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Quelle lecture de la guerre est officiellement adoptée en Algérie à partir de 1962. Comment s’impose-t-elle? Quelles sont les difficultés qui persistent vis-à-vis de cette vision des évènements ? Rue d’Alger, juillet 1962. 1 « Il est très difficile en Algérie d’écrire une histoire de la guerre qui ne soit pas passée au crible des critiques idéologiques et partisanes. Dès l’été 1962, les principaux acteurs de cette guerre d’indépendance sont écartés : Mohamed Boudiaf, Krim Belkacem, Hocine Aït Ahmed, Ferhat Abbas. Et le coup d’État de 1965, qui renverse Ahmed ben Bella, chef historique du FLN, au profit de Houari Boumediene (pendant la guerre chef des armées situées aux frontières), installe à la tête du pays les militaires qui prennent en main la manière dont doit être racontée l’histoire. Ajoutons que, pendant la guerre d’indépendance déjà, la mise à l’écart de Messali Hadj (le pionnier de la lutte indépendantiste) et l’éviction des messalistes du MNA ont interdit d’emblée le consensus autour de l’idée nationale, confisquée par un clan du FLN. Il n’y a pas non plus d’effort pour la réconciliation nationale. Si les messalistes sont tenus pour des « traîtres », imaginez ce qu’il peut en être des harkis, musulmans qui s’étaient engagés du côté des forces françaises. En Algérie (…) les mémoires sont entrées en conflit pendant la guerre elle-même, et cela n’a pas cessé après 1962. » Entretien avec Benjamin STORA, L’Histoire, Septembre 2010, n°356. 2 « L’histoire chez nous, c’est le serpent de mer de la culture algérienne, dans ce sens qu’elle est tout le temps falsifiée, tout le temps piétinée (…). L’Histoire, c’est une série de dogmes qu’on diffuse dans la société. (…). Les gens comme Messali Hadj, (…), les communistes, tous étaient totalement écartés. » Interview de Mohamed HARBI, militant du mouvement nationaliste, acteur de la guerre et historien algérien par Emmanuel LAURENTIN sur France Culture, 21 novembre 2005. Photographies du Mémorial du martyr à Alger. Chaque commune d’Algérie possède son monument des martyrs de l’indépendance. Celui d’Alger surplombe la ville. Il a été inauguré en 1982 afin de commémorer le 20 e anniversaire de l’indépendance d’Algérie. Ce monument fait partie d’une vaste esplanade où brûle une « flamme éternelle », une crypte, un amphithéâtre et le musée du Moujahid (combattant). « Cette histoire anticolonialiste, presque aussi simplificatrice dans ses conclusions que l’histoire coloniale traditionnelle, présuppose que l’ensemble de la communauté arabo-berbère de l’Algérie était animée d’une conscience nationale véritable, et aspirait à l’indépendance. (…) Cette conception d’une société indifférenciée, « guidée » par un parti unique, implique une vision particulière de la nation. Après l’indépendance, bloc indécomposable, la nation est perçue comme une figure indissociable unie et unanime. Le thème du « peuple uni » doit réduire les menaces d’agression externes et de désagrégation interne. Ce dernier aspect concerne essentiellement la question berbère, niée dans la mise en place des institutions nationales de l’après-guerre. » Benjamin STORA, La Gangrène et l’Oubli. La mémoire de la guerre d’Algérie, La Découverte, 1991. LES MEMOIRES DE LA GUERRE EN ALGERIE 3 4 5 Groupe 1 C2.1 & C3.1

LES MEMOIRES DE LA GUERRE EN ALGERIEDès l’été 9, les prin ipaux ateurs de ette guerre d’indépendan e sont é artés : Mohamed oudiaf, Krim Belkacem, Hocine Aït Ahmed, Ferhat

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Page 1: LES MEMOIRES DE LA GUERRE EN ALGERIEDès l’été 9, les prin ipaux ateurs de ette guerre d’indépendan e sont é artés : Mohamed oudiaf, Krim Belkacem, Hocine Aït Ahmed, Ferhat

Quelle lecture de la guerre est officiellement adoptée en Algérie à partir de

1962. Comment s’impose-t-elle? Quelles sont les difficultés qui persistent

vis-à-vis de cette vision des évènements ? Rue d’Alger, juillet 1962.

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« Il est très difficile en Algérie d’écrire une histoire de la guerre qui ne soit pas passée au crible des

critiques idéologiques et partisanes.

Dès l’été 1962, les principaux acteurs de cette guerre d’indépendance sont écartés : Mohamed Boudiaf, Krim

Belkacem, Hocine Aït Ahmed, Ferhat Abbas. Et le coup d’État de 1965, qui renverse Ahmed ben Bella, chef

historique du FLN, au profit de Houari Boumediene (pendant la guerre chef des armées situées aux frontières),

installe à la tête du pays les militaires qui prennent en main la manière dont doit être racontée l’histoire.

Ajoutons que, pendant la guerre d’indépendance déjà, la mise à l’écart de Messali Hadj (le pionnier de la lutte

indépendantiste) et l’éviction des messalistes du MNA ont interdit d’emblée le consensus autour de l’idée

nationale, confisquée par un clan du FLN.

