosi G. et Winter S., " Understanding Corporate Coherence", Journal of Economic Behavior and Organization, vol. 23, 1994, p. 1-30, cite dans dans Charreaux G., Février 2002, "Quelle théorie pour la gouvernance ? De la gouvernance actionnariale à la gouvernance cognitive", Working papers-FARGO, université de Bourgogne AT : www.ubourgogne.fr.

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CHAPITRE 2

Les principaux acteurs de la gouvernance

d’entreprises

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Dans ce chapitre, nous allons essayer d'aborder deux parties. La première s'intéressera

à la réglementation des sociétés cotées en Bourse et des groupes d'entreprises en Tunisie. La

seconde s'intéressera aux principaux mécanismes et acteurs de la gouvernance d'entreprise

dans le contexte tunisien.

2.1. Cadre législatif, réglementaire et juridique des sociétés cotées et des groupes

d’entreprises en Tunisie

En Tunisie, les sociétés cotées et les groupes de sociétés sont soumis aux lois du code

des sociétés commerciales (CSC).

2.1.1. Les sociétés anonymes par actions, faisant appel public à l’épargne

La distinction entre les sociétés est essentiellement fondée sur la puissance financière

de l’entreprise. En effet, on trouve en tête les sociétés anonymes qui disposent généralement

de capitaux considérables. En Tunisie, la définition de ce type de sociétés, les conditions de

leur constitution, les caractéristiques et les modes de leur gestion, de leur administration ainsi

que de leur contrôle sont représentés par le CSC.

2.1.1.1. Constitution de la société anonyme en Tunisie

La société anonyme doit être, au terme de l’article 160 du CSC constituée de sept

actionnaires au moins, avec un capital social supérieur ou égal à 50 000 DT si elle ne fait pas

appel public à l’épargne, et de 150 000 DT si la société fait appel à l’épargne, son capital doit

être divisé en actions dont le montant nominal ne peut être inférieur à 5 DT.

Les règles de constitution de la société anonyme diffèrent en fait selon que la société

fait appel à l’épargne ou non.

En effet, dans le cas où la société fait appel public à l’épargne, le législateur a établit

des règles protectrices des actionnaires en prévoyant des formalités rigoureuses destinées

surtout à lutter contre le risque d’escroquerie.

Avant toute souscription, l’article 164 du CSC oblige les fondateurs à publier une

notice destinée à l’information du public, dans le JORT et dans deux journaux quotidiens.

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Cette notice doit comporter la dénomination sociale, la forme de la société, le montant du

capital social, l’adresse du siège et l’objet social, la durée, la date et le lieu du dépôt.

2.1.1.2. Fonctionnement des sociétés anonymes en Tunisie

Le fonctionnement des sociétés anonymes en Tunisie fait intervenir trois principaux

éléments à savoir le conseil d'administration, le commissaire aux comptes et l'assemblée

générale des actionnaires.

2.1.1.2.1. Le conseil d’administration

Au terme de l’article 188-189 du CSC, les sociétés anonymes sont administrées par un

conseil d’administration composé au moins de trois membres et de douze au plus, qui ne sont

pas nécessairement des actionnaires et qui doivent être nommés par l’assemblé générale

constitutive ou ordinaire pour une durée qui, selon l’article 190 du CSC, ne doit pas dépasser

trois ans. Ces administrateurs peuvent être révoqués par une décision qui émane de l’assemblé

générale ordinaire. Cependant, le CSC reste silencieux sur la question des causes de la

révocation des membres du conseil d’administration de la société anonyme. Ils peuvent être

choisis soit parmi les salariés de l’entreprise, soit parmi les tiers. Ils sont tenus, au terme de

l’article 198 du CSC, d’exercer leurs fonctions avec la diligence d’un entrepreneur avisé et

d’un mandataire loyal, en gardant secrètes les informations confidentielles. Ils peuvent

recevoir une rémunération en contre partie de la prestation qu’ils fournissent, fixée par

l’Assemblé Générale des actionnaires à titre de jetons de présence (article 204 du CSC).

Le conseil d’administration joue en fait un rôle extrêmement important dans une

société anonyme puisque la loi lui accorde les pouvoirs les plus étendus pour agir en toute

circonstance au nom de la société, dans la mesure où il agit, au terme de l’article 197 du CSC,

dans les limites de l’objet social.

La responsabilité mise à la charge du conseil d'administration lui impose d’accomplir

certaines missions qui consistent à établir, à la clôture de chaque exercice, les états financiers

de la société conformément à la loi relative au système comptable en vigueur, et à annexer au

bilan un état des cautionnements avals et garanties données par la société, ainsi qu'un état des

sûretés consenties par elle (article 201 du CSC).

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Parmi ses autres fonctions, le conseil d’administration est tenu de présenter à

l’Assemblée Générale des actionnaires et conjointement aux documents comptables, un

rapport annuel détaillé sur la gestion de la société qui doit être communiqué au commissaire

aux comptes (article 201 du CSC).

2.1.1.2.2. Le commissaire aux comptes

Parmi les éléments les plus importants qui jouent un rôle considérable dans le contrôle

des sociétés anonymes figure le commissaire aux comptes.

Son intervention semble très importante pour sauvegarder les intérêts des actionnaires,

en s’assurant que les dirigeants mandatés, agissent pour le compte de ces derniers et des

autres parties prenantes concernées par l’activité de l’entreprise.

En effet, la loi tunisienne soumet le commissaire aux comptes à une responsabilité

importante en terme de contrôle et lui impose un certain nombre de missions à accomplir,

dont essentiellement la vérification des livres, la caisse, le porte feuille, les valeurs de la

société, le contrôle de la régularité et de la sincérité des inventaires, ainsi que l’exactitude des

informations données sur les comptes dans le rapport du conseil d’administration (article 266

du CSC).

Au terme du même article (266 du CSC), le commissaire aux comptes est tenu

également de certifier la régularité et la sincérité des comptes annuels de la société

conformément à la loi relative au système comptable des entreprises en vigueur.

2.1.1.2.3. L’assemblée générale des actionnaires

Le législateur tunisien donne aux actionnaires, en tant qu'apporteurs de ressources de

la société, le droit de contrôler les actes de gestion établis par les dirigeants. La réunion de

l’assemblée générale doit donc se faire, au terme de l’article 275 du CSC, au moins une fois

par année et dans les six mois qui suivent la clôture de l’exercice comptable, dans le but de

vérifier si leurs intérêts étaient respectés par leurs mandataires. La convocation de l’assemblée

générale des actionnaires revient, selon l’article 277 du CSC, au conseil d’administration et en

cas de nécessité au commissaire aux comptes ou bien au liquidateur ou aussi aux actionnaires

détenant la majorité du capital social ou encore au mandataire nommé par le tribunal sur

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demande de tout intéressé en cas d’urgence ou à la demande d’un ou de plusieurs actionnaires

détenant au moins 15% du capital social.

Pour participer à l’assemblée générale ordinaire des actionnaires, un nombre minimum

d’actions peut être fixé par les statuts, cependant selon les articles 279 et 284 du CSC, tout

actionnaire détenant plus de 10% du capital social, a le droit de demander la communication

des documents sociaux qui concernent les trois derniers exercices, notamment les documents

comptables et les états financiers de la société, et aussi le rapport annuel détaillé sur la gestion

de l’entreprise que le conseil d’administration est tenu de présenter à l’assemblée générale des

actionnaires.

2.1.1.3. Dissolution des sociétés anonymes en Tunisie

La société anonyme peut être dissoute soit par décision de l’assemblée générale

extraordinaire axant l’arrivée du terme, soit par décision judiciaire et sur la demande de tout

intéressé, lorsqu’un an s’est écoulé depuis l’époque où le nombre des associés est réduit à

moins de sept personnes (article 387 du CSC).

Toutefois, le même article accorde à la société anonyme un délai supplémentaire de

six mois pour procéder à la régularisation ou pour changer la forme de la société.

En fait, si les fonds propres de la société deviennent en deçà de la moitié de son capital

en raison des pertes, l’article 338 du CSC prévoit que "le conseil d’administration doit, dans

les quatre mois de l’approbation des comptes, provoquer la réunion de l’assemblée générale

extraordinaire à l’effet de statuer su la question de savoir s’il y a lieu de prononcer la

dissolution de la société".

2.1.2. Cadre législatif, juridique et réglementaire des groupes de sociétés en Tunisie

Généralement les sociétés peuvent se regrouper et constituer des groupes de sociétés

afin de contrôler un secteur d’activité, toutefois le législateur tunisien a favorisé les

groupements des sociétés qui ont pour objectif, au terme de l’article 409 du CSC, de s'adapter

aux mutations économiques internes ou internationales, de réaliser un capital qui permet

d’avantage d’investissement, d’emploi et de productivité, de développer des moyens de travail

et de distribution, d’acquérir de nouvelles technologies et d’améliorer la qualité du produit,

d’accroître la capacité d’exportation et de concurrence, de renforcer la crédibilité de

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l’entreprise envers ses partenaires, et enfin de permettre la création et le renforcement de

l’emploi.

En effet, comme son nom l'indique, un groupe de sociétés est défini par la loi

tunisienne et précisément au terme de l'article 161 du CSC comme étant "un ensemble de

sociétés ayant chacune sa responsabilité juridique, mais liées par des intérêts communs, en

vertu desquels, l’une d’elle, dite société mère, tient les autres sous son pouvoir de droit ou de

fait et y exerce son contrôle, assurant ainsi une unité de décision".

Plusieurs conditions sont dès lors imposées à la société mère qui doit également se

soumettre à un certains nombres d’obligations considérées par le législateur comme

essentielles pour préserver les intérêts des sociétés appartenant au groupe des sociétés, en

particulier, et pour sauvegarder l’intérêt de l’économie tunisienne en général.

D’abord, pour pouvoir contrôler les sociétés appartenant au groupe, la société mère

doit, en premier lieu et au terme de l’article 462 du CSC, avoir la forme d’une société

anonyme, et en second lieu et au terme de l’article 461, détenir une participation directe ou

indirecte dans le capital de chacune des sociétés appartenant au groupe des sociétés. Elle est

tenue également au terme de l’article 470 du CSC de mentionner au registre de commerce, les

sociétés appartenant au groupe et doit détenir directement ou indirectement plus que 50% du

capital d’une société appartenant au groupe, pour que cette dernière soit appelée une filiale,

selon l’apport de l’article 461 du CSC.

Ce même article définit la société contrôlée par une autre, toute société dont une autre

détient une fraction de capital qui lui confère la majorité des droits de vote ou dont une autre

société y détient la majorité des droits de vote, ou dont une autre société y détermine en fait

les décisions prises dans les assemblées générales en vertu des droits de vote dont elle dispose

en fait.

Le législateur tunisien a également mis à la charge de la société mère la responsabilité

d’établir outre ses propres états financiers annuels et son propre rapport de gestion, des états

financiers consolidés qui devraient être soumis au contrôle d’un commissaire aux comptes

obligatoirement inscrit au tableau de l’ordre des experts comptables de Tunisie, et un rapport

de gestion relatif au groupe de société qui doit indiquer la situation de toutes les sociétés

concernées par la consolidation, l’évolution prévisible de la situation du groupe, les

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différentes activités en matière de recherche, de développement et d’investissement relatives

au groupe de sociétés, les événements importants survenus entre la date clôture des comptes

consolidés et de laquelle ils sont établis, et les modifications ayant affecté les participations

dans les sociétés groupées (article 473 du CSC).

Ce rapport de gestion du groupe doit être mis avec les états financiers consolidés ainsi

que le rapport du commissaire aux comptes de la société mère au siège de cette dernière et à

la disposition de tous les associés au moins un mois avant la réunion de l’assemblée générale

de ses associés (article 472 du CSC).

Le législateur tunisien accorde une grande importance à la responsabilité des

commissaires aux comptes dans ce type de sociétés, dont l’activité concerne un bon nombre

de parties prenantes notamment les actionnaires, majoritaires ou minoritaires, les banques, les

institutions financières, les créanciers, les fournisseurs et essentiellement les emplois.

En effet , au terme de l’article 471 du CSC, le commissaire aux compte de la société

mère ne doit certifier les états financiers consolidés qu’après avoir consulté les rapports des

commissaires aux comptes des sociétés appartenant au groupe (lorsque celles-ci sont soumises

à l’obligation de désigner un commissaire aux comptes).

La loi tunisienne essaye aussi, dans ses textes, de préserver les intérêts des

actionnaires minoritaires, dont la participation dans une société appartenant au groupe, n’est

pas inférieure à 10%, grâce à l’apport de l’article 477 du CSC, qui donne le droit à ces

derniers d’exercer l’action sociale contre les associés représentant la majorité dans la société

mère, en cas de prise d’une décision portant atteinte aux intérêts de la société et ayant pour

objectif de servir les intérêts de la majorité au détriment de leurs droits légitimes.

2.2. Les mécanismes externes et internes de la gouvernance d'entreprise en Tunisie

Charreaux (1991) considère que les mécanismes de gouvernance d’entreprises sont

chargés de réguler les conflits et de discipliner les dirigeants, tenus de gérer dans l’intérêt des

actionnaires. Ces mécanismes sont classés, selon le même auteur, en deux catégories, à savoir

les mécanismes internes (la concurrence entre dirigeants, la hiérarchie, le conseil

d’administration) et les mécanismes externes (la concurrence sur le marché des biens et

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45

services, la concurrence sur le marché des dirigeants, la discipline par le marché financier, les

banques).

2.2.1. Les principaux mécanismes externes

2.2.1.1. L’Etat, le cadre institutionnel, les autorités de contrôle et de régulation des

marchés en Tunisie

En se référant à la définition du système de gouvernance proposée par Charreaux

(1997) selon laquelle "le gouvernement d’entreprises recouvre l’ensemble des mécanismes

organisationnels qui ont pour effet de délimiter les pouvoirs et d’influencer les décisions des

dirigeants", l’Etat peut être classé parmi les principales parties prenantes exerçant des

pressions sur les comportements des dirigeants des entreprises qui sont censés agir pour le

compte des actionnaires.

En effet, même si le rôle de l’Etat dans l’économie diffère d’un pays à un autre, son

importance reste considérable en terme de contrôle et de maintien de la discipline dans les

entreprises grâce aux contraintes formelles qu’il met en place afin de définir le comportement

de chaque acteur et à la réglementation du monde des affaires.

Selon Maâti (1999), l’intervention de l’Etat peut revêtir une forme directe ou indirecte.

2.2.1.1.1. L'intervention indirecte de l’Etat

Cette intervention découle essentiellement de la relation de mandat, autrement dit, le

principal, qui confie des ressources à l’agent, a le droit d’avoir un compte rendu des actions

de ce dernier, qui doit également être crédible aux yeux du principal grâce à l’intervention

d’agents neutres tels que les activités d’audit, le commissariat aux compte et l’expertise

comptable pour l’évaluation, la surveillance et le contrôle externe de la situation de

l’organisation (Maâti, 1999).

La responsabilité du commissaire aux comptes

En Tunisie, cet organe est doté d’une importance majeure dans les sociétés anonymes

essentiellement ainsi que dans les sociétés à responsabilité limitée. En effet, les textes

réglementaires du code des sociétés commerciales (CSC) précisent clairement le rôle, les

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qualifications, la responsabilité, les droits et obligations ainsi que la sanction de l’activité des

commissaires aux comptes dans les sociétés anonymes vue l’importance du rôle dont ils sont

dotés dans les sociétés en particulier et dans le développement de l’économie tunisienne en

général.

En Tunisie, l’article 258 du CSC précise que les commissaires aux comptes doivent

figurer parmi les experts comptables inscrits au tableau de l’ordre des experts comptables de

Tunisie. Toutefois, ils peuvent être choisis parmi les techniciens en comptabilité dans les

sociétés dont le chiffre d’affaire est inférieur à un montant fixé par arrêté du Ministère des

finances. De ce fait, en Tunisie, cette exigence de compétences et de qualifications ne donne

pas le droit à l’erreur au commissaire aux comptes, considéré par Mimouni et Tmar (2004),

comme "le fournisseur de confiance et de crédibilité, le garant des informations financières et

comptables, le gardien du droit dans la société, et le gardien de la légalité".

D’autre part, la loi tunisienne interdit au commissaire aux comptes, au terme de

l’article 262 du CSC, d’être un administrateur ou un membre du directoire ou un apporteur en

nature, ainsi que tous leurs parents ou alliés, jusqu’au 4ème degré inclusivement, il ne doit pas

aussi être une personne qui reçoit un salaire ou une rémunération des administrateurs ou de la

société, ou des membres du directoire, et enfin il doit être différent des conjoints de toutes ces

personnes, dans le but d’empêcher une convergence de leurs intérêts et de ceux des dirigeants.

Quant au rôle associé aux commissaires aux comptes, les textes réglementaires

tunisiens stipulent qu’il s’agit de vérifier les livres, la caisse, le portefeuille, et les valeurs de

la société, de contrôler la régularité et la sincérité des inventaires ainsi que l’exactitude des

informations financières fournies aux associés dans le rapport du conseil d’administration. Il

s’agit aussi de certifier la régularité et la sincérité de certaines opérations spécifiques

intervenues au cours de la vie de la société, révéler , le cas échéant, au Ministère public les

faits délictueux dont il a eu connaissance et alerter la commission de suivi des entreprises en

difficultés économiques au cas où la société objet du contrôle, se trouverait menacée dans son

activité économique (Mimouni et Tmar, 2004).

En conclusion, le commissaire aux comptes est tenu de fournir, selon les articles 258

et 270 du CSC, à l’assemblée générale annuelle un rapport dans lequel il signale les violations

ainsi que les inexactitudes et les irrégularités qu’il a relevées au cours de l’accomplissement

de ses missions. En fait, une fois qu’il s’engage avec la société, le commissaire aux comptes

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47

engage sa responsabilité et assume les conséquences prévues par la loi de toute tentative de

fraude ou de non respect des textes réglementaires.

2.2.1.1.2. L'intervention directe de l’Etat

Selon Mâati (1999), l’Etat peut intervenir directement de différentes manières.

D’abord, il peut surveiller l’activité de l’entreprise à travers sa position d’actionnaire

de référence. Ensuite, l’Etat intervient généralement à travers l’ensemble des lois, des

règlements et des mesures législatives et réglementaires qui imposent les normes de

comportement des différents acteurs de l’entreprise notamment les dirigeants, et dont il assure

l’application en entretenant un système judiciaire (Maâti, 1999).

Le même auteur estime à ce propos que "le recours aux tribunaux demeure le meilleur

moyen pour faire valoir ses droits » et que le pouvoir judiciaire est « un instrument efficace

pour civiliser le marché".

L’ Etat intervient également à travers le contrôle du marché financier effectué par des

organismes spécialisés, en vue de protéger les épargnants lorsque la visibilité est très

mauvaise, à travers le contrôle notamment de l’information émise par les sociétés cotées en

terme de rapidité d’émission et de sincérité (Maâti, 1999).

2.2.1.1.2.1. Le Conseil du Marché Financier en Tunisie (CMF)

Maati (1999) considère le CMF comme un organisme qui constitue un mécanisme de

gouvernance et de discipline et qui a pour tâche "d’élaborer la réglementation relative au

marché".

En Tunisie, et au terme de l’article 23 de la loi n° 94 – 117 du 14 novembre 1994

portant réorganisation du marché financier, le CMF est essentiellement chargé de veiller à la

protection de l’épargne investi en valeurs mobilières, produits financiers négociables en

bourse et tout autre placement donnant lieu à appel public à l’épargne. Il est également chargé

d’organiser et de veiller au bon fonctionnement des marchés de valeurs mobilières et de

produits financiers négociables en bourse.

En Tunisie, le CMF est doté de la personnalité civile et de l’autonomie financière, son

siège est à Tunis et il assure la tutelle des organismes de placement collectif en valeurs

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mobilières. L’article 23 de la même loi stipule également que "sont soumis à son contrôle

permanent, les intermédiaires en bourse et la société de dépôt, de compensation et de

règlement de titres".

2.2.1.1.2.1.1. Composition du Conseil du Marché Financier en Tunisie

La composition du CMF tunisien est définie dans l’article 25 de la même loi, selon

lequel le conseil est composé d’un président et de neuf membres nommés par décret à savoir:

1- un juge de 3ème degré.

2- un conseiller au tribunal administratif.

3- un conseiller à la cours des comptes.

4- un représentant du Ministère des Finances.

5- un représentant de la Banque Centrale de Tunisie.

6- un représentant de la profession des intermédiaires en bourse.

7- trois membres choisis en raison de leur compétence et de leur expérience en

matière d’appel public à l’épargne.

La loi tunisienne exige notamment que le président du conseil ne puisse exercer

d’autres fonctions incompatibles avec les emplois publics et ne puisse occuper le poste de

directeur général ou d’administrateur dans une société anonyme (article 25 de la même loi).

Quant à la rémunération du président ainsi que des différents membres du CMF, elle

est, selon le cas, sous forme d’indemnité fixée par décret, au terme de l’article 25 de la même

loi.

2.2.1.1.2.1.2. Attributions du Conseils du Marché Financier en Tunisie

Le CMF en Tunisie est censé jouer un rôle disciplinaire important et exercer un

contrôle permettant d’assurer le respect et l’application des règlements qui concernent au

terme de l’article 29 de la même loi :

" 1- l’organisation et les règles de fonctionnement des marchés placés sous son

autorité, en particulier, le CMF établit le règlement général de la bourse qui fixe notamment :

- Les règles relatives à l’organisation, au fonctionnement du marché et à la suspension

des négociations.

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- Les règles relatives à l’admission, aux négociations et à la radiation des valeurs

mobilières et produits financiers.

- Les conditions dans lesquelles les projets d’acquisition de blocs de contrôle et de

blocs de titres sont déclarés et réalisés, ainsi que les offres publiques obligatoires et les offres

publiques facultatives, les conditions dans lesquelles elles sont initiées, acceptées, réalisées et

réglées, ainsi que les procédures à suivre et les moyens de défense et de garanties.

2- les règles de pratiques professionnelles qui s’imposent

- aux personnes faisant appel public à l’épargne.

- aux intermédiaires en Bourse et les personnes qui interviennent dans des opérations

de contrôle comptable ou de montage juridique ou financier sur des titres ou produits

financiers placés par appel public à l’épargne.

- aux personnes qui assurent la gestion individuelle ou collective de portefeuilles de

titres ou de produits financiers.

- à la société de dépôt, de compensation et de règlement de titres".

Parmi ses attributions, le CMF s’assure, au terme de l’article 32 de la loi n° 94 – 117

du 14 novembre 1994 portant réorganisation du marché financier, que les publications

prévues par les dispositions législatives et réglementaires sont régulièrement effectuées par les

sociétés et les organismes faisant appel public à l’épargne, il vérifie la conformité des

informations fournies ou publiées par ces personnes aux exigences légales et réglementaires,

il doit également ordonner à ces personnes de procéder à des publications rectificatives dans

le cas où des inexactitudes ou des omissions auraient été relevées dans les documents publiés,

et enfin au terme du même article, le CMF porte à la connaissance du public les observations

qu’il fait aux dites personnes et les informations dont la publication lui parait nécessaire.

En effet, pour l’exécution de ses missions, l’article 36 de la loi n° 94 – 117 du 14

novembre 1994 portant réorganisation du marché financier, permet au CMF de procéder à des

investigations auprès de toute personne physique ou morale, effectuées par des agents choisis

parmi les fonctionnaires portant statut général des personnels de l’Etat et des collectivités

publiques locales et des établissements publics à caractère administratif.

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L’article 41 de cette loi investit le CMF d’un pouvoir disciplinaire à l’égard :

"- de la Bourse des Valeurs Mobilières de Tunis, ses dirigeants et de ses personnels.

- de la société de dépôt, de compensation et de règlement de titres, ses dirigeants et ses

personnels.

- des intermédiaires en Bourse, leurs dirigeants et le personnel placé sous leur autorité,

- des dirigeants, des gestionnaires et des dépositaires des fonds et des actifs des

Organismes de Placement Collectif en Valeurs Mobilières et du personnel placé sous leur

autorité".

2.2.1.1.2.2. Les intermédiaires en Bourse en Tunisie

En Tunisie, les intermédiaires en Bourse sont, au terme de l’article 55 de la loi n° 94 –

117 du 14 novembre 1994 portant réorganisation du marché financier, les agents chargés, à

l’exclusion de toute autre personne, de la négociation et de l’enregistrement des Valeurs

Mobilières à la Bourse des Valeurs Mobilières de Tunis, des droits s’y rapportant et des

produits financiers, ils peuvent accomplir en outre les opérations qui sont en relation avec ces

missions. Leur activité doit être exercée à titre permanent et elle est incompatible avec toute

autre activité exercée à titre professionnel.

En effet, pour assurer la sécurité des intérêts de leur clientèle, l’article 58 de la loi n°

94 – 117 du 14 novembre 1994 portant réorganisation du marché financier, exige

l’honorabilité, l’expérience des dirigeants des intermédiaires en Bourse, ainsi que les garanties

suffisantes en ce qui concerne leur organisation et leurs moyens techniques et financiers.

En outre, les intermédiaires en Bourse en Tunisie constituent une société anonyme

ayant pour mission la gestion du marché des Valeurs Mobilières (article 63 de la même loi),

son siège est à Tunis et elle est dénommée "Bourse des Valeurs Mobilières de Tunis".

Les intermédiaires en Bourse sont en fait tenus d’assurer la primauté des intérêts de

leurs clients sur leurs propres intérêts et sont responsables à l’égard de ces derniers de la

livraison et du paiement de ce qu’ils vendent et achètent sur le marché, selon l’apport des

articles 59 et 60 de la même loi.

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Pour conclure, les différentes missions qui sont mises à la charge de la Bourse des

Valeurs Mobilières de Tunis, outre celles qui lui sont confiées par les lois, les réglementations

et ses statuts, sont au terme de l’article 68 de la loi n° 94 – 117 du 14 novembre 1994 portant

réorganisation du marché financier, au nombre de dix :

1- "mettre en place les structures techniques et administratives nécessaires à

l’installation du marché et qui sont de nature à assurer la sécurité matérielle et juridique des

opérations dans les conditions requises de célérité ;

2- se prononcer sur l’admission et l’introduction des valeurs mobilières et produits

financiers à la cote de la Bourse et leur radiation ainsi que sur la négociabilité des produits

financiers sur ses marchés, sauf opposition du Conseil du Marché Financier ;

3- enregistrer les opérations effectuées et les cours établis sur ses marchés ;

4- suspendre l’ensemble de la cotation ou la cotation d’une valeur mobilière ou d’un

produit Financier chaque fois qu’il y a un risque technique ou un risque en relation avec

l’information financière ou la variation inhabituelle des cours et en informer sans délai le

Conseil du Marché Financier ;

5- publier les informations relatives aux opérations, les cours, les avis et

communiqués dont la publicité est exigée par les lois et règlements ;

6- veiller à la conformité des opérations effectuées sur le marché, à la réglementation

et aux procédures en vigueur ;

7- dénoncer dès qu’elle en a connaissance au Conseil du Marché Financier les

opérations, agissements, pratiques, documents et faits contraires à la loi ;

8- établir les règlements de parquet et les soumettre à l’approbation du Conseil du

Marché Financier ;

9- gérer les fonds de garantie

10- formuler, au Conseil du Marché Financier, les propositions et avis sur les

questions rentrant dans son objet et relatives au développement du Marché".

2.2.1.1.3. Les formes d’intervention de l’Etat tunisien

Dans un pays comme la Tunisie, ayant une économie insuffisamment développée, et

en transition vers l’économie de marché, Alaya (1999) pense que l’intervention de l’Etat peut

se justifier entre autres par la défaillance du marché d’une part et la promotion d’une société

de liberté qui exige une réforme de l’Etat.

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En effet, selon le même auteur, l’Etat tunisien intervient dans l’économie de

différentes manières: d’abord à travers la réglementation et la déréglementation puisqu’il

produit un ensemble de dispositions réglementaires qui touchent à tous les aspects de la vie

économique. En effet, selon le même auteur, en Tunisie, il y a toujours des textes qui

organisent et qui réglementent une activité particulière, et qui peuvent être même nombreux et

en concurrence.

L’Etat tunisien a également mis en place des organismes administratifs chargés de la

gestion des différentes dispositions réglementaires, et d’autres pour veiller à leur stricte

application (Alaya, 1999).

Cependant et au cours des dernières années, Alaya (1999), pense que le besoin de

"déréglementation" s’est imposé pour lutter contre le phénomène bureaucratique, les

lourdeurs et les dysfonctionnements, et a concerné le secteur financier, le secteur bancaire qui

a été débarrassé de la tutelle administrative, la banque centrale orientée de plus en plus vers

les marchés, l’accès aux marchés de capitaux a été libéralisé et ne relève plus d’une

autorisation administrative, le taux d’intérêt obéit aux mécanismes du marché, les échanges

avec l’extérieur sont actuellement aussi déréglementés, le régime des importations est

relativement libéralisé, une certaine liberté de change est devenue depuis 1994 effective,

l’autorisation administrative d’investissement a été supprimée durant les années 1987-1996.

