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les proverbes dans LE LITTRÉ électronique Maryse PRIVÂT Universidad de La Laguna Cette étude a la modeste intention de présenter à celles et ceux qui ne le connaî- traient pas encore, le dictionnaire Le Littré dans sa version informatique sous forme de cédérom, et d'y observer la place et le traitement accordés aux proverbes. Après une rapide présentation du produit, j'examinerai les avantages indéniables de ce diction- naire électronique pour l'étude des proverbes, facette qui nous intéresse aujourd'hui, tout en apportant certaines observations et critiques que j'ai pu élaborer grâce à une utilisa- tion répétée de cet instrument dans le cadre de mes recherches sur les proverbes repré- sentant le monde féminin. Créé par la firme française Redon 1 le cédérom Le Littré est la seule version élec- tronique de ce dictionnaire existant sur le marché actuellement, à ma connaissance. Je ne vous ferai pas l'injure de vous présenter le dictionnaire de Mr. Emile Littré, diction- naire de la langue française du XIX e siècle par excellence, mais je vous citerai les prin- cipales particularités du support électronique face à sa version papier. Pour ce qui est de la présentation visuelle, on retrouve à l'écran, avec une disposi- tion conforme aux avances technologiques d'aujourd'hui, les articles du dictionnaire papier, à savoir le mot d'entrée suivi de sa ou ses acceptions et définitions ; puis viennent les différentes rubriques spécifiques, Proverbes, Historique, Étymologie 2 et éven- tuellement une quatrième rubrique Supplément au Dictionnaire. Ceci étant dit, le sup- port électronique présente d'emblée un avantage de taille. Grâce à une simple touche, il est possible de passer d'une rubrique à l'autre, alors que dans la version papier, il faut repérer dans le texte les initiales correspondantes, à savoir un P pour proverbes, un H pour historique 3 ,... De plus, mis à part les avantages communs à tous les cédérom tels que stockage et poids réduit, maniabilité, " transportabilité ", rapidité de visualisation et de recherche, possibilités d'interactions diverses, je m'arrêterai sur l'avantage extrême que supposent les filtres offerts par le logiciel choisi pour ce dictionnaire électronique. En effet, le cédérom Le Littré propose quatre filtres différents, permettant d'accéder directement à une liste de mots sélectionnés selon divers critères. Le premier filtre nous donne une classification des mots par index thématique. Alors que dans le dictionnaire papier, les mots ayant une acception liée à un domaine spécifique comme la marine, la faucon- nerie, l'héraldique, etc., sont dispersés à leur place respective, ils se trouvent regroupés dans le cédérom par thèmes, depuis la banque jusqu'à la zoologie, et l'on peut ainsi 1 Éditions Redon; 1, rue Gustave Maroux; F-26740 Marsanne; tel.: (0)4 75 90 25 30; fax: (0)4 75 90 31 02; site web: www.dictionnaires-france.com 2 Dans l'édition de l'Encyclopedia Britannica (1994), la partie étymologique a été supprimée car "presque toujours fautive, périmée ou incomplète". Cf. volume 1, note p. 26. 3 Dans l'édition de l'Encyclopedia Britannica (1994), l'initiale P. a été remplacée par le mot Proverbes en entier, qui se fond encore davantage dans le texte et rend quasi impossible une recherche visuelle. María Luz Casal Silva et al. (eds.), La lingüística francesa en España camino del siglo XXI, 2000

les proverbes dans LE LITTRÉ électroniquepour les parémiologues, puisqu'il nous permet de saisir tous les proverbes présents dans le dictionnaire, ce que la version papier ne nous

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  • l e s p r o v e r b e s d a n s LE LITTRÉ é l e c t r o n i q u e

    Maryse PRIVÂT Universidad de La Laguna

    Cette étude a la modeste intention de présenter à celles et ceux qui ne le connaî-traient pas encore, le dictionnaire Le Littré dans sa version informatique sous forme de cédérom, et d'y observer la place et le traitement accordés aux proverbes. Après une rapide présentation du produit, j'examinerai les avantages indéniables de ce diction-naire électronique pour l'étude des proverbes, facette qui nous intéresse aujourd'hui, tout en apportant certaines observations et critiques que j 'ai pu élaborer grâce à une utilisa-tion répétée de cet instrument dans le cadre de mes recherches sur les proverbes repré-sentant le monde féminin.

    Créé par la firme française Redon1 le cédérom Le Littré est la seule version élec-tronique de ce dictionnaire existant sur le marché actuellement, à ma connaissance. Je ne vous ferai pas l'injure de vous présenter le dictionnaire de Mr. Emile Littré, diction-naire de la langue française du XIXe siècle par excellence, mais je vous citerai les prin-cipales particularités du support électronique face à sa version papier.

