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LES ENJEUX DE LA MÉMOIRE DANS L'ŒUVRE DE VICENTE ARANDA JE-PAUL AUBERT Université de Nice Sophia-Antipolis L'oeuvre cinématographique de Vicente Aranda s'ofe comme un regard sur le passé récent de l'Espagne. Déjà évoquée par la série télévisée, Los Jinetes del alba, et par quelques séquences du film Si te dicen que cai, la guerre civile sert de cadre à Libertarias. Les premières années de l'après-guerre sont remémorées par Si te dicen que cai, La muchacha de las bragas de oro et Tiempo de silencio. Amantes nous situe dans les années cinquante tandis que les deières années du franquisme sont reflétées dans les deux films consacrés aux aventures de « El Lute». Des films plus récents tels que El amante bilingüe, Intruso ou La mirada del otro évoquent enfin l'Espagne actuelle. Parmi ces films, il en est un qui nous semble particulièrement emblématique du désir du cinéaste de revisiter l'histoire de son pays. Il s'agit de Libertarias, récit du combat mené par un groupe de femmes anarchistes dans l'Espagne révolutionnaire. Il fallait que le film tint à coeur au cinéaste. Presque vingt ans en effet auront été nécessaires pour que projet, né de la collaboration de Vicente Aranda, José Luis Guamer et Antonio Rabinad, voit enfin le jour en 1996. Une part importante de travail sera consacrée à l'examen de ce film qui tout à la fois puise sa substance dans la mémoire de son auteur et sollicite, par des procédés que nous voudrions expliciter, celle du spectateur. Cependant, on ne peut saisir la portée de Libertarias qu'en l'inscrivant dans la continuité de !'oeuvre de Vicente Aranda. Plusieurs des longs-métrages qui le précèdent, annoncent le sujet abordé par Libertarias et justifient le ton HISP. - 17 - 1999 123

LES ENJEUX DE LA MÉMOIRE DANS L'ŒUVRE DE VICENTE … · un campesino espanol de Francesc Betriu, A los cuatro vientos de José Antonio Zorrilla, s'attachent à faire revivre les

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LES ENJEUX DE LA MÉMOIRE DANS L'ŒUVRE DE VICENTE ARANDA

JEAN-PAUL AUBERT

Université de Nice Sophia-Antipolis

L'oeuvre cinématographique de Vicente Aranda s'offre comme un regard sur le passé récent de l'Espagne. Déjà évoquée par la série télévisée, Los Jinetes del alba, et par quelques séquences du film Si te

dicen que cai, la guerre civile sert de cadre à Libertarias. Les premières années de l'après-guerre sont remémorées par Si te dicen que cai, La

muchacha de las bragas de oro et Tiempo de silencio. Amantes nous

situe dans les années cinquante tandis que les dernières années du franquisme sont reflétées dans les deux films consacrés aux aventures de « El Lute». Des films plus récents tels que El amante bilingüe, Intruso

ou La mirada del otro évoquent enfin l'Espagne actuelle. Parmi ces films, il en est un qui nous semble particulièrement emblématique du désir du cinéaste de revisiter l'histoire de son pays. Il s'agit de Libertarias, récit du combat mené par un groupe de femmes anarchistes dans l'Espagne révolutionnaire. Il fallait que le film tint à coeur au

cinéaste. Presque vingt ans en effet auront été nécessaires pour que ce projet, né de la collaboration de Vicente Aranda, José Luis Guamer et

Antonio Rabinad, voit enfin le jour en 1996. Une part importante de ce

travail sera consacrée à l'examen de ce film qui tout à la fois puise sa substance dans la mémoire de son auteur et sollicite, par des procédés que nous voudrions expliciter, celle du spectateur. Cependant, on ne peut

saisir la portée de Libertarias qu'en l'inscrivant dans la continuité de !'oeuvre de Vicente Aranda. Plusieurs des longs-métrages qui le précèdent, annoncent le sujet abordé par Libertarias et justifient le ton

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d'un film qui, ainsi, se situe au coeur d'un enjeu formulé par l'ensemble

de l 'oeuvre.

A parcourir la filmographie de Vicente Aranda, on a parfois

l'impression de voir défiler comme une chronique de l'histoire de

! 'Espagne contemporaine. L'auteur revendique ce statut de chroniqueur

lorsqu'il nous fait part de son secret désir d'être une sorte de Pérez

Galdôs de son temps (ne dit-il pas : « Yo estaria encantado de poder

hacer los Episodios nacionales l » ?) ou lorsqu'il déclare :

No tengo reparos en hacer pelfculas sobre mi pasado y el

pasado de mi pais. Diria que accidentalmente, pero con mucho

gusto, me he convertido en una suerte de historiador de ambientes

de la historia contemporânea espaîiola2 .