Ensuite, les incitations fiscales constituent une forme d’intervention non négligeable

qui concerne essentiellement l’investissement. En effet, en agissant sur le coût de

l’investissement, les mesures incitatives à caractère fiscal et financier sont censées encourager

l’investissement dans la mesure où elles revêtent les formes soit d’exonération fiscales pures

et simples, soit de dispositions fiscales avantageuses et simplifiées, soit d’une prise en charge

directe par l’Etat d’une partie du coût de l’investissement. En fait, l’Etat tunisien intervient

parfois à travers les primes et les subventions qu’il considère la forme la plus adéquate pour

stimuler l’initiative privée. Il intervient également par le biais de la fixation des prix des biens

et des services (Alaya, 1999).

Enfin, le nouveau rôle du marché comme mode de régulation laisse à l’Etat toute

latitude pour intervenir lorsque les règles normales de la concurrence ne permettent pas

d’aboutir à des prix politiquement acceptables. Ceci parait évident dans le domaine des

produits de consommation de base, des salaires et des capitaux (Alaya, 1999).

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2.2.1.2. Les banques

La banque est considérée par différents auteurs comme Charreaux (1997), Maâti

(1999) et Nkhili (1997) comme un intermédiaire financier qui représente un contre pouvoir

important vis-à-vis de la direction et un acteur de contrôle et de discipline efficace dont

l’existence est fortement liée à un contexte d’asymétrie d’information.

En effet, selon Nkhili (1997), l’intermédiaire financier, en général, constitue une

source de financement et un moyen disciplinaire non négligeable, préférable au marché de

capitaux dans une situation d’incertitude.

Charreaux (1997) accorde aussi une attention particulière à cet organisme financier et

un rôle important dans le contrôle du dirigeant étant donné son accès facile à l’information

financière qu’il demande et sa capacité pour réduire l’asymétrie d’information.

La littérature en général a beaucoup parlé du rôle que joue les organismes financiers,

notamment les banques, dans l’activité économique des pays, mais a distingué toutefois entre

les nations dont la discipline est exercée par les marchés financiers tels que les pays anglo-

saxons, et les nations dominées par le contrôle des banques comme il est le cas au Japon, en

Allemagne ou en France (Maâti, 1999).

2.2.1.2.1. Rôle des banques

Un bon nombre d’auteurs et de chercheurs ont démontré l’importance des banques et

du rôle qu’elles jouent dans la favorisation de l’information pertinente et précieuse, capable

de réduire l’asymétrie d’information entre actionnaires et dirigeants, bien que plusieurs

nations aient préféré le développement des marchés financiers.

Pour Klein (1973)1 par exemple, la présence d’intermédiaires financiers est inévitable

pour les investisseurs individuels. Maâti (1999) considère également que les banques sont des

éléments essentiels du système de contrôle, et ont une position très proche de celle des

actionnaires de référence. Pour Nkhili (1997), les intermédiaires financiers représentent non

1 Klein B., 1973, "The economics of security divisibility and financial intermediation", Journal of Finance, 28, p. 923-931, cité dans Charreaux G., 1997, Le gouvernement des entreprises, théories et faits, Economica, Paris p. 332.

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seulement une forme de financement pour les entreprises disposant d’un autofinancement

insuffisant, mais aussi un mécanisme de contrôle et de gouvernement d’entreprises.

La nécessité des banques provient en fait de l’importance du rôle qu’elles

accomplissent aussi bien pour le marché que pour les entreprises.

En effet, selon Nkhili (1997), et en premier lieu, les banques représentent, les sources

de financement et les fournisseurs de liquidité dont elles garantissent le remboursement en

imposant certaines règles à l’emprunteur ou aussi, en introduisant des clauses de protection

dans les contrats. Cette relation de dépendance permet à la banque d’être un agent de pression

qui peut accroître le taux de crédit, imposer des garanties supplémentaires, ou refuser

carrément le crédit si elle juge que le projet est risqué (Nkhili, 1997).

Selon Stiglitz et Weiss (1981)1, le rationnement de crédit apparaît comme "n moyen

disciplinaire privilégié par les intermédiaires pour résoudre plusieurs problèmes rencontrés

sur le marché de crédit".

En second lieu, dans le cadre de son activité liée à l’offre des soutiens financiers, la

banque préfère généralement recourir à la surveillance de l’entreprise emprunteuse afin de

minimiser son risque et assurer la récupération de ses fonds et le remboursement de ses crédits

Nkhili (1997). Cette surveillance constitue selon lui le premier objectif de la banque qui lui

permet de récolter une base large d’informations sur les situations financières des différentes

entreprises demandant son soutien financier, cette base d’informations que détient la banque

sur chaque firme augmente son pouvoir de marché vis-à-vis des autres créanciers et peut

l’aider à établir des relations de long terme.

Le même auteur affirme que le contrôle exercé par la banque sur les dirigeants peut

être renforcé surtout lorsque l’intermédiaire financier est présent au conseil d’administration.

Cette présence est, selon lui, parfois indispensable car l’expertise des banques et leur

connaissance du secteur d’activité assurent une qualité d’information que les firmes peuvent

difficilement acquérir auprès des autres tiers (Nkhili,1997).

1 Stiglitz J.E. et Weiss A., 1981, "Credit rationing in markets with imperfect information", American Economic Review, 71, n° 3, p. 393-410, cité dans Charreaux G., 1997, Le gouvernement des entreprises, théories et faits, Economica, Paris.

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D’autre part, selon [Fama (1985), James (1987), Myers et Majluf (1984)]1,

l’intermédiaire ne peut pas compter uniquement sur l’information diffusée publiquement par

la firme ou collectée par d’autres institutions, mais il jouit d’un accès plus facile à

l’information et peut participer au processus de décision, soit en tant qu'actionnaire qui détient

une fraction du capital et contrôle de près l’utilisation des fonds prêtés (Paquérot, 1997), soit

en étant un partenaire et soutient la firme en la conseillant dans sa gestion pour mieux prévoir

et profiter des opportunités qui s’y présenteront.

Le rôle des banques ne se limite pas à cela, mais ces dernières peuvent également

jouer sur la réputation des entreprises qu’elles construisent à partir des résultats de contrôle,

de l’échec ou du succès des anciens projets et du remboursement ou non des dettes antérieures

(Diamond, 1991)2. La réputation renforce en fait le contrôle exercé par les banques, car

l’ouverture par exemple du crédit signale la performance de la firme, alors que le refus signale

au contraire les défaillances et les faiblesses de l'entreprise emprunteuse, par conséquent,

Beatty et Ritter (1986)3 estiment que "le capital réputationnel" est important pour évaluer la

qualité des firmes.

Cependant, selon Maâti (1999), la réalité montre que l’organisme bancaire, supposé

fournir au marché une information de meilleure qualité, s’expose parfois à des pertes

considérables provenant d’insolvabilité d’entreprises et donc de récupération de faibles parties

de ses créances. Ceci s’explique par la complexité de la relation entre la banque, son client et

notamment le marché concurrentiel sur lequel opère l’intermédiaire financier (Maâti, 1999).

2.2.1.2.2. Les banques en Tunisie

Le système bancaire en Tunisie constitue, selon Alaya (1999), "un rouage essentiel de

l’économie nationale", étant donné que les banques tunisiennes sont devenues, en moins d’un

demi siècle, d’abord le passage obligé pour les opérations de paiement, et ensuite des

organismes de financement où le crédit à court terme reste prédominant et de plus en plus

fondu dans un financement global qui s’adresse à l’entreprise.

1 Fama (1985), James (1987), Myers et Majluf (1984), cités dans Charreaux, 1997, Le gouvernement des entreprises, théories et faits, Economica, Paris, page 336 2 Diamond, D.W., 1991, "Monitoring and reputation : the choice between bank loans and directly placed debt", Journal of political Economy, 99, n°4, p.689-721, cité dans Nekhili (1997) "La discipline par les banques" in Charreaux, 1997, Le gouvernement des entreprises, page 338. 3 Beatty R.P. et Ritter J.R., 1986, "Investment banking, reputation, and the underpricingof initial public offerings", Journal of financial Economics, 15, p.213-232, cité dans Nekhili (1997) "La discipline par les banques" in Charreaux, 1997, Le gouvernement des entreprises, page 346.

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56

Les types de banques qui existent en Tunisie sont au nombre de trois ; d’abord les

banques de dépôt, ensuite les banques de développement et enfin les banques d’affaires, à

côté des établissements financiers spécialisés comme le leasing, le factoring et le capital

risque (Alaya, 1999). Le système bancaire a aussi toujours cohabité avec un secteur

administratif de la finance constitué essentiellement par un service de gestion de dépôts (CCP)

et un service de collecte de l’épargne (Caisse d’épargne nationale de Tunisie), qui sont gérés

par l’administration postale. Il cohabite également avec un secteur de la finance géré par les

organismes de protection sociale : la CNSS et la CNRPS qui sont en concurrence avec les

banques pour le financement de la consommation et de l’investissement des ménages.

En Tunisie, on peut dénombrer plus d’une trentaine de banques dont une douzaine de

banques de dépôt, le chiffre étant important par comparaison avec les pays étrangers, il

explique en revanche la taille relativement petite de la banque tunisienne comparée aux

standards en vigueur dans le monde.

Selon Alaya (1999), bien que la banque tunisienne soit développée considérablement,

elle souffre encore d’une structure financière fragile marquée par la sous capitalisation,

l’insuffisance de la dotation en fonds propres, l’importance de créances douteuses et une

rentabilité insuffisante. La fragilité de la structure financière de la banque tunisienne touche

en fait aussi bien les banques de dépôt publiques que les banques privées, mais à un degré

moindre, et aussi les banques d’investissement.

En conclusion, le même auteur affirme que les banques tunisiennes ont un crédit

relativement cher et une rentabilité insuffisante.

2.2.1.3. Les fournisseurs

Les fournisseurs sont traités en théorie comme étant des créanciers particuliers qui

établissent une liaison directe avec la firme, lui fournissant les ressources indispensables à son

activité et qui jouent un rôle important de contrepouvoir permettant de contrôler et de

discipliner les dirigeants.

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En effet, les fournisseurs constituent selon Williamson (1991a)1, un des mécanismes

spontanés non spécifiques qui exercent une certaine influence sur le comportement des

dirigeants et sont considérés selon H.Demsetz (1983 a)2 comme un "frein à la déviance de

l’agent".

En fait, le caractère concurrentiel du marché des biens et services représente selon

Charreaux (1997) un des premiers mécanismes qui ont été suggérés pour discipliner les

dirigeants et qui participent à leur contrôle.

Pratiquement, la relation entre les fournisseurs et la firme est concrétisée par des

contrats explicites dont l’exécution est soumise, en cas de conflit, à l’arbitrage des tribunaux

(Charreaux, 1997).

En effet, parmi les moyens dont disposent les fournisseurs pour accroître leur bien

être, Maati (1999) cite les exigences d’un meilleur rapport qualité prix surtout quand il s’agit

d’un produit non spécifique. Dans le cas où le produit est spécifique, les fournisseurs peuvent

notamment "demander des assurances sur la fiabilité des approvisionnements futurs et

l’application des garanties données". Maati (1999) estime toutefois que la firme a toujours la

possibilité de s’adresser à d’autres producteurs lorsque le marché est compétitif. Les

fournisseurs peuvent également exercer une discipline en amont de la firme à travers la

faculté dont ils disposent à répliquer à leur niveau le comportement des clients en modifiant

leurs propres termes (Mâati, 1999).

Dans une autre mesure, le crédit commercial peut être une arme aux mains des

fournisseurs qui peuvent toujours sanctionner directement le dirigeant s’ils ne sont pas

remboursés à temps de la créance qu’ils ont éventuellement accordée. De même, ils peuvent

rompre ou refuser de poursuivre les relations commerciales s’ils anticipent une fragilisation

de la firme. Enfin, selon Bancel (1997), ces créanciers peuvent essayer de réduire leur risque

en intégrant dans les contrats un certain nombre de clauses de sauvegarde qui vont limiter les

comportements déviants des dirigeants.

1 Williamson O.E., 1991a, Comparative economic organisation, the analysis of discrete structural alternatives", Administrative Science Quarterly,36, p.269-296, cité dans Charreaux, 1997, "Vers une théorie du gouvernement des entreprises", in Charreaux G., 1997, Le gouvernement des entreprises, théories et faits, Economica Paris, page 426. 2 Demsetz H., 1983 a, "The structure of ownership and the theory of the firm", Journal of Law and Economics, 26, June, p.375-390, cité dans Maati, 1999, Le gouvernement d’entreprise, page 204.

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En fait, bien qu’il considère les fournisseurs comme un acteur de pression susceptible

d’exercer une contrainte sur l’action du dirigeant, Charreaux (1997) estime que ces derniers

disposent de moyens d’assouplir cette contrainte et de s’enraciner en favorisant par exemple

l’établissement de transactions bilatérales nécessitant un investissement spécifique important.

2.2.2. Les principaux mécanismes internes

2.2.2.1. Le conseil d’administration

En théorie, beaucoup d’auteurs, comme Charreaux (1997), considèrent le conseil

d’administration comme un outil de contrôle interne de la gouvernance d’entreprise détenant

un pouvoir important et chargé d’accomplir plusieurs fonctions dans le but de préserver les

intérêts des actionnaires et de résoudre les conflits entre ces derniers et les dirigeants, qui sont

censés agir conformément aux intérêts des apporteurs de ressources. Il s’agit donc d’un

organe chargé de garantir la meilleure performance possible et la gestion conforme aux

intérêts des actionnaires.

Une étude menée par Charreaux et Pitol-Belin (1997) a montré que la composition, le

rôle et le fonctionnement des conseils d’administration diffèrent sensiblement selon le type

d’entreprise considérée.

En effet, si on s’intéresse à la société du type familial, le conseil d’administration

présente un aspect très différent, car selon Charreaux (1997), dans ce type de sociétés, la

séparation propriété - décision est faible, ainsi que la séparation décision – contrôle est peu

prononcée.

Dans ce type de société, Charreaux (1997) estime que la fonction du conseil

d’administration est réduite à sa plus simple expression vu que le capital est contrôlé par le

PDG et sa famille. Par contre, dans les sociétés managériales où le capital est diffus et où

aucun actionnaire ne détient une position dominante, ainsi que dans les sociétés contrôlées

dont le capital est détenu majoritairement par une autre firme, l’intensité du contrôle exercé

par le conseil d’administration apparaît bien liée au degré de séparation propriété – décision.

Dans le cas général, un conseil d’administration se caractérise par sa composition, son

rôle, son fonctionnement mais aussi par son efficacité.

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2.2.2.1.1. Composition du conseil d’administration

La composition du conseil d’administration diffère d’une société à une autre et d’un

pays à un autre, la législation tunisienne par exemple stipule dans l’article 189 du Code des

Sociétés Commerciales (CSC) que la société anonyme est administrée par un conseil

d’administration composé de trois membres au moins et de douze membres au plus. Les

administrateurs sont en fait nommés par l’assemblée générale des actionnaires et rémunérés

par des jetons de présence.

Pour ce qui est du nombre raisonnable d’administrateurs au sein du conseil

d’administration, et des mandats associés à chacun d’eux, une divergence d’avis peut être

remarquée dans chacune des applications législatives. En Tunisie par exemple, et au terme de

l’article 189 du CSC, le nombre de mandats que l’administrateur ne peut dépasser s’élève à

huit mandats.

Plusieurs études ont été également menées par différents auteurs afin de démontrer

l’importance majeure de la présence d’administrateurs externes dans le conseil

d’administration.

A cet égard, Fama (1980)1, Paquérot (1997), Bancel (1997) et Ploix (2003) pensent

que le recours à des administrateurs externes permet de mieux évaluer la performance de

l’entreprise, grâce à une perspective détachée et objective. Les travaux et les recherches les

plus récents, montrent également que la présence d’administrateurs indépendants est au cœur

du gouvernement d’entreprise même si celui-ci ne se limite pas à cela.

2.2.2.1.2. Qu’est ce qu'un administrateur indépendant ?

En se référant au rapport Bouton (2002)2, "l’administrateur est indépendant lorsqu’il

n’entretient aucune relation, de quelque nature que ce soit, avec la société, son groupe ou sa

direction, qui puisse compromettre l’exercice de sa liberté de jugement". Cela signifie qu’il ne

doit pas être salarié, cadre dirigeant de l’entreprise, ni être un actionnaire ou un partenaire

commercial ou financier.

1 Fama E., "Agency problemand the theory of the firm", Journal of Political Economy, 82, 2, 1980, cité dans Bancel, 1997, La gouvernance des entreprises, page 22. 2 Cité dans Ploix H., 2003, Le dirigeant et le gouvernement d’entreprise, Village Mondial.

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L’importance de cette notion d’indépendance des administrateurs et l’efficacité de ce

principe, ont été approuvées par plusieurs études effectuées pour évaluer les conseils

d’administration. Charreaux et Pitol-Belin (1991) ont montré qu’un administrateur

indépendant voit les problèmes dans leur totalité et de façon externe, apporte des compétences

particulières sur certaines questions, apporte un point de vue neuf et impartial, peut être

source de contact, et grâce à son indépendance, il peut résoudre les conflits d’intérêts qui

peuvent survenir entre les différents partenaires de la société.

Paquérot et Carminatti-Marchand (2000) pensent que la présence d’administrateurs

indépendants des équipes managériales est obligatoire et fondamentale afin d'exercer un

contrôle efficace sur la gestion des dirigeants.

Toutefois, cela n’exclut pas la nécessité et l’importance de contenir parmi les membres

du conseil des administrateurs internes, puisque les dirigeants sont supposés détenir les

informations les plus pertinentes sur les activités de l’entreprise qu’ils gèrent, surtout selon

(Fama, 1980)1, lorsque la concurrence joue sur le marché des cadres dirigeants.

Outre les administrateurs internes et externes, le conseil d’administration doit être

également composé d’un président de conseil, élu et mandaté pour le représenter et pour agir

au nom de la société.

En Tunisie, au terme de l’article 208 du code des sociétés commerciales, le président

du conseil d’administration doit être une personne physique ayant la qualité d’un PDG, et

actionnaire de la société, nommé pour une durée qui ne dépasse pas celle de son mandat de

membre de conseil d’administration, et il ne peut cumuler en tout plus de trois mandats. Sa

rémunération est fixée par le conseil d’administration dont les membres peuvent le révoquer à

tout moment.

2.2.2.1.3. Rôles du conseil d’administration

En théorie, le conseil d’administration a toujours été considéré comme l’outil de

contrôle interne de la gouvernance d’entreprise, qui a pour objectif de résoudre les problèmes

d’agence qui se créent entre les actionnaires et les managers, autrement dit, le conseil

1 Fama E.F., 1980, "Agency problemand the theory of the firm", Journal of Political Economy, 82, n° 2, April, p.288-307, cité dans Charreaux G. et Pitol-Belin J.P., 1997, "La théorie contractuelle des organisations : une application au conseil d’administration, in Charreaux, 1997, Le gouvernement des entreprises, théories et faits, Economica, Paris, page 174.

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d’administration doit inciter le dirigeant à maximiser la création de valeur afin d’assurer le

consensus entre les différents partenaires de l’entreprise et son dirigeant et donc d'agir dans

les intérêts des actionnaires (Paquérot et Carminatti-Marchand, 2000).

Cependant, selon Charreaux (1991), le rôle disciplinaire du conseil d’administration

n’est révélé que dans les sociétés managériales où l’actionnariat est très dispersé, c'est-à-dire

où aucun actionnaire ne détient un pourcentage significatif du capital, et autrement dit, où

aucun actionnaire dominant n’existe. En effet, Charreaux et plusieurs autres auteurs comme

Paquérot (2000), considèrent le conseil d’administration comme une source d’information

privilégiée, un organe de réflexion, d’approbation, qui ne remplit pas une fonction de

décision, mais qui intervient pour ratifier les décisions et pour décider en dernier ressort. Les

résultats des études de Charreaux (1997) ont montré aussi que le conseil d’administration joue

essentiellement un rôle de contrôle et de maintien de la discipline.

Le contrôle qu’exerce le conseil s’effectue en fait grâce à l’exposé du PDG, à la

consultation des documents sociaux et du rapport du commissaire aux comptes.

Théoriquement, le rôle du conseil d’administration n’a pas été défini de la même manière par

les différents auteurs. Bancel (1997), par exemple, pense que la protection des actifs de la

société ainsi que l’évaluation des dirigeants, font également partie de la responsabilité du

conseil d’administration.

Selon Ploix (2003), le conseil d’administration est tenu d’assurer une triple mission :

la validation de la stratégie, le contrôle de la gestion et la transparence de l’information.

En effet, si classiquement on ne considérait qu’en premier lieu l’intérêt des

actionnaires et la maximisation de leur richesse, l’intérêt des différentes parties prenantes de

l’entreprise est actuellement le souci le plus important à prendre en considération.

Aujourd’hui, d’après les travaux récents, comme ceux de Ploix (2003), plusieurs

responsabilités sont mises à la charge du conseil d’administration, supposé remplir

essentiellement une mission de transparence, et de diffusion aux marchés de l’information qui

reflète la réalité financière de la firme, tous les événements qui peuvent influencer la position

concurrentielle de celle-ci, son chiffre d’affaire ou sa rentabilité… L’information financière

étant la clef de la relation entre l’entreprise, ses apporteurs de capitaux, les banques et le

marché, la présentation des comptes figure aussi parmi ses responsabilités.

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Dans les textes réglementaires, le conseil d’administration doit élaborer un rapport

annuel pour faire connaître aux actionnaires l’engagement de la société en matière de

gouvernement d’entreprise, la composition du conseil, les caractéristiques de ses membres, les

critères retenus pour définir l’indépendance des administrateurs, la composition et les modes

de fonctionnement des comités, les rémunérations complètes des dirigeants et des

administrateurs, les principes et les modalités qui guident la définition de ces rémunérations,

la rémunération totale et les avantages de toute nature versés durant l’exercice par la société

(Ploix, 2003).

En Tunisie, le code des sociétés commerciales impose au conseil d’administration,

dans l’article 201, de présenter à l’assemblée générale des actionnaires un rapport annuel

détaillé sur la gestion de la société, qui doit être communiqué au commissaire aux comptes. Il

doit aussi établir sous sa responsabilité les états financiers de la société, annexer au bilan un

état de cautionnement, avals et garanties données par la société, et un état de sûretés

consenties par elle.

En cas d’absence d’inventaire ou au moyen d’inventaire frauduleux, en cas de

publication d’un bilan inexacte aux actionnaires, la loi tunisienne soumet les membres du

conseil d’administration qui essayent de dissimuler la véritable situation de la société à des

sanctions et des pénalités d’emprisonnement et d’amendes.

2.2.2.1.4. Efficacité du conseil d’administration

L’efficacité de cet organe a fait l’objet de nombreuses études de recherche qui n’ont

pas été concluantes et convergentes. En effet, certaines d’entre elles, comme l’étude de Maâti

(1999), montrent que l’efficacité et la performance du conseil d’administration sont

étroitement dépendantes de ses caractéristiques intrinsèques, notamment de sa taille, de la

répartition des rôles en son sein ainsi que du mode de recrutement de ses membres.

Les travaux anciens de (Fama, 1980)1 ont, en revanche, montré que l’efficacité du

conseil d’administration repose essentiellement sur la présence d’administrateurs externes à

l’entreprise, mis à part les administrateurs internes détenant l’information spécifique. Le

respect de cette condition est, selon cet auteur, fondamental pour réduire au minimum les

1 Fama E., "Agency problemand the theory of the firm", Journal of Political Economy, 82, 2, 1980, cité dans Bancel, 1997, La gouvernance des entreprises, page 22.

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63

coûts d’agence et pour assurer un contrôle efficace des dirigeants mandatés par les

actionnaires pour agir en leur nom.

En fait, si on compare les travaux anciens de Fama, (1980)1 et les travaux récents tels

que ceux de Ploix (2003) et de Bancel (1997), on trouve que l’efficacité du conseil

d’administration dépend en gros, de son indépendance par rapport à l’entreprise.

D’autres travaux cependant, comme ceux de Paquérot (1997) ont montré que

l’efficacité du conseil dépend non seulement de l’indépendance des administrateurs, mais

également de leur compétence et de leur motivation.

En principe, dans les sociétés cotées, les actionnaires délèguent en général le contrôle

interne des principaux dirigeants au conseil d’administration qui a pour fonction de gérer

cette relation d’agence entre actionnaires et dirigeants. La gestion efficace de cette relation

suppose, selon Charreaux (1997), la présence d’experts qualifiés et compétents, qui jouent

essentiellement un rôle disciplinaire.

Bancel (1997) en revanche, estime que la réalisation des tâches du conseil

d’administration nécessite la présence d’administrateurs qui sont, non seulement de véritables

gestionnaires, mais aussi qui sont capables de porter des jugements objectifs sur la qualité du

management.

En pratique, on pourrait se demander comment le conseil d’administration peut être

efficace en terme de contrôle des dirigeants et d’activité de la société, alors que ses membres

ne se réunissent que quelques fois par an et pour une durée limitée ?

Pour ces raisons, Ploix (2003) pense que la mission du contrôle exercée par le conseil

d’administration n’est possible que si les administrateurs sont suffisamment informés, grâce

aux différents rapports publiés sur l’entreprise, aux notes d’analystes financiers, aux différents

documents comptables et financiers…et que si les réunions sont fréquentes et longues. Elle

pense également qu’un conseil d’administration efficace doit comprendre des administrateurs

qui sont recrutés suivant un certain nombre de critères dont essentiellement la compétence, la

présence, l’implication, l’indépendance et surtout la disponibilité, en disant que "tous les

administrateurs doivent être significatifs à titre personnel".

1 Fama E., "Agency problemand the theory of the firm", Journal of Political Economy, 82, 2, 1980, cité dans Bancel, 1997, La gouvernance des entreprises, page 22.

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2.2.2.1.5. Critères d’un conseil d’administration efficace selon les principes proposés par

l’OCDE 1

Parmi les principes proposés par l’OCDE (2004), figure celui qui définit le rôle et la

responsabilité du conseil d’administration capable de garantir son efficacité et sa

performance.

Ce principe stipule que les administrateurs doivent d’abord agir de bonne foi dans

l’intérêt de la société et de ses actionnaires, ils doivent traiter équitablement tous les

actionnaires et prendre en considération les intérêts des différentes parties prenantes. Ils

doivent ensuite être en mesure de porter un jugement objectif et indépendant sur la conduite

des affaires de la société. Et enfin ils doivent avoir accès à des informations exactes,

pertinentes et disponibles en temps opportun.

Quant au rôle qu’accorde ce principe aux administrateurs, il n’est pas en fait très

différent de celui qu’ont proposé les auteurs, et converge essentiellement vers la gestion de la

relation d’agence et la résolution des conflits d’intérêts entre la direction et les actionnaires.

Ce principe incite à l’utilisation des deux moyens d’action relatifs à la rémunération et à la

révocation des dirigeants ainsi qu’à leur recrutement, il incite également le conseil

d’administration à surveiller le processus de diffusion de l’information et de communication

de l’entreprise, à s’assurer que cette dernière est dotée de dispositifs de contrôle adéquats,

notamment en matière de gestion des risques et de contrôle financier et opérationnel, et que la

représentation comptable et financière reflète la réalité de la société.

Les principes de l’OCDE accordent au conseil d’administration un rôle plus étendu en

mettant à sa charge la révision de la stratégie et des principaux plans d’action de l’entreprise,

de sa politique de risque, de ses budgets annuels et de son programme d’activité. De même,ce

conseil est également censé définir ses objectifs de résultat, assurer la surveillance de la mise

en œuvre de ces objectifs et des résultats de l’entreprise, contrôler les principales dépenses

d’équipement, les acquisitions et la cession d’actifs,…surveiller les pratiques effectives de la

société en matière de gouvernement d’entreprise et procéder aux changements qui s’imposent.

Pour être efficace, les administrateurs doivent aussi pouvoir s’investir véritablement

dans l’exercice de leur responsabilité. 1 L'OCDE, organisation de coopération et de développement économique, ses principes ont été publiés sur Internet le 22/ 06/ 1999.

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65

Les principes de l’OCDE font également référence à la présence nécessaire

d’administrateurs indépendants et à l’importance de leur rôle pour favoriser l’objectivité et

l’indépendance des jugements. Définir clairement le rôle des administrateurs et les critères de

leur sélection, permet selon l’OCDE, d’assurer l’efficacité du conseil d’administration, qui

constitue un des mécanismes fondamentaux du système de gouvernement d’entreprise.

