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Les effets des émotions musicales sur l'attention

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Page 1: Les effets des émotions musicales sur l'attention
Page 2: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 2

Résumé

L’objectif de ce mémoire était d’examiner, chez des sujets tout-venant, les

conséquences transitoires des émotions musicales sur l’engagement attentionnel. La

situation expérimentale consistait en une adaptation musicale du paradigme d’indiçage

émotionnel. Les participants devaient localiser le plus rapidement possible une cible

visuelle surgissant sur un écran géant, à gauche ou à droite d’un point de fixation. La

majorité des essais était indicée par la présentation d’un extrait musical (d’une durée de 2

secondes) provenant du haut parleur de gauche ou de droite. Il s’agissait donc d’une

situation intermodale (auditive-visuelle). Dans la moitié des essais indicés, l’indice musical

et la cible subséquente étaient présentés du même côté de l’espace (indiçage valide), dans

l’autre, l’indice était présenté d’un côté, la cible de l’autre (indiçage non valide). Les

extraits musicaux exprimaient spécifiquement la joie, la tristesse, la peur ou la sérénité.

Cette expérience a mis en évidence, pour la première fois, une influence des émotions

véhiculées par la musique sur l’engagement de l’attention visuelle et sur la latence des

réponses fournies. Ces résultats soulignent également l’intérêt d’utiliser des stimuli

musicaux comme outils d’investigation des relations entre les processus émotionnels et les

processus attentionnels.

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Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 3

Table des matières

1 Introduction ..............................................................................................................5

1.1 Le pouvoir émotionnel de la musique ..................................................................7

1.1.1 Émotion, humeur et sentiment : définitions .....................................................8

1.1.2 Composantes et étapes du processus émotionnel .............................................9

1.1.3 Les réponses émotionnelles à la musique ...................................................... 14

1.2 Interaction entre les émotions et les processus attentionnels ............................... 27

1.2.1 L’attention sélective ..................................................................................... 27

1.2.2 Étudier l’influence des stimuli émotionnels visuels sur l’attention ................. 40

1.2.3 Étudier l’influence des stimuli émotionnels auditifs sur l’attention ................ 47

1.3 Les « émotions musicales » et l’attention sélective ............................................ 49

1.3.1 Émotions musicales et cognition ................................................................... 50

1.3.2 L’induction d’humeur par l’écoute musicale et l’attention ............................. 50

1.3.3 Étudier les effets des émotions musicales sur l’attention visuelle ................... 52

2 Méthode................................................................................................................... 56

2.1 Participants ....................................................................................................... 56

2.2 Matériel ............................................................................................................ 57

2.3 Procédure .......................................................................................................... 58

3 Résultats .................................................................................................................. 62

4 Discussion ................................................................................................................ 68

4.1 Effets observés .................................................................................................. 70

4.1.1 Effet de validité ou effet IOR ? ..................................................................... 70

4.1.2 Effets non spatiaux ....................................................................................... 72

4.2 Limites et perspectives ...................................................................................... 75

5 Conclusion ............................................................................................................... 78

6 Bibliographie ........................................................................................................... 79

7 Annexe ..................................................................................................................... 92

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Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 4

Remerciements

Je tiens à remercier vivement Régine Kolinsky, ma promotrice de mémoire, pour

m’avoir guidée vers ce sujet recouvrant trois domaines qui me passionnent, ainsi que pour

ses conseils, son dynamisme, ses compétences, ses encouragements, sa confiance.

Je remercie chaleureusement Julie Bertels, pour ses précieux conseils, ses grandes

compétences tant sur le plan humain que scientifique, sa disponibilité, son dynamisme

incomparable et ses encouragements.

Mes sincères remerciements vont aussi à Olivier Luminet et à Julie Bertels pour

l’intérêt qu’ils ont porté à ce travail en acceptant de devenir les membres du Jury.

Merci à ceux et celles qui ont participé à mon étude ou qui m’ont encouragée.

Enfin, un MERCI incommensurable à mes proches, principalement à mes parents et

à Jean pour leur soutien inconditionnel, inestimable et si précieux tout au long de ce travail

et de ces cinq années d’études.

Cinq années par ailleurs riches en deux événements extraordinaires : Nils et Milos,

mes petits garçons de trois ans et un an. C’est à eux que je dédie ce travail. Qu’ils

comprennent un jour ce qui occupait tant leur maman durant ces longs mois ! À eux, je leur

dis merci d’être là tout simplement, débordants de vie, de curiosité et d’amour.

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Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 5

1 Introduction

« La musique est la langue des émotions. » Emmanuel Kant

Indissociables de la cognition, les émotions interagissent en permanence avec les

processus cognitifs les plus variés. Elles auraient notamment comme fonction adaptative

d’orienter l’attention de manière prioritaire vers des stimuli hautement pertinents pour

l’individu, en vue de faciliter des réponses avantageuses pour sa survie et celle de l’espèce

(e.g., Niedenthal, Ric & Krauth-Gruber, 2008).

Jusqu’à présent, la question de la modulation de l’orientation attentionnelle par les

émotions a surtout été examinée en modalité visuelle, au moyen de différents paradigmes

expérimentaux dont la tâche de Stroop émotionnel (Mathews & MacLeod, 1985), la

situation d’indiçage émotionnel (Emotional cueing ; Stormark, Nordby & Hugdahl, 1995)

et la situation de déploiement attentionnel (Dot Probe Task ; MacLeod, Mathews & Tata,

1986). De manière générale, ces travaux ont établi que les stimuli émotionnels -

principalement ceux qui représentent une menace - reçoivent un traitement attentionnel

prioritaire par rapport aux stimuli neutres émotionnellement. Ces biais attentionnels sont

néanmoins plus souvent rapportés chez les personnes anxieuses ou particulièrement

concernées par les stimuli utilisés (e.g., Bar-Haim, Lamy, Pergamin, Bakermans-

Kranenburg & van IJzendoorn, 2007). En absence de menace dans l’environnement,

l’organisme manifesterait un biais attentionnel vers les stimuli émotionnels positifs. Ainsi,

les visages de bébés déclenchent un déploiement attentionnel plus important que les

visages d’adultes (Brosch, Sander & Scherer, 2007). Émotions et processus attentionnels

sont donc profondément liés.

Alors que dans la réalité les stimuli que nous traitons quotidiennement sont

généralement perçus via différentes modalités sensorielles et intégrés, peu de chercheurs

avant Brosch, Grandjean, Sander et Scherer (2008) ont utilisé une situation expérimentale

intermodale pour examiner la question de l’orientation de l’attention visuelle. Au moyen

d’une adaptation de la situation de déploiement attentionnel, ces auteurs ont observé

l’occurrence d’un biais attentionnel positif pour des pseudomots énoncés sur le ton de la

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Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 6

colère, comparativement à ceux énoncés sur un ton neutre. L’attention serait donc orientée

de manière prioritaire vers une prosodie de colère, plutôt que vers une prosodie neutre.

Étant donné les liens étroits que partagent la musique et la prosodie, il semble tout à

fait pertinent de s’interroger sur la capacité de la musique à susciter de tels biais. Plus que

toute autre forme d’art, la musique paraît en effet capable d’induire très rapidement de

fortes réactions émotionnelles chez les auditeurs. Ce pouvoir émotionnel est sans doute la

raison pour laquelle la plupart d’entre nous, quel que soit son âge, sa culture et son

expérience musicale, l’apprécie tant. Certains auteurs attribuent à la musique d’importantes

fonctions adaptatives (e.g., Cross, 2008 ; Peretz, 2006), notamment des fonctions de

cohésion sociale et de communication. Dans cette perspective, l’étude des « émotions

musicales » pourrait mettre à jour des biais attentionnels similaires à ceux suscités par des

stimuli émotionnels biologiquement pertinents (visage menaçant, serpent, bébé). D’autres

auteurs, en revanche, considèrent la musique comme un objet hautement culturel, sans

conséquence adaptative immédiate pour l’espèce humaine (« an auditory

cheesecake » ; Pinker, 2002).

Quoi qu’il en soit, la musique, par son étonnante capacité à véhiculer des émotions,

pourrait constituer un outil privilégié pour approfondir la compréhension des relations

complexes entre les émotions et les processus attentionnels. L'objectif de ce mémoire était

donc de réaliser une expérience destinée à examiner l’influence des émotions musicales sur

l’attention, chez des sujets tout-venant. A cette fin, à partir de divers travaux et des conseils

de Régine Kolinsky et de Julie Bertels, j’ai développé une adaptation musicale intermodale

(auditive-visuelle) de la situation d’indiçage émotionnel (Stormark et al., 1995).

L’idée était d’examiner si les émotions induites par des mélodies présentées très

brièvement influencent significativement l’attention visuelle, comparativement à des

mélodies apaisantes (considérées ici comme « neutres » émotionnellement). Plus

précisément, il s’agissait d’analyser les temps de réponse nécessaires à la localisation

d’une cible visuelle subséquente à la présentation d’un indice musical. J’ai examiné si la

tristesse, la peur et la joie véhiculées par les mélodies entraînaient des biais

attentionnels spécifiques (i.e., des effets spatiaux de facilitation ou d’interférence liés à la

validité de l’indiçage), comparativement aux mélodies émotionnellement neutres.

L’occurrence d’effets non spatiaux (i.e., ralentissement ou accélération de la latence des

réponses fournies indépendants des conditions de validité) était également plausible.

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Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 7

Les niveaux d’anxiété (trait et état) et de dépression des participants ont été évalués

avant le test, au moyen de questionnaires (STAI-Y : Spielberger, 1983 ; BDI-II : Beck,

Steer & Brown, 1996).

Cette introduction se divisera en trois grandes parties. La première portera sur le

pouvoir émotionnel de la musique. Nous distinguerons notamment les divers mécanismes

susceptibles d’être à la base des émotions musicales. Dans la seconde partie, nous

examinerons l’interaction entre les émotions et les processus attentionnels et tenterons

principalement de mieux comprendre comment les émotions véhiculées par un stimulus

peuvent orienter l’attention. Je présenterai également trois paradigmes expérimentaux

fréquemment utilisés pour étudier l’interaction émotion-attention, ainsi que les principales

observations des études qui les ont employés. Enfin, la troisième partie de cette

introduction traitera des émotions suscitées par la musique et de leur influence sur

l’attention. Je clôturerai cette introduction par la présentation de mes questions de

recherche et de mes prédictions.

1.1 Le pouvoir émotionnel de la musique

Pour beaucoup d’entre nous, la fonction essentielle de la musique est sa capacité à

transmettre des émotions et à modifier notre humeur. On l’utilise en effet pour se divertir,

bercer un enfant, accentuer ou modifier son état affectif, créer une certaine ambiance,

favoriser un rapprochement amoureux, se libérer du stress, se stimuler,… Bref, autant de

situations où des états émotionnels sont en jeu. La musique nous accompagne du berceau à

la tombe. A l’instar du langage, la musique est un trait humain universel : elle est produite

dans toutes les cultures et toutes y sont sensibles d’une manière ou d’une autre (Tillmann,

2010-2011). A priori donc, nul doute qu’elle puisse réellement transmettre des émotions.

N’est-ce pas d’ailleurs le but premier de la plupart des compositeurs et des musiciens ?

Et pourtant, paradoxalement, la notion d’émotions musicales reste controversée

dans la littérature scientifique (voir Juslin & Västfjäll, 2008). Ainsi, pour certains auteurs,

la musique n’induit pas chez l’auditeur d’émotion naturelle, ordinaire (e.g., Becker, 2001 ;

Noy, 1993). Actuellement, il n’y a donc toujours pas de consensus sur les questions

fondamentales suivantes : la musique induit-elle réellement des émotions ? Si oui,

lesquelles et par quels mécanismes ? Ces émotions diffèrent-elles des émotions ordinaires ?

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Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 8

Avant d’explorer ces questions, quelques définitions élémentaires s’imposent :

qu’est-ce qu’une réaction émotionnelle ? Qu’est-ce qui la distingue de l’humeur et des

sentiments ? Comment et pourquoi se déclenche-t-elle ? Comment définir le concept

d’émotion de manière à tenir compte de toute la variété des expériences émotionnelles ? Et

enfin, quels sont les cadres théoriques susceptibles de nous aider à appréhender les

processus émotionnels dans leur relation avec la musique et les processus attentionnels ?

1.1.1 Émotion, humeur et sentiment : définitions

Les termes « émotion » et « humeur » sont souvent utilisés l’un pour l’autre dans le

langage commun. Une manière simple de les distinguer est de se dire que nous sommes en

permanence dans un état affectif : lorsque cet état est intense et qu’il implique des stimuli

internes ou externes évidents, on l’appelle émotion ; lorsqu’il est moins intense et que sa

cause est incertaine, on l’appelle humeur (Juslin, 2009). Pour Luminet (2008), l’état

émotionnel correspond à une réponse d’urgence qui se manifeste intensément et

succinctement (de quelques secondes à quelques minutes) en réponse à des éléments

déclencheurs facilement identifiables. En revanche, l’humeur est un état relativement

diffus dont les causes sont incertaines et qui s’installe plus lentement pour une durée plus

longue. L’humeur se distingue également de l’émotion par une absence d’intentionnalité.

Elle peut cependant influencer le seuil de déclenchement d’émotions au contenu proche et

interférer avec le processus de régulation émotionnelle en agissant sur l’intensité des

réponses émotionnelles, sur les capacités de contrôle et sur la vitesse de résorption de l’état

émotionnel (Ekman, 1984 ; cité par Luminet, 2008).

Qu’est-ce qui distingue une émotion d’un sentiment ? Pour Damasio (2003), les

émotions sont des actions ou des mouvements perceptibles (du fait qu’elles se manifestent

sur le visage, dans la voix ou dans des comportements spécifiques), alors que les

sentiments - au même titre que les images mentales - sont éminemment subjectifs et privés.

Toutefois, émotions et sentiments interagissent en permanence pour former un processus

continu. Luminet (2008) défini le terme « sentiment » comme étant la composante

cognitive et expérientielle du processus émotionnel.

Dans ce travail, j’utiliserai donc les termes « émotion », « humeur » et

« sentiments » comme référant aux définitions présentées. Abordons à présent les étapes du

processus émotionnel ainsi que ses composantes.

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Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 9

1.1.2 Composantes et étapes du processus émotionnel

De manière générale, il est largement admis qu’une émotion est un phénomène

hautement adaptatif pour l’individu et qui présente d’importantes fonctions

sociales (Nugier, 2009). De même, aujourd’hui, la majorité des chercheurs a adopté une

vision multi-componentielle du phénomène émotionnel. Les émotions sont considérées

comme des réactions extrêmement rapides de l’organisme suite à certaines circonstances

inhabituelles de l’environnement (ou à des événements internes) qui se caractérisent par un

ensemble de réponses (1) physiologiques, (2) comportementales et expressives, (3)

cognitives et expérientielles (Luminet, 2008). Beaucoup d’auteurs y ajoutent des facteurs

de motivation (tendances à l’approche ou à l’évitement) ou des processus nécessaires à

l'évaluation des caractéristiques émotionnelles du stimulus (e.g., Scherer, 2000 ; Robinson,

1998). La question de l’organisation de ces composantes reste cependant débattue. Il est

possible que les composantes émotionnelles éprouvées dans des conditions naturelles

soient fortement synchronisées et cohérentes (au moins pendant un certain temps), jusqu’à

ce que d’autres processus, comme celui de la régulation émotionnelle, interviennent pour

les découpler (Niedenthal et al., 2008).

Silvert (2004) schématise le déroulement du processus émotionnel en trois grandes

étapes : (1) l'évaluation et l'identification de la signification émotionnelle d’un stimulus

(interne ou externe), (2) la production d'un état affectif spécifique en réponse à ce stimulus,

incluant les réponses végétatives, neuroendocriniennes et somatomotrices, ainsi que

l'expérience subjective consciente, (3) la régulation de l'expérience émotionnelle

subjective et du comportement émotionnel.

Penchons-nous à présent sur la première étape qui concerne les mécanismes pré-

attentionnels.

1.1.2.1 Évaluation de la signification émotionnelle

Notre environnement nous bombarde en permanence d’informations, cela via

plusieurs modalités sensorielles. D’un point de vue adaptatif, il est essentiel de pouvoir

trier ces informations en focalisant notre attention sur les plus pertinentes pour notre survie

et en ignorant les autres. Pour ce faire, notre organisme doit être capable de donner très

rapidement un sens aux événements, moyennant un effort cognitif minimal. Notre façon de

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Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 10

percevoir l’environnement semble donc profondément marquée par un processus de

catégorisation : nous regroupons les stimuli nous paraissant analogues ou équivalents afin

de réduire l’extrême complexité du monde (Brosch, Pourtois & Sander, 2010). Notre

cerveau produirait d’abord une représentation mentale correspondant à l’activation d’une

catégorie de stimuli, ensuite de nombreuses informations associées à cette catégorie

seraient inférées.

Certaines catégories de stimuli sont déterminantes pour la survie de l’espèce et de

l’individu : celles qui signalent une menace (e.g., prédateur, ennemi) ou une opportunité

(e.g., nourriture, partenaire sexuel potentiel). De tels stimuli requièrent des réponses

adaptatives immédiates : éviter le danger ou approcher le stimulus positif. On considère

aujourd’hui que l’organisme effectue un traitement perceptif prioritaire de ce type de

stimuli « émotionnels », afin de faciliter la préparation à l’action.

Si la plupart des modèles théoriques des émotions s’accordent sur cette idée, il n’en

va pas de même pour la question des mécanismes sous-jacents à la catégorisation pré-

attentionnelle (Brosch et al., 2010) : est-elle universelle, automatique et plutôt inflexible

(mécanismes bottom-up) ou au contraire, dépend-elle fortement du contexte dans lequel le

stimulus est perçu et/ou de caractéristiques subjectives (facteurs top-down) ?

1.1.2.2 Les théories évolutionnistes

Les théories évolutionnistes des émotions ont émergé à partir des travaux de

Darwin (1872) qui a défendu l’idée que, tout au long de l’évolution, les émotions ont

renforcé les chances de survie d’un individu parce qu’elles répondent de manière

appropriée aux aléas de l’environnement (Niedenthal et al., 2008).

Les tenants de l’approche évolutionniste contemporaine (e.g., Cosmides & Tobby,

2000 ; Nesse, 1990) ont proposé que la nature humaine a évolué à travers la sélection

naturelle en résolvant les « problèmes adaptatifs » qui se sont présentés de manière

récurrente au cours de l’évolution. Dans cette optique, les émotions s’apparentent à des

« programmes génétiquement codés » liés à des comportements adaptatifs spécifiques.

Elles seraient activées automatiquement par des situations clés ou par certaines classes de

stimuli. Ainsi, Plutchik (1980) a énuméré huit comportements adaptatifs, chacun lié à une

émotion : l’évitement (peur), l’attaque (colère), l’accouplement (joie), les appels au secours

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Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 11

(tristesse), l’affiliation (acceptation), le vomissement (dégoût), l’exploration (intérêt) et

l’immobilisme (surprise). A l’échelle de l’espèce humaine, ces comportements sont liés

soit à des opportunités, soit à des menaces sur la transmission des gènes. Mais pour les

évolutionnistes actuels, les problèmes adaptatifs ne se limitent pas à l’apparition d’un rival

sexuel, d’un partenaire sexuel potentiel, de nourriture ou d’un animal dangereux : le

principe de l’amélioration du potentiel de la reproduction toucherait tous les domaines de

la vie (Niedenthal et al., 2008).

Modèle catégoriel : des émotions de base discrètes

En lien direct avec la théorie évolutionniste, le modèle catégoriel postule

l’existence de quelques émotions basiques, discrètes, irréductibles, non-ambiguës,

indépendantes et universelles, façonnées au cours de l’évolution. Ekman (1992) par

exemple, en reconnaît six : joie, peur, surprise, colère, dégoût et tristesse ; chacune se

distinguant dans ses manifestations psychologiques, physiologiques et comportementales,

et en étant sous-tendue par un système neuroanatomique spécifique. Ces émotions de base

pourraient néanmoins être combinées pour produire des émotions plus complexes.

Un des principaux arguments soutenant ce modèle repose sur le fait que les stimuli

émotionnels (e.g., expressions émotionnelles faciales) seraient perçus de façon

catégorielle, universellement (e.g., Ekman, 1992). De fait, des études plus récentes ont

confirmé ces résultats : les expressions émotionnelles faciales (Elfenbein & Ambady,

2002), corporelles (de Gelder, 2006), ainsi que les vocalisations émotionnelles (Juslin &

Laukka, 2003) sont catégorisées par des individus issus de cultures différentes avec un taux

de réponses correctes supérieur au niveau du hasard (Broch et al., 2010).

Néanmoins, cet argument n’est pas spécifique à cette approche : des résultats

similaires ont été obtenus lorsqu’on demandait à des participants de cultures différentes de

classer les émotions selon un système dimensionnel (Bradley & Lang, 1994) ou selon des

critères d’évaluation cognitive (Scherer & Grandjean, 2008). Le caractère trop caricatural

des stimuli utilisés (i.e., expression faciale exagérée) a aussi été critiqué (Carroll & Russel,

1997). En outre, la spécificité des bases neuronales propres à chacune de ces émotions n’a

pas été clairement établie (Posner, Russel & Peterson, 2005). On ne disposerait donc pas

d’arguments empiriques suffisants pour définir de manière formelle ce qu’est une émotion

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Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 12

de base. Enfin, beaucoup considèrent que l’approche catégorielle ne rend pas compte de la

complexité et de l’ambiguïté des émotions - a fortiori des émotions musicales - qui

bouleversent généralement les frontières catégorielles (e.g., Bigand, Filipic & Lalitte,

2005 ; Scherer, 2004). Par conséquent, une autre approche qui permet d’intégrer davantage

toute la richesse de l’expérience émotionnelle a été proposée.

Modèles dimensionnels

Le fait que les individus éprouvent des difficultés à discerner et à décrire leurs

propres réactions émotionnelles suggère qu’ils ne les ressentent pas comme des entités

discrètes et isolées, mais plutôt comme des expériences ambiguës composées d’émotions

diverses enchevêtrées (Posner et al., 2005). Les modèles dimensionnels permettent de

mieux appréhender la complexité du processus émotionnel, du fait qu’ils considèrent les

expériences affectives comme des états intercorrélés et souvent équivoques. Ils concernent

donc plus généralement le résultat final du processus émotionnel : l'expérience

émotionnelle subjective (Luminet, 2008).

