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    LA CULTURE MODERNE

    L E S O R I G I N E SDU

    S E N T I M E N T R E L I G I E U X

    PAR

    MAURICE HALBWACHSPRO.FE88ER DE SOCIOLOGIE A l ' u M V E K S I T DE ST R A SB O U R G

    2 francs

    P A R I S

    ch ez D elam a in , B ou tel l eau e t C1*

    L I B R A I R I E S T O C K

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    L A C U L T U R E M O D E R N EPUBLIE SOUS LA DIRECTION DE F. FELS

    Cette collect ion d'ouvrages, conci s, viv an ts, et substa n ti els, rdi gspa r les m atr es les plu s qua li fis, t iendra l e publ ic au couran t de l' ac-ti vi tin tell ectu el le contempor ai ne, dans l e domai ne de la science, des

    art s et de la phi losophi e.

    P a r u s :

    1. Les grandes questionsbiologiques depuis Dar-win jusqu nos jourspar le Dr A n g l a s.

    2. La Psychanalyse : Thori esexuelle de Freudpar le Dr A. H esnahd.

    3. Position actuelle des pro-blmes philosophiquespar A. C resson .

    4. La Sculpture Romanepar Mlle J a i .a u er t .

    5. LArt et la Foliepar le Dr Vinhon .

    6. Le Radiumpar L a p o r t e .

    7. Toxicomani espar le Dr L o g r e .

    8. L 'Art B yzantinpar Georges D u t h u i t .

    9. LH u m an it primitivedans les Eyzies

    par C a p it a n et P e y r o n y .

    10. La Chimie modernepar H o i .i.a r d .

    11. Le F olklore

    par A. Van Gennep.

    12. Le Rve

    par P. B r u n e t .

    13. La Vie et la Mort

    par G. Bohn.

    14. Les Origines du Senti-ment Religieux

    par Maurice H a i.r v v a g h s .

    15. Les Civilisations dispa-rues (Amrique)

    nar D a r c q r t .

    Prix du volume de 128 pages : 2 francs.

    LES ORIGINES

    D U SENTI MENT WE LIG1E l X

    E L C O L E G I O DE M E X I C O

    *3 905 0142879 T*

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    TOUS DROITS DE REPRODUCTION ET

    DE TRADUCTION RSERVS POUR TOUS

    LE S P A YS .

    COPYRIGHT BY DELAMA1N, BOUTELLEAU ET Cia PARI

    19 25

    L E S O R I G I N E S D U S E N T I M E N T R E L I G I E U X

    AVANT PROPOS

    D u r kh eim , l e f on d a t eu r cl e l co l e soc i o l o-

    g i qu e f r an ai se, a p r sent dan s d i ve rseslu d es un e thor i e or i g i n a l e et pr of on d ede la r el i g i on . L e pr sen t ou v r ag e n es tqu 'u n r su m au ssi exa ct et m m e aussil i l lr a l qu e possi b l e d e ces id es qu i r eu -ren t l e u r f o r m e df i n i t i v e dan s son d er n i e r l i v r e, p a r u en 1912 : Les formes lmen-

    Ia I res de la vie religieuse. Le systme tot-mique en Australie (i). N ou s n a v o n s p o i n t l a p r ten t i on de d on n er en s i peu d espaceun ap er u de la r i ch esse et de l a m p l eu r(l ' u ne t el l e u v r e. N ous ne pou von s en t r er

    (I) Tous les passages entre guillemets dontl'nutcur nest pas indiqu sont tirs de cet oa-vi'ge.

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    6 LE S ORIGINES DO SENTIMENT RELI GIEU X

    d an s le dta i l des d i scu ssion s qu e cet tet h se a p r ovo qu es aussi b i en pa r m i l eset h n og r a ph es , don t i l a u t i l i sl es m ei l l eu r s t r a v a u x , qu e pa r m i l es h i s t o r i en s des r el i -

    g i on s et l es ph i l o soph es . M a i s i l n ous a sem -bl qu e, r d u i te l essen t i el , el l e m r it ai td tr e ds m a in ten a n t co n n u eet m d i te

    pa r un p u b l i c p l u s tend u ,N ou s a v on s l a i s s p r es que t o u j o u r s la

    pa r o l e l au t eu r l u i m m e, ce qu i n ousd i sp en ser a d e rpt er en tt e de ch a q u epa ge : D u r k h ei m a d i t . .. fi ; e t nous nen o u s ex cu ser o n s pa s d a v o i r m u l t i p l i l es c i t a t i o n s .

    Le lecteur trouvera aux indications bibliographiques la liste des livres, mmoires etarticles dont il est fait mention dans le texte.

    COMMENT PEUT-ON DFINIR

    LA RELIGION ?

    L explication que les philosophes duxvni0 sicle donnrent des croyances reli*pieuses nous parat aujourdhui assezsuperficielle. Pariant du principe ; i s fec i tc u i p r o de s t , ils disaient que la caste desprtres, gens astucieux, avides dargent etd'autorit, les avaient forges de toutes pices. Les prtres fourbes auraient exploit lacrdulit des fidles. Ne soyons pas trop svres, vis--vis des Voltaire, des Diderot, descucyelopdisles. La sience historiquenexistait pas encore de leur temps. Ils ont

    fait ce quils ont pu por soulever le voile.

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    8 LES ORIGINES DU SENTIMENT RELIGIEUX

    si longtemps, et possde encore aujourdhuiune telle vil alit. I l faut, bien que les religions soient fondes dans la nature ; sansquoi elles auraient rencontr dans leschoses des rsistances dont elle n'auraientpas triomph. Certes quand on ne considre que la lettre des formules, ces cro

    yances et ces pratiques religieuses paraissent parfois dconcertantes, et on peut tretent de les attribuer une sorte daberration foncire. Mais, sous le symbole, ilfaut savoir atteindre la ralit quil figure etqui lui donne sa signification vritable. Du moment qu'une religion rpond certains besoins permanents des hommes (etil faut bien quelle y rponde, puisquon laconserve, malgr les dmentis apparentsque lui donne la ralit), on na pas ledroit de dire quelle est entirement fausse.En ce sens il y a dans toute religion, si

    grossire et barbare ou si bizarre et complique quelle nous paraisse, un lment devrit. Cest cet lment de vrit qui nousintresse. 11 faut chercher quelle fonctionutile les religions remplissent dans lasocit.

    Sans doute, il existe entre elles bien desdiffrences, qui tiennent ce quelles sesont dveloppes dans des socits plus ou

    LES ORIGINES DU SENTIMENT RELI GIEUX 9

    moins complexes : mais chacune delles estbien adapte au type de socit o elle fonctionne : si on comprenait bien quelle est lanature dune dentre elles, si simple ft-elle, on aurait chance datteindre du mmecoup ce qui est essentiel dans toute religion.Il y a dailleurs des raisons dtudier

    dabord les religions les plus simples. Enpremier lieu nous 11 e pouvons arriver comprendre les religions les plus rcentesquen suivant dans lIiisloirc la maniredont elles se sont progressivement composes. Il faut donc commencer par le com-riencement, cest--dire remon'er jusqu laforme la plus primitive et la plus simplede la religion quil nous soit donn de connatre. Certes, nous ne pourrons pas dmontrer que cette religion la plus simpleest en mme temps la forme originelle detoutes les autres. Mais nous pourrons l ad-

    meitre titre dhypothse commode etdide directrice : il nous faut bien un lilconducteur, pour nous guider travers lamultitude des faits religieux, si obscurs souvent et o se mlent tant dlments. D autre part, prcisment parce quelles sontplus simples, les institutions des socits infrieures sont plus faciles tudier. Les-.individus y jouent un rle moindre que dans

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    10 LES ORIGIMES DU SENTIMENT RELI GIEUX

    nos socits modernes. Ces groupes sont(Tailleurs peu tendus, et changent lentement. Ils ralisent une uniformit intellectuelle et morale dont nous ne trouvonsque de rares exemples dans les socits plusavances. Tout est commun tous. Lesmouvements sont strotyps ; tout le mon

    de excute les mmes dans les mmes circonstances, et ce conformisme de la conduite ne fait que traduire celui de la pense... En mme teihps que tout est uniforme, tout est simple. Rien nest fruste commeces mythes composs dun seul et mmethme qui se rpte sans fin, comme ces rites qu,i sont faits dun petit nombre de gestes rpts satit. Limagination populaire ou sacerdotale na pas encore eu le lempsni les moyens de raffiner... Laccessoire, lesecondaire, les dveloppements de luxe nesont pas encore venus cacher le principal.

    Tout y est rduit lindispensable, .cesans quoi il ne saurait y avoir de religion. On est assur ainsi datteindre chez ' eux,sous la forme la plus claire, les traitsessentiels de la religion.

    Mais une question pralable se pose.Existe-t-il rellement, dans ces socits primitives, des croyances qui mritent dtreappeles religieuses P Et que faut-il enten

    LES ORIGINES DU SEM I ME.M RELIGIEUX 11

    dre par religion? Nous sommes bien obligsde partir ici dune dfinition provisoire. Ceque. nous nous proposons, cest seulement dindiquer un certain nombre de signesextrieurs, facilement perceptibles, qui per-meltent de reconnairc les phnomnes religieux partout o ils se rencontrent, et qui

    empchent de les confondre avec dautres. Nous tcherons, cet effet, de ne pas nousen tenir aux ides que nous nous sommesfiles jusqu prsent de la religion, quisexpliquent par notre ducation, et quenous avons reues de notre milieu : nouscomparerons to-utes celles que nous pouvons connatre, religions antiques et modernes, simples et raffines : car nousnavons pas le droit dexclure les unes plutt que les autres. Et nous nous dfieronssurtout des dfinitions courantes quon endonne, qui sont presque toutes trop troites.

