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Revue de cinéma intéractive Les Dossiers d’ N°5 - PRINTEMPS 2010 John Milius, L’Époque des hautes aventures

Les Dossiers d'Acmé N°5 : John MIlius

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Scénariste, dialoguiste, réalisateur, John Milius a souvent été critiqué pour son conservatisme. Il demeure pourtant plus complexe qu’il n’y paraît. A plus forte raison, il est l’un des auteurs américains des années 1970 et 1980 parmi les plus sous-estimés tant son art de la narration s’avère passionné et captivant. Peu sont d’ailleurs ceux qui comme Milius peuvent se targuer d'être des figures si hautes en couleur et d'être ainsi entrés de plain-pied dans l’imaginaire hollywoodien.

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Revue de cinéma intéractive

Les Dossiers

d’

N°5 - pRiNtemps 2010

John milius, L’époque des hautes

aventures

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2Les Dossiers d’Acmé N°5 : John Milius

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3Les Dossiers d’Acmé N°5 : John Milius

Les Dossier d’AcméPRINTEMPS 2010 - N°5

Rédacteur en chef : Danilo Zecevic([email protected])

Rédacteurs : Sylvain Angiboust, Fabien Delmas, Roland Fériaud, Alexandre Lebel, Danilo Zecevic.

Correctrice :Corinne Raiff

Maquette revue numérique : Pascale Dufour([email protected])

Webmestre et graphisme du site : Vincent Baticle

Rédaction et Edition :Association Acme4, rue Pierre Midrin92310 SèvresMail : [email protected]

L’iconographie est issue de photos d’exploitations ou de capture de DVD des éditeurs suivants :Warner Home Video, Universal Pictures Video, Fox Pathé Europa, G.C.T.H.V., Gaumont Columbia Tristar, Pixar, Buena Vista Home Entertainement, Wilde Side Video, Paramount, MK2. Tous droits réservés.

© Les auteurs, Acmé, 2010. Tous droits réservés pour tous pays. Toute reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit sans le onsentement de l’auteur ou de ses ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon. Les textes n’engagent que leurs auteurs.

A l’heure du bouclage ce numéro, la nouvelle a fait le tour du monde cinéphilique avec force et fracas. Mickey Rourke devrait jouer Gengis Khan dans un biopic retraçant la vie du célèbre chef mongol. Mais là où ça commence à devenir encore plus intéressant c’est que la réalisation et la rédaction du scénario ont été confiées à John Milius ! Rien d’étonnant à cela lorsqu’on connaît l’amour de Milius pour l’Histoire, les grands conquérants et les mongols en particulier. Dans

les lointaines années 1980, Milius – que sa réputation précède – s’était, en effet, délecté à se représenter en Gengis Khan au détour d’un dessin dans la séquence d’ouverture de L’Aube rouge. C’est que, dans le film, une bande de Huns allaient bientôt déferler sur les Etats-Unis. Sans doute, Milius se souvient-il avec humour du Conquérant de Dick Powell avec un John Wayne aux yeux bleus bridés en Temüjin. Sans doute aussi, a-t-il en tête le Alexandre de son ami Oliver

Stone, tout aussi cultivé, polémique et indésirable à Hollywood que lui. La passion de Stone pour Alexandre le Grand et sa totale liberté de création s’étaient soldées par un film hétérogène où un certain kitch de l’intime côtoyait le sublime des champs de bataille et de la méditation. Gageons que Milius saura éviter grâce à son art établi de la narration certains écueils de la représentation et qu’il insufflera complexité morale et grandeur à cette figure légendaire. Saluons enfin, le retour aux affaires de l’un des auteurs américains parmi les plus sous-estimés de sa génération. Le dernier film de John Milius sorti en salles, Le Vol de l’Intruder, date d’il y a presque 20 ans. Même si Rough Riders, réalisé à la télévision, n’a rien à envier aux métrages de cinéma, il semblerait bien que ce soit sa participation à la série Rome qui l’ait relancé. Désormais considéré comme un spécialiste de l’Antiquité, il rédige actuellement les grandes lignes de sa nouvelle série Pharaon. Reste à espérer que son Gengis Khan se fasse vraiment et le confirme définitivement dans ce nouveau statut.

EDITO

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PrEsEnTaTIOn

Un hEraUT amErIcaIn

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JOhN miLius, scéNARiste

JOhN miLius et ses mODèLes

cONAN, uNe symphONie bARbARe

JOhN miLius, pOLitiquemeNt iNcORRect

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Une légende court à Hollywood. Alors qu’ils s’apprêtaient à sortir La Guerre des étoiles, Rencontres du troisième type et Graffiti Party, George Lucas, Steven Spielberg et John Milius conclurent un accord. Ils allaient mettre en commun les bénéfices de leur film respectif et se les partager de manière équitable. La Guerre des étoiles fit les plus grosses recettes de l’Histoire du cinéma. Rencontres du troisième type apporta la consécration à son réalisateur. Graffiti Party fit un bide monumental au point que son auteur perdit la quasi-totalité de ses amis et pensa, au point où il en était, à s’engager dans la légion étrangère. Mais grâce à ses deux compères, il pouvait toujours se targuer d’avoir empoché un joli pactole. Peut-être en raison de son conservatisme affiché, John Milius n’aura jamais eu ni la carrière ni l’aura d’un Spielberg ou d’un

Lucas, l’ami des années estudiantines à l’USC et compagnon des premières heures. Contrairement à ses compères, Milius a toujours été un franc-tireur et un anti-conformiste à Hollywood même si c’est probablement le système qui lui a permis de s’épanouir. A l’heure où l’on préférait la bande dessinée à la littérature, les effets spéciaux à la construction dramatique et les êtres venus du ciel aux héros implantés dans la réalité, le goût pour l’Histoire et les valeurs morales ancestrales que véhiculaient les films de Milius apparurent

sans doute comme archaïques. Il s’agit pourtant là de l’un des auteurs parmi les plus originaux, complets et importants des années 1970 et 80. Scénariste, dialoguiste, réalisateur, Milius est aussi : porte-parole de la NRA, scénariste mercenaire pour blockbusters en manque de verve, producteur de télévision (Rome), « conseiller spirituel » du film Œil pour œil avec Chuck Norris (comprenne qui pourra), consultant du Pentagone pour lequel il imagine des jeux de guerre, scénariste de jeu vidéo (Medal of Honor) et co-fondateur de la ligue américaine d’Ultimate Fighting, ces jeux du cirque modernes. Le parcours est hétérogène mais les obsessions cohérentes : les armes à feu, l’Histoire, la guerre, et plus que tout la passion de raconter des histoires. Figure haute en couleur, Milius est entré dans l’imaginaire hollywoodien. Le cinéaste apparaît dans une nouvelle de l’écrivain Aleksandar Hémon et propose, cigare au bec, de mettre fin par la force à guerre en Bosnie. Milius est surtout le modèle avoué du personnage culte de Walter Sobchak dans The Big Lebowski des frères Coen, grande gueule barbue et militariste à laquelle John Goodman prêtait sa silhouette démesurée et sa voix caverneuse, dignes de l’original.Pour le cinéma, John Milius n’aura réalisé que six films mais chacun d’eux mérite qu’on s’y attarde tant la puissance romantique qui s’en dégage reste inégalée dans le cinéma contemporain. Aussi panthéiste et philosophe que Terrence Malick, Milius rêve d’équilibre cosmique sous ses atours de viking. Avec l’espoir au bout d’aller au Walhalla.

(Dossier dirigé par Sylvain Angiboust et Danilo Zecevic)John milius

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mIlIUs aU fIlDEs rEPlIqUEs (1)

« J’adore l’odeur du napalm au petit matin », c’est de lui. John Milius est l’auteur de nombreuses répliques du cinéma américain devenues cultes. Scénariste-dialoguiste, Milius possède un indubitable talent littéraire qui transparaît à la fois dans les voix off élégiaques qui portent les intrigues et dans les discours et les dialogues martiaux, machos et percutants qui amplifient la dimension solennelle de la dramaturgie. Morceaux choisis.

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L’iNspecteuR hARRy

Le maire de San Franciso : Callahan, je ne veux plus d’ennuis comme l’année dernière à Fillmore. Compris ? C’est ma politique. Harry Callahan : Quand un adulte mâle chasse une femelle avec l’intention de la violer, je tue le salaud, c’est ma politique. Le maire de San Franciso : L’intention ? Comment le saviez-vous ? Harry Callahan : Un gars poursuit une pépée avec un couteau de boucher et une érection, je suppose qu’il ne quête pas pour la Croix Rouge ! Le maire de San Franciso : C’est un argument.

Harry Callahan : Je sais ce que tu penses. « C’est six fois qu’il a tiré ou c’est cinq seulement ? » A dire vrai, dans tout ce bordel, je n’ai pas très bien compté moi-même. Mais ceci est un Magnum .44, le plus puissant soufflant qu’il y ait au monde, un calibre à vous arracher toute la cervelle. Tu ne dois donc te poser qu’une seule question : « Est-ce que je me sens en veine ? » Alors, comment te sens-tu, voyou ?

Gonzalez : J’ai une question, inspecteur Callahan : pourquoi vous appelle-t-on Harry le Charognard ? Di Giorgio : C’est ce qui fait son charme. Pas de favori. Il déteste tout le monde, les métèques, les angliches, les juifs, les négros, les japs, les chinetoques. Faites votre choix. Gonzalez : Et qu’est ce qu’il pense des mexicains ? Di Giorgio : Demandez-lui.Harry Callahan : Les pires de tous.

Kilgore : Vous sentez ça ? C’est du napalm, une odeur unique au monde. J’adore l’odeur du napalm au petit matin. On bombardé une colline durant 12h. Après je suis allé voir. On n’a pas retrouvé un seul cadavre niac. Et l’odeur, cette odeur d’essence. Toute la colline sentait la victoire. Un jour cette guerre finira.

ApOcALypse NOw

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Un hEraUT amErIcaIn

Rough Riders est dédié « à la mémoire de Brian Keith, Acteur, Marine, Conteur, 1921-1997 ». En rendant ainsi hommage à son interprète du Lion et le vent, John Milius révèle les deux vertus cardinales qui composent sa vision de l’Homme : le militaire et le narrateur. L’individu se révèle à lui-même sur le champ de bataille (ou dans l’exploit sportif) mais ne touche à l’éternité que par la mémoire des générations suivantes. Scénariste, réalisateur, John Milius est un raconteur d’histoires, un colporteur de légendes qui n’a cessé de mettre en scène les processus de la fiction.

sylvain Angiboust

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Le mythe est uNe pAROLeLa plupart des œuvres de Milius débutent par une narration, retour sur un passé posé d’emblée comme légendaire et fondateur. L’emploi de la voix off peut être limité aux bornes du film (le bref prologue et l’épilogue qui encadrent Rough Riders) ou au contraire scander le récit sur un mode nostalgique (Graffiti Party) ou épique (Conan le barbare). La voix off de Graffiti Party n’est pas identifiée à un personnage précis, ce qui fait d’elle l’émanation d’une mémoire collective. Dans L’Adieu au roi ou Motorcycle gang, la voix off permet au personnage principal de revenir sur son passé et présente le film à venir comme un récit initiatique, héroïque mais cruel. C’est l’influence, essentielle pour le scénariste-réalisateur, des récits de voyage de Kipling, Conrad, Hemingway ou Schoendoerffer, qui finissent par se confondre avec les fables des anciens temps. Dans Conan le barbare, la voix off apparaît d’abord sur fond noir, avant même les images de métal en fusion du générique : la parole est à la source de la création du monde, elle préexiste aux images et les fait advenir. Dans Juge et hors-la-loi, les témoins de la vie extraordinaire de Roy Bean se tournent vers la caméra pour adresser leurs souvenirs directement au spectateur. L’histoire de Jeremiah Johnson suit les couplets d’une chanson qui transmet la mémoire du trappeur.Les films de Milius nous racontent « l’époque des hautes aventures » (« the day of high adventure »). L’expression vient de Pierre Schoendoerffer mais Milius l’emploie d’abord dans Conan le barbare avant de lui redonner sa place dans L’Adieu au roi. On ne compte plus chez le réalisateur les scènes où les personnages sont réunis, souvent autour du feu, pour écouter une histoire :

Raisuli évoque ses années de captivité et Roosevelt raconte sa chasse à l’ours aux journalistes qui suivent ses moindres pas (Le Lion et le vent), le père de Conan emmène son fils en haut d’une montagne pour lui conter l’origine du fer, Powers Boothe explique aux jeunes résistants de L’Aube rouge la prise

des Etats-Unis par les Soviétiques, Learoyd raconte comment il est devenu roi (L’Adieu au roi) et dans Rough Riders, les soldats se réconfortent en imaginant ce qu’ils feront lorsque la guerre sera finie. Dans la série Rome, le rôle du conteur est tenu par le crieur public du Forum qui, au fil des épisodes,

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proclame les nouvelles et tient le compte du passage des jours et des années.Milius inscrit ainsi le récit cinématographique dans la continuité des chroniques archaïques, équivalent moderne aux fictions orales des premiers hommes. Le retour à des conceptions ancestrales de la fiction permet à Milius de s’éloigner de la réalité : film sur un groupe de surfeurs au cours des années soixante et soixante-dix, Graffiti Party est aussi pour le cinéaste l’occasion d’exprimer une conception panthéiste de l’univers, de développer des interrogations cosmiques évoquant plus David Lean que les Beach Boys. Sur la bande-son, la musique symphonique de Basil Poledouris remplace les tubes rétro et la voix off se fait lyrique et abstraite (« Qui sait d’où vient le vent. Est-ce le souffle de Dieu ? Qui sait d’où viennent les nuages ? D’où viennent les grandes vagues et pour qui ? »). On assiste dans L’Aube rouge à un retour des anciens rites tribaux (le chasseur boit le sang du premier animal qu’il tue afin d’absorber son esprit) et dans L’Adieu au roi, un commando de soldats japonais en déroute se mue en une

« colonne fantôme » qui dévore les morts, à l’aura

aussi maléfique que le culte de Thulsa Doom dans Conan le barbare.

« impRimez LA fictiON ! »La fiction se transmet également par l’image. Le générique de Rough Riders résume les étapes du conflit entre les Etats-Unis et l’Espagne autour de Cuba par des coupures de presse d’époque, technique déjà utilisée comme transition entre les différentes époques de Juge et hors-la-loi et surtout dans Dillinger pour montrer la renommée grandissante du pilleur

de banques à travers les Etats-Unis et son intégration dans l’imaginaire populaire. Rough Riders consacre une part importante de sa seconde partie à décrire le travail méconnu des correspondants de guerre (le magna de la presse William Randolph Hearst lui-même accompagne les troupes à Cuba). Ces civils suivent les soldats sur le champ de bataille, prennent parfois part aux combats et écrivent littéralement

l’histoire en train de se faire, prenant des notes au milieu des explosions, peignant les soldats à une époque où le photo-reportage n’existe pas encore. La fiction l’emporte sur la réalité. Dans Dillinger, le criminel est cerné par ses représentations, il se voit à la une des journaux, entend parler de lui à la radio et mourra devant un cinéma après avoir assisté à la projection d’un film de gangsters. Dans la rue, les enfants jouent à John Dillinger et, dans Rough Riders, les journalistes transforment les combats en une épopée fantasmée : Hearst nous rappelle que « la vérité est la première à souffrir de la guerre. » Contrairement à Oliver Stone et son Alexandre, Milius s’interroge moins sur

milius met en scène des personnages en constante

représentation.

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la véracité la légende qu’il n’illustre la jouissance de sa création. Le réalisateur n’introduit que rarement une distance avec son sujet et assume de faire de ses personnages des icônes plus belles que la vie. C’est pourtant sans complaisance ni faux-semblants qu’il filme la déchéance des surfeurs de Graffiti Party, sans doute parce qu’il s’agit là de souvenirs personnels, mais la longue scène finale offrira aux personnages l’occasion d’effacer leurs erreurs passées et de dépasser leur condition humaine en se confrontant, tels des héros antiques, à la puissance de la nature. Les souffrances de la réalité passent et seule reste la légende : « Le vent a balayé les odeurs fétides des cadavres et nous nous souvenons juste de l’éclat de notre jeunesse » nous dit Fairbourne au début de L’Adieu au roi.

eNtReR DANs LA LégeNDeLes personnages de Milius prennent la pause devant sa caméra, lui accentue encore leur prestance. Dans les deux films qu’il lui a consacrés, Milius présente Theodore Roosevelt comme un être en constante représentation.

