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Les Esséniens et l'arrière-fond historique de la parabole du Bon Samaritain Author(s): Constantin Daniel Source: Novum Testamentum, Vol. 11, Fasc. 1/2 (Jan. - Apr., 1969), pp. 71-104 Published by: BRILL Stable URL: http://www.jstor.org/stable/1560214 . Accessed: 14/06/2014 10:24 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . BRILL is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Novum Testamentum. http://www.jstor.org This content downloaded from 195.34.79.223 on Sat, 14 Jun 2014 10:24:27 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Les Esséniens et l'arrière-fond historique de la parabole du Bon Samaritain

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Les Esséniens et l'arrière-fond historique de la parabole du Bon SamaritainAuthor(s): Constantin DanielSource: Novum Testamentum, Vol. 11, Fasc. 1/2 (Jan. - Apr., 1969), pp. 71-104Published by: BRILLStable URL: http://www.jstor.org/stable/1560214 .

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LES ESSENIENS ET L'ARRIFRE-FOND HISTORIQUE DE LA PARABOLE DU BON

SAMARITAIN

PAR

CONSTANTIN DANIEL Bucarest

Vers la fin de l'epoque du second Temple les ,,homines religiosi" juifs apparaissent dans nos sources historiques divises en plusieurs partis ou sectes politico-religieuses, rivales et menant une lutte plus ou moins ouverte entre eux.

Ces faits ressortent clairement du N.T. ou les Pharisiens sont les adversaires des Sadduceens 1), et d'autre part les Pharisiens sont nettement hostiles aux Zelotes 2). De meme les Sadduceens, parti- sans de l'ordre etabli etaient violemment hostiles aux Zelotes, selon le N.T. 3).

En ce qui concerne la secte des Samaritains, le N.T. fait voir aussi la haine profonde des ,,homines religiosi" juifs a leur egard et les rapports tres tendus entres eux 4). De meme, les hommes simples sans culture religieuse les 'am ha-'ares qui ne suivaient ni la ,,tra- dition" des Pharisiens ni les prescriptions de la Loi, etaient meprises et hais par les Pharisiens, qui se tenaient a l'ecart d'eux en les considerant comme impurs 5).

La rivalite entre Pharisiens et Sadduceens n'avait pas diminue du fait que le Sanhedrin etait compose tant des uns que des autres 6),

et du fait qu'ils faisaient souvent cause commune contre une autre

1) Mt. xxii 34 et surtout Actes xxiii 7, 8 et 9. 2) Cfr. le discours du Pharisien Gamaliel dans Actes v 34-37 concernant

le cr6ateur de la secte des Z61otes Juda le Galil6en. De meme les Pharisiens veulent prouver dans Mt. xxii 16; Mc. xii 14 et Lc. xx 22 que le Christ est Zelote et enseigne de ne pas payer l'impot a C6sar, ce qui signifie qu'ils sont hostiles aux Z1lotes.

3) Cfr. les paroles de Caiphe qui accuse au fond le Christ d'etre un agitateur Z6lote. (Io., xi 48-49).

4) Io. iv 9; Lc. ix 52-55. 5) Lc. xviii i ; Mt. ix I et Lc. v 30. 6) Io. xi 47.

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CONSTANTIN DANIEL

secte 1) comme celle des Zelotes, ou contre Celui qu'ils croyaient le fondateur d'une heresie nouvelle 2), le Christ. Puisque pour lutter contre cette nouvelle ,,secte" et contre Jesus, les Pharisiens prennent conseil et agissent de concert non seulement avec les Sadduceens, mais aussi avec les membres d'un parti qui devait etre hai au supreme degre par les autres sectes, les Herodiens 3). Ceux-ci, de par leur nom m6me, devaient &tre en but a l'hostilite de tous les ,,homines religiosi" juifs, comme le fut aussi celui dont ils tiraient leur nom, Herode le Grand 4), dont la date de la mort (2 Scheboth) fut consacre comme une fete religieuse 5).

Sans doute le N.T. insiste longuement sur l'hostilite des Phari- siens et des Sadduceens envers le Christ, qu'ils consideraient comme le fondateur d'une secte rivale 6), et aussi envers Ses disciples puis plus tard, envers l'Eglise primitive 7), envisagee comme un parti religieux.

Les oeuvres de Josephus Flavius representent de m6me des sources historiques importantes pour etudier les divisions profondes existant entre les ,,homines religiosi" juifs et les luttes sanglantes qui ont eu lieu entre les membres des differentes sectes juives, a l'epoque de la guerre avec les Romains, mais aussi avant cette epoque. Le roi Alexandre Jannee (103-76 avant J.Chr.), rapporte Josephus Flavius, etait ami des Sadduceens dont il recrutait ses conseillers et ses dignitaires et il avait tue nombre de Pharisiens dans des repressions cruelles 8). Apres sa mort sous le regne de sa femme Salome Alexandra (76-67 avant J.Chr.) les Pharisiens reprennent le pouvoir et leurs dignitees et commencent a tuer un

1) ,,Dans bien des cas, les divisions economiques et politiques sousjacentes 6taient si manifestes qu'elles 6clipsaient la disparit6 de croyance elle meme. Seule la toute puissante r6ligiosit6 de l'6poque les contraignit d'assumer une coloration r6ligieuse. Cependant une fois que la non-conformit6 r6ligieuse s'6tait 6tablie, la violence de la lutte 6tait intensifi6e par l'ardeur du fana- tisme sectaire... Nous avons vu que l'animosit6 politique existant entre sadduc6ens et pharisiens pouvait atteindre un haut degr6 et de temps a autre conduire a la guerre civile declar6e". S. W. BARON, Histoire d'Israel, Paris, I957, tome II, p. 637.

2) Mt. xvi i. 3) Mc. iii 6; Mc. xii 13 et Mt. xxii I6. 4) A l'exclusion des Ess6niens qui furent au contraire prot6ges et combles

de faveurs par H6rode le Grand. Voir infra. 5) J. COHEN, Les Pharisiens, Paris, 1877, tome I, p. 374. 6) Lc. xix 47; Mt. xxi 45, 46; Mc. xi I8; Io. vii I9 etc. 7) Actes iv 2, v 17, vi 12, vii I, ix 2, etc. 8) Ant. Jud. lib. XIII, cap. XIV, ? 2, No. 380.

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grand nombre parmi leurs adversaires Sadduceens 1). Cependant apres la mort de la reine Salome Alexandra, la guerre civile entre Aristobule, ami des Sadduceens 2) et son frere Hyrcan soutenu par les Pharisiens a sans doute attisse d'avantage la haine entre ces deux partis politico-religieux, qui cependant apres la prise de Jerusalem par Pompee (63 avant J.Chr.) durent appaiser leurs haines quelque peu.

Herode le Grand (34-6 avant J.Chr.) opprima tout le peuple, mais il fut particulierement hostile aux Sadduceens dont il executa un nombre important au debut de son regne m'me 3). Les Pharisiens ne furent menages non plus par le grand tyran, et ils poursuivirent de leur haine Herode le Grand tout au long de son regne 4). Mais le roi protegeait et comblait de faveurs, selon l'expression de Philon d'Alexandrie, les membres de la troisieme grande secte, les Esseniens, qu'il estimait plus qu'une personne humaine mortelle, selon les paroles de Josephus Flavius 5).

Par suite la haine des Pharisiens et des Sadduceens contre les Esseniens, ces proteges du grand tyran, devait etre des plus puis- santes, d'autant plus que cette haine datait depuis longtemps deja, comme l'ont prouve les ecrits esseniens trouves pres de la Mer Morte.

Cependant la lutte entre les partis politico-religieux commenga par les armes a la veille et pendant la guerre avec les Romains (66-71 apres J.Chr.) et Josephus Flavius relate les executions des partisans de la paix avec les Romains a Jerusalem 6), qui sans doute etaient des Sadduceens et peut-etre aussi des Pharisiens, puis il raconte longuement les combats sanglants entre Zelotes et Sicaires7).

Les traites du Talmud temoignent bien souvent de la rivalite et meme de la haine entre les differents partis politico-religieux au

') Ant. Jud. lib. XIII, cap. XVI, ? 2, No. 411.

2) Ant. Jud., Ibidem, No. 4II. D'ailleurs cela ressort du fait qu'Aristobule commence par se r6volter contre le gouvemement de sa mere, qui etait dirig6 par les Pharisiens. Cfr. aussi Ibidem, No. 423 ou Aristobule craignait que sa mere morte, tous ses parents fussent au pouvoir des Pharisiens.

3) Ant. Jud. lib. XV, cap. I, ? 2, No. 6. 4) Ant. Jud. lib. XV, cap. x, ? 4, No. 370; Ant. Jud. lib. XVII, cap. II,

? 4, No. 42; Ant. Jud. lib. XVII, cap. VI, ? 2, No. I49 sq. 5) Ant. Jud. lib. XV, cap. X, ? 4, No. 372. 6) Bellum Jud. lib. IV, cap. III, ? 4, No. I39-I42; Bellum Jud. lib. IV,

cap. III, ? 5, No. 146. 7) Bellum Jud. lib. IV, cap. IX, ? 5, No. 514; Ibidem, lib. V, cap. I, ? 4,

No. 21 sq.; Ibidem, lib. V, cap. III, ? i, No. IoI etc.

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premier siecle avant et apres Jesus Christ. En effet les livres du Talmud, d'inspiration exclusivement pharisienne, montrent leur mepris envers les Sadduceens en les nommant des appellations les plus infamantes 1), et les membres des autres sectes, qu'il est difficile d'identifier exactement, sont nommes aussi par des sobri- quets insultants, ce qui d'ailleurs rend si difficile leur identification exacte. D'autre part les 'am ha-'ares, sont souvent consideres comme impurs par les rabbins pharisiens 2). De nombreux passages de la Michna montrent de meme l'hostilite profonde contre les Samaritains, qui evidemment sont compris avec les autres hereti- ques membres des sectes rivales et hostiles aux Pharisiens, dans le douzieme verset de la priere des dix-huit benedictions (semone 'esre). Nous savons que cette formule contre les sectes heretiques fut introduite dans la priere des dix-huit benedictions par le R. Gamaliel II aux environ de 85-90 apres J.Chr., et par sa violence elle prouve bien l'hostilite irreductible des Pharisiens contre les autres sectes: ,Que les Minim et les Nozrim perissent en un instant, qu'ils soient effaces du livre de la vie et ne soient pas comptes parmi les justes. Beni sois-Tu Eternel Qui abaisse les orgueilleux." Par Minim il faut comprendre les autres sectes, les heretiques qui n'etaient pas Pharisiens, et par Nozrim les chretiens 3).

D'ailleurs la division en des nombreuses sectes qui se haissaient profondement, avant la prise de Jerusalem, a ete affirme par des nombreux rabbins dans le Talmud, qui ont vu dans cette division et dans ces luttes entre freres, la cause essentielle de la catastrophe nationale de l'an 70 apres J.Chr. C'est ainsi que R. Johannan ben Zakkay affirme: ,,Israel ne pouvait pas etre aneanti s'il ne s'etait pas cree vingt-quatre communautes heretiques" 4). De meme R. Johannan ben Toreta se demande aussi tristement: ,,... Mais

pour les (Juifs) du second Temple, nous savons qu'ils etudiaient studieusement la Torah et qu'ils observaient rigoureusement l'obligation des dimes pourquoi donc furent-ils exiles ? Parce qu'ils aimaient mamon et qu'il se haissaient les uns les autres" 5).

1) J. COHEN, Les Pharisiens, Paris, 1877, t. I, p. 5; t. II, p. 359. Vide et: E. RENAN, Vie de Jesus, Paris, 1895, p. 226.

2) Dans le trait6 Berakhot, 47 b, on peut lire qu'il est d6fendu de prononcer la priere a table avec les b6n6dictions attenantes si l'une des trois personnes assises i table est un Cam ha-'ares.

3) MARCEL SIMON, Le ,,Christianisme, naissance d'une categorie histori- que", dans la Revue de l'Universite de Bruxelles, No. 5, 1966, p. 408.

4) Jer. Sanhedrin 29 c. 5) Menahot, XIII, 22, 533 s. cfr. b. Yoma, 9. apud S. W. BARON, op. cit.,

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I. Les manuscrits esseniens trouves pres de la Mer Morte et aussi le Document de Damas sont venus confirmer d'une maniere eclatante la realite de cette profonde division des ,,homines religiosi" juifs et des haines tenaces qui les separaient.

