Les Gouliards

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Revue Britannique

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  • @ www.artgauth.com - Travaux dsotrisme 1/24 20 octobre 2001

    Les Gouliards

    de Grasset d'Orcet, in La Revue Britannique, dcembre 1880

    I

    Nul dans l'histoire des temps modernes n'a jou un rle plus considrable que l'association secrte connue du onzime au treizime sicle sous le nom de Gouliards ou fils de Goulia. Cette association ne s'est dissoute qu'au commencement de ce sicle, aprs avoir pleinement atteint le but qu'elle s'tait propos depuis plus de mille ans, et qui tait de substituer la souverainet du peuple celle de l'Eglise et de la noblesse. La destruction de la royaut n'entrait point d'abord dans ce programme; on peut mme dire que, pendant plusieurs sicles, les fils de Goulia furent les plus fermes soutiens du pouvoir royal; mais la restauration des tudes classiques, au seizime sicle, fit refleurir lidoltrie rpublicaine, qui vint s'enter d'une faon assez biscornue sur le radicalisme galitaire et dmocratique des Gouliards, et ils se trouvrent avoir renvers le trne en mme temps que l'autel. Ce ne fut pas toutefois sans une violente rsistance d'un bon nombre d'entre eux, et, autant qu'on en peut juger par le peu de renseignements qu'il a t possible de recueillir jusqu'ici sur ces dbats intimes d'une association dont les annales sont uniquement crites en hiroglyphes, ce fut cette divergence d'opinions qui dcida les Gouliards ne plus faire d'adeptes et se dissoudre par l'extinction successive des membres survivants, qui emportrent avec eux dans la tombe le secret de leurs prdcesseurs. Tout, jusqu leur nom, se serait enseveli avec eux dans les tnbres de l'oubli, s'ils n'avaient laiss quelques recueils de posies latines, aussi tranges par la forme que par le fond, qui ont attir sur eux l'attention du monde savant. On s'est demand ce que c'tait que les Gouliards, d'o ils venaient, quel avait t le but de leur secte ou de leur ordre, et quand ils avaient disparu de la scne, et un savant italien, M. Alfred Straccali, a rsum dernirement, dans une srie d'articles publis par la Rivista Europea, tout ce que l'on savait des Gouliards du moyen ge. Nul doute qu'ils ne fissent partie de ces clerici vagantes, dont la tradition s'est continue jusqu' nos jours en Allemagne et en Espagne, et dont un spcimen trs enjoliv, mais considrablement corrig, lestudiantina madrilegne,a excit pendant quelques jours la curiosit boulevardire. Si raffine qu'elle ft, cette confortable estudiantine avait conserv sur son chapeau le blason trs peu patricien de ses prdcesseurs pour de bon : une fourchette et une cuiller d'ivoire en sautoir, ce qui donne le vers picaresque suivant : Sauter hyver forche escolier. (L'hiver force les coliers a sauter.) En effet, dans ces temps o l'art du fumiste tait dans l'enfance et o la haute noblesse russissait a peine rendre ses appartements habitables l'aide de ces immenses chemines qui semblaient faites pour chauffer le ciel et non les malheureux humains, les salles dpourvues de toute espce de calorifre des vieilles universits taient parfaitement intenables dans la rigoureuse saison, tant pour les professeurs que pour les lves, et ceux-ci mettaient profit ce chmage forc, les riches pour visiter les curiosits des pays environnants, et les pauvres, cest--dire les plus nombreux, pour aller mendier de porte en porte les ressources ncessaires la continuation de leurs tudes. Mais le bourgeois et le grand seigneur d'alors ne diffraient pas sensiblement de ceux d'aujourd'hui sous le rapport de l'indiffrence aux misres du prochain. A d'honntes tudiants mendiant pour continuer leurs tudes, ils n'auraient pas donn un rouge liard, tandis qu'ils se rsignaient ouvrir leurs aumnires pour rcompenser d'effronts bohmes qui taient venus interrompre le cours de leur monotone existence et drider leurs faces renfrognes par des bouffonneries obscnes, et surtout impies.

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    Ces clercs errants, dont la plupart se destinaient l'tat ecclsiastique, ne rougissaient donc pas de s'organiser pour la circonstance en compagnies de jongleurs, de bateleurs et d'histrions, qui ne reculaient devant aucune loi divine ethumaine; et comme ils menaient joyeuse vie pendant ces caravanes drlatiques, il n'y avait pas parmi eux que de pauvres hres. Bon nombre de jeunes gens des plus nobles familles s'associaient ces saturnales cheveles qui revenaient tous les ans chaque carnaval; mais ils n'taient reus qu'aprs avoir pris vis--vis de leurs associs des engagements qui les liaient eux pour le reste de leur vie, ils ne pouvaient y forfaire sans encourir les peines les plus cruelles, toujours impitoyablement appliques, et le premier de ces engagements tait d'aider de tout son pouvoir, en toute occasion, tout membre de la secte ou de l'ordre des Gouliards. Ceux-ci s'taient donc constitus sur le modle des fratries ou thyases antiques, qui taient galement des socits o les banquets et la danse jouaient le premier rle, et o l'on n'tait admis que sur la prsentation d'une tessre ou d'un jeton blasonn dont le porteur devait tre en tat de donner la traduction. Les premiers chrtiens eux-mmes n'taient pas organiss autrement, ainsi que le prouvent les abraxas ou tessres basilidiennes, qu'on retrouve encore en si grand nombre, et le passage de l'Apocalypse de saint Jean qui y fait allusion. Telle est l'origine du blason moderne, et tous les fils de Goulia attribuaient formellement l'auteur de ce livre mystrieux l'invention de l'criture hiroglyphique dont ils se sont servis jusqu' nos jours. Aussi saint Jean est-il rest en honneur parmi les francs-maons, qui ont hrit d'une bonne partie des traditions des Gouliards, mais sans tre initis au secret de leur criture ni de leur philosophie intime. Nous verrons par la suite de cette tude que, bien que l'Eglise romaine possdt tous les secrets des Gouliards, sans exception aucune, elle les a toujours tolrs, avec une patience d'autant plus inexplicable qu'ils s'taient institus pour battre en brche tous ses dogmes politiques et religieux et qu'ils niaient obstinment le Dcalogue et la divinit du Christ. Je ne crois mme pas qu'ils aient t jamais inquits par l'inquisition espagnole, et Rome leur accorda constamment la libert la plus complte de tout penser, de tout crire et de tout dire, pourvu qu'ils se renfermassent dans l'criture hiroglyphique que nous nommons le blason et le langage, fond sur les mmes principes, que Rabelais dsigne sous le nom de lanternois, mais dont la basoche s'tait servie bien longtemps avant lui et continua se servir bien longtemps aprs lui. Les princes temporels furent beaucoup moins tolrants, et indpendamment du supplice des Templiers, qui taient Gouliards jusqu' la moelle, on cite pas mal de perscutions diriges contre les Socits secrtes d'coliers; mais celles-ci se vengrent toujours cruellement, si bien qu'unies aux initis de chaque corporation ouvrire, elles constiturent, une poque encore inconnue, mais certainement trs ancienne, une mre-loge, laquelle tenaient tre affilis les plus grands seigneurs et les plus grandes dames, notamment Diane de Poitiers et Mme de Pompadour, qui furent toutes deux matresses-pourples de la mre loge des Fils de Goulia. Cette mre loge, qui runissait les chefs de toutes les corporations, y compris le clerg, formait une espce de parlement occulte, qui, presque toujours, tait sous le patronage mme du roi, et que celui-ci tenait essentiellement consulter dans toutes les grandes circonstances. Les demandes et les rponses se faisaient galement par planches hiroglyphiques. A dfaut d'interrogation, la mre loge ne se gnait pas pour mettre des avis dans la mme forme, dont il tait presque toujours tenu compte, et Louis XIV, qu'on prtend avoir t si absolu, consultait la mre loge ni plus ni moins que ses prdcesseurs. Elle avait vot la Saint-BarthIemy; il est probable qu'en cherchant bien on retrouverait son vote sur la rvocation de l'dit de Nantes, comme plus tard elle dut voter la mort de Louis XVI. Ces votes peuvent sembler disparates et cependant elle ne s'carta jamais de son but, qui tait, ds l'origine, d'abattre la noblesse. Or, en France, le protestantisme fut le dernier refuge des tendances et des traditions aristocratiques.

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    Tels sont les caractres gnraux de l'ordre des Gouliards. Il a toujours t affili la franc-maonnerie moderne, et, au premier abord, on serait tent de le confondre avec elle; mais, pour tre Gouliard, il fallait ncessairement avoir le degr de matrise dans une corporation, et Mme de Pompadour n'y entra qu'en qualit de matre graveur. Il est probable que Diane de Poitiers faisait partie de la corporation des architectes; on sait que Charles IX appartenait celle des armuriers. L'initiation tait donc toute diffrente et autrement difficile que celle des francs-maons, qui n'exigent de leurs adeptes qu'une simple cotisation. N'tait pas Gouliard qui voulait, et ils formaient une lite ou tat-major de toutes les forces vives de la nation, dont la franc-maonnerie composa plus tard la troupe. Les Gouliards n'taient pas exclusivement Franais; ils n'taient gure moins rpandus en Allemagne, sous le nom de rose-croix et d'illumins. Ils existaient en moins grand nombre en Angleterre, en Italie et en Espagne; mais partout ils se servaient de la mme langue et de la mme criture, le blason, auquel ils donnaient le nom de rimaille. Dans certaines professions, notamment toutes celles qui se rattachaient aux arts du dessin, on peut tablir en principe que l'initiation l'ordre des Gouliards tait obligatoire : elle faisait partie du secret de matrise; mais nous verrons par de nombreux exemples que mme les professions qui ne savaient pas dessiner taient inities au secret du blason, ou l'art d'crire par les choses (rbus), et savaient fort bien le prouver l'occasion l'aide de charades ou de mascarades satiriques, qui, pour tre composes par des meuniers ou des coiffeurs, n'en taient pas moins mordantes. Il est remarquer que jamais aucune de ces bouffonneries ne fut punie, bien que les allusions auxquelles on s'y livrait fussent souvent aussi audacieuses que transparentes. La rpublique d'aujourd'hui serait assurment moins patiente et moins indulgente que l'ancienne royaut et la papaut. Il est vrai qu'on trouve, dans un certain nombre de canons de conciles ou d'ordonnances royales, des tentatives de rpression contre les Goliardi ou clerici vagantes; mais ni les uns ni les autres ne s'appliquent en quoi que ce soit aux loges corporatives dont j'ai parl plus haut. Celles-ci, papaut et royaut taient censes en ignorer l'existence; ou bien elles rentraient dans les privilges accords, mais le plus souvent vendus, ds le dixime sicle, aux syndicats de chaque corporation.