Les héros miliusiens fantasment leur existence : bandit en fuite, Roy Bean se proclame juge et fonde sa propre ville, le colonel Kurtz et Learoyd abandonnent la civilisation pour devenir les seigneurs d’une communauté primitive. Criminel, John Dillinger est aussi un comédien qui, lorsqu’il est arrêté, multiplie les bons mots pour attirer les flashs des journalistes. Melvin Purvis, l’agent fédéral qui le poursuit, met lui-même en scène chacune de ses arrestations, posant pour les journalistes avec son cigare au bec et prêtant son pistolet à un enfant pour faire la promotion du FBI. Lorsqu’il braque une banque, Dillinger, conscient de son devenir-légende, s’adresse ainsi à ses victimes : « les dollars

que vous perdez aujourd’hui vous feront des histoires à raconter à vos enfants et vos petits-enfants. » Dès la première scène du film, il tient son discours face à la caméra, à l’attention de son public, celui de la banque mais aussi de la salle de cinéma. Les gangsters sont attentifs à leur image, tant dans leur apparence physique que dans leur réputation. Lorsqu’il braque un bar, Dillinger hurle son nom et demande aux clients de bien se souvenir de son visage car ils le verront à la une des journaux le lendemain. Le nom devient l’équivalent de l’être : après la mort d’un de ses compagnons, Dillinger ne peut pas écrire son nom sur sa tombe car il est trop connu et pourrait attirer des pilleurs. Lorsqu’il est arrêté, Machine Gun Kelly appelle pour la première fois un agent du gouvernement « G-Man » et le terme passe à la postérité.

Les personnages s’inscrivent dans une généalogie épique et légendaire : les aventures de Conan prennent place « entre le temps où les océans engloutirent l’Atlantique et l’avènement des fils d’Arius » et dans Rough Riders, Roosevelt compare son unité aux cosaques et aux légions romaines. L’Aube rouge commence par un cours d’Histoire où le professeur raconte les grandes chasses de Gengis Khan à ses élèves, appelés eux aussi à battre la campagne comme des guerriers primitifs, appliquant les stratégies militaires du conquérant Mongol. Learoyd est présenté comme « le dernier roi de Bornéo » et lorsque le trois héros de Graffiti Party sont appelés par la voix off les « rois » de la plage, ce qualificatif anachronique n’a rien d’une métaphore. Film le plus faible de son auteur, Le Vol de l’Intruder est

La sédentarité est le plus grand danger qui menace les

héros miliusiens.

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justement celui qui ne témoigne pas d’une conscience de la légende et se limite à un récit factuel (bien que fantasmé) de la guerre du Viêt Nam. Le film se concentre sur le quotidien des soldats et l’action d’éclat destinée à marquer l’Histoire (le bombardement nocturne d’Hanoï par deux pilotes têtes brûlées) est cachée par l’administration militaire, là où au contraire les embuscades des Wolverines dans L’Aube rouge fondaient leur renommée. Comme toujours excessives, les opinions politiques du cinéaste en apparaissent plus maladroites car elles ne sont plus mises en perspective avec les enjeux plus vastes du mythe qui permettaient de les justifier dans Conan le barbare ou L’Aube rouge.

AutRe temps, AutRe mONDeIncontestablement, la légende est l’alpha et l’oméga du cinéma de Milius. Elle inscrit ses personnages dans l’éternité alors qu’ils sont aux prises avec un présent désacralisé. Dans L’Adieu au roi, Learoyd tente de s’abstraire de l’Histoire. Il déserte la Seconde Guerre mondiale pour rejoindre des indigènes vivant en marge du progrès. Là, il découvre une communauté plus ancienne encore, cachée au fond d’une

grotte, préservée comme au commencement des temps, semblable en un sens aux hyperboréens évoqués dans Conan le barbare, peuple sublime mais dont il ne reste que des ruines. Le mouvement historique est une menace pour les héros de Milius : rattrapé par la guerre, Learoyd assiste à la destruction de son village et est arrêté par l’armée américaine, les héros de L’Aube rouge sont brutalement arrachés à une jeunesse édénique pour devenir des soldats de la liberté. Cet abandon du paradis est une nécessité initiatique et un engagement moral. C’est parce qu’ils ont été obligés par la force à prendre leurs responsabilités que ces personnages deviennent des héros. Comme Jeremiah Johnson qui s’enfonce dans les montagnes, les héros de Milius fuient le progrès. Roy Bean disparaît alors que le vingtième siècle commence, marqué par la course au profit (le pétrole) et le respect du droit (Bean inventait ses propres lois et doit céder sa place à la tête de la ville à un notaire procédurier et corrompu). Il réapparaîtra, tel un fantôme, pour rendre la société nouvelle au chaos, avant de s’engloutir dans les flammes. A la fin de L’Adieu au roi, Learoyd est ramené de force vers la civilisation pour être jugé

mais Fairbourne lui rend sa liberté, promesse de nouvelles aventures. La sédentarité est le plus grand danger qui menace les héros miliusiens : dans Graffiti Party la vie de famille consume les surfeurs et Ours s’embourgeoise avant de tout perdre ; devenus riches après un vol, Conan et Valéria jouissent de plaisir superficiels et s’enferment dans les tavernes.

Les temps changent. Raisuli et son peuple sont soufflés par le vent de l’Histoire, la police se modernise pour arrêter Dillinger, Roy Bean comme Theodore Roosevelt doivent céder leur place aux capitalistes. Dans Le Lion et le vent, le Président constate avec mélancolie que le Raisuli et lui sont les derniers des brigands. Désormais ce sont J.P. Morgan et ses capitaines d’industrie qui contrôlent le monde. Dans Graffiti Party, le « règne des maîtres nageurs » remplace celui des surfeurs. Héros individualiste, Conan est confronté à deux organes de contrôle sociaux : le pouvoir royal (le roi Osric) et surtout la religion (le culte de Thulsa Doom). Milius célèbre la vertu formatrice de la guerre mais présente les conflits historiques comme un vecteur de désacralisation du monde : les prémisses de la première guerre mondiale dans Le Lion et

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le vent (le Maroc est envahi de conseillers militaires prussiens comme le Mexique dans La Horde sauvage), la guerre du Pacifique dans L’Adieu au roi, le Viêt Nam dans Graffiti Party.Contre les vicissitudes de la vie adulte, le surf maintient les héros de Graffiti Party dans un état d’éternelle adolescence. La nostalgie de Milius n’est pourtant pas sociologique mais mythologique : par le surf, ses héros établissent une relation au cosmos, à la mer comme matrice universelle. Lorsque Jack revient du Viêt Nam, l’eau dans laquelle il surfe est terne et recouverte d’algues verdâtres, comme si la nature subissait les contrecoups de la crise traversée par le personnage (il a vu ses amis mourir à la guerre, sa femme est sur le point de le quitter) et l’Amérique. De façon panthéiste, la nature porte les stigmates de la chute de l’Homme. La mer retrouve sa perfection originelle pour la dernière scène de surf : le cycle de la nature traverse une phase de renouveau qui se communique aux personnages habités d’une nouvelle jeunesse. Le « Big Wednesday » durant lequel se forment sur l’océan les plus grosses vagues jamais vues est à la fois une apothéose et un chant du cygne : jamais plus les vagues ne seront aussi hautes ni le surf aussi beau. Malgré leur triomphe (ou à cause de lui), les trois héros intègrent définitivement (mais harmonieusement) la réalité profane.

iL étAit uNe fOis…Les héros de Milius tentent de rejoindre (ou de préserver) la perfection mythique des commencements, ou du moins le « bon vieux temps » de l’aventure (c’est le désintéressement final du Raisuli qui fait toute la beauté du Lion et le vent).

Ces idéaux sont éphémères mais le héros laisse toujours une trace de son passage dans ce bas-monde, un objet ou une histoire, colportés de génération en génération, jusqu’à l’écran de cinéma. A la fin de Graffiti Party, Jack donne sa planche à un adolescent transmettant littéralement le flambeau à la nouvelle génération. L’épée que forge le père de Conan au début du film revient finalement à son fils. Dans Graffiti Party, Ours fabrique des planches destinées à surfer la vague parfaite comme le père de Conan fabrique des épées. Ces deux figures du mentor (comme l’est également Powers Boothe dans L’Aube rouge) sont également des conteurs : l’un raconte des anecdotes sur le surf aux jeunes vacanciers et l’autre transmet la légende du fer.

Le mythe est une parole médiatisée, transmise par un

La planche de surf,nouvelle épée d’excalibur

qui se transmet d’une génération à l’autre.

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personnage en marge de l’action. C’est la fonction des journalistes de Dillinger, Le Lion et le vent ou Rough Riders et, par excellence, du Sorcier de Conan le barbare. Vieillard fantasque, il vit seul dans les montagnes, entouré des vestiges d’une civilisation disparue et se proclame chroniqueur des aventures de Conan (y compris celles auxquelles il n’a pas assisté). De même, Fairbourne (L’Adieu au roi) et Nash (Rough Riders) nous racontent moins leur propre histoire que celle de Learoyd ou Theodore Roosevelt dont ils ont été les témoins privilégiés.Le temps qui passe affaiblit les héros et infirme le monde, certes, mais il donne aussi l’opportunité aux évènements vécus de se transformer en légende, altérés par le souvenir et la transmission orale. Dans Graffiti Party, la transmission est double et d’abord faussée. Le documentaire « Liquid Dream » est présenté à Matt comme un hommage aux pères fondateurs du surf mais ne parvient pas à réactiver leur splendeur. Au contraire, il fige les anciens dans un passé défunt pour mieux célébrer la nouvelle garde (le jeune champion Gerry Lopez, ami de Milius et futur Subotaï de Conan de le barbare). La véritable légende est celle transmise par la voix off qui, tout au long du film, revient sur ses souvenirs de jeunesse, prenant naissance dans la foule des spectateurs réunis sur les dunes pour admirer les surfeurs lors du « Big Wednesday ». Le mythe et le héros n’existent qu’en fonction d’une communauté dont ils expriment les aspirations et qui assure leur pérennité, une communauté que Milius met en scène dans ce regroupement d’anonymes dont chacun portera en lui le souvenir des évènements (au milieu de la foule, Ours fait une fois encore office de passeur en expliquant la situation aux plus jeunes).

Dans Le Lion et le vent, c’est par les deux enfants de Mme Pedecaris que se transmet la légende du Raisuli. Alors que leur mère commence par s’opposer au brigand arabe, les enfants le contemplent avec crainte et admiration, ils ne peuvent détourner les yeux lorsqu’il décapite ses serviteurs. Raisuli fait d’eux sa garde rapprochée. Poursuivie par ses kidnappeurs, la jeune Jennifer Pedecaris se cache dans une grotte puis, rassurée, accepte de monter dans les bras d’un bandit alors que son frère William porte le keffieh et veut devenir un bédouin. On pense à Cyclone à la Jamaïque d’Alexander Mackendrick (1965) dans la façon dont les enfants se représentent leur enlèvement comme une aventure dont ils occultent les aspects les plus violents. Le déracinement et la souffrance sont transformés en fiction ludique, comme la guerre devient dans L’Aube rouge un fantasme de boy scout. Recueilli par l’armée américaine, en passe de revenir à la civilisation, William Pedecaris s’endort et Milius visualise ses rêves par une surimpression. Réapparaissent alors les différentes étapes de son voyage et l’image du Raisuli, sublimées par le regard de l’enfant. Le roi du Rif n’aura finalement pas tout perdu puisqu’au moins un gamin se souviendra de lui.Les légendes trouvent dans l’enfant (et le spectateur de cinéma) un récepteur privilégié car elles proposent des leçons de vie transmises par le biais de l’imaginaire. A la fin de L’Adieu au roi, Learoyd se laisse emmener par l’armée et serre une dernière fois sa fille dans ses bras : « Je serai avec toi dans les chansons qu’ils chantent dans les maisons. Quand tu seras grande et que tu auras des enfants, tu leur chanteras ces chansons et ils les chanteront à leurs enfants. Les chansons te rendront forte et tu n’auras plus besoin de moi. »

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Le Général MacArthur explique dans L’Adieu au roi que « l’histoire est écrite par des hommes atypiques. Certains deviennent même rois et d’autres ne laissent pas plus de trace qu’une pierre jetée dans l’océan. » Que reste-t-il des héros de John Milius ? Un musée qui attend la visite de la femme aimée (Juge et hors-la-loi), des photos jaunies dans un vieux coffre (Rough Riders), des silhouettes immobiles sur fond de soleil couchant (Le Lion et le vent), une planche de surf et une quantité d’histoires qui valent d’être racontées. Jeremiah Johnson et les résistants de L’Aube rouge ont un monument à leur mémoire. De retour chez lui après des années passées à combattre les indiens, Johnson découvre que ses ennemis ont érigé un mausolée rendant hommage à son courage et lui conférant une dimension surnaturelle. « Certains disent que vous êtes mort à cause de ça, d’autres disent que vous ne mourrez jamais à cause de ça », lui explique un témoin. Il est une légende. De même, les noms des Wolverines tombés au combat sont gravés dans la pierre

de la montagne par les survivants avant que, des années plus tard, un monument officiel de l’Amérique réunifiée inscrive définitivement leur mémoire dans le paysage.John Dillinger, lui, a gagné la postérité par sa photo affichée sur les cibles de tir du FBI. Un drôle d’honneur, un honneur malgré tout.

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Le VOL De L’iNtRuDeR

Camparelli : Sais-tu seulement qui je suis ? Razor : Oui commandant. Le Cdt Camparelli, le comandant de la flottille. Camparelli : Et Camparelli, c’est quoi ? C’est un nom italo-américain ! Tu as déjà vu un noir avec un tel nom ? Non, t’en as pas vu. Parmi mes ancêtres, y’en a une qu’a craqué pour un Rital. Détecterais-je un sourire sur ton visage répugnant, lieutenant Razor ? Je souhaite que non. Donc résultat des courses : ma famille compte trois générations de mafiosi. Lesquels ont vécu du jeu, de l’extorsion de fonds et du meurtre pour que leur rejeton vole pour l’US Navy. Je prends donc mon job au sérieux. Pigé ?

JeRemiAh JOhNsONVoix off : Son nom était Jeremiah Johnson. Il voulait vivre dans les montagnes. Ils disaient qu’il était homme de raison, aventureux, fait pour la montagne. On ne sait d’où il venait mais qu’importe ! Il était jeune et les histoires du haut-pays ne l’effrayaient pas. Il cherchait un fusil Hawkin, calibre 50. Il se contenta d’un 30 mais un vrai. On ne trouve pas mieux. Il s’acheta un bon cheval, des pièges, de quoi être homme des montagnes et dit au revoir à la vie d’en bas. Jeremiah Johnson : Où trouver des ours, des castors et autres valant argent comptant ? Un commerçant : Allez droit au couchant à gauche des Montagnes rocheuses. Voix off : Voici son histoire.

Un colon : C’est vous ? C’est vous n’est-ce pas ? Jeremiah Johnson : Qu’est ce que c’est ? Un colon : C’est pour vous si vous êtes Johnson. Jeremiah Johnson : Un peu en avance, hein ? Un colon : Cette tombe n’est pas comme les autres. C’est plutôt une statue ou un monument. On ne les voit jamais. On ne les entend jamais. On trouve un bout d’os ou de peau ou quelque chose qu’ils ont laissé alors on sait qu’ils sont venus. Certains disent que vous êtes mort à cause de ça. D’autres disent que vous ne mourrez jamais à cause de ça.

mIlIUs aU fIlDEs rEPlIqUEs (2)

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17Les Dossiers d’Acmé N°5 : John Milius

A LA pOuRsuite D’OctObRe ROuge

Le commandant Marko Ramius : Camarades ! Ici votre comman-dant. C’est un honneur de m’adresser à vous, en ce jour où nous testons ce bâtiment, fierté de notre mère patrie ! Une fois de plus, nous allons disputer une partie dangereuse, une partie d’échec contre notre vieil adversaire, la marine américaine.Depuis quarante ans, vos pères puis vos frères aînés ont joué à ce jeu, et y sont passés maîtres. Mais aujourd’hui, nous avons l’avantage ! Cela me rappelle les jours glorieux du Spoutnik et de Gagarine, quand le monde entier tremblait au rugissement de nos fusées. Eh bien, il va trembler encore… terrifié par notre silence !Je vous ordonne de passer sur propulsion silencieuse ! Camarades, notre propre flotte ignore nos performances. Elle voudra nous éprouver, mais n’éprouvera que de l’embarras ! Nous la laisserons derrière nous, tromperons les patrouilles américaines, franchirons leurs barrages sonars, et passerons au large de leurs grandes villes. Nous écouterons leur rock’n’roll durant nos exercices de tirs ! Après quoi, ils n’entendront que le bruit de nos rires, alors que nous ferons route vers La Ha-vane, où le soleil est chaud comme... la camaraderie !C’est un grand jour, Camarades... Nous entrons dans l’Histoire !

