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UNIVERSITE DU MAINE UFR Lettres, Langues et Sciences Humaines Département d’Etudes Anglophones Labo 3L.AM, EA 4335 Thèse présentée En vue de l’obtention du DOCTORAT de L’UNIVERSITE du Maine Discipline : Etudes Anglophones Par Mohamed Benitto LES RELATIONS RACIALES EN GRANDE-BRETAGNE : LA COMMUNAUTE ARABE DE LONDRES ET LA QUESTION INTERCULTURELLE (2001-2008) Directeur de thèse Richard THOLONIAT, professeur à l’Université du Maine Co-directeur de thèse Brahim LABARI, professeur à l’Université Ibn Zohr, Maroc Membres du jury Didier LASSALLE, Professeur à l’Université Paris Est Mohamed MADOUI, professeur à la CNAM Benaouda LEBDAI, professeur à l’Université du Maine Christian AUER, Maitre de conférences à l’Université Strasbourg Romain GARBAYE Maitre de conférences à l’Université Paris IV Thèse soutenue le 12/11/2010
Remerciements Je tiens à remercier, M. Richard Tholoniat, mon directeur de thèse, pour la confiance qu’il m’a témoigné et les réponses qu’il a apportées à mes sollicitations. Qu’il trouve ici l’expression de ma reconnaissance pour le temps et l’énergie consacrés à l’amélioration de ce travail. J’exprime également ma gratitude à M. Brahim Labari, co-directeur de thèse, pour son soutien scientifique et humain, constant et bienveillant.
1
Table des matières
Introduction générale………………………….…………………………………….10
1. Définitions du terme Arabe : contours d’une appellation........ …....................11
1.1 Arabes et appartenance religieuse : de la nécessaire classification…………...11
1.2 Exploration généalogique : aux sources du mot „‟arabe‟‟…………...............12
2. Champ de la recherche…………………………………………………………...16
3. Questionnement et méthode …………………………………………………..…19
3.1 Questions de la recherche…………………………………………………….19
3.2 Démarche méthodologique…………………………………………………..20
Première partie : Sociohistoire des premiers contacts arabo-britanniques et de
l’émigration arabe
Chapitre I : Socio-histoire des premiers contacts arabo- britanniques
Introduction……………………………………………………………… ..……..…..24
1. Les premières influences culturelles……………...………………………….…25
2. Les contacts militaires et politiques……………………………………………..26
2.1 Mandats : pays sous ingérence……………………………………………...27
2.1.1Irak : zone terrestre d‟influence pour les Britanniques………………..27
2.1.2 Mandat sur la Palestine : quand le religieux et le politique se mêlent..28
2.1.3 Mandat britannique sur la Transjordanie …………..…………….…..29
2
2.2 Protectorat : autre manière de légitimer la quête d‟intérêt……………......…..30
2.3 Aden : seule colonie arabe des Britanniques…………......................................32
2.4 Coopération ou mandat déguisé : le cas des pays du Golfe …………….…....33
3. Rapports arabo-britanniques de la Période post-indépendance……………....34
Conclusion……………………………………………………………………............35
Chapitre II : L’émigration arabe en Grande-Bretagne
Introduction…………………………………………………………………...………36
1. Itinéraires des mouvements migratoires arabes……………………….……...37
1.1 Mouvement régional ou interarabe………………….……………………..37
1.2 Mouvement à l‟extérieur du monde arabe………………..…………...…..38
1.3 Mouvement vers la Grande-Bretagne…..………………….……. ………..39
2. L’émigration arabe .......................................... ...…………………......................42
2.1 Le contexte de l‟émigration…………………...………………….……………42
2.1.1 Le nationalisme et la quête d‟indépendance…………..………..……42
2.1.2 Ebranlement politique : les coups d‟Etats………...………………....44
2.2 Les raisons de l‟émigration………………………………………..……….…45
2.2.1 Le facteur politique………………………………..……...………......45
a. Instabilité politique……………………………...…..……..45
b. Absence de libertés individuelles………….……….….…..48
2.2.2 Guerres régionales : instabilité dans la géopolitique du Proche-Orient...48
a. Guerres arabo-israéliennes : ébranlement à trois reprises.....48
b. Guerre du Liban : effet d‟une guerre civile………………...49
3
c. Guerres du Golfe : de la guerre Irak-Iran à la guerre du
Koweït……………………………………………………...50
2.2.3 Le facteur économique………………………………………...……51
2.2.4 Le facteur démographique ……………………………..………..….53
Conclusion…………………………………………………………………………….55
Chapitre III : Aspects démographiques, socioéconomiques et organisationnels
Introduction…………………………………………………………………………...56
1. La communauté arabe dans la mosaïque ethnique en Grande-Bretagne……….....56
2. Répartition démographique de la communauté arabe…………..………………...57
3. Poids économique et diversité sociale……………………….................................60
4. L‟organisation communautaire : du national à l‟ethnique………………..….…….63
4.1 Le cadre juridique de la pratique associative……………………………64
4.2 Naissance de pratiques associatives arabes……………………………..64
4.2.1 Types d‟associations………………………………………..…...66
a. Associations à caractère national………………………...66
b. Association à caractère ethnique……….…………….......67
4.2. 2 Activités associatives………………………….….…….............68
a. Activités à caractère cultuel et social……………...…...68
b. Enseignement de l‟arabe………………..……………....69
4-3 La pratique associative et l‟intégration……………………………...69
Conclusion……………………………………………………………………….….. 73
4
Deuxième partie : la communauté arabe entre identité et intégration
Chapitre IV : La question identitaire
Introduction………………………………………………………………………….74
1. Qu’est ce que c’est l’identité ?……………………………………………...75
1.1 Emergence du concept………………..……………….………………….…75
1.2 Définitions du concept………...……………………………………….….…75
1.2.1 Identité personnelle……………………………………….………........78
1.2.2 Identité collective et culturelle……………….…………………….…..79
1.2.3 Identité sociale …………………..…………………………………..…80
2. La communauté arabe et la construction identitaire…………………………80
2.1 Mode de présentation de soi…………………………………....…………….80
2.2 Média : moyen de construction identitaire……………………………...……84
2.2.1 Médias britanniques et minorités ethniques………………...……………85
2.2.2 Médias arabes et quête d‟identité…………………………….…….……....88
A. Presse audiovisuelle et création d‟une communauté transnationale………....89
a. Al-Jazira………………………….…………………………..…………………….89
b.MBC………………………………………………….………...…………...90
B. Presse ethnique et tendance panarabe………………………………...….….....91
a. Al-Charq Al-Awsat …................................................................................92
b. Al-Hayat…………………………………………………………...…..….93
c. Al-Quds Al-Arabi ………………………………………………..…….....93
C. Presse spécialisée : la voix des émigrants……………....…………………. …..94
5
2.3 Langue arabe et quête identitaire……………………………………………....96
2.3.1 Langue et identité culturelle………...……...…… …………...…………..97
2.3.2 Langue et identité religieuse………..……………………………..……...98
2.3.3 La maîtrise de la langue…...…………………………………..…...……...100
Conclusion…………………………….………………………………………...…...102
Chapitre V : L’intégration politique et socioculturelle
Introduction……………………………………………………………………….....104
1. La politique britannique en matière d’intégration…………..…………….105
1.1Assimilation dans un Etat-nation………………….……………………….105
1.2 Reconnaissance de la diversité culturelle………………………………...107
2. La participation politique comme moyen d’intégration……….…………...109
2.1 La participation politique……………………………………..………….109
2.2 Les minorités ethniques et les partis politiques britanniques……………..110
2.3 La communauté arabe et la participation politique……………….…..…...113
2.3.1 Participation informelle : une participation protestataire………..….114
2.3.2 Participation formelle : expression de citoyenneté et d‟intégration..115
3. La communauté arabe et l’intégration socioculturelle………………...……117
3.1 La communauté arabe : entre tradition et modernité……………………....118
3.2 Le mariage mixte : voie d‟intégration ?......................................................122
3.2.1 Endogamie : quand la religion s‟impose………………..................123
3.2.2 Exogamie ou la relation déchue d‟appartenance….……….............125
Conclusion………………………………………………………………………..….126
6
Troisième partie Les rapports intercommunautaires : les vicissitudes
Chapitre VI : Les rapports intercommunautaires du point de vue de la
population majoritaire
Introduction ……………………………………………………… ….. ……….....128
a. La connaissance mutuelle : clé d‟une communication intergroupe…….…...129
b. L‟empathie : moyen d‟éviter les tendances ethnocentristes ……………….130
1. Protocole d’enquête sociologique…………………………………………...…..131
2. La culture et ses implications…………………………………………………...136
2.1 Définitions de la culture…………………………………………………..136
2.2 Enculturation, acculturation………………………………………..….…139
2.2.1 Enculturation….……………………………………………….………139
2.2.2 Acculturation…………………………………………...…….................140
2.3 L‟interculturel et ses enjeux………………………………………………142
3. Les représentations occidentales des Arabes et du monde arabe…...………147
3.1 Stéréotype et préjugé : obstacles du rapport intergroupe……………………147
3.1.1 La force du stéréotype………………………………………………….147
3.1.2 L‟effet du préjugé……………………………........................................148
3.2 L‟orientalisme et la fabrication de l‟image d‟autrui……………………………149
3.3 La représentation exotique, voluptueuse et fanatique des Arabes…………........152
3.3.1 Représentation exotique de l‟altérité culturelle………………..………..152
7
3.3.2 Représentation voluptueuse et image du harem…………….....................153
3.3.3 Représentation fanatique nourrie par les enjeux du moment…………..….154
4. Les Arabes dans l’imaginaire britannique ……………… ……………………155
4.1 Représentation romantique : une admiration de la vie de bédouinité……..…155
4.2 Représentation stéréotypique dans le cinéma, les médias et la littérature…....157
4.3 L‟incompatibilité culturelle et le fanatisme religieux…………..………..….159
5. Traitement et interprétations des données…………………………………...163
5.1 Attitudes d‟acculturation…………………………………………...………..163
5.2 Connaissance d‟autrui et question d‟écart culturel……………………….…..168
5.3 Contact avec autrui et la dominance du rapport intragroupe……....................174
Conclusion…………………………………………………………………………176
Chapitre VII : Les rapports intercommunautaires du point de vue de la
population minoritaire
Introduction………………………………………...………………………………179
1. Les représentations de l’Occident : de l’orientalisme à l’occidentalisme…...180
1.1 Représentation positive et conciliation de deux modèles culturels……….....181
1.2 Représentation des islamistes et nationalistes de l‟Occident…………….….183
1.2.1 Le rejet islamiste et la thèse de l‟invasion culturelle………………..…..183
1.2.2 Le rejet nationaliste et la rhétorique du colonialisme……………......…185
1.3 Le rejet de l‟Occident dans les médias et la littérature……….……...…….....186
2. La culture : moyenne de médiation interculturelle…………………...…...…. 188
2.1 Qu‟est-ce que c‟est la consommation culturelle ?.........................................188
8
2.2 Pratique culturelle : pont interculturel……………………….……………....189
3. Traitement des données………………………………………………….….… .190
3.1 Les pratiques culturelles……………………………………………………..190
3.1.1 Lecture des journaux……….……………………………...…………190
3.1.2 Pratiques audiovisuelles…………………………………………..…...191
3.1.3 Fréquentation de l‟espace public……………………………….. …..192
3.2 Les attitudes d‟acculturation…………………………………………….…..192
3.3 Les réseaux des relations interpersonnelles…………………..………...……193
4. Analyse et interprétations des données…………………………………….….194
4.1 Médias arabes : puissants facteurs de ressourcement communautaire……….194
4.2 Les attitudes d‟acculturation : entre recul et avancement vers
la culture majoritaire……………………………………………………..197
4.2.1 La séparation : la poursuite de l‟authenticité culturelle……………..….197
4.2.2 L‟intégration : une recomposition identitaire a double facette .……..200
4.2.3 L‟individualisme : le rapport sur une base humaniste………… ……....201
4.2.4 L‟assimilation : l‟alignement unilatéral sur la culture majoritaire……203
4.3 Choix des réseaux des relations interpersonnelles ……………………….......204
4.3.1 Choix intra-ethnique autour de groupes d‟appartenance nationale, ethnique,
ou religieuse…………………………………………………………………..……..205
4.3.2 Choix extra-ethnique au-delà des groupes d‟appartenance………...…….208
Conclusion………………………………………………………………...................210
9
5. Le rapport intercommunautaire : Déductions et synthèse……………………212
5.1 Points majeurs de discordance intercommunautaire…………………….….213
5.1.1 Divergence d‟ordre culturel…………………………………….……….213
5.1.2 Place du religieux dans la constitution des deux communautés………...215
5.1.3 Effet d‟une mémoire gravée dans les consciences collectives……….…216
5.2 Facteurs d’aggravation de discordance intercommunautaire…………….217
5.2.1 Les médias et l‟inculcation d‟une altérité culturelle anormale…………217
5.2.2 La gestion communautaire ou la création des enclaves………………...218
5.3 Quelles sorties de l’impasse ?………………………………………………....220
5.3.1 Pratique médiatique : régulation des dérives………..……………….….220
5.3.2 Education : vecteur de connaissance d‟autrui…………………………....221
Conclusion générale……………………………………………………….……224
Bibliographie………………………………………………………………...…...235
Annexe………………………………………………………………………...….253
10
Introduction générale
Les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis et du 7 juillet 2005 en
Grande-Bretagne sont à l‟origine d‟un grand débat au sein des sociétés européennes
caractérisées par la diversité ethnique et culturelle. L‟intégration des musulmans est
devenue une préoccupation dans ces sociétés où la sécularisation est considérée
comme pilier de société et trait de modernité comme en témoignent l‟interdiction
des minarets en Suisse en 2010 et la Burqua dans tous les services publics, mais
aussi dans l‟intégralité de l‟espace public, y compris la rue, en France et en
Belgique.
En Grande-Bretagne, le fait que les auteurs des attentats de Londres sont des
citoyens britanniques de confession musulmane était un véritable choc, source
d‟interrogations de la classe politique et des médias sur la pertinence du
multiculturalisme. La recherche de moyens susceptibles de renforcer l‟intégration
des minorités, la citoyenneté, et la cohésion sociale a suscité beaucoup d‟intérêt et
de débat. L'intégration est un phénomène complexe qui implique à la fois une
participation active des immigrants dans les domaines économiques et sociaux de la
société d‟accueil, mais aussi un processus d'adaptation culturelle à double sens,
venant tant des immigrants que de la société d'accueil. Ce travail ambitionne de
repérer les entraves à la coexistence intercommunautaire (Community Cohesion) à
travers l‟étude de cas de la communauté arabe de Londres et ses rapports
interculturels avec les autochtones.
La communauté arabe installée sur le sol britannique regroupe différentes
nationalités. Cette communauté, composée d‟une diversité de peuples appartenant
aux vingt-deux pays qui constituent la Ligue arabe, a comme lien commun la
langue arabe et des pratiques coutumières. Malgré ce lien, les Arabes à Londres ne
11
forment pas une seule communauté au sens exact du terme. Plusieurs communautés
indépendantes ou mini-communautés se regroupent autour des origines
géographiques, des institutions religieuses (mosquées, églises), ou des associations
nationales. De là, on peut parler, par exemple, du „‟ rassemblement‟‟ égyptien,
marocain ou palestinien. Ces rassemblements maintiennent leurs institutions
séparées, avec peu de contacts entre eux. Ainsi, au sein même des regroupements
libanais, chrétiens et musulmans ont leurs associations séparées.
D‟autre part, plusieurs dialectes caractérisent la langue arabe qui semble être
un lien commun et un indicateur d‟identité ethnique. L‟arabe dialectal à Fès,
Bagdad, ou Riyad est différente. La majorité des gens venant du monde arabe
comprend l‟arabe dialectal égyptien en raison de l‟influence de l‟industrie
cinématographique égyptienne. Une renaissance linguistique basée sur la langue
arabe comme langue nationale et officielle a été renoué par l‟avènement du
nationalisme arabe au moment où plusieurs pays arabes œuvraient pour leurs
indépendances. Même s‟il existe toujours des variations dialectales, l‟arabe standard
moderne est le moyen de communication dans les médias de masse, l‟administration
et l‟éducation.
1. Définitions du terme Arabe : contour d’une appellation
1.1 Arabes et appartenance religieuse : de la nécessaire classification
Le terme arabe ne définit pas une religion unique. La tendance à
considérer les Arabes sous l‟angle de la religion est due au fait que le Coran, texte
sacré de l‟Islam, fut révélé en arabe et que les Arabes furent les premiers à
répandre l‟Islam dans le monde. L‟existence des chrétiens dans le monde arabe est
souvent ignorée1 . Pourtant, ils représentent 6,3 % de la population, notamment au
Liban, en Syrie, en Egypte, en Jordanie, en Palestine et en Irak2. La plus grande
concentration des chrétiens arabes est en Egypte (les Coptes) et au Liban (les
Maronites). Les Arabes chrétiens sont aujourd‟hui des citoyens à part entière dans
les pays arabes majoritairement musulmans. Depuis plus d‟un millénaire, ils sont de
1 A. Wessels, Arab and Christian? Christians in the Middle East, p. 1.
2 P. Fargues, „The Arab Christian of the Middle East: A Demographic Perspective,‟ Christian Communities,
p.48.
12
langue et culture arabe et partagent avec les Arabes de confession musulmane les
mêmes coutumes. Ce sont ces chrétiens arabes qui, comme le souligne Hamad
Essid, inventèrent l‟arabisme, projet visant à réunir les Arabes sous la bannière
d‟une culture commune malgré la diversité des voies spirituelles. Ils orientèrent
cette idéologie vers la communauté linguistique et culturelle au détriment de
l‟identification religieuse.
Dans les pays arabes, on trouve également des juifs arabes. La majorité
écrasante des juifs, du Maroc à l‟Irak, étaient arabophones. La langue arabe était
utilisée dans leur communication quotidienne jusqu‟au moment de la dissolution
des communautés juives suite au déclenchement du conflit arabo-israélien,
notamment avec la déclaration de l‟indépendance d‟Israël en 1948 et les guerres de
1967 et 19733. Pour la grande majorité des juifs, l‟arabe dialectal (ou les arabes
dialectaux) était la langue utilisée à l‟intérieur de la communauté. Cette présence de
la langue arabe, qui paraît très ancienne, était dominée par l‟arabe vernaculaire qui
était la langue de la majorité. D‟après Jacques Taib, les parlers arabes des juifs
étaient émaillés de mots, d‟expressions, et de phrases berbères qui provoquaient la
surprise chez leurs coreligionnaires arabophones d‟autres régions4. La diminution
des juifs arabophones fut engendrée par leur émigration massive qui est à l‟origine
de la rupture des liens avec la culture et le monde arabe.
1.2 Exploration généalogique : aux sources du mot ‘’arabe’’
Arabe est un terme qui suscite des controverses et dont les contours et les
limites manquent de précision. De façon générale, il est défini comme celui dont la
langue maternelle est la langue arabe. Utilisant une définition généalogique, Ibn
Khaldoun5 limite le terme „Arabe‟ à ceux dont les origines remontent aux anciens
habitants de la péninsule arabique. Il distingue entre bédouins et citadins ou
sédentaires. Les premiers mènent une vie purement nomade comme éleveurs de
chameaux tandis que les derniers commencent à s‟acheminer vers la civilisation. La
3 N. Stillman, The Jews of Arab Lands in Modern Times, p.32.
4J. Taib, Sociétés juives du Maghreb modern (1500-1900), p.159.
5 Ibn Khaldoun (1331-1406) : historien, philosophe et homme politique arabe.
13
civilisation en tant que mode de vie sédentaire est contraire à la manière d‟être des
bédouins. Elle engendre la désarabisation des structures sociales et de la langue. On
donnait le nom arabe, qui était souvent considéré comme synonyme de bédouin,
non seulement aux citadins ou aux cultivateurs mais aussi aux membres des tribus
qui, ayant émigré de l‟Arabie à l‟Egypte ou d‟autres pays, étaient demeurées
nomades.
Edward Atiyah dans The Arabs, les définit comme„‟un peuple nomade
habitant la péninsule arabique, une branche du groupe linguistique héréditaire qui a
donné naissance également aux juifs. Des nomades arabes sont également en
Jordanie, en Syrie, en Irak, et en Afrique du Nord. Ils sont connus comme
bédouins6.‟‟ Israël Ephal dans The Ancient Arabs : Nomads on the Borders of the
Fertile Crescent,7 confirme que le nom fréquemment utilisé pour désigner les
nomades vivant dans l‟Arabie depuis le premier millénaire avant Jésus-Christ est
„Arabe.‟ On appelait les habitants de la péninsule arabe du nom „Aribi‟, „Arabi et
Arubu8‟. Ce terme était employé au début pour désigner exclusivement les
habitants de la partie nord de l‟Arabie et du croissant fertile ; avec le déplacement
des bédouins vers le sud de l‟Arabie habitée par une population sédentaire, le
terme désigne toute la population de la région9.
Ainsi, Maxime Rodinson, dans Les Arabes10
, essaya d‟éclaircir cette notion
d‟arabe à travers les critères de la langue, de la culture et de la conscience de
l‟arabité. Ce n‟est pas seulement l‟origine qui détermine l‟arabité qui est une
manière d‟être et une valeur d‟union11
, mais c‟est plutôt l‟adoption de la culture
arabe. Le plus essentiel de ces critères est la conscience de l‟identité arabe qui se
traduit par l‟identification avec l‟histoire arabe et la revendication de la conscience
6 E. Tiyah, The Arabs, p. 3 : „A nomad people inhabiting the Arabian Peninsula- a branch of the ancestral
linguistic group that gave birth also to the Jews. Nomad Arabs are still to be found today, not only in the Arabian
Peninsula itself, but also in Jordan, Syria, Iraq, and North Africa. They are known as Bedouin‟ 7 Ibid. p.7.
8 Ibid. p.6.
9 E. Atiyah, The Arabs, p.8.
10Ibid. p.17.
11 J. Berques, Les Arabes, p.6-8.
14
de l‟arabité,12
comme la définition de Gibb Hamilton Alexander dans The Arabs
l‟illustre : „‟sont Arabes ceux pour qui le fait central de l'histoire est la mission de
Mohamet et la mémoire de l'empire arabe, et qui, en plus, chérissent la langue arabe
et son patrimoine culturel comme possession commune13
.‟‟Autrement dit, le fait de
manifester un sentiment d‟appartenance à la collectivité humaine des arabophones
en s‟attachant à la langue arabe, la culture arabe et l‟organisation sociale qui reflète
l‟esprit du groupe et qui est lié à la civilisation et au mode de vie des premiers
arabes de la péninsule arabique est une manière d‟exprimer son arabité14
.
Si le terme arabe englobait au début les habitants de la péninsule arabique et
leurs descendants qui habitent les autres pays arabes comme groupe ethnique,
aujourd‟hui le terme désigne une communauté linguistique et culturelle avec une
combinaison de types raciaux. Par exemple, la population actuelle du Maroc est
essentiellement berbère avec une estimation de 50% de berbérophones15
. En
Algérie, la population berbérophone est estimée à 30%16
. La Kabylie, qui est une
région presque berbérophone, compte seule plus de deux tiers des berbérophones
algériens. La langue est encore parlée dans les massifs du nord (Kabylie), du sud-est
(Aurès) dans les régions du Tell algérois et oranais. En Libye, les groupes
berbérophones qui habitent dans les montagnes et les oasis manifestent une
résistance au pouvoir en place en l‟absence d‟une reconnaissance officielle à l‟instar
des autres pays du Maghreb. La Tunisie est le pays du Maghreb qui compte le
moins de berbérophones : autour de 500 00017
, à Djerba ainsi qu‟au sud et au centre
du pays.
L‟immense majorité des arabophones actuels au Maghreb ne sont que des
Berbères arabisés en raison du recul géographique progressif de leur parler et de
l‟afflux des berbérophones dans des centres arabisés, où ils adoptent la langue
12
Ibid. p.23. 13
H. Rosskenn Gibb, The Arabs, p.3: „All those are Arabs for whom the central fact of history is the mission of
Mohammed and the memory of the Arab Empire and who in addition cherish the Arabic tongue and its cultural
heritage as their common possession‟ 14
M. Rodinson, Les Arabes, p.51. 15
S. Chaker, Les Berbères aujourd’hui, p. 14. 16
Ibid. p. 14. 17
Ibid. p. 15.
15
arabe18
. La politique linguistique et culturelle mise en œuvre depuis l‟accès des pays
du Maghreb à l‟indépendance fut celle de l‟arabisation19
. Cette arabisation
linguistique, facilité par l‟islamisation de l‟Afrique du Nord, fut accompagnée d‟une
arabisation socioculturelle aboutissant à une véritable assimilation de la majorité
des populations d‟Afrique du Nord. Cette assimilation est si grande que dans
certains Etats comme la Tunisie où la population berbérophone constitue moins de
1% de l‟ensemble de la population20
. L‟arabité des pays maghrébins est donc une
donnée historique relativement tardive21
.
Au Liban, les Maronites parlaient à l‟origine la langue syriaque
qui était un dialecte de l‟araméen22
. En Egypte, la fraction de la population
égyptienne moderne qui serait d‟origine arabe est petite et les coptes représentent le
cinquième de la population, soit cinq millions de chrétiens purement égyptiens, non
arabisés23
. L‟arabisation de l‟Egypte fut d‟abord l‟abandon progressif de la langue
copte pour l‟arabe. La connaissance du copte se perdit progressivement dans les
milieux cultivés et la langue copte laissa plus tardivement la place à l‟arabe24
. Dans
l‟ensemble du Proche-Orient, les langues, syriaque ou copte, ont progressivement
reculé au profit de l‟arabe et sont réduites à la condition de langues ecclésiastiques
et savantes25
. Le grec et le copte ne sont donc plus des langues littéraires vivantes,
mais seulement des langues liturgiques mortes et les chrétiens se sont ainsi coulés
dans un espace culturel unifié autour d‟une langue arabe26
. Ainsi, le terme arabe
désigne donc des populations d‟origines différentes (berbère, copte, maronite),
auxquelles la conquête arabe imprima le triple cachet de sa langue, de sa foi et de
ses mœurs27
.
18
G.H. Bousquet, Les Berbères, p. 74. 19
Ibid. p. 22. 20
M. Brett, E. Fentress, The Berbers, p. 3. 21
A. Moatassime, Arabisation et langue française au Maghreb, p.9. 22
Ibid. p. 279. 23
Vivante Afrique : revue générale des missions d‟Afrique, n° 220, Mai- Juin 1962. p. 11. 24
F. Micheau et al. Communautés chrétiennes en pays d’Islam, p.150. 25
Ibid. p. 151. 26
Ibid. p. 153. 27
V. Monteil, Les Arabes, p.7.
16
2. Champ de la recherche
Notre travail de recherche s‟inscrit dans le champ du multiculturalisme
qui caractérise les sociétés modernes. L‟apparition du terme multiculturel remonte
au début des années soixante-dix sur le continent nord-américain. Pour mettre fin
aux conflits linguistiques franco-anglais, les autorités fédérales d‟Ottawa
reconnurent la nature multiculturelle de la société canadienne. Contre une politique
d‟assimilation des immigrés, le multiculturalisme fut adopté comme principe
inscrit dans les constitutions des pays comme le Canada et l‟Australie. Aux États-
Unis, l‟idée se développa avec la lutte des noirs pour les droits civiques.
La colonisation pendant le vingtième siècle, puis les flux migratoires des pays
en voie de développement, engendrèrent d‟autres relations entre cultures
européennes et celles des migrants venus du Sud. Le terme multiculturalisme se
répandit en Europe en référence à ces migrations en tentant de répondre à
l‟émergence des minorités d‟origine immigrée au sein des sociétés européennes. La
différence culturelle est l‟expression du particularisme dans les modes de vie, les
croyances, et les usages linguistiques. Le concept du multiculturalisme pose le
postulat de l‟équivalence des cultures et aménage la reconnaissance d‟entités
culturelles à travers une série de droits spécifiques et des systèmes de
représentations et de participation collective. Les notions d‟identité ethnique,
culturelle ou nationale sont des notions qui suscitent une très importante littérature.
Sur le plan international, la communauté internationale, à travers
l‟UNESCO, accentua le poids du facteur culturel dans les sociétés contemporaines à
travers une série de mesures visant à faire tomber les barrières culturelles et à
célébrer la diversité culturelle. La déclaration des principes de la coopération
culturelle internationale adoptée par l‟UNESCO en 196628
constitue la première
base de la reconnaissance de la culture tandis que la déclaration sur le droit au
développement adopté par l‟ONU en 198629
fait des droits culturels de véritables
28
Adoptée par la Conférence générale de l'Organisation des Nations-Unies pour l'éducation, la science et la
culture, réunie à Paris, novembre 1966. 29
Déclaration sur le droit au développement adoptée par l‟Assemblée générale des Nations Unies le 4 décembre
1986.
17
droits à l‟identité. La déclaration universelle de l‟UNESCO sur la diversité
culturelle, adoptée à l‟unanimité à la veille des événements du 11 septembre 2001,
affirme que le respect de la diversité culturelle est essentiel pour répandre la
tolérance et le dialogue intercommunautaire. Cette déclaration fit de la diversité
culturelle un patrimoine commun pour l‟humanité et du pluralisme la réponse
politique primordiale pour promouvoir le dialogue des cultures.
Dans ce sens, la Grande-Bretagne développa, à partir des années soixante, un
arsenal juridique30
pour protéger les minorités ethniques contre toutes sortes de
discriminations. Ce pays est le plus avancé en Europe au niveau de la législation sur
les relations raciales. Les politiques publiques se composent des politiques d‟égalité
des chances regroupant des mesures d‟actions positives (par exemple, contrôle de la
représentation ethnique dans l‟emploi public), des politiques anti-racistes telles que
la formation et la lutte contre le racisme institutionnel et des politiques de gestion
communautaire qui encouragent l‟éducation multiculturelle31
. Le rapport Education
for All de 1985 marqua la tendance vers une éducation multiculturelle dont la
finalité était de sensibiliser les écoliers à la diversité culturelle32
. The Education
Reform Act (1988) est largement considéré essentiel dans la législation britannique
sur l'enseignement puisqu‟un programme national a été introduit dans
l‟enseignement primaire et secondaire des écoles publiques. Cette réforme exige
que tous les élèves suivent un programme national et une éducation religieuse.
Sans doute le fait que le pays se compose des entités anglaise, galloise,
écossaise et irlandaise conservant chacune son autonomie administrative, sa langue
et ses coutumes, le situe dans une position idéale pour considérer les minorités
installées sur le sol britannique comme une nouvelle composante de la population
dotée du droit à conserver son originalité plutôt qu‟à se fondre au sein de la culture
dominante. La diversité culturelle fut donc acceptée comme une nouvelle donne
30
The Race Relation Act 1976 a été adopté par le parlement britannique pour combattre la discrimination à
cause de la race, de la couleur, de la nationalité et de l‟origine ethnique. La commission pour l‟égalité raciale
(CRE) a été créée en 1976 et a été remplacé en 2004 par Equality and Human Rights Commission. The Race
Relations Amendment Act 2000 a été adopté pour combattre le racisme institutionnel. 31
D. Lapeyronnie, L’Intégration des minorités immigrées, p. 224-236. 32
V. Latour, „Les Métamorphoses du multiculturalisme britannique,‟ Revue Française de Civilisation
Britannique, XIV, n°3, automne 2007, p.27.
18
dans la société britannique, à l‟instar de plusieurs pays tels que l‟Australie, le
Canada et les Etats-Unis.
La Grande-Bretagne reconnaît cette diversité culturelle et le droit des
minorités ethniques à préserver leurs cultures. Leur intégration dans la société
britannique n‟est pas conditionnée par le fait de se fondre dans la culture dominante
et l‟adoption des normes coutumières de la société d‟accueil. La politique
d‟assimilation des nouveaux arrivants dans le courant culturel dominant a été
abandonnée en faveur d‟une politique de diversité culturelle comme le souligne le
ministre de l‟Intérieur britannique dans les années soixante et soixante-dix Roy
Jenkins dans un discours:
L‟intégration est peut-être un mot assez vague. Je ne le considère
pas comme signifiant pour les immigrants la perte de leurs propres
caractéristiques nationale et de leur culture. Je ne pense pas que nous
ayons besoin d‟un melting-pot dans ce pays, qui fabriquera tout le
monde à partir d‟un moule commun, comme l‟un des exemplaires
d‟une série de copies carbone d‟une vision discutable du stéréotype de
l‟Anglais (….) Je définis donc l‟intégration, non pas comme un
processus uniformisant d‟assimilation, mais comme l‟égalité des
chances associées à la diversité culturelle dans une atmosphère de
tolérance mutuelle33
Pourtant, les événements du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, et du 7
juillet 2005 à Londres marquent un tournant dans l‟adoption du multiculturalisme
en Grande-Bretagne. Des voix se levèrent pour mettre en question cette stratégie
d‟intégration des communautés d‟origine étrangères, en particulier de la
communauté musulmane. La mise en place d‟un programme d‟éducation civique,
la généralisation de la „Citizenship Education’ et le projet de carte d‟identité
biométrique sont des mesures révélatrices du bouleversement du multiculturalisme
britannique depuis 200134
. En effet, le gouvernement de Tony Blair s‟est engagé à
promouvoir „‟ Citizenship Education’’, qui a été préconisé par le rapport Cantle.
33
Discours de Roy Jenkins en 1969. Cité par Didier Lassalle, les Relations interethniques et l’intégration des
minorités au Royaume-Uni, p.81-82. 34
V. Latour, „Les Métamorphoses du multiculturalisme britannique,‟ Revue Française de Civilisation
Britannique, XIV, n° 3, automne 2007, p.33.
19
Elle est obligatoire depuis 2002 dans les écoles secondaires. Le projet de la carte
d‟identité biométrique, qui a été adopté en 2006 sous l‟appellation „Identity Cards
Act 2006, devrait être rendue obligatoire d‟ici 2013.
3. Questionnement et méthode
3.1 Questions de la recherche
La coexistence et les rapports intergroupes dans un milieu multiculturel
s‟avèrent problématiques. Des ajustements et adaptations sont nécessaires pour
surmonter les particularismes ethniques et culturels et les stéréotypes, souvent à
l‟origine des malentendus et de l‟absence de réciprocité des échanges. John Berry,
en s‟intéressant particulièrement à l‟acculturation des populations confrontées à un
nouvel environnement culturel, étudia les processus d'acculturation dans différents
pays dont l‟Australie et le Canada. D'après John Berry, les groupes migrants
peuvent adopter quatre stratégies d'acculturation : intégration, assimilation,
marginalisation et séparation. Ces stratégies découlent des réponses aux questions :
doit-on valoriser le maintien de sa propre identité ? et doit-on valoriser
l‟établissement du contact avec la société d‟accueil35
.
Le modèle d'acculturation interactif (MAI) a été proposé pour mieux rendre
compte des relations entre communautés immigrantes et communautés d'accueil36
.
Ce modèle se base sur les conséquences relationnelles résultant de la combinaison
des orientations d'acculturation adoptées par les communautés immigrantes et
d'accueil. A travers l‟utilisation de ce modèle, notre travail se focalise sur l‟étude
des rapports interculturels de la communauté arabe de Londres avec la société
majoritaire. Ainsi des questions centrales motivent la présente étude :
-Quelles sont les tendances d‟acculturation adoptées par les membres de la
communauté arabe en Grande-Bretagne ; autrement dit, comment les Arabes
installés sur le sol britannique essayent-ils de s‟adapter au nouvel environnement
culturel ?
35
J. Berry, „Acculturation and intercultural relations,‟ Cross-cultural Psychology, p.353-354. 36
R. Bourhis et al. „Towards an Interactive Acculturation Model : A Social Psychological Approach,‟
International Journal of Psychology , n° 32 (6), 1997, p.369-386.
20
-Quel rôle la consommation culturelle, à savoir l‟usage et l‟ouverture sur la
culture du pays d‟accueil, notamment l‟ensemble des activités récurrentes comme
la consommation médiatique, peut-elle jouer pour favoriser un contact
interculturel ?
-Quel est le rapport entre consommation culturelle et formation des réseaux
des relations interpersonnelles ?
- Quelles sont les orientations d‟acculturation de la société majoritaire envers
le groupe minoritaire ?
- Quels sont l‟effet de l‟image et la connaissance de l‟autre sur les rapports
interpersonnels, en particulier les images véhiculées par les médias et enracinées
dans les consciences collectives? Ce travail s‟efforce d‟apporter des éléments de
réponses à ces principales questions en adoptant une triple démarche
méthodologique.
3.2 Démarche méthodologique
La méthodologie mise au point pour ce travail s‟appuie sur une approche
historique, documentaire et empirique. L‟approche historique constitue un arrière-
plan de ce travail de recherche. Elle vise l‟étude des premiers contacts arabo-
britanniques et l‟exploration des représentations des uns et des autres enracinées
dans les consciences collectives dans le cadre des contacts historiques entre l‟Orient
et l‟Occident. Cette méthode questionne l‟histoire et révèle l‟effet des
représentations et la vision d‟autrui sur le dysfonctionnement des rapports
intercommunautaires. La dimension documentaire se base sur l‟étude des journaux
et la plupart des études faites par le ministère de l‟Intérieur britannique ou d‟autres
organismes tels que rapports ministériels et consultations publiques pour traiter la
question de la diversité et celle des rapports intercommunautaires
Quant à la dimension empirique, elle est basée sur entretien et
questionnaire. Notre travail de terrain s‟appuie sur des méthodes qualitatives. Il
s‟agit de comprendre les relations intercommunautaires au moyen d‟un traitement
21
qualitatif des données informationnelles. Les participants à l'étude ont été choisis
non pas par des techniques d'échantillonnage aléatoire, mais avec l‟aide des
associations et des informateurs. Comme travail préalable à cette opération, nous
somme entré en contact avec les associations arabes de Londres, notamment, the
National Association of British Arabs (NABA), et d‟autres regroupements arabes à
Londres comme des associations algériennes et marocaines. Le but de l'étude est de
recueillir le plus possible de données qui révèlent le fonctionnement des contacts
intercommunautaires ; cette technique a été particulièrement propice à cette fin.
Elle nous a permis de saisir les variations des relations intergroupes.
Conformément à la méthode ethnographique, nous avons mené notre
enquête grâce à des entretiens afin de recueillir des données sur les rapports
intercommunautaires. Les entretiens permettent plus de souplesse dans la
formulation des questions, vu que nous pouvons formuler les questions à partir des
thèmes de l‟entretien, selon le déroulement et les caractéristiques des participants.
Certains répondants se montraient réticents à l‟entretien ; d‟autres, par contre, ont
accepté volontiers d‟être interviewés. Ce sont surtout les jeunes étudiants qui ont
trouvé l‟expérience intéressante et enrichissante. Nous avons essayé de faire
comprendre que la recherche ne visait pas à évaluer les réponses des répondants
mais à connaitre aussi fidèlement que possible leurs opinions à travers des
discussions sur des thèmes précis. Une telle démarche, méthodologiquement
parlant, permet l‟authenticité ou la spontanéité des réponses dans une enquête
ethnographique.
L‟observation participante, lors de nos séjours à Londres pour mener notre
travail, était également une stratégie de recherche en recueillant de l‟information à
travers l‟écoute des membres et la participation à leurs conversations spontanées
dans lesquelles les significations de leur vie quotidienne se révèlent. Cette
technique d‟observation participante permet ainsi d‟appréhender l‟interaction entre
les membres et d‟assurer le maximum de spontanéité dans les propos tenus. Au
moyen de cette méthode, nous avons essayé d‟observer plusieurs situations aussi
bien comme chercheur que comme membre. L‟ensemble des données recueillies a
22
fait l‟objet d‟une analyse afin de mieux cerner la fréquence des réponses, de faire
des saisies et des comparaisons. Cette analyse nous a permis d‟avoir des
informations d‟ordre général sur la problématique des relations interculturelles et
des rapports intercommunautaires. Elle nous donne les fréquences d‟apparition de
chaque thème. Une fois les données recueillies et classées, nous avons procédé à
leur interprétation.
Si les entretiens avec des informateurs ont constitué la principale source de
nos données, le questionnaire a également été employé comme technique d‟enquête
complémentaire. Le questionnaire élaboré comporte six parties. La première partie
est consacrée à recueillir des données sociodémographiques sur la communauté
arabe à Londres. Le deuxième volet du questionnaire vise à mesurer l‟identification
des membres de la communauté arabe en prenant les différents paramètres
définissant cette communauté, tels que la langue, la religion et l‟appartenance
ethnique et nationale. S‟agissant de l‟intégration, à travers les questions, nous
avons ciblé la mise en question de l‟intégration socioculturelle des membres de la
communauté arabe, notamment en ce qui concerne la famille, les relations entre les
sexes pour mesurer l‟adaptation socioculturelle au nouvel environnement culturel
et la participation politique des membres de la communauté arabe.
Le deuxième questionnaire est destiné à un échantillon de la population
majoritaire dans le but de connaître ses orientations d‟acculturation envers le groupe
minoritaire arabe, le degré de connaissance d‟autrui et les obstacles qui peuvent
entraver un rapport interculturel entre les deux communautés. Les tendances
d‟acculturation, la consommation culturelle, la connaissance d‟autrui et les réseaux
des relations interpersonnels sont des variables qui visent à étudier mettre en
question les rapports intercommunautaires.
Cette thèse s‟articule autour de trois parties. Dans la première partie,
intitulée sociohistoire des premiers contacts arabo-britanniques et de l‟émigration
arabe, nous aborderons les premiers contacts culturels, militaires et politiques de
l‟Empire britannique avec les pays arabes, l‟émigration arabe vers la Grande-
23
Bretagne et la présentation de la minorité arabe en faisant le tour des aspects
démographiques, socio-économiques et organisationnels. Dans la deuxième partie,
nous continuons à mieux explorer les particularités de cette communauté en
abordant la question identitaire et l‟intégration pour aboutir, dans la dernière partie
de ce travail, à l‟analyse des rapports intercommunautaires entre la société
majoritaire et la minorité visible arabe.
24
Première partie : sociohistoire des premiers contacts arabo-britanniques et de
l’émigration arabe
Chapitre I : Sociohistoire des premiers contacts arabo-britanniques
Introduction
En parcourant à vol d‟oiseau l‟histoire entre le monde arabo-islamique et
l‟Occident, on constate que les relations entre les deux rives de la Méditerranée ont
été marquées par des conflits et des échanges de portée militaire, politique et
culturelle. Les croisades, la fin du règne arabe en Andalousie en 1492 et l‟expansion
colonialiste constituent les étapes majeures de ce contact.
Le premier contact est celui des affrontements directs qui eurent lieu dès la
fondation de l‟Islam entre deux religions qui se considéraient inconciliables. Le
terme „ croisade‟ s‟est appliqué donc à de nombreux conflits de nature religieuse.
Les plus connus sont les huit croisades entre chrétiens et musulmans pour le
contrôle de Jérusalem. Les croisades ont mis en contact l‟Occident et les Etats du
Levant. La découverte a pu être l‟occasion d‟une prise de conscience réciproque des
diversités et divergences37
.
La présence arabe dans la péninsule Ibérique remonte à 71138
. Les sept siècles
du règne arabo-musulman en Espagne, de 711 à 1492, constituent une étape
importante dans les rapports entre les deux mondes. Cette période marqua
l'éclosion d'une civilisation arabe et un grand moment d‟échange de savoir et de
rencontre culturelle.
Au temps du colonialisme pendant le dix-neuvième et vingtième siècles, le
monde arabe fut pris d‟assaut par les puissances occidentales. Les avancées
technologiques, la persistance d‟un esprit de croisade, et les intérêts économiques
étaient à l‟origine de la confrontation. Les premiers contacts arabo-britanniques,
37 R. Jean, Histoires des croisades, p.489.
38
P. Guichard, Alandalus 711-1492, p.22.
25
qui se situent à cette époque, se réalisèrent dans un rapport inégal de domination sur
une partie des pays arabes. Au-delà de la rencontre coloniale, des moments
d‟influence réciproque et d‟échange marquèrent les contacts entre Arabes et
Britanniques.
1. les premières influences culturelles
Les premiers contacts entre Arabes et Britanniques à partir de la période
des croisades furent au carrefour des influences réciproques qui s‟étendirent sur
plusieurs domaines : scientifiques, linguistiques et littéraires. S‟agissant des
influences scientifiques, grâce à des savants comme Adélard of Bath, Michael Scot,
et Alfred de Sareshel, l‟étude des sciences arabes prospéra en Grande-Bretagne
vers la fin du dixième siècle. Ces savants s‟intéressaient à la médecine arabe, aux
sciences mathématiques, et à la traduction des textes de la philosophie naturelle
d‟Aristote et des philosophes arabes comme Algazel et Avicenne39
. Sur le plan
linguistique, comme les autres langues européennes, l‟anglais contient de nombreux
mots dérivés de l‟arabe souvent par le biais d‟autres langues européennes,
notamment espagnoles et italiennes. La langue arabe est la septième plus grande
source d‟emprunt à l‟anglais40
. Une chaire d‟arabe fut établie, d‟abord à Cambridge
(1632), puis à Oxford (1634) pour saisir les textes scientifiques arabes41
.
Emprunt anglais de l’arabe42
39
C. Burnett, The Introduction of Arab Learning into England, p.43. 40
G. Cannon, The Arabic Contributions to the English Language, p.172. 41
J. Toomer, Eastern Wisedome and Learning, p.53. 42
Source: The Arabic contributions to the English Language.
Mot anglais Mot arabe
Coton kutun
sugar sukkar
alcohol Al-kohl
minaret mana:rah
caliph khali:fah 'successor arsenal dar as,s,ina`ah
admiral ami:r-al-bahr 'ruler of the seas
26
Dans le domaine littéraire, en s‟intégrant dans le monde arabe au dix-
neuvième siècle, une pléiade d‟arabisants britanniques tels que Thomas Edward
Lawrence, Bertram Thomas, Charles Doughty et Edward William Lane,
produisirent une littérature sur la société arabe. A titre d‟exemple, Seven Pillars
of Wisdom, Arabia felix, Travels in Arabia Deserta, et Arabian Society in the
Middles Ages : Studies from Thousand and one Nights sont des ouvrages écrits
respectivement par ces écrivains. Le point majeur autour duquel le contenu pivote
est la présentation de la société arabe sous diverse facettes en retraçant le voyage
de leurs auteurs au monde arabe et la rencontre avec les nomades bédouins ainsi
que leurs observations de la vie et la culture arabe. C‟est l‟analyse la plus
pénétrante du monde bédouin et du désert d‟Arabie et l‟un des plus grands textes
de la littérature du voyage, moyen de saisir le monde arabe dans sa diversité.
Ces moments d‟influence et d‟échange constituent un exemple vif et
fascinant de ces rapports arabo-britanniques. Si le premier rapport des Britanniques
avec les Arabes fut une période d‟échange et de transmission du savoir, ce contact
prit un nouveau tournant quand la Grande-Bretagne devint une puissance coloniale
au vingtième siècle.
