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~-24F
LES PERSONNES ATJ~EIN~SDE MALADIE MENTALE ET LE DROITDE VOTE AUX ELECTIONS FEDERALES
DAVID JOHAN$Et~TDIVISICN DU DROIT ET DU GOUVERNEMENT
LE 23 NOVEMBRE 1988
Le Service de recherche de Ia Bibliothèque du Parlementtravaille exciusivement pour le Parlement, effectuant desrecherches et fournissant des informations aux parlementaireset aux comités du Sénat et de Ia Chambre des communes.Entre autres services non partisans, II assure Ia redaction derapports, de documents de travail et de bulletins d’actualité.Les attaches de recherche peuvent en outre donner desconsultations dans leurs domaines de competence.
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~CANADA
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LES PERSONNESATTEINTES DE NALADIE MENTALE
ET LE DROll DE VOTE AUX ELECTIONS FEDERALES
Dans une decision qu’elle a rendue le 17 octobre 1988, dans
l’affaire Consei1~ canadien des droits des personnes handicapëes c. R.,
Madame le juge Reed, de la Division de premiere instance de la Cour
fédérale du Canada, a dëclarë que 1 ‘alinëa 14(4)f) de Ia Loi électorale du
Canada n’êtait pas valide parce qu’il contrevenait a Particle 3 de la
Charte canadienne des droits et libertés.
La Loi êlectorale du Canada prëvoyait que:
14(4) Les individus suivants sont inhabiles a voter aune election et ne doivent pas voter a une election:
C...]
_t:) toute personne restreinte dans sa libertê de mouve-rnent ou privêe de la gestion de ses biens pour cause demaladie mentale.
L’article 3 de la Charte confère a tout citoyen canadien le droit de voteaux elections lêgislatives fëdërales et provinciales. Ce droit n’est
toutefois pas absolu car, aux termes de Particle 1 de la Charte, il peut
Ctre restreint “par une règle de droit, dans des limites qui soient
raisonnables et dont la justification puisse se dëniontrer dans le cadre
dtune sociêtê libre et dCmocratique11. C’est a ceux qui prëconisent une
restriction qu’il appartient la justifier.
Selon le juge Reed, une restriction du droit de vote serait
certainement lêgitime si elle s’appuyait sur des critères de competencementale ou de capacité de jugement. Toutefois, dans sa forme actuelle,
l’alinêa 14(4)f) ne vise pas uniquement la competence ou la capacité
mentale en tant que qualitê exigëe pour l’exercice du droit de vote.
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Ii a en effet une portée plus generale: il refuse le droit de vote a des
individus pour cause de “maladie mental?. Ii vise manifestement des
personnes qui peuvent avoir des troubles de la personnalitë portantatteinte a leur jugement dans un seul aspect de leur existence et qu’il n’y
aurait aucune raison de priver pour cela du droit de vote. De plus,
le juge Reed souligne que l’alinëa en question ne prive pas de leur droit
de vote toutes les personnes atteintes de 11maladie mentale”, mais seulementcelles qui sont restreintes dans leur liberté de mouvement ou dont lagestion des biens a étê confiee a un curateur. Elle fait valoir qu’une
personne qui serait handicapêe mentalement ou atteinte de troubles de lapersonnalité et qui vivrait dans sa famille naappartiendrait a aucune de
ces categories et serait donc habilitêe a voter.Le juge Reed souligne que la restriction prêvue a l’ali-
nêa 14(4)~!) est, en ce sens, arbitraire. A son avis, elle est a la fois
trop restrictive et trop vaste pour constituer un critëre de competencementale. Elle s’applique a des personnes qui ne devraient pas Ctre visees,
et l’on peut soutenir qu’elle en exclut d’autres qui devraient peut-ëtre
tomber sous le coup de la loi.Le juge souscrit a l’opinion exposee par Gerald B.
Robertson dans son ouvrage intitulé Mental Disability and the Law in
Canada. Celui-ci estime que le retrait du droit de vote aux termes de
l’alinëa 14(4)f) ne tient pas au handicap mental ni a la capacitë mentale aproprement parler, mais vise plutht deux categories de personnes: celles
dont la libertë de mouvement est restreinte pour cause de “maladie mentale”et celles dont la gestion des biens a ëté confiee a un curateur.
