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Artdanthé danse / théâtre / performance / cinéma FESTIVAL DU 23 JANVIER AU 4 AVRIL 2015 – THé TRE DE VANVES 59 spectacles

Les Inrocks / Supplément Artdanthé

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Artdanthé danse / théâtre / performance / cinéma festivAl du 23 jAnvier Au 4 Avril 2015 – thé tre de vAnves

59 spectacles

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Comment deux perceptions intimes du temps s’opposent. D’un côté, le sentiment d’avoir la vie devant soi. De l’autre, une sensation d’urgence. Comme si ce qui commence chez l’un correspondait à ce qui, chez l’autre, tend à s’achever. Avec, au cœur de cette impossible relation, l’œuvre inexorable de la mort ; mais aussi cette intuition que vivre consiste toujours à abandonner quelque chose, tout comme le mouvement du danseur naît dans la disparition du geste précédent.

Ancien étudiant de P.A.R.T.S. à Bruxelles, Cédric Charron a depuis dix ans participé à la plupart des créations majeures de Jan Fabre, comme As Long as the World Needs a Warrior’s Soul, Je suis sang, Histoire des larmes ou Orgy of Tolerance. Il y a régulièrement côtoyé Annabelle Chambon – devenue depuis sa compagne –, autre interprète essentielle du chorégraphe.

la nébuleuse belge Autour de Jan Fabre et Jan Lauwers, deux figures emblématiques de la scène flamande, s’agite une galaxie de performers particulièrement créative.

tous deux sont des meneurs de jeu, des chefs de bande, et une chose est sûre : tous deux savent très bien s’entourer

Travailler avec Jan Fabre n’est pas une expérience ordinaire. Après l’inoubliable Re : [Montre-moi (ta) Pina], c’est à nouveau en duo que, forts de cette histoire commune, Annabelle Chambon et Cédric Charron ont créé I Promise, This Is the Last Time où ils reviennent non sans ironie sur leur aventure aux côtés du chorégraphe, mais aussi en tant que couple d’artistes. Nus sous des manteaux de fourrure, entre dérision trash et sensualité exacerbée, leur performance réjouit par son culot et sa liberté.

Dans l’univers sensiblement différent de la Needcompany de Jan Lauwers, la situation est comparable. Des spectacles comme La Chambre d’Isabella, Le Bazar du homard ou, plus récemment, Place du marché 76 tournent dans le monde entier depuis des années. En même temps, Jan Lauwers a toujours accordé beaucoup d’importance au fait que les artistes accueillis au sein de la Needcompany soient de vrais performers, avec une personnalité forte et indépendante. La palette émotionnelle de ses créations doit beaucoup à la qualité de ses interprètes, dont Jan Lauwers joue un peu à la façon dont un Duke Ellington jouait de ses solistes dans son orchestre. C’est ainsi qu’aujourd’hui la Needcompany est devenue une nébuleuse de projets – installations, performances, musique, arts de la scène – menés par les différents artistes qui la composent.

Ainsi Maarten Seghers, acteur et musicien, auteur de certaines des musiques des spectacles de Jan Lauwers, présente régulièrement ses propres performances dont la particularité est d’articuler création sonore et plastique. Avec Jan Lauwers et la musicienne Elke Janssens, il imagine des projets expérimentaux au sein d’une structure parallèle baptisée OhNO Cooperation, dont l’inspiration prend sa source dans l’univers du rock. Jouant librement avec les codes, il met sur un même plan amplis, guitares, cordons jack, feedback, détournant un imaginaire largement fétichisé. What Do You Mean What Do You Mean and Other

Pleasantries, sa création la plus récente, s’inscrit dans cette démarche. Le texte d’une chanson y est étiré à l’infini tandis que sont manipulées six sculptures sonores en bois créant une interaction incessante entre son et espace.

Autres représentants éminents de la Needcompany, Anna Sophia Bonnema et hans Petter Dahl avaient déjà à leur actif plusieurs spectacles avant de travailler avec Jan Lauwers. A commencer par le “love show” Tantra & Western en 1995 ou Post coïtum omne animal triste est en 1999. C’est avec King Lear en 2000 qu’ils intègrent la Needcompany. Parallèlement, ils poursuivent leur projet en duo – avec éventuellement des invités – sous l’intitulé MaisonDahlBonnema. The Ballad of Ricky and Ronny – A Pop Opera donne le ton de leurs créations à venir où le chant joue un rôle déterminant. Ils y interprètent eux-mêmes le rôle des chanteurs Ricky et Ronny que l’on retrouvera dans leurs deux créations suivantes, le tout formant un triptyque.

“Le théâtre consiste à regarder les gens. Au pire, c’est une excuse pour pouvoir les regarder longtemps. Car les gens veulent apprendre. Apprendre ce qui arrive dans les situations extrêmes”, expliquent-ils avec une pointe d’humour. Rhythm Conference Feat. Inner Splits, leur nouveau projet, dont le seul titre est déjà tout un programme, se propose d’examiner ce qui est banni par les codes de la bienséance en matière de communication. Il s’agit, ni plus ni moins, d’“explorer le monstrueux”, comme ils disent. Ce qui, connaissant nos deux lascars, promet d’être alléchant. Hugues Le Tanneur

Attends, attends, attends… (pour mon père) conception Jan Fabre, interprétation Cédric Charron, les 23 et 24 janvier, 21 h 15, Théâtre Rhythm Conference Feat. Inner Splits conception Anna Sophia Bonnema & hans Petter Dahl, et What Do You Mean What Do You Mean and Other Pleasantries conception et interprétation Maarten Seghers, le 28 février, 20 h 30, Théâtre I Promise, This Is the Last Time de et avec Cédric Charron, Annabelle Chambon et Jean-Emmanuel Belot, le 21 mars, 19 h 30, Panopée

