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LABORATOIRE D’ECONOMIE DE LA PRODUCTION ET DE L’INTEGRATION INTERNATIONALE UMR 5252 CNRS - UPMF LEPII BP 47 - 38040 Grenoble CEDEX 9 - France 1221 rue des Résidences - 38400 Saint Martin d'Hères Tél.: + 33 (0)4 76 82 56 92 - Télécopie : + 33 (0)4 56 52 85 71 [email protected] - http://www.upmf-grenoble.fr/lepii _____________________ NOTE DE TRAVAIL N° 6/2009 Les politiques énergétiques entre impératif de sécurité et réponse au défi climatique Patrick Criqui septembre 2009 ______________________ halshs-00430698, version 1 - 9 Nov 2009 Manuscrit auteur, publié dans "Le grand tournant : l'Etat du monde 2010, B. Badie et D. Vidal (Ed.) (2009) 218-222"

Les Politiques Énergétiques Entre Impératif de Sécurité Et Défi Climatique

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Les Politiques Énergétiques

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  • LABORATOIRE DECONOMIE DE LA PRODUCTION ET DE LINTEGRATION INTERNATIONALE

    UMR 5252 CNRS - UPMF

    LEPII BP 47 - 38040 Grenoble CEDEX 9 - France

    1221 rue des Rsidences - 38400 Saint Martin d'Hres Tl.: + 33 (0)4 76 82 56 92 - Tlcopie : + 33 (0)4 56 52 85 71

    [email protected] - http://www.upmf-grenoble.fr/lepii

    _____________________

    NOTE DE TRAVAIL

    N 6/2009

    Les politiques nergtiques entre impratif de scurit et rponse au dfi climatique

    Patrick Criqui

    septembre 2009

    ______________________

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    Manuscrit auteur, publi dans "Le grand tournant : l'Etat du monde 2010, B. Badie et D. Vidal (Ed.) (2009) 218-222"

    http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00430698/fr/http://hal.archives-ouvertes.fr

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  • Les politiques nergtiques entre impratif de scurit et rponse au dfi climatique

    Patrick Criqui LEPII, CNRS-Universit de Grenoble

    Il est aujourdhui de plus en plus vident que le modle nergtique sur lequel se

    sont dveloppes les socits industrielles au cours des deux derniers sicles est parvenu

    ses limites. Il nest en effet ni gnralisable lensemble des habitants de la plante ni

    soutenable dans le temps, compte-tenu dune part des contraintes de ressources de

    ptrole et de gaz naturel et dautre part des risques encourus du fait de linjection dans

    latmosphre de quantits croissantes de CO2. Le XXIme sicle marquera donc une rupture

    et les socits modernes sont confrontes un dfi majeur qui, de tous les problmes

    environnementaux, va ncessiter pour sa solution les transformations les plus profondes des

    technologies, des systmes de production et des modes de consommation.

    Il sagit en fait de passer, en moins de cinquante ans, dun paradigme nergtique

    fond plus de 80% sur des nergies fossiles qui restent aujourdhui bon march, au

    paradigme dune socit post-carbone, dans lequel les missions mondiales devraient tre,

    selon le GIEC (Groupe Intergouvernemental dexperts sur lEvolution du Climat), rduites de

    moiti en 2050. Pour ce faire il sera ncessaire dinstaurer partout la sobrit et lefficacit

    nergtique, de dvelopper les nergies non carbones comme les renouvelables et le

    nuclaire, de sassurer enfin que le reste de lapprovisionnement issu des fossiles se fait au

    maximum en recourant la capture et au stockage du CO2. En bref, il faut en cinquante ans

    construire un nouveau systme nergtique mondial en remplacement de celui des deux

    derniers sicles, car le scnario au fil de leau conduirait de multiples crises et

    catastrophes.

    La crise conomique de 2008 a permis de diminuer court terme la pression sur les

    grands marchs de matires premires et en particulier de lnergie. Nanmoins les grands

    Etats, industrialiss ou mergents, continuent considrer la scurit dapprovisionnement

    nergtique comme une priorit majeure. Leurs politiques sont donc aujourdhui en tension

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  • entre un objectif de scurisation des approvisionnements adapt un monde de raret des

    ressources, et un objectif de rduction massive des missions, qui permettrait de limiter le

    changement climatique. Certaines solutions comme la matrise de la consommation ou les

    nergies non fossiles permettent de rpondre conjointement aux deux impratifs. Dautres

    comme le dveloppement du charbon ou des ptroles non conventionnels permettraient

    damliorer la scurit, mais constituent au contraire un danger majeur pour le climat. Cest

    dans les choix structurels entre ces deux types doptions que se jouera, le mot nest sans

    doute pas trop fort, lavenir de la plante. Les politiques nergtiques sont aujourdhui entre

    deux mondes.