    Pour ce qui est de la présentation visuelle, on retrouve à l'écran, avec une disposi-tion conforme aux avances technologiques d'aujourd'hui, les articles du dictionnaire papier, à savoir le mot d'entrée suivi de sa ou ses acceptions et définitions ; puis viennent les différentes rubriques spécifiques, Proverbes, Historique, Étymologie2 et éven-tuellement une quatrième rubrique Supplément au Dictionnaire. Ceci étant dit, le sup-port électronique présente d'emblée un avantage de taille. Grâce à une simple touche, il est possible de passer d'une rubrique à l'autre, alors que dans la version papier, il faut repérer dans le texte les initiales correspondantes, à savoir un P pour proverbes, un H pour historique3,...

    De plus, mis à part les avantages communs à tous les cédérom tels que stockage et poids réduit, maniabilité, " transportabilité ", rapidité de visualisation et de recherche, possibilités d'interactions diverses, je m'arrêterai sur l'avantage extrême que supposent les filtres offerts par le logiciel choisi pour ce dictionnaire électronique. En effet, le cédérom Le Littré propose quatre filtres différents, permettant d'accéder directement à une liste de mots sélectionnés selon divers critères. Le premier filtre nous donne une classification des mots par index thématique. Alors que dans le dictionnaire papier, les mots ayant une acception liée à un domaine spécifique comme la marine, la faucon-nerie, l'héraldique, etc., sont dispersés à leur place respective, ils se trouvent regroupés dans le cédérom par thèmes, depuis la banque jusqu'à la zoologie, et l'on peut ainsi

    1 Éditions Redon; 1, rue Gustave Maroux; F-26740 Marsanne; tel.: (0)4 75 90 25 30; fax: (0)4 75 90 31 02; site web: www.dictionnaires-france.com

    2 Dans l'édition de l'Encyclopedia Britannica (1994), la partie étymologique a été supprimée car "presque toujours fautive, périmée ou incomplète". Cf. volume 1, note p. 26.

    3 Dans l'édition de l'Encyclopedia Britannica (1994), l'initiale P. a été remplacée par le mot Proverbes en entier, qui se fond encore davantage dans le texte et rend quasi impossible une recherche visuelle.

    María Luz Casal Silva et al. (eds.), La lingüística francesa en España camino del siglo XXI, 2000

    http://www.dictionnaires-france.com

  • retrouver en une seconde tous les mots de la gastronomie, ou tous les termes d'archi-tecture, reliure, chirurgie, jardinage, chasse ou autres. Le deuxième filtre concerne les siècles et, de la même façon, présente une vue d'ensemble de tous les mots recensés pour un siècle donné et dont l'historique contient un exemple4. Quant au troisième fil-tre, il permet une recherche par auteurs cités, en donnant le nombre de citations, la liste de mots d'entrée concernés, et la page sélectionnée par l'utilisateur se trouvera ouverte dans son intégralité, mais placée automatiquement sur la citation recherchée. Ce regrou-pement de citations par auteurs est absolument impossible avec le dictionnaire tradi-tionnel.

    Enfin, pour ce qui est du dernier filtre proposé, vous imaginerez aisément qu'il s'agit d'un filtre par proverbes et qu'il constitue l'avantage suprême du Littré électronique pour les parémiologues, puisqu'il nous permet de saisir tous les proverbes présents dans le dictionnaire, ce que la version papier ne nous permettrait que par un feuilletage systé-matique des six ou sept volumes de plus de 1000 pages chacun, selon l'édition. L'ordinateur nous présente, à gauche de l'écran, une étroite liste déroulante nous don-nant la liste alphabétique des mots concernés, tandis que le reste de l'écran nous offre l'intégralité du texte de l'entrée choisie, tout en surlignant en caractères rouges le terme 14 proverbes " présent une ou plusieurs fois dans le texte, ce qui permet d'aller directe-ment à la partie parémiologique qui nous intéresse, sans s'arrêter nécessairement à la définition du mot ou à la partie historique.

    Le premier avantage de voir ainsi regroupés tous les proverbes du dictionnaire est d'en avoir une vue d'ensemble même si, évidemment, ce répertoire global ne se limite pas à un seul écran. Tout d'abord et en commençant par l'accessoire, il est possible de faire une évaluation chiffrée de l'univers parémiologique du Littré. A raison de 27 mots d'entrée par écran, sachant qu'il y a 40 plans successifs, cela nous donne un total appro-ximatif de 1080 mots donnant lieu à un ou plusieurs proverbes. Quant au chiffre exact de proverbes introduits par ces mots, il est plus difficile à évaluer, le même proverbe apparaissant plusieurs fois sous des entrées différentes, et du fait que le nombre de pro-verbes cités par mot varie de 1 à 20.