A titre d’exemple, Russel (1980) a proposé le « modèle circumplex des affects »

qui décrit les émotions sur un continuum selon deux dimensions : celle de la valence et

celle de la dynamique (arousal). La première concerne l’aspect qualitatif de l’émotion et

permet de juger du degré auquel un état est agréable (positif) ou désagréable (négatif). La

dynamique d’un état émotionnel fait référence à son niveau d’énergie, à son caractère plus

ou moins stimulant, et se manifeste dans les changements physiologiques en réponse à un

stimulus (élévation du rythme cardiaque, frissons, sueur,…). L’intensité de la réaction

émotionnelle peut alors être évaluée par la puissance de ces réponses. Notons que ce

modèle n’implique pas que les états de même valence et de même dynamique produisent la

même expérience : ceux-ci sont différenciés par le processus d’attribution que les

individus réalisent en interprétant la cause de leur état (Russel, 2003).

Les émotions peuvent aussi être classées sur la dimension de la motivation,

correspondant à la propension à l’action. De ce point de vue, la joie, la surprise et la colère

sont considérées comme des « émotions d’approche » du fait qu’elles déclenchent le désir

d’approcher le stimulus inducteur ; la peur, la tristesse et le dégoût comme des « émotions

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Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 13

d’évitement » puisqu’elles incitent à se soustraire des situations ou des stimuli inducteurs

(Bradley, Codispoti, Cuthbert & Lang, 2001).

Les modèles dimensionnels considèrent donc que les stimuli émotionnels ne sont

pas catégorisés instantanément dans des catégories basiques spécifiques mais qu’ils

transmettent des informations plus ou moins stimulantes, de valence plus ou moins positive

ou négative, qui sont utilisées pour attribuer une étiquette émotionnelle au stimulus (Broch

et al., 2010). Il s’agit dès lors d’une catégorisation indirecte.

1.1.2.3 Les théories cognitives d’évaluation

Si d’un point de vue évolutionniste, la détection d’un événement pertinent active le

système nerveux autonome avant toute évaluation cognitive, les modèles cognitifs

proposent que l’évaluation cognitive est l’étape initiale dans le déclenchement du

processus émotionnel. Ainsi, une émotion serait déclenchée à partir du moment où une

situation est jugée signifiante, importante pour l’individu. Cette perspective amène donc

plus de flexibilité dans ce qui peut être perçu comme « émotionnel ». Luminet (2008)

souligne que ces jugements évaluatifs seraient posés extrêmement vite et le plus souvent

non consciemment.

Un des principaux arguments repose sur le fait que les individus peuvent ressentir

des émotions différentes en réponse à un événement identique. Par exemple, Scherer et

Ceschi (2000) ont filmé dans un aéroport, des voyageurs déclarant la perte de leur bagage à

un agent de réclamation. Ils les ont ensuite interviewés sur leur évaluation de la situation et

sur leurs sentiments. En accord avec la théorie de l’évaluation cognitive, il s’est avéré que

les voyageurs ont réagi sur le plan émotionnel de manière très variée, et que plus

l’événement était perçu comme un obstacle aux objectifs du moment, plus le voyageur était

inquiet et en colère (Niedenthal et al., 2008).

Quels seraient les critères utilisés dans l’évaluation de la situation ? Il pourrait

s’agir des objectifs et des besoins de l’individu : une émotion se déclencherait uniquement

si l’événement est jugé important pour s’en rapprocher ou y répondre (Lazarus, 1991). La

nouveauté (par opposition à la répétition de l’événement), la valence émotionnelle, l’estime

de soi, la capacité de « coping » de l’individu, la compatibilité de l'événement avec des

normes ou des valeurs sociales ou personnelles, pourraient également constituer des

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Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 14

critères d’évaluation (Luminet, 2008). Certains seraient primitifs comme ceux de la

nouveauté et de la valence, tandis que d’autres solliciteraient des processus cognitifs plus

complexes (Niedenthal et al., 2008). Ces critères détermineraient la nature de l'émotion

ressentie, le pattern des réponses physiologiques, de l’expression motrice et de la

préparation à l’action (Brosch et al., 2010).

Par ailleurs, d’autres études ont souligné le rôle de l’information contextuelle dans

la détermination du caractère émotionnel d’un stimulus. Ainsi, étonnamment, une

expression émotionnelle faciale peut être interprétée différemment selon le contexte

situationnel donné à l’observateur (e.g., Carroll & Russell, 1996) : lorsqu’on présentait aux

participants une photographie d’un visage présentant une expression prototypique du

dégoût tout en les informant de la situation particulièrement frustrante vécue par cette

personne, la majorité des participants jugeait que le visage exprimait la colère. En outre,

les mouvements oculaires durant le scanning visuel du visage exprimant le dégoût

correspondent à ceux habituellement observés pour un visage en colère (Aviezer, Hassin,

Ryan, Grady, Susskind, Anderson, Moscovitch & Bentin, 2008).

Après ces quelques définitions et ce bref aperçu des principales conceptions

théoriques sur le processus émotionnel, penchons-nous à présent sur la spécificité et la

complexité apparente des réactions émotionnelles à la musique.

1.1.3 Les réponses émotionnelles à la musique

Avant tout, il est primordial de distinguer la perception d’une émotion, de

l’induction d’une émotion. Nous pouvons simplement percevoir les émotions exprimées

dans une pièce musicale ou nous pouvons réellement les ressentir. Cette distinction est

capitale pour deux raisons. Premièrement, les mécanismes sous-jacents peuvent être

différents. Deuxièmement, le type d’émotion induit par la musique peut différer du type

d’émotion perçue (Juslin, 2009). Mais dans quelle mesure, la musique induit-elle des

émotions ? Avant d’examiner cette question, il me paraît essentiel d’en savoir un peu plus

sur la manière dont le cerveau réagit durant l’écoute musicale, ainsi que sur l’origine et le

développement de la sensibilité émotionnelle à la musique. Ces éclaircissements

permettront de mieux appréhender les différents mécanismes à la base des états

émotionnels qu’il est possible d’expérimenter lors de l’écoute.

Page 15: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 15

1.1.3.1 Les corrélats neuroanatomiques des émotions musicales

En utilisant une technique d’analyse fonctionnelle de connectivité, Menon et

Levitin (2005) ont mis en évidence des interactions entre différentes régions cérébrales. La

première étape du traitement consiste en l’analyse primaire des composantes du son et

implique le cortex auditif. L’activation se propage ensuite dans les régions frontales,

responsables de l’analyse de la structure et des attentes musicales, puis dans plusieurs

zones méso-limbiques, dont le noyau accumbens du striatum ventral, responsable de la

diffusion de la dopamine. Le cervelet et les noyaux gris centraux sont également activés,

soutenant vraisemblablement l’analyse du rythme et de la mesure.

Notons aussi que le traitement musical met en jeu un réseau étendu de régions dans

les deux hémisphères cérébraux, avec une tendance générale à une asymétrie droite pour

les traitements basés sur la hauteur tonale (Peretz & Lidgi, 2007).

1.1.3.2 Prédisposition, développement et origine évolutive de la sensibilité musicale

Vraisemblablement, le pouvoir émotionnel de la musique est ancien et universel.

On a retrouvé des flûtes (i.e., des os d’ours percés de trous) vieilles de plus de 40.000 ans

(Tillmann, 2010-2011), ce qui suggère que la pratique musicale existait déjà à l’époque

néandertalienne. Pour de nombreux auteurs (e.g., Peretz, 2009), les humains disposent d’un

penchant inné pour la production de musique et son appréciation. De fait, il existe assez

bien d’arguments soutenant une prédisposition biologique à la musique.

Ainsi, la sensibilité à l’information émotionnelle contenue dans la musique apparaît

très précocement dans la vie (e.g., Nawrot, 2003 ; Zentner & Kagan, 1998) : vers trois ans,

les enfants peuvent identifier la joie dans la musique de leur culture. A six ans, ils

reconnaissent la tristesse, la peur et la colère (Dolgin & Adelson, 1990 ; Cunningham &

Sterling, 1988). C’est aussi à cet âge que les enfants acquièrent une connaissance complète

des règles (mode et tempo) vectrices d’émotions (Dalla Bella, Peretz, Rousseau &

Gosselin, 2001).

Récemment, Perani, Saccuman, Scifo et al., (2008) ont montré chez des nouveau-

nés âgés de un à trois jours que la musique activait des aires cérébrales similaires à celles

stimulées chez des auditeurs adultes : principalement les cortex auditifs primaire et

secondaire de l’hémisphère droit. Cette expérience a également mis en évidence une

Page 16: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 16

différence significative d’activation lorsque les extraits musicaux présentés comportaient

un passage dissonant. Dans ce cas, on observait surtout une activation dans le cortex

frontal inférieur et dans les structures limbiques de l’hémisphère gauche, encore une fois,

comme chez les adultes. Par ailleurs, d’autres études ont rapporté chez les bébés

l’engagement du cortex frontal inférieur gauche dans le traitement des aspects les plus

complexes de la musique et du langage, comme la syntaxe (e.g., Dehaene-Lambertz,

Dehaene & Hertz-Pannier, 2002). Ainsi, le cerveau des nouveau-nés semble pleinement

capable, non seulement de traiter des stimuli musicaux, mais également de déceler des

différences perceptives et structurelles – même minimes – dans une séquence musicale.

Toutefois, la caractéristique la plus saillante pour les bébés reste le contour, c’est-à-dire la

tendance montante ou descendante des notes et de la mélodie (Trehub, 2003).

L’ensemble de ces résultats suggère que la capacité à apprécier la musique est

innée. Mais quelle serait l’utilité d’une prédisposition pour le traitement musical sur le plan

adaptatif ? Et quelle serait le rôle d’une telle pratique dans l’évolution des cultures ?

Cette prédisposition pourrait être liée à l’importance de la prosodie dans

l’apprentissage du langage (Perani et al., 2008). De fait, il est largement admis que les

premiers pas du nourrisson dans le langage se font à l’aide des indices prosodiques et que

« le parler bébé » (ou langage modulé) des donneurs de soin joue un rôle majeur dans le

développement émotionnel, cognitif et social des enfants. Partout dans le monde, la plupart

des mères utilisent intuitivement le chant, des intonations lentes et exagérées, une voix plus

aiguë ainsi que des variations de hauteurs pour interagir avec leur bébé, le réconforter,

attirer son attention ou lui décrocher un sourire. La sensibilité au contour musical irait donc

de pair avec la sensibilité au contour linguistique. Autrement dit, il se peut que le pouvoir

émotionnel de la musique s’appuie sur la réceptivité innée du cerveau humain au « parler

bébé » et à la tonalité émotionnelle présente dans la voix. Cette prédisposition serait

cependant modulée par les régularités musicales présentes dans la culture (Peretz, 2009).

Pour Perlovsky (2010), étant donné que les émotions, les vocalisations et le langage

sont étroitement liés, à l’origine, il pourrait s’être produit un schisme dans les vocalisations

des proto-humains en deux types : d’une part, des vocalisations moins émotionnelles, plus

concrètes, plus sémantiques (évoluant en langage) et d’autre part, des vocalisations dans

lesquelles sont préservées les caractéristiques émotionnelles mais qui présentent une

ambiguïté sémantique (évoluant en chant et en musique). Le pouvoir du langage réside

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Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 17

dans son habilité à présenter des propositions sémantiquement décomposables. D’un côté,

son caractère concret permet des échanges de connaissances spécifiques et complexes,

mais de l’autre, il peut exacerber les oppositions entre les objectifs des individus et

transformer certaines rencontres en conflit. La musique, en revanche, est un outil de

communication aux propriétés inverses. Chez les humains, la musique et le langage

semblent donc constituer des outils de communication complémentaires. Cross (2008) a

proposé que les sociétés primitives utilisaient la musique pour développer et maintenir la

structure sociale, les liens et l’identité des groupes. La musique serait dès lors nécessaire au

développement d’une culture.

1.1.3.3 Émotions perçues ou vécues ?

La plupart des auditeurs identifient correctement les émotions principales

exprimées dans une œuvre musicale, même de très courte durée. Ainsi, 250 ms suffisent

pour distinguer la joie de la tristesse (Peretz, Gagnon & Bouchard, 1998). En outre, la

reconnaissance des émotions peut être dissociée de la reconnaissance de l’identité de la

pièce musicale : I.R., un patient avec lésions corticales qui présentait des déficits en

cognition musicale, pouvait discriminer la joie de la tristesse dans de brefs extraits

musicaux alors qu’il était incapable de dire si un morceau lui était familier (Peretz et al.,

1998). La question est donc de savoir dans quelle mesure la reconnaissance émotionnelle

s’accompagne d’un vécu émotionnel. Bien que cette question reste controversée, il existe

de plus en plus d’évidences empiriques appuyant le pouvoir émotionnel de la musique dans

les diverses composantes du processus émotionnel.

Ainsi, Khalfa, Peretz, Blondin et Manon (2002), en mesurant les réponses

électrodermales des participants, ont rapporté que les réactions autonomiques différaient en

fonction du type d’émotion véhiculé par les extraits musicaux : la peur et la gaieté étaient

associées à des magnitudes de conductance plus élevées que la tristesse et l’apaisement,

sans doute du fait de leur dynamique élevée. D’autres études de neuroimagerie ont

souligné l’implication des structures limbiques et para-limbiques (Koelsch, 2005). Ainsi,

l’écoute de certaines pièces musicales peut s’accompagner de « frissons » de plaisir,

marqués par des changements observables du flux sanguin dans le système limbique

(Blood & Zatorre, 2001) ; ce qui reflète clairement un vécu émotionnel intense. En

revanche, le débit sanguin diminue dans les complexes amygdaliens bilatéraux, le cortex

Page 18: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 18

préfrontal ventromédian et l'hippocampe gauche. Ce phénomène est identique à ce qui se

passe dans notre cerveau lorsque nous ressentons un plaisir intense - qu' il soit sexuel,

gustatif ou induit par une drogue.

Mais les effets de la musique sur le cerveau ne se limitent pas au système de la

récompense. Nous savons tous que la musique constitue un moyen très efficace pour

signaler un danger ou un drame : elle est utilisée à profusion dans les films, les émissions

et les jeux vidéo, par exemple. Le traitement d’une musique angoissante, comme celle de

la scène de la douche dans le film « Psychose » de Hitchcock, dépend des complexes

amygdaliens, également impliqués dans le traitement des stimuli menaçants et dans la

reconnaissance de l’expression faciale de la peur (Gosselin, Peretz, Johnsen & Adolphs,

2007 ; Gosselin, Peretz, Noulhiane, Hasboun, Beckett, Baulac & Samson, 2005).

L’ensemble de ces travaux suggère donc que certaines émotions musicales peuvent

être suscitées sans médiation corticale, aussi promptement que des réflexes sous-corticaux.

Peretz et Lidgi (2007) ont proposé que par leur médiation limbique, leur constance et leur

caractère précoce, les émotions musicales ressemblent beaucoup à celles évoquées par

d’autres classes importantes de stimuli biologiques, comme les émotions faciales. Ce qui

suggère que la musique possède une importante fonction adaptative.

Cependant, pour Bigand et al. (2005), il existe également une médiation corticale.

En effet, d’après l’analyse des structures musicales et psychoacoustiques de brefs extraits,

il semble que les émotions musicales soient en partie liées à la composition (harmonie) et à

la performance. Or, il s’agit là de caractéristiques musicales hautement culturelles. Les

émotions musicales induites par ces vecteurs seraient donc trop raffinées pour être dérivées

des propriétés émotionnelles basiques du son.

1.1.3.4 Facteurs influençant les émotions musicales

De nombreux facteurs liés à la musique, à l’individu ou à la situation d’écoute sont

susceptibles d’influencer les émotions suscitées par la musique. Concevoir l’interaction

complexe entre ces facteurs est sans doute essentiel à la compréhension des émotions

musicales (Juslin, 2009).

Page 19: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 19

Facteurs musicaux

La musique s'exprime à travers le son (i.e., des vibrations acoustiques propagées

dans l’air et transmises au tympan). Toutefois, elle déclenche en nous un état

psychologique et physiologique bien différent de celui déclenché par les autres

stimulations sonores de l’environnement (Levitin, 2010). Qu’est-ce qui la différencie dès

lors d’un ensemble de sons aléatoires non-musicaux ?

Levitin explique que cela tient à la manière dont les attributs fondamentaux se

combinent dans la musique. En effet, à la différence d’un ensemble de sons désordonnés,

la musique est composée d’une série d’éléments organisés : la hauteur tonale, le rythme, le

tempo, le timbre, le volume, le contour, la position spatiale, la réverbération. La manière

dont ces composantes sont agencées crée du sens de sorte que notre cerveau les traduit en

concepts plus élevés comme la mesure, l’harmonie, la mélodie (cette dernière étant le

thème principal d’un morceau).

Les caractéristiques musicales qui induisent les émotions sont encore peu

investiguées avec précision et il est difficile d’établir un lien direct entre une

caractéristique particulière et des émotions (Juslin, 2009). Toutefois, selon Levitin, la

hauteur tonale est cruciale pour définir la mélodie d’un morceau et véhiculer une émotion.

Elle est liée à la fréquence réelle d’un ton et à sa position dans la gamme (ce que beaucoup

appellent une note, bien que ce terme soit réservé à ce que l’on voit écrit sur une partition).

Plus le nombre de vibrations pour un temps donné est grand, plus le son est aigu, et

inversement. Sur un piano, la hauteur tonale dépend de la fréquence de vibration d’une

corde : les touches situées sur la gauche du clavier frappent des cordes plus longues et plus

épaisses vibrant à un rythme lent (notes « basses »), alors que les touches de droite

frappent des cordes plus fines qui vibrent plus vite (notes « hautes »). La vibration d’une

corde entraîne la vibration des molécules d’air, puis celle du tympan à la même fréquence.

Une simple note aiguë peut exprimer la joie, une note grave la tristesse.

Le rythme et le tempo sont aussi d’importants vecteurs d’émotions. Le rythme

correspond à la durée d’une série de notes et à la manière dont elles sont regroupées dans

une unité. Un rythme facilement identifiable permet de créer un mouvement physique et

émotionnel. Quant au tempo, il défini la vitesse générale (ou l’allure) d’un morceau. Dans

la musique occidentale, le mode (majeur-mineur) et le tempo (rapide-lent) sont utilisés

Page 20: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 20

pour exprimer la gaieté et la tristesse : les mélodies joyeuses ont généralement un tempo

rapide et un mode majeur, alors que les airs mélancoliques sont joués avec un tempo lent

en mode mineur (Gagnon & Peretz, 2003).

Le choix et la combinaison d’instruments permettent aussi d’exprimer des émotions

particulières, de créer une ambiance. Le timbre correspond aux vibrations particulières à un

son qui permettent à l'oreille humaine de le reconnaître et d'en identifier l’origine. Il

distingue un instrument d’un autre (Levitin, 2010).

Enfin, certains paramètres psychoacoustiques tels que le volume ou la « brutalité »

d’un morceau, ont également un impact quasi immédiat sur la nature de l’émotion perçue.

D’autres facteurs plus culturels, liés à la composition de la pièce (tension tonale,

modulation, violation des attentes, thèmes, etc.) jouent aussi un rôle important en modulant

la variété des émotions que nous pouvons expérimenter (Bigand et al., 2005).

Facteurs individuels

Il est tentant de croire que les réponses affectives à la musique sont éminemment

subjectives, que les musiques qui me rendent joyeuse, ne sont pas celles qui plaisent à mon

voisin. Toutefois, il faut distinguer soigneusement l’expérience de l’émotion musicale de

l’appréciation de la musique. Nous pourrions, par exemple, ne pas apprécier une pièce

musicale, mais ressentir, durant les premiers instants d’écoute, les émotions qu’elle

exprime. Par ailleurs, nous apprécions parfois des mélodies qui véhiculent des émotions à

valence négative, comme la tristesse ou la peur. Ainsi, même des musiques écrites pour des

funérailles, comme le Requiem de Mozart, de Puccini ou le Motet de Bach (qui concernent

la mort) suscitent des sentiments positifs chez la plupart des auditeurs (Grewe, Kopiez &

AltenMüller, 2010). Il semble tout de même que l’émotion initialement induite

corresponde à celle directement exprimée par la musique ; la suite de l’expérience

émotionnelle pouvant évoluer grâce à la beauté de la pièce ou en fonction de facteurs

situationnels et individuels qui modulent l’expérience. Étant donné que les pièces

musicales ne sont pas figées dans le temps, les « émotions musicales » forment un

processus dynamique évoluant tout au long de la pièce. Il est donc essentiel de prendre en

compte le timing des réponses émotionnelles à la musique.

Page 21: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 21

De façon importante, la familiarité avec une pièce musicale tend à induire des

réponses émotionnelles plus intenses. Dans les études, les participants répondent donc

émotionnellement plus fortement aux musiques qu’ils ont eux-mêmes sélectionnées qu’à

celles qui leur sont imposées (Juslin, 2009). En général, nous préférons aussi (sans en être

forcément conscients) les musiques familières aux musiques nouvelles (Peretz, Gaudreau

& Bonnel, 1998). Il s’agit d’un effet de « simple exposition » (mere exposure effect), lié à

l’influence implicite de l’exposition préalable à certaines musiques sur les goûts musicaux

(Peretz & Lidgi, 2007).

Toutefois, il semble que les facteurs extra-musicaux ne représentent qu’une partie

de nos expériences musicales et qu’il se produit un phénomène de « contagion

émotionnelle » pour la majorité des auditeurs (nous préciserons ce mécanisme plus loin). A

titre d’exemple, en 1994, Niedenthal et Setterland ont fait écouter à un groupe de

participants la partie allegro de trois œuvres de Mozart, ainsi que des extraits du concerto

en do majeur et du concerto en sol majeur de Vivaldi. L’autre groupe écoutait l’Adagio

pour cordes de Barber, l’Adagietto de Mahler et l’Adagio du concerto pour piano No. 2 en

do mineur de Rachmaninov. Les participants devaient ensuite évaluer leur état affectif à

l’aide d’un questionnaire. Les participants du groupe « Allegro » ont rapporté se sentir plus

heureux, contents, énergétiques et actifs qu’avant. Dans le groupe « Adagio », en revanche,

les sujets se sont sentis plus tristes, mélancoliques, fatigués et assoupis qu’avant. Ces

résultats suggèrent que les œuvres musicales possèdent une structure émotionnelle assez

puissante que pour déclencher des émotions similaires chez la majorité des auditeurs. Mais

comme l’ont souligné Grewe et al. (2010), la verbalisation des affects peut conduire à des

réponses trompeuses.

