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© FNAOM-ACTDM / CNT LES NOMADES DU SAHARA MERIDIONAL Les Touareg Goumier Kel Tadélé (Aïr) Les Touareg peuplent le Sahara central,de Ghadamès, au nord, jusqu'aux marches du pays Mossi, au sud- ouest, et à la frontière de la Nigeria, au sud-est. L'énorme majorité se trouve sur le territoire de l'A.O.F. Pour une population totale de trois à quatre cent mille âmes, quinze mille au maximum dépendent du Terri- toire algérien. Or, combien de Français s'imaginent que les Touareg se bornent aux seuls habitants du Hoggar. L'habitat des Touareg présente une grande diversité an point de vue géographique : des massifs monta- gneux assez élevés, des plateaux, des plaines, un grand fleuve; une variété dans le climat, qui va du climat saharien au climat tropical. Ces conditions ont une influence directe sur la répartition et l'importance des groupements, leurs conditions de vie, leur orien- tation économique et indirectement, sur leur phy- sionomie sociale et politique. Au nord du 20° parallèle, c'est la zone saharienne, qui reçoit les pluies d'hiver et de printemps dues aux "perturbations sahariennes", pluies qui sont, nous l'avons vu, très inégalement réparties et irrégulières. Ces précipitations, rarement torrentielles, atteignent jusqu'à 50 et même 80 millimètres au Hoggar, et donnent parfois de la neige sur les sommets de ce massif, fait qui s'est produit en 1933. Outre ces pluies d'hiver et de printemps, il y a, entre juillet et octobre, des invasions intermittentes de la mousson tropicale, qui produisent de violents orages d'après-midi. Ces poussées de mousson peuvent al- ler jusqu'au Tademaït, mais elles ne se produisent pas tous les ans. Pendant l'été 1932, il est tombé 44 millimètres à Tamanrasset, mais, l'année suivante, il n'est tombe que 4 mm. Il y a des périodes de vingt mois sans précipitations supérieures à 5 mm. Les indigènes, qui comptent en bonnes années et en an- nées mauvaises, rapportent qu'il y a eu, au Hoggar, trente années sèches sur les quatre-vingts dernières années, et des périodes de sécheresse de cinq ans et sept ans. Il est inutile d'insister sur ce que peuvent devenir les pâturages au bout de cinq ans de séche- resse. Certaines plantes, comme le "had", peuvent reverdir quatre années de suite sans rerecevoir de pluie. Mais ensuite la plante meurt et le peuplement ne se reconstitue que lentement. Au sud du 20° parallèle, c'est la zone sahélo- saharienne soumise aux pluies annuelles et régu- lières de la mousson, de juillet à septembre. Cette zone ressemble à la zone mauritanienne de même latitude, avec toutefois l'absence des influences océaniques : "l'askaf" plante très répandue en Mauritanie, n'existe pas ici. Par contre, il est une plante abondante dans le secteur, le jirjir en arabe, allouattt en tamacheq, qui joue un rôle important, car elle pousse et fleurit en hiver, et se maintient assez tard dans la zone nord, parmi d'autres espè- ces qui constituent des pâturages verts de prin- temps. Alors que le nomade à boeufs en est déjà réduit, depuis novembre, à la paille, le chamelier peut donc s'attarder dans le nord et ses troupeaux s'engraisser jusqu'en mars,

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LES NOMADES DU SAHARA MERIDIONAL

Les Touareg

Goumier Kel Tadélé (Aïr)

Les Touareg peuplent le Sahara central,de Ghadamès, au nord, jusqu'aux marches du pays Mossi, au sud-ouest, et à la frontière de la Nigeria, au sud-est. L'énorme majorité se trouve sur le territoire de l'A.O.F. Pour une population totale de trois à quatre cent mille âmes, quinze mille au maximum dépendent du Terri-toire algérien. Or, combien de Français s'imaginent que les Touareg se bornent aux seuls habitants du Hoggar.

L'habitat des Touareg présente une grande diversité an point de vue géographique : des massifs monta-gneux assez élevés, des plateaux, des plaines, un grand fleuve; une variété dans le climat, qui va du climat saharien au climat tropical. Ces conditions ont une influence directe sur la répartition et l'importance des groupements, leurs conditions de vie, leur orien-tation économique et indirectement, sur leur phy-sionomie sociale et politique. Au nord du 20° parallèle, c'est la zone saharienne, qui reçoit les pluies d'hiver et de printemps dues aux "perturbations sahariennes", pluies qui sont, nous l'avons vu, très inégalement réparties et irrégulières. Ces précipitations, rarement torrentielles, atteignent jusqu'à 50 et même 80 millimètres au Hoggar, et donnent parfois de la neige sur les sommets de ce massif, fait qui s'est produit en 1933. Outre ces pluies d'hiver et de printemps, il y a, entre juillet et octobre, des invasions intermittentes de la mousson tropicale, qui produisent de violents orages d'après-midi. Ces poussées de mousson peuvent al-ler jusqu'au Tademaït, mais elles ne se produisent pas tous les ans. Pendant l'été 1932, il est tombé 44 millimètres à Tamanrasset, mais, l'année suivante, il n'est tombe que 4 mm. Il y a des périodes de vingt mois sans précipitations supérieures à 5 mm. Les indigènes, qui comptent en bonnes années et en an-

nées mauvaises, rapportent qu'il y a eu, au Hoggar, trente années sèches sur les quatre-vingts dernières années, et des périodes de sécheresse de cinq ans et sept ans. Il est inutile d'insister sur ce que peuvent devenir les pâturages au bout de cinq ans de séche-resse. Certaines plantes, comme le "had", peuvent reverdir quatre années de suite sans rerecevoir de pluie. Mais ensuite la plante meurt et le peuplement ne se reconstitue que lentement. Au sud du 20° parallèle, c'est la zone sahélo-saharienne soumise aux pluies annuelles et régu-lières de la mousson, de juillet à septembre. Cette zone ressemble à la zone mauritanienne de même latitude, avec toutefois l'absence des influences océaniques : "l'askaf" plante très répandue en Mauritanie, n'existe pas ici. Par contre, il est une plante abondante dans le secteur, le jirjir en arabe, allouattt en tamacheq, qui joue un rôle important, car elle pousse et fleurit en hiver, et se maintient assez tard dans la zone nord, parmi d'autres espè-ces qui constituent des pâturages verts de prin-temps. Alors que le nomade à boeufs en est déjà réduit, depuis novembre, à la paille, le chamelier peut donc s'attarder dans le nord et ses troupeaux s'engraisser jusqu'en mars,

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Les limites atteintes par la mousson et les dif-férentes espèces végétales ont de brusques décro-chages au niveau des massifs montagneux et dé-terminent des compartiments. Le principal est le compartiment Adrar des Iforas - Tamesea – Aïr, encadré par la région d'Araouan. au nord de la boucle du Niger, et le Ténéré, au nord du Tchad. Ce compartiment constitue une zone de facilités exceptionnelles pour l'élevage du chameau. Les Touareg, Ajjers, qui sont le plus au nord sont soumis au régime saharien de nomadisation, mais presque toutes leurs fractions ont tendance à tour-ner chacune autour d'un centre de culture, et les séden-taires oasiens repré-sentent le tiers de la population. Les Hoggars sont partagés entre le ré-gime saharien et le régime sahélien. Les deux tiers des Hog-gars et les trois dixièmes seulement de leurs chameaux nomadisent en zone saharienne, autour du Hoggar. Le tiers de la population no-made et les sept dixièmes des cha-meaux sont en per-ma nenc e dan s l'Adrar et le Tames-na. Il ne s'agit pas d'une transhumance entre Hoggar et Soudan, mais d'un fractionnement d'in-térêt économique, sur lequel est basée toute la vie de ces tribus et qui désor-mais, commande leur évolution politi-que. Un dixième de la population Hoggar est constitué par des noirs qui cultivent quelques coins de vallée. Les gens de l'Adrar et de l'Aïr parcourent leurs val-lées suivant un cycle annuel commandé, en partie, par la persistance des points d'eau. Ils envoient, et certains accompagnent en hiver, leurs troupeaux de chameaux au Timetrin, au Tamesna, ou en lisière du Ténéré. Certaines fractions ont de petites palme-raies et des cultures. Les tribus qui encadrent le coude Niger s'éloignent ou convergent vers le fleuve suivant un cycle annuel. Les tribus du Tamesna ou au sud du Tamesna convergent aussi, suivant un cycle annuel, vers les terres et sources salées qui bordent l'Adrar au

