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Les meilleures pratiques des multinationales Structure - Contrôle - Management - Culture Guillaume FRANCK et Rafael RAMIREZ Préface Jean-Marie DAUGER © Éditions d’Organisation, 2003 ISBN : 2-7081-2895-7

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Les meilleures pratiques des multinationales

Structure - Contrôle - Management - Culture

Guillaume FRANCK et Rafael RAMIREZ

Préface Jean-Marie DAUGER

© Éditions d’Organisation, 2003ISBN : 2-7081-2895-7

Chapitre 1

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LE CHOIX DES STRUCTURES EST UNE DÉCISION CLEF qui appartientà la direction générale. Son importance est au moins égale à celledes autres choix portant sur le contrôle des investissements, laplanification des opérations et l’affectation des hommes et desfemmes aux postes clés. Ces choix sont décisifs pour la réussitedes opérations internationales. Quelle que soit la qualité de lavision stratégique des dirigeants et celle de la formulation duplan stratégique qui en découle, la mise en œuvre dépendra deschoix fondamentaux qui auront été faits sur les structures, lesprocédures, l’allocation des responsabilités, les critères d’éva-luation de performance, les incitations (financières ou autres)qui influencent les comportements. Y a-t-il alors des structureset des mécanismes de contrôle et de développement humainmieux adaptés que d’autres à la réussite de l’internationalisa-tion ?

Dans ce chapitre sur les structures, les raisons d’être ou le bien-fondé des stratégies globales de chaque entreprise ont été consi-dérées comme des données, sans constituer un point focal denotre analyse. Ces données stratégiques sur le marché et l’envi-ronnement concurrentiel devront néanmoins être mises en pers-pective, car elles ont un impact déterminant sur le choix desstructures. Nous ne suggérons pas pour autant que l’internatio-nalisation des entreprises doive suivre un modèle déterminéd’évolution. Les structures correspondent à des choix organisa-tionnels, dont certains sont plus spontanés que réfléchis, parfoisquasi accidentels et/ou hérités de fusions d’entreprises. Ces choixformalisent les relations hiérarchiques, la localisation des res-ponsabilités, ainsi que les lignes de communication qui les unis-sent. Les organisations à structure fonctionnelle, divisionnelle,matricielle, en réseau ; les conglomérats, les Chaebols coréens oules Keiretsu japonais, correspondent à des choix importants maiséchappent à un déterminisme et ne peuvent être considéréscomme des fatalités. Ces choix auront un impact fort sur la capa-cité des firmes à atteindre leurs objectifs à l’international.

Un enjeu clé de l’internationalisation est celui de la relation entrele siège d’une activité industrielle ou de service donnée, siège his-toriquement – mais plus nécessairement – situé dans le paysd’origine de cette activité, et les filiales à l’étranger. Cette relationdoit prendre en compte de multiples aspects, liés au marché, aux

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facteurs clés de succès qui en créent la dynamique, aux sourcesde l’avantage concurrentiel de l’entreprise et à la dynamiquepotentielle des synergies recherchées dans une entreprise ou ungroupe. Cette relation est également tributaire de la philosophieet du système de valeurs des dirigeants, de la culture de l’entre-prise, du mode de gouvernance propre au pays d’origine, y com-pris les règles de son marché financier. Les dimensionsgéographique, technologique, administrative, géopolitiqueoffrent autant de paramètres venant irriguer les choix structu-rels qui seront faits.

Trois thèmes récurrents sont apparus dans nos entretiens sur leterrain, qui touchaient :

• le degré plus ou moins grand de centralisation desdécisions entre siège et filiales ; les relations d’échangeentre les filiales elles-mêmes ;

• la coexistence de formes organisationnelles diverses etl’émergence de la gestion des grands comptes clientcomme facteur de coordination mondiale ;

• la fonction de relais de décision et de contrôle queconstitue la structure régionale, lorsqu’elle existe.

L’on retrouve ces thèmes exprimés par ailleurs avec les interro-gations suivantes :

♦ La dialectique global-local : comment les entreprisesprocèdent-elles pour simultanément optimiser leséconomies d’échelle et de périmètre au niveau mondialet rechercher la meilleure adaptation aux spécificitéslocales pour leurs produits ou services ? Le “war fortalent”, concept rendu célèbre par le cabinet McKinsey,est au cœur de la réflexion sur la coordination régionale.Étant donné la rareté des compétences de managementà l’international, l’existence d’une structure régionalecouvrant un ensemble de pays présentant des similitu-des d’enjeux constitue pour des multinationales diver-sifiées un moyen de gérer cette rareté et d’éviter que lacompétence ne soit pas un frein majeur au développe-ment international, comme cela a été le cas pour laLYONNAISE DES EAUX en Amérique du Sud et en Europede l’Est au début des années quatre-vingt-dix.

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♦ Comment faire coexister, dans un même secteur d’activi-tés et parfois à l’intérieur d’une même firme, des formesorganisationnelles diversifiées ? Ainsi, à côté desformes initiales d’internationalisation que sont les orga-nisations fonctionnelles ou géographiques, l’on trouvenon seulement l’importance croissante du rôle des lignesde produit mondiales, mais aussi l’avènement plusrécent mais croissant de l’importance accordée à lagestion des grands comptes client internationaux ; desresponsables de la gestion de ces grands comptes exer-cent une autorité transversale par rapport aux pays etaux lignes de produit.

♦ La raison d’être de la région comme entité structurellea évolué, et continuera d’évoluer, comme le montrent lestravaux de Rugman notamment ; la région ne constitueplus seulement un lieu de déconcentration du siègeplacé au meilleur endroit géométrique des lignesaériennes pour un ensemble de pays (par exempleSingapour pour une région Asie Pacifique s’étendant dela Nouvelle-Zélande au Japon, ou encore Miami pourtoute l’Amérique latine chez AIR LIQUIDE ou GOODYEAR).La structure régionale répond aujourd’hui à une logiquebeaucoup plus complexe que sa première raison d’êtrede commodité logistique. Selon Rugman, plus de 80 %des grands groupes internationaux réalisent plus de80 % de leurs ventes dans leur région d’origine. Larégion prend du poids par rapport à la notion demonde.

L’histoire de l’internationalisation des entreprises a vu émergertour à tour les entités géographiques qui rendent justice à lastructure politique et administrative des pays d’accueil ; leslignes de produit dont l’optimisation nécessite un managementmondial ; plus récemment, les grands comptes clients interna-tionaux dont la gestion coordonnée exige un traitementhomogène partout où ces grands comptes sont servis. Ces troisformes structurelles doivent être confrontées au degré de centra-lisation ou de décentralisation nécessaire et à la dialectiqueglobal-local. Elles doivent également être irriguées par ce qu’onappelle aujourd’hui l’apprentissage organisationnel, c’est-à-direla capacité du système que forme l’entreprise à se régénérer, à

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absorber de nouvelles cultures géographiques, à intégrer desinnovations faites en partenariat avec des clients, des fournis-seurs ou des prestataires.

SAP accompagne à l’international ses grands clients telsHENKEL ou DAIMLER BENZ.

Les innovations d’AIR LIQUIDE dans certains hôpitaux, enEspagne ou au Brésil par exemple, ont donné naissance à desprestations pour le secteur hospitalier qui ont largementessaimé dans d’autres filiales étrangères du groupe français.

Cette même capacité d’apprentissage organisationnelpermet d’absorber des entités parfois également mondiales,dans le cas de fusions-acquisitions (RHÔNE POULENC).

Elle permet enfin la migration du développement de nou-veaux produits ou services depuis un siège concepteur etaiguilleur, et des échanges largement autonomes entre desfiliales en direct (crédit à la consommation chez ABN-AMRO,système comptable chez CARREFOUR).

Le knowledge management constitue aujourd’hui une formeavancée de l’apprentissage organisationnel.

De la spécialisation à l’intégration des structures internationales

L’évolution des structures internationales a longtemps été pré-sentée dans la littérature comme un processus séquentiel cor-respondant à une succession de phases de développement liéesà la maturation des entreprises. L’entreprise qui exporte dansdes pays tiers utilise tout d’abord des intermédiaires locaux,importateurs, agents, concessionnaires, avant de passer au stadede la distribution directe en créant une force de ventes. L’organi-sation commerciale du pays d’origine, qui ne traite jusqu’alorsque le marché dit « domestique » (intérieur), apprend à exporter.Lorsque les ventes et le potentiel perçu du marché le justifient,l’entreprise passe au stade de la fabrication locale, directementou en partenariat. Au fur et à mesure que le développementinternational se poursuit, commence à se faire jour au siège del’entreprise une expertise touchant dans un nombre croissant de

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pays à l’administration douanière et fiscale, à la réglementationdu travail et du commerce, aux relations et aux négociations avecles pouvoirs publics ou les partenaires locaux. Quel est le statutde cette activité ? Historiquement, en France ou ailleurs, l’expor-tation servait à écouler ce que le marché domestique ne pouvaitpas absorber. Lorsqu’une embellie apparaissait sur le marchédomestique, les responsables de l’exportation et leurs agents àl’étranger étaient les derniers servis.

Parallèlement, l’accumulation des problèmes et enjeux à traiteren matière administrative et douanière, d’assurances, de trans-port et logistique faisait naître des compétences spécifiques liéesà des individus porteurs d’une expertise nouvelle. Afin d’assurerà l’activité internationale un statut lui donnant plus de pouvoir,une « division internationale » est alors créée, intégrant toutesles opérations de l’entreprise hors de ses frontières. Cette struc-ture nouvelle présente l’avantage de faire de l’internationalisa-tion sa plus importante priorité, ce qui peut nettement accélérerle rythme de l’internationalisation.

Ce fut le cas en 1990 pour SAINT-GOBAIN, lorsque le groupe adécidé de se doter d’une division Europe de l’Est, décision quis’est rapidement avérée fructueuse.

Plus que la seule mise en commun d’expertise et de compétences,cette division internationale permet d’asseoir le statut de l’acti-vité internationale et de lutter à armes plus égales avec les acti-vités domestiques. Le regroupement d’un personnel spécialiséau sein d’une division internationale permet à la fois d’éviterles duplications au sein de différents services de l’entreprise,mais aussi, ce qui est plus important stratégiquement, dedonner une légitimité et un statut à l’activité internationale etde s’assurer que celle-ci bénéficiera des ressources nécessairesà son expansion. Pendant longtemps, après 1945, les entreprisesfrançaises, mais également européennes et nord-américaines,exportaient ce que le marché intérieur ne pouvait absorber. Siquelques grandes affaires étaient déjà en voie de mondialisation(PHILIPS, NESTLÉ, IBM…) et si d’autres, françaises commeMICHELIN par exemple, avaient déjà une longue expérience inter-nationale, ce n’est qu’après les années soixante et soixante-dixque le processus d’allocation de ressources dédiées va s’accélérer.

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Les premières divisions internationales apparaissent ainsi, dansles groupes américains, d’autant plus nécessaires pour coor-donner et promouvoir cette activité internationale que l’impor-tance réelle du marché domestique reste largement prépondé-rante par rapport à l’activité hors des frontières.

Dans une seconde phase, l’activité internationale de l’entrepriseaugmente, non seulement en taille mais également en pourcen-tage relatif de l’activité du groupe. Une nouvelle étape dans lamaturation conduit alors au redéploiement de l’activité inter-nationale au sein de structures qui vont réduire la différencia-tion entre l’international et le domestique.

Ces structures peuvent être :

• des organisations fonctionnelles mondiales ;

• des organisations par division géographique ;

• des organisations par division produits ou divisionmarchés ;

• et, plus récemment, des organisations dites matri-cielles qui reconnaissent l’égalité des enjeux entre lagestion des pays et celle des lignes de produit.

Cette maturation prend plus ou moins de temps comme lemontre l’exemple d’IBM qui avait regroupé toutes ses activitésinternationales au sein d’IBM WORLD TRADE, structure qui a per-duré, même quand le chiffre d’affaires et, plus encore, les margesréalisées en dehors du territoire américain sont devenues supé-rieures à celles du marché domestique.

Le Français Jacques Maisonrouge, premier non-Américain àavoir occupé des fonctions importantes au siège de la compa-gnie, dirigeait en fait cette division internationale. Pendantdes années, jusque dans les années quatre-vingt-dix, les Amé-ricains d’IBM continuaient à appeler ainsi leur activité inter-nationale, bien que les structures formelles eussent changé.Dans leur univers mental perdurait la notion d’un mondebipolaire : le marché domestique (américain) et le reste dumonde. IBM est ensuite passé à une structure par grandesdivisions géographiques, puis, vers 1995-1996, à une structurematricielle où les grands marchés tels que la banque, l’assu-rance, l’industrie, la distribution prenaient le pas sur les terri-toires géographiques.