2. les contacts militaires et politiques
Le premier contact militaire et politique des Britanniques avec les Arabes
remonte à la période où le monde arabe était occupé par l‟Empire ottoman. Né en
Asie Mineure sur les ruines de l‟Empire byzantin, l‟Empire ottoman s‟étendait
deux siècles et demi plus tard des portes de Vienne au Yémen, de l‟Algérie à l‟Irak
avec, comme centre, le bassin oriental de la Méditerranée 43
. Dynastie turque de
religion musulmane, l‟Empire ottoman occupa la quasi-totalité des territoires
arabes à l‟exception du Maroc et de l‟Arabie. Le déclin de l‟Empire s'amorça dès le
dix-septième siècle en raison de la poussée russe et des appétits grandissants des
puissances d'Europe occidentale comme la France et la Grande-Bretagne. La défaite
de la Turquie lors de la Première Guerre mondiale marqua l‟effondrement de
43
R. Mantram, (ed), Histoire de l’Empire Ottoman, p.818.
27
l‟Empire ottoman. Les puissances occidentales, y compris la Grande-Bretagne, se
précipitèrent pour conquérir les pays arabes en contrôlant la région par le système
des mandats et des protectorats. A l‟issue de la Première Guerre mondiale, la
Grande-Bretagne obtint trois mandats (Palestine, Transjordanie, Irak), un
protectorat, l„Egypte, et une colonie, Aden, les autres pays du Golfe n‟ayant pas un
statut légal sous l‟Empire britannique.
2.1 Mandats : pays sous ingérence
2.1.1 Irak : zone terrestre d’influence pour les Britanniques
Un mandat est un système d‟administration établi sur certains territoires par
la Société des Nations44
au lendemain de Première Guerre mondiale. Le mandat
sur un territoire était attribué à une puissance, choisie comme mandataire, pour
exercer la tutelle45
. Le mandataire devait dans son administration, dont il était tenu
de rendre compte à la Société des Nations, se laisser guider principalement par
l‟intérêt et le bien-être de ces peuples46
.
Les Britanniques, qui ne se contentaient pas de contrôler les routes maritimes
à travers l‟Egypte, agirent, par ailleurs, en vue de créer des routes alternatives,
notamment une route terrestre entre la Méditerranée et le Golfe47
. L‟Irak, en tant
que province de l‟Empire ottoman, fut donc occupé par les troupes britanniques en
1917. Un gouvernement militaire fut constitué et l‟administration fut confiée à des
conseillers civils, choisis parmi les membres de l‟administration politique
britannique des Indes. Après avoir achevé l‟occupation de toutes les villes
irakiennes, les Britanniques soumirent le pays à leur souveraineté directe48
. Cette
étape fut marquée par une insatisfaction populaire croissante sous le règne de la
44
La création de la Société des Nations (SDN) marque au lendemain de la Première Guerre Mondiale, une
première tentative de fonder une organisation internationale permanente apte à trouver des solutions pacifiques
aux conflits entre Etats, par le biais de l‟arbitrage et la mise en place des sanctions collectives. Introduite par le
traité de Versailles en 1919, elle a été remplacée en 1945 par L‟ONU. 45
A. Baumkoller, Le Mandat sur la Palestine, p.23-24. 46
Ibid. p. 23-24. 47
M. Majid, L’Emergence d’un Etat à l’ombre d’un empire, p. 30. 48
Ibid. p. 35.
28
puissance britannique et une résistance orientée vers la réalisation de
l‟indépendance irakienne49
.
Après la Première Guerre mondiale et le démantèlement de l'Empire ottoman,
la tutelle britannique s'exerça sur l'Irak dans le cadre d‟un mandat de la Société des
Nations. Le rejet de ce statut par la population irakienne était à l‟origine des
révoltes populaires qui éclatèrent dans plusieurs villes du pays avec des
affrontements opposant les révoltés aux forces britanniques. En 1920,
l‟indépendance de l‟Irak fut proclamée unilatéralement par les tribus, les chefs
religieux et les intellectuels. La réponse du gouvernement britannique à cette
initiative fut l‟allégement progressif de la présence en Irak. Ainsi, après trois ans
d‟administration anglaise directe, l‟Etat irakien fut fondé en 1920 avec le roi Fayçal
à la tête du nouveau royaume. L‟Irak fut libéré du mandat en 1932 et devint
membre de la Société des Nations. Cette genèse de l‟Etat irakien marque un
tournant dans l‟histoire des relations anglo-irakiennes, placées désormais sous le
signe de traités successifs. L‟Irak était attaché à la Grande-Bretagne par une alliance
qui comprenait une coopération en politique étrangère et le maintien de bases
aériennes britanniques en Irak. On passe alors d‟un mandat déclaré à un mandat
déguisé puisque la Grande-Bretagne continuait à appuyer les classes politiques
dirigeantes en Irak.
2.1.2 Mandat sur la Palestine : quand le religieux et le politique se mêlent
L‟infiltration britannique en Orient pendant le dix-neuvième siècle était dicté
par le désir de défendre ses intérêts. A côté de la lutte pour la suprématie
d‟influence, la Palestine présentait pour la Grande-Bretagne un intérêt stratégique50
.
Les représentants sionistes à la conférence de la paix de Paris51
en février 1919
demandaient un mandat sur la Palestine au Royaume-Uni. Les puissances alliées se
49
Ibid. p. 42.
50
A. Baumkoller, Le Mandat sur la Palestine, p. 39-40. 51
La conférence de paix de Paris de 1919 est une conférence internationale, organisée par les vainqueurs de la
Première Guerre mondiale afin de négocier les traités de paix entre Alliés et vaincus.
29
rangèrent à ce choix lors de la conférence de San Remo52
, en avril 1920. Le mandat
britannique fut officialisé par la Société des Nations (SDN) en juillet 1922. La
Palestine mandataire comprenait les territoires actuels d‟Israël, de la Cisjordanie et
de Gaza. Selon ce mandat, la Grande-Bretagne devait créer les conditions
politiques, administratives et économiques permettant l'établissement d'un foyer
national juif en Palestine53
. Le refus de ce projet par la population arabe était
derrière l‟éclatement de plusieurs troubles (émeutes de 1920 et de 192954
), et même
un véritable soulèvement, entre la fin de 1935 et 1939 (la Grande Révolte arabe55
).
Les Britanniques annoncèrent leur souhait de remettre leur mandat à l'ONU en
1947. Le 30 novembre 1947, l'Assemblée générale des Nations-Unies décida alors
de partager la Palestine entre un État juif et un État arabe. La guerre civile éclata le
lendemain et l'escalade de la violence prit rapidement de l'ampleur. Les
Britanniques qui restaient relativement neutres et passifs retiraient
progressivement leurs troupes du pays. L'administration britannique se termina
définitivement le 14 mai 1948. L'Etat d'Israël fut proclamé et la guerre civile se
transforma en guerre ouverte entre Israël et les pays arabes voisins. En plus du
mandat sur la Palestine obtenu en 1918 et un mandat sur la Mésopotamie qui est
devenue l‟Irak, la Transjordanie, zone entre la Palestine et l‟Irak, était également
sous tutelle britannique.
2.1.3 Mandat britannique sur la Transjordanie
Le territoire jordanien se composait de deux entités: la Palestine,
comprenant les terres à l‟ouest du Jourdain, et la Transjordanie, regroupant les
terres situées sur la rive orientale du fleuve. La Transjordanie est née du
démembrement de l‟Empire ottoman et fut créée par la Grande-Bretagne en 1922.
52
La conférence de San Rémo est une conférence internationale qui eut lieu du 19 au 26 avril 1920 à San
Remo, en Italie. Un comité supérieur, composé de représentants britanniques, français, italiens, grecs, japonais et
belges, s'y réunit afin d'aborder les problèmes relatifs aux traités de paix conclus à la fin de la Première Guerre
mondiale. 53
Article 4 du Mandat britannique sur la Palestine. 54
Les émeutes en Palestine mandataire sont des émeutes qui se déroulèrent dans le contexte du conflit entre
nationalistes arabes et Juifs sionistes en Palestine mandataire. 55
La Grande Révolte arabe de 1936-1939 en Palestine mandataire fait référence à la rébellion des Arabes
palestiniens pour la création d'un État indépendant en Palestine mandataire et contre l'immigration juive.
30
C‟était une petite nation sous la direction d‟Abdallah ibn Hussein qui fut l'artisan
de l'indépendance de la Jordanie. Ce territoire, qui portait le nom de Transjordanie,
était placé sous mandat britannique, mais bénéficiait d'une administration propre
qui lui conférait une relative autonomie56
. L‟indépendance administrative de
l‟Emirat fut reconnue par le haut commissaire britannique à Jérusalem. En 1925, un
plan constitutionnel régularisa les relations économiques et militaires avec la
Grande-Bretagne. Le roi détenait les pouvoirs de législation et d‟administration
qu‟il exerçait à travers un gouvernement constitutionnel tandis que la politique
étrangère et la défense étaient sous le contrôle britannique.
Le roi Abdallah se défit peu à peu de la tutelle britannique sans pour
autant entrer en conflit ouvert avec l'occupant colonial. Il disposait de pouvoirs
d'administration qui allaient être renforcés avec la promulgation de la loi
constitutionnelle du 16 avril 1928, qui faisait de l'émir un souverain héréditaire. Le
pays obtint son émancipation en 1945 et le gouvernement britannique mit
définitivement fin à son mandat sur la Transjordanie en mars 1946, sous réserve de
pouvoir conserver des bases militaires dans le pays. Le mandat britannique prit fin
pour être remplacé par un traité d‟alliance entre les deux pays.
2.2 Protectorat : une autre manière de légitimer la quête d’intérêt
L‟Egypte était liée à la Grande-Bretagne par un protectorat, qui est un
régime juridique international instituant la protection d‟un Etat faible par un Etat
fort. Ce régime, qui découle d‟une convention entre deux Etats, se caractérise par
une répartition inégale de leurs compétences. Le protectorat colonial se distingue de
la colonie dans la mesure où un territoire colonisé subit une administration directe
et fait partie intégrante de la métropole, tandis que le territoire sous protectorat
conserve, du moins sur le plan interne, une relative autonomie.
De 1798 à 1801 l‟Egypte fut occupée par les Français suite à l‟expédition
conduite en Egypte par Bonaparte. Au lendemain du départ des Français, l‟Egypte
redevint une province de l‟Empire ottoman. Pour faire face aux menaces
56
A. Maan, The Development of Trans-Jordan, p.11.
31
extérieures, le représentant de l‟Empire ottoman en Egypte, Méhémet Ali, réussit à
fonder une dynastie qui se maintint à la tête de l‟Egypte durant un siècle et demi et
qui donna au pays onze souverains. Par crainte pour la sécurité du canal de Suez et
ses intérêts vitaux, notamment l‟importance de l‟Egypte comme lien indispensable
pour le système impérial britannique57
, les Britanniques se décidèrent à agir en
1882 en commençant à installer leur pouvoir malgré une certaine résistance de la
classe dirigeante d‟origine ottomane.
Le 11 juillet 1882, la Grande-Bretagne occupa l‟Egypte, qui n‟était pas
incorporé à l‟Empire britannique, et proclama unilatéralement la fin de la
souveraineté ottomane et le protectorat. L‟Egypte fut alors occupée et placée sous
tutelle britannique alors qu‟elle faisait pourtant théoriquement partie de l‟Empire
ottoman. La Grande-Bretagne était non seulement présente militairement, mais
encore administrativement puisque les ministres égyptiens étaient désormais
contrôlés par des conseillers britanniques58
, puis placés sous le contrôle du haut-
commissaire britannique.
L‟Egypte commença à réagir à la présence britannique en demandant
l‟évacuation du pays. La revendication égyptienne prit un tour plus militant avec
l‟émergence des partis politiques qui réclamaient l‟indépendance comme le parti
Wafd en 1918. Des manifestations se multiplièrent à l‟appel de ces partis qui
exigeaient désormais, non plus l‟autonomie, mais l‟indépendance et l‟abolition de la
déclaration unilatérale de protectorat. Le 22 février 1922, les Britanniques
acceptèrent de renoncer à leur protectorat et accordèrent unilatéralement
l‟indépendance à l‟Egypte avec, cependant, des réserves en matière de défense qui
limitaient la portée de l‟émancipation du contrôle britannique.
L‟autonomie du pays resta relative car certains domaines demeuraient
réservés à la Couronne britannique tels que le contrôle du canal de Suez, la défense
et la protection des intérêts étrangers. La Grande-Bretagne assouplit sa position le
26 août 1936 et signa un traité prévoyant une alliance remplaçant le régime
57
K.Wilson. (ed.), Imperialism and Nationalism in the Middle East, p.1. 58
B. Lugan, Histoires de l’Egypte des origines à nos jours, p. 217.
32
d‟occupation militaire. Le haut-commissaire était remplacé par un ambassadeur,
mais la Grande-Bretagne conservait l‟essentiel, puisque, selon le traité du 22 août,
elle pouvait maintenir ses troupes dans la zone du canal pour une durée de vingt
ans. En 1937, l‟Egypte obtint son indépendance avec la suppression des réserves
imposées en 1922 par les Britanniques. Elle entra à la Société des Nations.
2.3 Aden : seule colonie arabe des Britanniques
Par un traité formel de protection avec le sultanat Mahri de Qishn et
Socotra en 1886 la Grande-Bretagne s'attela à une lente formalisation des
arrangements de protection à travers plusieurs traités au Yémen. En échange de la
protection britannique, les dirigeants des composantes territoriales s'engageaient à
ne pas conclure d'accords avec une quelconque puissance étrangère, ni à lui céder
une portion de territoire. Ces traités, de même qu'un certain nombre d'accords
mineurs, fondèrent le Protectorat dans le Hadramaout, tandis que la ville d'Aden
constitua la colonie.
Le port d'Aden était une étape maritime essentielle sur la route de
l'Inde : celle qui passe par la Méditerranée, le canal de Suez et la mer Rouge.
L‟imminence de la chute de l'Empire ottoman attisait les rivalités coloniales entre la
Russie, la France et la Grande-Bretagne. Ces changements d'équilibre menaçaient
l'Inde britannique et ses voies d'accès. Aden était ainsi une zone d'importance
militaire au sein d'un dispositif colonial visant à protéger l'Inde et un centre
commercial important grâce à sa position stratégique entre l‟Inde et l‟Egypte59
.
La présence britannique dans cette ville, qui était sa seule colonie
dans la région, est de nature coloniale. L‟attaque militaire et l‟occupation du port
d‟Aden en 1838 s‟inscrivaient bien dans les normes des pratiques coloniales de
l‟époque. Avec l‟accroissement considérable du rôle d‟Aden dans les échanges
commerciaux de l‟Empire, et au mépris des stipulations du traité anglo-yéménite de
59
Z. Kour, The Story of Aden, p.13.
33
paix et d‟amitié de 1834, la Grande-Bretagne posa les bases d‟une nouvelle
organisation politico-administrative60
.
Aden fut transformée en colonie de la couronne par l‟Aden Colony
Order de 1936. Son gouvernement, de type colonial direct, fut exercé
essentiellement par des cadres d‟origine anglaise61
. Pour exercer son autorité, la
puissance coloniale créa deux grands organismes : un conseil exécutif et un conseil
législatif. Très lâche à l‟origine, le statut du protectorat se précisa au fur et à
mesure qu‟Aden grandissait en importance et que, simultanément, le Yémen
accentuait ses revendications territoriales.
2.4 Coopération ou mandat déguisé : le cas des pays du Golfe
La structure tribale de la population se composant de bédouins et
de sédentaires domine la vie politique et sociale des pays du Golfe tels que le
Kuwait, Qatar, Bahreïn et l‟Arabie saoudite. La Grande-Bretagne exerça une
influence sur ces pays dans le but de protéger ses intérêts économiques comme cet
extrait d‟une note du ministère des affaires étrangères le révèle : „„les
« Sheikhdoms » du Golfe sont devenus très importants pour le Royaume-Uni et
l'ensemble des territoires utilisant la livre sterling. Il est essentiel que le
Gouvernement de Sa Majesté exerce une influence suffisante afin d‟assurer qu'il
n'ait pas de conflit entre les politiques menées par les dirigeants et la politique du
Gouvernement de Sa Majesté62
.‟‟
Deux facteurs majeurs sont derrière l‟établissement et l‟évolution des
rapports de la Grande-Bretagne avec les Etats du Golfe : leur position stratégique
sur la route menant à l‟Inde et la découverte du pétrole63
. Pour faire face aux
ambitions de la France, de la Russie, et de l‟Empire ottoman dans la région, la
Grande-Bretagne assura son omniprésence et sa domination en renforçant ses
60
M. El Habashi, Aden, p.22. 61
Ibid. p. 23. 62
S. Simon, Britain’s Revival and fall in the Gulf, p.3: „The Sheikhdoms of the Gulf have become of first
importance to the United Kingdom and the Sterling Area as a whole. It is essential that Her Majesty‟s
Government should exert sufficient influence in them to ensure that there is no conflict between the policies of
the Rulers and those of Her Majesty‟s Government‟ 63
R. Zahlam, The Making of the Modern Gulf States, p. 12.
34
relations avec les pays du Golfe à travers une série de traités avec les dirigeants de
ces pays. De cette façon, elle diminua la position de ses rivaux dans la région et
confirma son statut spécial auprès des dirigeants qui n‟étaient pas en mesure de
négocier avec les puissances étrangères, notamment avec les compagnies
pétrolières, sans la permission britannique.
Les pays du Golfe n‟avaient pas le droit d‟entamer des relations
directes avec d‟autres Etats. La politique britannique était officiellement contre
l‟ingérence dans les affaires internes des Etats du Golfe. Les affaires internes,
notamment les services publics : écoles, hôpitaux… étaient gérées par un roi qui
recevait un appui moral et politique. La découverte du pétrole renforça la position
du dirigeant et assura la continuité de son influence puisqu‟il suivait l‟application
des traités signés avec la puissance britannique64
.
En somme, l‟Empire britannique avait des liens solides, étayés de
traités, avec les dynasties du Golfe65
. La plupart des Etats du Golfe n‟avaient pas
un statut légal sous l‟Empire britannique. Ces Etats n‟étaient ni des colonies, ni sous
protectorat ou mandat, mais étaient tout simplement liés par des accords avec la
Grande-Bretagne pour qui se ménager des zones d‟influences au Proche-Orient était
une nécessité.
3. Rapports arabo-britanniques de la période post-indépendance
L‟importance de l‟Orient arabe pour la Grande-Bretagne émanait
du fait que cette région était un point stratégique de communications, une
source de pétrole et une base militaire offensive irremplaçable pour protéger ses
intérêts après l‟indépendance de l‟Inde66
. Avec l‟accès à l‟indépendance des pays
arabes sous occupation, mandat, ou protectorat, la Grande-Bretagne, dans le but
d‟affirmer son influence, essaya d‟assurer une présence militaire et politique dans
la région.
64
Ibid. p.19. 65
Ibid. p.12. 66
L. Roger, The British Empire in the Middle East, p.16.
35
La préservation des intérêts économiques ne peut être assurée que
si des gouvernements stables sont établis. Dans ce sens, l‟influence britannique
contribua à créer les Etats du Moyen-Orient et à fournir des aides politiques,
militaires et administratives. Cette présence s‟explique par l‟intérêt du maintien
des routes commerciales reliant l‟Europe avec l'Extrême-Orient et passant à
travers le monde arabe. Parallèlement à la présence militaire, sur le plan
politique, la sauvegarde des intérêts britanniques par des traités était la stratégie
politique suivie67
. La puissance britannique négocia des traités qui devaient
durer de nombreuses années. Avec l'Egypte comme avec l'Irak, elle réussit à
maintenir une position particulière à travers un traité de partenariat. Les
Britanniques, pour qui le pétrole est une source de revenus et une nécessité pour
son économie, bénéficièrent des concessions pétrolières et des exploitations en
Irak et dans d'autres pays. Bref, grâce à une présence militaire, économique et
une influence politique, la Grande-Bretagne substitua ses rapports de contrôle
direct des pays arabes par mandat, ou protectorat, par un contrôle indirect par des
traités à dimensions militaires, politiques et économiques.
Conclusion
En somme, la Grande-Bretagne avait une présence dans le monde
arabe d‟une manière formelle et informelle. La colonie d‟Aden, qui faisait partie
formellement de l‟Empire britannique, représentait un territoire sur lequel la
Grande-Bretagne exerça sa pleine souveraineté dans le cadre d‟une pratique
coloniale récurrente à l‟époque. Les Britanniques avaient acquis également un
certain degré de souveraineté partielle par protectorat, mandat, et traité comme
c‟était le cas de l‟Irak, de l‟Egypte, de la Palestine, de la Transjordanie et des Etats
du Golfe. Ces Etats étaient intégrés dans le système impérial britannique puisque
leurs unités militaires et les ministères étaient souvent conseillés ou gérés
indirectement par les Britanniques. Bref, les rapports entre Arabes et Britanniques
connurent des événements tragiques qui aboutirent à des confrontations militaires,
mais aussi à des périodes d‟échanges dans les domaines scientifiques et littéraires.
67
M. Fitzsimons, Empire by Treaty, p.1.
36
Chapitre II : L’émigration arabe en Grande-Bretagne
Introduction
Si l‟instabilité politique de la période post-indépendance dans
plusieurs Etats arabes est une raison de l‟émigration arabe vers l‟étranger, le choix
de la Grande-Bretagne semble être dicté par les liens historiques et culturels de la
Grande-Bretagne avec certains pays arabes. Le mot émigration qui désigne l‟exode
des personnes d‟un pays à l‟autre. Dans Après le Colonialisme: les Conséquences
Culturelles de la Globalisation,68
Arjun Appadurai illustre les courants culturels
globaux sous cinq dimensions : les ethnoscapes, les technoscapes, les
financescapes, les médiascapes et les idéoscapes69
. Les ethnoscapes sont les
migrations humaines qui caractérisent ce monde. Le mouvement des touristes,
immigrants, réfugiés, et exilés ne cesse de s‟accroître dans un monde dominé par les
disparités économiques, l‟instabilité politique et les guerres régionales.
Technoscapes est le fluide de la technologie dans le cadre de la tendance de
l‟économie mondiale à s‟internationaliser sous l‟effet de la mondialisation. Les
entreprises multinationales sont désormais ancrées dans de nombreux pays, ce qui
nécessite les transferts de technologie, dimension centrale de leur déploiement
international. S‟agissant des financescapes, le capitalisme mondial forme
désormais un paysage plus rapide dans lequel les marchés de change et les bourses
nationales font passer à la vitesse de la lumière d‟énormes sommes d‟argent. Dans
le monde des technologies de l‟information et de la communication, les
médiascapes sont à la fois la distribution des moyens électroniques de
produire de l‟information comme les journaux, les magazines, et les chaînes
de télévision. Ces moyens sont désormais accessibles à un nombre croissant
d‟intérêts publics et privés à travers la planète. Enfin, les idéoscapes sont des
concaténations ou enchaînements d‟images, mais ils sont souvent politiques
et en rapport avec les idéologies des Etats et les contre-idéologies des
68
A. Appadurai, Après le Colonialisme, p.68. 69
Le suffix « scape » est tiré de « Landscape » paysage.
37
mouvements agissant pour la prise du pouvoir70
. Ces idéoscapes sont
composés d‟éléments comme: liberté, droit, démocratie…
Ces cinq éléments opèrent à travers les disjonctions croissantes entre
ethnoscapes, technoscapes, financescapes, médiascopes et idéoscapes71
. Les
gens, les machines, l‟argent, les images et les idées tendent de plus en plus à
suivre des voies non isomorphes. Toutes les périodes de l‟histoire humaine
ont connu des disjonctions dans les flux de ces éléments. Ces disjonctions
sont devenues un aspect central qui caractérise le monde d‟aujourd‟hui.
1. Itinéraires des mouvements migratoires arabes
1.1 Mouvement régional ou interarabe
Les pays arabes du Golfe constituent l‟un des pôles les plus importants
d‟attraction des mouvements migratoires intra-arabes. Les migrations à destination
de ces pays se présentent comme un ensemble de réserve de main-d‟œuvre qui se
situe sur la périphérie arabe proche du Golfe en particulier72
. La pénurie de main-
d‟œuvre locale pour mettre en chantier des projets grâce aux recettes générées par
les revenus du pétrole attira des courants de travailleurs des pays arabes non
producteurs de pétrole73
. L‟exode arabe vers les pays du Golfe et le recentrement
des mouvements de main-d‟œuvre sur l‟espace régional arabe commença à partir
des années soixante-dix. Jusqu‟en 1973, la population immigrée dans les pays du
Golfe était majoritairement arabe pour répondre au manque de cadres dans le
domaine de la santé et l‟éducation dans ces pays74
. Les migrations originaires des
pays arabes riverains de la Méditerranée comme l‟Egypte, le Liban, la Palestine et
la Syrie sont les premières en importance75
. Les pays arabes du Golfe, notamment
l‟Arabie Saoudite, Qatar, Koweït, Bahreïn, Oman et les Emirats Arabes- Unis
70
A. Appadurai, Après le colonialisme, p. 72. 71
Ibid. p.73. 72
P. Fargues, Réserves de main-d’œuvre et rente pétrolière, p.49. 73
G. Beauge, F. Buttner, Les Migrations dans le monde arabe, p.41. 74
E. Lynne, et I. Papps, „Migration Dynamics in the GCC Countries,‟Emigration Dynamics in Developing
Countries, n°4, 1999, p. 208. 75
P. Fargues. Réserves de main-d’œuvre et rente pétrolière, p.57.
38
accueillaient au début des années 1980 environ cinq à six millions d‟étrangers76
. A
part quelques Marocains et Tunisiens au Koweït et en Arabie Saoudite, dans les
pays du Golfe, la main-d‟œuvre provient en premier lieu de l‟Orient arabe77
. La
Libye est le seul pays du Maghreb arabe qui importe de la main-d‟œuvre provenant
d‟Egypte, du Soudan, de la Tunisie et du Maroc78
.
L‟émigration vers les pays du Golfe, qui démarra avec les débuts de
l‟exploitation du pétrole en Arabie Saoudite et dans les Emirats arabes unis, et juste
après au Koweït, s‟est enflée brutalement après 1973, et oscille en fonction de la
conjoncture pétrolière et politique comme lors de l‟invasion du Kuweit par l‟Irak
dans les années quatre-vingt dix et les positions des pays exportateurs de main-
d‟œuvre devant l‟invasion.
1.2 Mouvement à l’extérieur du monde arabe
Le deuxième exode arabe s‟orienta vers les pays industrialisés de
l‟Europe et de l‟Amérique à partir des pays du Maghreb et de l‟Orient arabe. Dans
le mouvement migratoire vers l‟Europe, les pays du Maghreb constituent la
deuxième vague d‟émigration arabe depuis les années soixante vers les pays
européens, en particulier la France, les Pays-Bas, l‟Allemagne et récemment l‟Italie
et l‟Espagne79
. Ce mouvement migratoire s‟inscrit dans le cadre des rapports
historiques entre l‟Europe coloniale et les pays du Maghreb particulièrement le
Maroc, la Tunisie et l‟Algérie qui étaient sous occupation française. Il s‟agit de
relations migratoires traditionnelles (Nord-Sud) qui constituent un des aspects qui
marquent les rapports entre pays émergents et pays industrialisés.
Avant de devenir des pays d‟émigration, les pays arabes furent
d‟abord pays d‟immigration puisque le système colonial généra des vagues
migratoires, non seulement de peuplement mais aussi de main-d‟œuvre, d‟abord de
76
A. Bourgey, „Importance des migrations internationales de travail dans l‟Orient arabe,‟ Migrations et
Changements Sociaux dans le Monde Arabe, p.11. 77
A. Bourgey, „Importance des migrations internationales de travail dans l‟Orient arabe‟, Migrations et
changements sociaux dans le monde arabe, p.15. 78
P. Fargues, Générations arabes, p.263. 79
L. Brand. Citizens Abroad, p. 50.
39
la métropole vers les colonies avant d‟organiser une émigration dans le sens
inverse, des colonies vers la métropole80
. Cette démarche était dictée par la période
de reconstruction que traversaient les pays européens après la Deuxième Guerre
mondiale puisqu‟il y eut un besoin de main-d‟œuvre. Ce mouvement migratoire qui
s‟amorça au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale ne devint réellement
significatif qu‟à partir des années cinquante marquant ainsi une étape importante
dans le mouvement de la population du Sud vers le Nord.
L‟orientation vers les autres pays européens comme la Belgique,
les Pays-Bas, l‟Allemagne augmenta rapidement à partir des années soixante dans
le cadre d‟accords bilatéraux entre pays du Maghreb et pays européens81
. La
dynamique de l‟émigration en direction des pays européens a été affectée par les
décisions prises par ces pays d‟arrêter l‟immigration à partir des années soixante-
dix et quatre-vingt sans pourtant arrêter le mouvement des populations du Sud vers
le Nord car l‟émigration continue à travers le regroupement familial en plus de
l‟émergence dès les années quatre-vingt-dix d‟autre destinations comme l‟Espagne
et l‟Italie.
1.3 Mouvement vers la Grande-Bretagne
La Grande-Bretagne a été, à travers l‟histoire, une terre d'accueil
des immigrants. Le pays était, au début, la destination des envahisseurs du
continent européen comme les Angles, les Danois et les Saxons. A partir du
cinquième siècle, les Saxons s‟implantèrent en Angleterre, puis d‟autres peuples
germaniques, notamment les Angles et Jutes arrivèrent. La conquête anglo-saxonne
de l‟Angleterre s‟acheva pratiquement au début du septième siècle.
Comme les autres pays d‟Europe, la Grande-Bretagne connut une grave
pénurie de main-d‟œuvre après la Deuxième Guerre mondiale. Les besoins urgents
en main-d'œuvre obligèrent de nombreuses industries à recruter à l'étranger,
notamment au Pakistan, l‟Inde et Caraïbes. L‟immigration chinoise était en
80
S. Collinson, Shore to Shore, p. 6-7. 81
Ibid. P. 94.
40
premier lieu en provenance de Hong Kong, qui fut sous autorité britannique jusqu‟à
1997, en plus de l‟immigration de Taiwan et du Vietnam. L‟instabilité politique
provoqua, d‟autre part, l'arrivée massive de réfugiés des autres continents,
notamment d‟Afrique. Les immigrants d‟Afrique étaient originaires des
communautés côtières d‟Afrique de l‟Ouest, Sierra Leone, Nigéria et Ghana, ou
d‟Afrique de l‟Est avec la Somalie britannique82
. La population africaine en
Grande-Bretagne se compose également des réfugiés en raison de l‟instabilité
politique de pays tels que le Ghana, l‟Ouganda, la Somalie, et l‟Ethiopie.
Malgré les restrictions sur l‟immigration par les lois passées en
1962, 1968 et 1972, les regroupements familiaux, en provenance principalement de
l‟Inde et du Pakistan, continuent à bousculer l‟homogénéité relative de la société
britannique. L‟immigration polonaise, qui remonte au dix-neuvième siècle au
moment où beaucoup quittèrent la Pologne pour fuir les guerres83
, s‟est accélérée
récemment avec l‟entrée de la Pologne dans l‟Europe en 2004 et la libre circulation
des travailleurs des pays de l‟élargissement.
S‟agissant de l‟émigration arabe vers la Grande-Bretagne, Fred
Halliday dans Arabs in Exile: Yemeni Immigrants in Urban Britain 84
souligne
que, suite aux liens commerciaux que l‟Empire ottoman avait avec la Grande-
Bretagne, une communauté syro-libanaise s‟installa à Manchester au dix-neuvième
siècle. Les immigrants les plus anciens sont les yéménites puisque la présence
yéménite sur le sol britannique, notamment en provenance de sa colonie d‟Aden,
remonte à 188585
. Les premiers départs furent facilités par le trafic maritime entre
l‟Europe et le Moyen-Orient, notamment l‟ouverture du Canal de Suez en 1869.
Des Yéménites qui travaillaient dans les bateaux s‟arrêtant à Aden s‟installèrent à
Tyneside. Les marins arabes commencèrent à visiter la Grande-Bretagne vers la fin
du dix-neuvième siècle et le début du vingtième siècle avec une augmentation
significative lors de la Première Guerre mondiale. Lors de la Première Guerre
82
D. Lassalle, Les Minorités ethniques en Grande-Bretagne, p.28. 83
K. Sword, The Formation of the Polish community in Great Britain, p.21. 84
F. Halliday, Arabs in Exile, p.7. 85
R. Lawless, From Taizz to Tyneside, p.39.
41
mondiale, ils occupaient les postes vacants suite à l‟engagement des marins
britanniques dans la marine de guerre. Les premiers marins arabes étaient
originaires du protectorat d‟Aden et bénéficiaient par conséquent du statut de
„personnes britanniques protégées‟. En devenant port international, Aden était leur
première étape vers l‟étranger. Leur recrutement à Aden pour travailler dans des
bateaux britanniques était bien établi, favorisant la création de communautés
yéménites dans beaucoup de ports britanniques.
Les années soixante marquent un tournant important dans l'histoire de
l‟émigration arabe en Grande-Bretagne en termes du nombre et de la diversité
croissante en ce qui concerne le profil des immigrants et l‟origine nationale. En
effet, l‟émigration arabe vers la Grande-Bretagne, qui commença d‟abord avec les
Yéménites, puis avec des immigrés d‟autres pays arabes, augmenta de façon
significative au cours de ces dernières décennies en raison de la guerre au Liban, de
la détérioration de la situation en Irak, en Palestine et en Algérie. Des réfugiés
firent des demandes d‟asile pour fuir le cauchemar des guerres dans leurs pays
d‟origine. D‟autre part, des investisseurs et des entrepreneurs du Liban, d‟Arabie
Saoudite, mais aussi d‟Egypte et d‟Irak profitèrent de la hausse rapide du prix du
pétrole pendant les années soixante-dix afin de faire des investissements en
Grande-Bretagne où ils sont devenus propriétaires de maisons, en particulier à
Londres86
.
La Grande-Bretagne était également la destination d‟une
émigration attirée par les opportunités économiques ouvertes à une immigration
qualifiée87
. Par conséquent, la communauté arabe en Grande-Bretagne est surtout le
fait d‟Arabes de l‟Orient arabe ne répondant cependant pas aux caractéristiques des
travailleurs migrants au sens traditionnel de cette expression. Cette communauté
arabe se compose de ceux attirés par l‟industrie et l‟agriculture industrialisée des
pays développés. La première vague des immigrants était des ouvriers non qualifiés
86
Ermes, Ali, Omar (2002) „the Invisibility of the Arab Community in Britain‟.
http://www.aliomarermes.co.uk/resources/view_article.cfm?article_id=10 [consulté le 11 mars 2010] 87
McRoy, Anthony (2000) „The British Arabs‟.
ttp://www.naba.org.uk/content/articles/diaspora/british_arabs.htm [consulté le 11 mars 2010]
42
qui travaillaient dans le secteur industriel, maritime, ou le secteur des services. La
deuxième se composait de ceux qui souffrirent des expériences traumatiques
engendrées par des conflits politiques et militaires et des personnes qualifiés et des
réfugiés politiques. Le boom économique de 1973 pour les pays producteurs de
pétrole, conjugué à l'instabilité économique et politique dans certains pays arabes,
encouragea une fuite des cerveaux et du capital arabes à la recherche de nouvelles
opportunités et de possibilités d'investissement en Grande-Bretagne.
À la fin des années 1980 et pendant les années 1990, la diversité qui
est de plus en plus caractéristique des communautés arabes établies en Grande-
Bretagne, fut encore renforcée par l'afflux croissant de réfugiés en raison des
conflits armés dans des zones comme l‟Irak, la Somalie et l‟Algérie. On peut
trouver de grands responsables politiques dans leurs pays d‟origine qui fuirent leurs
pays car ils étaient associés à des soulèvements politiques et militaires contre les
régimes en place. Ils forment une opposition à l‟étranger au régime politique du
pays d‟origine.
En gros, les flux migratoires arabes s‟inscrivent dans la dynamique
des mouvements d‟immigration des pays dits du Sud vers les pays industrialisés du
Nord. De nombreuses décisions de départ sont dues à la nécessité de fuir les
guerres, les harcèlements politiques violents et les régimes répressifs. Le chaos
dont la région souffrit, l‟instabilité qui caractérisa la période post-indépendance,
l‟explosion démographique, en plus des problèmes économiques et sociaux sont à
l‟origine des exodes migratoires arabes.
2. L’émigration arabe
2.1 Le contexte de l’émigration
2.1.1 Nationalisme et la quête d’indépendance
Après la chute de l‟Empire ottoman, la plupart des pays arabes étaient sous la
domination européenne d‟où l‟émergence de mouvements soucieux de libérer les
Etats arabes de l‟occupation étrangère. C‟est dans ce contexte qu‟un nationalisme
43
arabe vit le jour. Les idéologues88
de ce nationalisme arabe voient la nation comme
une entité culturelle avec un héritage culturel basé sur une langue et une histoire
commune partagée par une collectivité de peuples arabes. Le socialisme représentait
le moyen technique d‟organiser la société arabe en prêchant l‟unité sur la base de
la justice sociale et économique afin de forger une unité arabe89
. Dans ce sens, la
première théorisation du nationalisme arabe fut élaborée par Sati Al-Husri. Les
Etats arabes étaient considérés comme des créations des puissances impérialistes90
.
Le nationalisme arabe transcende les nationalismes locaux afin de surmonter les
différences ethniques, religieuses, et tribales qui dominent le monde arabe comme
la définition de Sati Al-Husri, explique :
L‟arabisme n‟est pas circonscrit aux habitants de la péninsule
arabique, pas plus qu‟il n‟est spécifique des seuls musulmans. Tout au
contraire, il s‟étend à tous ceux qui se rattachent aux pays arabes et
parlent la langue arabe, qu‟ils soient égyptiens, marocains,
koweitiens, musulmans ou chrétiens. Les différences et divergences
que l‟on voit maintenant entre les Etats arabes du point de vue de leurs
institutions administratives, législatives et économiques, ainsi que de
leurs orientations politiques sont toutes l‟héritage des époques
d‟occupation. Elles sont nées de l‟impérialisme (…) les Arabes sont
une seule umma91
Al-Husri fit la distinction entre mouvements patriotiques basés sur
une région territoriale spécifique et mouvements nationalistes panarabes basés sur
la nation, qui est, dans ce cas, la nation arabe. Pour Sati Al-Husri, la nation
(umma92
) dénote un groupe de gens qui partagent une langue, une histoire commune
tandis que l‟Etat (dawla) dénote des gens vivant sur un territoire commun avec des
frontières fixes93
. La nation pourrait comprendre un Etat unique et indépendant
ayant un drapeau, un gouvernement et une armée, comme elle pourrait également
comprendre de nombreux Etats indépendants. Dans ce cas, ces Etats constituent
88
Parmi les penseurs arabes qui ont formulé ce concept de „nationalisme arabe‟, on trouve Edmond Rabath
(Liban), Michel Aflaq et Sati Husri (Irak). 89
O. Carré, Le nationalisme arabe, p. 59. 90
A. Dawisha, Arab Nationalism in the Twentieth Century, p.3. 91
Cite par: F. Massoulie, les Conflits du Proche-Orient. p.37. 92
Umma était utilisée au début par les penseurs musulmans pour faire référence à la communauté des Croyants. 93
Y. Cheoueiri, Arab nationalism, p.13.
44
une nation particulière et agissent pour renforcer un nationalisme qui dépasse les
frontières de ces Etats, en agissant pour faire apparaître une patrie nouvelle et
commune reliée par un nouveau patriotisme94
.
Cette vague nationaliste arabe était construite sur deux piliers :
l‟originalité de la langue arabe, considérée comme moyen de compréhension entre
peuples arabes, et l‟unité politique de tous les pays arabes, de l‟Océan Atlantique au
golfe Persique qui constituent le noyau de cette tendance nationaliste95
. Le
nationalisme arabe est un phénomène dont l‟orientation est panarabe à base
linguistique non confessionnelle et même laïque, en prônant une citoyenneté arabe
sans aucune qualification religieuse communautaire pas plus musulmane que
chrétienne ou juive96
. Comme conséquence à cette orientation idéologique, le
monde arabe vit l‟arrivée au pouvoir des partis uniques révolutionnaires.
2.1.2 Ebranlement politique : les coups d’Etat
Cette vague idéologique qui domina le monde arabe est illustrée par
le mouvement de la renaissance arabe socialiste Baath97
dont le but était
l‟unification des pays arabes sous la bannière d‟une nation arabe qui partage une
langue, une culture, et des intérêts communs98
. L‟optique révolutionnaire était
prônée par ce parti et d‟autres partis politiques dans le monde arabe. Cette optique
exprimée par le fondateur de Baath, Michel Aflak, fut le fruit unissant l‟unité de la
pensée avec l‟action. Née au sein de la lutte arabe, cette tendance essaya d‟élaborer
une grande action de révolte pour le mouvement de la libération arabe. L‟adoption
d‟une orientation révolutionnaire s‟est propagée dans le monde arabe avec, comme
résultat, l‟arrivée au pouvoir de régimes qui contrôlaient aussi bien la vie politique
que militaire des Etats arabes. Le système du parti unique était le seul régime
politique toléré et la diversité idéologique était considérée comme atteinte à la
sécurité de l‟Etat. C‟est ainsi que plusieurs pays du monde arabe furent dominés par
94
Ibid. p.13. 95
A. Dawisha, Arab Nationalism in the Twentieth Century, p.68. 96
O. Carré, Le nationalisme arabe, p. 50. 97
Le Baath (Renaissance en arabe) est le parti politique au pouvoir en Irak avant la chute du régime de Saddam
Hussein et en Syrie depuis les années 1960. Le mouvement du parti „baath’ a été créé à Damas dans les années
40 par le chrétien Michel Aflak et le musulman sunnite Salah Al Din Bitar. 98
Y. Choueiri, Arab Nationalism, p.155.
45
des conflits armés internes et externes engendrant des problèmes économiques et
sociaux99
.
2.2 Les raisons de l’émigration
2.2.1 Le facteur politique
a. Instabilité politique
La situation politique des pays arabes peut constituer une incitation
au départ en raison des incertitudes qui pèsent sur le devenir politique de ces pays
dont l‟histoire politique est extrêmement agitée. L‟émigration principalement de
l‟Irak, de la Syrie, de l‟Egypte, de la Somalie, et de l‟Algérie illustre ce rapport
entre émigration et instabilité politique pour des raisons idéologiques ou ethniques.
En Irak et en Syrie, le système du parti unique privait le processus
électoral de véritable signification politique. Le seul parti unique en Irak accumulait
tous les pouvoirs avec un contrôle de l‟appareil militaire du pays et un rejet de toute
opposition politique. La tyrannie du pouvoir et les guerres successives qu‟il
déclencha sont la cause principale de l‟émigration depuis l‟Irak. Ce pays a toujours
été une région marquée par l‟instabilité et la violence politique. A l‟époque de la
monarchie, l‟instabilité provenait des milieux militaires qui ne cessaient de
comploter. La révolution de 1958 amena au pouvoir le général Kassem100
qui fut
renversé par le parti Baath en 1963101
. Comme parti autoritaire, le parti Baath était
contrôlé par le sommet et non pas par la base. Les milices armées du parti réprimait
toute émeute. Les partis d‟opposition étaient regroupés en Grande-Bretagne où
vivent beaucoup d‟Irakiens et la lutte politique se déroulait sous formes
d‟expulsions, d‟exclusions et d‟arrestations. Une opposition politique interne
reconnue et organisée n‟existait pas. En fait, les guerres et les destructions
entraînèrent l‟exode des populations de l‟Irak.
Ainsi, à cause des aléas de l‟histoire politique du pays, Londres, métropole
de l‟ancienne puissance mandataire en Irak, a accueilli des groupes composites
99
H. Safar, Travailleurs et cerveaux arabes immigrés en Europe, p.30. 100
Né en 1914 à Bagdad, mort le 9 février 1963. Il fut premier ministre de l'Irak dans les années 1950. 101
M. Farouk-Sluglett, P. Sluglett, Iraq since 1958 from Revolution to Dictatorship, p. 49.
46
d‟Irakiens, notamment des monarchistes ayant fuit la révolution de 1958, des
opposants de toutes tendances – communistes, islamistes sunnites, diverses
mouvances politiques et religieuses chiites – qui poursuivaient en exil leurs activités
politiques.
L‟émigration irakienne, qui était très limitée même si les relations
irako-britanniques remontent à la période qui précède la constitution de l‟Etat
irakien moderne en 1921, s‟accéléra à partir des années quatre-vingt. Elle
commença massivement avec le déclenchement de la guerre Iran-Irak (1980-1988)
qui poussa contre leur gré des milliers d‟Irakiens à chercher refuge ailleurs. Ce
mouvement migratoire s‟accéléra avec la deuxième guerre du Golfe (1990-1991) et
l‟embargo économique imposé contre l‟Irak102
.
Le coup d‟Etat en Syrie qui était l‟œuvre des militaires appartenant à
la formation baathiste mit fin à la l‟expérience parlementaire et apporta au pouvoir
un régime militaire qui était lié idéologiquement au pouvoir de Bagdad avant la
chute du régime de Saddam Hussein. Conformément à la même thèse du
nationalisme arabe, la révolution égyptienne se lança dans un processus
d‟unification en tenant de créer une république arabe unie. La révolution égyptienne
de 1952 porta au pouvoir une équipe dirigeante avec des références idéologiques
socialistes. Ce nouveau pouvoir en Egypte désigna comme ennemi l‟impérialisme et
les puissances capitalistes et mena un combat contre les agissements d‟une classe
dont les intérêts étaient liés aux intérêts étrangers. C‟est ainsi que les riches
propriétaires, les grands commerçants, les membres des professions libérales
choisirent de quitter le pays.
L‟histoire de la Somalie détermine l‟arrivée des Somaliens en
Grande-Bretagne pour fuir les horreurs de l‟anarchie armée et les répercussions
d‟une société civile en voie d‟effondrement. Au début du vingtième siècle,
beaucoup de Somaliens, qui travaillaient comme marins, profitèrent de la
prospérité économique de la Grande-Bretagne en marge du développement
102
M. Al-Rasheed, „Political migration and downward socio-economic mobility: the Iraqi community in
London, New Community, vol. 18, n° 4, 1992, p.537-550.
47
industriel et s‟établirent particulièrement à Tower Hamlets103
. D‟autres
communautés somaliennes s‟installèrent à Cardiff, Liverpool et Londres avec de
petites communautés à Bristol et South Shields.
L‟exode somalien changea d‟une émigration économique à une
émigration provoquée par la détérioration de la situation politique et militaire. Le
pays fut ravagé par la guerre civile en 1991 et des conflits de frontière jusqu'en
1993. Beaucoup de réfugiés quittèrent le pays. La première vague de réfugiés
arriva à Londres vers la fin des années quatre-vingt par l'intermédiaire des camps
de réfugiés en Ethiopie et Djibouti.
L‟émigration algérienne s‟est bousculée vers la Grande-Bretagne
depuis l‟intensification du conflit en Algérie et la détérioration de la situation
engendrée par l‟annulation des élections de 1992 et ses conséquences sociales et
économiques104
. A partir de 1993, les groupes armés qui contrôlaient plusieurs
parties du pays suivaient une politique d‟élimination individuelle qui visait
fréquemment les intellectuels, les journalistes, et les artistes. Le conflit atteignit son
apogée pendant les années quatre-vingt-dix, période de l‟arrivée de la grande
majorité de la population algérienne en Grande-Bretagne. Cette population
immigrée inclut des intellectuels, artistes, et des militaires qui quittèrent le pays
sous la menace pour obtenir le statut de réfugiés en Grande-Bretagne.