    Le scnario du laisser-faire nergtique nest pas soutenable sur le long terme

    La consommation mondiale dnergie rpond deux moteurs principaux : la

    population et la croissance conomique. Pour la dmographie, il y a aujourdhui un large

    consensus parmi les dmographes pour indiquer que dans lhypothse la plus probable la

    population mondiale devrait voir sa croissance dabord continuer se ralentir pour atteindre

    un niveau de 9 milliards dhabitant en 2050, puis progressivement se stabiliser sous les 10

    milliards avant la fin du sicle. Le monde nest dj plus dans lexplosion dmographique des

    annes soixante, et lon peut retenir comme repre la multiplication de la population

    mondiale par un facteur un et demi sur la premire moiti du sicle. Quant la croissance,

    on peut hsiter effectuer des projections conomiques long terme. Pourtant il est

    possible de formuler des hypothses raisonnes sur le ralentissement progressif de la

    croissance dans les pays mergents, au fur et mesure de la maturation de leurs

    conomies. Ce type dhypothse conduit, indpendamment mme de la crise actuelle, un

    ralentissement significatif de la croissance par rapport au niveau exceptionnel de 5%/an

    dans les premires annes du sicle, vers un niveau de moins de 3%/an vers 2050. Le

    rsultat global est un PIB mondial qui serait multipli environ par quatre entre le dbut et le

    milieu du sicle.

    Dans les scnarios du laisser-faire nergtique, sans politique climatique vigoureuse,

    les projections associes ces hypothses de population et de croissance conduisent une

    multiplication par un peu plus de deux de la consommation mondiale dnergie primaire en

    2050; soit 20 25 Gtep, contre 10 en 2000. Cest assez peu, puisquavec un PIB multipli

    par quatre cela suppose dj une efficacit nergtique globale deux fois plus importante.

    Mais cest dj beaucoup vu du ct de loffre, compte-tenu des contraintes qui psent sur le

    dveloppement des nergies primaires. Le ptrole en particulier ne pourra pas voir sa

    production dpasser 100 Mbj vers 2020 pour les conventionnels, contre 85 Mbj aujourdhui,

    auxquels pourraient sajouter, dans un scnario sans contrainte carbone 20 25 Mbj de

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  • ptrole extra-lourds du Venezuela ou des sables asphaltiques du Canada. Le gaz ne pourra

    pas non plus suivre la progression de la consommation totale car sa production devrait

    galement plafonner, un peu aprs celle de ptrole. Malgr une progression attendue des

    nergies renouvelables et la relance de lnergie nuclaire qui pourraient reprsenter

    ensemble entre 25 et 30% du bilan nergtique mondial en 2050, il faudrait faire appel des

    quantits massives de charbon. Celui-ci serait alors en effet lnergie de bouclage du

    systme nergtique mondial, avec plus de 6 Gtep en 2050, contre 3 aujourdhui.

    Avec laugmentation des tensions sur les approvisionnements en ptrole et en gaz, le

    scnario au fil de leau est donc porteur court et moyen terme de crises sur les

    approvisionnements. Elles peuvent aller des chocs de prix bouleversant les donnes du

    commerce international aux conflits ouverts pour le contrle de ressources rares. Mais le

    problme majeur de ce scnario est surtout quil est non soutenable du point de vue des

    risques climatiques. Le doublement des missions en 2050 conduit le monde sur une

    trajectoire de concentration du CO2 plus de 900 ppmv. Daprs le GIEC, il y aurait alors

    plus de 50% de chances pour que laugmentation de temprature trs long terme soit de

    plus de 5C, et encore prs de 30% de chances pour quelle soit de plus de 7C. Il ne sagit

    plus alors de scnarios dvolution progressive du climat, car des discontinuits majeures

    deviennent probables : on sortirait aussi de la gestion dun risque calcul pour entrer dans

    une situation dincertitude radicale.