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En comparaison avec les États-Unis, les divisions internatio-nales connaissent une vogue moins importante et moinsdurable dans les entreprises européennes. Ces dernières, dontle marché intérieur (domestique) a toujours été beaucoup plusrestreint qu’Outre-Atlantique, n’ont pas maintenu comme leurshomologues américaines cette intégration de l’internationaldans une structure séparée. La majorité des entreprises que nousconnaissons, en particulier celles de notre recherche, témoignentaujourd’hui d’une désaffection pour la division internationale.

Si cette dernière existe, par exemple chez SCHNEIDER ELECTRIC,c’est pour regrouper un ensemble de pays assez disparatesgéographiquement, qui vont du Chili à la Chine, dont aucunn’a encore justifié par le volume d’affaires un traitement spé-cifiquement régional.

Mais l’exemple d’IKEA nous montre que d’autres modesd’internationalisation, plus innovants, ont vu le jour : son fon-dateur, en but à l’hostilité du marché du meuble suédois quilui ferme la porte des fournisseurs traditionnels locaux, al’idée de délocaliser ses achats. Dans chaque pays où ilrecherche des partenaires, comme en Pologne ou en Alle-magne, par exemple, il constitue un réseau d’une cinquan-taine de fournisseurs, prêts à s’engager sur les normes et laqualité, et qui souvent en sont à leur première expérience enmatière d’industrie du meuble ; ainsi un fabricant de che-mises tchèque devient-il fournisseur de coussins pour sièges.Cette implantation d’IKEA dans le marché amont donne augroupe suédois une excellente vision de ce marché et faciliteson implantation ultérieure non plus seulement commeclient, mais comme distributeur de mobilier. Cette accéléra-tion de la courbe d’apprentissage lui permet de prendre sesconcurrents locaux par surprise, le nouveau venu n’étant passi nouveau que cela. Il n’y avait pas chez IKEA de division inter-nationale, l’approche du marché a été faite d’emblée, à partird’une organisation globale. Une division internationaleexiste cependant aujourd’hui au Danemark pour des raisonsfiscales.

L’exemple de SAP montre que ce sont les clients allemands decette firme allemande qui l’ont amenée à s’internationaliser.Mais ces innovations se manifestent par d’autres choix struc-turels. Chez SAP, ce sont les clients qui décident de l’organisa-tion interne, au sens où si par exemple un client désire que safiliale mexicaine soit desservie à partir de SAP Mexique, SAPacquiescera. Si en revanche un compte client au Mexique doit

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être desservi à partir de la région nord-américaine, SAP s’enaccommodera aussi bien ; et si encore un autre client préfèreque sa filiale mexicaine soit intégrée à un global corporateaccount (grand compte client global) localisé en Allemagne,cette configuration sera également possible. La structure deSAP est ainsi un miroir des choix organisationnels sur lesquelsreposent les systèmes d’information de ses clients.

Qu’il s’agisse de SAP ou d’IKEA, les innovations commercialesqui ont présidé à la naissance de ces deux groupes se manifes-tent donc par des choix structurels tout aussi innovants – enconséquence, difficiles à copier par les concurrents locaux – etdeviennent des éléments majeurs de leur avantage concurren-tiel.

Comment faire alors évoluer les structures afin qu’elles soient lemieux adaptées possible au marché ou aux différents marchés dela firme ? Aucune forme d’organisation n’est parfaite, chacuneprocure des avantages structurels différents, chacune est uncompromis entre des facteurs tels que l’optimisation des coûts,le contrôle que l’on veut exercer, la focalisation sur certainespriorités, la coordination des produits à travers les marchés, ledéveloppement professionnel que l’on veut donner aux futursdirigeants, l’identité qu’on doit garder ou qu’on veut se donner,les personnalités enfin ainsi que les relations entre les responsa-bles clés.

Un vocabulaire adaptéL’évolution classique des orientations stratégiques des firmes àactivité internationale est maintenant bien répertoriée dans lalittérature du management international. Ce n’est pas pourautant que l’on se trouve devant une nomenclature générale etuniverselle, et les expressions qui ont fleuri : international, mul-tinational, multi-domestique ou multi-local, transnational, sontautant d’adjectifs qui recouvrent des réalités le plus souvent fortdifférentes. Parallèlement à une analyse des structures d’organi-sation et afin d’interpréter les résultats de notre recherche, nousavons voulu établir des liens entre orientation stratégique, struc-tures, mécanismes de contrôle et développement humain. Nousnous sommes pour cela largement appuyés sur les travaux de

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Bartlett, Ghoshal et Nohria, qui ont eux-mêmes largement faitappel aux travaux beaucoup plus anciens de Lawrence et Lorschsur les relations complexes entre les concepts d’intégration et dedifférenciation. La typologie des entreprises qu’ils proposenttient compte à la fois de la dimension structurelle d’intégrationet de différenciation et de la dimension stratégique de global etde local, ces deux termes ayant été popularisés depuis unedécennie maintenant par Percy Barnevik, le premier présidentd’ABB, aujourd’hui en disgrâce. Nous aurons recours à cettetypologie lorsqu’elle sera utile à la compréhension des politiquesdes entreprises dont certaines semblent ne pas vouloir choisirleur camp structurel, ce qui peut donner un avantage de flexibi-lité mais parfois aussi s’avérer un handicap. Pour autant, nousutiliserons le terme d’« entreprise multinationale » de façongénérique tout au long de cet ouvrage, terme que nous préfé-rons à celui d’« entreprise sans frontières » pour décrire touteentreprise dont l’activité industrielle et commerciale dépasseles frontières de son pays d’origine.

Au fur et à mesure qu’évolue l’environnement concurrentielinternational, tant globalement que par secteur d’activité, lesentreprises développent des réponses stratégiques, modifientleurs structures, leurs mécanismes de contrôle et leur utilisationdes ressources humaines. Différents auteurs ont donné des labelsaux réponses que les entreprises ont trouvées face à ces défis. Auxdifférentes typologies de structures d’entreprise : fonctionnelle,divisionnelle, matricielle… se sont ajoutées des typologies nou-velles, propres au contexte international : on est passé de l’entre-prise internationale à l’entreprise multinationale, multi-domes-tique (ou multi-locale), transnationale, globale, hiérarchique, enréseau, en trèfle, holographique, doughnut1, virtuelle. Différentsauteurs ont donné différentes définitions de ces termes ; nousrendons compte de celles qui nous semblent le mieux refléter lesacceptions actuelles des réponses aux défis de l’internationalisa-tion des entreprises étudiées.

Plusieurs schémas – ou matrices de croisement – ont été utiliséspour positionner les entreprises étudiées sur une grille d’évolu-tion du processus d’« internationalisation ».

1. Il s’agit d’un beignet américain.

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♦ Un schéma désormais classique est celui de Stopfford &Wells qui croise les volumes d’activité à l’étranger avecla diversité des produits commercialisés à l’étranger(voir la figure 1 ci-dessous où nous avons positionné lesentreprises que nous avons étudiées).

♦ Un autre schéma maintenant classique est celui deGhoshal et autres, qui croise les deux dimensions« globale » et « locale », dimensions qui renvoient aufameux think global, act local1 (ce que représente lafigure 2 ci-après, avec les entreprises de notre recher-che). Historiquement, l’expansion internationale desentreprises européennes s’est plutôt faite en tenantcompte des forces locales et en réagissant par rapport àelles, tandis que celle des entreprises japonaises a cher-ché à jouer sur les forces globales.

Un excellent article de la California Review of Management2 acomparé le développement de PHILIPS, champion des forcesmulti-locales, à celui de MATSUSHITA, champion comme beau-

1. Pensez global, agissez en local.

matriceglobale

divisiongéographique

divisionpar métier

divisioninternationale

Différenciationdes produits à

l'étranger

% des ventes à l'étranger

SAINT-GOBAINALCATEL

ABN-AMRO

CARREFOUR

IKEA

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AIR LIQUIDE

SAP

REPSOL

Figure 1 - Position des entreprises étudiéesselon le schéma de Stopfford & Wells

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coup d’entreprises japonaises – et SONY la première – du jeuglobal. L’intérêt de comparer ces deux entreprises réside dans cequ’elles ont toutes deux une forte activité dans un même secteur,celui de l’électronique grand public, où elles sont toutes deuxconcurrentes, comme le sont en même temps SONY et, plusrécemment, THOMSON MULTIMEDIA.

La culture d’autonomie locale de PHILIPS, dont l’internationa-lisation a commencé entre les deux guerres, a été amplifiéepar la Seconde Guerre mondiale qui a, par la force des choses,laissé une autonomie encore plus grande à des patrons defiliale n’ayant plus de communication avec les Pays-Bas,occupés par l’Allemagne. Les activités des filiales de PHILIPS

dans les années cinquante, soixante et soixante-dix n’étaientpas fortement coordonnées, et chaque filiale développait lesproduits qui l’intéressaient. PHILIPS était bien une firme multi-domestique, comme disent les Américains, terme auquel nouspréférons celui de multi-local.

2. C.A. Bartlett & S. Ghoshal, “Organizing for Worldwide Effectiveness : TheTransnational Solution”, California Review of Management, Fall, 1988.

SAINT-GOBAIN

ALCATEL

ABN-AMRO

CARREFOUR

IKEA

AXA

AIR LIQUIDE

SAP

REPSOL

Organisation selon la résistance à l'impactdes forces globales et des forces locales

sur les entreprises étudiées

ENVIRONNEMENTGLOBAL

ENVIRONNEMENTINTERNATIONAL

ENVIRONNEMENTTRANSNATIONAL

ENVIRONNEMENTMULTINATIONAL

FORCESGLOBALES :Besoin d'êtrefortement intégréà l'international

FORCES LOCALES :Pouvoir répondre à deschangements nationauxForces

locales

Forcesglobales

Fortes

Faibles

Faibles Fortes

Figure 2 - La position des entreprises étudiéesselon la structure de Ghoshal et Nohria

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■ L’entreprise multi-locale

Les filiales des entreprises multi-locales, chacune dans un paysdifférent, sont en concurrence avec d’autres entreprises surchacun de ces marchés, mais cet environnement concurrentielreste indépendant de ceux qui existent dans d’autres pays, dontles caractéristiques économiques, réglementaires, sociocultu-relles sont différentes.

La grande distribution (CARREFOUR), la conserverie alimentaire(NESTLÉ, DANONE), ou les assurances (AXA) sont ou ont été debons exemples d’activité multi-locale, tant que ne se sont pasdéveloppées des stratégies produit régionales ou mondialesaccompagnées de campagnes de publicité traversant les fron-tières (Nescafé).

L’avantage que présentait cette approche, au cours d’une périodeoù les pays européens en particulier avaient tendance à protégerleur industrie nationale en élevant diverses barrières d’entrée,était de se substituer à l’effort d’exportation qui avait constitué lapremière étape de l’internationalisation, en créant des filialesconcurrentes des industries locales dans d’autres pays. Typique-ment, en terme de structures, les entreprises multi-locales ontune organisation par divisions géographiques regroupant lesdifférents pays d’une zone.

Cette approche, éloignée d’une recherche d’optimisation dessynergies visant à créer des forces globales, a failli mener legroupe néerlandais à sa perte, au début des années quatre-vingt-dix, lorsque l’électronique grand public est devenueune activité globale, avec des concurrents très internationauxet dotés de structures leur permettant de produire dans despays à bas coûts et d’exporter des biens quasi standardiséspartout dans le monde.

Ce n’est pas pour autant qu’il faille jeter l’anathème sur les firmesmulti-locales, certains secteurs d’activité conservant des activitéstrès différenciées par pays.

La banque de dépôt et les assurances de personnes (assurancedommage et assurance vie) en sont des exemples encoreaujourd’hui.

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CARREFOUR ne réalise pas plus de 5 % de ses achats au niveaumondial et doit rester très réactif par rapport à des change-ments concurrentiels dans l’environnement immédiat de sesmagasins.

Cependant, comme nous le verrons au chapitre sur le contrôle del’activité internationale, des structures et procédures de con-trôle développées pour des activités multi-locales sont inopé-rantes, ou à tout le moins insuffisantes, pour un développementinternational qui reposera sur une activité très différenciée outrès diversifiée.

L’exemple d’AXA et de ses déboires aux États-Unis, d’abordavec l’assurance vie d’EQUITABLE LIFE, puis dans les participa-tions plus récentes (2002) de sa filiale ALLIANCE CAPITAL dansENRON ou GLOBAL CROSSING, est là pour montrer les risquesencourus.