s u d , e t l ' A ï r a u s u d - o u e s t . Pour les Kel Gresse, établis en bordure de la zone sédentaire, toute la nomadisation se borne à cette transhumance annuelle. Enfin, certains groupes ont une tendance à l'éle-vage pur, d'autres sont orientés vers l'activité cara-vanière intégrale. La cure salée, qui se fait au début de l'hivernage, provoque une grande concentration de gens, de ten-tes et d'animaux, car tout le monde y participe. Les femmes considèrent cette purge annuelle comme indispensable à leur beauté : les gazelles y vont aussi. Les lions, eux-mêmes, suivent le mouvement

et remontent avec les troupeaux: et le gibier, qu'ils ne veulent pas abandonner dans cette circonstance.

Les massifs constituent des pôles d'attraction et de dispersion. C'est là que se réfugient les pourchas-sés, les tribus sans fortune, attirées par des pâtu-rages maigres mais presque permanents, l'eau abondante, la possibilité de se cantonner autour de quelques cultures. C'est de là aussi qu'elles sor-tent, poussées par d'autres, après une rupture d'équilibre, ou, qu'enrichies, elles suivent leurs chameaux dans les plaines.

Sahara central - Habitat des Touareg

Pôles d'attraction

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Le pays du mil, habitat des sédentaires, situé au sud du 15° parallèle, constitue aussi une zone. C'est, en tout cas, une zone dont dépendent éco-nomiquement tous les Touareg, même tes plus re-culés, à l'exception seulement d'une partie des Aj-jers, orientés vers la Tripolitaine ou la Tunisie. Enfin, les salines de Taoudéni, de l'Amadror, du Kaouar attirent chaque hiver de fortes caravanes. C'est ainsi que l'azalai d'automne 1946 a amené au Kaouar vingt mille chameaux, dont douze mille ve-nus de l'Aïr, et le reste venu du Damergou et du Pays Kel Gress. Un nombre à peu près semblable de chameaux s'est rendu ensuite au pays Haoussa et en Nigeria pour la traite des arachides.

Les passagers des cars de la ligne transsaharienne qui traversent le Tamesna, entre In Guez-zam et Agadès, voient sans cesse des chameaux disper-sés entre la piste et l'horizon : d'Agadès à Zinder, ils croisent des milliers de chameaux en caravane. Lorsqu'on a constaté cette activité plusieurs années de suite, on peut dire que le chameau n'est pas en-core mort, ni en voie de disparition dans ce secteur. Cette zone Adrar des Iforas - Tamesna - Aïr, enca-drée de massifs montagneux, eux-mêmes en-cerclés de zones très désertiques, constitue une zone refuge et un refuge riche où les tribus ont prospéré. Là, ont conflué trois courants de prove-nances diverses (berbères en majorité ou arabes) et qui ont formé les Touareg.

— un courant N.-E. - S.-O. par le Tassili des Ajjers ou le Hoggar.

— un courant d'Ouest en Est, venant de l'Iguidi ou du Hodh.

— Enfin, un courant venant du Hodh.

II y a eu des détours plus compliqués et des reflux en sens inverse, mais ces courants principaux conti-nuent sous nos yeux. Nous voyons encore des noyaux Hoggars ou Ajjers glisser vers l'Aïr, des noyaux de l'Aïr glisser vers le Damergou, des noyaux maures s'infiltrer le long du fleuve vers Gao et Ménaka, des noyaux Kountas glisser vers le Ta-mesna et l'Aïr; ce dernier courant étant le plus faible. Les nouveaux venus ne se sont pas présentés en conquérants, mais en gens demandant asile, parce qu'ils étaient peu nombreux et désemparés. Ils se sont agrégés, pendant une période de faiblesse et d'adaptation, à une tribu installée, se mettant sous sa protection. Leur choix a été guidé souvent par la parenté, mais, quelquefois aussi, dicté par la puis-sance de la tribu en place, ce qui explique le carac-tère bizarre et complexe de certains groupements. Ceci explique, aussi, que les éléments arabes ou maures se soient targuisés, au lieu de donner leur marque à la masse installée. Ils l'ont cependant islamisée et ont parfois gardé une influence reli-gieuse.

Chacun de ces noyaux allogènes a ses traits pro-pres, son attitude et son rôle particulier. Notam-ment les Kountas, berbères zénétes, non targui-sés, que nous ayons déjà vus en pays maure, et qui témoignent, par leur présence au cœur du pays touareg, de leur originalité et de leur force d'expansion. L'étude de ces migrations est trop compliquée pour être poussée plus loin. Chaque groupe sera examiné dans sa position et son état actuels, avec seulement l'indication de son origine et ses perspectives d'avenir. Pour que le cadre de notre étude soit complet il faut mentionner, au sud de la zone décrite, une bande purement soudanaise, où se trouvent réunies les conditions les plus favora-bles au développement de grandes masses de populations sédentaires noires : les "Sonraïs", "Haoussas", "Kanouris" ou pastorales rouges : les "Peulhs". Là, s'étaient depuis longtemps constitués des états solides, fortement islamisés, auxquels les Touareg ont eu affaire dans leur poussée vers le sud. L'un de ces états, le Sonraï a été disloqué, non sans laisser des traces. Des quartiers d'Agadès portent des noms sonraï, le village d'In-Gal parle encore sonraï. le langage des blancs Igdalen est émaillé de sonraï. Les Sonraï peuplent encore les rives du Niger, le long de la boucle. Le Haoussa a été fortement imprégné sans être ab-sorbé ni détruit, il s'est produit une sorte d'osmose. La race et la langue Haoussa ont été modifiées. Des Touareg, les Kel Gress et surtout les Kel Oui, se sont négrifiés en partie et sont devenus bilingues.

Facteurs ethniques et historiques du peuple-ment

Ikland ou Bellahs des Oullemeden

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Les Kanouris, au contraire, n'ont pas été entamés, et il y a là, encore aujourd'hui, une frontière. Les Peuhls enfin sont restés à l'écart, mais non sans laisser aux mains des Touareg d'admirables bergers. C'est dans les chroniques arabes des pays noirs que nous trouvons des matériaux précis sur l'histoire de cette prise de contact, qui ne fait, chez les Toua-reg, que l'objet de vagues traditions orales. Les Touareg parlent un dialecte berbère, la tama-heq ou tamacheq, qui comporte des les suivant les régions. Ils ont un système d'écriture archaïque, le tifinagh, qu'ils emploient surtout pour des inscrip-tions sur les roches, sur les objets de harnachement et pour de courtes missives. Les longs textes sont rares.