    Faut-il dire, comment lont admis Spencer et Max Muller, que toute religion nousmet en rapport avec un monde surnaturel ?Est-elle avant tout un effort pour atteindreet pour exprimer ce qui nous dpasse ? Ilest certain que le sentiment du mystre nestpas sans avoir jou un rle important danscertaines dentre elles, notamment dans lechristianisme. Mais dabord il nen a pas

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    12 LE S ORIGINES DU SENTIMENT REL IG IE UX

    t toujours ainsi aux diverses priodes de! liistoire chrtienne. Surtout, lide du surnaturel napparat que trs tardivementdans lhistoire des religions : elle est totalement trangre non seulement aux peuplesquon appelle primitifs, mais encore tousceux qui nont pas atteint un certain degr

    de culture intellectuelle. Cette remarqueionnera peut-tre. Les conceptions des sauvages et des hommes de lantiquit nous paraissent si tranges que nous ne pouvonscroire quelles ne leur aient point paru telles eux aussi. Mais il nen est rien. Le sauvage trouve tout naturel que l on puisse,de la voix ou du geste, commander aux lments, arrter ou prcipiter le cours desastres, susciter la pluie ou la suspendre,etc. Les rites quil emploie pour assurer lafertilit du sol ou la fcondit des espcesanimales dont ils se nourrit sont aussirationnels ses yeux que le sont aux ntrestes procds des agriculteurs et des agronomes. Les puissances quil met ainsi en jeului sont aussi familires que la pesanteuret llectricit pour les physiciens dau

    jourdhui. Au reste, pour slever lanotion du surnaturel, il fallait savoirdabord ce quest lordre naturel. Une telledistinction est toute moderne : cest une

    LE S ORIGINES DU SENTIMENT RELI GIEUX 13

    r .nqute des sciences positives. Les sauvages ignoraient ce que nous appelons la n-essit de l ordre de la nature. Cest pourquoi les interventions miraculeuses queles anciens prtaient leurs dieux ntaientpas leurs yeux des miracles au sens moderne. Ils Ven merveillaient (mirabilia,

    miracula), mais ny voyaient rien de mystrieux. Dira-t-on que si les hommes ontimagin des tres et des forces religieuses,cest pour expliquer tout ce qui leur paraisse: it inattendu, exceptionnel ou anormal ?Mais au contraire, le plus gnralement, les dieux servent beaucoup moins rendrecompte des monstruosits, des bizarreries,des anomalies, que de la marche habituellede lunivers, du mouvement des astres, durythme des saisons, de la pousse annuellede la vgtation, de la perptuit des espces, etc. Loin davoir t confins dans

    un rle ngatif de perturbateurs, , ds les

    religions les plus simples que nous connaissions, les tres sacrs ont eu pour tcheessentielle dentretenir, dune manire positive, le cours normal de la vie. Cest doncdans un petit nombre de religions avances que lide de mystre passe au premierplan : elle ne suffit pas dfinir la religionen gnral.

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    14 LES ORIGINES DU SENTIMENT RELIGIEUX

    On a dit que tout culte religieux sadresse un dieu ou des dieux. Entre l ide dedivinit et lide de religion il y aurait unrapport si troit que lon pourrait dfinir celle-ci par la croyance en des dieux, est vrai que les mes des morts, et lesesprits de loule espce et de tout rang sont

    lobjet de rites. On posera alors comme dfinition minimum de la religion la croyanceen des tres spirituels, cest--dire en dessujets conscien'.s et plus ou moins personnels, dous de pouvoirs suprieurs. Commeon ne peut agir sur de tels sujets-que par desinvocations, des prires, des offrandes,des sacrifices, on serait conduit comme Era-zer, distinguer nettement de la religiontoules les pratiques superstitieuses quoni' ncoidre chez les sauvages qui ne connaissent pas de tels rites, et ne croient pas detels tres. Toutes ces pratiques rentreraientdans la magie, et nauraient rien de religieux.

    Cependant, en dehors mme des socitsprimitives, il existe de grandes communauts certainement religieuses, et qui ne savent ce que sont des dieux ou. des esprits, Ily a des religions sans dieu : le boudhisme,par exemple. Le boudhiste.ne cherche qusvader dun monde en perptue] coul-

    LES ORIGINES DU SENTIMENT RELIGIEUX 13

    ment qui est vou la douleur, et, pour cette uvre de salut, il ne compte que sur lui-mme. Il ne prie pas des dieux, mais il ser:'plie sur lui-mme, et il mdite. Le Bou-(llia na dabord t considr que commei le iplus sage des hommes . Cest un saint,auquel on ne rend quun culte du souvenir, car, entr dans le Nirvana, a il ne peutplus rien sur la marche des vnements humains . Il en est de mme du janisme,t du brahmanisme dont l'une et lautrendigion sont drives. Dans le brahmanisme, les figures des anciens dieux s'effarent : le Brahma trne trop haut au-dessusdu monde humain pour quon y voie riend autre quun principe impersonnel et abstrait. I! y a dailleurs,-mme dans les -religions distes, bien des ri les qui sont compltement indpendants de toute ide dedieux ou dtre spirituels. i'els un grandnombre dinterdits: la bible ordonne

    ia femme de vivre isole chaque mois pendant une priode dtermine ; elle loblige un isolement analogue pendant l'accouchement ; elle dfend datteler ensemblelne,.et le cheval, de porter.un vtemento le chanvre serait ml au lin. Mais toutcela nintresse pas laveh, et. ne . sexplique pas'par la crovanc.en Iahveh. Le sa-

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    16 LES ORIGINES DU SENTIMENT RELIGIEUX

    orifice vdique est tout puissant par lui-mme et sans aucune influence divine. Bien plus, cest au sacrifice quon rapportel origine non seulement des hommes, maisdes dieux. Ainsi il y a des rites sans dieux,et il y en a mme do drivent les dieux :et il n en sont pas moins religieux. Ce nest

    point par l ide d-e dieux ou desprits quonpeut dfinir la religion.Si nous cherchons maintenant un carac

    tre qui soit commun non plus quelquesreligions, mais toutes les croyances religieuses, mme celles qui subsistent ! tat de dbris de religions disparues, et qui constituent la matire du folklore : ftes delarbre de mai, carnaval, et toutes lescroyances populaires encore vivantes dansnos populations paysannes, relatives desgnies, des dmons locaux, on trouveraceci : toutes les croyances religieuses connues... supposent une classification des choses, relles ou idales, que se reprsententleb hommes, en deux classes, en deux genres opposs, dsigns gnralement pardeux termes dislincts que traduisent assezbien les mots de p r o f a n e et de sa cr .. . Parchoses sacres il ne faut pas entendre simplement ces tres personnels que lon appelle des dieux ou des esprits ; un rocher,

    LES ORIGINES DU SENTIMENT BELIG1EUX 17

    un arbre, une sonree, un caillou, une piced bois, ne rtiaison, en un mot une chosequelconque peut tre sacre. Un rite peutavoir Ce caractre... 11 y a des mots, desparoles, des formules qui ne peuvent treprohoficeS- que par la bouche de personnages consacrs, et. qui sont sacrs. Mais enquoi les choses Sacres se distinguent-ellesd choses profanes ? Est-ce parce quellessont suprieures celles-ci, et en particulier:t l'homme, e i dignit et en pouvoir ? Mais

    il ne suffit pas quune chose soit subordonne une autre pour que la secondesu i t sacre par rapport la premire. Lesslaves dpendent de leur matre, les sujetsi. ; leur roi. les soldats de leur chef, les classes infrieures des classes dirigeantes ,rtc. Or cfe tie&t que par mtaphore quonpetit dire qUe le roi, le matre, le chef, lesliantes classes, sont sacrs aux yeux de leurs

    esclaves, de leurs sujets, et'. Bien plus,rhbrtirie n s sehi pas toujours dans unlat de dpCncfnce par rapport aux tressucrs et aux dieux eux-mmes. On bat! ftiche dont on nest pas content... Pour avoif de la pluie, on jette des pierres dansl.i sourc' ou dans le lac sacr o est censn'?Mer le dieu d la pluie. Les dieux, dail-'leurs, ont besoin de lhomme non moins que

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    lhomme, des dieux. Sans les offrandes etles sacrifices, ils mourraient. En ralit,le sacr nest pas suprieur au profane : cenest pas une diffrence de rang, mais dequalit, qui explique quon les distingue.Iis sont htrognes. Il est vrai que biendes choses sont htrognes sous certainsrapports sans quil y ait entre elles une ligne

    de dmarcation si nette. Mais lhtrog-nil dont il sagit ici a ceci de particulierquelle est absolue. 11 nexiste pas, dans,lhistoire de la pense humaine, un autreexemple de deux catgories de choses aussiprofondment diffrencies, aussi radicalement opposes... Eopposilion traditionnelleentre le bien et le mal nest rien ct decelle-l, car le bien et le mal sont deux espces-contraires d'un mme genre, savoirle moral... tandis que le sacr et le profane sont, comme des genres spars. Pourpasser dun de ces mondes lautre, il fautquun tre meure et renaisse. Les crmonies de linitiation passent pour ralisercette mort et cette renaissance, non pas enun sens symbolique, mais la lettre. Ainsisexpliquent les interdits, qui empchentquil ny ait confusion ou contact entre lesdeux genres dobjets, et obligent en toutcas des prcautions particulires quand

    LES ORIGINES DU SENTIMENT RELI GIEUX 1!)

    ou est oblig de les mettre en rapport. Leschoses sacres sont celles que les interditsprotgent et isolent ; les choses profanes,celles auxquelles ces interdits sappliquentet qui doivent rester distance des premires. On peut alors dfinir une religioncomme un ensemble solidaire de croyances et de rites relatifs des choses sacres.

    Notre dfinition nest cependant pas complte. La magie, en effet, est faite aussi decroyances et de rites. Elle a ses mythes, sesdogmes, ses crmonies, ses sacrifices, sesprires. Trs souvent les mmes tres sacrs, en particulier les mes de morts, lesdmons, sont la fois lobjet de rites religieux et de pratiques magiques. 11 y amme des divinits rgulires et officiellesqui sont invoques par le magicien. Tanttce sont les dieux dun peuple tranger ; parexemple, les magiciens grecs faisaient intervenir les dieux gyptiens, assyriens ou

    juifs. Tantt, ce sont mme des dieux nationaux : Hcate et Diane taient lobjet dunculte magique ; la Vierge, le Christ, lesSaints, ont t utiliss de la mme manirepar les magiciens chrtiens. Et pourtant la magie ne se confond pas avec la religion. Ce qui le prouve cest la rpugnancemarque de la religion pour la magie, et,

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    2 0 LES ORIGINES DU SENTIMENT RELIGIEUX

    en retour, l'hostilit de la seconde pour la[remire. Le magicien sattache profaner les choses saintes. Il prend souvent lecontre-pied des crmonies religieuses. Parexemple on profane lhostie dans la messenoire. On tourne le dos lautel en commenant par la gauche au lieu de commencer par la droite . Comme lont montrMM. Hubert et Mauss, il y a, dans lesprocds du magicien, quelque chose defoncirement antireligieux .

    Comment distinguer lune de l autre, lamagie et la religion ? Remarquons que nous ne rencontrons pas dans lhistoire dereligion sans Eglise. Tanlt lEglise esttroitement nationale, tantt elle stend pardel les frontires ; tantt elle comprendun peuple tout entier (Rome, Athnes, lepeuple hbreu), tantt, elle nen comprendquune fraction (les socits chrtiennes depuis lavnement du protestantisme) ; tan

    tt elle est dirige par un corps de pr'tres ,el tantt elle na pas de chefs. Mais partouto nous observons une vie religieuse, ellestend tout un groupe dfini. Il en est demme des cultes privs, culte de la famille,ou de la corporation, qui dailleurs ne reprsentent que des formes spciales dunereligion plus gnrale, comme autant de

    LES ORIGINES DU SENTIMENT RELIGIEUX ?! j

    chapelles dune Eglise plus vaste. Au contraire les croyances magiques, bien quellessoient rpandues dans de larges couches depopulation, nont plus pour effet de lierles uns aux autres les hommes qui y adhrent, et de les unir en un mme groupe...If nexiste pas dEglise magique... Le magi

    cien a une clientle, non une Eglise, et sesc'ients ipuvent trs bien... s'ignorer les unsles autres. Si parfois les magiciens serunissent, sil y a, par exemple, des assembles de sorcires, en gnral le magicien est plutt un isol : loin de chercherla socit, il la fuit. Mais, surtout, dans cesassembles nenlrent que les magiciens, etnon ceux au profil de qui ils oprent. Aucontraire, une Eglise ne comprend pas seulement des prtres, mais embrasse aussidans son sein tous les fidles. Il ny a donc(as d'Eglisc dans la magie.