■ La firme internationaleUne variante plus élaborée de la firme multi-locale est ce queGhoshal et Bartlett appellent la firme internationale, dont le fac-teur clé de succès, d’après Harzing, est la capacité à transférerle savoir (une technologie particulière développée dans le paysd’origine), d’un pays à un autre, de façon organisée,séquentielle et progressive. Harzing en donne comme exempleclassique la commutation téléphonique. Une technologie estdéveloppée dans un pays, puis implantée successivement dansdifférentes filiales. Les filiales gardent une certaine autonomiepour la mise sur le marché, mais le contrôle et la coordinationexercés par la maison mère sont beaucoup plus importants quedans le cas de firmes multi-locales. Par rapport au schéma pré-cédent, il y a une régression sur l’axe horizontal des forceslocales, et une progression sur l’axe vertical des forces globales.Il s’agit en quelque sorte d’une situation intermédiaire. En termede structure, l’organisation en divisions géographiquesdemeure, mais une dynamique matricielle apparaît, avec unpouvoir sensiblement accru des grandes fonctions d’état majordu siège du parent (finance et contrôle de gestion en particulier).

ITT, dans les années soixante-dix et quatre-vingt, était bienreprésentative de cette configuration.

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Pendant la même période, la pression concurrentielle stimuléepar la politique européenne de lutte contre les cartels a forte-ment poussé à la restructuration et à la diminution d’effectifs denombreux grands groupes français, aidés en cela par les nationa-lisations. Parallèlement, dans la seconde moitié des annéesquatre-vingt, les politiques des gouvernements de gauche enFrance encourageaient l’expansion internationale.

■ L’entreprise globaleLe terme d’entreprise globale, que l’article cité en référenceapplique à MATSUSHITA, implique l’optimisation des forces glo-bales que la firme peut réunir face au marché mondial, et unefaible prise en compte des forces locales. L’environnement con-currentiel des acteurs ainsi organisés est un marché global, et lesfirmes globales sont concurrentes dans nombre de pays. Ceciimplique naturellement, pour réussir, que la nature des pro-duits, peu différenciés par pays, soit telle qu’ils s’imposent surles différents marchés sans qu’il soit nécessaire de rechercherune adaptation à l’environnement local. Ceci implique éga-lement que l’ouverture du commerce international, accompa-gnée d’une diminution des coûts de transport et d’une accéléra-tion des moyens de communication, réduise les barrièresd’entrée des marchés nationaux et diminue l’hétérogénéité descomportements des consommateurs.

Alors que dans le modèle international, la R & D est la sourceprincipale d’avantage concurrentiel, les firmes globales, pourréussir, doivent aussi optimiser les efficacités d’échelle quesont l’industrialisation, l’approvisionnement – appelé de nosjours sourcing – la logistique, voire la désindustrialisation,comme le montre le recours de plus en plus important à desentreprises de fabrication.

C’est l’exemple d’ALCATEL qui a décidé fin 2001 d’externaliserses usines reprises par des contract manufacturers (fabricantssous contrat) tels que SANMINA ou FLEXTRONICS.

Les entreprises nord-américaines tout d’abord, mais plus encoreles entreprises japonaises, ont largement bénéficié de cette évo-lution de la mondialisation dans les années soixante-dix etquatre-vingt. Nous verrons au chapitre traitant de la gestion

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internationale des ressources humaines que la faiblesse desentreprises japonaises globales se fait jour lorsqu’il faut prendreen compte les spécificités locales : le management des filialesétant essentiellement japonais, tout au moins pour ce qui toucheaux décisions de stratégie et de marketing, il est difficile de déve-lopper des compétences d’adaptation locale car il faudrait pource faire que des non-Japonais se voient investis de certaines res-ponsabilités que leur employeur ne semble pas prêt à leur donnerpour des raisons culturelles.

Parmi les rares contre-exemples de cette situation, SONY faitfigure de pionnier.

L’impact de la dialectique global-local sur l’organisationQuel est maintenant l’impact de cette dialectique global-local surl’organisation ? Si de telles entreprises globales ont un degréfaible de différenciation ou de diversification d’activités, ellespourront :

• soit garder une structure géographique, les responsa-bles de pays se focalisant alors sur la mise en œuvrelocale de stratégies globales (SONY, MATSUSHITA…) ;

• soit revenir à une structure fonctionnelle, avec unedirection industrielle mondiale coiffant tous les centresde production, une direction marketing globale et deuxou trois directions commerciales à l’échelle de conti-nents.

C’est ainsi que dans les années quatre-vingt-dix, THOMSON

MULTIMEDIA a centralisé toute son activité industrielle à partirde son siège français. Les directeurs d’usine, qu’ils soient enFrance, en Pologne, aux États-Unis, à Singapour ou au Brésil,dépendaient d’une direction industrielle centrale commed’un sourcing central pour leurs approvisionnements. L’avan-tage de cette évolution est de progresser sur l’axe vertical dela globalisation, l’inconvénient en est de rendre beaucoupplus difficile la coordination locale entre produits et marchés,mais encore une fois n’oublions pas que nous sommes dansune optique de différenciation faible. Il est intéressant denoter ici, toujours en se référant à THOMSON MULTIMEDIA, que

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le président des années quatre-vingt-dix, Alain Prestat, avaitégalement fait ce choix structurel pour éviter que des baron-nies géographiques se créent, en particulier aux États-Unisdont il redoutait les tendances séparatistes ; les Américainsn’ont en effet jamais obtenu d’avoir un leader responsabled’un centre de profit nord-américain et contrôlant à la foisl’industriel et le marketing. Peu de temps après sa nomina-tion, Thierry Breton, le nouveau Pdg de THOMSON MULTIMEDIA,a eu tôt fait de reconnaître la nécessité du passage de l’entre-prise fonctionnelle globale à l’entreprise « transnationale »,en créant une structure matricielle et en professionnalisant lemanagement de l’entreprise. La sotte assertion d’AlainJuppé, Premier ministre français de l’époque, selon laquelleTHOMSON ne valait pas un centime, s’est trouvée ainsi rapide-ment contredite, en grande partie du fait de la reconnais-sance de la nouvelle donne globale du marché, et la rapideadaptation structurelle que ceci demandait. PHILIPS, dans unecrise moins prononcée, a plus tardé à se restructurer.

Pour revenir à l’évolution historique, Harzing relève qu’à partirdes années quatre-vingt, les pays développés ou en voie de déve-loppement ont exprimé une préoccupation croissante vis-à-visde la puissance des entreprises globales et de leur impact surle développement des entreprises locales, la balance commer-ciale et le marché de l’emploi. On se souviendra d’un Premierministre français arrêtant les magnétoscopes japonais à Poitiers.

En ces temps-là, le développement des moyens flexibles de pro-duction et des nouvelles technologies de l’information permet-tait à nouveau la conception de produits et de services adaptésaux goûts spécifiques de consommateurs locaux, tout en restantcompétitif à l’échelle mondiale.

Ainsi l’enjeu pour PHILIPS a-t-il été de remonter l’axe verticalde la globalisation, alors que pour MATSUSHITA, il fallaitavancer sur l’axe horizontal de la localisation.

■ L’entreprise transnationale

Nous acceptons le terme utilisé par Ghoshal et Nohria de« transnationales » pour les entreprises qui cherchent à être à lafois très intégrées globalement et très adaptées localement. Cesentreprises doivent à la fois optimiser les synergies globales,répondre aux caractéristiques locales, et être capables de dif-

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fuser l’innovation. C’est alors que l’on voit apparaître desschémas d’échange entre filiales, qui deviennent source d’inno-vation pour d’autres filiales, sans que le centre du parentcherche à tout filtrer ou coordonner. Certaines transnationalesvont jusqu’à désigner comme « pôle d’excellence » des filiales encharge du développement et de la diffusion mondiale de certainsproduits ou services (voir les travaux de Rugman, en particulierla figure 3 ci-après). Nous verrons plus loin, dans le chapitre trai-tant du contrôle, quels sont les mécanismes qui favorisent ou aucontraire freinent cette dynamique.

Rugman explique que la diffusion, dans les filiales étrangères,d’avantages concurrentiels spécifiques à une entreprise donnéepeuvent, selon les cas, être très faciles ou très difficiles – voireimpossibles – à exporter d’une filiale à une autre ou entre filialeet siège. Ces avantages peuvent être effectivement situés soit ausiège, soit dans une filiale, soit encore dans un réseau de filiales.Comme la figure 3 a le fait ressortir, un avantage concurrentielspécifique à une firme peut être positionné selon six conjonctionsdifférentes. Le schéma montre également que ces positions peu-vent évoluer, et que telle ou telle évolution constitue en soi unavantage concurrentiel potentiel avec, en corollaire, des effetsstructurels.

Nous avons essayé de donner dans la figure 3 b des exemples deces mouvements à partir de l’échantillon de firmes que nousavons étudiées.

Nous avons maintenant passé en revue les différentes orienta-tions possibles que prennent les firmes dans leur développementinternational, en nous référant au modèle de Bartlett et Ghoshalqui présente quatre formes d’orientations. Ce modèle a été choisidans la littérature disponible parce qu’il nous a semblé le plusintéressant conceptuellement et le mieux à même de décrire lesentreprises que nous avons étudiées. Nous avons déjà indiquéqu’il n’y a pas de correspondance précise entre orientation stra-tégique à l’international et forme structurelle optimale. Cepen-dant, certaines formes structurelles restent sans doute mieuxadaptées à certaines orientations stratégiques et, s’il n’y a pasnécessairement une relation causale, on retrouve malgré toutdes corrélations fortes.

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Avantage spécifiquede la firme (ASF)

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1 : ASF crée au PDO, ensuite vendu ailleurs2 : ASF crée au PDO, puis devient exportable (e.g. par économie d'échelle)3 : ASF crée au PDO et transférable (e.g. brevets)4 : ASF crée dans chaque pays, pas transférables5 : ASD crée dans une FE, qui décide elle-même de le vendre ailleurs6 : ASF crée dans une FE, à qui le siège demande de la vendre ailleurs7 : ASF crée dans une FE, à qui le siège demande de la transformer pour devenir exportable (e.g. par économie d'échelle8 : ASF crée entre plusieurs FE, qui décident elles-mêmes de le vendre ailleurs (typiquement : centre de compétence décentralisé)9 : ASF crée entre plusieurs FE, qui décident elles-mêmes de le vendre ailleurs, mais qui nécessite des adaptations locales importantes (typiquement : centre de compétence régional)10 : ASF crée entre plusieurs FE, à qui le siège demande de la transformer pour devenir exportable (typiquement pour un client important, style "Programme Ariane)

Compétence à vocationlocale

Compétence àvocation internationale

Contrôle siège explicite

Rugman & Verbeke

Avantage spécifiquede la firme (ASF)

So

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Paysd'origine

(PDO)

FilialeEtrangère

(FE)

Réseau (R)

Exportable Local

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Compétence à vocationlocale

Compétence àvocation internationale

Contrôle siège explicite

SAINT-GOBAINavec branches

SAINT-GOBAINavec branches

ALCATEL

ALMEDICALalliancecapital

ABN-AMRO

CARREFOUR

CARREFOURrégion

IKEA

IKEA ?

AXA

AIR LIQUIDE

SAP

REPSOL

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Figure 3 a - Les avantages concurrentiels spécifiques de la firme selon Rugman et Verbecke

Figure 3 b – Le positionnement des firmes de notre échantillonquant à leurs avantages concurrentiels spécifiques

selon Rugman & Verbecke

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Depuis la structure fonctionnelle décrite par Fayol et les tenantsde l’organisation scientifique du travail, d’autres formes sontapparues. À côté de l’organisation fonctionnelle devenue parfoismondiale, ont émergé la division géographique, la division pro-duit ou métier et la structure matricielle. Certains auteurscomme Hedlund ont voulu différencier une cinquième forme destructure, la structure en réseau ou network organization. Cetteforme a été appliquée en particulier à l’organisation mise enplace par Percy Barnevik chez ABB. Nous ne l’avons pas retenuecar nous ne sommes pas convaincus qu’elle constitue une véri-table forme structurelle intra-entreprise, alors qu’elle connaît unessor comme structure inter-organisationnelle1. ABB ne l’ad’ailleurs pas conservée. Nous nous proposons de présenter tourà tour ces quatre structures, en décrivant de façon détaillée cer-taines de leurs caractéristiques. Cette description devrait claire-ment faire ressortir que toutes les structures ont des avantageset des inconvénients, qu’aucune d’elles n’est parfaite, même si,en fonction d’une orientation stratégique ou internationaledonnée, certains choix structurels s’imposent. Cependant, lechoix effectué représente toujours un compromis : si l’on gagneen proximité avec le marché en choisissant une division produit,on perd l’avantage d’expertise que procure la spécialisation per-mise par la structure fonctionnelle ; si l’on choisit une organisa-tion géographique multi-produits, on perd, en capacité d’optimi-sation des coûts, l’avantage que donne une structure de divisionproduit globale pour le monde.