Les Touareg n'ont pas la tente en poils de cha-meaux qui, de l'Arabie à la Mauritanie, caractérise les campements des nomades. C'est que leurs fem-mes ne savent ni filer, ni tisser, mais elles savent tanner les peaux et tresser des nattes de fibres. Aussi trouve-t-on chez les Touareg deux types de tente : la tente en peaux et la tente en nattes. La première est en usage chez les Ajjers, les Hoggars et les Oullemeden. la seconde dans les autres tribus ; mais leurs aires d'emploi se pénètrent d'une façon assez confuse. La tente de nattes a un passé très ancien, et l'Afrique Nomade ne connaissait sans doute pas autre chose avant l'arrivée des Arabes. C'est l 'ant ique "Mapalia" des Numides. Tite-Live la compare à une barque renversée, et on ne peut pas mieux la décrire. La carcasse est faite de fines nervures, (lattes de palmiers ou longues racines d'acacias), auxquelles sont cousues des nattes légè-res. L'ensemble à une forme ovoïde et résiste au vent, comme la barque résiste à la mer. Sous cette tente est mon-té un lit. Il est t'ait de barres de bois léger, sur les-quelles sont étendues des nattes de paille et de cuir, solides et élastiques. Il fait assez frais dans ces demeures, car l'air circule à travers le toit, et la brise, s'il y en a, se glisse au ras du sol. Autour de la tente, on garde les chamelons, les chevreaux. les jeunes veaux, qui ne suivent pas les troupeaux au pâturage, et ne retrouvent que le soir le pis de leurs mères. Le retour des bêtes laitières, peu après la tombée de la nuit, est le moment le plus animé de la vie des campements. C'est l'heure du repas principal, et c'est l'heure du lait.

Les Touareg ont une nourriture plus substantielle que les Maures, ils consomment davantage de grain et leurs femmes font des fromages, qu'on mange frais ou secs et qu'on emporte en voyage. La vie des campements, chez les Touareg, en de-hors des périodes de disette, et les campements maraboutiques mis à part, est gaie, animée, et quelque peu cérémonieuse. Les hommes surtout accordent beaucoup au décorum et à la vanité. Ils dépensent le plus clair de leur argent en vêtements, armes, selles rutilantes et objets de harnachement que les artisans et les femmes ornent avec un goût très sur. Ils aiment la musique, la poésie, l'amour. La réunion du soir, " l'ahal " satisfait ces goûts. Autour d'une femme, belle et savante, la jeunesse vient des cam-pements voisins et se groupe ; on joue de " l'amzad", on improvise des poèmes, ou bien on chante des vers déjà célèbres. Ces poésies sont guerrières, ga-lantes ou satiriques, et parfois très osées. Jeunes gens et jeunes femmes, serrés dans l'ombre autour de la chanteuse, profitent quelque peu de l'obscurité, sans aller au delà de certaines limites. Pour le spectateur étranger, auquel les jeux de

main ne sont pas permis, ces réu-nions paraissent terriblement lon-gues et ennuyeuses. Ennuyeuses, aussi, malgré l'éclat des parures, les fêtes de jour, où les hommes vont et viennent sur leurs chameaux, tournent, se croisent interminablement, au bruit cadencé d'un "tebel" Toute la joie des exécutants est dans la satisfaction d'une vanité parfaite. Plus spectaculaire est l'escrime au sabre, assez dangereuse lors-que les combattants s'animent et que les coups, même simplement esquissés, passent au-delà des grands boucliers de peau d'oryx. Mais la vie des Touareg n'est pas faite seulement de jeux, surveiller les troupeaux, reconnaître les pâ-turages, abreuver les animaux et leur donner des soins constants et

attentifs ; toutes ces occupations absorbent l'activité de l'éleveur. Les Touareg excellent dans ce métier et possèdent un art vétérinaire efficace. Ils dressent admirable-ment leurs chameaux et conduisent ce dressage en douceur. Leurs montures obéissent avec docilité et précision et, en général, ne crient pas, comme le font les chameaux dressés par des méthodes bruta-les. Ce sont aussi, d'excellents convoyeurs et carava-niers, et certains sont des guides remarquables.

Habitat et Moeurs

La Mosquée d’Agadès

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Cette vie exige des qualités d'endurance, de sobrié-té, de sang-froid qui, jointes au caractère aimable et aux façons courtoises des Touareg, en font des hommes sympathiques. Sous ces apparences sé-duisantes, se cache une intelligence souple et sub-tile, et des réserves insondables d'orgueil, de ruse et de dissimulation, qui s'allient, chez eux, d'une façon étrange, à une naïveté de primitifs.

Un exposé rapide d'une question aussi complexe est forcément une trahison. Les rapports sociaux que nous allons essayer de schématiser ne sont ni sim-ples ni uniformes. Il faut donc se tenir en garde contre une généralisation excessive. Il faut éviter de chercher une analogie entre la hiérarchie des Touareg et celle des Maures, aussi bien qu'entre leur état social et notre féodalité. Car les mêmes expressions que nous sommes obligés d'employer correspondent à des faits différents. Les Touareg se nomment eux-mêmes: les "Imajeren", mais ce terme ne définit pas seulement un ensem-ble, il désigne aussi la classe sociale dirigeante. Ils savent qu'ils ne sont ni arabes, ni noirs, mais si on demande à un individu ce qu'il est, il répondra par le nom de sa tribu ou celui de sa classe sociale : "amajer", "imrad", "aneslem", "enad"... (C'est-à-dire à peu près : noble, sujet, clerc, artisan...). Ce sont là les termes qui désignent les différentes classes. Ils correspondent suivant les régions et les cas particuliers à des états sociaux assez va-riables : les "Imajeren", ce qui ne signifie pas exac-tement nobles, ni forcément guerriers, mais indique seulement une certaine pureté de race, une aristo-cratie de sang et une supériorité de fait. Etymologi-quement ce terme désignerait les gens parlant la "Tamaheq", dialecte berbère aux variétés nombreu-ses. Les imrad sont des tribus sans bonne origine ou

en posture d'infériorité politique. Ils paient la "tioussé" aux Imajeren. Mais ils n'ont pas le même caractère que les tributaires de Mauritanie. Ils oc-cupent un rang un peu plus élevé, forment des tri-bus, participent à la vie politique et aux expédi-tions. Occupé surtout par l'élevage et les caravanes, l'imrad doit faire participer l'arnajer à son profit, lui "faire goûter un peu de ce qu'il a". La "tioussé",

calculée par tète, par charge de chameau, par récolte, est très variable et payée globalement. Il s'y ajoute parfois des servitu-des individuelles. Ce tribut peut se réduire à un verse-ment symbolique ou ne pas exister du tout. Les "Imrad" sont parfois de purs berbères, parfois ils sont mêlés de sang arabe ou noir. Certains ne sont Imrad que parce qu'en arrivant dans leur habitat actuel ils ont dû accepter la vassalité, ou bien, ils sont dits "Imrad", quoique vivant librement, parce qu'ils l'étaient déjà dans leur région d'origine.

Une fraction "Imajeren" peut tomber dans la caté-gorie des "Imrad" si elle se mésallie, ou si elle ac-cepte une vassalité.

Les Ineslimen sont des tribus à caractère reIi-gieux. Généralement ils ne portent pas les armes. Ils sont en état d'infériorité politique vis-à-vis des "Imajeren". Chez certains la différence est d'origine ethnique. Notamment parmi les Touareg: de l'Ouest, où les "Ineslimen" paraissent provenir des Sanhadjas voi-lés, refoulés de Mauritanie par les "Hassanes". Ils ne jouent pas normalement, en pays Touareg, le rôle important des marabouts en Mauritanie, rôle que nous leur avons trop souvent attribué. Ils sont parfois, cependant, des directeurs de conscience,

Agadès

Structure sociale

Au marché de Fort-Lamy

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, des conseillers qui n'interviennent dans les affai-res temporelles que s'ils sont pris comme arbitres. D'autres "Ineslimen" sont des "Imajeren" ou des "Imrad", qui se sont consacrés motifs divers aux choses religieuses. Ils restent "Imajeren" ou "Imrad". Les Itagen ou étrangers sont traités en hommes libres et forment des noyaux dans les tribus ou des fractions séparées. Ce sont des tribus vaincues par les armes ; ou des descendants de gens amenés en captivité. Les Inadan, ou forgerons sont mêlés aux fractions. Ils sont parfois très nombreux dans une même fraction. Les Irrawellen, étrangers noirs ou affranchis sont mêlés aux autres fractions ou constitués en frac-tions. Les Iklan sont les serviteurs noirs, ou esclaves de tente. Les Iklan taoussit ou Iklan n'egif ou Bellahs noirs de tribu, vivent librement, et parfois, forment des frac-tions de bergers.