édito Sexy, éclectique et pionnière, cette nouvelle édition relève une fois de plus le défi d’ouvrir ses plateaux à la découverte tous azimuts de ceux qui sont appelés à compter sur nos scènes. Rassemblant des artistes à la croisée de l’art, de la danse et du théâtre, le festival témoigne depuis sa naissance en 1998 d’une hybridation entre les trois disciplines reines à l’origine des nouvelles formes créatives. Seize ans déjà que José Alfarroba préside aux destinées du Théâtre de Vanves. Artdanthé a su garder intact son désir de faire connaître et une générosité dans l’accueil qui transforme le panorama offert sur la jeune création française et internationale en une fête se renouvelant chaque soir. hommage donc à celui qui a conçu ce bouillonnant enfant, à l’homme à la personnalité hors du commun qui a su mener à bien le sans précédent de cette aventure hors norme… A José Alfarroba, son directeur, qui signe son ultime édition et laisse les clefs de la maison à l’équipe qu’il a formée. Bon vent à son créateur et longue vie au festival Artdanthé ! Les Inrockuptibles

Avec toutes leurs différences, Jan Fabre et Jan Lauwers, enfants terribles de la scène flamande contemporaine, ont aussi beaucoup en commun. Tous deux ont créé leurs

premiers spectacles au début des années 80. Tous deux sont plasticiens aussi bien que metteurs en scène. Tous deux écrivent. Tous deux viennent de la performance – même si cet aspect est sans doute plus développé chez Jan Fabre. Tous deux sont des meneurs de

jeu, des chefs de bande – même si là encore des différences importantes apparaissent. En tout cas, une chose est sûre : tous deux savent très bien s’entourer, travaillant avec des artistes qui sont des performers à part entière.

En témoigne, par exemple, Attends, attends, attends… (pour mon père), solo conçu en 2014 par Jan Fabre pour l’interprète Cédric Charron. Comme son titre l’indique, cette pièce met en jeu, à travers la lettre d’un fils à son père, un décalage entre deux temporalités.

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Attends, attends, attends… (pour mon père) de Jan Fabre

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C’est en se souvenant des bandes de gamins plus ou moins adolescents qui traînaient sur les places de village en Sicile – où il vivait une partie de l’année –, mais aussi en Belgique, que Salvatore Calcagno a imaginé Le Garçon de la piscine. Ce metteur en scène et auteur

de 24 ans, né à Bruxelles de parents italiens, s’est notamment fait remarquer en 2013 avec La Vecchia Vacca, premier spectacle déjà inspiré de son enfance italienne.

Revenu récemment sur les lieux de sa jeunesse, Salvatore Calcagno a découvert que les choses n’avaient pour ainsi dire pas changé. “Découvrir que les mêmes personnes étaient toujours là à ne rien faire au même endroit, comme si le temps s’était arrêté, cela m’a paru à la fois fascinant et assez violent.”

De cette expérience est né Le Garçon de la piscine. Fasciné par les figures de Tadzio dans Mort à Venise de Visconti, de Terence Stamp dans Théorème de Pasolini ou encore par Querelle de Fassbinder, le spectacle commence par un micro-trottoir inspiré du documentaire Comizi d’amore de Pasolini. A la question “Pourquoi êtes-vous toujours là ?”, les autres répondent : “Et toi, pourquoi es-tu parti ?” C’est, au fond, dans ce décalage sans nostalgie que se situe le spectacle.

les ragazzi Musicien de formation et fou d’images, l’Italo-Belge Salvatore Calcagno conçoit ses spectacles comme des partitions visuelles.

Salvatore Calcagno ne crée pas du théâtre à proprement parler, il écrit des partitions visant à faire exister des atmosphères. “Tout est écrit, mais pas forcément sous forme de texte dans mes spectacles. J’utilise les codes de la danse, du cinéma et, surtout, j’accorde une importance primordiale à la présence physique des interprètes. Au fond, le corps et les images ont un rôle plus important que le texte lui-même.”

Salvatore Calcagno n’est pas venu spontanément au théâtre. D’abord musicien, il est attiré par le chant lyrique, pratique la guitare et le piano. Cependant, des images ne cessent de lui trotter dans la tête, des obsessions visuelles, des ambiances inspirées en particulier de l’univers de l’opéra et du ballet. “Adolescent, je n’allais pas au théâtre. Ma sœur m’emmenait parfois voir de la danse. J’aimais bien tout ce qui tournait autour du lyrique, les costumes, les décors, les couleurs. J’imaginais des shows sans trop savoir comment leur donner une réalité. Un jour, on m’a expliqué que c’était le travail d’un metteur en scène, alors j’ai suivi des cours à l’Insas.”

Fort de sa double culture belge et sicilienne, Calcagno brasse un matériau composite lui permettant dans Le Garçon de la piscine d’évoquer aussi bien un village de l’Italie profonde que la réalité bruxelloise contemporaine. “Quand j’étais enfant, je passais une moitié de l’année à La Louvière en Belgique et l’autre moitié en Sicile. Cette confrontation permanente entre des mondes différents a incontestablement nourri mon imaginaire. Mais quand le spectacle parle de ces jeunes qui sont là à ne rien faire de la journée, cela dépasse clairement le niveau local. Cela raconte quelque chose qui, dans son absurdité, concerne aussi bien des grandes villes européennes.” Hugues Le Tanneur

Le Garçon de la piscine mise en scène Salvatore Calcagno, du 10 au 14 mars, 19 h 30 (20 h 30 les 12 et 13), Panopée

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Cette pièce est très rarement mise en scène. Vous avez sûrement une idée derrière la tête en abordant ce texte ?

Armel Roussel – C’est une pièce qui me poursuit.

Dès mes débuts en fait, j’ai hésité à la mettre en scène. Je l’ai découverte en regardant la vidéo de la Comédie-Française avec Isabelle Adjani. Il y a quelque chose de fulgurant dans son jeu qui tranche avec l’esthétique un peu carton-pâte du spectacle. Depuis, je n’ai cessé de penser à cette pièce.