    Nous arrivons ainsi dfinir la religion :un systme solidaire de croyances et pra-litiucs relatives des choses sacres, cest- dire spares; interdites, croyances et pratiques qui unissent en une mme communaut morale, appele Eglise, tous ceuxqui y adhrent.

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    EXISTE-T-IL DES RELIGIONS

    ELEMENTAIRES ?

    LANIMISME ET LE NATURISME

    Parmi toutes les religions connues, enexiste-t-il qui puissent tre dites lmentaires en ce sens quelles1 nen supposeraient point dautres, plus simples, do elles seraient drives ? Ce nest pas l unproblme nouveau. On se lest pos dassezbonne heure. Et on en a cherch la solutiondans deux directions diffrentes'. On aremarqu, en effet, que, dans presquetous les systmes religieux, anciens et rcents, on peut distinguer deux religions,

    associes et parfois fondues l une danslautre, et qui sont cependant bien diffrentes. L une sadresse aux choses de lant'lure, soit aux grandes forces cosmiques,comme les vents, les fleuves, les astres,le ciel, elc., soit aux objets de toute sortequi pei7|plent la surface de la terre, plantes, animaux, rochers, etc. ; on lui donnepour celle raison le nom de n a t u r i sm e .

    LE S ORIGINE S DU SENTIMENT RELIGIE UX 23

    L autre a pour objet les tres spirituels,les esprits, mes, gnies, dmons, divinits proprement dites, agents anims etconscients comme l homme , mais qui disposent dautres pouvoirs que lui, et qui, enparticulier, chappent dordinaire ses senset sa vue. On appelle a n i m i s m e celte

    religion des esprits . Or, pour expliquerque ces deux sortes de culte coexistent, ona soutenu deux thories diffrentes : pour les uns, lanimisme serait la religion primitive et la religion de la nature en serait-drive ; pour. les autres, cest le culte dela nature qui se manifesta dabord, et qui produisit le culte des esprits. Voyons ceque valent ces deux explications.

    Dans la thorie animiste, on montredabord comment sest constitue l idedme, chez des hommes qui navaient encore aucune croyance religieuse. L ide

    dme une fois explique, on en dduit loutela religion. Cest ce point de vue que sesont placs Tylor et Spencer. I ls sont partisdune illusion dont les primitifs seraientvictimes, l occasion de leurs rves. Le sauvage confond le rve avec la ralit. Quanddonc il rve quil a visit un pays loign,ii croit sy tre rellement rendu. Mais ilne peut y tre all que sil existe deux tres

    2S5841

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    24 LE S ORIGINES DU SENTIMENT RELI GIEU X

    en lui : l un, son corps, qui est rest couchsur le sol et quil retrouve au rveil dansla mme position ; lautre qui, pendant lemme temps, sest m travers lespace .Quand il rve quil converse avec un de ses.compagnons retenu au loin, il supposeaussi que ce dernier est compos de deuxtres., dont, lun est rest tendu, l. o il

    dormait, tandis que l'autre est venu sa,rencontre. Do nat l ide dun double,dun autre nous-mme, qui peut, dans certaine? circonstances, se dgager cl sloigner de nous temporairement. Ce doublereproduit notre image. Mais il est, plus mobile que notre c-orps, puisquil peut parcourir en un instant de vastes distances. Ilest plus mallable, plus plastique ; car,pour sortir du corps, il faut quil puissepasser par les orifices de lorganisme, le nezet la bouche notamment. On se le. reprsente donc comme fait de matire, sansdoute, mais dune matire beaucoup plussubtile et plus th.rce que toutes celles quenous connaissons... Ce double, cestl'me . En effet, pour beaucoup de primitifs, lame n'est quune image du corps,tt il parat assez naturel quon confondece double arec lme,, puisquon croit quilsloigne pendant l sommeil, et que, pen

    LES ORIGINES DU SENTIMENT RELIGIEUX 2 S

    dant le sommeil galement, la vie et lapense - paraissent suspendues.

    Mais pour que l'me devienne lobjetd'un culte, il faut, quelle se transforme enesprit. C'est ce qui se produit quand lhouj-ine meurt. La mort ressemble au sommeil en ce que lme est sipare du corps. Maisla sparation, cette fois, est dfinitive.

    (< Voici donc des esprits dtachs de toutorganisme, et lchs en libert traverslespace... Ces mes dhommes ont des besoins et des passions dhommes ; ellescherchent donc se mler la vie de leurscompagnons d'hier, soit pour les aider,soit pour leur nuire, selon les sentimentsquelles ont gards pour eux . Or, ellespeuvent faire beaucoup de bien ou beaucoup de mal. quelles pntrent dans lescorps pour y produire toute espce de dsordre, ou pour les fcrlilicr. Cest ellesquon attribue les maladies, et aussi ces

    tals d'inspiration qui lvent l'homme audessus de lui-mme. On cherche alors

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    26 LES ORIGINES DU SENTIMENT REL IGIE UX

    un esprit et presque une divinit, cest auxmorts, aux mes des anctres que se seraitadress le premier culte quait connu lhumanit. Ainsi les premiers rites auraientt des rites mortuaires ; les premiers sacrifices auraient t des offrandes alimentairesdestines satisfaire aux besoins des d

    funts ; les premiers autels auraient t destombeaux .Il reste expliquer comment on ima

    gina dautres esprits prposs aux diversphnomnes naturels, comment, ctdu culte des anctres se constitua un cultede la nature . On en a rendu compte dedeux faons diffrentes. D aprs Tylor, leprimitif est port, comme lenfant, confondre lanim et linanim. Du momentquils croient que lhomme est un corpsdou dun esprit, ils admettent que les choses aussi ont des esprits. De l vint lidedesprits cosmiques, qui rsident dans leschoses, et. produisent tout ce qui sy passe,marche des cours deau et des astres, vgtation, etc. L homme dpend de ces esprits, puisquil dpend des choses. Cestpourquoi il leur rend un culte. Spencerpense, au contraire, que lhomme primitif,de mme que les animaux suprieurs, saitdistinguer les tres anims des choses non

    LES ORIGINES DU SENTIMENT RELI GIEUX 27

    vivantes. Daprs lui, une autre confusionexplique quon soit pass du culte des esprits au culte de la nature. Dans beaucoup de tribus primitives on donne auxindividus les noms de certains objets na-lurels, animaux, plantes, astres, etc. Pluslard on a oubli que ces noms n taient

    que des mtaphores, on a cru que les anctres taient rellement des animaux, des[liantes, des astres, et cest pourquoi on arendu ces tres et ces objets le mmeculte quaux anctres eux-mmes. Ainsiserait ne la religion de la nature. Explication sans grande valeur, car tousles souvenirs personnels laisss par lanctre dans la mmoire* des hommes rendaient difficile une telle confusion. C omment les primitifs eux-mmes eussent-ilsadmis, sans autre raison que ces noms,que des hommes aient pu natre d'unemontagne ou dun astre, dun animal oud'une planle ? Tenons-nous en donc lathorie de Tylor, dont, l autorit est toujours trs grande , et examinons-en lesdiffrentes parties.

    Faut-il croire que le rve a donn auxhommes l ide quil existait en chacundeux un double qui peut sloigner ducorps et y retourner ? Mais ntait-il pas

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    28 LES OrtIGINES DU. SEXTIMENT RELIGIEUX

    possible dexpliquer autrement et d'une-faon plus simple les illusions du rve * Pourquoi par exemple le dormeur n aurait-il pas imagin que, pendant son sommeil, il tait capable de voir distance ?Pour sattribuer un tel pouvoir, il fallait-de moindres frais dimagination que pour

    construire cette notion si complexe dundouble, fait dune substance thre, demi invisible, et dont lexprience directenoffrait aucun exemple . Au> reste, comment et-on expliqu de celte manire-ies rves o intervenaient les parents,.lescompagnons du dormeur, comme si leursdoubles taient venus la rencontre duntre ? Il les ainterrogs au rveil, et ils-lui ont dit quils ont eu, au mme momentque lui, des rves lout diffrents,, quils,ont visit dautres lieux, ou dautres personnes. Comme cest bien ce qui a d seproduire le plus gnralement, comment

    aurait-il rig en rgle les cas exceptionnels. o il ne se manifestait pas de tellescontradictions ? Cest faire le primitifbeaucoup trop crdule. Il nest pas vident d ailleurs, que le primiti f ait cherch expliquer, le problme du rve. Nous-{passons sans cesse ct de problmes quenous ne nous posons pas, que nous ne

    LES RIGIXES DU SENTIMENT RELI GIEU X 2!

    souponnons mme pas.!. Surtout quandil sagit d faits qui se reproduisent toujours de la m'.me manire, l 'accoutumanceendort aisment la curiosit, et nous nesongeons mme plus nous interroger...(iette paresse intellectuelle est ncessairement son maximum chez le primitif,a Le rve tient 1res peu de place dans notre\ ie. Ou nen garde que des impressionsvagues, et qui seffacent trs vite. Comment le sauvage aurait-il dpens tantd'efforts pour en trouver une explication ?.( Des deux existences quil mne successivement, l existence diurne et lexistencenocturne, cesi la premire qui devait l'intresser le plus )). Comment aurit-il faitde la seconde, cest--dire du rve, la basede toutes ses croyances durant la veille ?11 est iprobable, au contraire, que cest aunom de ses croyances de la veille, croyances religieuses prexistantes, que les pr i

    mitifs ont interprt ainsi certains de leursrves, ceux o ils croyaient entrer eir rapports avec des tres religieux, gnies bienfaisants ou malins, mes des trpasss, etc.it Seulement, ces rves ntaient possiblesque 'l o lon avait dj lide d'esprits,il mes, de pay des morts, cest--dire lo lvolution religieuse tait relativement-

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    30 LE S ORIGINES DU SENTIMENT RELI GIEUX

    avance. Ce ne sont donc pas ces rves qui expliquent la religion, puisquils la supposent (i).

    Comment, dautre part, la mort poss-derait-elle la vertu de faire passer l medans la catgorie des- tres sacrs, et de latransformer en esprit ? L ame-double eneffet nest quune chose profane, un prin

    cipe vital ambulant , Mais la mort nelui ajoute rien dessentiel, sauf une plusgrande libert de mouvements . Plus redoutable peut-tre, lme dtache dfinitivement du corps nen xeste pas moinsprofane. Au reste, les primiti fs croientque lme participe troitement de la viedu corps. Elle vieillit, elle saffaiblit enmme temps que lui. En fait, il est despeuples o l on ne rend pas de devoirsfunraires aux hommes qui sont arrivs la snilit ; on les traite comme si leurme, elle aussi, tait devenue snile. Il

    arrive mme quon mette rgulirement mort, avant quils ne soient parvenus la

    (1) Une tude de linterprtation des rvesdans dautres socits plus ou moins c< primitives nous a conduits aux mmes conclusions.Voir la rfrence aux Indications bibliographiques.