L'appartenance d'un enfant à telle ou telle condition sociale lui est donnée uniquement par sa mère, quel que soit son père. C'est "le ventre qui donne la no-blesse". L'appartenance à telle ou telle fraction est également donnée par la mère. On voit que seule la femme transmet "le sang". Les descendants d'une même femme forment une fraction ou "taoussit" ré-union de gens de même sang et de même condition sociale. Mais si la femme transmet le sang, c'est néanmoins l'homme qui détient le pouvoir politique, et le chef de la fraction est le descendant le plus noble, c'est-à-dire le plus direct, par la voie utérine, de la "femme ancêtre". C'est l'amghar, "l'ancien" qui dans la tribu d'Imajeren détient le "tebel", ou tambour de commandement(1).

Sous ce "tebel" se groupent une ou plusieurs frac-tions d' "imajeren", des fractions d' "imrad", d' "ineslimen", d' "itagen", d' "irrawellen", et quelquefois d' "iklan". Parfois, il se forme de plus vastes confé-dérations, lorsque plusieurs tribus éprouvent un sentiment collectif, généralement à l'occasion de guerres contre un ennemi commun, ou lorsqu'une tribu très forte impose aux autres son influence. L'institution dure quelque temps, puis se produisent des scissions, et, parfois, le titre d'aménokal, chef suprême de la confédération, reste dans une famille sans que l'autorité réelle subsiste. La confédération ou "aghref" n'a aucun caractère obligatoire, et des tribus vivent indépendantes en dehors de toute confédération. La fonction d'amé-nokal est en principe héréditaire, généralement par voie matrilinéaire, parfois par voie patrilinéaire, mais l'aménokal est cependant choisi, proclamé par les "anciens" des tribus, réunis en assemblée ou "ameni". Les "ineslimen" et les "imrad" y sont repré-sentés auprès des "imajeren" et ont, au moins, voix

consultative. Leur choix se porte sur le plus capable parmi les concurrents, qui sont, dans l'or-dre de préférence, les frères utérins du dé-funt, ensuite les fi ls de ses tantes mater-nelles, et enfin le f i ls de l'aînée des sœurs utérines... Chez les Touareg nigériens, Oullemeden et Iforas, le fils du défunt est à égalité de droits avec les autres préten-dants. Ce compromis est une consé-quence de l'islamisation plus profonde de ces Touareg occidentaux, Touareg des plaines. L'aménokal est chargé de la direction gé-nérale des affaires, des relations extérieu-res, de la défense, de la conduite de la guerre. Son autorité, sans être systémati-quement combattue, est toujours contre-balancée par les nobles qui se considèrent comme ses égaux. Il peut être déposé par les "anciens" ou par l'insurrection des tribus. Dans chaque fraction, les décisions

importantes sont prises par l'assemblée et non par "amghar", qui fait surtout figure de représentant et d'organisateur. Les Touareg de l'Aïr, désireux d'avoir une autorité supérieure pour les arbitrer, ont exigé de leur amé-nokal, le sultan d'Agadès, qu'il n'épouse que des captives. Ils redoutent qu'un enfant né d'une "Targuia" ne vienne à régner et n'avantage la tribu de sa mère. Aussi la famille des Sultans est-elle complètement négrifiée et fournit-elle des chefs de cantons au pays haoussa, jusqu'en Nigeria. Les Touareg pensent que, si l'un des leurs prenait quelque influence politique, par exemple à l'occa-sion des réformes récentes, il ne songerait pas à représenter l'ensemble des Touareg, mais ne s'oc-cuperait que de faire le plus de mal possible aux ennemis de sa tribu, et à ses ennemis personnels.

Goumier en tenue de service

———— (1) le terme de "Cheikh" est réservé aux chefs religieux.

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"II passerait sur les tribus comme une flamme" di-sent-ils. Ils évoquent à ce sujet le souvenir de Kao-çen. revenu dans son pays pour faire l'union des musulmans, et chasser les infidèles, et qui fut dis-trait de sa tâche par des opérations de pillage qui portèrent un grand préjudice à la cause de la ré-volte(1).

Nous avons vu que la confédération n'était pas la règle absolue, et, dans plusieurs régions, les tribus forment des systèmes politiques organisés différem-ment. Parfois même, ce n'est qu'une juxtaposition de tribus ou de fractions diverses. Pour avoir une vue de l'état politique des Touareg, il faut donc exa-miner séparément chaque groupement. 1° LES AJJERS Sont les plus septentrionaux et restent un peu ex-centriques. Ils sont d'origines très diverses. La fraction dominante au point de vue politique — par le nombre de ses imrads — est celle des Orag-hen originaires du golfe de Syrte, où ils sont men-tionnés dès avant le XIe siècle, sous le nom d'Awrigha. Peut-être même les auteurs de l'antiquité les ont-ils désignés sous le nom d'Afri, qui se serait ensuite étendu à tout le continent. Les Imanan. qui ont fourni pendant deux cents ans l'aménokal de la confédération, à l'époque où les Hoggars en faisaient partie, sont une noblesse reli-gieuse, chorfa du Maroc, passés par l'Adrar des Ifo-ras. Les Iforas sont des marabouts venus à la suite des Imanan de la Région d'Es Souk dans l'Adrar des Ifo-ras. Ils se disent descendants des chorfas idrissiyin du Maroc, mais cela n'est pas toujours admis par les autres Touareg, qui considèrent leur origine comme énigmatique. Leur nom est reconnaissable dans les Iforaces cités au VIe siècle par l'évêque africain Corippus. Ils sont probablement d'origine Sanhadja et ont fourni des "ineslimen" à tous les pays Touareg. Les Imanghassaten sont des imajeren, d'origine arabe d'après certains, ayant précédé les Oraghen, vaincus par eux et dépouillés, mais non asservis. Les Imrad des tribus ajjers sont soit d'origine locale, soit venus du Hoggar ou du Tafilalet. Certains sont bilingues (arabe et tamacheq). La confédération n'est pas très nombreuse: 4.500 à 5.000 personnes dont plus de la moitié sur le Terri-toire du Fezzan et une forte proportion de sédentai-res. Elle n'est pas non plus très riche. Ennemie des Hoggars. elle a subi l'influence arabe, turque, sé-noussiste. Elle est nettement tournée vers Ghada-mès et le Fezzan. Les fractions méridionales vivent dans des conditions économiques très précaires, et certains éléments glissent vers l'Aïr.