    Un second avantage beaucoup plus considérable qu'une simple numération est de pouvoir accéder en une fraction de seconde aux proverbes figurant sous un article donné, de vérifier si tel mot clé qui nous intéresse existe et quels sont les proverbes correspondant. Ainsi, si j'étudiais les proverbes concernant les animaux, je remar-querais d'emblée dans la liste déroulante des mots tels que âne, cheval, chien, pigeon, puce, ..., et j'aurais accès dans la seconde suivante aux proverbes répertoriés par Le Littré. Dans mon cas, comme mes recherches linguistiques s'intéressent davantage aux humains de sexe féminin, je chercherai des entrées pertinentes comme femme, fille, fillette, dame, ... Je noterai également que, si les articles cheval et chien s'ouvrent sur une liste de vingt proverbes chacun, il en va autrement pour femme qui n'a droit qu'à trois proverbes, ou fille et fillette, qui n'en offrent qu'un seul respectivement.

    4 On peut ainsi comptabiliser 56 mots recensés pour le IXe siècle, 155 mots pour le X e siècle, 1506 pour le XIe, 3894 pour le XIIe, ...

    María Luz Casal Silva et al. (eds.), La lingüística francesa en España camino del siglo XXI, 2000

  • Cette liste de mots, considérés en quelque sorte comme mots clés, mots représen-tatifs des proverbes, nous amène à formuler certaines observations. Quels critères ont été suivis dans le choix de ces mots ? Sont-ils tous de véritables mots clés des proverbes correspondants ? Cela ne fait aucun doute pour certains comme renommée, pierre, pommelé, où les proverbes à venir sont aisément prévisibles. Cela peut d'ailleurs don-ner lieu à un jeu qui consisterait à deviner le proverbe caché derrière le mot de la liste avant de le lire. Nous trouverons évidemment pour les mots précédents Bonne renom-mée vaut mieux que ceinture dorée ; Pierre qui roule n 'amasse pas mousse et Ciel pom-melé, femme fardée sont de courte durée. Il n'en va pas de même pour d'autres mots et, comme, accord, saladier, taupe ou truffe. Quels proverbes vont apparaître derrière ces termes ? Connaissiez-vous le proverbe La politesse est au fond du saladier, vérité par ailleurs bien observée ? Dans un autre ordre d'idées, le mot et peut-il être vraiment con-sidéré comme mot clé, et a fortiori du proverbe suivant : Dieu nous garde d'un quipro-quo d'apothicaire, et d'un et caetera de notaire ? Y a-t-il eu confusion graphique entre les deux mots et, etc. Autre question : si la conjonction de subordination comme est con-sidérée mot clé parce qu'étant le premier mot du proverbe cité en correspondance Comme on fait son lit on se couche, pourquoi le pronom relatif qui n'apparaît-il pas dans la liste, alors qu'il figure en tête de nombreux proverbes, également présents dans le corpus du Littré ?

    On peut dire que la visualisation globale des mots d'entrée face à leurs proverbes correspondants permet de mettre en évidence l'absence de systématisation, voire de réflexion ordonnée sur la recherche du mot clé pertinent pour le classement des prover-bes, ce qui est en partie excusable, l'étude parémiologique n'étant pas la première prio-rité d'un tel dictionnaire5. Il est cependant à remarquer qu'une place privilégiée est accordée aux proverbes dans Le Littré, puisqu'ils sont répertoriés dans une rubrique spécifique en fin d'article, et que dans certains cas de supplément au dictionnaire, il n'est ajouté qu'un seul proverbe à l'article. C'est le cas notamment pour les mots sui-vants : mars, merlette, moucher, nu.

    Il semble évident que la possibilité d'embrasser l'ensemble parémiologique du Littré nous permet de regarder de plus près, et de façon privilégiée, le travail exécuté par le lexicographe en ce qui concerne les proverbes, ce qui serait impossible ou beau-coup trop malaisé sur le support traditionnel en papier. Ainsi il est très facile et presque instantané d'afficher à la suite les différentes versions d'un même proverbe figurant sous plusieurs mots clés. On peut ainsi constater que la présentation du proverbe est très variée : ou bien le proverbe apparaît seul, ou suivi d'un renvoi à un autre mot clé ; il

    5 Dans sa préface de l'édition de 1872, se trouve la seule remarque parémiologique concernant, non pas les proverbes mais les locutions proverbiales: "Il est enfin un dernier ordre de remarques, tantôt mises sous ce chef, tantôt incorporées dans la série des acceptions du mot. Il s'agit de l'interprétation de certaines locutions figurées ou proverbiales. J'ai, toutes les fois que cela m'a été possible, expliqué d'où provenait la locution et comment on devait en comprendre l'origine et l'application ; mais je conviens sans hésitation que, malgré mes efforts, cette partie est loin d'être complète. En effet, à moins que l'interprétation ne s'offre d'elle-même, ou que des renseignements précis n'aient été conservés, il n'est guère que le hasard qui fasse ren-contrer, en cela, ce que l'on cherche ; je veux dire que le succès dépend des chances de lecture qui amènent sous les yeux quelque passage explicatif".