D‟une manière générale, la démocratie, dans la pratique dans
ces régimes issus de coups d‟Etat militaires, est artificielle105
. De puissants moyens
de propagande, de presse et la force de l‟appareil militaire sont exploités par le
pouvoir. Ce dernier est concentré entre les mains d‟un souverain absolu, ou d‟une
élite appartenant aux hautes sphères de l‟appareil d‟Etat. Par conséquent, le concept
occidental de valeurs civiques n‟existe pas dans de tels pays. La persécution des
103
C. El-Solh, „Somalis in London‟ East End: a community striving for recognition‟, New Community, vol. 17,
n°4, 1991, p.539-552. 104
M. Collyer, Explaining change in established migration systems: the movement of Algerians to France and
Britain. Thèse de doctorat, Université de Sussex, 2002. 105
C. Elaissami, De la révolution arabe, p. 26.
48
opposants politiques par des régimes policiers était une pratique récurrente qui
conduisit à l‟exode d‟une classe d‟élite.
b. Absence de libertés
La deuxième catégorie de régimes arabes est celle des réactionnaires
qui baignent dans un conservatisme destiné à assurer leur continuité et
l‟exploitation de l‟appareil d‟Etat. L‟absence de libertés individuelles engendre une
intense frustration et un malaise de la population. Les régimes absolutistes de la
péninsule arabique ne permettent pas l‟existence des partis politiques. Ce sont des
régimes tribo-dynastiques dirigés par de puissantes familles royales qui cumulent
tous les pouvoirs. Dans ces systèmes politiques, la classe moyenne, qui dépend en
grande partie directement de l‟Etat, est hostile à l‟instauration de procédures
démocratiques. Cette alliance pour le profit stipule que la bourgeoisie doit renoncer
à tout rôle politique et suivre les grandes directives économiques de l‟Etat106
. Des
Etats puissants avec des classes moyennes dépendantes entravent tout avancement
démocratique. Dans un tel contexte, le clientélisme, comme mode de
fonctionnement ordinaire de la politique arabe, empêche le fonctionnement de
l‟Etat moderne107
. La situation politique arabe est dominée par l‟autoritarisme
absolu et répressif et les restrictions sur les libertés individuelles exercées par une
minorité qui monopolise l‟Etat et en fait un instrument d‟exploitation économique
de la société.
2.2.2 Guerres régionales : instabilité dans la géopolitique du Proche-
Orient
a. Guerres arabo-israéliennes : ébranlement à trois reprises
Plus graves que la négation des droits politiques et sociaux, les
conflits régionaux sont l‟une des causes des migrations forcées et de la fuite pour
survivre. Le conflit israélo-arabe commença à la veille de la création de l‟Etat
d‟Israël. Ce conflit persistant se manifesta de manière critique par trois guerres entre
106
J. Wanterbury, „Démocratie sans démocrates ? Le potentiel de libération politique au Moyen Orient,‟
Démocraties sans Démocrates, p.95. 107
O. Roy, „Clientélisme et groupes de solidarité : survivance ou recomposition‟, Démocraties sans Démocrates,
p.397.
49
Israël et une coalition d‟Etats arabes : en 1948, 1967, et 1973. Avec la déclaration
de l‟indépendance d‟Israël, les armées égyptiennes, syriennes et libanaises passèrent
à l‟offensive. Les Palestiniens sont les grands vaincus de la guerre. Plusieurs
centaines de milliers d‟entre eux prirent le chemin de l‟exil pour fuir les combats et
se mettre à l‟abri en attendant des jours meilleurs. Les péripéties de la guerre sont à
l‟origine de l‟émigration palestinienne qui s‟accéléra après les guerres de 1967 et
1973 durant lesquelles Israël remporta la victoire, provoquant une modification de
la carte politique du Proche-Orient108
. Les Israéliens occupèrent la bande de Gaza,
le Sinaï, la Cisjordanie et le plateau du Golan et contrôlèrent plus des trois-quarts de
la Palestine mandataire en causant l‟exode de la population des territoires
conquis109
. La masse de réfugiés palestiniens alla s‟installer dans les pays voisins,
mais aussi à l‟étranger où une diaspora palestinienne s‟est constituée aux Etats-Unis
et en Grande-Bretagne. A partir des années soixante-dix, l‟Europe s‟est présenté
comme un espace favorable à l‟immigration de Palestiniens en raison de la
possibilité pour certains d‟y obtenir l‟asile politique, et l‟opportunité pour tous d‟y
trouver du travail et d‟assurer à leur famille une vie plus stable et un avenir plus sûr
pour leurs enfants.
b. Guerre du Liban : effet d’une guerre civile
La Jordanie tentait de se débarrasser de la présence croissante des
Palestiniens sur son territoire par des moyens extrêmes dont „Septembre Noir‟, le
massacre de la présence politique et militaire de l‟Organisation de Libération de la
Palestine en 1970110
. Chassée de la Jordanie, l‟armée de libération palestinienne alla
s‟installer au sud du Liban, ajoutant aux importants camps de réfugiés civils une
force militaire palestinienne autonome disposant d‟un statut officialisé par les
accords interarabes. La dégradation du système communautaire aboutit à un
véritable éclatement du pays en factions armées.
108
G. Chaliand, J. Rageau, Atlas des diasporas, p.175. 109
A. Bourgey et al. Migrations et changements sociaux dans l’Orient arabe, p.38. 110
J. Sarkis, Histoire de la guerre du Liban, p.21-22.
50
La conséquence fut le déclenchement de la guerre du Liban qui dura
de1975 à 1990. L‟émigration libanaise s‟accentua tout au long de ces années de la
guerre. Dès 1975, la guerre du Liban débuta par un accrochage entre Libanais
chrétiens et palestiniens111
et des affrontements militaires entre Palestiniens et
Israéliens, causant encore un départ massif de Palestiniens qui se dirigèrent vers
les pays arabes voisins et en dehors du monde arabe dont 34 000 vers la Grande-
Bretagne entre 1975 et 1977112
. La situation de guerre civile provoqua un exode des
compétences libanaises vers les pays les plus stables à cause de la stagnation
économique engendrée par la guerre113
. Cette émigration toucha des communautés
diverses, mais plus particulièrement les maronites, les sunnites, les grec-orthodoxes
et, dans une moindre mesure, les chiites114
.
c. Guerres du Golfe : de la guerre Irak-Iran à la guerre du
Koweït
Les relations du régime de Bagdad, qui déclencha plusieurs
guerres dans la région, avec ses voisins étaient en constante détérioration. Un
conflit opposant l‟Irak et l‟Iran fut déclenché en 1980 par le gouvernement de
Saddam Hussein qui espérait régler au profit de l‟Irak un vieux conflit frontalier à
propos de Chatt al-Arab qui marque la frontière entre l‟Irak et l‟Iran. Des millions
de personnes quittèrent le pays pour survivre. Tous les courants politiques qui
étaient hostiles à la politique officielle étaient victimes d‟une répression sanglante
qui n‟épargna pas non plus les communautés religieuses, en particulier les chiites et
les juifs.
Quelques années après ce conflit, la région subit un ébranlement
plus fort avec la seconde Guerre du Golfe. L‟invasion du Koweït en 1990 fut le
point de départ d‟une crise grave qui bouleversa le monde entier115
. L‟annexion du
Koweït par l‟Irak et l‟intervention des puissances occidentales ébranlèrent les bases
111
Ibid. p. 21. 112
B. Labaki, K. Rjeily, Bilan des guerres du Liban, p.91. 113
N. Saidi, Economic Consequences of the War in Lebanon, p.1-3. 114
G. Chaliand, J. Rageau, Atlas des diasporas, p.170. 115
C. Haghhighat, Histoire de la crise du Golfe, p.11.
51
politiques et sociales du Moyen-Orient. Cette crise et toutes ses conséquences
déplacèrent contre leur gré plusieurs millions de personnes qui se trouvèrent
brutalement dans la condition de réfugiés, si ce n‟est pas dans celle d‟otages des
pouvoir politiques ou de situations impossibles à maîtriser. En dehors des
souffrances humaines, la guerre causa les déplacements de personnes dans des
conditions effroyables116
.
2.2.3 Le facteur économique
L‟explosion démographique dans certains pays arabes a une
influence négative sur l‟économie et entrave le processus de développement en
particulier dans les pays non producteurs de pétrole117
. Les motivations
économiques sont à la base de certains mouvements migratoires arabes. Les
différences dans l‟emploi, les écarts de revenus, l‟espoir de gains plus rapides à
l‟étranger constituent les ressorts de ces migrations économiques118
. Le fondement
de ce grand type de mouvement est essentiellement économique, mais les
interactions avec les facteurs politiques et sociologiques sont constantes. Ces
migrations s‟inscrivent dans le fonctionnement des marchés nationaux du travail au
profit des Etats les plus riches, les plus dynamiques ou les plus industrialisés. Elles
révèlent les inégalités du développement et de la richesse à l‟échelle mondiale.
L‟intégration de l‟économie arabe dans les économies
européennes est un fait119
. L‟économie arabe demeure de type colonial,
profondément intégré au marché mondial120
. Les pays arabes ne pouvaient pas
échapper à ce mouvement d‟intégration, d‟une part du fait de leur histoire récente
façonnée par le système colonial européen, et d‟autre part, de la tendance du
système capitaliste à intégrer les différents pays dans un système productif
transnational. Cette intégration des économies arabes dans les économies
européennes se réalise dans une dépendance plus accentuée et plus diversifiée :
116
Ibid. p.12. 117
Ibid. p.5. 118
I. Zin, L’Immigration des cerveaux arabes, p.90. 119
S. Hayssam. (ed), Travailleurs et cerveaux arabes immigrés en Europe, p.62. 120
H. Laurens, Paix et guerre au Moyen-Orient, p.11.
52
dépendance commerciale, financière, technologique et alimentaire. Les pays arabes
exportent en général toutes leurs matières premières ainsi que leurs capitaux et
importent pratiquement tout. L‟économie arabe fait actuellement partie intégrante
de l‟économie capitaliste qui encourage et stimule l‟importation des matières
premières arabes et fait de cette région arabe des marchés de débouchés pour les
produits européens.
D‟autre part, l‟exploitation farouche des intérêts locaux dans chacun
des pays arabes engendre l‟émergence d‟une classe constituée en „grappes de
clientèle121
‟ autour d‟un régime à homme fort. Cette classe est généralement une
classe moyenne. Un système de production, dans ce cas, est un système d‟inégalités
entre dominants et dominés à l‟intérieur de chaque pays. Ce facteur est important
dans l‟explication de l‟exode rural à l‟intérieur ou de l‟exode des compétences vers
l‟étranger. Le manque de liberté pour tous ceux qui ne sont pas rangés dans les
grappes de clientèles et la désertion de la région par les cerveaux et les cadres
traduit cet état d‟inégalité.
A la différence d‟émigration de main-d‟œuvre ordinaire, celle du
personnel très qualifié, des spécialistes et des élites professionnelles est favorisée
par les Etats les plus riches. C‟est le cas des migrations de commerçants, d‟hommes
d‟affaires ou d‟entrepreneurs. Ce type de mobilité est directement lié à la
circulation des capitaux (financescapes). Alors que certains types d‟emploi se
réduisent, la demande mondiale pour les hautes qualifications reste très forte. Les
migrations de ceux qui s‟installent à l‟étranger avec statut professionnel
indépendant, qu‟ils soient commerçants, ou chefs d‟entreprise de taille importante
ou modeste sont en accroissement. Ainsi on trouve des investissements arabes dans
le domaine bancaire, l‟export import et la presse.
La fuite des cerveaux arabes constitue une forme d‟aide au
développement inversée étant donné que les pays d‟accueil bénéficient clairement
des investissements arabes dans le domaine de l‟éducation et de la formation. Ce
121
Terme employé par : I. Safar, Travailleurs et cerveaux arabes immigrés en Europe. p.61.
53
type d‟émigration entrave le développement économique dans la région. Cette fuite
des cerveaux est attribuée à des facteurs externes et internes (pull and push factors).
Les conditions défavorables au travail intellectuel et les faibles rémunérations
offertes pour ce secteur dans certains pays arabes se sont conjuguées aux
événements politiques et aux offres tentantes des pays industrialisés pour porter ce
nombre à un niveau relativement élevé dans certains cas122
. La politique migratoire
des Etats de destination repose sur deux principes clés : d‟une part, bloquer ou
freiner les migrations de masse, considérées comme improductives, d‟autre part,
faciliter et encourager la venue de personnes compétentes. Le monde occidental
sélectionne les personnes dont il a besoin à travers une approche qui tient compte de
ses intérêts à court terme. Ce phénomène semble lourd de menaces pour l‟avenir des
pays d‟origine et se traduit par une fuite massive des cerveaux de nombreux Etats
en développement.
Selon une étude réalisée par l‟Institut Arabe de Planification123
sur
l‟avenir du développement dans le monde arabe et les conséquences de la fuite des
cerveaux, seulement deux chercheurs arabes sur cinq exercent dans le monde
arabe124
. La plupart de ces scientifiques sont des chercheurs dans les domaines des
sciences physiques, chimiques, et technologiques. Ils émanent en particulier de
l‟Egypte, du Liban et de l‟Irak.
2.2.4 Le facteur démographique
Un autre facteur qui influence les migrations est lié aux disparités
démographiques. La démographie constitue une dimension structurelle essentielle
dans les pays en voie de développement et les flux migratoires sont liés aux
volumes et aux dynamiques démographiques dans ces pays. La population totale
des pays arabes en 2000 a été estimée à 290 millions125
, soit 4% de la population
122
M. Rodinson, Les Arabes, p.85. 123
En 1966, le gouvernement de Kuweit en coopération avec le programme des Nations-Unis pour le
développement à créé l‟institut koweitien pour la planification économique et sociale dans le Moyen-Orient. En
1972, l‟institut a été transformé en institut arabe. 124
H. Kobeissi, „An Introduction to the Geographical Distribution of Arab Scientific Researchers,‟ The Arab
Brain Drain, p.143. 125
B. Badie, B. Didiot (eds), L’Etat du monde 2007, p.372-419.
54
mondiale. Cette population est distribuée en 22 Etats, 13 en Asie, et 9 en Afrique où
huit pays arabes ont une population de plus de 10 millions habitants. Il s‟agit de
l‟Egypte, de l‟Algérie, du Maroc, de l‟Irak, du Soudan, de la Syrie, de l‟Arabie
saoudite et du Yémen. Ont une population inférieure à 10 millions d‟habitants : le
Liban, la Jordanie, le Kuweit, le Bahreïn, le Qatar, la Libye, la Tunisie, la
Mauritanie et la Somalie126
.
La population arabe augmente à un taux annuel moyen de 3 % ; ce
qui place le monde arabe parmi les pays avec un des taux de croissance
démographique le plus importants au monde. Ce taux se situe, à titre d‟exemple,
entre 1,38 % au Liban et 5, 79 % en Mauritanie127
. Si la croissance se maintient
dans les mêmes proportions entre 2,7 et 3 %, la population arabe, aux alentours de
2025, constituera 5,5% de la population du monde128
et le troisième bloc
démographique après l‟Inde et la Chine129
. La dimension de l‟accroissement et la
structure démographique est déterminée par un taux de fertilité élevé130
. En fait, des
raisons religieuses, familiales et sociales, ancrées depuis des siècles, et qui rejettent
toute idée de planning familial, expliquent cette croissance démographique effrénée.
A l‟inverse de la plupart des pays industrialisés où la situation démographique est
différente avec un taux de croissance démographique inférieur à 1%131
, la majorité
des pays arabes ont une forte croissance du rythme démographique.
Contrairement aux pays européens qui sont affectés par le
vieillissement de la population, voire par la régression du mouvement naturel de
leurs populations, les nations arabes sont en pleine expansion démographique car la
politique de la transition démographique a été tardivement déclenchée. Le
mouvement de ses populations dont le taux de croissance démographique est
largement supérieur à celui des pays d‟accueil s‟explique donc par le poids
démographique des pays arabes. Le résultat social est l‟existence de violents
126
K. Bichara, Khader, Population, développement et industrialisation dans le monde arabe, p.3-4. 127
B. Badie, B. Didiot (eds), L’Etat du monde 2007, p.372-419. 128
D. Noin, A. Sid Ahmed, Population et perspectives de développement du monde arabe, p.64. 129
K. Bichara, Population, développement et industrialisation dans le monde arabe, p.4. 130
A. Omran, Population in the Arab World, p.5. 131
P. Stalker, Les Travailleurs immigrés, p.30.
55
contrastes entre les pays concernant le poids des jeunes dans la population totale :
42 % au Maroc, 45 % en Algérie et 40 % en Tunisie132
. Ainsi, les comportements
démographiques (taux de croissance et taux de fécondité) vont continuer à évoluer
différemment dans deux côtés du bassin méditerranéen, encourageant par
conséquent le mouvement des populations133
.
Conclusion
L‟émigration est favorisée par des raisons dont les forces
fondamentales sont macroéconomiques, démographiques et politiques134
. Le facteur
macroéconomique est relié aux écarts des revenus entre pays industrialisés et pays
en voie de développement qui connaissent une explosion démographique.
L‟instabilité politique intensifie la pression de l‟émigration en raison de l‟insécurité
personnelle et la répression politique subies par les populations dans certains pays.
D‟autre part, ce mouvement migratoire est facilité par le coût du transport, les liens
historiques entre pays exportateurs de main-d‟œuvre et pays importateurs qui
encouragent une immigration qualifiée afin de répondre aux besoins de leurs
économies135
.
Le progrès des transports joue un grand rôle dans les migrations
puisque un réseau très dense de lignes maritimes relie ports européens et ports
arabes. L‟arrivée des émigrants est également favorisée par la présence d‟une
communauté ethnique établie dans le pays d‟accueil. De ce fait, la famille et les
rapports communautaires jouent un rôle dans l‟émigration et l‟installation des
nouveaux arrivants dans la société d‟accueil.
132
C. Gérard, Migrations en Méditerranée. p.19. 133
Ibid. p.23. 134
C. Stahl, W. Bradford, Conceptualizing and Simulating Emigration Dynamics‟, Emigration Dynamics in
Developing Countries, n° 4, 1999, p.235. 135
Ibid. p.242.
56
Chapitre III : Aspects démographiques, socioéconomiques et organisationnels
Introduction
Par rapport aux autres groupes ethniques en Grande-Bretagne, la
communauté se distingue par sa diversité : origine nationale de ses membres, profils
démographiques et socioéconomiques ainsi que l‟organisation communautaire. A
l‟instar des autres groupes ethniques, la communauté arabe s‟est dotée, depuis
l‟arrivée des premiers immigrants du Yémen, d‟organisations qui maintiennent les
liens culturels et sociaux entre ses membres et assurent son développement. A
travers ses associations, ses écoles et ses médias, la communauté arabe essaye de
manifester sa singularité par l‟attachement à la culture d‟origine. Toutefois, le
degré plus ou moins élevé de développement des institutions ethniques révèle une
tendance à une pratique culturelle qui situe cette communauté au croisement entre
intégration et aliénation.
1. La communauté arabe dans la mosaïque ethnique en Grande-Bretagne
Si le concept „arabe‟ a une résonance significative lorsqu‟on évoque
le pétrole, le terrorisme et la politique au Moyen-Orient, „arabe‟ comme groupe
ethnique est absent du discours public sur les relations raciales en Grande-Bretagne.
„Arabe‟ n‟est pas une catégorie ethnique et ne sera inclu dans le dénombrement
de la population en Grande-Bretagne qu‟à partir de 2011136
. L‟absence de la
communauté arabe dans les études sur l‟immigration, la race et les politiques sur
les relations raciales en Grande-Bretagne ne signifie pas qu‟elle est assimilée à la
catégorie des blancs ou Britanniques comme les Juifs et les Irlandais auparavant137
.
136
Le recensement de la population en Grande-Bretagne se fait sur l‟appartenance ethnique; arabe sera inclu
dans le recensement de 2011 en réponse aux revendications de la communauté arabe pour avoir une
reconnaissance en tant que communauté. 137
C. Nagel, „Hidden minorities and the Politics of Race: the case of British Arab activists in London‟, Journal
of Ethnic and Migration Studies, vol.27, n° 3, 2001, pp.381-400.
57
En effet, malgré leur statut socioéconomique et l‟absence du discours
sur la diversité ethnique et communautaire, la communauté arabe ne représente pas
l‟exemple d‟une assimilation réussie. Elle apparaît par contre comme une
population étrangère dont le mode de vie est antithétique de celui de la société
majoritaire. Malgré l‟émergence d‟une troisième génération, les Arabe apparaissent
comme des étrangers plutôt que des minorités ethniques, sans être assimilés aux
catégories publiquement reconnues.
Cette construction équivoque de l‟arabité peut être attribuée à la relation
coloniale qui exista entre la Grande-Bretagne et le monde arabe et aux circonstances
distinctives de l‟émigration arabe vers la Grande-Bretagne. Certains pays arabes
comme l‟Egypte, l‟Irak, Palestine, et quelques pays du Golfe étaient dominés par la
Grande-Bretagne, mais ils n‟étaient pas considérés comme partie du
Commonwealth. L‟émigration arabe vers la Grande-Bretagne, qui s‟est accéléré à
partir des années soixante et, en particulier, les années quatre-vingt dix, n‟était pas
encouragée par des liens coloniaux, mais plutôt par l‟ouverture relative de la
politique britannique à une immigration de main-d‟œuvre qualifiée et aux
demandeurs d‟asile138
.
L‟investissement arabe dans le secteur des services à Londres fit de la
Grande-Bretagne une destination pour les investisseurs arabes, les institutions
financières et les médias139
. Par conséquent, l‟appartenance sociale d‟une grande
partie de cette communauté en comparaison avec les autres minorités ethniques,
indienne, chinoise ou africaine, n‟inspire pas un très vif intérêt des chercheurs.
2. Répartition démographique de la communauté arabe
Pour les raisons mentionnées plus haut, il est difficile de dresser un
tableau global de l‟ensemble des caractéristiques démographiques qui définissent
fondamentalement la communauté arabe de Grande-Bretagne. Cette communauté
138
M. Al-Rasheed (1996), „the other-Others: hidden Arabs? Ethnicity in the 1991 Census, p. 206-220. 139
B. Labaki (1992) „Lebanese migration during the war: 1975-1989,‟ Lebanese Migration in the World,
pp.605-626
58
est estimée à 500 000 personnes dont 80 % sont installées à Londres140
. La
présence de la communauté arabe est rendue visible par leur concentration
géographique dans l‟ouest de Londres, notamment à Kensington, Chelsea
Westminster, et Tower Hamlets. Les immigrés arabes s‟installèrent dans des régions
ou existe déjà une communauté ethnique ou une famille qui facilite la transition
culturelle et le choc engendré par la confrontation avec un nouvel environnement
culturel. C‟est une des raisons derrière la concentration de la population arabe dans
certaines régions. La communauté algérienne est concentrée autour de Finsbury
Park où existe le Conseil algérien des réfugiés. Les demandeurs d‟asile algériens
sont à Glasgow, Sheffield, Birmingham et Manchester suite à la politique du
gouvernement britannique qui vise à disperser les demandeurs d‟asile dans le
pays141
. Une importante communauté arabe habite au centre de Londres et
particulièrement aux alentours d‟Edgware Road. Le lieu de naissance a été inclu
dans le recensement de 2001. L‟analyse des résultats de ce recensement par l‟office
nationale des statistiques révèle que la catégorie „other ethnic group‟ est largement
utilisée par les personnes originaires du Moyen-Orient et du monde arabe. Sur
220 000 dans cette catégorie, 11 % sont nés au Moyen-Orient et en Afrique du
Nord. Les données sur le lieu de naissance montrent que plus de 235 000 individus
sont nés en Grande-Bretagne. Entre 1997 et 2005, plus de 80 000 personnes,
notamment en provenance d‟Irak, de la Somalie et de l‟Algérie, ont fait une
demande d‟asile en Grande-Bretagne.
Les demandes d'asile entre 1997 et 2005142
Pays 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005
Soudan 230 250 280 415 390 655 930 1305 885
Algérie 715 1260 1385 1635 1140 1060 550 490 255
Irak 1075 1295 1800 7475 6680 14570 4015 1695 1415
Libye 100 115 115 115 140 200 145 160 125
Somalie 1780 2730 4685 7495 5020 6420 6540 5090 2585
Syrie 50 65 95 140 110 70 110 350 330
140
Conference on Arab communities in Britain (ed.) Arabs in Britain: Concerns and Prospects, 1990, p. 6. 141
Depuis 2000, les autorités britanniques appliquent une politique dite de « dispersion » (dispersal Policy)
visant à loger les demandeurs d‟asile hors de Londres et de la région Sud-Est. 142
Source: Asylum Statistics, United Kingdom 2005, Home Office Statistical Bulletin.
59
Ces demandes d‟asile représentent 13 % de l‟ensemble des demandes
des huit dernières années. En 2002 les demandes des personnes originaires d‟Irak
représentent 17 % des demandes en Grande-Bretagne. Par conséquent, la
communauté irakienne représente le regroupement arabe le plus grand en raison de
la hausse importante des demandes d‟asile effectuées par les Irakiens ces dernières
années. Les statistiques concernant l‟acquisition de la nationalité britannique
montrent que les immigrants d‟Irak, d‟Egypte et de la Somalie sont les plus
nombreux143
.
Acquisition de la nationalité Britannique (2001-2008)144
Pays 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
Algérie 705 1345 1145 1255 1485 1015 1170 955
Bahreïn 35 20 30 40 30 15 15 40
Egypte 425 705 535 585 785 595 730 485
Emirats
Arabes
15 20 20 10 20 20 25 10
Irak 1835 3455 2245 2340 3260 4125 5480 8895
Jordanie 220 260 215 210 245 320 310 175
Kuweit 125 165 120 130 155 70 25 40
Liban 775 1275 515 500 630 515 625 385
Libye 210 303 400 550 790 460 405 385
Maroc 710 800 745 610 705 495 510 500
Syrie 140 315 195 275 405 390 330 230
Somalie 5500 7490 8550 11185 8305 9050 7450 7165
Tunisie 100 200 150 190 235 130 185 150
Yémen 305 495 440 440 765 520 400 335
Sur l‟ensemble de la communauté arabe, les immigrés nés dans le pays
d‟origine dominent avec une variation entre les groupes nationaux qui composent
cette communauté. On trouve une prédominance d‟une population née en Grande-
Bretagne parmi la communauté yéménite contrairement à la communauté irakienne,
marocaine et algérienne dont la plupart des membres sont arrivés pendant les
années quatre-vingt suite aux guerres déclenchées par l‟Irak ou au conflit récent en
143
Source: Citizenship grants, Home Office Statistical Bulletin (1984-2004). 144
Source: Home Office Statistical Bulletins (2001-2008).
60
Algérie. Les groupes avec un pourcentage important d‟immigrés ont une population
plus jeune par rapport à l‟ensemble de la population arabe immigrée.
3. Poids économique et diversité sociale
La communauté arabe a une position économique et financière
importante en plus du niveau intellectuel élevé de la plupart de ses membres. Selon
un rapport du gouvernement local de Londres, les immigrants des pays arabes
comme l‟Irak, l‟Egypte, la Syrie et le Liban ont une situation économique très
élevée par rapport à l‟ensemble de la population londonienne. Une majorité des
immigrés arabes ont le statut d‟une classe moyenne et sont dans une position
socioéconomique meilleure que celle des immigrés provenant d‟Asie145
. Cette
position s‟explique par le fait que l‟essor pétrolier des années soixante-dix incita
beaucoup d‟Arabes à investir à Londres qui est devenue une destination pour
l‟investissement des pétrodollars. La souplesse de la législation britannique et la
présence à Londres d‟une des plus grandes plates-formes de la finance islamique
internationale ainsi qu‟un paysage médiatique arabe important avec de grands
quotidiens (Al-Quds Al-Arabi, Al-Charq Al-Awsat, Al-Hayat) et télévisions (MBC
et Al-Jazira) ont favorisé cette destination des migrants arabes qui sont attirés par
les nouvelles possibilités économiques résultant de leur connaissance de la Grande-
Bretagne. Cette catégorie se compose d‟hommes d'affaires qui sont, en général,
des Libanais, des Irakiens, des Palestiniens, des Egyptiens et, dans une moindre
mesure, les ressortissants des pays du Golfe. En outre, des membres des
professions libérales comme des médecins, des journalistes et des ingénieurs qui
ont fait leurs études dans leur pays ou dans les universités occidentales se sont
installés en Grande-Bretagne.
Edgware Road, qui est une grande rue qui traverse l‟ouest du centre de
Londres dans la ville de Westminster, est bordée de restaurants et de magasins
arabes vendant des journaux et des livres. Si, auparavant, seule une poignée de
145
Source: London Authority Data Management and Analysis Group (2005). London Country of Birth Profile,
the Arab league: an analysis of census data. Census report commissioned by the Greater London Authority, June
2005.
61
restaurants libanais dispersés existait, avec l‟augmentation d‟Arabes et des
immigrés, la diversité et le nombre de restaurants spécialisés a augmenté.
Aujourd‟hui, Londres est devenue également un centre de concentration
économique arabe avec une multitude de marchands de journaux, de librairies, et
de pharmacies. Les restaurants ont évolué : même si les Libanais dominent toujours
l‟industrie, on peut voir une diversification croissante avec l‟arrivée récente de la
cuisine d‟Afrique du Nord.
En général, une grande partie de l‟activité économique arabe en
Grande-Bretagne se caractérise par son orientation purement arabe selon deux
catégories distinctes. Dans un premier cas, on trouve des activités économiques,
comme les boutiques, les agences de voyages et les journaux, qui visent presque
exclusivement à servir les exigences de la communauté arabe de Londres ou l‟afflux
des visiteurs arabes pendant l‟été. Dans un second cas, nous avons de nombreux
établissements et des intérêts qui cherchent une présence en Grande-Bretagne
comme base pour organiser l'approvisionnement des marchés arabes.
Les immigrants venant du Maroc, de l‟Algérie, et de la Somalie, ont
un statut économique moins favorisé par rapport aux immigrants venant de l‟Asie et
du Moyen-Orient. Ce sont des travailleurs migrants dans l'hôtellerie, la restauration
et les services de nettoyage, occupant des emplois faiblement rémunérés dans le
secteur des services de l'économie. Le boom économique après la Deuxième
Guerre mondiale et les pénuries de main-d'œuvre sont derrière le recrutement par la
Grande-Bretagne d‟une main-d'œuvre migrante. Les Marocains, à titre d‟exemple,
ont été recrutés dans les zones rurales du nord du Maroc pendant les années
soixante-dix pour répondre à la demande de main-d‟œuvre dans l'hôtellerie et la
restauration dans la capitale britannique. Cette émigration, qui est liée
particulièrement aux disparités tant économiques que démographiques entre pays
arabes et pays de destination, fut augmentée par les réseaux de migrants et les
stratégies familiales. Il existe un fort taux de chômage chez les immigrants de ces
pays en raison du manque de capacités linguistiques, de compétences, et le statut de
62
réfugiés de certains
146. Les réfugiés peuvent être subdivisés en deux groupes:
premièrement, les riches réfugiés étaient associés à des révolutions et oppositions
politiques au pouvoir en place dans le pays d‟origine. Ils quittèrent leurs pays suite
aux menaces qui pesaient sur leur vie. Deuxièmement, un nombre de réfugiés
pauvres cherchèrent refuge en Grande-Bretagne en raison de l‟instabilité politiques
et la situation de guerre régnant dans leurs pays.
La situation des immigrants irakiens, par exemple, s‟est dégradée et se
manifeste par une perte de statut social et économique, et un taux de chômage
élevé, notamment chez les immigrants récents. Leur intégration économique dans
le pays d‟accueil est soumise à des contraintes internes et externes. D'une part, un
nombre considérable d'immigrants sont des écrivains, des poètes, des juristes, et des
journalistes. Dans le pays d‟accueil, les compétences nécessaires à ces métiers
s'avèrent de peu d'utilité en raison des difficultés à s'adapter à un nouvel
environnement culturel. D'autre part, le statut des réfugiés bloque l‟intégration
économique d‟un grand nombre de la communauté arabe à Londres, notamment de
l‟Irak, de l‟Algérie, et de la Somalie147
. Les procédures pour obtenir ce statut sont
durent au minimum deux ans. Durant cette période, les demandeurs n‟ont pas le
droit de travailler sur le territoire britannique vivant uniquement grâce aux aides
sociales.
S‟agissant de l‟habitat, les proportions de propriétaires-occupants
sont très élevées au sein des communautés égyptienne, yéménite, et libanaise. Par
contraste, le pourcentage le moins élevé de propriétaires est celui des communautés
algérienne, marocaine et somalienne en raison du statut socioéconomique modeste
de leurs membres148
. Les résidents de longue durée disposent de leur propre
logement ou vivent dans des locations privées. En revanche, les réfugiés qui sont
146
C. El-Solh, „Somalis in London‟ East End: a Community Striving for Recognition‟, New Community, vol.17,
n° 4, 1991, p.539-552. 147
M. Al-Rasheed, „Political Migration and Downward Socio-economic Mobility: the Iraqi Community in
London‟, New Community, vol. 18, n°4, 1992, p.537-550. 148
Source: London Authority Data Management and Analysis Group (2005). London Country of Birth Profile,
the Arab league: an analysis of census data. Census report commissioned by Greater London Authority, June
2005.
63
récemment arrivés à Londres comptent sur les autorités locales pour leur
hébergement et sont dispersés dans différents arrondissements de Londres149
.
Une grande partie de la communauté arabe a un niveau universitaire,
surtout chez les nouveaux arrivants de pays comme l‟Irak dont un nombre croissant
de chercheurs a quitté le pays secoué par de guerres successives150
. Ce nouveau
réseau de migrants est encouragé par la politique des pays industrialisés qui
façonnent les flux migratoires internationaux pour servir leurs intérêts. Par contre,
le niveau le plus bas d‟éducation est celui des immigrés provenant du Maroc et
d‟Algérie. Dans tous les groupes nationaux, les hommes ont un niveau d‟éducation
élevé, mais le fossé entre hommes et femmes varie selon les appartenances
nationales. L‟éducation des immigrés peut également influencer leur installation
dans le pays d‟accueil. Les immigrés, provenant des pays qui n‟ont pas de réseaux
de famille en Grande-Bretagne, ont des qualifications professionnelles qui ont
facilité leur intégration dans la société sans l‟appui de la communauté ethnique.
C‟est le cas des diplômés dans des domaines divers tels que la médecine, la justice,
ou l‟architecture.
4. L’organisation communautaire : du national à l’ethnique
Une organisation ou association est généralement définie comme
l‟union des personnes qui partagent un intérêt commun. C‟est une façon de
structurer l‟ethnie, maintenir des liens et des traditions et disposer des moyens de
les transmettre151
. L‟organisation associative est une partie intégrale de la
constitution des minorités ethniques. Les groupes minoritaires s‟organisent souvent
afin de revivre l‟ambiance culturelle du pays d‟origine à travers la célébration des
fêtes nationales et religieuses et l‟organisation des rencontres culturelles. Que ce
soit sur un fond national ou religieux, l‟organisation associative est établie pour
perpétuer la culture du groupe et maintenir la solidarité entre ses membres. Le
149
M. Al-Rasheed, „The Myth of Return: Iraqi Arab and Assyrian Refugees in London‟, Journal of Refugee
Studies, vol. 7, n° 2/3, 1992, p. 198-215. 150
C. Nagel, „Skilled Migration in Global Cities from other Perspectives: British Arabs, Identity Politics and
local embededdness‟, Geoforum, vol. 36, 2005, pp.971-987. 151
C. Camelleri, et al. (ed), Choc de Cultures, p.139.
64
groupement communautaire est aussi un moyen pour initier les gens issus de
l‟immigration à la culture du pays d‟origine.
4.1 Le cadre juridique de la pratique associative en Grande-Bretagne
Les organisations caritatives sont inscrites dans le paysage social
britannique depuis le temps des Tudor152
. Elles se développèrent suite à
l‟encouragement de la pratique associative comme pierre angulaire dans le domaine
social par les gouvernements britanniques153
. Ce secteur fut encouragé afin de
constituer une infrastructure complémentaire aux autres structures traditionnelles
d‟emploi et d‟action sociale des autorités publiques.
L‟engagement bénévole des minorités ethniques reçoit un
encouragement de l‟Active Community Unit, service interministériel chargé de
coordonner les mesures prises par les différents départements ministériels en faveur
du secteur associatif. Ce service finance les structures chargées de la promotion de
l‟action sociale et facilite les relations entre le gouvernement et les organisations
caritatives en veillant au respect d‟une charte (Compact) qui reconnaît
l‟indépendance de ce secteur. Le National Council for Voluntary Organisation
(NCVO) est un organisme officiel qui s‟efforce d‟appuyer le secteur bénévole et
communautaire à travers une information détaillée et des conseils aux
organisations. C‟est dans cet environnement que plusieurs associations arabes
s‟activent pour répondre aux besoins communautaires dans les domaines culturels et
sociaux.
4.2 Naissance de pratiques associatives arabes
Dès leur arrivée en Grande-Bretagne les membres de la communauté
arabe commencèrent à publier des journaux pour couvrir la vie des immigrés dans
le pays d‟accueil et répandre l‟information du pays et du village. Les premiers
journaux arabes furent créés par les travailleurs arabes de Birmingham pour
152
B. Halba, Bénévolat et volontariat en France et dans le monde, p.110. 153
N. Deakin, „Public Policy, Social Policy and Voluntary Organisations‟, Voluntary Organisations and Social
Policy in Britain, p.28-29.
65
aborder et défendre leurs intérêts professionnels en 1944 ; puis plusieurs
associations émergèrent pour mener des actions dans d‟autres domaines. Si la
première association arabe en Grande-Bretagne regroupait un grand nombre de
personnes exerçant la même profession, les regroupements suivants eurent une
vocation sociale et culturelle. L'association islamique (Islamic Association) et
l‟association islamique occidentale (Western Islamic Association), représentent les
premières tentatives de rassemblement musulman en Grande-Bretagne en 1919.
Elles étaient actives parmi les marins arabes suite aux tensions raciales dans les
ports britanniques et promouvaient la vie morale, religieuse et sociale du monde
musulman et protégeaient les droits des marins arabes en Grande-Bretagne154
. Ces
associations, basées à Londres, avaient des branches dans d‟autres villes
britanniques comme South Shields et Cardiff où existe une concentration arabe.
C‟est le cheikh Abdullah Al-Hakim qui créa la première association
arabe en Grande-Bretagne155
. Marin, il était arrivé de la région d‟Hujairiah au
Yémen. De Rotterdam, il vint à Cardiff, puis à South Shields où il concentra ses
efforts sur l‟organisation de la communauté yéménite en Grande-Bretagne dans son
ensemble. Comme cheikh musulman, sa première activité était de promouvoir les
activités religieuses et l'enseignement de la langue arabe. Sur une base religieuse, il
fonda the Allawia Society pendant les années trente afin de rassembler la
communauté yéménite et traiter ses problèmes quotidiens dans le pays d‟accueil.
Après son départ pour le Yémen, l‟association continua à fonctionner et, à partir de
1965, un autre cheikh vint du Yémen pour remplacer cheikh Al-Hakim156
.
Les associations arabes à Londres sont divisées en plusieurs sous-
groupes. En effet, au début, la communauté arabe manifestait un attachement au
pays d‟origine à travers la célébration ou la commémoration des fêtes nationales
comme c‟était le cas des associations des immigrants d‟Afrique du Nord en
154
R. Rawless, „Religion and Politics among Arab Seafarers in Britain in the Earlier Twentieth Century,‟ Islam
and Christian-Muslim Relations, p.35 – 56. 155
F. Halliday, Arabs in Exile, p.28. 156
Ibid.p.38.
66
France157
. Les premières associations arabes étaient formées sur des bases
religieuses ou nationales. Puis, la conscience d‟une identité arabe se manifesta à
travers la formation des associations basées sur l‟ethnicité au lieu de l‟origine
nationale, sans toutefois oublier l‟émergence d‟associations à caractère
professionnel comme celles de médecins ou d‟avocats.
4.2.1 Type d’associations
a. Associations à caractère national
Jusqu‟en 1965, les Arabes vivant en Grande-Bretagne formaient des
associations autour de leurs origines nationales, villageoises ou
socioprofessionnelles. Les Yéménites, les Egyptiens, les Libanais, pour ne citer que
les plus représentatives, s‟organisaient en fonction de subdivisions nationales et
religieuses : Algériens, Yéménites, Libanais, musulmans, chrétiens. Se définissant
comme bénévoles ou caritatives, ces regroupements sont créés pour préserver et
promouvoir une conscience culturelle parmi la communauté des compatriotes. Le
regroupement associatif arabe se fait largement sur une base nationale, notamment
dans les régions avec une grande concentration arabe. Il existe plusieurs
organisations bénévoles basées presque exclusivement sur l‟origine nationale. Les
associations à tendance nationale comme algériennes, égyptiennes ou marocaines
sont des exemples de liens verticaux limités qui dominent le tissu associatif arabe
en Grande-Bretagne.
A ce niveau de rassemblement autour du groupe d‟origine
nationale, le niveau de contact, de rapprochement et d‟interaction entre les
membres du même groupe national est très élevé. En revanche, le rassemblement
au-delà du groupe d‟origine nationale est un indicateur de l‟émergence d‟une
conscience ethnique. Les sous-groupes furent remplacés par des affiliations basées
sur l‟origine arabe. Les membres de la communauté commencent à dépasser les
frontières du groupe basé sur l‟appartenance nationale pour rejoindre des
associations dont les membres sont originaires de différents pays arabes.
157
J. Cesari, Etre Musulman en France, p.185.
67
b. Associations à caractère ethnique
A partir de leur pleine et claire connaissance de la société britannique,
notamment de sa diversité raciale et ethnique, quelques individus éclairés de la
communauté arabe décidèrent de créer des rassemblements à vocation ethnique
pour sortir de l‟impasse des petits rassemblements sur des bases nationales. Ce type
d‟association constitue un forum qui réunit tous les petits groupes nationaux afin
d‟établir une identité arabe et de s‟imposer dans la mosaïque ethnique qui
caractérise la société britannique.
Le club arabe de la Grande-Bretagne (Arab Club of Britain), fondé en
1982 et l‟Association nationale des Arabes britanniques (National Association of
British Arabs), fondé en 1990, sont deux regroupements arabes qui illustrent cette
tendance. Ce sont des organisations indépendantes et apolitiques ouvertes à tous
les individus et les organismes qui s‟intéressent à la culture et aux affaires arabes.
Elles font bon accueil aux identités nationales multiples de ses membres provenant
d'une gamme étendue de pays arabes. Ces deux rassemblements se considèrent
comme un forum culturel pour tous les Arabes sans distinction nationale,
religieuse ou politique. Les membres de ces associations appartiennent en général
à la classe moyenne et aux pays de l‟Orient arabe avec une prépondérance de la
classe moyenne irakienne, palestinienne et libanaise. Un Egyptien ou un travailleur
migrant marocain ayant un faible niveau d'éducation est rarement attiré par ces
organisations.
L‟adhésion à ces organisations est un signe de l‟orientation des
communautés arabes vers l‟organisation sur une base ethnique et le tissage d‟une
identité arabe et des liens entre différents regroupements nationaux. Pour surmonter
la diversité nationale qui domine cette communauté, la conférence des
communautés arabes en Grande-Bretagne, tenue à l‟Université de Westminster en
1999, créa une nouvelle structure organisationnelle, à savoir la general association
of Arab community qui est ouverte à toutes les associations nationales en Grande-
68
Bretagne. Dans cette association générale on trouve des représentants de toutes les
autres associations arabes.
4.2.2 Activités associatives
a. Activités à caractère culturel et social
Les activités des associations arabes à Londres couvrent les
domaines culturels et sociaux. La culture occupe une position essentielle dans les
préoccupations de ces associations. Ce souci vif et constant de faire grandir la
conscience culturelle des membres de la communauté arabe à Londres se manifeste
par l‟importance assignée aux pratiques culturelles. Le tissage des liens avec la
culture d‟origine se fait à travers l‟organisation d‟activités culturelles et la
célébration des fêtes nationales. A travers programmes éducatifs et activités
culturelles, la stimulation d‟une plus grande conscience, compréhension et
appréciation de la culture d‟origine s‟avère un but primordial et un souci partagé.
Les activités associatives incluent des conférences et des discussions sur les
affaires concernant la communauté arabe en Grande-Bretagne sur le plan social, ou
éducatif comme l‟organisation de rencontres littéraires, musicales et des expositions
artistiques. Toutes ces activités rendent nécessaire l‟invitation de conférenciers,
d‟auteurs, de musiciens, d‟artistes du monde arabe pour donner des conférences, ou
organiser des expositions ou des concerts.
La disparité qui caractérise les associations arabes au niveau
socioéconomique influence leurs activités et préoccupations. A titre d‟exemple, les
associations irakiennes et algériennes essayent de structurer un programme d‟aide
et d‟appui à une population immigrée, dont d‟une grande majorité a un statut de
réfugié, afin de défier les contraintes de la marginalisation sociale dans la société
britannique158
. Les rapports de ces associations avec les pays d‟origine sont bien
établis dans une dimension d‟aide fournie en termes d‟actions humanitaires qui
s‟adressent à une population affectée par des problèmes économiques et sociaux
liés à la guerre et l‟instabilité politique. D‟autre part, vu le statut de réfugiés des
158
C. El-Solh, „Arab Communities in Britain: Cleavages and Commonalities‟, Islam and Christian-Muslim
Relations, p.236 -258.
69
Palestiniens en Grande-Bretagne, les activités associatives des associations
palestiniennes ont une dimension politique et militante centré autour du droit de
retour des réfugiés en Palestine.
b. Enseignement de l’arabe
Si les pratiques associatives arabes se focalisent sur la promotion de
la culture d‟origine et la préservation de la singularité culturelle, cette tendance
pivote autour de l‟enseignement de la langue arabe. Cette préoccupation majeure se
concrétise par l‟installation d‟écoles. Les projets des associations incluent la
préparation de cours de formation pour les professeurs d‟arabe, parallèlement à
d‟autres activités culturelles pour créer une forte impression d‟intérêt et
d‟immersion dans l‟environnement culturel arabe. Ces associations sont
concentrées dans les zones avec une grande présence de la communauté arabe,
notamment à Kensington et Chelsea.
Bref, les associations arabes en Grande-Bretagne furent formées
dans un premier temps à partir du besoin de se retrouver entre compatriotes, de
parler la langue maternelle, de constituer un pont avec le pays d‟origine ; ensuite
vinrent les préoccupations liées à l‟éducation des enfants, au souci de la
transmission de la langue, de la religion, et des valeurs culturelles. Ces associations
remplissent une fonction de socialisation dans l‟environnement le plus immédiat159
.
La création de ces espaces identitaires s‟inscrit donc dans la droite ligne de la
tradition sociale de toute population transplantée qui se pose des questions sur le
maintien de sa spécificité et s‟adonne à une pratique associative pour élaborer une
manifestation concertée de l‟attachement identitaire.
4.3 La pratique associative et l’intégration interculturelle
En guise de commentaire et d‟évaluation, il est utile de synthétiser
les données sur les pratiques associatives arabes. Les activités associatives prennent
différentes formes. D'abord, on trouve des activités générales exercées par toutes les
associations en Grande-Bretagne indépendamment de l‟origine ethnique comme les
159
J. Cesari, Etre Musulman en France, p.182.
70
aides sociales aux personnes défavorisés. Deuxièmement, des activités concernent
le groupe ethnique et illustrent sa différence avec la communauté majoritaire.
Celles-ci s'étendent des activités culturelles à l‟établissement de liens avec le pays
d‟origine. Si le premier type d'activités est d‟ordre social, le deuxième type, qui est
associé uniquement à la communauté ethnique, est d‟ordre culturel et se base sur le
maintien de la culture d‟origine à travers les écoles ethniques, et, dans une moindre
mesure, dans le cadre de la formation culturelle.