L'on sait que les manuscrits esseniens nomment les partis politico-religieux rivaux, a l'aide de noms plus ou moins cryptiques, mais assez clairs toutefois pour que nous puissions comprendre de qui il s'agit. En effet les Pharisiens sont designes sous le nom de ,,chercheurs d'allegements" 1) comme l'a montre JEAN CARMIGNAC ). D'autres fois, les Pharisiens sont appeles3) ,,les hommes de relachement" 4) ou encore ,,les interpretes d'aberra- tion" 5). Cependant les Sadduceens paraissent nommes dans les ecrits esseniens de noms plus insultants encore ,,interpretes de mensonge" 6) ou encore le nom de ,,congregation des hommes d'insolence" 7) parait se rapporter egalement aux Sadduceens, car

tome II, Paris, 1957, P. 708. Cependant Max Dienemann, dans l'article CAm Ha 'arez du Jiidisches Lexikon, Berlin, I927, tome I, col. 277-278, emet des doutes concernant la profondeur de ces scissions et leur signification.

1) Interpretation d'Isa,ie, IVe manuscrit, Io; Hymnes, II, 32; II, I5. Pesher de Nahum, I, 2, 7; II, 2, 4; III, 3, 6-7; Doc. de Damas, I, i8. ,,Les chercheurs d'allegement" sont incontestablement les Pharisiens, puisque dans l'Interpr6tation de Nahum, I, 2 (4 Q p. Nah) nous lisons: ,,ceci s'inter- prete au sujet de Demetrios roi de Yawan qui a cherch6 a venir a Jerusalem grace au conseil des chercheurs d'allegements". Or le roi Demetrios est le roi Demetrios III Eucairos de Syrie (94-88 avant J6sus Christ) qui fut sollicit6 par les Pharisiens (Bellum Judaicum, lib. I, cap. V, ? 2-3, No. I1O-II4; Ant. Jud. lib. XIII, cap. XVI, ? 2, No. 408-411) de venir en Jud6e pour combattre Alexandre Jann6e. II s'agit done bien des Pharisiens, d'autant plus que le texte de 1'Interpr6tation de Nahum (I, 7, 8) parle du fait que les chercheurs d'all6gements furent ,,suspendus vivants". Or on sait que le roi Alexandre Jann6e a crucifi6 huit cent Pharisiens (Bellum Jud. lib. I, cap. IV, ? 6, No. 97) Cfr. aussi: J. CARMIGNAC, 1. COTHENET et H. LIGNEE, Les Textes de Qumran, Paris, 1963, tome II, pp. 85, 86 et 87.

2) J. CARMIGNAC, ,,Les elements historiques des Hymnes", Revue de Qumran, tome II, No. 2, pp. 205-222 et surtout 216-222.

3) Nous suivons partout dans ce travail la traduction de JEAN CARMIGNAC et ses collaborateurs des textes de Qumran. J. CARMIGNAC et P. GUILBERT, Les Textes de Qumran, Paris, 1961, vol. I; J. CARMIGNAC, E. COTHENET et H. LIGNIE, Les Textes de Qumran, Paris, I963, vol. II.

4) Hymnes, XIV, 14. 5) Hymnes, II, 14. 6) Hymnes, II, 3I-32 ,,et Tu m'as d6livr6 de la jalousie des interpretes

de mensonge et de la bande des chercheurs d'all6gements". Comme ces derniers sont les Pharisiens, les premiers sont sans doute les Sadduc6ens, car il n'y avait que ces deux sectes outre celle des Ess6niens.

7) Interpretation d'Isaie, II, o1 ,,congregation des hommes d'insolence qui est a Jerusalem".

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les Pharisiens vivaient dans tout le pays, et de plus etant des

representants de la classe moyenne, ils ne pouvaient pas avoir ,,l'insolence" des aristocrates sadduceens. Enfin l'appellation de ,,batisseurs de murailles" 1) semble aussi designer les Sadduceens 2),

puisque ce furent les rois asmoneens soutenus par les Sadduceens

qui ont construit les murailles de Jerusalem. Les Zelotes apparaissent nommes d'une maniere assez claire

dans les Hymnes, puisqu'ils reSoivent le nom de ,,brigands" 3)

appellation des Zelotes dans les oeuvres de Josephus Flavius et dans le N.T. aussi comme nous le montrerons plus loin. Quant aux Samaritains appeles souvent dans le A.T. ,,Ephraim" car ils

occupaient le territoire octroye a Ephraim le fils de Josephe, ils semblent aussi nommes ,,Ephraim" dans certains ecrits esseniens 4), mais il parait assez probable que dans d'autres ecrits esseniens

,,Ephraim" designe la ,,maison de Peleg" la maison de division, selon le sens en hebreu et en arameen de ce verbe ,,palag". C'est a dire que dans d'autres ecrits esseniens il faut entendre par ,,Ephraim" 5) un groupe dissident essenien qui s'est separe de la

,,maison de Juda" comme se nommaient eux memes les Esseniens

(en considerant qu'eux seuls sont la vrai maison de Juda, c.a.d. les

1) Doc. de Damas, IV, I9-2I; V, 59 et VIII, i8. 2) Cf. aussi: J. CARMIGNAC. E. COTHENET et H. LIGNEE, Les Textes de

Qumran, Paris, 1963, tome II, pp. I62-I63, notes 20, 23 et 24. 3) Hymnes, VI, 20-2I; Hymnes, IV, 25, 26; Hymnes, III, 24-26; Hymnes,

IV, 34-35, Hymnes, V, 9-Io. 4) Interpretation d'Osee, 2e manuscrit, (4 Q p. Os. a) ,,le pretre futur qui

6tendra la main pour frapper Ephraim". 5) Interpretation de Nahum, II, 2; II, 8 et III, 5: ,,les simples d'Ephraim

s'enfuiront du milieu de leur bande, ils abandonneront ceux qui les 6garaient et ils se rallieront a Israel". Or nous savons que dans les textes de Qumran, Israel, le vrai Israel, est la secte de Qumran. IL semble cependant que ces dissidents Ess6niens (nomm6s maison de Peleg ou encore Ephraim) se sont unis aux gens qui habitaient le territoire octroy6 a Manasse c'est a dire la Galil6e, donc aux Galil6ens qui sont les Z1lotes. Car dans l'Interpretation de Nahum, IV, i nous lisons: ,,la maison de Peleg qui s'est associe a Manasse" ou encore dans l'Interpretation du Psaume 37, I, 18-19 ,,ceci s'interprete au sujet des impies d'Ephraim et de Manasse qui chercheront a mettre la main sur le pretre et sur les hommes de son association au temps de la fournaise". Nous croyons que ces textes prouvent une fois de plus, l'hostilit6 violente entre Ess6niens et Zl6otes, car Manasse semble etre le sobriquet donn6 aux Z6lotes. Puisque c'est la tribu de Manasse qui avait obtenu le territoire de la Galil6e, et les Z61otes secte fond6e par Judas le Galil6en sont nommes souvent Galileens d'apres le nom de leur fondateur, et du fait que beaucoup de Z1lotes etaient originaires de la Galilee, ou pris naissance le mouvement z6lote en 6 apres Jesus Christ.

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vrais Juifs) de la m6me maniere qu'Ephraim s'est separe du royaume de Judee apres la mort du roi Solomon.

Ces appellations insultantes montrent assez les sentiments des Esseniens envers les sectes rivales. Mais les ecrits esseniens nous montrent aussi l'oppression, la persecution et les souffrances de toutes sorte que ces sectateurs ont eu a subir de la part des membres des sectes rivales, Sadduceens, Pharisiens, Zelotes et Samaritains ou encore de la maison de Peleg (= Ephraim) c'est a dire de la

part des dissidents esseniens. En effet dans les Hymnes, IV, o1 nous lisons: ,,ils (les interpretes

de mensonge) et les voyants de relachement ont machine contre moi (des machinations) de Belial." Dans ce passage il s'agit des

persecutions et des sevices que les Esseniens ont eu a subir de la

part des Sadduceens et des Pharisiens. Ou encore nous lisons dans les Hymnes V, 17: ,,Les plus impies des puissants se sont rues sur moi avec leurs tourments et tout le jour ils broyaient mon ame". Comme ,,les puissants" sous les rois asmoneens etaient les Saddu- ceens, et que meme plus tard apres le regne d'Herode le Grand, leur fortune et leur appartenance a l'aristocratie justifiaient cette

appellation de ,,puissants" il est probable qu'il y a dans ce passage une allusion aux persecutions des Sadduceens.

Et aussi dans Hymnes II, 31-33 il y a ces versets: ,,et Tu m'as delivre de la jalousie des interpretes de mensonge et de la bande des chercheurs d'allegements. Tu as libere l'ame du pauvre qu'ils avaient projete de supprimer, en repandant son sang a cause de Ton service". II semble que ,,le pauvre" comme le pronom singulier de la premiere personne, soient des singuliers collectifs, et qu'il s'agit non seulement du Maitre de Justice mais aussi, comme il est logique, de ceux qui etaient ses amis et suivaient sa doctrine, donc des Esseniens et de leur secte. D'autre part si les ,,chercheurs d'allegements" sont les Pharisiens comme nous l'avons montre, ,,les interpretes de mensonge" paraissent bien etre les Sadduceens, puisqu'il n'y avait que ces deux sectes rivales (outre les Esseniens) qui pouvaient etre nommees de ce nom, et que les Sadduceens de meme que leurs ,,patrons" les rois asmoneens paraissent tres hais par les Esseniens 1).

Certes dans les Hymnes et dans le Document de Damas, un

1) Doc. de Damas, VIII, 18 ,,Mais Dieu hait et d6teste les Batisseurs de Muraille et Sa colere s'est enflamm6 contre eux et contre tous ceux qui les suivent."

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certain nombre de passages accusent ,,les hommes de la fosse" 1), ,,la bande de Belial" 2), ,,la bande des mechants" 3) et ,,les fils de culpabilit" 4) d'avoir persecute et fait souffrir beaucoup les Esseniens. Mais il est plus difficile d'attribuer ces appellations a des sectes politico-religieuses bien determinees et il nous semble plus probable que ces noms se rapportent aux ennemis des Esseniens en general, donc a tous les ,,homines religiosi" hostiles a la secte.

Par contre il est tres vraisemblable que les Zelotes en general, c'est a dire les rebelles juifs qui combattaient dans le desert meme avant la creation de la secte des Zelotes proprement dite (en l'an 6 apres J.Chr. par Judas le Galileen et le Pharisien Sadoq) sont mentionnes d'une facon assez claire dans plusieurs versets des Hymnes, etant nommes de l'appellation qu'on leur donne dans le N.T. et par Josephus Flavius aussi, ,,les brigands". Ainsi dans les Hymnes, III, 24-26 ,,l'ame du pauvre a sejourne parmi beaucoup de tribulations et des malheurs terribles ont accompagne ma marche quand se sont ouverts tous les pieges de la fosse, et que se sont etendus tous les lacets de l'impiete et le filet des brigands". Dans ce passage ,,le pauvre" represente, avec un singulier collectif evidemment, les Esseniens qui se nommaient eux meme ,,les pauvres", et ,,les brigands" sont sans doute les memes dont parlent le N.T. et Josephus Flavius. Ou encore l'on peut lire dans les Hymnes IV, 34-35: ,,quand s'elevaient les impies contre Ton alliance et les brigands contre Ta parole". Dans ce texte ,,Ton alliance" est la secte des Esseniens, et ,,les brigands", les Zelotes ou encore les combattants dans le desert qui ont precede les Zelotes proprement dits.

I1 est evident que ces passages des ecrits esseniens font allusion aux persecutions ,,terribles" dont ces sectateurs ont ete en but, de la part des autres sectes juives. Et l'on peut comprendre de ces passages que maint Essenien a ete tue par les adversaires de la secte et qu'ils ont eu reellement a souffrir des ,,malheurs terribles" de la part des ,,homines religiosi" qui ne partageaient pas leurs doctrines.

Mais toutes ces repressions et ces poursuites ont eu comme effet de creer chez les Esseniens une haine violente contre leurs adver-

1) Hymnes, II, 21. 2) Hymnes, II, 22. 3) Hymnes, II, 12.

4) Hymnes, VII, iI.

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LA PARABOLE DU BON SAMARITAIN

saires, les membres des sectes rivales, et nous lisons avec etonne- ment dans les ecrits esseniens, l'expression de cette haine tenace contre les Pharisiens, les Sadduceens, les Zelotes, les Sama- ritains et contre les dissidents esseniens. C'est ainsi que JEAN CARMIGNAC a demontre l'existence d'un poeme allegorique special dirige contre les Pharisiens ou l'auteur essenien presente cette secte rivale des Pharisiens sous les traits d'une odieuse prostituee. 1) Ce poeme essenien veut inspirer l'horreur de la secte des Pharisiens qui ,,detournent les faibles loin de Dieu" et qui ,,inflechit leurs pas hors des chemins de la justice".