Les DeNts De LA meR

Monologue de Quint« Un sous-marin japonais nous a mis deux torpilles par le travers avant. Ça, ça s’oublie pas. On revenait de l’île de Tinian et on allait à Leyte : on venait de livrer une bombe, celle d’Hiroshima. La Bombe. On a eu onze mille hommes à la mer. Le vaisseau a coulé en douze minutes. Le premier requin est arrivé au bout d’une demi-heure : un requin tigre de quatre mètres. Vous savez comment ça s’évalue quand on est dans l’eau ? En regardant la distance entre la nageoire dorsale et la queue. Mais nous, on en savait rien.Notre mission était si secrète qu’aucun signal de détresse n’avait été envoyé. On est resté huit jours sans être portés manquants. A l’aube, les requins ont commencé à roder et on a formé des petits groupes. Un peu comme les bataillons qu’on voit sur les calendriers, pour la bataille de Waterloo. Lorsqu’un requin s’approchait d’un homme, il se mettait à faire des remous et à hurler. Parfois, ça suffit et le requin fout le camp. Mais pas toujours. Parfois, il reste là et vous regarde bien droit dans les yeux. Je vais vous dire : le requin, ça a des yeux sans vie, des yeux noirs de poupée. Quand il s’approche de vous, le requin, il est pas vivant, jusqu’à ce qu’il vous happe. Ses petits yeux noirs roulent et deviennent blanc et là on entend des cris terribles qui vous percent les tympans. L’océan devient tout rouge et, malgré qu’on se débatte, qu’on gueule et qu’on hurle, ça grouille de partout et ça vous met en pièces. A l’aube de ce premier jour, cent hommes étaient morts. Il y

avait peut-être un millier de requins. Ils bouffaient peut-être six hommes par heure. Le jeudi matin, j’ai vu un de mes potes, Herbie Robinson de Cleveland. Il était maître d’équipage, joueur de base-ball. J’ai cru qu’il faisait un somme, alors je l’ai secoué pour le réveiller. Il a fait des rebonds dans l’eau comme une toupie, la tête en bas. Il était cisaillé à partir la taille. Le cinquième jour à midi, un Lockheed Ventura nous a vus. Il a volé bas et nous a vus. Le pilote était un jeune gars, plus jeune que monsieur Hooper. Il nous a vus, il est reparti. On a attendu encore trois heures et puis un gros hydravion est arrivé et nous a pris à son bord. C’est à ce moment-là que j’ai eu le plus peur, en attendant mon tour. De ma vie, plus jamais je remettrai un gilet de sauvetage. Sur les onze mille hommes à la mer, trois cent seize survivants. Les requins avaient eu les autres, en ce jeudi 29 juin 1945.Enfin, on avait livré la bombe… »

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18Les Dossiers d’Acmé N°5 : John Milius

la PlUmEaU bOUTDU fUsIl

John milius, scénariste

Lecteur érudit, John Milius dit avoir acquis à l’adolescence la capacité d’imiter à la perfection le style des auteurs qu’il admirait : Kerouac, Conrad, Hemingway... On trouve là les prémices d’une carrière littéraire qui va s’épanouir dans le monde du cinéma où, parallèlement à sa carrière de réalisateur, il écrit et collabore à de nombreux scénarios.

Alexandre Lebel

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19Les Dossiers d’Acmé N°5 : John Milius

Au cOmmeNcemeNtEn 1969, Milius sort de l’université et un autre ancien de USC, Willard Huyck (futur scénariste d’American Graffiti, Indiana Jones et le temple maudit et réalisateur d’Howard The Duck), lui obtient un poste au département scénario d’AIP, firme spécialisée dans la série B. Ensemble, ils écrivent The Devil’s 8, pompage des 12 Salopards tellement fauché que, du dire même de Milius, il a fallu réduire le nombre de héros qui passe de 12 à 8. Après ces débuts peu glorieux, Milius enchaîne les scénarios non tournés et le succès arrive en 1972, lorsque l’un d’eux, intitulé Crow Killer est tourné par Sidney Pollack sous le titre Jeremiah Johnson avec Robert Redford. Le scénario de Milius est édulcoré (l’original mettait beaucoup plus l’accent sur la lutte sauvage opposant le trappeur aux indiens Crows) mais le film est une réussite. Le film est un succès qui rapporte à son auteur 90 000 dollars. Une somme pour quelqu’un qui vit encore dans le garage de ses parents. Milius est dès lors reconnu comme un scénariste prometteur dont le travail se vend immédiatement très cher et à qui les studios acceptent de passer les exigences les plus improbables : lorsqu’il accepte de réécrire L’Inspecteur Harry pour Warner, il demande à recevoir, en plus de son salaire, un fusil de collection livré chez lui en limousine !Les modifications apportées au scénario de Jeremiah Johnson ne sont rien comparées à ce que Milius va endurer face à John Huston sur le plateau de Juge et hors-la-loi. Milius tient à ce que l’histoire du juge Roy Bean soit sa première réalisation et trouve une méthode a priori imparable pour convaincre les studios qui veulent acheter son script : il leur en demande un prix exorbitant mais propose une réduction s’il peut tourner lui-même le film. Raté : on lui paie le scénario au prix fort et la

mise en scène est confiée à Huston qui ignore volontairement le texte de Milius et fait réécrire le film au jour le jour par son assistante. Juge et hors-la-loi s’apparente finalement à une juxtaposition de séquences cocasses, parfois brillantes mais trop déconnectées les unes des autres, loin du souffle habituellement contenu dans les histoires de Milius. Plus que le choix de Huston à la mise en scène (les deux hommes deviendront amis et Milius le fera jouer dans Le Lion et le vent), le scénariste déplore celui de Paul Newman pour interpréter Bean, un escroc qui se proclame juge, rendant une justice expéditive et absurde. Alors que Robert Redford avait parfaitement réussi à « s’enlaidir » pour camper un ermite crédible dans Jeremiah Johnson, Newman cabotine avec sa

fausse barbe et ne semble jamais à sa place dans le film. On se prend à rêver de ce qui serait advenu du scénario de Milius s’il avait été filmé par le Sam Peckinpah élégiaque et ironique de Un nommé Cable Hogue, avec Jason Robards ou Warren Oates dans le rôle principal. Quand à Huston, c’est 8 ans plus tard qu’il réalisera son film le plus miliusien, L’Homme qui voulut être roi, épopée ironique sur la vanité du pouvoir dont Milius n’a pourtant pas écrit une ligne. Incomplets, ces deux westerns révèlent pourtant la personnalité de leur auteur qui multiplie des idées pittoresques, mélangeant description réaliste et invention baroques inédites : les indiens chrétiens et francophones de Jeremiah Johnson, un ours apprivoisé qui boit de la bière ou un pistoléro albinos dans Juge et hors-la-loi.Le mauvais sort réservé au scénario de ces deux films convainc Milius de passer à la mise en scène pour faire respecter ses

Jeremiah Johnson et Juge et hors-la-loi révèlent la

personnalité de leur auteur qui multiplie des idées pittoresques.

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20Les Dossiers d’Acmé N°5 : John Milius

histoires (sur le tournage de Juge et hors-la-loi, Huston lui met le pied à l’étrier en lui faisant tourner des plans de seconde équipe). Mais la plupart des scénarios fournis par Milius à Hollywood seront largement altérés.Il écrit avec Terrence Malick une première version de L’ Inspecteur Harry qui doit alors être interprété par Frank Sinatra. Lorsque le scénario est repris par d’autres auteurs, ils perdent tout crédit au générique. Mais Milius peut écrire la suite du film de Don Siegel, Magnum Force, cette fois-ci en collaboration avec Michael Cimino : avec l’ambigüité qui caractérise leurs œuvres respectives, les deux auteurs renversent le postulat du premier film et opposent Harry, le policier adepte de la justice expéditive, à un escadron de la mort qui radicalise ses propres préceptes. Milius n’aura guère de chance avec Walter Hill qui modifie largement les scénarios d’Extrême Préjudice et Géronimo avant de les filmer. Au premier, Hill greffe l’intrigue parallèle mettant en scène le commando des soldats « fantômes » qui vient explicitement parasiter le conflit central entre le Texas Ranger et son ami d’enfance devenu trafiquant de drogue. La transformation de Geronimo est moins heureuse puisque, contrairement aux intentions de Milius, le récit n’est plus centré sur le chef indien mais sur un soldat blanc interprété par Matt Damon.

Au cœuR Des téNèbResEt puis il y a Apocalypse Now, le plus célèbre des films écrits par Milius, bien qu’une fois encore ce ne soit pas sa version du scénario qui ait été tournée par Coppola. A la demande de son ancien camarade de classe, Milius travaille sur le scénario de 1969 à 1975 alors que la guerre n’est pas encore achevée et il

émet l’idée suicidaire de tourner le film sur place au milieu des combats. Il écrit une dernière version du scénario en 1976 avant que Coppola n’achève le travail avec le journaliste et romancier Michael Herr (futur scénariste de Full Metal Jacket), ce qui entraînera une querelle pour les droits du film. Milius refuse en effet que Herr soit crédité comme scénariste, le générique final annonce un scénario de Milius et Coppola et une « narration » de Michael Herr, celui-ci ayant particulièrement travaillé sur la voix off de Willard. Le scénario est encore modifié au fil d’un tournage auquel Milius n’assiste pas et durant lequel Marlon Brando redéfinit le personnage de Kurtz, improvisant une large part de ses dialogues. L’Apocalypse Now de Milius débute par une séquence d’action, une embuscade tendue aux Viêt-Congs par la tribu de Kurtz.

Coppola préfèrera le début moins narratif que l’on connaît mais conserve l’idée visuelle qui ouvre le scénario de Milius (une tête en gros plan sort d’un marécage) et la déplace à la fin du film, lorsque Willard vient tuer Kurtz. De même, le titre du film vient d’une réplique coupée au scénario de Milus. Quand à la scène de surf, l’idée est de Coppola mais c’est bien sûr Milius, surfeur chevronné, qui l’écrit.La plus grande transformation entre les premières versions du scénario et le film tient au personnage de Kurtz. Milius, tout à ses fantasmes héroïques, le présente comme un combattant, Béret vert renégat à la tête d’une armée barbare avec laquelle il continue « sa » guerre et qui meurt, non pas exécuté par Willard, mais en protégeant son camp d’une attaque de l’armée ennemie. La description de Kurtz donnée par Milius est aussi éloignée du personnage malingre et miné par les fièvres tropicales que décrit Joseph Conrad dans la nouvelle qui inspire le film (Au Cœur des ténèbres) que de celui, imposant mais taciturne, finalement campé par Marlon Brando. Souverain et guerrier, ce Kurtz est par contre proche du personnage que Milius fera jouer à Nick Nolte dans L’Adieu au roi. Si les intentions du Kurtz de Milius sont assez explicites, Brando confère au contraire au personnage une aura mystérieuse, presque prophétique, un calme qui contraste avec le chaos de la guerre. La scène où Kurtz lit « The Hollow Men », le poème de T.S. Eliot, est une idée de Brando, une tirade est remplacée et écrite par Milius, là où le personnage décrivait les grandes chasses de Gengis Khan. Ce texte non utilisé sera replacé par Milius dans la bouche du professeur d’Histoire au début de L’Aube rouge.

milius présente Kurtzcomme un combattant,

béret vert renégat à la tête d’une armée barbare.

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21Les Dossiers d’Acmé N°5 : John Milius

« scRipt DOctOR »En 1971, Milius est payé 1000 dollars par jour durant une semaine par l’acteur George Hamilton pour réécrire le scénario d’Evel Knievel, biographie du cascadeur à moto. C’est l’autre aspect de la carrière de scénariste de Milius, celle de script doctor, de réparateur de scénarios, engagé pour améliorer les histoires des autres, réécrire quelques dialogues, souvent sans même avoir son nom au générique (une disparition officielle compensée par un bon gros chèque). C’est ainsi qu’il écrit au dernier moment le monologue des Dents de la mer dans lequel Quint (Robert Shaw) raconte sa première rencontre avec les mangeurs d’hommes, lors du naufrage de l’USS Indianapolis. Mais, lorsque Spielberg lui propose de reprendre le scénario d’Il faut sauver le soldat Ryan, Milius refuse pour se concentrer sur le tournage de Rough Riders. De la même manière, il améliore les dialogues de Sean Connery dans A la poursuite d’Octobre Rouge, faisant profiter le personnage de sa fascination pour les militaires. Lorsqu’il est crédité, aux côtés de Steven Zaillian, au scénario de Danger Immédiat d’après Tom Clancy, Milius se concentre évidemment sur l’écriture des séquences mettant en scène la troupe de mercenaires menée par Willem Dafoe. Milius s’est plaint de voir ses scénarios transformés par leurs réalisateurs mais lui aussi modifie le travail des autres, en tant

que scénariste mercenaire ou que réalisateur. Bien que celui-ci soit crédité au générique, il ne reste rien du scénario d’Oliver Stone pour Conan le barbare, entièrement réécrit par son réalisateur. Très éloigné des récits de Robert E. Howard, Stone emmenait le Cimmérien combattre des armées de mutants à tête d’animaux alors que Milius cherche au contraire à inscrire Conan dans un cadre « historique » afin de crédibiliser sa légende. Milius réécrit également le scénario de Kevin Reynolds pour L’Aube rouge dans le but de développer l’héroïsme des résistants antisoviétiques (la première version se souciait semble-t-il moins

du contexte idéologique que du comportement des adolescents rendus à l’état de nature). Il en va de même pour Le Vol de l’Intruder qu’il réécrit (sans être crédité) avant de le filmer.A chacun de ces projets, Milius apporte son style, à commencer par un sens du dialogue acéré et viril. Exemple dans Conan le barbare : « Quelle est la meilleure chose dans l’existence ? Ecraser ses ennemis, les voir trainés devant soi et entendre les pleurs de leurs femmes » ou dans Rough Riders : « La guerre, c’est comme une dispute, la meilleure façon de la finir c’est de tuer l’adversaire ». Mais aussi un goût pour les tirades lyriques comme la voix off de Graffiti

Party et, enfin, une prodigieuse capacité à composer de grands discours martiaux tels le récit de guerre des Dents de la mer, la harangue de Ramius lors de la première plongée de l’Octobre rouge ou encore le monologue de L’Inspecteur Harry : « Do you  feel  lucky,  punk  ?  ». Milius écrit ses scénarios comme des romans, refusant le jargon technique des professionnels du cinéma au profit de descriptions très précises. Les premières lignes du Lion et le vent sont consacrées à raconter comment les vagues déferlent sur une plage déserte. Le Lion et le vent, comme son titre l’indique, se construit sur une série de métaphores et de caractérisations animales : le Raisuli est associé au lion (un symbole que tente de lui ravir le sultan en se faisant offrir un animal en cage par l’ambassadeur américain) alors que Theodore Roosevelt est alternativement comparé au grand grizzli américain et au vent qui souffle à travers les océans. La qualité littéraire du texte surprend dans des récits essentiellement tournés vers l’action mais le soin apporté à l’écriture du scenario n’empêche jamais dans les films de Milius l’efficacité directe de la mise en scène. Brillant orateur, le scénariste-réalisateur respecte également le silence (Conan le barbare est un film largement muet, porté par la musique) et met la beauté de la langue et celle des images ensemble au service de la narration.

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22Les Dossiers d’Acmé N°5 : John Milius

mIlIUs aU fIlDEs rEPlIqUEs (3)

L’ADieu Au ROi

Learoyd : Les hommes ici rêvent des Dieux et aiment les atti-tudes nobles. Ils veulent rivaliser avec les hommes du passé ? L’époque de Rajah Brooke et des hautes aventures. Pour eux ce sont les hommes qui comptent non leur vie.

Learoyd : Pas de traité, pas de guerre. Je connais vos chefs. Vous nous avez affamés et blessés psychologiquement. Je le sais, je faisais partie du mouvement syndical. J’étais un rené-gat. J’ai fait de la prison. Bon sang, j’étais communiste !Fairbourne : Si vous êtes communiste, comment pouvez alors être roi ? Learoyd : Seul un communiste aurait pensé à ça.

Le Général MacArthur : L’Histoire est écrite par des hommes atypiques. Certains deviennent mêmes rois et certains ne lais-sent pas plus de trace qu’une pierre jetée dans l’océan. (…) Ca-pitaine, si vous dites qu’il est roi alors je suis d’accord. Je vais si-gner ces traités en tant que commandant des forces alliées dans le Pacifique. Et si votre roi était là, je m’agenouillerais devant lui et je lui donnerais mon épée – si j’en avais une.

Fairbourne : Je penserais toujours qu’il est là bas. Un homme libre. J’espère qu’il a trouvé sa vallée quelque part. Adieu mon Roi. Adieu.

cONAN Le bARbARe

Le magicien (en voix off) : Entre le temps où les océans engloutirent l’Atlantide et l’avènement des fils d’Arius, il y eu une époque inouïe, celle où Conan s’avance destiné à porter la précieuse couronne d’Aquiloni sur un front troublé. Moi seul, son chroniquer peut conter son épopée. Permettez-moi de vous conter ces jours de grande aventure.

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23Les Dossiers d’Acmé N°5 : John Milius

Un chef de clan : Conan, quelle est la meilleure chose dans la vie ? Conan : Ecraser ses ennemis, les voir traînés devant soi et entendre les pleurs de leurs femmes

Le père de Conan : Le feu, le vent viennent des dieux du ciel. Mais Crom est ton Dieu. Et Crom vit au sein de la terre. Autrefois, des géants vivaient dans la terre, Conan. Dans le chaos enténébré, ils dupèrent Crom et lui volèrent l’énigme de l’acier. Crom entra en fureur. Et la terre trembla… Le feu et le vent, abattant les géants, précipitèrent leur corps dans les flots. Mais dans leur rage les Dieux oublièrent le secret de l’acier sur le champ de bataille. Nous qui l’avons trouvé ne sommes que des hommes. Pas des Dieux ni des géants… rien que des hommes. Le secret de l’acier a toujours été porteur d’un mystère. Tu dois apprendre sa valeur Conan. Et apprendre sa discipline car en ce monde il n’y a personne en qui tu peux te fier. Que ce soit homme, femme ou animal. Mais à ceci tu peux te fier.