Les pratiques associatives à caractère culturel sont importantes pour
tisser des liens avec les autres groupes minoritaires. Comme plusieurs études sur les
communautés arabes dans la diaspora ont montré, deux approches importantes à la
question de l'identité et du rapport intercommunautaire peuvent être véhiculées par
la pratique associative. Le souci de l‟éducation culturelle peut s'étendre d'une
crainte claire d‟assimilation à un désir d‟avoir une double culture160
. La première
assigne à l'identité un aspect figé comme un ensemble de valeurs que les individus
reçoivent par l'intermédiaire de l‟entourage culturel arabe. C‟est une tendance à
restreindre l‟identité à la seule culture d‟origine par l‟attachement aux valeurs
traditionnelles et aux normes religieuses161
. En un mot, les différentes associations
ont des divergences en ce qui concerne les limites souhaitables de l'intégration et le
souci de la préservation de l‟identité ethnico-religieuse dans la société
britannique162
.
Pour certaines associations, l‟enjeu premier consiste à structurer une
communauté d‟où soit évacuée toute influence culturelle conçue comme une force
qui mettrait en péril leurs valeurs identitaires. Ainsi, la construction d‟une identité
islamique séparée vise à réduire au minimum l‟interaction culturelle avec la société
environnante. Les associations qui sont structurées sur des bases religieuses
préconisent l‟attachement aux valeurs islamiques et la perpétuation de ses valeurs à
160
J. Wallet et al. Les perspectives des jeunes issus de l’immigration maghrébine, p.22-23. 161
S. R. Ameli, Globalization, Americanization and British Muslin Identity, p.134. 162
C. El-Solh, „Arab Communities in Britain: Cleavages and Commonalities‟, Islam and Christian-Muslim
Relations, p. 236 -258.
71
travers l‟éducation islamique dans le but d‟éviter la fréquentation des centres
culturels multiethniques de peur d‟influences culturelles163
.
La fermeture sur le milieu ethnique par le biais d‟une association
est considérée comme une protection contre toute influence culturelle. Cette
tendance dans la pratique associative de certaines associations peut freiner
l‟intégration en propageant une tendance d‟enfermement en tournant le dos à toute
mixité sociale avec la société majoritaire. Il s‟ensuit que les jeunes demeurent pris
dans un modèle communautaire qui empêche l‟ouverture vers la société majoritaire.
Le renforcement du fait communautaire, parfois exacerbé par le fait religieux qui
favorise le repli identitaire, est un frein à l‟intégration. L‟interaction avec la société
majoritaire est vue par certaines associations comme une menace à la moralité et à
la bonne conduite et la résignation ou l‟opposition se cristallise alors dans un
attachement culturel excessif.
Ce caractère restrictif de l‟identité ethnique est mis en question dans
la pratique associative d‟autres associations. L‟identité ethnique est vue comme une
construction sociale des groupes ethniques en interaction avec l‟entourage culturel.
Dans leur vision de l‟identité ethnique et leur pratique associative à travers leurs
clubs et écoles, d‟autres associations essayent de favoriser une culture arabe
ouverte sur les autres cultures. En effet, les associations arabes à Londres n‟ont pas
les mêmes perceptions de la pratique associative et culturelle et des relations avec
la population majoritaire. Les disparités culturelles limitent l‟ouverture vers d‟autres
cultures chez certaines associations. Par contre, la bilatéralité des références est une
réalité concrète à travers la participation pleine à des activités culturelles des deux
cultures chez d‟autres associations qui cherchent également à se positionner
comme des partenaires des pouvoirs publics164
.
Les options d‟identité véhiculées par la pratique associative des
associations arabes reflètent la variété de facettes d'identité qui existent et régissent
la vie de la communauté arabe à Londres. Cette constatation nous amène à nous
163
H. Zahida, A. Osler, „Do they Have Faith in the State Sector?‟ Muslim Britain, p.127. 164
T. Modood et al. Ethnic Minorities in Britain, p.324.
72
interroger sur l‟influence de la pratique associative des associations immigrées
comme obstacle à l‟intégration au sein d‟une société multiculturelle. Cette question
est justifiée par le fait que la pratique peut aller au-delà d‟une modalité
d‟attachement culturel, à une pratique également de repli et de rejet. En Grande-
Bretagne, Abdel Rahman Ghandour révèle dans Jihad humanitaire : Enquête sur
les ONG islamiques, que la pratique associative de certaines associations vise à
construire un projet politique autour d‟une identité en mettant en valeur des codes
communautaires qui renforcent le sentiment d‟appartenance à une histoire et à un
destin communs165
. Les rites religieux et les aides sociales peuvent être
instrumentalisés par les organisations qui cumulent moyens et ambitions par
l‟association entre œuvres caritatives et buts à finalités politiques.
Les associations arabes où nous avons enquêté n‟ont pas la taille des
grandes associations transnationales en Grande-Bretagne. La raison principale
derrière l‟émergence de ces associations est certes le désir de la préservation de la
particularité culturelle des membres dans la diaspora. Parfois, les activités
associatives qui sont entièrement internes au groupe ethnique ne favorisent pas une
tendance d‟intégration qui est censée jouer un rôle dans le rapprochement entre
communautés ethniques et société majoritaire. La communauté arabe est une
minorité transplantée avec un fonds culturel et religieux différent de celui de la
population majoritaire, mais pour être également une minorité intégrée dans la
société britannique, ce qui nécessite une éducation multiculturelle.
Conclusion
La communauté arabe commence à s‟imposer comme composante
ethnique dans la mosaïque ethnique britannique. La décision d‟inclure la catégorie
« arabe » dans le prochain recensement de la population illustre cette tendance qui
se manifeste sur le plan organisationnel par le développement de la conscience d‟un
rassemblement sur une base ethnique. L‟organisation associative sur une base
ethnique ou nationale, d‟autre part, peut être un facteur d‟intégration et un
intermédiaire avec la culture majoritaire. Le secteur associatif peut alors jouer son
165
A. Ghandour, Jihad humanitaire, p.12.
73
rôle d‟école de la diversité et du multiculturalisme en favorisant les contacts des
individus et des groupes appartenant à des cultures différentes. La formation des
associations multiculturelle s‟avère dans ce contexte une étape pour développer des
liens avec les associations voisines.
Bref, la pratique associative des associations arabes à Londres est
fondée sur deux piliers : social et culturel, à travers des œuvres caritatives et des
enseignements culturels et identitaires. La permanence de la référence des
associations au pays d‟origine et le rapport qu‟elles entretiennent avec sa culture
révèle la nécessité de la prise en compte de l‟environnement multiculturel du milieu
afin de façonner une pratique qui favorise l‟intégration et non pas une pratique
culturelle liée à une conscience et un souci identitaire.
Après avoir, dans une première partie, donné un arrière-plan à notre travail
de recherche à travers un aperçu des premiers contacts arabo-britanniques et
l‟émigration arabe, source de l‟émergence d‟une communauté arabe à facettes
démographiques, socioéconomiques et organisationnelles diverses, le
développement de ce travail dans sa deuxième partie vise à l‟exploration des
singularités identitaires de cette communauté et son degré d‟intégration au sein du
nouvel environnement culturel.
74
Deuxième partie : la communauté arabe entre identité et intégration
Chapitre IV : la question identitaire
Introduction
Cette partie se propose d‟aborder la construction identitaire de la
communauté arabe et son adaptation socioculturelle dans la société d‟accueil pour
préparer le terrain à l‟analyse des rapports intercommunautaires dans la dernière
partie de ce travail.
L‟identité est devenue en quelques décennies un concept majeur dans les
sciences sociales et humaines. Elle se construit sur deux dimensions, individuelle et
collective, qui sont souvent confondues dans la discussion de l‟identité ethnique et
nationale. Lorsqu‟on évoque ce concept d‟identité, il s‟agit de l‟identité d‟un acteur
social qui peut être une personne ou une communauté. La construction identitaire
est souvent assurée par un sentiment d‟appartenance à des groupes plus ou moins
larges, dans lesquels notre généalogie nous a objectivement inscrit. Ces groupes
d‟appartenance : un clan, une classe sociale, une nation, une communauté
religieuse, ou une communauté ethnique sont variables culturellement et
historiquement. L‟émigration met inéluctablement en cause le sentiment
d‟appartenance identitaire. Dans le pays d‟accueil, la fragilisation quasi mécanique
de l‟identité par les changements de l‟inscription dans un nouvel environnement est
souvent aggravée par la faiblesse des repères dans le pays d‟accueil, les difficultés
objectives d‟insertion, et les réactions de rejet de la société majoritaire. Les groupes
minoritaires dans le milieu migratoire essayent de perpétuer leur identité dont la
presse ethnique et la langue sont deux grands piliers de construction.
75
1. Qu’est ce que c’est l’identité ?
1.1 Emergence du concept
L‟émergence de ce concept, sa popularisation et sa circulation dans les
sciences humaines sont attribuées au psychologue Erik Erikson166
qui, se penchant
sur l‟étude du déracinement des Indiens confrontés à la modernité aux Etats-Unis,
fut le premier à proposer depuis les années vingt la notion d‟identité. Ces travaux
furent axés sur les crises de l‟identité personnelle et les conflits suscités par la
double appartenance. Le terme „identité‟ se diffusa largement dans les sciences
humaines dans les années soixante aux Etats-Unis avec l‟émergence des
revendications de la minorité noire. Le besoin d‟identité est un facteur explicatif des
conflits, des manifestations politiques et des activités communautaires dans
différents coins du monde comme chez les Basques en Espagne, les Kurdes en
Turquie, et les Kabyles en Algérie. Plusieurs études tentèrent de cerner ce concept
qui fut élaboré par plusieurs chercheurs de disciplines différentes qui portèrent un
intérêt aux phénomènes sociaux liés à l‟identité. La notion d‟identité apparaît donc
comme un concept qui serait la synthèse des différents courants comme la
psychologie avec les travaux d‟Erik Erikson, la psychologie sociale avec les travaux
de Margaret Mead et d‟Henri Tajfel et la sociologie avec les travaux de Basil
Bernstein.
1.2 Définition du concept
D‟une manière générale, la notion d‟identité englobe un ensemble
d‟éléments qui permettent d‟individualiser une personne qui est différente des
autres en impliquant l‟existence d‟un autre auquel des relations d‟assimilation et de
différenciation la relie. L‟identité, selon Edmond-Marc Lipiansky, s‟offre ainsi le
paradoxe d‟être ce qui rend à la fois semblable et différent, unique et pareil aux
166
Erik Homburger Erikson ( 1902-1994) est un psychologue connu pour sa théorie sur le développement
social des êtres humains, et pour avoir inventé le terme : crise d'identité.
76
autres167
. Pour Paul Mussen, l‟identité est : ‘’une structure mentale composée,
ayant à la fois des caractères cognitifs et affectifs, qui comprennent la perception de
l‟individu par lui-même, en tant qu‟être distinct, conforme à lui-même, séparé des
autres, dont le comportement, les besoins, les motivations et les intérêts ont un
degré raisonnable de cohérence168‟.
La construction identitaire s‟édifie sur deux pôles de différenciation et
d‟identification par rapport à notre entourage. La dialectique différenciation/
ressemblance qui assure le caractère fondamental mais paradoxal de l‟identité est
décrite par Camelleri et Lipiansky comme une dialectique constante d‟union de
deux processus contradictoires: d‟une part, un processus d‟identification par lequel
l‟individu se rend semblable à l‟autre ; d‟autre part, un processus de différenciation
par lequel l‟individu prend distance par rapport à l‟autre et le saisit comme distinct
de lui169
.
L‟individu se connaît semblable ou différent à travers la fermeture ou
l‟ouverture de ses frontières face à une altérité porteuse d‟une autre identité. Ting-
Toomey ajoute un deuxième processus qui est la dialectique sécurité
existentielle/vulnérabilité à travers laquelle l‟individu doit trouver un équilibre
entre le besoin de sécurité concernant son existence en tant qu‟être différent et
reconnu, et une certaine insécurité inhérente aux interactions avec autrui170
. Le sujet
doit par conséquent trouver un équilibre, non plus entre deux pôles uniquement,
mais entre les quatre pôles des deux dialectiques : sécurité/ vulnérabilité et
différence/semblance.
Dans la reconquête de l‟identité, les individus conjuguent, selon Pollak,
trois dimensions identitaires : l‟image de soi pour soi (auto-perception), celle qu‟il
donne à l‟autrui (représentation) et celle qui lui renvoyée par les autres (hétéro-
167
E. M. Lipiansky, „Communication Interculturelle et Modèles Identitaires‟, Identités cultures et territoires,
p.35. 168
P. Mussen, „La Formation de l‟identité : découvertes psychologiques et problèmes de recherche‟, Identité
individuelle et personnalisation, p. 13. 169
E. M. Lipiansky „Communication interculturelle et modèles identitaires‟, Identités, cultures et territoires,
p.35. 170
S. Ting-Toomey, Communicating across Cultures, p.181-182.
77
perception)171
. C‟est cette notion de la perception des uns des autres que reflète la
définition de l‟identité d‟Alex Mucchielli : „„un ensemble de significations
apposées par des acteurs sur une réalité physique et subjective, plus ou moins floue,
de leurs mondes vécus, ensemble construit par un autre acteur. C‟est donc un sens
perçu donné par chaque acteur au sujet de lui-même ou d‟autres acteurs172
.‟‟
Le sociologue Erving Goffman souligne l‟importance de la présentation
de soi dans le processus d‟identification de l‟individu173
. Dans La mise en scène de
la vie quotidienne (1979), il souligne que, lors des interactions au sein de la société,
les individus sont généralement en quête d‟informations sur leurs interlocuteurs
dans le but d‟adopter l‟attitude idéale au moment de la rencontre. Dès lors,
l‟individu a tendance à agir de façon à créer une image de soi, et les autres, à leur
tour, doivent en retirer une certaine impression. Les façons dont les individus lient
des rapports interpersonnels au quotidien sont dominées par cette tendance de
donner une impression de soi-même et en même temps chercher des informations
qui permettent de situer les partenaires d‟interaction. Par exemple, lors d‟une
première rencontre, les individus participent à une véritable mise en scène dans
laquelle chaque individu s‟efforce de véhiculer une impression de lui.
Ainsi, trois instances forgent l‟identité selon George Herbert Mead, à savoir
le moi, le je et le soi174
. L‟identité est donc un construit communicationnel et
culturel à double sens : un aspect intérieur, le soi pour soi et un aspect extérieur, le
soi par et pour les autres. De l‟extérieur, c‟est une des définitions potentielles d‟un
acteur social pour définir l‟identité d‟un autre acteur. Ces définitions sont utilisées
sur la base de leur pertinence dans la mesure où elles font émerger un sens dont
l‟acteur social a besoin pour maîtriser la situation dans laquelle il se trouve. La
nature des critères choisis pour la définition d‟une personne permet alors de parler
de différentes identités culturelles, personnelles et sociales. Ces définitions
renvoient à des disciplines comme la sociologie, la psychologie, l‟ethnologie.
171
M. Pollak, L’Expérience concentrataire, p. 276.
172
A. Mucchielli, L’Identité, p.12. 173
C. Fortier, Les Individus au cœur du social, p.203. 174
Ibid. p. 203-204.
78
1.2.1 Identité personnelle
Lorsqu‟on évoque le concept d‟identité, il s‟agit de l‟identité d‟un acteur
social qui peut être une personne ou une communauté. L‟identité s‟étale sur deux
dimensions individuelles et collectives. L‟identité personnelle ou individuelle
correspond au développement de la personnalité, à l‟expression de la subjectivité
d‟une personne au fil des expériences qu‟elle vit175
. C‟est l‟unité organique continue
impartie à chaque individu, fixée par des marques distinctives telles que le nom et
l‟aspect et constituée à partir d‟une connaissance de sa vie et de ses attributs
sociaux176
. Elle représente le pôle personnel de l‟identité tandis que le pôle social
situe l‟individu au sein d‟une collectivité. L‟individu s‟attache à des valeurs morales
et sociales pour réduire les éléments contradictoires dans sa conscience afin
d‟assumer un degré de cohérence entre ses comportements, ses motivations et ses
valeurs177
. De manière permanente, l‟image que l‟individu bâtit de lui-même, ses
croyances et ses représentations de soi constituent une source qui lui permet de
sélectionner ses actions et de tisser ses relations sociales. Les réflexions sur
l‟identité personnelle s‟ancrent généralement autour de l‟étude de la notion de soi et
la construction identitaire s‟effectue dans le rapport d‟adhésion ou de rejet que
l‟individu fonde avec ses groupes d‟appartenance. Son identité se construit dans un
double mouvement d‟assimilation aux uns et de différenciation par rapport aux
autres.
175
Ibid. p.198. 176
E. Goffman, La Mise en scène de la vie quotidienne, p.182. 177
L. Baugnet, L’Identité sociale, p. 26.
79
1.2.2 Identité collective et culturelle
L‟identité personnelle représente ce qui en nous est de l‟ordre de
l‟univers privé, comme nos traits de personnalité et les expériences liées à notre
histoire personnelle. L‟identité collective correspond aux idées, sentiments et
habitudes comme les croyances religieuses et les opinions collectives de toutes
sortes qui expriment en nous le groupe dont nous faisons partie. Elle fonde le
sentiment d‟identification à travers l‟appartenance à un groupe et la participation
affective à une entité collective. Le type le plus large de l‟identité collective est
l‟ethnie, groupe dont les membres possèdent une identité distincte enracinée dans la
conscience d‟une histoire ou d‟une origine commune. Le concept d‟ethnie signifie
l‟homogénéité de la race, de la langue, des coutumes et des traditions, bref de la
culture. De là, on peut parler d‟identité culturelle.
Plusieurs tentatives de théorisation du concept d‟identité culturelle ont été
proposées non seulement par des ethnologues, mais aussi par des sociologues et des
psychologues. Toutes les définitions de ce concept mettent l‟accent sur les valeurs
et les symboles qui donnent une signification à toute conduite individuelle ou
collective. Ainsi, l‟identité culturelle d‟une personne, selon Abou Sélim, renvoie à
une identité globale qui est une constellation de plusieurs identifications
particulières à autant d‟instances culturelles distinctes178
. L‟identité culturelle est
l‟ensemble des valeurs et des manières de penser et d‟agir à la lumière desquelles
l‟individu oriente son comportement et harmonise les contradictions relevant de ses
diverses interactions avec le monde extérieur. Le processus d‟identification
culturelle permet à l‟individu d‟assurer le bon fonctionnement de son concept de soi
par l‟identification avec une collectivité humaine dont la culture, les croyances et
les rituels sont partagés.
178
A. Sélim, Identité culturelle, p.40.
80
1.2.3 Identité sociale
L‟identité sociale se définit à partir des effets de la catégorisation
sociale qui crée et définit la place particulière d‟un individu dans la société par son
placement dans une catégorie179
. La catégorisation sociale est cette partie du
concept de soi des individus qui provient de leur connaissance de leur appartenance
à un groupe social associé à une signification émotionnelle de cette
appartenance180
. L‟identité sociale est donc la représentation que le sujet se fait de
son environnement social, c‟est-à-dire des différents groupes auxquels il se réfère,
groupes d‟appartenance mais aussi de non appartenance. Dans leurs relations avec
autrui, les individus ne se comportent pas comme des individus isolés, mais plutôt
comme des êtres sociaux qui appartiennent à des catégories sociales.
En un mot, que ce soit de point de vue social, culturel, individuel ou
collectif, la question de la ressemblance et de la différenciation est au cœur de
l‟identification des individus avec certains groupes, et de différenciation par
rapport aux autres. On s‟interrogera donc sur les tendances identitaires de la
population arabe de Londres et les mutations qui s‟opèrent dans le processus
d‟identification comme conséquence de la transplantation dans un nouveau milieu
culturel.
2. La communauté arabe et la construction identitaire
2.1 Mode de présentation de soi
Pour saisir les tendances d‟identification de la communauté arabe de
Londres, nous avons demandé aux répondants, lors des enquêtes du terrain menées
à Londres en 2006 et 2008, de choisir parmi une série de catégories celles qui
correspondent à l'image qu‟ils se font d‟eux-mêmes. Les catégories proposées
correspondent aux ressources d'identification auxquelles les membres de la
179
L. Baugnet, L’Identité sociale, p.83. 180
Ibid. p.83.
81
communauté arabe font d'habitude appel pour se définir : "arabe", "musulman", "
arabe britannique, ou autre dans le but de repérer les mutations subies suite au
changement de l‟environnement culturel. Dans notre échantillon, la majorité des
répondants se définissent en tant qu‟Arabes avec parfois la référence à la
nationalité du pays d‟origine
Cette première tendance renvoie à l‟identification avec une culture
et des expériences sociopolitiques communes. C‟est une identification qui remonte
à une histoire commune incarnée par plusieurs tendances d‟unification entre les
pays arabes au détriment des différences nationales181
. Les années cinquante et
soixante-dix et surtout la période post-indépendance furent dominées par un
sentiment panarabe, une période au cours de laquelle l‟identification comme Arabe
précédait l‟identification avec le pays d‟origine. Un individu avait tendance à
exprimer l‟appartenance à la „umma’ arabe, à l‟unité arabe plutôt qu‟à évoquer une
appartenance nationale. Cette tendance identitaire se révèle aujourd‟hui dans
l‟identification dans le nationalisme palestinien, les manifestations politiques et les
activités en rapport avec les problèmes du Moyen-Orient et les événements dans le
monde arabe. La base de l‟identification est l‟appartenance à la collectivité humaine
181
H. Laurens, L’Orient arabe, p.111.
0
50
100
150
200
250
Arabe Musulman Arabe britannique
Autre
Mode de présentation de soi (n500)
82
des Arabes dont la langue constitue le caractère fondamental et le noyau de
l‟identité.
Le qualificatif qui renvoie à l'identité religieuse dans l‟opération
d‟identification de soi chez cette catégorie se trouve relégué dans une position
secondaire. Le référent religieux, bien que celui-ci constitue une ressource
d'identification partagée par l'ensemble de nos répondants, se trouve doté de
significations distinctes. L‟identification religieuse des questionnés se présente
comme une modalité pour se définir, modalité perçue comme étant de même ou de
moindre valeur que d'autres ressources d'identification. Elle est, d‟ailleurs, rejeté
par certains répondants qui se disent laïques.
Chez une autre catégorie, contrairement à la première tendance,
l‟opération de présentation de soi est construite sur l‟appartenance religieuse au
détriment d‟autres types d'appartenance qui ne jouissent que d'une importance
minime. Cette présentation de soi tire son origine de l‟identification avec tout le
monde musulman. Au moment où le panarabisme reste latent parmi les populations
arabes, la tendance identitaire incarnée par le panislamisme surgit182
. Cette
tendance d‟identification repose sur le sentiment d'appartenance à une communauté
musulmane. Elle signifie l‟attachement à un ensemble de doctrines affirmant
l‟égalité des croyants malgré la diversité de la race ou la nationalité. Chez une partie
de la population arabe de Londres, l‟identification religieuse est une identité
suprême capable de se substituer aux autres types d‟identification.
Etre musulman existe à un niveau supérieur à celui de l‟appartenance basée
sur la relation politique. Les identités nationales sont éphémères, liées à un domaine
temporel. Parfois, la référence au groupe d'appartenance religieuse est mise au
même niveau que d‟autres ressources d'identification. Cette tendance identitaire à
caractère religieux s‟inscrit dans une vision du monde au-delà des appartenances
ethniques et nationales pour embrasser un rassemblement sur une base religieuse.
Elle constitue, avec l‟identification arabe, l'expression d'un même désir d'union et
182
K. H. Karpat, The Politicization of Islam, p.20.
83
de solidarité, même si les deux tendances ont des divergences concernant le modèle
de société.
L‟identité musulmane est souvent une conscience ethnique réactive
de la deuxième et la troisième génération de la communauté arabe, en particulier
après les événements internationaux tels que le conflit au Moyen-Orient et les
guerres en Irak et Afghanistan. Cette prise de conscience religieuse est en rapport,
parfois, avec l‟expérience de la discrimination. Les sentiments de solidarité envers
les coreligionnaires, aussi bien en Grande-Bretagne et outre-mer, en renforcent la
conscience et l‟identité religieuse jusqu‟au point, parfois, de la radicalisation parmi
les personnes les moins intégrées des communautés musulmanes dont la
revendication de l‟appartenance religieuse est comme une sorte de défi à une
pratique d‟exclusion et de marginalisation183
.
Chez une troisième catégorie se manifeste un processus
d‟hybridation qui entraîne des recompositions identitaires impliquant à la fois
différenciation et l‟identification. Ainsi, l‟émergence d‟une identité „ British Arab‟
dans la définition de soi chez la population arabe de Londres est donc un
phénomène récent. C‟est une tendance de recomposition identitaire à double
facettes. En effet, les élites intellectuelles et politiques cherchent avant tout à être
panarabe, c‟est-à-dire à baser leur union, non pas sur la religion, mais sur l‟arabité.
Parallèlement avec l‟identification arabe des répondants, un désir d‟affirmer
l‟appartenance à la société britannique se manifeste à travers une relation
harmonieuse entre arabité et „Britishness’184
.
L‟identité britannique existe en liaison avec l‟identité arabe. Les deux
identités sont considères comme entités dichotomiques. Pour certains répondants,
Britishness est associé à l‟appartenance à l‟entité politique britannique comme
citoyen avec les obligations que la citoyenneté implique. Ainsi, ils mettent l‟accent
sur certains traits comme les droits, l‟engagement et la participation. Pour d‟autres,
183
D. Lassalle, L’Intégration au Royaume-Uni, p.84. 184
C. Nagel, „Constructing Difference and Sameness: the Politics of Assimilation in London‟s Arab
Communities‟, Ethnic and Racial Studies, Vol.25, n° 2, 2002, pp. 258-287.
84
l‟identification comme „British‟ signifie l‟absorption dans la culture britannique,
dans un groupe multiculturel. Etre britannique est construit de manière plus fluide,
ce qui implique la capacité de se déplacer dans et hors de différents groupes.
En gros, cette catégorie accentue l‟importance d‟une recomposition
identitaire avec un enracinement dans la culture arabe et l‟identification avec la
société britannique. Sans parler explicitement d‟assimilation, elle affirme le besoin
de s‟accommoder, de participer et de contribuer à la société britannique. Toutefois,
même si l‟identification arabe est prédominante, on trouve aussi dans la
communauté arabe des personnes qui se définissent comme Kabyles, Kurdes ou
Assyriens.
Bref, les Arabes de Londres se situent entre un ancrage dans une
identification religieuse, une tendance d‟ouverture et de recomposition identitaire,
et l‟inclination à l‟appropriation de la culture dominante. Pour certains l‟identité
culturelle est la seule alternative à l‟homogénéisation culturelle perçue comme
danger de déculturation ; alors que d‟autres mettent l‟accent sur la différence et
l‟hétérogénéité. Ce constat révèle que les Arabes de Londres opèrent à l‟intérieur
des limites ethnico-religieuses établies dans la mesure où les normes et valeurs
culturelles influent sur l‟identification.
2.2 Médias : moyen de construction identitaire
Les médias ont une influence considérable sur la construction
identitaire dans les sociétés modernes. Le réseau des institutions médiatiques
influence la vie des groupes et des individus et contribue à créer le sentiment
d‟appartenance à une collectivité. Le rite quotidien illustré par le fait de feuilleter
un journal tous les matins, ou de suivre les programmes d‟une chaîne de télévision
crée le sentiment d‟appartenir à une collectivité humaine. Ainsi, l‟identité arabe
s‟illustre et se construit dans la diaspora à travers une presse arabe qui se présente
comme une presse internationale de tous les Arabes en dépit de la différence des
appartenances nationales.
85
2.2.1 Médias britanniques et minorités ethniques
En Grande-Bretagne, la BBC dominait au début des années
soixante le domaine audiovisuel. Cette situation fut mise en question avec l‟arrivée
des immigrants des anciennes colonies britanniques et la recomposition ethnique de
la société britannique à partir des années soixante-dix185
. Sous la pression du
gouvernement, à partir des années quatre-vingt-dix, la BBC se trouva contrainte de
reconsidérer sa stratégie pour répondre mieux aux implications d‟une société
multiethnique et multiculturelle. Elle diffusa alors une série de programmes sur la
culture britannique en général en mettant l‟accent sur sa diversité et la contribution
des communautés ethniques à la société britannique186
. En outre, le département
multiculturel au sein de la BBC consacra des programmes particuliers aux minorités
ethniques, notamment des films et des documentaires traitaient de problèmes
intéressant les minorités ethniques avec l‟usage même des langues asiatiques pour
atteindre une large audience.
La Chaîne 4, qui fut créée en 1982, lança également un département
multiculturel chargé de donner accès à l‟écran à des travaux sur la population noire
parallèlement à l‟achat de films, de documentaires et de magazines culturels sur les
Indiens, les Pakistanais et les Afro-Caribéens. La diffusion par câble, qui fut
facilitée par les développements technologiques à partir des années quatre-vingt dix,
contribua à l‟émergence d‟un secteur de production indépendant de la télévision
publique en Grande-Bretagne. Le développement du câble et la diffusion par
satellite limitèrent le monopole de l‟espace audiovisuel par le secteur public et
exposèrent la BBC à la compétition des autres opérateurs187
.
La loi de 1990 (1990 Broadcasting Act), qui créa un nouvel organe,
The Independent Television Commission, pour réguler l‟espace audiovisuel, fait
appel aux opérateurs afin de promouvoir l‟égalité des chances entre personnes
issues des minorités ethniques pour refléter la diversité culturelle de la société. Si
185
C. Frachon, M. Vargafting, European Television, p. 261. 186
Ibid. p. 266. 187
C. Frachon, M. Vargaftig, Télévisions d’Europe et immigration, p.184.
86
cette loi met l‟accent sur l‟importance de prendre en compte l‟ensemble des
communautés ethniques en Grande-Bretagne, aucun texte ne les oblige, par contre,
de façon explicite, à produire des programmes spécifiquement destinés aux
minorités ethniques.
La tendance ou l‟engagement à diffuser des programmes pour les
minorités culturelles et à assurer une représentation égale à la radio et la télévision
publique fut limitée, selon Simon Cottle, par plusieurs facteurs. D‟une part,
l‟engagement de la chaîne publique britannique à diversifier ses programmes afin
de prendre en considération la diversité culturelle et ethnique de la société
britannique est limité par la logique du marché188
. Dans un contexte où la survie
commerciale signifie un maximum d‟audience et de recette de publicité,
l‟information est produite comme tout autre produit pour le plus grand nombre
possible de consommateurs, en occurrence la société majoritaire. Les sociétés de
production qui essayent de produire des programmes destinés aux minorités
ethniques sont incapables de prendre pied dans un marché dominé par les réseaux
des producteurs qui travaillent sous cette contrainte. Le secteur privé, ainsi que les
chaînes publiques, sont exposés à la pression et à la contrainte du marché au point
que la survie de ces „ghetto programmes’, comme certains les appellent, est remise
en question dans un paysage médiatique soumis à la compétitivité du marché.
D‟autre part, l‟organisation bureaucratique affaiblit la représentation
des minorités ethniques dans les médias britanniques189
. Les journalistes comptent
sur les sources institutionnelles d‟information comme les communiqués de presse
de la police ou du gouvernement sans faire d‟efforts pour recueillir les points de
vue non institutionnels. Cette nature bureaucratique de la production de
l‟information privilégie les voix de ceux qui sont au pouvoir et non pas celles de
ceux qui sont exclus des institutions. La composition sociale des journalistes
travaillant dans les médias britanniques est caractérisée par une prédominance des
journalistes appartenant à la classe moyenne. Ces journalistes, qui préconisent
188
S. Cottle, Television and Ethnic Minorities, p.215. 189
Ibid. p.28-29.
87
souvent les idées politiques de la classe moyenne, ne reflètent pas dans leurs écrits
la nature multiculturelle de la société britannique et ont souvent tendance à
fonctionner à partir d‟un point de vue blanc sans prendre en compte la composante
multiethnique et raciale de la société britannique190
.
Par conséquent, les minorités ethniques ne sont pas présentées
comme partie intégrante de la société britannique par les médias qui projettent une
image de la Grande-Bretagne comme société blanche dans laquelle les gens de
couleurs sont perçus comme un problème, une aberration et non pas comme des
citoyens à part entière191
. Les dirigeants de la BBC, puis ceux d‟ITV, avaient une
vision figée de la société dans un souci de favoriser les valeurs traditionnelles
(blanches et chrétiennes)192
.
En somme, la faible représentation des minorités ethniques dans les
médias britanniques est engendrée par des facteurs professionnels, culturels,
commerciaux et institutionnels. L‟orientation visant la prise en compte de ce
nouveau caractère de la société britannique est stérile dans la mesure où la
représentation des minorités ethniques est dominée par les stéréotypes193
.
Confrontées à cette attitude persistante, les minorités ethniques profitèrent
de la libération du paysage audiovisuel en Grande-Bretagne et de l‟avènement du
câble et de la télévision par satellite pour créer des médias ethniques dans un souci
du maintien et de construction identitaire. C‟est dans ce contexte que la
communauté arabe se dota d‟un média ethnique et se tourna vers les chaînes à
caractère transnational dans une quête de construction identitaire.
190
J. Halloran, Ethnicity and the Media, p.13. 191
Ibid. p. 13-14. 192
R. Dickason, „De la diversité culturelle à la télévision britannique ou les failles du multiculturalisme‟, Revue
française de Civilisation Britannique, vol. XIV, n° 3, 2007, p.115-139. 193
K. Ross, „White Media, Black Audience: Diversity and Dissonance on British Television‟, Black Marks:
Minority Ethnic Audiences and Media, p. 10-11.
88
1.1.1 Médias arabes et quête d’identité
Si, par contraintes commerciales, les médias britanniques ne reflètent
pas les aspirations identitaires des minorités ethniques, les médias ethniques et
transnationaux occupent une place importante dans le reflet d‟une culture partagée
et la création d‟un sentiment d‟appartenance à une communauté. Ce rôle est devenu
plus étendu dans les sociétés modernes où les gens comptent sur les médias pour
être liés entre eux et partager les mêmes expériences et idées194
. En effet,
l‟information, les images et les idées rendues disponible par les médias constituent
la source centrale de la conscience d‟une culture commune. Les journaux, les
radios, et les télévisions renforcent le sens de l‟appartenance communautaire. La
connexion est simplement un lien symbolique entre les téléspectateurs de la même
chaîne de la télévision, les auditeurs de la même radio ou les lecteurs d‟un même
journal195
. Les médias transnationaux sont des moyens de lien avec le pays
d‟origine ; même si plusieurs types de médias se sont développés dans les dernières
années comme la presse ethnique ou la presse consacrée aux questions des
immigrants, les chaînes des télévisions transnationales restent les chaînes les plus
regardés avec un rôle saillant dans la vie de la diaspora arabe à Londres.
En fait, avant l‟arrivée des télévisions transnationales, la diaspora arabe avait
l‟habitude de regarder les chaînes locales, tout en utilisant la radio comme source
d‟accès à l‟information sur leur pays d‟origine. La venue de la télévision
transnationale changea les habitudes et les rapports avec les médias en général. A
défaut d‟une représentation dans la télévision britannique, les membres de la
communauté arabe regardent souvent la télévision transnationale qui est une liaison
entre immigrés et pays d‟origine avec des liens affectifs, linguistiques et religieux.
194
A. Schleifer, „Media Explosion in the Arab World: The Pan-Arab Satellite Broadcasters‟, TBS Archives,
Issue No 1, 1998. 195
J. Alterman, „Translational Media and Social Change in the Arab World‟, TBS Archives, Issue n° 2, 1999.
89
A. Presse audiovisuelle et la création d’une communauté transnationale
La télévision tend, la plupart du temps, à suivre et assimiler les
tendances sociales et les influencer parfois. Le traitement des
minorités n‟est pas une exception et leurs relations avec la télévision
sont souvent orageuses (……) les chaînes de télévision européennes
commencent à prendre en considération les minorités ethniques, mais
les minorités n‟ont pas encore une présence régulière dans la
télévision, acceptées comme totalement ordinaires en faisant entendre
leur voix196
.
Dans ce contexte, la télévision transnationale reste un moyen qui
permet d‟établir un lien avec la culture du pays d‟origine et perpétuer l‟usage de la
langue et l‟initiation des nouvelles générations à leur patrimoine culturel. En plus
des chaînes des télévisions des pays d‟origine des différents groupes nationaux qui
composent la communauté arabe à Londres, Al-Jazira et MBC sont les chaînes
arabes les plus regardées et la source majeure d‟information pour la communauté
arabe de Londres. Les individus de la première génération sont les plus touchés par
la réception de ces télévisions arabophones. Le facteur de la langue arabe est
d‟autant plus important. En effet, l‟attachement aux chaînes arabes est surtout lié à
une ambiance générale qui s‟appuie sur la familiarité et la proximité des référents
culturels que les chaînes locales ne reflètent pas.
a. Al-Jazira
Al-Jazira est la première chaîne dans son genre qui émet d‟un pays
arabe, tout en conservant une liberté totale. Elle a surtout concurrencé la mosquée,
naguère seul lieu de parole contestataire dans la région197
. C‟est une chaîne très
regardée, depuis son lancement en novembre 1996, par le public arabophone à
Londres grâce à son traitement polémique de l‟information et des débats politiques
et son engagement à libérer le champ audiovisuel arabe du conformisme et du
„television is mostly content to follow and assimilate social trends but sometimes influences them; treatment
of minorities is no exception and their relations with television are often stormy ……European television
channels are starting to consider it their duty to take account of ethnic minorities, but minorities are still a long
way from being part of daily life on television, of being accepted as totally ordinary while having the chance to
make their voices heard‟
196
C. Frachon, M. Vargaftig, European Television, p. 3-4
197
O. Lamloum, Al-Jazeera, miroir rebelle et ambigu du monde arabe, p.10.
90
monopole des Etats198
. La popularité de la chaîne chez les membres de la
communauté arabe de Londres est due au fait qu‟elle nourrit le sens de la
communauté et diffuse ses programmes exclusivement en langue arabe moderne par
un personnel arabe. Dans ces sens, l‟arabe littéraire employé par al-Jazira reste un
lien linguistique commun pour les Arabes tandis que, par la diversité de l‟origine
nationale de son personnel, la chaîne marque davantage son panarabisme et suscite
l‟intérêt du maximum de téléspectateurs arabes.
Les rendez-vous d‟information sont commentés par des envoyés spéciaux en
ciblant une audience arabe frustrée par l‟information officielle biaisée du pays
d‟origine. Les affaires arabes restent cruciales dans la programmation. C‟est une
chaîne transnationale qui unifie une audience arabe autour de la même information.
Comme chaîne panarabe, Al-Jazira joue un rôle primordial dans l‟élargissement
d‟une interaction arabe et projette une identité inclusive qui dépasse les frontières
nationales. Elle s‟adresse à une audience transnationale qui peut être hétérogène,
mais néanmoins liée par une langue et une culture commune. Le panarabisme, qui
se manifeste par l‟utilisation d‟une langue arabe et d‟un personnel appartenant à
plusieurs pays arabes, a été en quelque sorte réinventé par cette chaîne199
.
b.MBC
Diffusé à partir de Londres depuis avril 1991, le Middle East
Broadcasting Centre (MBC), qui se considère comme chaîne panarabe ciblant la
promotion de la langue et la culture arabe et l‟échange des intérêts à travers le
monde arabe, est financé par les capitaux saoudiens. La chaîne est destinée aux
intérêts et besoins des populations arabes en promouvant le patrimoine linguistique
et culturel arabe dans le monde entier. C‟est une chaîne généraliste dont la
programmation, exclusivement en arabe moderne, englobe fictions, informations
et programmes religieux. En s‟inscrivant pleinement dans d‟un logique pan-arabe
dans leurs programmations et par le fait d‟être les chaînes les plus regardées par les
membres de la communauté arabe de Londres, les deux chaînes jouent un rôle dans
198
N. Miladi, „Satellite TV News and the Arab Diaspora in Britain: Comparing Al-Jazeera, the BBC and CNN‟,
Journal of Ethnic and Migration Studies, volume 32, n° 6, 2006, p. 947 – 960. 199
M. Ziyani, The Al-Jazeera Phenomenon, p.8.
91
la construction identitaire de la communauté arabe à Londres200
. A travers ces
chaînes satellitaires, les membres de la communauté arabe de Londres sont en
mesure de synchroniser régulièrement le contact avec la vie quotidienne et les
événements dans le monde arabe. Grâce à ces chaînes, la communauté peut
transcender la distance qui sépare le soi-disant « diaspora arabe » à travers le monde
de leurs communautés d‟origine. Ces « médias diasporiques » offrent de nouveaux
moyens de promouvoir la liaison transnationale, et préserver ainsi les identités et les
cultures à travers l‟espace.
Ce rôle de construction identitaire est également favorisé par une
presse écrite dont Londres est devenue le centre depuis la guerre civile au Liban
(1975-1990) . Que ce soit une presse d‟information générale, presse militante ou
presse d‟immigration destinée aux immigrés arabes travaillant à Londres, les
journaux s‟inscrivent également dans cette tendance de renforcement d‟une identité
arabe dans la diaspora.
B. Presse ethnique et tendance panarabe
En raison de la guerre civile au Liban à partir de 1975, plusieurs
journaux se déplacèrent à Paris et à Londres pour fuir une atmosphère de guerre
féroce201
. En outre, sous la répression des régimes totalitaires dont la seule
communication admise est celle de la propagande politique canalisée par les
journaux, la recherche d‟une tribune qui permettrait de s‟exprimer librement fut une
raison essentielle de la délocalisation de plusieurs journaux arabes.
Le nombre de journaux arabes installés en Europe augmenta avec
l‟arrivée massive des Saoudiens et des Koweitiens sur le marché de la presse durant
les années quatre-vingt. Le centre de gravité de la presse arabe en Occident ne cessa
de glisser vers Londres et rares sont les journaux qui se maintinrent à Paris. Parmi
les journaux libanais qui installèrent leurs bureaux à Londres, nous citons un des
plus influents, Al-Hawadith. Un autre phénomène se développa dans les années
200
C. Salamandra, London's Arab Media and the Construction of Arabness, TBS Archives, no 10, spring-
summer, 2003. 201
W. Rugh, Arab Mass Media, p.168.
92
quatre-vingt. Il s‟agit de la fondation à Londres, de quotidiens à vocation panarabe
qui ont aujourd‟hui la possibilité, grâce au développement technologique, de
paraître simultanément dans les différentes capitales arabes et internationales. Le
premier fut Al-Arab (1977) fondé par les Libyens, puis le quotidien saoudien Al-
Charq Al-Awsat (1978) distribué dès 1980 dans plusieurs capitales arabes et
européennes. Ensuite le quotidien libanais Al-Hayat, fondé à Beyrouth, est reparu à
Londres en 1989, et un journal palestinien Al-Quds est créé en 1988. Ces journaux
se définissent comme étant ceux d‟une audience panarabe au détriment des origines
nationales 202
. La presse arabe éditée à Londres adopte une ligne rédactionnelle
panarabe en traitant tous les sujets qui intéressent les différentes communautés
nationales qui composent la communauté arabe de Londres. Des éléments
d‟éclaircissement quant à l‟aspect panarabe de cette presse, ressort de l‟analyse du
contenu de trois journaux : Al-Hayat, Al-Quds, et Al-Charq Al-Awsat.
a. Al-Charq Al-Awsat
Depuis son lancement pendant le boom pétrolier de 1978, le journal Al-
Charq Al-Awsat, créé par les Saoudiens à Londres, est édité simultanément grâce à
la technologie moderne dans plusieurs capitales arabes, particulièrement dans la
région du Moyen-Orient. Ce journal se compose essentiellement des rubriques
suivantes : „orient‟, „sport‟, „art‟ et le courrier des lecteurs qui abordent
particulièrement les affaires arabes dans les domaines politiques, économiques,
sportifs et artistiques. Ces rubriques sont censées tenir les lecteurs arabes de la
diaspora au courant de l‟actualité dans le monde arabe et particulièrement dans leur
pays d‟origine sur tous les plans. Dans la rubrique „ lettres des lecteurs‟, ils font
connaître leur opinion. Ce journal, destiné en premier lieu aux lecteurs arabes, a
vocation panarabe dans sa distribution et sa ligne rédactionnelle en proposant une
couverture de l‟actualité arabe à l‟échelle internationale et nationale. La diffusion
principale est limitée aux pays arabes et la vocation annoncée consiste à défendre
les causes arabes et apporter des informations intéressantes sur la communauté
qu‟elle dessert.
202
M. Lynch, Voices of the New Arab Public, p.49.
93
b. Al-Hayat
Al-Hayat, autre quotidien édité à Londres, a des correspondants dans
plusieurs pays arabes. Ce journal, qui ne consacre plus les premières pages à
l‟actualité libanaise comme était le cas auparavant, se transforma pour toucher un
lectorat arabe. Les rubriques qui reflètent l‟orientation panarabe du journal sont les
„affaires arabes‟ divisées en trois sections : Golfe, Orient et Afrique du Nord, et
„culture‟ qui contient des sous-rubriques de littérature, télévision, cinéma et
musique, „sport‟, enfin le courrier des lecteurs. Les rubriques sportives, artistiques,
culturelles qui couvrent les diverses activités des capitales arabes ont également leur
place dans ce journal dont la surface rédactionnelle est divisée en plusieurs parties,
notamment l‟actualité, les éditoriaux, et les lettres. A ces rubriques s‟ajoutent les
„lettres des lecteurs‟ et les nouvelles des vedettes arabes. Ces différentes rubriques
traitent de sujets politiques, économiques, littéraires et publient également des
reportages, des articles et des interviews tout en consacrant des pages entières aux
variétés, aux loisirs, aux arts et au sport ; mais la priorité reste les thèmes arabes,
c'est-à-dire les informations qui proviennent des pays arabes sous des formes
diverses. A cet égard, le lecteur arabe est bien informé des événements qui se
déroulent, en particulier, dans les pays d‟origine.
c. Al-Quds Al-Arabi
Al-Quds Al-Arabi, dont le contenu à caractère palestinien se
focalise sur le conflit arabo-israélien, est un troisième quotidien panarabe édité à
Londres. Ce journal a tendance à être strictement nationaliste dans le traitement des
affaires extérieures en s‟attaquant fréquemment à la politique américaine au Moyen-
Orient. Ce journal, qui s‟organise autour de plusieurs rubriques, notamment
„affaires arabes,‟ „littérature et art,‟ „sport et jeunesse‟ et „variétés‟, s'est imposé
comme voix importante dans les milieux arabes expatriés203
. Le conflit du Proche
Orient occupe une place essentielle dans ses colonnes où il soutient sans réserve
203
J. Alterman, New Media, New Politics, p.12.
94
les Palestiniens. La place faite aux spectacles, aux livres est importante également et
les comptes rendus d‟ouvrages et d‟essais consacrés à l‟actualité culturelle et
littéraire dans le monde arabe. L‟abondance des pages littéraires consacrées à la
culture arabe a tendance à favoriser la culture et la littérature arabe chez les
membres de la communauté arabe de la diaspora.
Au terme de cette lecture rapide du contenu et de l‟organisation des
principaux journaux arabes éditée à Londres, on est conduit à une constatation : la
majorité des journaux voient dans leurs lecteurs des citoyens arabes en tenant
compte de leur nationalité. Ceci dit, la presse arabe à Londres a tendance à penser
et à voir la communauté arabe au-delà des limites des appartenances nationales. Le
rôle des ces médias dans l‟émergence d‟une conscience identitaire est primordiale.
L‟aspect transnational de ces journaux basés ne préconise pas un cosmopolitisme,
mais plutôt identité pan-arabe d‟où l‟évolution du traitement de l‟information et
l‟usage de l‟arabe comme langue de diffusion. Le monde arabe reste un site de
consommation majeur grâce à la technologie par satellite. La presse arabe
londonienne, symbole de l‟identité ethnique de la communauté arabe à Londres, se
focalise sur des questions qui intéressent le public arabe à travers une presse arabe
qui met l‟accent souvent sur les problèmes du Moyen-Orient, principalement le
conflit arabo-israélien. Sa création est un effort majeur pour avoir une visibilité et
un renforcement identitaire en Grande-Bretagne.