Que quelqu’un soit declare incapable de voir a sesaffaires financiëres ne signifie pas nécessairementqu’il est incapable de comprendre la nature du droit devote et qu’il ne peut l’exercer rationnellement. DemCme, il serait absurde de pretendre que les personnesqui reçoivent des soins psychiatriques sont nécessaire-ment incapables de voter. La recherche empiriquerévële en fait que le vote de ce groupe de personnesserait semblable a celui de l’ensemble de lapopulation.
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Le juge Reed a retenu l’argument de l’avocat du demandeur
selon lequel on fait fausse route en supposant qu’une personne atteinte
de maladie mentale est forcement frappee d’incapacite a tous les égards, y
compris pour voter. Elle a explique qu’une personne incapable de prendre
des decisions dans certains domaines peut fort bien en prendre dans
d’ autres.Eli s’est aussi employee a determiner si l’on pouvait
dêcomposer l’alinéa 14(4)f) de rnaniëre a en restreindre l’application trop
generale et a faire en sorte qu’il ne vise que les personnes pouvant ëtrelegitimement privees de leur droit de vote pour cause d’incapacité
mentale. N’ayant trouvé aucune facon de le faire, elle a declare non
valide l’alinea 14(4)f) de la Loi électorale du Canada, parce que celui-cicontrevenait a l’articie 3 de la Charte.
Cette decision signifie que des dizaines de miiliers decitoyens atteints de maladie mentale pourront desormais voter aux electionsfëdérales. Pour ce faire, ils doivent maintenant satisfaire aux mCmes
conditions que les autres ëlecteurs potentiels: tout citoyen canadien
adulte (~ge d’au moms 18 ans) en mesure de decliner son nom, son age et
son adresse peut Ctre inscrit sur la liste électorale.
Le gouvernement federal ne s’est pas oppose a cette
contestation de l’alinea 14(4)f) de la Loi électorale du Canada au regard
de la Constitution; au cours de la derniëre legislature, il a mCme presenteUn projet de loi qui aurait eu pour effet d’abroger la disposition en
cause, de maniëre a conférer le droit de vote au niveau federal auxpersonnes atteintes de maladie mentale. Cette mesure legislative est
toutefois morte au Feuilleton a la dissolution du Parlement ie 1er octobre1988.
La modification proposée allait dans le mCme sens qu’une
recommandation du Sous-comite sur les droits a l’egalite du Comite
permanent de la justice et des questions juridiques de la Chambre des
communes, qui avait prêconisê, dans son rapport d’octobre 1985 intitule
~alitê pour tous, l’abrogation de l’alinea 14(4)f). En formulant cetterecommandation, le Sous—comite rappelait que les incapacites mentales ne
sont pas toutes semblables: il en existe qui sont a court terme ou
temporaires, d’autres qui sont a long terme; certaines sont totalement
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invalidantes, alors que d’autres ne reduisent que dans certaines circons—
tances l’aptitude des personnes touchees a se prendre en charge
elles—mCmes. Selon le Sous-comite, les personnes atteintes de maladiementale ne sont pas nécessairement toujours moms aptes que les autres avoter de façon avisée; mCme s’il est parfois justifié de refuser le droit
de vote a certaines personnes dans certaines circonstances, ce n’est pas
une raison pour exclure en bloc tout un groupe de personnes du benefice de
la loi.
Dans sa rêponse au rapport du Sous-comite sur les droits al’egalite, le gouvernement federal s’est dit d’accord avec le principe
selon lequel les personnes atteintes de maladie mentale devraient avoir ledroit de vote; il a expliquC que, de ce fait, il s’appliquait a trouver une
solution pour permettre a ces personnes d’exercer leur droit de vote grace
a une modification de la Loiélectorale du Canada, sans risquer qu’on les
exploite~du que l’integrite du mécanisme de vote soit compromise. Dans son
Livre blanc sur la réforme de Ia loi électorale publie en 1986, le gouver-
nement a ensuite recommande qu’on modifie la Loi électorale du Canada afin
que les Canadiens atteints de maladie mentale aient le droit d’être
inscrits sur les listes électorales et de voter. Toutefois, afin d’éviter
les abus, le Livre blanc recommandait aussi qu’on n’établisse pas de
bureaux de scrutin dans les hCpitaux psychiatriques et qu’on empCche les
patients de ces êtablissements de voter par procuration.