Vous en faites une adaptation ? Ça s’appelle Ondine (démontée)

et si je m’y attaque aujourd’hui, c’est parce que, depuis janvier 2015, le texte est dans le domaine public. La pièce sera donc en partie réécrite. Je garde la trame, l’histoire d’une créature venue d’ailleurs désireuse de s’humaniser mais qui est finalement rejetée comme étrangère. Elle repart dans son propre monde mais son passage laisse des traces. Le jeu d’Isabelle Adjani, cette façon d’être là comme si elle venait d’ailleurs, m’évoque ça.

La pièce a été créée en 1939, dans une mise en scène de Louis Jouvet. Drôle de moment pour monter une “féerie” ?

Quoiqu’on en pense, la pièce est plutôt perverse sous ses allures

“une féerie politique”Prenant des libertés avec le texte original, Armel Roussel donne sa version, quasi sadienne, d’Ondine de Jean Giraudoux.

de féerie. Presque sadienne en fait. Pour Ondine, plaisir et souffrance ne sont pas antinomiques. La pièce pose par ailleurs la question de l’identité. Ondine est une créature qui vient d’un monde immémorial, un monde d’avant la religion, ce qui en fait un personnage assez subversif. En ce sens, elle sert de révélateur. Quelle est cette humanité au milieu de laquelle elle se retrouve soudain ? De quel monde humain parle-t-on ? Si féerie il y a, le spectacle sera d’abord une féerie politique.

Vous travaillez en association étroite avec le Théâtre Les Tanneurs à Bruxelles. Comment ça se passe ?

En 2009, David Strosberg, qui venait d’être nommé à la direction de ce lieu, m’a proposé d’être artiste associé. Il a impulsé une dynamique qui a fait beaucoup pour ce lieu. Un esprit de recherche, d’accueil, de soutien à des artistes émergents. Nous échangeons beaucoup. David travaille de façon moins hiérarchisée qu’il est de coutume dans les théâtres francophones. Une approche collégiale, ouverte, qui me convient parfaitement. propos recueillis par Hugues Le Tanneur

Ondine (démontée) d’après Giraudoux, adaptation et mise en scène Armel Roussel, du 17 au 21 mars, 21 h, Théâtre

partenaire particulier Pour cette édition, le festival Artdanthé s’associe au Théâtre Les Tanneurs, son alter ego bruxellois, qui œuvre pour la création contemporaine, en proposant un échange de compagnies emblématiques de l’esprit de chacun des lieux.

aux Tanneurs / BruxellesQuand je pense qu’on va vieillir ensembleLes Chiens de Navarre / Jean-Christophe Meurisseles 16 et 17 janvierAffabulazionePier Paolo Pasolini / Lucas Bonnifait les 20 et 21 janvier Mon amour Thomas Ferrand / Projet Libéral les 23 et 24 janvier

au ThéâTre de VanVesdans le cadre du 17e festival Artdanthé Une lettre à Cassandre Pedro Eiras / David Strosberg les 10 et 11 marsLe Garçon de la piscine (création)Salvatore Calcagno / garçongarçon asbldu 10 au 14 marsOndine (démontée) (création)Armel Roussel / [e]utopia3 du 17 au 21 mars

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Abras-le-corps racontait, à sa création en 1993, une certaine utopie du geste : “Nous voulions nous placer loin du cadre habituel d’un spectacle, avec ses gradins

et sa scène, loin aussi de nos années d’étudiants”, résume son duo d’auteurs/interprètes, Boris Charmatz et Dimitri Chamblas. Le public ne serait tenu à distance que par un carré de chaises, sans autre frontière avec le plateau. Certains ont vu A bras-le-corps à sa création à la Villa Gillet à Lyon. D’autres encore dans un champ à Uzès : c’est à l’air libre que nous avons pour notre part croisé cette aventure hors norme, le regard braqué sur cette paire de danseurs en fusion. Un duo sous forme de duel, un travail sur la fatigue, sur le sol, qu’il soit de béton brut ou d’herbe. Une chute perpétuelle. Jeter son corps dans la bataille, pour reprendre les mots de Pier Paolo Pasolini.

Vingt ans plus tard, A bras-le-corps s’est métamorphosé, presque le même et pourtant autre. “Décantée, notre énergie apparaît marquée du désir de puissance et de masse, mais aussi d’une ironie gaillarde et jouissive,

ou de May B. Une sorte d’épreuve du feu qui, aujourd’hui, se prolonge le temps de cette pièce au titre musical. Dans Singspiele, il est un caméléon qui, d’un geste – une simple feuille avec laquelle il reproduit un rôle –, se métamorphose. Il y a des célèbres et des inconnus, des sourires et de la terreur. Un paysage de visages. Sur une estrade en longueur dont le soliste ne s’éloigne guère, tel un funambule concentré sur sa ligne d’horizon, Mambouch se “défigure” dans une poursuite de la mémoire des gestes et des lieux : il doit faire presque tout à l’aveugle pour changer de vêtements et de tête.

Incroyable performance. Pour Maguy Marin, Singspiele parle d’“une responsabilité qui déborde ce qui tient dans le suspens d’une époque, du désir d’affirmer que ces visages connus et inconnus ont un dénominateur commun qui est celui d’appartenir à la même espèce. L’espèce humaine.” humain après tout. Philippe Noisette

A bras-le-corps de et par Dimitri Chamblas et Boris Charmatz, le 3 mars, 19 h 30, Panopée Singspiele conception Maguy Marin, David Mambouch et Benjamin Lebreton, le 30 mars, 21 h, Théâtre

la chorégraphie cédant le pas à une expérience simple et explosive.” Charmatz comme Chamblas ont depuis vécu mille vies : l’un, de plus en plus présent dans le milieu chorégraphique, l’autre prenant du recul. A bras-le-corps est riche désormais de ces états de corps et de pensée. “Le passé de ce début continué a pour nous le goût de l’épopée”, affirme le duo. A bras-le-corps est définitivement ré-enchanté.