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    Il

    D'o venait la famille de Golia, et que doit-on penser de ce personnage? Les incarnations ne lui ont pas fait dfaut, et l'on a voulu voir en lui l'Anglais Map, ami du roi d'Angleterre Henri II, qui ne vcut pas toujours dans les meilleurs termes avec la papaut; mais ce personnage vivait au douzime sicle, et la famille de Goulia existait certainement au onzime, car si le concile du dixime sicle, qui condamna les Gouliards, est considr par M. Straccali comme apocryphe, il n'en est pas de mme des innombrables ttes de perroquets qui ornent les chapiteaux des glises romanes du onzime sicle. Or on sait qu'en vieux franais le perroquet se disait pape guay et pape gault, autrement dit pape Gouliard. Les Gouliards possdaient, en effet, une hirarchie qui parodiait celle de l'Eglise romaine, et dont l'numration complte nous est fournie par le fameux chapitre de Rabelais sur lIle sonnante. Ils avaient donn au perroquet le nom de leur plus haut dignitaire, et ils sont aussi anciens que le nom du pape gault (la vritable tymologie de ce nom est arabe; il s'est introduit en France dans le neuvime sicle, avec les invasions musulmanes). La philologie allemande ne pouvait manquer de faire intervenir le gant Goliath titre d'anctre de l'ordre des Gouliards; telle est l'opinion de Giesebrecht, accepte par M. Straccali, qui suppose que ce personnage aurait pu tre adopt pour patron la suite de quelques-uns de ces mystres que les Gouliards jouaient dans les glises. Je crois inutile de m'arrter l'examen de cette opinion. Grimm fait intervenir le provenal, dans lequel galiar, gualiar veut dire tromper, et qui a donn le mot gualiarder, d'o Gouliard; mais il serait plus simple de recourir tout droit au parisien gouailleur, synonyme bien connu de blagueur, et l'argot goualeur, qui veut dire chanteur, si ce n'tait mettre la charrue avant les boeufs. En effet, les Gouliards taient des gouailleurs et des goualeurs; mais c'est leur nom mme qui est tymologie de ces deux expressions populaires, et non leur driv. Une autre expression non moins populaire, port sur sa gueule, rend parfaitement le caractre des Gouliards. Ce dfaut a toujours t celui des clercs et des moines de tous les temps et de tous les pays; aussi, ds le neuvime sicle, le concile d'Aquisgraux, tenu sous le rgne de. Louis le Pieux, ordonnait-il aux hauts dignitaires de l'Eglise de ne pas admettre dans leur socit et surtout aux offices ces clercs qui, abandonnant leurs clotres, deviennent vagi et lascivi, gulae et ebrietati et caeteris suis voluptatibus dediti, quidquid sibi libitum est licitum faciant. Il existait donc, ds le neuvime sicle, c'est--dire immdiatement aprs la rorganisation des coles par Charlemagne, des bandes de clercs errants, qui furent plus tard connus sous le nom de Gouliards; mais tous ces vagabonds ne faisaient pas ncessairement partie de la famille ou de l'ordre de Goulia, et tous ceux qui en faisaient partie n'taient pas ncessairement des vagabonds, tant s'en fallait mme de beaucoup. Nous allons voir, en tudiant les dogmes des Gouliards, qu'ils provenaient des anciennes fratries paennes, et qu'ils taient pour ainsi dire le confluent d'un double courant, l'un clerc et l'autre ouvrier ou artisan, pour me servir de l'ancienne expression franaise, qui est beaucoup plus juste que la moderne. Charlemagne, en concentrant dans les clotres tout cequi restait de traditions scientifiques, littraires et artistiques, se trouvait en avoir fait en mme temps des foyers de paganisme, car partir de son rgne et jusqu la fondation des grandes universits, ce fut exclusivement dans les couvents que s'enseignrent l'architecture et tous les arts qui s'y rapportent, cest--dire la sculpture et la peinture. Or le christianisme n'avait nullement fait tomber en dsutude la langue mystique dont se servaient tous les artistes de l'antiquit; les catacombes sont pleines de rbus chrtiens, et mme de si nafs, que ce sont eux qui les premiers ont attir l'attention du savant Rossi sur l'hiroglyphisme de l'art antique : tel est, par exemple, le nom de saint Pierre crit par un homme fendant une pierre. La pierre n'a pas besoin d'explication, mais il est remarquer que sanctus en latin, aghios en grec, kadesh en hbreu, sont des mots qui impliquent tous l'ide de fendre ou de sparer, de sorte qu'une pierre fendue crit le nom de saint Pierre dans ces trois langues. Les artistes chrtiens, saint Jean en tte, avaient donc conserv l'criture mystique du paganisme, et l'on retrouve dans l'Apocalypse une foule de personnages de la gnose. Ce cortge, qu'on pourrait appeler classique, n'est pas pass cependant dans l'art chrtien, et l'on n'y dcouvre aucune trace de la formule de la vie ternelle qui sert de thme invariable a l'art grec. Aussi loin qu'on peut le saisir, l'art moderne se montre dpourvu de tout mysticisme religieux et uniquement proccup de faire triompher le riche sur le pauvre. Ce

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    but, dj trs nettement indiqu dans l'Apocalypse, a t poursuivi par les Gouliards avec une infatigable persvrance jusqu' ce qu'il ait t pleinement atteint par la rvolution franaise, et il a t poursuivi avec la mme ardeur par les deux grands courants qui s'taient juxtaposs dans les clotres lorsque Charlemagne en fit le refuge de tout savoir et de toute libert de pense. De l les deux grandes subdivisions de l'ordre des Gouliards, les maons et les escribouilles (Note : Ce mot se retrouve chez les crivains du dernier sicle, sous la forme skribouler, probablement rimporte d'Allemagne, avec le sens de pamphltaire). Les maons taient les architectes; quant aux escribouilles, ils ont d dans l'origine se limiter aux copistes ou crivains de bulles, qui taient, comme l'on sait, enjolives de miniatures; mais plus tard les escribouilles paraissent avoir englob tous les arts du dessin dans toutes leurs varits, telles que peintres, graveurs et encadreurs. c'est cette profession que semble avoir t emprunt le titrede pourple ou pourpre, qui tait le plus haut degr de la hirarchie des escribouilles, et dont le privilge consistait se servir d'encre pourpre et encadrer ses compositions dans des bordures de cette couleur. Le mme privilge existait chez les calligraphes byzantins; mais les perscutions iconoclastes semblent avoir ananti chez eux les traditions de l'hiroglyphie grecque, dont il m'a t impossible de retrouver les traces dans le byzantin moderne, bien qu'elle subsiste tout entire dans la composition des anciens ornements religieux. J'ignore si l'hiroglyphie latine (Note : un curieux exemple d'hiroglyphie latine se voit au Louvre dans la galerie des spultures chrtiennes; c'est un enfant avec un oiseau et un raisin dans les mains, ce qui donne en latin : PUER IUVA MANIBUS AVE. (Enfant, sois heureux chez les mnes. Salut.), dont on retrouve d'assez nombreux exemples dans les premires spultures chrtiennes, a dur longtemps; mais ce qui est certain, c'est que, si la famille de Golia nous a laiss des posies latines, elle ne s'est jamais servie que du franais dans la composition de ses hiroglyphes, et que j'ignore compltement quelle date cette langue a t introduite dans le domaine de l'art, car tout ce que j'ai pu dchiffrer de numismatique gauloise et de monuments gallo-romains est manifestement rdig en grec. Cependant, le muse d'Epinal contient un certain nombre d'antiquits gauloises qui prouvent que l'emploi d'hiroglyphes dans cette langue est trs antrieur au moyen ge, et de ce nombre sont les groupes de la divinit connue sous le nom de Rosmert, qui se composent d'une sirne mordant un cheval. Ross tait un des noms gaulois du cheval, et dsignait spcialement un cheval rouge, ce mot est rest dans notre langue en changeant de signification. Rosmert signifie qui mort le cheval (rosse mord). Un autre monument du mme muse porte une lgende trusque traduite en hiroglyphes gaulois, dont je ne signalerai que le nom de la desse grco-trusque Sybarin ou Sybaris, qui signifie la mollesse, et qui est rendu par un dauphin, en gaulois c, et un corbeau, en gaulois brun, ce qui fait cbrun pour sybarin. On peut encore citer l'autel des nautes parisiens, qui porte sur une face un taureau avec trois grues, traduction vidente de TAVROS TRIGARANVS; sur l'autre un personnage avec une hache, hiroglyphe d'ESVS; sur la troisime un personnage avec une perche, LOVIS, en franais moderne une latte; et sur la quatrime un dieu avec des tenailles, VOLCANVS. Les tenailles se disaient volk, qui se prononait fork, en latin furca, d'o nous avons fait forge et forgeron. Les tenailles figurent sur nombre de mdailles des anciens Belges pour crire leur nom national. Volcan en gallo-belge signifiait le tenailleur ou le forgeron, et il est probable que ce dieu latin est d'origine gauloise. Il est permis de conclure de ces exemples que, bien que refoule par la langue grecque sous la domination romaine, la langue gauloise, en tant que langue artistique, ne se perdit pas compltement, et reparut tout naturellement lorsque le grec cessa d'tre compris des artistes gallo-romains, par suite de la ngligence des tudes classiques. Le plus ancien exemple que je connaisse de l'emploi du vritable franais comme langue hiroglyphique, et en mme temps le premier spcimen de la caricature moderne, est un chapiteau carlovingien de la cathdrale de Saint-Di dans les Vosges, qui reprsente Charles le Chauve pleurant de peur d'attraper la peste. Cette charge fort spirituellement compose, qui, au premier abord, ressemble a une tte barbue, chevelue et larmoyante, se compose, quand on l'examine avec plus d'attention, d'un vque entre deux lis. La barbe, les moustaches et le nez du personnage sont forms par l'aube, le manteau et la tte de l'vque; les lis se rabattent sur la mitre de faon former des yeux sourcilleux, et les mains de l'vque en sortent comme des larmes. Les Italiens de nos jours cultivent encore avec ardeur ce genre de grotesque.