Le projet de loi C-79, qui contenait des dispositions en ce
sens, a par la suite ete depose a la Chambre des communes, le 30 juin
1987. Il est mort au Feuilleton a ia dissolution du Parlement, le
ier octobre 1988. Si 1 ‘on avait supprinie de la Loi électorale du Canadales dispositions d’inaptitude a voter pour cause de maladie mentale, le
droit de vote des personnes atteintes de maladie mentale n’aurait pas eterestreint au niveau federal. La distinction que semblait établir la
premiere partie de l’alinea 14(4)f) entre les personnes séjournant
volontairement dans un établissement pour cause de maladie mentale et
celles s’y trouvant contre leur gre aurait ainsi ~té supprimée. Les
patients qui se trouvent volontairement dans un ëtablissement psychiatrique
sont en effet libres d’en sortir quand bon leur semble et ne sont donc pas
restreints dans leur liberte de mouvement.
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Comme on l’a indique precedemment, le juge Reed a decidequ’il fallait supprimer tout l’alinéa 14(4)f) parce qu’il était impossibled’en limiter la portee trop generale de sorte qu’il s’applique seulement
aux personnes pouvant legitimement Ctre privees de leur droit de vote pour
cause d’incapacite mentale.
Mettle si i’on considérait que le retrait du droit de vote ades personnes atteintes de maladie mentale peut se justifier dans certainscas, ii serait trés difficile de distinguer des autres les personnes qui
ne comprennent pas les consequences de leurs actes, tei l’exercice du droit
de vote. La question est de savoir si l’on pourrait établir un test
d’aptitude general qui produirait des resultats acceptables. Il faudraitprendre en consideration un certain nombre de facteurs. Qui trancherait apropos de l’aptitude a voter? Cette decision pourrait-elle ëtre prise au
moment du recensement des electeurs, par des officiers d’élection qui n’ont
pas les compétences voulues pour évaluer le degre d’incapacité mentale?Pourrait-on prendre une decision dans le cadre du processus initial menant
a l’hospitalisation d’une personne, tout en se rappelant cependant que sa
capacité mentale peut changer en cours de traitement?Le test éventuellement mis au point devrait permettre
d’evaluer adéquatement la capacité d’une personne atteinte de maladiementale. Il faudrait établir des critëres clairs pour determiner les cas
oi:i l’exclusion du processus democratique serait considérée comme une
necessite absolue. L’établissement de lignes directrices précises et nonequ-ivoques permettant de determiner si quelqu’un est inapte a voter estévidemment une tache extrCmement complexe qu’il vaudrait mieux laisser aux
I égi sl ateurs.En supprimant l’inaptitude a voter pour cause de maladie
mentale, comme le prévoyait le projet de loi C-79, ou en invalidant
la disposition, comme l’a fait le juge Reed, on évite le probléme d’avoir aetablir des restrictions “raisonnables” du droit de vote des personnes
atteintes de maladie mentale.
Il est intéressant de souligner que la plupart des lois
regissant les elections provinciales contiennent encore des dispositions
semblables a celles qui ont ete supprimees de la Loi electorale du Canada
et qui rendaient inaptes a voter les personnes atteintes de maladie
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mentale. A la lumiere de Ia Charte, deux provinces au moms, l’Ontario etla Saskatchewan, ont toutefois supprimé leurs dispositions d’une portée
generale quant a 1 ‘inaptitude a voter. Toutefois, en Saskatchewan, restentinaptes a voter ceux qui, le jour du scrutin, sont visés par une ordonnance
du lieutenant-gouverneur aux termes de l’article 545 du Code criminel, qui
traite de la surveillance des alienes. Les dispositions générales encore
en vigueur sont plus restrictives dans certaines provinces que dans
d’autres, s’appliquant parfois mCme aux elections municipales.