La structure fonctionnelle mondialeQuelle que soit la structure internationale choisie, son but estde donner le maximum d’avantages à l’entreprise, le meilleur« alignement » entre l’intention stratégique et les moyens deson déploiement. Ce choix devrait permettre simultanément une

1. R. Normann & R. Ramírez, Designing Interactive Strategy, Wiley 1998 ;C.B. Stabell & O.D. Fjeldstad, “Configuring Value for Competitive Advan-tage, Strategic Management Journal”, 19 : 413-437, 1998 ; C. Parolini, TheValue Net: A Tool for Competitive Strategy, Wiley, 1999.

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spécialisation des activités ainsi que le degré nécessaire de diffé-renciation et l’intégration de ces activités au niveau global :

♦ La différenciation implique les différents modes defonctionnement et d’action requis pour la conception etl’adaptation des produits aux marchés.

♦ L’intégration de ces différences est essentielle pour lamise en œuvre des programmes d’action.

Historiquement, la première structure qui émerge dans les entre-prises industrielles est la structure fonctionnelle. Sous la con-duite du chef d’entreprise qui en reste le seul généraliste, lesgrandes fonctions : R & D, études, production, marketing, ventes,finances, ressources humaines, se spécialisent dans leur domaine.

Les caractéristiques d’une organisation fonctionnelle sontdéfinies dans l’encadré qui suit :

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Dans les entreprises que nous avons observées de près, seuleIKEA présente les caractéristiques d’une structure fonction-nelle mondiale. On y retrouve en effet les avantages et leslimites de la liste ci-dessus lorsqu’on analyse le fonctionne-ment de l’entreprise :

• Efficacité interne élevée en terme de spécialisation. IKEA apar exemple une fonction achats qui lui permet deremonter tout le supply chain, ou la chaîne logistique, pours’assurer que le produit vendu en magasin est le plus com-pétitif sur son marché local. Les achats, dont la coordinationa été conservée par le fondateur Ingmar Kamprad, mêmelors de la nomination d’un nouveau Pdg, sont articulés àpartir du siège par des bureaux d’achats régionaux qui sontcontrôlés par un reporting direct avec le siège.

Caractéristiques d’une organisation fonctionnelle

♦ Efficacité interne élevée en terme de spécialisation.♦ Fort esprit de corps à l’intérieur de chaque fonction, frontières

défendues vis-à-vis des autres fonctions.♦ Allocation efficace des ressources internes.♦ Chaque fonction tend à être en concurrence avec les autres, au

détriment éventuel de la concurrence sur les marchés externes.♦ La croissance en taille peut freiner la rapidité des décisions trans-

fonctionnelles.♦ Les promotions et les carrières évoluent dans les véritables silos que

sont les fonctions, ce qui rend difficile l’émergence de managersgénéralistes.

♦ Au fur et à mesure qu’augmente la complexité du fonctionnementde l’entreprise, le cas échéant du fait de l’internationalisation, lacoordination transfonctionnelle peut devenir une activité consom-matrice de temps et donc frustrante, malgré les outils nouveaux quel’on essaie d’introduire.

♦ Le contrôle devient de plus en plus difficile au fur et à mesure queles produits ou les marchés (à l’international) se multiplient.

♦ La concurrence entre fonctions devient dévastatrice, une fonctiondomine souvent les autres.

♦ Une telle structure freine les opportunités de diversification de pro-duit comme de marché, ainsi que nous l’avons vu plus haut avecl’émergence de la division internationale quand une structure fonc-tionnelle tend à rendre prioritaire le marché domestique.

♦ La prise de décision tend à remonter vers la direction générale,laquelle se trouve aspirée dans l’activité à court terme, voire au jourle jour. Cette « délégation vers le haut » risque de créer du« cynisme institutionnel ».

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• Fort esprit de corps à l’intérieur de chaque fonction, fron-tières défendues vis-à-vis des autres fonctions. Même si lacoordination inter-fonctions est forte, les achats aurontleur mot à dire aux designers pour maintenir la politique deprix bas du groupe. Les arbitrages sont faits autour de ceprincipe, mais, une fois le principe garanti, chaque fonctionremplit au mieux les objectifs que la coordination luidonne. Ce mode de fonctionnement donne une autonomieexceptionnelle à chaque gestionnaire. Le Pdg d’IKEA, quenous avons interviewé, nous a même dit qu’il passe beau-coup de temps à casser des règles internes pour maintenirau niveau le plus élevé possible le degré d’autonomie de sesmanagers.

• Allocation efficace des ressources internes. Comme nousl’avons déjà mentionné, l’allocation des ressources se faitchez IKEA à partir du marché, et non pas à partir de budgetsprévisionnels. Toute l’organisation est orientée vers la com-pétitivité des points de vente ; ainsi la compétitivité localeest-elle maîtrisée grâce à la volonté de minimiser les coûtsde façon globale – en en partageant le cas échéant les éco-nomies réalisées avec les fournisseurs eux-mêmes.

• Chaque fonction tend à être en concurrence avec lesautres, au détriment éventuel de la concurrence sur lesmarchés externes. Cette caractéristique propre aux struc-tures fonctionnelles a été très efficacement contenue chezIKEA car la politique d’être le moins cher possible danschaque unité de vente force les différentes fonctions à col-laborer, alors que cet objectif fédérateur manque cruelle-ment dans beaucoup d’entreprises ayant égalementadopté une telle structure.

• La croissance en taille peut freiner la rapidité des décisionstransfonctionnelles. Si IKEA a effectivement eu à souffrir desa rapide croissance, la firme suédoise a appris à dépasser cesyndrome. Par exemple, en traversant l’Atlantique pours’implanter aux USA (Philadelphie était la première implan-tation), IKEA a mis un certain temps pour comprendre quel’Atlantique était plus difficile à franchir que la mer duNord ou la Baltique. Approvisionner l’Amérique à partir del’Europe s’est initialement avéré très onéreux à cause de lataille insuffisante de l’entreprise Outre-Atlantique. Qui plusest, la fonction commerciale implantée aux États-Unis aconstaté que certains us et coutumes des Américainsétaient très particuliers : s’asseoir quasiment dans un sofa,et non pas sur le sofa ; boire de l’eau avec des glaçons, cequi nécessite des verres beaucoup plus grands que leurs

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homologues européens, plier une chemise repassée uneseule fois et non en deux parties, ce qui nécessite des com-modes plus profondes. À partir de ces constats, il a fallu queles commerciaux changent la position des designers et leurvision univoque du monde de l’ameublement, ainsi que lavolonté de design unique pour le monde entier, ce qui anécessité beaucoup d’énergie et de temps. On rapportequ’il a fallu qu’un responsable de marketing américaindébarque au fin fond de la Suède où est situé le temple dudesign d’IKEA avec une énorme dinde de Thanksgiving pourque les designers se rendent compte que le volatile surdi-mensionné dépassait nettement les contours de la table desalle à manger aux normes suédoises. Le revers de lamédaille était que cette différenciation des produits aubénéfice du marché américain cassait une partie de l’avan-tage de coûts procuré par un modèle unique.

• Dans une entreprise à structure fonctionnelle, les promo-tions et les carrières restent dans des silos. Le système degestion de carrières d’IKEA invite les 600 cadres supérieursde l’entreprise à changer régulièrement de fonction – et depays – pour éviter ce syndrome, et les résultats sont trèspositifs. Mais la faiblesse du système qui réside essentielle-ment dans la très forte culture interne ethnocentrique arendu historiquement très difficile à des non-Suédois de sevoir proposer des carrières hors de leur pays d’origine ; ilsemble aujourd’hui qu’une évolution soit possible. Cetteculture, cette swedishness érigée en avantage concurrentielau plan du marketing, est bien balisée par sa caractéristiquefonctionnelle qui consiste à ce que les centres de décisionstratégique restent ancrés en Suède.

• Au fur et à mesure qu’augmente la complexité du fonction-nement de l’entreprise, le cas échéant du fait de l’interna-tionalisation, la coordination transfonctionnelle peutdevenir une activité consommatrice de temps et donc frus-trante. Pour contrer cet aspect, IKEA pratique une politiquede subsidiarité, où les décisions sont poussées au plus basniveau possible de la hiérarchie.

• Le contrôle devient de plus en plus difficile, au fur et àmesure que les produits ou les marchés (internationaux) semultiplient. Comme IKEA est une entreprise à contrôle fami-lial non cotée en bourse, elle ne doit pas rendre de comptestrimestriels aux analystes financiers ; elle a développé uneforme de prévisions budgétaires dite rolling – ou glissante –dont l’horizon est toujours annuel, quel que soit le momentde l’année. Ceci permet un benchmarking interne conti-

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nuellement à jour. Il est certain que le fait qu’IKEA soitmono-métier facilite cette approche sans poser de pro-blème majeur.

• La concurrence entre fonctions devient dévastatrice, unefonction domine souvent les autres. Comme il a été men-tionné plus haut, le fondateur a gardé les achats en main.Il a aussi conservé le contrôle du design, et c’est lui quiassure la coordination entre les deux. Ces deux fonctionsréunies constituent le pilier de la société.

• La structure freine les opportunités de diversification, deproduit comme de marché. Nous avons vu plus haut quel’émergence de la division internationale a été dansd’autres entreprises une réponse à cette contrainte,lorsqu’une structure fonctionnelle a tendance à faire passerle marché domestique en priorité. L’internationalisation apresque été à l’origine une des grandes forces d’IKEA pourcontrer un boycott des fournisseurs de l’ameublement enSuède. La maison ne s’est jamais diversifiée, même si elle apu être tentée par des incursions dans des marchés con-nexes tels que l’assurance habitation, l’équipement auto-mobile de loisirs ou le petit électroménager. Ajoutons quel’acquisition par Ingmar Kamprad de la chaîne des magasinsHABITAT est restée hors IKEA, et n’a pas été un succès.

• La prise de décision tend à remonter vers la direction géné-rale. Dans une entreprise privée, créée par un entrepreneurhors pair, ceci peut être considéré plus comme un atout quecomme un handicap. Il reste à voir, maintenant qu’IngmarKamprad s’est retiré de l’opérationnel, comment ses troisfils qui lui succèdent vont fonctionner entre eux.

D’une certaine façon, on peut dire que l’apparition d’une direc-tion internationale est un prolongement quasi logique d’uneorganisation fonctionnelle. La logique des structures invente enquelque sorte une nouvelle fonction qui s’occupe des activitésinternationales et s’y spécialise. Le responsable d’une telle divi-sion peut alors développer des compétences de généralistepuisqu’il doit intégrer les ressources de toutes les autres fonc-tions pour les appliquer à l’activité hors frontières. Cette fonc-tion ne sera généralement pas tenable très longtemps si les acti-vités internationales se développent, non seulement pour desquestions de complexité de coordination, mais aussi parce que,si les marchés internationaux prennent le pas sur le marché inté-rieur, on peut difficilement imaginer que les responsables des

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autres grandes fonctions laissent leur collègue accumuler un telpouvoir ; sans préjuger de l’ombre qu’il pourrait porter au chefd’entreprise lui-même. Les corps collectifs n’aiment pasnécessairement les héros, et ceci s’avère particulièrement exactpour ceux qui réussissent à l’international.

Cependant, lorsqu’une entreprise reste mono-produit ou, parextension, mono-secteur, comme IKEA, que son marché domes-tique n’est pas dominant par rapport à ses activités internatio-nales, qu’elle connaît relativement peu de diversification d’acti-vités et que les besoins d’adaptation locale des produits ne sontpas d’une grande complexité, cette entreprise a intérêt à intégrerl’ensemble des activités internationales dans son organisationfonctionnelle. Ceci vaut même si l’entreprise est fortement inter-nationalisée.

Les grands groupes pétroliers (BP, EXXON, SHELL, CHEVRON-TEXACO, TOTALFINAELF) ont ainsi mondialisé les grandes fonc-tions de l’entreprise : « exploration production » et « raffi-nage distribution ». C’est ensuite à un second niveau que l’ontrouvait une répartition géographique des activités. Cepen-dant, ces activités ont été transformées, dans les années 1980-1990, en activités à part entière, et les groupes pétroliers sontgénéralement passés à une structure par division ou métier.