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    Mais bien que ce soit cette partie de la France qui, ma connaissance, fournisse les spcimens les plus nombreux et les plus intressants de l'ancien art gaulois et de l'art carlovingien ou roman, qui, selon toute probabilit, n'en est que la continuation, ce n'est pas en Lorraine qu'il faut chercher le berceau de le famille de Goulia, ou, en d'autres termes, de la franc-maonnerie du moyen ge, car nous allons voir que les Gouliards et les francs-maons n'taient qu'une seule et mme socit, dont le dogme fondamental tait le culte de saint Gall, saint Gaul ou saint Gly, ce qui, dans les dialectes du Limousin, veut dire saint Coq. En effet, Rabelais, qui a entreml dans son Pantagruel les dogmes des Gouliards, dont il tait l'un des grands dignitaires, et les gauloiseries de la cour de Franois 1er, dit dans la prface de son quatrime livre que, selon le proverbe des Limousins, faire la gueule d'un four sont trois pierres ncessaires , les deux piles et la clef ou le coignet. Ces trois pierres sont la trinit franc-maonnique ou le dolmen, et ce dogme tait commun aux architectes grecs et gaulois, car sur la plupart des tombeaux d'ordonnance hellnique on peut observer, l'arrire-plan de presque tous les bas-reliefs, une porte compose des trois susdites pierres, que nos archologues nomment un portique ; mais chez les Grecs elle portait le nom de pyl, et chez les francs-maons celui de pile, mot essentiellement franais, qui dsigne chez nous toute espce (l'entassement : une pile de boulets, d'cus, etc. Cette porte ou pile, le dieu Janus des Romains, l'difice rduit sa plus simple expression, tait oriente de manire faire face l'Orient ou l'Occident, suivant que ses constructeurs adoraient le soleil levant ou le soleil couchant; mais ses deux piles ou piliers rpondaient toujours au nord et au midi. Celle du nord reprsentait le principe humide et fminin ou la chienne, Kyna; et celle du midi, le principe sec et masculin o le renard, Keletes. Or, ce Keletes tait prcisment le dieu philistin Goliath, qui tait, comme on sait, d'origine grecque ou crtoise; son nom en grec veut dire trompeur, et nous allons voir qu'il tait particulirement en honneur chez les francs-maons, tandis que lEglise romaine adore principalement la Vierge Marie, qui occupe toujours la porte nord des glises dites gothiques et particulirement celle de Notre-Dame de Paris. Faut-il en conclure que Giesebrecht aurait eu raison en faisant venir le nom des Gouliards de celui de Goliath? Non certainement, les Gouliards repoussaient toute tradition hbraque, et particulirement le Dcalogue. Leurs dogmes taient le nec plus ultra du rationalisme populaire pratique. De la pile du Chien ou du principe humide des Grecs, ils avaient fait prosaquement le boire, et de la pile du Renard ou du principe solide, ils avaient fait le manger, qui leur semblait encore plus indispensable que le boire. Tel est le sens exact des deux colonnes J et B de la franc-maonnerie actuelle. Le premier article de leur Credo se rsumait dans ce vers : Pourple boire manger colonnes veult. Le second tait: Proche qui t'aide l'ait pareille. Et le troisime : Secret qu'ont pas, point oeuvre dcle. Ne dcle pas le secret de l'oeuvre ceux qui ne l'ont pas : tel tait le fond de toutes les franc-maonneries grecques et notamment de la doctrine expose par Platon dans son fameux Banquet, ou, pour parler plus exactement, tel est le fond de toutes les franc-maonneries prsentes, passes et futures.

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    III Le boire et le manger ou le liquide et le solide allaient se runir dans ce que le Gouliard nommait la tripe, qui tait son pantocrator; aussi l'un de ses principaux signes de reconnaissance tait-il de montrer la paume de la main gauche ou paume du ct tort, ce qui se traduisait: Tripe il aime. La tripe tait en effet le bon architecte de toutes choses, qui faisait tout sans avoir l'air de rien faire; et les pourples ou initis qui ne travaillaient pas de leurs mains, mais de leur cerveau, se considraient comme la tripe des corps d'arts et mtiers. Cette doctrine leur avait t du reste transmise par les maonneries antiques, comme le prouve le fameux apologue des membres et de l'estomac, de Mnnius Agrippa. On y reconnat d'ailleurs, premire vue, lbauche grossire du dogme chrtien de l'eucharistie. La messe est le souvenir pur de tous les banquets qui runissaient les thyases de l'antiquit, aussi bien que les loges du moyen ge, si bien que Platon, en exposant, sous une forme hiroglyphique, les doctrines de son temps, a cru devoir aussi prendre pour cadre un banquet. La fameuse anank des anciens, c'tait la tripe ; aussi le livre de Platon, la fois si obscur et si lumineux, n'a-t-il pas de meilleur interprte que le Gouliard Rabelais dans son fameux chapitre sur messer Gaster, qui expose, son point de vue le plus lev, la doctrine philosophique de ses coreligionnaires. En effet, personne, dans les temps modernes, n'a mieux compris Platon et n'tait mieux prpar le comprendre. Tous deux sont des rvlateurs de mystres, jouant un rle des plus dangereux, et tous deux emploient identiquement la mme mthode. Ils commencent par promener le lecteur dans un labyrinthe qui le dsoriente compltement; mais tout le long de la route ils l'amusent, en lui contant des histoires dormir debout, si elles n'taient pas aussi merveilleusement contes; puis, quand ils le supposent tourdi et bloui comme quelqu'un auquel on ferait miroiter longtemps une foule de glaces dans les yeux, ils le mettent brusquement en face du fait brutal; mais ses yeux sont alors tellement fatigus, qu'il ne peut plus rien discerner, et passe sans l'avoir vu. J'ai expos dans une autre tude la faon dont s'y tait pris Rabelais pour rvler le plus crment du monde le secret de la naissance de Franois II. Ce secret n'en tait pas un pour la plupart de ses contemporains, et il n'tait pas le premier Gouliard qui en eut fait part au public. Un chroniqueur savoisien, Franois de Bonnivard, rapporte une mascarade de la basoche de Paris, qui tait autrement hardie, autrement brutale et autrement obscne que tout ce qu'a os Rabelais, et ne laissait aucun doute sur la culpabilit du roi, pas plus que sur celle de Catherine de Mdicis et de Philibert Delorme, qui tait accus de leur avoir servi d'intermdiaire et en avait t rcompens par le titre d'architecte du roi. Le rcit de cette mascarade est rapport tout au long dans lHistoire de la caricature sous la Rforme, de Champfleury (p. 8), et il donne la page 42 une caricature ayant pour titre : Des actes et gestes merveilleux de la cit de Genve, qui est due Fromment, le secrtaire du mme Bonnivard, et qui traduit hiroglyphiquement le rcit de ce chroniqueur. lI est remarquer que la basoche ne fut pas inquite pour avoir bafou aussi irrvrencieusement la majest royale, ce qui explique l'impunit dont jouit lui-mme Rabelais, qui tait beaucoup moins clair et beaucoup moins tmraire. Quant Catherine de Mdicis, elle faisait collection de toutes les pices de ce genre publies contre elle, et cet intressant recueil, qui semble tre en grande partie de la main de Philibert Delorme, nous a t conserv sous le faux titre de : Proverbes, Adages et Allgories du quinzime sicle. M. Champfleury en a publi, dans son Histoire de la caricature, la Chandelle et lHabit ne fait pas le moine, qui sont, l'un et l'autre, de la main de Philibert Delorme; mais il en cite un troisime qui est de la composition de Diane de Poitiers et n'est autre que la lettre mystrieuse par laquelle elle apprenait Henri II ses infortunes conjugales, en hiroglyphes tellement clairs, qu'il tait difficile de ne pas les lire. Le fragment reproduit par Champfleury donne les trois vers suivants : Sire, dame ne craigne eveque Sens vole, Pas veuille ne bru pre caresse la, Pas lOrme veuille n'aidle baille (P. 34.),

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    L'vque de Sens tait le futur cardinal de Lorraine, et l'Orme pour Delorme est suffisamment transparent. Dans son oracle de la sibylle de Panzourt, Rabelais dit, aprs lui avoir prdit un malheur dj arriv, que la chose serait crite, mais non toute; il est probable qu'il n'avait point connaissance de cet envoi, car on ne voit pas ce qui pouvait rester apprendre Henri II. Il en donna communication a Catherine de Mdicis, qui, probablement, le fit copier pour y rpondre. Quant l'effet que pouvaient produire de semblables rvlations, il devait tre peu considrable. Tous les hauts personnages politiques ont t, de tout temps, exposs a ces coups d'pingle; aussi finissent-ils par ne plus y faire attention, et d'ailleurs, si Henri II tait Gouliard, c'et t manquer aux rglements de l'ordre que de s'en fcher. Quel que ft le rang d'un Gouliard, tout tait permis contre lui, pourvu que tout se passt entre initis. Il tait infiniment plus dangereux de dvoiler les secrets de l'ordre lui-mme, et surtout ses doctrines secrtes, moins que ce ne ft en hiroglyphes. En ce cas, les artistes gouliards qui n'avaient pas d'autre sujet sous la main calligraphiaient les maximes de la Gouliarderie, et M. Champfleury en rapporte un curieux exemple d'aprs Thodore de Bry (p. 217); mais gnralement leurs compositions taient de vritables gazettes secrtes, qui rvlaient aux initis les nouvelles de la cour et particulirement les bruits de guerre comme intressant davantage le commerce. Sous Louis XIV, on trouve une collection connue sous le titre des Embarras de Paris, qui semble avoir t une vraie gazette hiroglyphique priodique, et, pour tre plus facile dchiffrer, elle est maille de lgendes crites donnant les noms des objets que le dessin n'est pas apte rendre. Ainsi, Guillaume d'0range est dsign par une lgende qui le nomme le matre d'htel achetant des harengs, et celle de Mme de Maintenon apprend que l'objet qu'elle tient la main est un tignon, ce qui fait main-tignon. Il en est de mme des assiettes rvolutionnaires et des caricatures hollandaises, o les lgendes finissent par prendre presque compltement la place du dessin, ce qui en fait des pamphlets beaucoup moins intressants que ceux de Rabelais, mais conus, en dfinitive, sur le mme plan, et ce plan consiste noyer une phrase ou un mot dans un dluge de non-sens, tout en laissant l'initi un fil d'Ariane invisible pour le mener l o l'auteur prtend le conduire. Ainsi, avant d'arriver au chapitre LVII de son quatrime livre, qui est le plus important de toute son oeuvre et l'un des plus importants qui aient t crits depuis le Banquet de Platon, Rabelais commence, ds le chapitre LVI, solliciter l'attention de l'initi, en lui racontant comment entre les paroles dgeles Pantagruel trouva des mots de gueule. Lors, dit-il, nous jeta sur le tillac pleines mains de paroles geles, et sembloient drages perles de diverses couleurs. Nous y veismes des motz de gueule, des mots de sinople, des mots de azur, des mots de sable, des mots dors, lesquels, estre quelque peu chauffez entre nos mains, fondoient comme neiges, et les oyons, mais ne les entendions, car c'estoit languaige barbare. Cependant, si lon runit les noms de couleurs numrs ci-dessus : gueule, sinople, azur, sable, or, on se trouve en face d'un vers gouliaresque qui donne la raison sociale, au moins apparente, de la socit de Golia : Goule, ce n'est plaisir se bailler. Golia, c'est s'adonner au plaisir ou se donner du bon temps. Mais ce masque picurien dissimulait des vises plus hautes, sans quoi un pape, Grgoire XIII Buoncompagni, aurait sans doute recul devant l'audace d'arborer, au-dessous de sa tiare pontificale, les insignes de l'ordre de Goulia, qui taient, au seizime sicle, un cu dit coeur, surmont d'une tte d'ange ou angelot, ce qui se lisait : croix signe, gueule, d'o l'on a fait rose-croix. En effet, l'poque o vivait Grgoire XIII, les Gouliards se divisaient en deux factions, dont l'une tait trs hostile au protestantisme, qu'elle considrait, non sans raison, comme un retour l'aristocratie, et ce fut elle qui fit la Saint-Barthlemy. Mais continuons lexamen des paroles de gueule jetes sur le tillac du vaisseau de Pantagruel par son pilote : Et y veids, ajoute-t-il, des paroles bien piquantes, des paroles sanglantes, lesquelles le pilot nous disait quelques foys retourner au lieu duquel estoient profres, mais c'estoit la guorge couppe, des paroles horrificques, et aultres malplaisantes voir.