En Tunisie, grâce à l'étude effectuée par Kharraz et Derbal (2004), sur la pratique en

matière de composition et de fonctionnement des conseils d'administration de trente sociétés

faisant appel public à l'épargne, on a pu démontrer que:

- "la moyenne du nombre d'administrateurs est de neuf administrateurs par conseil, ce

qui veut dire que la recommandation toujours faite pour augmenter le plafond de douze,

prévue par le code des sociétés commerciales ne se trouve pas tout à fait fondée.

- les actionnaires ou les groupes d'actionnaires majoritaires ou dominants (c'est-à-dire

détenant un pourcentage significatif par rapport à l'ensemble des participations) sont toujours

présents et occupent soit la majorité soit la totalité des sièges du conseil.

- le recours aux administrateurs indépendants est loin d'être courant, dans la pratique

des affaires.

- le pourcentage du capital détenu par les membres du conseil d'administration varie

entre 36% et 100% (dans six cas sur trente, soit 20%, les administrateurs détiennent 100% du

capital. Le pourcentage moyen du capital détenu par les actionnaires est de 63%).

- il y a un manque de transparence sur la rémunération des dirigeants sociaux".

(Kharraz et Derbal, 2004).

2.2.2.2. Dirigeants et système de gestion

Une des questions centrales dans les recherches sur les systèmes de gouvernement

d’entreprise porte sur le rôle, la responsabilité et la sanction du dirigeant, vue la position

privilégiée qu’il occupe dans l’organisation. De nombreux travaux ont tenté de répondre à

cette question dans le cadre de la théorie d’agence en privilégiant la relation entre actionnaires

et dirigeants qui repose sur le pouvoir que délèguent les mandants (les actionnaires) aux

mandataires (les dirigeants) pour agir en leur nom et maximiser leur richesse. Cet objectif de

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66

maximisation de la valeur des actionnaires revient en effet aux travaux de Berles et Means

(1932)1 et de Jensen et Meckling (1976)2 ainsi qu’à d’autres auteurs qui pensent que la

séparation des fonctions de propriété et de direction est à l’origine de conflits d’intérêts entre

actionnaires et dirigeants.

Actuellement, l’importance du rôle, de la responsabilité et des moyens de contrôle des

dirigeants d’entreprises a été déclenchée et prise en considération suite aux scandales et aux

crises financières auxquelles un bon nombre de firmes se sont exposées, et qui engagent la

responsabilité de leurs dirigeants en premier lieu. On constate d’ailleurs que les tentatives de

définir le système de gouvernement d’entreprise en général mettent l’accent sur le

comportement des dirigeants, le champ de leur pouvoir et les moyens de leur contrôle. C'est

ainsi par exemple que Charreaux (1997) a défini le système de gouvernance comme étant

"l’ensemble des mécanismes qui ont pour effet de délimiter les pouvoirs et d’influencer les

décisions des dirigeants… ". D’autres définitions pourraient aussi être citées comme celle du

rapport Cadbury3 qui considère le gouvernement d’entreprise comme « le système par lequel

les entreprises sont dirigées et contrôlées » ou celle présentée par Maâti (1999), qui accorde

également au dirigeant un rôle central dans l’organisation.

2.2.2.2.1. Rôles et objectifs du dirigeant

Dans la théorie actionnariale, et plus précisément au sein de la relation d’agence, le

dirigeant représente l’agent mandaté par les actionnaires pour agir pour leurs propres comptes

(Jensen et Meckling, 1976). Dans cet optique, le dirigeant est tenu de maximiser la richesse

des actionnaires.

Dans la théorie partenariale, le dirigeant est tenu d’agir conformément aux intérêts des

actionnaires mais en prenant en considération les intérêts des différentes parties prenantes

(Chatelin et Trébuck, 2003).

1 Berles A.A. et Means G.C., 1932, The modern corporation and private property, 2e éd. 1956, MacMillan, cité dans Charreaux, 1997, Le gouvernement des entreprises, théories et faits, Economica, Paris, page 17. 2 Jensen M.C., Meckling W.H. (1976) "Theory of the firm: Managerial Behavior, Agency Costs and Ownership structure", Journal of Financial Economics, vol. 3, pp. 305-360, cité dans Charreaux, 1997, Le gouvernement des entreprises,théories et faits, Economica, Paris, page 17. 3 Le rapport Cadbury, cité dans Hélène Ploix, 2003, "Le dirigeant et le gouvernement d’entreprise", page 16.

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67

2.2.2.2.2. La responsabilité du dirigeant

La responsabilité est une notion qui peut avoir plusieurs significations.

Selon Ploix (2003), être responsable pour un dirigeant, revient à satisfaire quatre

conditions :

"- avoir la qualité de prendre des décisions,

- être garant des choses dont on a la charge,

- rendre compte de ses décisions et de ses actes,

- répondre des conséquences de ses décisions et de ses actes".

Le dirigeant est donc responsable s’il est quelqu’un "sur qui l’on peut compter" et s’il

est "quelqu’un qui rend compte" (Ploix, 2003). Ainsi, les dirigeants et les administrateurs sont

responsables de la qualité des décisions et de leur efficacité, y compris dans l’exécution de la

stratégie. La responsabilité des dirigeants et des administrateurs ne se limite pas à cela, mais

elle consiste selon le même auteur, à mettre en place des mécanismes permettant de répondre

aux attentes des actionnaires et de rendre compte de leur application et de leurs résultats. Des

pratiques étrangères ont été aussi engagées en matière de gouvernement d’entreprise, telles

que les mesures mises en évidence par l’OCDE, notamment en ce qui concerne la clarification

des attributions des organes de gestion et la responsabilisation des administrateurs afin de

favoriser la transparence des informations aussi bien comptables que financières et de

promouvoir une gestion fiable et efficiente.

Ainsi le rôle fondamental des dirigeants sur lequel on insiste actuellement, est celui

qui permet de favoriser la transparence et la sincérité des informations qui reflètent la

véritable situation de l’organisation, et la gestion honnête et efficiente de l’entreprise en

prenant en compte l’intérêt de toutes les parties prenantes.

2.2.2.2.3. Dirigeants d’entreprises et système de gestion en Tunisie: rapide aperçu

En Tunisie le Code des Sociétés Commerciales (CSC) a bien défini le statut, les

fonctions, les attributions et les responsabilités du dirigeant social. Ce dernier représente

l’acteur principal autour duquel gravitent les différentes parties prenantes de l’entreprise.

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Cependant, aucune définition explicite ne lui a été fournie par le législateur qui en revanche, a

défini la responsabilité de l’organe de gestion au sein de la société anonyme

En effet, au terme de l’article 189 du CSC, cet organe doit assurer les activités de

gestion et de direction de l’entreprise, il est composé d’administrateurs qui peuvent être

choisis en dehors des actionnaires, des directeurs généraux et des directeurs généraux

adjoints, même s’ils ne sont pas administrateurs, ceci étant, dans les sociétés anonymes à

conseils d’administration. Dans les sociétés anonymes à directoire et à conseil de surveillance,

les membres du directoire qui assument la même responsabilité que celle des administrateurs,

sont chargés de la direction de l’entreprise, ainsi que les membres du conseil de surveillance.

Dans la pratique, bien que plusieurs personnes assument de très hautes responsabilités

et occupent des postes importants comme le directeur financier, le directeur commercial, le

contrôleur de gestion, le secrétaire général, etc. Le CSC ne les considère pas comme les

principaux dirigeants et ne sont pas par suite soumis à ses dispositions.

2.2.2.2.4. Statut du dirigeant

A part quelques interdictions prévues pour le statut des administrateurs, des membres

du directoire et de conseil de surveillance, le CSC n’a pas mis en place des exigences de

connaissance ou de compétence, ni de limite d’age ou de disponibilité sauf pour les

incapables, les mineurs, les fonctionnaires au service de l’administration, les personnes

condamnées pour crime et les faillis non réhabilitées (articles 193 et 256 du CSC).

Le CSC n’a donc pas exigé un profil particulier pour le dirigeant mais a délimité le

nombre des postes d’administrateurs, des membres du directoire, et des membres du conseil

de surveillance (au terme de l’article 242).

Le CSC investit les administrateurs et les membres du directoire au terme des articles

197 et 229, des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société

dans les limites de son objet social.

En effet, le CSC met à la charge de ces dirigeants certaines obligations (telles que la

confidentialité des informations) même après avoir cessé leur fonction, et leur impose au

terme de l’article 198, d’exercer leurs fonctions avec la diligence d’un mandataire loyal. Le

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69

législateur tunisien met également à la charge des dirigeants sociaux l’établissement des états

financiers et la présentation d’un rapport annuel détaillé sur la gestion de la société aux

actionnaires. Ce rapport doit être, au terme de l’article 201, communiqué au commissaire aux

comptes.

Quant aux principales tâches que l’organe de gestion est censé accomplir, selon

l’article 200 du CSC il s’agit des opérations courantes, d’investissement et de financement,

liées à l’exercice de l’activité de la société.

En revanche, l'article 208 du CSC stipule que les administrateurs disposent d’un

pouvoir qui leur permet de nommer les directeurs généraux adjoints, de choisir parmi eux un

membre pour les fonctions du président, de fixer sa rémunération, etc.

D’autres missions sont mises à la charge des administrateurs considérés comme les

premiers responsables de la société anonyme; c'est le cas de la convocation des assemblées

des actionnaires, la fixation de l’ordre du jour, l’établissement du rapport de gestion, etc.

En effet, selon Mimouni et Tmar (2004), une multitude de sanctions ont été prévues

par la loi tunisienne dans le cas où les dirigeants, qui engagent leur responsabilité vis-à-vis de

la société et des tiers, commettent au terme de l’article 186 du CSC, un des faits suivants:

- "fausses déclarations dans l’acte constitutif ou celui constatant une augmentation de

capitaux.

- majoration abusive d’apports en nature.

- présentation ou publication de faux bilans.

- abus de biens sociaux".

Le législateur tunisien ne s’est pas contenté de cela mais il a prévu d’autres sanctions

généralement pour tout usage de pouvoir contraire aux intérêts de la société, néanmoins il n’a

pas prévu d’obligations formelles qui marquent un engagement personnel du dirigeant ou qui

garantissent la qualité des comptes et la fiabilité du contrôle interne.

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70

2.2.2.3. Les salariés

En se référant à la définition proposée par Charreaux (1997) selon laquelle le système

de gouvernement d’entreprise recouvre "l’ensemble des mécanismes organisationnels qui ont

pour effet de délimiter les pouvoirs et d’influencer les décisions des dirigeants, autrement dit,

qui gouvernent leur conduite et définissent leur espace discrétionnaire", les salariés pourraient

être classés, selon Maâti (1999), Desbrière (1997) et Charreaux (1997), parmi les principales

parties prenantes de l’organisation qui constituent un mécanisme de pression interne pouvant

influencer les décisions des dirigeants et gouverner leurs conduites.

En effet, selon ces auteurs, les salariés sont supposés agir et gérer l’entreprise non pas

dans leur intérêt personnel, mais en prenant en compte les intérêts des différentes parties

prenantes.

Toutefois, on pourrait se demander par quels moyens un subordonné pourrait mettre

fin à un comportement opportuniste ou à un abus de pouvoir provenant de son supérieur

hiérarchique? La question a suscité la réflexion de plusieurs auteurs comme par exemple

Mintzberg (1986)1, qui considère "le jeu du coup de sifflet" comme un moyen dont dispose le

salarié pour influencer et contrôler le comportement du dirigeant, même s’il occupe une

position hiérarchique inférieure, et même s’il ne détient pas le droit de le sanctionner, il a

toutefois la possibilité de faire prévenir les organes qui disposent de telles prérogatives.

Selon Maâti (1999), le salarié a intérêt à préserver les intérêts de l’organisation surtout

lorsque sa rémunération dépend d’un système d’intéressement aux résultats. En fait,

l’importance du rôle que joue le salarié dans le contrôle du dirigeant provient essentiellement

de sa situation interne qui lui permet un accès privilégié à l’information qu’il peut utiliser

pour alerter un détenteur d’influence interne ou externe sur l’existence d’un comportement

défavorable aux intérêts de la firme.

Desbrière (1997) pense que les salariés peuvent constituer un mécanisme de contrôle

efficace si leur participation est réelle. Selon cet auteur, cette participation, leur permettant

d’acquérir des actions de la société qui les emploie, peut en même temps stimuler leurs

efforts, et leur permet de mieux présenter leurs intérêts au sein des assemblées générales

d’actionnaires et au conseil d’administration ou de surveillance. 1 Mintzberg H., 1986, Le pouvoir dans les organisations, Editions d'organisation. Paris. Cité dans Maati J., 1999, Le gouvernement d’entreprise, De Boeck, Université, Paris – Bruxelles, page 115.

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71

Quant au rôle des salariés dans le contrôle des dirigeants traité en théorie, deux

courants ont appréhendé cette problématique. D'abord, les économistes financiers considèrent

les salariés détenteurs d’actions comme non dominants, par conséquent ils n’ont pas de rôle

spécifique. Ensuite les théoriciens des organisations, qui traitent essentiellement la

participation institutionnelle des employés au conseil d’administration de la firme, les

considèrent non seulement comme des apporteurs de capital humain, mais aussi des

investisseurs en fonds propres (Desbrière, 1997).

En effet, selon le même auteur et dans cette deuxième optique, deux courants se

confrontent. Le premier affirme que la participation financière des employés au conseil

d’administration et aux assemblées générales favorise un contrôle efficace des dirigeants et

renforce l’alignement des intérêts de ces derniers sur ceux des actionnaires externes et des

employés.

En effet, plusieurs auteurs comme Fama (1980)1 s’inscrivent dans ce même courant et

pensent notamment que "la participation au conseil d’administration des employés, outre les

dirigeants, les actionnaires et les experts externes, est obligatoire car le conseil

d’administration doit inclure des représentants des différents facteurs de production dont la

productivité marginale est affectée par les décisions des dirigeants".

Selon Williamson (1985)1 et Aoki (1984)2, cette participation financière est utile en

matière d’organisation de travail et de négociation collective, car son intérêt réside dans le

partage d’une information pertinente et importante, autrement dit selon Smith (1991)3 cette

participation des salariés au conseil d’administration permet de résoudre l’asymétrie

d’information subie par les actionnaires, ce qui conduit les dirigeants à renoncer à certains

comportements opportunistes.

1 Fama E.F., 1980, "Agency problemand the theory of the firm", Journal of Political Economy, 82, n° 2, April, p.288-307, cité dansDesbrières Ph., 1997, "le rôle de l’actionnariat des salariés non-dirigeants dans le système de gouvernement de l’entreprise", in Charreaux, 1997, Le gouvernement des entreprises, théories et faits, Economica, Paris, page 399. 1 Williamson O.E., 1985, The economic institutions of capitalism, The free Press, cité dans Desbrières Ph., 1997, "le rôle de l’actionnariat des salariés non-dirigeants dans le système de gouvernement de l’entreprise", in Charreaux, 1997, Le gouvernement des entreprises, théories et faits, Economica, Paris, page 402. 2 Aoki M., 1984, "the co-operative game theory of the firm", Oxford university Press, cité dansDesbrières Ph., 1997, "le rôle de l’actionnariat des salariés non-dirigeants dans le système de gouvernement de l’entreprise", in Charreaux, 1997, Le gouvernement des entreprises, théories et faits, Economica, Paris, page 399. 3 Smith S., 1991, "On the economic rationale for codetermination law", Journal of Economic Behavior and Organisation, 16, p.261-281, cité dans Desbrières Ph., 1997, "le rôle de l’actionnariat des salariés non-dirigeants dans le système de gouvernement de l’entreprise", in Charreaux, 1997, Le gouvernement des entreprises, théories et faits, Economica, Paris, page 402.

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72

Le deuxième courant se contredit avec le premier et estime que les dirigeants

disposent de plusieurs moyens pour influencer les employés, en leur promettant par exemple

une promotion, en augmentant leur salaire ou leurs différents avantages, en assurant la

stabilité de l’emploi… en neutralisant leur contrôle, la participation des salariés devient au

contraire un facteur qui facilite l’enracinement des dirigeants au détriment des intérêts des

actionnaires externes (Charreaux et Desbrière, 1997).

Bien qu’il considère les salariés comme un mécanisme disciplinaire capable d’exercer

une pression sur les dirigeants, afin de délimiter leur pouvoir discrétionnaire, Charreaux

semble en revanche s’inscrire dans ce courant car il pense que le conseil d’administration a

pour fonction principale la gestion de la relation d’agence entre actionnaires et dirigeants et ne

représente pas l’organe le plus adapté pour gérer la relation d’agence entre dirigeants et

employés, la hiérarchie et la surveillance mutuelle, constituent selon lui, le système de

contrôle adéquat (Desbrière, 1997).

En fait, même si la participation des employés au conseil d’administration ne favorise

pas le contrôle des dirigeants, elle reste, selon Desbrière (1997), un moyen qui conduit à une

amélioration de la satisfaction, de l’implication et de la productivité des employés, et favorise

également l’accélération du processus d’innovation, l’augmentation de la qualité…et la

protection de leur investissement en capital humain spécifique à la firme. Cependant,

Charreaux (1997) estime que la réalité montre que la participation des salariés au conseil

d’administration et au capital de l’entreprise est peu adoptée et que cette participation résulte

plus d’une intervention réglementaire que d’un accord privé. A ce niveau, le cas de

l’Allemagne et de quelques autres pays reste exceptionnel et montre que la participation des

salariés au système de gouvernement d’entreprise est réelle.

En Tunisie, le législateur donne le droit aux salariés de participer au conseil

d’administration sous conditions, l’article 196 du CSC stipule en fait que "sauf dispositions

contraires des statuts, un salarié de la société peut être nommé membre au conseil

d’administration. Le cumul de deux qualités n’est possible pour le salarié que si son contrat de

travail est antérieur de cinq années au moins à sa nomination comme membre au conseil

d’administration et correspond à un emploi effectif".

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Conclusion d'étapes

Comme le montrent les chapitres précédents, le gouvernement d'entreprise couvre un

domaine vaste et complexe et il est clair que son champ d'action dépasse les seules relations

entre actionnaires et dirigeants. Tous les acteurs qui entretiennent des échanges au sein des

entreprises doivent être pris en compte: actionnaires, salariés, clients, fournisseurs, pouvoirs

publics…

Par ailleurs, à la lumière des scandales récents, nous constatons que le seul objectif

d'optimiser la richesse des actionnaires, comme le montre la théorie financière (actionariale),

dans les travaux de Jensen et Meckling (1976), n'est plus acceptable.

La prise en considération des intérêts des différentes parties prenantes s'avère, dès lors,

indispensable, et marque l'apport de la théorie partenariale.

Par la suite, l'attention a été portée à d'autres mesures, à savoir la compétence et

l'innovation qui représentent le fondement de la théorie cognitive.

Toutefois, les faillites récentes d'un certain nombre d'entreprises nous invitent à

réfléchir et à s'interroger sur la qualité du cadre institutionnel, sur son importance et son

efficacité.

En effet, si les approches théoriques macro et micro-économiques ont fait l'objet du

premier chapitre, le second a plutôt mis l'accent sur les caractéristiques des principaux acteurs

et mécanismes de gouvernance d'entreprise, particulièrement en Tunisie.

Ces derniers, comme il a été déjà démontré, soumettent les entreprises à un contrôle et

une surveillance, mais également à une pression, afin qu'elles se conforment aux droits et aux

obligations qui leurs sont imposées.

Le chapitre suivant abordera donc l'étude empirique de ce travail de recherche et

s'intéressera, en particulier, à l'étude du cas du groupe BATAM.

Dans ce qui suit, nous allons essayer alors d'appliquer les approches théoriques macro

et micro-économiques pour élaborer une lecture critique, analyser et évaluer les mécanismes

internes et externes de la gouvernance d'entreprise en Tunisie.

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CHAPITRE 3

BATAM, "monographie d’un cas d’échec"

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75

Introduction

Le dossier BATAM représente pour la société tunisienne un intérêt particulier, pour sa

complexité, sa "sensibilité" et ses incidences graves sur le secteur économique et social.

Notre choix d'étudier ce groupe n’est pas hasardeux. En effet, nous avons à faire à un

groupe d’entreprises à caractère familial, qui représentait, pour une décennie, "un empire" par

rapport au reste des opérateurs économiques et qui a terminé sa course devant la justice pour

incapacité de remboursement des dettes et insolvabilité.

Il nous semble donc important et crucial de savoir comment et pourquoi un succès

fulgurant d’un groupe, grand et puissant, se transforme en échec "exemplaire" dans une

période de temps aussi restreinte?

Est-ce dû à des déficiences au niveau des pratiques managériales, est-ce dû à des

insuffisances de notre système de gouvernance des entreprises particulièrement familiales ou

est-ce les deux à la fois?

Et enfin quelles leçons pourrait-on tirer de cette étude, qui n’a pour intérêt primordial

que de pouvoir accéder à une certaine vérité scientifique capable de fournir un nouvel élan à

la gestion et à la gouvernance en général ?

Cet échec brusque, inattendu et "exemplaire" nous permettrait sans doute de

comprendre et d’illustrer les forces et les faiblesses des mécanismes et des acteurs de la

gouvernance en Tunisie et nous aiderait à réfléchir aux extrapolations possibles ainsi qu’à

l’état du contexte institutionnel de la gouvernance des entreprises "familiales" tunisiennes.

3.1. Positionnement méthodologique

Le choix du cas BATAM n’est pas un simple hasard, son analyse nous parait

indispensable si on souhaite s'intéresser aux caractéristiques du système de gouvernance des

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entreprises familiales en Tunisie. En effet, il s’agit, de l’avis de tous, d’un cas qui rassemble

aussi bien des problèmes qui relèvent de la politique que de l'économique et du social.

La faillite de BATAM n'est pas un cas simple à aborder. Il s'agit d'une affaire

complexe dont l'étude fait intervenir différentes parties prenantes et engage la responsabilité

de différents acteurs. C'est un cas susceptible de dégager un certain nombre d'anomalies et

d'insuffisances aussi bien au niveau des pratiques managériales qu'au niveau des mécanismes

de gouvernance en Tunisie.

Ce choix a été en fait effectué parce qu’il nous invite à découvrir et à expliquer les

déficiences de notre système de gouvernance et de nos mécanismes de contrôle, et à réfléchir

aux extrapolations possibles et à l’état du contexte institutionnel de la gouvernance des

entreprises "familiales" tunisiennes.

Nous chercherons alors dans ce qui suit, à analyser comment cette "catastrophe" a eu

lieu dans une période de temps très restreinte, et à identifier les facteurs qui ont participé à la

faillite du groupe BATAM pour dégager les déficiences des mécanismes internes et externes

de la gouvernance des entreprises familiales en Tunisie et procéder à des recommandations

qui puissent rapprocher les pratiques tunisiennes de gouvernance des normes internationales

en la matière.

Afin d'aborder la dimension empirique de ce travail de recherche, nous nous sommes

basé sur une méthodologie permettant d'accéder, de collecter et d'analyser des situations à

partir de représentations et d'observations. Le recours à une approche qualitative basée sur

l'entretien et l'analyse documentaire a constitué, à notre avis, l'instrument le mieux adapté à

notre problématique et à nos questions de recherche.

3.1.1. L'approche qualitative

Selon Wacheux (1996), l'approche qualitative peut être exploratoire (en absence des

théories mobilisables), clinique (nécessitant une approche approfondie avec les

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théoriesexistantes) ou bien phénoménologique (le chercheur est sujet en même temps en tant

qu'observateur et analyste de sa propre expérience).

En effet, Wacheux (1996) avance que les méthodes qualitatives servent à expliquer les

phénomènes sociaux, les représentations et donc les comprendre dans leur contexte, à partir

d'une position constructiviste. Il pense également que la démarche qualitative "étudie en

profondeur les phénomènes en acceptant la spécificité et les différences dans un contexte

situationnel".

Par ailleurs, Marshall et Rossman (1989)1 avancent que l'approche qualitative accroît

l'aptitude du chercheur à décrire un système social complexe.

Selon Erickson (1986)2, l'approche qualitative représente une caractéristique

distinctive qui réside "dans la mise en exergue de l'interprétation". Thiétart (2003) pense que

cette interprétation ne doit pas être celle du chercheur mais celle des individus.

En outre, avec l'approche qualitative, le chercheur bénéficie en général d'une plus

grande flexibilité dans le recueil de données (Thiétart, 2003). Ce qui nous parait important

mais également utile dans un cas complexe comme celui du groupe BATAM.

D'autre part, selon Wacheux (1996), l'approche qualitative offre plus de garantie sur la

validité interne des résultats.

En effet, pour Wacheux (1996), la validité des recherches qualitatives dépend d'une

contextualisation dans l'espace et dans le temps, autrement dit, "la mise en œuvre d'un

processus de recherche qualitatif, c'est avant tout vouloir comprendre le pourquoi et le

comment des événements dans des situations concrètes".

1 Marshall C., Rossman G.B., 1989, Designing Qualitative Research, Beverly Hills, CA, Sage, cité dans Thiétart R.A et coll., 2003, Méthodes de recherché en management, Dunod, Paris, page 98. 2 Erickson F., "Qualitative Methods in Research on Teaching". In Wittrock M. (ed.), Hand-book of Research on Teaching, New York, Macmillan, 1986, pp. 119-161, cité dans Thiétart R.A et coll., 2003, Méthodes de recherche en management, Dunod, Paris, page 98.

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Cependant, Wacheux (1996) trouve que les critiques auxquelles s'expose toujours le

chercheur qualitatif découlent de l'objectivité, les méthodes d'analyse, l'interaction au terrain

et la non représentativité des situations.

Pour Thiétart (2003), la limite de l'approche qualitative réside dans le fait qu'elle

s'inscrit dans une démarche d'étude d'un contexte particulier. Le recours à l'analyse de

plusieurs contextes permet d'accroître la validité externe d'une recherche qualitative selon une

logique de réplication (Drucker, Ehlinger et Grenier, 2003)1.

Thiétart (2003) pense donc que cette limite en terme de généralisation conduit à

accorder plus de validité externe aux approches quantitatives, mais à l'opposé, l'approche

qualitative offre plus de garantie sur la validité interne des résultats.

3.1.2. L'étude de cas

Pour Thiétart (2003), l'étude d'un cas unique constitue une particularité des recherches

qualitatives.

En effet, si certains considèrent que les connaissances produites par l'étude d'un cas

unique sont idiosyncratiques et donc impropres à la généralisation, d'autres estiment, au

contraire, que l'étude d'un cas unique peut donner lieu à la généralisation (Thiétart, 2003).

Par ailleurs, Yin (1990)2 souligne que l'étude d'un cas se justifie principalement dans

trois situations:

D'abord lorsqu'on souhaite tester une théorie existante, que ce soit pour la confirmer,

la remettre en cause ou la compléter.

Ensuite, lorsqu'il présente un caractère extrême ou unique (rareté du phénomène

étudié).

1 Drucker-Godard C., Ehlinger S., Grenier C., 2003, "Validité et fiabilité de la recherche", cité dans Thiétart R.A et coll., 2003, Méthodes de recherché en management, Dunod, Paris, page p 98. 2 Yin R.K., Case Study Research, Design and Methods, Newbury Park, CA, Sage, 1984, 2e éd., 1994, cité dans Thiétart R.A et coll., 2003, Méthodes de recherché en management, Dunod, Paris, page 215.

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Enfin, lorsqu'il permet de révéler un phénomène qui n'est pas rare mais qui était

jusqu'alors inaccessible à la communauté scientifique.

Wacheux (1996) définit "la méthode des cas" comme "une analyse spatiale et

temporelle d'un phénomène complexe par les conditions, les événements, les acteurs et les

implications". Pour lui, l'étude de cas se justifie par la complexité du phénomène à étudier.

Wacheux (1996) avance également que l'étude de cas est appropriée lorsque la

question de recherche commence par "pourquoi" (causalités récursives, configurations) ou

"comment" (processus, enchaînement des événements dans le temps).

Selon lui, l'étude de cas permet "de suivre ou de reconstruire des événements dans le

temps, d'évaluer les causalités locales et de formuler une explication (puis de la tester auprès

des acteurs)". Elle a pour objectif d'explorer, de comprendre et de générer des hypothèses sur

le pourquoi et le comment (Wacheux, 1996).

Cependant, Wacheux (1996) pense que la difficulté principale des études de cas

consiste à travailler avec des données provenant de plusieurs sources (documents, entretiens,

observations), dans lesquelles les contradictions internes sont fréquentes. Toutefois, il

considère que cette difficulté est également une richesse. Pour lui, "le chercheur qualitatif a la

satisfaction d'élaborer une image fidèle et valide de la réalité observée, et de la proposer aux

acteurs - participants, de comprendre les situations concrètes, et quelques fois de les

résoudre".

