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Tous droits réservés © Institut d'histoire de l'Amérique française, 1968 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 23 août 2020 09:57 Revue d'histoire de l'Amérique française Les élèves du Collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière 1829-1842 Ulric Lévesque Volume 21, numéro 4, mars 1968 URI : https://id.erudit.org/iderudit/302724ar DOI : https://doi.org/10.7202/302724ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Institut d'histoire de l'Amérique française ISSN 0035-2357 (imprimé) 1492-1383 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Lévesque, U. (1968). Les élèves du Collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière 1829-1842. Revue d'histoire de l'Amérique française, 21 (4), 774–791. https://doi.org/10.7202/302724ar

Les élèves du Collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière 1829-1842 · fondateur du Collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, car il en fallait pour espérer qu'en 1827, un collège

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Tous droits réservés © Institut d'histoire de l'Amérique française, 1968 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation desservices d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politiqued’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit.Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé del’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec àMontréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.https://www.erudit.org/fr/

Document généré le 23 août 2020 09:57

Revue d'histoire de l'Amérique française

Les élèves du Collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière 1829-1842Ulric Lévesque

Volume 21, numéro 4, mars 1968

URI : https://id.erudit.org/iderudit/302724arDOI : https://doi.org/10.7202/302724ar

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s)Institut d'histoire de l'Amérique française

ISSN0035-2357 (imprimé)1492-1383 (numérique)

Découvrir la revue

Citer cet articleLévesque, U. (1968). Les élèves du Collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière1829-1842. Revue d'histoire de l'Amérique française, 21 (4), 774–791.https://doi.org/10.7202/302724ar

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LES ÉLÈVES DU COLLÈGE DE SAINTE^ANNE^DRLA^POCATIÈRE

1829*1842

Jusqu'à une époque toute récente, l'histoire des faits d'en­seignement dans les diverses institutions de formation classique avait trouvé peu d'adeptes; on s'était surtout préoccupé de dé­crire la fondation et l'évolution matérielle des collèges classiques, de retracer brièvement programmes et règlements ou de dresser des listes de professeurs et d'élèves. Étapes préliminaires essen­tielles, ces catalogues et ces histoires événementielles invitaient à un approfondissement du travail, dont de récentes études 1 ont démontré les riches possibilités.

L'analyse du comporteraient statistique de quelques généra­tions d'élèves constitue un des aspects intéressants de ces études parce que ce comportement touche à la fois à l'histoire de l'édu­cation et à l'histoire sociale. Face à la tentative de relèvement du niveau intellectuel de la population bas-canadienne qui s'af­firme durant toute la première moitié du XIXe siècle, on peut en effet se demander quelle couche de la population a été touchée par l'effort de scolarisation et dans quelle mesure elle en a profité. Voilà pourquoi nous nous sommes lancé dans cette re­cherche, en choisissant le Collège de Sainte-Anne que nous con-

1 Entre autres, celles de Pierre Savard, "Les débuts de renseignement de Thistoire et de la géographie au Petit Séminaire de Québec (1765-1880)", publiée dans les livraisons de mars, juin et septembre 1962 de RHAF, de Claude Lessard, "L'histoire de l'éducation au Séminaire de Nicolet, 1803-1863", (thèse de diplôme d'études supérieures conservée à l'Université La­val) et de Marc Lebel "L'enseignement de la philosophie au Petit Séminaire de Québec (1765-1880)", publiée dans les livraisons de décembre 1964, de mars, juin et septembre 1965 de RHAF.

[774]

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naissions mieux et dont l'étude de la population étudiante pouvait nous amener à découvrir en outre des bribes d'information sur l'état de l'instruction en milieu rural durant les premières dé­cennies du XIXe siècle.

LE MILIEU D'ORIGINE

La confiance en l'avenir ne manquait certes pas à l'infati­gable travailleur que fut l'abbé Charles-François Painchaud, fondateur du Collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, car il en fallait pour espérer qu'en 1827, un collège classique de campagne puisse trouver suffisamment de revenus pour se soutenir et assez d'élèves pour peupler ses locaux. L'instruction élémentaire com­mençait à peine de se répandre et plusieurs milieux ruraux y étaient encore manifestement hostiles, surtout quand il en coûtait quelque argent. Mais l'ère était aux réalisations concrètes en éducation et le temps donna raison au curé de Sainte-Anne-de-la-Pocatière.

Pendant les treize années que nous avons étudiées, 308 élèves se sont inscrits au Collège. Mais le nombre annuel d'élèves inscrits a varié avec la conjoncture économique. En effet, il fut à la hausse entre 1829 et 1832, puis se stabilisa entre 1832 et 1837 pour tendre de nouveau vers le maximum approximatif de 90 élèves que pouvait recevoir le Collège durant l'année 1837-1838. Cette solution de continuité dans le recrutement fut le résultat des difficultés agricoles de la région, notamment les gelées inattendues et dévastatrices de la fin de l'été 1833, qui expliquent, par exemple, l'inscription d'à peine six nouveaux élèves à l'ouver­ture des classes en septembre 1833.