    LES ORIGINES DU SENTIMENT RELI GIEU X 3 i

    vieillesse, les personnages privilgis, roisou prtres, qui passent pour tre les dtenteurs de quelque puissant esprit dont lasocit tient conserver la protection.On suppose donc que cet esprit souffriraitde la dcrpitude physique de ceux qui lecontiennent en eux. Loin de renforcerlme, la mort devrait laffaiblir. Elle ne

    peut expliquer en tout cas que lme changede nature, car il y a une diffrence denature entre le sacr et le profane. Il nesuffit pas que les mes des morts soient plusredoutables ; car la crainte que le fidleprouve pour les choses quil adore estune crainte s u i g e ne r i s , faite de respect[dus que de frayeur, et o domine cettemotion bien particulire quinspire lhomme l a m a j es t. Or il ne suffit pasque les mes soient dsincarnes pourquelles acquirent ce caractre. Les Mlansiens, par exemple, ne rendent pas unculle aux mes de tous les morts, mais deceux-l seuls qui, de leur vivant, passaientdj pour sacrs, prtres, sorciers, chefs,etc. Quant aux autres mes, elles sont, ditCodrington, it des riens aprs comme avantia mort . Ainsi, ce nest pas la mort qui donne certaines mes le caractre sacrfpuisquelles le possdaient durant la vie;-.

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    32 LES ORIGINES DU SENTIMENT RELIGIEUX

    Mais, surtout, si le culte des anctres est'origine de tous les autres, il devrait tenirla place principale dans le culte religieuxdes primitifs. Or, au contraire, le culteancestral ne plend de dveloppement ijued-ans des socits avances comme la ChiVie,l'E gypte, les citcs grecques et latines ; au

    contraire il manque aux socits austra-li-emes , les plus simples-que nous con^naissions. On trouve bien chez eux desrites funraires et des rites de deuil. Maisun culte est un systme de rites q u i r ev i e n- n en t pr i o d i q u em en t . Il n v a culte desanctres que quand des sacrifices sont faitsde temps en temps sur les tombeaux, quanddes libatiotls y sont verses des datesplus on moins rapproches, quand tesftes sont rgulirement clbres en l honneur du mort. Mars lAustralie nentretientavec ses morts aucun commerce de cegenre . Si certaines tribus australiennesclbrent priodiquement des rites en lhonneur danctres fabuleux, il sagit toujoursde personnages qui passent pour avoirpossd, de leur vivant, des pouvoirssurhumains. Ce nest point parce quilssont simplement des anctres, cest parcequon les a regards presque comme desdieux tout le temps, et mme pendant leur

    LE S ORIGINES DU SENTIMENT RELIGIE UX 33

    vie, quon leur rend un culte. L Australienne soccupe des morts quau moment oils meurent et pendant les jours ou lessemaines qui viennent ensuite. De cesquelques rites ne peuvent tre sortis lescultes permanents et priodiques qui remplissent toute une grande partie de son exis-Icnce.

    Est-ce enfin parce que les primitifs confondaient lanim et linanim quils ontntlribu des esprits aux choses de la nature,astres, plantes, etc. ? On sappuie sur cescas o les enfants traitent une table o il&

    sont heurts comme un tre vivant, oublient que leur poupe est une simple poupe, etc. Mais il y a l plutt un jeu del'imagination quune illusion relle. Tenons-nous en donc aux croyances primitives.

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    34 LES ORIGINES DU SENTIMENT RELI GIEUX

    telle pierre dans la pierre qui lui tient lieudhabitat principal. D aprs Codrington, enMlansia, l'esprit de la mer, de la tempteou de la foret nest point pour elles ce questlme pour le corps. Les indignes pensentseulement que lesprit frquente la forteu la mer et quil a le pouvoir de soulever des temptes et de frapper de. maladie les i

    voyageurs . L esprit est donc le plus sou- Ivent hors de lobjet auquel on le rapporte. Si cest bien dailleurs son me ou son

    esprit que lhomme a ainsi projet dans les |choses, on pourrait sattendre ce quilet conu les premiers tres sacrs saressemblance. Or, il. nen est rien. L an- ,Ihropomorphisme nest pas primitif : ilijapparatt que dans des civilisations assezavances. En Australie, ci des animaux etdes plantes sont au premier plan des choses sacres. Mme chez les Indiens de .lAmrique du Nord, les grandes divinitscosmiques, qui commencent y tre lobjetdun culte, sont trs souvent reprsentessous des espces animales.., Pour trouverun die:; colisiruit tout entier avec des lment humains, il faut venir presque jusquau christianisme... Mme Rome et enGrce, quoique les dieux y fussent gnralement reprsents avec des traits humains,

    LES ORIGINES DU SENTIMENT RELI GIEUX 3 5

    plusieurs personnages mythiques portaientencore la trace dune origine animale :cest Dionysos que lon rencontre souventsous la forme dun taureau ou du moinsavec des cornes de taureau ; cest D ru terqui est reprsente avec une crinire decheval, cest Pan, ccst Silne, ce sont lesFaunes, etc. . Loin davoir impos sa

    forme aux chose;, aux animaux et auxplantes, lhomme a, cru dabord quil avaitpour knctres des btes ou dos plantes. Leculte de la nature ne drive donc pas duculte de lme et des esprits.

    Mais la principale objection que nousadressons lanimisme, cest quil faitdriver toute la religion des illusions durve, et ny voit quune vaste aberration,et comme un dlire systmatis. Or,

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    36 LES ORIGINES DU SENTIMENT RELIGIEU X

    elles pu natre dun simple dlire ? La religion doit correspondre quelque ralitnaturelle.

    Lcole naturiste, au contraire, a cherch dans la nature, et dans les premiresides que les hommes sen sont faites, l origine des croyances religieuses. Lhommeaurait saisi Dieu dans les choses. 11 nv au

    rait rien de plus solidement fond dans laralit que la religion, puisquelle est neen nous de '-a contemplation du mondeextrieur.

    Lorsquon dcouvrit les Vdas, cest--dire un des plus anciens textes (crits dontnous disposions dans une langue indo-eu-ropenrie, et quon se mit les tudier,on remarqua que les dieux y sont dsignspar des noms communs encore en usage,ou qui lont ! autrefois : or, ces nomssont ceux des principaux phnomnes naturels. Par exemple, Agni, nom dune

    principale divinit de lInde, signifie lefeu (comme le latin : ignis). Le mot sanscrit Dyaus, parent du Zeus grec, du J ovislatin, signifie le ciel brillant. 11 sembledonc que chez ces peuples les corps et lesforces de la nature furent les premiersobjets auxquels se prit le sentiment religieux . Max Muller, qui est le principal

    LE S ORIGINES DU SENTIMENT REL IGIE UX 37

    reprsentant de cette cole, a cru quil enavait t partout de mme.

    Au premier regard que les hommesjetrent sur le monde, dit Mai Muller,rien ne leur parut moins naturel que lanature. La nature tait pour eux la grandesurprise, la grande terreur ; ctait une

    merveille et un miracle permanent... Cestce vaste domaine ouvert aux sentiments desurprise et. de crainte, cest cette merveille,re miracle, cet immense inconnu oppos ce qui est connu... qui donna la premireimpulsion la pense religieuse et au langage religieux.

    Ainsi, la sensation dun infini qui ledpasse, ne au contact des forces naturelles, serait au point de dpart de la religion.Mais l homme a cherch comprendre cesforces, et comme 011 ne peut penser sansparler, il les a dsignes par des noms. Seu

    lement, les mots dont il se servait alors,et dont, il subsiste des vestiges dans lesracines des langues indo-europennes, dsignaient surtout les principaux modesdaction de lhomme : laction de frapper,de pousser, de frotter, etc. Cest pourquoiI on dsigna les principales forces de lanature par celles de leurs manifestationqui ressemblaient le plus des actions hu-

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    rnaines : la foudre fut appele qu el q u e chosequi creuse le sol en tombant ou qui rpandl'incendie, le vent que l que chose qui gmitou qui souffle, le soleil que l que chose quilance travers l espace des flches dores,la rivire qu el q u e ch o se qui court, etc. .Do une srie de mtaphores qui furentpeu peu prises la lettre. Le langage neput sappliquer la nature sans la transfigurer. Derrire le monde matriel on sereprsenta ds lors tout un monde fictifdtres spirituels crs de toutes pices. Amesure que la mythologie vint doter chaquedieu dune biographie de plus en plus tendue et complexe, les personnalits divines,dabord confondues avec les choses, achevrent de sen distinguer et de se dterminer .

    Admettons les . postulats linguistiquestrs discutables sur lesquels repose cette

    thorie. Ce que lon comprend mal, cestque, si les hommes ont invent la religionpour rendre compte des phnomnes de lanature, ils naient pas reconnu la longuequils staient tromps. Maladie de la pense, dlire verbal, dit Max Muller. Sereprsenter le dieu suprme comme coupable de tous les crimes, tromp par deshommes, brouill avec sa femme et bat-

    LES ORIGINES D SBNTIMENT RELI GIEUX 39

    lant ses enfants, cest srement un symptme de condition anormale ou maladie dela pense, disons mieux, de folie bien earac-Ii-rise. . Mais une erreur de ce genre, quine peut offrir aucune utilit, qui nentraneque des mprises pratiques, nest pas via

    ble. Si lon attendait de la religion quellenous expliqut lunivers, et nous aidt lirer parti des forces de la nature, commentne se serait-on pas aperu, puisquelle taitfausse, quelle ne nous clairait en rien ?

    Mais dailleurs est il vraisemblable queces croyances soient comme une ractionnaturelle de lhomme en prsence de la merveille du monde ? Ce qui carat-Icrise la vie de la nature, cest une rgularit- qui va jusqu la monotonie. Tous lesmatins, le soleil monte l horizon, tous lesoirs il se couche ; tous les mois, la lune

    accomplit le mme cycle ; le fleuve coule

    dune manire ininterrompue dans son lit ;les mmes saisons ramnent priodiquement les mmes sensations... Normalement,le cours de la nature est uniforme, et l'uniformit ne saurait produire de fortes motions . Ladmiration des grandes forcesnaturelles, et mme le sentiment de l'infini, ne .suffit pas, pour que nous ayonslide de choses sacres et quun abme

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    40 LE . ORIGINES DU SENTIMENT RELI GIEUX

    spare du monde profane. Or, sam^ lanotion du sacr, il ny a pas de Teligion.Faut-il croire dailleurs que le primitif sesent cras par les forces de la nature ?Loin de croire quelles soient ce pointsuprieures aux siennes, il sattribue surles choses un empire quil na pas , mais

    dont lillusion l'empche de se sentirdomin par elles . Enfin, les grandes forces cosmiques, le soleil, la lune, les montagnes, la mer, etc., nont t divinisesque tardivement. Les premiers tres auxquels sest adress le culte... sont dhum-hles vgtaux ou des animaux vis--vis desquels l'homme se trouvait, pour le moins,sur un pied dgalit : cest le canard, lelivre, le kangourou, l'mou, le lzard, lachenille, la grenouille, etc. .