3.1.3. Techniques de collectes de données dans une approche qualitative

Dans une approche qualitative, Wacheux (1996) mentionne cinq techniques de

collecte de données: l'entretien, l'observation directe, l'observation participante, les archives et

la documentation.

En effet, selon Wacheux (1996), le choix des techniques de collecte de données est

déterminé par les questions de recherche.

Dans le cadre de notre travail et dans les limites des moyens disponibles, nous avons

eu recours à deux techniques de collecte de données à savoir:

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- Une étude documentaire de différents rapports et de documents portant sur:

* le diagnostic de la situation et des causes des difficultés du groupe BATAM.

* La reconstitution de la situation financière au 31 octobre 2002 du groupe BATAM.

* Le prospectus d'offre publique de vente et d'admission au premier marché de la cote de la

Bourse.

* Le prospectus d'émission et d'admission au marché obligataire de la cote de la Bourse.

- Une enquête par entretiens administrés aux différents acteurs impliqués dans l’affaire

(entretien spécifique à chaque catégorie).

3.1.3.1. L'étude documentaire

Pour Thiétart (2003), il est conseillé de commencer systématiquement une recherche

en s'interrogeant sur l'existence des données secondaires disponibles.

En effet, selon Thiétart (2003), ces données ont une valeur historique et sont utiles

pour établir des comparaisons et évaluer des données primaires. Cependant, elles peuvent être

difficiles à obtenir, obsolètes, plus ou moins approchées et exhaustives.

Thiétart (2003) déclare également que les données secondaires peuvent être internes et

externes.

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3.1.3.1.1. Les données secondaires internes

Thiétart (2003) avance que les données secondaires internes sont des informations déjà

produites par des organisations ou des personnes privées. Il s'agit des archives, notes,

rapports, documents, règles et procédures écrites, modes d'emploi, revues de presse, etc.

Thiétart (2003) affirme que ces données constituent de véritables sources de données

secondaires pour celui qui les consulte, et qu'elles représentent une multiplicité d'avantages:

D'abord, leur analyse permet de reconstituer des actions passées transcrites dans les

écrits qui ont influencé les événements, constaté les décisions et engagé les individus.

Ensuite, elles représentent un excellent support pour se familiariser avec un terrain

d'étude.

Par ailleurs, les données internes sont indispensables dans le cadre d'une démarche

historique et longitudinale (monographie, analyse d'un processus sur une longue période).

Elles génèrent des informations dont les acteurs ne parlent pas spontanément lors des

entretiens en face à face.

Enfin, l'analyse de données internes est souvent nécessaire pour construire une

triangulation des données et valider leur fiabilité.

3.1.3.1.2. Les données secondaires externes

Selon Thiétart (2003), les données secondaires externes se trouvent dans les

bibliothèques et les centres de documentation ayant un fonds d'ouvrages et de périodiques

important dans le champ de recherche envisagé.

Les documents sur les thèses et les recherches en cours, les publications officielles

d'organismes publics et/ou internationaux, des annuaires privés et de fonds de revue de presse,

les travaux des chercheurs qui travaillent sur la même problématique, les publications

gouvernementales (documents officiels, études ministérielles…), les publications

d'organismes publics et/ou internationaux (INSEE, FMI, OCDE, ONU, Banque Mondiale…)

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ainsi que les publications privées (les Echos, Eurostaf, Dafsa…) sont d'importantes sources de

données externes (Thiétart, 2003).

Ces documents procurent essentiellement des séries très complètes d'informations

statistiques (Thiétart, 2003).

Pour Wacheux (1996), il est rare que la recherche mobilise une seule source de

données. La nécessité de multiplier les évidences pour permettre la triangulation empirique

guide la construction du dispositif.

Par conséquent, Wacheux (1996) souligne que la documentation représente une source

d'évidence qui sert l'instrumentation de la recherche auquel on accède à travers les analyses

des traces écrites présentes et on complète celle-ci par d'autres dispositifs pour assurer la

validité.

3.1.3.2. L'entretien et ses méthodes

Selon Wacheux (1996), l'entretien constitue, dans l'ensemble des sciences humaines,

un mode privilégié de recueil des informations qui fait accéder aux faits, aux représentations

et aux interprétations sur des situations connues par les acteurs.

En sciences de gestion, particulièrement, Wacheux (1996) déclare que la plupart des

recherches qualitatives s'alimentent aux "mots des acteurs" pour comprendre les pratiques

organisationnelles et les représentations des expériences.

En effet, pour Wacheux (1996), "le discours de l'auteur n'est jamais, à priori, la réalité,

mais la manière dont il a perçu les événements".

L'entretien a pour objet de recueillir les traces de comportement, les interactions

sociales et les perceptions par le discours des acteurs (Wacheux, 1996).

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Wacheux (1996) propose quatre formes classiques de l'entretien:

- directif: le chercheur pose des questions courtes et précises sur des faits, des opinions et des

représentations, et contrôle le déroulement.

- Semi directif: l'acteur s'exprime librement sur des questionnements précis sous le contrôle

du chercheur (implication partagée).

- Non directif: le chercheur mène une conversation libre et ouverte avec l'acteur sur des

thèmes préalablement définis et intervient pour recentrer, reformuler et accepter le discours de

l'acteur.

- Entretien de groupe: cette forme d'entretien est spécifique. Elle s'intéresse aux interactions

entre les acteurs et à la construction groupale d'explications et de représentations.

Pour Blanchet et Gotman (1992), l'entretien représente une méthode de production de

données verbales qui fait construire un discours.

Selon eux, l'enquête par entretien ne prend pas en charge les questions causales, les

"pourquoi", mais fait apparaître les processus et les "comment".

Par ailleurs, selon Blanchet et Gotman (1992), l'enquête par entretien peut être utilisée

pour analyser un problème, et par conséquent, elle peut constituer la source d'informations

principale.

Dans ce cas, Blanchet et Gotman (1992) affirment que le plan d'entretien, lui-même

structuré, sera élaboré pour que les données produites puissent être confrontées aux

hypothèses.

Ces auteurs déclarent également que l'enquête par entretien peut être utilisée pour

explorer et préparer une enquête par questionnaire.

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D'autre part, une enquête par entretien peut être utilisée pour compléter une enquête ou

replacer dans leur contexte des résultats obtenus préalablement par des questionnaires ou par

des sources documentaires (Blanchet et Gotman, 1992).

En effet, selon Blanchet et Gotman (1992), l'enquête par entretien à usage

complémentaire remplit plusieurs fonctions: soit elle enrichit la compréhension des données,

soit elle les complète, ou bien encore elle contribue à leur construction et à leur interprétation.

Dans notre travail de recherche, le recours à l'entretien sert, comme le soulignent

Blanchet et Gotman (1992), à contextuer des résultats obtenus préalablement par une

recherche documentaire.

"Les entretiens complémentaires permettent l'interprétation de données déjà produites"

(Blanchet et Gotman, 1992).

3.1.3.2.1. Constitution de l'échantillon

En ce qui concerne la détermination de l'échantillon nécessaire à la réalisation d'une

enquête par entretien, Blanchet et Gotman (1992) pensent que cela dépend en premier lieu du

thème de l'enquête (faiblement ou fortement multidimensionnel) et de la diversité des

attitudes supposées par rapport au thème, du type d'enquête (exploratoire, principale ou

complémentaire), du type d'analyse projeté (recensement de thèmes ou analyse de contenu

plus exhaustive), et enfin des moyens dont on dispose (en temps et en argent).

D'autre part, Blanchet et Gotman (1992) pensent que lorsqu'on atteint le point de

"saturation" (quand les informations recueillies apparaissent redondantes et semblent

n'apporter plus rien de nouveau), on peut effectivement considérer la compagne d'entretiens

comme close.

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De même, Glaser et Strauss (1967)1 estiment que la taille adéquate d'un échantillon est

celle qui permet d'atteindre la saturation théorique. Selon eux, cette saturation théorique est

atteinte lorsqu'on ne trouve plus d'information supplémentaire capable d'enrichir la théorie.

Cependant, Thiétart (2003) trouve que ce principe est difficile à mettre en œuvre de

manière parfaitement rigoureuse car, selon lui, on ne peut jamais avoir la certitude qu'il

n'existe plus d'informations supplémentaires capables d'enrichir la théorie, il revient donc au

chercheur d'estimer s'il est parvenu au stade de saturation.

3.1.3.2.2. Mode d'échantillonnage

Selon Blanchet et Gotman (1992), dans l'enquête par entretien, l'échantillon doit être

diversifié et doit reposer sur la sélection de composantes non strictement représentatives mais

caractéristiques de la population.

Dans notre travail de recherche, nous avons eu recours à la méthode de "proche en

proche" qui consiste, selon Blanchet et Gotman (1992), à demander à un premier interviewé

potentiel de désigner d'autres interviewés possibles et ainsi de faire la chaîne pour nous

faciliter le contact avec les personnes qui ont déjà quitté BATAM.

L’échantillon est composé de différentes catégories d’acteurs dont on estime qu’ils

sont en position de produire des réponses à nos questions. Il s’agit notamment du personnel

du groupe BATAM avant et après la crise, à différents niveaux hiérarchiques, des

représentants des banques et notamment de la Banque Centrale, du CMF, des actionnaires, du

PDG, des fournisseurs, des membres du conseil d’administration…

Les entretiens ont été conduits sur les lieux de travail mais également ailleurs (il s'agit

de la société mère Héla BATAM, les filiales, les banques, la banque centrale, la Bourse de

Tunis, le CMF…) afin d'éviter les résultats biaisés au sens de Boltanski [1982]2.

1 Glaser B.G., Strauss A.L., The discovery of grounded theory: Strategies for qualitative research, New York, Aldine de Gruyter, 1967, cité dans Thiétart R.A et coll., 2003, Méthodes de recherché en management, Dunod, Paris, page 216. 2 Boltanski L., 1982, Les cadres – la formation d'un groupe social, Paris, Editions de Minuit, cité dans Blanchet A. et Gotman A., 1992, L’enquête et ses méthodes: L'entretien, éditions Nathan, Paris, 1992. Selon lui, le fait de procéder à des entretiens à l'intérieur des entreprises entraîne des résultats biaisés.

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Les personnes interrogées sont au nombre de dix-huit et sont réparties comme suit :

trois entretiens avec l’expert comptable, le PDG, le chef de service juridique actuels, un

entretien avec un directeur opérant à la Banque Centrale de Tunis, un banquier (opérant à la

Banque de Tunisie), un entretien avec un directeur (système d'information) de la Bourse des

valeurs mobilières de Tunis, un auditeur appartenant à un intermédiaire en Bourse, deux

entretiens avec deux cadres de deux filiales du groupe (BATAMA et Bonprix), et neuf

entretiens réalisés avec des représentants de différents niveaux hiérarchiques au sein de la

société mère.

Deux autres personnes travaillant encore au sein de la société mère ont refusé de

répondre aux questions de l’entretien sous prétexte que "l’affaire BATAM est purement

politique et close"1.

Une tierce personne a accepté de répondre aux questions de l’entretien mais avec

beaucoup de réserve.

L’enquête a été destinée, outre aux différentes parties prenantes du groupe, au

personnel dont certains, licenciés suite à la politique de licenciement que l’administrateur

judiciaire a adoptée, et d’autres partant volontiers avant que la crise n’ait lieu.

Le nombre d’entretiens a été déterminé par le point de saturation qu’on a jugé atteint

après la réalisation de dix-huit entretiens, avec des représentants de chaque catégorie

d’acteurs, ayant duré chacun entre une heure et trente minutes et deux heures.

1 Réponse de la première personne refusant de répondre aux questions de l’entretien.

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3.1.3.2.3. Le guide d'entretien

Ce guide a tenté de reprendre l'essentiel de notre questionnement. Il a comporté les

questions suivantes:

1) Pouvez-vous me parler du rôle du conseil d’administration de BATAM ?

2) Pourquoi le conseil d’administration a joué ce rôle ?

3) Y a-il eu des abus de pouvoir de la part du PDG ?

4) Y a-il eu d’autres abus de pouvoir de la part d’autres personnes ?

5) Avez-vous une idée sur la cause du niveau élevé de la charge salariale dans le groupe ?

6) Veuillez me parler de la responsabilité des actionnaires majoritaires.

7) Veuillez me parler de la responsabilité des actionnaires minoritaires.

8) Veuillez me parler de la responsabilité du PDG.

9) Veuillez me parler de la responsabilité des cadres.

10) Veuillez me parler de la responsabilité du commissaire aux comptes.

11) Veuillez me parler de la responsabilité des banques.

12) Veuillez me parler de la responsabilité du conseil du marché financier.

13) Veuillez me parler de la responsabilité de l’Etat.

14) Veuillez me parler de la responsabilité du fisc.

15) Quelle est la principale cause des difficultés de BATAM, selon vous ?

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3.2. Evolution historique du groupe BATAM

Bien qu’elle ait atteint une position de Leader sur le marché tunisien de la

commercialisation de produits électroménagers, la société BATAM n’a pas pu survivre une

période qui dépasse une quinzaine d’années au cours de laquelle elle était incapable de

développer son périmètre et de diversifier ses activités dans les limites de son budget et nous a

montré que vivre au-dessus de ses moyens n’est pas sans risque pour une personne physique

ou morale.

En effet, après une période d’expansion spectaculaire, le groupe BATAM a surpris par

un échec brusque et inattendu qui a laissé derrière lui une déception et une amertume pour

l’économie tunisienne, des conséquences graves pour des centaines de familles, mais surtout

l’idée de penser aux insuffisances de notre système de gouvernance d’entreprises familiales.

Ce n’est qu’à travers son évolution historique qu’on pourrait dès lors voir le chemin

relativement court que BATAM a parcouru depuis sa création en 19881 jusqu’à sa mise sous

administration judiciaire en octobre 20012.

Son cycle de vie court et riche d’événements à la fois agréables et surprenants montre

que BATAM n’a pas su chronométrer ses actions ainsi que ses choix stratégiques, chose qui

ne lui a pas permis de maîtriser le facteur temps d’une part et les autres facteurs du contexte

environnemental d’autre part.

3.2.1. Morphologie du groupe

3.2.1.1. 1988, la fondation de BATAM

Dotée d’un capital initial estimé à 25 000 DT, "HELA d’électroménager et de confort"

a été créée en 1988 sous la forme d’une SARL et a constitué la première société du groupe

BATAM dont l’objet résidait d’après ses statuts dans "la vente en détail de tous les produits

d’électroménager, d’artisanat, de confort et de loisir, d’importation et d’exportation de tous

les produits entrant dans le cadre de l’objet social, le transport des biens sur tout le territoire

tunisien, le montage des produits vendus par la société, le service après vente" ainsi que les

1 "Diagnostic de la situation et des causes de difficultés du groupe BATAM", effectué par Ahmed Mansour et associés, AMC Ernst et Young, cabinet Moncef Boussannouga Zammouri, lors de la mission de redressement judiciaire du groupe BATAM. 2 "Poursuites judiciaires", L'intelligent du 28 janvier 2003.

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services relatifs aux GSM et aux paraboles et les services fournis postérieurement aux

entreprises dépendantes et apparentées1.

Le trait marquant de son activité et qui représentait sa spécificité était la vente à crédit

des produits d’électroménagers qui faisait d’elle un Leader de la grande distribution en

Tunisie et un "modèle" de réussite pour les jeunes entrepreneurs2.

En effet, au départ et au cours des premières années après le lancement de son activité,

lorsque le marché était en pleine croissance et grâce à une politique permettant d’assurer une

saine maîtrise des risques liés au recouvrement, une satisfaisante sélection de la clientèle et

une forte marge pratiquée sur les ventes, la société HELA a pu réaliser un développement

ainsi qu’une croissance rapides, qui ont été maintenus surtout avec la quasi-absence sur le

marché de mécanismes souples et éprouvés de crédits à la consommation3.

Plusieurs facteurs ont en fait contribué à la prolifération et au progrès continu que la

société HELA a vécu au cours de sa première période de son cycle de vie dont essentiellement

la marge commerciale confortable dégagée, les taux appréciables des produits financiers, et le

recours judicieux à des ressources quasi-gratuites obtenues auprès des fournisseurs qui sont en

concurrence interne et externe4.

Tous ces facteurs ont servi à accroître sa rentabilité interne et à faire de la société "un

symbole de la nouvelle société de consommation"5 en Tunisie.

3.2.1.2. Une expansion rapide du périmètre de BATAM

Quelques années après sa création, la société HELA a opté pour une stratégie de

diversification et d’externalisation de certaines activités complémentaires ou connexes à la

sienne afin de soutenir cette croissance à travers l’acquisition de nouvelles parts de marché.

1 "Le diagnostic de la situation et des causes des difficultés du groupe BATAM" effectué par Ahmed Mansour et associés, AMC Ernst et Young, cabinet Moncef Boussannouga Zammouri dans le cadre d’une mission de redressement judiciaire. 2 "BATAM pris à son propre piège", Abdelaziz Barrouhi et Samir Gharbi, l’Intelligent, 28 novembre, 2002. 3 "Le diagnostic de la situation et des causes des difficultés du groupe BATAM" effectué par Ahmed Mansour et associés, AMC Ernst et Young, cabinet Moncef Boussannouga Zammouri dans le cadre d’une mission de redressement judiciaire du groupe BATAM. 4 Idem. 5 Abdelaziz Barrouhi et Samir Gharbi, "BATAM pris à son propre piège", l’Intelligent, 28 novembre, 2002.

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En effet, la société HELA, qui était dès le départ une société à caractère familial, a

adopté également une politique de développement du type familial, autrement dit le recours à

un personnel apparenté et souvent bien rémunéré a été favorisé dans le but d’asseoir

l’entreprise sur des bases de confiance et de solidarité1.

En revanche, durant toute la période 1988 à 2002, le capital social ainsi que les

participations directes et indirectes de la société ont progressé à raison de 66% l’an, en

passant de 25 000 DT à 31 049 718 DT2.

En effet, durant la période 1988-1997, BATAM a pu assurer un rythme rapide de

croissance et réaliser des marges commerciales confortables ainsi qu’une rentabilité interne en

croissance continue. Suite à ces résultats, elle a choisi d’adopter une politique de

diversification de son activité à travers la création de dix-huit filiales dans des domaines

d’activités différents en investissant dans l’alimentation, l’immobilier, les services et voyages,

la vente en gros, la lingerie féminine, l’informatique, la bureautique…

Durant cette période (1988-1997), le périmètre du groupe s’est développé à raison de 2

sociétés par an en moyenne, et au capital social estimé à 1 087 000 DT par unité3.

En 1999 et malgré les difficultés financières que BATAM a commencé à rencontrer

(en faisant un résultat négatif en 1999 estimé à 547 356 DT, un résultat négatif en 2000 estimé

à 3 220 298 DT et un résultat aussi négatif en 2001 estimé à 16 917 759 DT)4, cette dernière

n’a pas abandonné ses projections d’investissement et d’expansion, bien au contraire, dix-sept

autres sociétés ont été créées au cours d’une période très restreinte (1998-2001) toujours dans

des secteurs différents, et le développement du périmètre du groupe a atteint cette fois-ci une

moyenne de 3.4 entreprise par an et un capital social moyen estimé à 2.869.000 DT.5

1 "Le diagnostic de la situation et des causes des difficultés du groupe BATAM" effectué par Ahmed Mansour et associés, AMC Ernst et Young, cabinet Moncef Boussannouga Zammouri dans le cadre d’une mission de redressement judiciaire du groupe BATAM. 2 Idem. 3 Idem. 4 Idem. 5 Idem.

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En 2001 et 2002, le nombre total des sociétés appartenant au groupe s’est élevé à

trente-cinq filiales. Ces entreprises y compris la société HELA se composaient de douze

entreprises contrôlées et de vingt deux entreprises apparentées1.

En touchant à tous les secteurs économiques et à plusieurs volets de la vie des

citoyens, BATAM était devenu un phénomène de société.

L’expansion du groupe s’est étendue en fait même à l’étranger, avec l’ouverture de

plusieurs magasins BATAM au Maroc en 2000 en partenariat avec le groupe Sud Africain

Profurn2 et qui n'a pas rapporté un résultat satisfaisant en matière de rentabilité (résultat

négatif estimé à 1 109 393 DT en 2000 et résultat aussi négatif en 2001 estimé à 1 555 151

DT)3.

Après le Maroc, les deux entreprises comptaient s’intéresser à l’Algérie, à la Libye et à

l’Egypte4.

3.2.2. Structure et activité du groupe BATAM

Depuis sa création jusqu’à sa crise, deux principales périodes ayant pour date

charnière l’année 1998, ont marqué le cycle de vie du groupe BATAM. Cette date a servi de

base pour l’introduction en Bourse en 1999 de la société mère HELA, vu les performances et

les états financiers au titre de cet exercice qui lui ont permis d’élaborer de nouvelles

projections d’investissement et d’exploitation (résultat du groupe estimé à 3 000 233 DT en

1998)5.

1 "Le diagnostic de la situation et des causes des difficultés du groupe BATAM" effectué par Ahmed Mansour et associés, AMC Ernst et Young, cabinet Moncef Boussannouga Zammouri dans le cadre d’une mission de redressement judiciaire du groupe BATAM.. 2 "BATAM pousse ses pions", l’Intelligent, 28 novembre 2002. 3 "Le diagnostic de la situation et des causes des difficultés du groupe BATAM » effectué par Ahmed Mansour et associés, AMC Ernst et Young, cabinet Moncef Boussannouga Zammouri. 4 "BATAM pousse ses pions", l’Intelligent, 28 novembre 2002. 5 "Le diagnostic de la situation et des causes des difficultés du groupe BATAM" effectué par Ahmed Mansour et associés, AMC Ernst et Young, cabinet Moncef Boussannouga Zammouri.

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3.2.2.1. Le groupe BATAM avant l’introduction en Bourse

Avant son introduction en Bourse en 1999, la société HELA contrôlait six entreprises

dont la principale filiale Bonprix venait d’être créée, et détenait des participations dans

quatorze autres sociétés pour une valeur bilancielle totale de 10 321mdt1.

L’ensemble des entreprises filiales et apparentées au groupe BATAM faisait en effet

un chiffre d’affaires qui s’élevait à 34 338mdt en 1998, moins que la moitié de celui que

faisait la société HELA et qui était estimé en 1998 à 70 909mdt2.

Ces entreprises avaient un rôle important pour le groupe étant donné qu’elles

participaient à l’endettement bancaire global du groupe, estimé à 4 003mdt contre 19 066mdt

représentant celui de la société HELA3.

Quant à la structure de la dette de cette dernière, elle était principalement constituée en

1998 par des crédits fournisseurs non rémunérés, qui représentaient 77% de son endettement

total et 92% de son chiffre d’affaires, ces dettes fournisseurs ont servi de ressources gratuites

au financement des crédits aux clients, cependant, elles dépassaient de 14% le solde de la

rubrique créances et autres actifs courants4.

Avant son introduction en Bourse, la société "HELA BATAM d'électroménager et de

confort" faisait de bons résultats économiques. Selon les données financières disponibles, son

résultat n'a jamais été déficitaire et a été toutefois estimé à 3 853 800 DT5 en 1998 et aussi

bénéficiaire en 1999, 2000 et 2001.

En 1998, douze sociétés filiales étaient déficitaires et huit seulement avaient des

résultats positifs, mais le groupe dans sa globalité était, au cours de cette année, doté d'un

résultat positif estimé à 3 000 000 DT6.

1 "Le diagnostic de la situation et des causes des difficultés du groupe BATAM" effectué par Ahmed Mansour et associés, AMC Ernst et Young, cabinet Moncef Boussannouga Zammouri. 2"Le diagnostic de la situation et des causes des difficultés du groupe BATAM" effectué par Ahmed Mansour et associés, AMC Ernst et Young, cabinet Moncef Boussannouga Zammouri dans le cadre d’une mission de redressement judiciaire du groupe BATAM. 3"Le diagnostic de la situation et des causes des difficultés du groupe BATAM" effectué par Ahmed Mansour et associés, AMC Ernst et Young, cabinet Moncef Boussannouga Zammouri. 4 Idem. 5 Idem. 6 Idem.

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Cette performance économique a permis en fait à BATAM de s'introduire en Bourse,

chose qui n'a pas été très bénéfique pour le groupe qui a vu encore une fois son périmètre

s'élargir mais son résultat décroître et se dégrader.

En effet, "le 1er juin 1999, la Bourse de Tunis a accordé son accord quant à l'admission

des actions BATAM au premier marché de la cote de la Bourse des Valeurs Mobilières de

Tunis. Le prix de cession retenu pour l'OPV a été fixé à 23,000 DT"1.

3.2.2.2. Le groupe BATAM après l’introduction en Bourse

Plusieurs changements ont accompagné l’introduction en Bourse de la société HELA

en 1999, qui a favorisé dès lors l’extension du groupe et l’élargissement de son périmètre par

la création de nouvelles sociétés dont le nombre s’est élevé à trente-cinq entreprises en 2002.

Par conséquent, le capital social cumulé des sociétés dépendantes du groupe y compris la

société mère HELA BATAM et celui des sociétés apparentées ont augmenté

considérablement en passant de 25 003 000 DT en 1998 à 68 354 830 DT au 31 octobre

20022.

Cependant l'augmentation du capital du groupe ne s'est pas accompagnée d'une

croissance des bénéfices, mais au contraire, à partir de 1999, les résultats enregistrés par le

groupe ont commencé à être déficitaires et à suivre un rythme strictement décroissant (résultat

négatif du groupe en 1999 estimé à 547 356 DT, résultat également négatif en 2000 estimé à 3

220 298 DT et aussi résultat négatif en 2001 estimé à 16 917 759 DT)3.

La valeur du titre BATAM n’a pas également cessé de décroître en passant par 23 DT

lors de son introduction en Bourse, 13 DT au début de l’année 2001, 5.24 DT le 24 septembre

de la même année et 2.460 DT le 3 janvier 2002 juste avant que la cotation ne soit enfin

suspendu le 27 janvier 20024.

1 "Prospectus d'offre publique de vente et d'admission au premier marché de la cote de la Bourse", juin 1999, présenté en annexes. 2 "Le diagnostic de la situation et des causes des difficultés du groupe BATAM" effectué par Ahmed Mansour et associés, AMC Ernst et Young, cabinet Moncef Boussannouga Zammouri. 3 Idem. 4 "BATAM, suite et fin", L’intelligent, du 4 février 2003.

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3.2.3. Ralentissement de la croissance de la société HELA

A partir de l’année 1998 et après dix ans de la création de la société HELA, considérée

comme le principal acteur économique au sein du groupe, cette dernière a vu sa croissance

enregistrer un ralentissement significatif, arrivant ainsi à la maturité de son activité. Son

résultat a commencé à chuter à partir de cette date tout en restant cependant bénéficiaire

jusqu'à sa mise sous administration judiciaire en octobre 2002 (en 1998 son résultat était de

l'ordre de 3 853 800 DT, en 1999 son résultat était estimé à 2 246 902 DT, en 2000 son

résultat était 2 848 947 DT et en 2001 son résultat était 1 801 625 DT)1.

En effet, plusieurs facteurs permettent d’expliquer les raisons de la stagnation de sa

croissance telles que l’installation de plusieurs concurrents sur la même niche de vente à

crédit de produits électroménagers, la saturation du marché qui s’explique à son tour par la

nature même des produits commercialisés de « consommation durable » ainsi que par le

développement de la « concurrence non structurée », et finalement par l’intervention du

législateur dans le domaine de la réglementation des crédits à la consommation et des activités

de commerce en général, qui a pour effet de réduire la durée des crédits accordés aux

consommateurs, de limiter les taux d’intérêt, et de rationaliser le recours aux ventes

promotionnelles et aux soldes2.

Tous ces facteurs ont contribué par conséquent à la stabilisation de son chiffre

d’affaires durant les trois années 1998, 1999 et 2000, qui était compris entre 71 MDT et 78

MDT3 par comparaison à ce qu’elle réalisait comme chiffre d’affaires depuis sa date de

création.

En 2001, les difficultés financières du groupe ont été constatées à travers une

exceptionnelle politique adoptée par la société mère pour la première fois s’inscrivant dans un

objectif de mobilisation de ressources financières et de liquidation de stocks. Cette politique a

entraîné une augmentation du chiffre d'affaire qui s'est élevé cette fois-ci à environ

92 823 000 DT4. Toutefois, la diminution de sa valeur ajoutée au titre du même exercice

1 "Le diagnostic de la situation et des causes des difficultés du groupe BATAM" effectué par Ahmed Mansour et associés, AMC Ernst et Young, cabinet Moncef Boussannouga Zammouri. 2"Le diagnostic de la situation et des causes des difficultés du groupe BATAM" effectué par Ahmed Mansour et associés, AMC Ernst et Young, cabinet Moncef Boussannouga Zammouri. Idem. 3 Idem. 4 Idem.