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    Il rsulte de ce passage que tous les Gouliards n'observaient pas le rglement de leur ordre qui leur interdisait de rpondre autrement qu'en hiroglyphes. Le Gouliard Charles IX vengea d'un coup d'arquebuse les paroles de gueule dont Jean Goujon s'tait rendu complice envers sa mre, et Henri Il dut expier par la main de Montgomery quelque infraction aux lois gouliaresques. Nous verrons, dans la suite de cette tude, quelques exemples de chtiments maonniques, dont les Gouliards ont jug propos de publier les motifs. Aprs ces curieux dtails, Rabelais s'amuse donner quelques-unes de ces paroles de gueule, lesquelles en semble fondues ouysmes, hin, hin, hin, hin, his, ticque, torche, loigne, etc. Il est inutile de dire que c'est du lanternois ou, pour parler plus clairement, de l'argot de la basoche, qui, gnralement, se dispense des rimes en L du blason proprement dit; mais, ici, les rimes en L sont fournies par les virgules, et cette petite pice de vers dbute ainsi : 4 hin, his, ticque, torche, Ce qui se dchiffre : Croix signe ouvre gueule, sache est vrai Gault, etc. Le reste est trop gaulois pour tre rapport; mais le premier vers est intressant, parce qu'il fait allusion au signe de croix des Gouliards, qui tait leur vritable mot de passe. Rabelais le dcrit minutieusement dans le troisime livre, chap. XX : Comment Naz de Cabre par signes rpond Panurge. Il baisla assez longuement, et en baislant faisait hors la bouche, avec le poulce de la main dextre, la figure de la lettre grecque dite tau par frquentes ritrations ; puis leva les yeux au ciel et les tournoyait en la tte comme chvre qui avorte. Cette pantomime se traduisait: Croix signe ouvre gueule, mie ne repoulse Etre ne se voir pair le vaille cel. C'est--dire : Je fais le signe de la croix sur la bouche ouverte ; ne repousse pas celui que tu peux voir tre ton pair qui te vaille. C'est en effet des Gouliards que nous vient la formule : Libert, galit, fraternit, laquelle n'est elle-mme qu'une des variantes de la triade divine de Platon. Le Pantagruel, qui peut tre considr comme l'Evangile des Gouliards, nous a conserv la rponse de celui qui tait ainsi interpell par signes, dans le dialogue du marchand de moutons et de Panurge. Mais, dit Panurge, vendez-m'en un, et je vous le payray en roy, foi de piton. Combien? Nostre amy, respondit le marchant, mon voisin, ce sont moutons extraits de la propre race de celluy qui porta Phrix et Hell par la mer dicte Hellesponte. Cancre, dit Panurge, vous estez clericus vel addiscens. Ita sont choux, respondit le marchant; vere ce sont pourceaux, mais rr. rrr. rrrr. rrrrr. Ho Robin. rr. rrrrrr. Vous n'entendez ce languaige. Ce langage est cependant relativement clair pour du lanternois ; c'est un des Credo de la basoche, ou, pour parler plus exactement, un symbole qui sert de rponse au signe de croix sur la bouche. Pair rpond trahir point Christ, roi, Point qu'honore Rome, ne sire mie

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    Ne robe, ne devoir point reoit point (Note : ce baragouin est susceptible dune autre interprtation, si lon donne au point sa valeur hraldique, qui est grain ; mais il est inutile de sappesantir sur ces bagatelles, lorsquelles nont pas dintrt historique). C'est--dire : Le pair rpond qu'il ne trahira point quiconque n'honore ni Christ, ni roi, ni Rome, ne drobe pas son patron et ne reoit point ce qui ne lui est pas d. Comme on peut le voir, ce Credo tait purement ngatif, car la ngation est la base de toute franc-maonnerie : ceux de tous les corps de mtiers taient tablis sur les mmes principes et constituaient cette religion aujourd'hui dite de lhonneur. Le christianisme ordonne de rendre le bien pour le mal. La doctrine gouliarde, moins gnreuse, se contente d'ordonner la restitution de ce qui est d. Aussi le triomphe des religions ngatives est-il toujours passager, la victoire reste celle qui prche le dvouement et l'abngation, parce que c'est celle qui fait les meilleurs soldats, et nous allons voir que, tout Gouliard qu'il fut, Rabelais ne s'abusait point sur les vices de ses coreligionnaires, qu'il flagellait sans piti. Aussi eut-il grand'peine faire publier le quatrime livre de son Pantagruel, qui avait dplu tous les partis, et lui-mme finit par se rfugier au sein de l'Eglise romaine. Il mourut protg par le cardinal de Lorraine, et, s'il avait vcu plus longtemps, il se serait trouv de fait, sinon de coeur, avec les auteurs de la Saint-Barthlemy. Mais revenons a nos paroles de gueule. A la fin du chapitre LVI, Panurge, malmen par frre Jean, se dsole d'avoir entrepris un aussi long et aussi prilleux voyage, et s'crie : Pleust a Dieu qu'icy, sans plus avant procder, j'eusse le mot de la dive bouteille! Le lecteur va tre servi souhait, car il tait bien dans l'intention de Rabelais de terminer par le livre IV son singulier pome. Lauthenticit des livres V et VI n'a jamais t tablie d'une manire irrfutable, et, bien que je sois de ceux qui les croient de la main de Rabelais, je n'en reconnais pas moins qu'ils sont infrieurs de tout point aux quatre premiers, et que, bien loin de donner le mot de la dive bouteille, ils se terminent par la description de l'initiation d'un Gouliard et des turlupinades qui l'accompagnent, sans plus d'explications que les hiroglyphes que l'on retrouve sur une foule de leurs planches. Il n'en est pas de mme du chapitre LVII. Celui-l, c'est rellement le mot de la dive bouteille, la quintessence de toutes les philosophies secrtes du monde d'avant 89 et le vritable commentaire du Banquet de Platon. Aussi ne puis-je faire autrement que de le citer tout entier :

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    IV

    Comme Pantagruel descendit au manoir de messere Gaster, premier maistre s ars du monde. En icelluy jour Pantagruel descendit en une isle admirable entre toutes aultres, tant cause de l'assiette que du gouverneur d'icelle. Elle de tous coustez pour le commencement estoit pierreuse, montueuse, infertile, mal plaisante l'oeil, trs difficile au pied et peu moins accessible que le mons du Dauphin, ainsi dit pour ce qu'il est en forme de potiron, et de toute mmoire personne surmonter ne l'a pu, fors Doyar, conducteur de l'artillerie du roy Charles huitime, lequel avec engins mirificques y monta, et au-dessus trouva un vieil blier. C'estoit deviner qui transport l'avoit. Aulcun le dit estant jeune aignelet par quelque aigle ou duc chassant ravy s'estre entre les buissons saulv. Surmontant les difficults de l'entre peine bien grande, et non sans suer, trouvasmes le dessus du mons tant plaisant, tant fertile, tant salubre et dlicieux, que jepensoys estre le vray jardin et paradis terrestre, de la situation duquel tant disputent et labourent les bons thologiens. Mais Pantagruel nous affirmoit l estre le manoir de Arete (c'est Vertu), par Hsiode descript, sans toutefoys prjudice de plus saine opinion. Le gouverneur d'icelle estoit messere Gaster, premier maistre s ars de ce monde. Si croyez que le feu soit le grand maistre des ars comme escript Cicron, vous errez et vous faictes tord, car Cicron ne le creut oncques. Si croyez que Mercure soit le premier inventeur des ars , comme jadis croyoient nos antiques druides, vous fourvoyez grandement. La sentence du satiricque est vraye qui dict messere Gaster estre de tous ars le maistre. Avec icelluy pacificquement rsidoit la bonne dame Penie, autrement dite Souffret, mre des neuf muses, de laquelle jadis, en compagnie de Porus, seigneur de Abondance, nous nasquit Amour, le noble enfant mdiateur du ciel et de la terre, comme atteste Platon, in Symposio. A ce chevalereux roy force nous fait faire rvrence, jurer obissance et honneur porter, car il est imprieux, rigoureux, rond, difficile, inflexible. A lui on ne peut rien faire croyre, rien remontrer, rien persuader. Il ne oyt poinct. Et comme les Egyptiens disoient Harpocras dieu de Silence, en grec nomm Sigalion, estre astom, c'est--dire sans bouche, ainsi Gaster sans oreilles fut cr, comme en Gandie le simulachre de Juppiter estoit sans aureilles. Il ne parle que par signes, mais ses signes tout le monde obeist plus soubdain qu'aux dicts des prteurs et mandemens des roys. A ses sommations dlay aulcun et demeure aulcune il ne admet. Vous dictes que au rugissement du lyon toutes les bestes loing l'entour frmissent, tant (savoir est) que estre peult sa voix ouye. Il est escript, il est vray, je l'ay veu. Je vous certifie que au mandement de messere Gaster tout le ciel tremble, toute la terre bransle. Son mandement est nomm, faire le fault sans delay ou mourir. Le pilot nous racontoit comment un jour, l'exemple des membres conspirant contre le ventre, ainsi que descript AEsope, tout le royaume des Somates contre luy conspira et conjura soy soubstrayre de son obissance; mais bientoust s'en sentit, s'en repentit et s'en retourna en son service en toute humilit. Aultrement tous de male famine prissoient. En quelques compaignies qu'il soyt, discepter ne fault de supriorit et prfrence ; toujours va devant, y fussent roys, empereurs, voire certes le pape. Et au concile de Basle le premier alla, quoique on vous die que ledict concile fut sdicieux, cause des contentions et ambitions des lieux premiers. Pour le servir tout le monde est empesch, tout le concile labeure. Aussi pour rcompense il faict ce bien au monde, qu'il luy invente toutes arts, toutes machines, tous mestiers, tous engins et subtilitez; mesme s animaux brutaux il apprent ars desnies de nature. Les corbeaux, les gays, les papeguays, les estourneaux il rend poetes ; les pies il fait potrides et leur apprent languaige humain profrer, chanter, parler. Et tout pour la trippe. Les aigles, gerfaulx, faulcons, saires, laniers, austours, esparviers, esmerillons, oyseaux, aguars, peregrins, essors, rapineux, saulvaiges, il domestique et apprivoise, de telle faon que les abandonnant en pleine libert du ciel, quant bon ly semble, tant hault qu'il voudra, tant que luy plaist, les tient; suspens, errans, volans, planans, le muguetant, lui faisans la court au-dessus des nues; puys soubdain les faict du ciel en terre fondre. Et tout pour la trippe. Les elephans, les lyons, les rhinocerotes, les ours, les chevaulx, les chiens, il faict danser, baller, voltiger, coinbaltre, nager, soy cacher; aporter ce qu'il veult, prendre ce qu'il veult. Et tout pour la trippe.