La majorité des élèves (55.5%) venait de Sainte-Anne-de-la-Pocatière et des paroisses avoisinantes. Les autres étaient originaires de Québec (14.6%), des zones de colonisation situées en aval de la Rivière-du-Loup et sur la rive nord (13%), des Maritimes (3.9%), de la rive sud depuis le Cap Saint-Ignace jusqu'à Lévis (10%) et de quelques centres aussi lointains et inattendus que Montréal et Sainte-Marie de la Nouvelle-Beauce.

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TABLEAU I

Profession du père (264 cas sur 308)

Profession Nombre %

Agriculteurs 143 54.5 Marchands 53 19.4 Métiers divers (manuels) 36 13.9 Avocats, notaires, médecins 23 8.7 Instituteurs 5 1.9 Parents décédés 4 1.5

Total 264 99.9

Quelle était l'origine sociale de ces élèves ? La réponse n'est pas facile à donner puisque les sources collégiales font défaut sur ce point. Néanmoins une enquête menée entre autres dans les registres d'état civil nous a permis de découvrir la profession du père de l'élève dans 85.7% des cas (tableau I ) . La forte proportion des fils de cultivateurs ne surprend personne, mais on peut se demander pourquoi elle n'est pas beaucoup plus élevée pour une région comme celle-ci où plus de 90% des fa­milles vivaient de l'agriculture. Plusieurs raisons justifient cette situation, dont les principales sont sans doute la pauvreté des parents et le peu d'intérêt pour l'instruction manifesté dans certains milieux ruraux2 . Sans le dévouement des curés de paroisse, il ne fait aucun doute que ce pourcentage aurait été encore moindre. Dans le cas des gens de métier, plus habitués aux contacts humains et peut-être plus ouverts à l'instruction, et dans celui des marchands, métier où le besoin d'instruction se fait sentir avec plus d'acuité et qui permet, en outre, une relative aisance, il apparaît normal que l'on ait eu tendance à envoyer des élèves en assez grand nombre. De même est-il dans

2 N.-E. Dionne rapporte deux anecdotes révélatrices de la mentalité de certains paysans vers 1830. Etienne Grondin a refusé de vendre la butte à Pabbé Painchaud, qui voulait y bâtir son collège, parce que, disait-il, "le collège mangera la paroisse!" (Vie de C-F. Painchaud, note 1, 144s.). D'autre part, un jeune instituteur de Sainte-Anne ne réussit pas à se faire payer après avoir enseigné pendant un an à des fils de cultivateurs (op. cit., 272, n . l ) .

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l'ordre que les professions libérales aient contribué pour un pourcentage relativement élevé, vu leur faible proportion dans la population régionale.

À cette question de l'origine sociale des élèves se greffe celle de leur origine ethnique, car la liste des écoliers du Collège révèle une trentaine d'élèves dont le nom n'a pas la consonance française. Il n'existe apparemment pas d'homogénéité dans le groupe, même si nous pouvons le diviser grosso modo en trois catégories. D'abord les huit écoliers non-catholiques3. L'abbé Painchaud, dans son manifeste du premier août 1828, prévoyait déjà la présence de tels écoliers :

La différence de religion n'influencera en rien sur l'admis­sion ni le traitement des élèves. Aucune discussion reli­gieuse n'y sera permise contre quelque religion que ce soit. On s'occupe actuellement de la recherche des moyens d'y laisser aux élèves protestants [ . . . ] la plus grande liberté religieuse possible, sous un règlement catholique [ . . . ] 4

Nous n'avons rien trouvé au sujet de ces moyens et nous savons seulement que le premier des écoliers non-catholiques, Joseph Morrin, est arrivé en septembre 1833, que tous ont fréquenté le Collège entre 1833 et 1838, qu'ils venaient tous de Québec et qu'un seul d'entre eux a passé plus d'un an à Sainte-Anne. Sans doute venaient-ils y apprendre le français! La deuxième caté­gorie est celle des Irlandais, dont la majorité étaient des orphe­lins adoptés dans la région, et les autres, des fils de marchands québécois. Quant au dernier groupe, beaucoup plus disparate que les deux autres, il comprend surtout des enfants de gens que leur profession a mêlés pour un temps à la population régionale: nous y retrouvons deux fils de médecin, un de meu­nier, un d'agriculteur, un de charpentier de moulin, etc. Notons cependant que, dans la moitié des cas que nous avons pu déter­miner avec certitude (7 sur 14), la mère des élèves de ce dernier groupe était canadienne-française.

3 Les Tablettes Statistiques (Archives du Collège de Sainte-Anne-de-Ia-Pocatière, non classées) cataloguent huit élèves dans la catégorie non-catholiques, sans donner plus de précisions.