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2001, a montré que cette augmentation du chiffre d’affaires ne traduisait pas en fait une réelle

reprise de la croissance, mais résultait plutôt de ventes inhabituelles réalisées moyennant de

substantielles réductions des prix, plutôt que dans le cadre d’actions commerciales normales

et récurrentes1.

La saturation de l’activité de la société HELA a en fait poussé ses dirigeants à

chercher des moyens de croissance externe en vue de se procurer de nouvelles parts de

marché dans le secteur de la grande distribution.

Malheureusement, ce choix a eu pour conséquence la transformation de la société

HELA BATAM en société Holding sans y être financièrement préparée et sans avoir les

moyens de gestion nécessaires pour assumer une telle mission. Parallèlement à sa propre

activité commerciale, le recours aux crédits bancaires ainsi qu'aux emprunts obligataires n’a

pas en revanche résolu ses difficultés, bien au contraire, les importantes facilités d’accès à ces

crédits, sans conditions sérieuses, ont largement contribué à précipiter ses problèmes

financiers et ont contribué à la situation de crise qu’elle a vécu au cours de cette période2.

Les dettes dans les quelles s'est engagé le groupe étaient en fait de plus en plus

importantes au cours de la période 1998-2001. En effet, si les dettes bancaires étaient de

l'ordre de 23 069 079 DT en 1998, 39 274 810 DT en 1999, 86 294 191 DT en 2000 et 136

583 011 DT en 2001, les autres dettes étaient estimées à 90 188 504 DT en 1998, 96 465 548

DT en 1999, 135 728 852 DT en 2000 et 186 789 974 DT en 2001, soit pour un total de 323

372 985 DT entre dettes bancaires et non bancaires en 20013.

Par ailleurs, les impayés des clients de BATAM ont constitué une véritable cause des

difficultés du groupe.

1Le diagnostic de la situation et des causes des difficultés du groupe BATAM" effectué par Ahmed Mansour et associés, AMC Ernst et Young, cabinet Moncef Boussannouga Zammouri. 2"Le diagnostic de la situation et des causes des difficultés du groupe BATAM" effectué par Ahmed Mansour et associés, AMC Ernst et Young, cabinet Moncef Boussannouga Zammouri. 3 Idem.

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3.2.4. Activité du groupe durant les années 1998 - 2001

Après l’introduction en Bourse de la société HELA, le groupe BATAM dans son

ensemble a commencé à enregistrer des déficits et précisément au cours des années 1999,

2000, 2001 et surtout au cours de l’année 2002, car il n’a pas pu préserver sa rentabilité

financière qui a régressé de manière constante depuis 1999 pour atteindre des proportions

alarmantes pouvant compromettre sa pérennité.

En fait, sans y être suffisamment préparée, la société HELA s’est engagée dans une

logique de recherche de parts de marché dans des secteurs connexes à son activité en

recourant à des moyens de développement externe. Elle a opté pour une stratégie de

diversification de ses activités et avait en outre des participations dans des secteurs différents

de celui du groupe.

3.2.5. Intervention de l’Etat tunisien en 2002 et "plan de sauvetage" du groupe

En octobre 2002, BATAM, la plus grosse entreprise de vente à crédit et Leader de la

distribution dans l’électroménager, ainsi que Bonprix, l’un des "poids lourds de la distribution

alimentaire" (42 magasins répartis dans le pays)1, ont été mis sous administration judiciaire en

raison de difficultés rencontrées par leurs dirigeants pour rembourser aux banques, aux

institutions financières et aux fournisseurs, des montagnes de dettes estimées à plus de

300 MDT2.

Les conséquences ne se sont pas en effet limitées au groupe, mais ce dernier a

malmené au passage la trésorerie de plusieurs banques dont essentiellement la STB pour une

dette de 22 235mdt, la C.BANK pour 18 821mdt, l’UBCI pour un montant de 18 193mdt,

l’ABC pour 9 925mdt, la BIAT pour 9 049mdt, l’Amen Banque pour 6 428mdt, la BNA pour

2 283mdt, la Banque de Tunisie pour une dette de 1 989mdt, la Banque du Sud pour un

montant de 1 961mdt, la BFT pour 1 446mdt et la NAÏB pour une dette de 425mdt.3

Les conséquences ont touché également une multitude de fournisseurs dont les pertes

étaient immenses et irrémédiables, des actionnaires qui ont perdu leur argent au lieu de

1 "Les cinq leçons de l’affaire BATAM", L’intelligent, 15 janvier 2003. 2 "Plaidoyer pour la transparence", Abdelaziz Barrouhi, l’Intelligent n° 2225, du 31 août au 6 septembre 2003. 3 "Reconstitution de la situation financière au 31 octobre 2002", effectué par Ahmed MANSOUR et associés, Moncef BOUSSANOUGA ZAMMOURI et AMC Ernst & Young.

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s’attendre à des bénéfices sur leurs actions, des milliers de salariés qui ont perdu leurs

emplois, ainsi que toutes les parties prenantes impliquées dans la spirale.

L’intervention de l’Etat tunisien n'a pas tardé pour venir en aide et proposer un plan de

sauvetage pour le groupe BATAM qui souffrait de surendettement et d’insuffisance de fonds

et de provisions pour régler sa situation. Un mandataire de justice a été alors désigné pour

faire un diagnostic sur la gestion et les abus éventuels afin de proposer un plan de

redressement et de négocier un concordat avec les créanciers.

Le plan de sauvetage qui avait pour objectif de sauver les intérêts des différentes

parties prenantes impliquées dans l’affaire BATAM, a entraîné la cession et la liquidation de

plusieurs sociétés, la restructuration de la dette bancaire du groupe, la révision de ses

conditions ainsi que la concession d’abandons partiels, le soutien du pool bancaire créancier

pour l’octroi de nouveaux crédits, l’accord avec les fournisseurs sur les modalités de

remboursement potentiel des créances et la reprise de l’approvisionnement1.

Pour ce qui est de la société HELA et Bonprix, selon l'avis de l'administrateur

judiciaire désigné par l'Etat tunisien pour accomplir une mission de diagnostic, "elles ont été

cédées à des créanciers qui ont de bonnes raisons pour jouer un double rôle d’actionnaires

d’une part et de fournisseurs d’autre part"2.

Les principaux fondateurs du groupe, qui sont les actionnaires majoritaires et aussi les

managers, ont été écartés de la gestion, ont perdu pratiquement tout ce qu’ils ont investi mais

aussi ils ont comparu devant la justice qui les a condamnés à deux ans de prison avec sursis

comme verdict final3.

Les solutions mises en œuvre pour donner un nouvel élan au groupe BATAM ne

semblent pas en réalité fournir des résultats favorables pour les différentes parties prenantes

impliquées dans l’affaire.

En effet, tout le monde, toutes les revues de presse, et aussi les employés interviewés

ne parlent que de cette intervention publique, sans qu’ils ne soient convaincus d’un sauvetage

réel des postes d'emplois, de l'activité du groupe et des intérêts perdus de ses différents

1 "BATAM, suite et fin", L’intelligent du 4 février 2003 2 "Ali Debaya", l’Intelligent du 22 septembre 2003. 3 Selon le chef de service juridique actuel de BATAM.

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partenaires. Selon l'avis d'un banquier opérant à la Banque Centrale de Tunis, "l'intervention

de l'Etat est indispensable pour sauver l'image du pays vis-à-vis des investisseurs étrangers,

qui lui ont confié leurs fonds et qui exigent en contre partie un système de gouvernance

rigoureux, efficace mais surtout capable de protéger leurs intérêts à l'intérieur de la Tunisie.

Cette intervention parait en fait avoir un intérêt essentiellement politique qui vise à classer

l’Etat parmi les principaux acteurs de gouvernance capables d'encadrer les sociétés en

difficultés et de les secourir en cas de besoin ou de crise".

3.2.6. Le sort de BATAM, une fin difficile pour toutes les parties prenantes

Les transformations telles que proposées par l’administrateur judiciaire ont concerné

essentiellement la société mère HELA BATAM et la société Bonprix puisque tout le reste des

sociétés a été cédé, liquidé ou fermé. Pour ce qui est de Bonprix et de la société mère, elles

sont devenues la propriété des créanciers les plus importants, autrement dit des fournisseurs et

des banques dont les pertes étaient immenses. En effet, le plan de sauvetage du groupe

BATAM a suggéré la survie de ces deux entreprises qui revêtent aujourd’hui de nouvelles

caractéristiques et si l’une d’entre elles pourrait éventuellement continuer à survivre, l’autre

ne tarderait de fermer ses portes, selon l’estimation des différentes personnes interrogées à ce

propos.

La crise de BATAM n’a pas représenté une simple crise économique mais a failli être

une véritable catastrophe économique, politique et sociale dans laquelle le gouvernement

tunisien était obligé d’intervenir pour éviter le pire: le risque systémique1 qu’elle pourrait

engendrer pour l’ensemble du pays., et la menace qu’elle pourrait provoquer à l’image de

marque et à la réputation de la Tunisie à l’échelle des pays étrangers qui peuvent à tout

moment retirer leurs capitaux au cas où ils perdent confiance dans nos organismes censés

veiller à la sécurité de leurs fonds et à assurer une bonne gouvernance d’entreprises en

Tunisie.

1 Discours d'un directeur opérant à la Banque Centrale de Tunis.

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3.3. BATAM, un modèle de gestion défaillant et un système de gouvernance inefficient

Le grand échec du groupe BATAM a suscité notre attention et notre curiosité sur les

différents facteurs qui ont fait "la première crise du nouveau capitalisme tunisien"1, et qui ont

engendré des conséquences néfastes aussi bien sur le plan économique que politique et social.

En effet, si BATAM continue encore à exister sur le marché tunisien

d’électroménager, c’est grâce à l’effort et aux décisions politiques de l’Etat, qui tient encore à

la survie des milliers des postes d’emploi de trente quatre filiales, de la société mère, mais

également d’une centaine de points de vente à l’intérieur et à l’extérieur du territoire de la

Tunisie.

On pense alors que ce n’est qu’à travers les recherches, les suivies, les statistiques et la

critique qu’on pourrait corriger les erreurs et les anomalies, et puis, procéder à des

recommandations qui donneraient un autre élan à la gestion et à la gouvernance en général.

Toutefois, le cas du groupe BATAM stimule chez nous une curiosité particulière de

découvrir la réalité du contexte tunisien aussi bien sur le plan micro-économique

qu’institutionnel, de voir de près à quel niveau se situent les défaillances au niveau des

mécanismes internes et externes en matière de gouvernance d’entreprises et de dévoiler

également le "coté sombre" en matière de management.

L’affaire BATAM n’était pas une simple affaire de faillite, mais il s’agissait d’une

véritable catastrophe qui a résulté de la conjugaison de plusieurs facteurs, et qui a mis en

cause la responsabilité de plusieurs acteurs, ayant contribué de loin ou de près à sa situation

actuelle.

En effet, dotée d’une structure simple, "basée sur la centralisation du pouvoir et de la

décision", selon l’avis unanime des répondants, la société mère n’a pas cessé d’honorer ses

engagements envers toutes ses filiales jusqu’à ses derniers jours.

1 Réponse d’un dirigeant d’une banque privée au cours d’un entretien avec "L’intelligent", cité dans "les cinq leçons de l’affaire BATAM", L’intelligent du 15 janvier 2003.

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A travers les résultats des entretiens et des documents disponibles, nous avons pu

relevé qu’aucune entreprise du groupe BATAM ne disposait, pratiquement, d’une autonomie

pour la conduite de ses affaires, mais elles bénéficiaient toutes d’un encadrement presque total

de la part de la société mère et d’une assistance au niveau des différents actes de gestion ainsi

qu’au niveau du financement de leur activité.

La mise en place d’outils de gestion moderne ainsi que de logiciels et de technologie

n’a pas permis au groupe, selon l’avis unanime des personnes interrogées, de préserver son

classement de Leader sur le marché, et de résoudre ses problèmes devenus de plus en plus

graves, mais bien au contraire, certains interviewés pensent que "ces méthodes de gestion

modernes ne semblaient qu’augmenter ses dépenses et alourdir ses charges à défaut d’une

utilisation rationnelle".

3.3.1. Le personnel du groupe, une véritable cause de défaillance

Les entretiens réalisés avec un bon nombre de collaborateurs du groupe BATAM nous

ont permis de comprendre que le personnel a représenté une véritable cause de défaillance. Le

PDG du groupe, les consultants, les directeurs, les cadres et les salariés, chacun, en fonction

de son statut, a joué un rôle dans la chute de BATAM.

3.3.1.1. Le PDG du groupe, un véritable chef d’orchestre

"L’esprit régnant de BATAM, c’est celui de l’appartenance à une seule famille, et

d’avoir les mêmes intérêts", ont fait remarquer la majorité des répondants. Le caractère

familial du groupe a été fortement critiqué par les interlocuteurs en tant que facteur qui n’a

pas permis la séparation des trois fonctions, à savoir, la décision, l’exécution et le contrôle au

sein de l’entreprise.

"La confusion de ces trois fonctions a engendré la naissance d’un Leader (l’homme

orchestre), et c’est le type de problème que l’on trouve souvent dans les PME en Tunisie", a

affirmé le PDG actuel de BATAM.

La plupart de nos interlocuteurs ont signalé également que deux ou trois personnes,

quelle que soit leur compétence et leur bonne volonté, ne peuvent être à la fois juges et

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parties, assumer la responsabilité du législatif et de l’exécutif d’une entreprise, surtout

lorsqu’il s’agit d’une quarantaine d’entreprises filiales.

En effet, vu qu’il était le fondateur principal de BATAM en 1988, l’homme qui a fait

sa gloire et son succès sur une décennie, le PDG du groupe assurait à la fois la présidence du

conseil d’administration, celle de la direction générale et aussi celle des différentes filiales

qu’il a créées dans le cadre de diversification de ses activités.

Cependant, ses expériences et ses compétences ne lui ont pas permis d’assurer à la

fois la gestion nécessaire et le contrôle efficace d’un groupe de sociétés qui opèrent dans un

environnement très dynamique et très évolutif, selon l'avis de tous.

"L’absence de contre pouvoir susceptible de contrebalancer les pouvoirs

hégémoniques des principaux dirigeants de BATAM, n’a pas permis dès lors, d’instaurer un

processus de gestion saine et rationnelle"1.

Il parait que l’un des éléments fondamentaux qui n’ont pas favorisé la souplesse du

système de management de BATAM, c’est la centralisation du pouvoir et de la décision entre

les mains d’une seule personne.

Ainsi, a affirmé un ancien stratège: "le PDG de BATAM m’a permis de découvrir une

mentalité spécifique au Tunisien, celle de la personne qui ne fait confiance qu’à ses propres

actes, ses propres décisions et sa propre manière de voir les choses, surtout quand elle fait

preuve de réussite durant des années, le personnel ne devient pour elle que des exécutants,

surtout lorsqu’il s’agit du niveau le plus bas de la hiérarchie".

D'après tous les entretiens qu'on a pu réaliser, nous avons pu constater que le fait de

"donner aux participants le sens de la fierté d'appartenir à un géant de la distribution et faire

aligner leurs objectifs sur ceux de l'entreprise"2 existait uniquement sur papier, puisque toutes

les personnes interrogées ont reproché l'absence de prise de décisions collégiale et ont insisté

sur la centralisation du pouvoir et de la décision au niveau de la direction générale et surtout

entre les mains du PDG.

1 Ridha Lahmar, "Convictions: BATAM : y a-t-il des enseignements à tirer", L’intelligent, octobre 2003. 2 Document interne de BATAM qui s'intitule: "formation, plan annuel 2001".

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Les décisions stratégiques liées à l’expansion du territoire du groupe, prises dans des

moments jugés non opportuns, prouvent en fait que la participation des membres de

l’entreprise à la prise de décisions était faible ou même quasiment absente.

"Malgré tous mes efforts avec le PDG du groupe, pour ne pas créer de nouvelles

sociétés avec la base insuffisante de fonds propres que nous avions, il était têtu et très

ambitieux", nous a répondu une proche collaboratrice du PDG, en affirmant que ce dernier

visait aussi l’expansion à l’échelle internationale bien qu’il ne soit pas prêt financièrement à

ce genre de politiques.

En outre, en parlant de leur PDG, presque toutes les personnes interrogées ont insisté

sur une attitude particulière, en disant que "le PDG de BATAM ne voulait entendre que les

bonnes choses", et de ce fait, l’intervention des différents membres de la société ne pouvait,

en aucun cas, être objective, mais "tout le monde chez BATAM devait s’identifier aux idées

du PDG et non pas aux objectifs de la société, s’ils souhaitent rester au sein du groupe", ont

répondu quelques salariés interrogés.

La sous-estimation des compétences des employés n’a engendré que des résultats

désagréables, à savoir une asymétrie d’information et un problème de communication.

"Lorsque je proposais au PDG de BATAM des plans stratégiques et tant d’idées que j’ai

apprises à l’étranger, où j’ai fait mes études, et quand je lui parlais de la plus grande école de

commerce aux Etats-Unis, il se contentait de répondre ainsi: apporte-les moi, et tu verras

comment je leurs donnerais les véritables cours de commerce qu’ils n’ont jamais vus", a

raconté un ancien chargé de mission ayant fait ses études de stratégies d’organisations au

Canada en ajoutant: "quand je demandais au PDG d’expliquer aux petits salariés comment ils

devaient faire pour atteindre l’objectif, il se contentait de répondre: "ce n’est pas la peine, ces

gens ne comprennent rien, ils ne savent que A, B, C,… ".

Cette confiance en soi nous parait un atout pour un chef d’entreprise, mais qui devient

une grande erreur si elle se transforme en sous estimation des compétences des autres, surtout

lorsqu’il s’agit de ses propres employés, même ceux du niveau le plus bas de la hiérarchie.

"Même les femmes de ménages, elles n’étaient pas à la hauteur, elles ne cessaient de

voler en se promenant entre les rayons faisant semblant de faire leur boulot", a déclaré un

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employé de Bonprix, en disant que "cette filiale était déficitaire non pas parce qu’elle venait

de démarrer son activité, mais parce que la marge bénéficiaire sur les produits alimentaires est

tellement faible, contrairement aux autres produits, et tellement les vols étaient énormes dans

les magasins, que les taux d’écarts n’ont jamais été respectés. Ajoutant à cela les

marchandises périmées et dont personne ne s’occupait, et aussi les ‘magouilles’ au niveau des

caissiers, l’affaire devrait être sans doute déficitaire".

D’un autre côté, d’après tous les avis que nous avons pu recueillir, les propriétaires de

BATAM qui en sont également les managers ont adopté une politique de recrutement, à 80%

à peu près, de type familiale, en favorisant le recours à un personnel apparenté et souvent bien

rémunéré dans le but d’asseoir fondamentalement la maîtrise de l’entreprise sur des

considérations de confiance. Malheureusement, en observant le rôle qu’a joué le personnel

dans la chute de BATAM, nous constatons que cette politique n’a pas atteint son objectif

puisque ce dernier, quoi qu’il soit composé essentiellement de proches ou d’amis de la famille

des dirigeants, n’ont pas cessé d’agir et d’opérer pour leur propre compte jusqu’aux derniers

jours de la vie de la société, selon les différents entretiens que nous avons réalisés.

3.3.1.2. Les défaillances se situent d’abord au niveau très haut de la hiérarchie

"La direction générale de BATAM n’avait pas besoin de personnel qui négocie, qui

discute, qui propose et qui participe à la prise des décisions, mais plutôt de personnes qui

exécutent les ordres et qui atteignent les objectifs fixés par tout moyen", nous ont affirmé une

dizaine de personnes interrogées.

En effet, chez BATAM, et d’après les informations collectées auprès des différents

salariés de l’entreprise, nous avons pu distingué deux catégories d’employés :

- La première catégorie est celle des employés qui avaient un lien de parenté avec la famille

des principaux dirigeants, autrement dit qui leurs étaient des proches ou des amis. Cette

catégorie d’acteurs représentait une majorité dans le groupe, ils étaient les plus gâtés et les

plus satisfaits puisqu’ils étaient les mieux rémunérés et jouissaient de tous les avantages qu’ils

demandaient (des voitures, des bons d’essence, des villas, des prêts…).

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Quel que soit leur niveau intellectuel et peu importaient leurs diplômes et leur profil,

ces gens étaient affectés dans des postes de directeurs, de consultants, de chefs de services, de

chefs de magasins, et de responsables d’équipes en général.

Néanmoins, malgré les milliers de dinars qu’ils recevaient à la fin de chaque mois et

tous les privilèges que leur PDG leurs offrait par rapport au reste de l’équipe de

l’organisation, on estime, selon les réponses des personnes interrogées, qu’ils avaient une part

importante de responsabilité dans la chute de BATAM.

- La deuxième catégorie est celle du reste des employés, les 20% restant qui n’avaient pas un

lien directe avec la famille des dirigeants, mais qui n’étaient pas aussi embauchés en passant

par les pratiques de la gestion des ressources humaines, autrement dit à travers un concours ou

une candidature à un poste défini. Pour cette catégorie aussi, on n’acceptait jamais les

"inconnus"1.

En effet, lorsqu’un besoin en personnel, dans n’importe quel poste, s’imposait, c’était

toujours la même question qui se posait à un directeur, à un consultant, ou à un autre: "est-ce

que vous connaissez quelqu’un de confiance et de compétent pour ce poste ?" A déclaré un

interviewé. Et là, dans cette catégorie, on retrouve donc l’ami de l’ami, le cousin du cousin ou

le proche d’un proche, l’essentiel pour le PDG, c’est qu’il soit "une personne connue"2. Et

c’est ce que beaucoup de nos interlocuteurs ont appelé le "système de recommandation" pour

décrire le système de recrutement chez BATAM.

Les rémunérations des employés appartenant à cette deuxième catégorie étaient au

contraire raisonnables, mais non équitables par rapport à la première. Cette répartition

inégalitaire a, en effet, incité à la jalousie et a fait naître un sentiment de haine entre les

catégories, et par conséquent a favorisé l’apparition des conflits, des fraudes, des vols, et

surtout de la notion du travail en clans, très apparente chez BATAM, d’après les avis donnés

par un salarié du service comptabilité, un ancien stratège du groupe et un responsable d’une

filiale.

1 Un terme utilisé par plusieurs répondants. 2 Idem.

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"Il fallait que les deux catégories s’estiment heureuses parce qu’elles appartenaient à

une boite comme BATAM", a raconté la secrétaire de la direction générale en ajoutant que

"c’était plutôt un abus de confiance, de gentillesse et de générosité de la part du PDG, qui ont

constitué une des cause de la déficience et une des raisons de la faillite du groupe. Les faveurs

accordées à un bon nombre d’employés n’ont engendré q’un dépassement des limites qui

leurs ont été tracées, et n’ont favorisé que des comportements orientés dans un seul sens :

celui de leurs propres intérêts, malgré le paradis dans lequel ils vivaient… ".

3.3.1.3. Des consultants inefficaces

"Les consultants avaient pour mission d’assister la direction générale, de conseiller le

PDG, et d’être toujours prêts pour favoriser les bons choix. Ce que nous pouvons remarquer,

c’est que ces acteurs n’ont pas essayé d’initier leur patron et de lui montrer les défaillances au

niveau de ses décisions et de ses choix stratégiques, pourtant ils étaient des professeurs

universitaires, des chercheurs et des personnes hautement qualifiées", nous a déclaré un

chargé de mission ayant mis en place l’unité recherches et développement au sein de la

société mère.

Cette même personne qui était à un certain moment très proche du PDG et de la

direction générale a ajouté que, "énormément de choses peuvent être critiquées chez BATAM,

et il faudrait peut être commencer par son personnel qui n’a jamais été choisi ni recruté sur la

base d’offre d’emploi, comme toute autre société qui lance un appel d’offre pour recueillir le

profil adéquat au poste vacant…Chez BATAM, tout les membres de son personnel étaient

soit des cousins, soit des amis. On ne désignait jamais des personnes "inconnues" dans

n’importe quel poste de la hiérarchie, et c’était également le cas pour les consultants : la

recommandation régnait".

Plusieurs mesures, qui sont en principe du ressort et de la responsabilité de ces

derniers, auraient dues être mises en œuvre pour assurer toujours chez BATAM un système

flexible, capable de résister contre les imprévues, mais surtout capable de s’adapter au

changement du contexte environnemental et à la nouvelle taille du périmètre du groupe. Un

interviewé nous a dit à ce propos : "même si on est Leader sur le marché, il est important de

suivre le rythme de la croissance de l’environnement, de s’ajuster aux changements, de

changer de moyens, de structures et d’attitude face à l’environnement, il est important

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également de prendre en considération les nouveaux concurrents et les produits de

substitution et de savoir confronter les imprévues telles que la décision qui a émané de la

Banque Centrale de Tunisie et dont l’objectif était de limiter les crédits accordés aux

entreprises trop endettées et respecter les taux d’endettement fixés. Et là je considère les

consultants comme premiers responsables de la conséquence grave qui a résulté de l’absence

de toutes ces mesures jugées fondamentales".

Il parait logique que pour une personne payée par une autre que cette première agisse

conformément aux désires de la seconde et qu’elle ne puisse s’opposer à ses avis et ses points

de vue. C’est ce qui se passait en fait avec des consultants « béni-oui-oui », qui, malgré leurs

profils souvent intéressants, ne pouvaient oser s’opposer à leur patron puisque d’abord « il ne

voulait entendre que les bonnes choses », ensuite parce que leur rémunération dépendait de

lui.

Presque toutes les personnes qui ont été interrogées ont utilisé les termes "manque de

rationalité" pour décrire le processus de la prise de décisions au sein du groupe.

"Ce que j’ai observé chez BATAM, c’est que les décisions stratégiques et toute sa gestion

n’étaient pas construites sur des bases scientifiques, il n’y avait aucune base d’études et aussi

aucune considération de causes à effets", nous a expliqué un ancien stratège.

D’autres ont ajouté que "les chiffres étaient l’unique référence pour voir si tel

responsable était ou non bosseur, sérieux, ou honnête, on ne regardait jamais les moyens mis

en œuvre pour atteindre ces chiffres là".

C’est peut être la raison pour laquelle plusieurs anomalies ont été constatées lors du

redressement du groupe par des experts indépendants, surtout au niveau des ventes dont une

partie importante était fictive.

En effet, les ventes fictives ont constitué une défaillance extrêmement grave qui a

induit le PDG et toute la direction générale en erreur. Ces ventes ont été expliquées par deux

interlocuteurs, opérant jusqu’à présent chez BATAM au sein du service inspection générale,

évaluation des écarts et contrôle de stock, comme étant un comportement ou plutôt une

réaction de la part des vendeurs et des responsables de vente, face à une évaluation de

compétences faite sur la base de la réalisation de l’objectif, d’une part, et parce que tout

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responsable de vente qui ne réalisait pas l’objectif fixé à la fin de chaque mois était fortement

insulté au cours des réunions des principaux dirigeants d’autre part. Pour éviter qu’ils soient

ainsi traités, ou qu’ils soient renvoyés carrément de l’entreprise, et en même temps pour

gagner les primes que BATAM distribuait à son personnel lorsqu’il dépasse son objectif (des

commissions qui dépassaient de loin les salaires), les responsables des ventes optaient pour

des manières frauduleuses de différentes sortes.

"Les solutions existent toujours pour échapper aux leçons de moral et aux insultes au

cours des réunions des trois frères qui dirigeaient l'entreprise. Il y avait certainement des

passations fictives d’entrée d’argent avant le 31 du mois et des annulations de ces opérations

juste après le 31 du même mois, autrement dit, après la réunion. Et enfin, voilà le résultat : un

chiffre d’affaires fictif qui a induit les banques, le marché financier, les fournisseurs et aussi la

direction générale en erreur. Et d’autre part, des commissions très élevées distribuées à un

personnel qui, au lieu d’être sanctionné, on le récompensait par des primes parce qu’on

croyait qu’il avait atteint l’objectif", nous a raconté un salarié du service inspection générale.

D’autres personnes interrogées ont ajouté que ce genre de choses n’a pas émané

uniquement des responsables de magasins ou de simples vendeurs mais aussi des directeurs

qui occupaient des postes supérieurs, et qui, par un simple coup de téléphone, faisaient

l’affaire pour garder une bonne réputation devant la direction générale, et pour éviter surtout

d’entendre la phrase habituelle du PDG : "chez BATAM, ou on travaille ou on rentre, sachant

que travailler ne signifiait pour lui que réaliser l’objectif tracé, et par n’importe quel moyen,

sinon on est massacré", nous a expliqué un ancien chef de service livraison client en ajoutant

que "c’était des réunions d’harcèlement, pour tous ceux qui ne faisaient pas les chiffres

demandés".

Cette même personne qui faisait aussi l’étude des écarts chez BATAM nous a parlé de

factures passées sans aucun moyen de règlement dans le but de gonfler le chiffre d’affaires, en

disant que ces factures faisaient l’objet d’instance de règlement, parfois sans procéder à leur

annulation, une fois la réunion terminée.