C. Presse spécialisée : voix des immigrants
C‟est une presse d‟immigration qui est souvent publiée par les
associations arabes à Londres et constitue un moyen de liaison et de communication
entre les membres de l‟association en s‟intéressant particulièrement aux problèmes
des immigrés et à la culture arabe en général. A titre d‟exemple, The Arab Club of
Britain, publie mensuellement „Alarwa’ dont le contenu s‟organise autour de
plusieurs rubriques comme éditorial, courrier des lecteurs…, société de la
communauté arabe‟, „débats‟, soirées‟. Le contenu éditorial couvre de près
l‟actualité et traduit le point de vue de l‟association et son commentaire sur
95
l‟actualité dans le monde arabe et en Grande-Bretagne. La rubrique „ la
communauté arabe‟ consacrée à l‟actualité qui touche en particulier les
communautés arabes à Londres et l‟agenda des événements organisés par les
diverses associations arabes installées en Grande-Bretagne, est une rubrique
principale dans le journal au niveau de l‟importance spatiale qu‟elle occupe et des
sujets qu‟elle aborde. Les rubriques „débat‟, littérature „ sont des rubriques
occasionnelles consacrées à l‟étude des problèmes touchant le monde arabe ou la
communauté arabe à travers l‟invitation à des personnalités pour élucider des sujets
d‟actualité et traiter des sujets littéraires en vue d‟inciter les membres de la
communauté arabe à connaître la culture arabe. Contrairement à la presse ethnique
qui s‟intéresse à l‟actualité arabe et internationale, la presse d‟immigration est en
premier lieu une presse qui couvre la vie de la communauté, ses intérêts
d‟intégration et ses soucis identitaires
En somme, les médias transnationaux et ethniques fortifient le sens
d‟une identité arabe. La relation donc entre les médias et la construction identitaire
se manifeste à travers la nature des sujets abordés dans les différentes rubriques
composant ces journaux et la proximité affective et intellectuelle établie par les
membres de la communauté arabe à Londres avec ces médias. La communauté
diasporique arabe utilise les médias pour le maintien d‟une identité ; que cette
dernière se définisse par une ardeur religieuse passionnée, une fierté ethnique, ou un
attachement à une origine historique, il est évident que, à travers les médias
ethniques et transnationaux, les membres de la communauté arabe semblent être
rassemblés par ces moyens de communication.
La question de l‟identification apparaît donc incontournable dans la
dynamique de la consommation médiatique et du rapport aux médias en général. La
présence des membres de la communauté concernée devant les écrans arabes, leurs
lectures des journaux arabes créent chez eux un sentiment d‟appartenance qui est
tourné autour des questions du maintien de l‟identité et du lien collectif et
communautaire. En un mot, la presse ethnique et transnationale a un rôle dans la
construction identitaire suscitée par le fait de vivre dans un espace diasporique qui
96
relève des questions d‟identité et d‟appartenance. La communauté arabe de Londres
a tendance à accorder également une grande importance à la langue avec le souci de
sa rétention, en particulier chez la deuxième génération.
2.3 Langue et quête d’identité
Le rôle de la langue comme marqueur de l'identité nationale ou
ethnique est bien attesté dans de nombreuses cultures et à des moments différents
de l'histoire. L‟arabe a été utilisé, à ce titre, par plusieurs tendances idéologiques du
XXe siècle, y compris le nationalisme panarabe, le nationalisme territorial et ce
qu‟on peut appeler le nationalisme islamique204
La langue a été l‟élément le plus pertinent dans l‟identification et
l‟affirmation de la particularité des différentes tendances culturelles et idéologiques
dans le monde arabe. La distinction se faisait entre „watan’, la patrie à laquelle
une personne appartient, et „umma’, la nation qui est le groupe ethnique
d‟appartenance. La langue arabe, qui était le symbole de l‟identité du groupe et un
thème majeur dans la littérature de l‟époque, fut projetée dans ce sens comme
ingrédient unissant tous les pays arabes et marqueur de l‟identité nationale arabe205
.
Elle a été reliée à tous les aspects de l‟identité au point que l‟identité est toujours
rendue équivalente à la capacité de parler la langue nationale.
Sous le pouvoir ottoman, l‟utilisation de la langue arabe fut limitée en
faveur de la langue turque qui fut imposée comme langue officielle de
l‟enseignement et des institutions. L‟imposition de la langue turque durant le règne
de l‟Empire ottoman transforma le nationalisme arabe en un mouvement politique
dont la langue était un facteur unificateur206
. La résistance à l‟imposition de la
langue turque était de nature politique dans le sens où des associations furent
204 Y. Suleiman, A War of Words, p.38: „The role of language as a marker of national or ethnic identity is
well attested in many cultures and at different times in history. Arabic has been deployed in this capacity in a
variety of ideological articulations in the twentieth century, including pan-Arab nationalism, territorial
nationalism and what may be called Islamic nationalism‟
205
Z. Abuhamdia, „Speech Diversity and Language Unity: Arabic as an Integration factor‟, The Politics of
Arab Integration, p.51.
206
Y. Suleiman, The Arabic language and National Identity, p. 66.
97
constituées à l‟intérieur et à l‟extérieur de l‟Empire ottoman pour faire un front de
résistance contre la restriction à l‟utilisation de la langue arabe. Il n‟est donc pas
étonnant que le discours nationaliste arabe dans la période moderne recoure à la
langue arabe comme pilier de l‟identité nationale. De ce fait, l‟association entre
langue et identité est une revendication dans plusieurs pays arabes, aussi bien chez
les nationalistes que chez les islamistes. La politique d‟arabisation après
l‟indépendance dans les pays du Maghreb s‟inscrit dans ce sens.
Actuellement, au Maghreb, la revendication identitaire berbère se base sur
la langue berbère comme élément crucial de l‟identité. Le discours berbériste voit la
politique d‟arabisation comme un gommage de la berbérité et l‟identité nationale ne
peut être fondée uniquement sur la langue. Elle est tridimensionnelle : la berbérité,
l‟arabité et l‟islamité. Pour analyser l‟identité ethnique d‟un groupe donné, il faut
savoir dans quelle mesure ces traits donnent lieu à la prise de la conscience d‟une
revendication identitaire collective. Cette section a donc comme but l‟exploration
du rapport que les membres de la communauté arabe de Londres établissent entre
langue et construction identitaire, car la langue n‟est pas seulement un moyen de
communication, mais aussi l‟incarnation d‟une culture et un puissant marqueur
identitaire.
2.3.1 Langue et identité culturelle
Au gré des motivations de l‟apprentissage de la langue arabe, il se
révèle que, chez la communauté arabe de Londres, la langue constitue un trait
fondamental de l‟identité culturelle puisque à travers la langue parlée, l‟identité de
l‟individu apparaît ainsi que son appartenance à un groupe particulier.
L‟interconnexion entre le désir et les motivations de l‟apprentissage de la langue
arabe et l‟identification culturelle est évidente. Chez une autre partie de la
communauté arabe de Londres l‟apprentissage de l‟arabe est allié au désir de
maintenir une identité religieuse.
La langue d‟origine acquiert une valeur symbolique et représente
un symbole d‟appartenance à une communauté culturelle tandis que la langue
98
anglaise est perçue dans son rôle utilitaire comme langue de l‟environnement. Les
familles arabes à Londres essayent de la transmettre aux générations suivantes et
quel que soit le degré de sa maîtrise dans un environnement dominé par le
pluralisme culturel, elle est considérée comme trait principal d‟identification à la
communauté culturelle et ethnique comme le résume ce motif de l‟apprentissage de
l‟arabe évoqué par la plupart des personnes interviewées à Londres : „„La langue
arabe fait partie de ce que je suis. Je veux être en mesure de la lire et d'écrire, parce
que je ne peux pas dire que je suis arabe sans la connaissance du texte et de la
langue. J'aimerais apprendre l'arabe pour que je puisse le transmettre aux
générations futures. Il est important d‟apprendre cette langue (femme, âge, 37).‟‟
Nous constatons qu‟une valeur essentielle est accordée à l‟arabe
comme élément central de l‟identité culturelle. Elle n‟est pas considérée
uniquement comme instrument de communication, mais aussi élément essentiel
de l‟héritage culturel. L‟ethnicité ou l‟identité culturelle sont souvent associées au
symbole que représente la langue plutôt qu‟à son usage réel.
La langue arabe est donc moins perçue dans sa fonction d‟outil de
communication que comme composante primordiale de l‟héritage culturel d‟une
part, et comme marqueur d‟identité culturelle de l‟autre. La transmission de la
mémoire collective du groupe, y compris la pensée, l‟éducation, les codes
familiaux et culturels se fait à travers et par cette langue qui est transmise et
apprise par les immigrants dans leur quête d‟une construction identitaire. La langue
arabe semble investie, dans une société pluriculturelle, d‟une fonction symbolique
fondamentale qui se révèle tant au niveau de la conscience linguistique qu‟à celui
des déclarations d‟appartenance identitaire et culturelle.
2.3.2 Langue et identité religieuse
La langue arabe est fréquemment désignée par les partisans de
l‟arabisation comme la langue du Coran et de la religion musulmane207
. A ce
niveau, les repères sont clairs. La langue arabe est considérée comme la langue
207
Y. Suleiman, A War of Words, p.40.
99
vénérée de la religion qui s‟inscrit à une place précise comme langue de la
communauté islamique, élément essentiel de l‟identité islamique et d‟un
enracinement identitaire profond. Cette élection divine de la langue arabe a eu
comme conséquence de l‟établir dans un statut spécial qui a depuis des siècles
imprégné les mentalités collectives208
. L‟expansion de l‟islam s‟appuyait au début
sur la propagation et l‟enseignement de la langue arabe qui est estimée moyen
nécessaire pour comprendre l‟islam, comme entrée dans la culture arabe. C‟est une
langue qui est perçue comme un facteur qui consolide l‟identité en termes du
sentiment d‟appartenance à une communauté et à une religion comme cet extrait de
l‟un des questionnés le montre :‟ La langue arabe est importante ; en tant que
musulman, je me sens un devoir religieux de connaître le Coran et d‟être en mesure
de lire le texte par moi-même afin que je puisse comprendre la religion et ses
besoins sans l'aide de traduction (homme, âge 44).‟‟
A ce titre, une catégorie de la communauté arabe à Londres cite
comme première motivation de l‟apprentissage de l‟arabe le désir de lire le livre
saint, les textes coraniques et de les comprendre correctement. Le fait d‟avoir une
compétence de la langue arabe est un élément essentiel de l‟identité religieuse et un
pas vers une identification religieuse qui fait de la langue sa pierre angulaire afin de
se faire dispenser des traductions du Coran en d‟autres langues.
Dans ce sens, le fait d‟apprendre l‟arabe constitue un acte
essentiellement religieux qui aide à réciter les textes coraniques et prononcer les
mots correctement. La dimension religieuse est donc essentielle comme motif de
l‟apprentissage et les écoles de la communauté essayent de combiner
l‟enseignement de l‟arabe avec la religion. La nécessité d‟apprendre cette langue
renvoie en premier lieu à l‟identité islamique. L‟arabe est considéré comme une
partie de la réalité islamique car elle est la langue de la foi. L‟essence de l‟identité
culturelle est représentée par la dualité islam-arabité.
208
G. Grandguillaume, Arabisation et politiques linguistiques au Maghreb, p.24.
100
2.3.3 La maîtrise de la langue
Beaucoup des répondants sont exposés à l‟arabe qui se restreint,
dans le cadre familial, souvent à un dialecte parlé par les parents et les amis, ou
d‟une langue classique à travers les chaînes des télévisions arabes. L‟arabe est la
langue véhiculaire des échanges verbaux au sein de la famille utilisée
spontanément par les parents, mais écrite rarement par les enfants.
Sous l‟effet de l‟apport scolaire dans le pays d‟accueil et des contacts
langagiers dans le pays d‟origine, un nouveau registre de langue peut se mettre en
place sous forme d‟un mélange de deux langues différentes. A titre d‟exemple : un
individu peut prononcer le début d‟une phrase en anglais et la terminer en arabe ou
le contraire. L‟utilisation non équilibrée des deux langues engendre un phénomène
de déperdition de la langue maternelle entre les générations issues de l‟immigration
et parfois une rupture due à des phénomènes comme l‟oubli ou une pratique rare de
la langue.
La perte de la langue maternelle, qui marque une phase décisive
dans le processus de l‟assimilation, ne signifie pas l‟abandon des marques de la
culture d‟origine, mais une rupture avec le passé culturel transmis par les
générations précédentes. La capacité d‟utiliser la langue arabe et en particulier de
l‟écrire est diminuée chez la deuxième génération de la communauté arabe étant
donné que la plupart sont nés en Grande-Bretagne. La maîtrise des codes
linguistiques est inégale et il est difficile parfois de se situer par rapport aux deux
langues, voire aux deux cultures. De ce fait, nous nous retrouvons devant deux
types de langues à statut différent : une langue dominée et une langue dominante.
En général, chez les enfants de migrants, la reconnaissance de la langue anglaise
comme langue de promotion est largement répandue. Le degré d‟acculturation ou de
déculturation dépend aussi de la manière de s‟identifier aux deux cultures ou à celle
du pays d‟accueil.
101
Conclusion
Les identifications ethniques et religieuses des membres de la
communauté arabe de Londres sont dominantes. Un acheminement vers une
identification à double facettes, arabe et britannique (British Arab), commence à
gagner du terrain chez cette communauté. Cette tendance est incarnée par une élite
qui essaye de forger une nouvelle identité qui s‟illustre par un enracinement arabe
et une appartenance à la société britannique. L‟identification de la communauté
arabe se situe majoritairement entre une tendance d‟enracinement identitaire qui
privilège la particularité religieuse, ou ethnique, et un penchant d‟ouverture qui
s‟identifie avec le nouveau milieu culturel. Entre l‟appartenance religieuse qui
prend le pas sur l‟identité ethnique chez une partie de la communauté arabe,
l‟identification avec la société britannique est une recomposition identitaire qui
prend en compte le nouveau milieu culturel. Le choix d‟identification en tant que
„British Arabs’ révèle la volonté manifeste d‟une partie de la communauté arabe de
se frayer un chemin au milieu d‟une société multiculturelle.
La question de la sauvegarde de la singularité culturelle fait surface
dans un environnement multiculturel. Toute communauté ethnique transplantée
s‟interroge sur sa particularité culturelle et la manière pertinente de sa perpétuation.
La langue arabe dans tous les cas s‟avère un instrument de construction identitaire
et de compréhension de l‟héritage culturel, un lien à une communauté et à une
culture qu‟ils ont partiellement connus et à une religion qu‟ils comprennent à des
degrés variés.
L‟enseignement de la langue arabe est relié à un désir de construction
identitaire dont les motivations sont religieuses et culturelles. La motivation
religieuse pour l‟apprentissage de la langue arabe est structurée autour de la notion
de connaissance religieuse, tandis que la raison culturelle associe ethnicité et
langue. Les deux discours sont liés par des notions clés telles que civilisation
arabo-musulmane et authenticité. La quête de l‟authenticité culturelle et le
102
renforcement de l‟identité islamique sont deux moteurs qui nourrissent le désir de
l‟apprentissage de la langue arabe.
Islam et arabité sont essentiels pour définir l'identité arabe et musulmane et
le discours sur l'apprentissage de la langue est motivé principalement par une quête
d'authenticité dans le contexte de la modernisation et de la mondialisation. Dans la
situation de la diaspora, l'apprentissage de la langue exprime la volonté de la
communauté de maintenir une identité spécifique contre la menace d'assimilation.
L‟identité islamique, comme l'identité arabe, sont perçues comme étant menacées
par l‟assimilation, qui conduit à la perte de la langue arabe et à l'ignorance de la
religion, de la culture et de l‟histoire arabe.
La construction identitaire dans le contexte migratoire s‟effectue à
travers les médias et l‟enseignement de la langue arabe. La presse ethnique et
audiovisuelle renforce l‟appartenance ethnique des Arabes dans la diaspora. La
proximité affective établie avec ses moyens de communication par les membres de
la communauté arabe à Londres reflète leur rôle dans la vie des immigrants arabes
dans la capitale britannique. La presse ethnique et les chaînes de télévision
transnationales contribuent au développement d‟un sens d‟identité arabe. La
question de l‟identité est incontournable dans le rapport aux médias, que ce soit une
presse ethnique ou audiovisuelle. C‟est ce souci identitaire qui motive la
consommation médiatique qui s‟accentue en raison de la familiarité des référents
culturels.
Les médias, notamment la télévision, constituent un moyen
d‟identification symbolique pour le groupe minoritaire et un point de repère
important qui lie symboliquement ce groupe à une culture. Les médias
transnationaux, grâce aux mutations technologiques, changent le processus
d‟intégration, d‟enculturation et d‟identification de la minorité arabe à Londres. Ces
médias permettant à cette communauté de cultiver son appartenance culturelle. Ce
phénomène a tendance à renforcer le maintien des identités particulières et à faire
évoluer, parfois même profondément, les cultures migrantes. La représentation
103
physique et symbolique des communautés immigrantes à la télévision du pays
d‟accueil est une stratégie qui peut favoriser la diversité culturelle. Les moyens de
communication s‟avèrent d‟importance dans la mesure où ils peuvent être
considérés comme appui à une stratégie culturelle visant l‟intégration interculturelle
des nouveaux arrivants dans la société d‟accueil209
.
Par contre, un manque de représentation entraînerait une aliénation
des médias britanniques en raison d‟absence de points de référence culturelle pour
les minorités culturelles. „Le sentiment d‟appartenance nationale, qui nait d‟un
double processus d‟identification et de reconnaissance, n‟est en mesure de se
développer que si les individus peuvent d‟une manière ou d‟une autre, se voir
refléter dans la culture qui les entoure210
.‟ En un mot, la présentation médiatique des
minorités culturelles peut jouer un rôle significatif en manifestant un signe
d‟ouverture et une possibilité d‟identification symbolique à la société d‟accueil.
Dans ce sens, les membres de la société majoritaire peuvent passer d‟un groupe
ayant des opinions négatives envers les immigrants à un groupe dont les opinions
sont positives, à travers les médias.
209
A. Sreberny, Include me,, p.75. 210
D. Lassalle, Les Relations interethniques, p.224.
104
Cinquième V : L’intégration politique et socioculturelle
Introduction
La stabilisation des populations d‟origine ethniques et culturelles
différentes dans l‟espace européen a engendré des turbulences des modèles
monoculturels incarnés par les Etats-nations. L‟homogénéité relative fut
bousculée par l‟arrivée des immigrants pendant la période postcoloniale. La
diversité culturelle devient, par conséquent, de plus en plus visible et prendra de
l‟ampleur au fur et à mesure des mutations au niveau des composantes ethniques et
culturelles. L‟installation des minorités culturelles dans un nouvel environnement
culturel relève des questions d‟intégration et de coexistence. Plusieurs approches
ont tenté de répondre à ces mutations et aux défis qui s‟imposent en matière de
cohésion sociale et du déchirement du tissu social du fait de la diversité culturelle
et ethnique. La tendance assimilationniste prône l‟alignement des cultures des
groupes minoritaires sur la culture majoritaire ; tandis que la tendance d‟intégration
favorise plutôt la diversité culturelle.
Les sociétés modernes, caractérisées par une importante diversité ethnique,
culturelle, et religieuse, ont tenté de répondre au défi de cette diversité à travers des
modèles d‟intégration censés réguler les rapports intercommunautaires. La théorie
assimilationniste, qui connut ses heures de gloire aux Etats-Unis et en Angleterre
avant les années soixante, appuie la tendance à l‟universalisme et à l‟uniformisation
des modes de vie. Cette tendance, qui œuvra à assimiler les nouveaux arrivants,
était prédominante au dix-neuvième siècle aux Etats-Unis. Elle mettait l‟accent sur
la supériorité de la race anglo-saxonne et exigeait le renoncement des immigrés à
leur héritage culturel et l‟adoption du mode de vie anglo-saxon211
. C‟est ainsi que
le melting-pot devient le thème majeur de la politique américaine au début du
vingtième siècle.
211
T. Jacoby, Reinventing the Melting-Pot, p.88.
105
La tendance assimilationniste, qui marqua le passé colonial des
puissances coloniales et était le concept idéologique pour asseoir une domination
au sein des colonies, fut renversée par la lutte des Noirs aux Etats-Unis et des pays
qui étaient sous occupation coloniale aussi bien en Afrique qu‟en Asie. Depuis les
années soixante, les mutations culturelles des sociétés occidentales, suite à
l‟immigration en provenance d‟anciennes colonies, interpellent les pays
occidentaux. Le débat politique est axé sur les questions de l‟identité nationale et
du multiculturalisme pour faire face aux implications et aux défis de sociétés
ethniquement hétérogènes.
En Grande-Bretagne, la fin du système colonial engendra des flux
migratoires et la première réponse à cette immigration postcoloniale fut d‟abord
l‟assimilation identitaire212
. Le modèle monoculturel fut bousculé suite à
l‟installation des populations immigrées et sa remise en cause impose la nécessité
de revoir la politique de la gestion de la diversité culturelle. Les minorités peuvent
être absorbées, assimilées ou intégrées par la population autochtone qui, dans ce
cas, joue le rôle majeur dans le processus.
1. La politique britannique en matière d’intégration
1.1 Assimilation ou absorption dans un Etat-nation
Une politique d‟assimilation suppose un rôle passif d‟une culture
vis-à-vis d‟une autre. Les rapports entre immigrés et société d‟accueil sont basés
sur un passage unilatéral aux modèles de comportements de la société majoritaire.
Dans cette perspective de relations, le groupe culturel minoritaire est censé devenir
semblable au groupe culturel dominant. Par conséquent, tout doit être mis en œuvre
pour oublier les traits culturels minoritaires et acquérir les traits culturels dominants.
Les mots intégration et assimilation sont carrément différents. Le premier implique
l‟intégrité de la personne, qui, non dissoute dans le groupe majoritaire, maintient ses
traits culturels. Le second, par contre, est équivalent à la négation et à la
disparition de cette intégrité et l‟adoption des valeurs culturelles de la société
d‟accueil.
212
M. Pélisier, A. Paechat, Les Modèles d’intégration en question, p.66.
106
A partir des années cinquante, la Grande-Bretagne tenta de gérer
l‟arrivée massive des immigrants des anciennes colonies. La position officielle
mettait au début l‟accent sur l‟assimilation, c‟est-à-dire l‟absorption des différents
groupes ethniques dans l‟homogénéité relative de la société britannique213
. Cette
tendance, prévalant au départ, était inspirée d‟une idéologie assimilationniste qui
aspirait à l‟élimination de la différence et à l‟intégration des immigrants dans la
société britannique214
. Avec l‟apparition des premières tensions entre immigrés et
Britanniques à la fin des années cinquante furent prises les premières mesures de
restriction de l‟immigration215
.
Ces mesures fortifiaient le maintien de la culture majoritaire par
l‟encouragement des divers groupes ethniques à s‟assimiler à la culture nationale.
Les cultures minoritaires étaient présentées comme une menace à la culture
britannique et à la cohésion sociale, notamment dans le discours du conservateur
Enoch Powell, qui fut exclu du parti conservateur en raison de ses idées
extrémistes216
. En 1968, il prononça à Birmingham son discours dit des „‟Rivers of
Blood „‟ dans lequel il manifestait une opposition farouche à l‟immigration et aux
mutations ethniques subies par la société britannique. En gros, cette idéologie
d‟assimilation, qui était le discours prédominant en Grande-Bretagne dans la
période de l‟après guerre, projetait une image de la Grande-Bretagne comme entité
culturelle homogène.
A partir du milieu des années soixante ce modèle assimilationniste fut
concurrencé par un nouveau modèle d‟intégration reconnaissant les identités
culturelles des communautés ethnique. Ce modèle nécessitait la prise en
considération de cette nouvelle configuration à travers l‟adaptation du système
éducatif aux nouvelles données résultant de l‟émergence de nouveaux groupes
ethnoculturels.
213
J. Rex, Ethnic Minorities in the Modern Nation State, p.32. 214
D. Lapeyronnie, (ed), Les Politiques locales d’intégration, p. 359. 215
A. Favell, Philosophies of Integration, p.103. 216
Ibid. p.105.
107
1.2 Reconnaissance de la diversité culturelle
Le concept de pluralisme culturel indique l‟acceptation de la
diversité culturelle dans une société devenue au fil des années ethniquement
hétérogène. S‟opposant à la notion d‟assimilation, il indique la capacité de
confronter et d‟échanger les valeurs et les modèles de comportement aussi bien de
la part de l‟immigré que de la société d‟accueil. Comme un système qui tolère la
diversité des valeurs et des modes de vie des minorités ethniques, chaque groupe
ethnique a l‟occasion de développer et de maintenir sa propre culture et ses
traditions.
La tendance réductrice et conservative de l‟assimilation fut
abandonnée par les travaillistes lors du mandat de Roy Jenkins217
. Ce dernier
parlait de l‟intégration non pas comme d‟un processus d‟assimilation, mais plutôt
comme une combinaison du respect, de la diversité culturelle, de l‟égalité des
chances et de la tolérance mutuelle. Selon cette vision pluraliste de la société, les
différentes communautés culturelles interagissent dans un esprit d‟égalité et
d‟ouverture. Ces minorités jouissent du droit de maintenir et de perpétuer leur
propre culture dans le contexte familial et communautaire. Ainsi, sous réserve du
respect des institutions considérées comme centrales au mode de vie britannique,
elles peuvent pratiquer leurs religions, utiliser leurs langues et maintenir leurs
coutumes collectives. L‟intégration pluraliste s‟oppose à la notion d‟assimilation et
suppose le partage d‟un certain nombre de valeurs et le désir de participer à
l‟édification d‟un ensemble par une interaction culturelle218
.
L‟égalité des chances est au cœur de cette politique d‟intégration.
L‟une des grandes revendications du pluralisme culturel est la mise en place de
politiques spécifiques à destination des minorités ethniques. Le but est le
redressement de certaines discriminations et l‟affirmation, après la reconnaissance
de la diversité culturelle, de l‟interaction et le brassage de cultures. C‟est dans ce
217
Roy Jenkins, membre éminent du parti travailliste en Grande-Bretagne, ministre d'Etat dans les années
soixante et soixante-dix, devient l'un des quatre membres fondateurs du Parti social démocrate (1981-88) de
Grande-Bretagne au début des années quatre-vingt. 218
M. Khellil, L’Intégration des Maghrébins en France, p. 52.
108
contexte que s‟inscrivent les textes législatifs, les Race Relations Acts (1965, 1968,
1976, 2000) adoptés en Grande-Bretagne pour gérer la diversité ethnique et
culturelle, notamment en adoptant le Race Relations Act (1976), qui allait instituer
la Commission for Racial Equality. Pourtant, la reconnaissance du
multiculturalisme ne signifie pas automatiquement des liens et des interactions
entre les différentes communautés ethniques. Une société peut tolérer la
juxtaposition des différentes cultures sans aucune interaction sociétale. Le rapport
intercommunautaire implique le brassage des cultures au lieu de la simple
juxtaposition, des liens d‟entente et d‟échange entre le courant dominant de la
société d‟accueil et les membres des communautés immigrées.
Pour plusieurs auteurs, l‟intégration passe par une participation sociale et
politique219
. La participation politique constitue un acte majeur qui peut favoriser
l‟intégration des nouveaux arrivants dans la société d‟accueil à travers l‟intégration
des institutions dirigeantes du pays d‟accueil. L‟intégration, pour d‟autres, est
l‟incorporation des immigrés dans un ensemble social et culturel, et donc le passage
d‟une culture traditionnelle à une culture moderne, qui est aussi leur transformation
en nationaux du pays d‟accueil220
.
S‟agissant des recettes de l‟intégration que notre recherche vise à explorer,
nous tâcherons d‟aborder la participation politique de la communauté arabe et
l‟intégration socioculturelle. A travers le questionnement sur la participation
politique de la communauté arabe à Londres, nous ciblons la révélation ou le
marquage de la quête d‟une identité et d‟un sens de communauté intégrée chez
cette communauté. L‟immigration peut mettre en cause les aspects sociaux
d'appartenance et le maintien rigide des traits culturels du pays d‟origine. Ainsi,
l'identité familiale et les liens familiaux au sein du groupe minoritaire, les
remaniements des structures familiales, la pression des modèles familiaux du pays
d'accueil sur les différents membres de la communauté arabe, le mariage mixte, tels
219 D. Lapeyronnie, L’Individu et les minorités, p.98. 220
D. Lapeyronnie, Les Politiques locales d’intégration des minorités immigrés, p.7.
109
sont des aspects que nous tenterons d‟analyser dans ce chapitre pour mettre l‟accent
sur l‟intégration socioculturelle dans le nouvel environnement culturel.
2. La participation politique comme moyen d’intégration
2.1 La participation politique
La participation politique désigne „‟l‟ensemble des activités par
lesquelles les citoyens sont habilités à entrer en contact avec l‟univers du
pouvoir221
‟‟. Selon les politologues, elle a deux fonctions contradictoires. D‟une
part, c‟est un moyen à travers lequel ceux qui sont au pouvoir protègent et
renforcent leurs acquis et avantages économiques et sociaux. D‟autre part, à
travers l‟action politique, les classes sociales exclues de l‟exercice du pouvoir
cherchent à faire contrepoids à cette situation. La plupart des actes de participation
politique sont orientés vers la classe gouvernante afin d‟influencer ses décisions.
Plusieurs moyens de pression comme les manifestations et les boycotts sont utilisés
par les partis politiques, les organisations syndicales, ou la société civile afin de
faire entendre leurs voix et revendications. Ainsi, on peut distinguer la participation
conventionnelle et la participation protestataire. A travers la première, les gens
manifestent leur intérêt ou le désir de contester la pratique politique de ceux qui
sont au pouvoir par une participation électorale. La conscience politique, dans ce
sens, est un facteur qui incite à l‟engagement politique des citoyens. Ces derniers
participeront d‟autant plus à la politique qu‟ils auraient été éduqués à adopter des
attitudes civiques. Ces attitudes, qui sont de façon générale adoptées par l‟élite de la
société, incluent l‟intérêt et la connaissance de la politique, le sens de l‟efficacité
politique et le sentiment de l‟obligation de participer.
La deuxième désigne l‟ensemble des actions collectives mobilisant des
citoyens unis par des revendications communes. L‟implication peut regrouper des
personnes qui s‟identifient à une communauté, une association, ou un
regroupement sur des bases professionnelles. L‟engagement consiste à réagir
ensemble pour défendre des intérêts communs. La participation peut être
symbolique, comme la signature d‟une pétition, le fait de rejoindre une
221
B. Dennin, P. Lecomte, Sociologie du politique, p.11.
110
manifestation dans la rue afin de monter sa solidarité avec des personnes, des idées,
ou des buts. Ces buts peuvent être altruistes, comme une campagne contre la
guerre dans un pays pour exprimer une identité politique, une opinion ou un
désaccord.
2.2 Les minorités ethniques et les partis politiques britanniques
L‟immigration et la question de la diversité ethnique émergèrent
comme des facteurs majeurs dans la vie politique en Grande-Bretagne après la
publication d‟un rapport de la commission pour les relations communautaires
(Community Relation Commission) sur la participation politique des minorités en
1975. Les partis politiques britanniques prirent des initiatives afin d‟attirer
l‟électorat issu des minorités ethniques et particulièrement l‟électorat noir222
.
L‟électorat noir, notamment les immigrants des anciennes colonies britanniques en
Afrique et aux Antilles, était mieux représenté au sein du parti travailliste qui, à
partir de la publication dudit rapport sur la participation des minorités ethniques
aux élections en Grande-Bretagne, forma un groupe d‟action raciale (Race Action
Group) comme groupe de pression au sein du parti afin d‟influencer ses décisions
sur les questions raciales223
.
Dans ce contexte, le comité des affaires intérieures (the Home Affairs
Committee) du parti travailliste, partant du constat de l‟importance du vote noir,
suggéra des politiques sur l‟immigration, la nationalité britannique et l‟action
positive. Ces politiques furent mises en œuvre pour gagner le soutien des minorités
ethniques lors des élections et favoriser l‟établissement d‟une relation solide avec
la classe ouvrière à laquelle appartiennent beaucoup des gens issus de la minorité
noire.
Par ailleurs, dans le but de s‟organiser comme groupe de pression
afin d‟influencer les décisions du parti travailliste, une section noire (Black Labour
Section) fut formée par les militants noirs vers la fin des années soixante-dix.
222
M. Anwar, Race and Politics, p.84. 223
Ibid. p.89.
111
Animée par le désir d‟arracher une reconnaissance, l‟action de cette section
consistait à assurer le soutien de la politique du parti travailliste à travers le
recrutement des Noirs pour le parti et l‟affirmation de leur présence dans ses
structures et sur les listes électorales lors des élections224
. Le succès de la section
noire du parti était organisationnel plutôt que politique. C‟est un groupe de pression
constitué non pas sur programme politique, mais plutôt par le besoin de la
reconnaissance et de la représentation des Noirs. Avec l‟élection de quatre Noirs
lors des élections parlementaires de 1987, la communauté noire réussit à se frayer
un chemin dans le paysage politique britannique.
Le parti conservateur adopta au début une ligne très dure quant à
l‟immigration. Avec le constat que le vote noir a un poids lors des élections, ce parti
lança également une compagne pour le recrutement des Noirs à partir de ses défaites
successive à partir de 1974225
. Les conservateurs formèrent en 1976 un département
central pour les affaires communautaires (Central Office Department of Community
Affairs) à qui la promotion des relations du parti avec les minorités ciblées fut
assignée. Des unités spéciales des minorités ethniques au sein du département des
affaires communautaires comme la société anglo-asiatique (Anglo-Asian Society) et
la société anglo-indienne (Anglo-Indian Society) furent formées pour recruter des
sympathisants au sein de ces minorités ethniques et promouvoir l‟image du parti
conservateur. Après la dissolution de ces unités, „ One Nation Forum’ fut établi
comme organisation multiraciale qui fonctionne comme organisme consultatif pour
le parti226
. Le forum qui, compte environ 60 membres, y compris des représentants
de toutes les minoritaires ethniques, est censé rassembler les idées et les sentiments
de toutes les composantes du pays afin de refléter la diversité ethnique de la
société britannique.
Le parti libéral est très connu par ses positions contre la
discrimination raciale et la défense des droits des immigrés. Ce parti a rejeté, par
exemple, les décisions prises quant à la restriction de l‟arrivée des immigrés des
224
T. Sewell, Black Tribunes, p.23. 225
Ibid. p.85. 226
Ibid. p.65
112
pays du Commonwealth. Pour traiter les questions de race et d‟immigration, le
parti traite les questions de race et d‟immigration, à partir de 1969, à travers le
Community Relations Panel227
, organisme qui se réunit régulièrement pour
conseiller le parti sur les questions de race et d‟immigration, surtout lors des
campagnes électorales. Avec l‟apparition du parti social-démocrate sur la scène
politique britannique pendant les années quatre-vingt, la campagne social-
démocrate pour la justice raciale (Social Democratic Campaign for Racial Justice)
fut organisée comme un organisme multiracial dont la fonction consiste à recruter
des gens issus des minorités ethniques.
Le parti national du pays de Galles (Plaid Cyrmu) et le parti
national écossais (Scottish National Party) essayent également de favoriser
l‟intégration politique des personnes issues des minorités ethniques. Cette stratégie
s‟est traduite par l‟élection d‟un candidat issu de la communauté pakistanaise au
sein du parlement écossais et l‟entrée d‟un autre candidat à l‟assemblée nationale
galloise en 2004. Pourtant, le poids du vote des minorités ethniques en Ecosse et au
pays de Galles ne pèse pas de la même force qu‟en Angleterre. En effet, l‟Ecosse et
le pays du Galles abritent uniquement une proportion faible des minorités ethniques
en Grande-Bretagne, 1,25%, d‟où l‟absence d‟organismes au sein de ces partis pour
stimuler le vote des minorités ethniques.
En somme, les partis politiques britanniques qui constituèrent au sein
de leurs partis des organismes pour promouvoir l‟image des partis au sein des
minorités ethniques reconnurent l‟importance du vote ethnique lors des élections.
La présentation des candidats issus des minorités ethniques, ou la traduction des
programmes politiques en langues des minorités, sont des pratiques destinées à la
mobilisation de ces minorités et à s‟assurer de leur soutien lors des élections.
L‟importance des minorités ethniques dans le processus politique britannique est
donc incontestable. Pourtant, la représentation des minorités ethniques dans le
parlement britannique est très faible par rapport à la proportion de ces minorités
dans la population britannique. Avant 1987, il n‟y avait eu que quatre
227
M. Anwar, Race and Politics, p.91.
113
parlementaires issus des minorités ethniques, élus en 1841, 1892, 1895 et le dernier
en 1922. En 1987 quatre parlementaires noirs ont été élus. Depuis, le nombre de
parlementaires issus des minorités ethniques augmente régulièrement à chaque
élection dans un Parlement qui comprend 646 membres depuis 2005. Les trois
principaux partis ont présenté aux dernières élections de 2005 et 2010 des
candidats non-blancs sur des postes éligibles. Un candidat du parti libéral a été élu
lors d‟une élection partielle en 2004. Les conservateurs ont deux représentants de la
diversité dans la chambre des Communes actuelle. A la chambre des Lords, le
premier pair indien fut nommé en 1919 et le premier Noir en 1969. Il y a
actuellement 31 représentants de la diversité sur un total de 746 pairs.
La progression de la représentation des minorités est quasiment
microscopique et, à ce rythme, il faudrait plusieurs décennies avant que cette
dernière ne reflète véritablement la composition ethnique du pays228
.
L‟augmentation de la représentation des minorités ethniques dans ce processus
politique est liée à l‟intégration des structures des partis dans le but d‟assumer des
rôles politiques au sein des institutions politiques britanniques : partis politiques,
syndicats, parlement229
. De même, les partis politiques sont invités à encourager
l‟intégration des minorités ethniques dans le processus politique.
2.3 La communauté arabe et la participation politique
La participation politique de la communauté arabe à Londres
fonctionne selon deux dimensions. D‟un côté, l‟une des manières les plus concrètes
de manifestation à caractère politique est l'action spontanée de protestation et de
révolte pour apporter un soutien au profit des événements en relation avec le
monde arabe. De l‟autre côté, la dimension formelle se traduit par le fait de
rejoindre les partis politiques ou de manifester une volonté globale ou individuelle à
l‟occasion d‟une élection à travers le vote.
228
D. Lassalle, Les Relations raciales, p.123. 229
M. Anwar, Race and Elections, p.50-151.
114
2.3.1 Participation informelle : une participation protestataire
Le soutien aux questions du monde arabe reste le terrain de
l‟investissement politique d‟une grande catégorie de la communauté arabe de
Londres. Des rassemblements publics à une grande échelle s‟organisent pour
exprimer le sentiment amer de la communauté au sujet des guerres et des conflits
au Moyen-Orient. Cette dimension de la participation politique a un caractère
transnational fort et le conflit au Moyen-Orient reste l‟axe autour duquel pivote
l‟action politique. Il continue d‟être une impulsion pour rassembler les membres de
la communauté arabe de Londres. La mobilisation politique lors des élections dans
la société d‟accueil, comme facteur favorisant l‟intégration, est encore loin d‟avoir
un poids significatif. Cette démobilisation politique peut être expliquée aisément
par le manque d‟une culture de participation politique antérieure et solide dans les
pays d‟origine. En effet, l‟initiation à la pratique politique et électorale après
l‟indépendance dans la plupart des pays arabes est dominée par une rupture entre
gouvernants et gouvernés230
.
La vie politique dans ces pays fut confisquée non seulement par un parti
unique mais par une seule personne promue au rang de source de l‟autorité231
. Dès
le début, la participation politique au sens moderne fut diminuée par la lutte
nationale et la nécessité d‟établir des pratiques unificatrices qui furent propagées et
diffusées sous forme d‟une culture traditionnelle basée sur le concept de
consensus232
. Cette préoccupation fut maintenue dans la construction de l‟Etat
national et se manifeste dans une appropriation prépondérante de l‟Etat par une
classe qui accumule tous les pouvoirs et exerce sa propre domination politique.
Le résultat fut d‟abord la mise en place d‟une autorité
charismatique qui marginalise toutes les couches sociales, dont la liberté octroyée
consistait à chanter la gloire d‟un pouvoir unique. Une participation plus active
230
Arab Human Development Report 2002, p.108-109. 231
L. Anderson, „Democracy in the Arab World: A Critique of the Political Culture Approach‟, Political
Liberalization and Democratization in the Arab World, p. 84. 232
S. Ibrahim, „Liberalization and Democratization in the Arab World: an Overview‟, Political Liberalization
and Democratization in the Arab World, p.29-57.
115
dans la vie politique est occultée par une confiscation du droit exclusif d‟exercer
l‟autorité politique. Les institutions de la société civile se maintiennent grâce à un
appui étatique qui fournit le moyen et les instruments de la répression légale pour
éliminer toute contestation dans certains pays. Cette pratique engendra le discrédit
des organisations politiques et entraîna un vide institutionnel et idéologique.
Les activités transnationales de la participation politique ne
signifient pas que les membres de la communauté arabe de Londres ne s‟intéressent
pas à l‟activité politique dans le pays d‟accueil. La participation politique dans les
systèmes politiques et électoraux du pays d‟accueil, comme exemple concret d‟une
tendance à l‟intégration au sein de la société britannique, reste faible. Cette faible
participation s‟explique par un discours dominant de „retour‟ au pays arabe
d'origine chez certains. Étant donné que de nombreux Arabes pensent que leur
séjour en Grande-Bretagne est temporaire, il n'est pas étonnant qu'il y ait une
réticence à assumer des fonctions publiques d‟engagement implicite dans le pays de
la résidence actuelle233
. Un grand nombre de membres de la communauté arabe
sont engagés dans des activités de lien entre la Grande-Bretagne et le monde arabe,
que ce soit dans le journalisme, la finance, ou les opérations commerciales.
Pourtant, une catégorie de la communauté arabe tient un discours de l‟ethnicité et
de la citoyenneté combiné avec un positionnement comme membres de la société
britannique. Sans parler explicitement d‟assimilation, se révèle le désir de
s‟accommoder et de contribuer à la société britannique afin de s‟intégrer
politiquement.
2.3.2 Participation formelle : expression de citoyenneté et d’intégration
Les membres de la première génération de la communauté arabe de
Londres se considéraient comme des étrangers ou des résidents temporaires.
Politiquement passifs, ils ne s‟intéressaient pas à la vie politique de la société
d‟accueil par souci d‟obéir aux lois et d‟éviter les ennuis. Les premiers arrivants se
233
K. Ghada, „the Arab Community and British Public life: the Need for Greater Participation‟, Arabs in Britain,
[Conference on Arab communities in Britain, Saturday 6th October 1990, University of London, School of
Oriental and African studies] p.29-32.
116
marginalisèrent en s‟attachant obstinément à leurs coutumes sans mixité sociale
avec les autres communautés. Leur seule activité politique était l‟organisation
communautaire et les activités à domination professionnelle par les travailleurs
immigrés du Yémen234
. Le regroupement sur une base religieuse, pour les premiers
immigrants, était également l‟illustration de la communauté, du pays et de la nation.
Le manque d‟intérêt politique changea relativement avec l‟arrivée en
Grande-Bretagne d‟une nouvelle vague d‟immigrants qui, contrairement aux
premiers, était bien qualifiés et politiquement active. Le niveau d‟éducation et le
statut social des nouveaux arrivants, qui fréquentaient les universités européennes et
appartenaient à l‟élite intellectuelle et politique du Moyen-Orient, sont à l‟origine
de leur participation et de leur ouverture sur la société britannique.
La participation politique entre générations qui composent la communauté
arabe de Londres est différente. L‟activité politique participante dans la société
d‟accueil est gouvernée par plusieurs facteurs. Les personnes avec un capital
scolaire et intellectuel très élevé tendent à être plus politiquement actives. Plusieurs
facteurs influent sur la participation politique, notamment le capital intellectuel, le
genre, l‟âge et le degré d'adaptation culturelle. La participation politique diffère
entre femmes et hommes. Cette diversité semble être l‟incarnation même de la
situation arabe où le taux de participation politique des femmes reste limité.
La tentative d‟individus de la communauté arabe de se présenter comme
candidats lors d‟élections locales et parlementaires, aussi bien que la formation
d‟un parti politique lors des dernières élections législatives de 2005 - Arab Party
of Civilisation- par un groupe des élites arabes, des intellectuels et des hommes
d‟affaires britanniques d‟origine arabe, est un exemple concret d‟une tendance au
sein d‟une minorité voulant trouver ce qu'elle considère comme une voix plus
appropriée d‟intégration dans la société britannique. Elle commence à montrer un
intérêt accru à la participation dans la vie politique en Grande-Bretagne,
contrairement aux premières générations d'immigrés arabes qui s'étaient investis
234
F. Halliday, „Yemeni Workers‟ Organisation in Britain‟, Race and Class, April-June 92, p.47-61.
117
plus dans les domaines économiques et financiers sans prêter intérêt à la
participation dans le processus de prise de décision politique. La ligne politique
tracée par ce parti est construite sur deux piliers, à savoir l‟identification ethnique
arabe et l‟appartenance à la société britannique.
Ce groupe d‟activisme politique cherche à être panarabe, c‟est-à-dire à baser
son union non sur une religion commune, mais sur une „arabité‟. Tout en
s‟identifiant avec le monde arabe, ce groupe politique est davantage concerné par
l‟intégration politique dans le pays d‟accueil. La construction de la communauté
arabe comme composante de la société britannique est une préoccupation de ces
élites qui espèrent avoir une influence sur les questions politiques concernant le
monde arabe.
La promotion de l‟arabité comme identité conjuguée avec l‟attachement
citoyen à la société britannique traduit la préoccupation d‟une partie de la
communauté arabe d‟affirmer sa citoyenneté au sein de la société britannique au
lieu de préconiser une tendance purement transnationale. Le positionnement comme
membres de la société britannique et comme citoyens est un intérêt majeur.
Autrement dit, cette catégorie favorise une citoyenneté à travers l‟affirmation de
l‟arabité comme composante d‟une société britannique multiculturelle. C‟est un
premier pas vers l‟intégration de la communauté arabe dans la vie politique
britannique. Désormais il y une tendance à l‟intégration dont le relais est entre les
mains uniquement d‟une élite et la participation politique arabe reste limitée
puisqu‟il n‟y a actuellement aucun élu arabe au sein du parlement britannique
même si les partis politique commence à présenter, lors des élections, des personnes
appartenant à cette minorité : deux candidates étaient présentées lors du scrutin
législatif de 2005 sous les couleurs du parti conservateur.
3. La communauté arabe et l’intégration socioculturelle
Dans une situation d‟immigration, les minorités, avec des repères culturels
différents, sont confrontées généralement à un dilemme de déchirement entre une
tendance naturelle à préserver leur singularité culturelle et la pression à
118
l‟assimilation et à l‟intégration exercée par le nouvel environnement culturel. Ce
dilemme devient très problématique lorsque la résistance au processus de
l‟intégration culturelle est renforcée paradoxalement par deux facteurs, à savoir
d‟une part, l‟attachement excessif du groupe minoritaire à sa culture et le rejet de la
culture de la société d‟accueil, et d‟autre part, la réticence exprimée par cette
dernière.