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    Les poissons, tant de mer comme d'eaue doulce, balaines et monstres marins, sortir il faict du bas abisme, les loups jecter hors des boys, les ours hors des rochiers, les renards hors des tesnires, les serpens lance hors de terre. Et tout pour la trippe. Brief est tant enorme, que en sa rage il mainge tous, bestes et gens, comme feust veu chez les Vascons, lorsque Q. Metellus les assiegeoit par les guerres sertorianes; entre les Sagontins assiesgez par Hannibal ; entre les Juifz assiesgez par les Romains ; six cents aultres. Et tout pour la trippe. Quand Penie sa regente se mect en voye, la part qu'elle va tous les parlemens sont clous, tous esdictz mutz, toutes ordonnances vaines. A loy aulcune n'est subjecte, de toutes est exempte. Chascun la refayt en tous endroicts, plus toust se exposant s naufrages de mer, plus toust eslisans par feu, par mons, par goulphres passer que d'icelle estre apprehend. Que de paraphrases terribles a reues ce chapitre titanesque. Il y a une trentaine d'annes, Darcier faisait venir la chair de poule en chantant le lugubre refrain de la Marseillaise de la faim : On napaise pas le murmure Du peuple quand il dit : J'ai faim ! Car c'est le cri de la nature; Il faut du pain! Il faut du pain! Ce cri, qui ne l'a entendu il y a dix ans, lorsqu'il fora Paris capituler? Ainsi le secret de la dive bouteille, c'est les deux piles maonniques, le B et le J, cest--dire le boire et le manger [Note : Cet hiroglyphe, dont les francs-maons nont pas le mot, scrit par un B romain ou majuscule et un j en coule de chaque ct dun niveau, ce qui fait : boire, mange, colonne, veuille ]. C'tait dj la clef de toute la partie philosophique du pome de Rabelais et celle de toutes les philosophies antiques; mais la science moderne est venue singulirement en accrotre l'importance, car elle dmontre que la base de tout le monde vivant est la cellule, autrement dit un tube digestif, infime serviteur de messer Gaster, mais aussi sourd et aussi imprieux que lui, et dont l'unique loi est le struggle for life rendu clbre par Darwin. Messer Gaster n'est plus seulement le matre des arts, il est matre de la cration tout entire; la lutte pour la vie de la cellule a produit toutes les combinaisons du monde qui nous entoure, et nous assistons encore la formation de continents produits par un messer Gaster lilliputien qui n'en fait pas moins besogne de gant. Le ventre, c'est l'architecte, le bon travailleur, que reproduisent si souvent les pierres graves trusques sous la forme d'un tronc humain toujours sans jambes et sans bras, et quelquefois sans tte; du reste, nos muses sont encore remplis de ces divinits de Lampsaque, sans bras ni jambes, reprsentant exactement ce que Platon entendait par Eros, qui n'tait pas l'amour moderne, mais le dsir ou plus simplement la vie. Il y avait donc conformit complte entre la doctrine de Platon et celle des Gouliards, et cette conformit n'avait pas chapp Rabelais, car il cite ce propos un passage d'Euripide, qui, parlant du cyclope ou cabire Polyphme, le fait s'exprimer ainsi : Je ne sacrifie que moy (aux dieux poinct) et cestuy mon ventre, le plus grand de tous les dieux. En effet, Polyphme, le plus grand des cyclopes ou des cabires dmiurges sans bras ni jambes, n'tait autre que messer Gasier en personne. Son nom veut dire : qui mange beaucoup, et chaque carnaval la basoche lyonnaise promenait son effigie sous le nom de Maschecrote, quivalent franais du grec Polyphme.

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    Le sixime livre du Pantagruel reproduit en hiroglyplies le mot de la divine bouteille, et explique en mme temps ce que c'tait que cette bouteille et quel tait le sens du mot lanternois. Mais comme on a pu s'apercevoir que la clart n'tait cependant pas la qualit dominante de cet illustre langage, je vais me contenter d'en extraire la quintessence et de la dlayer en vile prose : La lanterne humaine, c'est le ventre; Il est la raison qui ordonne que chacun travaille; Il soumet les humains des rois qui ne sont que vrais fols, Mais il est des raillards qui assurent qu'ils n'ont d'gal Que celui qu'un noble ventre a fait clore. Sans peine ils y trouvent la raison Que ce fut l'architecte bon travailleur, Messire ventre, qui aima et fit crosse et trne. Gure n'est fol qui nie le dieu Bouteille, Gouverne Rome, se garde France boute elle. A qui reoit le secret de lire le lanternois, Montre que l'huile humaine est bouteille. Qui la sert, s'il a soif, boive sec. Gures sans vin se peut age supporter.; Gures joies n'tre, si l'ennui n'y laisses Modr n'use n'y trouve que bonheur. Tel est ce catchisme bachique, qui n'est pas aprs tout bien subversif; il s'est transmis, sans grande altration, jusqu'au bonhomme Branger, qui a d tre un des derniers Gouliards. Voici maintenant les conditions exiges du nophyte qui voulait tre admis dans l'ordre, elles supposent ncessairement un dessinateur: On doit dabord faire une oeuvre qui prouve Que nul autre n'a fait la pareille. On ne peut la composer qu'en franais Sur toutes choses qui se meuvent en l'heure (actualits). Dans cette planche qu'il n'y ait pas d'autre rime que poule. On use de cette rime afin que la retrouvant Le maon puisse lire ce qu'on a mis dans la planche. Le pourple a pour fin d'abattre Rome, A cette fin qu'il cherche gagner des rois aux Gouliards. Qui se dit pourple le certifie; Que les pairs apprcient le signe qu'il en donne. Il doit faire une planche o l'on sente qu'il est habile. Si son rbus le mrite, qu'on lui en signe l'acte et le plombe (scelle). Cet acte doit tre une image orne jeu de pinceau. Il crit au Febvre s'il a sujet de plainte. Le pourple doit offrir de payer les frais du scel. Son but est de dvelopper le got du fantastique. Tout cela annonce une tude si profonde des arts du dessin, que je me demande si c'est bien de Rabelais. Mais pourquoi, aprs tout, ce rglement n'aurait-il pas t rdig par lui? Toute son oeuvre atteste qu'il avait analys fond l'art de son temps et que c'tait par ce procd qu'il avait lui-mme dvelopp son got pour le fantastique. Il cite les compositions fantastiques de la cathdrale de Strasbourg et surtout celles de l'auteur du Songe de Polyphile, en homme pour qui l'art gothique n'avait pas de secrets, et, propos d'art gothique, ne faut-il pas chercher l'tymologie si conteste de ce terme dans les Gaults ou Gouliards, plutt que dans les Goths d'Espagne, qui avaient disparu de l'histoire longtemps avant l'apparition du style qui porte leur nom ? Du temps de Rabelais, Gault s'crivait gaut et se prononait got. Quoi qu'il en soit, il est certain que l'art gothique tait bien celui des Gaults et qu'aucune comparaison n'est plus juste que celle de l'oeuvre de Rabelais une cathdrale. On ne peut pas dire qu'elle soit unique, ni isole; de son temps, et aprs lui, on a publi un grand nombre de pomes blasonns o les figures taient remplaces par la description. Tels sont notamment les Dicts moraux pour mettre en tapisserie de matre Henry Baude, qui ont t rdits rcemment.

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    Voici l'une de ses compositions : (Un bonhomme, regardant un boys auquet a, entre deux albres, une grant toile d'araigne) UN COURTISAN. Bonhomme, dis-moi, si tu daignes, Que regardes-tu dans ce boys? LE BONHOMME. Je pense aux toiles des araignes, Qui sont semblables a nos droits. Grosses mousches en tous endroits Passent, les petites sont prises. UN FOL. Les petits sont subjects aux loys, Et les grans en font leur guise. In cauda venenum. Charles de Guise, cardinal de Lorraine, tait alors le favori avou de Catherine de Mdicis, ce qui donnait lieu des milliers de caricatures et de mascarades plus sanglantes les unes que les autres, dont M. Champfleury rapporte un certain nombre dans son Histoire de la caricature. Aussi le dernier vers de ce dialogue satirique est le sujet mme de la tapisserie, dont la traduction est: Vile ne dt brle n'aime reine tel [Note : Mot Mot : Vilain, 2 albres loin, Mi (au milieu) araigne teile] (On devrait brler la reine vile qui aime tel (Guise).) Telle tait la menue monnaie de la satire gouliaresque, et nous verrons que le dix-huitime sicle en a fait un prodigieux abus. Ces petites compositions ne manquent ni de sel ni de malice; mais de ces blueltes aux grandes compositions de Rabelais, dans lesquelles il n'est pas une virgule mise sans raison, quelle incommensurable distance! Assurment, son oeuvre parait bien plus colossale et plus prodigieuse, lorsque l'on sait que des difices titanesques comme le chapitre LVII du livre IV reposent sur des bases fouilles au microscope, comme un bloc de corail; mais il a si peu besoin de ces arguties gouliaresques, que, depuis prs de quatre sicles, on en dvore la partie lumineuse, sans s'inquiter de ce qui grouille dans la partie tnbreuse. Cependant cette partie tnbreuse est pleine de renseignements non seulement sur l'histoire secrte de son temps, mais encore sur celle des Gouliards, qui valent la peine qu'on se donne pour rompre cet os mdullaire, et de ce nombre sont les deux chapitres o il est trait des engastrimythes et des gastroltres. Au premier abord on pourrait voir, dans les engastrimythes, le clerg romain ; mais Rabelais tait trop savant pour donner srieusement dans le protestantisme et se mettre la suite de Luther ou de Calvin. La Rforme ne prit jamais pied dans les pays o les Gouliards taient en force : 1 parce qu'elle tendait relever l'aristocratie, que les Gouliards avaient pour mission d'abattre; 2 parce qu'il ne leur tait pas plus difficile de se soumettre, au moins en apparence, l'ensemble raisonn des dogmes catholiques qu' l'clectisme absurde des rformateurs. C'est ce qui explique pourquoi Rome a toujours prfr les libertins aux hrtiques. D'un autre ct, les Gouliards, comme les platoniciens dont ils descendaient, tenaient essentiellement garder la lumire sous le boisseau, car ils sentaient, comme l'vnement l'a prouv du reste, que, s'ils taient la ngation persistante de l'Eglise romaine, ils faisaient cependant partie intgrante de cette Eglise et que le jour o ils la renverseraient, ils priraient, comme Samson, sous les ruines de l'difice dont ils auraient sap les deux piliers symboliques. Aussi, dans la partie secrte de son oeuvre, Rabelais s'occupe-t-il exclusivement de politique ou des faits des Gouliards, ses contemporains, qu'il a beaucoup plus svrement critiqus que l'Eglise de Rome. En effet, les Gouliards fournissaient toute une clique d'astrologues divinateurs, ou chanteurs et amuseurs du simple peuple, semblans non de la bouche, mais du ventre, parler et respondre ceulx qui les interrogeoient. Ce sont ces engastrimythes que dteste Pantagruel.

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    Mais il n'aime pas davantage les gastroltres, dans lesquels il n'est pas difficile de reconnatre les francs-maons du parti aristocratique ou de la suite de Diane de Poitiers. Comment cette grande dame tait-elle devenue matresse pourple? C'est ce que j'ignore; mais elle devait tenir beaucoup ce titre, car, au lieu de son blason nobiliaire, c'est son blason de rose-croix qui dcore profusion son tombeau et sa chapelle si prodigieusement paenne du chteau d'Anet. C'est un cusson dit cuir ou coeur, support par une paire de palmes en sautoir courtes ou tailles, et surmont d'une tte d'ange ou angle, suivant l'ancienne prononciation. La lecture est : Pourple maistresse telle croix signe gueule. [Note : Cette formule peut sinterprter aussi: Qui croit en saint Gueule, saint Gal ou saint Gaul. De l est venu le nom de gueule-croix, do lon a fait rose-croix.]