Aranda semble vouloir tirer de son âge (il est né en 1926) sa

légitimité de mémorialiste. Et comme s'il s'agissait de donner un

supplément de crédibilité à son travail de mémoire, il se plaît à rappeler

qu'il est l'un des rares cinéastes en activité susceptibles d'apporter un

témoignage personnel sur la période de la guerre civile ou sur celle de

l'immédiat après-guerre. Ainsi, s'exprimant au sujet du film Si te dicen

que cai, le réalisateur fait la déclaration suivante

Tengo que decir que mi partida de nacimiento esta expedida a

doscientos metros del centro de localizaci6n de la pelicula, por lo

que he puesto infinidad de recuerdos mios. Por ejemplo, e l grupo

de nifios jugando con un arsenal. Yo soy uno de aquellos niîios

que en aquella época encontr6 una caja con armas y se divertia con

ella3 .

La citation est extraite d'un entretien que nous a accordé le réalisateur et dont l'intégralité figure

dans notre thèse : Le cinéma de Vicente Aranda. Etude des personnages, thèse dactylographiée,

sous la direction de Jacques Soubeyroux, Université de Saint-Etienne, janvier 1999, p. 463. 2

Ram6n Freixas, Joan Bassa, la Tentaci6n vive arriba. Amantes, Barcelone, Libros Dirigido, coll.

« Programa doble», 1996, p. 102. 3

S. Sànchez, « Entrevista Vicente Aranda: 'Los cines no desapareceràn pero quedaràn muy pocos',

Tribuna, 2 octobre 1989, pp. 112-113.

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Les enjeux de la mémoire dans l'œuvre de V. Aranda

Plus récemment, évoquant Libertarias, le réalisateur fait part du sentiment d'urgence qui anime celui qui a la sensation d'être l'un des derniers à pouvoir témoigner

A mi me gustaria seguir en el tema de la guerra civil, que rœ

parece un camino tranquilizador, y ademas tengo la sensaci6n de

que soy uno de los pocos que pueden hacerlo todavia, dandole

una especie de reconocimiento vivido, de sabor1 ..

Ailleurs, comme pour bien montrer l'implication personnelle que revêt la réalisation de ce film, Aranda déclare : « S6lo yo podia hacer Libertarias »2. C'est dire si le réalisateur fait de la mémoire, plus qu'un enjeu, une véritable raison de filmer.

C'est tout naturellement que la mémoire va devenir le sujet de nombreux récits qui s'articulent autour des souvenirs de leurs protagonistes. L'écrivain phalangiste de La muchacha de las bragas de

oro, le médecin légiste de Si te dicen que cai, le détective d'Asesinato en

el comité central, et jusqu'aux personnages de Joan dans El amante

bilingüe ou de Angel dans Jntruso, tous se font les archéologues de leur propre passé. Dans deux films plus particulièrement, La muchacha de las

bragas de oro et Asesinato en el comité central - deux oeuvres qui se succèdent dans la filmographie arandienne (l'une est tournée en 1979 et l'autre en 1982) -, le souvenir est l'enjeu d'un combat que livrent quelques personnages contre une sorte de non-mémoire officielle, qui est escamotage et falsification du passé. Dans le premier, c'est la jeune et insolente Mariana qui met à jour les mensonges de son oncle, occupé à faire oublier qu'il fut un dignitaire du régime franquiste. Tandis qu'elle dactylographie les mémoires du vieil écrivain, fraîchement converti à la démocratie, la jeune femme qu'interprète Victoria Abri!, découvre les nombreux mensonges qui émaillent le récit. Dans Asesinato en el comité

central, c'est le détective Pepe Carvalho qui, chargé d'enquêter sur l'assassinat du secrétaire général du Parti Communiste Espagnol, fait la rencontre de quelques fantômes surgis de son propre passé : des militants du parti qui furent ses camarades de clandestinité, un ancien collègue de la C.I.A. pour laquelle il lui arriva de travailler, et surtout le commissaire

Ramon Freixas, Joan Bassa, « Mujeres libertarias en la guerra civil: un viejo proyecto realizado

hoy par Vicente Aranda», Dirigido, n°245, avril 1996, p. 25. 2

R. Garcia, « Aranda : 'Solo yo podia hacer Libertarias' », El Pais, 12 avril 1996, p. 34.

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Fonseca, qui naguère s'illustra dans la « chasse aux rouges» et que le

gouvernement de l'Espagne démocratique charge de l'enquête officielle.

En fait, les deux films proposent un regard critique sur la transition

démocratique vue comme une tentative de jeter sur le passé le voile de

l'amnésie. Car l'oubli devient un enjeu politique lorsqu'il est prôné par

ceux qui, hier tortionnaires ou serviteurs zélés de la dictature, cherchent

aujourd'hui à s'auto-décerner des brevets de démocratie. Ainsi, Mariana,

héroïne de La muchacha de las bragas de ara ironise sur le ravalement

de façade auquel se livre son père :

Ha escondido todas sus medallas en el caj6n del olvido. Y

creo que quiere presentarse como alcalde para Malaga.