2° LES HOGGARS OU IHAGARREN. Les Kel Rela fournissent l'aménckal et ont ras-semblé par force et diplomatie presque tous les imrads. Les Téguélé Mellen n'ont presque pas d'imrads. Ils formaient autrefois un "tebel" distinct. Les Taïtoq nomadisaient dans l'Ahanet au début du siècle. Ils sont actuellement près d'In Gal. Des-cendants (comme les deux autres tribus) de Tin Hinan, la Zénète, dont les restes sont aujourd'hui dans un musée d'Alger, ils ont été éliminés par les Kel Réla. Réduits à quatre cents personnes, ils sont, depuis 1946. rattachés au cercle d'Agadès. mesure qu'ils réclamaient depuis quelques années. Ils doivent leur défaite à des combats malheureux contre les Kel Réla au XIX° siècle, et, en 1906, à l'échec d'une expédition sur la Séguiet el Hamra, où ils eurent quarante tués ou morts de soif. Enfin, ils eurent le tort, en 1917, de prendre part ouverte-ment à la révolte et de s'attarder dans l'insoumis-sion. Ces humiliations n'ont pas abattu leur su-perbe, et ils ne supportent pas d'être traités sur un autre pied que les Kel Réla, ce qui a finalement, déterminé leur exode. Un groupe de six riches tribus imrads, appartenant aux Kel Réla et Taïtoq, se trouvaient déjà au XIX° siècle et sont installés parmi les gens de l'Aïr ouest. Elles dépendent directement du cercle d'Agadès depuis la convention de Niamey, en 1909, et sont indépendantes entre elles. Comme il a été dit au début, les Kel Réla et leurs Imrads sont installés, partie en Algérie, et partie en A.O.F. La plus grande partie des troupeaux se trouve dans la région d'In Abangarit, une autre par-tie à cheval sur la subdivision de Kidal et la Région de Tin Zaouaten. Deux de leurs riches tribus imrads, les "Irreguenaten" et "Ibotnaten" sont en-tièrement en A.O.F. et ne vont jamais au Hoggar. L'aménokal a un "Khalifa" auprès du Commandant de Cercle d'Agadès. Les Hoggars jouissent d'un régime privilégié en A.O.F. Ils sont exempts de tous droits de douane pour leur trafic coutumier. Ils paient une taxe de pa-cage globale et forfaitaire au Niger, et un impôt symbolique en Algérie. Ils sont environ 9.000 dont 2.000 cultivateurs et possèdent environ 12.000 cha-meaux dont 8 à 9.000 sont en permanence en A.O.F. Leur économie est florissante du fait de l'exploita-tion des salines de l'Amadror et de leur commerce avec la Nigeria. Ils exportent annuellement 300 à 400 tonnes de sel vers le Haoussa, soit pour une valeur de 6 à 8 millions. lls échangent une partie du sel contre du mil au taux de : une charge de sel pour six charges de mil. En 1945, le taux d'échange a été de 1 contre 15. Le sel de l'Amadror est très apprécié en Nigéria du Nord.

———— (1) Révolte senoussiste de 1917.

Groupements régionaux

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Les relations économiques avec le Tidikelt se bor-nent à l'échange annuel de 30 tonnes de blé prove-nant de leurs jardins contre une quantité équiva-lente de dattes. N'était la pauvreté de leur pays, qui les contraint à un exil partiel, ils seraient les plus heureux des nomades, car ils vivent en sécurité, loin de toute tracasserie administrative et loin de leur aménokal. Une colonie arabe d'un millier d'in-dividus s'est formée à Tamanrasset depuis l'oc-cupation. Elle exerce une certaine influence sur les Hoggars qui, par ailleurs, sont encore sous l'obédience religieuse des Kountas de l'Adrar. Tou-tefois, leur arabisation s'est beaucoup accélérée. Un grand nombre sont bilingues, et on remarque, chez les jeunes, une tendance à porter le voile à la mode arabe — ce qui est un signe fatal. 3° LES IFORAS DE L'ADRAR L'Adrar des Iforas est le berceau des Touareg nigé-riens, tour à tour pôle d'attraction et de dispersion, il a été un lieu de passage, de heurts et de compéti-tions, dont témoignent les ruines d'Essouk, l'an-cienne cité berbère appelée "Tadmekkat". Là, les Sonraï et les Berbères Sanhadja. Lemta, Hoouara se sont rencontrés vers le VIIIe siècle, et les alterna-tives de succès et de revers se sont poursuivies, jusqu'au jour où l'Empire Sonraï s'est écroulé de-vant l'expédition marocaine du Pacha Djooder. De cette histoire tourmentée surnage, sur place, un agrégat confus de fractions diverses: et, dispersés vers Tombouctou dans la boucle du Niger, aux Aj-jers, en Aïr, et jusqu'au Damergou. des groupes plus ou noms importants de "Kel Essouk" de "Kel Tadmekket", " d'Iforas" d' "Ichcherifen", issus de l'Adrar. Très anciennement convertis, ils sont un peu partout responsables de l'islamisation des autres Touareg. Il ne reste en Adrar qu'un nombre minime "d'Imajeren". La plupart des tribus furent "Imrad" des "Oullemeden" à l'époque du grand aménokal Kari-Denna. au XVII° siècle. Certains le restèrent jusqu'à notre arrivée. D'autres se mirent sous la su-zeraineté des Hoggars. Les Hoggars. considérant les Iforas comme leurs "imrads", ayant leurs chapelains Kountas en Adrar, et ayant besoin des pâturages du nord du l'Adrar. pous-sèrent à la pénétratîon saharienne dans ce sens. Ce qui explique la profonde indentation de la frontière algérienne qui descend, à cet endroit, jusqu'au pa-rallèle de Tin Zaouoaten.

Nous avons établi en Adrar des Iforas un chef gé-néral, qui n'est pas à proprement parler un "aménokal", mais plutôt un "chef de province". D'ori-gine maraboutique, ce chef a réussi à s'imposer. Mais c'est là un système artificiel basé sur la va-leur personnelle de ce chef et qui ne pourra peut-être pas survivre à sa disparition. 4° LES OULLEMEDEN (OU lOULLEMEDEN) Les Oullemeden sont sortis d'une scission dans les tribus de l'Adrar, à la mort d'un grand aménokel Alad, qui régna au XVIe siècle. Alad avait donné sa fille ou sa sœur à un étranger de l'Ouest "Mohamed oua nara", arabe ou maure. A la mort d'Alad, Mo-

hamed et ses fils n'acceptèrent pas la succession au "Tebel" par voie matrilinéaire, et se séparèrent avec leurs partisans du reste de la tribu. Le fi ls de Mohamed prit la tête de la nouvelle tribu sous le nom de "Our Illemed", "il ne cède pas",et les siens furent nommés loullemeden" (étymologie en contra-diction avec celle que nous avons donnée plus haut et qui fait des Oullemeden les descendants des berbères Lemta). Ils adoptent dès lors la suc-cession patrilinéaire et le petit-fils de Our Illemed, Kari Denna, devient Aménokal de 1690 à 1715. Les Oullemeden, sous son commandement, vain-cront les Tribus de l'Adrar, celles du fleuve, et ils joueront un rôle dans l'histoire de la région de Tombouctou, alors sous l'autorité des pachas ma-rocains. Une scission s'est produite, vers 1800, et un parti mené par les Kel Nan, et comprenant des tribus nobles avec leurs imrads, et des tribus marabouti-ques se sont installés dans l'Azaouak. Ce sont les Oullemeden de l'Est, actuellement au nombre de 43.000. La révolte de 1917 a été fatale à ces der-niers. De la famille de l'Aménokal de l'est il n'est resté qu'un enfant, aujourd'hui adulte, mais sans commandement. La fonction n'a pas été rétablie. La confédération dissoute de l'est a été divisée en sept groupes : quatre "d'Imajeren" avec "Imrad" corres-pondants, deux de maraboutiques qui se sont attri-bués des "Imrad", ef; un groupe d'Arabes. Les Ara-bes, répartis en quatre fractions, sont environ 3.500 et sont en majorité des chameliers du Ta-mesna. La structure, de l'ensemble est assez simple ; mais les maraboutiqres ont pris une influence excessive dans ce système. Ces "Ineslimen" forment une socié-té fermée, profondément xénophobe, d'esprit étroit, d'observation religieuse scrupuleuse. Ils cloîtrent complètement leurs femmes, qui ont la réputation de ne pas même sortir de la tente pour satisfaire leurs besoins naturels, et qui ne circulent à l'extérieur qu'en s'enveloppant d'une natte. Jamais de réjouis-sances dans leurs campements. Ils ne font pas le pèlerinage, car ils sont casaniers. Ils ont un goût du lucre prononcé, qui les pousse à pressurer les po-pulations naïves qui les entourent, Les Oullemeden de l'est font de l'élevage pur de cha-melles et de chameaux de selle, et ne sont pas cara-vaniers. Les Oullemeden de l'Ouest ont également beaucoup souffert. Révoltes en 1916, ils ont été écrasés à la mare d'Andéranboukane par le peloton de Chaam-bas du capitaine de la Roche et un détachement de tirailleurs, mais, surtout, par les cavaliers auxiliaires de Filingué, qui ont enlevé le bétail. Il subsiste envi-ron cinq cents familles "imajeren" qui souffrent d'une grande pauvreté Leur fortune consistait dans la do-mination de bellahs noirs, très riches en troupeaux. Ces bellahs, formés en tribus prolifiques, ont pris leur indépendance. Ils la poussent actuellement très loin, même vis-à-vis de l'administration, et tendent vers l'anarchie. Bons éleveurs, ils n'ont aucune ten-dance à se fixer au sol.