4 Le Canadien, 1er août 1828. Cité dans Dionne, op. cit., 381.

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Nous avons tenté de trouver dans quelle mesure les élèves étaient issus de familles où existait déjà un minimum d'instruc­tion. Pour ce faire, nous avons essayé de découvrir combien de parents savaient signer leur nom dans les registres d'état civil (tableau II) 5. Or les signatures dans les registres nous

TA33LEAU II

Signatures "habituées" des parents d'élèves (d'après les registres d'état civil)

Catégorie C u l t i y a _ teurs

Les deux signent Le père seul La mère seule

Total

Aucune signature Cas inconnus

Grand total

10 14 16

40

75 28

143

Campagne

Gens de métiers

2 3 5

10

8 5

23

Autres

43 24 0

67

0 26

93

Ville

Québec Montréal

17 4 0

21

2 26

49

Total

72 45 21

138

85 85

308

indiquent que, dans 138 cas sur 223, au moins un des deux con­joints savait signer son nom avec une certaine aisance. Chez les cultivateurs, 10 cas de parents qui signent et 30 où un seul des conjoints peut le faire impliquent, soit que les élèves venaient de familles plus sensibilisées aux choses de l'esprit, soit — ce qui n'est pas invraisemblable — que les cultivateurs n'aient pas manqué d'instruction au point où on l'affirme généralement. De toutes façons, la proportion totale des signatures (61.8% des cas connus) est assez élevée pour appuyer l'affirmation que le recrutement du Collège s'est effectué dans les familles géné­ralement plus instruites que la moyenne.

5 L'aptitude à signer son nom ne constitue pas, en soi, une preuve formelle d'instruction, mais une signature "habituée", effectuée sans ratures ni difficultés apparentes, est à ce propos un indice assez révélateur; nous nous en sommes d'ailleurs tenu à ce genre de signatures.

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Quelle que soit la valeur de cette tradition familiale, il reste que la plupart des élèves ont pu apprendre à lire, écrire et compter dans les écoles élémentaires de la région (il y en avait 52 en 1831). De plus, une quarantaine d'entre eux avaient déjà fréquenté une autre institution, tels le Collège-Séminaire de Nicolet, le Séminaire de Montréal, celui de Saint-Hyacinthe et surtout le Petit Séminaire de Québec. La plupart du temps, ces collégiens n'avaient pas dépassé le cap de la sixième ou de la cinquième et ils venaient à Sainte-Anne pour des raisons "classi­ques": exclusion, classe à reprendre, amitié des parents pour tel prêtre, liens familiaux avec tel professeur, etc. Ces études antérieures poursuivies dans d'autres institutions ne furent pas les seules que des élèves du Collège aient faites. Lucien Saillant, par exemple, a donné des leçons de latin à quelques futurs élèves du Collège 6. D'autre part, la brièveté de certains cours, surtout avant 1836, pose le problème de l'existence de leçons particulières probablement reçues des curés de paroisse. En somme, il est certain qu'une proportion assez grande d'élèves du Collège, peut-être plus de 25%, a reçu une préparation anté­rieure plus immédiate au cours classique.

Le Collège a donc surtout desservi l'est du Québec et recru­té ses élèves au sein de la population rurale qui y vivait. Dans l'ensemble, ces jeunes gens se sont trouvés à passer d'un milieu relativement peu instruit, où leur instruction primaire s'était faite au hasard des initiatives personnelles, à un autre milieu beaucoup plus fermé et plus strict dont l'étude constituait l'essence et qui allait les accaparer pendant 10 ou 11 mois par année. Voyons maintenant ce que l'analyse statistique nous révèle de leur comportement dans ce milieu.

LE SÉJOUR AU COLLÈGE

L'analyse statistique d'un groupe d'écoliers évoluant dans un cadre stable ne pose pas trop de problèmes de méthodologie puisque la rigidité de ce cadre permet de saisir à la fois le groupe dans sa totalité et l'individu comme partie de ce groupe. Tel

6 Dionne, op. cit., 154.

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n'est pas le cas de l'étude des 308 élèves du Collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière. En effet, ils ont vécu dans une institution en voie d'organisation, sans contrôle scolaire strict et dans laquelle les classes, le programme des études, voire le recrute­ment, ne commencent d'avoir un tantinet de régularité que vers le milieu des années '30. Cette absence de rigidité a rendu diffi­cile une bonne compréhension de la réalité même si nous avons pu dégager quelques tendances à l'aide de recoupements et d'échantillons.

L'âge moyen des écoliers au début de leurs études s'établit vers 13 ans, mais il suit une courbe décroissante passant de 14.7 ans en octobre 1829 à 12.8 en octobre 1841. La loi de la moyenne ne laisse cependant pas transparaître l'existence d'un écart annuel moyen de 8 à 9 ans entre l'âge du cadet et celui de l'aîné. Qu'il nous suffise de considérer cette différence d'âges pour comprendre les problèmes d'adaptation qui en résul­taient! Bref, si la majorité des débutants se classent dans la catégorie des 12-15 ans (109, soit 68%), la présence de 72 élèves dans les deux catégories voisines traduit l'éparpillement des âges.

Il ne nous a pas été possible d'analyser l'âge des élèves dans toutes les classes pour la durée de la période que nous étudions. Mais nous avons retrouvé une liste des élèves de chaque classe pour l'année scolaire 1841-1842 et nous nous en sommes servi pour déterminer l'âge des écoliers dans les diffé­rentes classes en octobre 1841 (tableau III) . L'âge moyen passe de 12-13 ans en éléments à 20-21 dans la deuxième année de philosophie, laissant un écart attendu de 8 ans entre les finis­sants7 et les commençants. Il s'agit donc en général d'élèves plutôt jeunes, du moins pour l'époque et pour le milieu, mais il y a dans presque toutes les classes des écarts considérables. Nous croyons de plus, sans en avoir la preuve formelle, que la moyenne d'âges fut plus élevée au cours des premières années

7 Sauf dans le tableau III, nous réservons le terme finissant à tout élève qui a fait au moins Tune des deux classes terminales du cours classique parce qu'il nous a été impossible de déterminer si un élève a quitté le Collège après sa première ou après sa deuxième année de philosophie.