Dans Asesinato en el comité central, le mm1stre de l'intérieur du

gouvernement UCD de la transition exhorte un dirigeant du PCE à faire

table rase du passé

De la misma manera que muchos de nosotros hemos olvidado,

también ustedes tienen que hacerlo.

C'est ce pacte d'oubli, réclamé par le mm1stre UCD, que les

personnages de Mariana et de Pepe Carvalho mettent en péril et que le

cinéaste récuse. C'est pourquoi, ces deux films annoncent à leur façon des

oeuvres ultérieures telles que Tiempo de silencio, Amantes, El Lute,

camina o revienta, El Lute, manana seré libre, Si te dicen que cai et bien

sûr Libertarias, autant de films qui vont procéder au réexamen du passé

récent de l'Espagne.

FILMER POUR NE PAS OUBLIER: L'EXEMPLE DELIBERTARIAS

Libertarias a bien la prétention de combler un vide. En effet, le

cinéma espagnol de l'après-franquisme donne de la guerre civile une

vision lacunaire. Lorsqu'elle est évoquée, la guerre proprement dite sert le

plus souvent d'arrière-fond à une intrigue 1 . Elle est certes bien présente

dans des films tels que Las /argas vacaciones del 36, Las bicicletas son

Voir So/dados d' Alfonso Ungria ou la Plaça del Diamant de Francesc Betriu.

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Les enjeux de la mémoire dans l'œuvre de V. Aranda

para el verano, La guerra de los locos, ou La Vaquilla qui se font les dénonciateurs d'un combat fratricide d'autant plus absurde en apparence que les motifs idéologiques des adversaires sont soit passés sous silence soit réduits à leurs aspects les plus caricaturaux. Les combattants y sont renvoyés dos-à-dos, rivalisant de sauvagerie ou plus simplement victimes d'une guerre à la fois vaine et incompréhensible. La guerre civile espagnole est ramenée aux péripéties d'un affrontement guerrier susceptible tout au plus de perturber des destins individuels. On peut imaginer que l'exigence de réconciliation nationale qu'exprimèrent les protagonistes de la Transition démocratique était satisfaite par ce tableau d'une guerre sans idéal tel que le brossait le cinéma espagnol 1. De fait, la période de la révolution espagnole, ces quelques semaines au cours desquelles groupes armés, milices populaires et comités s'emparent du pouvoir et font vaciller l'état républicain, ces journées qui voient s'exacerber les antagonismes et fleurir les utopies, sont délaissées par les fictions. Tout comme sont ignorés les acteurs de cette période : militants ouvriers, combattants de la République, miliciens. Au sujet de l'oubli dont ces derniers sont victimes, rappelons ce qu'écrit Xavier Ripoll :

A pesar de los abundantes titulos sobre la Guerra Civil,

ninguno habia abordado a fondo la figura del miliciano, de sus

ideales, de su pape! en el conflicto, de sus actuaciones y también

de sus divisiones y contradicciones2 .

Une poignée de documentaires tels que La vze1a memoria de Jaime Camino, Dolores de José Luis Garcia Sanchez et Andrés Linares ou Som

i serem de Jordi Feliu, ou quelques rares fictions telles que Requiem par

un campesino espanol de Francesc Betriu, A los cuatro vientos de José Antonio Zorrilla, s'attachent à faire revivre les idéaux républicains et révolutionnaires et à donner la parole à ceux qui les défendirent. Mais le bilan est maigre, ce qui fait dire à Esteve Riambau :

Hoy por hoy, los interrogantes hist6ricos sobre las causas y

repercusiones de la Guerra Civil y el franquismo siguen siendo

Sur ce discours dit centriste, voir notamment José Enrique Monterde, « La Guerra civil espafiola

vista par el cine », Dirigido por, n°55, pp. 10-15; E. Ripoll Freixes, 100 peliculas sobre la lf''erra civil espaiiola, Barcelone, C.I.L.E.H., 1992,

Xavier Ripoll, « Los Milicianos en el cine », Filmhistoria, vol. VI, n°3, 1996, p. 292.

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una de las grandes asignaturas pendientes de un cine espafiol

dispuesto a ratificar la transici6n pacifica de la democracia con una

generosa amnesia sobre el periodo de la dictadura 1.

C'est dans ce contexte qu'il faut situer le film de Vicente Aranda.