Le roi Osric : Savez vous ce que vous avez fait ? Rexor lui-même est venu devant moi. Il m’a menacé, moi, un roi ! Quelle audace ! Quel affront ! Quelle insolence ! Quelle arrogance ! Je vous salue !

Conan : Crom, je ne t’ai jamais invoqué jusqu’ici. Les mots ne me viennent pas. Personne, pas même toi, ne se rappellera si nous étions bons ou mauvais, pourquoi nous nous battions et pourquoi nous mourûmes. L’important est que deux ont tenu tête à cent. Voilà ce qui compte. La vaillance, te plaît, Crom. Accède à ma demande. Accorde moi la vengeance ! Et si tu restes sourd, va au diable !

Conan : Une journée comme celle-là me rappelle quand mon père m’emmenait en forêt et qu’on mangeait des myrtilles sauvages. Cela fait déjà 20 ans. J’étais juste un enfant de qua-tre ou cinq ans. A cette époque, les feuilles étaient si brunes et vertes. L’herbe sentait bon avec le vent du printemps. Pres-que 20 ans de combats sans merci. Pas de repos, pas de som-meil comme les autres. Et pourtant le vent de l’Ouest souffle, Subotai. As-tu déjà ressenti un tel vent ? Subotai :.Il souffle là où je vis aussi. Au nord du corps de chaque homme. (…)Conan : Pour nous, il n’y a pas de printemps. Juste le vent qui sent le frais avant la tempête.

Thulsa Doom : Tu es venu à moi mon fils. Car qui est ton père maintenant si ce n’est pas moi ? Qui t’a donné la volonté de vivre ? Je suis la source vitale d’où tu jaillis. Moi parti, tu n’aurais jamais été. Que serait ton monde privé de moi ? Mon fils !

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24Les Dossiers d’Acmé N°5 : John Milius

lEs canOns DE cImmErIE

John miliuset ses modèles

L’aversion de John Milius pour les réalisateurs révisionnistes et libéraux des années 1970 transparaît dans une réplique de son Dillinger, « les choses allaient bien avant que Bonnie et Clyde ne commencent à faire leur cirque. Ils gâchent le métier. ». La saillie s’attaque moins au célèbre couple de gangsters qu’à Arthur Penn, réalisateur du film éponyme. Car si ses contemporains entendent réécrire l’Histoire, Milius n’a d’autre but que de nourrir le mythe en empruntant le chemin tracé par les références cinématographiques et littéraires de sa jeunesse.

Roland fériaud

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25Les Dossiers d’Acmé N°5 : John Milius

Le cANON JOhN fORD Un metteur en scène qui prénomme son fils Ethan en hommage au personnage interprété par John Wayne dans La Prisonnière du désert ne peut pas être complètement mauvais. Plus qu’un simple objet d’admiration, le chef d’œuvre de John Ford se révèle être pour John Milius un film matriciel. Inspiré par le postulat de La Prisonnière du désert, la quête dans laquelle les espaces acquièrent une aura quasi-mystique est au centre de son œuvre. Le déroulement sur plusieurs années et états de la nature de La Prisonnière du désert se retrouve ainsi dans la structure même des films de Milius qui s’appuient sur le passage des saisons (Graffiti Party), le défilement des mois (L’Aube rouge) ou les changements climatiques (Conan, le barbare). Les images de La Prisonnière du désert s’impriment dans l’œuvre de Milius : Sally qui plie la tenue militaire de Jack de retour du Vietnam rappelle Martha caressant les vêtements de son beau frère (Graffiti Party) ; une porte qui s’ouvre sur la prairie (Rough Riders) ; Conan portant la princesse dans ses bras de la même manière que le faisait Ethan avec Debbie. Ethan Edwards sert de prototype à nombre de personnages miliusiens. Comme Conan, Theodore Roosevelt ou Dillinger, il est amené à combattre cet ennemi qui lui ressemble tant et qui partage – bien qu’étant dans le camp opposé – des valeurs morales semblables aux siennes mais anachroniques dans un monde en pleine mutation. Comme les héros de Milius, Ethan demeure un homme civilisé en proie à la sauvagerie. A l’image de Ford, Milius traite l’ennemi avec noblesse. Les indiens de Ford possèdent la même dignité que les berbères

de Le Lion et le vent ou les soldats sud-américains de L’Aube rouge. S’ils dépeignent des communautés dont ils adoptent le point de vue, ils restent conscients que la culture de l’ennemi est certes différente mais profonde, que des êtres humains – aussi grands et nobles sinon plus encore – composent le camp d’en face. L’Homme qui tua Liberty Valance est un autre étalon pour Milius. Il y puise notamment les thématiques de l’homme civilisé dans un milieu sauvage et de la légende qui n’est que la partie émergée de l’Histoire. Celle-ci est contée par les écrivains, les cameramen et les journalistes présents sur place qui ne retranscrivent qu’un aspect des événements. Ni Milius, ni Ford ne souscrivent entièrement au célèbre « Lorsque la légende est plus belle que la vérité, imprimez la légende ». Milius fait d’ailleurs dire à William Randolph Hearst dans Rough Riders : « La vérité est la première à souffrir de la guerre ». Les héros de l’Histoire pour Milius sont à la fois célèbres et confidentiels. Le général MacArthur déclare dans L’Adieu au roi : « L’Histoire est écrite par des hommes atypiques. Certains deviennent mêmes rois et certains ne laissent pas plus de trace qu’une pierre jetée dans l’océan. » L’Histoire s’écrit à travers ses « grands hommes » mais se fait par l’entremise d’acteurs de l’ombre et d’anonymes qui décident d’agir : Tom Doniphon (L’Homme qui tua Liberty Valance), les diplomates (Le Lion et le vent), les résistants (L’Aube rouge), les têtes brûlées (Le Vol de l’Intruder), les déserteurs (L’Adieu au roi). Ne reste finalement d’eux que des cercueils ornés de roses du désert, des tombes sans noms décorées d’objets représentatifs. Ben Johnson, l’un des acteurs fétiches de John Ford, joue

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26Les Dossiers d’Acmé N°5 : John Milius

dans Dillinger et L’Aube rouge établissant une passerelle spirituelle entre les deux cinéastes. Si la monstruosité et l’ambiguïté morale de Melvin Purvis rattachent davantage l’acteur à ses rôles tenus pour Peckinpah, le vieux Mason de L’Aube rouge est défini comme le passeur de la frontière. Rancher vivant en retrait de la ville, Mason est celui qui fait pénétrer le film dans un monde westernien, fournissant Winchesters et chevaux aux jeunes résistants. Son salut aux cavaliers s’en allant vers les montagnes au soleil couchant sera d’ailleurs tout fordien. Le monologue de Brad Johnson devant la tombe de Sam Elliott à la fin de Rough Riders ne le sera pas moins (on pense à La Charge héroïque ou à La Poursuite infernale). La filmographie

de Milius regorge ainsi de références éparses à Ford. La poursuite en diligence qui ouvre Rough Riders reproduit l’attaque de La Chevauchée fantastique. La famille de Dillinger souffrant de la dépression est en bien des points semblable à la famille des Raisins de la colère. Dans Graffiti Party, la citation est plus textuelle, le 2ème acte est situé à l’automne 1965, la même année où Ford réalise Les Cheyennes (Cheyenne Autumn). Dans L’Adieu au roi et Dillinger, la référence est cette fois-ci musicale : les autochtones de Bornéo chantent Rising of the Moon en référence au film éponyme de John Ford tandis que Dillinger sifflote les quelques notes de My Darling Clementine. Par pur hasard, John Milius avait fait la connaissance de John Ford

et de John Wayne durant le tournage de La Taverne de l’Irlandais. Devenu réalisateur à son tour, il fait rejouer à Nick Nolte dans L’Adieu au roi la scène où Lee Marvin saute du bateau pour rejoindre son île à la nage. Voir, enfin, John Milius sur le tournage de Le Lion et le vent recevoir un plateau doré estampillé « Marines » et imiter John Wayne qui se fait offrir une montre pour son départ à la retraite dans La Charge héroïque vaut bien toutes les cérémonies d’Oscar du monde.

La filmographie de milius regorge de références

à John ford.

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27Les Dossiers d’Acmé N°5 : John Milius

Le cANON cLAssique L’objectif de John Milius est de poursuivre la ligne du film classique tracée par John Ford, Howard Hawks et Raoul Walsh. Sans travestir l’Histoire, Milius entend l’interpréter en investissant ses zones d’ombres. Mettre en scène un personnage historique, c’est pour lui romancer sa mythologie. Outre La Prisonnière du désert et L’Homme qui tua Liberty Valance, La Charge fantastique est l’autre référence majeure de John Milius. La manière dont Milius met en scène Théodore Roosevelt dans Le Lion et le vent et Rough Riders est incroyablement proche de la vision que Walsh a du général Custer. Les deux personnages historiques devenus personnages de fiction sont à la fois des êtres maladroits (les deux portent des uniformes faits sur mesure) et des figures charismatiques et désintéressées. La charge que mène Roosevelt à Cuba répond à la bataille que livre Custer à Hanover, l’un comme l’autre conduisant avec panache et élan sacrificiel leurs hommes vers des victoires qui sont aussi des massacres. Walsh montre un Crazy Horse dans toute sa grandeur autant anachronique que Custer dans l’Amérique du machinisme et du capitalisme. Dans Le Lion et le vent, Milius met en scène Teddy Roosevelt et le Raisuli. Leur compréhension est implicite car ils sont tout aussi nobles et dépassés l’un que l’autre par les règles du 20ème siècle. Hommage musical au film de Walsh, les Rough Riders chantent Garry Owen – l’hymne du 7ème de cavalerie commandé par Custer – avant leur départ pour le front. Mais si ils représentent de grands meneurs, Walsh et Milius s’attachent également à décrire leur vulnérabilité à travers des scènes de couple où la tendresse se dispute à

la pudeur. Le Lion et le vent marie plusieurs influences cinématographiques dont la plus notable est celle de David Lean. Lawrence d’Arabie sert ici de modèle, tant dans la façon de dépeindre les nomades, leurs joutes et leurs coutumes que de filmer – la musique de Jerry Goldsmith aidant – les grands espaces du désert et les combats. La dynamique de couple Raisuli / Pedecaris fonctionne sur le principe de la screw ball comedy permettant ainsi à la femme de mener les débats. Enfin, la séquence finale s’inscrit dans la double lignée de Lawrence d’Arabie (l’attaque du fort par les bédouins filmée en travellings transversaux) et de La Horde sauvage (les combats à l’intérieur du fort). Parmi la génération post-classique, Sam Peckinpah demeure celui qui a le plus marqué Milius bien que Milius reste également tributaire de cinéastes comme Robert Aldrich ou Samuel Fuller. La plupart des séquences d’action de Dillinger sont des hommages aux séquences analogues des films de Peckinpah. Milius emprunte, en effet, ses principes moraux et cinématographiques à Ford mais use des codes visuels et dramatiques de Sam Peckinpah, « le seul réalisateur qui réalise de meilleures scènes d’actions que moi », dixit Milius. Les présences de Warren Oates dans Dillinger et surtout de Robert Wolfe – monteur de John Milius sur Graffiti Party et Le Lion et le vent ainsi que de Sam Peckinpah sur Junior Bonner, Guet-Apens, Pat Garrett et Billy le Kid et La Horde sauvage – ne sont sans doute pas étrangères à cette filiation assumée. Conan le barbare est un habile mélange d’Akira Kurosawa (l’entraînement au sabre) et d’esthétique

L’attaque que mène Roosevelt à cuba dans Rough Riders

répond à la bataille que livre custer à hanover dans La

charge fantastique.

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germanique (la séquence d’ouverture). L’épée forgée lors du générique n’est pas sans rapport avec l’épée magique façonnée par Siegfried dans Les Nibelungen. Milius se réfère ouvertement au film de Fritz Lang, le casque de Thulsa Doom s’inspire directement du casque de Hagen

et la mort de Valéria recevant une flèche dans le dos fait écho à l’assassinat de Siegfried. Le film de Milius puise dans diverses légendes nordiques (la blonde Valeria est une Walkyrie) et trouve dans les œuvres de Lang et de Wagner un support esthétique. L’attaque du village du

jeune Conan est mise en scène à la manière d’un opéra wagnérien. Les cavaliers déferlent et sèment la destruction au son d’une musique amplifiant et chorégraphiant chacun de leur geste. Tournée à la manière des expressionnistes, une scène coupée au montage montre le roi Osric se faire assassiner, ce pendant que le meurtre est projeté sous forme d’ombres sur un mur de tapisseries. Le temple de Thulsa Doom puise dans l’architecture allemande des années 1920 et rappelle par son grand escalier central le Moloch de Metropolis. Pour les plans de foule, John Milius s’inspire de la scénographie de Leni Riefenstahl, ce qui lui permet d’approfondir le motif de la symétrie qui sous tend le film. Répondant à une construction musicale, la structure globale des films de Milius a un rythme alternant l’allegro et le vivo. Les séquences bourrées de violence, de tension dramatique et de dynamique précèdent les séquences de méditation et de contemplation incluant paysages naturels et sentimentalisme sans pathos. Milius découvre l’œuvre de Kurosawa en 1962, lors d’un séjour de surf à Hawaï, dans un cinéma qui diffuse une rétrospective : « Je me suis dit : “Voilà ce que je veux être, un réalisateur comme lui.” » Il lui emprunte parfois une séquence d’action (Raisuli sabre ses adversaires depuis son cheval comme Toshiro Mifune dans La Forteresse cachée) ou un type de scène (Conan met l’armée de Thulsa Doom en déroute grâce à ses pièges, rejouant le combat désespéré des 7 Samouraïs contre une importante troupe de bandits). A George Lucas, Kurosawa inspirera des images dépouillées, des intérieurs géométriques construits en perspective par juxtaposition de portes coulissantes. Milius puise, au

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contraire, chez le maître japonais la peinture de paysages naturels, forêts (Les 7 Samouraïs, L’Adieu au roi) ou plaines battues par le vent (La Légende du grand judo, Conan le barbare). L’Asie fascine Milius au moins autant que l’Amérique des pionniers : Subotaï, le compagnon de Conan, est un oriental aux croyances panthéistes et L’Aube rouge débute par une évocation de Gengis Kahn.

Le cANON LittéRAiRe Dès son adolescence, John Milius prend goût à la littérature. Il se tourne naturellement vers le roman américain du 19ème siècle (Fenimore Cooper, Melville, Hawthorne) dont il trouve un prolongement chez les auteurs baroudeurs et aventuriers de la première moitié du 20ème siècle (Hemingway, Kessel, Conrad), combinant ainsi littérature d’imagination et littérature réaliste. Pour Milius, « réaliser est amusant mais écrire est exaltant (tout en étant frustrant) ». Sans doute rêve-t-il qu’on se souvienne davantage de lui comme conteur que comme metteur en scène. Chaque film est l’occasion

alors de convoquer ses modèles littéraires. Dans sa partie orientale, Le Lion et le vent tient à la fois de Rudyard Kipling, de Four Feathers de A. E. W. Mason et du roman victorien. Rough Riders paye son tribut à Guerre et Paix, Tolstoï étant probablement l’un des écrivains qui a le plus marqué Milius en dehors des romanciers anglo-saxons. La multiplicité des points de vue, la fascination de la guerre et son caractère destructeur, la motivation et les aspirations des personnages, le transcendantalisme et la spiritualité, la grandeur et la petitesse des généraux et des meneurs (Napoléon / Roosevelt) sont communes aux deux œuvres. Marqué par le Natty Bumppo de James Fenimore Cooper, John Milius fait de l’homme des bois, du mountain man et du trappeur une figure récurrente de son cinéma : Jeremiah Johnson, les Wolverines (L’Aube rouge), Geronimo. Dans L’Aube rouge, il cite les écrits de Jedediah Smith et de Jim Bridger, aventuriers et explorateurs américains qui témoignent de son attachement au mode de vie sauvage.

milius use des codes visuels et dramatiques de peckinpah

et puise chez Kurosawa la peinture de paysages naturels.