De meme dans la Regle de la Communaute, IX, 21-22, nous lisons que l'Esseniens doit nourrir ,,une haine eternelle envers les hommes de perdition, en esprit de secret". Ceux-ci sont sans doute ,,les homines religiosi" rivaux de meme que les 'am ha-'ares 2). La Regle prescrit ensuite a l'Essenien de ,,hair tous les fils des Tenebres, chacun selon sa culpabilite, dans la vengeance de Dieu" (Regle de la Communaute, I, Io-ii). Les hommes du parti de Belial, donc les adversaires des Esseniens, sont maudits d'une maniere solennelle par les levites (Regle de la Communaute, II, 4-10). Or cette haine si violente, que les Esseniens juraient de garder contre ceux qui n'etaient pas de leur secte, ne pouvait logiquement etre fondee et motivee que par les persecutions qu'ils ont eu a subir de la part de leurs adversaires, les membres des sectes rivales. Les souffrances que les Esseniens ont du subir de la part de leurs rivaux des autres sectes, l'exil dans ,,le pays de Damas" qu'ils ont du accomplir, explique parfaitement, du point de vue de ceux qui ne connaissaient pas les Evangiles, cette haine si puissante qui nous surprend tellement.

II. Cependant il nous semble que la celebre parabole du bon Samaritain (Lc. x 30 sq.) illustre d'une maniere remarquable le comportement et l'attitude des autres partis politico-religieux a l'egard des Esseniens et confirme entierement qu'il y avait une violente hostilite des autres sectes contre les Esseniens. Nous essayeront de presenter dans cette etude, justement l'arriere-fond

1) J. CARMIGNAC, ,,Poeme all6gorique sur la secte rivale", Revue de Qumran, No. 19 (1965) p. 361 sq.

2) De meme l'on prescrit a 1'Ess6nien de jurer en entrant dans la secte ,,Qu'il s'engage par l'alliance sur sa vie, a se s6parer de tous les hommes pervers qui marchent dans la voie de l'impiete" Regle de la Communaute, V, Io sq.

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CONSTANTIN DANIEL

historique de cette parabole, c'est a dire cette haine violente entre les sectes juives a l'epoque du Christ.

La parabole du bon Samaritain ne se trouve que dans 1'Evangile selon St. Luc (Lc. x 30 sq.):

,,Et voici qu'un docteur de la loi se leva pour L'eprouver disant: Maitre que dois-je faire pour heriter de la vie eternelle? Et Lui il lui dit: Dans la Loi qu'y a-t-il ecrit? Qu'y lis-tu? Celui-la en Lui

repondant Lui dit: Tu aimeras le Seigneur Dieu de tout ton cceur et de toute ton ame et de toute ta force et de tout ton esprit et ton

prochain comme toi meme. Et II lui dit: Tu as bien repondu. Fais cela et tu vivras. Mais lui voulant etre un juste dit a Jesus: Et qui est mon prochain? Prenant la parole Jesus dit: Certain homme descendait de Jerusalem a Jericho, et en (mains de) brigands tomba qui apres l'avoir devetu et provoque des blessures, s'en allerent le laissant a demi-mort. Or par hasard un pretre descendait cette route et l'ayant vu il passa outre; et pareillement un levite, en ce lieu venant et l'ayant vu, passa outre. Mais un Samaritain

qui voyageait arriva pres de lui, et l'ayant vu, eut pitie de lui, et s'approchant lui bandagea ses blessures, y versant de l'huile et du vin. L'ayant fait monter sur sa bete il le conduisit dans une

auberge et prit soin de lui. Et le lendemain, tirant deux deniers, il les donna a l'aubergiste et il (lui) dit: Prends soin de lui et ce que tu depenseras en plus, c'est moi, en repassant qui te paierai. Lequel de ces trois, te semble-t-il avoir ete le prochain de celui qui etait tombe en (mains de) brigands? Lui il dit: Celui qui a exerce sa misericorde envers lui. Et Jesus lui dit: Va, et toi aussi fais de meme."

Or cette celebre parabole du bon Samaritain contient un certain nombre d'enigmes. En effet: pour quelle raison le pretre et le levite ont-ils refuse de porter secours a la victime des brigands, bien-qu'ils fussent obliges par les commandements de la Loi de l'aider, puisque la Loi exigeait d'aimer son prochain comme soi meme? Pour quelle raison la victime n'etait donc pas, le prochain du pretre et du levite ? Quelle est la raison de la question du Christ

,,Lequel de ces trois te semble-t-il avoir ete le prochain de celui

qui etait tombe en (mains de) brigands? Pourquoi cette maniere

ambigue et indirecte d'enseigner au docteur de la Loi que la victime devait etre considere comme son prochain?

Nous nous proposons de repondre aux enigmes de cette parabole du bon Samaritain et montrer dans ce qui suit que la haine tenace

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entre les sectes au temps du Christ, rend compte des nombreux points obscurs de cette pericope.

III. Au premier siecle apres J.Chr., done pendant l'epoque du Christ aussi, toute la Palestine etait remplie de brigands. Josephus Flavius en parle souvent 1), et de meme les brigands apparaissent bien des fois dans le N.T. 2). De la sorte l'attaque commis par les brigands sur la route qui allait a Jericho parait un episode banal et commun en Palestine aux temps evangeliques.

Cependant ces brigands de la parabole du bon Samaritain sont bien etranges. En effet sur cette route qui allait de Jerusalem a Jericho ils n'attaquent que cet homme qui allait a Jericho, et se refusent a attaquer le pretre, le levite et meme le Samaritain qui ayant une bete de somme, transportait peut-etre des marchandises et etait une proie plus interessante pour des voleurs, tout en etant un Samaritain, c'est a dire de la race haie par tous les Juifs. II nous faut de plus faire la remarque que le pretre, le levite et le Samaritain etaient des voyageurs isoles et seuls sur cette route, donc pouvaient etre facilement depouilles de leur avoir. Pourquoi done, les brigands ne les ont-ils pas attaques ?

Mais de plus, ces brigands apres avoir ,,devetu" le voyageur, le battent et lui provoquent des blessures si graves qu'ils le laissent a demi-mort. Quelle est la raison de ces violences, puisque d'habitude les brigands se contentent de voler l'avoir de leurs victimes et s'en vont? Pourquoi l'ont-ils battu avec tant de haine?

Cependant si cette route etait dangereuse, si l'on risquait d'etre attaque par des brigands, comment se fait-il que le pretre, le levite et le Samaritain meme, aient eu le courage de voyager seuls, sans compagnons et sans se soucier du peril?

Nous croyons que ces faits, qui paraissent si embarassants et inexplicables, sont tout a fait conformes aux realites historiques de la Palestine a l'epoque du Christ. Car la solution de toutes ces apories concernant l'attaque des brigands sur cette route, est que ces brigands n'etaient pas du tout des brigands ordinaires et communs tels que nous les entendons de nos jours.

C'etaient les membres de la secte politico-religieuse des Zelotes,

1) Cfr. apres la mort d'H6rode: Bell. Jud. lib. II, cap. IV, ? i, No. 56; Ibidem, ? 2, No. 57, 58; Ibidem, ? 3, No. 60; au cours du regne d'Archelaiis: Ibidem, lib. II, cap. VIII, ? I, No. II8. Plus tard: Ibidem, lib. II, cap. XIII, ? 2, No. 253; Ibidem, ? 6, No. 264; Ibidem, cap. XIV, ? 2, No. 277.

2) Io. xviii 40; Mt. vi 19, 20; Mc. xi I7; Lc. xix 46; Mt. xxvii 44; Mt. xxiv 43; Lc. xii 39; Mt. xxvi 55; Mc. xiv 48, etc.

Novum Testamentum, XI 6

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maquisards qui luttaient les armes a la main, refugies dans le desert de Juda ou dans d'autres endroits deserts, pour attaquer les oppresseurs du peuple elu, les Romains et leurs suppots. Le mouvement des Zelotes semble etre puissant en Palestine a l'epoque du Christ, puisque dans le N.T. on en parle souvent a mots couverts, bien entendu, et par allusions discretes, comme il convient de parler d'une secte secrete dont les membres se cachaient, et comme on en doit parler pour ne pas susciter des suspicions de la part des dirigeants juifs du Temple et de la part des Romains.

IV. En effet dans l'oeuvre de Josephus Flavius, les Zelotes sont nommes presque toujours ,,brigands, voleurs" soit du terme grec AXacpLxoL 1) soit le plus souvent du terme XAncc 2). D'autre

part Josephus Flavius identifie d'une maniere tres explicite les ,,brigands" et les Zelotes 3), et nous lisons dans ses oeuvres que les Romains ont lutte contre ces ,,brigands" et que les procurateurs romains ont livre des vrais combats contre ces ,,brigands" qui evidemment ne pouvaient pas etre des simples ,,brigands" ou ,,voleurs" s'ils etaient si nombreux et si bien organises pour que les Romains fussent obliges de faire des vraies operations militaires. C'est ainsi que les procurateurs romains Fadus, Felix et Festus ont livre des combats contre ces ,,brigands" Zelotes 4). Apres la mort d'Herode le Grand, les revoltes juifs sont nommes clairement ,,brigands, voleurs" par Josephus Flavius 5).

D'ailleurs la plupart des historiens modernes du peuple juif admettent sans discussion que ces ,,brigands", ces ,,voleurs" etaient bel et bien, les Zelotes, les membres de ce parti politico- religieux qui combattit avec tant de vaillance contre les Romains 6).

Dans le N.T. les Zelotes sont appeles de plusieurs noms 7), parce

1) Ant. Jud. lib. II, cap. XIII, ? 6, No. 264-266. 2) Bell. Jud. lib. II, cap. VIII, ? 4, No. 57; Ant. Jud. lib. XX, cap. VIII,

? 6, No. 167. 3) Bell. Jud. lib. IV, cap. IIII, ? 4, No. 138. 4) Ant. Jud. lib. XX, cap. V, ? I, No. 98; Ibidem, ? 2, No. Io2; Ibidem,

cap. VIII, ? 6, No. 167-173; Ibidem, cap. VIIII, ? Io, No. I86; Ibidem, lib. XX, cap. IX, ? 2, No. 204.

5) Ant. Jud. lib. XX, cap. VIIII, ? Io. 6) ,,Patrioten die beim Volke ,,Eiferer" Zeloten, bei den Romern aber

,,Raiiber" hieBen", SIMON DUBNOW, Weltgeschichte des Jiidischen Volkes, Berlin, 1925, Bd. II, p. 412. Cfr. aussi: J. HASTINGS, A Dictionary of Christ and the Gospels, Edinburgh, 1927, tome II, p. 535; MAX I. MARGOLIS et ALEXANDRE MARX, Histoire du peuple juif, trad. franc. Paris, 1930, p. 18i.

7) Cfr. ;iV(ov 6 Krcvoavvcoq Mt. x 4 ce qui signifie ,,Simon le Z6lote" puisque dans Mc. ii I9 il est appele ouvertement ,,Simon le Z6lote", car en hebreu

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que le nom de ces sectateurs qui luttaient contre les Romains ne pouvait pas etre prononce ouvertement 1). Mais ce nom de ,,brigand" X?-nas est donne d'une maniere non equivoque, a un Zelote, Barabbas (cf. Io xviii 40 qv 8' 6 BopocPPSA Xa,rr s). En effet Barab- bas avait tue dans une emeute (aToCCL4 donc une revolte politique) survenue dans une ville et etait enferme en prison avec ses com- pagnons 2), donc des Zelotes aussi. Or a cette epoque il n'y avait que les Zelotes qui pouvaient declencher une emeute et tuer leurs adversaires. Par suite Barabbas, qui est appele ,,brigand" par 1'Evangile selon St. Jean, fut un Zelote.

De m6me dans l'Evangile selon St. Matthieu nous lisons (xxvii 44) que les ,,brigands" X?arod. dans le texte grec, crucifies avec le Christ, l'un a droite et l'autre a gauche, ,,L'injuriaient" CWtvei&ov auo6v ,,et latrones qui crucifixi erant cum Eo, improperabant Ei". Or si les brigands crucifies avec Jesus Christ etaient des simples voleurs, jamais ils n'auraient insulte le Christ, a ce moment lors- qu'ils etaient pres de mourir 3). Ce n'est que des gens pleins de haine contre leurs adversaires 4), donc des partisans fanatises

,,Zelotes" se dit ,,Kannaim". I1 y a d'autre part le nom de ,,Simon le Z6lote" dans Lc. vi 15 et Actes i I3, cependant ce nom peut signifier que l'ap6tre etait plein de zele pour la foi, pour le Christ. Nous avons montre dans notre article: CONSTANTIN DANIEL, ,,Ess6niens, Zelotes et Sicaires et leur mention par paronymie dans le N.T.", publi6 dans Numen, XIII, 2, (I966), pp. 88-115, que le Christ nomme les Z6lotes ,,roseau" par jeu de mots entre leur nom et celui du roseau en hebreu et en arameen, afin de leur donner une appel- lation cryptique.