Libertarias prétend renouer avec une période de l'histoire en partie

occultée par la cinématographie récente, offrir une perspective nouvelle en

idéalisant l'élan révolutionnaire que le cinéma de réconciliation nationale

avait omis, honorer enfin ceux qui avaient été les porteurs de cet idéal

révolutionnaire, les miliciens, les anarchistes, les femmes. Là où d'autres

films mettent en scène des destins individuels, Libertarias, même s'il

accorde une place privilégiée au personnage d'une novice convertie à

l'anarchisme, fait le choix d'un protagonisme choral. Au «centrisme»

des films que nous avons évoqués, Libertarias oppose un parti pris

idéologique qui s'affiche dès l'avertissement au spectateur dont on

reconnaît la rhétorique partisane2 . A chaque instant, Aranda va

s'employer à idéaliser et à justifier l'action de ses héros. Le réalisateur,

qui a engagé une armée pléthorique de figurants, ne fait pas l'économie

des plans montrant les colonnes de miliciens joyeux et enthousiastes, en

partance pour le front, follement acclamés par une foule en liesse. Certes,

les premières séquences relatent quelques excès dont sont, à l'occasion,

victimes certains ecclésiastiques - l'un d'eux est assassiné - mais ces

actes apparaissent justifiés par leur trahison et leur âpreté au gain. Sur le

front, les relations entre les miliciens sont toujours empreintes de

camaraderie et la solidarité est la règle. Les combattants libertaires font

même preuve de compréhension envers les soldats ennemis qu'ils

cherchent à convaincre. Mais dans le combat, ils savent faire preuve

d'ingéniosité et de courage. Le ton souvent didactique qui domine les

dialogues entre les dirigeantes du groupe interprétées par Ana Belén et

Victoria Abri!, et la novice, étrangère à la culture libertaire, s'ajoute à un

indéniable souffle épique pour situer Libertarias dans la lignée des films

propagandistes destinés à élaborer et à alimenter ce que l'on pourrait

Esteve Riambau, « La Década socialista », Roman Gubem, José Enrique Monterde et alii, Historia

del cine espaiiol, Barcelone, Câtedra, « Signa e lmagen », 1995, p. 424. 2

« Verano de 1936. 18 de julio. El ejército espaiiol se subleva contra el gobierno de la Repùblica./

19 de julio. En Barcelona y en Madrid el ejército es derrotado gracias al esfuerzo heroico del

pueblo./ 20 de julio. Las masas reclaman un estado revolucionario. El gobierno legal es incapaz de

controlar la situaci6n./ 21 de julio. Ha comenzado la guerra civil espaiiola, la ùltima guerra idealista,

el ùltimo sueiio de un pueblo volcado hacia lo imposible, hacia la utopfa. »

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Les enjeux de la mémoire dans l'œuvre de V. Aranda

appeler une mémoire militante. Ce parti pris de l'auteur est encore

souligné par les nombreuses citations de textes de théoriciens anarchistes

et par la bande-son saturée de chants révolutionnaires et dominée par l'hymne libertaire « A las barricadas» que les variations tonales

transforment peu à peu en un requiem pathétique. C'est peu de dire

qu' Aranda sanctifie la révolution. Du reste, la place nous manque pour évoquer les nombreuses références bibliques qui émaillent le récit, depuis

l'apparition messianique de Durruti jusqu'au cruel massacre des innocents qui clôt le récit.

Le ton employé autant que le sujet rendent inédit le propos du film. Il

faut admettre que le regard résolument partisan que porte Vicente Aranda

sur la période, la véhémence dans son propos, reflet évident de

l'implication personnelle du cinéaste, font de Libertarias un objet à part dans la cinématographie contemporaine sur la guerre civile.

« REGARDER EN MEME TEMPS QU'AVEC SES YEUX AVEC SA

MEMOIRE1 »

Aranda ne se contente pas d'invoquer ses propres souvenirs ou de

doter ses personnages d'une mémoire, il sollicite aussi celle du

spectateur. Il est certain que Libertarias, à l'instar de films tels que Si te

dicen que cai, Tiempo de silencio ou Amantes, qui évoquent une période appartenant désormais à ) 'Histoire, ne peut requérir du spectateur une mémoire individuelle née de l'expérience directe. Le réalisateur est donc

enclin à faire appel à une mémoire à la fois impersonnelle et construite par

l'imaginaire. Les films d'époques, les photographies, les divers récits et

témoignages ont contribué à mythifier la réalité et à mettre en scène cet imaginaire2. De fait, plusieurs des plans de Libertarias déjà évoqués (le défilé des miliciens, la réquisition des biens ecclésiastiques, les images

du front) s'inscrivent dans la tradition d'une iconographie préfabriquée et

solidement ancrée dans la mémoire collective. C'est alors que la fiction se

nourrit du mythe. La reconstitution de l'époque se limite à des images

Marcel Proust, A la recherche du temps perdu, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1987-1989, vol. 111,

le Temps retrouvé, p. 929. 2

Voir à ce sujet Emile Temime, « Faire l'histoire d'un événement mythifié : Le cas de la guerre

d'Espagne», Travail de mémoire 1914-1998. Une nécessité dans un siècle de violence, Paris,

Autrement, coll. «Mémoires», 1999, pp. 45-49.