Facteurs situationnels

De façon évidente, le contexte général d’écoute influe sur les émotions ressenties. Il

existe une multitude de facteurs extra-musicaux : situation, conditions physiques d’écoute

(conditions acoustiques, visuelles), facteurs psycho-sociaux (écoute seul ou en groupe),

circonstances (fêtes, vacances, enterrement) ou encore des facteurs liés à la performance

des musiciens.

Page 22: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 22

1.1.3.5 Les « émotions musicales » : un concept débattu

Comme je l’ai introduit dans la première section de l’Introduction, la notion

d’ « émotions musicales » reste contestée.

Par exemple, Becker (2001) note que les réponses émotionnelles à la musique ne se

produisent pas spontanément et Noy (1993) qu’elles diffèrent des réponses émotionnelles

ordinaires, ce que conteste absolument Peretz (2001). Juslin et Västfjäll (2008) citent

encore d’autres contradictions dans la littérature : alors que pour Koelsch (2005), les

émotions musicales peuvent être induites de façon relativement constante chez les

auditeurs, Sloboda (1996) considère les différences individuelles comme une difficulté

majeure dans ce domaine d’étude. Tandis que Scherer (2003) affirme que la musique

n’induit pas d’émotion basique et Konecni (2003) qu’elle ne peut générer directement des

émotions authentiques, Panksepp et Bernatzky (2002) soutiennent qu’aucun autre medium

ne suscite aussi bien les émotions de base que la musique. Ces exemples illustrent les

nombreuses contradictions régnant dans le domaine. Mais pourquoi tant de désaccords

dans le monde scientifique, alors que dans les faits, on compose et utilise la musique

généralement dans le but explicite de transmettre ou de ressentir des émotions ?

Juslin et Västfjäll ont proposé deux grandes difficultés qui pourraient être à

l’origine de ces désaccords. Premièrement, en général, une situation émotionnelle

« ordinaire » diffère d’une situation classique d’écoute musicale. Être confronté à la perte

brutale d’un proche ou entendre le grognement d’un animal menaçant sont des situations

émotionnelles « naturelles » très différentes, a priori, de la plupart des situations d’écoute

musicale. Ces différences constituent pour certains, un argument en faveur de la spécificité

des émotions musicales. La seconde difficulté réside dans le fait que les émotions suscitées

par la musique n’ont pas, a priori, la capacité de faciliter ou d’empêcher la réalisation

d’objectifs importants pour l’individu, à la différence des émotions « naturelles ».

Toutefois, selon moi, il existe de nombreux cas où la musique est bel et bien

utilisée dans le but de faciliter l’accomplissement d’objectifs hautement pertinents pour

l’individu, notamment des objectifs de cohésion sociale ou de reproduction. Ainsi, on peut

voir la musique comme un outil utilisé par l’être humain en vue de déclencher ou de

favoriser des émotions « de circonstance » lors de certaines situations. Par exemple, elle est

généralement utilisée à l’occasion d’enterrements, de mariages, de marches militaires, de

Page 23: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 23

fêtes dans le but de créer une certaine ambiance et de mettre les participants au diapason.

De toute évidence, ces événements à la base de la cohésion sociale seraient nettement

moins rassembleurs, moins efficaces sans la présence de la musique. Ensuite, on l’utilise

pour apaiser un enfant ou pour lui décrocher un sourire, ce qui favorise l’attachement…

N’est-ce pas là encore des objectifs pertinents ? Inversement, une musique peut aussi

freiner ou bloquer l’accomplissement de certains objectifs. On imagine mal, en effet, une

tentative de rapprochement amoureux sur fond de musique angoissante ou de marche

militaire. Il me semble donc que les émotions musicales sont tout à fait assimilables aux

émotions « ordinaires » telles qu’elles sont considérées dans les théories cognitivistes ou

évolutionnistes, et que la différence est sans doute davantage liée au fait que la musique est

un outil externe, prévisible et manipulable, alors que dans la vie réelle la plupart des

situations ou des stimuli émotionnels ne le sont pas (ou pas entièrement).

Par ailleurs, pour Juslin et Västfjäll, beaucoup d’auteurs dans le domaine ont

négligé le fait qu’il existe plusieurs types de mécanismes psychologiques à la base de ce

que l’auditeur ressent sur le plan émotionnel. Ces processus peuvent être simples ou

complexes, conscients ou non, mais ils ont en commun d’être activés par la musique et de

donner lieu à différents types d’affects. Les désaccords observés sur le pouvoir émotionnel

de la musique reposent donc en grande partie sur le fait que beaucoup ont cherché à étudier

les émotions musicales de manière globale, sans contrôler la nature des mécanismes

psychologiques susceptibles de les provoquer. Un cadre théorique étayant les différents

mécanismes susceptible d’être à l’origine des émotions et des affects ressentis lors de

l’écoute musicale était donc le bienvenu.

1.1.3.6 Mécanismes psychologiques des émotions musicales

Juslin et Västfjäll (2008) ont proposé six mécanismes psychologiques à travers

lesquels des émotions musicales (au sens large du terme) peuvent être induites. Ces

mécanismes dépendraient de fonctions cérébrales plus ou moins distinctes qui se seraient

développées graduellement et dans un ordre spécifique, tout au long de l’évolution.

Les reflexes du tronc cérébral (TC). Ces mécanismes font référence au

processus par lequel une émotion est induite par la musique, en raison de caractéristiques

acoustiques fondamentales perçues par le TC comme signalant un événement

potentiellement important et urgent.

Page 24: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 24

Le système perceptif est constamment en train de scanner l’environnement à la

recherche d’un changement ou d’un événement important. Certaines caractéristiques

sonores indiquent un changement et entraînent une augmentation de l’activation du

système nerveux central. Ainsi, toute chose étant égale par ailleurs, les sons soudains, forts

et dissonants induisent une excitation chez l’auditeur. De telles réponses reflètent l’impact

de simples sensations auditives, donc de la musique en tant que son.

Les mécanismes physiologiques sous-jacents aux réponses du TC ne sont pas

encore tout à fait compris mais la formation réticulée et le noyau intralaminaire du

thalamus sont impliqués. Le TC dessert de nombreuses fonctions sensori-motrices, dont la

perception auditive, le contrôle attentionnel, l’arousal émotionnel, les battements

cardiaques, la respiration et les mouvements. Le système réticulaire induirait rapidement

l’activation du système de manière à ce que l’attention puisse être sélectivement dirigée

vers les stimuli sensoriels importants. Il pourrait non seulement être activé ou inhibé par

l’amygdale, l’hypothalamus et le cortex orbitofrontal, mais également agir

indépendamment de ces structures, de manière « réflexe ».

Les réflexes du TC à la musique se produisent à un stade très précoce du traitement

auditif et lorsque le signal auditif atteint le cortex auditif primaire, il a déjà subi bon

nombre d’analyses par de multiples structures, dont le thalamus. Par conséquent, un signal

d’alarme peut être émis très rapidement dès qu’un événement auditif suggère un danger. La

dissonance perçue pourrait être considérée par l’organisme comme annonciatrice d’une

menace car dans l’environnement naturel, elle apparaît dans les cris de menace ou d’alarme

de nombreuses espèces animales.

Enfin, les réflexes du TC pourraient aussi expliquer l’effet relaxant ou stimulant de

la musique, ainsi que la perception de sons ressentis comme agréables ou désagréables.

Reste à savoir si ces mécanismes peuvent expliquer l’induction d’émotions plus

spécifiques.

L’évaluation par conditionnement (EC). Ce mécanisme fait référence au

processus par lequel une émotion est induite par une pièce de musique simplement parce

que celle-ci a été souvent associée à un autre stimulus ou un événement émotionnel.

L’EC se rapporte à l’apprentissage affectif et au conditionnement émotionnel :

après l’association répétée entre une pièce de musique et un événement émotionnel

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Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 25

particulier, la pièce de musique peut évoquer le même état affectif chez l’auditeur en

l’absence de l’événement. Ce mécanisme dépendrait de processus inconscients impliquant

les régions sous-corticales (dont le cervelet et les noyaux amygdaliens).

La contagion émotionnelle. Ce mécanisme fait référence au processus par lequel

une émotion est induite par une pièce de musique parce que l’auditeur perçoit l’expression

émotionnelle de la musique et l’imite intérieurement.

Comme je l’ai montré plus haut, de nombreuses études ont démontré la capacité des

auditeurs à percevoir les émotions spécifiques de pièces musicales et celle des jeunes

enfants à reconnaître des émotions de base dans la musique. La perception d’une émotion

pourrait induire la même émotion chez l’auditeur probablement par un mécanisme

d’empathie. Le phénomène de contagion émotionnelle a été démontré avec les expressions

faciales (Hatfield, Cacioppo & Rapson, 1994) et le discours émotionnel (Neumann &

Strack, 2000). Par exemple, des gens exposés à des photos de visages en colère activent

spontanément le même muscle facial (même si la photo est traitée inconsciemment) et

rapportent ressentir la même émotion.

S’il s’avère que la musique et la prosodie partagent effectivement des

caractéristiques expressives communes, il pourrait exister un module commun poussant à

imiter l’émotion perçue intérieurement ou bien un mécanisme « miroir » via des voies non-

verbales. Des feedbacks périphériques (en provenance des muscles) ou une activation plus

directe des représentations émotionnelles dans le cerveau pourraient participer à

l’induction. D’un point-de-vue évolutionniste, le phénomène de contagion émotionnelle

faciliterait le lien mère-enfant et de manière générale les interactions sociales. Étant donné

que la musique présente souvent un patron de caractéristiques acoustiques expressives

similaires à celles présentes dans le discours émotionnel (voir Juslin & Laukka, 2003),

nous pourrions être stimulés automatiquement et rapidement par les aspects musicaux

similaires à la voix. Selon la théorie de la « voix super-expressive » (e.g., Juslin, 2001), ce

qui rend particulière une performance de musique au violon, par exemple, est le fait qu’elle

ressemble fortement à la voix humaine, mais dépasse de loin ses capacités en termes de

vitesse, d’intensité et de timbre. Alternativement, les expressions émotionnelles pourraient

être traitées par un module cérébral spécifique qui réagirait à certaines caractéristiques

présentes dans le stimulus. Ce module ne « connaîtrait » pas la différence entre les

expressions vocales et les autres expressions acoustiques et réagirait de la même manière

Page 26: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 26

dès lors que des indices particuliers sont présents dans le stimulus (e.g., volume sonore

élevé, vitesse élevée, timbre grave).

L’imagerie visuelle. Ce mécanisme fait référence au processus par lequel une

émotion est induite chez un auditeur parce qu’il imagine quelque chose pendant l’écoute.

Les émotions vécues résultent dans ce cas de l’interaction entre la musique et ces images

mentales.

Les images mentales ont été considérées comme des déclencheurs internes

d’émotions (Plutchik, 1984). La musique est particulièrement efficace pour stimuler la

génération d’images mentales (Osborne, 1980). Réciproquement, l’imagerie mentale peut

renforcer les réponses émotionnelles à la musique (Band, Quilter & Miller, 2001-2002).

Osborne (1980) a rapporté des thèmes récurrents dans l’imagerie visuelle lors de l’écoute

musicale, tels que des scènes naturelles ou des expériences « hors du corps » (voler,

flotter). Toutefois ces thèmes étaient surtout dus au style particulier de musique (musique

synthétisée, nombreuses répétitions, structure simple et espacée). Certaines caractéristiques

musicales (prédictibilité, répétitions, éléments rythmiques, tempo lent) favorisent en effet

l’imagerie mentale (McKinney & Tims, 1995). La musicothérapie en tire d’ailleurs profit.

Il existe toutefois une grande variabilité individuelle dans les capacités d’imagerie mentale.

La mémoire épisodique. Ce mécanisme fait référence au processus par lequel

une émotion est induite chez un auditeur parce que la musique évoque un souvenir

personnel. L’émotion ressentie est alors reliée avant tout au souvenir de l’événement passé.

Une musique gaie peut induire de la tristesse si elle a été associée à un événement

douloureux. En anglais, on appelle ce phénomène le « Darling, they are playing our tune »

(Davies, 1978). Les émotions induites par ce mécanisme peuvent être très intenses puisque

la musique accompagne souvent les grands moments de notre existence. En outre,

beaucoup d’auditeurs utilisent activement la musique pour se remémorer des événements

passés avec une certaine nostalgie. La musique peut ainsi aider l’individu à consolider son

identité. De la même manière que les individus tendent à se rappeler davantage des

épisodes qui ont marqué leur jeunesse, plutôt que ceux de leur vie d’adulte accompli, ils

réagissent émotionnellement davantage aux musiques qui ont accompagné leur jeunesse.

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Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 27

Les attentes musicales. Ce mécanisme fait référence au processus par lequel une

émotion est induite parce qu’une caractéristique musicale spécifique viole, retarde ou

confirme les attentes musicales de l’auditeur à propos de la continuité de la séquence.

A l’instar du langage, la musique consiste en éléments perceptifs discrets, organisés

en structures hiérarchisées selon certaines règles. Les violations des attentes musicales

activeraient les mêmes régions cérébrales que celles impliquées dans les violations de la

syntaxe langagière (e.g., Koelsch, Schroger & Gunter, 2002). Les attentes musicales sont

surtout basées sur les expériences précédentes d’un même style de musique. Elles

dépendent donc fortement de l’apprentissage et de la culture.

En conclusion, ce cadre théorique permet de résoudre les contradictions apparentes

dans la littérature en montrant qu’elles se sont focalisées en fait sur des mécanismes

psychologiques différents. Penchons-nous à présent sur les relations entre les processus

attentionnels et les processus émotionnels.

1.2 Interaction entre les émotions et les processus attentionnels

1.2.1 L’attention sélective

Un des aspects les plus reconnus du processus attentionnel est sa fonction de

sélection : parmi les nombreux stimuli présents dans l’environnement, certains bénéficient

d’un traitement prioritaire, facilitant ainsi leur perception, alors que d’autres sont ignorés.

Sur le plan neuronal, les techniques d’imagerie cérébrale ont montré que l’attention

sélective opère en augmentant l’intensité des réponses sensorielles vis-à-vis d’un stimulus,

aux dépens des stimuli concurrents (Vuilleumier & Huang, 2009).

Mais l’attention sélective n’est pas un concept unitaire (Posner, 1980). On peut la

diviser en quatre étapes conceptuellement distinctes : (1) l’orientation de l’attention vers

un stimulus donné ; (2) l’engagement attentionnel sur le stimulus ; (3) le désengagement de

l’attention de ce stimulus et (4) le retrait ou l’évitement attentionnel de ce stimulus

(Ouimet, Gawronski & Dozois, 2009).

Notons déjà que l’attention sélective peut se déplacer avec ou sans mouvement des

yeux. On parle respectivement d’attention externe (overt) ou interne (covert) (Von

Helmholtz, 1867).

Page 28: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 28

1.2.1.1 Modèles théoriques de l’attention sélective

Plusieurs modèles sur le traitement de l’information ont tenté de saisir la

dynamique de l’attention sélective sans pour autant la cerner complètement. Je n’évoquerai

par ici les modèles traditionnels (e.g., Treisman, 1969 ; Broadbent, 1958) qui ont cherché

de manière assez rigide et dichotomique à rendre compte de l’impossibilité pour le système

cognitif de porter attention à tous les stimuli de l’environnement. Aujourd’hui, la tendance

est plutôt de ne plus considérer les systèmes cognitifs de manière aussi compartimentée et

hiérarchisée. Des modèles plus récents ont été développés sur base de systèmes artificiels

conçus pour simuler certains aspects du « comportement attentionnel ». Ces modèles

voient dans le traitement de l’information des processus nettement plus dynamiques et

considèrent que le système attentionnel fait partie intégrante du système perceptif. Selon

eux, ce système perceptivo-attentionnel correspondrait donc à un ensemble de mécanismes

flexibles et interactifs qui modulent l’efficacité avec laquelle les différents traitements sont

effectués, en facilitant ou en inhibant le traitement d’un input donné (Smith & Kosslyn,

2009).

Ainsi, selon le « modèle de la compétition biaisée » (biased competition

framework ) de Desimone et Duncan (1995), le système perceptif, en raison de ses

capacités limitées de traitement, est organisé de façon à induire une compétition entre les

différentes représentations d’inputs en cours de traitement, cela à différents niveaux.

L’attention sélective (via la mémoire de travail) correspondrait à une sorte de signal qui va

biaiser cette compétition en faveur de certains traits pertinents ou saillants, en augmentant

leur activation. Le stimulus comportant ces traits serait alors entièrement traité. Au niveau

des aires de traitement perceptif de bas-niveau (e.g., aires cérébrales visuelles, auditives),

la compétition serait plutôt influencée par des facteurs exogènes et affecterait ensuite les

aires cérébrales antérieures vers lesquelles les informations sont envoyées. Au niveau des

aires cognitives de plus haut-niveau, les facteurs endogènes biaiseraient la compétition

entre les représentations, puis moduleraient en retour le poids des facteurs exogènes dans

les réseaux de bas-niveau.

Cette conception implique de nombreuses (inter)connections entre les différentes

aires cérébrales, ainsi qu’un « consensus » entre celles-ci, d’où la proposition d’une

compétition intégrée. Les modèles connexionnistes partagent l’idée que le comportement

Page 29: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 29

attentionnel est une propriété émergente des interactions compétitives entre différentes

unités des réseaux. A la différence des modèles traditionnels, ils sont parvenus à modéliser

la fait que la sélection puisse avoir lieu plus précocement ou plus tardivement selon les

conditions : présence d’indice, familiarité avec les objets, saillance de l’objet, etc. (Heinke,

Humphreys & Tweed, 2006).

1.2.1.2 L’orientation attentionnelle

La sélection attentionnelle peut donc être, d’une part, « capturée » de manière

involontaire par les propriétés de bas-niveau d’un stimulus, comme son caractère nouveau

ou saillant (mécanismes exogènes) et d’autre part, guidée par des processus volontaires de

haut-niveau, comme les objectifs, les attentes ou encore les intentions de l’individu

(mécanismes endogènes). Cet équilibre entre mécanismes endogènes et exogènes nous

permet d’accomplir efficacement nos objectifs tout en restant prêt à réagir à un événement

externe potentiellement pertinent pour notre bien-être (Smith & Kosslyn, 2009). Ces

mécanismes sont fonctionnellement et neurobiologiquement distincts mais opéreraient

simultanément, de manière interactive ou compétitive, conduisant à un traitement rapide et

efficace de diverses classes de stimuli potentiellement pertinents (Brosch, Pourtois, Sander

& Vuilleumier, 2011). Enfin, l’attention sélective peut également être capturée de manière

prioritaire par la valeur émotionnelle d’un stimulus. Mais quels sont les mécanismes à

l’origine de l’évaluation émotionnelle d’un stimulus ?

1.2.1.3 La « capture » de l’attention par la valeur émotionnelle d’un stimulus

Sur le plan cérébral, les études de neuroimagerie ont montré que les stimuli

émotionnels engendrent une activité plus intense dans les aires de traitement que les

stimuli neutres. Ainsi, des photographies de visages exprimant une émotion engendrent

une plus grande activité dans « l’aire de traitement des visages » par rapport à des

photographies de visages neutres émotionnellement (Vuilleumier, 2005). De même, les

voix chargées émotionnellement activent « l’aire de traitement de la voix » plus fortement

que les voix neutres (Grandjean, Sander, Pourtois, et al., 2005 ).

Ce regain d’activité ne dépendrait pas directement des systèmes attentionnels

fronto-pariétaux, car des patients héminégligents (lésions pariétales) présentent toujours un

avantage dans la détection des stimuli émotionnels visuels présentés dans l’espace négligé,

Page 30: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 30

ainsi qu’une augmentation de l’activité neurale dans le cortex visuel (Vuilleumier, 2005).

Les réseaux qui sous-tendent les processus attentionnels ne seraient donc pas (toujours) à

l’origine de l’intensification des réponses sensorielles aux stimuli émotionnels. A la

différence des cérébrolésés pariétaux, les patients avec lésions amygdaliennes ne détectent

pas plus facilement les stimuli émotionnels (Phelps & LeDoux, 2005) et ne présentent pas

d’activité cérébrale accrue dans leurs réponses sensorielles à ces stimuli (Vuilleumier,

Richardson, Armony, Driver & Dolan, 2004). Il existerait donc une forme d’attention

émotionnelle dépendante des signaux amygdaliens. De fait, les noyaux amygdaliens

seraient responsables d’une des étapes les plus précoces de l'évaluation émotionnelle : la

détection pré-attentive de la charge émotionnelle. On considère donc qu’ils sont à l’origine

de l'orientation préférentielle de l'attention vers les stimuli affectifs et qu’ils pourraient être

activés même lorsque ces stimuli ne sont pas au centre de l’attention ou lorsque le

participant n’a pas le temps de les percevoir consciemment (e.g., Vuillemenier et al.,

2005 ; Silvert, Delplanque, Bouwalerh, Verpoort & Sequeira, 2004 ; Morris, Öhman &

Dolan, 1998).

Pour Zald (2003), les noyaux amygdaliens pourraient être les corrélats

neurobiologiques du « biais de négativité », du fait que les réponses amygdaliennes aux

stimuli négatifs sont généralement plus intenses que celles liées aux stimuli positifs. Mais

pour Sander, Grafman et Zalla (2003), leur rôle ne serait pas restreint au traitement de la

peur et il consisterait plutôt à évaluer la pertinence d’un stimulus pour l’individu.