    Concluons : pas plus que lanimisme, lenaturisme ne russit expliquer comment

    est ne la religion. Ni les illusions du rve,ni l'exprience de la mort, ni le spectaclede la nature et les bizarres imaginationqu'il aurait suscites chez les premiershommes, nont pu produire la notion desacr sans laquelle il nest point de religion. Il est exact que les rves, la mort,la nature, donnent lieu des croyances reli

    LE S ORIGINES DU SENTIMENT REL IG IEU X 4 i

    gieuses chez les peuples primitifs ; mais ilest probable que la pense religieuse sestapplique ces faits et ces objets comme beaucoup dautres, quelle les a entransdans son courant, mais quil faut chercherailleurs sa source.

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    LES CROYANCES TOTM1QUES

    EN AUSTRALIE

    Des recherches poursuivies mthodiquement par les ethnographes en Amrique eten Australie, dans Jes cinquante derniresannes, en particulier par Mac Lennan,Frazer, Spencer et Gillcn, Strehlow, ont misen lumire lexistence et prcis de mieuxen mieux les caractres dun culte et enmme temps de toute une organisationsociale trs primitive, quon dsigne dunom de totmisme. On en trouve des traceset des vestiges en beaucoup dendroits, mais

    cest chez les peaux-rouges dAmrique etchez les aborignes de lAustralie centrale,quil se prsente sous la forme la plus nette,et quil conserve le plus de vitalit. Seulement, tandis que le totmisme amricainest dj assez volu et parat presque dpass, en Australie il parat plus rapproch de ses origines. Les socits australiennes sont, en effet, les plus simples (et, en

    i

    LES ORIGINES EU SENTIMENT REL IGIE UX 43

    ce sens, les plus primitives) quil nous soitpossible datteindre. Non seulement leurtechnique est trs rudimentaire la maison et mme la hutte y sont encore ignores, mais leur organisation, base declan, est toile quon nen peut imaginer deplus rudimentaire. C'est l que commence

    la vie sociale, et, sans doute, aussi la religion.

    Certains auteurs, il est vrai, ont soutenuqu e. la civilisation australienne, si grossire qu!elle nous part, ntait pas la plussimple quon pt concevoir, quen faiton trouve ailleurs des peuplades qui ontmieux conserv quelle les traits des soci-ls vraiment primitives. Le Pre W.Schmidt, le plus rudit dfenseur de cettethse, a oppos cet gard aux Australiensles Pygmes : on dsigne de ce nom despopulations trs petites, presque naines,

    quon trouve parses aux Philippines, danscertaines les de lIndonsie, Malacca, auxAndamans, peut-tre Ceylan, dans lafort tropicale et guinenne en Afrique. Cequi caractriserait ces peuplades, ce serait une absence peu prs complte de touteorganisation stable et dfinie. Aucune autorit tablie. Chaque adulte vit avec safemme et ses enfants, et, entre ces petits

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    44 LES ORIGINES DU SENTIMENT RELI GIEUX

    groupes familiaux, aucun lien permanent,mai seulement des rapprochements temporaires dus aux circonstances. Cest ainsi,daprs le Pre Schmidt, quil faudrait imaginer lhumanit primitive. Or, dans ceshordes, dans ces sortes de troupeaux humains, la place des croyances totmiques

    rpandues chez les Australiens on trouveraitles vestiges d'une religion et dune moraletrs pure : ces peuples auraient l ide dundieu unique, de la cration, dune me spare du corps, etc. Puisquils, sont vraimentprimitifs, il faudrait admettre que les autres socits, qui ont d leur ressembler lorigine, ont perdu peu peu le souvenirde cette religion et de cette morale (sansdoute rvles). Les tribus australiennes,loin dtre primitives, reprsenteraient simplement des tribus dgnres et moralement ou intellectuellement appauvries. Il

    serait donc contraire toute mthode dechercher en elles lorigine de la religion.A quoi lon peut rpondre dabord que,

    tandis que, sur les aborignes dAustralie,nous possdons des observations de premier ordre, abondantes et prcises, qui seconfirment bien quelles aient t faites pardes auteurs diffrents, au contraire nousconnaissons trs mal les Pygmes. Comme

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    la dit M. Mauss (i). te nous navons sureux que dassez pauvres documents. LesAndamnes seuls font exception et...ISrown et Man (qui les ont le mieux tudis) en donnent une ide trs diffrentede celle que le Pre Schmidt voudrait noussuggrer. Quant aux autres, nous en savonspeu de chose. Ce sont de pauvres tribus

    dcimes, refoules dans la l'ort ou le dsert, et dont les dialectes sont parents deceux que parlent les socits les plus avances qui les entourent. Il ny a rien, l,qui permette de reconstruire la phase initiale de lhumanit .

    Au reste, comme la dit Durkheim (2)l indis que les Australiens reprsentent letype de socit le plus simple, des hordesde ce genre nont aucun des attributs distinctifs des socits humaines. Ce quicaractrise ces socits, cest lexistencedune c i v i l i s a t i o n ; or, comment une civi

    lisation serait elle possible dans un amasaussi instable dindividus, sans entente,sans mise en commun de tous les efforts,sans une organisation qui permette laccumulation des rsultats auxquels [parvient

    (1) Anne Sociologique, Tome XII, p . G9.(2) l b i d . , p. 52-53.

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    4 3 LES ORIGINES DU SENTIMENT RELTGirUX

    chaque gnration... ? ...Comme l hommenest homme que sil vit en socit, cest--dire sil participe une civilisation grossire ou leve, il nimporte - on peut sedemander si les tres qui composaient ces.prtendues hordes taient vraiment humains . Enfin, l apologtique est unechose, la science des religions en est une

    autre. Si l on est convaincu que Dieu acr lhomme et lui a rvl en mmetemps la vnye religion, il sera toujourspossible de considrer les tribus sauvages,chez lesquelles on ne trouvera aucunetrace dune telle rvlation comme des soci-*ts qui ont perdu la foi : mais on napporteaucun argument de fait' qui pei'inettedtablir quelles lont jamais possde.

    Deux traits essentiels caractrisent le clantotmique en Australie. En premier lieu, les individus qui le composent seconsidrent comme unis par un lien de

    parent, mais qui est dune nature tou le

    spciale. Cette parent ne vient pas de cequils soutiennent les uns avec les autres?des relations dfinies de consanguinit : ilssont parents par cela seul quils portent unmme nom . Lidentit du nom suffit pourquils se reconnaissent les uns envers lesautres des devoirs identiques ceux quon

    LES ORIGINES DU SENTIMENT REL IGIE UX 47

    ri toujours imposs aux parents : devoirsd'assistance, de vendetta, de deuil, obligation de ne pas se marier entre eux, etc. .Ce qui distingue, dautre part, le clan deli gens romaine ou du yvcn grec (dontles membres portent aussi le mme nom)," cest que le nom quil porte est aussitelui dune espce dtermine de choses

    matrielles, avec laquelle il crot soulenir des rapports 1res particuliers , et, notamment, des rapports de parent. Ces chosesmatrielles, ces totems, sont le plus souvent des vgtaux et des animaux, beaucoup plus rarement des choses inanimes.

    Comment sacquiert le nom totmique ?Dans le plus grand nombre des tribus, par!:i naissance : lenfant a pour totem celuide sa mre, a Dans ce cas, comme, en\ ertu de la rgle exogamrque [qui interditaux membres dun mme clan de semarier entre eux], la mre est obligatoirement dun autre totem que son mari,et comme, dautre par t;, elle vit dans ,1alocalit de ce dernier, les membres dunmme totem sont ncessairement disperssentre des localits diffrentes suivant lesl.asards des mariages qui se contractent.Il en rsulte cjue le groupe totmique manque de base lcrritorialc. Ailleurs, lenfant

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    48 LES ORIGINES DU SENTIMENT RELIGIEU X

    a le mme totem que le pre. Comme l enfant demeure auprs de son pre, le groupelocal comprend surtout des gens qui appartiennent au mme totem, lexception desfemmes maries qui possdent des totemstrangers. Ici, on peut dire que chaquelocalit a son totem. Enfin, dans dautrescas encore, le totem nest ni celui du pre,

    ni celui de la mre cest le totem de lanctre mythique, qui passe pour tre venufconder mystiquement la mre au moment de la conception. Une techniquedtermine permet de reconnatre quel estcet anctre et quel groupe il appartient .

    Des clans on distingue les phratries,qui sont des groupes de clans. 11 y en adeux par tribus, (t Or , dans presque tousles cas o les phratries portent un nomdont le sens a pu tre tabli, ce nom setrouve tre celui dun animal . Il y au

    rait donc des totems de phratries. Cestquen effet la phratrie semble ntre quunancien clan qui sest dmembr : les clansactuels seraient le produit de ce dmembrement, et la solidarit qui les unit, un souvenir de leur primitive unit . On leconstate surtout en Amrique, o lorganisation totmique, qui y existe depuis

    LE S ORIGINES DU SENTIMENT' RELI GIEUX 4

    plus longtemps quen Australie, y est aussiplus stable. Ainsi sexplique que le systme archaque des phratries ait pu symaintenir avec plus de nettet et de relief.En Amrique, la distance morale quispare les clans est peu de chose ct decelle qui spare les phratries. Le nom quechacune delles porte... est un totem danstoute la force du ternie .

    Le totem nest pas seulement un nom ;cest un emblme, un vritable blason,dont les analogies avec le blason hraldique ont t souvent remarques. Cest uncusson, une marque, un dessin que chaque personne porte comme signe de lafamille dont elle fait partie. Chez les Indiensde lAmrique du Nord, qui ont dveloppla technique du dessin, de la gravure, dela sculpture, on peint les totems sur lesboucliers, ou sur des morceaux dcoreetenus au bout dune perche et qui servent

    denseignes. Le totem est peint sur la tente,ou, lorsque la socit est devenue sdentaire, sur les murs de la maison, et parfoissur des poteaux qui slvent cl de laporte dentre, sur les canots, sur les ustensiles, sur les monuments funraires. EnAustralie, ces reprsentations totmiquessont plus rares. Cependant on en trouve

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    50 LES ORIGINES DU SENTIMENT RELIGIEU X

    des exemples : parfois, ct de lendroito on enterre les ossements du mort, unefigure reprsentant le totem est trace surle sol, ou bien le corps est plac dansune pice de bois creuse qui est galementdcore de dessins caractristiques dutotem . Sur les boucliers, sur les- ustensiles et sur les rochers, certains Australiens

    dessinent des figures du mme genre. Bienplus, on les retrouve sur le corps des hommes. Les indignes reproduisent leur blasonnon seulement sur les objets quils possdent, mais sur leur personne : il est empreint dans leur chair, il fait partie deux-mmes, et cest mme ce mode de reprsentation qui est, de beaucoup, le plus important . En gnral les membres dechaque clan cherchent se donner laspectextrieur de leur totem... A certaines ftesreligieuses, le personnage qui est prpos la direction de la crmonie porte un

    vtement qui reprsente, en totalit ou enpartie, le corps de lanimal dont le clanporte le nom . Des masques, des plumes,quand le totem est un oiseau, servent aumme objet. Chaque clan a sa coiffure : Dans le clan de la tortue, par exemple,les cheveux sont rass, sauf six boucles,deux de chaque ct de la tte, une devant

    LES ORIGINES DU SENTIMENT RELI GIEUX 5 i

    et une derrire, de faon imiter les pattes,la tte et la queue de lanimal . Il est probable que certains tatouages et certaines mutilations auxquels sont soumis les indignes,lendent leur donner l aspect du totem.Par exemple, dans le clan de la pluie etde leau chez les Arunta, on arrache au

    jeune homme les deux dents suprieures l'poque de la pubert : daprs la tradition, on sefforce ainsi de rendre les physionomies semblables certains nuagesnoirs, avec des bords clairs, qui passentpour annoncer larrive prochaine de lapluie . En tout cas, lors des crmoniesreligieuses, ceux qui officient, et mme lesspectateurs, portent sur le corps des dessins lotmiques. Un des rites principaux de linitiation, celui qui fait entrerle jeune homme dans la vie religieuse dela tribu, consiste prcisment lui peindre sur le corps le symbole totmique .