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paradigmatiques, exacts reflets de celles inscrites dans la mémoire

collective des vaincus de la guerre et de leurs descendants. Elles

prétendent les légitimer en même temps qu'elles espèrent tirer d'elles leur

propre légitimité. Cette démarche affective, qui vise à déclencher chez le

spectateur un sentiment de nostalgie, une sorte de regret d'un passé

idéalisé ne prétend pas à l'objectivité. Car, au fond, ce n'est pas la réalité

d'une époque telle qu'elle fut, mais telle qu'elle subsiste, magnifiée par

certains, qui intéresse Aranda. Il s'agit bien, au dire du réalisateur, de

« justificar la memoria que podian tener algunos »' · Faisant

indéniablement vibrer la corde sensible, Aranda vient alors puiser ses

images aux sources d'une mémoire commune - celle des vaincus -,

d'une culture collective, certes nourrie d'images d'Epinal, mais qu'il fait

sienne et à laquelle il rend hommage. Dès lors, il n'est qu'une alternative

possible pour le spectateur: ou il participe à cette commémoration qu'est

le film, ou il s'en détourne comme on s'éloigne d'une cérémonie à

laquelle on n'a pas été convié.

C'est à la mémoire cinéphilique du spectateur que s'adressent

certaines séquences, évocations plus ou moins explicites d'oeuvres

précédentes du réalisateur. Observons comment s'opère à travers la

filmographie une circulation de thèmes, d'images et parfois même de

personnages. Le spectateur va retrouver dans Libertarias le ton de

certaines séquences de la série télévisée Los jinetes del alba, celles

notamment qui retracent la révolte des Asturies ou plus précisément

encore, celles qui se réfèrent aux débuts de la guerre civile. Le fond sonore

qui domine Libertarias est déjà présent : les vivats, les discours enflammés de la Pasionaria diffusés par haut-parleur, ! 'hymne anarchiste

repris à tue-tête par les combattants et magnifié dans les deux films par la

musique symphonique de José Nieto. On retrouvera ces mêmes vivats,

ces mêmes discours (en l'occurrence celui ponctué par la célèbre

exclamation« No pasaran ») dans une longue séquence de Si te dicen que

cai qui semble annoncer Libertarias. La référence de Libertarias à ces

deux films est parfois plus explicite encore. Ainsi, l'épisode au cours

duquel un officier rebelle se suicide au cri de « jViva el glorioso ejército

espafiol! » est la reprise d'une scène analogue de Los jinetes del alba. Le

lien entre Libertarias et Si te dicen que cai passe par la présence dans les deux films de personnages au fond semblables. Les miliciens anarchistes

de Libertarias sont, avec leur ingénuité et leur idéalisme, les mêmes que

Jean-Paul Aubert, op. cit., p. 465.

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Les enjeux de la mémoire dans l'œuvre de V. Aranda

ceux que mettait en scène Si te dicen que cai où ils apparaissent à

l'apogée de la révolution puis dans la défaite. Ces hommes se

ressemblent jusque dans leurs excès (l'exécution sommaire d'un évêque

dans Libertarias fait écho à celle d'un présumé phalangiste dans Si te

dicen que ca[) et leur défiance à l'égard des femmes (« Las mujeres no

tienen la culpa de nada » s'exclame l'un d'eux dans Si te dicen que cai

exprimant une opinion guère éloignée de celle qu'émettent quelques

fidèles de Durruti, réticents quant à la présence des femmes sur le front).