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d'existence du Collège, en nous basant entre autres sur l'âge relativement plus élevé des commençants de cette période.

TABLEAU III

Age moyen des élèves dans les différentes classes (octobre 1841)

(Sources: Liste des écoliers du collège pendant Vannée finissant le 13 août 1842 (ACSAP, n. cl.) et autres documents divers)

Dénomination de la classe

Éléments Syntaxe Méthode Troisième Seconde Rhétorique Philosophie 8

Première année Deuxième année

Nombre d'élèves

23 (25) 13 12 10 7 9

9 (10) 5 (6 )

Age moyen

12.7 14.2 15 16 15.9 17.9

19 20.6

Ecart entre l'âge du cadet et celui de l'aîné

Aîné Cadet Ecart

18 8 10 20 11 9 19 13 6 20 13 7 18 13 5 21 16 5

22 15 7 21 20 1

Est-ce que les élèves finissaient toujours leur cours entre 21 et 22 ans? 9 Les 49 cas (sur 60 finissants) dont nous con­naissons l'âge démontrent que l'âge moyen se situe réellement entre 21 et 22 ans, la moitié des philosophes ayant de 18 à 22 ans. Mais l'éparpillement des âges demeure considérable avec des extrêmes de 14 et 31. Ainsi, en juillet 1835, un finissant a 14.9 ans et un autre, 3 1 1 0 ; même situation en août 1836, alors que

8 La division de la classe de philosophie en deux groupes est personnelle et a été obtenue par l'analyse de la longueur du cours ou par la continuation des études après 1842 pour un élève classé dans le groupe des philosophes. Les chiffres entre parenthèses indiquent le nombre total d'écoliers, l'autre, ceux dont nous connaissions l'âge.

9 21-22 ans, non plus 20-21 comme dans le tableau III, puisqu'il s'agit ici de l'âge des élèves à la fermeture du Collège en juillet-août.

io Ce sont Frs-M. Dérôme, né le 24 août 1820 et Patrick Duffy, né en 1804.

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nous rencontrons un finissant de 16 ans et un autre de plus de 31 n . Ce sont, d'une part, des écoliers très intelligents qui ont pu faire un cours accéléré dès leur adolescence et, d'autre part, des "vocations tardives". Il ressort toutefois de cette analyse que, si nous ajoutons quelques mois à l'âge moyen de ces finis­sants pour calculer selon la conception actuelle du bachelier, nous en arrivons à une moyenne à peine supérieure à celle qu'on pouvait établir il y a quelques années 12. La différence quant à l'âge entre les finissants de ces deux époques réside donc dans le seul éparpillement des âges et non pas dans l'âge moyen.

Cette première série d'analyses sur l'âge des écoliers nous amène à l'étude d'un autre aspect important de leur comporte­ment au Collège, soit la persévérance scolaire. En général, les élèves ont fréquenté l'institution pendant une moyenne de quatre années, les trois principales périodes d'abandon se situant du­rant ou après la première, la deuxième et la sixième année. 146 élèves (47.4%) ont fait trois ans ou moins de cours classi­que, et autant, entre trois et huit ans. Si nous tenons compte des classes doublées, des cours commencés ou terminés ailleurs, en d'autres mots, si nous trouvons la classe atteinte au moment du départ, nous en arrivons à des conclusions différentes. Un document très intéressant, le Résumé des Tablettes Statistiques du Collège de Ste Anne pour chaque année depuis son Établisse­ment en 1829 13, nous a fourni les données de base (tableau IV). Il nous apprend que la moitié de ceux qui n'ont pas terminé le cours ont abandonné durant la première année, que près du quart l'ont fait "de la sixième à la versification" et à peine 19% "de la versification à la rhétorique". Bref, les élèves qui ont réussi à dépasser le cap des classes latines moyennes (mé­thode et versification) ont persévéré jusqu'à la fin dans la très grande majorité des cas.

11 II s'agit de Luc-Horatio Letellier, né le 12 mai 1820, et de Julien Rioux, né le 13 juin 1805.

12 Sur la raison de cette addition, voir la note 7. L'âge moyen ainsi trouvé est de 22.2 ans. En juin 1962, la moyenne d'âges des 72 finissants du même Collège était de 21.5 (Compilation personnelle).