    María Luz Casal Silva et al. (eds.), La lingüística francesa en España camino del siglo XXI, 2000

  • peut également être suivi d'une explication - interprétation, suivie le cas échéant d'une citation d'auteur. Ce travail systématique de rapprochement m'a permis de constater à nouveau un manque évident de constance dans le traitement lexicographique des pro-verbes. Tous les cas de figure sont présents. En ce qui concerne les renvois évitant la répétition d'un même proverbe sous plusieurs entrées, ils sont très rares et je n'ai rele-vé qu'une seule occurrence de cohérence, pour le proverbe La caque sent toujours le hareng, qui apparaît aux trois mots clés caque, hareng et sentir, avec une seule expli-cation à l'entrée caque, et un simple renvoi aux deux autres entrées. Si l'on examine la présence ou non d'explication du proverbe, on s'aperçoit bien vite qu'il n'y a pas non plus de régularité. Parfois une explication suivie, le cas échéant, d'une citation se justi-fie en cas de proverbe quelque peu obscur ; c'est le cas de Jeune chair et vieux poisson, dont le sens n'est pas immédiat, sauf pour certains parémiologues avertis. Dans d'au-tres cas parfois, on ne trouve aucune explication à la suite de proverbes transparents comme Qui va à la chasse perd sa place, ce qui peut sembler compréhensible. Beaucoup moins logique est l'absence d'explication derrière ces proverbes moins clairs pour lesquels le public aurait bien mérité, ne serait-ce qu'une courte explication.

    Le jaune est le fard des brunes. Qui loin se pourvoit, de près jouit. Il y a plus de jours que de semaines. Qui perd le sien perd le sens. Le vin trouble ne casse pas les dents.

    Un peu de réflexion nous permettrait assurément de comprendre ces proverbes, mais pourquoi ne pas les expliquer alors que cela est fait pour d'autres, beaucoup plus notoires :

    Froides mains, chaudes amours. Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois. Il n'y a pas de belles prisons ni de laides amours. Qui trop embrasse mal étreint.

    Il est à noter à ce sujet que, si certains proverbes ne figurent qu'à un seul mot clé, très nombreux sont ceux qui sont répétés à chaque mot de la phrase. Dans ce cas, la défi-nition-interprétation qui suit, à de très rares exceptions, n'utilise jamais exactement les mêmes termes. Par exemple, le proverbe Froides mains, chaudes amours apparaît sous quatre entrées différentes amour, chaud, froid et main, avec ces explications respectives :

    (amour) la fraîcheur des mains passe pour annoncer un tempérament ardent. (chaud), c'est-à-dire la fraîcheur des mains annonce ordinairement un tempérament

    ardent. (froid) se dit pour marquer que la chaleur du dehors se retire au dedans quand on est

    fortement amoureux. (main) c'est-à-dire le froid de la main indique que la chaleur est concentrée dans le

    coeur.

    María Luz Casal Silva et al. (eds.), La lingüística francesa en España camino del siglo XXI, 2000

  • Pour cet autre proverbe, Qui s'attend à l'écuelle d'autrui a souvent mal dîné, trou-vé sous les entrées attendre, autrui, dîner, écuelle, les commentaires sont les suivants :

    (attendre) c'est-à-dire il ne faut pas compter sur autrui, (autrui) c'est-à-dire il ne faut pas compter sur autrui. (dîner) c'est-à-dire on est souvent déçu quand on compte sur l'aide d'autrui, (écuelle) c'est-à-dire celui qui fait trop de fonds sur autrui est souvent déçu.

    Graissez les bottes d'un vilain, il dira qu'on les lui brûle. Ce proverbe apparaît sous quatre entrées différentes, botte, brûler, graisser et vilain, avec un seul renvoi et trois définitions quelque peu dissemblables.

    (botte) c'est-à-dire un avare trouve toujours moyen de se dispenser de la reconnais-sance d'un service.

    (brûler) c 'est-à-dire il y a des gens qui ne veulent pas reconnaître les bons offices qu'on leur rend.

    (graisser) se dit de ceux qui payent d'ingratitude un service rendu, (vilain) Voy. Botte 2.

    C'est aussi le cas de ce proverbe Brebis comptées, le loup les mange, qui se trouve sous les quatre mots constitutifs de la phrase, avec quatre commentaires explicatifs de longueur et de contenu légèrement distincts,.