Si te dicen que cai fait également allusion à l'organisation « Mujeres

Libres» à laquelle appartiennent les militantes de Libertarias. Un plan

sur une banderole déployée sur un balcon des Ramblas laisse au

spectateur le temps de lire : « Mujeres Libres contra la prostituci6n ». Il

faut enfin citer un troisième film moins connu. Il s'agit d'un court­

métrage destiné à être inclus dans un film en hommage aux inventeurs du

cinématographe. Intitulé Lumière et compagnie, le projet convie des

réalisateurs de toute nationalité à réaliser des images en respectant les

conditions de tournage du premier film. Vicente Aranda qui a déjà

commencé la réalisation de Libertarias décide de faire enregistrer par la

caméra centenaire la reconstitution du défilé des milices anarchistes dans

Barcelone. Si te dicen que cai, Los jinetes del alba, le court-métrage

inclus dans Lumière et compagnie et enfin Libertarias s'inscrivent donc

dans une sorte de continuité, les trois premiers films permettant à Aranda

de réaliser des essais destinés à être repris dans ce qui doit être un

aboutissement. Mais ce n'est pas tout. Le spectateur attentif aura la

surprise de découvrir la présence dans Libertarias d'un dénommé Faneca

déjà évoqué dans El amante bilingüe. Il s'agissait alors du nom

d'emprunt du personnage principal Joan Marés. Faneca est, on le sait, le

second patronyme de l'auteur du roman qui inspira El amante bilingüe,

Juan Marsé. Le retour de ce nom dans Libertarias peut s'interpréter

comme un second coup de chapeau à !'écrivain. Un signe d'amitié

facétieux tout de même puisque le dénommé Faneca est désormais un

« chorizo » sorti depuis peu de prison et sexuellement en manque. Autre

coïncidence entre les deux films : c'est le personnage incarné par Loles

Le6n qui se charge dans El amante bilingüe comme dans Libertarias de

satisfaire les instincts charnels du dénommé Faneca.

Bien sûr, les auto-citations confirment la cohérence de !'oeuvre et

démontrent dans le cas de Libertarias, où elles sont particulièrement

nombreuses, la constance d'un auteur qui mûrit son projet depuis vingt

ans. Mais elles sont aussi - le dernier exemple en témoigne - un clin

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Jean-Paul AUBERT

d'oeil adressé au spectateur qui se voit récompensé de sa fidélité, et avec

lequel Aranda parvient à établir une forme de connivence fondée sur la

mémoire.

Le casting est également de nature à favoriser les analogies et les

réminiscences. La fidélité de Vicente Aranda pour celle qui sera jusqu'à

Libertarias son actrice fétiche, Victoria Abri! est bien connue. La

comédienne a tourné sous sa direction neuf films et deux séries télévisées.

Elle est donc présente dans la moitié des long-métrages réalisés à ce jour

par Vicente Aranda, dans trois-quarts des films tournés depuis leur

rencontre dans Cambio de sexo (1976). Mais elle n'est pas la seule à

bénéficier de la fidélité du réalisateur. Imanol Arias a participé à cinq

longs-métrages, Jorge Sanz à quatre films ainsi qu'à la série télévisée Los

jinetes del alba, Loles Le6n à trois films, etc. Ainsi, la récurrence de ces

visages dans l'ensemble de !'oeuvre confère à celle-ci une unité notable.

Mais surtout, le choix de comédiens connus dont la présence dans

l' oeuvre arandienne se répète, influence la perception du spectateur dont la

mémoire est une nouvelle fois mise à contribution. Parce que chaque

acteur garde en lui la trace des rôles qu'il a précédemment interprétés, le

spectateur est tenté de déceler, dans toute nouvelle interprétation, l'indice

d'une permanence. Et cela d'autant mieux que le réalisateur l'y invite.

Montrer combien le personnage qu'interprète Victoria Abri! dans

Libertarias se nourrit de tous ses rôles précédents mais aussi de l'image

publique que la comédienne a su donner d'elle-même dépasserait le cadre

de ce travail. Cependant on comprend aisément que l'anarchiste spiritiste

et boiteuse qu'elle incarne dans Libertarias évoque les figures

passionnées et rebelles, drôles et impertinentes auxquelles elle a prêté son

visage dans des films tels que Cambio de sexo, La muchacha de las

bragas de oro ou Amantes. Cela est encore plus évident s'agissant de

Jorge Sanz que le spectateur fidèle à Aranda aura pu voir, dans un rôle de

combattant sur les barricades des Asturies dans Losjinetes del alba avant

de le retrouver en milicien dans les tranchées aragonaises de Libertarias.

Aranda parvient à réunir les deux acteurs dans quatre films, Los Jinetes

del Alba, Si te dicen que cai, Amantes et Libertarias, ce qui ne manque

pas de donner aux rencontres amoureuses entre les personnages qu'ils

incarnent un air de déjà-vu. En utilisant une spécificité du cinéma - cette

valeur particulière du personnage-comédien -, Aranda confirme une

démarche qui est déjà présente dans l'hommage qu'il rend à la mémoire

collective des vaincus et dans les références intertextuelles. Le réalisateur

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Les enjeux de la mémoire dans l'œuvre de V. Aranda

invite le spectateur de ses films à les « regarder en même temps qu'avec

ses yeux avec sa mémoire », selon la formule de Proust.