L‟organisation sociale dans la société arabe est construite sur l‟affiliation
culturelle. La famille est l‟institution sociale à travers laquelle individus et groupes
se transmettent leurs traditions et valeurs. Elle est l‟incarnation des valeurs
traditionnelles et le centre de l‟organisation sociale et des activités socio-
économiques. Sa construction sur des unités socio-économiques se manifeste par
la coopération entre tous les membres de la famille pour assurer sa continuité et sa
position dans la communauté235
. Le concept de la famille reflète un engagement
mutuel et une relation d‟interdépendance et de réciprocité qui relie tous les
membres de la famille par des liens de soutien et de solidarité236
. Pour mesurer
l‟intégration socioculturelle de la communauté arabe à Londres, cette section a pour
but de mettre la lumière sur son adaptation socioculturelle à travers l‟exploration
des rapports au sein de la famille et les tendances de la préservation culturelle ou de
l‟intégration culturelle participante.
3.1 La communauté arabe : entre tradition et modernité
La famille arabe est traditionnellement caractérisée par son aspect patriarcal
qui est hiérarchique selon le sexe et l‟âge. Ce modèle de l‟organisation patriarcale
stipule que tous les membres de la famille arabe, y compris l‟épouse et les enfants
célibataires vivant sous le même toit, sont subordonnés à l‟autorité du père. Cette
vie communautaire répond de façon générale à des impératifs fondés selon un
ordre à la fois économique et social237
. La position du père au sommet de pyramide
235
H. Barakat, The Arab World, Society, Culture and State, p.97. 236
Ibid. p.98. 237
D. Posusney, Women and Globalization in the Arab Middle East, p. 83.
119
de l‟autorité lui permet d‟avoir un pouvoir économique d‟une part et une autorité
sans partage de l‟autre238
.
Par ailleurs, la société arabe traditionnelle assigne un rôle secondaire à la
femme qui est souvent exclue de la division du travail et en tutelle perpétuelle239
.
Dans la hiérarchie de l‟autorité, chaque sexe se trouve préparé à son rôle dans la
vie. La sœur est soumise au frère et la mère est soumise au père qui décide de tout
dans les domaines privés tels que le mariage et le divorce d‟une manière qui suscite
une crainte à son égard240
.
Dans le nouvel environnement culturel, des mutations s‟accomplissent au
sein de la famille arabe suite à l‟émergence des unités socio-économiques
compétitives et à l‟entrée de la femme dans le monde du travail. La famille
traditionnelle avec ses implications en termes du contrôle des jeunes, du statut de la
femme et du mariage arrangé est défiée par l‟idéologie de l‟individualisme et de la
liberté.
Autrement dit, la tradition patriarcale et la stratification des familles sur la
base du sexe et de l‟âge sont contestées. Même si la famille reste patriarcale et
hiérarchique dans sa structure, une tendance à partager l‟autorité et la responsabilité
entre membres de la famille commence à gagner le terrain. Comme immigrant, le
père, qui voit son rôle de seul pourvoyeur remis en question, se trouve dans une
situation nouvelle avec laquelle il est appelé à composer et à s‟adapter, notamment
lorsqu‟il s‟agit de son autorité sur ses enfants et particulièrement sur ses filles,
symbole de l‟honneur de la famille. Quant à la mère, elle s‟adapte un peu mieux à
sa nouvelle situation et acquiert plus de droits que dans le pays d‟origine.
De ce fait, ce revirement au sein de la famille arabe aide les jeunes issus de
l‟immigration à adopter et assimiler facilement les valeurs de la société d‟accueil.
A l‟aide de l‟école et des amis, un transfert culturel survient dans la vie de la
jeunesse. Désormais, elle connaît une double vie, à la maison et à l‟extérieur, avec
238
M. Nydell, Understanding Arabs, p.52. 239
J. Minces, La Femme dans le monde arabe, p.38. 240
M. Nydell, Understanding Arabs, p.48.
120
une double identité, même si l‟identité britannique est certainement plus dominante
chez certains. Les valeurs adoptées par la jeunesse arabe en situation d‟immigration
entrent assez régulièrement en contradiction avec les valeurs des parents, surtout sur
la base de plusieurs aspects de la vie quotidienne comme les rapports entre les
sexes.
Les parents se sentent donc menacés dans leur autorité d‟où des conflits de
générations, qui existent même dans le pays d‟origine, mais qui sont plus complexes
et amplifiés dans le contexte de l‟immigration. Les conflits de générations occupent
une place centrale dans les rapports au sein de la famille arabe. Ces conflits se
situent au niveau de la collision entre une vision qui ne souhaite pas renoncer à ses
normes et une ouverture sur les normes du milieu d‟accueil. Ce conflit engendre un
déchirement de la jeunesse arabe entre les traditions affichées pour faire plaisir aux
parents et les désirs de comportement moderne.
Le processus d‟intégration aux principes et à la morale de la société d‟accueil
est confronté aux blocages posés par la diversité des prescriptions culturelles. Si,
dans la famille occidentale, l‟esprit de liberté persiste, la famille arabe s‟attache
aux traditions. De manière générale, on constate chez la communauté arabe une
hésitation entre plusieurs types de comportements. Dans le discours sur les
traditions, l‟adoption des attitudes nouvelles à l‟égard des valeurs de la société
d‟accueil s‟oppose à l‟attachement aux traditions. Pour ceux qui suivent ce
cheminement et cet esprit, la modernité commence là où prend fin l‟éducation
traditionnelle teintée de restrictions qui fait l‟objet de critiques acerbes dans une
autre catégorie de la communauté arabe.
Si, chez le groupe dominant, le mariage est une modalité parmi d‟autres pour
constituer une famille, pour la majorité écrasante de la communauté arabe de
Londres, le mariage est le seul moyen pour fonder une famille ou pratiquer une
sexualité241
. Ainsi, le domaine de la sexualité est un grand domaine de désaccord
entre les deux communautés. Chez le groupe minoritaire arabe, la sexualité est régie
241
N. El Saadawi, The Hidden face of Eve, p. 145.
121
par des règles sociales qui sont appliquées uniquement au sexe féminin malgré les
lois religieuses qui énoncent que le seul cadre légal de la sexualité pour les deux
sexes est le mariage. En appliquant cette règle aux filles, la virginité est la condition
essentielle de la réussite de son mariage. Sa préservation est une préoccupation de
l‟entourage et la plus grande partie de l‟éducation réservée aux filles est liée à ce
souci242
.
S‟agissant de la sexualité d‟une personne mâle, les migrants ne lui appliquent
aucune restriction sérieuse. D‟autant plus qu‟un homme, selon les lois sociales, ne
se surveille pas. Le fait même de savoir que le fils mène une vie sexuelle active est
une source de fierté pour les parents et la preuve de sa virilité. Si l‟homme ne doit
pas être surveillé, une femme, par contre, doit l‟être sous prétexte que la moindre
défaillance dans la surveillance peut porter préjudice à une famille. Les migrants
désignent ce préjudice par des expressions comme la honte ou le déshonneur. Tous
les termes utilisés renvoient à l‟honneur. Il s‟ensuit que la réglementation propre à
la sexualité féminine et, plus globalement, le statut social de la femme, est lié à
l‟honneur de son groupe familial243
.
Toute union qui se fonde entre deux personnes sans passer par le mariage
est considérée comme transgression des lois religieuses et sociales. Le
concubinage est toléré pour le fils tant qu‟il n‟est pas marié. En revanche, les filles
sont soumises à une règle qui associe le fait de vivre en concubinage à la
prostitution. Dès lors, la fille est censée se préserver jusqu‟à son mariage. Le fait de
vivre en union sans lien légal est considéré comme signe de déviation morale
grave et un symptôme socialement reconnu comme signe de „dépravation‟ dans les
mœurs par la communauté ethnique. On voit, à partir de ce raisonnement et par le
rejet du concubinage, l‟importance assignée au mariage comme seul cadre
permettant une sexualité positive.
En résumé, dans le milieu migratoire, les attitudes sociales sont restées
relativement constantes avec une exigence de conformité aux normes culturelles
242
J. Tucker, „The Arab Family in History „‟ Otherness‟‟ and the Study of the Family,‟ Arab Women, p. 197. 243
M. Nydell, Understanding Arabs, p. 43.
122
arabes. Les attitudes arabes sont influencées par la religion et la tradition morale244
.
Les traditions pivotent autour du rôle de la famille, les rapports entre les sexes et le
niveau de la morale sociale. Les normes occidentales sont ressenties comme un
danger, une menace pour un édifice socioculturel fondé sur l‟islam245
3.2 Le mariage mixte : voie d’intégration ?
Le mariage arabe développe plusieurs logiques. Chacune menée à son
terme, présente strictement le contraire des caractéristiques par lesquelles celui-ci se
définit : on passe d‟une volonté de proximité consanguine et statutaire à
l‟éloignement consanguin et à la hiérarchisation des lignées, du refus de l‟échange à
la distinction preneurs/ donneurs des femmes ; enfin du mariage avec la fille du
frère du père à l‟échange des sœurs. L‟unique façon de ne pas aller au bout de ces
logiques contraires consiste à mener une politique matrimoniale d‟ouverture vers
l‟extérieur246
.
Le mariage est traditionnellement perçu comme un mécanisme pour la survie
humaine, le renforcement des liens de la famille et la préservation des biens à
travers l‟héritage. Dans la société arabe, c‟est une affaire familiale plutôt qu‟une
affaire individuelle247
. Le système du mariage arrangé qui stipule l‟intervention des
parents lors du choix des conjoints de leurs enfants est liée à ce concept du mariage
comme affaire de famille248
. La culture dominante dans la société arabe a tendance
à accorder une grande importance à des conditions comme la conformité, la honte,
l‟obéissance et la collectivité. L‟endogamie, qui fut privilégiée dans la société arabe
traditionnelle jusqu‟à nos jours, est d'origine préislamique. Elle était récurrente
avant comme après la révélation coranique. Comme particularité du système des
244
H. Amdouni, La Famille musulmane, p. 125. 245
J. Minces, La Femme dans le monde arabe, p. 161. 246
E. Copet-Rouger, „ Le mariage arabe : une approche théorique‟, Epouser au plus proche, p.457. 247
Ibid. p.107. 248
M. Nydell, Understanding Arabs, p.75.
123
alliances dans le monde arabo-islamique, l‟endogamie est encore dominante chez
les membres de la communauté arabe de Londres.
Dans le contexte diasporique, la pratique du mariage révèle, comme le
graphique ci-dessous le montre, que l‟endogamie est toujours en vigueur et peut
prendre plusieurs formes, notamment ethnique, religieuse, ou nationale. La règle
régissant le domaine des échanges matrimoniaux prévoit une endogamie quasi
absolue pour les femmes, et préférentielle en ce qui concerne les hommes. Cette
endogamie peut être restreinte, allant jusqu‟à la limitation du choix du conjoint au
groupe national. Elle peut aussi s‟étendre au groupe linguistico-religieux, voire au
groupe d‟appartenance religieuse au sens large du terme. Le groupe d‟origine
religieuse arrive en tête des groupes au sein auquel nos enquêtés comptent choisir
leur conjoint, suivi du groupe arabe puis du groupe national. Le groupe exogame est
situé en bas de l‟échelle des choix des intéressés
3.2.1 Endogamie : quand la religion s’impose
L‟endogamie a pour effet la contribution de façon déterminante à la création
d‟un groupe intégré et la limitation de sa tendance au fractionnement. C‟est une
tendance à contracter un mariage à l‟intérieur d‟un groupe partageant des
0
50
100
150
200
250
300
endomagie religieuse
endogamie ethnique
exogamie endogamie nationale
Attitudes quant au choix du conjoint (n500)
124
caractéristiques communes. Le prétexte de ce choix est le fait qu‟un mariage à
l‟extérieur du groupe peut affaiblir l‟appartenance au groupe et engendrer sa
désintégration. La question de l‟origine ethnique du futur conjoint revêt un caractère
primordial pour une grande partie de la communauté arabe de Londres. Les
questionnés évoquent le désir de garantir la continuité de la manière d‟être et la
stabilité de la vie conjugale, de même qu‟une sécurité affective, psychologique.
L‟endogamie ethnique est considérée également bénéfique pour les parents et la
collectivité et une forme d‟entraide entre familles par le renforcement des liens
interfamiliaux et intrafamiliaux d‟un même groupe ethnique.
L‟endogamie ethnique peut se retreindre jusqu‟au groupe national. Les
personnes qui optent pour des conjoints issus de ce même groupe évoquent
l‟importance de la „parenté des origines nationales‟ au sein du couple. Cette parenté
nationale est considérée comme condition nécessaire à la réussite de la vie
conjugale.
L‟islamité du conjoint demeure toutefois le critère auquel se réfère la
majorité écrasante pour valider le choix du conjoint. Cette mise en avant de
l'identité religieuse est repérable dans les intentions relatives au choix du futur
conjoint chez les femmes plus que les hommes. En ce qui concerne les jeunes filles,
la loi civile, en conformité avec la loi religieuse, leur interdit, presque partout,
d‟épouser un non-musulman249
. L‟endogamie religieuse constitue donc un
paramètre assez important dans les possibilités matrimoniales étant donné que la
religion musulmane tend à favoriser le mariage interconfessionnel. En donnant cette
primauté à l'appartenance religieuse, les répondants se démarquent nettement par la
valorisation et l‟identification religieuse.
En effet, la référence à l'islam chez les parents n'affecte guère leur sentiment
d'appartenance aux groupes auxquels ils estiment appartenir en premier lieu
(national, linguistique, culturel) ; même si, sur le plan du discours des migrants,
l'appartenance musulmane se confond parfois avec les autres types avec une
249
J. Minces, la femme dans le monde arabe, p.66.
125
variation au sein de la communauté arabe en ce qui concerne l‟endogamie
religieuse. Les musulmans ont tendance à se marier avec des personnes de même
religion plus que les Arabes chrétiens.
En limitant leur choix à une endogamie ethnique ou religieuse, les
questionnés restent dans la limite de ce que la famille peut tolérer dans le domaine
des alliances matrimoniales. Les parents cherchent à donner à leur enfants les
mêmes idéaux qu‟eux : ils doivent se conduire socialement selon la norme du
groupe. La conformité aux règles courantes du groupe exige une certaine identité et
la conscience religieuse dans ce cas est très importante. Le mariage est sans doute le
point à propos duquel la volonté des parents et la volonté des jeunes filles ont la
plus grande difficulté à s‟accorder. On assiste ainsi à un glissement du mariage
forcé au mariage arrangé qui respecte éventuellement les normes et les exigences
des parents. Dans l‟ensemble, le choix d‟un conjoint au sein du groupe minoritaire
arabe à Londres est gouverné par une tendance endogame ethnique, nationale ou
religieuse.
Pourtant cette tendance est mise en question par une partie de la communauté
arabe qui s‟ouvre aux autres groupes ethniques.
3.2.2 Exogamie ou la relation déchue d’appartenance
Contrairement aux façons de percevoir le mariage au sein du groupe
religieux, ethnique ou national, une série d‟opinions se singularise sur les
conceptions ethniques, religieuses et nationales relatives aux choix du conjoint. Ce
choix met en avant la dimension individuelle et relationnelle d‟un choix conjugal.
Les personnes qui optent pour un mariage exogame, hors du groupe religieux,
national ou ethnique, évoquent les contraintes qu‟implique le mariage avec une
personne du même groupe. Le mariage exogame se présente comme un moyen
d‟échapper aux règles sociales perçues comme entraves au bon déroulement de la
vie conjugale.
126
D‟autre part, une corrélation positive est généralement trouvée entre taux
de mariage exogame et éducation, qui affaiblit les attachements ethniques et
augmente le contact avec des personnes appartenant aux autres groupes ethniques.
L‟émigration des élites ne pose guère de problèmes : l‟intégration se fait d‟autant
plus facilement que le processus d‟occidentalisation a été entamé bien avant le
départ250
. Ceux de la communauté qui ont un niveau d‟éducation plus élevé ont
tendance à se marier sans prendre en compte l‟origine ethnique du partenaire. Cette
tendance, qui voit une association positive entre niveau d‟éducation et mariage
exogame, varie pour les deux sexes. Les espaces d‟autonomisation du sexe
féminin au sein des familles arabes sont restreints. L‟inscription dans des rapports
sociaux et familiaux est fondée sur des statuts et des rôles différents en fonction du
genre à travers souvent un projet parental qui s‟oppose au mariage exogame et
encadre parfois avec force la vie familiale et matrimoniale des jeunes filles. En
outre, les traditions culturelles arabes sont fortement patriarcales et tendent à placer
de plus grandes contraintes culturelles sur les choix matrimoniaux : c‟est la raison
du taux élevé de l‟approbation du mariage exogame chez les hommes.
Conclusion
L‟étude des tendances identitaires de la communauté arabe à Londres révèle
la disparité culturelle entre la communauté anglaise et la minorité visible arabe.
Dans la culture arabe, le système traditionnel de valeur est collectif dans son
orientation. Les relations au sein du groupe sont hiérarchiques et dominés par la
conformité aux coutumes et traditions. Les relations au sein de la famille sont
définies par la division des rôles selon le sexe. Inversement, chez le groupe
majoritaire, le système de valeur est individualiste en accordant l‟importance à
l‟individu, à l‟indépendance, et à la liberté individuelle. Les valeurs familiales
arabes entrent en contradiction avec le système de valeurs occidentales. Dans les
relations au sein de la communauté arabe, la menace de perdre les valeurs
250
J. Minces, La femme dans le monde arabe, p.62.
127
traditionnelles arabes émerge avec l‟interaction entre les deux cultures. Les garçons
sont encouragés à entrer dans le nouvel environnement culturel, tandis que les filles
sont censées respecter les valeurs traditionnelles en évitant un comportement très
libéral.
Au-delà des adaptations nécessaires d‟ordre linguistique, culturel et social,
notamment l‟apprentissage de la langue locale, l‟ajustement aux valeurs locales
fondamentales de la société d‟accueil, l‟installation durable de la population
immigrée est à l‟origine des mutations socioculturelles. Cette métamorphose
culturelle se manifeste à travers la tendance, chez les nouvelles générations, à
exprimer des formes d‟insertion, des aspirations professionnelles, des
comportements culturels différents de ceux de leurs parents. L‟imprégnation
scolaire, l‟expérience sociale et professionnelle, individuelle et collective d‟une
génération issue de l‟immigration favorisent cette tendance. Cette génération peut
peser dans le débat politique en vue d‟une intégration politique participante qui peut
faire tomber les blocages culturels. La troisième partie de cette thèse s‟attachera à
analyser les hauts et les bas des rapports intercommunautaires entre la communauté
arabe de Londres et la société majoritaire britannique
128
Troisième partie les rapports intercommunautaires : les vicissitudes
Chapitre VI : les rapports intercommunautaires du point de vue de la population
majoritaire
Introduction
La première partie de ce travail a donné un aperçu historique des
premiers contacts arabo-britanniques, de l‟émigration arabe vers la Grande-
Bretagne et de l‟émergence d‟une communauté arabe, tandis que la deuxième partie
a été consacrée à la présentation de cette communauté en examinant les aspects
démographiques, socioéconomiques, organisationnels et identitaires. Dans la
troisième partie, nous nous attacherons à explorer les relations interculturelles entre
la communauté arabe de Londres et la société d‟accueil.
Le poids des facteurs personnels et culturels distingue, au sein d‟un groupe
culturellement homogène, l‟interaction interpersonnelle de l‟interaction
interculturelle. Le rapport interculturel relie des groupes distincts par leurs
perceptions et cultures. En parlant des relations intercommunautaires, nous faisons
souvent référence aux relations entre différents groupes ethniques et culturels dans
une même société. Les modes de comportement qui prévalent à l‟intérieur du même
groupe tels que la coopération, l‟intimité et la solidarité ne sont pas nécessairement
les modes de comportement prévalant dans les relations intergroupes. Parfois,
l‟hostilité envers le hors groupe peut être proportionnelle au degré de la solidarité à
l‟intérieur d‟un même groupe ethnique. Un lien intercommunautaire, volontaire et
harmonieux entre deux communautés séparées par leurs repères culturels, est
conditionné par plusieurs éléments, notamment la qualité de la communication, la
connaissance mutuelle et l‟empathie.
129
a. La connaissance mutuelle : clé d’une communication intergroupe
La communication est l‟établissement d‟un lien avec les autres. Ce rapport
se manifeste à travers l‟échange des idées, des sentiments, et des significations.
Les liens interpersonnels sont à la base de tous les rapports humains. Ils
constituent des interactions dans lesquelles les partenaires exercent une influence
réciproque sur leurs comportements lors de la rencontre. Le caractère interactionnel
des rapports interpersonnels implique l‟agissement des personnes sur leurs
comportements dans la communication interpersonnelle.
La diversité culturelle peut constituer une entrave à l‟aboutissement d‟un
rapport intercommunautaire. Ce rapport est le processus dans lequel des individus
qui n‟appartiennent pas à la même culture tentent d‟échanger des significations ou
d‟établir des contacts. A défaut de l‟appartenance à la même culture, les individus et
les groupes ont des idées, des sentiments et des comportements différents. L‟acte
communicationnel ne génère pas un effet réciproque. Les écarts culturels affectent
la dynamique de la rencontre et constituent des obstacles à la communication. La
tentative d‟établir des contacts reste suspendue en absence d‟une connaissance
mutuelle d‟autrui et de sa culture, comme l‟explique Martine Abdallah-
Pretceille :‘‘communiquer, c‟est échanger des informations en s‟appuyant sur des
codes, mais c‟est aussi entretenir une relation, située elle-même dans un contexte,
dans un temps et dans un lieu (…) Il ne s‟agit plus d‟élaborer ou de connaître des
grammaires culturelles établies à partir de nomenclatures mais de percevoir les
différentes figures de l‟altérité au sein même de la communication251
.‟‟
La culture, comme figure de l‟altérité, est un enjeu important dans les
relations intercommunautaires. Elle est un des aspects intrinsèques de la nature
humaine. Quand on est habitué à vivre dans un environnement culturel et dont on
peut cerner les limites, admettre l‟existence d‟autres modes de vie et de pensée
s‟avère souvent difficile. Notre culture et notre langage, cet outil à forger notre
251
M. Abdellah-Pretceille(ed), Diagonales de la communication interculturelle, p.17.
130
pensée, imprègnent notre vie mentale252
. Ainsi, l‟épanouissement d‟un rapport
intercommunautaire exige, en premier lieu, la connaissance mutuelle des
spécificités culturelles de chaque communauté culturelle. Connaître autrui c‟est
vivre avec lui, c‟est parcourir avec lui un bout de chemin sur la route de l‟existence
en commun, dans le dialogue et la communauté de l‟action253
. Le manque de
connaissance d‟autrui et de sa culture mène à des problèmes de communication et
aux stéréotypes répétitifs. L‟amélioration des connaissances sur la culture d‟autrui
ne garantit pas pourtant de surmonter ces lacunes. La perception ethnocentrique
peut être à l‟origine des dérégulations du rapport intercommunautaire et la source
parfois de conflits et de tensions intergroupes. La connaissance ne peut être
réellement développée que si les groupes ethnoculturels ont conscience des
implications de la différence culturelle. Un échange affectif intercommunautaire ne
peut pas avoir lieu qu‟à travers un minimum d‟empathie pour instaurer un rapport
intercommunautaire.
b. L’empathie : attitude protectrice contre les tendances ethnocentristes
L‟entretien d‟un rapport intercommunautaire sain et enrichissant est lié au
respect et à la tolérance de la diversité culturelle. L'absence de ces valeurs ouvre la
porte à la divergence et au renfermement culturel qui peuvent aboutir à des conflits
intercommunautaires et des agressions tant verbales que physiques. La relation et la
qualité du rapport intercommunautaire sont susceptibles d‟être empoisonnées par le
manque de ces qualités humaines. La tolérance de la différence culturelle suppose
l‟adoption d‟une même considération et attitude envers les autres cultures et les
porteurs de ces cultures. Ces derniers doivent être acceptés comme égaux,
humainement parlant, avec la même valeur et la même importance que l'on voudrait
se voir accorder à soi-même. Ce genre de comportement est relié à une attitude
empathique : „‟L‟ensemble des efforts fournis pour accueillir autrui dans sa
singularité et qui sont consentis et mis en œuvre dès lors qu‟est acquise la
conscience de la séparation moi-autre et de l‟illusion communicative de
l‟identification passive à autrui. Cet effort de relation effective à autrui consiste à
252
R. Carpentier, La Connaissance d’autrui, p.2. 253
Ibid. p.122.
131
dépasser la „règle d‟or‟ de la sympathie pour adopter la „‟règle de platine‟‟ propre à
l‟empathie254
.‟‟
L‟attitude empathique permet de mieux adapter les communications et les
contacts interculturels. Cette tendance favorise la compréhension des motivations et
des expériences d‟autrui. Elle représente la capacité de savoir ce qu‟éprouvent les
autres à un moment donné à travers l‟adoption de leur cadre de référence
culturelle. Les gens empathiques sont en mesure de comprendre les motivations et
les expériences des autres, de même que leurs attitudes, espoirs et attentes.
En un mot, l‟accès à l‟empathie est subordonné à l‟acceptation de la
diversité culturelle. La résistance à la tentation d‟évaluer, de juger, d‟interpréter ou
de critiquer est un pas vers la destruction des notions stéréotypées sur les races et
les cultures255
; ce qui permet de rompre avec les impulsions affectives en vue
d‟une rencontre effective avec autrui. De ce positionnement émane les possibilités
d‟atteindre un accommodement culturel et l‟instauration de liens
communicationnels harmonieux entre différents groupes ethnoculturels.
1. Protocole d’enquête sociologique
Les mouvements migratoires entre les deux rives de la Méditerranée
bousculent l'homogénéité relative de la société britannique. L‟aspect pluraliste
devient de plus en plus visible et prend de l'ampleur du fait que davantage des
nouveaux arrivants s'installent dans cette société. L‟établissement de communautés
cohésives (Community Cohesion) ayant une vision commune et un sentiment
d‟appartenance, surgit dans les débats suite aux attentats de Londres en juillet
2005. La gestion de la diversité culturelle pour une cohésion sociale entre les
différents groupes ethniques est au centre des débats. Notre travail est un compte
rendu de ce phénomène de l‟altérité (Otherness) saisie dans la mise en relation
entre la société majoritaire britannique à travers le cas de Londres et la minorité
254
G. Marandon, „Empathie et compétence interculturelle,‟ Empathie, p.95. 255
Ibid.p.91
132
visible arabe ou d‟origine arabe. La question centrale que nous nous sommes posé
est la suivante :
Quel regard les Britanniques portent-ils sur la minorité arabe de Londres et
comment cette communauté se définit et se positionne-t-elle par rapport à la société
majoritaire ?
Cette question est sous-tendue par une hypothèse centrale à savoir que les
événements du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis et du 7 juillet 2005 à Londres
ont ébranlé le modèle anglo-saxon. Un tel modèle vire à la stigmatisation de la
communauté arabe et musulmane portant ainsi préjudice à la cohabitation, à une
coexistence cosmopolite.
Pour répondre au questionnement posé, nous avons mobilisé un protocole
d‟enquête ciblant un échantillon de la population majoritaire, de la minorité arabe
et nous leur avons soumis un questionnaire relatif aux représentations réciproques
des uns et des autres. Nous avons également réalisé des entretiens semi-directifs
autour de la communication entre les deux parties, les modes de définitions de soi
et de l‟autre et les centralités d‟appartenance culturelle et religieuse. Nous avons de
même repéré le rôle des associations et des médias dans la cristallisation des
attitudes d‟entente cordiale, de rejet sans appel et de la force des préjugés, c‟est-à-
dire d‟une altérité radicale de part et d‟autre.
Plus concrètement, nous avons passé au crible un échantillon de 500
personnes de chaque partie ( britannique et arabe) par questionnaire et une
soixantaine d‟entretiens ciblant hommes et femmes, jeunes et moins jeunes et de
tous les milieux sociaux et des nationalités suivantes que nous allons citer par ordre
d‟importance : Liban, Iraq, Egypte, Maroc, Algérie. En absence des statistiques
ethniques, nous avons mené une enquête qualitative. Nous avons repéré les
populations enquêtées grâce à la disponibilité des volontaires locaux à nous
faciliter l‟accès au terrain.
133
S‟agissant du rapport de la société majoritaire avec le groupe minoritaire
arabe, nous avons passé au crible les thèmes suivants :
L’attitude d’acculturation : Ce thème essaye d‟évaluer les cinq
orientations d‟acculturation élaborées par Richard Bourhis, notamment :
l‟intégration, l‟assimilation, l‟individualisme, la ségrégation et l‟exclusion256
.
L‟orientation intégrationniste accepte et valorise le maintien de la culture d‟origine
tout en favorisant en même temps l‟adoption de la culture d‟accueil par les
minorités culturelles. Par contre, l‟orientation assimilationniste prône l‟absorption
dans la culture d‟accueil et le renoncement à la culture d‟origine, tandis que
l‟orientation individualiste valorise peu le fait que les groupes minoritaires
cultivent leur culture d‟origine, ou adoptent celle de la société d‟accueil. Les
individualistes se définissent et définissent les autres plutôt en tant qu‟individus et
non pas comme membres d‟un groupe ethnoculturel. L‟orientation
ségrégationniste accepte que les immigrants maintiennent leur héritage culturel,
mais ne souhaitent pas qu‟ils adoptent, ou encore moins, influencent ou
transforment la culture d‟accueil. L‟orientation exclusionniste, non seulement, ne
tolère pas que les immigrants adoptent la culture d‟accueil, mais en plus nie aux
immigrants le droit de maintenir leur culture d‟origine. Les participants ont été
invités à répondre à des questions qui mesurent les cinq orientations
d‟acculturation et à se situer par rapport au lien que les immigrants doivent
entretenir avec leur culture d‟origine ainsi qu‟avec la culture du pays d‟accueil.
La connaissance d’autrui : cet élément du questionnaire est destiné à
mesurer la connaissance d‟autrui à travers des questionnes qui portent sur la
culture arabe et en particulier et les sources de l‟information sur autrui.
La perception et le désir de contact : cet élément du questionnaire est
destiné à évaluer la perception d‟autrui et la qualité du contact avec le groupe
minoritaire arabe. Les participants ont été invités à répondre à des items qui
évaluent les attitudes et mesurent le désir du groupe majoritaire d‟un
256
R. Bourhis, „Majority Acculturation Orientations towards Valued and Devalued Immigrants‟, Journal of
Cross-cultural Psychology, p.698-717.
134
rapprochement avec le groupe ethnique arabe. Dans l‟élaboration de cet élément du
questionnaire, nous avons pris en compte les représentations sur les Arabes et les
musulmans véhiculées par les moyens de communication pour savoir à quel point
ces représentations persistent dans l‟imaginaire de la société britannique.
Dans un environnement culturel différent de celui du pays d‟origine, la
communauté minoritaire peut adopter plusieurs attitudes d‟ajustement et de
positionnement quant à son rapport avec la société majoritaire et sa culture. Ces
attitudes reflètent la manière dont elle perçoit la diversité culturelle et y réagit.
Pour le traitement du rapport de la communauté arabe de Londres avec la société
majoritaire, nous avons abordé la question du rapport intercommunautaire par le
biais des thèmes suivants257
.
L’ attitude d’acculturation : Pour mesurer les attitudes d‟acculturation des
membres de la communauté arabe, le modèle d‟acculturation structuré autour des
positionnements par rapport au contact avec la société d‟accueil ou la préservation
de la culture d‟origine élaboré par John Berry a été utilisé. Selon ce modèle, il
existe quatre types de stratégie d‟adaptation (processus) dont résultent quatre
modes d‟acculturation. Ainsi, on peut distinguer chez les membres des
communautés immigrés, cinq orientations d‟acculturation par rapport à la société
d‟accueil. Ces cinq orientations d‟acculturation découlent des réponses données à
deux questions : « est-il important de maintenir son identité et ses
caractéristiques » et « est-il important d‟adopter la culture de la communauté
d‟accueil » ?
Quand ils valorisent le maintien de la culture d‟origine tout en adoptant
certains éléments de la culture dominante du pays d‟accueil, les immigrants optent
pour l‟orientation intégrationniste. L‟orientation séparatiste correspond à la volonté
de maintenir tous les aspects de la culture d‟origine tout en rejetant ou en ignorant
la culture dominante du pays d‟accueil. L‟orientation assimilationniste se traduit
par la volonté d‟adopter entièrement la culture de la société d‟accueil tout en
257
Voir les annexes.
135
abandonnant la culture du pays d‟origine. L‟individualisme est le choix de ceux qui
se définissent comme individus sans attacher aucune importance à l‟appartenance
culturelle.
Le modèle de Berry comprenait des items pour mesurer l‟intégration, la
séparation, l‟assimilation et l‟individualisme. Ces attitudes d‟acculturation ont été
considérées en fonction de certains facteurs comme l‟âge, le sexe et le niveau
d‟instruction dans le but de saisir les attitudes privilégiées par les membres de la
communauté arabe de Londres.
Les réseaux des relations interpersonnelles : notre questionnaire incluait
un élément appelé réseaux des relations interpersonnelles qui demandent aux
personnes questionnées d‟indiquer les membres du groupe ethnique qu‟ils
fréquentent régulièrement et leur désir de rapprochement avec les membres du
groupe majoritaire. A travers cet élément du questionnaire qui contient des
questions fermées et ouvertes, l‟objectif est de déceler les obstacles limitant
l‟épanouissement d‟un rapport intercommunautaire.
Les pratiques culturelles: c‟est un autre élément du questionnaire
triangulaire destiné à repérer comment une consommation culturelle diversifiée
peut contribuer à construire des ponts entre les groupes. Cette partie du
questionnaire incluait des questions sur les pratiques culturelles des immigrants en
matière de médias, la fréquentation des lieux culturels et la lecture. Le but est de
tester l‟hypothèse selon laquelle une consommation culturelle diverse est un moyen
de médiation culturelle entre immigrants et membres de culture majoritaire. Nous
avons choisi d‟inclure cet élément dans le questionnaire destiné au groupe
minoritaire arabe car nous partons du postulat que, dans une société multiculturelle
avec une culture dominante dont les enracinements historiques sont profonds, le
minimum de la connaissance de cette culture par les nouveaux arrivants est une
manière d‟établir des contacts intergroupes.
Ce travail s‟appuie donc sur des données qualitatives recueillies après
des entretiens approfondis. Le but n‟est pas de généraliser les résultats sur
136
l‟ensemble de la population britannique et la minorité visible arabe ; plutôt le but est
d‟enquêter sur les entraves à la cohésion communautaire et de découvrir les
significations attachées aux comportements des uns et des autres. La nature de cette
recherche exige une méthodologie qui est propice à une analyse centrée sur les
populations étudiées. En utilisant les techniques qualitatives, l‟objectif était de
présenter un travail qui se fonde sur les explications données par ces populations en
ce qui concerne le rapport avec autrui. Ces techniques sont les plus appropriées à
cette étude qui est voulue illustrative en révélant les significations inhérentes aux
rapports intergroupes. La dernière phase de l‟enquête consiste à traiter les données
recueillies sur le terrain, c‟est-à-dire à les interpréter.
2. La culture et ses implications
2.1 Définition
Cerner le concept de « culture » s‟avère un exercice difficile. Le mot
séparé „culture‟ fait référence au travail de la terre visant à la rendre productive et
faire pousser les plantes. Le sens figuré, le développement des facultés
intellectuelles, apparaît sous la plume des humanistes de la Renaissance. La
signification qui est couramment donnée en anthropologie, à travers la référence à
un groupe ou à un peuple, correspond à une structure complexe de connaissances,
de codes, de représentations et de valeurs.
En fait, les anthropologues, les linguistes, les philosophes, les sociologues et
l‟ensemble des chercheurs en sciences humaines ont tenté d‟apporter leurs
définitions de « culture ». C‟est à partir de ces différentes disciplines qu‟en 1952
deux Américains, Alfred Kroebu et Clyde Kluckhom, dans leur livre Culture : A
Critical Review of Concepts and Definitions258
, dénombraient plus de 150
définitions différentes du mot culture en les classant sous les catégories de
définitions génétiques, psychologiques, normatives et structurales. Chaque
définition est différente à partir de la discipline dont elle est inspirée. A titre
d‟exemple, les définitions historiques définissent la culture comme héritage
transmis d‟une génération à l‟autre en mettant l‟accent sur la tradition et l‟héritage
258 L. Kroeber, C. Kluckohn (ed.), Culture: a Critical Review of Concepts and Definitions, p.77-141.
137
social acquis à travers un processus de transmission ; tandis que les définitions
psychologiques définissent la culture comme comportement qui reflète la manière
d‟être et d‟agir entre êtres humains.
En menant la réflexion sur l‟homme et la société, la sociologie et
l‟ethnologie tentèrent également d‟apporter une réponse objective à la question de
la diversité humaine en s‟appuyant sur le mot culture comme outil privilégié pour
penser ce problème. C‟est à Edward Burnet Taylor, anthropologue britannique, dans
son ouvrage Primitive Culture, que l‟on doit la première définition du concept
ethnologique de la culture : „‟ Culture ou civilisation, pris dans son sens
ethnologique le plus étendu désigne ce tout complexe comprenant à la fois les
connaissances, les croyances, les arts, les coutumes et les autres facultés ou
habitudes acquises par l‟homme dans l‟état social259
.‟‟
Pour Taylor, la culture est l‟ensemble de connaissances acquises par un
individu qui expriment les traits distinctifs de sa personnalité et son mode de
comportement dans la société. Ses connaissances se caractérisent par une
dimension collective qui couvre plusieurs facettes de la vie humaine. Toutes les
activités et les productions humaines, selon cette définition large, font partie de la
culture. La discussion autour du concept « culture » dans les derniers temps
concerne la distinction entre culture et comportement humain. Pendant longtemps,
les anthropologues se contentèrent de définir la culture comme comportement
humain.
La culture englobe les règles de conduite et les convictions morales
auxquelles se réfèrent communément les membres d‟une collectivité pour fonder
leur jugement et diriger leur conduite. Maurice Godelier résume : „‟L‟ensemble
des principes, des représentations et des valeurs partagés par les membres d‟une
même société et qui organisent leurs façons de penser, leurs façons d‟agir sur la
259
A. Barbard, J. Spencer (eds.), Encyclopaedia of Cultural Anthropology. p.137. : „ Culture or civilization,
taken in its wide ethnographic sense, is that complex whole which includes knowledge, belief, art, morals, law,
custom, and any other capabilities and habits acquired by man as a member of society‟
138
nature qui les entoure et leurs façons d‟agir sur eux-mêmes, c‟est à dire d‟organiser
leurs rapports sociaux, la société260
.‟‟
Les valeurs désignent les normes positives ou négatives qui influencent les
manières d‟agir, de vivre ou de penser dans une société. Cette définition de la
culture met au premier plan la part idéale de la vie sociale. Les principes, les
représentations et les valeurs, partagés ou contestés, servent de référence aux
actions des individus et des groupes qui constituent une collectivité. La culture
apparaît donc comme l‟ensemble des principes qui organisent le fonctionnement
d‟une société et qui éclairent la logique du comportement d‟individus et de groupes
qui la composent
Dans son sens anthropologique le terme « culture » désigne le mode de vie
d‟un groupe social : ses façons de sentir, d‟agir ou de penser et son rapport à la
nature, à l‟homme, à la technique et à la création artistique261
. Ainsi, la culture fait
référence au développement intellectuel, spirituel et esthétique d‟un individu, d‟un
groupe ou d‟une société, accentue les activités intellectuelles et artistiques et leurs
productions et désigne également la manière entière de vivre, y compris les
croyances, les coutumes d‟une collectivité. D‟une manière générale, les définitions
de la culture convergent en considérant la culture comme manière de penser, de
sentir et d‟agir qui sert à constituer les personnes en une collectivité particulière,
distincte et homogène. Ces manières de penser, d‟agir sont formulées dans des lois,
des formules rituelles, des cérémonies, et des connaissances. La fonction essentielle
de la culture est de réunir une pluralité de personnes en une collectivité. La culture
apparaît donc comme l‟univers mental, moral et symbolique commun à une
pluralité de personnes.
Le premier article de la déclaration universelle de l‟UNESCO sur la
diversité culturelle met l‟accent sur les termes culture, identité culturelle et
communauté culturelle. Cette diversité s‟incarne dans l‟originalité et la pluralité des
260
A. Durcos et al. (eds.), La Culture est-elle naturelle, p.218. 261
J. Ladmiral, E. Lipiansky (eds.), La Communication interculturelle, p.8.
139
identités qui caractérisent les groupes et les sociétés composant l‟humanité262
. Le
terme culture englobe les croyances, les valeurs, les traditions et les modes de vie
par lesquels une personne ou un groupe exprime les significations qu‟il donne à son
existence et à son développement. L‟identité culturelle est l‟ensemble des références
culturelles par lesquelles une personne ou un groupe se définit. La communauté
culturelle est un groupe de personnes partageant les références culturelles d‟une
identité commune. Le changement culturel intervient soit à la suite de nouvelles
inventions, soit après contacts entre des groupes appartenant à des cultures
différentes. Ainsi des termes tels que enculturation, acculturation décrivent
l‟acquisition de la culture par les individus depuis la naissance et les changements
culturels subis par des cultures en situation de contact.
2.2 Enculturation, acculturation
2.2.1 Enculturation
L‟acquisition de la culture n‟est pas inscrite, à la naissance, dans
l‟organisme biologique. Elle résulte plutôt des divers modes et mécanismes
d‟apprentissage. On appelle ainsi enculturation l‟ensemble des processus conduisant
à l‟appropriation de la culture de l‟entourage par l‟individu263
. Elle est le processus
par lequel les individus acquièrent la connaissance, les attitudes, et les valeurs de
leurs sociétés. L‟enculturation commence dès la naissance et continue jusqu‟à la
mort. On apprend, par exemple, le respect des symboles de la nation en faisant un
engagement d‟allégeance, ou en chantant l‟hymne national. Bref, on se rend
compte de nos droits, engagements et privilèges aussi bien que des droits des autres.
Le processus de l‟enculturation a deux aspects principaux, notamment la formation-
enfant et la formation formelle, qui est généralement nommée éducation. Le premier
est le plus susceptible d‟être effectué dans le cercle de la famille et des amis tandis
que le dernier est effectué dans les établissements d‟étude, en particulier dans des
écoles. L‟enculturation et la socialisation sont deux formes d‟appropriation de la
262
Déclaration universelle de l‟Unesco sur la diversité culturelle adoptée par la conférence générale de
l‟UNESCO, Paris, 2 novembre 2001. 263
C. Camilleri, „la Culture et l‟identité culturelle : champ notionnel et devenir,‟ Choc de cultures, p.28.
140
culture. La socialisation commence au sein de la famille et se poursuit à travers les
pratiques culturelles des individus au sein de la société.
Les travaux de Jean Piaget ont grandement contribué à éclairer la façon dont
le tout jeune enfant subit le processus d‟enculturation264
. Durant la première étape
qui dure les premiers dix-huit mois de la vie, l‟enfant ne distingue pas entre lui-
même et son environnement. Il est égocentrique et sa réaction à son environnement
est basée sur des caractéristiques physiques plutôt que sur un sens acquis. Lors de
la deuxième étape nommée l‟intelligence préopérationnelle, qui s‟étend jusqu‟à
l‟âge de sept ans, l‟enfant commence à apprendre la langue et à assigner un sens à
des objets. Dans la troisième étape, l‟enfant commence à être moins égocentrique
et à voir les choses dans la perspective de l‟autre. A partir de onze ans une autre
étape commence et l‟enfant se met à adopter les processus de penser de l‟adulte.
Ces étapes ne sont pas absolues, mais elles donnent, selon Jean Piaget, une vision
sur l‟évolution de la maturation de l‟enfant et du processus d‟enculturation.
Le terme transculturation évoque le passage des items culturels d‟une
culture à l‟autre sans forcément de réciprocité. On peut dire que, dans le cas des
groupes ethnoculturels et des communautés immigrées, tout processus de
transculturation aboutit à une transformation de l‟identité culturelle d‟origine. La
nature et l‟intensité de cette transformation dépendent à la fois du degré d‟ouverture
ou de fermeture du modèle culturel dominant sur les cultures particulières. Le
processus dans lequel on observe réciprocité des échanges et des influences
culturelles est appelé acculturation.
2.2.2 Acculturation
Le terme acculturation fut proposé dés 1880 par les anthropologues
américains. Les Anglais lui préféraient le terme de « cultural change », les
Espagnols celui de « transculturation » et les Français l‟expression
« interpénétration » des civilisations. Le processus d‟acculturation est à différencier
de celui d‟assimilation, en raison notamment du caractère unidirectionnel attribué à
264
J. Ladmiral, E. Lipiansky (eds.), La Communication interculturelle, p.122.
141
ce dernier. C‟est cet aspect d‟influence réciproque que reflète la définition donnée
par Ralph Linton dans Memorandum on the Study of Acculturation : ‘’L‟ensemble
des phénomènes résultant du contact direct et continu entre des groupes d‟individus
de cultures différentes avec des changements subséquents dans les types de culture
originaux de l‟un ou des autres groupes265
.‟‟
Cette définition inclut des phénomènes très divers qui vont des simples
emprunts d‟un langage à un autre à la transformation radicale des systèmes sociaux
sous le poids d‟une influence extérieure écrasante. Ces changements sont donc
attribués à des influences culturelles externes et non pas à des dynamiques internes
à une culture donnée. Dans cette perspective, l‟acculturation apparaît comme
processus qui se réalise au niveau des groupes. Cependant, à partir des années
cinquante, le terme est aussi employé pour signifier des changements
psychologiques au niveau individuel, notamment les attitudes, les conduites.
Deux questions apparaissent comme centrales dans le débat théorique
consacré aux processus d‟acculturation. D‟un côté, celle de la direction du
processus, et de l‟autre, celle de la dominance, à savoir la nature et le degré des
influences existant entre les groupes culturels en contact. Concernant la première
question, on peut considérer qu‟un large consensus existe sur l‟idée de la bi-
directionnalité du processus, même si une partie des travaux qui adoptent cette idée
ne s‟intéresse pratiquement qu‟aux changements subis par les groupes minoritaires.
Quant à la question de la dominance, elle renvoie à la problématique des rapports de
pouvoir et aux échelles de prestige sur lesquelles les groupes se positionnent dans
des situations d‟interaction.
Dans ce sens, Georges Devereux, à travers la réflexion sur l‟activité des
dominés, constitua, à cet égard, le concept d‟ « acculturation antagoniste » qui se
manifeste en s‟appuyant sur différents processus266
. Le groupe minoritaire peut
265
R. Redfield, R. Linton, „ Memorandum on the Study of Acculturation‟, American Anthropologist, 38, n°1,
1936, p.149-152: „Acculturation comprehends those phenomena which result when groups of individuals having
different cultures come into continuous first-hand contact, with subsequent changes in the original cultural
patterns of either or both.‟ 266
J. Demorgon, Complexité des cultures et de l’interculturel, p.27.
142
opter, comme stratégie, pour l‟isolement défensif et la régression à des modèles
culturels antérieurs. La régression des sociétés occidentales en direction des
extrêmes droites s‟explique par une tendance vers l‟acculturation antagoniste. La
négation, c‟est-à-dire la mise en œuvre des conduites culturelles strictement
opposées à celles du groupe dominant, est une autre manière de se différencier
culturellement. Le groupe minoritaire adopte des moyens nouveaux, y compris
ceux qui font partie de la culture dominante, dans le but de les retourner contre le
groupe dominant. Il peut également inventer des atouts culturels qu‟il ne possédait
pas encore et qui ne sont pas possédés par le groupe dominant. Une situation de
non dominance est caractérisée par un échange réciproque et un équilibre entre
deux cultures. Cette situation peut aboutir à une interculturation caractérisée par
des interactions et, en même temps, par le maintien de modèles culturels différents.