Singspiele est d’une autre espèce, rare : le solo multiple. Créé sur la “peau” même de David Mambouch, l’œuvre de Maguy Marin joue autant avec les masques qu’avec le corps. Il n’y en a qu’un sur le plateau, dans un clair-obscur. C’est David Mambouch, comédien passé par le Théâtre national populaire de Villeurbanne où il a joué avec Christian Schiaretti. Depuis 2012, il travaille avec Maguy Marin, pour qui il a dansé dans les reprises d'Umwelt

histoires de transmission Un duo “historique” de Boris Charmatz et Dimitri Chamblas revisité par ses auteurs, un solo de Maguy Marin magnifié par son interprète. Passionnant et enchanteur.

une aventure hors norme, pour une paire de danseurs en fusion

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Singspiele de Maguy Marin

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deux experts… Musical et loufoque avec Jeanne Candel, intime et délicat avec Mohamed El Khatib, deux univers à découvrir.

… du collectif

A l’occasion du nouvel an, des cosmonautes sont interviewés depuis la Terre pour une émission de télévision. Les questions du public sont plus ou moins fantaisistes.

Une, en particulier, surprend : “Est-ce que vous allez dans l’espace parce que vous n’êtes pas capables de voir ce qu’il y a sous votre nez ici sur Terre ?” Elle évoque la célèbre anecdote de Thalès, philosophe de l’Antiquité, tombé dans un puits alors qu’il observait les étoiles. Une servante qui passait par là railla son étourderie, remarquant qu’au lieu de regarder le ciel, il ferait mieux de voir où il met les pieds.

Le Goût du faux et autres chansons, création collective, mise en scène par Jeanne Candel, regorge de ce genre d’allusions discrètes au point de donner à ce spectacle charmant l’aspect d’une anamorphose. Cela commence avec l’analyse d’un tableau du XVIIe siècle réalisée par les personnages présents sur la toile, où trône un clavecin. Les mots sont alors le moyen de déployer des perspectives multiples, des lignes de fuite empruntées allègrement en musique et en chansons par les comédiens de cette amusante incursion un rien mélancolique. Hugues Le Tanneur

Le Goût du faux et autres chansons mise en scène Jeanne Candel, le 26 février, 21 h, Théâtre

… de l’intime

Dans la performance Finir en beauté, la simplicité du dispositif s’accorde à la profondeur du propos, à l’immense délicatesse

teintée d’humour avec laquelle Mohamed El Khatib raconte la maladie et la mort de sa mère, son deuil et sa culpabilité, son double héritage culturel entre la France où il est né et le Maroc où elle sera enterrée. A l’appui de son récit, les enregistrements sonores de conversations avec sa mère, avec son médecin, dont on suit la retranscription sur un écran en lieu et place des images qu’il voulait filmer avec sa caméra. Comme si l’image manquante avait plus de force, répondait mieux à l’absence à laquelle nous confronte le deuil et qui est au cœur de son récit.

Quand les images arrivent, c’est après la mort, celles du voyage au Maroc, du cimetière et de la réunion familiale après l’inhumation. De sa mère, on verra deux photos, l’une prise sur son lit de mort et la reproduction d’un portrait d’elle, jeune, qui vient clore Finir en beauté. Deux images fixes entre lesquelles se déroule le récit, que n’alourdit aucun pathos mais qui se range résolument du côté de la vie. “Je ne suis pas en deuil, j’ai du chagrin”, écrit-il dans son Carnet de notes. A quoi son ami Yves-Noël lui répond : “Une mère c’est immortel. P. S. : Je cherche des danseurs pour mon prochain spectacle.” On t’a reconnu Yves-Noël, délicatesse et sens pratique toujours mêlés, du côté de la vie… Fabienne Arvers

Finir en beauté texte et conception Mohamed El Khatib, le 19 mars, 19 h 30, Panopée/Temps fort L’L

Le Goût du faux et autres chansons de Jeanne Candel

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On garde en mémoire cette apparition de Marlene Monteiro Freitas dans le (M)imosa créé en 2011 avec ses compagnons de route François Chaignaud, Cecilia

Bengolea et Trajal harrell. Fière moustache (quoique fausse) et guitare, Marlene torse nu nous la jouait Prince, époque Purple Rain, dans un solo fulgurant. On découvrait alors cette danseuse native du Cap-Vert à la plastique faussement androgyne.

Marlene Monteiro Freitas a cofondé la compagnie Compass, enchaîné avec des études à P.A.R.T.S. du côté de Bruxelles puis à la Fondation Gulbenkian de Lisbonne. Autant d’étapes sur un chemin qui, lui, n’est pas de croix. La danseuse, qui a croisé Boris Charmatz ou Tânia Carvalho, fait aujourd’hui partie du collectif d’artistes portugais Bomba Suicida. Chaque intervention chorégraphique de la Cap-Verdienne tient de la bombe performative à fragmentation.

la frondeuse En quelques pièces secouées, Marlene Monteiro Freitas a inscrit son nom en lettres de feu. Portrait affolé.

Effets diffus, puis addiction certaine et explosion contagieuse. De Guintche à Paraíso – Colecção privada, Marlene Monteiro Freitas s’invente un répertoire de figures et d’excès.

Une danse possédée, qui emprunte à des rituels contemporains. Elle crée surtout au fil des pièces une communauté qui se déploie à nouveau dans De marfim e carne – As estátuas também sofrem (“D’ivoire et de chair – Les statues souffrent aussi”), créé l’an passé. Autour de Marlene, une troupe de personnalités “dansent leur immobilité hiératique de statues, figures emprisonnées, enfermées, à l’intérieur

de leur contour”. Dans cette messe noire qui ne s’interdit rien – les paillettes, les micros, les rythmiques –, on retrouve une fois de plus la gestuelle qui puise à un folklore autant qu’à l’avant-garde.