    (brebis) il ne suffit de compter, il faut veiller. (compter) c'est-à-dire l'excès de précaution est plus nuisible qu'utile, (loup) quelque soin qu 'on ait de garder ce qu 'on a et d'en savoir le compte, on ne lais-

    se pas quelquefois d'être volé ; ce proverbe signifie aussi : cela porte malheur de prendre le compte exact de ce que l'on possède.

    (manger) c'est-à-dire cela porte malheur de savoir son compte, et, plus raisonnable-ment, il ne suffit pas de les avoir comptées, il faut savoir les garder.

    Quant au proverbe de cinq mots Qui trop embrasse mal étreint, que l'on retrouve aux trois entrées embrasser, étreindre et trop, il est suivi des trois explications suivantes :

    (embrasser) se dit de celui qui, entreprenant beaucoup, réussit mal à chaque chose, (étreindre) signifie qu'il ne faut pas faire plusieurs entreprises à la fois, (trop) qui entreprend trop de choses à la fois ne réussit à rien.

    Qui est amer à la bouche est doux au cœur, proverbe qui n'est présent qu'aux deux entrées amer et doux, offre deux définitions quelque peu différentes

    (amer) c'est-à-dire des choses désagréables peuvent être salutaires, (doux) se dit pour inviter les gens à prendre une médecine désagréable ; et, figuré-

    ment, se soumettre à quelque chose qui déplaît.

    Quant à l'explication du proverbe, Jeune chair et vieux poisson, présent sous les quatre mots de la phrase, il nous donne, selon la définition étudiée, une interprétation

    María Luz Casal Silva et al. (eds.), La lingüística francesa en España camino del siglo XXI, 2000

  • plus ou moins détaillée, nous précisant que vieux poisson recouvre le sens de 'gros' et non pas 'avarié', alors que l'on apprend que le terme jeune chair peut prendre le sens de 'jeune femme'.

    (chair) c'est-à-dire il faut manger les animaux quand ils sont jeunes, et les poissons quand ils sont vieux.

    (jeune) c'est-à-dire il faut manger les animaux de boucherie, la volaille, le gibier jeune et les poissons vieux.

    (poisson) la chair des jeunes bêtes et celle des vieux poissons sont les meilleures, (vieil) les bêtes jeunes, qui sont plus tendres, et, au figuré, les femmes dans leur jeu-

    nesse, le poisson quand il est gros.

    Des exemples similaires pourraient être multipliés sans fin car ils constituent la majorité des occurrences du Littré. De très rares exemples nous montrent des proverbes répétés et suivis d'une phrase explicative unique. Personnellement, sur tous les prover-bes du Littré, je n'en ai relevé que deux, Jamais honteux n'eut belle amie, apparaissant sous ami et honteux avec le même commentaire: 44 en amour il faut être entreprenant ", et cet autre proverbe Jamais belle chair ne fut près des os qui, sous les mots chair et os, nous donne l'explication suivante : 44 une femme trop maigre n'est jamais belle ".

    Cette constatation de diversité dans la glose des proverbes, illustrée par une énu-mération de cas répétés, doit également nous conduire à analyser la raison de cette plu-ralité. Pourquoi n'y a-t-il pas, là non plus, de constance, de régularité dans le traitement de la définition du proverbe ? Il semble que chaque proverbe soit réexaminé, redéfini à l'arrivée de chaque nouveau mot à illustrer, sans tenir compte d'une éventuelle défini-tion déjà attribuée à ce même proverbe précédemment, ce qui se ferait de nos jours d'au-tant plus rapidement et efficacement que nous disposons des outils informatiques appro-priés. Monsieur Littré ne disposait bien évidemment pas de tels perfectionnements tech-nologiques et ne travaillait pas seul. Son équipe de rédacteurs ne pouvait certainement pas se communiquer systématiquement le travail déjà réalisé par l'un ou l'autre6. Ces raisons peuvent s'étendre bien évidemment au manque de régularité dans le traitement des renvois ou des répétitions de proverbes sous des mots clés divers. Qui a décidé de faire apparaître tel proverbe sous un seul mot clé et sans explication aucune, et cet autre sous les quatre mots du proverbe avec quatre phrases explicatives synonymes mais uti-lisant des mots divers ? J'avoue ne pas avoir de réponse incontestable ni satisfaisante. Ces constatations d'ordre lexicographique n'ôtent aucun mérite à ce dictionnaire qui, par ailleurs, nous permet d'accéder aux explorations classiques de tout recueil de pro-verbes où l'on peut relever, au hasard des pages, des proverbes contradictoires (Il n'est si bon cheval qui ne devienne rosse versus Jamais bon cheval ne devint rosse ; ou encore

    6 Dans sa "causerie" Comment j'ai écrit mon dictionnaire, en préface à son dictionnaire, Emile Littré nous précise la liste de ses collaborateurs, ainsi que son mode de travail: "Je prononçai donc la clôture de la récolte des exemples. Ils étaient écrits sur de petits carrés de papier, portant chacun le nom de l'auteur, le titre de l'ouvrage, la page ou le chapitre. Chaque écrivain formait un paquet de ces carrés, déjà rangés alphabéti-quement. Cela dut être transformé en un arrangement alphabétique général. Cette besogne toute matérielle, dont je me chargeai, m'occupa pendant plus de trois mois plusieurs heures par jour ".