1.2.1.4 L’influence des facteurs top-down dans le traitement émotionnel

Les émotions guident l’attention indépendamment des objectifs conscients, c’est un

fait. Mais cela ne signifie pas pour autant que ces mécanismes sont imperméables à

l’influence de processus top-down.

Ainsi, de façon intéressante, Vuilleumier et Huang (2009) ont proposé que le

traitement pré-attentif des stimuli émotionnels et la capture involontaire de l’attention par

ces stimuli, reflètent un mode « par défaut », lié à la grande pertinence de ces stimuli pour

la survie. Toutefois, cette préparation pourrait être renforcée ou supprimée en fonction de

facteurs contextuels ou individuels. Par exemple, un faible contrôle cognitif pourrait

faciliter les effets automatiques, alors que la détermination d’objectifs ou un processus de

régulation émotionnelle pourrait empêcher le traitement émotionnel approprié. Selon les

Page 31: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 31

auteurs, de telles interactions résulteraient d’une modulation des traitements perceptifs

et/ou émotionnels par les aires préfrontales responsables de la fixation d’objectifs, du

monitoring et de la régulation émotionnelle. Plus précisément, les régions ventromédianes

préfrontales et cingulaires antérieures seraient impliquées dans la modulation des réponses

amygdaliennes.

En somme, deux mécanismes neuraux distincts seraient susceptibles de moduler

directement le niveau d'activation des aires sensorielles, favorisant ainsi le traitement

rapide de l'information émotionnelle : (1) des mécanismes d’attention volontaire (médiés

par des signaux top-down provenant du cortex pariétal en coopération avec le cortex

dorsolatéral frontal impliqué dans le contrôle exécutif) et (2) des mécanismes d’attention

émotionnelle (médiés par les noyaux amygdaliens en coopération avec les régions

ventromédianes, impliquées dans la régulation émotionnelle). Ces deux systèmes

interagiraient notamment via des connections directes entre le cortex ventromédian et le

cortex dorsolatéral (Vuilleumier & Huang, 2009).

Reste une question essentielle : quelles sont les dimensions perceptives et

émotionnelles qui sont extraites par le système et qui capturent l’attention ? Pour attribuer

très rapidement une valeur émotionnelle au stimulus, est-ce que le système se base sur des

caractéristiques physiques ou sur des caractéristiques conceptuelles ?

1.2.1.5 L’attribution d’une valeur émotionnelle à un stimulus

La détection pré-attentionnelle de la valeur émotionnelle d’un stimulus pourrait

résulter de simples caractéristiques physiques présentes dans le stimulus (arousal, traits

saillants). Toutefois, d’autres évidences suggèrent que le système peut aussi se baser sur

des caractéristiques conceptuelles.

La perception des d imensions physiques d’un stimulus émotionnel

Selon Öhman (1993), la détection pré-attentive des informations émotionnelles

menaçantes est basée sur une analyse rapide, globale et grossière des caractéristiques

physiques du stimulus ou de la situation. Dans cette idée, la peur et l'anxiété proviendraient

de plusieurs systèmes de défense qui se sont développés et maintenus au fil de l'évolution

dans le but d’éloigner les individus des situations potentiellement dangereuses. Ainsi,

Page 32: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 32

l’évolution de la peur peut être interprétée en relation avec trois systèmes

comportementaux distincts : peur des choses non-vivantes, peur des autres animaux et peur

des autres humains. Les caractéristiques évoquant une catastrophe naturelle, un prédateur

ou un être humain hostile auraient donc été préprogrammées de manière à être facilement

associées à la peur et à des mécanismes de défense appropriés. Des caractéristiques

perceptives simples, comme l'apparition soudaine d'un stimulus, un mouvement rapide

dirigé vers l'observateur, la forme sinusoïdale d'un reptile, les sourcils d'un visage

exprimant une expression hostile, suffiraient alors à déclencher instantanément le système

défensif de la peur, via des mécanismes sous-corticaux.

Par ailleurs, des mécanismes perceptifs « scanneraient » l'environnement en

permanence. Puisque, d'un point de vue phylogénétique, l’absence de réponse défensive

face à un stimulus dangereux est plus coûteuse que le déclenchement d’une réponse

défensive face à un stimulus inoffensif (i.e., une fausse alarme), le système perceptif serait

forcément biaisé dans le sens de la découverte d'informations menaçantes. Lorsque des

caractéristiques physiques d’un stimulus potentiellement dangereux seraient détectées, le

système d'éveil (activation végétative) serait mobilisé afin d'assurer une réponse

comportementale rapide et l'attention serait simultanément orientée vers ce stimulus en vue

d’un traitement cognitif approfondi, contrôlé et conscient (Ömhan, 1993).

Récemment, plutôt que l’idée d’un système défensif guidé par la peur et activé

automatiquement en présence de certains types de stimuli, LoBue, Rakison et DeLoache

(2010) ont proposé l’existence de deux types de mécanismes : (1) un biais perceptif pour

la détection rapide de menaces phylogénétiquement pertinentes et (2) un mécanisme

favorisant l’association rapide de situations ou de stimuli menaçants modernes avec la

peur.

A la différence du modèle proposé par Ömhan, le premier mécanisme aurait pour

seule mission d’attirer l’attention sur les stimuli pertinents, et non de déclencher la peur.

En effet, si les stimuli associés à une menace ancienne (serpent, visage exprimant la colère)

sont effectivement perçus prioritairement (biais perceptifs), vraisemblablement leur

détection ne s’accompagne pas toujours d’une réaction de peur observable. Ainsi, en 2007,

Purkis et Lipp ont montré que les experts en araignées et les experts en serpents, comme

les non-experts, détectaient plus rapidement les araignées et les serpents que les stimuli

neutres (confirmant l’existence d’un biais perceptif pour les menaces anciennes, peu

Page 33: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 33

importe l’expérience que l’individu a avec ces stimuli). En revanche, dans une tâche

d’amorçage implicite, seuls les non-experts ont présenté un jugement négatif sur des mots

neutres subséquents à la présentation subliminale d’images d’araignées et de serpents. Plus

précisément, les experts en araignées ont présenté un jugement négatif sur des mots neutres

subséquents à la présentation subliminale d’images de serpents, mais pas avec les images

d’araignées, alors que les experts en serpents ont présenté un jugement négatif sur des mots

neutres subséquents à la présentation subliminale d’images d’araignées, mais pas avec les

images de serpents. Ces résultats suggèrent que les experts n’ont pas eu de réactions

émotionnelles négatives lorsqu’ils ont été exposés non consciemment à l’objet de leur

expertise. Par conséquent, pour capturer l’attention de manière prioritaire, les stimuli

présentant une menace ancienne sur le plan phylogénétique ne devraient pas

nécessairement susciter la peur.

Le second mécanisme aurait pour fonction de favoriser l’association rapide de

situations ou de stimuli menaçants modernes avec la peur. Clairement, les êtres humains

sont capables d’apprendre à détecter très rapidement des stimuli représentant des menaces

récentes sur le plan de l’évolution. Ainsi, Blanchette (2006) a montré que les adultes

détectaient plus rapidement les seringues et les couteaux que des stimuli neutres. Or, ces

biais perceptifs apparaissent très tôt dans la vie. Ainsi, LoBue et DeLoache (2010) ont testé

les performances d’enfants âgés de trois ans. Comme attendu, les jeunes participants

connaissaient bien ces deux catégories d’objets mais ils n’ont rapporté d’expérience

négative qu’avec les seringues (e.g., vaccination). A cet âge, le couteau n’était donc pas

encore associé à une arme. L’expérience a révélé que seules les seringues ont été détectées

plus rapidement. Ce qui appuie l’idée que l’être humain, suite à ses expériences négatives

avec certains stimuli, apprend précocement à les détecter prioritairement et à les craindre.

Pour LoBue et al., (2010), il y aurait donc plusieurs voies convergentes dans la

détection des menaces, selon qu’elles soient anciennes d’un point de vue de la phylogenèse

ou récentes. Les réponses émotionnelles de peur ou d’anxiété face à une menace ancienne

ne seraient pas systématiques. Un apprentissage (par conditionnement, par association)

serait requis pour le développement des peurs et des phobies.

Enfin, en l’absence de menace dans l’environnement, l’organisme pourrait, selon la

même idée, manifester des biais perceptifs envers des stimuli positifs. Ainsi, les visages de

Page 34: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 34

bébés semblent déclencher un déploiement attentionnel plus important que les visages

d’adultes (Brosch et al., 2007).

La perception des d imensions conceptuelles d’un stimulus émotionnel

Robinson (1998) a proposé l’existence de deux types de mécanismes reposant sur

l’analyse conceptuelle des stimuli. L’idée est que pour identifier une information

potentiellement menaçante, des mécanismes pré-attentifs doivent être capables de détecter

non seulement la valence mais également l’urgence de la situation (Figure 1). Il existerait

donc (1) un mécanisme de détection de la valence (dont la fonction générale serait de

diriger l’attention vers les informations potentiellement signifiantes et qui identifierait de

manière dichotomique le caractère positif ou négatif de stimuli) et (2) un mécanisme de

détection de l’urgence (scannant en permanence l’environnement à la recherche d’un

danger imminent et préparant à l’action).

Dans un premier temps, ces deux mécanismes opéreraient en parallèle, puis

convergeraient pour contribuer ensemble à la suite du processus émotionnel. Si l’urgence

de la situation est détectée (non consciemment), l’organisme réagirait inévitablement par la

peur ou l’anxiété. Ces états émotionnels amèneraient ensuite une évaluation consciente

modulant et contextualisant la réponse émotionnelle automatique. Parallèlement, si une

menace est détectée, l’attention et la conscience seraient immédiatement et inévitablement

focalisées sur des questions de protection et de sécurité. En revanche, si la valence

émotionnelle d’une situation est détectée mais qu’il n’y a pas d’urgence, l’attention se

focaliserait sur la situation et des mécanismes d’évaluation consciente interviendraient

avant que l’émotion ne se déclenche ; la peur et l’anxiété pourraient cependant apparaître

mais dans ce cas, dépendraient de l’évaluation consciente. En d’autres termes, seules les

évaluations de la valence et de l’urgence seraient réalisées pré-attentionnellement et

inconsciemment : dès que l’attention est focalisée sur le stimulus émotionnellement

signifiant, elle entraînerait la perception consciente de celui-ci, ainsi que des évaluations

plus complexes, menant à l'expérience émotionnelle. Le modèle de Robinson admet donc

que certaines émotions puissent être générées exclusivement sur une base consciente, mais

ce serait l’évaluation de la situation, qu’elle soit consciente ou non, qui serait causale dans

la génération des états émotionnels.

Page 35: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 35

FIGURE 1

Représentation schématique du modèle de Robinson (1998)

Nous avons vu plus haut que pour Sander et al. (2003), le rôle de l’amygdale ne

serait pas restreint au traitement de la peur : elle aurait plutôt pour fonction l’évaluation de

la pertinence d’un stimulus pour un individu donné. Brosch, Coppin, Scherer, Schwartz &

Sander (2011) ont apporté un argument en faveur de cette hypothèse : face à des stimuli

annonçant une récompense monétaire, les sujets qui valorisent hautement leur intérêt

personnel au détriment des intérêts du groupe (les « individualistes ») présentaient plus

d’activation dans l’amygdale et dans le striatum ventral que les sujets du

groupe « altruiste ». En supposant qu’un gain monétaire ait plus d’importance pour les

individualistes que pour ceux qui valorisent le don, ces observations suggèrent que la

sensibilité amygdalienne est modulée en fonction des besoins et des objectifs spécifiques à

l’individu.

Enfin, les structures amygdaliennes ne seraient pas les seules responsables de

l’amélioration de la perception des stimuli émotionnels. Selon Brosch et al. (2010), elle

pourrait dépendre également de processus mnésiques. En effet, par rapport à un stimulus

neutre, un stimulus émotionnel bénéficie de plus fortes représentations en mémoire à long-

terme, ce qui pourrait faciliter son activation ultérieure ainsi que celle d’autres

informations préalablement associées lors des interactions avec ce stimulus. Les

connaissances explicites et implicites apporteraient un complément d’information quant à

la pertinence du stimulus pour le sujet et leur activation agirait comme un « raccourci »

rapide et automatique, avant de nouvelles évaluations plus élaborées.

Détection pré-attentive de la

valence

Si stimulusémotionnel: évaluation consciente

Emotion(s) résultant de l'évaluation

consciente

Si urgence: peur (ou anxiété) déclenchée

automatiquement

Détection pré-attentive de

l’urgence

Page 36: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 36

1.2.1.6 La vulnérabilité cognitive à l’anxiété : un modèle intégratif

Pour terminer cette partie consacrée à l’attention sélective, je m’attacherai à

présenter un modèle intégratif, qui tient compte de mécanismes de bas-niveau comme de

haut-niveau. Il s’agit du modèle à mécanismes multiples de la vulnérabilité cognitive à

l’anxiété, proposé par Ouimet et al. (2009), qui me semble particulièrement pertinent pour

avoir une vue d’ensemble sur les composantes attentionnelles. En outre, puisqu’il est basé

sur une revue des biais cognitifs liés à l’anxiété, il nous permettra de nous pencher plus

spécifiquement sur le rôle du facteur anxiété dans les mécanismes sous-jacents à ces

différentes composantes. De façon générale, ce modèle est basé sur la distinction entre des

processus associatifs et des processus interprétatifs basés sur des règles (Figure 2). Les

auteurs proposent que des différences entre les individus dans ces deux processus

pourraient rendre compte des différences individuelles dans la vulnérabilité cognitive à

l’anxiété.

L’orientation attentionnelle

Selon le modèle, la rencontre avec un stimulus donné (e.g., une grosse araignée sur

le mur) active les concepts correspondants dans le système associatif. Si ceux-ci sont

associés à d’autres concepts relatifs à une menace pertinente pour l’individu, des patrons

de réponses orientées vers la sécurité seront activés par le système dont, notamment,

l’orientation immédiate de l’attention vers le stimulus en question. Cette orientation est

considérée comme non intentionnelle, involontaire et ne nécessiterait pas que le sujet ait

pris conscience de la menace, comme l’ont rapporté les études utilisant des stimuli

menaçants subliminaux (Mogg, Bradley & Hallowell, 1994).

Un facteur de différence individuelle à ce stade de traitement pourrait être la force

des associations entre la représentation conceptuelle d’un stimulus et des concepts relatifs à

une menace.

L’interprétation de la menace

Les deux systèmes opéreraient en parallèle. Ainsi, lorsque le stimulus active

spontanément les concepts associés dans le système associatif, le système interprétatif, lui,

utilise immédiatement les inputs qu’il reçoit pour interpréter et évaluer le stimulus. Pour

Page 37: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 37

les auteurs, il s’agirait d’un processus basé sur des règles, incluant à la fois des

mécanismes stratégiques et des mécanismes plus automatiques.

Engagement

Une fois que les réponses d’orientation attentionnelle sont déclenchées, les

concepts relatifs à une menace vont accroître l’engagement attentionnel. De telles réponses

d’engagement sont la plupart du temps conscientes, dans le sens où les individus peuvent,

consciemment, faire l’expérience de l’engagement de leur attention sur le stimulus, mais

toujours non intentionnelles.

L’augmentation de l’engagement attentionnel sur des stimuli menaçants capturerait

un montant significatif de ressources cognitives et tendrait à renforcer l’activation des

associations correspondantes (dont celles relatives à une menace). Cela pourrait rendre

compte des effets d’immobilisation défensive.

Afin de maîtriser cette boucle dysfonctionnelle de feedback, l’individu devra tenter

de désactiver directement les associations de concepts relatifs à une menace dans le

système associatif (processus de validation ou d’invalidation) ou alors exécuter une

réponse comportementale pour désengager son attention en dehors du stimulus menaçant

(processus d’évitement).

Validation et évitement

Lorsqu’un stimulus a été interprété initialement comme menaçant, un processus

séquentiel basé sur des règles va confirmer (valider) ou infirmer (invalider) cette première

interprétation. Un tel processus implique au moins trois situations possibles, chacune

produisant des résultats psychologiques particuliers.

Premièrement, un individu peut confirmer la nature menaçante du stimulus (e.g.,

« mon rythme cardiaque s’accélère et ça, c’est dangereux »). Dans ce cas, les décisions

comportementales générées par le système basé sur des règles conduiront généralement à

un évitement du stimulus menaçant, alors que l’activation des concepts relatifs à une

menace (e.g., « crise cardiaque », « mort ») augmentera. Ces associations vont en retour

accroître l’engagement attentionnel sur le stimulus. La confirmation d’une menace

produira donc un conflit au niveau des réponses (évitement vs. engagement), qui pourrait

Page 38: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 38

être le principal responsable des difficultés de désengagement attentionnel observées chez

les individus anxieux.

Deuxièmement, un individu peut nier la nature menaçante d’un stimulus (e.g.,

« mon rythme cardiaque s’accélère mais ce n’est pas dangereux »). Dans ce cas, les

décisions comportementales basées sur des règles d’évitement attentionnel du stimulus

seront réduites. Mais paradoxalement, le fait de nier la menace, au niveau du système basé

sur des règles, peut conduire à un effet inverse dans le système associatif, c’est-à-dire un

renforcement des associations entre les concepts relatifs à la menace et ceux du stimulus.

La négation cognitive de la menace peut ainsi alimenter la boucle dysfonctionnelle de

l’engagement attentionnel. Cela pourrait être le cas, par exemple, des individus

répresseurs, qui tentent de mettre à l’écart toute activation émotionnelle trop intense en

employant des mécanismes cognitifs visant à amoindrir le caractère menaçant des

informations perçues : leur réaction d’anxiété paraît, dans un premier temps, atténuée au

niveau cognitif, mais leur réactivité physiologique trahit une activation émotionnelle

intense (Luminet, 2008).

Troisièmement, le stimulus menaçant peut être réinterprété et recevoir une étiquette

différente. Si la nouvelle interprétation implique que le stimulus ou la situation est sans

danger (e.g., « mon rythme cardiaque augmente, mais c’est parce qu’il fait très chaud »),

les décisions d’évitement du stimulus seront probablement réduites. Mais à la différence

d’une négation de la menace, la nouvelle interprétation du stimulus est davantage

susceptible de mener à la désactivation des associations relatives à la menace, réduisant

ainsi l’engagement attentionnel. Dans ce cas, la réduction de l’évitement attentionnel ne

mènerait pas au renforcement de la boucle dysfonctionnelle entre les mécanismes

d’engagement attentionnel et les mécanismes des associations relatives à la menace.

Ainsi, selon les auteurs, la stratégie la plus efficace pour maîtriser les réponses de

peur, via les mécanismes basés sur les règles, est la réévaluation du stimulus. Par contre,

une simple négation de son caractère menaçant mènerait à un effet de renforcement.

Désengagement

De nombreuses études ont suggéré que les difficultés de désengagement jouent un

rôle clé dans l’étiologie et la maintenance des désordres anxieux (e.g., Fox et al., 2001).

Page 39: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 39

Toutefois, pour Ouimet et al., le désengagement attentionnel ne représente pas un stade

distinct de la séquence du traitement des stimuli menaçants : les difficultés de

désengagement observées seraient dues à l’augmentation des réponses d’engagement

incitées par le système associatif d’une part, et aux réponses d’évitement générées par le

système basé sur des règles, d’autre part. Autrement dit, la facilité ou la difficulté de

désengagement refléterait un conflit, une interférence entre la tendance spontanée à être

attentif aux stimuli menaçants (i.e., engagement) et la volonté de déplacer son attention en

dehors de ce stimulus pour l’éviter. Étant donné que les désordres anxieux sont

généralement associés à des difficultés de désengagement (plutôt qu’à un engagement

facilité), le modèle suggère que la vulnérabilité cognitive à l’anxiété soit due aux effets

d’interaction entre les mécanismes d’association et les mécanismes basés sur des règles,

lesquels pris isolément seraient insuffisants pour produire les formes pathologiques

d’anxiété rencontrées.

Facteurs influant sur les mécanismes

Selon les auteurs, l’impact sur le comportement des mécanismes basés sur des

règles devrait être réduit dans les conditions où la motivation et/ou les capacités cognitives

sont faibles. Les mécanismes associatifs devraient également prévaloir sur les processus

basés sur des règles dans des conditions d’excitation élevée (Strack & Deutsch, 2004).

Ainsi, les réponses anxieuses sont souvent associées à un niveau élevé d’arousal qui

renforcerait les tendances comportementales impulsives générées par le système

d’associations. Enfin, des études récentes suggèrent que les capacités de mémoire de

travail modulent également l’impact des mécanismes associatifs et des mécanismes basés

sur des règles (Hofmann, Gschwendner, Friese, Wiers & Schmitt, 2008). Ainsi, lorsque les

capacités de mémoire de travail sont élevées, le comportement serait plutôt déterminé par

le système basé sur des règles que par les processus associatifs. Inversement, une mémoire

de travail limitée limiterait le système basé sur des règles et renforcerait donc l’influence

du système associatif sur le comportement. Ces trois facteurs seraient à l’origine de

différences entre les individus et pourraient déterminer conjointement la vulnérabilité

cognitive à l’anxiété (Ouimet et al., 2009).

Page 40: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 40

FIGURE 2

Multi-process model of cognitive vulnerability to anxiety (Ouimet et al., 2009).

1.2.2 Étudier l’influence des stimuli émotionnels visuels sur l’attention

Nous allons voir dans cette section les trois principaux paradigmes destinés à

étudier l’influence des stimuli émotionnels sur l’orientation attentionnelle. Il est évident

que les effets observés dépendent fortement du paradigme expérimental utilisés et des

spécificités de la tâche. Par exemple, dans la situation de Stroop émotionnel (Pratto &

John, 1991), le contenu émotionnel des mots ralentit la dénomination de leur couleur,

parce qu’il provoque un effet d’interférence. Mais lorsque le stimulus émotionnel est

pertinent pour l’accomplissement de la tâche ou quand il est utilisé en tant qu’indice

valide, par exemple, on observe généralement un effet de facilitation par rapport aux

stimuli neutres (du moins, dans un premier temps).