De meme il semble que les Z6lotes sont nomm6s ,,Galil6ens" par le Christ d'apres le nom de leur fondateur Juda le Galil6en et du fait qu'ils etaient souvent originaires de la Galilee (comme l'affirme aussi J. COHEN, Les Pharisiens, Paris, I877, tome II, p. go ,,les Zelateurs s'appelaient aussi Galil6ens...") En effet dans Lc. xiii I, J6sus montre que Pilate avait massacre ces Galileens quand ils avaient 6t6 surpris au Temple par les soldats de Pilate. Or ils ne pouvaient pas etre tu6s par les Romains s'ils n'6taient pas leurs ennemis c.a.d. des Z6lotes. D'ailleurs Josephus Flavius nomme aussi les adeptes de Judas le Galileen, fondateur de la secte des Zelotes, les Galil6ens.

1) J. L. TEICHER, ,,The Essenes", dans Studia Patristica, Berlin, 1957, pp. 544-545 montre que les Romains consideraient a une certaine epoque que c'6tait une action criminelle de faire mention du terme ,,chr6tien".

2) Mc. xv 7 ,,le nomme Barabbas etait enferm6 avec ses compagnons qui dans une 6meute avaient commis un meurtre". Cfr. Mt. xxvii I6; Lc. xxiii 19.

3) Dans Me. xv 27 et dans Lc. xxiii 39-43, un seul des deux brigands insulte le Christ sur la croix.

4) Le Christ avait command6 de payer l'imp6t du a CUsar, dans Mt. xxii 17-21, donc II ne pouvait pas etre considere par les Z6lotes comme un ami, puisque leur revolte avait comme but justement de ne plus payer l'imp6t

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d'une secte politico-religieuse comme les Zelotes, qui au milieu des tourments de la crucification songeaient encore a injurier quelqu'un qui etait dans la meme situation qu'eux et se trouvait pres d'eux. C'etaient donc des Zelotes, que ces ,,brigands" et le N.T. les nomme aussi du nom de Xya7rotl comme Josephus Flavius').

D'ailleurs dans les traites du Talmud, les Zelotes sont nommes bien souvent ,,brigands" (Biryonim) par les rabbins pharisiens 2).

V. Mais le desert par lequel passe la route de Jerusalem a Jericho etait le lieu ou se cachaient les Zelotes, et ou ils se refugiaient pour echapper aux poursuites des Romains et des princes herodiens. En effet dans les oeuvres de Josephus Flavius nous lisons que les Zelotes se tenaient dans le desert 3), et par exemple apres la mort d'Herode le Grand, Theuda qui fut un Zelote aussi (dans le sens large du terme) rassembla une multitude de gens et s'en alla dans le desert vers les berges du Jourdain 4). Du temps du procurateur romain Festus un prophete zelote a amene le peuple dans le desert de Juda en lui promettant la liberte et la delivrance de tous ses maux 5). D'ailleurs le refuge dans le desert avait commence bien avant aux temps de la persecution du roi Antioche Epiphane, lorsque ceux qui n'ont pas voulu se soumettre aux ordres de ce roi, se sont enfuis dans le desert 6). De meme l'on apprend des Actes xxi 38, qu'un Juif d'Egypte avait rassemble dans le desert toujours, quatre mille Sicaires, donc des Zelotes, puisque ceux-ci etaient l'aile droite des Zelotes.

De m6me nous avons montre dans un article que les paroles du Christ:

,,Qu'etes-vous sortis voir dans le desert ?" du a Cesar et de delivrer le peuple juif de l'oppression des Romains. Ant. Jud. lib. XVIII, cap. I, ? 6, No. 23.

1) De tout temps les maquisards ont 6t6 appeles ,,brigands, voleurs" par ceux contre qui ils combattaient. Ainsi dans 1'Empire ottoman, les chr6tiens de la Peninsule des Balkans luttaient contre l'oppression turque par des groupes de maquisards, que les Turcs appelaient: haydut, ,,brigands" eskia ,,bandits", harami ,,voleurs" melain ,,hommes maudits", comme le montre ALEXANDRE MATKOVSKI dans son livre: Turski izvori za aydutsvoto i ara- mistvoto vo Makedonia (Sources turques sur les ,,brigands" et les ,,bandits" en Macedoine), Scopje, I959, vol. I et vol. II. De meme en Angleterre les ,,outlaw" comme Robin Hood 6taient nomm6s par les sources historiques et par le gouvernement ,,bandits, brigands".

2) S. W. BARON, Histoire d'Israel, Paris, 1957, tome II, pp. 653-654. 3) Bell. Jud. lib. II, cap. XIII, ? 4, No. 254-258. 4) Actes v 36; Antiq. Jud. lib. XX, cap. V, ? i, No. 97. 5) Antiq. Jud. lib. XX, cap. VIII, ? IO, No. I88. 6) I Macchab. ii 29 et 3I.

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,,Est-ce un roseau agite par le vent?" (Mt. xi 7 et Lc. vii 24) se

rapportent certainement aux Zelotes puisque ,,roseau" en hebreu et en arameen est un mot qui represente une amphibologie inten- tionnelle, un jeu de mots, avec le mot hebreu et arameen qui signifie ,,Zelote" 1). Donc les Zelotes, ces ,,brigands" etaient a

l'epoque du Christ dans le desert. Et il nous faut conclure des faits que nous avons mentionnes precedemment que ces ,,brigands" de la parabole du bon Samaritain, etaient bien des Zelotes.

VI. Cela etant il nous faut faire la remarque que les Zelotes patriotes juifs luttant avec desespoir et acharnement contre les Romains, avaient des nombreux combats avec ces derniers.

Mais Josephus Flavius nous apprend qu'ils pillaient les maisons des gens importants 2), donc de ceux qui detenaient un role politique. D'ailleurs le Christ dans une parabole semble bien faire allusion a ces actions de brigandage des Zelotes, les seuls brigands de son epoque. En effet l'Evangile selon St. Matthieu xii 29 (cf. aussi Mc. iii 27; Lc. xi 21) le Christ dit: ,,Ou comment peut entrer quelqu'un dans la maison d'un (homme) puissant et lui voler ses vases, s'il ne ligotte d'abord (L'homme) puissant et alors il pourra piller sa maison?"

Sans doute l'homme puissant c'est le riche, partisan du statu quo, de la domination des Romains, ami des ,,rois" herodiens, et le Christ parle dans cette parabole d'un fait historique, confirme par Josephus Flavius, de l'attaque des ,,puissants" par les Zelotes, les seuls brigands nombreux et bien connus a Son epoque.

De meme les Zelotes consideraient comme ennemis, non seulement les oppresseurs romains et leurs suppots, mais aussi tous les Juifs qui par amour de la paix etaient disposes a se soumettre aux Romains, de meme que tous ceux qui avaient une autre conception de la Loi qu'eux 3), donc tous les heretiques et ceux dont la doctrine et les enseignements etaient autres que ceux des Pharisiens, puisque nous savons, par Josephus Flavius, que les Zelotes partagaient les doctrines religieuses des Pharisiens 4). D'autre part leur piete et leur respect religieux de la lettre de la Loi a pu etre reconnu par les fouilles de Massada faites par Y. Yadin.

1) Voir supra note 7, page 82. 2) Bell. Jud. lib. II, cap. XIII, ? 6, No. 265. 3) MARTIN HENGEL, Die Zeloten, Untersuchungen zur jidischen Freiheits-

bewegung in der Zeit von Herodes I bis 70 n. Chr., Leiden und Koln, I960, p. 88. 4) Ant. Jud. lib. XVIII, cap. I, ? 6, No. 23.

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De la sorte il etait naturel, que les Esseniens fussent les ennemis des Zelotes et que ces derniers, a l'epoque du Christ au moins, les attaquassent comme des ennemis. En effet les Esseniens etaient les heretiques par excellence, car ils n'apportaient pas de sacrifices au Temple, ils suivaient un autre calendrier, ils ne se mariaient point, ils meprisaient les pretres et la hierarchie officielle du Temple etc. Mais de plus, et cela est un fait tres important il nous semble, Josephus Flavius et Philon d'Alexandrie relatent avec insistance et longuement la protection et les faveurs dont les Esseniens ont joui de la part d'Herode le Grand et des princes de sa famille 1), donc

1) Josephus Flavius 6crit qu'H6rode le Grand honorait grandement les Ess6niens ,,en pensant plus de bien A leur sujet que concernant une personne (litt. nature) mortelle". Ant. Jud. lib. XV, cap. X, No. 372. Cela veut dire sans doute que H6rode le Grand les considerait comme tres proche des anges et tels qu'ils se consid6raient eux-memes dans certains de leurs 6crits. Et Josephus Flavius continue son r6cit en expliquant les raisons de ce profond attachement, selon son opinion. Lorsque H6rode 6tait jeune enfant, un Ess6nien du nom de Menahem ,,qui menait une vie vertueuse" lui pr6dit qu'il regnera un jour sur les Juifs, et pour lui faire se ressouvenir de cette pr6diction, il lui donna un 16ger coup sur l'6paule. Quand H6rode se vit l66v6 au trone, il fit venir de nouveau l'Ess6nien Menahem et s'enquit de lui de la dur6e de son regne. Celui-ci lui r6pliqua que son regne sera de plus de vingt et de trente ann6es. Et Josephus Flavius repete que depuis ce jour H6rode traita favorablement en les honorant, tous les Ess6niens. Cette insistence de Josephus Flavius qui reprend deux fois cette affirmation, la longue explication des causes de cette faveur, enfin les termes qui expriment ce fait, nous d6terminent a conclure que l'attachement de H6rode pour les Ess6niens 6tait une chose bien connue de tous, et il nous semble que Josephus Flavius veut trouver une excuse a la protection dont ont joui les Ess6niens de la part de H6rode le Grand, l'ennemi acharn6 des Pharisiens et des Sadduc6ens. Il nous semble qu'apres la mort de H6rode le Grand, les Ess6- niens restent attach6s aux princes de sa famille, puisque le ,,roi" Archelaus, fils de H6rode le Grand, fait aussi appel a un Ess6nien, Simon, (Ant. Jud. lib. XVII, cap. XIII, No. 346) pour expliquer le reve qu'il a eu, et cette interpr6tation se trouve aussi exacte.

Cette faveur dont jouissaient les Ess6niens de la part de H6rode le Grand et des princes de sa famille est confirm6e par Philon d'Alexandrie, pal deux fois, ce qui prouve il nous semble que cette protection a 6t6 bien r6elle. Philon 6crit que les Ess6niens furent prot6g6s par les princes meme les plus despotiques, ce qui constitue une allusion claire a H6rode (Quod omnis probus liber sit, ? 89-9I): ,,Au cours des temps beaucoup de souverains de caractere et de temp6rament divers, se sont lev6s sur ce pays, les uns rivalisant de cruaut6 avec les betes tres f6roces, n'6pargnant aucun genre d'atrocit6s, tuant leurs sujets en foule... Mais aucun d'eux, ni ceux qui 6taient les plus cruels, ni ceux qui 6taient les plus hypocrites et les plus faux, n'a jamais pu accuser la communaut6 des Ess6niens ou des saints, tous au con- traire ont 6t6 vaincus par la vertus de ces hommes et les ont trait6 comme des homnres libres par nature et ind6pendants". Comme par ,,ce pays" il faut

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de la part des plus grands ennemis des Zelotes. Or cela signifie que les Esseniens furent les amis d'Herode le Grand et leurs proteges mais cela signifie aussi, sans doute, qu'ils furent proteges aussi par les Romains les protecteurs d'Herode et des princes herodiens 1). II s'ensuit que les Zelotes ont du considerer les Esseniens, du moins a l'epoque du Christ, comme des ennemis. Et cette conclusion est entierement confirmee par les textes et les temoignages histori- ques que nous avons actuellement.

C'est I. HAHN, qui en 1962 a attire l'attention 2), sur le fait que dans le texte de Josephus Flavius concernant sa relation la plus longue sur les Esseniens, il y a un passage obscur. En effet les Esseniens, juraient, selon Josephus Flavius de ,,se tenir eloignes du brigandage" p?s0aOcL 83E A(TTelaC 3). Or cette clause du serment des Esseniens est bien etrange s'il faut prendre ce mot ,,brigandage" XYaroca litteraliter. Car comment pourraient des ascetes voues a la contemplation de Dieu, s'associer a des brigands, a des voleurs, et que peut-il y avoir de commun entre ces ,,homines religiosi" esseniens et les brigandage? Ce terme de ,,brigandage"

entendre 6videmment la Palestine, le roi H6rode et aussi les Romains semblent etre d6signes par Philon.