Lorsque Jean-Louis Beffa, président de SAINT-GOBAIN, s’estrendu compte que d’autres groupes industriels (VOLKSWAGEN,ABB…) s’attaquaient à l’Europe de l’Est, à un rythme beau-coup plus élevé que celui de SAINT-GOBAIN, il a eu l’idée decréer une fonction internationale focalisée sur l’Europe del’Est pour y accélérer le rythme de pénétration. À cette divi-sion serait dévolu en amont le travail de reconnaissance etd’exploration auquel les global product lines (branches)n’avaient pas de temps à consacrer. Une fois un premier inves-tissement majeur envisagé (par exemple le rachat d’uneentreprise en Hongrie ou en Pologne), la division produit/branche prendrait la décision finale et réaliserait le deal (lecontrat) faisant entrer le nouvel arrivé dans son univers. Lepatron de la division internationale Europe de l’Est était unancien patron de branche, et donc totalement respecté parses pairs. Une fois la mission de cette division accomplie, ellea été dissoute.

Il arrive que des structures fonctionnelles mondiales soientmises en place pour des raisons particulières.

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Ainsi, lorsque Alain Prestat a été nommé troisième présidentde THOMSON MULTIMEDIA, s’est-il empressé de casser la struc-ture matricielle hybride produits/pays pour instituer unestructure fonctionnelle mondiale. Outre l’objectif politique-ment correct de vouloir centraliser le sourcing des compo-sants électroniques, Prestat avait également le souci de« casser le bastion américain » en enlevant le maximum depouvoir local aux dirigeants de l’ancienne RCA, filiale deGENERAL ELECTRIC acquise par THOMSON quelques années aupa-ravant. Thierry Breton qui a succédé à Alain Prestat peu aprèsl’incident Juppé a lui, enfin, pris les mesures structurelles quiconvenaient, dans une logique d’affaires et non dans unelogique de pouvoir.

Les limites d’une structure fonctionnelle sont atteintes lorsqueles caractéristiques particulières des marchés nationauxrequièrent un haut degré de différenciation, qu’il s’agisse de larelation produit/marché ou des contraintes environnementales,juridiques, économiques, politiques, sociologiques. Lesnécessités de la coordination locale comme de l’adaptation desproduits au marché conduisent la firme à déconcentrer unestructure fonctionnelle mondiale au niveau d’un pays (oud’une région). Il faut dans ce cas que le chef d’entreprise, seulmanager généraliste dans une structure fonctionnelle, soitcapable de déléguer une partie importante de ses pouvoirs decoordination entre les différentes fonctions à un individu qui vale représenter dans chaque pays ou chaque région. En effet, lesdirecteurs de pays vont se voir dotés d’un pouvoir, qui peut êtreconsidérable, sur l’ensemble des fonctions opérationnelles(études, fabrication, ventes) et certaines responsabilités fonc-tionnelles (finance, ressources humaines…). Les enjeux de cettetransformation vont être différents dans le pays du siège ethors des frontières. Ainsi une structure corporate et la structuredomestique logées sur le même site auront-elles des effetspervers : un responsable de la division domestique situé au siègemondial pourra soit avoir relativement moins d’autonomie queses collègues patrons de grands pays étrangers, soit au contrairebénéficier d’une priorité sur eux pour l’allocation de ressourcesou l’orientation du design des produits.

Ce n’est que lorsque le siège de la structure dite domestiqued’IBM pour les États-Unis a quitté le siège mondial d’Armonk

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(NY), pour migrer à quelques dizaines de kilomètres, qu’undébut d’autonomie a vu le jour.

IKEA peut être considéré comme un cas à part car son siège estau Danemark alors que le marché domestique est suédois. Laraison première de cette situation réside dans la différence derègles fiscales qui existait à l’époque dans les deux pays.

Mais d’autres entreprises de notre échantillon bénéficient demarchés extérieurs plus importants que leur propre marchédomestique.

La structure par division géographiqueLa structure par division géographique consiste àdéconcentrer tout ou partie des décisions du niveau corporatedans les régions et les pays. Ceci implique nécessairement quechaque région ou pays dispose des ressources nécessaires pourjouir d’une certaine autonomie de fonctionnement, c’est-à-direqu’elle soit autonome pour l’élaboration de sa politique commer-ciale, mais qu’elle dispose également de ses propres moyens deproduction ou, au minimum, du choix de ses approvisionne-ments et de l’orientation de la conception des produits en prove-nance d’autres pays ou régions du groupe. Une entreprise quidoit fortement s’adapter aux spécificités des marchés de sarégion ou de son pays bénéficiera d’une telle structure. Ladéconcentration du niveau corporate peut être faite par l’inter-médiaire d’un échelon régional ou, directement, avec un pays enparticulier s’il s’agit d’un pays important (États-Unis pourSCHNEIDER ELECTRIC ou SAINT-GOBAIN, Brésil pour RHÔNE

POULENC avant sa fusion avec HOECHST).

Nous ne ferons pas toujours de distinction nette entre le pays etla région. Historiquement, ce sont d’abord certains pays – lieuxd’investissements – qui ont gagné leur autonomie par rapport àune division internationale ou même à une structure fonction-nelle. Dirigés dans un premier temps par un expatrié pour lesentreprises européennes, par un expatrié ou un manager localpour les entreprises américaines, la multiplication des filiales àl’étranger a donné lieu à ce que l’on a appelé « divisiongéographique ». Reposant sur la confiance et la loyauté pour les

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expatriés des filiales d’entreprises européennes, reposant sur laqualité du reporting pour les patrons de filiales nord-améri-caines, la délégation et l’autonomie dont ces patronsbénéficiaient leur donnaient localement un pouvoir d’autantplus important que la distance géographique au siège étaitgrande.

C’est dans une seconde phase que la région en tant qu’entitéstructurelle est apparue, regroupant plusieurs pays, afind’assurer la coordination des activités des pays en déclinant lastratégie du groupe :

• en fonction des spécificités de l’environnement com-mercial ;

• en suivant les regroupements géopolitiques (Unioneuropéenne, Mercosur, Pacte andin, voire Alena pourles USA, le Canada et le Mexique) ;

• en offrant des shared services ou services partagés (fac-turation, recrutement, formation…).

Cela a permis de diminuer les coûts de fonctionnement desfiliales et/ou de sauvegarder des talents rares sur le marché enleur donnant des tâches plus complexes et plus enrichissantesprofessionnellement. Il arrive cependant qu’une directionrégionale soit créée avant l’investissement dans des pays, afinjustement de piloter le développement régional. Tel est le cas deSAINT-GOBAIN pour l’Europe de l’Est.

Comme nous l’avons fait remarquer plus haut dans le cas dePHILIPS (PHILIPS au cours de la Seconde Guerre mondiale), cecipeut parfois ne pas être un choix proactif mais une nécessitéde survie dans des conditions difficiles comme peut l’être unconflit armé qui interrompt les relations normales entre pays.

Les caractéristiques d’une structure géographique au niveaurégional sont les suivantes :

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Cette structure a longtemps été la forme la plus représentativedes structures internationales, d’abord pour les entrepriseseuropéennes, puis pour les entreprises nord-américaines (onnotera que les entreprises nord-américaines se sont ensuite con-verties à la structure par ligne de produits mondiale plus rapide-

Caractéristiques d’une structure géographique au niveau régional

♦ Les régions ou pays s’adaptent généralement bien aux diverses exi-gences locales.

♦ Chaque région, ou pays, tend à se focaliser exclusivement sur sonpropre territoire.

♦ Les régions ou pays développent un sentiment de forte autonomie.♦ Des managers généralistes peuvent se développer dans une telle

structure.♦ Il y a une tendance pour chaque directeur de région ou de pays à

exagérer l’unicité de sa région ou de son pays et à considérer queles responsables du siège n’y accordent pas l’importance et l’intérêtqui lui sont dus.

♦ Le directeur régional est fortement dépendant des directeurs depays pour exercer son contrôle ou vice-versa.

♦ Dès qu’au sein d’une région on veut spécialiser les sites de produc-tion par pays, des tensions fortes naissent entre pays fournisseurs etacheteurs quant aux prix de cession internes pratiqués.

♦ La comparaison entre les régions permet d’améliorer le contrôleexercé en central.

♦ Des tensions fortes peuvent apparaître entre les régions ou grandspays et le siège.

♦ Avec la diversification des activités, la coordination géographiquepar ligne de produit devient source de tension.

♦ Le rôle joué par les fonctionnels du siège est souvent une source defrustration.

♦ La concurrence pour l’allocation de ressources se développe entreles régions, ce qui présente des avantages comme des inconvé-nients.

♦ La grande autonomie développée par certains directeurs de régionou pays leur crée souvent des inimitiés au siège ; ils ont besoin de laprotection du PDG pour tenir le coup. On ne leur fera pas de cadeauà leur retour d’expatriation.

♦ Dès que l’on essaie de rationaliser la production en spécialisant lessites industriels par pays, on s’aperçoit que la structure régionale/par pays a « trop de » usines, distributeurs, marques, personnel ; laconcurrence se focalise sur le souci d’éviter les fermetures dans sonpropre territoire – essayant de faire que les « autres » soient fermés« avant ».

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ment que les entreprises européennes). Une telle structuregéographique apparaît dans les entreprises lorsque la divisioninternationale atteint ou dépasse en volume celle du pays d’ori-gine, appelé encore « marché domestique ».

C’est le cas du groupe alimentaire NESTLÉ, l’un des pionniersdans la structuration géographique des activités, et qui adéfini clairement les rôles respectifs du centre de Vevey, enSuisse, et des grands pays.

Lorsque Jean-Jacques Servan Schreiber a écrit Le défi américain,dans les années soixante-dix, les multinationales américainesétaient en pleine expansion.

COLGATE, ESSO devenu EXXON, FORD, GENERAL FOODS, GENERAL

MOTORS, GOODYEAR, IBM, PROCTER ET GAMBLE et d’autrescréaient des filiales de production dans pays après pays, enEurope et en Amérique latine. Seuls, à l’époque, pouvaientleur être comparés en taille et en diversité géographique leNéerlandais PHILIPS, le Britannique BP, deux Anglo-HollandaisSHELL ET UNILEVER, et le Suisse NESTLÉ. Ces filiales géographi-ques ont été de véritables pépinières de formation de mana-gers professionnels dans lesquelles puisaient les chasseurs detête. On retrouvait bien dans leurs structures les caractéristi-ques figurant dans l’encadré ci-dessus, sans toutefois que lestensions indiquées n’apparaissent encore. Il a fallu attendrepour ce faire les années quatre-vingt-dix et les conflits depouvoir entre pays autonomes et lignes de produit dont lesbesoins de coordination augmentaient rapidement.

Parmi les entreprises européennes, les groupes français sontvenus plus tard à l’internationalisation et aux structuresgéographiques, tout au moins en dehors des marchés captifs queconstituaient les anciennes colonies françaises. Les investisse-ments historiques français ont d’abord privilégié des pays latinstels que l’Espagne, l’Italie, le Brésil ou l’Argentine. La présencefrançaise aux États-Unis s’est opérée plus tard, surtout lorsque lacroissance externe (acquisitions) a pris le dessus sur la crois-sance interne. Les entreprises françaises se caractérisaientd’ailleurs par la complexité de leurs structures géographiquesinternationales.

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Ainsi RHÔNE POULENC avait-il créé de grandes filialesgéographiques pluri-activités, œuvrant aussi bien dans le tex-tile, la chimie de base, la chimie de spécialités, la pharmacieet l’agrochimie. Le groupe français contrôlait aussi une filialequasi secrète, MAY AND BAKER, acquise dans les années 1920,qui couvrait non seulement le Royaume-Uni, mais égalementla Scandinavie et tous les pays ou anciens pays du Com-monwealth (Canada, Australie, mais aussi l’Inde). Peud’Anglais savaient encore dans les années quatre-vingt qu’ilsappartenaient à un groupe français. Enfin, une structure dite« RHÔNE POULENC International » contrôlait une masse depetites filiales.

Les grands développements qu’ont connus les groupes fran-çais ont souvent été identifiés à de grands développeurs, diri-geants expatriés tels que Michel Besson pour SAINT-GOBAIN

aux États-Unis, plus rarement des citoyens locaux tels queRoberto Musa pour RHÔNE POULENC au Brésil. Musa avait faitde la société RHODIA l’une des toutes premières sociétés indus-trielles brésiliennes.