    Le cur contient un croissant avec l'HD enfibuls de Henri II, qui en modifie ou brise le sens, et ce sens est: Crime les rois, mie ne se pardonnent faibles. Les rois ne pardonnent pas les crimes aux faibles, ce qui semble faire allusion la condamnation de son pre. Diane remplissait srieusement ses devoirs de Gouliarde, car elle avait lev un hpital pour les pauvres au fond de son parc d'Anet et elle tait trs charitable. Mais il faut croire qu'elle imprimait l'ordre une direction aristocratique qui ne convenait pas Rabelais, puisqu'il finit par se mettre sous le patronage du cardinal de Lorraine, qui reprsentait le courant dmocratique. Aussi se moque-t-il des gastrolatres coquillons. Cette pithte dsignait particulirement les maons, qui semblent avoir toujours t gens d'action, tandis que les escribouilles ou engastrimythes taient plus particulirement clercs ou gens de plume et de conseil. Lhiroglyphe spcial des maons tait un limaon, ce qui leur avait fait donner le nom de coquillons ou gens coquille; sous Louis XllI, on les nommait caquerolles, nom bourguignon du limaon. Il parait que Diane aimait bien dner et servait de son mieux messer Gaster; c'est son intention que Rabelais transforme le classique Maschecrote des Lyonnais en Manduce. Le Maschecrote, mont sur un bton dor et faisant cliqueter sa gueule, donnait la devise : Qu'honore Maschecrote nait qu'il coule gueule. C'est--dire : Qui honore Maschecrote ne doit couter que sa gueule. En changeant Maschecrote en Manduce, Rabelais disait : Que normande senescale cote gueule. (Que la gueule de la snchale normande nous cote cher !) Et, comme preuve l'appui, il donne immdiatement les menus pantagruliques de la snchale, que payait naturellement le pauvre peuple. Aussi se mit-il dos les deux branches de la famille de Goulia et eut-il grandpeine publier son quatrime livre. Mais il s'en consolait avec son pantagrulin, devise stoque qu'on est tout tonn de trouver dans cette joyeuse apologie de la boustifaille; car son sens tait Peine te greve l'y ait ne. (Qu'il n'y ait pas de peine qui puisse t'atteindre.)

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    V

    Telle tait cette philosophie des fils de Goulia, qui se rattachait directement celle de l'antiquit et n'a rien voir avec le matrialisme moderne; car, tout en faisant de messer Gaster le premier ministre de la Fatalit, ou lAnank grecque; ils ne le considraient pas comme un dieu. Croyez, dit Rabelais, que par eulx ne tenoit que cestuy Gaster, leur dieu, ne feust aptement, precieusement et en abundance servy, en ses sacrifices, plus certes que l'idole de Heliogabalus, voyre plus que l'idole de Bel en Babylone, soubs le roy Balthazar. Et non obstant Gaster confessoit estre non dieu, mais paouvre, vile, chetive creature. Et comme le roy Antigonos premier de ce nom respondit un certain Hermodorus (lequel en ses posies s'appeloit dieu et fils du Soleil), disant: Mon lazanophore le nie, ainsi Gaster renvoyoit ces matagots, etc. Rabelais se moquait donc de ceux qui croyaient qu'il n'y avait rien au-del de la philosophie des Gouliards et qui prtendaient faire de lhomme l'apoge de l'univers. C'tait, du reste, se conformer rigoureusement la doctrine de Platon, qui disait absolument la mme chose d'Eros, dont messer Gaster n'est que la traduction gothique. Platon, c'est le Parthnon avec sa noblesse et sa correction; Rabelais, c'est Notre-Dame avec sa profondeur et les saturnales de son portail. Mais quel est le plus beau des deux? Je ne crains pas de dire que c'est Notre-Dame, car l'art moderne regagne largement du ct de la vie ce qu'il perd du ct de la srnit. A ct de cette philosophie qui leur tait commune avec tous leurs prdcesseurs, les Gouliards possdaient une mythologie d'autant plus intressante qu'elle tait absolument autochtone, c'est--dire gauloise, et qu'elle se perd dans la nuit des temps. Cette mythologie semble originaire du Limousin plutt que de la Picardie, comme on serait port le croire par le nom de picaresque, donn leur langage. Mais ce nom de picard ne dsignait pas dans l'origine une race ni une province particulire et il tait synonyme de pouhier, qui voulait dire enfant du pays. Les Gaults se servaient de la langue gauloise, telle semble tre ltymologie la plus vraisemblable de leur nom. Ce nom tait celui du coq, qui veut dire rouge; aussi le traduisaient-ils le plus frquemment par pourple. Mais l'hiroglyphe le plus ancien de ce mot tait un papillon, qui se dit en limousin parpaille, d'o est venu le nom de parpaillot, appliqu aux protestants, qui furent d'abord confondus tort avec les Gouliards. Du reste, cet hiroglyphe a beaucoup vari et sur les assiettes rvolutionnaires il est remplac par un parapluie rouge. L'objet de leur vnration, du moins apparente, tait un spulcre. Une caricature, dirige contre le chancelier Letellier, pre de Louvois, et reproduite par M. Champfleury, p. 181, reprsente ce personnage en Goguelu htelier. Mais le fond de cette charge n'est rien moins que comique; car c'est une menace de mort, crite en lanternois on ne peut plus clair : elle se compose de quatre vers : Ecrit tel crime l'argue gault, Letellier Garde ait tourment, il boute ne pourple, Mie ne se touque foi ne l'est sepulcre, Ou t'assassinent, femme, fils, fille. Tel Gault que Letellier accuse de crime lui crit qu'il se garde de mettre un pourple la torture, qu'il ne touche ceux qui ont foi dans le spulcre, ou ils tassassinent femme, fils, fille. Ce dernier vers est crit par une hotte, un chat, un chien, une femme, un fils, une fille. Hotte, chat, chien font: ou t'assassinent. Comme la mre loge exerait un contrle sur les productions de ses membres et veillait ce que leurs rbus ne fussent pas trop faciles deviner, afin que le secret ne s'en divulgut pas, il fallait qu'elle tint cette fois tre comprise, et Letellier dut se conformer l'avis. Mais qu'tait ce spulcre dont il est si souvent question dans les oeuvres des Gouliards et qui est pass dans la franc-maonnerie moderne? Son hiroglyphe le plus habituel est une pile tte carre, chef pile carr, et la grande occupation des Gouliards tait soi-disant de construire ce spulcre. Ils le

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    nommaient le spulcre de Gaufre, qui semblait tre le nom du prince Vaifre ou Gafre d'Aquitaine, lequel figure dans nombre de romans de chevalerie comme le reprsentant des classes populaires; puis ce nom s'est mtamorphos en celui de Jeoffrin, qui a fini par devenir une poque trs moderne le Juif errant. Mais, au fond des dogmes gouliaresques, il y avait toujours une grosse farce gauloise et, suivant le degr d'initiation, on faisait adorer au nophyte un diable qui se nommait Crespelu, ou on lui apprenait que le Christ n'avait jamais exist et que Paul, c'tait le Christ (cest Paul Christ). Mais le vritable spulcre tait le dernier degr de l'initiation de celui qu'on recevait matre pourple et on lui apprenait que le spulcre, c'est ce que crie la poule. Or, ce que crie la poule, c'est glou, et je crois que les francs-maons modernes gloussent encore en son honneur. Cela nous ramne au nom mme des Gouliards et leur signe de croix. Ils adoraient la gueule, qui est le tombeau des gaufres : ainsi nommait-on primitivement ce que nous nommons aujourd'hui le pain chanter ou pain enchant et ce que les anciens nommaient azyme, et ils rimaient tous leurs vers en L en l'honneur de la poule, qui avait, du reste, jou un grand rle dans la mythologie celtique, sous le nom de koridwen. Mais, comme l'hiroglyphe le plus habituel de l'objet de leur vnration est une pole frire, je crois que cet ustensile passait encore dans leur estime avant le gallinac. Du reste, les peuples de la Palestine avaient la mme vnration, non pas pour notre pole moderne qui leur tait inconnue, mais pour la pierre plate sur laquelle ils cuisent encore leurs galettes et qui en limousin a laiss son nom l'ustensile de tle que les progrs de la civilisation lui ont substitu et qui s'appelle toujours une tuile. Nos anctres de l'ge de pierre, de mme que les Arabes de la Palestine moderne, plaaient cette tuile, ou pierre plate, sur deux autres qui lui servaient de piles et ils construisaient ainsi un dolmen en miniature sous lequel ils allumaient du feu. Quand la pierre de dessus tait chaude, on la graissait, ce qui lui avait fait donner le nom de christ, et l'on cuisait dessus les galettes. Les Palestiniens d'aujourd'hui cuisent encore les leurs pour tout l't, avant de partir pour leurs pturages, et suspendent ensuite la pierre du foyer un clou. C'est le crucifiement du panetier qui a fourni deux ou trois lgendes la Bible et se clbre encore Chypre, la fte des Azymes, en jetant sur le toit la pole qui a servi faire des crpes. En fermant par derrire l'difice culinaire primitif que j'ai dcrit plus haut, on obtenait un four. Or, en dplaant le dolmen d'Aulnay pour y faire passer un chemin de fer, on vient de se convaincre que ce monument, construit sur le modle des fours de l'poque de pierre, avait non seulement servi de spulcre, mais que les cadavres qui y avaient t dposs y avaient t incinrs, aprs l'avoir rempli de bois sec auquel on avait mis le feu : en d'autres termes, qu'il avait t construit expressment pour rpondre aux usages d'un four et pour oprer sur les cadavres soit par dessiccation, soit par combustion. Ceux qui ont construit le dolmen d'Aulnay adoraient donc le four et taient des francs-maons ou plutt des fourmaons; car les Gouliards, dans leur criture figure, crivent toujours fourmaon ou frimaon et jamais franc-maon. Cest sous cette forme que ce mot s'est conserv dans les langues orientales, et si les Anglais en ont fait free mason, c'est par corruption. En rapportant d'Angleterre la franc-maonnerie moderne, qui est trs diffrente de l'ancienne, malgr un assez grand nombre de traditions communes, on a traduit free par franc, mais c'est tort: les francs-maons du moyen ge taient des constructeurs de votes, en latin fornix, en franais four: dans l'origine, on donnait le nom de four ou frise la pierre plate que nous nommons architrave et qui runit deux piles ou colonnes, parce qu'elle rappelait celle sur laquelle on faisait frire les galettes. Ce ne fut que fort peu de sicles avant notre re, au moins en Occident, que l'on connut la vote en plein cintre, qui, d'abord employe faire des fours, le fut ensuite sur une plus large chelle dans les difices publics, sans tre admise dans les temples paens, qui jusqu' la fin conservrent l'architrave. On peut remarquer, au contraire, que toutes les glises chrtiennes qui sont loeuvre des francs-maons, ou plutt fourmaons, se terminent, sans exception aucune, par un ou trois fours, auxquels on donne le nom d'abside, qui veut dire absolument la mme chose en grec. Bref, le plan des glises les plus anciennes qui n'ont pas de transept est identiquement celui du four banal de la mme poque, tandis que le type oriental est presque toujours une rotonde. Les architectes du moyen ge, qui taient tous Gouliards sans exception, ont donc construit tous les difices chrtiens sur des plans qui ne l'taient gure, et ils ne se sont pas borns cela, car leurs hiroglyphes n'ont rien respect, surtout les papes. A Rome, chez eux, les chefs de l'Eglise romaine se sont contents de se servir de l'criture des Gouliards pour les rfuter dans la mme forme et je crois, sans avoir eu toutefois l'occasion de le vrifier, qu'ils n'ont