Dans un autre passage Philon 6crit: ,,Mais m6me des grands rois se trouvant saisis d'6tonnement devant de tels hommes, se plairent a rendre hommage a leur caractere v6nerable en les comblant de faveurs et d'hon- neurs" (Apologie des Juifs, ? I8). Comme ces grands rois sont des rois de la Palestine, H6rode le Grand est nomm6 par Philon parmi ces ,,grands rois".

1) Si les Esseniens ont vraiment 6t6 prot6g6s par Herode le Grand et les princes de sa famille, ils devaient respecter et avoir des 6gards envers les protecteurs de ces monarques, les Romains et aussi les Grecs. Or en effet l'on constate que les 6crits ess6niens ordonnent le respect des paiens, puisque l'on peut lire dans le Document de Damas, XII, 6-8, concernant les Gentils: ,,Qu'on n'6tende pas la main pour verser le sang d'un des paiens pour raison d'argent et de rapine. De meme qu'on ne prenne aucun de leurs biens, de peur qu'ils ne blasphement, excepte sur l'ordre de l'Association d'Israel". De meme dans le Document de Damas, IX, i, l'on peut lire: ,,Dans tous les cas oiu l'on aura prononc6 l'anatheme contre un homme, c'est par ordre des Gentils, que cet homme sera mis a mort" (traduction de A. DUPONT- SOMMER, Les ecrits esseniens trouves pres de la Mer Morte, Paris, I960). Ainsi c'est par ordre des Romains et par les Romains que devaient etre execut6s les sentences capitales, et non pas par des Juifs, comme faisaient les Z6lotes et les Sicaires.

2) I. HAHN, ,,Zwei dunkle Stellen in Josephus (Bellum Judaicum, VI, ? 3II und II, ? 142)" dans Acta Orientalia Academiae Scientiarum Hunga- ricae tomus XIV, fasc. I (I962) pp. I3I-I38. De meme Istvan Hahn, (Buda- pest), ,,Josephus und die Eschatologie von Qumran", dans Qumran Probleme, Berlin, I963, p. 184.

3) Bell. Jud. lib. II, cap. VIII, No. I42.

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CONSTANTIN DANIEL

a paru si bizarre, que certains traducteurs du texte de Josephus Flavius, ont cru a une erreur de copiste, a une alteration du texte

grec et ont affirme qu'il fallait corriger dans le texte grec ce terme

,,brigandage" XY(aTtoc par un autre 1). Mais si XTa-oct ,,brigands" signifie chez Josephus Flavius

,,Zelotes" comme nous le savons, alors X-Ta'E0c signifie ,,le parti, la secte des Zelotes". Par suite les Esseniens juraient des l'entree dans leur secte, en devenant membres de cette secte, d'etre les ennemis des Zelotes, de n'avoir rien de commun avec eux. D'ail- leurs St. Hippolyte aussi affirme cette hostilite entre Zelotes, nommes par St. Hippolyte ,,Zelotes", et les Esseniens puisque ces derniers refusaient de frayer avec les Esseniens ,,et ne les touchent meme pas 2), s'ils viennent a les toucher, ils se lavent aussit6t, comme s'ils avaient touche un etranger" (au peuple juif).

Et ce mot X,T*e[t indique bien la secte des brigands, les Zelotes, puisque dans le texte de leur serment, que Josephus Flavius

reproduit, les Esseniens juraient auparavant de ne pas voler:

,,garder ses mains pures du vol et son ame (= personne) pure d'une

gain inique" 3). Il n'y a aucune raison pour qu'ils repetent encore une fois de ne pas voler en s'associant au brigandage, s'ils ont jure une fois de ,,garder leurs mains pures du vol". Par suite XArTieoc ne signifie pas ,,brigandage" purement et simplement dans ce texte de Josephe, mais bien, la secte politico-religieuse des Zelotes.

D'autre part les manuscrits esseniens trouves pres de la Mer Morte nous font connaitre aussi l'hostilite des Zelotes, appeles la aussi ,,brigands", envers les Esseniens, et nous montrent que les Zelotes attaquaient les sectateurs de Qumran 4), comme nous l'avons montre precedemment (cf. page 7) 5).

1) A. DUPONT-SOMMER, Les ecrits esseniens decouverts pres de la Mer Morte, Paris, 1960, p. 27.

2) St. Hippolyte, Philosophumena, Migne, P.G. vol. I63, col. 3403. 3) Bell. Jud. lib. II, cap. VIII, No. I4I. 4) Hymnes, IV, 25, 26; Hymnes, III, 24-26; Hymnes, IV, 34-35; Hymnes,

V. 9-Io. 5) D'autre part certains enseignements des Ess6niens paraissent diriges

nettement contre les doctrines des Zelotes, 6tant exactement le contraire des id6es propag6es par les Z6lotes. En effet Josephus Flavius relate que les Esseniens juraient en entrant dans la secte ,,de se montrer toujours fideles envers tous, mais surtout envers ceux qui detiennent le pouvoir, car jamais l'autorit6 n'echoit a un homme sans la volont6 de Dieu" (Bell. Jud. lib. II, cap. VIII, ? I40, cfr. aussi St. Hippolyte, Loco citato, col. 3399). I1 s'agit 6videmment des ,,rois" h6rodiens et des Romains, car c'est eux qui ,,detennaient le pouvoir". D'ailleurs un grand nombre d'auteurs ont affirme

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Cependant si Philon d'Alexandrie affirme que les Esseniens ne fabriquaient aucune espece d'arme 1), il ne nous dit pas qu'ils ne portaient pas d'armes sur eux, pour se defendre. Car Josephus Flavius ecrit cette proposition egalemment assez etrange: ,,ils (les Esseniens) voyagent sans porter rien sur eux, mais a cause des brigands ils portent des armes (ao ae rou AXa&S ?vot0Xol) 2). Si les Esseniens n'ont rien sur eux en voyage, comme nous l'apprend Josephus Flavius, s'ils sont pauvres, s'ils ne pensent pas a amasser de l'argent, s'ils sont facilement reconnaissables a cause de leurs habits blancs, pourquoi seraient-ils attaques par les brigands 3) ?

que les ordres similaires donn6s aux chr6tiens par St. Pierre (I Petr. ii I3-15, iii 13) et surtout par St. Paul (Rom. xiii I-7; Philipp. iii I8-20; Tite iii I) sont des commandements contre les doctrines revolutionnaires des Zelotes (par exemple: Bo REICKE, The Epistles of James, Peter and Jude, The Anchor Bible, New York, 1964, pp. 94 et 107). II est difficile de ne pas ad- mettre que des doctrines ess6niens identiques ne sont pas dirigees contre les Zelotes. De meme nous avons montr6 que dans le Document de Damas, XII, 6-9, il y a des dispositions qui sont tout aussi nettement dirigees contre les agissements et les doctrines des Zelotes: ,,Qu'on n'etende pas la main pour verser le sang de l'un des paiens, pour des raisons d'argent et de rapine. De meme qu'on ne prenne aucun de leurs bien, de peur qu'ils ne blasphement, except6 sur l'ordre de l'Association d'Israel". Comme les Zelotes volaient et tuaient les paiens romains et grecs, ces dispositions sont dirig6es 6videmment contre le zdlotisme, de meme que les ordres de ne pas tuer aucun homme si ce n'est par l'interm6diaire des paiens romains (Document de Damas, IX, i, cf. notre note 70). Ce texte du Document de Damas XII, 6-7 est d'autant plus important, et demontre clairement la sympathie des Esseniens pour les Romains, que certains rabbins ont enseign6 que les paiens romains et grecs, 6taient exclus de l'obligation de charit6 et de justice (cfr. J. CARMIGNAC, E. COTHENET, et H. LIGNEE, Les textes de Qumran, Paris, 1963, vol. II, p. I96, note io).

1) Philon d'Alexandrie, Fragmenta ex Eusebii Praep. Evangel. lib. VIII, cap. XI.

2) Bell. Jud. lib. II, cap. VIII, No. I25. 3) I1 nous faut remarquer que les Qumraniens s'installerent de nouveau

a Qumran, selon les donnees archeologiques, apres l'abandon de ces batiments pendant le regne de H6rode le Grand, justement lors du commencement de la r6volte des Z6lotes proprement dits, vers la fin du regne d'Archelaiis. L'on comprend de la sorte pour quelle raison les batiments de Qumran, situes dans une position peu accessible, ressemblait a une veritable forteresse, entouree de murs de defense en pierre, ayant une tour qui constitue une vraie citadelle, sans fenetres a la partie inferieure et dont les murs ont 1.30 metres d'6paisseur. Le batiment de Qumran 6tait fortifie pour resister dans le desert aux attaques des brigands ,,Z6lotes", avant et apres le regne de HBrode le Grand. II est possible qu'avant son regne les Esseniens n'habi- tassent point ces batiments et que ces derniers fussent une forteresse sise dans le desert que les Ess6niens ont commence a habiter a la fin du regne d'Archelaiis. En tout cas, sous le regne de H6rode le Grand, les brigands Z6lotes ayant ete extermines, ils ne pouvaient plus mettre en danger la vie

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En realite le terme ,,brigands" ?Xqadcx designe la encore, comme nous l'avons montre que cela se passe toujours pour Josephus Flavius, les Zelotes. Il nous faut conclure que les Esseniens etaient attaques par les Zelotes, lorsqu'ils allaient sur les routes de Palestine, et que c'est cela que signifie cette phrase de Josephus. Et cette assertion de Josephus Flavius est confirmee de plus par Philon d'Alexandrie, qui ecrit que les Therapeutes, donc un groupement des Esseniens selon la plupart des chercheurs, etaient attaques par les ,,brigands" X?Tarl ce qui montre qu'il s'agit des mme Zelotes refugies en Egypte 1).

Par consequent nos sources historiques affirment d'une maniere indubitable, que les Zelotes attaquaient les Esseniens les armes a la main et qu'ils etaient par suite les ennemis jures de ces derniers.

VII. Nous devons nous demander maintenant, pourquoi donc, les brigands Zelotes de la parabole du bon Samaritain ont-ils attaque le voyageur qui allait a Jericho ? Comme les Zelotes n'attaquaient que leurs adversaires politiques et religieux, nous sommes obliges de conclure que ce voyageur etait bien l'un de ces ennemis des Zelotes 2). I1 ne pouvait pas etre un paien grec ou romain, car il est hautement improbable, qu'etant donne le danger d'etre attaque par les ,,brigands" dans le desert, il eut voyage seul sans compagnons armes. De m6me s'il eut ete paien, il est probable que le Christ l'aurait dit 3), puisque dans ce cas le refus de porter des Ess6niens. Mais apres sa mort il devint peut-ftre necessaire pour les Ess6niens de se retirer dans une forteresse, pour ne pas 6tre attaques dans les colonies isolees du d6sert, dans les villes ou dans les villages par les brigands ,,Z6lotes".

1) Philon, De vita contemplativa, ? 24. 2) I1 est probable que les Z6lotes craignaient d'attaquer les Samaritains

qui passaient par le desert, et par suite le Samaritain de la parabole du Christ pouvait voyager sans danger. En effet si le Samaritain avait ete attaqu6 par les brigands Z6lotes, il est certain que les Samaritains par represailles auraient attaque les Juifs qui se rendaient a Jerusalem pour apporter leurs sacrifices, en passant par la Samarie. Or les Z6lotes respectaient le Temple, et n'auraient jamais fait une action qui eut porte atteinte au Temple de Jerusalem ou a ses pretres.

3) Dans J. HASTINGS, A Dictionary of Christ and the Gospels, Edinburgh, I927, tome II, p. 28, l'on affirme que la victime des ,,brigands" devait gtre un payen, et c'est la raison pour laquelle le 16vite ne lui a pas pr6te secours. II nous semble que cette these confirme en quelque sorte, notre convinction qu'un motif tres important a interdit au pr8tre et au l6vite de porter secours a la victime, et que ce refus de l'aider ne repr6sentait pas pour eux une transgression de la Loi qui ordonnait d'aimer son prochain. Par suite la victime n'6tait point consideree comme ,,leur prochain" par le pretre et le lIvite, qui s'ils l'avaient aide auraient transgress6, peut-etre, un

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secours, de la part du pretre et du levite aurait eu une toute autre signification. Et comme partout dans le A.T. et le N.T. ,,un homme" ou ,,l'homme" est un homme qui fait partie du peuple juif, et non pas un etranger, qui est appele expressement ,,etranger" ou du nom de son peuple.

II s'agit par suite d'un juif et il nous faut determiner pour quel motif il fut attaque par les Zelotes qui n'attaquaient que leurs adversaires. Par suite il nous faut etablir le parti politico-religieux auque] il appartenait, qui devait evidemment etre hostile aux Zelotes.