    On peut prvoir ds lors que le lotemn est pas seulement un nom, mais aussi unemblme religieux. E n effet, il e'st letype mme des choses sacres . I l n estpas sans intrt dexaminer de ce point devue les instruments dont les Australiens seservent dans leurs rites. Les c h u r i n g a sont des morceaux de pierre polie ou des pi

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    o2 LES ORIGINES DU SENTIMENT REL IG IEUX

    ces de bois, de formes trs varies, mais,gnralement ovales ou allonges. Chaquegroupe totmique en possde une collection plus ou moins importante. Or, surchacun dcux se trouve grav un dessin quireprsente le totem de ce mme groupe .:Ces churinga comptent parmi les choses

    les plus minemment sacres. Il nen est,mme aucune qui les dpasse en dignitreligieuse. ...Aussi les profanes, c est--direles femmes et les jeunes gens non encoreinitis , ne peuvent ni les toucher, nimme les voir, sauf dans de rares circonstances o il leur es permis de les regarder de loin. On les conserve pieusement dansde petits souterrains dont l entre est soi-igneusement dissimule, et qui sont des lieuxconsacrs : les.femmcs et les non initis-;ne peuvent en approcher . Il en est de;mme de la rgion environnante. Un hom

    me poursuivi par un autre et qui sy rfu-:gic, est en sret. Les querelles y sont interdites. Gest un lieu dasile.

    Le churinga a toutes sortes de proprits]merveilleuses. Il gurit les blessures et le simaladies. . Il confre dimportants pou-,voirs sur lespce totmique dont il assurela reproduction normale. Il donne auxhommes force, courage, persvrance, -d-;

    LES ORIGINES DU SENTIMENT REL IGIE UX . 53

    prime au contraire et affaiblit es ennemis . Le sort du clan dpend de ccs objets.I.e plus grand malheur le menace si on lesperd. Quand on les prte un groupel 'iranger cest un vritable deuil public .Chacun ne peut s.en servir quavec leconsentement et sous la direction du chef.

    Cest un trsor collectif, cest larche saintedu clan . Or les churingas sont desobjets qui ne se distinguent des autres queparce quils portent sur eux c< grave oudessine , la marque tolmique. Cestdonc cette marque, et elle seule, qui leurconfre le caractre sacr.

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    54 LES ORIG INES DU SENTIMENT REL IG IEU X

    entre les bras de la croix et les extrmitsdu support, forment un rseau. Le nur-tunja et le waninga qui figurent dansune quantit de rites importants, sontlobjet dun respect religieux tout faitsemblable celui quinspirent les chu-ringa . Or

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    56 LE S ORIGINES DU SENTIMENT RELI GIEUX

    eestraux, personnages presque divins,liaient librs de ces interdits. Si la prohibition est encore suspendue en cas de ncessit:, quand lindigne est affam et narien dautre manger, ou quand le totem,comme le totem de leau, est tel que lhorii:me ne puisse sen passer, encore faut-il sesoumettre certaines conditions, ne pas

    puiser l eau soiajnihne, la recevoir desmains dun tiers,'etc A linterdiction demanger sajohte souvent celle de tuer, ou,si le totem esL une plante, de cueillir ,avec, il est vrai, bien des exceptions et destolrances, en particulier quand il sagitdanimaux nuisibles. On cite enfin quelques cas, mais assez rares, o il est interdit lhomme de toucher lanimal ou laplante-totem.

    Ces interdictions sont en somme moinsnombreuses et beaucoup moins strictes quecelles dont l emblme totmique est lobjet.

    Animaux et plantes lotmiques, la diffrence des churinga, des nurtunja, desvvaninga, se trouvent' normalement mls la vie de chaque jour. Les images deI tre totmique sont plus sacres que lesanimaux, plantes, etc.,. quelles reproduisent.

    Ajoutons que les hommes aussi, dans

    LE S ORIGINES DU SENTIMENT REL IGIE UX 57

    re systme religieux, participent, au mmeiilre peu prs que les plantes et les ani-juaux, la religiosit et au caractre sacrdu totem. La raison de cette saintet per-

    >nuellc, cest que l'homme croit lrc, enmme temps , quun homme au sens usueldu mot, un animal ou une plante de l espce totmique. . L homme porte le nom

    de lanimal ou de la plante. Or, pour leprimitif, l'identit du nom signifie uneidentit de nature. Car le nom, daprs lui,est plus quune appellation : cest quelquechose de ltre, si bien que ceux qui le connaissent ont dj quelque pouvoir sur letrejui le porte. Chaque individu a donc unedouble nature : en lui coexistent deux tres,un homme et un animal .

    Les indignes, pour rendre compte decette dualit de nature, ont imagin diversmythes, inspirs de l ide que lhommedescend de lanimal totmique, et qui-1

    y a donc entre eux un rapport de parent.Les uns croient que, parmi les premiers hommes, certains avaient le pouvoir de se transformer en btes. Dautres... placent au dbut de lhumanit...soit des tres inertes, intermdiaires entreles deux rgnes, soit encore des cratures informes, peine reprsenlables, d

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    58 LE S ORIGINES DU SENTIMENT RELI GIEU X

    pourvues de tout organe dtermin, detout membre dfini... Des puissances mythiques, parfois conues sous forme danimaux... auraient transform en hommes cestres ambigus... C est coups de hache, ou,quand l oprateur est un oiseau, coups debec que lindividu humain aurait etc sculpt dans cette masse amorphe, les membres

    spars les uns des autres, la bouche ouverte, les narines perces. Ailleurs on suppose que l'anctre tait un tre humain ,mais qui, la suile de pripties diverses,aurait t amen vivre pendant un tempsplus ou moins long au milieu danimauxfabuleux de l espce mme qui a donn sonnom au clan. il serait devenu tellementsemblable ces animaux qu son retourparmi les hommes, ceux-ci 11e le reconnaissant pas, lui auraient donn le nom de lanimal auquel il ressemblait. Derrire tontesces explications, si diffrentes soient-elles,

    on sent le besoin dinterprter logiquementune croyance qui conduit une contradiction dans les termes, savoir quun hommepeut-tre la fois homme et animal.

    Ainsi, les hommes sont sacrs au mmetitre que les plantes ou les animaux, et il ya mme, ..dans leur corps, certaines partieset certains tissus qui inspirent une vnra-

    LES ORIGINES DU SENTIMENT RELI GIEUX 53

    lion plus particulire : par exemple, lesang ; il sert consacrer les instruments duculte ; celui que rpandent les adultes etles jeunes gens, au cours des crmoniesdinitiation, ne doit pas tre vu par lesfemmes. 11 en est de mme de la chevelure,des favoris, du prpuce, de la graisse defoie. Puisque lhomme est sacr, il n est

    pas, vis--vis des animaux ou des plantesdont il porte le nom, en une attitude din-friorii. Le totmisme ne se ramne pasau culte des animaux et des plantes, et unesorte de zoolatrie. L homme nadore paslanimal comme le fidle adore son Dieu : en dfinitive, les liens qui existent entreeux et lui ressemblent beaucoup plus ceux qui unissent les membres dune mmefamille. Il voit en eux des associs quilappelle laide, qui le guident la chasse,qui le mettent en garde contre les prilsqui le menacent. En change il les traite

    avec gards : mais les services quil leurrend ne ressemblent aucunement un culte.

    Nous avons distingu jusquici trois catgories de choses sacres : lemblme to-tmique, la plante ou lanimal dont il reproduit la forme, et enfin les membres duclan. Mais il faut aller plus loih encore. Au

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    60 LES ORIGINES DO SENTIMENT REL IG IEUX

    clan, en effet, se rattachent tout un ensemble de choses du monde extrieur. PourlAustralien, toutes les choses qui peuplentl'univers font partie de la tribu ; elles ensont des lments constitutifs et, pour ainsidire/ des membres rguliers ; elles ont donc,tout comme les hommes, une place dter

    mine dans les cadres de la socit... Envertu de ce principe, quand la tribu est divise en deux phratries, tous les tres connus sont rpartis entre elles... Le soleil, lalune et les toiles appartiennent telle outelle phrairie, tout, comme, les Noirs eux-mmes... Mais l ne sarrte pas cette classification. Les hommes de chaque iphratriesont rpartis entre un certain nombre dclans ; de mme, les choses affectes chaque phratrie sont rparties leur tour entreles clans qui la composent. Tel arbre,- parexemple, sera attribu au clan du Kangourou et lui seul et aura, par consquent,tout comme les membres humains de ceclan, le Kangourou pour totem ; tel autreressortira au clan du Serpent ; les nuagesseront rangs sous tel totem, le soleil souste! autre, etc. Tous les tres connus se trouvent ainsi disposs en une sorte de tableau, de classification systmatique quiembrasse la nature tout entire.

    LES ORIGINES DU SENTIMENT RELI GIEUX 64

    II est trs remarquable que ces classifications naturelles, les premires que nousrencontrions dans lhistoire, aient pris pourcadres les divisions mme de la socit.c. Cest parce que les hommes taient groups quils ont pu grouper les choses ; car,pour classer ces dernires, ils se sont bor

    ns leur faire place dans les groupes quilsformaient eux-mmes... L unit de ces premiers systmes logiques ne fait que reproduire lunit mme de la socit. La notion de genre et despce, qui est la basede noire science, na pu natre que parceque les hommes avaient sous les yeux l'image des divisions de la socit.

    Mais il est non moins remarquable queies hommes, rattachant ainsi toutes les choses qui existent quelque totem, leur aientattribu toutes comme une nature religieuse. Dans les religions de l'a Grce et de

    Rome, quand les dieux apparaissent, chacun d'eux est prpos une catgoriespciale de phnomnes naturels, celui-ci la mer, celui-l l'atmosphre, un autre Ih moisson ou aux fruits, etc., et chacune de ces provinces de la nature sera considre comme tirant la vie qui est en elledu dieu dont elle dpend. )> Or, dans lessocits australiennes, les totems jouent d

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    2 LE S ORIGINES DU SENTIMENT RELI GIEUX

    j peu prs le mme rle qui appartiendraplus tard aux dieux. Dans telle tribu, c il y a dix clans, le monde entier est rparti en dix familles dobjets dont chacune se rattache lun de ces dix totems.Ces objets tirent leur ralit et leur rie dutotem. Ils en sont autant daspects. Dans le

    clan du corbeau sont compris en effet lapluie, le tonnerre, lclair, les nuages, lagrle, lhiver. On les regarde comme dessortes diffrentes de corbeaux. Ainsi loindtre borne une ou deux catgoriesdtres, le domaine de la religion totmique stend jusqu'aux dernires limites delunivers connu. Tout comme la religiongrecque, elle met du divin partout ; la formule clbre ttxvtx peut galement,lui servir de devise.