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Plus largement, il définit ses personnages comme des chasseurs. Bien que pilote, Virgil Cole porte un couteau à son ceinturon (Le Vol de l’Intruder). La vie de l’inspecteur Harry, « c’est la traque de criminels. Ça lui suffit car c’est un chasseur dans l’âme. Ça explique le Magnum .44, une arme conçue pour la chasse. Dans une première version du script, on pouvait lire : Tu veux aller chasser ? Faut un permis ! » Son adaptation de Au Cœur des ténèbres ayant été en grande partie trahie, Milius prend sa revanche avec L’Adieu au roi. Certes, le script est tiré d’un roman de Pierre Schœndœrffer mais Milius y infuse une large part de l’esprit des romans de Joseph Conrad. Comme Conrad, Milius se plaît à suivre les héros tourmentés par leur passé. A l’instar de Lord Jim, Virgil Cole (Le Vol de l’Intruder) et

Henry Nash (The Rough Riders) sont désireux d’expier leur lâcheté passée. Personnage central de L’Adieu au roi, Learoyd est une version positive de Kurtz mais aussi un déserteur et un naufragé comme Lord Jim. La légende veut d’ailleurs que John Milius s’enfonça de plus en plus profondément dans la jungle de Bornéo au fur et à mesure du tournage, perdant 20 kg avant de les reprendre à son retour à Hollywood. L’Adieu au roi porte aussi l’empreinte de Herman Melville et de sa trilogie Taïpi / Omoo / Mardi qui décrit la rencontre de « l’homme civilisé » recueilli par « les sauvages » des îles du Pacifique alors qu’il fuit un passé détestable. Complémentaire de Toby, le narrateur de Taïpi, qui décrit une société égalitariste, dépourvue d’argent et de prison, Learoyd présente « un

peuple ne connaissant ni la possession, ni la jalousie ».Les premières images de L’Adieu au roi montrent une mer déchaînée manquant de faire chavirer le bateau et évoquent avec force les récits de Melville, en particulier Moby Dick qui demeure le livre favori de Milius. Chez Melville comme chez Milius, l’espace est métaphorique. La nature dépasse l’homme, elle l’invite à contempler et à méditer sur ce qui est plus grand que lui : les vagues de Graffiti Party, les montagnes de L’Aube rouge, le désert de Le Lion et le vent, les nuages du Vol de l’Intruder. La quête des personnages est interne, identitaire et mystique. Le dialogue s’engage avec les éléments sur les mystères du cosmos. Dans Conan le barbare, Milius interprète à sa façon le passage où Achab imagine sa vie

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s’il avait été quelqu’un d’autre. A travers les aventures et les interrogations de leurs personnages, Melville et Milius parlent de la partie primitive de la nature humaine, de la force vitale des corps et de l’unité organique avec le monde. Comme Ishmaël, les personnages miliusiens se doivent d’accepter le mal comme partie intégrante de la vie. « Va au diable Crom si tu ne m’aides pas à sortir vainqueur de la bataille », s’exclame Conan dans la continuité de « Je frapperais le soleil s’il m’insultait » proféré par Achab. Vanité. Ils ne peuvent accéder à la sagesse qu’en se confrontant à

leur Némésis. Conan et Thulsa Doom, Purvis et Dillinger, Learoyd et le colonel Mitamura (L’Adieu au roi) sont des projections filmiques d’Achab et de Moby Dick. Quant aux narrateurs des films de John Milius, simplement, appelons-les Ishmaël.

L’Adieu au roiporte l’empreinte des récits

d’aventure d’herman melville.

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mIlIUs aU fIl DEs rEPlIqUEs (4)L’Aube ROuge

Bella : J’ai toujours été du côté des insurgés. Je n’ai aucune expérience de l’autre côté. Mais il me semble nécessaire de remporter le soutien du peuple. Comme disait l’ennemi au Vietnam : gagner leur cœur et leur esprit. Bratchenko : Des mômes. Bella : Ce sont des rebelles. Bratchenko Quels rebelles ? Ce sont bandits. Bella : Avec chacune de leurs actions, la révolution avance. Je sais. J’étais un partisan. Bratchenko Et qu’es-tu maintenant ? Bella : Maintenant, je suis comme toi, un policier.

Andy : Le front est plus ou moins stabilisé maintenant. Aardavak : Et, en Europe ?Andy : Ils ont du se dire que deux fois en un siècle ça suffisait. Ils restent en dehors à part l’Angleterre. Mais ils ne tiendront pas longtemps. Les Russes veulent nous avaler d’un seul coup et c’est ce qu’ils font. C’est pourquoi, ils n’utilisent pas de nucléaire et nous non plus. Toute cette guerre est assez

conventionnelle. Peut-être que la semaine prochaine, on se battra à l’épée. Aardavak : Comment c’est parti ? Andy : Je ne sais pas. Les deux caïds du quartier, j’imagine. Un jour ou l’autre, il faut bien qu’ils se battent. Daryl : Aussi simple que ça ? Andy : Ou bien quelqu’un a du oublier à quoi ça ressemblait. Daryl : Et qui est de notre côté ? Andy : Six cent millions de Chinois. Robert : La dernière fois que j’en ai entendu parler, ils étaient un milliard.Andy : Plus maintenant.

Jed : C’est étrange, non ? Comme les montagnes sont indifférentes à tout. Tu ris ou tu pleures, le vent continue à souffler.

Strelnikov : Ce que je déteste le plus dans la guerre, c’est l’hypocrisie. J’ai entendu des euphémismes comme quoi nous contenons l’ennemi, que notre secteur de pacification s’étend. C’est la tactique du mensonge. Les mensonges ont l’odeur de la mort et de la défaite. On ne peut gagner la guerre qu’en exterminant l’ennemi. Savez-vous contre quoi nous nous battons ? Nous combattons des carcajous, des animaux, petits mais sauvages. Pour cela il nous faut un chasseur. Et je suis ce chasseur. A partir de maintenant, il n’y aura plus de représailles contre les civils. C’est stupide. L’impuissance. Camarade, si un renard vole vos poules, allez-vous tuer votre cochon sous prétexte qu’il a vu le renard ? Non. Vous allez chasser le renard, trouver où il se cache et le détruire ! Et comment vous vous y prenez ? En devenant un renard.

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ROugh RiDeRs

Theodore Roosevelt : Le temps est venu pour notre grande nation de se hisser sur la scène mondiale. Que l’attention se porte sur nous. Je me suis rappelé aujourd’hui les paroles de George Washington qui

disaient qu’être préparé à la guerre est un des moyens les plus efficaces pour façonner la paix. Nous voulons une marine puissante car la vie dans notre pays ne vaut rien. Si nous ne sommes pas prêts à la défendre. Toutes les grandes nations dominatrices se sont battues et oublier les vertus du combat revient à perdre le droit d’exister. Il y a plus important dans la vie que de profiter des conforts matériels. Et c’est dans le conflit et l’empressement à se battre qu’un homme ou une nation atteindra la grandeur. Ainsi, faisons savoir au monde que nous existons et que nous sommes prêts à verser notre sang, nos trésors et nos larmes. Et que l’Amérique est prête et, s’il le faut, désireuse de se battre.

Wadsworth Sr. : Aucun de vous ne connaît la dure réalité de la vie. La vie c’est la faim, la colère, la saleté. Ce n’est pas une partie de polo, de football ou un combat de boxe. Ton grand-père a connu la misère et il ne la recommandait pas. C’est pour ça que nous sommes riches. Et si tu te découvres lâche ? Comment te sentiras-tu ? Wadsworth Jr. : C’est ce qui me fait peur. Peut-être plus que de mourir. Ne comprenez-vous pas que mourir riche dans mon lit m’effraie encore plus ? Ne jamais connaître la faim, la misère,

la douleur, ne jamais connaître l’honneur ni le courage. Vous m’agacez ! Je mérite de connaître tout cela. Wadsworth Sr. : Vas-y et tu auras peut-être ce que tu mérites.

Cap. O’Neil : La guerre est comparable à une dispute. Le meilleur moyen d’y mettre un terme, c’est de tuer l’adversaire. C’est ce que vous devez devenir, des tueurs d’hommes.

Un journaliste : Il semble qu’une avance générale ait été ordonnée. Il doit s’agir d’une erreur. Ils sont si peu nom-breux. Attendez, d’autres se joignent à eux. Nos hommes se joignent à eux. Ils montent la colline. Ils avancent, bravent le feu de l’artillerie ennemie, transperçant les entrailles de la bête. Quel spectacle ! Mon Dieu, entendez les hurler ! Ecou-tez ! Chaque américain donnerait tout pour assister à cela. (…) Regardez. Ils sont presque au sommet. Telle une marée que rien ne peut arrêter. Je vois des hommes se détacher sur le ciel. Je vois leurs étendards ! Voler au vent comme la liberté. (…) Ils sont au sommet. Ce jour nous appartient. On ne nous oubliera jamais. Jamais ! L’Histoire se souviendra de ce jour, mon ami.

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rEDEssInEr lE cOrPs DansanT

conan, une symphonie barbare

Et si Conan le barbare était ce film qui fit entrer le cinéma de plain-pied dans les années 1980 ? Gros succès lors de sa sortie en salle, le film de John Milius avait tout pour plaire : un héros bodybuildé, une Walkyrie aussi sexy que redoutable, un univers violent et chevaleresque, une mise en scène opératique riche d’un sens de la narration redoutable et d’une musique puissante. Crom ne pouvait qu’approuver.

fabien Delmas

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RetOuR VeRs Le futuRLe vent se lève sur les montagnes de Cimmérie et des forges d’un peuple sur le point de disparaître, émane un ronflement puissant et implacable. Les marteaux s’abattent sur l’acier, escortés par une cohorte de cuivres destructeurs. Ils accompagnent la charge de Thulsa Doom et ses cavaliers noirs. Conan le barbare adulé par des générations de geeks, accrocs à l’heroic fantasy et prêts à tout pour se laisser dominer par Valeria la reine en armure, est l’un des chefs d’œuvre de ce qu’il de bon ton d’appeler une « culture alternative ». Surprenant Robert Howard qui n’aurait rien inventé, mais simplement rédigé son épopée sous la dictée du dernier Cimmérien, à la recherche d’un scribe pour immortaliser sa légende. Conan pourrait

poser problème. Il coïncide avec la reconversion d’un ancien culturiste au phrasé germanique prononcé. Il est associé dans l’esprit des 25-40 ans, aux programmes bling bling de La Cinq dans les années 80, à une époque où l’heroic fantasy sentait le cheap et la testostérone, et des « soirées télé » qui avaient en levée de rideau, Arnold et Willy, Shérif fais moi peur ou Happy Days. Les héros de ce temps pas si lointain s’appelaient Sonia la rouge (Kalidor), Jen (Dark Crystal), Galen (Le Dragon du lac de feu). A cette époque, Disney ne cherchait pas à se mettre au goût du jour en adaptant C. S. Lewis, mais en produisant un Taram balbutiant. A cette époque Le Seigneur des anneaux n’était pas une franchise multi-oscarisée dirigée par Peter Jacskon, mais un film d’animation bâclé, réalisé par

Ralph Bakshi. Au-delà de l’émoi adolescent et des mâchoires carrées d’Arnold Schwarzenegger, Conan signe le début des eighties de Reagan, et un renouvellement des morphotypes en vigueur à Hollywood.Le film lance une décennie. C’est une expérience, une expérimentation rythmique menée par Milius. Encouragé par les sujets virils de ses films, on pourrait comparer la méthode du cinéaste sur ses plateaux à celle d’un général en campagne. Il revendique la comparaison. Barbare, général, peut être, mais général lyrique. Conan le barbare est un film musical, chorégraphié. Sa scénographie obéit à une logique rythmique. En s’emparant de la légende factice du dernier des Cimmeriens, Milius crée son Ring. Le petit jeu des similitudes fera long feu. Ce monde engendré par Crom, où les forges rougeoyantes côtoient pics glacés et déserts maudits, où s’entretuent serpents géants, chamanes affables et sorcières nymphomanes, rappelle Wagner et sa mythologie. Oui et alors ? Le but n’est pas de donner à Conan et Milius une légitimité acquise depuis longtemps déjà, ou de se faire mousser en pointant des connexions faussement intelligentes. L’évocation de Wagner ne vaut que pour ce qu’elle nous apprend des intentions de Milius avec Conan. La légende du Roi voleur ne se chuchote pas, elle se crie, emphatique, puissante, à l’image du corps qui aura à charge de l’incarner.

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subLime bARbARie Le projet de Milius s’affiche dès la séquence d’ouverture et la chevauchée des cavaliers de Thulsa Doom. Les serviteurs du serpent déferlent sur le village cimmérien. Poledouris en fait un morceau de bravoure. Les percussions lourdes, le grondement symphonique semblant descendre de la montage de Crom s’abattent sur les forgerons aussi impitoyablement que l’épée de James Earl Jones décapitera la mère de son futur bourreau. Le prologue est strictement musical. La mort de la mère de Conan en sera la sublime apogée. Son sacrifice ponctue l’ouverture qui aura mutée, entre la violence brute d’une section de cuivres extrêmement présente et des cordes qui, subitement, signifieront la naissance de Conan, témoin du sacrifice de sa mère. Le projet de Milius, sa cohérence, sont dévoilés dès cette séquence. Le score de Basil Poledouris et la conception de la scène de l’attaque préfigureraient presque la sublime scène de bataille inaugurale de Gladiator menée tambour battant par Ridley Scott et Hans Zimmer et la charge des romains emmenés par Maximus. Strength and Honour. Curieux personnage que ce Poledouris. Il ne travaille réellement qu’avec ses amis, de Milius (Big Wednesday, Red Dawn, Flight of the intruder) à Verhoeven, façon « grande époque » (Flesh + Blood, Robocop, Starship Troopers), se contentant, le reste du temps de commandes alimentaires (Free Willy, Lassie, Mickey Blue Eyes) entre deux parties de pêche. Conan peut s’envisager comme une performance scénique. Cette appréhension de l’espace est propice à la narration de l’épopée qui s’envisage comme un spectacle. Ce monde ne peut exister sans cette symphonie sanglante que lui dédie

Poledouris. De la légende filmée par Milius se distingueront trois sommets, trois numéros : l’ouverture, l’attaque de la tour du Serpent, et l’assaut du palais de Thulsa Doom. Car il s’agit bien de numéros, et de chorégraphies. Pas besoin de remonter à George Stevens et Gene Kelly (Les Trois mousquetaires) pour rapprocher combat d’escrime et danse. Il suffit de se pencher sur les interprètes choisis pour servir l’épopée de Conan. Pour les adeptes d’Heroic Fantasy, Sandhal Bergman est Valeria, la fière guerrière qu’aucune autre femme ne remplacera dans le cœur de Conan, pas même Olivia d’Abo (Conan le destructeur). Elle campera le rôle de la très brune et très cruelle reine Gedren dans Kalidor, troisième volet officieux des aventures de Conan le barbare. Sandhal Bergman avant d’être un fantasme pour adolescents collectionneurs de comics fut l’une des principales danseuses de Bob Fosse. Sa performance la plus notable, avant Valeria est celle de la soliste du numéro Air-rotica dans All That Jazz. L’avant dernier film de Fosse est un film somme, point de convergence des différents âges de la comédie musicale. Il marque un renouveau dans la représentation du rythme à l’écran et le filmage des corps dansant. Fosse en s’appuyant sur le travail de chorégraphes précurseurs comme Jack Cole, déstructure le geste. Avec lui les corps cessèrent d’être naïvement représentés, idéalisés, montrés sous leur meilleur jour. Avec Fosse, les corps suintent, souffrent, suent, saignent et meurent. Le filmage de la danse accompagne cette mutation, et la démythification des Show People. Fini le diktat du master shot, de la prise longue, ample, accompagnant les évolutions gracieuses de Donald O’Connor ou Cyd Charisse. Avec Fosse, le corps se fragmente, et voit son terrain de jeu

en s’emparant de la légende factice du dernier des cimmeriens,

milius crée son Ring.

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37Les Dossiers d’Acmé N°5 : John Milius

se rétracter. Le découpage alors s’accélère, les axes de prise de vues se multiplient, le corps est découpé, le clip obtient son acte de naissance.

uNe NOuVeLLe RAce De héROsRéalisé au début des années 1980, Conan le barbare prend place au sein des renouvellements formels qui accompagnent le changement de décennie, et participe de la refonte des standards morphologiques types. Pour supporter le poids de cette épopée que Milius se propose de reconstituer, il fallait nécessairement des acteurs à l’apparence aussi rude que ce monde est inhospitalier, taillés pour permettre à la rythmique de Poledouris de s’exprimer pleinement, sans retenue. Pour restituer le pouls de cette époque en marge de l’Histoire, Poledouris exploite des sonorités métalliques, lourdes, frustes. Elles sont nuancées par des mélodies archaïsantes fantasmant une antiquité empreinte d’orientalisme. La superbe séquence d’orgie au palais de Thulsa Doom évoquera d’ailleurs la musique écrite par Angelo Francesco Lavagnino pour les scènes de banquet du Colosse de Rhodes. La cohérence domine. C’est un Tout rythmique que façonnent le cinéaste et son compositeur, rendu tangible par les longues courses à travers plaine de Schwarzenegger, dont la stature est magnifiée. Eloge à la polyvalence d’un corps surentraîné et hypertrophié, Conan court, s’exerce à l’épée, escalade, assomme, fait l’amour. Bien plus qu’une ode à son acteur vedette, Conan marque l’avènement d’une nouvelle race de héros, d’un nouveau corps cinématographique. Les silhouettes chétives ont

fait leur temps. Les années 1980, décennie de la puissance retrouvée, seront celles de Schwarzenegger et Stallone. L’intelligence et l’efficacité de Conan le barbare ne se bornent pas à un simple début de décennie. La logique opératique appliquée à l’heroic fantasy et telle qu’elle transparaît dans Conan, préfigure le voyage à travers la terre du Milieu de la Communauté de l’Anneau portée par ces appels à l’exploit héroïque et sans réserve que distille la puissante partition d’Howard Shore (Trilogie du Seigneur des Anneaux). Le son métallique et aussi lourd que l’acier que Crom consentit à laisser aux hommes se retrouvera également dans le score de Jerry Goldsmith destiné à rendre compte des exploits de Ahmed Ibn Fahdlan et Buliwyf dans Le 13ème guerrier. La représentation d’une époque fantasmée ou idéalisée, y compris dans sa brutalité, implique une refonte de la temporalité donc du rythme qui l’exprime, et des corps à travers lesquels elle se manifestera. Conan le barbare inaugure une décennie et un genre. Il redessine un corps qui empruntera sa silhouette à un ancien Monsieur Univers à l’accent Autrichien imbittable.

conan marque l’avènement d’un nouveau corps cinématographique.