Marlene Monteiro Freitas est passée maître dans l’art du collage qui allie impureté et beauté. Il y a du tableau vivant – ou qui ne se résout pas à mourir – dans cette approche plastique qui laisse le corps en liberté. La danse en fait parfois les frais et on aime cette manière de bousculer les codes, de s’affranchir des cadres. De marfim e carne – As estátuas também sofrem, référence au film d’Alain Resnais et Chris Marker, Les statues meurent aussi, est un cri d’effroi. Il résonne encore bien après les saluts. Marlene Monteiro Freitas nous a une fois de plus bien possédés. Qui pour s’en plaindre ? Pas nous… Philippe Noisette

De marfim e carne – As estátuas também sofrem chorégraphie Marlene Monteiro Freitas, le 4 avril, 20 h 30, Théâtre

chaque intervention de la Cap-Verdienne tient de la bombe performative à fragmentation

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trois explorateurs… Politiser la sexualité, questionner les genres, sonder l’intimité du corps : propositions libres et variées d’inlassables créateurs/chercheurs.

… du corps

Repérée notamment pour sa série consacrée aux orifices, Ana Rita

Teodoro pense la danse comme une expérience éminemment organique et personnelle. Elle appelle ça “délirer l’anatomie”, autrement dit, rêver ou fantasmer ce qui se trame à l’intérieur de soi. Le corps même de la danseuse s’avère du coup à la fois l’acteur et la scène de ce qui se joue dans ses créations. Portugaise, Ana Rita Teodoro a notamment séjourné au Japon où elle a suivi une formation de butô et s’intéresse aussi beaucoup à la médecine chinoise. Assombro, qu’elle reprend aujourd’hui dans une version remaniée, s’inscrit dans la série des Anatomies délirantes. Le corps s’y révèle un terrain d’exploration particulièrement fécond soumis à une suite sensible de métamorphoses gravitant autour de la notion d’identité sexuelle. H. L. T.

Assombro d’Ana Rita Teodoro, le 31 janvier, 18 h 30, salle henry-Darien (hôtel de ville) Fantôme méchant (version scénique d'Assombro), le 2 février, 19 h 30, Panopée

… du sexe

A près une formation aux arts du cirque et un master

de sciences humaines, Matthieu hocquemiller se consacre aujourd’hui à la chorégraphie tout en poursuivant la rédaction d’un mémoire de recherche à l’Ecole des hautes études en sciences sociales dans le cadre du département “Genre, politique et sexualité”. Lauréat des Talents danse de l’Adami en 2004, il a créé dans la foulée sa compagnie A contre poil du sens.

Pour (nou), sa dernière création, Matthieu hocquemiller s’est entouré d’une troupe réunissant, au féminin comme au masculin, des travailleurs du sexe, des militants queer, des danseurs et des performers… “Nous ne cherchons pas une complicité ‘excitatoire’ avec le public, précise le chorégraphe, mais bien à élaborer des images diverses et complexes à partir du ‘sexuel’. Et si nous représentons la sexualité de façon explicite, il s’agit moins d’un ‘érotisme’ que d’un mode d’agencement à l’autre et au monde.” Une bouffée d’air frais en ces temps de retour du pudibond. P. S.

(nou) de Matthieu hocquemiller, le 27 janvier, 21 h, Théâtre

… du genre

Témoignant de l’intense créativité de la scène québécoise, ces trois artistes aux univers singuliers revendiquent le caractère expérimental de leur pratique du plateau comme une série

de questionnements à l’adresse du public. Présente avec deux pièces, la chorégraphe

Marie Béland nous propose de ne découvrir son spectacle, Behind, qu’à travers les ombres et les reflets que ses interprètes projettent sur les murs et le sol. Et dans Between, ce sont les rapports entre la danse et les gestuelles du quotidien qu’elle soumet à la grille de valeur de notre jugement.

Formé au travail du clown et du masque, Nicolas Cantin est “un Français de Montréal” qui aime à flirter avec la frontière entre les genres quand il s’invente en femme dans Klumzy, ou s’aventurer dans les zones troubles du handicap émotionnel avec Grand singe.

Figure du Montréal underground, Dana Michel est une performeuse qui questionne la culture afro-américaine avec un humour décalé et s’interroge entre gravité et bouffonnerie sur la codification des genres et des cultures. Patrick Sourd

Yellow Towel de Dana Michel, le 28 février, 19 h, Panopée Grand singe et Klumzy de Nicolas Cantin, le 3 mars, 20 h 30, Théâtre Behind et Between de Marie Béland, le 7 mars, 18 h 30, Panopée

Behind de Marie Béland

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Colette à la plage Issu de l’école des élèves-comédiens de la Comédie-Française, le Collectif Colette adapte au théâtre le scénario de Pauline à la plage d’Eric Rohmer. Retour aux origines de l’aventure avec Laurent Cogez, qui signe avec brio sa première mise en scène.

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“ ça m’intéressait de voir comment le côté ‘vintage’ de la langue de rohmer pouvait trouver sa place de nos jours sur un plateau”

point de vue technique, être assistés pour la régie, la lumière, le son, les costumes et la scénographie.

Pourquoi avoir créé un collectif ? Le métier d’acteur est très cruel, très

individualiste. Lors de nos études, on fonctionne en groupe. Mais, dès la sortie de l’école, ça semble très compliqué de se jeter à l’eau à plusieurs. Ce sont les cartes blanches qui nous ont amenés à envisager le collectif comme un avenir possible. On a monté L’Anniversaire d’harold Pinter sous l’œil de Félicien Juttner, à l'époque pensionnaire de la maison. Puis, avec Les Pièces de guerre d’Edward Bond, notre travail de sortie, nous avons été épaulés par Gilles David. Dans les deux cas, on s’était retrouvés tous les six sous la direction de quelqu’un d’autre tout en ressentant beaucoup de plaisir à jouer ensemble. On a pu aussi se rendre compte de l’énergie qu’on était capables de mettre en œuvre pour mener à bien un projet. Car, au-delà du fait de tenir un rôle, chacun était en charge d’une partie spécifique, qu’il s’agisse des rapports avec le décorateur,

le régisseur lumière, l’ingénieur du son ou la costumière… Après cette année de travail en commun et nos expériences avec la troupe du Français, on s’est enfin sentis armés. On s’est dit qu’à six, on est plus forts, et qu’il fallait se donner les moyens de rester ensemble… Ce qui n’empêche pas certains d’entre nous de développer des projets personnels.