    L analogie ne sarrte pas l. Les diffrentscultes totem iques pratiquas dans chaqueclan ne sont pas comme autant de religions distinctes et qui signorent: ce sontles parties dun mme tout, les lmentsdune mme religion. Les hommes dunclan ne considrent nullement les croyances des clans voisins avec l'indiffrence, lescepticisme ou lhostilit quinspire ordinairement une religion laquelle on esttranger ; ils partagent eux-mmes ces

    LES ORIGINES DU SENTIMENT RELI GIEUX 63

    croyances. Les gens du Corbeau sont, euxaussi, convaincus que les gens du Serpentont un serpent mythique pour anctre etdoivent cette origine des vertus spcialescl des pouvoirs merveilleux. Souvent, nnhomme ne peut manger dun tolem qui i>est. pas le sien que sil y est autoris par

    li s gens de ce totem. Aux rites accomplisp;ir les gens dun tolem assistent frquemment des membres de clans diffrents. Il\ a mme tout un cycle de rites qui se droulent obligatoirement en prsence de laIi ibu assemble : ce sont les crmonieslotmiques de linitiation. Au reste, puisque le mme tolem ne se rpte pas deuxluis dans la mme tribu, et puisque foutes1rs choses sont rparties entre ces totems,il faut quil y ait eu, pour dlimiter cesdomaines, une entente pralable enlre lesdivers clans de la tribu. La religion tot-mique rsulte donc ris la runion des divers cultes pratiqus par les clans, toutcomme le polythisme grec tait constitupar la runion de tous les cultes particuliers qui sadressaient aux diffrentes divinits.

    Mais le totmisme est plus complexe encore quil ne semble. Nous venons de voir quil tend dpasser les limites du clan,

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    6 4 LES OBlGlNES DU SENTIMENT RELIGIEUX

    et que, par un aspect, cest une religion tri--ba ie. Par un autre aspect, cest un cu lte in -idividuel. Dans quelques tribus austra-ilienn es et dans la plu pa rt des socit s in- jjdiennes de lAm riqu e du Nord, chaq ue in- *dividu soutient personnellement avee unechose dtermine un rappor t com parable ; celui que ch aqu e c la n . soutient avec sontotem. CetLe chose est parfois un lre ina -1rtim ou un objet artificiel ; mais cest trs!gnralem ent un anima l. Lindividu porte le nom de cette ch ose : cest com m e unprnom qui sajoute au nom collectif, autotem du clan . Au' mo ins dans les tribusam ricaines, ce. po m est doubl d un em-|blm e qui ap par tien t ch aq ue in div id u et]qui, sous des formes diverses, reprsente lachose que ce nom dsigne. Entr e l'ind i

    vid u et son totem il y a dtroites affinits,;] Lhomme participe de la nature de lani-Jmal ; il en a les qualits, c omm e, da il

    leurs, les dfauts. Par exemple, quelquunqui a l'aigle pour blason individuel est'cens possder ie don de voir dans lavenir ; sil po rte le no m de lours, on ditquil est expos tre bless dans les com

    bats , parce que l ours est le nt et lo urd .. . ;si lanimal est mpris, lhomme est lobje t du mm e m p ris. cc On cro it que l h om

    LES o r i g i n e s d u s e n t im e n t r e l i g i e u x 6 5

    me peut, dans certains cas, par exemple encas de danger, prendre la forme de l'animal. Si lanimal meurt, la vie de lhomme est menace. Aussi est-ce une rgle trsgnrale quon ne doit pas tuer lanimal,ni surtout en manger la chair. De son ctlanimal protge lhomme et lui sert, enquelque sorte, de patron... Mme, commeil passe souvent pour possder des pouvoirsmerveilleux, il les communique son associ humain. Celui-ci se croit lpreuvedes balles, des flches... L'individu, de sonct, peut agir sur lanimal. Il lui donne desordres. Un Kurnai qui a le requin pourami et alli croit pouvoir, au moyen tjuneincantation, disperser les requins qui menacent un bateau.

    Bien que le totem individuel ressemble beaucoup au totem du clan, il endiffre par des caractres importants.Dabord lindividu ne se considre point

    comme issu de son associ, comme le clanl'est de son totem. Ce nest pas un parent.Ensuite

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    6 6 LES ORIGINES DD SENTIMENT RELIGIEUX

    trangers. Mais, surtout, ces -deux totemsne sacquirent pas de la mme manire.Le totem du clan se transmet en gnralobligatoirement de ipre ou de mre en fils.Le tolem p ersonn el, en .Australie, sacq uiertle plus souvent par l intermd iaire duntiers, un parent, ou un personnage investide pouvoirs spciaux, tel quun vieillardou un magicien, soit la naissance, soitau moment de linitiation. On se sert parfois, dans ce but, de procds divinatoires.Par exemple... la grandmre, ou dautres

    vieilles fe m m es, pre nnent un e pet ite portion du cordon ombilical laquelle le placenta est attach et font tourner le toutassez violemment. Pendant ce temps, dautres vieilles femmes, assises en cercle, proposent successivement diffrents noms. Onadopte celui qui est prononc juste aumoment o le cordon se brise ,

    Au reste, le to te m in div id uel n ex iste en

    Aus tral ie que da ns un nom bre lim it detribus. Beaucoup lignorent. L mme oii existe, il nest pas obligatoire. Tantt ilest rserv aux magiciens, et tantt ceux-l seuls qui veulent exceller la guerre ou la chasse se procurent un tel protecteur. Plus facultatif et plus libre que le totmisme de clan, le totmisme individuel a

    LES ORIGINES DU SENTIMENT RELIGIEUX 67

    cependant une force de rsistance bien plusgrande que celui-ci. Alors qu'il nexisteplus, de trace visible du totmisme collectifdans les pays civiliss, lide quil existeune solidarit entre chaque individu et unanimal, une plante ou un objet extrieurquelconque est la base dusages qui sont

    encore observables- dans plusieurs payslEurope .

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    GOMMENT SEXPLIQUENT

    LES INSTITUTIONS TOTMIQUES ?

    LE MANA.

    Les croyances que nous venons danalyser sont certainement religieuses, puisquelles distinguent des choses sacres etdes choses profanes. Dautre part, nous nenconnaissons pas, et nous nen concevonsmme point de plus primitives. Elles sont,en effet, insparables de lorganisationsociale base de clan. Elles nexisteraientpas sans le clan, et les clans ne se distingueraient point les uns des autres sans

    elles. Or lorganisation base de clansest la plus simple que nous connaissions ,puisquon na pas dcouvert jusqu prsent de socits un seul clan .

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    70 LES ORIGINES DU SENTIMENT RELIGIEUX

    ianimal. Sinon, comment lme dunhomme passerait-elle dans un corps danimal ? Or

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    7% LES ORIGINES 1>U SENTIMENT RELIGIEUX

    du totem individuel, les gens du clan devraie nt non. se ulem en t sab sten ir de m anger et de tuer leur totem, mais- rclamerdes trangers aussi quils sen abstiennent.Au co ntraire, chaque clan, au m oy en de.certains rites, veille ce que la planteo lanimal dont il porte le nom croisse et

    prospre, afin dassurer aux autres clansune alim entation abondante . On ne'comprendrait pas dailleurs non plus, danscette hypothse, que deux clans dunemme tribu aient toujours (comme cest lecas) des totems diffrents. Pourquoi nauraient-ils pas choisi leur totem dans lamme espce ?

    Mais, surtout, cette hypothse est contredite par les laits. Si le totmisme individuel tait le fait initial, il devrait tre dautant plus dvelopp et dautant plus apparent cjue les socits elles-mmes sont plus

    primitives ; inversement on devrait le voirperdre du terrain et seffacer devant lautre chez les peuples plus avancs. Or cestle contraire qui est la vrit. Les tribusaustraliennes sont beaucoup plus arriresque celles de lA m rique du Nord ; et cependant, lAustralie est le lorrain de prdilection du totmisme collectif. Dans lagrande majorit des tribus il rgne seul,

    LES ORIGINES DU SENTIMENT RELIGIEU X 73

    alors quil nen est pas une o le totmismeindividuel soit seul pratiqu .

    Bien plus, le totmisme individuel,loin davoir donn naissance au totmismele clan , suppose

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    7 4 LES 0UIG1N2S DU SENTIMENT RELIGIEU X

    Nous (levons donc expliquer dabord letotmisme de clan. Est-il possible de dcouvrir un principe commun do driveraient toutes les croyances quon groupe sousce nom , et qui en fe ra it lu nit ? Nousavons vu que le totmisme, au premierrang des choses quil reconnat comme sacres, met les reprsentations figures dutotem (les emblmes) ; ensuite viennent lesanimaux ou les vgtaux dont le clan portele nom, et enfin les membres de ce clan.Puisque toutes ces choses sont sacres aumm e titre, quoiqu e ing alem ent, leur ca- JRractre religieux ne peut tenir aucun desattributs particuliers qui les distinguentles unes des autres . Ce nest pas parcequun emblme totmique est fait de tellema tire q u on le vn re ; ce n est pas pa rce 1quun membre du clan est un liomm, cenest pas parce qu'un animal ou une planteprsente telles particularits spcifiques,quon les respecte ou quon les craint. Ildoit exister quelque chose qui est commun tous ces objets et tous ces tres, uneforce qui se retrouve dans chacun deux,sans pourtant se confondre avec aucundeux , qui les prcde et leur survit, etqui inspire le sentiment religieux partouto elle se manifeste : force anonyme et im

    LES ORIGINES DU SENTIMENT RELIGIEUX 7

    personn elle, qu on con oit sous lesespces tantt dun animal, tantt dunv gt al , tantt d un m em bre du clan,(f Voil en quoi consiste rellement letotem : il nest que la form e m atriellesous laquelle est reprsente aux imaginations cette substance immatrielle, cette

    nergie diffuse travers toute sorte dtreshtrognes, e1 qui est, seule, lobjet dunv ri ta ble cu lte . Fo rce m atriel le et m orale la fois, de mme que pour le chrtien, Dieu le ipre est le gardien de lordrephysique, aussi bien que le lgislateur etle juge de la conduite humaine .

    Quune telle ide ne dpasse pas la porte de lesprit (les primitifs, cest ce quirsulte de ce que, soit dans des socitsparentes des tribus australiennes, soitmme dans ces dernires, nous trouvons,et sous forme explicite, des conceptions trs voisines. Les diffrents principestotmiques auxquels sadressent les diversclans dune mme tribu sont distincts lesuns des autres . Mais ils jouent tous, aufond, le mme rle. Or il est des socitsqui ont eu le sentiment de cette communaut de nature, et qui se sont leves, parsuite, la notion dune force religieuseunique dont tous les autres principes sacrs

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    :76 LES ORIGINES DU SENTIMENT RELIGIEUX

    np seraient que des modalits, et qui feraitl'unit de lunivers. Et comme ces socitssont encore tout imprgnes de totmisme,comme elles restent engages dans uneorganisation sociale qui est identique celle des peuples australiens, il est permisde dire que le totmisme portait'cette idedans ses flancs .