Page 41: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 41

1.2.2.1 Tâche de Stroop émotionnel : orientation et engagement attentionnel

La version émotionnelle du test Stroop est une adaptation du test classique (Stroop,

1935) utilisée pour investiguer l’influence de la dimension émotionnelle de stimuli sur

l’attention sélective, lorsque celle-ci est dirigée sur une dimension non émotionnelle de ces

mêmes stimuli. Ce paradigme concerne donc classiquement les phases d’orientation et

d’engagement de l’attention et consiste généralement à présenter aux participants des mots

à contenu émotionnel (neutre, positif ou négatif) dont il faut dénommer aussi vite que

possible la couleur. On observe généralement une interférence de la dimension affective

des mots à valence négative ou à caractère menaçant avec la dénomination de leur couleur

(i.e., un ralentissement du temps de dénomination), comparativement aux mots neutres. Cet

effet est plus manifeste et consistant chez les personnes anxieuses (e.g., Egloff & Hock,

2001 ; MacLeod et al., 1986) ou lorsque le participant est particulièrement concerné

personnellement par la signification d’un mot (Williams, Mathews & MacLeod, 1996).

Mais à quoi est due cette interférence ?

Classiquement, il existe deux grandes explications (Algom, Chajut & Lev, 2004).

La première repose sur l’idée que, dans l’effet du Stroop émotionnel, les processus

attentionnels sont de même nature que ceux impliqués dans l’effet Stroop classique : le

contenu émotionnel du mot, bien que non pertinent pour la tâche, attire l’attention,

compromettant ainsi un focus attentionnel exclusif sur la couleur physique.

Mais pour Algom et al., l’effet Stroop émotionnel n’a rien à voir avec l’effet Stroop

classique qui se définit par la différence dans les temps de dénomination de la couleur

entre des stimuli congruents et des stimuli incongruents. Les attributs de ces stimuli

« Stroop » ont une relation logique entre eux. C’est le cas par exemple entre la dimension

sémantique du mot « BLEU » (écrit en bleu) et la couleur des lettres qui le constituent

(dimension physique). Or, tous les stimuli multidimensionnels ne sont pas des stimuli

Stroop : dans la tâche de Stroop émotionnel, le mot « CANCER » (écrit en bleu) ne fait pas

référence sur le plan sémantique à une couleur. Ces différences qualitatives fondamentales

entre les stimuli de la tâche Stroop classique et ceux du Stroop émotionnel sont

généralement balayées.

La seconde explication propose que le ralentissement dans les performances soit dû

à un ralentissement général des activités en présence d’un danger potentiel (Öhman, Flykt

Page 42: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 42

& Esteves, 2001). Il existerait un mécanisme de vigilance automatique capable

d’interrompre temporairement l’activité en cours pour que l’organisme se focalise

prioritairement sur le stimulus menaçant. Dans cette perspective, l’effet Stroop émotionnel

refléterait plutôt un mécanisme pré-attentionnel (automatique, précoce et parallèle) associé

à la menace d’un danger, alors que l’effet Stroop classique impliquerait des mécanismes

d’attention sélective (volontaires, lents et sériels ; Algom et al., 2004).

Toutefois, plusieurs études ont montré chez les sujets tout-venant, que les biais

attentionnels ne sont observés que lorsque les stimuli expriment une émotion spécifique et

qu’ils sont présentés par bloc (voir Bar-Haim et al., 2007). Autrement dit, dans certaines

études, les sujets ne montrent pas de biais si des stimuli neutres et des stimuli de

différentes catégories émotionnelles sont mélangés, mixés au sein d’un même bloc, mais

bien, lorsqu’un bloc regroupe des stimuli émotionnels d’une même catégorie (cela marche

en particulier avec les stimuli négatifs). Ce qui suggère que la situation de Stroop

émotionnel n’implique pas seulement un mécanisme rapide d’interférence, mais aussi un

mécanisme plus lent susceptible d’avoir des effets sur l’essai suivant, masquant ainsi

l’interférence de l’effet lors de l’essai émotionnel précédent (Kolinsky et al., 2010 ;

McKenna & Sharma, 2004).

1.2.2.2 La situation de déploiement attentionnel émotionnel (Dot Probe Task)

La tâche de déploiement attentionnel classique consiste à détecter le plus

rapidement possible un point subséquent à la présentation d’une paire de stimuli visuels.

Macleod et al., (1986) en ont proposé une adaptation émotionnelle dans laquelle les

participants sont invités à lire à voix haute une paire de mots présentés simultanément sur

l’écran et dont l’un d’eux possède un contenu émotionnel. Dès leur disparition, les

participants doivent détecter le plus rapidement possible un point qui surgit dans la même

localisation spatiale qu’un des deux mots présentés. Les auteurs ont observé des temps de

réaction (TR) plus rapides pour les cibles qui ont surgi à l’endroit occupé par le stimulus

émotionnel, indiquant que l’attention du participant était déjà engagée préférentiellement

sur le mot émotionnel, plutôt que sur le mot neutre.

Tout comme pour la situation de Stroop émotionnel, des biais attentionnels robustes

envers les stimuli menaçants sont observés chez les individus anxieux ou qui présentent

Page 43: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 43

des troubles émotionnels. Par contre, les résultats avec des sujets tout-venant sont moins

consistants (Kolinsky et al., 2010 ; Bar-Haim et al., 2007).

La situation de déploiement attentionnel a également été utilisée pour examiner

plus spécifiquement les mécanismes d’orientation ou l’engagement en manipulant la durée

de présentation des stimuli. Ainsi, au moyen de stimuli masqués présentés de façon

subliminale (14-30 ms), des études ont mis en évidence des biais dans l’orientation

attentionnelle pré-consciente vis-à-vis des stimuli menaçants, notamment chez des sujets

présentant un trait d’anxiété élevé (e.g., Mogg & Bradley, 2002). Des structures cérébrales,

comme les noyaux amygdaliens, seraient directement responsables de ces réponses

d’orientation, cela avant que le sens ou la nature du stimulus ne soit consciemment détecté

et évalué (Ouimet et al., 2009). Au niveau de l’engagement (processus conscient), des biais

attentionnels ont également été rapportés vis-à-vis des stimuli menaçants présentés de

façon supraliminale. Certains auteurs suggèrent que les biais attentionnels pour les stimuli

menaçants observés chez les personnes anxieuses peuvent être largement attribués à des

réponses d’orientation pré-consciente, plutôt qu’à des processus plus tardifs d’engagement

(e.g., Mogg, Bradley, Williams, & Mathews, 1993).

1.2.2.3 La situation d’indiçage émotionnel spatial

Depuis Posner (1980), on considère généralement qu’après l’engagement

attentionnel se produit un processus de désengagement. Étant donné que le paradigme de

déploiement attentionnel ne permet pas une évaluation directe de l’implication des

processus de désengagement, Posner a développé la situation d’indiçage spatial afin

d’examiner plus directement les composantes attentionnelles et qui permet de contrôler

davantage le poids des mécanismes d’orientation endogène ou exogène.

Indiçage central et mécanismes d’attention endogène

Classiquement, deux petits carrés sont disposés sur l’écran, de part et d’autre d’un

point de fixation central. A chaque essai, une flèche-indice apparaît au-dessus du point de

fixation. Cette flèche constitue un indice endogène puisqu’il s’agit d’un symbole dont la

signification doit être traitée par des processus de haut-niveau. Dans l’expérience initiale,

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Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 44

l’indiçage était prédictif de la localisation de la cible : dans 80 % des essais, il indiquait

correctement le côté où allait surgir la cible (essais valides).

Cette expérience a montré, chez des participants tout-venant, que la cible était

détectée plus rapidement et avec moins d’erreurs quand l’indiçage était valide que non

valide (effet de validité). D’une part, s’attendre à ce qu’une cible surgisse dans une

localisation facilite donc le traitement de cette cible (sans qu’aucun mouvement oculaire ne

soit nécessaire). D’autre part, lorsque le participant est trompé par un indice non valide, le

redéploiement attentionnel dans la localisation opposée s’avère coûteux (Posner, 1980).

Indiçage périphérique et mécanismes d’attention exogène

Dans la variante destinée à étudier l’orientation attentionnelle exogène, l’indice

consistait en un flash lumineux surgissant dans un des deux carrés. Alors que le regard était

maintenu sur le point de fixation central, l’attention était orientée de manière automatique

et involontaire vers la source lumineuse périphérique. Posner (1980) a montré que les

temps de détection étaient plus courts lorsque le flash avait été présenté au même endroit

que la cible subséquente (indiçage exogène valide) et plus longs dans les conditions non

valides. L’observation de ces effets de validité renseigne sur la capacité qu’a l’indice à

orienter l’attention du participant du côté où il est présenté. Par ailleurs, les temps de

réponse aux essais non valides refléteraient le coût du désengagement (nécessaire au

redéploiement de l’attention sur la cible, dans la localisation opposée).

Paradigme d’indiçage spatial émotionnel

L’adaptation émotionnelle (Stormark et al., 1995) comporte, en plus des indices

neutres, des indices émotionnels. Est-ce que ces stimuli émotionnels attirent notre attention

(plus que ne le font des stimuli neutres) ou est-ce qu’ils la retiennent, rendant plus difficile

le désengagement attentionnel ?

Afin de distinguer ces deux mécanismes, Fox et al. (2001) ont utilisé la situation

d’indiçage spatial émotionnel exogène, avec une tâche de localisation. Dans 80 % des

essais, la localisation de la cible était correctement indicée par un stimulus présenté au

même endroit, 150 ms au préalable. Les indices visuels consistaient, selon les expériences,

en mots écrits ou en visages neutres, positifs ou menaçants. L’idée était la suivante : si les

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Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 45

émotions améliorent l’orientation automatique de l’attention, les participants localiseront

plus rapidement les cibles précédées d’indices émotionnels valides, que celles précédées

d’indices neutres valides (i.e., effet de facilitation avec les stimuli émotionnels). En

revanche, si les émotions retiennent l’attention et rendent plus difficile le désengagement,

on devrait observer un ralentissement des temps de réponse avec les indices émotionnels

non valides, plutôt qu’avec les indices neutres non valides (effet d’interférence avec les

stimuli émotionnels).

Les résultats de Fox et al. ont appuyé cette dernière hypothèse : le caractère

émotionnel d’un stimulus semble rendre plus difficile le désengagement attentionnel de la

localisation spatiale où il est apparu (Smith & Kosslyn, 2009). Toutefois, Stormark et al.

(1995) et De Pascalis et Speranza (2000) ont observé des effets de validité avec des mots à

valence négative, ce qui soutient l’autre hypothèse. Alors que Briggs et Martin (2008)

n’ont révélé aucun effet pour les stimuli émotionnels, Koster, Crombez, Van Damme et al.,

(2005) ont rapporté des effets au niveau de ces deux composantes. Qu’est-ce qui explique

l’inconsistance de ces résultats ?

Si la situation d’indiçage émotionnel permet de préciser plus directement que

d’autres paradigmes, la nature des mécanismes attentionnels, il convient de souligner que

la direction des résultats dépend de nombreux paramètres tels que : (1) le type de tâche, (2)

la prédictibilité de la validité de l’indiçage, (3) l’intervalle de temps entre l’apparition de

l’indice et celle de la cible (Stimulus Onset Asynchrony ou SOA), (4) la modalité de

présentation des indices et des cibles et (5) la localisation (centrale ou périphérique) de

l’indice. Examinons de façon plus détaillée quelques-uns des ces paramètres.

Concernant la localisation, il est communément admis qu’un indiçage périphérique

conduit dans un premier temps à une orientation exogène de l’attention, c’est-à-dire un

déplacement automatique et involontaire vers la localisation spatiale où l’indice apparaît.

Cependant, dans un second temps, les mécanismes endogènes peuvent être impliqués. Par

contre, un indiçage central implique, généralement, l’attention endogène uniquement.

Ensuite, quelle que soit la localisation de l’indice, le participant peut décider d’adopter une

stratégie en fonction de la prédictibilité de l’indiçage, stratégie qui implique un mécanisme

endogène du déploiement attentionnel.

La participation de mécanismes attentionnels endogènes ou exogènes dépend aussi

en grande partie du SOA : un SOA court (e.g., 150 ms) limite le recours à l’orientation

Page 46: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 46

endogène et permet généralement d’engendrer un effet de validité, alors qu’un SOA plus

long permet une contribution plus importante de l’orientation endogène (Müller & Findlay,

1988). En outre, plutôt qu’un effet de validité, on peut observer dans ce cas, un phénomène

« d’inhibition du retour » (inhibition of return of attention ou IOR, Posner & Cohen,

1984) : la détection de la cible est plus lente lorsqu’elle est précédée par un indice valide

(vs. non valide). A ce stade, quelques précisions s’imposent quant à ce phénomène.

L’effet d’inhibition du retour attentionnel (IOR)

Un des rôles du mécanisme d’inhibition attentionnelle serait de nous éviter de

revérifier, pendant chaque balayage spatial, les endroits vers lesquels nous avons déjà

orienté notre attention. En d’autres termes, il semble qu’un endroit déjà inspecté suite à

l’apparition d’un indice conduise, après un certain laps de temps1, à inhiber ou ralentir le

retour ultérieur de l’attention vers cette localisation. L’effet IOR est pertinent d’un point de

vue évolutionniste : il refléterait un mécanisme favorisant la nouveauté dans le scanning

visuel aux dépens de ce qui a déjà été examiné, engendrant ainsi une plus grande efficacité

du système attentionnel (Lange, Heuer, Reinecke, Becker & Rinck, 2008). Mais ce

mécanisme d’inhibition se produit-il si le stimulus est menaçant ?

Fox et al. (2002, Expérience 2) ont observé que les visages exprimant la colère

(utilisés en tant qu’indices) conduisaient à une réduction générale de l’effet IOR chez tous

les participants, comparativement aux visages neutres ou souriants. En revanche, d’autres

auteurs n’ont observé aucune réduction de l’effet IOR, ni en fonction de la valence

émotionnelle des stimuli, ni en fonction du niveau d’anxiété des participants (e.g., Lange et

al., 2008 ; Taylor & Therrien, 2005). Ainsi, selon ces résultats plus récents, l’IOR serait un

effet robuste, indépendant de la valence émotionnelle de l’indice et du niveau d’anxiété des

participants. Toutefois, la diversité des méthodes expérimentales utilisées laisse la question

ouverte.

1 Selon Fox, Russo & Dutton (2002), un IOR apparaît avec un SOA supérieur à environ 600 ms. Pour Posner

& Cohen (1984), la limite temporelle entre l’effet de facilitation de l’indiçage et ceux de l’IOR se situerait

plutôt aux alentours de 300 ms.

Page 47: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 47

Limites de la situation d’indiçage émotionnel

La principale critique que l’on peut adresser au paradigme d’indiçage spatial

(comme à celui de déploiement attentionnel) repose sur le fait que la tâche consiste à

détecter ou localiser une cible surgissant après la présentation d’un indice (Bertels, 2009).

Les temps de réponse analysés ne reflètent donc que l’engagement attentionnel au moment

précis où la cible surgit, mais ne nous disent rien sur les déplacements initiaux de

l’attention pendant la présentation de l’indice. Ainsi, en fonction de l’intervalle de temps

entre l’apparition de l’indice et celle de la cible (SOA), les temps de réponse peuvent

refléter différents stades du processus attentionnel.

Par ailleurs, les stimuli émotionnels sont susceptibles de conduire à des effets non

spatiaux (ralentissement ou accélération des TR) indépendamment de la validité de

l’indiçage. Or, ces effets (liés à des mécanismes attentionnels ou moteurs) pourraient

masquer ou interférer avec les effets attentionnels spatiaux que l’on cherche à mettre en

évidence (Mogg et al., 2008).

Enfin, étant donné la simplicité des tâches (détection, discrimination ou

localisation), des auteurs ont proposé l’occurrence d’un effet « plancher » (i.e., temps de

réponse très rapides) susceptible d’empêcher l’observation d’un effet de validité (Koster et

al., 2005).

1.2.3 Étudier l’influence des stimuli émotionnels auditifs sur l’attention

1.2.3.1 La localisation des sons dans l’espace

Localiser les sons dans l’espace est essentiel à la survie : si j’arrive à localiser

immédiatement l’origine d’un grognement, d’un sifflement ou d’un klaxon, je pourrai

m’enfuir dans la direction opposée ou éviter de justesse un choc. De fait, on considère le

système auditif comme le principal système d’alerte. La localisation d’un signal auditif

influence d’ailleurs la localisation d’un stimulus visuel présenté subséquemment, alors que

l’inverse n’est pas vrai (Spence & Driver, 1997). Mais par quels mécanismes arrive-t-on à

localiser quasi-immédiatement la source d’un bruit soudain ?

De façon intéressante, la localisation du son sur le plan horizontal et la localisation

sur le plan vertical dépendent de processus distincts. La première repose sur la

Page 48: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 48

comparaison des sons accédant aux deux oreilles, ce qui n’est pas nécessaire dans le cas de

la localisation sur le plan vertical. Ainsi, un bruit provenant de la droite atteindra d’abord

l’oreille droite puis parviendra à l’oreille gauche avec un délai inter-aural pouvant varier de

0 à 0,6 ms selon la localisation (allant d’une localisation frontale à une localisation

perpendiculaire). Ce délai est détecté par des neurones spécialisés du tronc cérébral

extrêmement efficaces. Ainsi, il est possible de détecter la direction d’un son dans un plan

horizontal avec une précision de 2° environ. En outre, lorsqu’un son provient d’un côté et

non de face, il y a une différence d’intensité inter-aurale, parce que la tête forme une sorte

d’obstacle pour la propagation du son à l’autre oreille. Notons que ce phénomène d’ombre

n’existe cependant pas avec les basses fréquences (Bear et al., 2007).

1.2.3.2 Influences des mots parlés émotionnels sur l’attention sélective

Récemment, avec une adaptation auditive de la tâche de déploiement attentionnel,

Bertels, Kolinsky et Morais (2010) ont observé, chez des sujets tout-venant, des biais

attentionnels suscités par des mots à connotation négative et des mots tabous (i.e., un

engagement préférentiel de l’attention vers la localisation spatiale de ces mots). D’après les

auteurs, ces biais refléteraient une vigilance particulière et involontaire à l’égard de ces

mots. Par ailleurs, les biais attentionnels rapportés étaient limités aux stimuli émotionnels

présentés du côté droit de l’espace auditif, ce qui correspondrait à une orientation

généralisée à droite qui refléterait l’activation préférentielle de l’hémisphère gauche,

spécialisé dans le traitement des stimuli langagiers. Les mots tabous ont également mené à

un ralentissement général des temps de réaction à la cible (effet non spatial).

Bertels, Kolinsky, Bernaerts et Morais (2011) ont également adapté le paradigme

d’indiçage spatial émotionnel avec des mots-indices présentés auditivement et une cible

auditive (un bip). Ils ont réalisé quatre expériences afin de manipuler le type de tâche

(détection ou localisation), le type d’indiçage (périphérique ou central) et la prédictivité de

l’indice (50 vs. 80 % d’indices valides) et mis en évidence une modulation de l’orientation

attentionnelle par la valence émotionnelle négative des mots, lorsque l’attention exogène

était impliquée, mais cette fois, pas par leur valeur choquante. Plus précisément, un

phénomène d’IOR a été observé, sauf lorsque l’indice avait une valence négative. De plus,

les mots négatifs menaient à des réponses plus rapides, indépendamment des conditions.

Page 49: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 49

1.2.3.3 Influence de la prosodie sur l’attention sélective

Jusqu’à présent, les études présentées ont investigué la modulation émotionnelle de

l’attention spatiale dans la même modalité (visuelle ou auditive). Récemment, Brosch et al.

(2008) ont proposé une situation intermodale de déploiement attentionnel, afin d’examiner

la modulation de l’attention visuelle par la prosodie émotionnelle de la voix humaine. Il

semble en effet hautement adaptatif que l’attention soit orientée de manière prioritaire vers

une personne s’exprimant sur le ton de la colère, plutôt que vers une personne s’exprimant

sur un ton neutre. Leurs stimuli auditifs (d’une durée de 750 ms) consistaient en pseudo-

mots prononcés par différents orateurs, soit sur le ton de la colère, soit sur un ton neutre.

Ces mots étaient combinés en paires (neutre-colère ou neutre-neutre) de même énergie

acoustique.

Conformément à leur hypothèse, les auteurs ont observé une modulation

attentionnelle intermodale de l’attention visuelle par la prosodie émotionnelle. L’effet a été

observé uniquement pour les cibles présentées dans le champ visuel droit. Pour les auteurs,

ces résultats pourraient refléter au niveau comportemental, une activation automatique de

l’amygdale et du sillon supérieur temporal déclenchée par la prosodie de colère (e.g.,

Grandjean et al., 2005 ; Sander, Grandjean & Scherer, 2005). Ces derniers avaient observé

une activation accrue dans le cortex visuel lorsque les participants écoutaient des stimuli

acoustiques exprimant la colère, suggérant un effet « booster » général des cortex

sensoriels par les stimuli émotionnellement pertinents.

Les liens étroits entre la prosodie et la musique conduisent à s’interroger sur la

capacité de la musique à susciter de tels effets.

1.3 Les « émotions musicales » et l’attention sélective

Les effets des émotions musicales sur l’attention ont été assez peu investigués,

comparativement à l’étude des effets de l’humeur induite par la musique. Cependant, la

frontière entre induction d’humeur et induction d’émotion est parfois ténue dans le cadre

de tâches de courte durée. Je présenterai donc dans cette section, quelques études qui ont

testé l’induction d’un état émotionnel spécifique par la musique, pour investiguer certaines

fonctions attentionnelles. Mais avant cela, une question plus élémentaire s’impose : quels

sont les effets de la musique sur la cognition, en général ?

Page 50: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 50

1.3.1 Émotions musicales et cognition

Quand on s’interroge sur les effets de la musique sur les fonctions cognitives, le

célèbre « effet Mozart » vient sans doute à l’esprit. En 1993, Rausher, Shaw et Ky

rapportaient, dans la revue « Nature », que dix minutes d’écoute de la sonate pour deux

pianos en ré majeur de Mozart entraînaient une augmentation des performances

intellectuelles dans des tâches de raisonnement spatial servant à évaluer le quotient

intellectuel. A partir de là, s’est répandue dans les media l’interprétation simpliste et

inexacte que la musique de Mozart rendait intelligent. On connaît la suite : de nombreux

fœtus, bébés et enfants ont eu le « privilège » d’écouter des heures durant, le grand

compositeur. Par la suite, les résultats de Rauscher et ses collègues n’ont pas été répliqués

et l’effet spécifique à la musique de Mozart n’a jamais été validé. Toutefois, précisons que,

dans l’étude originelle, les auteurs n’ont jamais mentionné de bénéfices à long-terme sur

les capacités spatiales des enfants, ni sur l’intelligence générale.