Comment est née l’idée de transposer au théâtre le scénario de Pauline à la plage ?

C’est un sujet que j’ai amené. Dès le départ, j’ai dit que je ne souhaitais pas jouer mais me charger de la mise en scène. Pour le travail d’adaptation et de préparation, tous ont été d’accord pour que je sois aidé par une assistante artistique, Marion Morvan. S’agissant d’une œuvre qui traite de l’amour, je voulais pouvoir croiser mon regard avec un point de vue féminin… Au final, Marion est devenue l’actrice qui joue Louisette. On a réuni un maximum de compétences, comme celle d’un directeur technique ami, Olivier Morales, qui est régisseur à la Comédie-Française mais est aussi le président de notre association. Carine Goron a proposé Nils Bourotte pour la création sonore. J’ai très vite pensé à Alexis héroult pour la scénographie et les costumes. C’est ainsi qu’on souhaite travailler : un noyau dur constitué par Carine Goron, Lucas hérault, Blaise Pettebone, Nelly Pulicani, Maxime Taffanel et moi-même, les six membres fondateurs, et un deuxième cercle de proches qui peut évoluer.

Pourquoi Pauline à la plage ? Pour s’interroger sur ce qu’il en est du discours

amoureux aujourd’hui. J’ai toujours été sensible au charme post-Nouvelle Vague de ce film tourné durant les vacances alors que les personnages ont le temps de débattre sur l’amour. Pour Pauline, Rohmer transforme en scénario l'ébauche d'une pièce de théâtre, Friponne de porcelaine. Ça m’intéressait de voir comment le côté “vintage”, au bon sens du terme, de la langue de Rohmer pouvait trouver sa place de nos jours sur un plateau. C’est aussi la raison des inserts des textes que nous avons écrits. J’ai voulu éviter les références trop littérales au film, l’idée étant de travailler à partir du souvenir qu’on en garde pour pouvoir faire des allers-retours entre notre présent et la réalité d’il y a trente ans. Pauline à la plage est le premier spectacle où nous avons décidé de tout. propos recueillis par Patrick Sourd

Pauline à la plage par le Collectif Colette, d’après le scénario du film écrit et réalisé par Eric Rohmer, mise en scène Laurent Cogez, le 2 avril, 21 h, Théâtre

Comment se sont rencontrés les membres du Collectif Colette ?

Laurent Cogez – Durant la saison 2012-2013, nous étions les six lauréats de la promotion des élèves-comédiens de la Comédie-Française… Un projet initié

par Muriel Mayette, l’ancienne administratrice, pour permettre aux élèves sortant des onze écoles nationales d’enseignement supérieur de théâtre existant en France de travailler un an durant à la Comédie-Française. On est distribués pour jouer les petits rôles et, dans le cadre de l’alternance, on peut assister à toutes les répétitions, même à celles des spectacles dans lesquels on ne joue pas. Au-delà de ce cadre lié à notre pratique d’acteur, cette porte ouverte se complète d’une formation à tout ce qui concerne l’administratif et le juridique de la vie des compagnies. De plus, nous avons la possibilité de monter nos propres spectacles… Des cartes blanches où nous pouvons être aidés par des comédiens de la troupe, mais aussi, d’un

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“ notre leitmotiv a été : pourquoi on danse ?”

Avec son humour pince-sans-rire et son débit de mitraillette, Vincent Thomasset a le désir permanent de saisir une réalité trop complexe pour être contenue dans le langage. Un artiste qui négocie sans cesse avec le récit pour brouiller les cartes

de sa biographie et témoigner d’une dimension fictionnelle en se créant des avatars puisés à son univers personnel. Celui qui, de Paradis à After/Before, fut acteur et performer dans les spectacles de Pascal Rambert de 2002 à 2007 a passé son enfance dans la Drôme, du côté de Valence, où il suit des études de lettres et pratique durant douze ans l’équitation. Rien ne va plus quand il quitte le giron familial pour une prépa littéraire à Grenoble. “J’ai alors très vite eu le sentiment que les mots étaient à double tranchant et que, la plupart du temps, ils se retournaient contre moi.”

Virant au cauchemar, la situation devient intenable quand elle provoque chez lui une grosse dépression, qu’il n’arrive à surmonter qu’en décidant de poser ces mots si dangereux sur le plateau, pour être enfin capable de se les réapproprier en leur donnant chair

en selle A travers trois pièces en écho, Vincent Thomasset questionne son parcours de cavalier et son identité d’artiste.

plutôt que de s’attacher à leur sens. S’en suivent des propositions minimales qu’il désigne comme des “topographies des forces en présence” où il utilise un logiciel de reconnaissance vocale pour donner à entendre ses textes. Une série de performances qu’il présente dans des lieux aussi improbables qu’un parking ou la cour de l’hôtel Ritz.

Avec les trois spectacles réunis dans ce programme, Vincent Thomasset regroupe la phase suivante d’une recherche désormais consacrée à “des formes reproductibles”, témoignant de sa volonté de prendre le temps d’expérimenter, étape après étape, les outils mis à disposition des chorégraphes et des metteurs en scène.

A la manière de poupées russes, Sus à la bibliothèque ! (2011), Les Protragronistes (2012) et Médail Décor (2014) reprennent les mêmes motifs tout en changeant la forme à travers laquelle le texte est véhiculé, de la polyphonie d’un chœur d’acteurs à son dédoublement entre un acteur et un danseur, puis à son brouillage à nouveau via l’usage du play-back. La référence à l’équitation imprègne chacune des chorégraphies comme s’il s’agissait alors d’apprivoiser un “moi” aussi rétif qu’un animal sauvage. Une manière pleine d’humour de rendre compte en public des tribulations d’un jeune homme qui au final n’envisage pas d’autre voie que celle d’être un artiste. Patrick Sourd

Sus à la bibliothèque ! (2011), Les Protragronistes (2012), Médail Décor ( 2014), écrits, mis en scène et chorégraphiés par Vincent Thomasset, le 7 mars, 20 h 30, Théâtre

Comment est né Notre danse ?