    Le scnario de prcaution pour le climat suppose des politiques vigoureuses

    Depuis 1996, lEurope considre que la matrise du changement climatique devrait

    conduire limiter 2C laugmentation moyenne de temprature par rapport la situation

    prindustrielle. Ce chiffre de 2C dcoule en particulier de lexamen des conclusions des

    diffrents rapports du GIEC qui font apparatre une monte des risques associs au

    changement climatique au-del dun certain seuil : au-del, les interfrences

    anthropiques commenceraient devenir dangereuses pour le systme climatique. En

    termes de niveau de concentration acceptable il faudrait ne pas dpasser 450 ppmv pour

    tous les gaz effet de serre. Le respect de cette contrainte supposerait un plafonnement des

    missions mondiales avant 2020 puis leur dcroissance, avec en 2050 un retour un niveau

    dmission gal environ 50% de celui de lan 2000. A la place du doublement des

    missions dans le scnario du laisser-faire il faudrait donc une division par un facteur deux

    dans le scnario de contrainte carbone.

    Pour les politiques, lalternative est aujourdhui entre des scnarios de forte rduction,

    peut-tre difficilement atteignables, et des scnarios de fort changement climatique, sans

    doute inacceptables. Les options qui permettraient de conduire un futur compatible avec la

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  • matrise du changement climatique ne sont pas lgion. On en dnombre quatre : la sobrit

    nergtique et les technologies de lefficacit nergtique, le dveloppement de toute la

    gamme des nergies renouvelables, celui de lnergie nuclaire, enfin celui des technologies

    de capture et de stockage du CO2 dans les installations nergtiques de puissance. Les

    diffrents scnarios disponibles diffrent dans leur apprciation de la contribution relative de

    chacune de ces grandes options la solution du problme. Lavenir dans ce domaine nest

    pas crit, dautant que chaque socit pourra en partie choisir de recourir un policy-mix

    spcifique. Cependant on peut tirer deux enseignements gnraux de ces scnarios :

    premirement la matrise de la demande dnergie sa rduction dans les pays aujourdhui

    les plus consommateurs constitue la base des politiques climatiques ; deuximement,

    compte-tenu des quantits dnergie restant produire et des contraintes de potentiel

    technique pour le dveloppement des renouvelables, il est peu probable que lon puisse se

    passer compltement du nuclaire comme de la capture et du stockage du CO2.

    Une dcarbonisation pousse de lconomie nergtique, en rupture avec la

    trajectoire engage au moment de la rvolution industrielle impliquerait des changements

    majeurs dans les technologies nergtiques, mais aussi dans les infrastructures de tous

    ordres nergtiques, urbaines, de transport comme dans les comportements des

    citoyens et consommateurs. Le changement de paradigme nergtique ne se fera pas sans

    la mise en uvre de politiques publiques vigoureuses. Mais il est un dernier enseignement

    tirer des scnarios bas carbone tous se traduisent par une bien moindre utilisation des

    nergies fossiles, dont le ptrole et le gaz naturel. Rduisant la demande ils rendent le profil

    de production des fossiles beaucoup plus soutenables sur le long terme et beaucoup moins

    expos des risques de crises et de choc de prix. Il y aurait donc un vritable double

    bnfice : en sattaquant srieusement la question climatique, les politiques bas

    carbone rsolvent largement le problme de la raret ptrolire et gazire.

    Des politiques nergtiques en tension entre limpratif dapprovisionnement et la contrainte climatique

    Pour les Etats, en particulier ceux des pays importateurs dnergie, les politiques

    ambitieuses pour le climat devraient donc simposer naturellement. Mais tel nest pas encore

    le cas. Car la construction des politiques nergie-climat relve encore pour une part du

    dilemme du prisonnier en thorie des jeux : il serait de lintrt de tous de cooprer, mais

    comme il ny a aucune garantie sur le comportement des autres joueurs, mieux vaut

    supposer que la situation densemble sera non-cooprative. Les politiques nergtiques des

    grands ensembles conomiques sont donc marques de contradictions, avec des

    dclarations vertueuses sur le climat et des politiques concrtes qui conduisent renforcer

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  • les conditions dapprovisionnement en nergies fossiles. Cependant des lments de

    changement mergent dans toutes les rgions.