Sans doute les Sadduceens etaient hostiles aux Zelotes mais il ne pouvait pas s'agir d'un Sadduceen, puisque dans ce cas le pretre et le levite, qui passaient par la meme route, lui auraient prete secours tout de suite et auraient pris soin de lui. Ce ne pouvait non plus etre un Pharisien, car il n'est pas vraisemblable que les Zelotes eussent attaque un Pharisien, etant donne que selon Josephus Flavius ils avaient la meme doctrine religieuse que les Pharisiens, puis parceque les Pharisiens avaient des sentiments anti-romains tres prononces, enfin parcequ'ils etaient respectes et honores par tout le peuple juif.

Comme a cette epoque il n'y avait selon Josephus Flavius que trois grande sectes juives en dehors des Zelotes 1), il ne reste que les Esseniens qui pourraient 6tre en cause. En effet il nous semble tres probable que ce voyageur attaque par les Zelotes, etait un Essenien, etant donne que les Esseniens, comme nous l'avons montre, etaient attaques fort souvent par les ,,brigands" Zelotes.

En effet ce voyageur ,,descendait" de Jerusalem a Jericho, ou plutot selon le texte grec de l'Evangile, ,,dans" la ville de Jericho (puisque le texte grec porte es' qui signifie bien ,,dans") ce qui signifie que le terme, le but de son voyage etait la ville de Jericho, certainement. Par suite il ne passait pas par la ville de Jericho pour aller a travers la Samarie, en Galilee par exemple, mais il allait ,,dans" la ville de Jericho, ou se trouvait le but de son voyage. Puisque dans cette parabole, le Christ, affirme du pretre qu'il ,,descendait cette route" mais non pas qu'il allait a Jericho, de m6me II dit du levite ,,en ce lieu venant" et le Samaritain qui evidemment devait se rendre en Samarie ,,voyageait", mais ceux-ci,

ordre et une ,,cofitume" 6tablie par les dirigeants du Temple, de ne rien avoir de commun avec les Esseniens.

1) Ant. Jud. lib. XVIII, cap. I, ? 6, No. 23.

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ces trois personnages n'allaient pas ,,dans Jericho" comme la victime des brigands, Zelotes.

II nous semble que ce detail a une importance pour connaitre

l'appartenance politico-religieuse du voyageur attaque par les Zelotes. Mais, croyons-nous, les auditeurs du Christ ont tout de suite saisi et compris quel etait cet homme qui allait ,,dans" la ville de Jericho et fut attaque par les Zelotes.

Car la ville de Jericho etait l'endroit ou se trouvait une grande communaute essenienne, presque aussi importante que celle de Qumran 1). En effet les fouilles de K. M. KENYON ont reussi a decouvrir a Jericho un grand cimetiere essenien typique semblable a celui de Qumran, ce qui prouve l'existence a Jericho d'une

grande communaute essenienne 2). Mais de plus les Esseniens semblent etre nommes dans le Talmud

,,les gens de Jericho" inT' Imt et cela a ete reconnu depuis long- temps deja. C'est ainsi que le traite Pesahim IV, VIII, fol. 55b-56a, contient le passage suivant: ,,Six choses faisaient les gens de Jericho, trois leur furent permises et trois leur furent defendues". Or parmi les choses que les sages, c'est a dire dans les traites du Talmud les docteurs pharisiens, leur reprochaient comme etant interdites, etait qu'ils mangeaient le Samedi (Sabbat) des fruits tombes des arbres (des palmiers) qu'ils cultivaient 3). Mais comme le remarque JEAN CARMIGNAC 4), dans le Document de Damas X, 22, il y a l'ordre precis: ,,Que personne ne mange le

jour du Sabbat rien d'autre que ce qui a ete prepare ou ce qui a ete laisse dans les champs". Donc les fruits tombes des palmiers qui evidemment etaient ,,laisses dans les champs" pouvaient etre manges, selon les doctrines esseniennes et ces gens de Jericho, un groupement religieux, etaient, les Esseniens de Jericho.

1) Le Christ passe par Jericho pour aller a J6rusalem. Cfr. Mt. xx 29; Mc. x 46; et Lc. xviii 35. Mais dans Lc. xviii 35 et dans Mc. x 46, Jesus guerit un aveugle dans la ville de J6richo. Or il est possible que cette gu6rison d'un aveugle dans une ville ou habitaient ,,les voyants" Esseniens (car il semble que les Ess6niens se donnaient aussi le nom de ,,voyants" cfr. notre article cite anterieurement et aussi: CONSTANTIN DANIEL, Une mention des Esseniens dans un texte syriaque de l'Apocalypse, Le Mus6on, tome LXXIX (1966) pp. 155-164) ait un sens allegorique facillement intelligible.

2) K. M. KENYON, Digging up Jericho. The Results of Jericho Excavations. 1952-1956, New York, 1957, P. 264 sq.

3) De meme dans Mt. xii 2, les Pharisiens reprochent aux disciples du Christ de manger des epis de blW dans les champs le jour du Sabbat.

4) J. CARMIGNAC, E. COTHENET, et H. LIGNEE, Les textes de Qumran, II, Paris, 1963, p. 193 note 23.

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De plus les ,,sages" pharisiens reprochaient aux gens de Jericho, qui sont des ,,homines religiosi" de ne pas laisser aux pauvres et aux etrangers un coin du champ qu'ils cultivaient 1). Or si l'on considere la haine des Esseniens envers ceux qui n'etaient pas de leur secte (car ils juraient une haine eternelle contre ceux qui n'etaient pas de leur secte, cf. Regle de la Communaute, IX, 21-22) il est explicable pourquoi ces ,,gens de Jericho" ne voulaient rien laisser aux pauvres et aux etrangers. De plus ils juraient de ,,sepa- rer" leurs biens de ceux des ,,impies" donc de ceux qui n'etaient

pas membres de leur secte 2), et par suite ils ne pouvaient pas par- tager leur recolte avec les pauvres 3), qui n'etaient point de leur secte.

II nous faut remarquer aussi que les Esseniens cultivaient les

palmiers, comme nous l'apprend Pline (gens . . . socia palmarum Hist. Nat. V, 17, 4) et selon les donnees du traite Pesahim du Talmud, que nous avons cite, ,,les gens de Jericho" paraissent aussi cultiver des arbres fruitiers, qui a Jericho ne pouvaient etre

que des palmiers 4). Car Archelafis le fils d'Herode le Grand avait fait batir un grand aqueduc pour les palmiers plantes au Nord de

Jericho 5). Et Origene affirme qu'a Jericho on avait trouve des anciens manuscrits des livres de 1'A.T., donc des ecrits comme ceux trouves dans les parages de Qumran 6).

Cependant nous avons montre que Josephus Flavius et Philon d'Alexandrie insistent longuement sur la protection et les faveurs dont ont joui les Esseniens de la part d'Herode le Grand et des

princes herodiens. Or dans ce cas les Esseniens devaient vivre dans le voisinage de ceux qui les protegeaient, et qui selon Josephus Flavius les honoraient plus qu'une personne humaine, car ceux-ci avaient sans doute besoin de leur science medicale et de leurs dons

prophetiques 7). D'autre part la protection d'Herode le Grand et

1) Selon les commandements de Levit. xix 9 et xxiii 22. 2) D'ailleurs selon la Regle de la Communaut6 ,,les prochains" des Qum-

raniens, donc ceux qui devaient etre aides et aim6s 6taient les membres de la Communaut6 seulement. Cfr. Regle de la Communaute, VI, 25, 26; VII, 4, 5, 6, 8 et 9.

3) Cfr. Regle de la Communaute, V, Io-I8; IX, 8-9. ,,Qu'ils ne melangent pas leur fortune avec la fortune des hommes de relachement".

4) Au sujet des ,,gens de Jericho" cfr. aussi: JOSEPH AMUSIN, ,,Spuren antiqumranischer Polemik in der talmudischen Tradition", dans Qumran Probleme, Berlin, I965, p. 5 sq.

5) Ant. Jud. lib. XVII, cap. XIII, ? I, No. 340. 6) Apud JOSEPH AMUSIN, op. cit., note 92. 7) Concernant la science m6dicale des Ess6niens: Bellum Jud. lib. II,

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ses faveurs signifiait en meme temps, comme nous l'avons deja remarque la haine de tout les autres ,,homines religiosi" juifs, et les Zelotes pouvaient bien attaquer ces ,,proteges" d'Herode qui devaient par suite vivre a proximite de leurs protecteurs.

Or Jericho fut l'une des villes ou a habite le plus Herode le Grand, ou d'ailleurs il mourut, et ou il avait fait batir une forteresse nommee par lui Cypros d'apres le nom de sa mere, et ou il avait fait batir un superbe palais aussi. Ce palais incendie apres sa mort, fut reconstruit par son fils Archelaiis, qui evidemment a du y habiter. Mais du temps du Christ Jericho etait administre directe- ment par le procurateur romain, et sans doute les Romains, les protecteurs des princes herodiens, devaient proteger aussi ,,les gens de Jericho" ces homines religiosi qui avaient joui des faveurs et de la sympathie de leur protege Herode le Grand.

D'autre part il n'est pas possible de nier que les ,,gens de Jericho" cites par le traite du Talmud fussent autre chose qu'une secte politico- religieuse, puisque le traite Pesahim affirme d'eux qu'ils recitaient sans interruption le ,,Chema Israel" donc ils priaient sans cesse 1).

Mais cette proximite de ces ,,homines religiosi" nommes ,,gens de Jericho" par le Talmud, avec Herode le Grand et avec son fils, indique qu'ils etaient dans des bons rapports ensemble. Or ce n'etaient que les Esseniens qui etaient dans des bons rapports avec Herode le Grand et avec les princes herodiens. Par suite ,,les gens de Jericho" etaient bien des Esseniens.

VIII. Cependant d'autres arguments peuvent etayer l'assertion que la victime des ,,brigands" Zelotes etait bien un Essenien. En effet le texte grec de l'Evangile selon St. Luc affirme que les brigands ont ,,deshabille" leur victime (xocl xSU7avTss aoro6v). Ainsi le Christ ne dit pas que les brigands lui ont vole de l'argent, mais ils se sont empares de ses vetements. D'autre part si les brigands Zelotes ne lui ont pas vole de l'argent ou d'autres objets de valeur, c'est que le voyageur qui allait a Jericho n'en portait pas sur lui. Or nous savons par Pline (sine pecunia ... Hist. Nat. V, I7, 4) que les Esseniens n'avaient point d'argent sur eux, et St. Hippolyte affirme que certains Esseniens n'avaient meme pas le droit de regarder des pieces de monnaie 2), sans doute pour ne pas

cap. VIII, ? 6, No. I36. Concernant leurs dons prophetiques: Ibidem, ? 12, No. I59.

1) Traite Pesahim, IV, VIII, fol. 55b-56a. 2) St. Hippolyte, Philosophumena, Migne, P.G. vol. I63, col. 3403.

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LA PARABOLE DU BON SAMARITAIN

voir les ,,images" de ces monnaies. II nous semble donc, que c'est la, la cause du silence de Jesus sur l'argent que les voleurs auraient pu voler, le voyageur tombe dans leurs mains ne portait pas d'argent sur lui.

D'autre part le Christ dit que ces brigands ont ,,deshabile la victime Ex'Sucavrse. (le texte syriaque porte aussi salehui ,,ils l'ont deshabille", et non pas ,,ils l'ont depouille" comme l'on pourrait traduire aussi le verbe grec exs3co.) Cela peut signifier deux choses: ou bien les brigands l'ont deshabille pour lui voler ses habits qui offraient quelque valeur; ou bien les brigands l'ont deshabille des vetements qu'il portait parcequ'ils consideraient que la victime n'avait pas le droit de porter des tels habits.

Mais il est d'usage de ne pas s'en aller en voyage avec des habits trop couteux et ayant une certaine valeur, surtout si l'on voyage a pied a travers le desert. De la sorte si la victime etait un voyageur ordinaire, ses habits devaient etre de peu de prix, et ne pouvaient pas logiquement tenter les brigands.

Cependant si le voyageur etait un Essenien, il devait etre vetu d'habits ayant un prix eleve et representant quelque valeur pour les brigands. En effet le souci pour l'elegance vestimentaire est bien visible dans la Regle de la Communaute, VII, I4 ,,(celui) dont le vetement est deguenille et laisse paraitre sa nudite sera puni pendant trente jours". Cela contredit completement les affirmations de Josephus Flavius 1) qui dans un autre texte ecrit que les Esseniens ,,etaient toujours vetus de blanc" 2) ce qui a cette epoque et dans le climat de la Palestine suppose un souci pour l'elegance.