13 ACSAP, n. cl.

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LES ÉLÈVES DU COLLÈGE DE SAINTE-ANNE-DE-LA-POCATIÈRE 7 g 3

TABLEAU IV

Classe atteinte par les élèves avant de quitter les études classiques (Ce tableau comprend tous les élèves inscrits avant octobre 1842)

_ . . Nombre

Cours complet d'élèves Commencé et terminé à Ste-Anne 86 Commencé ailleurs, terminé à Ste-Anne 14 Commencé à Ste-Anne, terminé ailleurs 29

Total 129 Cours incomplet

Des éléments à la sixième 90 De la sixième à la versification 41 De la versification à la rhétorique 34 Autres 14 14

Total 179

Sur les 308 élèves, 86 ont terminé leur cours à Sainte-Anne tandis qu'une quarantaine d'autres l'ont commencé ou terminé ailleurs, ordinairement au Petit Séminaire de Québec, ce qui permet de calculer un indice de persévérance de l'ordre de 42% pour tous les inscrits. Cet excellent résultat s'explique d'abord par une élimination avant même l'entrée au Collège puisque seuls les plus doués — ou ceux qui paraissaient tels — entre­prenaient un cours classique vu la pauvreté générale des popu­lations rurales de l'époque. D'autre part, la grande proportion des candidats à la prêtrise, la moindre rigueur du contrôle scolaire15, la brièveté de certains cours et la valeur moins restrictive de notre définition du terme finissant constituent d'autres facteurs favorables à un indice de persévérance scolaire relativement élevé.

14 Ce sont les élèves passés du classique au commercial après 1842. 15 Dans une lettre du 20 novembre 1834, l'abbé Mailloux, après avoir

parlé d'élèves qu'il a placés dans une classe inférieure à la leur, ajoute "que la peur de descendre fait travailler tout le monde". Nous en déduisons que ce nettoyage fut plutôt un exemple qu'un cas prévu dans le règlement. Lettre à Mgr de Sidyme, Arch, de l'Arch. de Québec, Vicaires-Généraux, XIII: 10.

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L'analyse de la persévérance scolaire devient encore plus révélatrice lorsque nous comparons la condition de l'élève avec la durée de ses études. De cette façon, nous apprenons que seulement 17% des externes se sont rendus au terme de leurs études, avec une persévérance moyenne de 4.4 ans, et que, par ailleurs, c'est parmi eux que se rencontrent les cours les plus longs (maximum atteint: 13 ans!). De leur côté, les fils de cultivateurs ont fait preuve d'une relative stabilité: totalisant 54.5% des inscrits, ils ont fourni 50.8% des finissants et 64% de ceux qui ont terminé au Collège même, grâce à un indice de persévérance de 46%. Contrairement à ces derniers, les fils de marchands (19.4% des inscrits) ne se sont rendus jusqu'à la fin que dans une proportion de y± et n'ont constitué que 13% des finissants. Quant aux autres groupes, ils se prêtent peu à une analyse statistique à cause de leurs maigres effectifs ; nous noterons cependant que les fils de professionnels ont un indice de persévérance de plus de 50% et qu'ils ont rarement aban­donné avant la cinquième ou la quatrième.

Quelles sont les raisons qui incitaient un élève à quitter le Collège? La première en lice nous semble la question scolaire. Par une confrontation de la durée des études avec le groupe de classes atteint au moment du départ de l'élève, nous constatons qu'au moins 51 classes ont été manquées par 31 élèves et qu'une soixantaine d'autres peuvent également l'avoir été 16. "J'en [des écoliers] ai fait descendre beaucoup", écrivait le directeur Mail-loux à Monseigneur de Sidyme, "3 en logique [...], 4 Rhétori-ciens en Belles Lettres, 1 Sixième en 36ème." 17 C'est la seule confirmation que nous ayons sur le sujet. Par ailleurs, il est tout aussi certain que la faiblesse en classe a contribué au départ de plusieurs élèves. Après 1836, au moins trois élèves sont cata­logués comme "incapable [s] pour un cours d'études".18 Il n'est pas invraisemblable non plus que quelques élèves — 14 ont fait

16 Cette deuxième affirmation est du domaine de la probabilité puisque nous ignorons s'il y avait au Collège une classe préparatoire à la sixième, d'où le décalage possible d'une année dans la comparaison.

17 Lettre du 20 novembre 1834, AAQ, Vicaires-Généraux, XIII : 10. 18 Nom des Ecoliers du Collège de Ste Anne, ACSAP, n. cl., s.pag.

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leur cours en 6 ans ou moins — aient gravi plus rapidement les échelons des classes, comme ça se produisait parfois à Nicolet19.

Autre facteur de départ: l'inadaptation au règlement et au style de vie du pensionnat. Une quinzaine d'élèves ont été chassés au cours de la période que nous étudions. "J'ai Chassé 2 Ecoliers pour révolte", écrivait l'abbé Mailloux, le 11 octobre 1834 ; et plus tard, il notait que, chez les élèves, "on a peu l'idée d'une règle" 20. Ces élèves chassés étaient généralement beau­coup plus vieux ou plus jeunes que la majorité de leurs confrè­res et quelques-uns n'en étaient pas à leur premier collège. En plus de ces cas d'exclusion, une quinzaine d'autres cas témoi­gnent d'une incapacité d'adaptation chez certains: il s'agit de collégiens qui n'ont fait que passer, séjournant à peine quelques jours à Sainte-Anne. La moitié d'entre eux avaient d'ailleurs plus de 17 ans à leur arrivée en sixième. La différence d'âges fut donc un facteur important dans l'adaptation au Collège.