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Chez les imajeren, les jeunes gens nobles se ma-rient tard, ou ne se marient pas du tout. Les femmes, atteintes d'obésité précoce par le gavage du lait, pa-raissent frappées de stérilité et les naissances sont rares. Ce goût des Touareg pour les femmes obèses est très répandu et les femmes de haute lignée re-cherchent la ligne..., aux environs de 150 kilos. Enfin, l'aménokal est aux prises avec les intrigues sans cesse renaissantes de son entourage, dont certains membres ont été envoyés périodiquement en exil. Ils sont courageux, très forts dans l'escrime au sabre. L'ins-truction coranique est, chez eux, tournée en ridicule. On se moque, dans les chansons, de ceux qui "non seulement font le pèlerinage, mais le renou-vellent". Cependant, ils sont très crédules et les tournées de quêtes des marabouts sont toujours très fructueuses chez eux. La caste des Imajeren, actuel-lement fort malheureuse chez les Oullemeden de l'Ouest, paraît condamnée, si nous ne parvenons pas à l'intéresser, à la soutenir et à la faire évoluer favorablement. Une branche des Oullemeden de l'Ouest a franchi le fleuve au XIXe siècle, appelée par les Sonraïs pour combattre les Peulhs. Elle a également élimi-né les Sonraïs et s'est établie dans le Gourma. 5° LES TOUAREG DE LA BOUCLE DU NIGER Les Touareg de la Boucle ne forment pas de confé-dération. Il y a juxtaposition de tribus de rangs et d'origines diverses. Sur la rive gauche, au nord du fleuve, les Kel Antessar considérés comme imrads, seraient des Maures targuisés. Ils voisinent avec les Berabich. Certains individus provenant de mariages mixtes sont assez indécis sur leur appartenance. D'autre part, les Kel Araouan, qui seraient d'anciens Touareg, ont pris ou repris la langue et les mœurs des Maures. Sur la rive droite se trouvent les Toua-reg du Gourma, devenus cavaliers et bouviers. Ils élèvent cependant quelques piètres chameaux qui ont le mérite de résister à la trypanosomiase, mais ne sont guère utilisés sur l'autre rive, car, sensibles au froid, délicats, ils ne peuvent participer à l'azalaï de Taoudéni. Parmi ces tribus se trouvent des "Imajeren" qui ont conservé tous les caractères d'une race pure. L'en-semble est assez turbulent et n'est pas très en main. Ils ont été mis tour à tour sous l'autorité de Gao ou de Tombouctou, sans que le résultat soit meilleur. Quelques tribus Touareg sont au contact

des Maures dans la région de Goundam et du lac Faguibine. C'est là l'extrême pointe ouest de leurs établissements. Englobés parmi les Touareg, se trouvent les Koun-tas, originaires du Touat; ils se sont divisés en deux branches dont l'une s'est installée en Mauritanie et

l'autre a poussé jusqu'à la région de Bourem. Tantôt guerriers, tantôt marabouts, toujours bons éleveurs, très homogènes, alliant le goût de l'étude à un sens politique dévelop-pé, CG sont souvent des gens d'une grande sagesse et d'une réelle largeur de vue, mais qui n'oublient pas pour cela leur intérêt. Des fractions se sont ins-tallées un peu partout chez les Touareg, notamment dans l'Adrar des Iforas chez les loullemeden de l'Ouest et de l'Est, dans le cercle d'Agadès et parmi les Hoggars. Ils ont sur les Touareg une grande influence dans un sens favorable à l'ordre et à la paix. Ils sont bilingues, mais se sont rarement tar-guisé; ils portent le cos-tume des Maures, mais leurs mœurs sont très pro-ches de celles des Toua-reg. Celte affinité explique les rapports qui se sont établis entre eux. Un des leurs, Abidine, s'est mon-

tré irréductible, mais dans l'ensemble ils ont aidé notre pénétration en pays Touareg. 6° LES TOUAREG DE L'AÏR, DU DAMERGOU ET LES KEL GRESS Partagés administrativement. très différents les uns des autres, peu homogènes, et ne formant pas une confédération; on peut cependant consi-dérer comme un tout : les Touareg de l'Aïr, ceux du Damergou et les Kel Gress. Ce qu'ils ont en commun, c'est leur histoire. Les Touareg du nord de l'Air représentent ce que fu-rent les Kel Gress. il y a quelques siècles ; les Kel Gress représentait ce que peuvent devenir, dans un avenir plus ou moins lointain, les tribus arrivées derrière eux en Aïr à l'exception des Kel Oui déjà engagés dans voie différente. Une autre raison de les étudier ensemble c'est qu'il est impossible de rien comprendre à l'organi-sation politique actuelle de l'Aïr si on ne fait pas appel aux tribus qui en sont sorties, créé cette organisation, dont les rouages tournent à vide depuis qu'elles n'y sont plus.

Jeune Targuia de l’Aïr

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La plus ancienne tribu de l'Aïr est celle des Ig-dalen, Ils vivent encore près d'Agadès et parmi les tribus de Tahoua, marabouts sans armes, à la remorque d'autres tribus. Ils ont une langue spéciale où le tamacheq s'émaille de mots son-raï. Ils ont conservé un type blanc très pur. Après les " Igdalen", la première invasion blanche signalée par les chroniques est celle des "Sandals" venus au XIe siècle. Les Sandals trou-vèrent en Aïr les "Goberaouas", population noire, qui avait déjà reçu quelques injections de sang blanc. Les "Goberaouas" forment, aujourd'hui, l'un des sept Etats du Haoussa et le plus sep-tentrional. Ils gardèrent assez longtemps en Aïr deux villes : Agadès (qu'ils évacuèrent dès la f in du XV° siècle et Assodè, jusqu'en 1741, date de sa destruction par le Sultan d'Agadès. Les "Sandals" sont représentés aujourd'hui par les ltessen, les Imakitan et quelques petites fractions éparses. Les Imakitan vivent encore dans l'Aïr et dans le Koutous de Gouré. Les Itessen sont établis dans l'Ader, près de Ta-houa et en Nigéria. A l'époque des Itessen vinrent les Kel Gress. non pas d'un bloc, mais par petits paquets, entre le XIIe et le XIV° siècle. Puis, aussitôt après, à la f in du XIV° siècle, vinrent les Kel Ouey ou Kel Oui, originaires d'Aoudjila. A cette époque, il y eut sur-population en Aïr. Les tribus ne pouvaient noma-diser. Chacune se cantonnait dans une vallée. C'est pour cette raison que les tribus de l'Aïr por-tent toutes le nom d'une vallée située au bord de leur habitat actuel. La limite était matérialisée sur le terrain par des murettes, qu'on retrouve en maints endroits. L'étranger de passage n'était pas autorisé à faire paître librement ses bêtes, et était vivement poussé vers la sortie. Les arbres étaient respectés et le sont toujours, fa i t assez rare au Sahara. Cette surpopulation entraîna des luttes entre Itessen et Kel Gress. Il y eut une in-cursion des Bornouans qui parut très grave. Un arbitre devint nécessaire d'où la nomination d'un "aménokal" du "Sultan". Il y eut sans doute aussi une poussée religieuse. La fondation du Sultanat date de l'année 1405. La tra-dition de la famille des Sultans d'Agadès veut qu'une délégation des Itessen et des Kel Gress se soit ren-due à Stamboul et ait demandé au Sultan de lui four-nir un de ses fils comme arbitre. Après des péripéties savoureuses, que les diverses tribus décrivent à leur manière, le Sultan leur aurait donné le fils d'une cap-tive, qu'ils auraient triomphalement ramené en Aïr. Au bout de quelque temps le climat, notamment le vent de sable, ne lui convenant pas, ses sujets l'amenè-rent à la ville et lui construisirent un palais qui existe toujours, et dans son état combien primitif. Les Kel Gress ont quitté l'Aïr depuis 1780. Ils ont fortement évolué, mais en renforçant leur unité et en préservant leur sang et leurs coutumes. Ils fournis-sent un important contingent aux caravanes du Kaouar et à la traite des arachides. Leur transhu-