    María Luz Casal Silva et al. (eds.), La lingüística francesa en España camino del siglo XXI, 2000

  • Cœur qui soupire n'a pas ce qu'il désire versus Cœur content soupire souvent). On y retrouve de même les confusions ou interférences habituelles entre proverbes, dictons ou locutions proverbiales, quelques problèmes d'interprétation de proverbes obscurs, ainsi que de savoureux proverbes discriminant les femmes, puisque ce fut l'objet prin-cipal de mes recherches dans ce dictionnaire.

    En ce qui concerne l'association faite entre proverbes et locutions proverbiales, c'est à dire formes verbales à valeur proverbiale, il est intéressant de signaler que cer-taines apparaissent dans Le Littré sous la rubrique Proverbes, comme c'est le cas de bat-tre le chien devant le loup ou mettre du foin dans ses bottes, alors que d'autres doivent être cherchées dans le texte de l'article concerné comme barbe pour la locution prover-biale faire à Dieu barbe de feurre (ou de paille). Conséquemment, une étude parémio-logique qui embrasserait les locutions proverbiales ne pourrait se contenter du filtre Proverbes proposé par la version électronique et devrait également balayer la totalité des articles7*

    La deuxième remarque, sur la difficulté d'interprétation de certaines parémies, ne concerne que peu de proverbes dans l'ensemble. Au bout du fossé la culbute pose la question, dans le commentaire faisant suite à l'explication donnée à l'entrée fossé, du " sens physique et propre qui y a donné lieu ". L'auteur de cet article s'interroge sur ce que peut signifier 4le bout du fossé' ; est-ce l'endroit où le fossé commence ou le bout du champ où se trouve le fossé ? Quant à l'entrée bout, elle donne simplement une phrase explicative, sans émettre aucun doute ; et pour la troisième entrée culbute, on trouvera le même proverbe suivi d'un renvoi, non pas à la version la plus complète mais au mot bout. Un autre proverbe se révèle problématique quant au sens ; il s'agit de celui qui réunit Martin, son âne et le fameux point, à savoir Faute d'un point (ou Pour un point) Martin perdit son âne. La question sera posée, non pas sous la rubrique Proverbes où une simple interprétation est donnée mais dans une citation de Pasquier, dans le para-graphe Historique: " D'où vient ce proverbe, Pour un poinct Martin perdit son asne ? ". Un troisième exemple sera illustré par la parémie mettre du foin dans ses bottes qui, bien que défini comme locution dans le texte, est présenté sous l'alinéa Proverbes avec l'énig-me suivante : " Comment expliquer au propre mettre du foin dans ses bottes ? Est-ce mettre du foin dans les chaussures appelées bottes ? Mais on ne fait cela que pour se préserver du frottement. Est-ce faire grosses les bottes de foin ? Si cela était, il faudrait croire que la locution fut primitivement mettre du foin dans les bottes. "

    L'avantage essentiel de ce dictionnaire électronique est de saisir d'un seul bloc toutes les parémies et de pouvoir feuilleter tous les articles, afin de repérer les proverbes nous intéressant, aidés par la recherche " plein-texte " nous permettant d'accéder direc-tement aux mots recherchés, complets ou tronqués. Dans mon cas, il s'agissait des pro-verbes relatifs aux femmes. Le choix des mots clés n'étant pas toujours pertinent ni cohérent, et V article femme ne nous donnant par exemple que trois occurrences, comme nous l'avons déjà dit, il était donc utile, comme dans tout autre recueil de proverbes, de chercher ailleurs qu'aux entrées transparentes femme, fûle, fillette, amie, dame et autres

    7 Cf. note 5.

    María Luz Casal Silva et al. (eds.), La lingüística francesa en España camino del siglo XXI, 2000

  • parasynonymes. C'est ainsi que sous les trois entrées distinctes ciel, fardé et pommelé l'on retrouve le proverbe Ciel pommelé et femme fardée sont de courte durée, alors qu'il ne figure pas sous l'entrée femme. De même, les mots doré, frein et mule affichent le proverbe bien connu A vieille mule frein doré, également absent de l'article femme. J'ai pu de la sorte obtenir une liste exhaustive de tous les proverbes " féminins " présents dans Le Littré, ce qui aurait été bien plus long et pénible à réaliser dans le dictionnaire traditionnel. De cette liste je détacherai, à titre d'exemple, les proverbes suivants don-nés sous des entrées aussi diverses qu'inattendues, Pâques, chanter, cheval, curé, fumier, fuseau, gratte-cul, grenouille, maison, sot, tendre, vendre, vin, ...