    LEurope apparat aujourdhui comme lensemble prsentant la plus grande cohrence, du

    moins au niveau du discours. La politique nergtique europenne est depuis lorigine le

    rsultat dun quilibre dlicat entre trois proccupations : la scurit, porte par la Direction

    Gnrale Transports et Energie, lenvironnement, port par la DG du mme nom, et enfin la

    comptitivit et la libert des marchs, porte par la DG Comptition. Le paquet Energie-

    Climat, propos dbut 2007 et adopt fin 2008, marque cependant une tape importante

    dans la monte de lenvironnement comme lment structurant. LEurope dispose, avec le

    trois fois vingt en 2020 , dobjectifs clairs pour le moyen terme : rduire les missions de

    20%, porter la part des nergies renouvelables 20% de la consommation totale, amliorer

    lefficacit nergtique dencore 20%. Mais alors que lensemble des grandes industries et

    du secteur lectrique est aujourdhui soumis au systme des quotas, il reste encore

    stopper le dveloppement des centrales charbon sans capture du CO2 et engager

    rapidement la bifurcation dans les transports et le btiment.

    Le dveloppement de la politique nergtique amricaine constitue aujourdhui une

    incertitude majeure, mais loptimisme est permis. Aprs huit ans dune administration

    proccupe avant tout dassurer les conditions de lapprovisionnement extrieur en ptrole et

    de dvelopper loffre interne, la nouvelle administration pourrait engager un tournant.

    Dabord avec lintroduction en interne dune politique nergtique volontariste, sinsrant

    dans le plan de relance de lconomie, en particulier par des investissements massifs

    dcids pour le dveloppement des rseaux lectriques et des nergies renouvelables : il y

    a l les lments de lmergence dun nouveau paradigme technique, fond sur llectricit

    comme vecteur du verdissement du systme nergtique, y-compris pour les transports

    avec les vhicules lectriques rechargeables. Lautre lment attendu est videmment le

    retour des Etats-Unis sur la scne de la ngociation multilatrale sur le climat. La position

    amricaine nest pas encore dfinie. Un signe est cependant interprter : toutes les

    nominations rcentes aux postes-cls de la politique et de la ngociation climatique ont

    permis de remettre en place des anciens protagonistes de la ngociation du Protocole de

    Kyoto sous ladministration Clinton-Gore : mauvaise nouvelle pour les dtracteurs du

    Protocole, bonne nouvelle pour les autres

    Mais lavenir se jouera largement ailleurs, dans les grands pays mergents et videmment

    en particulier en Chine. Il est difficile de trouver un exemple plus aigu de la contradiction

    entre la ralit observe et la ncessit, parfois revendique, dinscrire le dveloppement

    nergtique sur un nouveau cours : alors que la Chine a adopt un plan de rduction de

    lintensit du PIB en CO2 de 20% sur 5 ans, les consommations de charbon sont passes de

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  • 700 Mtep en 2001 1 300 en 2007, soit 40% de la consommation mondiale cette date. De

    mme, la Chine se proccupe de plus en plus ouvertement, par des investissements directs

    ou par des actions plus diplomatiques, daugmenter son contrle sur des sources

    dapprovisionnement en hydrocarbures, en particulier en Afrique ; et dans le mme temps

    elle promeut les nergies renouvelables et les projets de villes cologiques. Il ne sagit sans

    doute pas plus dun double langage que dans les autres rgions du monde simplement la

    tension entre la soif dnergie et la prise de conscience des contraintes est dans ce pays

    encore plus forte quailleurs.

    *

    Cest dans la capacit mettre en uvre rapidement au plan mondial les lments

    techniques, politiques et sociaux dune grande bifurcation que se jouera le lavenir

    nergtique : un futur de conflits pour laccs aux ressources dans un monde boulevers par

    les changements climatiques, ou un futur combinant sobrit et investissement massif pour

    un systme nergtique durable. Cette capacit daction nest pas encore prouve, mais on

    ne pourra pas dire quau dbut du XXIme sicle on ne savait pas encore lampleur des

    dfis.

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    Le scnario du laisser-faire nergtique n'est pas soutenable sur le long termeLe scnario de prcaution pour le climat suppose des politiques vigoureusesDes politiques nergtiques en tension entre l'impratif d'approvisionnement et la contrainte climatique