mance annuelle les amène à Agadès, chaque an-née, dans un ordre parfait, et ils tiennent à rendre visite au Sultan, en venant du Nord, pour rappeler qu'ils sont d'anciens habitants du pays. Ce sont les seuls qui se soient adaptés aux conditions nouvelles. Les Kel Oui forment la majorité dans le massif. Ce sont d'excellents éleveurs et caravaniers, ils ont, en outre, des palmeraies et des cultures, mais ils n'ont pas conservé la pureté du sang. Ayant abandonné la filiation utérine, ils ont épousé des noires, qu'ils trouvent meilleures ménagères, et se transmettent la noblesse par les hommes. A ce compte, ils sont devenus presque tous métis, tout en restant pres-que tous Imajeren, à la mode des Kel Oui. Les au-tres Touareg ne les considèrent plus comme tels. Ils sont rattachés pour la plupart à l' "Anastafidet", personnage qui est leur représentant auprès du Sultan. Autour d'Agadès se trouvaient à la fin du siècle, les Kels Ferwan, qui avaient abordé le nord de l'Aïr au XIVe siècle venant du nord-est, et dit-on, de l'Egypte. Leur "tebel"est à peu près désorganisé actuellement du fait de leur dispersion et de la faiblesse des Ima-jeren. Autour de la palmeraie d'In Galse trouvent les "Kel Fadeï" parents des "Taïtoqs" et venus du Hoggar par le nord de l'Aïr. Leur "tebel" s'est bien maintenu grâce à la personnalité de ses chefs. Le long de la lisière ouest de l'Aïr s'échelonnent des tribus blanches et chamelières Hoggars, Kel R'arous, Ikaskazan et les plus septentrionaux des Kel Ferwan: les Kel Tadelé. Ces tribus sont restées en relations suivies avec les Hoggars et Ajjers.

Gazelle de Tamesna

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Les Touareg du Damergou sont un reflet des Toua-reg de l'Aïr. Ils sont formés d'éléments détachés des mêmes tribus. Les Imouzoureg ont joué autrefois un rôle dominant parmi eux. Leur exode au Tchad, en 1902, les a ruinés matériellement et politiquement.

Les différents groupes Touareg paraissent donc sor-tis de tous les coins du Sahara, quoique de la même source profonde. Le vieux fond berbère. Ils présentent d'ailleurs une unité et une originalité in-contestable dans leurs mœurs. Le trait le plus typique et le plus connu est le port du voile de visage, le "taguelmous". Par ce voile, les Touareg connaissent une notoriété mondiale, refu-sée à des peuples plus nombreux, plus influents ou plus étranges. Il ne s'agit pas d'un simple turban, d'un chèch, enroulé d'une façon quelconque et masquant la bouche, mais d'un vêtement d'une dis-position compliquée et dont l'usage cérémonieux est plus compliqué encore. Une pièce allongée d'étoffe noire, d'un tissu spécial, déteignant fortement sur la peau, s'enroule étroitement autour du front faisant visière sur les yeux, laissant nu, le sommet de la tête. L'autre extrémité s'applique sur le visage, ca-chant les oreilles, le nez, la bouche, la barbe et le cou. Le " taguelmous" est fortement serré autour du front et à la nuque. Chaque tribu a sa mode et, suivant les régions, l'échafaudage est plus ou moins simple, plus ou moins élégant, plus ou moins strict. Chaque cir-constance, chaque humeur de l'individu se marque par un geste vers le voile. Si on est seul, si on est en confiance on le laisse un peu glisser, le nez se découvre. Mais qu'un vieillard ou une femme ap-proche, aussitôt on le rajuste. Si on entre dans une assemblée solennelle, les yeux apparaissent à peine, et le regard fi l tre par une fente étroite. Mais si on veut, dans le feu de la discussion, montrer qu'une chose vous prend à cœur, on relève brus-quement la visière sur le front. Il n'y a aucune ex-plication pleinement satisfaisante à cette habitude. Il faudrait en chercher la vraie raison dans un fond de croyances enfouies. Si oubliées soient-elles, aucun Touareg adulte ne peut se sentir à l'aise s'il se trouve dévoilé. Il pas-serait par un trou de souris plutôt que de se mon-trer sans voile à une femme, fût-ce la dernière des gardeuses de chèvres. La femme, au contraire, comme toute berbère no-made, a le visage nu. On s'aperçoit vite, en outre, de la place prépondérante, quoique non dirigeante, qu'elle occupe dans la famille et dans la société. On verra telle vieille et noble targuia transporter jusqu'au tribunal du Cercle, son quintal de graisse ou ses rhumatismes noueux, pour disputer aux hommes de la famille les chamelles de son douaire, on même une vieille épée ancestrale. On verra la confusion de ces hommes en présence de cette aïeule défendant la coutume, contre les

"qadis" vénaux, auxquels ils ont fai t appel. Le trait essentiel de la coutume est la filiation par voie utérine. Son domaine juridique est plus ou moins important suivant les tribus, mais on la re-trouve partout à des degrés divers, en matière de gé-néalogie, de succession politique, de condition des personnels, de propriété, d'héritages, de dona-tions, de biens inaliénables. Nous avons vu plus haut que la ligne maternelle reçoit en principe la succession politique. Dans la succession aux biens du défunt, elle ne peut pas recevoir plus du tiers de ces biens, le reste allant aux descendants directs en ligne masculine. Cette part qui revient au neveu, au f i ls de la sœur, s'appelle "ettelet", "le tiers". Elle lui est fai te du vi-vant de son oncle, ou par legs. Le but en est de maintenir une part importante des biens dans la fa-mille maternelle. En outre, la donation peut être faite aux femmes et être inaliénable. On l'appelle "Akh-eddaren" ou "al Khabous". Ce legs passe, au décès de la bénéficiaire, à la plus proche parente par les femmes. Cette institution met aux mains des femmes des biens considérables. Elle est furieusement combattue par les marabouts, car, étant inaliénables ces biens échappent à leurs prélèvements. Elle est mal défendue par notre justice qui s'y retrouve difficilement, étant conseil-lée par des assesseurs presque toujours marabou-tiques, toujours vénaux et tendancieux. Elle est souvent attaquée par quelqu'un, car ses biens sont tentants pour les hommes. Ceux-ci, beaucoup plus dépensiers, dissipés et vaniteux que les femmes, ont fréquemment de pressants besoins d'argent. Ce ne sont pas là les seules différences avec le droit coranique : la femme possède ses biens propres, même dans le ménage. Elle est seule maîtresse sous la tente, car la polygamie n'existe pas. Elle ne se marie pas sans avoir exprimé ses préférences, et. Générale-ment, elle les suit, à condition qu'il n'y ait pas mésal-liance. Elle peut demander le divorce ou la séparation de corps. Elle garde toujours ses enfants et le divorce le veuvage l'émancipent complètement. Dans le cas de mariage avec un étranger. elle est pro-tégée, en général, par un contrat spécial, qui prévoit la rupture du mariage en cas de départ du mari, et la garde des enfants à la femme quoi qu'il arrive. Ces coutumes, qui comportent des nuances d'une tribu à une autre, d'une région à l'autre, servent au maintien et à la sauvegarde de la frac-tion. Elles sont la charpente même de la société touareg. Déjà sapées par l'islamisme, elles sont aujourd'hui compromises par l'évolution rapide et incohé-rente que notre présence provoque. On voit com-bien leur disparition pourrait être néfaste à cette société. Si elles s'effaçaient, ce serait d'ailleurs pour faire place au droit coranique dans une société désor-ganisée, mais reprise en main par les marabouts et, par conséquent, s'éloigner davantage et défini-tivement de nos conceptions.