Ouvrons une parenthèse sur un dernier facteur qui a pu influencer la longueur du séjour au Collège: les absences. Après 1836, nous avons le compte de ces absences21. Il indique que, pour 544 années de classe suivies par 192 élèves, il y a eu 61 absences de plus de 3 semaines totalisées par 31 écoliers, soit une moyenne de 12 absences majeures par année scolaire attri-buables en grande partie à la maladie. Cette somme des absen­ces ne comprend pas celles de moindre importance ni les cours manques à cause d'une maladie de moindre importance. Il y a donc lieu de voir là un facteur d'influence sur le comportement scolaire.

L'analyse du séjour des élèves nous réservait quelques sur­prises. Tout d'abord, malgré des écarts considérables entre les âges, les moyennes indiquent qu'on commençait le cours vers 13 ans et qu'on abandonnait la philosophie vers 21-22 ans, donc relativement jeune. Nous avons de plus noté que les élèves

19 Lessard, op. cit., 128s. 20 M. Mailloux à Mgr de Sidyme, AAQ, Vicaires-Générauœ, XIII : 9 ;

le même au même, 20 novembre 1834, AAQ, Vic.-Gén., XII I : 10. 21 Dans Nom des Ecoliers du Collège de Ste Anne, ACSAP, n. cl., s. pag.

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quittaient avant ou pendant leur troisième année d'études, sinon la majorité des étudiants continuaient au moins jusqu'à la première année de philosophie, avec un indice de persévérance excellent et une longueur moyenne d'environ 4 ans d'études. Enfin, l'étude des facteurs principaux d'influence sur la persé­vérance scolaire nous a apporté peu de renseignements, faute de documentation, mais elle nous a permis d'entrevoir le rôle de la question scolaire, des absences et de l'inadaptation sur la durée des cours suivis.

LES PROFESSIONS

Les professions22 qui s'ouvraient devant les collégiens de l'époque, qu'ils aient terminé ou non leur cours d'études, étaient peu nombreuses ; en plus de la vocation religieuse, les finissants pouvaient aller dans une carrière libérale, le notariat, le barreau, la médecine ou encore l'arpentage, qui commençait à prendre une certaine importance. Mais l'encombrement menaçait ces professions tandis que, comme le note l'abbé Lionel Groulx, "les carrières industrielles et commerciales [ étaient ] réservées à quelques rares privilégiés de la fortune; cependant que les carrières de l'État [ étaient ] pratiquement fermées aux jeunes gens d'origine française." 2^ Il ne restait plus à la majorité des élèves, surtout chez les non-finissants, qu'à retourner à l'agriculture, à devenir petits marchands ou — il fallait compter sur des difficultés financières — à se lancer dans l'enseigne­ment.

Des 233 élèves qui ont quitté le Collège de Sainte-Anne avant le 1er août 1842, 60 s'étaient rendus au terme de leurs études. La région de Sainte-Anne fournissait 58.3% de ce total, dont la plupart venaient de Sainte-Anne même, de Saint-Roch-des-Aulnaies, de Saint-Louis de Kamouraska et de la Rivière-Ouelle. Néanmoins, près de la moitié des finissants étaient ori­ginaires de paroisses qui avaient donné seulement quelques élèves, comme Berthier et Montréal. Québec, avec ses 41 inscrip-

22NoUS limitons notre étude sur les professions aux élèves qui ont quitté le Collège avant le premier août 1842.

2 3 L'enseignement français au Canada, 1: 210.

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tions, ne comptait que 2 finissants alors que Saint-Roch-des-Aulnaies en avait 9 sur 19 et Saint-Louis, 5 sur 10 ; cette faible persévérance des Québécois résulte principalement de ce que plusieurs d'entre eux ont continué leurs études au Petit Sémi­naire de Québec.

Près des deux-cinquièmes de ces finissants se sont dirigés vers le sacerdoce. Il n'y a rien de surprenant à cela puisque le Collège, œuvre animée et soutenue par des prêtres, ne pouvait que créer une atmosphère propice à l'éclosion des vocations reli­gieuses. 16 de ces candidats à la prêtrise étaient fils d'agricul­teurs et les 23 venaient de 12 paroisses différentes. Notons également que 15 de ces futurs prêtres (sur 20 cas connus) étaient fils de gens qui ne signaient même pas leur nom.

Les carrières libérales se sont enrichies de 23 finissants tandis que les 14 autres choisissaient divers métiers, dont l'en­seignement (3 cas). La médecine et le notariat tenaient le haut du pavé avec respectivement 11 et 10 candidats; le barreau n'intéressait que 4 élèves et l'arpentage, un seul. Pour être complet, nous devons ajouter à ce tableau 11 élèves qui se sont dirigés vers les professions libérales sans terminer leur cours ni à Sainte-Anne ni ailleurs; c'était alors possible puisque le cours classique n'était pas obligatoire pour être admis à exercer une profession libérale 24. Chose curieuse, les 3 futurs avocats et les 3 futurs médecins de ce groupe venaient de Qué­bec et, par surcroît, sur ces 11 élèves, aucun n'était fils de culti­vateur ni de gens de métier, la plupart se recrutant chez les notables de l'époque. Il semble donc que les élèves issus des groupes supérieurs de la société n'aient pas senti le besoin de compléter leur cours classique tandis que les fils d'agriculteurs ou de gens de condition modeste le ressentaient25.