"A un certain moment, les instances de règlement ont été estimées à 7 MDT. Quand le

PDG a été mis au courant de cela, il était très énervé, mais aucune mesure n’a été toutefois

prise. Je me rappelle un jour, en faisant l’étude de l’écart au niveau des stocks de

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marchandises, j’ai dégagé une différence de 300 000 DT, le lendemain, on a apporté aux

directeurs de magasins de nouvelles voitures 406. Voilà comment se déroulaient les choses

chez BATAM", a déclaré un salarié opérant toujours dans le service inspection générale.

L’étude documentaire que nous avons effectuée confirment également que les écarts

au niveau des stocks étaient très élevés, et que tous les magasins dégageaient pratiquement

des écarts de stocks rarement positifs mais souvent très négatifs.

En effet, pour valider les informations de ce salarié interviewé, les documents

consultés qui ont fait le diagnostic de la situation comptable et financière du groupe après la

désignation d’un administrateur judiciaire, ont donné le résultat suivant : "à l’issu de chaque

journée commerciale, un rapprochement devrait normalement être effectué entre le chiffre

d’affaire réalisé et les moyens de règlement reçus en contre partie. La recette du jour est

transférée à la direction centrale. Les écarts constatés au niveau de la trésorerie sont inscrits

en instance de caisse. Au 31 octobre 2002, les instances de caisse du groupe totalisent 8.7

MDT »1.

Par ailleurs, si la majorité de nos interlocuteurs ont accusé les banques et

essentiellement la Banque Centrale, d’avoir contribué directement à la chute "brusque" de

BATAM, quelques personnes interrogées ont plutôt insisté sur le rôle extrêmement important

qu'aurait pu jouer le personnel dans une chute à long terme de l’entreprise. "Même si les

banques n’avaient pas pris des mesures pour arrêter l’escompte, les facilités de caisses et

l’endettement en général, la faillite de BATAM serait certainement venu un jour ou un autre,

et je dirais que son personnel reste à l’origine de ce scandale", a commenté un salarié

interviewé.

Deux autres phénomènes décrits par certaines personnes interrogées devraient

également être pris en considération dans la mauvaise conduite des affaires chez BATAM.

D’abord, la détention de l’information de la part des supérieurs, et là il s’agit d’un problème

de communication, et d’enracinement qui rend difficile l’atteinte des objectifs. Ensuite, le

travail "en clans" qui supprime l’esprit de groupe et de la collectivité en faveur de

1 "Reconstitution de la situation financière au 31 octobre 2002", effectué par Ahmed MANSOUR et associés, Moncef Boussanouga Zammouri et AMC Ernst & Young.

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l’individualisme apparemment très développé à tous les niveaux hiérarchiques de

l’organisation.

Un ancien conseiller stratégique nous a parlé de ces phénomènes en disant : "plusieurs

choses m’ont choqué en Tunisie et particulièrement dans la société BATAM, c’est que les

cadres, les directeurs, et les supérieurs en général ne communiquaient pas l’information à

leurs subordonnés. Ce que j’ai découvert en fait, c’est que la mentalité des employés était telle

que celui qui détient l’information détient le pouvoir, or je dirais que celui qui sait gérer

l’information est celui qui détient le pouvoir. Dans un autre côté, la majorité des employés

étaient associés à des clans, et j’étais surpris quand j’ai vu des directeurs de magasins et autres

partir une minute après le départ du PDG et de la direction générale. Lorsque le PDG et ses

assistants faisaient un contrôle d’une série de magasins, le responsable du premier magasin

appelait les autres pour leurs passer l’information quelques secondes après le départ du

PDG ».

Il semble que le recrutement d’un personnel apparenté n’a pas suffit pour garantir des

relations de confiance et de coopération, sur lesquelles le PDG a beaucoup compté.

En fait c’est surtout au niveau des stocks que résidaient les défaillances les plus

graves, et que tout le monde a fait remarquer même les personnes qui ne faisaient pas partie

de l’entreprise. « Je n’ai jamais vu un stock de marchandises aussi désordonné que celui de

BATAM, des articles périmés, des marchandises défectueuses, regroupées l’une sur

l’autre… » Nous a déclaré un banquier interrogé.

Une autre personne opérant dans le contrôle de stocks a ajouté que "chez BATAM,

l’écart des stocks a toujours dépassé 10% du chiffre d’affaires alors qu’il ne devait pas

atteindre 0.5%, et tout le malheur, c’est que personne n’a été sanctionné par la tâche ‘contrôle

de stocks’…il y avait une fois quand j’ai dégagé un écart de 50 000 DT dans un magasin géré

par l’épouse d’un actionnaire majoritaire qui était lui-même un dirigeant, je l’ai mise au

courant de cet écart très significatif mais comme réponse, je n’ai entendu que : "corrige le

stock et on passe".

D’après tout ce qu’on a pu entendre, on pourrait dire que les failles à ce niveau

provenait essentiellement du fait qu’on ne jugeait les gens que sur ce qu’ils faisaient comme

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chiffre d’affaires en négligeant complètement la manière avec laquelle ce chiffre était atteint.

"L’écart annuel a parfois dépassé 1 MDT", a commenté un chef service.

La divergence des intérêts des différents acteurs de BATAM a été également

remarquée à travers les réponses des interlocuteurs : "Le directeur approvisionnement a

convaincu notre PDG d’un achat de marchandise sans aucune utilité pour l’entreprise, qui

nous a coûté des milliers de dinars et qui sont jetées jusqu’à présent dans les entrepôts. Cette

affaire a certainement été bénéfique aussi bien pour le fournisseur que pour notre directeur

approvisionnement!",a expliqué un interviewé.

La tâche approvisionnement a été complètement inefficiente chez BATAM, parce

qu’il est claire que "les relations entre les fournisseurs et le directeur approvisionnement

étaient basées sur « l’enveloppe donné sous la table", et par suite la marchandise achetée en

grande quantité reste en stock jusqu’à ce qu’elle subisse les conséquences d’une obsolescence

technologique », selon la déclaration d’un directeur de la Banque Centrale.

Cet avis a été partagé par d’autres salariés qui opèrent dans le service inspection qui

pensent que la fonction approvisionnement a causé au groupe des préjudices importants et que

personne ne pouvait le réclamer puisque le directeur approvisionnement était un proche du

PDG.

3.3.1.4. Les salariés, également impliqués dans l’affaire BATAM

"Les vols étaient énormes et inimaginables. Notre organisation a beaucoup souffert de

son personnel, qu’il soit apparenté ou non et à différents niveaux de la hiérarchie. Nous avions

par exemple une personne qui était arrêtée en justice pour transfert de 100 000 DT pour son

propre compte". A commenté un salarié.

La fraude, les vols, les dessous de tables, la corruption en général est un phénomène

qui existe pratiquement dans la majorité des entreprises aussi bien à l’échelle locale qu’à

l’échelle internationale. Cependant ces phénomènes nous paraissent un peu exceptionnels

chez BATAM étant donné que la société était fortement basée sur un esprit dominant: celui de

l’appartenance à une seule famille et la convergence des intérêts.

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Un ancien salarié de la filiale Bonprix a affirmé que les écarts provenaient

essentiellement des vols en disant que « les vols étaient très organisés, je me souviens un jour

que les caméras ont pu attraper certains salariés (l’agent de sécurité, le chef du rayon, et

certains ouvriers) voler les boites de thon dont la valeurs a atteint 80 000 DT. C’était tout un

circuit : une personne transportait les boites de thon de l’entrepôt à la poubelle qui était à

l’extérieur, l’agent de sécurité les amenait de la poubelle jusqu’à un véhicule qui venait

spécialement pour cela, et une autre personne les commercialisait ailleurs".

En fait, ni les vols ni les erreurs ne suffisent pour expliquer les écarts au niveau des

stocks de marchandises, mais il nous semble crucial de prendre en considération d’autres

facteurs aussi importants que ceux qui les précèdent, et dont seules quelques personnes

interrogées ont accepté de nous parler : "les dons, les cadeaux et les sous tables n’ont pas

permis aux filiales de dégager des marges confortables mais au contraire, la plupart d’entre

elles était déficitaire. On vit dans un contexte qui nécessite ce genre de choses (avec les

différents organismes du pays) pour faciliter les affaires", a déclaré un salarié.

3.3.1.5. Recrutement, promotion et rémunération chez BATAM

Le fait de ne recruter que "des proches, des cousins ou des amis des actionnaires" était

un principe fondamental chez BATAM en vue d’asseoir les relations au sein du groupe sur

des bases de confiance, et de coopérer dans une ambiance familiale privée de fraude et de

malentendus.

Mais 70% de nos interlocuteurs ont utilisé des mots comme "personnes parachutées,

pistonnées", pour décrire le système de recrutement. "Le principe même de l’homme qu’il

faut à la place qu’il faut n’existe pas à BATAM", ont expliqué une dizaine de personnes

interrogées.

Ce principe fondateur de la politique du groupe n’a pas favorisé, en fait, la séparation

entre le capital et la gestion et n’a pas préservé l’autonomie dans la prise de décisions, vu que

80% de personnel ou même plus étaient embauchés soit par un intermédiaire soit parce qu’il a

une relation quelconque avec la famille des dirigeants (ami ou proche).

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Quant à la politique de rémunération des différents employés, celle-ci a été fortement

critiquée non seulement par nos interlocuteurs, mais aussi par le rapport de diagnostic de la

situation financière de BATAM.

La majorité des personnes interrogées ont utilisé les mots "élevés, non équitables"

pour décrire le niveau salarial chez BATAM.

La minorité qui a fortement défendu le niveau des salaires était constituée des

directeurs, selon eux, "le salaire qu’on recevait était proportionnel au volume de travail qu’on

effectuait", ont affirmé, par exemple, le directeur Marketing et le directeur commercial.

Cependant il faudrait dire que le travail était énorme pour tout le monde au sein de

l’organisation d’après ce qu’on a pu observer dans les bureaux des employés appartenant à

toutes les catégories hiérarchiques même après la crise.

Mais la réalité des choses chez BATAM, était telle que, d’abord, les salaires "n’étaient

pas distribués d’une manière équitable puisque moins de 20% du personnel recevait plus des

80% des salaires", selon la déclaration de certains salariés.

Pour vérifier en fait ce qui a été dit par les personnes interrogées, nous avons demandé

à chaque directeur "combien vous touchiez par mois ?", un directeur sur quatre a accepté de

répondre à la question, les autres ont refusé.

En effet, les milliers de dinars qu’ils recevaient à la fin de chaque mois contrairement

aux salaires modestes que les simples employés touchaient s’explique par la simple raison

qu’ils étaient des proches ou des amis du PDG.

"Les personnes parachutées étaient très bien rémunérées", a commenté un salarié en

ajoutant que "le reste avait une rémunération normale et vivaient sur l’espoir d’avoir leurs

privilèges (voitures, villas, bons d’essence, voyages, primes très élevées…)".

Plusieurs autres personnes parmi nos interlocuteurs ont attiré notre attention sur des

employés dont le profil ne correspondait pas au poste qu’ils occupaient "un autre point qui me

semble très grave, c’est que plusieurs personnes occupent des postes supérieurs qui

nécessitent de la responsabilité alors qu’elles n’étaient pas aptes à l’assumer ni du point de

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vue profil, ni du point de vue de l'expérience…l’informaticien par exemple qui a fait

l’installation des ordinateurs, du réseau et du matériel informatique au "call center" de la

société a été désigné pour le poste de directeur de ce centre d’appel alors qu’il n’y connaissait

rien dans ce domaine", nous a raconté un ancien stratège.

Cette même personne ainsi que la majorité des autres qui étaient interrogées ont ajouté

qu’il y avait des personnes qui valaient sur le marché de travail des milliers de dinars et qui

étaient rémunérées beaucoup moins à BATAM et vis vers ça.

Nous pensons que le problème revient toujours à la domination du caractère familial et

à la culture des principaux dirigeants qui étaient eux-mêmes des actionnaires majoritaires et

aussi les membres du conseil d’administration.

En fait il n’y avait pas que cela, mais un autre problème qui s’avère également

important et qui était évoqué par l’expert comptable actuel de BATAM, c’est que la

rémunération n’était pas fixée sur des bases sérieuses de calcul de ratios de gestion, mais

aucune considération n’a été prise pour les techniques et les normes suivant les quelles les

salaires auraient dus être calculés.

En outre, si on se dirigeait vers la rémunération que le PDG se permettait de se

procurait et aussi celle de ses deux frères, on dirait que les milliers de dinars que les directeurs

recevaient mensuellement ne sont que des miettes devant 120 000 DT par mois au minimum

accordés à trois personnes de la direction générale, selon la déclaration de différents

interviewés.

La charge salariale a constitué un facteur très défaillant qui a aggravé la situation

financière du groupe et qui à évolué rapidement en passant de 48% de la valeur ajouté dégagé

au titre de l’exercice en 1998, à 56% en 1999, 59% en 2000, et enfin elle a atteint 88% de la

valeur ajouté dégagé en 20011.

La charge salariale a constitué selon les entretiens mais aussi les documents, une

véritable cause de difficultés du groupe. "Cette évolution substantielle des frais du personnel,

1 "Le diagnostic de la situation et des causes des difficultés du groupe BATAM", effectué par Ahmed Mansour et associés, AMC Ernst et Young, cabinet Moncef Boussannouga Zammouri.

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moyennant un rythme supérieur à l’augmentation du chiffre d’affaire et à la variation de la

valeur ajoutée, a constitué l’une des causes du déficit enregistré durant les exercices 99-

2000"1.

Pour ce qui était de la promotion à l’intérieur du groupe, un cadre de la société mère et

un autre de la filiale Bonprix ont commenté que "pour bénéficier d’une promotion ou d’une

augmentation de salaire, il ne fallait pas avoir un profil extraordinaire ou des compétences

distinctives, mais il suffisait tout simplement d’être positif et loyal, autrement dit, il suffisait

de répéter tout le temps les termes "d’accord, Ok, bien entendu …"et surtout ne pas parler des

insuffisances".

En entendant en effet les réponses des différents autres salariés, on pense que les

supérieurs de BATAM n’avaient pas besoin de compétences mais plutôt d’une soumission, et

c’est peut être la raison pour laquelle "le personnel de BATAM n’était pas motivé vu qu’il n’y

avait pas de responsabilisation pour ce dernier d’une part, et vue que l’évaluation des

employés ne s’est jamais basée sur une gestion de carrière, ou sur la base de compétence, ou

d’ancienneté, mais toute la direction générale avait uniquement pour critère d’évaluation les

chiffres réalisés sans aucune considération de cause à effet", a commenté la plupart de nos

interlocuteurs.

Par ailleurs, la majorité des réponses obtenues ont mis l'accent sur le fait que BATAM

était une société qui dépendait des personnes, autrement dit ce qui importait pour la direction

générale c’était les personnes et non pas la manière avec la quelle tel responsable a réalisé de

bons résultats. " … tel magasin a fait un bon chiffre parce que son directeur était excellent …

et ce qui s’est passé par la suite, c’est que ce directeur même a ouvert un point de vente pour

son propre compte et est devenu un concurrent ", a ajouté un cadre.

1 "Le diagnostic de la situation et des causes des difficultés du groupe BATAM" effectué par Ahmed Mansour et associés, AMC Ernst et Young, cabinet Moncef Boussannouga Zammouri dans le cadre d’une mission de redressement judiciaire du groupe BATAM.

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3.3.2. Un management défaillant et des choix stratégiques inefficients

Si un nombre restreint de personnes interrogées a fait remarquer que le personnel du

groupe BATAM a été à l’origine de ses défaillances, la création des filiales a été considérée

par tous comme un facteur déterminant dans la chute de ce groupe.

Toutes les réponses que nous avons obtenues nous amènent en fait à conclure que la

diversification disproportionnée par rapport aux fonds propres des propriétaires et de la

société a été à l’origine des difficultés du groupe.

"L’insuffisance de fonds propres et l’octroi de nombreux crédits bancaires et non

bancaires, pour créer de nouvelles filiales, couvrir leurs charges et résoudre leurs problèmes

financiers ont constitué de fausses bases pour une extension mal étudiée", nous a expliqué

l’expert comptable actuel.

Il apparaît donc que les problèmes de BATAM ont commencé avec l’élargissement de

son territoire.

Cette politique a été critiquée non seulement par toutes les personnes interrogées mais

également par le rapport des experts indépendants1, qui a expliqué que "l’indisponibilité de

ressources propres et suffisantes pour soutenir sa politique de développement externe et pour

pourvoir aux besoins financiers additionnels qui en découlent, a eu pour effet de fragiliser

excessivement le groupe dans son ensemble, d’augmenter sa dépendance au secteur bancaire

et de générer, faute d’études sérieuses, tant au niveau du groupe qu’au niveau de ses

financiers et bailleurs de fonds, les vrais causes de ses difficultés présentes".

En effet, si le rapport du diagnostic de la situation et des causes des difficultés du

groupe BATAM a mis en valeur les insuffisances d’ordre financier que la création

d’entreprises filiales a engendré pour la société mère, les personnes interrogées ont plutôt mis

l’accent sur les insuffisances d’ordre managérial. Un directeur financier a déclaré par exemple

que "les filiales étaient mal gérées, ou plutôt il n’y avait pas de gestion, de direction, de rien

du tout…elles souffraient non seulement d’insuffisances de ressources financières mais

également de personnel, d’organisation, et de tout ce qu’il faut pour une entreprise".

1 "Le diagnostic de la situation et des causes des difficultés du groupe BATAM", effectué par Ahmed Mansour et associés, AMC Ernst et Young, cabinet Moncef Boussannouga Zammouri.

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Plusieurs autres répondants ont insisté sur les conséquences de la centralisation du

pouvoir et de la décision au niveau du groupe, en disant que deux ou trois personnes, quelles

que soient leurs connaissances, ne peuvent s’occuper d’une trentaine d’entreprises.

D'autres ont plutôt mis l'accent sur les erreurs et les faiblesses de la gestion des

femmes des principaux dirigeants qui étaient responsables et propriétaires de certaines

entreprises filiales (telles que Intimité, Galerie des marques, Smak, Batama…) et qui n'étaient

pas dotées d'un certain professionnalisme pour la bonne conduite de ces filiales.

En effet, en parlant de la création de ces entreprises, la majorité des répondants ne se

sont pas retenus de répéter la phrase suivante : "vous savez, lorsque les femmes rentrent dans

un domaine d’affaires, l'échec est certain".

D’autres ont expliqué que les filiales étaient simplement "des jeux entre les mains des

conjoints des principaux dirigeants de BATAM, qui n’étaient pas prises au sérieux ni au

niveau de la gestion ni à d’autres niveaux".

D'après les statistiques disponibles, nous avons pu confirmer que ces entreprises

avaient des résultats constamment négatifs. (Intimité avait un résultat cumulé négatif de 1 064

554 DT durant les années 1998-2001, Galerie des marques avait également un résultat cumulé

négatif de 1 528 067 DT au cours de la période 1999-2001, SMAK aussi avait un résultat

négatif estimé à 4 412 178 DT pour l'année 2001, date de sa création…)1.

Certes la politique de développement externe adoptée par le groupe BATAM a stimulé

de manière significative sa croissance et la progression rapide de son chiffre d’affaires, mais

elle lui a néanmoins causé d’incommensurables préjudices.

Le recours abusif aux organismes bancaires pour le financement externe de l’activité

du groupe ainsi que pour la résolution des divers problèmes financiers des filiales, a alourdi le

compte des charges financières de la société mère Héla BATAM qui, selon le rapport des

experts indépendants "n’a pas su s’adapter à temps pour assumer son nouveau rôle de société

1 "Le diagnostic de la situation et des causes des difficultés du groupe BATAM", effectué par Ahmed Mansour et associés, AMC Ernst et Young, cabinet Moncef Boussannouga Zammouri dans le cadre d’une mission de redressement judiciaire du groupe BATAM.

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mère et ne s’est pas dotée de moyens adéquats pour assurer l’encadrement du groupe, son

pilotage et sa maîtrise"1.

En effet, toutes les personnes interrogées sans exception considèrent la naissance de

ces entreprises comme un choix irréfléchi de la part de leur PDG, "qui refusait d’écouter les

conseils et qui prenait seul les décisions stratégiques", a raconté la secrétaire de la direction

générale.

Ainsi, tout le monde chez BATAM pense que si la société mère HELA

d’électroménager et de confort avait focalisé ses efforts sur son activité initiale qui est la vente

à crédit des produits électroménager, elle aurait pu éviter les charges supplémentaires, elle

aurait pu donc éviter le recours excessif à l’endettement bancaire et non bancaire, et par

conséquent, elle aurait pu éviter la catastrophe.

"Sachant que BATAM connaissait, à titre personnel, des responsables de banques et

des responsables d’entreprises, le recours à l’endettement était très massif", nous a affirmé

certains cadres du groupe.

En nous référant à Gomez (1996), nous pouvons dire que les dirigeants de BATAM

privilégiaient des contrats dans le cadre d'un réseau de banquiers ou d'entreprises amies. Selon

le même auteur, cette politique permet aux dirigeants d'échapper au marché et de verrouiller

les réseaux dans lesquelles ils entretiennent des relations intersubjectives fortes.

Les dirigeants de BATAM semblent donc avoir adopté ce que Gomez (1996) a appelé:

l'enracinement marchand.

La création de trente-cinq entreprises dans une période restreinte, limitée et sans une

base suffisante de fonds propres n’a pas représenté le seul facteur de défaillance du groupe.

Néanmoins, confier la gestion de ces entreprises à des épouses, qui de l’avis de tout le monde,

n'avaient ni l'expérience ni les compétences, a aidé à aboutir à cette situation critique et

alarmante du groupe.

1 "Le diagnostic de la situation et des causes des difficultés du groupe BATAM", effectué par Ahmed Mansour et associés, AMC Ernst et Young, cabinet Moncef Boussannouga Zammouri dans le cadre d’une mission de redressement judiciaire du groupe BATAM.

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"La mauvaise gestion menée par le PDG, qui s’endettait à chaque fois qu’une filiale

demandait son secours, et qui a beaucoup profité de la réputation de BATAM chez les

banques, pour s’engager à tort et à travers dans des dettes dans le but de venir en aide à toutes

les filiales en difficultés a aggravé les difficultés du groupe", nous a déclaré une personne

proche de la direction générale du groupe.

"Les filiales étaient très dépendantes de la société mère, elles étaient incapables

d’assurer leur autonomie financière, et elles étaient pratiquement toutes la propriété des

épouses du PDG, des directeurs, des dirigeants dont la gestion était mauvaise, et les demandes

et les exigences étaient sans limites", a commenté la même personne interrogée ainsi que

d’autres salariés.

Il faudrait peut être ajouter un avis important d’un salarié qui était responsable de

l’évaluation des écarts et du contrôle de stock qui a mis l’accent sur d’autres aspects en disant

que " pour certaines sociétés du groupe, les chiffres d’affaires auraient dû être très élevés, les

bénéfices aussi et les marges commerciales auraient pu être très bonnes. Toutefois, les dons,

les cadeaux et les dessous de tables que les responsables considéraient comme des nécessités

pour faciliter les affaires, n’ont pas permis à ces filiales de dégager des marges confortables,

la plupart d’entre elles étaient déficitaires et les écarts qu’on dégageait n’étaient jamais

justifiés ni même pris en considération".

En réalité, les choix stratégiques, pour lesquels le PDG de BATAM a opté, n’ont pas

été efficients en termes de résultats pour le groupe entier, mais il ne faut pas oublier cependant

que ni le personnel de BATAM, ni le niveau élevé de la charge salariale et ni la création de

ces entreprises filiales ne suffisent pour expliquer la situation critique à laquelle BATAM est

arrivée. Il faudrait également prendre en compte d’autres acteurs aussi importants que les

précédents qui ont joué également un rôle déterminant dans la chute du groupe.

3.3.3. Irrégularités des comptes, flous juridiques et comptables et responsabilités du

commissaire aux comptes

Avant de passer aux responsabilités du commissaire aux comptes dans l’affaire

BATAM, certaines personnes interrogées ont préféré parler de l’état de la comptabilité au sein

de l’entreprise. Ces dernières ont toutes utilisé la forme négative de la phrase pour décrire la

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comptabilité chez BATAM : "la comptabilité de BATAM n’était pas fiable, l’information

comptable n’arrivait jamais à temps, le travail de nos supérieurs et surtout celui de notre

directeur comptabilité et notre expert comptable n’était pas sérieux, les chiffres que nous

écrivions n’ont jamais figuré dans les bilans et les états financiers publiés… ".

En effet, d’après les entretiens et l’étude documentaire, plusieurs défaillances d’ordre

comptable ont été relevées aussi bien au niveau de la société mère que des filiales.

Ces défaillances concernent essentiellement "l’absence d’inventaire physique des

immobilisations au 31/12/2001, l’absence d’états financiers arrêtés au 31/12/2001 pour la

plupart des sociétés, l’absence d’états de rapprochement bancaire au 31/10/2002 et

l’appréciation d’écarts significatifs entre les soldes comptables et les soldes extracomptables

notamment au niveau de la rubrique fournisseurs"1.

Si la comptabilité est incapable de fournir des informations claires, nécessaires et

fiables, il devient impossible pour le PDG de connaître et de maîtriser la situation réelle de

l’organisation. Ceci représente certainement une grande défaillance interne qui peut engendrer

des conséquences graves pour les différentes parties prenantes de l’entreprise.

"Chez BATAM, la comptabilité n’était pas uniquement "truquée", mais aussi "mal

tenue". Nous ont déclaré certains salariés opérant dans le service comptabilité. Ces derniers

ont également affirmé que "les chiffres qu'ils établissaient n'ont jamais figuré dans les

rapports publiés", chose qui a induit en erreur plusieurs acteurs, notamment les banques, le

conseil du marché financier, les fournisseurs, la direction générale, les actionnaires…

En effet, dans le cadre de la mission d’audit des immobilisations corporelles et

incorporelles des quatorze sociétés du groupe mises sous administration judiciaire, et après

avoir examiné les documents existants, l’observation des experts a pu relever un bon nombre

de défaillances liées à ce département.

D’abord, ils ont remarqué l’absence de centralisation de la comptabilité du groupe et

de préparation des états financiers consolidés. La comptabilité des sociétés du groupe était, en

1 "La reconstitution de la situation financière au 31 octobre 2002 du groupe BATAM" effectué par des experts indépendants.

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120

effet, tenue à divers endroits tels que la direction comptabilité à Tunis, la direction

comptabilité à Sfax, le cabinet CTC pour certaines sociétés et des directions de comptabilité

indépendants pour quelques autres sociétés1.

Un important retard a été également constaté dans l’arrêté des états financiers de

quelques sociétés. En effet, leurs situations comptables jusqu’au 31/12/2001 n’étaient pas

encore définitives, ainsi la situation provisoire de quelques sociétés du groupe n’a pas été

établie jusqu’au 30/09/20022.

Ensuite, vu l’absence d’un bon archivage et parfois l'absence tout court des pièces

comptables permettant un accès facile à l’information, plusieurs difficultés ont été rencontrées

lors de la consultation des pièces justificatives de certaines opérations3.

Par ailleurs, pour toutes les sociétés du groupe, les experts ont soulevé l’absence d’un

inventaire physique récent et exhaustif des immobilisations, et ont constaté qu’un inventaire

physique des immobilisations a été effectué en 1999, pour uniquement quelques magasins du

groupe. L’absence d’une codification des immobilisations a été aussi enregistrée4.

Cependant, au terme de l'article 17 de la loi n° 96-112 du 30 décembre 1996 relative

au système comptable des entreprises, "l'opération d'inventaire doit être réalisée, au moins une

fois par exercice, à l'effet de vérifier l'existence des éléments d'actifs et de passifs et de

s'assurer de leur valeur. Les éléments sont regroupés sur le livre d'inventaire selon la nature de

chaque élément inventorié et le mode de son évaluation".

Ainsi, pour toutes les sociétés du groupe, ils ont également observé l’absence d’états

de rapprochement bancaires (arrêtés au 31/10/2002), et seuls les états de quelques sociétés ont

été établis5.

1 "La reconstitution de la situation financière au 31 octobre 2002 du groupe BATAM" effectué par des experts indépendants 2 Idem. 3 "La reconstitution de la situation financière au 31 octobre 2002 du groupe BATAM" effectué par des experts indépendants 4 "La reconstitution de la situation financière au 31 octobre 2002 du groupe BATAM" effectué par des experts indépendants 5 Idem.

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121

Pour quelques sociétés du groupe, comme Bonprix, ils ont remarqué l’absence des

fiches des immobilisations (hormis celles établies en 2001) et dont ils n’ont pu récupérer

qu’une partie. Ces fiches ont été établies à partir de la comptabilité et non suite à un inventaire

physique1.