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    jamais admis le style des Gouliards dans leurs basiliques pontificales, mais qu'ils ont conserv le style grec, qui a d leur tre transmis par les premiers aptres. Quant aux glises primitives, on sait que, par leur destination, elles taient plutt ce que nous nommerions des maisons communes que des temples, et qu'elles ont conserv jusqu' un certain point ce caractre en Italie, puisque, dans une glise de Forli, lgation pontificale, j'ai vu de mes propres yeux donner un concert en l'honneur d'une sainte qui ne figure certainement sur aucun calendrier, sainte Loterie. Il en est de mme en Orient, o l'glise proprement dite est spare de l'endroit o se tient le peuple par une vritable muraille, nomme iconostase. Mais mme en tenant compte de toutes ces diffrences, l'Eglise romaine, qu'on nous dpeint au moyen ge comme si intolrante, accordait aux Gouliards des liberts, ou plutt des licences, qui dpassaient toutes les bornes. Ce fut l'autorit civile qui finit par dfendre les mystres qui se jouaient primitivement dans les glises, cause non pas tant des plaisanteries licencieuses que des mordantes satires que l'usage de la langue lanternoise permettait d'y introduire, et nous verrons plus loin que ces satires s'taient perptues parmi les comdiens de l'htel de Bourgogne. On pouvait objecter qu'avec cette langue on n'a d'autre ressource que de clore la bouche aux gens; et encore parleront-ils avec n'importe quoi, comme les muets des sultans, qui avaient invent une langue par signes que tout le srail connaissait quatre ou cinq sicles avant l'abb de l'Epe, et, en second lieu, que tout cela tait lettre close pour les non-initis. Mais il n'en tait pas de mme de la messe de l'ne, dont les bouffonneries taient la porte des plus ignares; et enfin, le latin tait une langue assez rpandue cette poque pour qu'il ft trange d'entendre dans les glises des cantiques comme celui-ci : Honor Jovi cum Neptuno. Pallas, Venus, Vesta, Juno, Mirae sunt clementiae. Mars, Apollo, Pluto, Phoebus Dant salutem laesis rebus Insitae potentiae. On a prtendu que le dixime sicle, que les Anglais nomment the dark age, avait t un sicle d'pouvante, qui, dans l'opinion populaire, devait se terminer par la fin du monde. Mais il est reconnu aujourd'hui que cette lgende est tout fait moderne et que le dixime sicle a t au contraire une priode de grande activit artistique et intellectuelle, outre qu'il a t celui de la rorganisation de la plupart des corporations de mtiers ou bourgeoisies et qu'il a vu, sinon natre, du moins apparatre la lumire ces Gouliards qui en taient la quintessence et n'engendraient certainement pas la mlancolie. Nos pres n'taient donc pas aussi rechigns ni aussi crass par la papaut qu'on veut bien le dire. La socit de Goulia s'ouvrait tout le monde : nobles et manants, riches et pauvres, Franais et trangers, hommes et femmes, clercs et laques, et la papaut la tolrait comme une soupape ncessaire, n'ayant jamais poursuivi que les clercs proprement dits qui dshonoraient leur ordre par leur vagabondage et leur vie crapuleuse, et qu'elle punissait par l'exclusion des privilges attachs au clricat. Je ne puis terminer cet aperu sur un sujet si vaste et si peu explor sans dire un mot de la hirarchie adopte par les fils de Goulia. Ils comptaient par piles, comme nous aujourd'hui par galons, avec cette diffrence que le nombre des piles dcroissait mesure que l'on montait en grade. Ces grades taient au nombre de cinq : IIIII, IIII, III, II,I. Cinq piles, ou simple, qui, en limousin, veut dire imbcile, taient la dsignation du vulgaire ; quatre piles se disaient carpal ou crapaud. Chez les maons on donne encore ce nom aux apprentis. Les trois piles correspondaient au rang de trpelu on matre; on dit encore un brave trois poils. Deux piles, ou une paire de piles pourples, correspondait aux cardinaux de l'Eglise de Rome; et enfin, la pile unique tait rserve au Grand Architecte ou la Divinit ; si elle tait surmonte d'un chapiteau carr, elle dsignait le spulcre. Les pourples taient membres de la mreloge, qui semble avoir t unique et s'est toujours tenue Paris. Cette unit de foyer expliquerait comment l'ordre a pu procder sa dissolution sans laisser nulle part de rejetons.

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    VI

    Il me reste maintenant signaler l'influence des Gouliards sur les vnements historiques partout o elle s'est affirme visiblement, depuis le dixime sicle jusqu' la Rvolution franaise. Tant qu'ils restrent confins dans les monastres carlovingiens et qu'ils n'eurent pour battre en brche la socit d'autres armes que des chansons latines ou les rbus qu'ils griffonnaient sur les chapiteaux et les porches des glises, cette influence fut peu prs nulle. Mais ds qu'ils se rpandirent dans les universits en partie laques qui succdrent aux coles exclusivement monastiques de Charlemagne, cette influence s'largit immdiatement dans des proportions considrables. Abailard tait Gouliard. Il fut dnonc comme tel par saint Bernard au pape Innocent II, et le chtiment qui lui fut inflig par son oncle, le chanoine Fulbert, tait une des peines dictes par les Gouliards contre ceux de leurs frres qui sduisaient la fille de leur hte ou de leur patron. A peine Philippe-Auguste eut-il fond l'Universit de Paris qu'il est question des Gouliards. En 1229, sous la rgence de Blanche de Castille, mre de saint Louis, il y eut une rixe entre des clercs ou tudiants de l'Universit, car alors ces deux mots taient synonymes, et des cabaretiers du faubourg Saint-Marcel. Battus le premier jour, les clercs revinrent le lendemain arms d'pes et de btons et malmenrent les Saint-Marcellois. Leur seigneur, le prieur de Saint-Marcel, porta plainte au lgat et l'archevque, qui la transmirent la rgente. Celle-ci, dit la chronique latine de Mathieu Paris, pousse par l'imptuosit naturelle aux femmes, et la violence de son caractre, ordonna aussitt aux prvts de la Cit et quelques-uns de ses gardes de s'armer immdiatement, de sortir de la ville et de chtier sans misricorde les auteurs de ces violences. Cet ordre fut excut avec une cruaut inoue. Les clercs que l'on trouva occups se divertir hors des murs et qui ne se doutaient de rien, la plupart tant trangers aux dsordres du faubourg Saint-Marceau, furent gorgs et pills et les survivants se sauvrent dans les vignes et les carrires. Parmi les blesss se trouvrent deux tudiants de haut lignage, dont l'un tait Flamand et l'autre Normand. Les hauts dignitaires de l'Universit allrent demander justice la reine; mais elle leur fut dnie par cette princesse l'instigation de larchevque et du lgat. Alors l'Universit se mit en grve, et lves et professeurs se dispersrent, maudissant l'orgueil de la reine et du lgat, qu'on accusait de relations coupables. A cette occasion, dit Mathieu Paris, des serviteurs, des esclaves, ou ceux que nous avons lhabitude d'appeler Gouliards, composrent des vers satiriques en latin. Je passe le premier distique cit par le chroniqueur, comme trop cru, mme en cette langue. Il devait tre loeuvre de quelque domestique ou cuistre universitaire. Voici le second: Clere tremisco metu, quia vis contemnere me tu, Perfundor fletu, mea damna fleo, tua fle tu. Rabelais n'aurait pas dsavou cette posie cocasse, qui, en latin, ne signifie pas grand'chose; aussi doit-elle se lire en franais lanternois, et alors elle devient tellement sale, que je dois me borner en citer le premier vers : Clair est Rome est qui me tue. Il est clair que c'est Rome qui me tue. Le sens du reste est que, la reine et le lgat ayant tu leur enfant, il fallait qu'ils tuassent. On voit par cet exemple que Rabelais n'avait invent ni le lanternois ni la manire de s'en servir. La famille de Golia prit un norme dveloppement l'poque des croisades, auxquelles elle fit cependant une opposition acharne, car, de sa nature, elle n'tait pas plus belliqueuse que Panurge, qui reprsente si exactement dans le second livre de Pantagruel l'colier des universits du moyen ge. Malgr cette opinion, les Gouliards passrent la mer en nombre considrable, non comme guerriers, mais comme architectes et artisans, et ils couvrirent l'Orient de monuments de leur style, qui s'y modifia par l'adoption de l'ogive, dont on se servait Chypre depuis le septime sicle. Ils y trouvrent d'autres franc-maonneries fondes peu prs sur les mmes principes que la leur, et notamment celle des Druses, qui existe encore, et de ce contact naquit l'ordre mixte des Templiers,