    Il serait amoureux d'une chèvre coiffée. Il faut faire carême-prenant avec sa femme et Pâques avec son curé. Ce n 'est pas à la poule à chanter devant le coq. Des femmes et des chevaux, il n 'en est point sans défauts. Qui croit sa femme et son curé est en danger d'être damné. Epands ton fumier près, et marie ta fille loin. Le fuseau doit suivre le hoyau. Il n 'est point de si belle rose qui ne devienne gratte-cul. Il n 'y a pas de grenouille qui ne trouve son crapaud. Qui veut tenir nette sa maison n'y mette femme, prêtre ni pigeon. Femme sotte se connaît à la cotte. Jeune femme, pain tendre, bois vert, mettent la maison au désert. Femme qui prend se vend. Vin, fille, faveur et poirier, sont difficiles à conserver.

    Si l'on veut travailler avec Le Littré sur les proverbes, il est absolument indispen-sable de compléter la recherche en étudiant également la rubrique Historique ou le fil-tre par auteurs, où apparaissent de nombreux proverbes considérés comme des citations car empruntés aux recueils de proverbes ou dictionnaires de Cotgrave, de Génin, de Lacurne, mais dans leur grande majorité, de Leroux de Lincy**- Pour ce faire, après avoir repéré les différents auteurs de proverbes, il suffit de lancer une recherche " plein texte " unissant la troncature 'fem*' à chaque auteur cité, pour obtenir la liste exhausti-ve des mots d'entrée des citations, donc à quelques exceptions près des proverbes, où apparaissent les mots femme, femelle, féminin, féminine,... Il ne nous restera plus qu'à y puiser le matériel recherché. Pour ce qui est des proverbes sur les femmes cités par Leroux de Lincy ou Cotgrave, j 'en ai relevé de nombreux qui viennent compléter la liste obtenue par la rubrique spécifique Proverbes où ils ne figuraient dans aucun des cas.

    Vides chambres font femmes folles. A la chandelle la chèvre semble demoiselle. Beauté de femme n'enrichit homme. Où il y a chiens il y a puces ; où il y a pain il y a souris ; où il y a femmes il y a diables.

    8 Adrien-Jean-Victor Leroux de Lincy (1806-1869) semble avoir constitué la principale source paré-miologique d'Emile Littré, son contemporain (1801-1881), avec 606 citations recensées dans son dictionnaire.

    María Luz Casal Silva et al. (eds.), La lingüística francesa en España camino del siglo XXI, 2000

  • Qui bat sa femme il la fait braire ; qui la rebat il la fait taire. Femme et melon à peine les connaît-on. etc...

    En s'éloignant quelque peu de l'univers parémiologique pour s'intéresser à des recherches linguistiques ou lexicologiques plus larges, sur les femmes ou sur un autre sujet, le dictionnaire Le Littré électronique constitue également un outil remarquable, d'une part par ses rubriques et filtres spécifiques qui nous amènent directement dans le secteur que l'on veut privilégier (siècles ou champs lexicaux spécialisés), mais aussi par la possibilité qu'il nous offre d'effectuer une recherche booléenne " plein texte " par mots complets ou troncatures. Ainsi, à titre d'exemple, un très rapide balayage de tous les articles des premières lettres de l'alphabet m'a donné une liste originale de mots tombés dans l'oubli et qualifiant les femmes, le plus souvent négativement comme il était prévisible. Ainsi, une femme affichée est une femme dont la galanterie est no-toire ; une bada est une femme étourdie ; une bagasse, une barboteuse, une boucanière, une caille coiffée est une femme de mauvaise vie ; une bonbec est une femme bavarde ; une cavale est une grande femme mal bâtie ; enfin, une gagui est une femme qui a beau-coup d'embonpoint et qui est fort enjouée.

    Les possibilités d'exploitation du Littré électronique sont presque illimitées. Il faut cependant préciser qu'il sera encore plus efficace lorsque les quelques erreurs imputables à l'édition du support électronique auront été éliminées, et lorsque la base de données nous permettra des recherches booléennes plus subtiles. En ce qui concerne les erreurs, bien que ne touchant pas à l'essentiel, elles sont suffisamment nombreuses pour jeter un léger voile de suspicion sur la fiabilité parfaite des recherches effectuées sur ce dictionnaire.