SE SOUVENIR, C'EST CREER

Libertarias fait oeuvre de mémoire mais ne propose pas à proprement

parler de réflexion sur la mémoire. Cette réflexion, il nous faut aller la

chercher dans des films précédents dont certains tentent de mettre à nu le

processus de mémorisation. Il ne s'agit pas seulement de mettre en image

le passé mais de montrer comment ce passé se loge dans les creux du

présent, comment la rencontre de lieux, d'objets, d'êtres, réactive des

souvenirs souvent traumatiques que l'on croyait enfouis à jamais. Nous

avons déjà évoqué les rencontres faites par le détective Carvalho au cours

de son enquête dans Asesinato en el comité central. Dans La muchacha

de las bragas de oro, ce sont les objets retrouvés par le chien de

!'écrivain, des photographies, un revolver, un rasoir, etc, qui viennent

réactiver ses souvenirs. Dans Si te dicen que cai, c'est l'arrivée à la

morgue des cadavres de Daniel Javaloyes et de sa compagne qui amène le

médecin légiste à revivre les années tristes de l'après-guerre. Le souvenir

surgit de ces télescopages entre le passé et le présent provoqués par la

découverte d'objets oubliés, des rencontres fortuites, qui agissent telles

des machines à remonter le temps. On retrouve là une réflexion sur la

mémoire involontaire, conceptualisée par Bergson, décrite par Proust, à

nouveau précisée par les travaux plus récents de Gilles Deleuze ou d'Anne

Muxel l . L'écriture filmique a l'ambition à son tour de traduire le

caractère aléatoire, fragmentaire et nécessairement subjectif des souvenirs.

De nombreux films nous livrent en effet une réalité filtrée par le regard

d'un narrateur diégétique dont on se plaît à souligner les défaillances, les

oublis ou les mensonges. Dans Si te dicen que cai le réalisateur ne se

contente pas de juxtaposer des points de vue parfois contradictoires. Le

film lui-même traduit l'opacité du réel dans ses ruptures, son absence de

linéarité, son incomplétude, sa confusion voulue et entretenue. Les

aventis, ces histoires que s'inventent les enfants, tissent un univers

1 Voir Gilles Deleuze, Proust et les signes, Paris, Presses Universitaires de France, coll.

« Perspectives critiques», Paris, 1964 ; Elisabeth R. Jackson, L 'Evolution de la mémoire

involontaire dans /'oeuvre de Marcel Proust, Paris, CNRS, 1966 ; Henri Bergson, Matière et

mémoire, Paris, P.U.F., 1997 ; Anne Muxel, Individu et mémoire familiale, Paris, Nathan, coll.

« Essais et recherches », série « Sciences sociales », 1996.

HISP. XX - 17 - 1999 133

Jean-Paul AUBERT

ambigu où s'entremêlent inextricablement la réalité et la fiction. Dans

Brillante parvenir, le récit remémoré par le protagoniste est contredit à la

dernière minute par un autre personnage sans que pour autant se dégage de

vérité absolue. Ce ne sont là que quelques exemples dans une oeuvre qui

fait la part belle aux personnages des faussaires et des menteurs, aux jeux

de miroirs et de masques, au thème du double, à la théâtralité, à la

confrontation incessante des apparences et de la réalité. Aranda lui-même

semble revêtir l'habit du trompeur et s'amuse à remettre en cause des

certitudes qu'il a contribué à faire naître. Ainsi dans El Lute camina o

revienta, la relation des aventures d'El Lute, adopte un ton épique, et

puise volontiers aux sources d'une mémoire collective elle-même

alimentée par la presse de l'époque et l'autobiographie d'Eleuterio

Sanchez. L'épopée du hors-la-loi, épris de liberté, héros de la lutte anti­

franquiste est alors présentée comme véridique puisque émanant d'un récit

impersonnel qui semble porteur d'une vérité en soi. Or, cette version des

faits, qui ne semblait pas devoir être mise doute, est contredite par le

second long-métrage consacré au Lute, El Lute, manana seré libre.

L'image d'Epinal se fissure pour laisser apparaître la figure moins

glorieuse d'un personnage conformiste, misogyne, aspirant à la

tranquillité d'un confort petit-bourgeois. Aranda remet en cause des

certitudes et laisse au spectateur le soin de choisir ou de ne pas choisir

entre des interprétations distinctes et parfois contradictoires d'une réalité

toujours complexe. La démonstration est faite une nouvelle fois qu'il n'y

a de vérité que relative.

Dans ces exemples, les souvenirs prennent l'apparence de fragments,

le plus souvent épars, d'un passé qui ne se livre que dans un processus de

reconstruction aléatoire et subjectif et ouvre la voie aux mensonges, aux

hallucinations, à ! 'idéalisation, en un mot à la création. De fait, la mise

en abyme de l'acte de création, substitut de la mémoire, est récurrente

dans !'oeuvre de Vicente Aranda. C'est, nous l'avons vu, !'écrivain Luis

Forest qui s'invente une vie qu'il n'a pas eu le courage de mener. Ce

sont dans Si te dicen que cai, les aventis, qui n'offrent de la réalité

qu'une mise en scène.

C'est à la lumière de ce discours réitéré sur la subjectivité du réel et la

relativité de la vérité qu'il faut revoir Liber/arias. Sans doute, sommes­

nous enclins à considérer que cette oeuvre va à contre-courant de la vision

ouverte et non dogmatique du monde que proposent les films précédents.