Mylène Benoit – D’une nécessité individuelle, embrassée collectivement, de retourner vers le lieu d’où vient la danse, pour s’interroger

sur son pouvoir lorsqu’elle se pratique comme un geste essentiel. J’ai voulu retenir pour la pièce les gestes, les sons, les actes absolument nécessaires, indissociables de chaque individu, au sein du groupe que nous formions. Chaque période de travail a été envisagée comme une opportunité de nourrir et de laisser affleurer notre langue commune. Cette langue – cette danse – est chorale et polyphonique : elle trame le geste, le chant, la lumière, la musique, le récit.

Qu’est-ce qu’une tribu en 2014 ? Un groupe de personnes reliées

par une croyance, une langue, une origine commune. Je voulais que Notre danse soit la danse de tous les corps et de tous les inconscients réunis autour du projet. Pour cela, il nous a fallu fabriquer notre “souche” commune,

A travers un travail fondé sur le collectif, la chorégraphe Mylène Benoit interroge la danse comme geste essentiel.

force surnaturelle. Dans Notre danse, nous dansons pour faire advenir. Notre leitmotiv a été : pourquoi on danse ? Ou encore : pour quoi on danse ? La pièce s’appuie sur la poursuite d’un mouvement impulsé par une nécessité : par exemple, effectuer le geste du chasseur… Ou bien faire danser la lumière, ou encore accomplir un geste en vue d’une célébration.

Dans Notre danse, vous vous demandez : quelle danse emporter sur une île déserte ? Quel serait votre invité sur une île : un danseur, un artiste, une musique, une chorégraphie ?

Au moins trois : pour l’oreille, le compositeur Moondog et ses ritournelles chantées. Pour le geste, Olga Letykai Csonka, la femme tchouktche (Sibérie) à qui nous rendons hommage dans Notre danse. Et pour l’esprit, Pascal Quignard et son ouvrage L’Origine de la danse. propos recueillis par Philippe Noisette

Notre danse conception Mylène Benoit, le 2 février, 21 h, Théâtre

“ partager des rituels inédits” inventer nos usages du plateau, nos paysages, nos soins, nos chants, nos mythes. L’équipe artistique au complet a conçu et partagé des rituels inédits, qui ont constitué le terreau fictionnel de Notre danse.

D’autres artistes de la danse se sont dernièrement intéressés au folklore au sens large. Qu’est-ce qui peut faire sens dans cette approche pour une chorégraphe d’aujourd’hui ?

Ce qu’on appelle aujourd’hui la danse folklorique ou traditionnelle porte le témoignage du caractère rituel de la danse. On peut comprendre le folklore comme ce qui reste d’une danse “performative” : une danse non “artistique” dont le statut n’est pas de montrer, de représenter ou de séduire mais d’être efficace, presque magique. Accomplir un geste qui rend possible un événement, ou la présence d’une

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l’effeuilleuse

L es légendes s’écrivent souvent ailleurs que dans les vieux grimoires… C’est en s’amusant à décrypter les énigmes contenues dans les œuvres d’art que Gaëlle Bourges débusque leur

sens caché pour nourrir notre réflexion sur le présent. Centrant son propos sur les représentations du corps de la femme, la chorégraphe construit son sujet à la manière d’un feuilleton, avec pour première pierre Je baise les yeux (2009), où elle évoque le rituel du strip-tease, forte de son expérience dans un théâtre érotique. Des effeuillages des filles d’aujourd’hui

l’inclassable

Avec la brillance d’une comète, chaque passage de Guesch Patti sous les feux de la rampe est l’occasion de s’extasier encore

et toujours sur l’étendue des talents d’une artiste qui aura passé sa carrière à déjouer toutes les tentatives de classification. Personne n’a oublié son fameux tube, Etienne, pour lequel elle reçoit une Victoire de la musique en 1988, pas plus que ses apparitions dans les mises en scène de Christian Schiaretti – où elle est aussi à l’aise à chanter Brecht dans L’Opéra de quat’sous qu’à défendre la cause de la classe ouvrière contemporaine dans Par dessus bord de Michel Vinaver.

Pratiquée dès l’enfance, la danse est pour elle le fil rouge qui, du classique au modern-jazz, s’avère la seule discipline capable de structurer ce désir de vie qui la déborde sans cesse. Rien d’étonnant alors qu’en signant sa première chorégraphie titrée Re-VUe, elle se retrouve, telle une girl de music-hall, entourée de trois boys. Utilisant les mots de l’écrivain Edouard Levé à la manière d’un cheval de Troie, Guesch Patti, la pudique, nous livre ici le plus touchant des autoportraits. P. S.

Re-VUe de Guesch Patti d’après Autoportrait d’Edouard Levé, le 29 janvier, 19 h 30, Panopée

le vogueur Depuis ses premières

apparitions en France, on a eu le temps

de se familiariser avec l’exubérance retenue de Trajal harrell. Twenty Looks or Paris Is Burning at The Judson Church, titre générique d’une série de pièces où la post-modern dance croise le voguing, deux minorités culturelles peut-être pas si éloignées que cela, est devenu la carte de visite de Trajal. Antigone, dont une version (L) a déjà été présentée, s’impose aujourd’hui comme une nouvelle étape du parcours de ce New-Yorkais stylé. Avec la version Jr. pour deux interprètes (Thibault Lac et Trajal harrell) présentée à Vanves, le drame antique est réduit à sa plus simple expression : surtout, il est ici envisagé sous un prisme contemporain. Antigone devient dès lors une figure émancipée de la création actuelle. La mythologie, comme autrefois la nostalgie, n’est plus ce qu’elle était. On s’en réjouit d’avance. Philippe Noisette

Antigone Jr. ++ de Trajal harrell, le 5 mars, 19 h 30, Panopée

le mixeur C’est dans un noir total que

démarre Un petit peu de Zelda, propice à l’écoute du poème de Baudelaire, Causerie,

qu’Yves-Noël Genod prononce avec délectation, les derniers vers distillant l’essence profonde des images qui vont suivre : “O Beauté, dur fléau des âmes, tu le veux ! / Avec tes yeux de feu, brillants comme des fêtes, / Calcine les lambeaux qu’ont épargnés les bêtes !” La figure de Zelda, romancière, épouse et égérie de F. Scott Fitzgerald, fut endossée à la création par Kate Moran avec une grâce et un mordant analogue à son entrée en scène, vêtue d’un costume noir, veste ouverte sur buste nu, apostrophant le public dans sa langue natale, celle de Zelda.