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38Les Dossiers d’Acmé N°5 : John Milius

mIlIUs aU fIl DEs rEPlIqUEs (5)gRAffiti pARty

Voix off : Je me souviens d’un vent, qui balayait la vallée. Un vent chaud, le Santa Ana. Il nous apportait les parfums des pays chauds et soufflait avant l’aube sur la « Pointe ». Mes amis et moi dormions dans la voiture et l’odeur de ce vent nous réveillait tandis que se levait un jour pas comme les autres. (…) Je me souviens de ce trio d’amis. Matt, Jack, Leroy. C’était leur grande époque. Ils étaient les Idoles, les Rois de notre royaume. C’était leur endroit. Ceci est leur histoire.

Voix off : La barre du Nord était froide et dangereuse. Et puissante. Elle balayait la côte au cœur de l’hiver. Nous séchions les cours pour aller la voir. Des vents légers soufflaient de la terre. L’eau limpide jouait sur les rochers. Tout cela était loin à présent. Ni les rochers, ni la plage, ni les vagues, n’avaient changé. Mais les gens avaient changé. Certains s’étaient mariés. D’autres étaient partis. D’autres cherchaient un nouveau spot. D’autres étaient morts.

Voix off : Qui sait d’où vient le vent ? Est-ce le souffle de Dieu ? Qui sait d’où viennent les nuages ? D’où viennent les grandes vagues ? Et pour quoi ? Mais elles étaient là et nous les avions attendues si longtemps.

Voix off : Les étés passaient, je les ai presque oubliés. Mais je me rappelle des automnes et de l’arrivée des hivers. L’eau devenait froide et la barre de l’Ouest apportait un changement. Cette barre que l’on affrontait tout seul.

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39Les Dossiers d’Acmé N°5 : John Milius

mAgNum fORce

Harry Callahan : Vous, les héros, venez de tuer une douzaine de personnes cette semaine. Qu’allez-vous faire la semaine prochaine ?Davis : On va en tuer une douzaine de plus.Harry Callahan : C’est ça qui vous plaît : jouer les héros ? Davis : Nos héros sont morts. Notre génération a appris à se battre. Nous éliminons les tueurs que les tribunaux devraient condamner. Nous commençons par les plus connus pour qu’on nous comprenne. La question n’est pas d’utiliser ou non la violence. Il n’y a pas d’autre moyen. Et vous êtes à même de comprendre. Grimes : Etes-vous pour ou contre nous ? Harry Callahan : J’ai bien peur que vous ne m’ayez mal jugé.

Lt Briggs : Il y a cent ans, on a créé les comités de vigilance. Ça s’impose de nouveau. Quiconque menace notre sécurité doit être exécuté. Le mal pour le mal. Châtier les méchants. Harry Callahan : C’est très bien, mais le meurtre est-il une façon d’agir ? Quand les policiers se font justiciers qu’arrive-t-il ? Vous tuerez tout ceux qui grillent un feu rouge ou font un excès de vitesse ? Et le voisin parce que son chien pisse dans votre jardin ? Lt Briggs : Nous n’avons pas tué un seul homme qui ne le méritait pas. Harry Callahan : Il y en a un an : Charlie McCoy ! Lt Briggs : Que fallait-il faire ? Harry Callahan : Appliquer la loi. Lt Briggs : Que savez-vous de la loi ? Vous êtes un bon flic mais vous stagnez dans le vieux système. Harry Callahan : Je déteste le vieux système. Trouvez-en un meilleur et j’abandonne !Lt Briggs : Vous êtes une espèce en voie d’extinction.

Harry Callahan : Un homme doit connaître ses limites.

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TETE DE PIErrE

Theodore Roosevelt (1858-1919), 26ème président américain, contemple l’univers depuis le Mont Rushmore où son visage a été sculpté dans la pierre aux côtés de George Washington, Thomas Jefferson et Abraham Lincoln, icônes fondatrices de la politique américaine. La figure de Roosevelt est surtout centrale à l’imaginaire de John Milius, un modèle pour tous ses héros, comme Lincoln chez John Ford. Milius a consacré deux films à Roosevelt (Le Lion et le vent et Rough Riders) et se réfère constamment à son souvenir.

sylvain Angiboust

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iL est uNe LégeNDeJohn Milius se souvient des romans de Fenimore Cooper que lui lisait son père durant son enfance et des histoires qu’il lui racontait sur Teddy Roosevelt et ses Rough Riders (la troupe de volontaires avec laquelle le futur président participa à la prise de Cuba contre les Espagnols en 1898). Passionné d’Histoire et fasciné par l’armée, le cinéaste n’a jamais manqué une occasion de rendre hommage au héros de son père. Dans Juge et hors-la-loi, on voit des photos de Roosevelt qui est qualifié de « meilleur des présidents américains » (l’expression reviendra souvent sous la plume de Milius, par exemple à la fin de Rough Riders) car « il avait la détermination qui convenait à l’époque et au pays ». Au cœur de la petite ville de L’Aube rouge, trône la statue d’un Rough Rider, accompagnée de cette phrase de Roosevelt : « Mieux vaut tenter l’impossible que rejoindre les rangs de ces pauvres âmes timorées qui ne connaissent ni victoire ni défaite ». L’idéal combattant du cinéaste et des jeunes héros de son film s’aligne sur celui de l’homme d’État. Les résistants trouvent d’ailleurs refuge dans le parc national d’Arapaho, créé par Roosevelt en 1905 dans les montagnes rocheuses, c’est autour du panneau commémoratif de cet événement que les Wolverines tuent pour la première fois des soldats soviétiques. Milius a l’amour des grands espaces (adolescent turbulent, il a été envoyé dans un lycée du Colorado situé en pleine nature avant de devenir un chasseur et un surfeur passionné) et Theodore Roosevelt est aussi pour lui le fondateur de la politique de préservation de la nature aux Etats-Unis, à l’origine de l’institution des réserves naturelles, des parcs et des monuments nationaux ainsi que

du service des forêts. Les somptueux plans de nature qui émaillent les œuvres du cinéaste nous apparaissent comme autant d’hommages à ces mesures (les vagues du Lion et le vent, L’Adieu au roi et de Graffiti Party, les forêts automnales du début de L’Aube rouge, ces deux derniers films étant racontés au rythme des saisons).

L’âme ROOseVeLtieNNeTous les personnages de Milius se voient dotés d’un aspect du caractère du vrai Theodore Roosevelt ou traversent des épreuves évoquant un épisode de la biographie du président, comme si celui-ci était, sans même le savoir, un héros de cinéma. Roosevelt incarne l’idéal humain et politique que transmettent les films de Milius : audacieux et individualiste (mais respectueux de ceux qui partagent

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ses valeurs, comme ses soldats dans Rough Riders ou le bandit arabe du Lion et le vent) ; républicain mais idéaliste, à la fois intellectuel et guerrier. Roosevelt est multiple, il milite ardemment pour une guerre entre l’Espagne et les Etats-Unis, gagne ses galons au front mais il reçut également le prix Nobel de la paix en 1906 pour son rôle d’apaisement dans le conflit sino-japonais. Soldat, politicien, il fut également chef de la police de New York, historien, naturaliste et explorateur, donnant son nom à un fleuve d’Amazonie dont il a dégagé les contours, y contractant la maladie qui causa sa mort. Dans Rough Riders, Milius montre comment Roosevelt a appris à devenir un chef d’État sur le champ de bataille, figure paternelle pour sa troupe avant de devenir celle de toute la nation. Le parcours de Roosevelt, d’aventurier à homme d’État, apparait semblable à celui de Conan ou Learoyd (Nick Nolte dans L’Adieu au roi), guerriers devenus rois. Dans Rough Riders, Henry Nash (Brad Johnson) débute comme pilleur de diligences mais finit milliardaire, formé

lui aussi à l’école de la guerre et de la vie. Roosevelt a connu cet apprentissage à la dure qu’affectionne Milius. Intellectuel frêle et asthmatique (maladie qu’il partage avec son réalisateur), Theodore se retira à l’âge de 25 ans dans un ranch après la mort de sa mère et de sa première épouse, passant deux ans au contact du monde sauvage et de rudes cow-boys, sortant transfiguré de cette épreuve. Milius conçoit de même l’initiation des adolescents de L’Aube rouge comme un retour au primitif, avec la vie au grand air et la chasse (ou à la guerre) comme mesure de l’homme.

ROOseVeLt(s)Dans ses films, Milius montre Roosevelt comme un homme d’action, aux antipodes des représentations traditionnelles du monde feutré de la politique. Par exemple, le secrétaire d’État prend part à la guerre dans Rough Riders et, si le président ne quitte pas son pays dans Le Lion et le vent, il fait de la boxe, tire à l’arc et au fusil et organise de grandes chasses à

l’ours dans le parc de Yellowstone. Il y joue « au cow-boy » pour reprendre les mots de son secrétaire d’État interprété par John Huston qui dira également au président qu’il aurait fait « un brigand formidable ». La personnalité énergique de Roosevelt garantie la sympathie qu’il inspire au spectateur, aux antipodes du vieux président McKiney de Rough Riders ou, dans Le Lion et le vent, de l’ambassadeur ridicule joué par Geoffrey Lewis et du sultan du Maroc, gamin capricieux qui roule à vélo et marche littéralement sur ses sujets. Enthousiaste et batailleur, les gestes brusques, le sourire carnassier, la voix rauque et le débit de parole très rapide, Roosevelt se soucie peu des conventions. Il bouscule les invités d’une réception mondaine dans Rough Riders et dans Le Lion et le vent, il ordonne une expédition militaire au Maroc, contraire à tous les traités internationaux (les deux films que Milius a consacrés à Roosevelt sont une illustration des bienfaits de l’interventionnisme américain – il attaque Cuba pour défendre la population opprimée par l’armée espagnole puis le Maroc pour favoriser la libération d’une otage). Comme le scénariste John Milius, Roosevelt est un grand orateur, adepte des discours emphatiques et des prises de positions excessives («  Souvenez-vous  du Maine  !  », « Pedecaris vivante  ou  Raisuli  mort  !  »). Le sens de la mise en scène du politicien est illustré à plusieurs reprises dans Le Lion et le vent, il monte sur son bureau pour mimer un ours qui grogne et tient un meeting à l’arrière d’un train, entouré de cow-boys et d’indiens, haranguant une foule toute acquise à sa cause. La facile prise du palais du Pacha de Tanger par les marines est filmée comme une parade, un défilé militaire, un spectacle organisé à distance par le président.

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La stature héroïque de Roosevelt (plusieurs fois cadré en contre-plongée dans Le Lion et le vent) est contrebalancée par l’humour dont fait preuve Milius à son égard. Dans Rough Riders, il apparaît d’abord comme soldat d’opérette vantard et bigleux, dont le costume réglementaire a été réalisé par son tailleur personnel et qui, en marchant, se prend les pieds dans son sabre. Il se révélera néanmoins un fameux guerrier et, s’il apparaît un peu plus sage dans Le Lion et le vent (qui se déroule 6 ans plus tard), le président continue à se préoccuper davantage de balistique que d’équilibre diplomatique, comme inconscient de la portée de décisions que son entourage tente de tempérer. Père de six enfants, Roosevelt est un autre homme en leur compagnie, un papa gâteau qui, dans Le Lion et le vent, avoue seulement à sa fille qu’il s’est blessé

à l’œil en boxant. Dans Rough Riders, Milius le montre profondément amoureux de sa seconde épouse Edith en compagnie de laquelle il se comporte comme un adolescent. Conan n’est pas différent lorsqu’il rencontre Valéria. Chez Roosevelt comme chez les autres héros de Milius, le sublime est équilibré par le grotesque. Dans Le Lion et le vent, Raisuli le magnifique tombe de cheval dès sa première apparition et se fait battre aux échecs par Mme Pedecaris, Conan fait la tournée des tavernes et tabasse un chameau, Learoyd est un excentrique qui se ballade avec de la boue sur le visage et des plumes dans les cheveux, les pilotes du Vol de l’Intruder subissent les assauts d’un « chieur fantôme » et, dans Rome, Titus Pullo le bon vivant s’oppose au personnage tourmenté de Lucius Vorenus.

Dans le rôle de Roosevelt, Brian Keith (Le Lion et le vent) et Tom Berenger (Rough Riders) livrent deux interprétations admirables, mariant outrance théâtrale et prestance épique. Malgré le changement d’acteur et les 22 années qui séparent les deux films, c’est bien le même Roosevelt que l’on retrouve : la vision de Milius n’a pas changé et la permanence du personnage est soulignée par le parfait mimétisme des interprètes avec leur modèle et la reprise du même plan introducteur (Roosevelt pose à côté d’une mappemonde, tenant littéralement le monde entre ses mains). Milius n’a pourtant jamais consacré un film entier à Theodore Roosevelt. Dans Le Lion et le vent, il est un personnage secondaire, pendant américain et adversaire à distance du Raisuli campé par la star Sean Connery. Rough Riders est,

Roosevelt est un grand orateur, adepte des discours emphatiques et des prises de

positions excessives

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comme son titre l’indique, consacré aux soldats de Roosevelt plutôt qu’au seul chef militaire. Celui-ci partage la vedette avec les autres généraux et de nombreux hommes de troupe, sur le modèle communautaire des films de guerre classiques. Roosevelt ne se dégage du groupe que par intermittence et Milius construit sa légende en creux, par étapes successives, des salons de Washington à la célèbre colline de San Juan dont il mène l’assaut final. Il y a aussi un refus du cinéaste d’aborder frontalement la carrière et l’œuvre politique de son héros. Les deux films se concentrent sur des périodes très particulières de sa vie (la guerre contre Cuba et l’« incident Pedecaris », particulièrement romancé dans Le Lion et le vent puisque le véritable kidnapping fut celui d’un homme nommé Perdicaris). Milius raconte que s’il parvient un jour à achever la trilogie qu’il souhaite consacrer au personnage, le film se concentrera sur les années de formation de Roosevelt, une fois encore à rebours du Lion et le vent puis de Rough Riders. A croire qu’il ne peut appréhender la dimension légendaire du président qu’en le mettant en scène lorsqu’il n’était encore qu’un homme comme les autres, un héros en devenir.

chez Roosevelt comme chez les autres héros de milius,le sublime est équilibré par le grotesque.

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mIlIUs aU fIl DEs rEPlIqUEs (6)

Le LiON et Le VeNt

Journaliste N°1 : Etiez-vous de ceux qui ont tué l’ours Mr le Président ? Thoedore Roosevelt : Oui et je le regrette. Journaliste N°1 : Pourquoi cela Mr le Président ? Thoedore Roosevelt : C’est un bel animal et c’est sa vallée ici. Elle lui appartient, c’est nous les intrus. Les bêtes sauvages fuient devant des fusils. Le grizzli américain lui ne craint rien. Ni l’homme, ni les fusils, ni la mort.Journaliste N°2 : Vous en ferez un tapis pour la maison blanche Mr le Président ? Thoedore Roosevelt : Un tapis ? Non. Je le ferai empailler et exposer au musée Smithsonian. Le grizzli symbolise le caractère américain : force, intelligence, férocité. Il est parfois un peu aveugle et téméraire mais indubitablement courageux. J’ajouterai un trait qui le complète.

Journaliste N°2 : Et qui est ? Thoedore Roosevelt : La solitude. Cet ours vit en solitaire, indomptable, nul n’a pu l’apprivoiser. Toujours seul, sans alliés, rien que des ennemis, dont aucun ne le vaut. Journaliste N°3 : Cela s’applique aussi aux américains ? Thoedore Roosevelt : Certainement. Le monde ne nous aimera jamais. On nous respectera ou même nous craindra. Mais on ne nous aimera jamais. Nous avons trop d’audace et parfois un peu d’aveuglement et de témérité aussi. Journaliste N°3 : Une référence au canal de Panama et au Maroc ? Thoedore Roosevelt : C’est vous qui le dites. Le grizzli semble incarner l’esprit américain. Il nous symbolise mieux que cet aigle ridicule qui n’est qu’un vautour bien léché… un dandy.