Accepter la création d’une organisation par division géogra-phique implique que le chef d’entreprise ne sera plus le seulmanager généraliste, le seul responsable du seul centre deprofit de l’entreprise. Ceci implique qu’il accepte que plusieursresponsables de division deviennent des patrons à part entière,hormis l’accès aux ressources pour les investissements, et cons-titueront une forme de mise en cause, voire de menace, pour sonpouvoir de Pdg. Les premières exceptions françaises se sont pro-duites pour les grands patrons de pays, véritables proconsulsdépêchés loin du siège, avec pleins pouvoirs et sans grand con-trôle des procédures et du reporting financier, à l’inverse de ce quise passait dans les multinationales américaines. Leur pouvoirdépendait en effet de la relation personnelle qu’ils entretenaientavec le Pdg de l’entreprise, relation qui n’allait pas sans ambi-guïtés. Bien des retours en France ont connu des fins rapides etdouloureuses.

Le cas d’AIR LIQUIDE illustre le fonctionnement d’une sociétéorganisée par division géographique. Ses produits ne sontpas faciles à transporter sur des distances importantes. Lecoût en est trop onéreux, et, en ce qui concerne plusieurs gazindustriels, leur maintien à la température requise pour lestransporter sur de longues distances est prohibitif. AIR LIQUIDE

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– et tous ses concurrents – implantent donc leurs installationsprès du client. Une fois une usine construite, il est très facile– et très peu cher – de servir d’autres clients dans le rayond’accès d’une même zone industrielle. Les prix constituentalors une barrière d’entrée importante pour un éventuel con-current qui envisagerait d’installer une usine sur ce mêmeterritoire ; ce qui donne à cette activité des caractéristiquesd’oligopole, et le fonctionnement des entreprises dans cetteactivité le reflète. L’avantage concurrentiel est constitué parle fait d’être présent quelque part avant « les autres » et d’yrester en ajoutant des inventions au fur et à mesure que leslaboratoires les réalisent. Nos entretiens avec des dirigeantsd’AIR LIQUIDE en Amérique du Sud, en particulier au Brésil, ontfait ressortir l’importance de la veille économique et poli-tique locale : savoir par exemple quel État brésilien val’emporter pour l’implantation de tel grand constructeurautomobile et y prévoir une implantation avant les concur-rents.

AIR LIQUIDE s’est donc internationalisé très tôt – son implanta-tion au Japon date de 1905 –, en tout cas plus tôt que la plu-part de ses concurrents, et reste en place grâce à des avancestechnologiques et à une connaissance intime du client, lesavances technologiques étant créées dans des laboratoiresdédiés, surtout localisés en France, et la connaissance intimedu client restant dans le pays où AIR LIQUIDE est implanté. Dansle passé, à forte connotation industrielle, il était rare qu’uneinnovation commerciale se fasse dans une filiale. Mais avecl’importance accrue des services (surtout, mais pas unique-ment, dans le domaine de la santé), ce phénomène gagne enimportance. Il y avait donc au moment de nos recherches unetension qui se développait entre l’indépendance tradition-nelle relative au pays et l’interdépendance dont une activitéde services a besoin pour mieux faire fructifier les inventionsd’un pays dans un autre. Ceci rejoint la notion d’avantagespécifique de la firme développée plus haut et des relationsentre siège et filiales et entre filiales.

Parmi les difficultés qui apparaissent dans les divisions géogra-phiques, plusieurs nous semblent essentielles à souligner :

♦ Une trop grande autonomie laissée au développementde produits nouveaux n’est pas compatible avec unenécessité de globalisation, ou tout au moins de recher-che de cohérence de relation produit-marché.

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Nous avons indiqué les difficultés rencontrées par PHILIPS dontchaque filiale avait pris l’habitude de développer rasoirs élec-triques, électroménager, téléviseurs ou produits informati-ques sans véritable coordination de marketing d’une filiale àl’autre.

♦ La recherche de rationalisation des sites de productionà travers une région, sinon à travers le monde.

Nous avons pu constater, chez un grand équipementier auto-mobile, les effets dévastateurs d’une politique qui privilégiaitla « spécialisation » d’une usine dans un pays sur un type deproduits particuliers. Si nous mettons de côté les éventuelsproblèmes d’emploi que cette situation pouvait créer, il resteque la fixation des prix de transfert depuis le pays du site deproduction vers un pays voisin engendre des conflits majeurs,dans la mesure où la filiale dans une structure géographiqueest évaluée sur ses résultats financiers.

♦ Des changements de taux de change entre filialesinterdépendantes sont également très problématiqueset donnent lieu à des jeux de pouvoir entre directeursde pays.

Lorsque, à la fin des années quatre-vingt-dix, le Brésil adévalué le real et que, parallèlement, l’Argentine a aligné lepeso sur le dollar, beaucoup de multinationales installées enArgentine ont délocalisé leur production au Brésil, devenu dujour au lendemain un pays beaucoup plus intéressant enterme de coûts de production.

♦ Des raisons fiscales qui consistent à préférer faire desbénéfices dans tel pays plutôt que dans tel autre ; c’estalors la direction financière de la région qui décide, sansnécessairement tenir compte de la façon dont l’une desfiliales sera pénalisée. Nous aborderons plus tard leproblème de la tyrannie de l’ebitda par pays (margeopérationnelle d’exploitation) sur laquelle les dirigeantsdes pays voient indexé leur bonus.

♦ L’évolution dans le temps de la structure géogra-phique qui touche à l’évolution du marché.

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Toujours dans notre multinationale d’équipement automo-bile, la construction européenne permet le développementdes réseaux paneuropéens de concessionnaires de piècespoids lourds (un réseau pan-andin, par exemple entre laColombie et le Venezuela, pourrait aussi bien voir le jour).Une structure de filiales géographiques rendra difficile uneharmonisation des approches commerciales à travers les dif-férents pays. Dans le domaine des véhicules de tourisme, quiva empêcher un client alsacien d’aller s’approvisionner enpièces de remplacement en Allemagne, au grand dam du res-ponsable commercial de la marque en Alsace ?

Au départ, en l’absence d’une structure par division produit, ilfallait bien assurer la coordination des lignes de produits à tra-vers les pays. Cette coordination deviendra d’autant plus néces-saire dans les années quatre-vingt-dix que les grands clients exi-geront de leurs fournisseurs des traitements homogènes à traversle monde. Petit à petit, les « coordinations » produit sont sor-ties des frontières hexagonales avec l’internationalisation, etc’est au cours des années quatre-vingt-dix que le pouvoir a bas-culé depuis les patrons de pays vers les représentants des divi-sions. La coordination a changé de camp ; elle est devenuegéographique alors que les anciennes coordinations produitont pris le pouvoir opérationnel.

I used to be a king, nous disait le responsable du Royaume-Uni pour ABN-AMRO en 1999, and now I have lost my crown.1

Chez SAINT-GOBAIN, les grandes délégations générales, enAllemagne, en Italie, en Espagne, au Brésil, aux États-Unis,ont commencé à céder le pas aux divisions produit appelées« branches » dans la première moitié des années quatre-vingt-dix, et, quelques années plus tard, les délégations géné-rales avaient perdu beaucoup de leurs pouvoirs au bénéficedes premiers. Le même phénomène s’est produit chez RHÔNE

POULENC où les divisions ont connu une prise de pouvoir crois-sante à la même période, sauf, curieusement, aux États-Unisoù, comme chez SAINT-GOBAIN, on a plus longtemps qu’ailleursmaintenu le pouvoir d’un patron géographique. Chez RHÔNE

POULENC, c’était pour donner une identité américaine auxdizaines d’acquisitions réalisées par le groupe français auxÉtats-Unis – on en confia la responsabilité à l’Américain Peter

1. « J’étais le roi mais je suis devenu un roi sans couronne. »

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Neff. Chez SAINT-GOBAIN, un véritable proconsul françaisrégna jusqu’à la fin du siècle dernier ; la délégation généraleaux États-Unis est maintenant rentrée dans le rang.

En fait, dans les grands groupes industriels et de servicesd’aujourd’hui, s’il n’est pas rare de trouver encore des structuresgéographiques dominantes, en particulier dans les firmes peudiversifiées (CARREFOUR, IKEA, SAP), il est plus inhabituel enrevanche de trouver des groupes diversifiés organisés exclusi-vement en division produit sans qu’il y ait une certaine formede coordination géographique entre les divisions au niveaud’un pays donné. Plus cette coordination géographique – autre-ment dit la représentation du niveau corporate – est forte dans unpays où coexistent plusieurs divisions produit, plus l’on trouveraen fait une forme d’organisation matricielle. Il semble que lacoordination dans un pays soit assez étroitement liée au degréde régulation qu’imposent les États hôtes. Plus cette régulation(législation, administration, obligation de partenariats avec desentreprises d’État) est forte, plus le niveau corporate devra êtrebien conseillé sur la latitude et l’autonomie à laisser auxpatrons de divisions locales.

ALCATEL est organisé en grandes divisions produit internatio-nales. Le directeur général d’ALCATEL pour la Chine nous disaiten 1999 à Shanghai qu’il avait beaucoup plus de pouvoir queles patrons de pays d’ALCATEL en Europe ou aux États-Unis ; ilajoutait qu’au Brésil, le pouvoir du directeur de pays avaitdiminué au fur et à mesure que le pays se libéralisait.

Mais peut-être ceci est-il dû à la nature du métier – nousn’avons pas constaté par exemple cet effet chez CARREFOUR ouencore chez AXA dont la filiale à New York ALLIANCE CAPITAL alongtemps joui d’une très grande autonomie, peut-être tropgrande lorsque l’on voit les répercussions sur le groupe AXA

de l’affaire ENRON.

Si les entreprises nord-américaines ont évolué plus rapidementque les entreprises européennes vers une structure par lignes deproduit mondiale, ce n’est pas tant que la diversification y étaitplus avancée, justifiant une spécialisation internationale des acti-vités, mais que la division produit avait acquis son autonomiebeaucoup plus rapidement aux États-Unis qu’en Europe, en par-

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ticulier en France. Au cours des années soixante-dix, un grandcabinet de conseil en organisation américain s’efforçait de con-vaincre ses clients dirigeants d’entreprises françaises de se réor-ganiser en passant d’une structure fonctionnelle à une structuredivisionnelle, afin d’être plus près du marché, afin de mieux gérerun portefeuille de couples produit-marché. De grandesrésistances étaient opposées à ce changement, non pas pour desraisons intellectuelles ou pratiques, mais parce qu’elles boulever-saient la structure de pouvoir traditionnelle. En fait, les patronsfrançais ont été plus rapides à déléguer la direction et le con-trôle d’une filiale étrangère que celle d’une ligne de produits oud’une branche industrielle.

Ainsi, même si les organisations qui se structurent en divisionsproduit internationales « pures » sont plus rares que les organi-sations en divisions géographiques du fait de cette représenta-tion corporate qui restreint une partie de leur autonomie, allons-nous les examiner séparément et traiter ensuite des organisa-tions matricielles.

La structure par division produit ou métierIl s’agit de structures spécialisées sur un ou plusieurs seg-ments de couples produits-marchés, certaines se focalisant surles produits (produits laitiers frais, eaux minérales…), d’autressur les marchés (aluminium pour le bâtiment, pour l’automo-bile, pour l’aéronautique), d’autres enfin se concentrant sur lesmétiers (par exemple exploration-production et raffinage-distri-bution, chimie, gaz dans le pétrole). Elles sont organisées en cen-tres de profit, c’est-à-dire que leur directeur général détient laresponsabilité des coûts comme des prix de vente. Elles se prê-tent également à une subdivision en unités autonomes, centresde profit également, appelés communément strategic businessunits1 ou SBU. La présence de plusieurs SBU au sein d’une divi-sion produit ou marché présente l’avantage d’offrir plusieurs

1. Correspondant aux domaines d’activités stratégiques, mais le sigle SBU estde plus en plus utilisé dans le vocabulaire international des multinationa-les françaises.

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postes de managers généralistes et ainsi d’accéder à des postes deresponsabilité de centre de profit beaucoup plus tôt que dans unestructure fonctionnelle, où il faut attendre d’être peut-être unjour le Pdg, si toutefois le successeur à ce poste ne vient pas dudehors (Jean-Marc Espalioux chez ACCOR, Henri Lachman chezSCHNEIDER, Jean-Marie Messier à la GÉNÉRALE DES EAUX…). Lespépinières de futurs patrons, outre les perspectives de carrièrequ’elles offrent, permettent également aux directions généralesde tester les hauts potentiels.

Jean-Louis Beffa chez SAINT-GOBAIN ne s’y trompe pas lorsqu’ildialogue en direct avec des dizaines de patrons de SBU, dontle patron hiérarchique responsable de branche assiste àl’échange en observateur.