D'ailleurs le probleme des vetements paralt avoir eu une grande importance pour les Esseniens, puisque dans chaque ville, celui des Esseniens designe comme surveillant (questeur) des membies de la secte de passage, leur distribuait des vetements propres et blancs 3). Et cela malgre le fait que dans un pays chaud comme la Palestine le probleme des vetements ne devait pas avoir une grande importance, a priori. De meme l'on sait que la robe blanche de lin etait le signe et la marque de l'admission dans la secte puisque les novices en recevaient une a leur entree dans la communaute 4). St. Hippolyte affirme de m6me de la maniere la plus categorique

1) Bell. Jud. lib. II, cap. VIII, ? 4, No. 126. 2) Ibidem, No. I23. 3) Ibidem, No. I25.

4) Ibidem, No. 137.

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que ,,les vetements des Esseniens et leur allure etaient elegants" 1), et que leurs habits etaient de lin 2). Philon d'Alexandrie ecrit a

propos des Therapeutes, un groupement essenien aussi: ,,ils se rassemblent etant vetus de blanc et resplendissants 3). Mais ces vetements de lin blancs coutaient assez cher a l'epoque du Christ

puisque un vetement de lin confectionne avec de la toile de lin de

Scythopolis coutait plus cher que le salaire pendant un an d'un ouvrier specialiste qualifie 4).

De la sorte il se peut, que les brigands Zelotes, en deshabillant leur victime, lui ont vole non pas des vetements de voyage peu couteux, mais des vetements blancs de lin tres chers.

Mais il est egalement vraisemblable que les Zelotes ont ,,des- habille" la victime, parcequ'ils consideraient que celui-ci n'avait pas le droit de s'habiller de vetements de lin, comme les pretres. Car les Zelotes, pleins de zele pour la Loi auraient pu considerer que seuls les pretres et les levites avaient droit aux vetements de lin, et que c'etaient une profanation et une usurpation intolerable de la part d'un heretique Essenien, que de ne pas respecter la coutume, et se vetir de lin blanc.

IX. Par contre il y un fait qui prouve d'une fa9on incontestable

que ces brigands Zelotes haissaient de tout coeur ce voyageur, en

qui ils avaient reconnu un ennemi. En effet le Christ nous apprend dans cette parabole, que les brigands ont battu la victime avec violence et lui ont provoque des blessures en le laissant a demi-mort. Ces blessures ont du etre traitees par le Samaritain et par l'auber-

giste et le premier les a panse et les a bandage. Mais cela signifie que ce voyageur avait ete frappe avec sauvagerie et haine pal les

brigands. II est logique que nous cherchions la raison de cette

explosion de haine contre le voyageur. Qu'est-ce qu'a pu motiver ces violences, puisque les voleurs d'habitude se contentent de

depouiller leurs victimes et de s'en aller ensuite? Et le Christ Lui meme raconte dans une autre parabole comment d'autres voleurs

(donc des Zelotes aussi) pouvaient piller la maison d'un homme

puissant, qu'ils se contentaient de lier, et ne le battaient pas du tout. Or si le voyageur de la parabole a ete frappe avec tant de violence

c'est qu'il etait l'un des ennemis declares des Zelotes. Sans doute

1) St. Hippolyte, op. cit., col. 3399. 2) Ibidem, col. 3398. 3) De vita contemplativa, ? 66. 4) Cfr. S. W. BARON, Histoire d'Israel, Paris, I957, tome I, p. 575, note Io.

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LA PARABOLE DU BON SAMARITAIN

les contemporains du Christ ont compris tout de suite, que le

voyageur qui allait ,,dans" Jericho, qui fut attaque par les brigands Zelotes, qui a ete deshabille par eux, puis battu grievement, etait un ,,homme de Jericho" comme appelle le Talmud, les Esseniens de Jericho. Sans doute le Christ a parle a mots couverts, d'un membre de cette secte secrete haie par tous les autres sectes juives de Son temps, dont le nom meme ne devait pas etre prononce comme un ,,nomen odiosum" 1). Mais le Christ a parle d'un homme

qui allait ,,dans" Jericho et qui fut attaque par les Zelotes et blesse

par eux, pour faire comprendre a Ses auditeurs que celui-ci etait un des ,,gens de Jericho" dont parle le traite Pesahim, donc un Essenien.

X. Cependant l'homme qui allait ,,dans" Jericho n'avait pas comme ennemis, seulement les brigands Zelotes, et d'autres aussi se sont montres hostiles a son egard. En effet le pretre et le levite

qui sont passe pres de lui ont fait preuve de la meme inimitie et ont eu un sentiment d'aversion envers lui. Car ils ne lui ont prete le moindre secours, ce qui ne peut s'expliquer que par un profond sentiment d'hostilite pour la victime des brigands Zelotes.

Le Christ explique dans cette parabole ,,qu'un pretre descendait cette route" aussi, mais n'allait pas a ou ,,dans" Jericho, n'avait

point comme but de son voyage cette ville, il passait tout simple- ment par cette ville pour aller plus loin. Et ce pretre voyant la victime blessee et demi-morte, passa outre (dans le texte grec de

l'Evangile selon St. Luc il y a un terme qui signifie litteraliter ,,passa plus loin en se detournant de lui", tandis que dans le texte syriaque de cette parabole il y a le terme 'ebar ,,passa plus loin"). De meme un levite venant dans ce lieu et le voyant ,,passa plus loin en se detournant de lui" puisque c'est le meme verbe grec qui exprime l'action du levite tvrTlcapxX0Ov.

Or ce qu'avaient fait le pretre et le levite etait inhumain au

supreme degre, et un payen grec ou romain n'aurait jamais fait cela, car tout homme est porte en general d'aider son semblable. Si le pretre et ]e levite n'ont pas aide la victime et se sont detournes d'elle, c'est qu'il y avait un motif puissant qui justifiait leur attitude

1) Concernant le fait que les ,,homines religiosi" juifs evitaient a tout prix de prononcer un ,,nomen odiosum", cfr. dans les Actes V, 28 le grand pretre 6vite de prononcer le nom de J6sus et dit en employant une periphrase: ,,ce nom" et ,,cet homme". De meme dans Actes iv I7, les dirigeants du Temple evitent de prononcer le nom de Jesus et disent ,,ce nom". Novum Testamentum, XI 7

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et leur comportement. Mais quelle est la raison du refus hostile de ces deux ,,homines religiosi" juifs de porter secours au voyageur blesse par les brigands Zelotes?

Remarquons cependant que cette parabole du bon Samaritain du Christ avait comme but de repondre a la question du docteur de la Loi: ,,Qui est mon prochain?". Par suite le Christ affirme d'une maniere implicite que le pretre et le levite n'ont pas considere la victime des Zelotes comme leur prochain. C'est la raison pour laquelle le Christ ne reproche pas expressement aux pretre et au levite d'avoir enfreint les commandements de la Loi. Puisque la Loi ordonnait, comme l'avait dit le docteur, ,,d'aimer son prochain comme soi meme" 1).

II nous semble qu'il est impossible d'admettre une autre expli- cation pour cette transgression evidente des commandements de la Loi, le prktre et le levite ne consideraient pas la victime des brigands comme leur prochain. Ii est invraisemblable, de supposer par exemple, que le pretre et le levite ont refuse d'aider la victime

pour ne pas devenir impurs en touchant du sang 2). Nous avons montre d'autre part qu'il ne pouvait pas s'agir d'un

etranger et la victime etait certainement un juif. II est bien vrai d'autre part que dans certains traites du Talmud quelques rabbins ont affirme que les cam ha-'ares etaient impurs et meme qu'ils pouvaient etre tues 3). Mais ce n'est pas une opinion admise par la grande majorite des docteurs du Talmud et les 'am ha-'ares etaient consideres comme des prochains qu'il fallait gagner au

1) Cfr. Levit. xix I8 ,,et aimer ton prochain comme toi meme", et Levit. xix 34: Levit. xxv 35 et Exode xxiii 4-5. Les traites du Talmud exigeaient aussi la charit6 envers le prochain comme le montre A. COHEN, Le Talmud, trad. fran9. Paris, 1933, P. 268 sq. et certains rabbins ont exig6 la charit6 envers les 6trangers et les paiens.

2) JEAN CARMIGNAC dans Les textes de Qumran, I, Paris, 1961, p. Io6 en commentant le passage de la Regle de la Guerre, X, 7-9 ,,(les pretres) ne viendront pas au milieu des tues de peur de se souiller dans leur sang impur, car ils sont saints, ils ne profaneront pas l'huile de l'onction de leur sacerdoce dans le sang des nations de n6ant" 6crit en note: ,,Cf. S. Luc x 31-32, en se rappelant que J6sus localise sa parabole sur la route de J6richo . . et de Qumran...". Mais, il nous semble, que le sang des victimes sacrifi6es a l'autel ne rendait pas les pr6tres impurs, de meme que le sang du petit enfant circoncis. Par contre le sang d'un h6r6tique et d'un impie, comme le sang des ennemis, aurait pu souiller un pretre. C'est dans ce sens que nous croyons comprendre cette note du savant francais qui, il nous semble, parait penser aussi que la victime des brigands etait un Essenien qui allait a Jericho ou a Qumran.

3) A ce sujet: S. W. BARON, Histoire d'Israel, Paris, 1957, tome I, p. 373.

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respect de la Loi. Par suite la victime des brigands ne pouvait ktre qu'un homme hai par le prktre et par le levite 1).

L'on sait que les Esseniens ne portaient pas des sacrifices au Temple2), suivaient un autre calendrier, et avaient une haine tenace contre les pretres de Jerusalem et contre les Sadducens (voir infra page 5).

De la sorte le pretre et le levite, devaient, s'ils ne consideraient pas la victime des brigands comme leur prochain, mais comme leur ennemi, se detourner avec mepris et haine de lui et passer outre 3).

C'est la, il nous semble, la cle de toute la parabole du bon Sama- ritain, qui a comme but uniquement de repondre a la question du docteur de la Loi:,,Qui est mon prochain ?". Et justement le Christ repond par cette parabole, oiu II presente ces trois personnages, le pretre, le levite et le Samaritain 4). Les deux premiers, le pr6tre

1) Cfr. Mt. v 43. La haine des ennemis dont parle le Christ dans ce verset est aussi une doctrine pharisienne, sadduc6enne et ess6nienne (comme il ressort des 6crits ess6niens) et semble etre comprise d'une maniere implicite dans le ,,Jus talionis" de Exode xxi 23 sq. ,,ceil pour ceil et dent pour dent, main pour main" (Ex. xxi 24).

2) Philon, Quod omnis probus liber sit, ? 12 et Document de Damas, VI, i . 3) La haine contre les Ess6niens et le refus de prononcer leurs noms est,

sans doute, la raison de leur absence des trait6s du Talmud ou ils ne sont mentionn6s semble-t-il que par des sobriquets comme ,,les gens de Jericho" qui au fond est un sobriquet insultant et diffamateur, car il fait allusion a la protection dont ont joui les Ess6niens de la part de ceux qui avaient un palais a Jericho, les princes h6rodiens et H6rode le Grand lui meme, ainsi que les Romains qui etaient ceux qui gouvernaient directement J6richo au temps de J6sus Christ. De meme Philon d'Alexandrie, ami des Ess6niens et leur grand admirateur n'est pas cit6 une seule fois dans le Talmud, malgr6 son grand renom. Nous avons montr6 que les ,,homines religiosi" juifs ne pronon9aient pas les noms d6testes, comme le prouve le texte des Actes v 28 qui reproduit les paroles du grand pretre lui meme, nommant Jesus non pas par son nom, mais disant par p6riphrase ,,ce nom" et ,,cet homme". De meme nous avons montr6 que dans Actes iv 17 les dirigeants du Temple 6vitent de prononcer le nom de Jesus Lui meme et disent ,,ce nom". Cfr. Note i, p. 97. Au suj et de cette interdiction de prononcer les ,,nomina odiosa" il nous faut mentionner que les citoyens de la ville d'Ephese ont 6mis un d6cret par lequel etait puni de mort celui qui pronon9ait le nom de Herostrate, qui en l'an 356 avant Jesus Christ avait incendi6 le fameux temple d'Art6mise d'Ephese. (PAULY-WISSOWA, Real-Encyclopedie..., I5-ter Halbband, Stuttgart, 1912, article Herostratos, col. I145).

4) Le Samaritain a pans6 les blessures de la victime des Z6lotes avec du vin et de l'huile. II est vrai que les Ess6niens croyaient que l'huile les rendait impurs (Bell. Jud. lib. II, cap. VIII, No. 123) et 6vitaient a tout prix de se oindre avec de l'huile. Mais l'huile dont fut pans6 la victime des Zelotes 6tait ml6ang6 de vin, selon un usage qui se pratique encore dans le Proche Orient pour le traitement des blessures (Cfr. L'Evangile selon Saint Luc, par le P. M. J. LAGRANGE, Paris, I927, p. 3I4). D'autre part la victime des

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et le levite n'ont pas consideres la victime des brigands comme leurs prochains. Mais la raison du fait qu'ils n'ont pas reconnu dans la victime des brigands, leur prochain, le Christ ne la donne pas explicitement; car Ses auditeurs ont bien compris de qui il s'agissait et pour quelle raison l'homme de Jericho, attaque par les Zelotes, et deshabille par eux de ses habits blancs de lin, n'a pas ete con- sidere comme un prochain par le pretre et par le levite.