Coutumes

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L'Islamisation des Touareg est superficielle, ce qui ne veut pas dire que leur foi n'est pas profonde. Nous avons vu, déjà, que l'islam s'accommode de l'ignorance du dogme et de différences, même étendues, entre le point de fait , coutumier. et le point de droit, coranique. Mais, par secousses régulières, survenant aux épo-ques troublées, se produisent des renouveaux de ferveur religieuse et des accès de réforme. Nous en avons connus depuis notre prise de contact avec les Touareg, trois exemples : - Lors de notre avance, vers 1900, en direction du Tchad, les Touareg du Damergou et de l'Aïr. à l'appel d'un "Khouan" senoussiste, se sont exilés en masse au Kanem, et c'est là qu'ils ont mené et perdu les combats pour leur indépendance. - Pendant la guerre de 1914-1918, une flambée analogue s'est produite, donnant lieu, en 1916, à la révolte des Oullemeden; en 1917, à la révolte de l'Aïr. - Pendant la guerre de 1939 à 1945, un renou-veau semblable s'est produit, dont nous sommes sortis sans crise guerrière, mais dont les consé-quences commencent à apparaître ici et là. L'Islam interne, l'Islam proprement Touareg pro-duit peu ces effet par lui-même. Il est conserva-teur, mais réagit cependant au contact de l'Islam extérieur et de ses tendances réformatrices. Le rôle essentiel, dans ces poussées soudaines, Revient aux itinérants, aux voyageurs, aux commer-çants ou aux étrangers qui se fixent pour un temps, prennent femme et agissent autour d'eux. Ils sont venus du Tafilalet du Touat et de Libye dans le passé. Ils viennent aujourd'hui de Mauritanie, d'Afrique du nord, du Nigéria. L'Islam interne et les confrèries religieuses Cet Islam a pris sa forme touareg dans les tribus "d'lneslemen" ou maraboutiques. Un compromis s'y est établi de longue date, entre la règle coranique et la coutume touareg. Ce compromis est remis en question à chaque renouveau de ferveur religieuse et va de réforme en réforme, C'est dans ce milieu qu'on se forge le plus volontiers une généalogie arabe, voire même chérifienne. Un deuxième aspect existe dans les tribus tels les "Kountas", noyaux non assi-milés dont l'influence religieuse est grande. Ceux-là seuls sont vraiment lettrés, érudits parfois. Dans le milieu des Marabouts touareg, fort peu culti-vé, en général, au point de vue des lettres et du dogme, l'Islam des confréries fleurit facilement. La "voie" la plus ancienne est la "qadriya", venue de plu-sieurs côtés : les Kountas ont introduit la "Qadriya Bekkaya" comme ils l'ont fait en Mauritanie. La "Qadriya"est venue également de Nigeria. La "Tidjaniya" est venue de Nigeria et non d'Algérie, et à la fois par l'ouest (Sokoto) et par l'est (Bornou). La forme occidentale se rattache à celle xénophobe, que nous avons vue en Mauritanie, mais les "onze grains" n'ont pas pénétré jusque-là.

La "Senoussiya" est venue de Libye et a pris une grande importance à la f in du XIXe siècle et jusqu'à nos jours en Aïr. En Aïr. également, on trouve la "kelouatiya" venue d'Egypte et la "Chadelia" venue de Nigeria. Plus encore qu'en Mauritanie, la masse est ignorante des pratiques, des buts, des spéculations spirituel-les de la "voie" que suivent ses marabouts préfé-rés. On se met dans un sillage traditionnel sans savoir quelle route on prend. Beaucoup de Toua-reg ignorent même qu'il existe des confréries, mais ils savent que leur tribu a tel ou tel marabout parce que c'est celui-là qu'ils payent. Cet Islam interne est plutôt conservateur, mais il cherche à accroître son influence politique. Il considère que tout sera pour le mieux, pour la communauté et lui-même, lorsqu'il sera parvenu au haut de l'échelle. En attendant, il amasse des biens et groupe autour de lui les Imrad détachés de leurs Imajeren. Influences extérieures Mais les pieux marabouts souffrent d'un complexe d'ignorance et d'infériorité à l'égard de l'Islam exté-rieur, et tout étranger musulman, tant soit peu arabe, ou lettré ou mystique, leur semble admirable. On sera à ses pieds si c'est un "chérif ". Si c'est un "hadj", on ne saura que fa i re pour lui plaire.

L'Islam en pays touareg

Goumier en tenue de parade

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Ces étrangers, agents d'évolution conscients ou in-conscients, s'installent parfois dans un milieu si agréable, prennent femme, et la choisissent bien, chapitrent les gens autour d'eux, s'enrichissent de cadeaux. Ils s'arrogent finalement le droit de régler les différends, car on les estime instruits et savants, et peu à peu ils altèrent les mœurs, la coutume, l'or-ganisation sociale, s'insinuent en lieu et place des autorités naturelles. Le Touareg, pris entre sa foi et ses habitudes, ne sait plus que faire et on assiste à des explosions de ferveur. On voit des jeunes gens se raser la tête, draper leur voile à la mode arabe, jusqu'au jour où la risée des femmes et la sagesse des anciens les remet dans le droit chemin. Là encore notre action li-bérale qui a ouvert le pays, fait doubler et tr ipler les étapes à une évolution défavorable à no-tre influence.

La révolte des Touareg, de 1916 à 1918, suivant l'affreuse famine de 1913, a causé un boulever-sement catastrophique, entraînant la chute ins-tantanée de l'édifice social et la ruine du cheptel. Le redressement matériel de cette catastrophe est. un véritable miracle, aujourd'hui accompli. Les gens sont plus riches et mieux nourris, les troupeaux sont plus nombreux qu'ils n'ont jamais été. A titre d'exemple, je citerai les chiffres de re-censement du cercle d'Agadès : de 1927 à 1947, la population est passée de 27.000 à 32.000 ha-bitants ; les chameaux de 7.333 à 27.000 ; les bœufs de 2.900 à 15.000 ; les ânes de 6.000 à 18.000 ; les moutons et chèvres, de 118.000 à 150.000. Si le petit bétail n'a pas augmenté dans la même proportion, c'est parce qu'on échange le surplus pour s'habiller, qu'on le mange et qu'on l'exporte. Les caravanes battent tous les records. L'expor-tation du sel, des dattes et surtout du bétail, vers la Nigeria et la Gold Coast voit ses débouchés augmenter sans cesse du fai t de l'essor de ces pays.

Si nous nous sommes attachés au redressement de l'économie et à l'amélioration de la vie maté-rielle, nous n'avons, peut-être, pas pu agir aussi favorablement sur l'évolution sociale et politique. Cette évolution a supprimé les élites sans en créer de nouvelles. Les Touareg sont en retard sur leurs voisins sédentaires. En outre, elle tend à faire des imajeren des imrads et des bellahs une masse d'individus aso-ciaux et détribalisés, menés et aveuglés par une classe maraboutique qui se dirige en di-vers endroits vers l'arabisation et la xénopho-bie.

Il y a, à l'origine de nos difficultés dans ce do-maine, le découpage administratif, dicté par les phases de la conquête. Les Touareg sont divi-sés entre quatre territoires : Algérie, Fezzan, Soudan, Niger. Dans chacun de ces territoires, ils ne sont qu'une minorité. On les a un peu trop considérés comme une curiosité ethnographique condamnée à l'avance sans se rendre compte que, réunis, ils formaient un ensemble non né-gligeable, viable et très particulier. Heureusement, il reste dans les coutumes et dans les qualités de la race une force interne qu'il est encore possible de préserver et de con-duire.

Commandant CHAPELLE de l'Infanterie coloniale.

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VIE ECONOMIQUE

L’EVOLUTION

Paru dans la revue Tropiques n° 308 de mars 1949