Les caractéristiques d’une structure par ligne de produit oumétier sont les suivantes :

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Les structures par division produit apparaissent lorsque lavariété des produits, la diversification des activités et la multi-plication des segments de clientèle rendent impossible unecoordination de type fonctionnelle, entre les études, l’industriel

Caractéristiques d’une structure par ligne de produit ou métier

♦ Elles permettent de se focaliser sur un produit ou un service particu-lier.

♦ Elles ne facilitent pas la contribution ou la collaboration de la partd’autres unités pour résoudre des problèmes de relation client.

♦ Les rôles joués par les services fonctionnels et la direction généralechangent du tout au tout par rapport à ceux qui existent dansl’organisation fonctionnelle. La division produit – une fois réalisésles arbitrages sur l’allocation de ressources entre l’ensemble desdivisions produit pour leurs investissements – jouit d’une grandeautonomie sous la conduite de son directeur général.

♦ Le patron de la division n’est pas le seul à développer un profil degénéraliste. Cette structure se prête à l’attribution de responsabilitéde centres de profit, soit au niveau géographique, soit par la seg-mentation de la ligne de produits en plusieurs SBU différents.

♦ Les décisions peuvent être descendues à des niveaux plus bas, libé-rant ainsi les niveaux élevés de la hiérarchie pour des préoccupa-tions plus stratégiques.

♦ Des tensions peuvent naître entre le siège corporate et les divisions ;des conflits éclatent sur le thème du contrôle.

♦ Il existe un manque de clarté de rôle sur les attributions réciproquesdes services fonctionnels, situés tant aux niveaux corporate quedans les divisions ; le problème est encore plus complexe lorsque lesstructures corporate du siège ont des représentations régionales,voire dans des pays.

♦ Les produits à maturité sont encouragés, les développements nou-veaux peuvent être entravés.

♦ Il y a un risque de duplication de sites, d’équipements, de compé-tences.

♦ Les décisions de compromis sont plus faciles à prendre que dans desorganisations fonctionnelles.

♦ Le passage à une structure par division produit peut s’avérer trèscoûteuse et ne se justifie que si elle entraîne de la croissance.

♦ « Les divisions divisent », et, après l’affaire ENRON, on peut s’atten-dre à un conglomerate discount (une moins-value liée à la naturedu conglomérat) dans la valorisation des actifs qui ne démontrentpas de façon transparente les synergies se dégageant de l’apparte-nance à un groupe.

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et le commercial par exemple. Dans un contexte international, lacoordination devient encore plus difficile.

La faiblesse, ou tout au moins la problématique, des divisionsproduit dans un contexte international est liée aux besoins decoordination locale dans un pays donné où opèrent plusieursdivisions. La recherche de synergies n’est pas sans difficultés.Prenons l’exemple d’un équipementier automobile organisé endivisions produit opérant en Allemagne. Nous avons témoignéd’une situation où l’un empruntait pour son fonds de roulementune somme importante à une banque locale alors que la divisionvoisine disposait d’importants excès de trésorerie. Il ne suffit pasde dire que la seconde division doit se comporter en bon confrèreet financer le fonds de roulement du voisin. Si le directeurgénéral local de la première division a été efficace dans la gestionde sa trésorerie en gérant le recouvrement auprès de ses clients,pourquoi n’en bénéficierait-il pas en plaçant les sommes ainsidégagées, ce qui augmente d’autant ses résultats ?

Nous avons rencontré peu de structures par division produit àl’état pur :

Sinon sans doute l’activité banque d’affaires (investment ban-king) chez ABN-AMRO, RHÔNE POULENC ROHRER avant la fusionavec HOECHST ou, mieux encore, les « lignes de produit » chezSAP ; mais, dans un environnement complexe, d’autres cri-tères (géographiques, fonctionnels, gestion mondiale desgrands comptes), pouvaient intervenir pour limiter au moinsun peu les degrés de liberté du patron de la ligne de produit.

SAINT-GOBAIN est sans doute un très bon exemple de cetteorganisation par ligne de produits, surtout depuis que sonprésident Jean-Louis Beffa a décidé d’enlever beaucoup depouvoir aux « délégués généraux » des grands pays : Alle-magne, Brésil, États-Unis… pour en accorder beaucoup auxpatrons de branche et de SBU mondiales. Les responsables dechacune de ces fonctions ne sont pas traités de la mêmefaçon, au sens où le « pacte contractuel » entre le Pdg et undélégué pays repose sur la loyauté attendue de celui qui aurades pouvoirs de proconsul, alors que le pacte avec le patronde division produits – dans un pays donné, par exemple lesÉtats-Unis – repose essentiellement sur le reporting desrésultats ; ce responsable ne peut plus être considéré commeune incarnation du pouvoir régalien dans un pays donné.

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Nous avons préféré cependant classer SAINT-GOBAIN dans lesorganisations matricielles, ayant pu constater au Brésil et enChine, par exemple, que le délégué pays continue à jouer unrôle non négligeable.

Ce que l’on peut dire, c’est que les structures par division produitpeuvent se justifier pour une entreprise qui est essentiellementprésente sur des marchés « domestiques », mais que, dès qu’uneentreprise est fortement internationalisée, les synergies de lareprésentation et de la coordination des ressources financièreset humaines nécessitent une présence du corporate. Cette pré-sence peut s’exercer à des degrés divers entre un siège régional etles représentations dans un pays donné.

La structure matricielleL’évolution structurelle des entreprises diversifiées qui se glo-balisent est caractérisée par le passage de la prédominance dela région ou du pays vers celle de la ligne de produit ou dumétier. Quelle que soit la dimension structurelle dominante, il ya toujours un besoin de coordination de la ou des dimensionsdominées. Ainsi, dans une structure par ligne de produits, peu-vent exister dans un pays donné des besoins de coordinationforts entre plusieurs lignes de produit, en particulier sur desenjeux transversaux tels que l’environnement, la trésorerie, lesrelations avec les pouvoirs publics, l’approche du marché del’emploi… La structure dite matricielle, au sens propre ou purdu terme, apparaît lorsque coexistent au moins deux dimen-sions dominantes. Chacun des responsables de ces dimensionsdispose alors théoriquement de la même base de pouvoir et il estévalué sur sa création de valeur et sur ses résultats économiques.

Chez SCHNEIDER ELECTRIC, la structure matricielle issue del’acquisition de l’Américain SQUARE D a donné une responsa-bilité pour le profit régional au patron américain, alors queles patrons de grands domaines d’activité stratégique avaientcette même responsabilité pour le profit de leurs lignes deproduits en Amérique du Nord. Cette illusion de renforce-ment des synergies, célébrée par une grande banqued’affaires (MORGAN STANLEY) au moment de la prise de l’OPA

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de SCHNEIDER sur SQUARE D, a conduit à un désastre relationnelpendant les quatre ou cinq premières années qui ont suivicette acquisition, laquelle n’était certainement pas unefusion. Des différences majeures non seulement de politiquecommerciale entre les protagonistes, mais de conceptionmême d’approche du marché, ont engendré de grandes frus-trations.

Un exemple concret va illustrer ce propos. La différenced’approche du marché – différence de business models –entre le Français et l’Américain était au moment de la fusionune quasi caricature de l’approche des affaires et du marchédans les deux pays. Prenons un produit, le disjoncteur, dont lafonction simple est de couper le courant lorsque celui-ci pro-duit un court-circuit. MERLIN GERIN, la marque française de SCH-

NEIDER, investissait beaucoup en recherche et développementpour proposer des composants sophistiqués, ici des disjonc-teurs, à des équipementiers appelés « tableautiers », métierconsidéré comme beaucoup moins noble que le leur par lesingénieurs de MERLIN GERIN, lesquels tableautiers revendaientensuite des tableaux électriques complets à leurs clients. Cestableaux comprenaient entre autres composants les disjonc-teurs MERLIN GERIN, vendus par SCHNEIDER ELECTRIC avec uneforte valeur ajoutée justifiée par leur sophistication. AuxÉtats-Unis, SQUARE D fabriquait des disjoncteurs peu sophisti-qués, puis la société américaine en équipait elle-même destableaux qu’elle vendait à des distributeurs, avec des margespeu élevées. SQUARE D était fabriquant de composants maisaussi tableautier. Alors que l’avantage concurrentiel deMERLIN GERIN résidait dans la valeur ajoutée technologique, etles marges élevées qui en découlaient, l’avantage concurren-tiel de SQUARE D résidait dans la loyauté de son réseau de dis-tribution reposant sur les marges aval réalisées par les distri-buteurs. SQUARE D se rattrapait ensuite sur l’après-vente, avecles extensions d’équipement, en complétant alors la base ins-tallée des tableaux déjà chez le client final par des compo-sants supplémentaires.

Jusqu’ici tout va bien, on gagne de l’argent en France commeaux États-Unis, sauf qu’il s’agit quand même de deux logiquesde business très différentes. C’est la mise en place d’une struc-ture matricielle qui a mis le feu au torchon. En effet, les dis-joncteurs ont été placés dans une SBU, ayant son siège enFrance et dirigée par un Français, responsable de son profit.Sur le marché du disjoncteur, 50 % du volume mondial se faitaux États-Unis. Le patron français du SBU disjoncteur y a donc50 % de son marché. Or, la logique même d’approche du

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marché de SQUARE D, la loyauté de ses distributeurs commeavantage concurrentiel, lui imposait de vendre ses disjonc-teurs avec des marges très faibles. Le malheureux patron deSBU en France voyait à court terme fondre son résultat et sonbonus ; il voyait à moyen terme la non-réalisation de son rêved’inonder le monde avec un disjoncteur universel. Une accu-mulation de situations de ce type après l’acquisition deSQUARE D a empoisonné les relations transatlantiques, jusqu’àce que le PDG de SCHNEIDER ait la bonne idée de modifier lamatrice en retirant la responsabilité des résultats financiersaux patrons de SBU. Ce n’était plus alors une structure matri-cielle complète, les pays ou régions reprenant le pas sur lacoordination des lignes de produit.

Il n’y a pas nécessairement que deux dimensions en oppositiondans une structure matricielle :

♦ Ainsi les grandes structures fonctionnelles (finance,ressources humaines…) peuvent-elles avoir des respon-sabilités mondiales en direct, c’est-à-dire que lescontrôleurs de gestion ou les DRH de grandes unitéspeuvent rendre compte – reporter en franglais – directe-ment au siège mondial, par exemple.

Cette situation est typiquement celle que Harold Geneen (leJack Welch des années soixante-dix) avait mise en place chezITT.

♦ Par ailleurs, l’émergence de la gestion mondiale desgrands comptes client ajoute une autre dimension à lamatrice.

La dimension matricielle de la structure de SAINT-GOBAIN enChine est composée non seulement d’un directeur de pays(Chine), d’une ligne de produits vitrage automobile mondialeprésente en Chine, fournisseur de CITROËN, VOLKSWAGEN,GENERAL MOTORS, mais également de plusieurs représentantsde la gestion des grands comptes client dont le rôle estd’assurer la cohérence mondiale de la relation entre SAINT-GOBAIN et ces trois grands comptes.

Nous avons retrouvé la même problématique chez ABN-AMRO

en Amérique du Sud : si GAZ DE FRANCE a besoin d’un finance-ment de projet en Uruguay, il y a une première négociationinterne évidente sur les conditions à accorder au client, négo-ciation dont les protagonistes sont initialement la direction

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du pays et de la région, d’une part, et, d’autre part, la lignede produits project finance (financement de projets) mon-diale qui a des objectifs de développement pour l’Amériquedu Sud. Cependant, un accord entre ces deux dimensionsstructurelles prenant en compte le risque pays ne s’arrête paslà car intervient alors le responsable mondial du grandcompte GAZ DE FRANCE qui représente son client : les condi-tions faites en Uruguay ne peuvent être trop éloignées decelles faites récemment dans un autre pays, et ce troisièmeresponsable défend la relation commerciale au plan mondial.

Citons enfin l’exemple de SHELL : jusqu’en 1995, une structuretridimensionnelle organisait le groupe en « métiers », « payset politique régionale » et « fonction ». L’avantage de cettestructure était de créer une culture consensuelle, sans douteun peu lente pour la prise de décisions, mais, une fois la déci-sion prise, sa mise en œuvre était rapide. Cette structurematricielle a duré plus de 25 ans mais a vu la réorganisationcomplète du groupe pétrolier en cinq activités autonomes,chacune avec son patron (CEO). On est ainsi passé de 200 CEOdans la structure tridimensionnelle à cinq : « exploration-production », « produits pétroliers » (raffinage-distribution-détail et trading), « produits chimiques », « gaz et énergie »,et renewables, ou « énergie renouvelable ».