Le Christ parle a mots couverts des Esseniens, comme nous l'avons montre, pour ne pas prononcer le nom hai des Esseniens, mais afin de ne pas les appeler non plus a l'aide des sobriquets insultatoires dont les nommaient leurs ennemis Pharisiens et Sadduceens 1), ni a l'aide des apellations laudatives que les Esseniens se donnaient a eux memes, dans leurs ecrits.

Par suite, le Christ fait comprendre au docteur de la Loi que c'etait un Essenien celui que le pretre et le levite ne consideraient point comme leur prochain, qui fut attaque par les Zelotes ennemis des Esseniens, qui allait a Jericho ville oh habitaient les Esseniens, qui fut deshabille de ses vetements blancs et couteux d'Essenien, et qui fut battu et laisse a demi-mort par les Zelotes.

X. Il en resulte que cette parabole du Christ, dont le but est de repondre a la question du docteur de la Loi: ,,Qui est mon

prochain?" 2), doit demontrer que la victime, l'Essenien allant a Jericho, est bien le prochain de ces ,,homines religiosi", le pretre, le levite et le docteur de la Loi meme, qui partageait sans doute les memes opinions sur les Esseniens que le pretre et le levite, car c'est la raison de sa question: ,,Qui est mon prochain ?" Le docteur de la Loi voulait savoir si tous les Juifs sans exception, meme les

heretiques, meme les 'am ha-'ares, etaient ses prochains.

,,brigands" 6tait a demi morte selon les dires du Christ, done il ne pouvait pas se rendre compte a l'aide de quelles substances il fut panse.

1) Nous avons montr6 dans nos deux articles mentionn6s pr6cedemment que dans les textes trouv6s pres de la Mer Morte comme dans le Document de Damas, les Esseniens se donnaient a eux memes un grand nombre de noms. D'autre part dans un article paru dans le Numero 21 de la Revue de Qumran ayant pour titre ,,Les Hdrodiens des Evangiles sont-ils des Esseniens?" nous avons demontr6 que ce nom ,,d'Hero- diens" paralt 6tre un surnom infamant donne aux Ess6niens par les Pharisiens et par les Sadduc6ens, a cause de la protection et des faveurs dont ils ont joui de la part d'H6rode le Grand et des princes de sa famille, comme nous l'avons montrE dans cet article aussi.

2) Les Saints Peres ont toujours explique que cette parabole avait comme but de r6pondre a la question ,,Qui est mon prochain?" Cfr. EUTHYMII ZIGABENI, Comment. in loco, Migne, P.G. vol. I29, col. 965.

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C'est pour repondre a cette question que le Christ montre le contraste entre le comportement des ,,homines religiosi" juifs, et celui du Samaritain. Car le Samaritain, comme tous ceux de son peuple devait hair tous les juifs 1) sans faire aucune distinction entre Pharisiens, Sadduceens et Esseniens2). Mais Jesus veut montrer que cette hostilite envers les juifs du Samaritain est bien moindre que la haine des ,,homines religiosi" juifs entre eux. Puisque cette hostilite du Samaritain envers les juifs ne l'a pas empeche de portir secours a la victime des brigands, tandis que l'aversion du pretre et du levite envers la victime, membre d'une secte rivale, les a empEche de la considerer comme leur prochain 3). Et c'est le sens de la question du Christ posee au docteur de la Loi: ,,Lequel de ces trois, te semble-t-il avoir ete le prochain de celui qui etait tombe en (mains de) brigands?". Cette question du Christ signifie au fond: ,,Quel est celui qui a juge, qui a considere, que la victime etait son prochain?"

C'est a dire que le Christ demande au docteur de la Loi de con- stater un fait brut et evident: ,,Lequel de ces trois a pense que la victime etait son prochain?". Car le Christ n'a pas demande du tout au docteur: ,,Ne te semble-t-il que le pretre et le levite devaient aider la victime, en la considerant comme leur prochain?". De meme le Christ n'a pas affirme d'emblee et de prime abord que la victime etait bien le prochain du pretre et du levite. Et la raison en est que le docteur de la Loi pouvait Lui repliquer tout de suite que l'heretique Essenien n'etait point le prochain du pretre et du levite et qu'on ne devait pas porter secours a un tel homme. De plus le Christ pouvait etre accuse par le docteur de la Loi, par les Pharisiens et les Sadduceens, d'etre un Esseniens ,,cryptique, cache" comme II fut accuse par eux d'etre un Zelote cache, cryp-

1) ,,Plus que tous c'6taient les Juifs, qu'ils (i.e. les Samaritains N. de 1'A.) d6testaient, auxquels si souvent le sort les enchaina par des communs dangers, mais avec lesquels ils refuserent g6n6ralement de faire cause commune" S. W. BARON, Histoire d'Israel, tome II, Paris, 1957, p. 635.

2) MATTHEW BLACK, dans son livre The Scrolls and Christian Origins, London, I96I, p. 6i, cite le P. MILIK et affirme de meme que ce dernier, qu'il a pu exister une hostilit6 plus forte des Samaritains contre les Esseniens, outre le sentiment antisamaritain general des Juifs et l'aversion des Sama- ritains contre tous les Juifs. Cela parceque ,,Ephraim" semble signifier dans les textes de Qumran, comme dans maint endroit de 1'A.T. ,,Samaritain".

3) En ce qui concerne les Esseniens pour eux ,,le prochain" n'etait que le membre de leur secte. Cfr.: Rigle de la Communaute, VI, 26; VII, 4, 5, 6, 8, I5 et 17.

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tique 1). C'est pourquoi II enseigne au docteur de la Loi, d'une maniere indirecte et detournee, que m6me les membres des sectes rivales sont ses prochains et ont droit a sa compassion. En effet apres que le docteur eut repondu a la question du Christ et ait dit: ,,Celui qui a exerce sa misericorde" envers la victime etait son prochain, Jesus lui dit: ,,Va et toi aussi fais de meme". Cela veut dire: ,,Va et imite les pensees et les actions du Samaritain, qui a considere que la victime etait son prochain" ou encore cela veut dire: ,,Imite le Samaritain, et considere comme ton prochain meme un membre d'une secte rivale".

De cette fa9on s'explique, croyons-nous, la maniere indirecte et a mots couverts, dont le Christ enseigne au docteur de la Loi, que la victime des brigands Zelotes, l'Essenien deteste 2) par les Phari- siens (et le docteur de la Loi devait etre un Pharisien comme la plupart des docteurs de la Loi) est son prochain qu'il doit aimer comme sa propre personne.

XII. Les paroles du Christ: ,,Va et toi aussi fais de meme" enjoignent au docteur de la Loi d'imiter le Samaritain. Or le Samaritain avait surmonte l'aversion entre Juifs et Samaritains et avait eu pitie de la victime. C'est donc cela que le Christ com- mande au docteur de la Loi de faire, de surmonter la haine et l'hostilite envers un homme deteste, qui ne pouvait 6tre que le

1) Le Christ fut accus6 au fond par ses adversaires, devant Ponce Pilate, d'etre un Z1lote ,,cryptique, cach6" qui voulait se faire proclamer roi de Juifs ,,hic et nunc" comme l'affirmait l'ecrit pose au dessus de Sa croix: J6sus le Nazar6en roi des Juifs; puisque c'est les Z6lotes qui voulaient restaurer la royaut6 nationale et secouer le joug des Romains. A ce sujet voir le livre de MARTIN HENGEL, op. cit., et aussi le livre du prof. OSCAR CULLMANN, Der Stadt im Neuen Testament, Tiibingen, i96i, 2-e Auflage.

Mais cette parabole du bon Samaritain prouve aussi, s'il fallait apporter un argument de plus, que les doctrines des Z61otes sont a l'oppos6 de l'en- seignement du Christ, puisque cette parabole enseigne qu'il faut aimer son prochain et que le prochain est tout homme qui souffre, et meme celui qui fait partie d'un secte rivale d6test6e. D'autre part il nous faut remarquer que cette parabole parait dirig6e aussi contre les doctrines de haine des Ess6niens; car elle enseigne une doctrine qui est exactement le contraire de celle des Ess6niens qui juraient une ,,haine 6ternelle" contre ceux qui 6taient les ennemis de leur secte, donc contre les membres des sectes rivales. (voir supra).

2) A. LOISY dans son livre L'Evangile selon Luc, Paris, 1924, p. 309 affirme, il nous semble, le premier que les Ess6niens se trouvent impliques dans cette parabole du bon Samaritain car il 6crit: ,,Le r6dacteur 6vang6lique aurait pris cette fable qui pourrait A la rigueur n'etre pas chretienne mais juive (ess6nienne par exemple) ..."

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LA PARABOLE DU BON SAMARITAIN

membre d'une secte rivale. Et, d'autre part, le docteur pour imiter le Samaritain, selon l'ordre du Christ, devait faire la meme chose que le Samaritain, c.a.d. surmonter son aversion envers un ennemi.

Mais dans ce cas, cet ordre du Christ, est une preuve que le pr6tre, le levite et m6me le docteur de la Loi, etaient des ennemis de la victime, tout comme le Samaritain etait ennemi des Juifs en general. Car le docteur de la Loi ne pouvait imiter le Samaritain, que s'il etait dans le meme rapport affectif, d'inimitie, envers la victime des Zelotes. Et il ne pouvait imiter le Samaritain qu'en considerant comme son prochain, quelqu'un qui etait son ennemi, selon la doctrine courante.

Par suite, il nous semble evident, que la victime des brigands etait un homme exerce et hai par le pretre et par le levite (peut-etre les deux, Sadduceens comme gens du Temple) et que le docteur de la Loi devait detester aussi (en tant que Pharisien). Et cet ordre de Jesus d'imiter le Samaritain est la preuve decisive que la victime des Zelotes etait un homme deteste. C'est justement pour cette raison que le Christ, fait intervenir le Samaritain dans cette parabole, afin de presenter un homme qui considerait la victime (en tant que Juif) un ennemi, tout autant que le pretre et que le levite ou que le docteur de la Loi. Mais ce sentiment, a disparu tout de suite chez le Samaritain, qui a considere que la victime etait son prochain, tandis que le pretre et le levite ont persevere dans leur haine et leur inimitie.

Sans doute, le sens allegorique de toute parabole (qui est par definition meme un discours allegorique) est le seul edifiant au point de vue spirituel et moral 1).

Mais l'arriere-fond historique d'une parabole peut rendre plus riche le sens allegorique et surtout, peut faire decouvrir d'autres sens figuratifs insoup9onnes peut-etre.

I1 nous faut cependant conclure que dans cette parabole appa- raissent encore les deux sectes politico-religieuses secretes et qui devaient rester cachees, au temps du Christ: Les Esseniens et les Zelotes. Mais le Christ les nomme a mots couverts, comme dans

1) Les Saints Peres ont comment6 cette parabole du bon Samaritain en montrant son sens profond, all6gorique, et St. Cyrille d'Alexandrie (MIGNE, P. G. vol. 72 Comment. in loco), explique que la victime est l'homme en g6n6ral qui en tant qu'homme a droit a la charit6. L'auberge c'est 1'Eglise, l'auber- giste ce sont les pretres et les docteurs de l'Eglise. Les deux deniers du bon Samaritain sont les deux Testaments. Cfr. aussi: St. Theoplylacte, archeveque de Bulgarie, Comment. in loco, Migne, P.G. vol. I23.

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d'autres passages des Evangiles, ce qui n'empeche point ses audi- teurs et Ses contemporains de comprendre tres bien de qui il

s'agissait lorsqu'I1 parlait de ,,brigands" pour nommer les Zelotes ou de l'homme allant dans la ville de Jericho pour appeler ,,l'homme de Jericho" c'est a dire 1'Essenien.

Par suite cette parabole du bon Samaritain comprend une nouvelle mention des Esseniens dans le N.T. et c'est la, croyons-nous, son

importance, pour prouver que les Esseniens etaient bien connus

par le Christ et qu'ils se trouvent cites dans le N.T., qui d'autre

part contient des nombreuses allusions claires ou voilees contre les doctrines esseniennes, comme aussi contre les doctrines des Zelotes. Car il ressort de cette parabole aussi, que le Christ reprouve la haine contre les sectes rivales, prechee surtout par les Esseniens et par les Zelotes, mais qui etait enseignee de meme par les Saddu- ceens et les Pharisiens.

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