24 En guise d'exemple, disons qu'en 1847, le cours classique n'abrégeait que d'une année la durée de la cléricature des aspirants au notariat et qu'il ne deviendra obligatoire qu'en 1870. D'après André Vachon, Histoire du notariat canadien, 94, 114.

25 Dans les 31 cas (91.2% des cas) de futurs professionnels où nous avons pu relever l'acte de mariage des parents, 15 renfermaient la signature des deux conjoints, 11 celle de l'un des deux et 5 seulement n'en portaient aucune. Il y avait donc une certaine instruction au sein des familles d'élèves entrés dans les carrières libérales.

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Parmi ceux qui n'ont pas terminé leur cours, 70 sont allés vers l'agriculture, 32 sont devenus marchands, 9 ont enseigné et les 28 autres ont exercé divers métiers. Une analyse du cours d'études en fonction du principal état de vie de l'ancien élève indique nettement que les agriculteurs et les marchands se sont recrutés en majorité chez ceux qui n'avaient pas dépassé la ver­sification, la plupart n'ayant même pas dépassé la sixième; par contre, il y a une réelle diversification des choix au niveau de ceux qui se sont rendus de "la versification à la rhétorique". De plus, pour 74.6% des agriculteurs, il s'agissait, à vrai dire, d'un retour à la terre, tout comme il s'agissait, pour 12 mar­chands (sur 24 cas dont nous connaissions la profession pater­nelle) de continuer le petit commerce familial.

La contribution du Collège à la préparation du personnel enseignant ne fut pas négligeable. En effet, nous avons déjà mentionné que 3 finissants et 9 non-finissants ont consacré leur vie à l'instruction de la jeunesse. D'autre part, nous savons que les séminaristes enseignaient tout en apprenant la théologie : des 23 prêtres sortis du Collège, 15 revinrent pour y compléter leurs études et y donnèrent des cours durant quelques années. Mais nous avons aussi rencontré le cas d'anciens qui, sans avoir centré leur vie sur l'enseignement, y ont participé à un moment ou l'autre. Ainsi, Charles-Timothée Dubé a enseigné à la Riviè-re-Ouelle tout en étudiant la médecine26; de même, les listes d'instituteurs à l'école de Fabrique de Saint-Roch-des-Aulnaies font mention de Louis Tremblay, Abraham Bernier et Alexis Soulard comme instituteurs à cette école 27 ; le premier fut méde­cin, le second, cultivateur et le dernier consacra sa vie au bar­reau et à la littérature. Ces quelques indications, rencontrées au hasard de nos lectures, permettent de présumer que les anciens du Collège de Saint-Anne ont contribué, dans une mesure indéterminée, mais peut-être importante, au réveil de l'instruction surtout élémentaire au XIXe siècle.

26 Mgr Henri Têtu, Histoire des familles Têtu, Bonenfant, Dionne et Perrault, 311, n. 3.

2 7Le même, Notice biographique: Vabbé David-Henri Têtu, curé de Saint-Roch-des-Aulnaies, 51.

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Interrogeons-nous maintenant sur les études postérieures de ces élèves. La préparation professionnelle des candidats aux carrières libérales s'est effectuée par la cléricature, selon la coutume de l'époque; un seul d'entre eux, le futur docteur Jean Landry, a fait des études spéciales autres que dans la clérica­ture en obtenant une licence à l'Hôpital de la Marine de Qué­bec 28. Parmi ceux qui ne complétèrent pas leur cours à Sainte-Anne, une vingtaine le continuèrent au Petit Séminaire de Québec, 4 à Nicolet, 2 à Saint-Hyacinthe et une dizaine d'autres dans un collège ou séminaire que nous n'avons pu déterminer. Ils furent pratiquement les seuls à poursuivre leur formation, car nous n'avons rencontré qu'exceptionnellement la mention d'études postérieures dans une institution autre que classique. Le système d'enseignement était loin d'offrir un vaste choix comme aujourd'hui et les quelques futurs commerçants qui fré­quentèrent l'école Gale de Saint-Augustin 29 constituent de raris­simes exceptions au milieu de la masse de ceux qui entrèrent directement sur le marché du travail.

* * *

Cette recherche a permis, nous l'espérons, de mieux con­naître un aspect particulier de l'instruction classique. Que la majorité des élèves vinssent du milieu rural et surtout de la classe agricole, nous nous en doutions au départ, mais nous ne possédions pas de proportions bien définies. De plus, nous ignorions que les élèves persévéraient aussi longtemps, qu'ils commençaient et terminaient leurs études classiques relative­ment jeunes, de même que nous ne connaissions pas certains détails du choix des professions, comme le rapport profession-origine, par exemple.

Ces quelques indications que nous avons pu établir, y a-t-il lieu de les considérer comme des constantes dans l'histoire des élèves du Collège de Sainte-Anne ? Nous ne saurions prendre position, car nous n'avons pas étudié les années postérieures,

28 Abbé Patrice Gallant, "Généalogie du Sénateur Philippe Landry [...]", dans Mém. de la Soc» Gén. Can.-franc.f VT, 1 (janvier 1954) : 37.