Du reste, la critique ne s'est pas privée de reprocher à ce film ce qu'il

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Les enjeux de la mémoire dans l'œuvre de V. Aranda

revendiquait haut et fort, à savoir son manichéisme 1 . Or, si Aranda

s'autorise dans Libertarias un regard partisan sur l'histoire, n'est-ce pas

qu'à ses yeux, toute reconstitution du passé qui prétendrait à l'objectivité

relèverait de la supercherie ? Libertarias affiche son parti pris jusqu'à

l'excès. Au point qu'il faut se demander si la mythification de Durruti,

l'assimilation des textes de Bakounine aux paroles de l'Evangile ou la

scène, inspirée du cinéma fantastique, montrant Floren possédée par

l'esprit de Mateo Morral ne tiennent pas de la dérision voire de la

loufoquerie. La croyance du spectateur en la fidélité de la représentation

n'est plus de mise. Il semble évident que la reconstitution historique cède

ici le pas à la créativité et à l'ironie du réalisateur. De fait, Libertarias ne

se cache pas d'être le fruit d'un travail de création. Cette ambition se

réalise au prix d'une contradiction entre le pacte de lecture sous-entendu

par le titre qui décrit une entité dépersonnalisante d'où le vedettariat

semble exclu et l'emploi de comédiens connus. Libertarias fait en effet la

part belle au jeu de l'acteur et met en évidence ses capacités

interprétatives. C'est là une démarche qui se situe aux antipodes de celle

de Land and Freedom de Ken Loach, dont on a pourtant rapproché le film

de Vicente Aranda. Le réalisateur britannique s'appuie, quant à lui, sur un

éventuel effet de mimétisme entre des acteurs non-professionnels, recrutés

dans les milieux populaires et progressistes, et les personnages. Or, loin

de fonder le film sur une identification entre personnages et comediens,

Aranda fait appel au travail de composition. Derrière le masque du

personnage il est encore possible de distinguer le visage connu d'un

comédien. La présence de la star ne fait pas que solliciter la mémoire du

spectateur cinéphile. Elle produit également un effet de distanciation à

l'égard du récit en rappelant que tout personnage est le résultat d'une

interprétation. Autrement dit, le recours à des comédiens connus pour

leurs précédents rôles ou leur statut de vedette est, au même titre que la

musique, le texte d'avertissement au lecteur, la dramatisation du récit, les

multiples auto-citations, une affirmation de la présence de l'énonciateur et

de la subjectivité du discours. De sorte qu'en dépit des apparences,

Libertarias ne contredit pas l'affirmation contenue dans les films

précédents : se souvenir, c'est créer.

Lire, par exemple, Xavier Ripoll, « Los Milicianos en el cine », art. cit. ou Magi Crusells, « La

Utopia durante la guerra civil espaîiola no fue solo cosa de hombres», Filmhistoria, vol. VI, n°3,

1996, pp. 295-299.

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Jean-Paul AUBERT

Le caractère presque obsessionnel de la mémoire dans l 'oeuvre de Vicente Aranda, la façon dont elle conditionne le discours et s'érige en thème à part entière dans plusieurs de ses films confirment l'appartenance de l'auteur à une génération de créateurs marquée par le passé. Aranda

partage avec Carlos Saura, mais aussi avec Antonio Rabinad et Juan Goytisolo qui furent ses amis, ou avec Manuel Vazquez Montalban et Juan Marsé dont il adapta plusieurs romans, une même angoisse face à l'oubli, volontaire ou involontaire, une même « ténacité à autopsier sans cesse le même cadavre » selon les propres mots de Juan Marsé1 . Cette mémoire, dont Jean Téna a montré qu'elle était le « mot-clé d'une génération» est au centre de !'oeuvre de Vicente Aranda

2• Avec ses

avatars que sont l'oubli ou l'amnésie, elle fait l'objet d'une réflexion qui prend une ampleur singulière dans des films réalisés pendant la période de transition. Libertarias annoncé et anticipé par plusieurs films, témoigne de l'obsession du réalisateur de faire revivre un passé ignoré ou nié. Mais il n'est pas que cela. On comprend que ce film dans lequel se lit une forte implication personnelle de l'auteur et qui sollicite à chaque instant la mémoire du spectateur, se veut avant tout un hommage à la mémoire de ceux qui furent doublement vaincus, défaits par le franquisme et oubliés par l'histoire. Dès lors, Libertarias ne doit pas être vu comme une reconstitution historique, mais comme un nouvel exemple d'une mise en image, nécessairement partiale et subjective, de la mémoire.

Juan Marsé, Seiioras y seiiores, Barcelone, Tusquets, 1988, cité par Jean Tena, « Carlos Saura et

la mémoire du temps escamoté », Les Cahiers de la Cinémathèque, n° 38-39, hiver 1984, p. 125. 2

Jean Tena, art. cil., pp. 123-130.

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