Il n’y a pas non plus d’effort pour la réconciliation nationale. Si les messalistes sont tenus pour des « traîtres »,

imaginez ce qu’il peut en être des harkis, musulmans qui s’étaient engagés du côté des forces françaises. En

Algérie (…) les mémoires sont entrées en conflit pendant la guerre elle-même, et cela n’a pas cessé après 1962. »

Entretien avec Benjamin STORA, L’Histoire, Septembre 2010, n°356.

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« L’histoire chez nous, c’est le serpent de mer de la culture algérienne, dans ce

sens qu’elle est tout le temps falsifiée, tout le temps piétinée (…). L’Histoire, c’est

une série de dogmes qu’on diffuse dans la société. (…). Les gens comme Messali

Hadj, (…), les communistes, tous étaient totalement écartés. »

Interview de Mohamed HARBI, militant du mouvement nationaliste,

acteur de la guerre et historien algérien par Emmanuel LAURENTIN sur

France Culture, 21 novembre 2005.

Photographies du Mémorial du martyr à Alger. Chaque commune d’Algérie possède son monument des martyrs

de l’indépendance. Celui d’Alger surplombe la ville. Il a été inauguré en 1982 afin de commémorer le 20e

anniversaire de l’indépendance d’Algérie. Ce monument fait partie d’une vaste esplanade où brûle une « flamme

éternelle », une crypte, un amphithéâtre et le musée du Moujahid (combattant).

« Cette histoire anticolonialiste, presque aussi simplificatrice dans ses conclusions que l’histoire

coloniale traditionnelle, présuppose que l’ensemble de la communauté arabo-berbère de l’Algérie était animée

d’une conscience nationale véritable, et aspirait à l’indépendance. (…) Cette conception d’une société

indifférenciée, « guidée » par un parti unique, implique une vision particulière de la nation. Après

l’indépendance, bloc indécomposable, la nation est perçue comme une figure indissociable unie et unanime. Le

thème du « peuple uni » doit réduire les menaces d’agression externes et de désagrégation interne. Ce dernier

aspect concerne essentiellement la question berbère, niée dans la mise en place des institutions nationales de

l’après-guerre. »

Benjamin STORA, La Gangrène et l’Oubli. La mémoire de la guerre d’Algérie, La Découverte, 1991.

LES MEMOIRES DE LA GUERRE EN ALGERIE

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5 Groupe 1

C2.1 & C3.1

Page 2: LES MEMOIRES DE LA GUERRE EN ALGERIEDès l’été 9, les prin ipaux ateurs de ette guerre d’indépendan e sont é artés : Mohamed oudiaf, Krim Belkacem, Hocine Aït Ahmed, Ferhat

LES MEMOIRES DE LA GUERRE EN ALGERIE

En 2005, « La Coordination nationale des enfants des

moudjahidine (…) conditionne la signature du traité

d’amitié avec la France à une série de revendications.

L’association demande de « comptabiliser avec précision

le nombre exact des Algériens tués depuis 1830, ainsi que

le nombre de villages brûlés, de tribus décimées et de

richesses volées ». Autre fait inédit : l’Algérie entend

porter devant les juridictions internationales l’Affaire des

Algériens exécutés par l’armée française durant la guerre

d’Algérie. (…) Le 1er

juin 2009, El Khabar, grand quotidien

arabophone, intitule son éditorial : « nos martyrs ne sont

pas vos criminels ». « Les propos du responsable français

sur le fait qu’il y a eu des criminels des deux côtés blessent

tous les Algériens ».

Benjamin STORA, Le Monde hors-série, février-

mars 2012.

Dessin de DILEM paru dans le quotidien algérien Liberté, le 2

novembre 2009 et relatif à la demande faite à la France par le

président Abdelaziz BOUTEFLIKA de présenter des excuses

officielles à l’Algérie.

« En Algérie aussi, la mémoire de cette guerre évolue. Une autre nation algérienne a émergé, et l’Etat perd progressivement le

monopole de l’écriture de l’histoire (…). Les histoires héroïques, les légendes et les stéréotypes sont rejetés par la jeunesse qui

veut désormais savoir ce qui s’est réellement joué dans cette guerre entre l’Algérie et la France (…). »

Benjamin STORA, « les accélérations de la mémoire, 1999-2003 » in Mohammed HARBI et Benjamin STORA, La Guerre d’Algérie,

la fin de l’amnésie, 1954-2004, Robert Laffont, 2004.

Maurice AUDIN est un jeune militant communiste d’Alger. Il est arrêté et

torturé par l’armée française en 1957, puis porté disparu. L’Etat français a longtemps

refusé de reconnaître officiellement sa mort, affirmant qu’il s’était évadé. En 2000, le

général AUSSARESSES affirme avoir donné l’ordre de le tuer mais l’Etat français

continuer à nier les faits. En 2001, Sa veuve porte plainte contre X pour crime contre

l’humanité. Ce n’est qu’en 2014 que le président François HOLLANDE reconnaît la mort

de Maurice AUDIN en détention mais sans rendre public les documents le concernant.

Une place porte son nom, dans le centre d’Alger, depuis l’indépendance.

A Paris, une place à son nom est également inaugurée le 26 mai 2004.

Comment d’autres mémoires s’imposent-elles en Algérie à partir des années 1980 ? Quels rapports

les autorités algériennes entretiennent-elles avec l’Etat français ?

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