Une recherche doctorale entreprise à Hec (F. Vasconcellos) asuggéré que le choix d’organisation matricielle dépend au moinsautant de la vision collective que se donne l’État major d’ungroupe que des conditions « objectives » de son marché et de sesmétiers. En d’autres termes, adopter une organisation matri-cielle « ouvre » l’organisation à considérer des dimensionsmultiples, souvent incommensurables à des niveaux hiérarchi-ques inférieurs. Si le management l’accepte culturellement, si lescompétences managériales peuvent suivre, alors il sera possiblede générer plus de managers généralistes. Mais, dans le cas con-traire, la responsabilité et le contrôle de gestion efficace peuventêtre compromis. En effet, la double responsabilité pour lerésultat d’une partie de l’activité de l’entreprise ne peut être quegénératrice de conflit. Les entreprises matricielles sont conflic-tuelles, et, contrairement aux autres formes étudiées plus hautdont le but est d’éviter les conflits, l’enjeu de l’entreprise matri-cielle sera de gérer les conflits inévitables qui sont concomi-tants à sa forme.

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Quelles sont les raisons du rééquilibrage recherché avec uneorganisation matricielle ? L’analyse de plusieurs acquisitionstrans-frontières en donne une bonne illustration (ALCATEL,GOODYEAR, SCHNEIDER) :

♦ Si les synergies attendues d’une fusion sont essentielle-ment géographiques, il est justifié de laisser la structuregéographique en place, le problème de fusion se passantensuite au niveau de chaque région : il s’agit d’un doubleproblème de choix et de mise en place d’hommes et desystèmes administratifs.

♦ En revanche, si les synergies attendues portentégalement sur des produits ou des services, l’entreprisequi acquiert, surtout si elle est en position de force, abesoin de contrôler ce que fait la société qu’elle aacquise. Elle pourra le faire soit en envoyant dans l’autrepays des dirigeants issus de ses équipes, soit en créantune structure matricielle qui donnera beaucoup plus depouvoir que précédemment à la ligne de produit afind’assurer, ou de tenter d’assurer, la mise en œuvre dessynergies attendues. Une organisation matricielle peutainsi accélérer l’apprentissage organisationnel, etdonc valoriser plus vite des acquisitions.

LAFARGE en serait une bonne illustration.

Dans une structure matricielle, les responsabilités sont repré-sentées graphiquement par des axes horizontaux et verticaux.Les managers responsables de chaque axe ont théoriquement lemême statut et rapportent au même patron au sommet. Chacundoit disposer d’une autorité partagée et doit rendre compte deses résultats dans le cadre de responsabilités et de missions enpartie attribuées par la direction générale, en partie négociéesentre eux-mêmes. Chacun des deux managers doit démontrer sescapacités de leader et travailler avec son alter ego pour gérer lesconflits que la structure matricielle induit par construction – etnon plus essayer de les éviter comme on le fait dans les struc-tures classiques en érigeant les barrières des définitions de fonc-tions et des procédures pour empêcher les querelles qui rappel-lent souvent celles des cours de récréation. Le fait que l’un desaxes doive allouer des ressources à des projets avec des résultats

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attendus dont il n’est pas directement responsable est un sérieuxchallenge. Parallèlement, l’autre axe doit atteindre des résultatssans contrôle direct sur l’allocation de beaucoup des ressourcesnécessaires, contrôlées par le premier.

Dans une structure matricielle, tous les managers ne rappor-tent pas à deux patrons différents. Même dans les plus grandsgroupes, ce sont au maximum quelques dizaines, voire cent àdeux cents dirigeants qui sont concernés. Lorsqu’une telle situa-tion se présente, généralement dans les lieux de croisement desdeux axes, la complexité du challenge relationnel et décisionnelest grande. Les comportements seront souvent induits par la per-ception de celui des deux patrons qui exerce le plus de contrôlesur la rémunération, la promotion et l’évolution de carrière. Toutceci peut générer un niveau de stress important.

Les caractéristiques de la structure matricielle sont lessuivantes :

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La structure matricielle est la forme la plus représentée dans lesgroupes étudiés : ABN-AMRO, AIR LIQUIDE, ALCATEL, SAINT-GOBAIN sont structurées sur ce mode, ABN-AMRO étant la plusélaborée et AIR LIQUIDE la plus proche encore de son mode

Caractéristiques de la structure matricielle

♦ Elle se propose de focaliser l’entreprise tout entière sur les résultatsen intégrant les efforts.

♦ Sa mise en œuvre peut s’avérer très difficile et requiert un immenseeffort de conception, d’explication et de communication interne.

♦ Elle peut causer une amélioration considérable dans la coordinationdes activités, en particulier aux niveaux inférieurs de la hiérarchie.

♦ Les managers dont la fonction est à l’intersection de deux lignes deresponsabilités ont du mal à se faire à l’idée d’avoir plus qu’un seulpatron :Ainsi le responsable américain du marketing d’une ligne de produitsTélémécanique dans l’organisation nord-américaine de SCHNEIDER

ELECTRIC. Alors que sa ligne de reporting était auparavant au siège deRueil-Malmaison, l’acquisition de SQUARE D va l’intégrer dans l’organi-sation nord-américaine et il rendra compte désormais à Palatine (Illi-nois) de son activité commerciale, de ses objectifs de vente et de sonbonus, mais les instructions de marketing continueront à venir deRueil où se situe la coordination de la ligne de produits. SQUARE Dfabriquant également des produits de contrôle industriel, on imaginel’angoisse de ce responsable dès lors qu’il reçoit des instructions con-tradictoires quant au positionnement des produits, à leur prix, etc.

♦ Elle peut causer des duplications et une inflation des coûts.♦ Le partage des compétences de spécialistes rares peut optimiser les

coûts.♦ On assiste à des conflits de pouvoir, en particulier entre les axes de la

matrice.♦ La négociation forcée imposée aux niveaux inférieurs (comme l’a fait

Beffa) peut dégager du temps de direction pour des activités plusstratégiques.

♦ Elle permet de maintenir l’équilibre entre des priorités contradictoi-res.

♦ Elle peut générer un sentiment de responsabilité diffus et unedélégation excessive.

♦ Elle nécessite, pour fonctionner, un niveau élevé de confiance etd’ouverture d’esprit. Les deux axes doivent être prêts à négocier pourque les objectifs recherchés soient atteints.

♦ La réactivité peut être très lente si les décisions ne sont pas déléguées.

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géographique précédent. Nous avons rencontré deux formes destructures matricielles :

• celles qui émergent parce que les forces de coordina-tion des lignes de produit sont quasiment égales à cellesde la coordination des géographies, le pouvoir y estbipolaire ;

• celles qui émergent dans une forme hybride pour lesentreprises qui recherchent une décentralisation desdécisions sur le marché, tout en enlevant aux directeursde pays leur pouvoir précédent, non seulement sur laconception des produits qui de toutes façons ne leurappartient pas toujours, mais également sur les études,la fabrication et les achats.

IKEA, que nous avons citée comme structure fonctionnellemondiale, est une forme hybride puisque les achats et ledesign sont très fortement centralisés et que la culture del’entreprise reste après des années d’internationalisation trèsfortement « ethnocentrique ». Ceci n’en fait pas pour autantune organisation fonctionnelle mondiale, les entitésgéographiques jouant pleinement leur rôle.

Dans le secteur des pneumatiques, GOODYEAR a maintenu etmême renforcé récemment une structure manufacturièremondiale, centralisant ordonnancement mondial des sites defabrication et achats (global sourcing), enlevant aux direc-teurs de pays leur véritable ebitda qui n’est plus que virtuelgrâce à la fiction des prix de transfert. Parallèlement, GOOD-YEAR a dû différencier ses activités de marketing et ventessous la pression de l’évolution de la distribution paneuro-péenne pour ne parler que de l’Europe des poids lourds. Nousvoyons bien ici la prise en compte, par cet autre équipemen-tier automobile, des enjeux et difficultés cités plus haut pourla division géographique.

Des structures hybrides et des structures bipolaires, nous nesavons dire aujourd’hui lesquelles l’emportent en nombre nimême quelle sera la tendance. En revanche, nous insistons surl’émergence d’un troisième pôle de la matrice, celui de la coor-dination mondiale des grands comptes client.

À l’exception d’AIR LIQUIDE, les autres entreprises étudiées onttoutes formalisé ce rôle de coordination des grands comptes

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mondiaux, ainsi que d’autres entreprises avec lesquelles nousavons travaillé comme SCHNEIDER ou GOODYEAR.

Parallèlement à l’émergence de ce troisième pôle, se profile unetendance croissante à la frustration, sinon à la désaffection del’entité pays.

En effet, comme l’illustre le cas d’ABN-AMRO, une orientationvers le client, lorsque ce client est international et doit êtreservi mondialement, laisse la première place à la dialectiqueentre ligne de produits et gestionnaire du compte client, auxdépens des responsabilités et engagements du directeur depays. Le client est la clé, le pays représente une contraintelégale, administrative, comptable. Nous avons entendu undirecteur régional d’ABN-AMRO, pourtant néerlandais, partiren guerre contre la dictature du ebitda pays. Mais, ajoutait-il,il y aura toujours un vieil administrateur à Amsterdam qui lorsd’une réunion du conseil d’administration exprimera sonmécontentement parce que « l’Uruguay perd de l’argent ».L’idée que le grand compte GAZ DE FRANCE est plus importantque le bilan de l’Uruguay ne le convaincra pas…

Nous ne suggérons pas ici pour autant que le pays doive dis-paraître en tant qu’entité structurelle, car il y a toujours des con-traintes administratives et politiques nécessitant au niveau del’entité administrative qu’est le pays une représentation du cor-porate.

Ceci est particulièrement vrai dans les pays à forte régulationet contrôle étatique (ALCATEL en Chine par exemple). Ailleurs,le tropisme de la régulation se déplace vers le centre de larégulation de l’ensemble régional : Bruxelles pour l’Unioneuropéenne, l’Alena, le Pacte andin, le Mercosur…

Ce qui nous semble battu en brèche de plus en plus est lanotion de pays en tant que centre de profit, dont le responsableest évalué sur son ebitda. Qu’il soit nécessaire de présenter descomptes certifiés dans chaque pays où la firme a une structureétablie, « incorporée », est indispensable. Mais que les responsa-bles du pays soient évalués sur ces seuls résultats financiers sus-cite et génère des conflits d’intérêt parfois violents au détrimentdes attentes du client.

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ABN-AMRO fait état d’efforts afin de développer un shadowaccounting (une comptabilité parallèle) pour que le respon-sable de pays ne soit pas pénalisé au plan de l’évaluation deses résultats s’il fait des compromis sur les résultats locauxattendus au bénéfice de la ligne de produits et de la gestionmondiale du grand compte. Son bonus n’en sera pas ainsiaffecté négativement.

En conclusionLes choix de structure devraient refléter les formes et le choixd’organisation dont le business model a besoin pour atteindre sesobjectifs stratégiques et de rentabilité. Nous avons voulu donnerau lecteur une grille d’analyse montrant, à partir de la descriptiondes formes d’organisation existantes, les avantages et les inconvé-nients de chacune. Comme nous l’avons écrit en introduction dece chapitre, aucune structure n’est parfaite et chacune exprime uncompromis entre des intérêts contradictoires. Même la structurematricielle, sur laquelle beaucoup d’entreprises fondaient degrands espoirs, donne lieu à d’importantes difficultés liées à sanature génératrice de conflits de stratégie mais également quantaux critères d’évaluation de performance et aux incitations finan-cières. Dès que les conditions concurrentielles, techniques ouréglementaires changent la donne dans un environnement local,régional ou global, le business model devra évoluer, et – souventtrop tard – la structure sera remaniée. Le choix structurel estdonc un reflet, souvent un peu tardif, des conditions du marchéexterne mais aussi de la dynamique de pouvoir interne. Ainsi,comme le démontre F. Vasconcellos dans sa thèse de doctorat, cechoix n’est-il pas purement « objectif ». Au contraire, il reflète,plus au-delà des conditions externes-objectives « pures », la per-ception qu’ont de ces conditions les dirigeants d’une entreprise etde leur impact sur la dynamique interne.

C’est à cause de ce rôle central de la perception dans la structure,et pas seulement à cause de la taille du marché domestique, etc.,que les entreprises nord-américaines, japonaises et européennes– ainsi que d’autres comme les coréennes, brésiliennes, cana-diennes, plus récemment – se sont internationalisées avec desstructures différentes.