Cette situation nécessite un travail important de connaissance réciproque des
cultures en contact afin que s‟instaurent des ouvertures susceptibles de créer et
d‟améliorer une vraie dynamique interculturelle.
2.3 L’interculturel et ses enjeux
Avec l‟émergence de plusieurs groupes ethniques et culturels en raison des
flux migratoires, l‟aspect pluraliste domine les sociétés contemporaines. Plusieurs
modèles de comportements et diverses façons de penser, de sentir et d‟être
coexistent dans ces sociétés dites pluralistes. L‟interaction des modèles de
comportements et les modes de vie de la société majoritaire avec les modèles du
comportement et les modes de vie propres à des minorités d‟origine étrangères
mènent à une société interculturelle.
L‟interculturel définit moins un champ comparatif dans lequel deux
modèles culturels sont en juxtaposition, mais plutôt un champ interactif avec des
relations qui s‟instaurent entre différents groupes culturels. Dans un sens large, le
rapport intercommunautaire englobe tous les contacts, les échanges, et les
interactions dans un environnement multiculturel. En effet, les groupes sociaux
n‟existent jamais de façon totalement isolée, mais ils entretiennent des rapports avec
d‟autres groupes.
143
Le terme interculturel est utilisé en opposition au terme multiculturel. Le
premier fait référence à l‟interaction, tandis que le deuxième est plutôt descriptif. Le
mot « interculturel » implique nécessairement interaction, échange, élimination des
barrières, et réciprocité267
. Le préfixe « inter » signifie à la fois liaison et réciprocité,
jonction et disjonction. La notion de l‟interculturel traduit une idée de réciprocité
dans les échanges et de complexité dans les relations entre les cultures. L‟accent est
mis sur l‟interaction, c‟est-à-dire le processus d‟échanges qui permet aux
interlocuteurs de s‟influencer réciproquement et de se métisser mutuellement268
.
Une interaction en situation de contact entre différents groupes ethnoculturels se
caractérise avant tout par une asymétrie relationnelle due au fait que la base socio-
historique commune sur laquelle peuvent s‟appuyer les personnes d‟un même
groupe culturel est différente pour chacun des partenaires.
Les rapports communicationnels, selon Edmond Marc Lipiansky, sont
influencés par plusieurs enjeux qui sont au centre de la problématique des relations
interculturelles269
. Les enjeux principaux, qui peuvent intervenir dans un rapport
communicatif, sont les enjeux identitaires, territoriaux, relationnels, et les enjeux
d‟influence. La notion d‟identité et de particularité de chacun influence toujours le
processus de communication avec autrui pour qui nous cherchons à transmettre une
certaine image de nous-mêmes. L‟interaction entre soi et autrui impose toujours un
certain nombre de conditions rituelles tels que le degré d‟intimité et les
motivations. Les enjeux territoriaux sont donc liés à la notion d‟espaces psychiques
et à ce que Goffman appelle „ les réserves du moi‟ : vie privée, secrets intimes et
affaires personnelles270
.
La question de l‟ouverture et de la fermeture de la communication et le
réglage de la distance traduit le degré de la proximité. Quant aux enjeux
d‟influence, la tendance à avoir un effet sur l‟autre peut prendre la forme de deux
grands types de stratégies : les stratégies de pouvoir, qui se traduisent souvent en
267
J. Demorgon, L’Histoire interculturelle des sociétés, p.33. 268
G. Verbunt, La Société interculturelle, p.90. 269
E.M. Lipiansky, „Identité subjective et interaction‟, Stratégies identitaires, p.173. 270
E. Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne, p.43
144
termes de rapports de force entre interlocuteurs, et les stratégies de séduction qui
recherchent la sympathie, voire la complicité.
L‟intégration interculturelle dans un milieu multiculturel se fait, d‟après
Geert Hofstede, à travers plusieurs étapes271
. La première étape est celle de la
découverte durant laquelle la personne est émerveillée par le nouvel environnement
culturel. Ce phénomène se produit généralement pendant les vacances lorsque le
touriste visite une société différente. Cette étape de découverte, qui ne dure pas
très longtemps, se transforme en période de « désorientation» lorsque l‟individu
prend conscience que les personnes qui l‟entourent n‟agissent pas comme lui.
L‟origine de ce trouble est liée à la perte de ses propres repères culturels, alors que
la culture du nouvel environnement culturel n‟est pas encore assimilée. Cette
situation produit un choc car les références culturelles ne fonctionnent plus. Les
symptômes clés du choc culturel se révèlent d‟abord par l‟impression d‟être perdu
dans un monde étrange, avec comme résultat frustration et anxiété, puis par la
tendance à rejeter cet environnement qui est à l‟origine du déséquilibre.
Dans l‟étape suivante l‟individu est en face d‟un choix. D‟une part, il peut
rester sans communication verbale et non verbale. Il s‟isole carrément du milieu
culturel où il se trouve s‟il ne trouve pas de références culturelles. D‟autre part, il
peut s‟adapter et trouver dans le nouveau milieu culturel des repères culturels.
Finalement, l‟individu en situation interculturelle se trouve en face de plusieurs
possibilités d‟évolution. Il peut, par manque de sensibilité culturelle, continuer à
mal réagir à son environnement par des attitudes d‟agressivité et de l‟hostilité
envers le pays d‟accueil. Au contraire, par un excès d‟adaptation, il peut perdre les
liens avec sa culture d‟origine en se trouvant alors étranger à la culture du pays
d‟accueil et en rupture avec la sienne.
Le fait de garder une position neutre et d‟observation lui permettra de vivre
entre les deux cultures et à ne pas porter de jugement de valeur ni sur l‟une ni sur
l‟autre. En général, l‟individu peut finir par s‟ajuster au nouvel environnement au
271
G. Hofstede, Vivre dans un monde multiculturel, p.266-267.
145
fur et à mesure qu‟il en prend connaissance. Il peut accepter finalement les valeurs,
croyances et idées reçues de la nouvelle culture comme autre façon de construire la
réalité. Avoir un rapport interculturel avec le nouvel environnement est relié à
plusieurs conditions.
Ces conditions du contact interculturel, d‟après Jacques Demorgon dans
Cultures et Sociétés, sont la dissociation existentielle et l‟association
communicative. Le premier pilier est une donnée essentielle qui fonde l‟échange
interculturel car celui-ci suppose, chez les partenaires, la possibilité d‟une ouverture
dans leur propre culture. En absence de cette ouverture ontologique, c‟est-à-dire de
notre être avec lui-même, l‟ouverture ne serait pas possible. Le deuxième pilier est
l‟association communicative qui reflète la libre volonté de chaque partenaire
d‟entrer en relation avec autrui. Il s‟agit d‟un désir d‟interaction avec d‟autres
personnes de cultures différentes. L‟échange interculturel ne sera possible que si
chaque individu est déjà traversé par la possibilité d‟une dissociation avec lui-
même.
Le rapport interculturel nécessite l‟ouverture de la personne avec elle-même
et avec les autres. C‟est seulement à partir de cette ouverture-fermeture existentielle
à soi-même et à autrui que l‟on peut exercer l‟association communicative. Dans le
rapport relationnel, l‟ouverture-fermeture oriente les relations vers un degré plus ou
moins grand d‟intimité. L‟ouverture et l‟établissement du contact avec autrui, qui
ne peuvent pas avoir lieu que sur la liberté de chacun de vouloir ou ne pas vouloir
entrer dans la relation de la communication, sont donc la garantie d‟un échange
authentique avec soi-même et avec autrui.
L‟établissement d‟un rapport interculturel efficace avec les individus et
les groupes, dont les repères culturels ne sont pas identiques, nécessite la prise de
conscience de l‟imprégnation culturelle et de la multiplicité culturelle, donc de la
différence. Si chaque culture présente son propre répertoire de comportements, la
tolérance de cette diversité est un pas vers l‟association communicative. Cette
146
dernière requiert de l‟individu qu‟il relativise ses propres repères à travers une
ouverture de l‟esprit et un désir de découvrir d‟autres modèles culturels.
Ce relativisme culturel, selon Carmel Camilleri, pose deux conditions pour
l‟instauration d‟un rapport interculturel272
. La première condition nécessite
l‟abandon de la hiérarchisation entre cultures en leur accordant une légitimité égale.
La réaction commune est d‟invoquer le relativisme qui commande une prise de
position concernant le contenu des cultures. Carmel Camilleri accentue le fait qu‟il
n‟y a pas de raison de privilégier les contenus des cultures qui ont, à ses yeux, une
légitimation égale.
A défaut de professer le relativisme culturel, les individus peuvent
penser que les configurations culturelles sont hiérarchisables, que leurs propres
valeurs sont supérieures, mais ils ont le devoir de respecter l‟autonomie des
consciences, c‟est-à-dire une prise de position qui légitime, non pas les cultures,
mais les porteurs des cultures en tolérant les contenus culturels. La deuxième
condition de l‟interculturel implique l‟acceptation du minimum de représentation et
de valeurs communes permettant l‟émergence d‟un groupe avec des liens culturels
communs à travers ce que Carmel Camilleri appelle « contrat d‟association ».
Si ces chercheurs se sont penchés sur l‟analyse des moyens susceptibles de
favoriser les rapports interculturels, il existe dans la conscience des individus et
des groupes des images négatives sur autrui qui peuvent entraver les relations
intercommunautaires et empoisonner le rapport communicationnel. Dans ce sens
les représentations d‟autrui construites par plusieurs moyens et à travers les
périodes d‟interaction et de contact peuvent constituer un empêchement à
l‟établissement d‟un rapport interculturel harmonieux. Ces représentations s‟ancrent
dans un imaginaire social, fruit de l‟histoire et des rapports entre groupes ethniques
ou nationaux273
. La persistance des stéréotypes empêche une vision neutre et
détachée de sa propre culture et bloque le développement des rapports intergroupes
et l‟ouverture sur la différence culturelle.
272
C. Camilleri, „ La Culture et l‟identité culturelle : champ notionnel et devenir,‟ Choc de Cultures, p.31. 273
J. Ladmiral, E. Lipiansky (eds.), La Communication interculturelle, p.199.
147
3. Les représentations occidentales des Arabes et du monde arabe
3.1 Stéréotypes et préjugés : obstacles du rapport intergroupe
Les rapports interculturels dans une société composée de communautés
issues d‟origine culturelles différentes peuvent être bloqués par les arrière-pensées
des uns et des autres. La conscience de la spécificité culturelle se traduit souvent
par un phénomène de différenciation et d‟affirmation de soi lors du rapport
interculturel. La culture peut être utilisée, voire instrumentalisée, pour servir de
couverture à une stratégie personnelle visant à mettre en avant la singularité
culturelle. Dans ce sens, les stéréotypes et les préjugés font partie intégrante de la
dynamique interculturelle et leur décryptage permet de dévoiler certaines causes de
dysfonctionnements des rapports interculturels.
Le rôle des stéréotypes et des préjugés s‟avère primordial. Les individus et
les groupes les utilisent soit pour défendre une position, soit pour occulter
l‟émergence d‟identités culturelles différentes. Ils constituent des obstacles à
l‟efficacité de la communication interculturelle puisqu‟ils contribuent à embuer la
signification du message et à rendre parfois impossible l‟établissement de rapports
intercommunautaires harmonieux.
3.1.1 La force du stéréotype
Les stéréotypes, qui coincent souvent le rapport intergroupe dans une voie
sans issue, sont des images schématiques et figées à propos d‟un groupe social274
.
On les répète souvent sans aucune soumission à un examen critique. Ce sont des
habitudes de jugement non confirmées par des preuves que chaque société fournit à
ses membres par le biais de la famille, du milieu social, de l‟école et des médias. Ce
jugement, qui ne correspond pas à la réalité, constitue des images erronées, non
fondées et injustes d‟autrui. Les stéréotypes ne sont pas consacrés uniquement à des
individus, mais également à des groupes ethniques. Sans connaissance préalable, les
membres de ces groupes sont soumis à une évaluation sur la simple base de
l‟appartenance ethnique et culturelle.
274
S. Ting-Toomey, Understanding Intercultural Communication, p.236.
148
Ayant une fonction identitaire et cognitive, la définition de soi est fondée sur
la construction d‟une différence. La dévalorisation d‟autrui, à travers des
représentations stéréotypiques, est presque toujours corrélative de la valorisation de
soi. S‟agissant des représentations collectives, les stéréotypes ethniques et
nationaux apparaissent comme une forme particulière à travers laquelle se manifeste
la tendance des groupes sociaux à l‟ethnocentrisme275
. Il ne s‟agit pas de simples
conceptions imaginaires dans la mesure où les groupes sont en contact les uns avec
les autres. Leurs relations s‟accompagnent de contradictions et de rapports de
domination. Les stéréotypes, qui s‟intègrent dans la gestion de l‟interculturel,
partagent avec les préjugés le caractère d‟évaluation d‟autrui.
3.1.2 L’effet du préjugé
Les préjugés, qui présupposent l'existence des stéréotypes, sont des positions
et des attitudes envers les autres qu‟on adopte prématurément. C‟est un ensemble
de sentiments, de jugements et naturellement d‟attitudes individuelles qui
provoquent et, tout au moins, favorisent des mesures de discrimination276
. Ils se
manifestent souvent à l‟égard d‟un groupe ou d‟une personne, de façon arbitraire,
sous forme d‟un agissement affectif dominé par l‟attirance ou la répulsion. Les
préjugés prennent des formes différentes comme le préjugé racial, le préjugé de
couleur et enfin le préjugé ethnique et culturel. Souvent ces formes s‟entremêlent et
fusionnent277
. La compétition intergroupe accentue la tendance à la catégorisation et
à la production des stéréotypes et des préjugés et à un rapport de recul qui domine la
relation intercommunautaire278
. Par contre, une situation de coopération tend à
diminuer le mécanisme des stéréotypes et la tendance des préjugés.
En gros, stéréotypes et préjugés s‟inscrivent dans la tendance spontanée de
l‟esprit humain à la schématisation, qui constitue une tentative pour maîtriser son
environnement. Etre en relation, cohabiter, interagir avec autrui réveille, pour ne
pas dire exacerbe, en chacun de nous, le besoin d‟arriver à évaluer pour pouvoir, en
275
T. Walas, Stereotypes and Nations, p.14-15. 276
R. Bastide, Le Préjugé racial, p.2. 277
Ibid.p.2-3. 278
T. Walas, Stereotypes and Nations, p.23.
149
quelque sorte, maîtriser les relations qui s‟instaurent entre groupes socioculturels279
.
De là, nous allons nous interroger sur les représentations d‟autrui dans l‟imaginaire
collectif arabe et britannique/occidental afin d‟avoir un éclaircissement sur l‟effet
de ces représentations sur les rapports interculturels entre la communauté arabe de
Londres et la société majoritaire anglaise. Dans ce sens, nous estimons que le
traitement du rapport interculturel entre la société majoritaire et la communauté
arabe de Londres ne peut pas être abordé en dehors de la relation entre deux
civilisations, deux religions, et deux cultures, à savoir d‟une part, la civilisation
arabo-musulmane, la religion islamique et la culture arabe et d‟autre part, la
civilisation occidentale, la religion chrétienne et la culture occidentale.
3.2 L’orientalisme et la fabrication d’image d’autrui
L‟étude sur le monde arabe et l‟Orient prit le nom d‟orientalisme. Ce terme
fut utilisé pour la première fois par le Britannique Holdsworth en 1769. L‟existence
formelle des études sur les sociétés et les cultures orientales débuta en Occident
avec la décision de créer des chaires de langue arabe dans plusieurs universités
européennes. L‟apprentissage des langues orientales et la réunion des matériaux sur
l‟Orient ont été entrepris, selon Maxime Rodinson dans la Fascination de l’Islam,
sous une impulsion toute idéologique280
. Ce courant des études contribua à élargir la
tranchée entre les deux mondes en exaltant une altérité culturelle excentrique :
„‟L‟orientalisme exprimait l‟eurocentrisme de l‟Europe, fondé sur une fierté
historique et un racisme organique : le Blanc contre le Noir, le savant contre
l‟ignorant, la logique contre l‟illogique, l‟effort de théorisation contre léthargie
pratique, la dignité et les droits de l‟homme contre l‟indignité de l‟homme et les
droits divins de Dieu et du roi, la démocratie occidentale contre le despotisme
oriental281
.‟‟
La description de plusieurs facettes des cultures orientales se faisait par
des auteurs, des concepteurs et des artistes occidentaux. En multipliant les étiquettes
279
J. Ladmiral, E. Lipiansky (eds.), La Communication interculturelle, p.139. 280
M. Rodinson, La Fascination de l’Islam, p.63. 281
H. Hanafi, L‟Orientalisme : interrogations‟, Peuples méditerranéens, p.115-119.
150
et les définitions, un monde oriental, qui ne correspond pas au vécu des orientaux,
fut créé. Il s‟agissait, avant tout, de mettre en évidence l‟excentricité culturelle des
cultures orientales et le caractère régressif et primitif des peuples d‟Orient.
L‟accent est mis sur l‟écart existant entre la culture orientale et la culture
occidentale. Les manières d‟être et d‟agir des orientaux étaient présentées comme
étrangères aux manières usuelles d‟être des occidentaux. Ainsi, le monde
musulman s‟offre aux occidentaux comme un objet d‟étonnement, une structure
politico-idéologique ennemie, et une civilisation différente282
.
Le discours de l‟orientalisme sur l‟Orient musulman était dominé par une
tendance d‟infériorisation d‟autrui, différent culturellement comme Zachary
Lockman le souligne : « Bien qu‟il eût toujours de nombreux intellectuels et
d'autres qui dénoncèrent le racisme biologique comme non scientifique et
pernicieux, une grande partie du discours euro-américain de la fin du dix-neuvième
siècle et du début du vingtième siècle sur le monde, y compris l‟Orient musulman,
a été à des degrés divers infecté par l'idéologie raciale283
. »
L‟orientalisme classique dans son ensemble, souligne Edward Said dans
l‟Orientalisme : l’Orient créé par l’Occident, appartient à la culture coloniale de
l‟Occident. L‟Orient était un terrain d‟exploration sans grand rapport autre que
colonial. Les puissances de l‟Occident étaient motivées par le souci de rassembler
un maximum d‟informations utiles sur les pays d‟Orient pour servir sa politique
d‟expansion hors de ses frontières284
. Les autorités administratives, universitaires et
gouvernementales ont assimilé à l‟Orient des connotations négatives dans le but de
servir les besoins et les enjeux d‟une période particulière de l‟histoire avec ses
charges politiques et militaires.
Par conséquent, un monde de l‟Orient en termes de la relation entre le
dominant et le dominé fut créé et la séparation entre orientaux et occidentaux fut
282
M. Rodinson, La Fascination de l’Islam, p.23-24. 283
Z. Lockman, Contending Visions of the Middle East,p.78: „Though there were always many scholars and
others who denounced biological racism as unscientific and pernicious, much of late nineteenth and early
twentieth-century Euro-American discourse about the world-including the Muslim Orient-was to varying degrees
infected by racial ideology‟. 284
Ibid. p.74.
151
établie. Cette vision orientaliste de l‟histoire permet de maintenir le mythe d‟une
hostilité inhérente entre le monde arabe et l‟Occident. Les premières rencontres et
affrontements, théologiques et politiques, fournissent des images qui confirment les
stéréotypes, images et suspicions mutuelles qui continuent de créer des peurs et de
perpétuer une vision de l‟Islam contre l‟Occident et de l‟Occident contre l‟Islam.
Cette séparation entre le monde arabe et l‟Occident s‟illustre par une
représentation polarisée entre modernité et tradition, forme générale de l‟opposition
entre l‟Occident et l‟Orient285
. Cette dichotomie de modernité et tradition fut
analysée en termes d‟inadéquation et d‟opposition entre les deux mondes. Le monde
arabe fait souvent l‟objet de caractérisations générales de la part de l‟Occident, en
particulier lorsque la modernité de l‟Occident du point de vue économique,
politique et technologique est prise en compte et le blocage et le retard des sociétés
arabes sont reliés à leur attachement aveugle à des normes de société qui ne
s‟accordent pas avec la modernité occidentale. En un mot, la tendance à prendre
comme base de référence systématique les normes de son groupe d‟appartenance
pour en juger d‟autres marqua le discours orientaliste sur le monde arabo-
musulman.
Cette tendance ethnocentrique fut accentuée par les bouleversements
politiques et militaires. Le fossé entre le monde arabe et l‟Occident se creusa à la
suite de plusieurs confrontations à différentes périodes ; de la période des
croisades, de l‟expansion coloniale et des conflits au Moyen-Orient, les blessures
ne sont pas encore atténuées dans la mesure où l‟incompréhension entre les deux
mondes existe toujours et la méfiance mutuelle et la peur dominent les perceptions
et les rapports.
Comme résultat, l‟imaginaire collectif en Occident accumula un faisceau
d‟images contradictoires sur le monde arabo-musulman, des représentations tissées
sur les malentendus historiques et politiques et les différences culturelles et
sociales. Ces représentations du monde arabe s‟inscrivent dans une exigence
285
A. Lueg,‟The Perception of Islam in Western Debate,‟ The Next Threat, p.12.
152
occidentale de conformité à ses propres normes, une volonté de transformer le
monde à son image, c‟est-à-dire à son usage286
. La déconsidération des coutumes
d‟autrui constitue une pratique qui caractérisa le mouvement orientaliste qui
produisit sur le monde arabe des images qui servent de répertoire dès qu‟il s‟agit
de le qualifier.
3.3 La représentation exotique, voluptueuse et fanatique des Arabes
3.3.1 Représentation exotique de l’altérité culturelle
D‟après Guy Barthélemy, dans les écrits de l‟Occident sur le monde arabe,
plusieurs représentations circulent, notamment celle d‟un monde exotique287
. Le
passage de l‟Occident vers la société industrielle l‟éloigne radicalement des autres
cultures. L‟altérité de l‟Orient éclate partout dans la littérature et les récits de
voyage destinés au grand public. Le monde arabe devient un grand réservoir de la
différence, de l‟anormalité, et de l‟extravagance qui s‟écarte du sens commun, de
la norme. On le considère comme un espace clos, replié sur lui-même, mélancolique
et endormant avec des habitants pâles et malades288
.
Cette représentation émane souvent, selon Janice Terry, des moyens de
communication qui formulent des attitudes stéréotypées : „ Un regard cursif sur la
télévision, les films, les journaux et les magasins occidentaux indique une vue
primordialement hostile envers les Arabes, uniformément décrits en termes moins
qu'humains que comme des individus avec de bonnes et mauvaises
caractéristiques289
.‟‟ Les affrontements historiques entre l‟Occident et le monde
arabo-musulman fournissent matière à des représentations déformées qui découlent
d‟un discours orientaliste qui se répète et évolue en fonction des enjeux politiques
du moment.
286
J. Berchet, Le Voyage en Orient, p.19. 287
G. Barthélemy, Images de l’Orient, p.17. 288
J. Berchet, Le Voyage en Orient, p.19. 289
J. Terry, Mistaken Identity Arab Stereotypes in popular writing, p.108 : „Even a cursory glance at western
television, films, newspapers and magazines reveals an overwhelmingly hostile view of Arabs, uniformly
described in subhuman terms rather than as individuals with both good and bad characteristics.‟
153
3.3.2 Représentation voluptueuse : l’image du harem
La représentation d‟un monde arabe voluptueux, obsédé par la recherche du
plaisir sexuel, est celle du harem et de la sexualité orientale qu‟on trouve dans les
écrits occidentaux sur le monde arabe. La femme, la sexualité et les rapports
homme-femme sont au cœur d‟une représentation imaginaire de l‟Orient arabe.
Cette représentation renvoie indéniablement à la dualité Occident-Orient. Le rapport
à la femme est un des sujets récurrents dans les écrits en Occident qui fabrique
l‟autre femme à la mesure de ses fantasmes et ses besoins avec souvent une
association entre l‟institution du harem, de la polygamie et de l‟esclavage290
. En
étudiant la vision fantasmatique qu‟on se faisait du harem en Occident dans son
livre le Harem et l’Occident, la sociologue Fatima Mernissi fut intriguée de
constater que les fantasmes sexuels dans les écrits en Occident étaient souvent
peuplés de femmes muettes et passives291
. La femme orientale subit un
enfermement dans lequel elle est inférieure : „‟ Elle est au service de l'homme et
opprimée par lui, qu‟elle soit une femme parmi d‟autres ou comme femme de
ménage en Occident qui doit toujours marcher trois pas derrière son mari, ou même
comme une femme qui mène une vie luxueuse dans les maisons dirigeantes arabes,
tant aimée par les tabloïds, elle reste passive et dépendante292
.‟‟
Fatima Mernissi formule l‟hypothèse, au terme d‟une enquête, que la vision
de la femme orientale, dans l‟imaginaire occidental, s‟inscrit dans la vision générale
d‟un monde arabe qui est différent. Elle avance qu‟il y aurait un lien entre la façon
d‟appréhender la différence sexuelle et la façon d‟appréhender la différence
culturelle.
290
R. Joëlle, L’Orient Arabe vu par les voyageurs anglais, p. 99. 291
F. Mernissi, Le Harem de l’Occident, p.37. 292
A. Lueg, „the Perception of Islam in Western Debate‟ the Next Threat: Western Perceptions of Islam, p.18:
„She serves man and is oppressed by him, be it as one among many other wives, or as the cleaning lady in the
West who must always walk three steps behind her husband, or even as the woman who lives the spoilt „life of
luxury‟ in the Arab ruling houses so beloved by the tabloids- she remains passive and dependent‟
154
3.3.3 Représentation fanatique nourrie par les enjeux du moment
L‟image d‟un monde arabe religieux et despotique, qui émane souvent d‟une
confusion en Occident entre Arabe et musulman, offre l‟exemple d‟une société non
sécularisée. Cette société, qui est condamné à osciller entre anarchie et despotisme,
est l‟opposé du modèle du pouvoir occidental293
. Il apparaît que la culture populaire
européenne a été imprégnée d‟un préjugé concernant la religion islamique, la
culture arabe et les valeurs arabo-islamiques. L‟image des Arabes et
des musulmans est devenue, pour la grande majorité de l‟opinion publique, une
image figée, inaccessible à l‟évolution.
Le monde occidental, selon Edward Said, retient une image négative de
l‟Islam et l‟appréhension négative des Arabes, de l‟Islam et des musulmans294
. Il
n‟introduisit que quelques retouches à l‟image originale construite durant les
périodes des affrontements lors de croisades et de mouvements colonialistes. Même
si le Coran a été traduit en latin dès 1143, notamment par les traducteurs de
l‟Ecole de Tolède, on garde souvent en Occident de l‟Islam une lecture
fantasmagorique, une lecture ignorante, qui est le produit du premier choc
sanguinaire entre les deux civilisations. Le discours orientaliste accentue l‟idée de
l‟Islam comme force cohérente, transnationale et monolithique qui est engagée
dans une relation frontale avec l‟Occident à travers l‟histoire295
.
Quant aux médias occidentaux, leur attitude demeure ambiguë, et souvent
contradictoire. A titre d‟exemple, les caricatures de Mohamet, publiées en
septembre 2005 par un quotidien danois, enflammèrent le monde musulman.
L‟hystérie des manifestations de rue rappelle les réactions provoquées par la
publication par Salman Rushdie des „versets sataniques’ en 1988 en Grande-
Bretagne. La reproduction de l‟ensemble ou une partie des dessins provoqua de
fortes tensions internationales avec le spectre d‟un choc de civilisation qui élargit le
fossé entre le monde arabo-islamique et l‟Occident.
293
C. Liauzu, l’Islam de l’Occident, p.31. 294
E. Said, L’Orientalisme, p.363. 295
E. Poole, Reporting Islam, p.186.
155
Si les contacts entre le monde arabe et l‟Occident étaient fréquemment
dominés par des affrontements et des conflits qui furent exacerbés par les
différences religieuses et culturelles, les médias ont aujourd‟hui une lourde
responsabilité, non seulement en ce qui concerne le rapport des faits mais aussi en
tant que puissance d‟influence sur l‟opinion publique. La couverture médiatique de
l‟Islam, qui reste grossièrement péjorative, influence la vision occidentale des
Arabes.
Les aspects positifs de la rencontre entre l‟Occident et le monde arabo-
islamique furent systématiquement occultés, masqués par la dimension
conflictuelle. Aujourd‟hui on constate qu‟entre admiration de la science arabe,
rapports d‟échange et d‟influence mutuelle productive, c‟est l‟image du fanatique
qui a le plus profondément et le plus durablement impressionné les mentalités
collectives en Occident.
4. Arabes dans l’imaginaire britannique
Comme dans une partie de l‟Occident, en Grande-Bretagne, les mêmes
représentations persistent plus ou moins. Les attitudes britanniques envers les
Arabes sont produites par les forces de l‟histoire, notamment la découverte du
pétrole, la fin du système colonial et la domination sur une partie du monde arabe,
sous la pression de la montée des mouvements d‟indépendance, qui mettent fin au
prestige et à la présence britannique dans le monde arabe avec l‟indépendance de
l‟Egypte (1922) et de l‟Irak (1932). Les représentations des Arabes reproduisent
les mêmes préjugés culturels et sociaux basés sur une conjoncture politique et
historique.
4.1 Représentation romantique : une admiration de la vie de bédouinité
Des représentations positives sur des Arabes dominent les écrits des
voyageurs anglais pendant le dix-neuvième siècle avec les images de l‟Arabe
comme oriental hospitalier ou nomade. Le bédouin arabe était admiré et bien
représenté ; ainsi les chevaliers du désert, les guerriers et les nomades vivant dans
156
leurs tentes avec leurs chameaux, telles étaient, au début, les représentations
récurrentes des Arabes qui étaient associés aux traits d‟honneur et d‟hospitalité.
Les écrits des auteurs, notamment Edward William Lane dans son livre The
Thousand and One Nights, Richard Burton dans The Book of the Thousand Nights
and One, étaient une source d‟information qui donne une image sur le monde arabe
et les coutumes de ses habitants. Ces traductions en anglais des Mille et Une Nuits
avaient atteint une grande popularité au dix-neuvième siècle en Grande-Bretagne.
L‟industrie cinématographique, qui fut longtemps considérée comme
moyen efficace pour propager l‟information et un instrument pour modifier les
attitudes, s‟intéressait aux Arabes et au monde arabe. La représentation romantique
des Arabes comme artistes, qui dominait le cinéma avec des films comme Sheikh
et Son of the Sheikh dans les années vingt, continua pendant les années trente avec
des thèmes politiques et religieux dominés par l‟aventure et le mystère comme dans
Road to Morocco, A Night in Casablanca, the Thief of Bagdad. Cette
représentation favorable et nostalgique reflète l‟admiration britannique du désert et
de la vie de la bédouinité.
Jusqu'à la première moitié du vingtième siècle, la représentation des Arabes
en Grande-Bretagne était influencée par les récits des voyageurs britanniques qui
voyageaient dans le monde arabe au moment où la Grande-Bretagne bénéficiait
d‟une position impériale dans la région. L‟image britannique des Arabes se
transforma par les contacts et conflits historiques comme Nasir Sari le souligne :
„‟ Bien que dans le passé quelques Anglais, tels que Richard Burton et Edward Lane
aient passionnément apprécié la façon de vivre des Arabes dans leur habitat naturel,
les Arabes en général étaient toujours considérés dans la culture britannique comme
un groupe dont la religion et les valeurs sont exotiques296
.‟‟
Ainsi, la représentation favorable des Arabes en Grande-Bretagne pendant le
dix-neuvième siècle prit un nouveau tournant quand la puissance politique et
296
N. Sari, The Arabs and the English, p.166: „Although in the past some English men, such as Sir Richard
Burton and Edward lane, passionately appreciated the Arab‟s way of life in their natural habitat, yet the Arabs as
a whole were always considered in the British culture as a suspect group whose religion and values were alien.‟
157
économique de la Grande-Bretagne dans le monde arabe diminua et son influence
et son autorité s‟estompèrent.
4.2 Représentation stéréotypique : dans le cinéma, les médias et la littéraire
Plusieurs facteurs et moyens convergent pour véhiculer des
représentations stéréotypiques sur les Arabes. L‟industrie cinématographique en
Occident, qui inaugura son premier contact avec les Arabes avec le film the Thief
of Bagdad (1924), s‟activa à diffuser des stéréotypes et à enraciner dans
l‟imaginaire collectif des défauts attribués aux Arabes et aux musulmans. Les
stéréotypes sur les Arabes qui abondent au cinéma et à la télévision véhiculent
l‟image de nomades montés sur des chameaux, une caricature classique incarnée par
l‟image de l‟incompétence et de la défaite297
. Sans scrupule, dans les films
britanniques, les Arabes violent les jeunes filles, vendent des esclaves, ou
apparaissent sous la forme de marchands d‟esclaves, conducteurs de chameaux, ou
trafiquants. En un mot, les images récurrentes sont celles d‟un peuple cruel, lâche
et décadent298
.
Le message véhiculé par les médias est encore plus insidieux que celui
transmis par le cinéma. En effet, le secteur médiatique dispose d‟une capacité
phénoménale de déformation et de falsification. Avant la création de l‟Etat d‟Israël
(1948), les Arabes étaient associées aux chameaux et aux Pyramides. Avec le
déclenchement du conflit au Moyen-Orient et l‟intensification du conflit dans la
région, différentes images sur les Arabes se mettent à circuler dans les médias
comme fanatiques et terroristes sanguinaires.
La littérature occidentale et les écrits académiques diffusèrent
largement des images négatives sur le monde arabe et les Arabes. En Grande-
Bretagne, l‟association entre Arabe et pétrole fut diffusée littérairement par des
écrivains comme Linda Blandfard dans The Oil Sheikh et Andrew Duncan dans
The Money Rush à travers des thèmes présentant une image dans laquelle Arabe et
297
S. Edward, L’Orientalisme, p.320. 298
Ibid. p.320.
158
pétrole sont synonymes. La vision romantique de l‟Arabie changea avec la
reconnaissance de l‟importance de ce territoire comme source d‟approvisionnement
du pétrole qui commença à assumer un rôle central dans la vision et les attitudes
britanniques envers les Arabes.
Janice Terry indique que le caractère négatif du portrait des Arabes
qui domina les écrits populaires produisit des images dénaturées qui furent réitérées
fréquemment au point qu‟elles apparaissent comme une réalité pour beaucoup
d‟occidentaux299
, même si Daniel Boorstin et d‟autre attirèrent l‟attention sur la
confusion entre illusion et réalité dans la perception occidentale du monde arabe.
Les voyageurs britanniques dans le monde arabe, d‟après Janice Terry,
diffusèrent des stéréotypes sur les Arabes300
. Les divers stéréotypes incluent
comique l‟oriental, personne ridicule et grotesque pour l‟Européen, parce que son
comportement est considéré contraire aux règles du savoir-faire de l‟Européen.
C‟est un cliché mental qui revient à l‟esprit et s‟impose comme forme d‟humour. Le
stéréotype de l‟oriental barbare représente lui un être dominé par l‟ignorance, la
brutalité et l‟absence de sens moral en général et dont l‟emploi traduit la déception
des voyageurs confrontés à la réalité orientale. L‟oriental hypocrite et menteur est
une conception à laquelle se réfère des voyageurs comme Charles Doughty.
Dans cette représentation négative, l‟oriental est considéré dans tous les cas
comme un inférieur avec lequel on ne cherche pas à établir de relations. Toutes ces
conceptions correspondent à une même attitude générale : celle de la supériorité.
C‟est le point de vue égocentrique du voyageur qui domine dans tous les récits.
Cette attitude du voyageur reflète même l‟attitude impérialiste de la puissance
occupante qui cherchait à affirmer sa domination.
Plus récemment, l‟opinion britannique envers les Arabes est teintée de la
colère contre les riches arabes et l‟invasion de l‟argent arabe dans plusieurs
domaine de la vie britannique comme Frank Giles, l‟éditeur du Sunday Times,
299
J. Terry, Mistaken Identity, p.107. 300
J. Deledalle-Rhodes, L’Orient représenté, p.132.
159
souligne : ‘’ En été l‟invasion de Londres par les Arabes des deux sexes, l'achat
d‟hôtels et de biens immobiliers par l'argent arabe, le fait de priver de pétrole ou
d‟en augmenter le prix : ces raisons se sont combinées avec le choc d‟un pouvoir et
d‟une responsabilité perdue pour produire dans l'esprit britannique une série de
réactions envers le monde arabe qui oscillent entre l‟indécision et la franche
hostilité301
.‟‟
Les commentaires dans les moyens de communication défigurent
l‟image des Arabes en les présentant comme des gens archaïques. Le traitement par
la presse de ce thème varie entre hostilité et description détachée et équitable.
L‟achat, par exemple, de biens par des Arabes à Londres est mentionné par cette
presse comme „take over’, terme qui implique l‟appropriation. „‟Le stéréotype du
cheik arabe, richissime, d‟une extravagance folle, qui voyage à l‟étranger et gaspille
son argent en achat de luxe et qui s‟adonne à tous les plaisirs, est bien ancré dans
l‟imaginaire populaire et se trouve avec une régularité monotone dans les dessins
humoristiques de la presse302
.‟‟ Ces images de l‟Arabe riche et du cheik barbu
émergèrent avec l‟embargo mis sur l‟exportation du pétrole pendant les années
soixante-dix. Cet embargo fut décrit dans la presse occidentale comme un chantage
et exploité par elle pour répandre plusieurs images négatives sur les Arabes.
4.2 L’incompatibilité culturelle et le fanatisme religieux
L‟histoire de la présence musulmane en Grande-Bretagne remonte à
1888. Abdullah Henry William Quilliam, converti à l‟Islam lors d‟un séjour au
Maroc en 1884, établit la première communauté musulmane à Liverpool. Une
communauté musulmane se composant d‟immigrants venant d‟Egypte, de Syrie et
du Liban s‟est constituée également à Manchester vers la fin du dix-neuvième
siècle, selon Fred Halliday303
.
301
Morris International (Ed), The Arab Image in Western Media, p.203: „The summer invasion of London
by Arabs of both sexes, the purchase of hotels and real estate by Arab money, the withholding or pricing-up of
Arab oil: these have all combined with the shock of lost power and responsibility to produce in the British mind
a series of reactions towards the Arab world which veer between the equivocal and the frankly hostile‟ 302
F. Al-Farsy, Modernité et Tradition, p.315. 303
F. Halliday, Arabs in Exile, p.6.
160
D‟après Elizabeth Poole dans Reporting Islam : Media Representation of
British Muslims, la représentation des Arabes ou des musulmans en Grande-
Bretagne est axée sur deux pôles qui accentuent la déviance culturelle et le
fanatisme religieux. En ce qui concerne la déviance culturelle, les médias
britanniques, notamment la presse écrite comme The Guardian, The Times, The
Telegraph, traitent les thèmes de l‟éducation, les relations raciales, les croyances et
les pratiques rituelles d‟une manière qui accentue la disparité culturelle entre la
société majoritaire et la communauté arabo-musulmane.
A titre d‟exemple, la couverture des relations intergroupes, comme le
mariage mixte, est caractérisé par un discours orientaliste lié à la déviance sexuelle,
l‟immoralité, et l‟incompatibilité304
. Cette incompatibilité est soulignée par la
courte durée des relations, ou la cessation de la relation des mariés. Le mariage
mixte est présenté comme pratique culturelle exotique vouée à l‟échec. Quant aux
pratiques rituelles, elles sont décrites comme archaïques, et étrangères à la culture
majoritaire. Elles sont considérées comme pratiques dangereuses, qui mettent en
péril les valeurs de la société britannique et provoquent des tensions
intercommunautaires305
.
Les commentaires journalistiques ponctuent l‟ambivalence de la
culture arabo-musulmane et l‟incapacité des Britanniques d‟origine arabe ou
musulmane à s‟adapter à la culture majoritaire et aux valeurs de la société
britannique306
. La culture arabo-musulmane est décrite comme monolithique et
carrément différente de la culture de la société majoritaire et l‟Islam est présenté
comme religion menaçante. Ce biais perpétue l‟image d‟une communauté arabo-
musulmane qui est incompatible avec les valeurs anglo-saxonnes.
De cette manière, le discours médiatique qui met souvent en garde contre le
transfert de telles pratiques à la société britannique est un discours anti-
multiculturaliste. Les populations d‟origine arabo-musulmane sont considérées
304
Ibid. p. 69. 305
E. Poole, „the Effects of September 11 and the War in Iraq on British Newspaper Coverage,‟ Muslims in the
News media, p.89. 306
Ibid. 67.
161
comme porteuses de cultures profondément différentes de la composante
majoritaire de la société. Par conséquent, les musulmans britanniques, dont le
comportement est présenté comme sources des problèmes pour la société
majoritaire, ne sont pas vus comme un élément intégral de la société majoritaire. La
religion musulmane, selon Elizabeth Poole, est représentée comme culture
déviante de la culture majoritaire307
.
Les écrits sur l‟Islam, qui sont dominée par l‟ambivalence et les
contradictions, se nourrissent des événements internationaux saisis par une presse
qui s‟adonne à des spéculations sur l‟Islam et les musulmans britanniques. Dans ce
sens, le fondamentalisme islamique est un sujet récurrent dans le discours
médiatique qui, en marginalisant les positions pragmatiques et modérées de la
majorité des musulmans en Grande-Bretagne, fait une association constante entre
musulmans britanniques et fondamentalisme islamique.
Dans cette presse, plusieurs questions comme le terrorisme, le
fondamentalisme religieux ont fait l‟objet d‟une attention sans précédent après les
événements du 11 septembre 2001 à New York et du 7 juillet 2005 à Londres. Au
lieu d‟écouter la voix de la majorité de la communauté qui jouit de la crédibilité et
de l‟influence afin de lui permettre de réfuter les distorsions extrémistes et
d‟affirmer une connaissance plus crédible au-delà du cadre conflictuel d‟où émane
des représentations négatives de l‟altérité religieuse, la presse tend le micro à une
infime minorité extrémiste308
.
D‟après le rapport du Runnymede Trust309
, l‟islamophobie est un
phénomène qui est établi dans la société britannique. Les résultats de ce rapport
confirment que les musulmans britanniques sont marginalisés et représentés dans
un cadre négatif et conflictuel dominé par la délinquance la violence et
307
E. Poole, Reporting Islam, p.71. 308
Y. Samad, „Media and Muslim Identity: Intersections of Generation and Gender‟, Innovation, p.425-437. 309
A été fondé en 1968 comme un centre de réflexion indépendant sur les relations raciales en Grande-
Bretagne.
162
l‟immigration clandestine310
. L‟islamophobie se manifeste dans plusieurs secteurs
de la société, allant de simples agressions verbales à des attaques physiques. Le
rapport, qui pointe du doigt la discrimination sur les bases religieuses dans plusieurs
sphères de la vie publique, note que l‟Islam est fréquemment décrit comme
statique, monolithique et intolérant du pluralisme culturel311
.
Ce phénomène d‟islamophobie fut exacerbé, d‟ailleurs, par plusieurs
facteurs contextuels, qui firent de la communauté musulmane un élément étranger à
la société britannique et de l‟islamophobie un aspect dominant les rapports
intercommunautaires. D‟une part, une grande proportion des réfugiés et des
demandeurs d‟asile est composée de musulmans et Arabes. D‟autre part, la
tendance séculaire par rapport à la religion qui domine les médias et la
contestation de la politique étrangère de la Grande-Bretagne dans le monde arabe
intensifie ce phénomène.
En résumé, depuis des siècles, l‟Occident et le monde arabo-musulman se
côtoient. Les croisades, le colonialisme sont autant de périodes d‟affrontement qui
ont caractérisé les rapports entre les deux civilisations, religions, et cultures.
Plusieurs images négatives ont été construites sur la base de ces rapports
mouvementés : de la littérature, cinéma, aux médias, la représentation négative de
l‟autre et de sa culture se propage. La question de l‟altérité culturelle, notamment la
différence religieuse est au centre de la vision d‟autrui. Une vision qui se construit
sur une perception binaire du monde à savoir celle d‟un Orient primitif et un
Occident moderne.
Ce bref survol des représentations en Grande-Bretagne des Arabes et du
monde arabe révèle qu‟un portrait de différence continue de se dessiner. Si le
début du dessin de cette image négative remonte aux périodes d‟affrontements entre
l‟Occident et l‟Orient, les troubles du moment continuent à noircir la représentation,
310
R. Robin, „Islamophobia, Issues, Challenges, and Action‟ a report by the Commission on British and
Islamophobia, 2004. 311
A. Hussain, W. Miller, Multicultural Nationalism, p.50.
163
d‟où notre questionnement sur l‟effet des ces représentations sur le rapport avec
autrui.
5. Traitement et interprétations des données
5.1 Attitudes d’acculturation
Les perspectives des membres de la société majoritaire envers la
population minoritaire en ce qui concerne la diversité culturelle différent. Nous
constatons, comme le graphique ci-dessous illustre, que l‟attitude d‟intégration est
largement approuvée. L‟attitude individualiste est aussi populaire, puis l‟attitude
d‟assimilation, tandis que les orientations de la ségrégation et d‟exclusion sont très
peu approuvées.
Les attitudes du groupe majoritaire se répartissent donc
majoritairement entre intégration, individualisme, et assimilation. Aux yeux d‟une
large partie des questionnés, le groupe minoritaire arabe peut s‟intégrer dans la
société d‟accueil sans aucun renoncement à son héritage culturel. Pour les membres
de la société d‟accueil dont l‟orientation d‟acculturation prédominante est
l‟intégration, la culture du groupe minoritaire n‟est pas perçue comme menace à
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Attitudes d'acculturation (n500)
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l‟identité linguistique et culturelle de la société britannique, mais plutôt comme un
atout comme ce répondant confirme : „‟ la diversité est un atout, un enrichissement
pour la société et aussi pour l‟individu ; elle permet de découvrir d‟autres cultures
et styles de vie. L‟ouverture est nécessaire pour l‟enrichissement et la formation de
l‟individu. Vous savez, le monde devient un petit village, surtout les moyens de
communication réduisent les distances entre les sociétés. L‟enferment limite nos
connaissances, visions, et perceptions d‟autrui. Dans mon entourage, c‟est un plaisir
de connaitre et d‟échanger avec gens d‟autre groupes culturel, découvrir leurs
coutumes, cuisines et en même temps faire connaitre notre culture, (homme, âge 42
ans) ‟‟
Cette même idée est partagée par ceux dont l‟attitude d‟acculturation est
individualiste. Les membres du groupe ethnoculturel arabe sont jugés sur la base
de leurs qualités personnelles plutôt que leurs appartenances ethniques et culturelles
comme illustre l‟avis de ce questionné : „‟ oh écoutez, en ce qui me concerne,
dans mes rapports avec les autres, c‟est avec des individus que je rentre en
relation, je fréquente, j‟échange avec …., je ne m‟intéresse pas à leur culture,
opinion, convictions, ça rentre dans leur vie privée, c‟est le fait d‟avoir de bon cœur
qui compte, c‟est leur qualités humains, leur comportements qui sont importants et
m‟encourage et incite à établir des rapports et à partager des moments ensemble, je
ne réduit pas un être humain à des coutumes, idées, ou même une couleur, c‟est
l'être humain comme étant autonome et indépendant de toute sorte d‟appartenance
que je fréquente ( femme, âge 25 ans) ‟‟. Les individualistes ne se préoccupent pas
de la préservation de la culture d‟origine ou de l‟adoption de la culture du pays
d‟accueil par le groupe minoritaire. Peu importe même que l‟on soit immigrant ou
membre de la communauté d‟accueil, seules comptent les qualités personnelles des
individus indépendamment de leurs origines ethniques et culturelles.