Aujourd’hui, il y a davantage d’études appuyant l’idée que les enfants qui écoutent

des musiques populaires durant des tâches spatio-temporelles réalisent des performances

plus élevées, que ceux qui écoutent Mozart. En fait, l’amélioration des performances

durant l’écoute d’une musique serait surtout due à l’arousal et/ou à l’humeur suscitée par

la musique, plutôt qu’à la musique de Mozart per se ou à la musique classique (Rauscher,

2009). On devrait dès lors plutôt parler d’un « effet musique ». L’exposition à un stimulus

musical met en effet l’organisme dans une certaine condition et cet effet semble

directement lié aux dimensions émotionnelles véhiculées par la pièce musicale : l’arousal

(faible ou élevé) et la valence émotionnelle (agréable ou désagréable).

1.3.2 L’induction d’humeur par l’écoute musicale et l’attention

En 2005, Olivers et Nieuwenhuis ont montré que l’attention visuelle pouvait être

influencée par un état affectif induit par l’écoute d’une musique. La tâche consistait à

identifier deux cibles visuelles présentées au sein d’une séquence rapide de distracteurs. Ce

paradigme met généralement en évidence un phénomène d’« attentional blink » (i.e., une

brève perte d’attention se produisant quand un stimulus visuel surgit très rapidement après

un autre ; le traitement attentionnel du premier empêchant le traitement du second).

Comme attendu, dans la condition standard (participants laissés au calme), Olivers et

Page 51: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 51

Nieuwenhuis ont observé un déficit dans l’identification de la seconde cible (i.e., le

phénomène d’attentional blink). En revanche, lorsque les participants écoutaient

simultanément une musique gaie, ce déficit était substantiellement réduit et les

performances améliorées. En 2006, les mêmes auteurs ont proposé l’hypothèse d’un

surinvestissement pour rendre compte de ces résultats : dans la condition calme, les

participants allouent leurs ressources attentionnelles à tous les items présentés, permettant

aux distracteurs de subir un pré-traitement qui interfère avec le traitement des cibles. En

revanche, un état émotionnel positif ou une distraction musicale empêcherait un

surinvestissement inutile, ce qui améliorerait la détection des cibles (Olivers &

Nieuwenhuis, 2006).

Suite à ces études, Jefferies, Smilek, Eich et Enns (2008) ont examiné dans quelle

mesure la relation émotion-attention était influencée par les changements de valence

émotionnelle et d’arousal des stimuli musicaux. Dans un premier temps, les participants

écoutaient une musique gaie, apaisante, triste ou angoissante, puis devaient rapporter à

l’expérimentateur des événements personnels détaillés, en relation avec l’émotion

exprimée par la musique. Ils étaient ensuite soumis au même type de tâche que celle

proposée par Olivers et Nieuwenhuis (2005).

Comme attendu, le taux de précision dans l’identification de la seconde cible

différait significativement selon le type d’état émotionnel induit par la musique. Les

performances les plus élevées ont été observées chez les participants qui se trouvaient dans

un état de tristesse induite, et les plus faibles, chez les participants en état d’anxiété induite.

La sérénité et la gaieté induites ont mené à un niveau intermédiaire de performances. Ce

sont les combinaisons spécifiques des dimensions de la valence émotionnelle et de

l’arousal qui ont le mieux prédit les performances, plutôt qu’une dimension prise

isolément.

Pour les auteurs, ces interactions entre les dimensions émotionnelles suggèrent que

les émotions sont liées à l’attention via des connections neuronales spécifiques aux

attributs des états émotionnels. Ainsi, la colère avantagerait les circuits attentionnels les

plus adaptés au combat (Blanchard & Blanchard, 1988), la peur et l’anxiété activeraient les

circuits les plus favorables à l’évaluation du danger et à la fuite (Lang et al., 2000), la joie

et la surprise avantageraient les circuits attentionnels utilisés dans le traitement global et

fluide de l’information (Fredrickson, 2003). Cela rejoint l’idée que les personnes joyeuses

Page 52: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 52

se focaliseraient davantage sur l’essentiel, au détriment des détails, alors que les personnes

tristes ou déprimées auraient tendance à traiter plus finement les détails d’une scène, aux

dépens de l’essentiel (Gasper & Clore, 2002 ; Huber, Beckmann & Hermann, 2004).

1.3.3 Étudier les effets des émotions musicales sur l’attention visuelle

1.3.3.1 Les stimuli musicaux

En 2008, Vieillard, Peretz, Gosselin et al. ont réalisé un set de 56 stimuli musicaux

destinés à étudier les émotions. Ces stimuli consistaient en mélodies générés par ordinateur

dans un timbre de piano. Elles évoquaient quatre types d’émotions : la joie, la tristesse, la

peur et l’apaisement, distinguables sur les dimensions de la valence et du niveau de

stimulation (arousal). Selon les auteurs, un extrait gai (tempo rapide/mode majeur) devrait

être évalué par les auditeurs comme excitant et agréable. Un extrait triste (tempo lent/mode

mineur) devrait susciter peu d’excitation et être jugé plutôt agréable. Un extrait évoquant la

menace (tempo intermédiaire/mode mineur) devrait être jugé excitant et plutôt désagréable.

Enfin, un extrait suscitant l’apaisement (tempo lent/mode majeur) devrait être perçu

comme agréable et peu stimulant.

Vieillard et al. ont ensuite conduit trois expériences avec des participants non

musiciens, afin d’investiguer l’habilité des auditeurs tout-venant à reconnaître les quatre

émotions distinctes dans ces extraits musicaux, composés précisément dans le but de les

transmettre. Dans l’ensemble, leurs résultats ont montré que les extraits utilisés

transmettaient avec peu d’ambiguïté les émotions attendues et étaient facilement

discriminables sur les dimensions de la valence et du degré de stimulation. Ils confirment

également le caractère presque immédiat de la reconnaissance de la tristesse et surtout de la

gaieté dans la musique. La joie est en effet l’émotion reconnue le plus rapidement et avec

le plus d’exactitude.

En conclusion, cette étude fournit un set de stimuli musicaux facilement adaptables

et manipulables qui paraissent bien appropriés aux recherches dans le domaine des

émotions. Il reste maintenant à répondre à la question suivante : quel paradigme

expérimental utilisé pour tester l’influence de ces stimuli musicaux émotionnels sur

l’attention visuelle ?

Page 53: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 53

1.3.3.2 Choix du paradigme

Stroop émotionnel

Une adaptation musicale du Stroop émotionnel pourrait consister en une tâche de

détection du timbre (e.g., piano vs. violon) sur des extraits musicaux neutres ou

émotionnels. Toutefois, les résultats obtenus seraient équivoques. En effet, étant donné que

les deux informations sont intégrées dans le même stimulus, on ne pourrait distinguer

l’influence des processus de traitement de l’information émotionnelle, de celle des

processus intervenant dans le traitement du timbre. L’observation d’un ralentissement dans

la reconnaissance du timbre ne nous permettrait donc pas de spécifier si l’effet résulte (1)

d’une allocation prioritaire des ressources attentionnelles vers l’information émotionnelle,

(2) d’une difficulté de désengager son attention de cette information ou (3) d’une tentative

coûteuse d’éviter une émotion désagréable. Difficile également d’examiner si les effets

reflètent des mécanismes précoces du traitement de l’information ou bien des mécanismes

plus tardifs (sans compter que plusieurs types de mécanismes peuvent se combiner).

Paradigme de déploiement attentionnel

L’adaptation auditive du paradigme de déploiement attentionnel à des stimuli

musicaux a déjà été tentée (voir Kolinsky, Bertels & Morais, 2010). L’expérience

consistait à présenter des paires d’extraits musicaux via des haut-parleurs situés de part et

d’autre du participant. Il y avait deux types de paires : d’une part, des paires émotionnelles,

constituées d’un extrait suscitant l’apaisement (qualifié de neutre) et d’un extrait exprimant

la gaieté, la peur ou la tristesse, et d’autre part, des paires neutres, composées de deux

extraits apaisants. La tâche consistait à détecter un bip présenté à gauche ou à droite, juste

après la présentation d’une paire musicale. Les extraits utilisés ont été excisés des stimuli

créés par Vieillard et al. (2008) et duraient en moyenne 2 secondes (contre 12 environ à

l’origine).

Cette étude a mis en évidence des biais attentionnels pour les extraits musicaux

évoquant la tristesse et la peur, mais pas pour les extraits gais. Plus précisément, les paires

comprenant un extrait menaçant ont suscité un biais attentionnel positif : le bip était détecté

plus vite lorsqu’il était précédé du même côté par une mélodie exprimant la peur

Page 54: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 54

(comparativement à une mélodie neutre). Par contre, un biais attentionnel négatif (i.e., un

temps de détection du bip plus long) a été constaté pour les paires composées d’un extrait

triste. Les biais attentionnels observés semblent donc varier qualitativement en fonction de

la nature de l’émotion induite par les extraits musicaux : les mélodies exprimant une

menace semblent capturer l’attention du même côté de l’espace, alors que les mélodies

tristes provoqueraient une réaction d’évitement, un retrait attentionnel du côté de l’espace

où elles sont présentées, ce qui paraît tout à fait pertinent d’un point de vue adaptatif. De

plus, ces biais attentionnels ne semblent pas être liés à l’arousal des mélodies,

puisqu’aucun biais positif n’a été observé pour les mélodies gaies pourtant tout aussi

stimulantes (voire davantage) que les mélodies menaçantes et aucun biais négatif n’a été

constaté pour les mélodies apaisantes (aussi peu stimulantes que les mélodies tristes ;

Kolinsky et al., 2010).

Paradigme d’indiçage attentionnel émotionnel

À partir d’une revue de la littérature et en particulier, des études menées par

l’équipe de Régine Kolinsky, Julie Bertels et José Morais, j’ai choisi d’utiliser une

adaptation musicale de la situation d’indiçage émotionnel, qui me semble plus appropriée

que la situation de Stroop. Dans cette situation intermodale, les cibles étaient visuelles, les

indices auditifs, ce qui permet par ailleurs de réduire les interférences entre le traitement

des indices et celui des cibles (Zeelenberg & Bocanegra, 2008).

Pour rappel, l'objectif de ce mémoire était de réaliser une expérience intermodale,

destinée à examiner les conséquences attentionnelles des émotions musicales chez des

sujets tout-venant. L’idée était d’examiner si les émotions de tristesse, de peur et de joie

véhiculées par de brefs extraits musicaux influencent spécifiquement l’orientation spatiale

de l’attention visuelle ou entraînent des effets non spatiaux, comparativement à des extraits

apaisants, considérés comme « neutres ».

1.3.3.3 Questions de recherche, prédictions et hypothèses

Mes questions de recherche étaient les suivantes : les émotions suscitées par la

musique influencent-elles l’engagement spatial de l’attention visuelle dans une population

tout-venant ? Plus précisément, quels sont les types de biais attentionnels induits par la

Page 55: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 55

tristesse, la peur et la joie transmises par des stimuli musicaux ? Ces biais varient-ils

qualitativement ou quantitativement selon l’état d’anxiété/de dépression des participants ?

Les émotions musicales influencent-elles l’attention de manière générale ?

Mon hypothèse principale était l’observation d’une modulation de l’engagement

attentionnel par les émotions musicales. Au vu de la littérature, je postulais que l’influence

des stimuli musicaux émotionnels devait dépendre du type d’émotion véhiculée et de l’état

d’anxiété ou de dépression des individus. Plus spécifiquement, je prédisais : (a) des temps

de réponse aux essais valides plus rapides qu’aux essais non valides (effet de validité) ; (b)

des difficultés de désengagement avec les extraits menaçants, comparativement aux

extraits neutres (i.e., des temps de réponse aux essais menaçants non valides plus longs

qu’aux essais neutres non valides) ; (c) des effets d’interférence plus marqués avec les

stimuli négatifs chez les individus présentant un score élevé à l’échelle d’anxiété (trait ou

état) et/ou de dépression.

Étant donné l’originalité de la situation expérimentale et la spécificité des stimuli

musicaux, il était difficile de poser des hypothèses précises sur les effets des autres

catégories émotionnelles (tristesse et joie).

Alternativement, étant donné l’indiçage non prédictif de la localisation de la cible et

les longs SOAs, on pouvait s’attendre à ce que les temps de réponses soient plus longs en

cas d’indiçage valide qu’en cas d’indiçage non valide. Dans ce cas, on observerait un effet

IOR, plutôt qu’un effet de validité. Le cas échéant, en se basant sur l’étude de Fox et al.

(expérience 2, 2002), on pouvait s’attendre à une réduction générale de l’effet IOR (voire

son extinction) avec les indices menaçants. Cependant, plusieurs études n’ont pas observé

d’influence de la valence émotionnelle des indices sur la force de l’effet IOR, ni avec des

participants tout-venant, ni avec des participants souffrant de phobie (e.g., Lange et al.,

2008 ; Taylor & Therrien, 2005).

En outre, avec les extraits menaçants, on pouvait s’attendre à des effets non

spatiaux (de ralentissement ou d’accélération) dans la latence des réponses fournies, plutôt

qu’à des difficultés spatiales de désengagement.

Page 56: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 56

2 Méthode

2.1 Participants

Vingt-sept personnes (19 femmes) âgées entre 19 et 40 ans (moyenne = 25,4) ont

participé à l’étude. La plupart étudiait à l’Université Libre de Bruxelles. Tous étaient

droitiers, sans déficit auditif et présentaient une vue normale ou corrigée. Certains ont été

rémunéré 5 € pour leur participation (11 sur 27).

Puisque certaines études ont observé la présence de biais attentionnels liés aux

stimuli émotionnels uniquement chez des sujets anxieux (e.g., Bar-Haim et al., 2007) ou

dépressifs (e.g., Mogg et al., 1995), les participants ont été soumis juste avant l’expérience

à l’inventaire d’anxiété-état et d’anxiété-trait de Spielberger (STAI-Y : Spielberger, 1983),

ainsi qu’à l’inventaire de dépression de Beck (BDI-II : Beck et al., 1996). Le BDI-

II indique, qu’au moment du test, un seul participant présentait un score modéré de

dépression (26), 3 présentaient un score léger (entre 15 et 19) et 23 un score minime

(inférieur à 12). D’après la STAY-Y, la majorité des sujets ne se trouvait pas dans un état

anxieux au moment du test : 70 % affichaient un niveau faible ou moyen d’anxiété-état

(entre 21 et 38), 3 affichaient un niveau élevé (entre 42 et 47) et 5 un niveau très élevé

(entre 52 et 65). La majorité des participants ne présente pas non plus de tempérament

anxieux : 81 % ont obtenu un score très faible, faible ou moyen, 3 affichaient un niveau

élevé (entre 50 et 52) et 2 un niveau très élevé (60 et 73 ; voir Tableau 1).

TABLEAU 1

Nombre de participants ( n = 27 ) présentant un score très faible, faible, moyen, élevé ou très élevé à la STAI-Y et un score minimum, léger, modéré ou sévère à la BDI-II au moment du test

Très faible Faible Moyen Élevé Très élevé

Anxiété-état 0 10 9 3 5

Anxiété-trait 3 8 11 3 2

Minimum Léger Modéré Sévère

Dépression 23 3 1 0

Page 57: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 57

2.2 Matériel

Les indices étaient constitués de 72 mélodies jouées au piano, d’une durée moyenne

de 2000 ms. Il s’agissait d’extraits excisés de mélodies originales plus longues créées par

Vieillard et al. (2008) et utilisés par Delepierre (2005) et Prajs (2007), comme décrit dans

Kolinsky et al. (2010). Ces stimuli ont été évalués sur le plan de la valence émotionnelle et

de l’arousal par des participants qui devaient juger, pour chacun des extraits, (1) dans

quelle mesure l’écoute de la mélodie les rendait calmes ou excités et (2) dans quelle

mesure l’extrait était désagréable/négatif ou agréable/positif. Pour l’expérience de ce

mémoire, les 72 stimuli les plus représentatifs d’une catégorie émotionnelle ont été

sélectionnés parmi les 90 stimuli disponibles (voir Annexe).

Le Tableau 2 représente les scores moyens de valence émotionnelle et d’arousal

des stimuli musicaux sélectionnés. Dix-huit extraits musicaux exprimant la sérénité,

l’apaisement (valence positive et faible arousal) ont été utilisés en tant qu’indices neutres.

Les indices émotionnels étaient constitués de 18 extraits joyeux (valence positive et arousal

élevé), 18 extraits angoissants (valence négative et arousal élevé) et 18 extraits tristes

(valence négative et faible arousal). Plus la valence émotionnelle d’un extrait a été jugée

positive plus son score est élevé (sur une échelle de 0 à 10). Plus l’extrait a été jugé

excitant/stimulant, plus son score d’arousal est élevé (sur une échelle de 0 à 10).

Sur le plan de la valence, toutes les comparaisons de moyennes 2 à 2 entre types

d’extraits sont significatives, p < .0001 : il y a donc une différence significative entre les

scores moyens de valence pour les différentes catégories de stimuli. En ce qui concerne

l’arousal, toutes les comparaisons 2 à 2 sont significatives sauf la comparaison entre le

groupe des mélodies tristes et celui des mélodies apaisantes, lesquels ne diffèrent pas

significativement l’un de l’autre, p > .10.

Ces indices musicaux ont été présentés au participant de manière monaurale, à

gauche ou à droite de l’écran, via un haut-parleur. Il s’agit donc d’une situation d’indiçage

périphérique impliquant initialement l’orientation attentionnelle exogène (renforcé par le

fait que les indices ont une validité non-prédictive, comme nous le verrons plus loin).

Page 58: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 58

TABLEAU 2

Nombre de stimuli par catégorie émotionnelle d’extraits, scores moyens de valence émotionnelle et d’arousal par catégorie, scores minimum/maximum par catégorie et écart-type par catégorie

Nombre Score moyen Minimum Maximum Ecart-type

VALENCE

Apaisant 18 5,2 4,3 5,8 0,4

Gai 18 6,3 6,0 6,8 0,3

Peur 18 2,5 1,5 3,7 0,6

Triste 18 3,6 2,5 4,0 0,3

AROUSAL

Apaisant 18 3,2 2,0 4,0 0,6

Gai 18 7,0 6,0 7,6 0,5

Peur 18 5,6 3,7 7,0 1,1

Triste 18 2,9 2,2 4,0 0,5

2.3 Procédure

Les participants étaient testés individuellement dans la salle du « Babylab » de

l’ULB. Après avoir répondu aux questionnaires de personnalité sur ordinateur, ils

prenaient place dans la cabine, à 1 m de distance d’un mur recouvert d’un drap blanc sur

lequel était projeté un écran géant d’une dimension de 120 cm de large sur 92 cm de haut.

Les participants tenaient dans leurs mains un petit boîtier de réponse Cedrus® RB-834.

Deux haut-parleurs étaient disposés à gauche et à droite de l’écran, juste en-dessous des 2

localisations (gauche ou droite) où la cible pouvait apparaître, à une distance de 110 cm du

participant (Figure 3). L’angle entre la cible et le point de fixation était d’environ 24°. Le

volume sonore était réglé afin d’être confortable pour les participants. La présentation des

stimuli et l’enregistrement des réponses étaient contrôlés par le programme E-Prime v2.0

(Schneider, Eschman, & Zuccolotto, 2002) sur un ordinateur portable Eee PC 1201N

Asus®.

Chaque essai débutait par la présentation d’une croix de fixation (+) au centre de

l’écran. Après 500 ms, dans les conditions indicées, l’extrait musical était présenté pendant

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Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 59

une durée fixe de 2000 ms2, soit à gauche, soit à droite (Figure 3). Dans les conditions sans

indice, aucun son n’était présenté durant 2000 ms. Immédiatement après ce laps de temps,

le point de fixation disparaissait et la cible (un point d’une taille d’environ 5 cm de

diamètre) apparaissait, à gauche ou à droite de l’écran, pendant une durée maximale de 750

ms. Un écran blanc était présenté pendant 250 ms jusqu’à l’essai suivant. La durée

théorique d’un essai (avec l’écran de transition) pouvait donc varier entre 2750 et 3500

ms3.

Il s’agissait d’une tâche de localisation gauche-droite (préférable à une tâche de

détection si l’on souhaite mettre en évidence des effets de facilitation ou d’IOR ; Schmitt,

Postma & De Haan, 2000). Les essais indicés représentaient 5/6 du nombre total d’essais.

Il y avait donc 1/6 d’essais sans indice.

FIGURE 3

Design expérimental lors d’un essai valide à gauche.

2 Bien que les stimuli aient au départ une durée d’environ 2000 ms, j’ai fixé la durée de présentation de

l’indice musical à 2000 ms afin qu’il y ait exactement le même SOA pour tous les essais. 3 Un essai = fixation (500 ms) + présentation indice musical (2000 ms) + présentation cible (maximum 750

ms) + écran de transition (250 ms).

Page 60: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 60

Les participants recevaient les consignes suivantes (écrites sur l’écran) :

« A chaque essai, un signe "+" va apparaître, au centre de l'écran. Tu devras le

fixer tout au long de l'expérience, en évitant d’effectuer des mouvements latéraux des yeux.

Dès sa disparition, lors de CERTAINS essais, tu entendras une brève mélodie (venant du

haut-parleur gauche OU droit), puis tu verras apparaître un POINT (la CIBLE) à gauche

ou à droite du point de fixation. Ta tâche est de presser aussi VITE que possible : le

bouton vert à GAUCHE du boîtier, quand la cible apparaît à GAUCHE de l'écran, et le

bouton rouge à DROITE, quand elle apparaît à DROITE. (Presse le bouton rouge ou vert

pour continuer) ».