Tout le spectacle s’apparente à un long poème vivant où nous plongent les interprètes dans leurs surgissements et leurs trajectoires, louvoyant avec les limites de l’espace, époustouflants de beauté et répondant aux doux noms de Frida Kahlo, Pessoa… Ou, moins célèbres mais tout aussi évocateurs : le chevalier, la danse, le Russe, la Rom, le lépreux… Sans oublier les chanteurs et leur interprétation du Stabat Mater de Pergolèse, suivie d’extraits de Bach, de Schumann et de Verdi. Fabienne Arvers

Un petit peu de Zelda d’Yves-Noël Genod, le 24 février, 19 h 30, Panopée

quatre excentriques Poésie dans le noir, Sophocle en mode voguing… des personnalités hors pair livrent des œuvres singulières.

aux représentations du corps féminin dans la peinture classique européenne, sa quête remonte le temps de spectacle en spectacle. Avec A mon seul désir, et la fameuse tapisserie du Moyen-Age, La Dame à la licorne, elle s’interroge sur le regard que l’on porte sur la chasteté à travers le double motif de la représentation d’une vierge et d’une licorne, cet animal mythique que Dalí qualifiait de “complexe aigu phallique”. Patrick Sourd

A mon seul désir chorégraphie de Gaëlle Bourges, le 6 février, 21 h, Théâtre

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Un petit peu de Zelda d’Yves-Noël Genod

A mon seul désir de Gaëlle Bourges

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en couverture Inês de Volmir Cordeiro photo Fernanda Tafner chef de projet Benjamin Cachot coordination éditoriale Fabienne Arvers, Sophie Ciaccafava rédaction Fabienne Arvers, Hugues Le Tanneur, Philippe Noisette, Patrick Sourd directeur de création Laurent Barbarand édition/secrétariat de rédaction Fabrice Ménaphron, Vincent Richard iconographie Maria Bojikian fabrication Virgile Dalier, avec Gilles Courtois impression, gravure, brochage Roto Aisne SN directeur de la rédaction Frédéric Bonnaud directeur de la publication Frédéric Roblot dépôt légal Premier trimestre 2015. Les Inrockuptibles est édité par Les Editions indépendantes, société anonyme au capital de 326 757,51 €, 24, rue Saint-Sabin, 75011 Paris, n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse © Les Inrockuptibles 2015. Tous droits de reproduction réservés supplément au n° 998 du 14 janvier des Inrockuptibles. Ne peut être vendu. Ne pas jeter sur la voie publique

infos pratiques du 23 janvier au 4 avril 2015 un théâtre, deux lieux

De ses expériences dans les favelas de Rio auprès de la chorégraphe Lia Rodrigues, Volmir Cordeiro a acquis une capacité peu commune à observer les invisibles, ceux à qui personne ne prête attention. Venu à la danse après une formation de comédien,

ce jeune chorégraphe brésilien dont la taille élancée impressionne est passé par le Centre national de danse contemporaine d’Angers sous la direction d’Emmanuelle huynh. Il poursuit par ailleurs une thèse sur les figures de la marginalité dans la danse à l’université Paris-8. Dans Ciel, son premier solo, il donnait corps à quatre personnages emblématiques : un mendiant, un paysan, une prostituée et un réfugié.

Cette démarche où il s’agit de mettre en lumière les laissés-pour-compte, Volmir Cordeiro la poursuit aujourd’hui avec Inês, de nouveau un solo, mais centré cette fois autour d’une figure unique, celle d’Inês, 57 ans, mère de deux enfants dont le rêve serait de devenir l’héroïne d’une émission de télé-réalité. Ni un portrait, ni à proprement parler une évocation, cette création parlée – dans la première partie – et dansée s’apparenterait plutôt à une forme très particulière de transsubstantiation. Enroulé dans un tissu bariolé, Volmir Cordeiro va insensiblement s’effacer, comme envahi par un autre corps. Avec une délicatesse inouïe, il donne vie au rêve d’Inês de devenir une star. C’est d’autant plus émouvant que tout semble se dérouler dans la solitude. Comme si, à son insu, on surprenait Inês s’imaginant devant un public. Entre ses dents, elle susurre une mélodie mentale. Ses pas chaloupés démarquent les cadences d’une danse populaire. Ses gestes heureux et libres sont d’autant plus beaux qu’ils convoquent une dimension secrète.

aux absents Avec une sensibilité bouleversante, le chorégraphe et danseur Volmir Cordeiro donne vie à des figures d’exclus.

Alors quelque chose s’intensifie, acquiert une densité bouleversante, comme si c’était le sens même de la vie de cette femme des favelas qui prenait forme. La danse devenue un rituel intime entre jubilation et défoulement se mue bientôt en ivresse pure, admirablement rendue par la beauté et l’humanité chavirée d’une gestuelle affranchie de toute limite. Hugues Le Tanneur

Inês de et par Volmir Cordeiro, le 14 mars, 21 h, Théâtre

Le Théâtre12, rue Sadi-Carnot92170 Vanves

01 41 33 93 70 billetterie ville-vanves.fr www.theatre-vanves.fr

Panopée 11, avenue Jacques-Jézéquel 92170 Vanves

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