Raisuli (en voix off) : A Theodore Roosevelt. Toi, tu es pareil au vent. Moi, je suis comme le lion. Tu déchaînes la tempête. Le sable qu’elle soulève me brûle les yeux. Je te défie par des rugissements auxquels tu restes sourd. Apprends ce qui nous différencie. Tel le lion, je demeure à la place qui est la mienne. Tel le vent, tu ne sauras jamais quelle est la tienne. Mulay Ahmed Mohammed el Rasuli, le Magnifique, seigneur du Rif, Sultan des Berbères.

Wazan : Grand Raisuli, nous avons tout perdu. Comme tu disais, le vent a tout balayé. Raisuli : Plains celui qui n’a jamais rencontré ce qui méritait qu’on perde tout.

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DiLLiNgeR

La cliente d’une banque : Pourquoi ce sourire jeune homme ? Je crois pas te connaître.John Dillinger : Non, madame, c’est l’argent qui me fait sourire. Vous avez un beau sourire aussi. Je voudrais retirer tout l’argent que j’ai sur mon compte. La caissière : Votre compte en entier ? John Dillinger : Oui, mam’zelle, tout. La caissière : Votre nom ? John Dillinger : John, John Dillinger. Attention, tout le monde ! Restez où vous êtes ! C’est un vol ! (…) Vous énervez pas. Il n’y a rien à craindre. Nous sommes du gang à John Dillinger, le meilleur du monde. Les dollars que vous perdez vous feront des histoires à raconter à vos enfants et à vos petits enfants. C’est un des grands moments de votre vie. Assurez-vous que ce ne soit pas le dernier.

John Dillinger : Je n’ai pas mis de nom sur sa tombe parce que Charlie Mackley était connu. Son nom était l’égal de ceux de Butch Cassidy, Sam Bass, Cole Younger et Jesse James. Si j’inscris son nom sur la tombe un gros bêta viendra un jour déterrer Charlie et vendre ses os aux touristes. C’est pourquoi il n’y a pas de nom sur cette tombe. Il n’est qu’un vieux, seul en terre. Amen.

John Dillinger : Allô, Melvin ? Ici, John Dillinger. Melvin Purvis : Comment tu vas Johnny? John Dillinger : J’ai toujours cru qu’on devrait se parler de

temps à autre. Melvin Purvis : Bien, bien. J’aime avoir de tes nouvelles.John Dillinger : Je vois que tu m’accuses d’avoir traversé la frontière dans une caisse volée, n’est-ce pas ? Une offense fédérale. C’est ce que disent les journaux.Melvin Purvis : T’as raison, mon gars. C’est peu pour un type aussi doué. John Dillinger : Comment t’as aimé l’évasion ? Melvin Purvis : Splendide.John Dillinger : C’est pas mal, hein ? Melvin Purvis : C’est ce que j’ai toujours voulu. Ça me donne une chance. John Dillinger : Combien sont à ma poursuite ? Melvin Purvis : Deux hommes.John Dillinger : Deux bonshommes. Toi et J. Edgar Hoover, hein ? Melvin Purvis : Exact, mon gars. John Dillinger : C’est bien, c’est très bien. J’aime ton optimisme. Melvin Purvis : Donne un coup de fil quand tu veux. John Dillinger : J’ai eu plaisir à te parler. Melvin Purvis : Tu peux appeler en PCV si tu veux, mon gars.John Dillinger : Au revoir ! Fils de pute…

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Cantonner John Milius dans un registre idéologique fascisant serait une grave erreur. Ce serait faire fi de toute l’ambiguïté de son discours. La pensée de John Milius se reflète dans ce monde archaïque, consciemment idéalisé, violent, imparfait et contradictoire qu’il dépeint. Ses scripts reflètent ses propres valeurs faites d’amitié, de tradition, d’aventure, de spiritualité, de justice, d’honneur. Certains de ses personnages sont ce qu’il a toujours voulu être : des guerriers, des anarchistes, des barbares, des lions, prêts à tout sacrifier au nom de la liberté. Comme il le dit lui lui-même : « Je suis une victime du présent qui ne me correspond pas. Je suis condamné à être un hors-la-loi. »

l’anarchIsTE zEn D’hOllywOOD

John milius,politiquement incorrect

Danilo zecevic

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« - Et le Christ ? - C’est un anarchiste qui a réussi. C’est le seul. »

André Malraux, L’Espoir

ce qui cRée LA cONtROVeRse Un réactionnaire, un anticommuniste, un antilibéral, un fasciste, un belliciste, un machiste, un conservateur. Accusé de pencher trop à droite, John Milius a été traité de tout et de n’importe quoi. Il faut avouer que John Milius lui-même n’a rien fait pour démentir sa réputation. Pis encore, il n’a cessé de l’alimenter tant par conviction que par esprit de provocation. Comme John Ford qui s’est forgé une image de personnage simple et fruste sous des dehors bonhomme et pittoresques, Milius s’est construit sa propre réputation de réalisateur généreux en bons mots et en histoires passionnantes mais aussi d’ardent défenseur du port d’arme, de partisan de la justice expéditive et de militariste. Effet du hasard, le début du déclin de la carrière de Milius correspond au moment où Ronald Reagan quitte ses fonctions à la Maison blanche. En tournage, ce membre éminent de la NRA se considère comme un général en campagne et a baptisé sa boîte de production The A-Team en hommage à une unité de bérets verts1. Parlez-lui de l’entraînement actuel du soldat et il vous dira que les formateurs ne sont pas assez exigeants, que le soldat doit se sentir persécuté et opprimé afin d’être mieux préparé à ce qui l’attend sur le terrain et qu’il faut recréer le culte du guerrier dans la société. John Milius est un surfeur mais n’est pas quelqu’un de cool. D’ailleurs, il déteste les hippies dont il démonte le comportement de manière assez comique. Dans Conan le barbare, il montre des adeptes du flower power sans volonté, incapables de penser par eux-mêmes et inconscients d’alimenter un culte cannibale. Dans Graffiti Party, Matt se voit refuser un hamburger par un propriétaire de snack

végétarien et baba cool : « - Nous ne servons pas de viande ici, mon frère. – Je ne suis pas ton frère ! Et éteins moi cette musique de sauvage ! ». Dans Motorcycle Gang, Milius parodie volontairement le discours utopiste de l’intellectuel bobo (« Je pense que l’homme est originellement bon mais qu’il a été perverti par la société qui célèbre la mort et la violence à travers l’individu ») que le réalisateur confronte à une réalité sordide qui le fait fuir. En réponse à ces théories pacifistes, l’héroïne du film conclura que « Tout ce que est réel laisse une cicatrice et nous en avons tous ».L’influence de Nietzsche sur Milius a sûrement été néfaste pour la perception qu’en avaient les critiques. L’amalgame avec le nazisme et l’idéologie du surhomme a vite été faite. Pauline Keal ne se fit pas attendre pour dégainer sa machine à écrire et coller à Milius l’image indécrottable de fasciste. Philosophiquement, le réalisateur le concède bien volontiers « ce qui ne te tue pas te rend plus fort »2 - comme en atteste l’exergue de Conan le barbare. La roue sur laquelle s’entraîne le Cimmérien décrit ainsi le long processus de la sélection naturelle. Les personnages de Milius ont été élevés à la dure pour mieux appréhender la violence du monde : Conan, Jed et Matt (L’Aube rouge), les Rough Riders. L’initiation doit apprendre à chacun à se connaître : « Un homme doit connaître ses limites » pour citer Harry Callahan. Pour John Milius, les luttes, la violence, les conflits et les révolutions sont constitutifs de l’univers. Le monde n’existerait pas sans guerres, sans foi sincère ou fanatisme destructeur pour les déclencher, sans hasard qui désigne le gagnant d’une bataille.

1. La dénomination est sans rapport avec la célèbre série L’Agence tout risque qui voit le jour quelques années plus tard.

2. Dans ce cas là, tous les champions sportifs sont des fascistes.

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« La vie  se définit par  la  lutte,  c’est peut-être pour  ça que  je  cherche toujours les embrouilles », déclare-t-il. Mais comme Ford, Milius se révèle plus complexe et insaisissable que son apparence ne le laisse supposer. Les hommes qu’il décrit sont imparfaits et vulnérables : « N’oublie pas Conan que nous ne sommes ni des Dieux ni des Géants mais juste des hommes » confie le père du futur roi des voleurs à son fils. Les héros miliusiens ne sont pas faits d’un bloc. La croyance de John Milius va à la fois au corps et à l’esprit. Dans Conan et L’Aube rouge, il emploie William Smith qui n’est pas seulement un culturiste et un second couteau apprécié mais aussi un spécialiste en langues russe et caucasiennes. De même, Conan ne peut pas se résumer à sa

seule force herculéenne. Certes, l’essence de Conan est de ne jamais céder et de combattre – au besoin jusqu’à la fin – avec toutes les ressources dont il dispose. Mais Conan est aussi un intellectuel, un homme de pensées profondes, d’introspection et de convictions. Sur son trône ou regardant les vagues s’entrechoquer contre les rochers, la pose de Conan évoque le Penseur de Rodin. Il n’est pas seulement un personnage vindicatif mais aussi un être complexe qui s’interroge sur ce qu’il est et sur ce qu’il a fait. La trilogie Conan que Milius pensait développer devait s’appuyer sur trois axes : la force brute, la responsabilité, la loyauté. La dimension intellectuelle est indispensable aux grands hommes car ils sont amenés à prendre des décisions. Dans Rome, Pompée, regardant la

La roue sur laquelles’entraîne le cimmériendécrit le long processusde la sélection naturelle.

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mer, déclare envier son esclave qui n’a aucune responsabilité et conçoit sa tâche comme une fatalité. Harry Callahan prend ses responsabilités dans une société où personne ne veut les prendre. Le devoir de la responsabilité est ce qui différencie les « élus » pour mener le monde des hommes ordinaires. Dans Rough Riders, la diplomatie et la guerre, les idées et l’action, la parole et les actes sont perçus comme complémentaires. L’épée de Conan porte l’inscription : « Ne porte pas le mal, toi qui me brandis au nom de Crom ». La sagesse est indispensable à la force et au pouvoir qui doivent être utilisés à bon escient.

uN impéRiAListe ? Dans ses reconstructions et inspirations historiques, Milius reste fidèle aux coutumes et morales des sociétés du passé mises en scène – ce qui détonne à une époque de

démocratisation et de pacification affichées. Taxé de faire l’apologie de l’interventionnisme américain à la sortie de Le Lion et le vent, il précise que « L’impérialisme n’était pas un gros mot dans le contexte de 1904. Mais ce n’était certainement pas politiquement correct en 1974 »3. Or, d’impérialisme, Milius en représente les deux côtés : côté pile, le point de vue américain, Teddy Roosevelt, interventionniste et belliqueux ; côté face, le point de vue oriental, le Raisuli, sorte de Pancho Villa version bédouine. Dans L’Adieu au roi, Learoyd est à la fois roi et communiste. Milius le confesse : « Le côté marxiste en moi a toujours été en conflit avec le côté impérialiste »4. Roosevelt lui-même dresse un portrait nuancé des Etats-Unis comparant le pays au grizzli « fort, féroce, parfois aveugle et téméraire. L’ours vit seul, indomptable, sans alliés rien que des ennemis dont aucun ne le vaut. (…) On ne nous aimera jamais et, même, on nous craindra car

nous avons trop d’audace. » Le Lion et le vent ne glorifie pas uniquement l’expansionnisme américain à l’aube du 20ème siècle mais montre également ceux qui en sont les victimes. Les Marocains sont pressés de toutes parts : les brigands, les étrangers (européens et américains), leurs propres dirigeants. Comme pour anticiper les critiques, Milius a toujours représenté les points de vue opposés. John Milius est profondément humaniste en cela qu’il semble capable d’adopter le point de vue de chaque personnage, d’accorder du crédit à toutes les idéologies – ce que ses détracteurs n’ont jamais pu faire. Son cinéma n’est pas politiquement correct car il entend véhiculer des

Des hommes de pensées profondes, d’introspection et

de conviction obligés deprendre leurs responsabilités.

3. Patrick McGilligan, Backstory 4 - Backstory 4: Interviews with Screenwriters of the 1970s and 1980s, University of California Press, 2006. 4. Dans le commentaire audio du film sur dvd, Milius ne manque pas d’humour : son film est le seul à pouvoir réconcilier George W. Bush et Oussama Ben Laden !

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valeurs morales indépendantes de son époque, universelles, atemporelles et communes à tous les hommes. Eden Pedicaris désapprouve les châtiments corporels infligés par le Raisuli à ses hommes mais comprend son combat. Milius a fait du mélange des civilisations, de l’interdépendance de tous les êtres humains et du respect de l’autre une constante de son cinéma que cela soit à travers L’Adieu au roi, Conan le Barbare ou Rough Riders. John Milius a le goût du western et c’est aussi par ce truchement qu’il développe sa thématique de l’expansionnisme. Au début de sa carrière, son souhait était de devenir un réalisateur

de westerns de série B. Si le destin l’a conduit vers d’autres horizons, il n’a jamais renoncé à cette part de son identité qui le fait infuser ses films d’une bonne dose de « westernité ». Le désert marocain de Le Lion et vent fait écho au wilderness américain, les nomades ne sont que des indiens déguisés. Un travelling commencé sur le Raisuli et le désert se poursuit sur Roosevelt et le parc du Yellowstone. L’histoire est classique : l’enlèvement d’une femme et de ses enfants par les peaux-rouges. Eden Pedicaris est, de fait, une vraie Yankee, une femme à poigne, déterminée n’hésitant pas à prendre les armes. De même, L’Inspecteur Harry et L’Aube rouge sont

des westerns déguisés, les deux films se terminent d’ailleurs sur un duel au revolver. Dillinger se réfère aux films de Sam Peckinpah. Graffiti Party et Le Vol de l’Intruder orchestrent des bagarres de saloon. La position de Milius est ambiguë : sa sympathie va autant aux cow-boys (le pilote du Vol de l’Intruider, surnommé « Cool Hand » comme en hommage à des dons de pistolero, est comparé à Wyatt Earp) et aux impérialistes qu’aux indiens (les autochtones de L’Adieu au roi sont rebaptisés les « commanches ») et aux opprimés.

milius représente les deuxfaces de l’impérialisme :

côté pile, le point de vue américain, teddy Roosevelt ; côté face, le point

de vue oriental, le Raisuli.

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uN beLLiciste ? Le rêve d’un ailleurs et l’intérêt pour l’Histoire s’accompagne chez Milius d’un fantasme enfantin pour les grands conquérants et les hommes de guerre : les Mongols (Subotai dans Conan)5, les Vikings (Viking Bikers from Hell, l’épisode qu’il a écrit pour la série Deux flics à Miami), les Romains (la série Rome). « Je ne suis pas belliciste mais juste fasciné par la guerre. Tolstoï l’était également ce n’est pas pour autant qu’il en faisait l’apologie. » Les actes, les accessoires et les décors s’inscrivent dans la cohérence d’un contexte. Conan le barbare est un film violent mais c’est bien car la violence est considérée comme normale à l’époque où l’action se situe. John Milius affirme exécrer la violence gratuite qui dévalorise la dignité humaine tout en rappelant sa représentation dans le théâtre antique grec. Dans sa représentation de la guerre, il ne trahit pas la vérité mais la dramatise. Il aime les affrontements nobles, le romantisme des duels à l’épée, tout en restant conscient de leurs conséquences. Bien que scénariste d’Apocalypse Now, John Milius a du mal avec la représentation de la guerre du Vietnam dont les ressorts lui échappent car ne correspondant pas à sa conception surannée du combat. Pour lui, la guerre du Vietnam a creusé un fossé entre les élites et le peuple américain. « Une méfiance mutuelle s’est instaurée car les gens savaient que le gouvernement leur avait menti. Avant cela, les soldats savaient pourquoi ils se battaient. Fred Rexer 6 a dit que la génération qui a combattu en 1965 et 1966 a fait preuve d’un grand héroïsme mais qu’elle ne s’engagerait plus aussi facilement. On a abusé des idéaux, non seulement d’une génération mais également de toute une nation. Et c’est peut-être là qu’est la racine de nos problèmes actuels. »7 Réformé pour problèmes de santé alors qu’il voulait s’engager, Milius ne fait d’ailleurs qu’esquisser le

conflit à travers sa filmographie. Dans Graffiti Party, Jack s’en va à la guerre puis revient sans que soit montré ce qui lui est arrivé durant deux ans. Dans Retour vers l’enfer qu’il produit, l’action se passe une dizaine d’années après la fin de la guerre. Dans Le Vol de l’Intruder qui prend pourtant la guerre du Vietnam comme décor, le conflit est vu du ciel – la réalité du terrain et les combats d’homme à homme restent en arrière plan y compris lors du climax. Des années, Milius a nourri l’idée de faire un film sur le raid de Son Tay mais le projet n’a pas abouti. Qui sait alors quel aurait été son message ?Sur un plan moral, Milius estime que les films sur la seconde guerre mondiale ont remplacé les westerns à partir du moment où le rapport aux indiens, à la frontière et aux espaces ouverts, a évolué. Pour L’Aube rouge, il prétexte une 3ème guerre mondiale entre les Etats-Unis et l’URSS mais ne fait qu’appliquer les préceptes de films sur la résistance. Ainsi, les Etats-Unis attaqués de 1984 rappellent fortement la France occupée de 1941. Le pays se trouve scindé en zone libre et zone occupée et les Wolverines, nouveaux maquisards, écoutent les messages codés diffusés par les programmes de l’Amérique libre (où les Américains parlent aux Américains). Pour autant, L’Aube rouge n’est pas un film bêtement anti-soviétique. « Peu de films de propagande, dans l’histoire de cinéma, ont atteint de tels excès de balourdise » écrivait la critique française de l’époque qui passait encore une fois à côté de l’essentiel. Certes, l’ennemi est soviétique mais le propos est anti-nucléaire. Les belligérants ne se sont pas

5. A l’heure du bouclage, Mickey Rourke aurait été choisi par John Milius pour interpréter Gen-gis Khan dans une biographie du célèbre conquérant. 6. Conseiller militaire sur Apocalypse Now. 7. Ibid.