« Pour ton information, dans la moitié des essais avec de la musique, la cible va

surgir du même côté de l'espace que la musique. Dans l'autre moitié des essais, elle

surgira du côté opposé. Donc, il y a 50% de chances que la mélodie précède l'apparition

de la cible et 50% de chances que la cible apparaisse de l'autre côté... Tu n'as donc pas à

te préoccuper de la musique. Je te demande juste de localiser le plus rapidement possible

la cible, tout en évitant au maximum les erreurs. (Presse le bouton rouge ou vert quand tu

es prêt(e) à commencer l'ENTRAINEMENT) ».

Les participants étaient donc clairement informés du fait que l’indiçage n’était pas

prédictif de la position de la cible, cela afin de les dissuader de tenter de recourir à quelque

stratégie d’anticipation. Cependant, étant donné la durée de l’indice (2000 ms) et donc du

SOA (i.e., le temps écoulé entre le lancement de l’extrait et l’apparition de la cible), il est

possible que l’orientation endogène soit malgré tout mise à contribution. Ainsi, comme

l’ont souligné Bertels et al. (2011), un long SOA peut donner l’opportunité aux

participants de recruter des processus top-down afin de développer des stratégies pour

améliorer leurs performances.

Chaque participant débutait la session avec 12 essais d’entraînement accompagnés

d’un feedback sur ses performances. L’entraînement portait sur des extraits différents de

ceux utilisés pour la phase test. Après une courte pause (permettant éventuellement au

participant de me poser des questions), il poursuivait ensuite avec 4 blocs de 86 essais sans

feedback : 72 essais indicés (36 valides et 36 non valides) et 14 sans indice (voir Tableau

3). Ce qui donnait un total de 344 essais par sujet. Les 4 blocs permettaient de présenter (4

fois) chacun des 72 extraits musicaux selon les différentes conditions possibles de

présentation : en tant qu’indice valide à gauche, indice valide à droite, indice non valide à

Page 61: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 61

gauche et indice non valide à droite. Entre les blocs, une courte pause était proposée au

participant. La probabilité que la cible apparaisse à droite ou à gauche était identique.

L’ordre de présentation des différentes conditions était alterné de façon aléatoire. Quatre

scripts ont été générés et différaient selon les différentes combinaisons de présentation des

blocs selon un carré latin.

TABLEAU 3:

Nombre d’essais par catégorie d’indice et par condition de validité d’indiçage et nombre total d’essais par catégorie et par condition

INDICES Sérénité Tristesse Peur Joie Total

Valides 9 9 9 9 36

Non valides 9 9 9 9 36

Sans - - - - 14

Total 18 18 18 18 86

Page 62: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 62

3 Résultats

En moyenne, les participants ont commis peu d’erreurs (1,8 %). Les analyses ont

donc porté uniquement sur les temps de réponse (TR) aux essais réussis. Deux participants

sur les 27 ont été écartés car leur taux d’erreurs était supérieur à 5%. Chacun des 25

participants a réalisé un TR moyen se situant endéans 2 écart-types autour de la moyenne

générale (314 ms ; ET = 62). Seuls les TR inférieurs à 600 ms et relatifs aux essais indicés

ont été pris en compte dans l’analyse.

Le Tableau 4 présente les TR moyens aux essais réussis pour l’ensemble du groupe

(n = 25) selon les différentes conditions expérimentales, ainsi que l’effet de validité (estimé

par la différence entre les TR aux essais non valides et les TR aux essais valides).

TABLEAU 4

TR moyens en ms observés avec chaque type d’indice et d’essai. Effet de validité selon la catégorie émotionnelle des indices (entre parenthèses l’Erreur Standard).

N = 25

Catégorie émotionnelle de l’indice

Sans indice Neutre Gai Triste Menaçant Moyenne

331 (5)

Non valides 311 (6) 305 (6) 315 (6) 314 (5) 311 (5)

Valides 301 (6) 305 (5) 305 (5) 312 (6) 306 (5)

Effet de validité 9** (2) 0 (2) 9** (3) 2 (3) 5** (2)

Moyenne 306 (6) 305 (5) 310 (5) 313 (5)

** effet très significatif p < .01

Dans un premier temps, j’ai examiné si la présence d’un extrait musical émotionnel

ou neutre modulait les TR de localisation de la cible, selon la validité de l’indiçage. À

cette fin, j’ai d’abord appliqué un plan d’analyse de variance à mesures répétées (ANOVA)

2 x 4 x 2 x 2 x 4 , incluant les 5 facteurs intra-sujets suivants : validité de l’indiçage (type

d’essai : valide/non valide), catégorie émotionnelle de l’indice (type d’indice :

Page 63: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 63

neutre/joie/tristesse/peur), côté de présentation de l’indice (haut-parleur : droite/gauche),

côté de présentation de la cible (droite/gauche) et bloc (1/2/3/4). Cependant, ces 3 derniers

facteurs ainsi que les interactions les impliquant ne présentent pas d’effet significatif (pour

tous : F < 1). Par conséquent, j’ai concentré mon analyse en un plan à mesures répétées 2 x

4 avec comme facteurs intra-sujets la validité de l’indiçage et la catégorie émotionnelle.

L’effet de la validité de l’indiçage est significatif, F (1, 24) = 9.975, p < .01 :

globalement, les participants ont localisé plus rapidement une cible subséquente à un

indice présenté du même côté (306 ms) qu’à l’opposé (311 ms). Un effet de validité

significatif (+ 5 ms) est observé, p < .01.

L’effet de la catégorie émotionnelle de l’indice musical est significatif, F (3, 72) =

6.240, p < .01. Les comparaisons ajustées de Bonferroni indiquent que les TR moyens aux

essais menaçants (313 ms) diffèrent significativement des TR aux essais gais (305 ms), p <

.01 et aux essais neutres (306 ms), p < .05. En revanche, ils ne diffèrent pas des TR aux

essais tristes (310 ms ; p > .05). Les TR aux essais gais diffèrent des TR liés aux indices

tristes, p < .05, mais pas des TR aux essais neutres (p > .05).

Le fait que les extraits menaçants conduisent à des TR plus longs que ceux liés aux

extraits joyeux ou neutres peut suggérer que la valence émotionnelle des indices (plutôt que

leur arousal) influe sur les temps de latence dans les réponses. Ceci est confirmé par une

analyse de corrélation entre le score de valence des extraits et les TR moyens qui révèle

une corrélation négative significative, r = -.638, p < .001 : plus la valence émotionnelle de

l’extrait est élevée (positive), plus les TR sont rapides (Figure 4). Plus spécifiquement, la

valence des extraits est corrélée tant aux TR des essais non valides, r = -.448, p < .01,

qu’aux TR des essais valides r = -.588, p < .001. En revanche, le score d’arousal des

extraits n’est pas corrélé aux TR moyens (p > .05) (Figure 4).

L’interaction entre la validité de l’indice et sa catégorie émotionnelle est

significative : F (3, 78) = 4.367, p < .01 (Figure 5). Les comparaisons ajustées de

Bonferroni indiquent que les TR aux essais valides neutres (301 ms) diffèrent

significativement des TR aux essais non valides neutres (311 ms), p < .01. Le même

phénomène est observé avec les indices tristes valides et non valides (305 vs. 315 ms,

respectivement), p < .01. En revanche, aucune différence significative de TR selon la

condition de validité n’est observée avec les indices gais et les indices menaçants (p > .05).

Page 64: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 64

Aux essais valides, les TR aux essais menaçants (312 ms) diffèrent

significativement des TR aux essais gais (305 ms), p < .01, et des TR aux essais

neutres (301 ms), p < .01, mais pas des TR aux essais tristes (305 ms ; p >.05). Aux essais

non valides, seuls les TR aux essais menaçants (314 ms) et les TR aux essais gais diffèrent

significativement entre eux, p < .01 (Figure 5).

Ces résultats indiquent a priori la présence d’un effet de facilitation4 lié à la validité

de l’indiçage (effet de validité) pour les indices neutres et les indices tristes. Un test t pour

échantillon unique (à valeur de test nulle) confirme que l’effet de validité est significatif

pour les essais neutres (+ 9 ms) et tristes (+ 9 ms), t (24) = 4.008 et 3.247, p < .01, 95% IC

[4.50, 14.05] et [3.44, 15.43], respectivement.

FIGURE 4

Sur la figure de gauche, les petits cercles représentent les TR moyen selon la valence émotionnelle des extraits. Plus ce score est élevé (valence positive), plus les TR sont courts, et inversement. Sur la figure de droite, les petits cercles représentent les TR moyen selon la dynamique des extraits. Il

n’y a pas de relation entre cette caractéristique et les TR moyens.

Puisque l’avantage de la validité de l’indiçage n’est observé qu’avec les indices

musicaux neutres et tristes, et que ceux-ci ont en commun un faible arousal, j’ai réalisé

une analyse corrélationnelle entre le score d’arousal des extraits et la taille de l’effet de

4 La taille de l’effet de validité est estimée par la différence entre les TR aux essais non valides et les TR aux

essais valides.

Page 65: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 65

validité (n=38). De façon intéressante, celle-ci est significative : r = -.462, p < .01. Ainsi,

plus l’extrait était calme, peu excitant, plus l’effet de validité était marqué.

FIGURE 5

L’effet d’interaction (Validité de l’indiçage * Catégorie émotionnelle de l’indice) est significatif. Un effet de validité significatif se produit pour les essais « neutres » (+ 9 ms) et « tristes » (+9 ms).

La taille de l’effet de validité pour les essais tristes était corrélée positivement aux

scores d’anxiété-état, r = .464, p < .05, ainsi qu’aux scores d’anxiété-trait, r = .431, p <

.05 (Figure 6) : plus l’anxiété (état ou trait) était élevée, plus l’effet de validité avec les

indices tristes était grand. En revanche, la taille de l’effet de validité des indices neutres

n’était pas corrélée avec ces variables (r = .128 et .103, p > .05, respectivement).

La Figure 5 suggère que les indices menaçants ont conduit à un effet de

ralentissement général non spatial. Cet effet peut être estimé par la différence entre les TR

aux essais menaçants (313 ms) et les TR aux essais neutres (306 ms) ; une différence

positive indiquerait alors un effet de ralentissement des TR induit par la menace (Mogg et

al., 2008). Dans le cas présent, la taille de l’effet de ralentissement lié aux indices

menaçants serait donc de 7 ms, par rapport aux indices neutres. Un test t à échantillon

Page 66: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 66

unique (valeur test nulle) indique que cet effet est significatif, t (24) = 3.081, p < .01, 95%

[2.22, 11.23]. Les extraits menaçants semblent donc conduire à un ralentissement général

des TR comparativement aux extraits apaisants, indépendamment de la condition de

validité. Les scores d’anxiété à la STAY-Y et à l’échelle de Beck ne sont pas corrélés de

manière significative à la taille de l’effet de ralentissement (p > .05).

FIGURE 6

Corrélation positive significative entre les scores d’anxiété-état (à gauche) et les scores d’anxiété-trait (à droite) et la taille de l’effet de validité pour les indices tristes.

Étonnamment, les TR aux essais gais ne différaient pas selon la condition de

validité de l’indiçage. En général, la présentation d’un indice gai non valide n’interférait

donc pas avec la détection de la cible comparativement à un indice gai valide. En outre, en

condition non valide, les TR aux essais non valides gais sont les plus rapides (305 ms).

La différence entre les TR aux essais gais (305 ms) et les TR aux essais

neutres (306 ms) n’indique pas d’effet d’accélération général, t (24) = -.664, p > .05, 95%

[-5.80, 2.98]. Pourtant, de façon intéressante, une analyse corrélationnelle révèle que la

différence entre les essais gais et les essais neutres est corrélée négativement aux scores de

dépression, r = -.527, p < .01, ainsi qu’aux scores d’anxiété-trait, r = -.522, p < .01 (Figure

7). Ainsi, plus les niveaux rapportés de dépression et/ou d’anxiété-trait étaient bas, plus les

indices gais ont eu tendance à induire un effet d’accélération, comparativement aux

Page 67: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 67

neutres. Inversement, plus les niveaux rapportés de dépression et/ou d’anxiété-trait étaient

élevés, plus la différence entre les TR aux essais gais et les TR aux essais neutres était

négative (i.e, effet de ralentissement). L’observation de la Figure 7 confirme l’existence de

différences entre les participants : pour certains, les indices gais ont manifestement

entraîné un effet de ralentissement, alors que pour d’autres, ils ont conduit à un effet

accélérateur par rapport aux indices neutres. Pour d’autres encore, il n’y a pas de

différence manifeste entre les essais gais et les essais neutres, en général.

FIGURE 7

Corrélations négatives significatives entre d’une part la différence entre les TR aux essais neutres et les TR aux essais gais et d’autre part les scores de dépression (à gauche) et d’anxiété-

trait (à droite).

Enfin, les scores d’anxiété-état et -trait, ainsi que les scores de dépression ne sont

corrélés ni avec la différence entre les TR aux essais gais et les TR aux essais menaçants

(respectivement, r =.165, .273 et .189, pour tous p > .05), ni avec la différence entre les TR

aux essais à valence positive et les TR aux essais à valence négative (respectivement, r = -

.004, .255 et .169, pour tous p > .05).

Page 68: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 68

4 Discussion

L’étude des effets des stimuli émotionnels sur l’attention sélective visuelle

constitue un domaine de recherche largement investigué, principalement au moyen de

stimuli émotionnels visuels. Pourtant, bien souvent, c’est notre système auditif qui nous

alerte d’un danger imminent (un bruit soudain, un cri d’alerte, un ton agressif, un

grognement, une musique angoissante dans un film). Par ailleurs, au quotidien, des stimuli

auditifs nous « parlent » et détournent notre attention de manière automatique : notre

prénom prononcé dans une conversation voisine jusque là ignorée, les pleurs d’un bébé

quand on est jeune parent… Or, malgré leur grande validité écologique, l’utilisation de

stimuli auditifs est relativement récente.

Plus complexe et plus subtile que d’autres signaux acoustiques, la musique

déclenche des réactions physiologiques et psychologiques chez l’être humain clairement

distinctes de celles déclenchées par les autres stimulations sonores de l’environnement. De

fait, elle est généralement produite et utilisée avec l’objectif de transmettre des émotions

plus ou moins complexes aux auditeurs. Certaines pièces musicales y parviennent

d’ailleurs très efficacement (e.g., Bharucha et al., 2006 ; Blood & Zatorre, 2001). Pour

toutes ces raisons, il semble tout à fait pertinent de s’interroger sur les conséquences

transitoires des émotions musicales sur les processus attentionnels.

L’objectif de ce mémoire était donc d’investiguer chez des participants tout-venant,

l’influence des émotions musicales suscitées par de courts extraits musicaux sur le

déploiement spatial de l’attention visuelle. A cette fin, j’ai réalisé une adaptation musicale

du paradigme d’indiçage émotionnel afin d’examiner dans quelle mesure le contenu

émotionnel d’un indice musical peut moduler l’engagement de l’attention. Étant donné

l’influence de l’anxiété et de la dépression sur les réactions vis-à-vis d’un stimulus

émotionnel, j’ai évalué le niveau de ces facteurs chez les participants, au moyen de

questionnaires.

L’indiçage était périphérique et non prédictif. On considère que ces paramètres

impliquent initialement des mécanismes d’orientation exogène de l’attention (i.e.,

orientation automatique et involontaire). Cependant, lorsque l’intervalle de temps entre

l’apparition de l’indice et celle de la cible (SOA) est long, il est possible que l’attention

endogène des participants soit également impliquée, de même que d’autres facteurs top-

Page 69: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 69

down influant sur la disponibilité des ressources attentionnelles ou sur la motivation. Ainsi,

de manière générale, on peut considérer qu’un faible contrôle top-down facilite les effets

automatiques des émotions musicales, alors que la détermination d’objectifs ou des

mécanismes de régulation émotionnelle interférent avec les processus émotionnels attendus

(Vuilleumier & Huang, 2009). Ces facteurs de haut-niveau peuvent donc être à l’origine de

différences importantes dans les performances des participants. Pour favoriser les

mécanismes automatiques, j’ai tenté de dissuader les participants d’utiliser stratégiquement

les indices musicaux, en soulignant clairement dans mes consignes leur valeur non-

prédictive et en leur suggérant de ne pas y prêter attention pour se concentrer

prioritairement sur la tâche.

En se référant au cadre théorique proposé par Juslin et Västfjäll (2008), on peut

supposer que les mécanismes sous-jacents aux émotions musicales suscitées

correspondaient principalement à des mécanismes reflexes du tronc cérébral, ainsi qu’à

des mécanismes de contagion émotionnelle. En effet, les extraits étaient brefs et

inconnus des participants.

Mon hypothèse générale était que les émotions suscitées par les indices musicaux

allaient moduler l’engagement attentionnel. Plus précisément, je m’attendais à ce que les

extraits menaçants entraînent des difficultés de désengagement plus importantes que les

extraits neutres et que ces effets soient plus marqués pour les individus présentant un score

élevé aux échelles d’anxiété (état ou trait) et de dépression. L’occurrence d’un

ralentissement général (ou d’une accélération) des temps de réponse (TR) aux essais

menaçants était également plausible. Poser des hypothèses plus précises sur la direction

des effets pour les autres catégories émotionnelles s’avérait plus aléatoire, étant donné la

spécificité des stimuli musicaux. En effet, premièrement la musique induit des réactions

émotionnelles sans doute plus efficacement que ne le font d’autres types de stimuli

émotionnels. Deuxièmement, les extraits qualifiés de « neutres » émotionnellement (i.e.,

les extraits apaisants) ne sont pas tout à fait comparables aux stimuli neutres typiquement

utilisés dans ce type de situation expérimentale. Les musiques apaisantes peuvent en effet

induire des émotions positives. Troisièmement, les musiques tristes malgré leur valence

négative, peuvent être agréables. Elles pourraient donc susciter un engagement attentionnel

accru plutôt que des réponses d’évitement, par exemple.

Page 70: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 70

4.1 Effets observés

Cette expérience s’est révélée profitable : comme attendu, les résultats mettent en

évidence une modulation de l’attention visuelle interne par les émotions musicales. Plus

spécifiquement, j’ai observé des biais attentionnels spatiaux (liés à la validité de l’indice)

et des effets non-spatiaux (indépendants de la validité de l’indice).

4.1.1 Effet de validité ou effet IOR ?

Avec un indiçage non prédictif et un long SOA, on pouvait raisonnablement

s’attendre à ce que les TR soient plus longs aux essais valides qu’aux non valides. Par

exemple, en utilisant une adaptation auditive de la situation d’indiçage émotionnel, Bertels

et al. (Expérience 3, 2011) avaient observé un phénomène d’inhibition du retour (IOR)

avec des mots parlés neutres, positifs et tabous (SOA = environ 780 ms).

Dans mon étude, c’est un effet de validité qui a été observé : en général, les

participants ont localisé plus rapidement les cibles surgissant du côté où l’indice musical

avait été présenté (essais valides), que celles surgissant du côté opposé. L’absence d’effet

IOR dans cette expérience pourrait être liée à la spécificité du matériel musical, plus

précisément, au fait que les stimuli musicaux ne sont pas figés mais dynamiques.

De façon intéressante, cet effet de validité dépendait du contenu émotionnel de

l’extrait : les mélodies tristes et apaisantes ont conduit à un effet de validité significatif et

de même ampleur. En revanche, les TR subséquents aux mélodies joyeuses et menaçantes

ne variaient pas selon la validité de l’indiçage. La présence d’un effet de validité

uniquement pour les essais tristes et neutres suggère que l’attention des participants était

engagée dans la direction du stimulus musical (i.e., vers le haut-parleur qui diffusait

l’indice) au moment de l’apparition de la cible, alors que ce n’était vraisemblablement pas

le cas pour les essais gais et menaçants. Ce phénomène pourrait être lié à l’arousal des

extraits musicaux davantage qu’à leur valence émotionnelle, puisque les extraits neutres et

les extraits tristes étaient relativement calmes, alors que les extraits gais et les extraits

menaçants étaient plus excitants.

Page 71: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 71

4.1.1.1 Effet de validité : influence de l’arousal ?

L’analyse corrélationnelle indique effectivement une relation positive entre la taille

de l’effet de validité pour chacun des extraits et leur score d’arousal respectif : plus

l’extrait était calme, plus l’attention visuelle avait tendance à être engagée vers le haut-

parleur émetteur, au moment de la localisation de la cible. Inversement, plus l’extrait était

excitant, moins il y avait de différence entre les TR aux essais valides et les TR aux essais

non valides. Comment expliquer ce phénomène ?

Il est possible que les musiques harmonieuses, au tempo lent et régulier induisent

très rapidement un état de relaxation propice à l’engagement et au maintien de l’attention

dans la direction de la source musicale. Ainsi, le fait que ces extraits ne soient pas sources

de stress pour l’organisme favoriserait des mécanismes spontanés d’engagement

attentionnel dans leur direction.

Cependant, les musiques tristes et les musiques apaisantes n’ont pas la même

valence émotionnelle. On peut donc s’attendre à ce que leurs effets sur l’attention ne soient

pas complètement identiques. En outre, face à une mélodie triste, les individus peuvent se

distinguer davantage dans leurs réactions émotionnelles. En effet, dans la réalité, tout le

monde ne réagit pas de la même manière par rapport aux musiques tristes : certains aiment

les écouter, même si elles suscitent des sentiments de tristesse, de nostalgie, de vague

mélancolie, alors que d’autres préfèrent les éviter et n’écouteront pas spontanément de

musiques « déprimantes ». Par ailleurs, un même individu, selon le contexte, son humeur,

ses objectifs, peut réagir tantôt sur le mode de la confrontation, tantôt sur le mode de

l’évitement (Luminet, 2008). On devrait donc observer plus de différences entre les

participants aux essais tristes qu’aux essais apaisants.