Plusieurs autres défaillances ont été dégagées par les auditeurs, concernant l’absence

d’écrits justifiant la signature de certaines traites (dont les montants ont été estimés à 14

MDT2).

Les écarts dégagés à partir du rapprochement des sources comptables et celles

extracomptables étaient importants (par exemple l’écart dégagé du tableau détaillé des

immobilisations et amortissement de Bon prix a été estimé à 117mdt)3.

L’absence d’inventaire physique, d’affectation, de suivi rigoureux et aussi de la

codification de l’ensemble des agencements, aménagement, et installation a également été

remarquée.4

"Si la comptabilité était mise à jour, on aurait pu sauver le groupe", a affirmé un expert

indépendant.

Au-delà des autres anomalies que la mission de diagnostic de la situation du groupe a

pu dégager au niveau de la direction comptabilité, il serait absolument important de se poser

la question : quel rôle a joué le commissaire aux comptes de BATAM si la comptabilité était

telle qu’elle a été décrite ? Pourquoi n’a-t-il pas informé les actionnaires de toutes ces

insuffisances dans le cadre de sa responsabilité civile ? Et encore plus, pourquoi a-t-il choisi

de certifier des bilans et des états financiers erronés ?

Pour répondre à ces questions, les personnes interrogées ont expliqué que le

commissaire aux comptes de BATAM était d’abord, et sans doute, un ami des dirigeants,

puisque la coutume du groupe était de ne pas désigner des "inconnus" dans des postes

1 "La reconstitution de la situation financière au 31 octobre 2002 du groupe BATAM" effectué par des experts indépendants 2 Idem. 3 Idem. 4 "La reconstitution de la situation financière au 31 octobre 2002 du groupe BATAM" effectué par des experts indépendants.

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importants comme celui du commissaire aux comptes. Par conséquent, ses intérêts

dépendaient certainement des leurs.

El Kobbi (2000) confirme tout à fait ce qui précède en disant que "la désignation des

commissaires aux comptes, dans les sociétés privées, même dans le cas où elles font un appel

publique à l'épargne, n'offre pas les garanties nécessaires d'indépendance et de transparence".

Ensuite, selon l’avis donné par un directeur de la Banque Centrale, "le commissaire

aux comptes ne peut prendre les choses en main que s’il descend sur terrain, interroge les

salariés, demande les informations auprès des agents et des responsables, vérifie

personnellement l’état de la comptabilité entière…malheureusement, ce qui se passe

généralement dans la majorité de nos sociétés tunisiennes et particulièrement à BATAM, c’est

que le commissaire aux comptes ne fréquentait l’entreprise que peu de fois par mois, ce qui ne

lui permettait pas de maîtriser la situation comptable du groupe".

La responsabilité du commissaire aux comptes était grande dans l’affaire BATAM.

Cet acteur a été accusé de ne pas avoir respecté les textes de la loi qui proclament que "les

commissaires aux comptes ont mandat de vérifier les livres, la caisse, le portefeuille et les

valeurs de la société, de contrôler la régularité et la sincérité des inventaires, ainsi que

l’exactitude des informations données sur les comptes de la société dans le rapport du conseil

d’administration ou du directoire", selon l’apport de l’article 266 du code des sociétés

commerciales.

"Le commissaire aux comptes de BATAM a mis sa responsabilité en cause puisqu’il a

induit en erreur les différentes parties prenantes du groupe, en certifiant de faux bilans et des

états de résultat erronés, et en agissant contrairement aux principes de la transparence et de la

loyauté", a déclaré un chef du service juridique.

Certes cet acteur a été sanctionné par les textes de la loi qui, au terme de l’article 271

du code des sociétés commerciales, "est puni d’un emprisonnement d’un an à cinq ans et

d’une amende de mille deux cents à cinq mille dinars ou de l’une de ces deux peines

seulement, tout commissaire aux comptes qui aura sciemment donné ou confirmé des

informations mensongères sur la situation de la société ou qui n’aura pas révélé au procureur

de la république les faits délictueux dont il aura eu connaissance", mais presque toutes les

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personnes interrogées pensent que les premiers responsables de cette affaires restent toutefois

les principaux dirigeants.

"Il aurait fallu que le commissaire aux comptes envoie au moins son équipe d’experts

pour contrôler et vérifier la sincérité et la régularité des comptes, malheureusement, il n’a pas

veillé à la transparence des chiffres, n’a pas déclaré au procureur de la république que la

société était déficitaire et a certifié qu’elle était bénéficiaire au moment où elle souffrait de

difficultés financières énormes, tout ce risque a été absolument et certainement rémunéré", a

commenté un agent du service comptabilité.

Le commissaire aux comptes est considéré par certains auteurs (comme Mimouni et

Tmar (2004)), comme étant "le fournisseur de confiance et de crédibilité, le garant des

informations financières et comptables, le gardien du droit dans la société, et le gardien de la

légalité". Le commissaire aux comptes de BATAM, n’a pas donné cette image puisque, les

états financiers et les bilans qu’il a certifiés n’étaient pas fiables.

Il faudrait également signaler que le jugement de la cour à propos du dossier du

commissaire aux comptes de BATAM était en contradiction avec celui du président de l’ordre

des experts comptables de Tunis.

En effet, selon la proclamation de l’expert comptable actuel du groupe BATAM, le

président de l’ordre des experts comptables a expliqué qu’un commissaire aux comptes ne

peut procéder que par échantillonnage pour ce qui est de factures, traites, fiches…lorsqu’il

s’agit d’un nombre très important, chose qui l’a induit en erreur et qui n’aurait pas dû mettre

en cause sa responsabilité vis-à-vis du groupe.

Cependant, d’après la réponse d’un directeur opérant à la Banque Centrale de Tunis,

"l’erreur provient essentiellement de l’absence des commissaires aux comptes sur le terrain,

autrement dit, un commissaire aux comptes venant à l’entreprise une seule fois par trimestre,

ne peut pas être capable de maîtriser la situation financière et comptable de l’entreprise".

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3.3.4. Conseil d’administration formellement établi

"Le conseil d’administration de BATAM était composé d’actionnaires, de principaux

dirigeants (les trois frères), de consultants et du commissaire aux comptes", ont déclaré

plusieurs répondants.

D’abord, en analysant la composition du conseil d’administration du groupe BATAM,

on s’aperçoit qu’il était composé uniquement d’administrateurs internes.

A cet égard, Fama (1980)1, Paquérot (1997), Bancel (1997) et Ploix (2003) pensent

que le recours à des administrateurs externes permet de mieux évaluer la performance de

l’entreprise, grâce à une perspective détachée et objective. En nous référant à ces auteurs, le

conseil de BATAM était donc un organe qui manquait d’objectivité.

Paquérot et Carminatti-Marchand (2000) soulignent également que la présence

d’administrateurs indépendants des équipes managériales est obligatoire et fondamentale afin

d'exercer un contrôle efficace sur la gestion des dirigeants. Dans cet ordre d'idées, nous

pouvons penser que la gestion des dirigeants de BATAM n’était pas soumise à un contrôle

efficace.

"Que peut-on dire d’un conseil d’administration d’un groupe d’entreprises familiales

dirigées et contrôlées par une seule famille ? Surtout dont la majorité des titres est détenue par

ses membres", ont répondu toutes les personnes interrogées pour nous expliquer que le

caractère familial a beaucoup dominé l’esprit du groupe BATAM et n’a pas permis à d’autres

compétences de prendre les choses en mains.

En effet, les interviewés ont tous déclaré que "le conseil d’administration n’existait

que pour accomplir une formalité : celle de la nécessité de réunir les différents

administrateurs".

Les différents répondants étaient tous convaincus que le PDG, qui était lui-même

l’actionnaire majoritaire et le président du groupe et de son conseil d’administration, était le

seul décideur, le seul manager et parlait de BATAM en tant que sa propre propriété.

1 Fama E., "Agency problem and the theory of the firm", Journal of Political Economy, 82,2, 1980, cité dans Bancel F., 1997, La gouvernance des entreprises, page 22.

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Les termes qui ont été très utilisés par les répondants, pour décrire le conseil

d’administration du groupe, convergent tous vers un seul sens ; celui de la "neutralité et la

formalité de cet organe".

"L’absence de contrôle ainsi que de prise collégiale des décisions caractérise en fait le

conseil d’administration de BATAM", a répondu un des cadres du groupe.

En effet, d’après Ploix (2003), le conseil d’administration est chargé d’accomplir une

triple fonction à savoir la validation de la stratégie, le contrôle de la gestion et la transparence

de l’information. Pour le cas du conseil de BATAM, selon l’avis de l’expert comptable actuel

du groupe, la réunion des membres du conseil d’administration de BATAM se faisait

uniquement pour la formalité et non pas pour assurer ces fonctions.

D’autre part, à travers les réponses collectées des entretiens, il nous parait plus logique

de revenir plutôt aux études menées par Charreaux et Pitol-Belin (1997), qui ont montré que

la composition, le rôle et le fonctionnement des conseils d’administration diffèrent

sensiblement selon le type d’entreprise considérée, et que dans le cas d’une société du type

familial, la séparation propriété décision est faible alors que la séparation décision contrôle est

peu prononcée.

Dans ce type de société, Charreaux (1997) estime que la fonction du conseil

d’administration est réduite à sa plus simple expression vu que le capital est contrôlé par le

PDG et sa famille. Le contrôle appartient alors à l’actionnaire dominant (le PDG et ses deux

frères).

Cette idée a été clairement confirmée par les répondants. L’expert comptable actuel de

BATAM, par exemple, s’est prononcé sur cet organe en mettant en évidence l’influence du

caractère familial sur le rôle du conseil d’administration en disant que "la présence de

quelques administrateurs était neutre et formelle car ces derniers n’avaient pour objectif que la

collecte des jetons de présence en délégant toute la responsabilité au PDG qui était lui-même

le fondateur principal de BATAM, son actionnaire majoritaire et aussi le frère aîné dans la

famille des dirigeants.

Selon El Kobbi (2000), il s'agit bien d'un problème qui découle du fait que "beaucoup

d'administrateurs se déchargent totalement de leurs attributions et délèguent de "facto"

l'ensemble des pouvoirs aux PDG".

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Cependant, selon les réponses de quelques personnes interviewées, d’autres membres

du conseil étaient utiles en matière de "pouvoir politique", et représentaient un appui politique

pour l’octroi de plusieurs facilités nécessaires à une meilleure gestion du groupe".

D’autres intervenants, comme par exemple, un ancien directeur commercial, a

considéré que "l’abus de pouvoir au niveau de cet organe n’était autre que celui du PDG qui

prenait seul les décisions du groupe et qui n’était soumis à aucun contrôle".

D'autres personnes interrogées ont bien précisé que le PDG de BATAM se permettait

de se procurer n’importe quel montant pour des besoins professionnels ou personnels.

Selon el Kobbi (2000), le problème vient du fait que "plusieurs PDG gèrent les

sociétés de manière personnelle, même dans les entreprises où la gestion est déléguée".

Un directeur financier opérant jusqu’à présent à BATAM a déclaré que "le conseil

d’administration de BATAM, comme dans toute autre entreprise familiale, était formellement

établi et qu’il n’avait aucun rôle significatif. Le PDG était le seul preneur de décisions, son

frère suivait toujours ses idées et ses instructions, l’autre frère n’était pas parfois d’accord,

cependant, il ne pouvait jamais s’opposer aux convictions et aux projections de son frère qui

était le PDG".

Ce même acteur nous a expliqué également que "ce n’est pas uniquement au niveau du

conseil d’administration que les deux frères prenaient les décisions, mais au niveau de tout le

groupe qu’ils étaient les seuls à décider, à planifier, à gérer, à diriger, à organiser…tous les

autres membres du conseil d’administration n’avaient pas une présence effective et réelle, ne

participaient pas à la décision, mais simplement n’avaient qu’un seul intérêt, celui de la

collecte des jetons de présence".

Charreaux (1997) et plusieurs autres auteurs comme Paquérot (2000), considèrent le

conseil d’administration comme une source d’information privilégiée, un organe de réflexion,

d’approbation, qui ne remplit pas une fonction de décision. Charreaux (1997) a montré

également que le conseil d’administration joue essentiellement un rôle de contrôle et de

maintien de la discipline.

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En effet, d’après toutes les réponses obtenues, le conseil de BATAM semble être

uniquement un organe de décision, et ne semble pas accomplir un rôle de contrôle et de

discipline.

Par ailleurs, et à partir des réponses de nos interlocuteurs, nous avons pu nous assurer

que, malgré l’intervention passive de certains administrateurs dans la participation à la prise

de décisions et au contrôle, ces acteurs ont beaucoup aidé le PDG de BATAM, grâce à leurs

réseaux relationnels, à se doter de différentes facilités comme les crédits bancaires,

l’importation de marchandise, l’introduction en Bourse, …

Au lieu d'être un organe chargé de fournir et d’assurer la transparence, de diffuser aux

marchés l’information qui reflète l’image financière réelle du groupe, ce conseila plutôt opté

pour une diffusion d’informations erronées en ce qui concerne ses états financiers et ses

bilans, dans le but de sauver son image de marque, espérant par la suite sauver sa situation

financière devenue difficile. C'est pour ces raisons, mais également à cause de la mauvaise foi

et la mauvaise gestion, que les principaux dirigeants de BATAM, qui étaient eux-mêmes les

administrateurs et les actionnaires majoritaires, ont été sanctionnés par la lois, qui stipule au

terme de l’article 201 du CSC, qu’ "en cas d’absence d’inventaire ou au moyen d’inventaire

frauduleux, en cas de publication d’un bilan inexacte aux actionnaires, la loi tunisienne

soumet les membres du conseil d’administration qui essayent de dissimuler la véritable

situation de la société à des sanctions et des pénalités d’emprisonnement et d’amendes".

Enfin, après avoir comparu devant la justice, les principaux dirigeants de BATAM ont été

condamnés à deux ans de prison avec sursis comme verdict final.

Du fait de l’absence du principe d’indépendance des administrateurs1, de

l'impossibilité d’avoir une certaine objectivité des jugements sur la qualité du management

(Bancel, 1997), et surtout de l’absence de transparence de l’information (ploix, 2003) et la

mauvaise foi, le conseil d’administration de BATAM a réuni un ensemble de critères qui

faisaient de lui un organe neutre et passif, mais surtout un mécanisme défaillant de

gouvernance d’entreprises pour BATAM.

1 Selon le rapport Bouton (2002), "l’administrateur est indépendant lorsqu’il n’entretient aucune relation, de quelque nature que ce soit avec la société, son groupe ou sa direction, qui puisse compromettre l’exercice de sa liberté de jugements". Cela signifie qu’il ne doit pas être salarié, cadre dirigeant de l’entreprise, ni être un actionnaire ou un partenaire commercial ou financier. Cité dans Ploix, 2003, le dirigeant et le gouvernement d’entreprise, Village Mondial.

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3.3.5. Banques, Banque Centrale et BATAM : des relations compliquées

"Avec ou sans garanties, les banques ne nous ont jamais refusé un crédit, une facilité

de caisse, un escompte ou autre. Il suffisait que notre PDG fasse un simple coup de téléphone

à n’importe quel organisme bancaire pour que ce dernier lui fournisse ce qu’il avait demandé.

Nul n’osait refuser un service à BATAM", ont commenté tous les interviewés qui étaient tous

étonnés de la réaction des banques envers le groupe.

La relation du groupe BATAM avec les banques ne semble pas, comme le soulignent

Charreaux (1997), Maati (1999) et Nkhili (1997), être basée sur "un contrôle et une discipline

efficace dans un contexte d’asymétrie d’informations". En effet, les banques qui opéraient

avec BATAM lui fournissaient des crédits, des escomptes, des facilités de caisse… parfois sur

la base d’un simple coup de téléphone.

Les relations de BATAM avec ces dernières étaient tellement basées sur une confiance

mutuelle et sur une réciprocité d’intérêts que tout le monde ne pouvait s'imaginer que ces

organismes puissent être les premiers responsables de sa chute.

"Bien qu’on ait été toujours en règle avec nos banques, bien qu’on n’ait jamais cessé

de rembourser nos dettes bancaires et nos charges financières dans les délais fixés, ces

organismes n’ont pas hésité de nous étouffer au bout de 24h, pour qu’on arrive à cette fin

tragique", nous a déclaré le directeur Marketing, les larmes aux yeux.

Les personnes interrogées, qu’ils soient salariés, directeurs ou autre, ont toutes raconté

que les banques ont brusquement arrêté de fournir tous les services habituels y compris

l’escompte des traites clients, les facilités de caisse, les crédits d’exploitation, …sans prévenir

le groupe d’une telle décision. Cette mesure a émané de la Banque Centrale de Tunis et a

consisté à limiter l’endettement d’une liste d’entreprises trop endettées, et plus précisément

celles qui ont dépassé de loin le seuil raisonnable de leur débit.

Cependant, aucune circulaire officielle et aucune note n’ont été officiellement lancées

à ce propos, mais la décision, selon deux personnes interrogées opérant au sein de la Banque

Centrale, a été transmise "de bouche à oreille", et aucun écrit ne peut nous fournir les

véritables informations qui puissent nous clarifier le contenu de cette décision, qui a été

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appliquée uniquement pour le cas du groupe BATAM, malgré l’existence d’autres groupes de

sociétés dont l’endettement bancaire excédait de loin celui de BATAM, selon l’avis unanime

d’un banquier de la BT.

Ce qui peut également nous surprendre, c’est que "les banques n’ont pas dépassé la

limite imposée par la Banque Centrale en matière de risque (35 MDT par banque vis-à-vis

d’un seul groupe)"1, malgré toutes les dettes engagées par BATAM.

Pour certains auteurs comme Nkhili (1997), le contrôle exercé par la banque sur les

dirigeants peut être renforcé lorsque l’intermédiaire financier est présent au conseil

d’administration. Cette présence est, selon lui, parfois indispensable car l’expertise des

banques et leur connaissance du secteur d’activité assurent une qualité d’information que les

firmes peuvent difficilement acquérir auprès des autres tiers. L’absence de représentants de

banques tunisiennes dans le conseil d’administration de BATAM peut donc être considéré

comme une insuffisance du système bancaire tunisien.

On pourrait dire alors que la participation de notre système bancaire à la gouvernance

des entreprises souffre d’anomalies énormes et graves, d’abord parce qu’il n’opère pas dans la

transparence et la clarté puisque aucun papier n’a été fourni pour justifier la décision de la

Banque Centrale en matière d’endettement et de risque, ensuite parce qu’il n’essaye pas de

protéger les intérêts économiques du pays puisque le cas de BATAM est directement

transformé en cas de crise sans avoir essayé de chercher des solutions adéquates, capables de

résoudre ses problèmes et sans avoir même essayé de passer par la négociation et le

compromis.

BATAM a été sanctionné par la Banque Centrale et par les banques sans qu’il ne le

sache. Les raisons mêmes de cette sanction restent assez mystérieuses. Certaines personnes

interrogées disent que "cette affaire est purement politique", d’autres estiment que "la

mauvaise gestion à l’intérieur du groupe et son engagement bancaire exagéré ont poussé la

Banque Centrale à avertir les PDG des banques pour prendre des mesures avec BATAM".

Toutefois, ce que tous les interviewés reprochent aux banques, c’est que ces dernières

n’ont pas prévenu le groupe de la décision qu’elles ont prise et au lieu de procéder par étapes

1 "Les cinq leçons de l’affaire BATAM", L’intelligent du 03 octobre 2003.

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pour trouver des compromis avec BATAM, elles ont détruit le groupe sans aucune

justification convaincante. "Les banques nous ont tué sans même nous mettre au courant de

leur position, elles nous ont trahi", a répété tristement le directeur Marketing du groupe.

Le comportement des banques tunisiennes avec BATAM ne confirme pas la définition

proposée par Nkhili (1997). Ce dernier considère les banques comme "un fournisseur de

liquidité dont il garantit le remboursement en imposant certaines règles à l’emprunteur, ou

aussi en introduisant des clauses de protection dans les contrats". L’absence de ces clauses et

de ces règles, dans le cas de BATAM, montre que les banques tunisiennes n'ont pas

représenté "un agent de pression", n'ont pas assuré une véritable surveillance ou contrôle de la

gouvernance de BATAM. (Nkhili, 1997).

En nous référant à Nkhili (1997), l’absence d’une base large d’informations diminue le

pouvoir des banques vis-à-vis du marché et ne les aident pas à établir des relations de long

terme. Tel est le cas des banques tunisiennes avec le groupe BATAM.

En réalité, les banques sont des organismes régulateurs de l’activité économique. Elles

sont censées exercer un certain contrôle capable de minimiser le risque du remboursement de

leurs dettes, et disposer des informations nécessaires pour protéger leurs intérêts. "Dans le cas

de BATAM, les banques semblent avoir été bernées par son image de marque que les médias

et la publicité ont construit d’une manière abusive", nous ont affirmé les banquiers interrogés.

"Le chiffre d’affaires d’un groupe ne devrait plus être révélateur de performances,

surtout lorsque les comptes ne sont pas consolidés, car l’illusion deviendrait alors un

indicateur de santé financière. Il faudrait revenir à des ratios plus significatifs comme la

solvabilité, les fonds propres, l’endettement, la trésorerie1…"

Par conséquent tous les privilèges qu’elles lui offraient, tous les crédits qu’elles lui

accordaient sans garanties et aussi sans une base fiable d’informations qui reflètent la

véritable situation du groupe, ont non seulement alourdi leurs charges, mais ont induit

également les dirigeants de BATAM en erreur.

1 Ridha Lahmar, "Convictions : BATAM : y a-t-il des enseignements à tirer", L’intelligent, octobre 2003. 2 Beatty R.P. et Ritter J.R., 1986, "Investment banking, reputation, and the underpricing of initial public offerings".Journal of Financial Economics, 15, p.213-232, cité dans Charreaux, 1997, Le gouvernement des entreprises, théories et faits, Economica, Paris p. 332.

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Selon Beatty et Ritter (1986)2, l’ouverture du crédit signale la performance de la firme,

alors que le refus signale au contraire les défaillances et les faiblesses de l’entreprise

emprunteuse. Cela veut dire que les banques tunisiennes, à travers leur ouverture du crédit et

d’autres faveurs, ont construit au groupe BATAM une réputation qui ne reflète pas sa

véritable situation financière, car au moment où ce dernier continuait à s’endetter auprès des

banques, sa situation financière était en crise.

"Notre système bancaire en Tunisie n’est pas encore assez performant et rigoureux

pour qu’il puisse protéger les intérêts des banques et ceux de la Banque Centrale et du pays",

nous a affirmé un directeur opérant à la Banque Centrale de Tunis.

Selon Nkhili (1997), les banques sont supposées être un moyen de discipline.

Cependant, en Tunisie, les banques qui ont opéré avec BATAM ne semblent pas avoir imposé

cette discipline puisque aucune mesure n’a été prise avant la faillite du groupe. Ces banques

étaient incapables de protéger leurs fonds, et de disposer des informations fiables sur leur

client: le groupe BATAM.

"La souplesse des banques était justifiée par le chiffre d’affaires très élevé que nous

faisions, mais dont une bonne partie était fictive", nous a affirmé la secrétaire de la direction

générale.

Presque toutes les personnes interrogées ont expliqué que l’image de marque et la

réputation de Leader sur le marché d’électroménager était le seul facteur qui a induit les

banques en erreur. Cependant, un directeur opérant à la Banque Centrale a déclaré au cours de

l’entretien que les banques ont continué à financer le groupe même quand il était

complètement noyé, et a mis en cause la responsabilité des banques en tant que mécanisme de

gouvernance très loin d’être performant et rigoureux, en disant que : "plus de 60% des crédits

engagés par BATAM étaient sans garanties, et il faudrait savoir qu’en Tunisie, les banques

signifient politique et la relation entre une banque et une entreprise n’est autre qu’une relation

entre un PDG et un chef d’agence, et là dans la majorité des cas, on ne peut se baser que sur le

principe de notre contexte tunisien : donnant-donnant, pour expliquer l’endettement du groupe

BATAM".

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D’autres personnes interviewées comme les salariés du service comptabilité, les

responsables de magasins et des banquiers d’autres banques, ont tous précisé que les

principaux dirigeants de BATAM avaient des relations de parenté avec des responsables de

banques comme l’UBCI par exemple qui représente le premier financeur du groupe.

A la lumière de nos entretiens, il nous paraît claire que les chefs d’agences des

banques avec les quelles BATAM avait des relation ont beaucoup tiré profit pour leur propre

compte lors de leurs relations avec BATAM ou plutôt avec le PDG de BATAM, qu’ils soient

des proches ou non des principaux dirigeants du groupe.

Il est également important de mettre l’accent sur la responsabilité des supérieurs des

banques, qui, au lieu de se doter des informations financières nécessaires et fiables sur le

groupe, se contentent de la réputation que le groupe a pu acquérir sur le marché.

"Notre système bancaire est endormi. Nous avons besoin de technocrates,

malheureusement il y a des gens hautement placés dans les banques ou dans d’autres

organismes et qui ne sont pas des professionnels", nous affirmé un directeur de la Banque

Centrale, dont l’idée confirme tout à fait celle de certaines personnes que nous avons

interrogées de BATAM qui considèrent le principe de "l’homme qu’il faut à la place qu’il

faut" comme quasiment absent dans différentes entreprises tunisiennes, notamment à

BATAM.

La personne qui opère à la Banque Centrale et qui a répondu à nos questions avec un

certain regret pour le cas de BATAM et aussi pour d’autres cas comme celui d'une autre

grande entreprise dans le secteur de la distribution de l'électroménager, et dont le cas

ressemble beaucoup à celui de BATAM, a beaucoup travaillé dans l’inspection, et outre son

statut de directeur, il a également fait du consulting international. Son expérience ainsi que

son statut lui ont permis de mettre l’accent sur la responsabilité des banques et de dire

que : "voir un bilan détourné ou un état financier erroné ne constituent pas des raisons

valables pour qu’un banquier tombe dans le piège, d’abord parce qu’il est banquier, ensuite

parce que les informations présentées ne peuvent en aucun cas être vraies, vu les chiffres, les

statistiques, la base de données de tout ce qu’on pourrait imaginer dont on peut disposer en

tant que banquier".

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Cette idée trouve un écho chez certains auteurs. [Fama (1985), James (1987), Myers et

Majluf (1984)]1 qui pensent que "l’intermédiaire financier ne peut pas compter uniquement

sur l’information diffusée publiquement par la firme ou collectée par d’autres institutions,

mais il jouit d’un accès plus facile à l’information.

Selon Paquérot (1997), l’intermédiaire financier peut notamment participer au

processus de décision, soit en tant qu'actionnaire qui détient une fraction du capital et contrôle

de près l’utilisation des fonds prêtés, soit en étant un partenaire qui soutient la firme en la

conseillant dans sa gestion pour mieux prévoir et profiter des opportunités qui se présenteront

à elle.

Les banques opérant avec BATAM ne semblent exercer aucun contrôle pour protéger

leurs fonds, elles ne participaient pas au processus de gestion en tant qu'actionnaire ou

partenaire du groupe, mais comptaient uniquement sur la réputation de BATAM sur le

marché.

3.3.6. Fournisseurs et banquiers : des réseaux relationnels importants

Un autre problème a été également relevé par le directeur de la Banque Centrale.Ce

dernier a mis en cause la responsabilité des fournisseurs dans l’affaire BATAM en disant

que : "les banques étaient rentrées dans un bloc de pression et les fournisseurs étaient à

l’origine de cette pression".

En effet, le directeur de la Banque Centrale de Tunis a souligné que les fournisseurs

avaient une double responsabilité dans l’affaire BATAM.

"D’abord, ils avaient des relations d’intérêts avec les responsables

d’approvisionnement de BATAM, autrement dit, ils donnaient une contre partie considérable

au directeur approvisionnement pour que ce dernier puisse convaincre son PDG d’un achat en

quantité importante de marchandises, qui finit par rester en stock à cause de la rapidité des

évolutions technologiques.

1 Fama E.F., 1985, "What's different about banks?", Journal of Monetary Economics, 15, p.29-36, cité dans Charreaux G., 1997, p.336. James C., 1987, "Some evidence of the uniqueness of bank loans", Journal of Financial Economics, 19, p.217-235, cité dans Charreaux G., p.336. Myers S.C., et Majluf N., 1984, "Corporate financing and investment decisions when firms have information that investors do not have", Journal of Financial Economics, 13, p.187-221, cité dans Charreaux G., 1997, Le gouvernement des entreprises, théories et faits, page 336.

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134

Ensuite, ces fournisseurs étaient les premiers à se rendre compte des difficultés du

groupe. Pour cette raison, ils ont exercé une pression sur les banques, et là aussi, grâce à des

relations personnelles avec les chefs d’agence, ils ont pu engager le groupe BATAM dans de

nouveaux crédits pour qu’ils récupèrent leurs créances. Cette politique a été par exemple

appliquée par le fournisseur ABS (Atef Ben Slimane) pour une créance de 4MDT".