    Je signalerai notamment quelques défectuosités concernant le filtrage par thèmes spécifiques. Ainsi, dans les termes de marine normalement signalés par filtre, le mot alouette est absent alors que dans l'article correspondant apparaît le terme noeud d'alouette, en tant que terme de marine. Il en va de même pour bec, terme de blason, ou amour en termes de fauconnerie, non inscrits dans la liste filtrée, bien que présents dans les définitions respectives sous les articles bec et amour. Pour ce qui est des proverbes, on peut trouver également certains oublis, des paragraphes consacrés aux proverbes qui n'ont pas été filtrés, donc non signalés en rouge, et sur lesquels la recherche automati-que ne s'arrêtera pas; c'est le cas notamment de nature et de oreille, alors qu'une recherche manuelle nous mène à trois proverbes pour chaque mot.

    Pour ce qui est de la recherche booléenne, il serait à souhaiter que la firme Redon nous propose dans une prochaine édition un mode de recherche plus approfondi, de façon à réaliser des équations plus complexes, ne serait-ce que la recherche de proximité ou par adjacence, permettant par exemple de retrouver les textes où plusieurs mots sont unis dans une même phrase par un nombre déterminé de mots. Dans l'édition actuelle, si l'on lance une recherche plein texte sur les mots proverbe et femme9, on obtiendra tous les textes où

    9 II est évidemment possible de proposer des troncatures : prov* pour proverbe, proverbial, etc.; ou fem* pour femme, féminin, etc. et d'ajouter les opérateurs booléens classiques et, ou, sauf permettant de supprimer les mots parasites, tels que Provence, provincial, providence, etc.

    María Luz Casal Silva et al. (eds.), La lingüística francesa en España camino del siglo XXI, 2000

  • ces deux mots sont effectivement présents, ce qui ne signifie pas obligatoirement que les deux termes soient en relation, que Ton soit en présence d'un proverbe concernant les femmes. Par contre, s'il est possible de faire une recherche sur ces deux mots à condition qu'ils ne soient pas séparés par plus de n termes, choisi par l'utilisateur10, il y a davanta-ge de probabilités pour que les deux concepts soient liés, et que l'on soit en présence de phrases mettant en relation effective les mots choisis.

    Ces légères imperfections ne remettent pas en cause la pertinence et le gigantesque éventail de ressources que nous offre ce nouveau support. Elles nous montrent qu'un travail en collaboration entre linguistes-chercheurs et éditeurs-informaticiens est sou-haitable pour qu'une prochaine édition du Littré électronique soit parfaite. De nouveaux horizons s'ouvrent à la recherche linguistique si des outils aussi pertinents que perfor-mants et fiables sont mis à la disposition des chercheurs. Je souhaite sincèrement que ces modifications aient déjà eu lieu dans le cédérom plus complet que vient d'éditer cette firme, une nouvelle édition regroupant sous le titre L'atelier historique de la lan-gue française, le dictionnaire Le Littré, ainsi que celui de Lacurne de Sainte Palaye, celui de Furetière, le dictionnaire de l'Académie française (édition de 1762), le diction-naire philosophique de Voltaire, le dictionnaire des synonymes de Guizot et les Curiosités françaises de Oudin, avec toutes les possibilités d'assemblage, combinaison, mise en perspective, recoupage et regroupement imaginables.

    Je ne peux terminer cette présentation du Littré électronique sans citer quelques proverbes de choix qui nous concernent aujourd'hui et ici, à Saint Jacques de Compostelle, ville de pèlerinage par excellence, à savoir :

    Vent du soir et pluie du matin n 'étonnent pas le pèlerin. La pluie du matin réjouit le pèlerin. Pèlerin qui chante larron épouvante. Rouge au soir, blanc au matin, c 'est la journée du pèlerin.

    (dans ses deux interprétations possibles, les couleurs rouge et blanc se référant soit à la cou-leur du ciel, soit à la couleur du vin à boire, autrement dit : Il faut boire du vin rouge le soir, et du vin blanc à déjeuner)

    BIBLIOGRAPHIE

    LITTRÉ, É. (1967-1872) : Dictionnaire de la langue française, Paris, Gallimard -Hachette.

    - (1994- 1872): Dictionnaire de la langue française, USA, Encyclopedia Britannica. - (1996-1872): Dictionnaire de la langue française (édition 1872), Redon, version 1.3,

    Windows 95 (cédérom). LEROUX DE LINCY, A. J. V. (1996-1842): Le livre des proverbes français, Paris,

    Hachette.

    10 Ce mode de recherche est utilisable avec le cédérom Dictionnaires des XVIe et XVIIe siècles des Édi-tions Champion Électronique (1998).

    María Luz Casal Silva et al. (eds.), La lingüística francesa en España camino del siglo XXI, 2000