4.1.1.2 Mélodies tristes : confrontation ou évitement ?

De façon intéressante, les résultats confirment l’existence de variations inter-

individus dans les réponses émotionnelles face aux stimuli tristes. Celles-ci sont

directement liées aux niveaux d’anxiété (trait et état), tels qu’ils ont été évalués par les

questionnaires. Ainsi, de manière générale, plus un participant présentait un état anxieux

au moment du test (ou des traits anxieux) marqué(s), plus l’effet de validité suscité par un

indice triste était grand. Inversement, moins un sujet était anxieux plus l’effet de validité

Page 72: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 72

devenait nul ou négatif. Par contre, aucune corrélation n’a été observée entre les scores

d’anxiété ou de dépression et l’effet de validité pour les essais neutres. Cela pourrait

suggérer que les individus anxieux ont tendance à être attentifs aux musiques tristes, alors

que les moins anxieux adoptent plutôt des réponses d’évitement (i.e., détournent leur

attention de la source de l’agent vecteur de tristesse), du moins, durant les premiers temps

de l’écoute musicale.

Toutefois, ce raisonnement est sans doute trop simpliste car les individus dont les

scores aux questionnaires correspondent à un niveau faible d’anxiété (état ou trait) ne

forment pas forcément un groupe homogène (Weinberger et al., 1979 ; cité par Luminet,

2008). En effet, un score faible peut refléter qu’une personne est réellement peu anxieuse

ou bien qu’elle tente de réprimer ses émotions. Une personne peu anxieuse présente

généralement une réactivité physiologique faible face aux situations émotionnelles. En

revanche, un individu « répresseur » présente généralement une réactivité physiologique

élevée, alors que ses réponses cognitivo-expérientielles sont réduites (Luminet, 2008).

Pour distinguer ces tendances, on utilise généralement l’échelle de désirabilité sociale

(Byrne, 1961). Ultérieurement, il sera nécessaire d’utiliser cette échelle avec les

questionnaires d’anxiété, afin d’investiguer ces facteurs de manière plus précise. On

pourrait aussi tester l’hypothèse selon laquelle les individus répresseurs ont tendance à

présenter un évitement attentionnel par rapport aux musiques tristes, alors que ce n’est pas

forcément le cas pour les personnes réellement peu anxieuses.

4.1.2 Effets non spatiaux

4.1.2.1 Effet de ralentissement suscité par les mélodies menaçantes

En moyenne, les extraits menaçants ont suscité des TR plus lents que les extraits

gais et que les extraits neutres. De façon générale, plus la valence de l’extrait était négative

plus les TR étaient longs. En condition valide, les TR aux essais menaçants étaient plus

lents que les TR respectifs des trois autres catégories émotionnelles (qui ne différaient pas

entre eux). Ces résultats indiquent que les mélodies menaçantes ont mené à un effet de

ralentissement général, par rapport aux neutres et aux joyeuses. A quoi pourrait être dû cet

effet ?

Page 73: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 73

Pour certains auteurs, la présence d’une menace provoque un effet d’inhibition (ou

de ralentissement) des réponses motrices, en association avec une interruption temporaire

des activités en cours (e.g., Algom et al., 2004 ; Koster, Crombez, Verschuere & De

Houwer, 2004). Il s’agirait alors de processus distincts des processus attentionnels, qui

s’apparenteraient à une réaction d’immobilisation défensive (freezing ; Fox et al., 2001).

Alternativement, le ralentissement des TR pourrait être lié à des facteurs

attentionnels. Il est possible qu’une partie des ressources attentionnelles ait été consacrée à

des processus de préparation à l’action, au détriment de la réalisation efficace de la tâche

(Flykt, 2006). Ainsi, les musiques annonçant un danger pourraient mettre l’organisme en

état d’alerte, de « scanning » à la recherche d’un danger imminent dans l’environnement.

Une partie des ressources attentionnelles serait dès lors allouée à ces fonctions, interférant

avec la tâche de localisation de la cible. Ceci pourrait reposer notamment sur les

mécanismes reflexes du tronc cérébral décrits plus haut : les extraits menaçants entraînent

très probablement quasi-immédiatement une réaction émotionnelle d’anxiété, en raison de

leurs caractéristiques acoustiques qui signalent un événement menaçant et urgent (arousal

élevé, début souvent brutal, etc.). À ce type de mécanismes viendraient s’ajouter des

mécanismes de contagion émotionnelle (prenant en compte la valence, cette fois) induisant

également la peur, l’anxiété. Les réactions émotionnelles déclenchées initialement par les

mécanismes reflexes du tronc cérébral seraient alors renforcées.

Il est possible qu’après avoir capturé de manière prioritaire l’attention

(comparativement aux neutres), les extraits menaçants provoquent des réponses

d’évitement de l’agent stresseur (Luminet, 2008). Le ralentissement dans les TR pourrait

alors refléter l’augmentation des ressources cognitives allouées dans les tentatives d’éviter

l’information émotionnelle source de stress. Si on se réfère au modèle proposé par Ouimet

et al. (2009), le ralentissement pourrait être expliqué par un conflit entre les réponses

comportementales d’évitement (déclenchées par le système de haut niveau cognitif, basé

sur des règles) et la tendance impulsive à « surveiller » la menace (déclenchée par le

système des associations), donc à maintenir l’attention engagée sur le stimulus menaçant.

Enfin, les scores d’anxiété (état et trait) et les scores de dépression n’étaient pas liés

à la taille de l’effet de ralentissement. Ce qui a du sens d’un point de vue adaptatif : la

présence d’un signal qui annonce une menace devrait mettre en état d’alerte tous les

individus, et pas seulement les plus anxieux.

Page 74: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 74

4.1.2.2 Effet « d’ouverture attentionnelle » suscité par les mélodies gaies ?

En condition non valide, ce sont les extraits gais qui ont conduit aux TR les plus

rapides (comparativement aux trois autres catégories émotionnelles, qui ne différaient pas

entre elles). En général, plus la valence émotionnelle de l’extrait était positive, plus les TR

étaient courts ; cela indépendamment des conditions de validité de l’indiçage. Cette

relation est intéressante car intuitivement, on aurait pu penser que les musiques

stimulantes, peu importe leur valence, rendent les participants plus vifs pour effectuer la

tâche. Or, vraisemblablement, ce n’est pas l’arousal qui est lié à la vitesse de réaction, mais

bien la valence.

Les TR aux essais gais valides et aux essais gais non valides ne différaient pas les

uns des autres. Ainsi, de façon intéressante, la présentation d’un indice gai non valide n’a

pas interféré avec la détection de la cible. Cela suggère que l’attention des participants

n’était pas engagée, focalisée au moment de l’apparition de la cible, ni dans la direction du

haut-parleur émetteur, ni dans la direction opposée, mais plutôt distribuée.

Une première interprétation serait que des mécanismes réflexes du tronc cérébral se

produisent également avec les musiques joyeuses, étant donné leur arousal élevé. Comme

nous l’avons vu, ces mécanismes mettent l’organisme en état d’éveil, ce qui pourrait rendre

compte de l’attention distribuée. Le fait qu’il n’y ait pas de ralentissement s’expliquerait

par la détection rapide de la valence positive du stimulus et donc, de l’absence de menace

dans l’environnement.

De manière générale, les émotions positives induites par les mélodies joyeuses

pourraient entraîner une ouverture du champ attentionnel, plutôt qu’une focalisation sur la

source musicale. Un tel effet des affects positifs sur l’attention a déjà été rapporté. Ainsi,

en utilisant des stimuli dans lesquels une grande lettre était construite avec de plus petites,

plusieurs études ont montré que les individus qui faisaient l’expérience d’une émotion

positive avaient tendance à traiter d’abord la configuration globale, plutôt que la

configuration locale, comparativement à des individus qui se trouvaient dans un état

émotionnel négatif ou neutre (e.g., Fredrickson & Branigan, 2005 ; Gasper & Clore, 2002).

Certains auteurs ont donc suggéré que la joie stimule les circuits attentionnels utilisés dans

le traitement global et fluide de l’information et entraîne un mode de pensée plus ouvert,

une attention plus distribuée (Jefferies et al., 2008 ; Fredrickson, 2003).

Page 75: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 75

Des études ayant investigué l’effet de l’humeur sur la cognition vont également

dans le même sens en rapportant que l’humeur positive conduit à une amélioration de la

flexibilité cognitive5 et que cette amélioration est due à la valence plutôt qu’à l’arousal

(e.g., Ashby, Isen & Turken, 1999). Selon ces auteurs, cet effet pourrait être lié à la

libération de dopamine dans les systèmes cérébraux sous-jacents à cette fonction cognitive.

Enfin, bien que les comparaisons entre les TR pour les différentes catégories

émotionnelles d’essais n’indiquent pas d’effet général « d’accélération » pour les indices

gais par rapport aux indices neutres, j’ai observé une corrélation intéressante : plus le

niveau de dépression ou d’anxiété-trait rapporté était faible, plus les indices gais ont induit

une accélération importante des TR (comparativement aux neutres). Ce qui suggère que les

participants peu anxieux (ou répresseurs ?) ont bénéficié davantage de l’effet présumé

« d’ouverture attentionnelle » suscité par les musiques joyeuses que les individus anxieux.

En faisant le lien avec la corrélation observée plus haut (entre le niveau d’anxiété et l’effet

de validité liés aux musiques tristes), ces résultats pourraient appuyer l’idée que les

individus peu anxieux sont plus attentifs aux événements émotionnels positifs qu’aux

négatifs, alors que les personnes plus anxieuses se focalisent davantage sur les événements

tristes et sont moins réceptives aux stimulations positives.

Penchons-nous à présent sur les limites de cette étude et sur les perspectives.

4.2 Limites et perspectives

Premièrement, bien que les effets observés soient significatifs, ils sont de l’ordre de

quelques millisecondes, ce qui pourrait diminuer la portée de ces résultats. Vu l’importance

des facteurs d’anxiété et de dépression sur la direction des effets observés, d’autres études

devront porter sélectivement sur des groupes de participants faiblement anxieux,

répresseurs et très anxieux. Cela permettrait sans doute de minimiser les différences

interindividuelles dans les TR et de maximiser ainsi la taille des effets observés.

Deuxièmement, dans ce type de situation expérimentale, les TR analysés ne

reflètent que l’orientation attentionnelle au moment précis où la cible visuelle surgit (soit ,

ici, 2000 ms après le début du lancement de l’extrait). Ils ne nous disent donc rien sur les

5 Pour rappel, la flexibilité cognitive correspond à ce qui nous permet de déplacer, réorienter l’attention, la

pensée, l’action, de manière souple et efficace afin d’être plus à même de percevoir, traiter et réagir aux

situations de différentes manières (Leclercq & Zimmermann, 2000).

Page 76: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 76

déplacements initiaux de l’attention ou sur ce qui a pu se passer endéans les 2 secondes

d’écoute musicale. Par ailleurs, il est possible que les effets non spatiaux observés aient

interféré avec des effets attentionnels spatiaux et masqué ainsi leur occurrence (Mogg et

al., 2008). Ultérieurement, il sera donc essentiel de clarifier comment les différentes

composantes de l’attention (orientation, désengagement, déplacement, évitement et

rapprochement) sont modulées par les émotions musicales. Le décours temporel de la

modulation attentionnelle devrait donc être exploré très attentivement. Étant donné que 250

ms suffisent pour percevoir certaines émotions (e.g., Bigand et al, 2005), il est possible de

diminuer le SOA à plusieurs reprises. En outre, coupler les mesures comportementales à

des mesures physiologiques (électrodermales, par exemple) permettrait éventuellement de

préciser ou d’appuyer certains résultats.

Troisièmement, l’utilisation de stimuli musicaux pourrait soulever certaines critiques

tenant au fait qu’ils ne sont pas figés dans le temps, à la différence de la plupart des stimuli

visuels utilisés dans ce genre de situation d’indiçage. Les émotions suscitées évoluent donc

de manière dynamique tout au long du déroulement de l’extrait. Comme une musique n’est

pas l’autre, le timing des réponses émotionnelles pourrait évoluer inégalement selon les

extraits. Par exemple, certains extraits, par leurs propriétés acoustiques spécifiques (e.g.,

démarrage brutal, vitesse rapide), pourraient déclencher une réaction émotionnelle et une

orientation attentionnelle très précocement, alors que d’autres, plus lents, plus doux, le

feraient plus tardivement. En conséquence, au lieu de refléter un seul stade attentionnel, les

TR à l’issue des 2000 ms d’écoute musicale pourraient refléter des stades attentionnels

distincts (selon les types d’extraits). Les différences observées pourraient alors être

simplement dues au fait que le stade attentionnel en cours au moment de la localisation de

la cible n’est pas le même pour tous les extraits. Pour éviter de telles critiques, on pourrait

le cas échéant, tenter d’égaliser certains paramètres acoustiques comme le démarrage des

extraits. Mais cela s’avère très délicat étant donné que ces paramètres peuvent être parfois

des vecteurs émotionnels importants. Alternativement, plusieurs SOA pourraient être

utilisés au sein d’une même expérience afin de comparer les effets attentionnels à

différents moments plus ou moins précoces.

Quatrièmement, au niveau méthodologique, plutôt que des haut-parleurs,

l’utilisation d’écouteurs pourrait se révéler plus efficace pour éviter l’impact des bruits

extérieurs. Il est possible de transformer les stimuli auditifs via un programme

Page 77: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 77

informatique, afin qu’ils soient perçus par l’auditeur comme provenant d’une localisation

bien précise dans l’environnement (i.e., la distance et l’angle entre le participant et la

source auditive sont fixés par l’expérimentateur). Une telle technique a été utilisée par

Brosch et al. (2008).

Enfin, au niveau des stimuli musicaux, en plus des dimensions de valence et

d’arousal, une autre dimension pourrait être prise en compte dans l’évaluation de la valeur

émotionnelle des extraits : le mouvement corporel induit par la musique (Bigand, Vieillard,

Madurell, Marozeau & Dacquet, 2005). En effet, les musiques peuvent être plus ou moins

entraînantes sur le plan sensori-moteur6. Ainsi, beaucoup de musiques gaies donnent une

envie presque irrépressible de taper du pied en rythme, voire de danser. Or, cette

dimension de corporalité peut renforcer l’expérience émotionnelle et ses effets sur

l’attention. Il me semble donc opportun pour le futur d’inclure l’évaluation de cette

dimension dans les extraits musicaux utilisés.

Comme l’ont souligné, Bigand et al. (2005), les pièces musicales prennent des

positions spécifiques sur ces trois dimensions continues et il existe un nombre infini de

combinaisons possibles à la base d’expériences émotionnelles parfois subtilement

différentes. C’est peut-être là que réside la plus grande spécificité des stimuli musicaux par

rapport à d’autres stimuli émotionnels : leur capacité à exprimer une palette émotionnelle

extrêmement riche et complexe. Selon moi, cette spécificité ne constitue pas une limite à

son utilisation dans les recherches scientifiques. Au contraire, je pense que cette spécificité

reflète tout simplement la richesse des expériences émotionnelles que nous pouvons

traverser. La musique pourrait même constituer un moyen unique d’induire des émotions

plus complexes (e.g., espoir, fierté) et de tester leur influence spécifique sur la cognition.

Mais pour le moment, tenons-nous en au fait que la musique peut facilement être utilisée et

manipulée pour induire des émotions plus basiques dont nous pouvons évaluer l’influence

sur l’attention.

6 Notons que cette dimension diffère de celle de l’arousal. Ainsi, une musique exprimant la peur est généralement excitante pour l’organisme mais ne donne pas forcément envie de danser ou de taper du pied.

Page 78: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 78

5 Conclusion

Ce travail a mis en évidence pour la première fois, une modulation de l’engagement

attentionnel et de la latence des réponses fournies par les émotions musicales, dans une

population tout-venant. Plus spécifiquement, j’ai observé des biais attentionnels positifs

avec les musiques tristes et les musiques apaisantes, ainsi que des effets non-spatiaux de

ralentissement avec les musiques menaçantes et d’ouverture attentionnelle avec les extraits

joyeux. De toute évidence, il existe des différences liées à l’anxiété et au niveau de

dépression des individus dans l’ampleur des effets observés et parfois, dans leur direction.

Plusieurs pistes ont été lancées pour des investigations futures. Ces résultats suggèrent que

les émotions musicales sont capables d’influer sur nos processus perceptivo-attentionnels

de manière très rapide, au même titre (voire plus efficacement) que des stimuli émotionnels

biologiquement pertinents.

Terminons avec Nietzsche qui, à l’instar de Schopenhauer, résume bien l’étonnant

pouvoir émotionnel de la musique : « la musique touche immédiatement le cœur, car elle

est la véritable langue universelle, partout comprise » (cité par Blondel, 2001).

Page 79: Les effets des émotions musicales sur l'attention

6 Bibliographie

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Page 92: Les effets des émotions musicales sur l'attention

7 Annexe

Liste des extraits sélectionnés et utilisés, avec scores obtenus aux tests de jugement de catégorisation et de valence et arousal de Delepierre (2005) :

Test Catégorisation émotionnelle Test valence & arousal

Extrait Apaisement Gaieté Peur Tristesse Valence Arousal

A11E2 3,50 2,29 0,00 1,92 5,6 3,9

A12E3 4,25 0,79 0,08 3,54 5,3 3,5

A12E4 4,17 1,33 0,58 2,54 5,8 3,3

A14E2 4,00 1,38 0,13 2,13 5,4 3,1

A2E2 3,29 1,63 0,38 2,46 5,5 3,5

A2E4 3,83 1,25 0,17 2,71 5,0 4,0

A3E1 3,88 1,33 0,42 2,83 5,1 2,5

A3E2 3,63 0,58 0,08 2,67 4,6 3,0

A3E3 3,96 0,88 0,13 2,67 4,6 2,4

A3E4 3,88 1,71 0,29 2,92 4,3 3,3

A4E1 4,71 0,46 0,08 3,83 5,4 2,0

A6E1 3,75 1,54 0,08 2,71 5,1 3,8

A7E2 3,46 1,46 0,17 1,92 5,1 3,1

A8E2 3,46 1,58 0,17 3,08 5,6 3,0

A8E3 3,58 1,00 0,13 2,63 4,8 3,6

A9E1 3,42 1,38 0,29 2,54 5,5 3,7

A9E2 4,33 1,08 0,13 2,83 5,6 2,6

A9E4 4,33 0,46 0,29 3,50 5,0 2,8

Moyenne

5,2 3,2

Extrait Apaisement Gaieté Peur Tristesse Valence Arousal

G10E2 1,54 6,71 0,29 0,21 6,0 7,3

G11E1 1,33 6,08 0,04 0,50 6,1 7,0

G12E2 1,13 6,08 0,29 0,25 6,0 7,2

G13E1 1,21 6,46 0,42 0,42 6,0 7,6

G14E2 1,50 5,79 0,08 0,71 6,0 6,0

G1E1 1,21 5,83 0,42 0,63 6,1 7,5

G1E2 0,58 6,63 0,25 0,17 6,4 7,3

G1E3 1,00 5,50 0,54 0,54 6,0 7,0

G2E1 0,75 6,25 0,50 0,75 6,1 7,5

G3E1 0,92 6,08 0,13 0,29 6,1 7,3

G4E2 1,50 7,25 0,08 0,04 6,3 6,8

G5E1 0,63 6,75 0,54 0,29 6,1 7,6

G7E2 2,00 5,46 0,04 0,38 6,1 6,4

G7E3 2,21 5,21 0,13 0,92 6,5 6,4

G8E1 1,50 6,46 0,00 0,25 6,8 7,0

G8E3 1,46 5,67 0,38 0,33 6,8 6,6

G9E1 2,00 6,04 0,00 0,33 6,5 6,8

G9E2 1,79 6,92 0,04 0,50 6,8 6,8

Moyenne

6,3 7,0

Page 93: Les effets des émotions musicales sur l'attention

Les effets des émotions musicales sur l’attention. Une étude d’indiçage émotionnel. 93

Extrait Apaisement Gaieté Peur Tristesse Valence Arousal

P10E1 0,38 0,25 5,50 1,67 2,0 4,5

P11E1 0,38 0,71 5,21 2,13 2,0 4,1

P11E2 0,08 0,17 5,04 0,83 2,0 4,3

P11E3 0,75 0,04 5,46 3,13 1,9 3,7

P12E1 0,54 0,35 5,50 1,79 1,9 5,2

P12E2 0,29 0,42 5,13 1,67 2,2 5,6

P14E1 0,50 1,88 3,13 0,75 3,4 6,6

P1E1 0,38 0,29 6,33 0,54 2,1 6,5

P1E2 0,21 0,33 4,96 1,46 3,3 6,5

P2E1 0,29 0,75 4,50 0,83 3,3 6,8

P2E2 0,63 0,50 6,54 0,96 3,0 6,8

P3E2 0,33 0,96 4,83 1,58 3,7 6,9

P4E1 0,38 1,04 5,17 0,96 2,3 5,8

P4E2 1,29 0,71 3,42 2,33 2,1 4,8

P5E1 0,42 1,04 5,25 1,08 3,0 7,0

P5E2 0,71 1,33 4,58 1,29 2,8 5,3

P7E2 0,29 0,42 4,79 1,25 2,8 6,7

P9E1 0,21 0,08 6,04 1,29 1,5 4,3

Moyenne

2,5 5,6

Extrait Apaisement Gaieté Peur Tristesse Valence Arousal

T10E1 1,75 0,42 0,96 5,63 3,9 2,2

T10E2 1,38 0,58 0,42 5,67 3,6 2,6

T11E1 1,50 0,75 1,17 4,25 3,8 3,2

T11E2 1,88 0,63 0,71 3,54 3,8 3,6

T12E1 3,21 0,71 0,63 3,63 3,9 3,1

T13E1 2,79 0,38 0,54 5,50 3,5 3,0

T13E2 2,46 0,63 1,38 4,25 3,8 3,0

T1E1 2,25 0,58 0,38 3,96 3,7 2,6

T2E1 2,92 0,42 0,33 4,88 3,8 3,3

T2E3 1,21 0,54 1,21 4,21 3,3 2,8

T3E1 2,08 0,25 1,04 5,38 3,5 2,2

T3E2 2,58 0,29 0,54 4,33 3,6 2,8

T3E3 2,13 0,46 0,63 5,00 3,6 2,3

T4E2 0,83 0,42 1,29 6,21 2,5 3,5

T5E1 2,17 0,79 0,38 5,25 3,4 2,4

T8E1 2,42 0,54 0,71 4,63 3,6 2,8

T9E1 1,71 0,21 0,88 4,92 3,9 2,9

T9E2 1,75 0,33 0,71 5,17 4,0 4,0

Moyenne

3,6 2,9