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servis de leurs missiles. « Il s’agit d’une guerre conventionnelle. Au point où on en est, bientôt, on se battra à l’épée. » Pour Milius, la 3ème guerre mondiale était alors inévitable (c’est pour ça qu’il faut se préparer) mais il démontrait par là même la futilité désespérée de la guerre. A la fin du film, malgré l’héroïsme et les valeurs démontrés, les motivations et les vengeances bilatérales, ce qui reste pour se souvenir des combattants n’est qu’une plaque commémorative abandonnée dans un lieu de bataille que plus personne ne visite désormais. L’Aube rouge fonctionne sur un procédé d’inversion des valeurs. La résistance des Wolverines s’inspire des batailles du front de l’Est et des guérillas sud américaines. Denver assiégé n’est qu’une transposition de Leningrad. Le colonel cubain prénommé Ernesto (sic) est un révolutionnaire, un homme d’idéaux qui a commencé à faire la guerre en combattant pour se libérer de l’oppression mais est devenu avec le temps un oppresseur lui-même. Il se reconnaît dans les Wolverines et, pour cela, laisse Jed partir à la fin. « J’ai toujours été du côté des insurgés. Je n’ai aucune expérience de l’autre côté. Mais, il me semble nécessaire de remporter les soutiens du peuple. Comme disait l’ennemi [américain] au Vietnam : gagner leur cœur et leur esprit. » Oui, les Etats-Unis sont aussi une force d’occupation et Milius ne le dément pas, peut-être même sont-ils punis par là où ils ont

péché. Malgré la vénération qu’il a pour le grand homme, Milius montre une stèle rendant hommage à Teddy Roosevelt dont les forces impérialistes ont pourtant massacré 35 000 indiens. Ses jeunes protagonistes deviennent des héros mais aussi des animaux en s’habituant à un mode de vie proche de la nature. Rough Riders, Conan le barbare, L’Adieu au roi et Motorcycle Gang véhiculent le même message. La guerre est effectivement déshumanisante (les hommes y deviennent

des tueurs) car l’homme revient à un état sauvage, le dernier stade de la régression étant le cannibalisme (Conan, L’Adieu au roi, L’Aube rouge). Dans L’Aube rouge, une scène coupée montrait les personnages tirer sur une maison dans laquelle ils découvraient une petite fille qu’ils avaient failli tuer. Ils réalisaient alors qu’ils perdaient eux aussi leur humanité. Ils lui donnaient néanmoins un peu de nourriture et l’un d’eux ajoutait : « ne serait-ce pas mieux si on l’avait tuée ? ». L’humanisme adopte bien des visages y compris celui de la monstruosité.

uN fRANc tiReuR ! L’hystérie médiatique qui a accompagné la sortie de L’Aube rouge n’est que l’aboutissement d’une polémique critique née à l’époque de L’Inspecteur Harry et qui n’avait fait qu’enfler depuis. Traité de fasciste par Pauline Keal et consort, Milius leur renvoie l’appellation. Pour le metteur en scène, souffrant quelque peu du complexe de la persécution, la situation s’est inversée. Lui, le conservateur, est la victime d’une chasse aux sorcières menée par les libéraux qui ont pris le pouvoir à Hollywood ! « J’ai été blacklisté à cause de mes opinions politiques comme un scénariste l’aurait été dans les années 1950. Hollywood a toujours été à gauche et j’ai toujours été du mauvais côté. » A l’image de l’inspecteur Harry, personnage mythique qu’il a créé et dans lequel il se reflète,

L’Aube rouge fonctionne sur un procédé d’inversion des valeurs.

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comme milius, l’inspecteur harry est un maverick,qui exerce son métier dans une civilisation dominée

par les libéraux et navigue constammentsur la corde raide de la morale.

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John Milius exerce son métier dans une civilisation dominée par les libéraux. Ainsi, Harry Callahan travaille à San Francisco, l’un des bastions de la culture peace and love. Comme Milius, il est un maverick, un dinosaure avec des méthodes et une morale d’autres temps, qui navigue constamment sur la corde raide de la morale. Magnum Force pose la question de la limite à une justice expéditive. Comme tous personnages de Milius, « Dirty Harry » a des limites que lui impose sa morale. Il ne tire sur les « forbans » que dans le cadre strict de la loi. Sans ces limites, c’est le chaos représenté par Scorpio et les motards vigilents. Entre les deux opus, le scénariste de L’Inspecteur Harry et de Magnum Force a été soucieux de rétablir l’équilibre. Dans le premier film, le criminel de gauche arborait les emblèmes de la génération hippie et se présentait comme victime. Dans le second film, les criminels de droite portent des uniformes qui les font ressembler à des SS. A la fois défenseur des valeurs traditionnelles et romantique révolutionnaire, Milius se définit comme un franc-tireur, toujours en lutte contre la morale dominante. « J’ai combattu toutes mes batailles comme un guérillero – la nuit avec peu ou pas de munitions, des armes qui étaient volées, et devant m’incliner généralement

devant un adversaire plus fort. J’ai plus appris en lisant Mao, Geronimo, Victorio et Che Guevara qu’en lisant les comptes rendus des tournages de Stanley Kubrick. »8 Les modèles et le combat sont de gauche, les armes sont de droite. Tout le monde ne peut pas être L’Inspecteur Harry. Harry Callahan est un être à part, un mythe en réponse à un désir populaire. Or, posséder une arme est une responsabilité que tout le monde ne peut pas assumer. Dans une scène de L’Aube rouge pleine d’ironie mordante, il cadre un cadavre auquel on arrache son arme. La caméra fait un travelling : l’homme mort était propriétaire d’un van portant l’inscription « Ils n’auront mon arme qu’en l’arrachant de mes doigts morts ». Idéologiquement, Milius est à la fois sa thèse et son anti-thèse, en constante contradiction avec lui-même. Contemplatif, attentif aux mouvements de la nature, respectueux de la vie, Milius est un maître zen. Bouillonnant, subversif, peu intéressé par l’argent, plaidant pour une désobéissance civile lorsque l’autorité faillit, Milius est un anarchiste. Il est dans la même position que le personnage de Brad Johnson dans Le Vol de l’Intruder, partagé entre l’enseignement de Willem Dafoe (anarchie, sacrifice, amitié) et celui de Danny Glover (discipline, obstination, sagesse). Par

ses engagements, il reste opposé à toute forme de fanatisme car les fanatiques de droite (les motards de Magnum Force) comme de gauche (les hippies de Conan le barbare) sont convaincus de faire le bien sans voir le mal qui l’accompagne. Milius est, de fait, réfractaire à tout type d’endoctrinement, de morale dominante ou de pensée dogmatique. Les disciples fanatiques de Thulsa Doom se réfèrent à la secte Jim Jones9. A la fin, Conan incite la princesse qu’il a sauvée à ne pas l’adorer tel son Dieu mais à agir de son propre chef. Le plus dur commence : assumer son libre-arbitre, se montrer digne d’une prise de position et être responsable de ses actes. Souriant à toutes les attaques qui l’ont visé, Milius a glissé dans la bouche de l’inspecteur Harry le message qu’il adresse à ses détracteurs : « Je crois que vous m’avez mal jugé ».

8. Ibid.9. Jim Jones était le fondateur du groupe religieux « Le Temple du Peuple ». Le 18 novembre 1978, 914 personnes appartenant à sa communauté se donnèrent la mort.

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cOuRts-métRAges :Marcello, I’m Bored – 1966 (animation)The Reversal of Richard Sun – 1970Opening Day – 1985 (épisode de la série La Cinquième Dimension – The Twilight Zone)

LONg-métRAges :

DiLLiNgeR, 1973Scénario : John Milius Photographie : Jules Brenner Montage : Fred R. Fleitshans Jr Musique : Barry De VorzonAvec : Warren Oates (John Dillinger), Ben Johnson (Melvin Purviss), Michelle Philips (Billie Frechette), Harry Dean Stanton (Homer Van Meter), Geoffrey Lewis (Harry Pierpont), Richard Dreyfuss (Baby Face Nelson), Frank McRae (Reed Youngblood).

Durant la grande dépression, le pilleur de banques John Dillinger et son gang sillonnent l’Amérique, traqués par la police.

Le LiON et Le VeNtthe wiND AND the LiON, 1975

Scénario: John Milius Photographie : Billy Williams Montage: Robert L. Wolfe Musique : Jerry GoldsmithAvec : Sean Connery (Mulai Ahmed Er Raisuli), Candice Bergen (Eden Pedecaris), Brian Keith (Theodore Roosevelt), John Huston (John Hay), Geoffrey Lewis (Samuel Gummere).

Maroc, 1904. Le brigand Raisuli enlève une ressortissante américaine, Eden Pedecaris, et ses deux enfants afin de faire pression sur le pouvoir du sultan, soumis aux influences des puissances occidentales. Alerté de la situation, le président américain, Theodore Roosevelt, mène depuis Washington une campagne anti-Raisuli et organise une mission de secours. Mais les intentions du bandit son plus nobles qu’il n’y parait…

gRAffiti pARtybig weDNesDAy, 1978

Scénario : John Milius, Dennis Aaberg Photographie : Bruce Surtees Montage : Timothy O’Meara, Robert L. Wolfe Musique : Basil PoledourisAvec : Jan-Michael Vincent (Matt Johnson), William Katt (Jack Barlow), Gary Busey (Leroy Smith), Patti D’Arbanville (Sally Jacobson), Sam Melville (Ours), Gerry Lopez (lui-même), Frank McRae (Sergent instructeur).

De l’été 1962 au printemps 1974, la vie de trois californiens passionnés de surf.

filmographie

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cONAN Le bARbARecONAN the bARbARiAN, 1982

Scénario : John Milius, Olivier Stone, d’après les personnages créés par Robert E. Howard Photographie : Duke Callaghan Montage : Timothy O’Meara Musique : Basil PoledourisAvec : Arnold Schwarzenegger (Conan), James Earl Jones (Thulsa Doom), Sandahl Bergman (Valéria), Gerry Lopez (Subotaï), Mako (Sorcier), Max von Sydow (Roi Osric).

Enfant, Conan le Cimmérien assiste impuissant à la mort de ses parents, tués par Thulsa Doom et son armée. Il grandit en esclavage, devient gladiateur puis aventurier et voleur. Lui et ses compagnons, le voleur Subotaï et la belle Valéria, sont alors chargé par le roi Osric de retrouver sa fille, prisonnière du culte diabolique de Thulsa Doom.

L’Aube ROugeReD DAwN, 1984

Scénario : John Milius, d’après une histoire de Kevin Reynolds Photographie : Ric Waite Montage : Thom Noble Musique : Basil PoledourisAvec : Patrick Swayze (Jed), C. Thomas Howell (Robert), Lea Thompson (Erica), Charlie Sheen (Matt), Jennifer Grey (Toni), Powers Boothe (Andy), Ben Johnson (Mason), Harry Dean Stanton (M. Eckert).

Des parachutistes soviétiques et cubains atterrissent aux Etats-Unis et prennent le contrôle d’une partie du pays, instaurant la loi martiale et opprimant la population. Un groupe d’adolescents se réfugie dans les montagnes rocheuses et prend les armes pour lutter contre l’envahisseur communiste.

L’ADieu Au ROifAReweLL tO the

KiNg, 1989Scénario : John Milius, d’après le roman de Pierre Schoendoerffer Photographie : Dean Semler Montage : Anne V. Coates, Timothy O’Meara Musique : Basil PoledourisAvec : Nick Nolte (Learoyd), Nigel Havers (Fairborne), Franck McRae (Tenga), Gerry Lopez (Gwai), Elan

Oberon (Vivienne), Aki Aleong (Colonel Mitamura)

Durant la seconde guerre mondiale, le capitaine Fairborne et Tenga son radio, deux militaires anglais, sont largués dans la jungle de Bornéo afin de soulever les populations locales contre l’armée japonaise qui contrôle la zone. Ils découvrent une tribu primitive dirigée par un occidental, Learoyd. Celui-ci se révèle être un déserteur de l’armée américaine, célébré comme un roi par les indigènes. Réticent à prendre part à des combats qu’il a fui, Learoyd se voit obligé de prendre les armes lorsque les Japonais menacent la tranquillité de son peuple.

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Le VOL De L’iNtRuDeRfLight Of the iNtRuDeR, 1991

Scénario : Robert Dillon, David Shaber, d’après le roman de Stephen Coonts Photographie : Fred J. Koenekamp Montage : Timothy O’Meara, Steve Mirkovich Musique : Basil PoledourisAvec : Brad Johnson (Jake Grafton), Willem Dafoe (Virgil Cole), Dany Glover (Frank Camparelli), Rosanna Arquette (Callie), Tom Sizemore (Boxman), Ving Rhames (Frank McRae).

Durant la guerre du Viêt Nam, le pilote Jake Grafton est cantonné sur le porte-avion commandé par Frank Camparelli, multipliant les missions de routine ordonnées par un état-major dépassé par les évènements. Après avoir assisté impuissant à la mort de son navigateur, Grafton fait équipe avec Virgil Cole, une tête brûlée. Ensemble, ils élaborent un plan fou : bombarder un dépôt de munition communiste situé en plein cœur de la zone interdite d’Hanoï.

mOtORcycLe gANg, 1994 (tV)

Film issu de l’anthologie Rebel HighwayScénario : Kent Anderson, Lau-rie McQuillan Photographie : Anthony B. Richmond Mon-tage : Mark Helfrich Musique : Hummie MannAvec : Carla Gugino (Leann),

Gerald McRaney (Cal), Jake Busey (Jake), John Cassini (Crab), Richard Edson (Volker).Dans les années 50, une famille traverse les Etats-Unis en voiture pour s’installer en Californie. Ils sont pris en chasse par un gang de motards dont le chef, Jake, a des vues sur Leann, l’adolescente de la famille, elle-même troublée par ce rebelle. Vétéran de la guerre de Corée, Cal, le père de Leann, part au secours de sa fille.

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ROugh RiDeRs, 1997 (tV)Scénario : John Milius, Hugh Wilson Photographie : Anthony B. Richmond Montage : Sam Citron Musique : Peter et Elmer BernsteinAvec : Tom Berenger (Théodore Roosevelt), Sam Elliott (Bucky O’Neill), Gary Busey (Joseph Wheeler), Brad Johnson (Henry Nash), Geoffrey Lewis (Eli), Brian Keith (Président McKiney), Chris Noth (Craig Wadsworth), George Hamilton (William Randolph Hearst).

En 1898, la population de Cuba vit sous le joug de l’armée espagnole. Aux Etats-Unis, le jeune secrétaire d’Etat Théodore Roosevelt use de toute son influence pour déclencher une guerre entre les deux puissances. Engagé volontaire dans la cavalerie, Roosevelt se voit offrir le commandement de la troupe des « Rough Riders » et débarque à Cuba.

cOmme pRODucteuR (fiLmOgRAphie séLectiVe) :

Hardcore, Paul Schrader, 19791941, Steven Spielberg, 1979La Grosse magouille, Robert Zemeckis, 1980Retour vers l’enfer, Ted Kotcheff, 1983Rome, série télévisée créée par Bruno Heller, 2005-2007

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cOmme scéNARiste (fiLmOgRAphie séLectiVe) :

The Emperor, George Lucas, 1967 (court-métrage)The Devil’s 8, Burt Topper, 1969 Evel Kneviel, Marvin Chomsky, 1974L’Inspecteur Harry, Don Siegel, 1971 (non crédité) Jeremiah Johnson, Sidney Pollack, 1972Juge et hors-la-loi, John Huston, 1972Magnum Force, Ted PostMelvin Purvis, G-Man, Dan Curtis, 1974Viking Bikers from Hell, James Quinn, 1987 (épisode de la série télévisée Deux flics à Miami, écrit sous le pseudonyme de Walter Kurtz)Extrême Préjudice, Walter Hill, 1987Géronimo, Walter Hill, 1993Danger Immédiat, Philip Noyce, 1994

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prochainement, Acmé cible l’actualité.

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