    Cest ainsi quun grand nombre de tribus am r icain es , en particu lier ce lles qu iappartiennent la grande famille desSioux, croient quau-dessus des dieux particuliers il existe une puissance minentequils appellent voakan. Ce nest pas unesorte de dieu souverain. On ne se le reprsente pas comme un tre personnel. Onne la jamais vu, et il ny a pas de motsqui puissent en do nner u ne ide.

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    7 8 LES ORIGINES DU SENTIMENT RELIGIEUX ! LES ORIGINES DU SENTIMENT RELIGIEUX 79

    vo ir et de su pr io ri t que lh om m e po ssde. Le maria nest point fix sur un objetdte rm in ; il p eut tre amen sur touteespce de choses... Toute la religion duMlansien consiste se procurer du manasoit pour en profiter soi-mme, soit pouren faire profiter autrui .

    Il est vrai quen Australie 011 ne trouvepas, du moins dans le culte totmique, lanotion dune force unique et universelle,comparable au mana. Cest quen Australie le totmisme de clan reste, plus quailleurs, la base de lorganisation cultuelle.Bien que le groupe totmique ne soit, enun sens, quune chapelle dans lEgse tribale, c est un e ch apel le in dpen dan te .

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    8 0 LES ORIGINES DU SENTIMENT RELIGIEUX

    bru sq uem ent la vi e et am n e la m or t d ecelui en qui elle sest introduite . Oi>donne ce nom aux ossements, aux pices-de bois do se dgagent des charmes malfaisants, aux poisons animaux ou vgtftaux. Cest donc, trs exactement, un mananocif. Ainsi, puisque les forces magi -3

    ques sont conues comme tant toutes de-mme nature, il en serait de mme desforces religieuses, si le totmisme australien ntait pas troitement enferm etcomme multipli dans les cadres des clans .;En tout cas, il ny a pas de diffrence de-nature entre les forces magiques et les forces religieuses, et celles-ci, bien quelles,ne dpassent pas les limites du clan, nensont pas moins impersonnelles et anony-^mes, gnrales et diffuses, comme celles-l.']a Le culte totmique ne sadresse ni tels:animaux, ni telles plantes dtermines.]

    ni mme une espce vgtale ou animale,mais une sorte de vague puissance disperse travers les choses .

    Telle est la notion premire, dont touteles ides et les figures des religiolis de tous-les temps ont t tires : il a suffi dim aginer que cette substance se fixait sur unpo'int de l espace, pr en ai t, temp orairReittelle form e de l les1 esprits, les dmons,.

    LES ORIGINES DU SENTIMENT RELIGIEUX 81

    les gnies, les dieux de tout degr.

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    LE TOTEM, SYMBOLE DU CLA N :

    LE PRINCIPE DIVIN

    NEST QUE LA SOCIT IIYPOSTASIE

    Mais do vient lide de cette force diffuse et impersonnelle qui est la base dela relig ion ? Do les sau rage s Font-ilstk P O existe cette force elle-mme, eten quoi consiste-t-elle ? Cest bien l le problme ca pital , et dont no us n en trev oyo nsmaintenant quune solution. Il est tout fait invraisemblable que cette force religieuse se ramne aux proprits spcifiquesqui distinguent les hommes et les animauxou les plantes, des autres objets. Pourquoil'homme, en tant que tel, passerait-il pourun tre sacr ? R du it lui- mm e, sesproprits physiques, lhomme est peu dechose. Lindividu, rduit scs seules forces, a surtout conscience de sa faiblesse.Quant aux animaux et aux plantes sacrs, ceux dont on fait des totems, ce sont deslzards, des chenilles, des rats, des pruniers,

    LS EGlSES DU SENH.vr.Vr RELIGIEUX 83

    des kakatos, etc ; on ne voit pas pour quelles raisons lhomme les aurait distingus desobjets profanes, sil sen tait tenu limpression quil en recevait au cours de la viequotidienne. Mais nous savons que le centre du culte est ailleurs. Ce sont les reprsentations figuratives de ces plantes ou de

    ces animaux, ce sont les emblmes et lessymboles totmiques de toute sorte qui possdent le maximum de saintet. Cest doncen eux que se trouve la source de la religiosit, dont les objets rels que ces emblmesreprsenten t ne reoiven t qu un reflet. )>

    Ces emblmes, en effet, expriment deuxsortes de choses. Dune part ce sont lesformes extrieures et sensibles du totem.Mais, dun autre ct, chacun deux estaussi le symbole de cette socit dterminequon appelle le clan. Cen est le drapeau :c'est le signe par lequel chaque clan se distingue des autres, la marque visible de sapersonnalit, marque que porte (dailleurs)tout ce qui fait partie du clan un titrequelconque, hommes, bles et choses. Sidonc ii est la fois le symbole du dieu(cest--dire du principe totmique) et dela socit, nest-ce pas que le Dieu et la socit ne font, Cfuun ?... Le dieu du clan, leprincipe totmique ne peut donc tre autre

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    LES ORIGINES DU SENTIMENT RELIGIEUX

    Ichose que le clan lui-mme, mais hypo-stasi et reprsent aux imaginations sousles espces sensibles du vglal ou de lani- 1mal qui sert de totem.

    Une socit, en effet, a tout ce quilfaut pour veiller dans les esp rits... la sensa- Jtion du div in ; car elle est ses mem bres ce qu un dieu est ses fidles . Qu est-ce en 1effet que Dieu ? Dabord un tre dont lhomme dpend, et qui loblige agir d une cer- 1taine faon. Qr la socit, elle aussi, en- .1tretient en nous la sensation d'une perp- iltuelle dpendance... Elle nous astreint toute sorte de gnes, de privations et de sa- icrifices sans lesquels la vie sociale seraitimpossible. Un dieu est aussi un tre quenous respectons, non pas seulement parcequil est plus puissant que nous, mais parce fque nous lui attribuons une autorit moraleextrmement forte. Or lopinion de la soci-Sl possde nos yeux, pour la mme raison,un prestige qui nous dicte les mmes sentiments de respect. En mme temps, unDieu est une force sur laquelle sappuienotre force. L kom me qui a obi son Dieu iet qui, pour cette raison, croit lavoir avc J lui, aborde le monde avec confiance etavec le sentiment dune nergie accrue. Mais la socit accrot aussi notre force de

    LES ORIGINES DU SENTIMENT RELIGIEUX 85

    tout ce que nous tirons delle, et nous lveau-dessus de nous-mmes. Cela, non seulement dans des circonstances exceptionnelles ; ma is

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    vit alors de son c t, ch as sa nt, p ch an t,cherchant, en un mot, se procurer lunou rriture indispensable par tous les ;moyens dont clic dispose. Tantt, au con-ltraire, la population se concentre et se con>Jdense, pour un temps qui varie de plu- Msieurs jours plusieurs mois... quand un 1clan ou une po rtion de trib u est convo que

    dans ses assises, et que, cette occasion, onclbre une crmonie religieuse. Or, en- 1tre ces deux priodes, il existe un contrastetrs marqu. Dans la premire, les hommes, disperss, mnent une existence uni- 'Iform e, Jan guissante et terne. Au con- jtraire, dans la seconde, du seul fait quilssont runis, naissent en eux des sentimentsdune exceptionnelle intensit : car ceux desuns font cho ceux des autres. Dans cescrmonies ce ne sont que gestes violents,cris et hurlements, auxquels se mle le bruittrange et sauvage des instruments. Une

    viv e ef ferv es cence r gne. Les pa ssions se d* l|chanent. Tout ltre physique et mental est au plus haut point surexcit. Parvenu cet *tat dexaltation,lhomme ne se connat plus.Il se sent domin et entran par une sortede pouvoir extrieur qui ie fait penser etagir autrement quen temps normal... 11lui semble tre devenu un tre nouveau . 11

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    en est de mme, et au mme moment, deses compagnons, en juger par leurs cris,leurs gestes, leur altitude, a Gomment desexpriences comme celle-l, surtout quandelles se rptent chaque jour pendant dessemaines, ne lui laisseraient-elles pas la con

    vic ti on q uil ex iste ef fe ct ivem en t deu x m ondes htrognes et incomparables entre

    eux P L un est celui o i l trane languissamment sa vie quotidienne. Au contraireil ne peut pntrer dans 1autre sans entreraussitt en rapports avec des puissances extraordinaires qui le galvanisent jusqu lafrnsie. Le premier est le monde profane,le second, celui des choses sacres.

    Mais si le clan est le dieu vritable, quise rvle au cours de ces assembles religieuses o la vie sociale se concentre, oles penses et les sentiments collectifs sin-tensifient, pourquoi le sauvage nadore-t-ilpas le clan P Et do vient, surtout, q uil

    se le reprsente sous la figure dun animalet dune plante, et que ce soit ces figures,non au clan lui-mme, quil rende un culte ? Le clan est une ralit trop complexepour que des intelligences aussi rudimentaires puissent se le reprsenter nettement...Le primitif ne voit mme pas que ces impressions exceptionnellement fortes lui

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    vi en nen t de la co llect iv it. Tout ce qu ilsent, cest quil est soulev au-dessus de lui-mme et quil vit dune vie diffrente decelle quil mne dordinaite. Si lon demande maintenant pourquoi il rattache cesimpressions un animal ou une plante,nous rpondrons : Cest parce que cet animal ou cette plante a donn son nom au

    clan, et lui sert demblme. Si, dailleurs,le clan sest ainsi choisi un emblme, cestque, comme toute espce de groupe, il avaitbesoin d un centre de ra lliem en t. Tou t sentiment collectif a besoin de sincarner dansdes personnes, dans des formules ou dansdes objets matriels. Ces symboles ne sontipas de simples tiquettes, ils contribuent rapprocher les hommes : c'est en poussant un mme cri, en prononant une mme parole, en excutant un mme geste en prsence ou loccasion dun mmeobjet qu'ils se mettent et se sentent daccord. )> Le clan, en par ticulie r, ne pouvaitse passer demblm e, car il n est gure desocit h qui manque autant de consistance. Le clan r.e peut pas se dfinir par sonchef : car, si loule au torit cen trale n enest pas absente, elle y est du moins, incertaine ci instable. II ne peut davantage sedfinir par le lerriloire quil occupe ; car la

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    constellations ntaient pas distingues etclasses, la vote toile n'offrait pas unesuffisante diversit de choses assez nettement diffrencies pour servir dsignertous les clans et les sous-clans dune tribu.Au co ntr aire la va rit de la flo re et surtou tde la faune tait presque inpuisable. 11est probable que chaque groupe prit pourinsigne lanimal ou le vgtal qui tait Jeplus rpandu dans le voisinage de lendroito il avait lhabitude de sassembler.

    Quoi quil en soit, puisque le totem estlemblme et e