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    qui tait un Etat dans l'Etat avec ses trois classes de frres soldats, prtres et artisans. Les francs-maons modernes ont la prtention de descendre des Templiers. Mais ceux-ci taient de vrais Gouliards, non seulement trangers, mais hostiles toute tradition biblique. Ils taient rigoureusement classs par profession, comme les Gouliards. Et le mlange d'individus de professions diverses, qui creuse un abme entre les francs-maons modernes et les Gouliards, ne remonte pas au-del de CromweIl. La lgende biblique d'Hiram est galement d'origine protestante, car, de mme que les autres Gouliards, les Templiers repoussaient l'Ancien Testament et taient vritablement paens. Ce que l'on a conserv de leurs symboles ne laisse aucun doute cet gard, tandis que les francs-maons du rite cossais ne sont que des protestants un peu plus radicaux que ceux de l'Eglise officielle [Note : les Gouliards avaient conserv lancienne lgende grecque du riche assomm par le pauvre chant de la poule, et qui doit renatre gueux pendant que le pauvre prend sa place ; mais ils avaient oubli compltement son caractre solaire, pour lui donner une interprtation politique et sociale qui devait se raliser en 1793]. On sait que les Templiers avaient conquis une influence norme tant en Orient qu'en Occident, et qu'ils furent dtruits par Philippe le Bel, malgr la rsistance dsespre de Clment V. Ce pontife savait trs bien qu'ils taient paens; mais Rome n'a jamais essay de son propre mouvement de supprimer ni mme de gner les Gouliards, et elle prfrait ce genre d'opposition occulte une opposition beaucoup moins radicale, mais publique. La politique des Gouliards tait celle des Druses; extrieurement, ils se soumettaient la religion tablie et Rome ne leur en demandait pas davantage. Il s'coula un peu plus d'un sicle entre la suppression des Templiers et la dcouverte de l'imprimerie, et, pendant ce temps, les Gouliards ne firent gure parler d'eux. Il est possible cependant qu'ils n'aient pas t trangers au mouvement d'opinion qui suscita la mission de Jeanne d'Arc; et, en tout cas, Charles VII tait Gouliard, car il composa de ses propres mains le blason de la Pucelle, ce qu'il tait impossible de faire sans tre initi. Le roi Ren de Provence l'tait galement, et il dut en tre de mme de Louis XI, en juger par sa politique vis--vis de la fodalit, qui tait la bte noire de la famille de Goulia. A partir de ce rgne, son action se manifeste avec une intensit croissante. Elle devient l'un des grands pouvoirs de l'Etat et il est trs facile de suivre ses traces, grce aux innombrables estampes ou aux livres dans lesquels elle a consign ses bizarres dcrets. Fort heureusement pour ces excentriques annales, elles possdent en dehors de leur valeur historique une valeur d'art et de curiosit qui les a fait rechercher de tout temps par les collectionneurs, mme profanes. Dj, au seizime sicle, les grotesques, qu'on crivait alors crotesques ou crotestes, avaient une place d'honneur dans toute bibliothque srieuse; et, comme le fait trs judicieusement remarquer feu M. Viollet-Le-Duc, il ne faut pas confondre le grotesque avec la caricature. Cette dernire est toujours un portrait plus ou moins enlaidi, tandis que le grotesque est toujours une criture qui, sous une apparence plus ou moins fantastique, traite la plupart du temps de sujets compltement trangers ceux qui semblent tre le thme de la composition choisie par l'artiste. La plus grande partie des pices qu'a recueillies M. Champ-fleury dans son Histoire de la caricature depuis le seizime sicle jusqu' Louis XVI, sont des grotesques et non des caricatures; mais, comme il les prsente au lecteur dans leur ordre chronologique, il se trouve avoir runi tous les matriaux ncessaires pour une histoire de la famille de Goulia dans les temps modernes. Presque toutes ces pices sont politiques, commencer par la plus ancienne, qui est date de 1496 et est dirige contre Alexandre Borgia. Le sujet reprsente un monstre ou une chimre moiti ne et femme, qui n'a aucune prtention charger le pre de la fameuse Lucrce. Elle ne mentionne qu'un fait curieux, savoir, que ce pape tait pourple ou Gouliard : oncques plus menteur, sans foi, l'eut pourple. Plus tard, Luther l'a rdite, mais avec des modifications qui la rendent tout fait impersonnelle et en changent considrablement le sens. (Histoire de la caricature, par Champfleury, p. 66.) Une autre chimre, compose d'outils, reprsente le pape Paul III, dont le nom est crit par le pot au lait, le plat et la pale qui lui tiennent lieu de visage. Il a pour tiare une cloche, ce qui fait cloche-tiare pour clystre, et l'on y dit qu'il mrite des loges pour avoir pris un clystre de rforme. Cette pice, dite en Allemagne, est excessivement mordante et tout fait digne de Rabelais, qui publiait la mme poque son quatrime livre de Pantagruel. Si la composition n'est pas de lui, elle est certainement d'un de ses meilleurs disciples. (Histoire de la caricature, p. 73.)

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    J'ai dit que le Pantagruel et beaucoup de pices de la mme poque contenaient l'histoire d'un des vnements les plus importants des sicles modernes, celui du refus par les Gouliards parisiens de se rallier aux luthriens ; ils persvrrent dans la mme voie pendant tout le seizime sicle, et une miniature des Tristibus Galliae (id., p. 91) n'est autre qu'une excitation au massacre des huguenots, qui sont reprsents avec des ttes de chien, ce qui est l'hiroglyphe gouliard de l'assassinat. Une srie d'estampes populaires de 1394 est au contraire dirige contre la Ligue et contre le pape CIment VIII, dont le nom est crit par un collet et une mante (col-mante); elles se rapportent la conversion de Henri IV et rvlent un fait assez curieux, savoir: qu'elle aurait t conseille et ngocie avec le pape par un recteur protestant, probablement le chapelain du Barnais. (Id., p. 147, 149, 180.) Mais ce qui est beaucoup plus rare que les estampes gouliardes, c'est un spcimen de ces scnarios ou charades qui les remplaaient. M. Champfleury en cite plusieurs, et notamment une reprsentation l'htel de Bourgogne dont l'Estoile a conserv le souvenir. C'tait le 26 janvier 1607; Henri IV y assistait avec sa cour, et les comdiens jouaient une farce propos de l'impt des tailles. Une femme du peuple allait chercher son mari au cabaret, disant qu'il dpensait dans cet endroit la somme qu'il fallait payer au roi. A quoi bon faire des conomies qui n'entreraient pas dans ma poche ? rpondait le manant; j'aime mieux boire ma soif, au moins de ce vin-l le roi ne percevra pas une goutte. Alors arrivaient trois officiers de justice qui, ne recevant pas d'argent, se mettaient en mesure de saisir le mobilier du pauvre mnage et, entre autres, un coffre sur lequel tait assise la femme du vilain. Elle s'obstinait ne pas se lever du meuble. Commandement de par le roi de faire l'ouverture de force. Le couvercle tait lev pour inventorier les objets contenus dans le coffre; alors trois diables s'en chappaient, qui emportaient les officiers de justice. Les magistrats firent arrter et conduire en prison les acteurs assez hardis pour jouer de telles farces la barbe du roi; mais celui-ci les fit sortir de la gele, disant qu'il leur pardonnait d'autant plus volontiers qu'ils l'avaient fait rire voire jusqu'aux larmes . La rponse tait la fois spirituelle et mlancolique; mais les comdiens avaient bien compt sur l'indulgence du roi, car cet impromptu, qui avait surpris tout le monde, et n'entrait pas certainement dans le programme habituel de l'htel de Bourgogne, n'tait ni plus ni moins qu'un avis de la mre loge, o il n'tait pas question de tailles et d'impts, mais de la duchesse d'Entragues. Ce genre de charade, que Mme de Metternich a essay rcemment de renouveler Compigne dans des proportions plus modestes, se lisait ainsi : Taverne, vieille, vilain trois guets (gens de justice), logis taille, demande boite sied vieille guet ouvre, inventorie emporte diable trois. Ce qui donnait les trois vers suivants : Te voir ne veult, vile Entragues, loge, Telle demande boute se veuille, Gouverne vint, tromper l'aide beltre. Ainsi la loge ordonnait Henri IV en termes passablement impratifs d'avoir dbouter de sa demande la duchesse d'Entragues, qui voulait faire nommer gouverneur de Paris le beltre avec lequel elle trompait le brave Barnais. Henri IV devait comprendre ce langage, car il tait Gouliard, fils de Gouliarde. Sa fameuse plaisanterie de la poule au pot est une pure factie gouliarde ; poule au pot est l'anagramme de peuple pot-poule, dont l'hiroglyphe le plus frquent est un pied de poule.

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    Sa mre n'tait pas moins adonne aux devises, c'est--dire la manie d'crire en rbus, qui tait si gnrale cette poque; et, comme elle n'tait pas moins anticatholique, elle arracha d'une tapisserie, qui lui avait t lgue par la reine Marguerite, un carreau qui reprsentait la messe, pour lui substituer de sa propre main un renard, lequel se tournait vers le peuple et, faisant une horrible grimace et des pattes et de la gueule, disait ces paroles : Dominus vobiscum. Cela signifiait en langue gouliaresque : Ecrit telle Rome ne se renie elle , elle crit qu'elle renie Rome. Un des faits les plus importants qu'claircissent les caricatures, ou plutt les grotesques contemporains, est le vritable motif pour lequel Concini fut tu le 24 avril 1617 par Vitry, capitaine des gardes de Louis XIII. Aprs cette excution qui avait !'air d'un assassinat, il circula dans les rues de Paris une srie de planches anonymes ayant pour titre : Mythologie des emblmes de ***. Dans toutes se retrouve un cureuil, qu'on a cru reprsenter Concini; mais c'est l'hiroglyphe des maons de ce temps, qui se nommaient caquerolles (queue cureuils) [Note : Cet cureuil figurait dj un sicle auparavant dans les fresques de Raphal], comme ceux du temps de Diane coquillons. Ces planches expliquent aux initis que Vitry les a rimailles par ordre du lis salutaire (le roi), pour faire savoir que Concini a t tu parce qu'il avait rvl au pape que le roi patronnait les caquerolles, et que la mre loge ne voulait pas que Rome mit le nez dans les affaires des maons. Le nom de Vitry y est crit par un vitrail, et celui du roi par un lis avec de l'eau qui tombe terre (lis, chet l'eau terre); c'est la traduction des armes de France : d'azur trois lis d'or, ce qui donne : crit tel souffre, salutaire est lis. On fait en effet de cette fleur royale un baume contre les brlures, dont j'ai eu l'occasion d'apprcier l'efficacit chez quelques vieilles douairires ; mais j'avoue que, sans le commentaire imprvu de Vitry, je n'aurais jamais traduit l'cu de France. (Id., p. 197, 199 et 203.) Ainsi Louis XIII tait Gouliard, et il en fut de mme de Richelieu, qui tait une crature de Concini, et de Mazarin, qui fut une crature de Richelieu ; aussi M. Champfleury remarque-t-il que ces trois personnages, qui ont t fort chansonns par la noblesse, ont t pargns par les faiseurs de caricatures par la raison toute simple que tous taient de la coterie du btiment. Du reste, les rgnes des princes et des ministres gouliards se reconnaissent aisment la fermet avec laquelle ils tinrent la balance gale entre les catholiques et les protestants ou plutt entre Rome et la Rforme, qu'ils n'aimaient ni l'une ni lautre, et surtout la persistance qu'ils mirent abattre l'aristocratie. Les dbuts du rgne de Louis XIV furent gouliards, la fin ce furent les jsuites qui prvalurent et le Roi-Soleil ainsi que Mme de Maintenon furent trs maltraits par les caricaturistes. Ce genre de composition prit cette poque un immense dveloppement, tant en France qu'en Hollande, mais bien moins au point de vue satirique qu' celui de donner des nouvelles de la cour la spculation. Nanmoins, la mre loge continua tre consulte, et mettre son avis quand elle ne l'tait pas. Il en fut de mme sous Louis XV. Les Gouliards rgnrent avec Mme de Pompadour, qui tait matresse pourple de la mre loge, ni plus ni moins que Diane de Poitiers, et l'on peut s'en apercevoir la publication de lEncyclopdie et l'expulsion des jsuites. A cette poque, les Gouliards devaient tre excessivement nombreux et leur langage trs rpandu, car on trouve dans un pamphlet contre Mme du Barry un projet d'ordre chevaleresque qu'on lui prtait et dont les insignes devaient tre : un concombre brod sur la poitrine avec deux excroissances bien marques[Note : Il ne m'est pas possible de donner la traduction de cette plaisanterie trop gauloise, qui fait la paire avec le blason infamant donn par d'Hozier au pre de la Pompadour: De gueules 2 bars d'or adosss ]. Des plaisanteries de cette sorte trouvaient donc un public assez nombreux pour s'en amuser, aussi bien la fin du dix-huitime sicle que du temps de Rabelais ; si personne ne possdait le gnie du cur de Meudon, il ne manquait pas d'esprits de plus courte haleine pour marcher sur les traces de matre Henry Baude, et lEncyclopdie carcassire, ou Tableaux des coiffures la mode, gravs sur les dessins des petites matresses de Paris, Paris, 1763, est un pamphlet qui peut aller de pair avec les Dicts moraux pour mettre en tapisserie. M. Champfleury reproduit d'aprs Bachaumont celle de la duchesse de Chartres, mre de Louis-Philippe, vritable criteau d'infamie qu'elle devait porter avec la plus parfaite innocence. Les coiffeurs d'alors taient no