Si H.Demsetz (1983a)1 considère les fournisseurs comme un "frein à la déviance de

l’agent", il ne semble pas que les fournisseurs de BATAM aient joué un rôle de contrepouvoir

pour contraindre le comportement des dirigeants, mais au contraire, ces acteurs ont représenté,

dans cette affaire, un mécanisme défaillant de gouvernance d’entreprises. Ils ont joué un rôle

important, plutôt pour défendre et préserver leurs propres intérêts, que pour discipliner et

contrôler les dirigeants de BATAM.

De son côté, Williamson (1991a)2 estime que les fournisseurs constituent un des

mécanismes spontanés non spécifiques qui exercent une certaine influence sur le

comportement des dirigeants. Dans l’affaire BATAM, cette influence ne sert pas l’intérêt du

groupe, ni du système de gouvernance d’entreprises, mais uniquement celui des fournisseurs.

3.3.7. Conseil du marché financier (CMF), Bourse et intermédiaire en Bourse,

induits en erreur

"Le CMF tunisien est doté d'un personnel qualifié, compétent, strict et sérieux". Nous

ont affirmé les deux personnes interrogées.

En effet, " pour s'introduire en Bourse ou pour s'endetter auprès du marché financier,

les sociétés doivent passer par plusieurs étapes et respecter plusieurs procédures.

Contrairement à un simple endettement bancaire qui peut se faire suite à un simple coup de

téléphone, les relations avec la Bourse et le CMF semblent être plus complexes et plus

sérieuses". Ont répondu les personnes interviewées.

Toutefois, nous comprenons, à partir des entretiens réalisés, que le jugement du CMF

et les décisions de la Bourse dépendent essentiellement et uniquement de la qualité des

1 Demsetz H., 1983 a, "The structure of ownership and the theory of the firm", Journal of law and economics, 26, 375-390, cité dans Maati J., 1999, page 204. 2 Williamson O.E., 1991a, "Comparative economic organisation, the analysis of discrete structural alternatives". Administrative science Quarterly, 36, p. 269-296, cité dans Charreaux, 1997, page 426.

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135

documents financiers présentés par les sociétés en question, et certifiés par leurs commissaires

aux comptes. "Ces derniers représentent les seuls garants de la fiabilité des informations

présentées au CMF", a déclaré un auditeur opérant chez un intermédiaire en Bourse.

En revanche, "il revient à la "Fitch rating" (agence de notation) d'évaluer le contenu

des prospectus et d'accorder la note adéquate avant la décision finale du CMF". Ont déclaré

les personnes interviewées.

Toutes les personnes interrogées ont utilisé les termes "stricte" et "sérieux" pour

décrire le CMF et la Bourse.

Cependant, un auditeur appartenant à un intermédiaire en Bourse nous a affirmé que

plusieurs changements sont en train d'affecter les relations du CMF avec les entreprises, la

Bourse et les intermédiaires en Bourse.

En effet, selon cet acteur, "le CMF ne sanctionnait jamais les entreprises qui ne

respectaient pas la réglementation en vigueur. Par exemple, si la loi 94-117 fixe le nombre

d'opérateurs pour les intermédiaires en Bourse à neuf, il y avait des intermédiaires en Bourse

qui opéraient avec trois seulement, pourtant on ne les a jamais sanctionnés. Le CMF n'était

pas stricte en terme de sanction vu la petitesse du marché financier, les difficultés qui

affectaient la conjoncture économique, les conditions défavorables…aujourd'hui, le CMF est

devenu un organisme plus sérieux mais surtout plus stricte en terme de sanction."

Nous avions l'impression que cette personne interrogée a parlé de deux CMF différents

alors qu'il s'agit du même.

Un directeur opérant à la Bourse de Tunis a osé parler, à son tour, de l'UGF qui était

l'intermédiaire en Bourse de BATAM. Cet acteur nous a affirmé que cette agence était celle

dont certains responsables étaient de la famille des principaux dirigeants de BATAM.

En effet, l'émergence de la nouvelle loi n° 2005-96 du 18 octobre 2005, relative au

renforcement de la sécurité des relations financières permet d'expliquer, dans une certaine

mesure, l'avis de ces deux acteurs qui ont parlé avec beaucoup de réserve à propos du rôle du

CMF et de la Bourse en Tunisie.

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136

Cette loi est venue en fait renforcer:

- La sincérité des comptes des sociétés.

- La transparence de l'information financière.

- L'indépendance des commissaires aux comptes des sociétés.

- Le contrôle des comptes des sociétés.

- La transparence des sociétés.

- La responsabilité des organes de contrôle et de direction.

- La politique de divulgation financière des sociétés et de leur bonne gouvernance.

- La création des comités permanents d'audit.

- La dynamisation du système du registre du commerce.

- La réorganisation des obligations de divulgation à la charge des sociétés faisant

appel public à l'épargne, à leurs actionnaires et aux sociétés cotées en Bourse.

- Le rôle du conseil du marché financier dans l'exercice de ses missions.

- L'organisation de gestion de portefeuilles de valeurs mobilières pour le compte

de tiers.

Vu l'insuffisance des résultats dégagés en ce qui concerne le CMF, la Bourse et les

intermédiaires en Bourse, les choses restent un peu floues. Cependant nous pouvons dire que

les mesures prises en matière de renforcement de la réglementation sont venues remédier aux

insuffisances du CMF, de la Bourse et des intermédiaires en Bourse en Tunisie.

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137

Conclusions

Dans le cadre de ce travail empirique, nous avons essayé de réaliser deux objectifs:

- d’abord, l’étude de l’affaire BATAM, avant la crise financière;

- Ensuite, l'étude des principaux acteurs et mécanismes de gouvernance d’entreprises

qui n’ont pas bien fonctionné, dans le cas du groupe BATAM.

L’étude de ce cas particulier nous a permis de relever un ensemble de défaillances

aussi bien au niveau du système de gouvernance d’entreprises qu’au niveau des pratiques

managériales.

En premier lieu, il nous semble que la divergence d’intérêts entre les différentes

parties prenantes, ainsi que le caractère familial du groupe n’ont pas permis à ce dernier de

réaliser une performance à long terme.

L’abus de pouvoir de la part du PDG et de la famille des dirigeants, le recours à un

personnel apparenté non performant, la distribution de rémunérations élevées et non

équitables ainsi que la confusion des fonctions de propriété, décision et contrôle entre les

mains d’une même personne, ont engendré des défaillances graves au niveau des pratiques

managériales et de gouvernance de l'entreprise.

En second lieu, la chute "brusque" et "inattendue" de ce groupe semble provenir

essentiellement de défaillances au niveau des banques et de la banque centrale. Ces dernières,

selon les résultats des entretiens, ont conduit directement le groupe BATAM au déclin.

En effet, vu l’absence de contrôles rigoureux et efficaces de la part des banques, ainsi

que les réseaux relationnels entre banquiers et dirigeants de BATAM et l’absence

d’informations financières fiables, les banques ont été induites en erreur et ont représenté, par

conséquent, un mécanisme externe inefficient de gouvernance d’entreprises familiales en

Tunisie (du moins pour le cas BATAM).

Quant à la banque centrale de Tunis, l’absence d’objectivité en ce qui concerne la prise

de décision, ainsi que l’absence d’écrits justifiant la décision "brusque" qu’elle avait prise

avec BATAM, montrent que cet organe, censé assurer la protection des banques et préserver

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l’intérêt économique du pays n'a pas joué pleinement son rôle ou du moins est intervenu en

retard.

De leur côté, vu l’absence de contrôle et de pression sur les dirigeants, les fournisseurs

de BATAM n’ont pas su sauvegarder leurs intérêts auprès du groupe. En revanche, leur

pression n’a commencé qu’après avoir déjà perdu leurs créances. Ces derniers n'ont donc pas

joué le rôle de mécanisme externe efficient de gouvernance d’entreprises (du moins dans le

cas de BATAM).

D’autres défaillances relevées au niveau du conseil d’administration du groupe

montrent que cet organe représente, dans les entreprises familiales tunisiennes, un mécanisme

de contrôle interne inefficient et inefficace. L’absence d’administrateurs indépendants, la

centralisation du pouvoir et de la décision au niveau de la famille des dirigeants ainsi que la

passivité des actionnaires non dirigeants, semblent représenter des anomalies qui ne favorisent

pas la performance de cet organe essentiellement au niveau du contrôle.

En plus de ces mécanismes, la diffusion d’informations erronées au public, met en

cause la responsabilité du commissaire aux comptes du groupe et permet de conclure que cet

acteur du contrôle interne, a été déficient dans l’affaire de BATAM.

D’autres acteurs comme les salariés, les cadres, les directeurs et les consultants, ont

montré, quand il s’agit d’une entreprise familiale où la rémunération, l’évaluation des

compétences et la promotion reviennent au PDG ou à sa famille, que l'intérêt personnel

l'emporte sur celui collectif (du moins l'intérêt de l'entreprise) et que faute de mécanismes de

coordination et de motivation adaptés, ils ne jouent pas un rôle fiable dans la gouvernance

d'entreprise.

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Conclusion générale

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L’analyse de l’efficience des principaux acteurs et mécanismes de gouvernance des

entreprises "familiales" en Tunisie a supposé la recherche d’un cadre théorique qui tienne

compte de la responsabilité, du rôle et de l’efficacité du système de gouvernance d’entreprises

d’une part, de la qualité du cadre institutionnel, juridique et réglementaire des groupes de

sociétés "familiales", d’autre part.

En effet, le croisement de l'analyse micro et macro-économique de la gouvernance

d’entreprises nous a permis de conclure que les défaillances dégagées à partir du cas BATAM

se situent aussi bien au niveau micro-économique qu’institutionnel.

L’étude théorique des différents acteurs et mécanismes de contrôle nous a permis de

dégager les éventuelles déficiences de chaque acteur et de chaque mécanisme de gouvernance

en fonction de son rôle et de sa responsabilité.

Par ailleurs, plusieurs notions théoriques étaient d’une importance cruciale pour

expliquer certains phénomènes observés à BATAM et ont permis de mieux interpréter les

résultats trouvés. Ces notions, reliées au concept de gouvernance d’entreprises, s’inspirent des

travaux de Berles et Means (1932) sur la relation d’agence et les conflits d’intérêts entre

actionnaires et dirigeants; des travaux de Paquérot (1997) sur l’enracinement des dirigeants;

des travaux de Williamson (1994) sur l’opportunisme des individus dans l’entreprise,

l’asymétrie d’informations; etc.

Sur la base de ces approches théoriques et des notions citées, l’étude du cas BATAM

nous a permis de conclure que "l’échec" de ce groupe était le résultat de deux groupes de

facteurs:

1. des défaillances au niveau des pratiques managériales

Il s’agit essentiellement de la centralisation de pouvoir entre les mains d’une seule

personne : le PDG du groupe. En effet, en l’absence de motivation en termes de besoin

d’accomplissement et d’appartenance, de participation à la décision et de sous estimation des

compétences, cette politique n’a pas favorisé une ambiance et un cadre favorables de travail.

L’abus de pouvoir de la part du PDG et de sa famille n’a pas permis d’instaurer un

climat sain de travail et une coopération saine de la part de tous les collaborateurs, et a donné

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141

naissance à un sentiment de haine et de défi de la part des employés à tous les niveaux

hiérarchiques. Conformément à notre proposition de départ, il semble donc que la divergence

d’intérêts entre actionnaires majoritaires (qui sont eux-même principaux dirigeants) et

salariés a un impact négatif sur la performance de la firme.

La rétention de l’information par certains cadres et directeurs ainsi qu'un certain

enracinement de ceux-ci ont été constatées lors de l’enquête, ceci permet de confirmer la

proposition selon laquelle : l’enracinement des cadres et des directeurs a un impact

négatif sur la performance du groupe.

Une gestion subjective basée sur les intérêts "personnels" du PDG, ainsi qu’un

processus de décisions basé uniquement sur les chiffres, n’ont pas favorisé la souplesse de

l’entreprise et la rationalité des choix stratégiques.

Dans une certaine mesure, ce résultat permet de confirmer la proposition suivante : le

comportement "opportuniste" des dirigeants a un impact négatif sur la performance de

la firme.

Par ailleurs, le cas BATAM illustre également les inconvénients d’une politique GRH

défaillante : le recrutement d’un personnel apparenté, à travers "le système de

recommandation", et sans considérations sérieuses de profils et de compétences, n’a pas

favorisé la performance de cette ressource. Ainsi, l’évaluation des compétences sur la base

unique de chiffres et d’appréciations subjectives des supérieurs, a inhibé la motivation au sein

du groupe. Ajoutons à cela une rémunération élevée, mais surtout non équitable, qui ont fait

que la politique de BATAM a favorisé "le travail en clans" et la divergence d’intérêts entre les

différentes catégories d’employés.

Notre proposition de départ selon laquelle, les mauvaises pratiques de GRH

(recrutement, rémunération, promotion…) entraînent un dysfonctionnement du système

de management semble donc avoir été confirmée par le cas BATAM.

Les pratiques de GRH entretenues par les responsables de BATAM ainsi que

l’absence de contrôles efficaces surtout dans les points de vente et les magasins, montrent que

les salariés ont joué un rôle dans la crise du groupe et ont constitué une véritable cause de

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142

défaillance. Nous pouvons donc affirmer que: le comportement "déviant" des salariés est

positivement corrélé au dysfonctionnement du système de gouvernance d’entreprises.

2. des défaillances au niveau des mécanismes et des acteurs de gouvernance

d’entreprises

D’abord, l’absence d’administrateurs indépendants et le rôle passif des actionnaires

non dirigeants ont fait du conseil d’administration de BATAM un organe formel, neutre et

inefficient. Ceci nous permet de confirmer notre proposition de départ: l’absence

d’administrateurs externes a un impact négatif sur la pertinence du rôle du conseil

d’administration, et de confirmer également la proposition selon laquelle, la neutralité, la

formalité et l’inefficacité du conseil d’administration ont un impact négatif sur la

gouvernance d’entreprises.

Ensuite, l’absence d’un contrôle bancaire rigoureux, le financement du groupe sans

garanties valables mais surtout les réseaux relationnels entre dirigeants de BATAM et

dirigeants des banques ont favorisé le surendettement du groupe et, par conséquent, ont

montré que les banques peuvent représenter un mécanisme inefficient de gouvernance

d’entreprises en Tunisie. Ceci permet de confirmer la proposition selon laquelle, l’inefficacité

du contrôle bancaire est positivement corrélée à l’inefficience du système de

gouvernance d’entreprises.

Par ailleurs, en ayant recours à des réseaux relationnels aussi bien avec des directeurs

d’approvisionnement de BATAM qu’avec des responsables de banques, les fournisseurs ont

favorisé leurs propres intérêts et ont constitué des acteurs défaillants de contrôle et de

discipline. Ce résultat soutient la proposition selon laquelle: les réseaux sociaux entre

dirigeants, grands actionnaires et créanciers favorisent le surendettement du groupe

ainsi que l’inefficacité du contrôle des fournisseurs a un impact négatif sur la

gouvernance d’entreprises.

Enfin, sur la base d’informations erronées et détournées, BATAM a été introduite en

Bourse sans que le Conseil du Marché Financier ne puisse s’assurer de la fiabilité des

informations présentées.

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En Tunisie, il semblerait que le CMF représente un mécanisme de gouvernance

d’entreprises qui renferme certaines insuffisances, notamment en ce qui concerne la fiabilité

du contrôle des situations des entreprises désirant s’introduire en Bourse. Ce résultat confirme

alors l’hypothèse suivante : l’insuffisance de contrôle au niveau du conseil du marché

financier a eu un impact négatif sur la gouvernance d’entreprises. Ceci nous permet

également de confirmer la proposition selon laquelle, la "manipulation" du système

d’informations comptables et financières a un impact négatif sur la gouvernance

d’entreprises.

De son côté, en contrôlant les entreprises les plus endettées en Tunisie, la Banque

Centrale de Tunisie a joué un rôle dans la crise de BATAM, en rompant tout contact entre les

banques et le groupe, et en ne trouvant pas un compromis qui puisse régler la situation de ce

dernier avec ses créanciers financiers.

La conclusion que l’on peut tirer de tout ce qui précède, c’est qu’en Tunisie et plus

précisément dans le cas BATAM, le système de gouvernement d’entreprises n’a pas joué un

rôle préventif (qui permet d'anticiper les crises et de les empêcher) ni un rôle curatif (qui

permet d'avoir une capacité curative de résoudre les crises issues de la défection de certains

stakeholders). Le système tunisien de gouvernance d’entreprises s'est limité à sanctionner les

insuffisances de contrôle et de rigueur des mécanismes et des acteurs de la gouvernance après

que la "faillite" de BATAM ait été évidente.

De ce fait, il est, à notre avis, nécessaire de prendre en considération quelques mesures

capables de remédier à ces insuffisances.

Il s’agit notamment d’inciter les actionnaires non dirigeants à être plus actifs et à

exercer un contrôle efficace sur la tenue des comptes et la fiabilité des chiffres.

Il s’agit également de renforcer le contrôle sur l’activité du commissaire aux comptes

et de veiller à la transparence des chiffres qu’il certifie sous sa responsabilité.

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Apports, limites et voix de dépassement de la recherche

Ce travail nous a permis de conclure que le contexte tunisien a besoin d'un intérêt et

d'une attention particulière vu le nombre de plus en plus élevé d'entreprises en difficultés ou

en faillite, les risques de corruption qui ne cessent de l'affecter mais surtout la complexité de

ses déterminants.

Toutefois, ce travail de recherche nous a également permis de conclure que l'accès au

terrain n'est pas une chose facile en Tunisie: cela demande une disponibilité ainsi que des

moyens importants.

En effet, l'étude du cas du groupe BATAM n'a pas été facile à réaliser vu la

"sensibilité" de son dossier qui a représenté une grosse affaire passée devant les tribunaux,…

Par conséquent, nous avons eu de grandes difficultés pour pouvoir rencontrer des

acteurs importants dont le point de vue nous paraissait nécessaire pour l'étude.

Par ailleurs, nous avons eu du mal à faire parler les personnes choisies à propos de ce

sujet qui leur a semblé "politique" et "délicat".

Enfin, certains documents ne sont pas facilement accessibles. Leur consultation est

limitée pour des raisons de confidentialité. Ainsi, l'accès aux données secondaires internes a

été très difficile.

Pour toutes ces raisons, nous trouvons que l'étude d'un seul cas de "faillite" n'est pas

aussi significative que nous le pensions, toutefois l'étude d'autres cas de faillite nous parait

utile pour donner plus de fiabilité et plus de pertinence aux résultats produits.

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Trébucq S., "La gouvernance d'entreprise contemporaine, héritière de conflits historiques,

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Volume 1- Diagnostic de la situation et causes des difficultés du groupe BATAM, Ahmed

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Volume 2- Reconstitution de la situation financière au 31 octobre 2002 Ahmed Mansour &

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Wacheux F., 1996, Méthodes qualitatives et recherche en gestion, Economica.

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Articles de presse

"Ali Debaya", l’intelligent du 22 septembre 2003.

"BATAM Maroc survivra", l’intelligent du 15 septembre 2003.

"BATAM pousse ses pions", l’intelligent du 28 novembre 2002.

"BATAM pris à son propre piège", l’intelligent du 28 novembre 2002.

"BATAM : des raisons d’espérer", l’Economiste Maghrébin N° 327 du 20/11 au 04/12/2002.

"BATAM : une franchise à l’horizon ?", Management & Nouvelles technologies du

05/04/2004.

"BATAM, suite et fin", l’intelligent du 4 février 2003.

"Electro-kallel, la cascade des saisies conservatoires", Management & Nouvelles technologies

du 22/03/2004.

"Electrostar : les tourments de l’assainissement", Management & Nouvelles technologies du

04/03/2004.

"Et pour conclure", l’intelligent du 28 novembre 2002.

"Gouvernance d'entreprise : Etat des lieux, et nouvelles dispositions", l’Economiste

Maghrébin N° 334 du 19/02 au 05/03/2003.

"Histoire d’une dégringolade", l’intelligent du 28 novembre 2002.

"L’affaire Electro-kallel, Un géant aux pieds d’argile", Réalités N° 950 du 11 au 17/03/2004.

"Le prix du sauvetage", l’intelligent du 11 février 2003.

"Les cinq leçons de l’affaire BATAM", l’intelligent du 15 janvier 2003.

"Les nouveaux actionnaires", l’intelligent du 22 septembre 2003.

"Peut-on instaurer la bonne gouvernance dans les entreprises ?", Réalités du 17/04/2003.

"Plaidoyer pour la transparence", l’intelligent N° 2225 du 31 août au 6 septembre 2003.

"Poursuites judiciaires", l’intelligent du 28 janvier 2003.

"Redressement de BATAM et BONPRIX…objectif atteint", l’Economiste Maghrébin N° 349

du 01/10 au 15/10/2003.

"Tous les magasins interconnectés", l’intelligent du 28 novembre 2002.

"Un empire au bord de l’Emiettement", l’intelligent du 15 janvier 2003.

"Vivement le ramadan", l’intelligent du 6 décembre 2002.

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Table des matières

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Sommaire

Introduction générale

1. La gouvernance des entreprises : principaux concepts théoriques

1.1. Aspect macro-économique de la gouvernance d'entreprise…………………12

1.1.1. Définition et importance des institutions…………………………….… 12

1.1.2. Types et fonctions des institutions….…………………………………... 14

1.1.3. Les principales approches théoriques macro-économiques de la

gouvernance d'entreprise…………………………………………………15

1.1.3.1. Les théories fondées sur l'appropriation de la rente………….. 15

1.1.3.1.1. La théorie juridico-financière……………………………16

1.1.3.1.2. La théorie politico financière……………………………..17

1.1.3.1.3. La théorie des dotations…………………………………. 20

1.1.3.1.4. La théorie socioculturelle ……………………………….. 20

1.1.3.2. Les théories fondées sur la production…………………………. 21

1.1.3.2.1. La théorie des variétés du capitalisme (VOC)…………..22

1.1.3.2.2. La théorie des régulations………………………………. 22

1.1.3.2.3. La théorie des systèmes sociaux d'innovation et de

production (SSIP)……………………………………………………23

1.2. Aspect micro-économique de la gouvernance des entreprises………….……23

1.2.1. Définitions de la gouvernance d’entreprises…………………………….23

1.2.2. Les approches théoriques de la gouvernance des entreprises……….…25

1.2.2.1. L'approche financière (actionariale)…………………………….25

1.2.2.1.1. Définition de la relation d'agence……………………… .25

1.2.2.1.2. L'enracinement des dirigeants………………………..… 26

1.2.2.2. L'approche partenariale………………………………………….29

1.2.2.3. L'approche cognitive……………………………………………...31

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153

2. Les principaux acteurs de la gouvernance d'entreprise en Tunisie

2.1. Cadre législatif, réglementaire et juridique des sociétés cotées et des groupes

d’entreprises en Tunisie…………………………………………………………… 32

2.1.1. Les sociétés anonymes par actions, faisant appel public à l’épargne….32

2.1.1.1. Constitution de la société anonyme en Tunisie…………………32

2.1.1.2. Fonctionnement des sociétés anonymes en Tunisie…………..…33

2.1.1.2.1. Le conseil d’administration …………………………..….33

2.1.1.2.2. Le commissaire aux comptes ……………………….…..34

2.1.1.2.3. L’assemblée générale des actionnaires …………….…...34

2.1.1.3. Dissolution des sociétés anonymes en Tunisie ………………….35

2.1.2. Cadre législatif, juridique et réglementaire des groupes de sociétés en

Tunisie …………………………………………………………………35

2.2. Les mécanismes externes et internes de la gouvernance d'entreprise en

Tunisie………………………………………………………………………………..37

2.2.1. Les principaux mécanismes externes…………………………………….….38

2.2.1.1. L’Etat, le cadre institutionnel, les autorités de contrôle et de

régulation des marchés en Tunisie……………………………………….38

2.2.1.1.1. L'intervention indirecte de l’Etat ………………………38

2.2.1.1.2. L'intervention directe de l’Etat ………………………...40

2.2.1.1.2.1. Le Conseil du Marché Financier en Tunisie …40

2.2.1.1.2.1.1. Composition du Conseil du Marché

Financier en Tunisie………………………………….41

2.2.1.1.2.1.2. Attributions du Conseils du Marché

Financier en Tunisie……………………………….…41

2.2.1.1.2.2. Les intermédiaires en Bourse en Tunisie………43

2.2.1.1.3. Les formes d’intervention de l’Etat tunisien……………44

2.2.1.2. Les banques…………………………………………………….…46

2.2.1.2.1. Rôle des banques …………………………………………46

2.2.1.2.2. Les banques en Tunisie…………………………………...48

2.2.1.3. Les fournisseurs…………………………………………….……49

2.2.2. Les principaux mécanismes internes……………………………………51

2.2.2.1. Le conseil d’administration…………………………………..…51

2.2.2.1.1. Composition du conseil d’administration…………….…52

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154

2.2.2.1.2. Qu’est ce qu'un administrateur indépendant ?…………52

2.2.2.1.3. Rôles du conseil d’administration……………………….53

2.2.2.1.4. Efficacité du conseil d’administration………………….. 55

2.2.2.1.5. Critères d’un conseil d’administration efficace selon le

principe proposé par l’OCDE…………………………………….…57

2.2.2.2. Dirigeants et système de gestion………………………………...58

2.2.2.2.1. Rôles et objectifs du dirigeant………………………….. 59

2.2.2.2.2. La responsabilité du dirigeant…………………………... 60

2.2.2.2.3. Dirigeants d’entreprises et système de gestion en Tunisie

rapide aperçu………………………………………………………...60

2.2.2.2.4. Statut du dirigeant……………………………………..…61

2.2.2.3. Les salariés………………………………………………………..63

Conclusion d'étapes………………………………………………………………………….66

3. BATAM, "monographie d’un cas d’échec"

Introduction… ………………………………………………………………………………67

3.1. Positionnement méthodologique………………………………………………68

3.1.1. L'approche qualitative…………………………………………………...69

3.1.2. L'étude de cas……………………………………………………………..70

3.1.3. Techniques de collectes de données dans une approche qualitative…..71

3.1.3.1. L'étude documentaire……………………………………………72

3.1.3.1.1. Les données secondaires internes………………………..73

3.1.3.1.2. Les données secondaires externes………………………..73

3.1.3.2. L'entretien et ses méthodes………………………………………74

3.1.3.2.1. Constitution de l'échantillon……………………………...76

3.1.3.2.2. Mode d'échantillonnage…………………………………..77

3.1.3.2.3. Le guide d'entretien……………………………………….79

3.2. Evolution historique du groupe BATAM……………………………………..80

3.2.1. Morphologie du groupe…………………………………………………..80

3.2.1.1. 1988, la fondation de BATAM…………………………………...80

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155

3.2.1.2. Une expansion rapide du périmètre de BATAM……………….81

3.2.2. Structure et activité du groupe BATAM………………………………..83

3.2.2.1. Le groupe BATAM avant l’introduction en Bourse………….. 84

3.2.2.2. Le groupe BATAM après l’introduction en Bourse…………...85

3.2.3. Ralentissement de la croissance de la société HELA …………………..86

3.2.4. Activité du groupe durant les années 1998 – 2001……………………..88

3.2.5. Intervention de l’Etat tunisien en 2002 et "plan de sauvetage" du

groupe………………………………………………………………………………...88

3.2.6. Le sort de BATAM, une fin désagréable………………………..…….…90

3.3. BATAM, un modèle de gestion défaillant et un système de gouvernance

inefficient…………………………………………………………………………..…91

3.3.1. Le personnel du groupe, une véritable cause de défaillance…...………92

3.3.1.1. Le PDG du groupe, un véritable chef d’orchestre…………...…92

3.3.1.2. Les défaillances se situent d’abord au niveau très haut de la

hiérarchie……………………………………………………………………..95

3.3.1.3. Des consultants inefficaces……………………………………….97

3.3.1.4. Les salariés, impliqués aussi dans l’affaire BATAM………….102

3.3.1.5. Recrutement, promotion et rémunération chez BATAM…….103

3.3.2. Un management défaillant et des choix stratégiques inefficients….....106

3.3.3. Irrégularités des comptes, flous juridiques et comptables et

responsabilité du commissaire aux comptes mise en cause………………….110

3.3.4. Conseil d’administration formellement établi…………………………116

3.3.5. Banques, Banque Centrale et BATAM : des relations pleines de

mystères…………………………………………………………………………120

3.3.6. Fournisseurs et banquiers : des réseaux relationnels importants……125

3.3.7. Conseil du marché financier (CMF), Bourse et intermédiaire en Bourse

induits en erreur………………………………………………………………..126

Conclusions…………………………………………………………………………………129

Conclusion générale

Bibliographie

Table des matières