29 D'après Mgr H. Têtu, Histoire des familles Têtu, Bonenfant, Dionne et Perrault, 148.

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mais il est fort probable que certains changements soient sur­venus après 1842, surtout en ce qui a trait au comportement scolaire des élèves. En effet, l'addition en 1842 d'un cours com­mercial préparatoire, en élargissant le champ des possibilités offertes aux étudiants, a modifié les raisons d'étudier au Col­lège; d'aucuns, et c'est peut-être la majorité, ne vinrent à Sainte-Anne que pour apprendre les notions élémentaires de compta­bilité et d'anglais afin de se lancer ensuite dans le commerce et le petit négoce. D'autre part, la réforme de 1842 a permis d'éta­blir au Collège même une sélection des candidats au cours classi­que, d'où de fortes présomptions en faveur d'une excellente per­sévérance scolaire chez les étudiants engagés dans les études classiques.

Néanmoins, si nous survolons le temps et que nous passions d'un trait au milieu du XXe siècle, où l'abolition du "cours anglais" a ramené le cours donné à Sainte-Anne à sa durée et à son orientation primitives, nous découvrons un certain nombre de ressemblances. Le recrutement s'effectue toujours sur les mêmes bases géographiques, même si les fils de cultivateurs — et c'est normal — occupent proportionnellement moins de place. L'indice de persévérance tend vers la même moyenne et l'âge des finissants s'établit vers 21 ans, sans traduire cependant l'éparpillement que nous avons noté au cours du présent tra­vail m.

Ces constatations fort sommaires posent la question de la persistance de tendances générales qui auraient survécu aux transformations et aux changements survenus au cours d'un siècle et demi d'histoire. Elles laissent également entrevoir la possibilité d'établir des comparaisons entre les élèves d'un collè­ge de campagne et ceux d'un collège situé en milieu urbain. Nous n'avons posé que quelques jalons, nous n'avons étudié qu'une brève période et qu'un seul Collège : il en reste beaucoup d'autres. TT

ULRIC LEVESQUE Collège de Swinte-Anne-de-la-Pocatière

3 0Les données de ce paragraphe proviennent d'une Enquête Socio­logique de l'abbé Joseph Anctil publiée dans un numéro spécial de L'Union Amicale (journal du Collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière), mars 1960, 4-6, 8.

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B I B L I O G R A P H I E S O M M A I R E

Sources manuscrites :

Aux archives du Collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, nous avons consulté les documents suivants, non classés, conservés dans une boîte provenant vraisemblablement du fonds des directeurs:

Nom des Ecoliers du Collège de Ste Anne -1er octobre 1829, Cahier d'environ 100 feuillets, sans pagination, où Ton retrouve, dans un désordre indescriptible, divers renseignements sur les élèves, notamment la liste de leurs absences.

Liste des écoliers du collège pendant Vannée finissant le IS août 1842. Liste des Ecoliers des deux Cours par ordre de Classes. 1844-1845.

(Ecoliers du Collège de Ste Anne - 1844 - 9 octobre). Tablettes Statistiques du Collège de Ste Anne depuis sa fondation

ou liste générale des Elèves depuis 1829 indiquant la profession ou état principal de chacun après sa sortie, l'âge, Ventrée, le lieu de naissance, &tc, &tc, Mc. 15 mars 1847. Se rend jusqu'en 1863. Cahier de 167-[84] p. Donne de riches renseignements sur les élèves, surtout de 1829 à 1848. Même si ces renseignements sont incomplets, ce cahier est essentiel.

Il existe un Résumé des Tablettes statistiques du Collège de Ste Anne pour chaque année depuis son Etablissement en 1829. Des compilations pour les treize première années.

Nous avons également utilisé le contenu des tiroirs intitulés Anciens élèves aux archives du Petit Séminaire de Québec, dépouillé les registres des baptêmes, mariages et sépultures, entre 1800 et 1830, pour une tren­taine de paroisses et lu la correspondance de l'abbé Mailloux avec Mgr de Sidyme en 1834 aux archives de l'Archevêché de Québec.

Sources imprimées :

Nous furent utiles deux catalogues d'anciens élèves. Le premier est l'œuvre de l'abbé Prudent Dubé et fut publié en 1867 comme première livraison des Annales du Collège de Sainte-Anne; le second est le résultat des patientes recherches de l'abbé François Têtu et fut publié à L'Action Sociale de Québec à l'occasion du centenaire de la fondation du Collège en 1927.

Etudes

Les études qui traitent du Collège de Sainte-Anne se ramènent à trois, mais nous n'en avons utilisé que deux, savoir la Vie de C-F. Painchaud, prêtre, curé, fondateur du Collège de Sainte-Anne de la Pocatière, de N.-E. Dionne (Québec, Léger Brousseau, 1894) et le volume premier portant sur la période 1827-1877 de YHistoire dw Collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, de Mgr Wilfrid Lebon (Québec, Charrier et Dugal, 1948).

Pour être complet, il faudrait donner une liste très longue de volumes ou articles divers, surtout des monographies de paroisse et des œuvres généalogiques où nous avons puisé quantité de renseignements sur l'un ou l'autre des 308 élèves. Nous avons cité quelques-uns de ces travaux dans le texte.