L‟attitude d‟assimilation est adoptée par une catégorie qui rejette la
diversité culturelle considérée comme menace à la culture majoritaire. L‟accent est
mis sur la nécessité d‟assimiler la culture majoritaire par le groupe minoritaire
arabe afin de renforcer la culture majoritaire. Les membres de la société d‟accueil
165
qui adoptent une attitude d‟assimilation ont une position d‟autoritarisme et
d‟ethnocentrisme qui favorise la primauté de la culture majoritaire et l‟absorption
de la culture minoritaire. Les attitudes de ségrégation et d‟exclusion sont
faiblement adoptées par les questionnés. Ceux qui adoptent ces attitudes rejettent
catégoriquement la présence d‟un groupe minoritaire au sein de la société
majoritaire. L‟orientation de ségrégation/exclusion est la tendance la plus extrême à
privilégier les normes et valeurs de son propre groupe culturel.
La présence des immigrants est perçue comme une menace aussi bien
culturelle qu‟économique comme la réponse de ce questionné reflète : „‟ils prennent
nos emplois, nos maisons, ils saisissent tout et rejettent notre culture. Enoch Powell
avait raison. Beaucoup d‟intolérance découle du fait que nous sommes débordés. Je
m‟inquiète de mon travail aujourd‟hui, il est de plus en plus difficile de trouver un
emploi (homme, âge, 41 ans)‟‟. Ces résultats montrent que d‟une manière
globale, la majorité des questionnés acceptent les membres du groupe minoritaire
arabe comme individus, mais aussi comme membres d‟un groupe ethnoculturel dont
la culture est considérée comme enrichissement de la culture majoritaire.
Les individualistes ont un profil psychologique identique au profil des
intégrationnistes avec cette simple distinction : les individualistes ont tendance à
rejeter le rapport groupe majoritaire et minoritaire comme base des rapports
intercommunautaires. Une partie des questionnés, par contre, est plus encline à
démontrer des attitudes négatives envers la culture minoritaire. C‟est le cas
particulièrement des personnes âgées. Les attitudes positives sont repérées chez les
femmes et les jeunes. Les attitudes négatives et positives corrèlent fortement avec le
niveau de connaissance de la culture arabo-musulmane et l‟ouverture sur les autres
cultures.
L‟hégémonie d‟une seule culture est appuyée d‟une manière qui vise
la destruction de la différence culturelle du groupe minoritaire que l‟on veut intégrer
dans la culture dominante en effaçant les particularités culturelles. Une perception
montante voit que les Arabes sont lents à s‟intégrer dans la société britannique et
166
sont enclins à embrasser des valeurs anti-occidentales312
. La réticence de la
communauté arabe à s‟intégrer, avec la tendance à garder son identité à travers
l‟éducation, le mariage et les institutions sociales, est considérée comme une
menace par la culture britannique313
. La culture arabo-islamique est construite
comme contraire aux idéaux anglo-saxon de la civilité comme l‟illustre ce
questionné : ‘’Chez la communauté arabe, la référence culturelle émane toujours de
la religion et de la communauté et non pas de l‟individu comme en Grande-
Bretagne ou en Occident en général. Dans la société britannique, on accorde une
grande importance à l'individu et ses libertés. Cela contraste fortement avec le
système de valeurs axées sur la collectivité chez les membres de la communauté
arabe. Cette divergence est le résultat de différences substantielles en ce qui
concerne le degré de sécularisation du groupe minoritaire arabe et de la société
britannique (homme, âge 35 ans) ‟‟.
La construction dualiste Orient-Occident, enracinée dans la période du
colonialisme, reste remarquablement récurrente dans la rhétorique contemporaine
au sujet de la communauté arabe. L‟incidence des événements nationaux et
internationaux sur la situation interne influe sur les rapports intergroupes. Le rejet
du multiculturalisme a atteint son apogée lors des événements du 7 juillet 2005 à
Londres puisque le pluralisme culturel a été mis en question par les instances
politiques et médiatiques en Grande-Bretagne qui appellent à l‟imposition d‟une
culture commune au lieu de favoriser l‟émergence des cultures minoritaires314
. A
titre d‟exemple, Trevor Philips, président de la commission pour l‟égalité raciale315
,
a mis en cause, après les attentats de Londres, l‟approche multiculturelle qui divise
le pays en communautés et affaiblit la cohésion sociale316
. Dans son livre The Home
We Build Together : Recreating Society (2007), Jonathan Sacks critique le
multiculturalisme qui, selon lui, met en péril les valeurs très libérales et l‟identité
nationale de la société britannique. Il avance que le multiculturalisme, au lieu de
312
M. Banton, Promoting Racial Harmony, p.128. 313
J. Rex, „the Integration of Muslim Immigrants in Britain‟, Innovation, p.91-107. 314
M. Benitto, „les hauts et les bas des rapports intergroupes dans une société composée : le cas de la
communauté musulmane en Grande-Bretagne‟, Revue française de sociologie Rusca, janvier 2009. 315
Devenue : Commission for Equality and Human Rights par Equality Act 2006 après la fusion de
Commission for Racial Equality et Equal Opportunities Commission. 316
M. Phillips, Londonistan, p.113.
167
réduire la friction sociale, affaiblit la culture nationale. Le système d'éducation
britannique est accusé du renoncement à la transmission des valeurs et d'histoire
de la nation en adoptant une approche pluraliste qui néglige l‟histoire de la nation
britannique et son identité nationale317
. Charles Moore dans The Spectator, écrit que
l‟approche multiculturelle devrait être écartée en faveur d‟une culture anglaise et
chrétienne : „‟ Nous voulons des étrangers aussi longtemps que leur fait d‟être
étranger n‟est pas massif. La Grande-Bretagne est fondamentalement
anglaise et chrétienne, et si on commence à penser qu'elle pourrait devenir
musulmane, parlant Urdu, on devient frustrés et en colère318
‟‟
Selon un sondage réalisé par l‟institut Mori, 32% des Britanniques
considèrent le multiculturalisme comme menace pour le mode de vie britannique
(British way of life), et 59 % des Londoniens déclaraient que le port du voile
islamique „ nuit aux relations raciales‟319
. Dans ce sens, la minorité arabe, aux
yeux d‟une partie des enquêtés, est intéressée par son organisation communautaire
plutôt que par l‟intégration au sein de la société britannique. Cette communauté est
perçue comme un groupe religieux différent. Une partie significative des
questionnés ont tendance à l‟identification et la fréquentation des groupes avec des
valeurs culturelles communes. Autrement dit, l‟interaction est dominée par le
renforcement de l‟identité et des rapports intragroupes. Un sentiment de fierté et
de loyauté envers sa propre communauté et culture se manifeste parfois avec un
degré d‟antagonisme à l‟égard d‟autres modes culturels. Ce sentiment est attribué à
la tendance ethnocentrique et aux mécanismes socio-psychologiques
d‟identification communautaire et culturelle320
. L‟attachement du groupe
minoritaire à un ensemble de pratiques culturelles ne favorise pas également la
rencontre et l‟interaction culturelle.
317
Ibid.p.113. 318
Cite par Y. Alibhai-Brown, True Colours: Public Attitudes to Multiculturalism, p.20: „We want foreigners as
long as their foreignness is not overwhelming… Britain is basically English speaking, and Christian, and if one
starts to think it might become Urdu speaking and Muslim, one gets angry and frustrated‟ 319
Sondage réalisé par l‟institut Mori, le 20 octobre 2006. 320
E. Weiner, Handbook of Interethnic Coexistence, p.189.
168
Les relations intergroupes sont affectées par la divergence culturelle
entre la communauté arabe et la société majoritaire, notamment les perceptions et la
collision entre le modèle libéral britannique de la liberté et un mode de vie arabe
traditionnel. Les tensions persistantes entre une tendance séculière et un mode de
vie religieux créent un sentiment de méfiance à l‟encontre d‟autrui. Si certains
questionnés mettent en exergue les qualités humaines qui pourraient être partagées,
d‟autres, en revanche, s‟appuient sur des identités communautaires et des valeurs
culturelles pour établir leurs réseaux de relations et se lamentent de la perte de
l‟identité blanche et chrétienne. Le « nous » a une signification émotionnelle forte
qui est activé automatiquement lors de l‟interaction sociale. La préférence culturelle
se manifeste souvent par le respect des normes du groupe ethnique et la fiabilité
dans les relations avec les membres du même groupe ethnique321
. La frustration de
la perte de l‟identité se traduit, souvent, par une intolérance croissante de la
différence.
5.2 Connaissance d’autrui et question d’écart culturel
Eux et nous, soi-même et les autres, dichotomies
fondamentales de l'existence humaine, des concepts intégrés dans la
psychologie, l'anthropologie, la science politique, les communications
et une foule d'autres disciplines. Depuis 9 / 11 cette division a été la
caractéristique des affaires mondiales322
.
L‟un des piliers de notre questionnaire incluait un élément qui visait à
mesurer la connaissance d‟autrui chez le groupe majoritaire. Il s‟avère qu‟une
321
M. Brewer, N. Miller, Intergroup Relations, p.24. 322
L. Pintak, „Framing the Other: Worldview, Rhetoric and Media Dissonance since 9/11‟, Muslims and the
News Media,p.188: “Us and them, self and other- fundamental dichotomies of human existence, concepts
embedded in psychology, anthropology, political science, communications and a host of other disciplines. Since
9/11 this division has been the defining characteristic of global affairs.”
169
majorité des questionnés n‟ont pas de connaissance de la culture arabe, surtout dans
ses aspects religieux comme le graphique ci-dessous l‟illustre.
La culture, la religion et l‟histoire du groupe minoritaire arabe sont
largement étrangères pour beaucoup des questionnés. Dans la conscience du groupe
majoritaire, la connaissance d‟autrui est basée sur la juxtaposition des normes et de
la culture spécifique à un groupe particulier avec la culture du groupe minoritaire
arabe dans la mesure où le sacré, la morale et le conservatisme au sein de la
communauté arabe sont contrastés d‟une manière répétitive avec la sécularisation et
la liberté individuelle chez le groupe majoritaire. Cette connaissance est teintée de
plusieurs ambiguïtés. Elle se fait d‟une manière comparative dans laquelle la
connaissance de l‟autre est acquise à partir de la connaissance de soi, ses normes et
sa culture.
Autrement dit, la connaissance d‟autrui est reliée souvent à l‟altérité
culturelle et en particulier à l‟altérité religieuse. Cette connaissance, qui reste
toujours superficielle, stagne dans une incompréhension et un défaut de
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connaissance qui s‟achemine vers la méfiance intercommunautaire basée sur le
préjugé, la peur et l‟ignorance comme le Professeur Ahmed Akbar le souligne :
L‟ignorance et l‟incompréhension de l‟Islam existent parmi les
musulmans et les non musulmans. Les non musulmans craignent
l‟Islam par ignorance et incompréhension. Ils imaginent qu‟il menace
leurs valeurs les plus fondamentales. Les fantasmes, la conjecture et le
stéréotype prennent la place du fait et de la réalité. De la même façon,
les musulmans ont leurs conceptions erronées. En réagissant à la haine
et à la peur des non musulmans, ils créent une sorte de posture
défensive dans leurs sociétés et un climat combatif, basé sur un
discours militant, rejette la faute sur des conspirations extérieures323
.
L‟ignorance, le dénigrement, et les opinions arrêtées sont les traits
dominant la connaissance d‟autrui chez le groupe majoritaire. Ce manque de
connaissance bouscule le rapport intercommunautaire vers la méfiance et le rejet,
cause essentielle de la tension intercommunautaire qui bloque l‟instauration de la
compréhension et de l‟interactivité puisque une partie des questionnés éprouvent
étrangeté et choc culturel envers un modèle culturel arabe qui est différent.
La connaissance d‟autrui est acquise à travers une dimension
historique et médiatique et non pas à travers une connaissance de familiarité et de
proximité. D‟une part, toute connaissance à propos de la société humaine est
historique et par conséquent se base sur le jugement et l‟interprétation. Dans ce
sens, la connaissance d‟autrui se réalise à travers le mélange d‟une évidence
indirecte et la situation vécue des événements, comme Edward Saïd le souligne :
La connaissance de l'Islam et des peuples islamiques est
généralement la conséquence non seulement de la domination et de la
confrontation mais aussi de l'antipathie culturelle. Aujourd'hui, l'Islam
est défini négativement comme celui avec qui l‟Occident est
radicalement en désaccord et cette tension établit un cadre qui limite
radicalement la connaissance de l'Islam324
323
A. Akbar, ‘Islam in the Age of the Western Media‟, Living Islam from Samarkand to Stornoway,
p. 207: „Ignorance and misunderstanding of Islam exists among both Muslims and non Muslims. Non Muslims,
ignorant and misunderstanding of Islam, fear it. They imagine that it threatens their most basic values. Fantasy,
conjecture and stereotype take the place of fact and reality. Similarly Muslims have their own misconceptions.
They too, reacting to the hate and fear of non Muslims, create a kind of defensive posture within their own
societies and a combative climate based on militant rhetoric which blames outside conspiracies.” 324
E. Said, Covering Islam, p.163: “Knowledge of Islam and of Islamic people has generally proceeded not only
from dominance and confrontation but also from cultural antipathy. Today Islam is defined negatively as that
171
La perception d‟autrui, dans ce contexte, a été affectée par l‟ardeur
spirituelle et le sens fort de l‟identité chez une large catégorie des personnes de
confession musulmane et l‟apparition des formes contemporaines de
fondamentalisme religieux dans la ville de Londres. Cette ville est une terre
d‟accueil et de refuge pour plusieurs mouvements islamistes fondamentalistes
dominés par le wahhabisme saoudien et d‟autres courants dits salafistes. Ainsi,
certains quartiers de Londres sont devenus le fief d‟islamistes, notamment la
mosquée de Finsbury Park qui a accueilli jusqu‟en 2003 le cheik Abou Amza,
célèbre pour ses invectives contre les Américains325
.
Le Londonistan, terme créé par la presse arabe londonienne au milieu des
années 1990, désigne différents groupes et leaders islamistes qui sont arrivés sur le
territoire britannique comme réfugiés politiques. Dans le cadre de la liberté
d‟expression, qui est l‟un des principes fondateurs en Grande-Bretagne, ces imams
radicaux avaient la liberté de prêcher librement, profitant des avantages de Londres
comme place financière considérable (paradis fiscal pour certaines fortunes du
Golfe), et d‟un grand nombre de médias arabophones en plus de la souplesse de la
politique d‟accueil britannique par rapport aux autres pays d‟Europe. Il utilise
également une stratégie de communication moderne, notamment l‟internet326
. Ce
type de communication a une efficacité considérable dans la diffusion du message
et l‟établissement des liens entre les militants dans plusieurs coins du monde. Sur
l‟ensemble du monde arabe, entre vingt cinq et trente mouvements d‟opposition, du
Maroc à l‟Irak, utilisent Londres comme base de représentation et de
communication327
.
A Finsbury Park, la radicalisation parmi la communauté arabe, notamment
d‟Afrique du Nord, limite les rapports intercommunautaires. L‟éducation dispensé
est conservatistes et tend à favoriser un repli et un rejet de l‟environnement non
with which the west is radically at odds and this tension establishes a framework radically limiting knowledge of
Islam.” 325
D. Thomas, Le Londonistan, p.96. 326
Ibid. p.222. 327
Ibid. p.104.
172
musulman. Le discours religieux véhiculé mettait l‟accent sur l‟incompatibilité
entre valeurs arabo-islamiques et valeurs libérales de la société britannique au point
que l‟intégration est considérée un risque qui peut engendrer la perte de l‟identité
arabo-islamique328
. La religion est investie dans un souci de respecter à la lettre les
prescriptions religieuses et les incarner dans la vie quotidienne. Cette tendance, qui
est propagée parmi les membres de la communauté arabe en perpétuant des liens
intracommunautaires, est en outre soutenue par la colère contre ce qui est perçu
comme comportement anti-islamique de l‟Occident, en particulier lorsqu‟il s‟agit
du conflit au Moyen-Orient329
.
Par ailleurs, dans le monde actuel de flux des personnes et de l‟information,
la première source de la connaissance d‟autrui est les médias. Les médias jouent
un rôle majeur dans l‟opération du tissage de la connaissance chaque jour aux
échelles nationales et internationales. Ce constat se manifeste chez une écrasante
catégorie des questionnés. Les médias sont la principale source du regard porté
par la société majoritaire sur la communauté arabe.
328
J. Githens-Mazer, „Islamic Radicalization among North Africans in Britain‟, the British Journal of Politics
and International Relations, vol 10, n°4, Novembre, 2008.p.550-565. 329
Ibid. p.550-565.
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Ces des médias réactivent la vision ancienne du rapport antagonique entre
Islam et Occident, surtout alors que le monde arabe reste le théâtre de plusieurs
conflits et le centre d‟attention des moyens de communication. La représentation
négative d‟autrui, qui était limitée dans le passé aux écrits des voyageurs,
commence à dominer les médias, devenus des véhicules de propagande et de
diffusion des stéréotypes. Poussés parfois par la recherche du sensationnel ou le
manque d‟information ou d‟objectivité, les médias se lancent dans un processus de
noircissement de la représentation d‟autrui. Cette opération affecte la perception
des migrants, des demandeurs d‟asile et des réfugiés, ainsi que leur niveau
d‟intégration et d‟acceptation par la société d‟accueil comme le souligne Didier
Lassalle : „‟On assiste, au Royaume-Uni, à la montée inquiétante du sentiment de
rejet, du racisme et de la xénophobie à l‟encontre des demandeurs d‟asile, qui
s‟exprime de plus en plus au grand jour et fait les titres des journaux. L‟amalgame
se fait également, dans l‟esprit du public britannique, entre refugié (estampillé ou
potentiel) et immigrant, bien qu‟il existe des différences fondamentales entre ces
deux expériences tout aussi terribles330
.‟‟
D‟autre part, l‟Islam et les individus qui pratiquent cette religion se
voient fréquemment stigmatisés négativement dans les discours médiatiques qui
formulent l‟opinion et la connaissance d‟une large majorité de la population.
L‟usage des mots « extrémisme » et « terrorisme » associés à ceux « d‟islamique »
et de « musulman » est courant dans les médias et un tel amalgame journalistique a
conduit à présenter l‟Islam comme religion sanguinaire331
. Ainsi, l‟un des obstacles
de la politique d‟intégration en Grande-Bretagne est sans conteste ce sentiment anti-
musulman et l‟amalgame entre l‟islam et fondamentalisme qui s‟exprime par
l‟intermédiaire de stéréotypes négatifs sur la culture arabe dans les médias332
. Un
fossé intercommunautaire est susceptible d‟être creusé à cause d‟une représentation
déformée dans les médias, les agissements et luttes dans le monde, et un manque de
330
D. Lassalle, „Vers une harmonisation du droit d‟asile en Europe : l‟influence du Royaume-Uni‟, Les
Politiques de l’immigration en France et au Royaume-Uni, p.79. 331
F. Al-Farsy, Modernité et Tradition, p.316. 332
D. Lassalle, L’Intégration au Royaume-Uni, p.83.
174
connaissance d‟autrui qui ne favorisent pas le développement d‟une société
pluraliste et le combat des formes d‟intolérance.
5.3 Contact avec autrui et la dominance du rapport intragroupe
Les membres de la société majoritaire ont été invités à évaluer leur
interaction et contact en termes d'importance, d‟intimité, et de fréquence avec le
groupe minoritaire arabe. De la plupart des réponses, il ressort que les interactions
avec les membres du groupe majoritaire sont considérées plus fréquentes et
intimes que celles entretenues avec le groupe minoritaire arabe. Le rapport
intragroupe se révèle plus agréable et confortable. Quant au rapport intergroupe,
qui semble être déprécié, il se réalise souvent à un niveau plus superficiel. Le
contact intragroupe, qui est majoritairement dominant, est traversé pourtant par
des liens intergroupes entre des individus qui partagent des points d‟intérêt
commun aussi bien sur le plan professionnel qu‟intellectuel.
L‟établissement d‟un lien au-delà du groupe d‟appartenance chez
une partie des questionnés est favorisé par l‟ouverture aux différences entre
groupes culturels et à la tolérance vis-à-vis d‟attitudes, de valeurs et de manières
d‟agir autres que les siennes. Les rapports intercommunautaires se constituent par la
seule perception des ressemblances et de la différence. Les individus qui partagent
les mêmes convictions, les mêmes effets, et les mêmes habitus, bref les mêmes
marquages sociaux ont tendance à se reconnaître entre eux333
. En effet, dans le
rapport intracommunautaire, les individus sont dotés d‟une faculté de catégorisation
sociale dont ils se servent pour classer les autres, ou se joindre à eux334
. La tendance
à percevoir les autres de différentes cultures comme groupe homogène et
indifférencié est un facteur important dans la compréhension de la perpétuation des
stéréotypes sur autrui.
L‟ambiguïté et le recul qui règnent sur le rapport intergroupe sont liés
à l‟anxiété due à l‟écart culturel entre les deux communautés. Des points de
333
G. Bajoit, Le Changement social, p.86. 334
Ibid.p.86.
175
divergence irréconciliable entre la société majoritaire et la minorité arabe, tels que
les dispositions en ce qui concerne les rapports sociaux et la religiosité de la
communauté arabe, limitent les rapports intercommunautaires. La fixation des
frontières avec autrui est fréquemment expliquée à travers l‟opposition entre deux
modèles culturels qui réduisent le rapport à l‟altérité. L‟idée récurrente chez
beaucoup des questionnés est que l‟Islam ne connaît pas de distinction entre les
pouvoirs temporel et spirituel. La diversité religieuse entraîne un manque de
rapports réguliers. Clairement une appréhension se fait jour à propos de l‟intensité
de l‟attachement religieux chez la minorité arabe. Cette dernière mène une vie plus
religieuse que la majorité chrétienne qui devient de plus en plus laïque comme le
confirme Moojan Momen : « la laïcisation a progressivement imprégné le monde
chrétien. Elle a conduit à la situation dans laquelle, vers le dix-neuvième siècle, le
christianisme avait cessé d'avoir beaucoup d'influence sur la vie sociale et politique
de l'Europe. La religion n‟a plus de rôle dans le façonnement de la politique et
sociale et politique. D'autres considérations et d'autres idéologies laïques
(séculaires) avaient repris. Après la perte d'influence sociale et politique, la religion
est devenue non pertinente dans la vie des gens ordinaires aussi335
.‟‟
Selon Tariq Modood, un tiers des Britanniques déclarent ne pas avoir
de religion et si environ un quart des blancs en Grande-Bretagne se rendent dans un
lieu de culte une fois par mois, deux tiers des musulmans vont à la mosquée au
moins une fois par semaine336
. La religion a une influence très importante sur la
façon dont ils mènent leur vie, contre seulement 5 % chez les blancs337
. La Grande-
Bretagne est devenue une société post-chrétienne dans la mesure où peu de gens
vont à l‟église, ou même envoient leurs enfants à l‟instruction religieuse du
dimanche338
.
335
M. Momen, the Phenomenon of Religion, p. 480. „Secularization has gradually permeated the Christian
world. It led to the situation in which, by the nineteenth century, Christianity had ceased to have much real
influence on the social and political life of Europe. Religion no longer had a role, however, in the shaping of
political and social policy. Other considerations and other secular ideologies had taken over. Following the loss
of social and political influence, religion became increasingly irrelevant to the lives of ordinary people also » 336
T. Modood, „la Place des musulmans dans le multiculturalisme laïc en Grande-Bretagne,‟ Social Compass
47(1), 2000, p.41-55. 337
Ibid. p.41-55. 338
M. Philips, Londonistan, p.116.
176
Le rapport à l‟altérité subit des hauts et des bas selon les enjeux
politiques du moment qui ont un effet aussi important que le poids de l‟altérité
culturelle dans toute situation de ce genre. La construction d‟un lien
intercommunautaire accueillant qui favorise les relations familières est influencée
par les événements sur la scène nationale et internationale qui ont rendu obscures
interactions et perceptions entre la communauté musulmane en général et la société
majoritaire britannique339
.
La controverse a défavorablement affecté les relations raciales dans
la société britannique. Cette situation s‟est tout de suite traduite par une interaction
intercommunautaire limitée. En effet, la vision et le rapport avec l‟autre restent
largement prisonniers du traitement médiatique de la religion musulmane et d‟une
longue histoire de représentations façonnées depuis des siècles au cours des
périodes d‟affrontements. La stigmatisation qui touche l‟ensemble des musulmans
en Grande-Bretagne, qui s‟incarne dans les discours véhiculés par les médias, passe
précisément par l‟absence de référence au contexte politique et historique des
événements. La stigmatisation ne fait aucune distinction entre les différents
courants religieux et aboutit à la production des anciens schémas de pensée et des
images de l‟altérité religieuse. Ces représentations circulant dans les moyens de
communication ont un effet sur une grande partie de la société britannique en
particulier sur les plus âgés.
Conclusion
En somme, le rapport intercommunautaire entre la communauté
arabe de Londres et les membres de la société d‟accueil reste imprégné par les
représentations et la vision d‟autrui tissées sur les événements historiques par les
moyens de communication. Des opinions stéréotypiques sur l‟autre continuent
d‟influencer les mentalités et les attitudes des couches populaires, âgées en
particulier. Thierry Hench dans l’Orient imaginaire : la vision politique occidentale
339
S. Vertovec, „Islamophobia and Muslim Recognition in Britain,‟ Muslims in the West, p.33
177
de l’est méditerranéen, 340
s‟interroge sur les fondements de la connaissance qui
s‟écarte de toute approche objective et se glisse dans une tendance ethnocentrique
tramée sur un rapport historique caractérisé par la domination et l‟affrontement.
Maxime Rodinson, dans la Fascination de l’Islam, n‟a pas donc tort de nous mettre
en garde contre la représentation négative des contacts qui s‟établissent à l‟occasion
des affrontements historiques : „‟Les perceptions de l‟autre prennent en compte
celui-ci moins pour ce qu‟il est que pour ce qu‟il paraît représenter comme menace,
comme espoir, en connexion avec les passions et les intérêts, pour renforcer ou
illustrer un courant interne341
.‟‟
Les mêmes représentations refont surface à chaque moment de crise
dans un monde sous tension qui semble n‟avoir rien appris des douloureux
affrontements du passé en se bousculant dans des aventures désordonnées ponctuées
d‟interventions militaires dans plusieurs coins du monde. Les collectivités humaines
n‟échappent pas de la nécessité de se définir. La prise de conscience identitaire
n‟est pas possible sans penser l‟altérité, sans tenir compte du regard et de la
présence de l‟autre. C‟est vrai de la communauté arabe comme de la société
d‟accueil, bien que ce regard reste toujours influencé par des forces extérieures. La
connaissance d‟autrui se fait sous la pression des événements et à travers les
représentations véhiculées souvent par les moyens de la communication.
L‟accès à un rapport intercommunautaire solide dans une société
pluraliste repose sur une connaissance d‟autrui, une connaissance d‟autres cultures
et une conscience des habitudes et des différences entre les divers modèles
culturels. À cet effet, un rapport intergroupe doit trouver son ciment dans la
connaissance et la compréhension, non seulement des cultures et religions, mais
aussi et surtout de la diversité des coutumes et modes de vie des personnes vivant
dans un espace commun.
Cette connaissance doit dépasser la connaissance superficielle proposée par
les médias pour arriver à une connaissance basée sur la découverte, la familiarité,
340
P. 184. 341
P.139.
178
et la proximité. La connaissance d‟autrui conjuguée avec la reconnaissance de la
différence et sa tolérance donne comme effet des interactions plus actives et
agréables avec les groupes appartenant à des cultures minoritaires. L‟accès à un
rapport intercommunautaire est relié à la destruction des tendances
ethnocentriques. Cette phase repose sur la capacité à identifier les aires de
malentendus et de dysfonctionnement et à distinguer les conformités et les
différences communautaires. Une fois que les bases des tendances ethnocentriques
sont bien comprises, il devient plus facile de lever les barrières du rapport
interculturel et de gérer les différences culturelles efficacement.
179
Chapitre VII : Les rapports intercommunautaires du point de vue de la
population minoritaire
Introduction
A l‟heure de la mondialisation et des migrations internationales, la société
britannique est devenue au fil des années, une société multiethnique où différents
groupes ethnoculturels coexistent. Le mouvement d‟un groupe minoritaire d‟un
environnement culturel à un autre s‟accompagne souvent du changement de valeurs,
de normes, et de modes de vie. La communauté minoritaire prend conscience que
la culture du nouvel environnement culturel se situe à une distance variable de la
sienne. Cette conscience de la diversité, qui engendre des déséquilibres dans le
rapport avec autrui, est à l‟origine de la tendance de l‟immigrant à réagir et à se
réajuster différemment face à un nouveau milieu culturel.
Ce chapitre a pour objectif le traitement du rapport interculturel de la
communauté arabe de Londres avec la société d‟accueil en mettant l‟accent sur
l‟ouverture du groupe minoritaire arabe sur la culture du pays d‟accueil comme
moyen de médiation interculturelle. Dans un contexte de culture majoritaire et
minoritaire, les nouveaux arrivants doivent avoir un contact avec la culture
majoritaire pour établir un lien avec le nouvel environnement culturel. Ce lien peut
être qualifié d‟harmonieux au moment où des groupes entrent en contact avec
l‟intention de réaliser des échanges. Le contact commence par une reconnaissance
réciproque jusqu‟à la pratique d‟activités conjointes. L‟échec de l‟établissement
d‟un rapport interculturel peut être imputé au narcissisme excessif et à l‟arrogance
d‟autrui. L‟incrustation dans l‟imaginaire collectif des stéréotypes que les
mutations n‟ont pas été en mesure d‟effacer peut constituer également un obstacle.
Dans ce sens, si l‟imaginaire occidental, comme nous l‟avons montré dans le
chapitre précédent, continue à accumuler un ensemble de représentations négatives
180
sur les Arabes et le monde arabo-islamique, face à l‟Occident, l‟imaginaire arabe se
meut entre fascination et répulsion.
1. Les représentations de l’Occident : de l’orientalisme à l’occidentalisme
L'une des illustrations vivaces de cette dichotomie qui a dominé
le débat sur l'Occident depuis le début de la confrontation à travers
plusieurs périodes dans l‟histoire avec le monde arabo-islamique, et
qui n'a jamais été résolue, est la question de ce qui doit être pris de
l‟Occident et ce qui doit être rejeté. Il a eu un consensus sur le fait que
la civilisation occidentale est indispensable pour le progrès, mais il a
eu la peur d‟une influence sur l'identité, la tradition, et l‟altération de
ce que le moi a perçu comme moralité élevée, une certaine spiritualité
dont l‟Occident est privée342
.
Si, comme fut montré précédemment, les représentations des Arabes dans le
monde occidental sont teintées de plusieurs stéréotypes, la vision de l‟Occident
dans le monde arabe est également entachée de représentations négatives. Au gré
des alliances et des confrontations, ces représentations ont évolué à travers des
siècles dans le cadre des relations conflictuelles entre monde arabe et Occident.
Ces relations, qui étaient marquées par la séduction et la répulsion, débouchèrent
sur des guerres, mais aussi constituèrent des moments d‟échanges et de transferts
fondamentaux dans les domaines scientifiques et culturels.
Les périodes de conflits armés entre l‟Occident et le monde arabo-islamique
engendrèrent une image fortement négative de l‟Occident dans l‟imaginaire collectif
arabe. Les écrits arabes des périodes de conflits reflètent clairement la construction
d‟un profil de l‟Occident comme puissance hégémonique qui n‟agit que pour
asservir l‟Arabe, mépriser ses valeurs et exploiter ses ressources et ses biens343
. Les
représentations de l‟Occident dans l‟imaginaire arabe sont d‟une grande
complexité. Ainsi, on peut relever chez les Arabes des attitudes de rejet et
342
R. El-Enany, Arab Representations of the Occident, p.8: „One of the perennial manifestations of this
dichotomy which has dogged the debate about the West since the beginning of the encounter and has never been
resolved is the question of what to take from the west and what to leave. There has been consensus that western
civilisation is a sine qua non for progress, but there has also been fear for identity, for tradition, for the
corruption of what the self perceived as higher morality, a certain spirituality of which the West is bereft‟
343
Ibid p. 107.
181
d‟acceptation qui reflètent les divers courants politiques et religieux dans le monde
arabe. La longue période des luttes pour l‟émancipation politique vit une opposition
violente entre modernistes et conservateurs, religieux et laïcs, radicaux et modérés.
Le monde arabe créa des représentations différentes du monde occidental.
La proximité à l‟égard de ce monde varie en fonction des canaux d‟approche. D‟un
côté, il y a les partisans de la tradition, et de l‟autre, on trouve les tenants de la
modernité. Les occidentaux comme infidèles, croisés et colonialistes continuent de
travailler l‟imaginaire arabe selon les circonstances et les dimensions des
affrontements. Chaque fois que la confrontation entre l‟Islam et l‟Occident semble
réactivée, les dimensions d‟échanges sont occultées par une ignorance réciproque
chargée de menace. Malgré les différences qui existent entre les Etats et les
organismes médiatiques, certains discours arabes véhiculent des réactions hostiles
à l‟égard du monde occidental. Par ailleurs, ce que le paysage médiatique arabe
retient est une mosaïque de discours, d‟attitudes et de jugements344
.
1.1 Représentation positive et la conciliation de deux modèles culturels
Dans le rapport avec l‟Occident, une partie des élites arabes adoptent
une logique éclectique avec une ouverture d‟esprit permettant d‟accueillir toute
diversité culturelle avec compréhension. La pensée éclectique s‟ouvre entièrement à
toutes influences extérieures. Elle considère que les discours arabes sur l‟Occident,
notamment le discours traditionnel, ressassent le même leitmotiv, depuis des
décennies, d‟un Occident envahisseur en s‟attaquant à son immoralité, et à son
hypocrisie. Les représentants de cette tendance conciliatrice comme le confirme
Nassib Sami El Husseini dans l’Occident imaginaire : la vision de l’autre dans la
conscience politique arabe345
, idéalisent l‟Occident comme modèle irrésistible pour
accéder à la modernité. La modernisation à l‟occidentale dans plusieurs facettes de
la vie est favorisée et les éléments négatifs ne font pas le poids devant l‟attrait de ce
modèle. L‟impact des missionnaires, à cet égard, n‟est pas négligeable. Leur
344
Ibid. p. 130. 345
N. El Husseini, l’Occident imaginaire, p.65.
182
enseignement joua un rôle important dans l‟idéalisation de l‟Occident au sein des
sociétés arabes.
Parmi les intellectuels arabes qui prirent le relais pour défendre le
modèle occidental, on trouve Rifaa Al-Tahtawi346
et Taha Hussein.347
Leurs rôles
dans le façonnement de la perception arabe de l‟Occident à travers leurs écrits
originaux et traductions sont considérables. Cet effet déboucha sur un appel à la
communion de la pensée avec cet idéal348
. Les défendeurs de cette logique
estiment que les sociétés arabes prétendument arriérées ont besoin, pour rattraper
leur retard, de s‟inspirer du modèle occidental. Face à ce déséquilibre, les
idéalisateurs veulent mettre leurs sociétés sur les rails de la modernisation avec des
réserves qui concernent particulièrement les traditions et les coutumes arabo-
musulmanes. Dans ce sens, le caractère de la libération des mœurs à l‟européenne et
la nécessité d‟accommoder la religion musulmane constituent deux thèmes
complémentaires aux réserves émises par un bon nombre d‟idéalisateurs349
.
Le Liban et l‟Egypte savourèrent le privilège d‟être les éléments
conducteurs de ce modèle triomphant dans la société arabe. Au Liban, toute une
partie de la société était préparée à l‟idée que le pays serait le principal lien entre
l‟Orient et l‟Occident. Désirant s‟approprier le privilège d‟être le canal de la
civilisation occidentale vers le monde arabe, la compétition à ce titre, entre les
idéalisateurs libanais et égyptiens ne cessa pas. L‟admiration du modèle
occidental se manifeste en ce qui concerne l‟esprit de discipline, à savoir l‟esprit
civique et de tout ce qui permet le bon fonctionnement de la société, confirme
Mouna Bennai-Chraïbi :
C‟est en Occident que sont acquises les réalisations de l‟Etat-
providence, notamment la sécurité sociale et les indemnités de
chômage. Aux grands écarts de fortune, au pouvoir de l‟argent, au
clientélisme, à la corruption régnant dans les rouages de la vie sociale,
administrative et économique du Maroc, sont opposés la justice
sociale, le respect de l‟homme régnant « ailleurs », chez le voisin
346
Ecrivain égyptien (1801-1873). 347
Romancier et essyiste et critique littéraire égyptien (1889-1973). 348
N. El Husseini, L’Occident imaginaire, p.75. 349
Ibid p.66.
183
espagnol côtoyé dans les enclaves par les habitants du Nord
marocain350
.
La reconnaissance de la supériorité de la civilisation européenne par
les premiers idéalisateurs dérange particulièrement les musulmans, en particulier les
dignitaires tels Al-Tahtawi, qui doivent concilier cette supériorité avec l‟Islam.
Cette notion est centrale dans la théorie musulmane et les discours populaires. La
situation n‟a donc jamais été la même pour les idéalisateurs, musulmans et
chrétiens. Ces derniers, n‟ayant pas à défendre l‟Islam, bénéficiaient d‟une marge
de manœuvre plus grande. Cette fascination ou admiration est accompagnée d‟une
autre représentation de rejet construite sur deux piliers : il s‟agit de la perception et
la vision des courants islamiste et nationaliste dans le monde arabe de l‟Occident.
1.2 Représentations des islamistes et nationalistes de l’Occident
1.2.1 Le rejet islamiste et la thèse de l’invasion culturelle
L‟Occident est généralement présenté dans le monde arabo-islamique
comme continent éloigné de la morale, où règnent la dépravation, la corruption, et
la dissolution des mœurs. Le monde occidental, tel qu‟il se présente aux perceptions
arabo-musulmanes, dans ses ambivalences entre le matériel et le spirituel, est
emmailloté dans un ethnocentrisme arrogant, voire dans un racisme flagrant à
l‟égard des autres civilisations et cultures351
. Le rejet islamiste est représenté par
des figures telles que Mohammed Abdou352
et Hassan Al Banna353
en évoquant la
thèse de l‟invasion culturelle occidentale.
L‟Occident est représenté comme croisé, ou colon, qui incarne
toutes les étapes de l‟histoire et des guerres entre l‟Occident et le monde arabo-
musulman. L‟islamisme construit tout un lexique concernant l‟Occident avec
comme terme le plus récurrent celui d‟invasion culturelle. Le rejet du modèle
occidental, qui est considéré par le courant islamiste comme invasion culturelle, se
350
M. Bennani-Chraïbi, „Jeunes Egyptiens et Marocains face à l‟Occident : appropriation, attrait, répulsion‟, Les
Visions de l’Occident dans le monde arabe, p.123-124. 351
N. Afaya, L’Occident dans l’imaginaire arabo-musulman, p.122. 352
Réformiste égyptien (1849-1905) 353
Très connu comme le fondateur de l‟organisation des Frères musulmans en Egypte en 1920.
184
construit sur une vision des rapports du pouvoir à l‟échelle mondiale. Alors que
l‟idéalisation de l‟Occident se fait parfois au détriment de l‟espace d‟appartenance,
sa diabolisation repose généralement sur l‟expression de l‟identification de
l‟individu à sa communauté définie en fonction de critères religieux354
.
Les thèmes de l‟authenticité et de la sauvegarde des valeurs
qualifiées d‟arabo-islamiques qui renvoient souvent à la sphère des mœurs et de la
sexualité sont largement évoqués355
. La question de la désintégration de la famille
occidentale est particulièrement contrastée dans le discours avec une société
musulmane dont la solidarité sociale et de la stabilité familiale sont les bases
fondatrices. Les premiers éléments mis en avant dans la justification de ce rejet sont
la différence religieuse, l‟anarchie des mœurs ou la déviance sexuelle356
. Aux deux
éléments -religion et liberté sexuelle- stigmatisant, la liberté, à la fois objet de
fascination et de rejet, est un autre élément mêlé au modèle occidental. La liberté
en Occident est jalousée dans certains domaines comme la liberté d‟expression et
la liberté politique mais diabolisée lorsqu‟elle touche le domaine de l‟éthique357
.
La liberté dans la perspective islamiste fonctionne alors à l‟intérieur
de la religion et de l‟éthique musulmane ou orientale. Autrement dit, la liberté ne
peut être que religieuse et morale. Lorsqu‟elle dépasse une certaine limite, elle
devient anarchie et dissolution. Les représentants de ce courant de pensée arabe
rejettent catégoriquement les valeurs occidentales et se lamentent des pertes des
valeurs originelles à cause de la portée de la civilisation occidentale358
, et voient
dans l‟invasion occidentale un effacement de l‟entité arabe.
Le rejet islamiste de l‟Occident se construit sur ces points négatifs.
Pour ce courant, „‟l‟Occident est la terre de la barbarie et un continent sans âme et
sans religion, une machine de puissance calculatrice et cupide qui veut dominer le
354
354
M. Bennani-Chraïbi, „Jeunes Egyptiens et Marocains face à l‟Occident : appropriation, attrait, répulsion‟,
Les Visions de l’occident dans le monde arabe, p.133. 355
Ibid. 356
A. Nivat, Islamistes : comment ils nous voient ?, p.107. 357
S. Radi, „l‟Image de l‟Occident chez les prêcheurs musulmans et coptes‟, Les Visions de l’Occident dans le
monde arabe, p.164. 358
N. Afaya, L’Occident dans l’imaginaire arabo-musulman, p.118.
185
monde par la guerre, les sciences, les techniques, le commerce inégal, l‟exploitation
du sexe de la femme359
‟‟. Lorsque la personne se situe à partir d‟une identification
au groupe d‟appartenance religieuse, „‟l‟Occident est considéré comme calamité
en remontant vers le passé, aux croisades et à l‟épisode colonial en ajoutant les
guerres menées par les coalitions occidentales dans le monde arabe pour nourrir
cette dynamique du rejet et de la représentation négative360
.‟‟
1.2.2 Le rejet nationaliste et la rhétorique du colonialisme
A l‟instar du rejet d‟inspiration religieuse, plusieurs mouvances
laïques arabes entretiennent des représentations inamicales de l‟Occident. Des
communistes aux socialistes et nationalistes, ils maintiennent tous une rhétorique
acerbe sur l‟Occident qui est considéré comme entrave à l‟indépendance
économique et politique du monde arabe. Ainsi, l‟Occident rejeté se manifeste aussi
bien chez un militant islamiste que chez un chrétien ou un laïc. La représentation
prédominante dans les discours de l‟élite culturelle et politique arabe est celle de
l‟Occident colonial. C‟est en tout cas ce que les pouvoirs nationalistes issus de la
révolution dans plusieurs pays arabes, qui cherchaient à légitimer leur existence
puisqu‟ils étaient issus de coups d‟Etat, essayèrent de réaliser en se prenant pour
chefs de file „nationalistes „ panarabes.
Cette option a pu envahir les discours, politique et médiatique, et
littéraire. Ce courant de rejet à tendance nationaliste est parti de l‟hypothèse que la
colonisation occidentale représente véritablement l‟ensemble des occidentaux dans
leur totalité et non pas une catégorie colonialiste sans distinction entre les
puissances coloniales et les valeurs portées par les peuples de l‟Occident. Les
opinions des penseurs de la Renaissance (Nahda) n‟ont pas pu réussir à changer
ce type d‟amalgame. En outre, l‟éducation, la culture, et l‟information relative à ces
aspects n‟ont pas été jusqu‟à présent, replacés dans un cadre historique, autre que le
contexte historique des conflits et des affrontements.
359
G. Corm, Orient Occident: la fracture imaginaire, p.27. 360
S. Radi, „l‟Image de l‟Occident chez les prêcheurs musulmans et coptes‟, Les Visions de l’Occident dans le
monde arabe, p.134.
186
Comme nous l‟avons montré précédemment, pour le courant de rejet
islamiste, l‟altérité vis-à-vis de l‟Occident est basée sur des questions qui relèvent
de la religion et de la morale islamique. Les nationalistes parlent également des
occidentaux d‟une manière presque identique à celle des islamistes. La divergence
des références éthiques et des attitudes morales est une piste exploitée par les deux
courants dans la dynamique du rejet et des représentations d‟autrui. Ce rejet est
alimenté par les périodes de domination et de confrontation entre monde arabe et
Occident.
Tous les répertoires comme colonialisme, impérialisme, et sionisme se
relient et se correspondent dans la lecture des relations entre l‟Occident et le monde
arabo-musulman. Ce sentiment de répulsion est renforcé, surtout depuis la guerre
du Golfe (1990-1991), pour caractériser le rapport à l‟autre à qui l‟on reproche,
selon Saadia Radi : „‟ Injustice politique du „deux poids, deux mesures‟, usage d‟un
subterfuge juridique, „la légitimité internationale‟, pour servir des intérêts
impérialistes , défense d‟Israël qui, depuis sa naissance, „viole les lois onusiennes‟,
„écrasement militaire d‟un Arabe qui a osé se révolter contre l‟ordre occidental,
dont l‟un des principes est le maintien des Arabes dans l‟humiliation et
exclusion361
.‟‟
D‟une façon générale, une pluralité de répertoires est investie et
instrumentalisée dans un processus de rejet du modèle occidental et de la
représentation négative de l‟Occident et les discours et les références abondent
dans l'histoire nationale pour alimenter cette perspective. Bref, le monde arabe
éprouve souvent une attraction répulsion vis-à-vis du mode de vie occidental en
entretenant bien des clichés sur l‟Occident qui dominent les discours médiatiques et
littéraires.
1.3 Le rejet de l’Occident dans les médias et la littérature
L‟Orient arabe formule des perceptions et des représentations de
l‟Occident aussi bien dans le domaine de la pensée politique que dans les champs
361
Ibid.p.135.
187
littéraires et médiatiques. En ce qui concerne la représentation médiatique, la presse
arabe, notamment la presse arabe éditée à Londres, comme Al-Hayat, Al-Quds et
Al-Charq Al-Awsat qui se proclament panarabes, véhicule une représentation
négative de l‟Occident.
Ainsi l‟image de la société britannique comme société immorale y est
récurrente. A titre d‟exemple, dans les caricatures apparaissant dans cette presse,
„‟les hommes d‟affaires britanniques sont représentés comme croisés chrétiens,
symbole des intentions impérialistes de la Grande-Bretagne qui visent à contrôler
les ressources arabes et à contaminer la terre sacrée362
.‟‟ L‟image de la Grande-
Bretagne contrôlée par les juifs est une autre image dominante qui est symbolisée
par le portrait des hommes politiques britanniques obéissant au lobby juif et
tournant le dos aux revendications arabes. Un sujet développé constamment dans
colonnes de cette presse est la politique de deux poids, deux mesures de l‟Occident
envers le monde arabe, notamment lorsqu‟il s‟agit des questions du Moyen-Orient
et des revendications arabes.
Le discours littéraire est l‟un des axes sur lesquels s‟établit la
représentation de l‟Occident. Les intellectuels arabes pensent selon deux logiques :
la majorité d‟entre eux selon la logique traditionaliste. Contrairement à la tendance
éclectique qui favorise les mœurs et les coutumes de l‟Occident, le courant
traditionnel base sa critique de la société sur la mise en cause des valeurs
occidentales qui sont des thèmes développés par plusieurs auteurs arabes363
.
Cette production littéraire dans laquelle l‟Occident se manifeste à travers
trois dimensions n‟est pas coupée du contexte socio-historique qui l‟environne. La
première dimension, est l‟image de l‟Occident en tant que phénomène colonial dans
le cadre de la relation historique marquée par la domination occidentale de plusieurs
pays arabes364
. La deuxième dimension se manifeste par une influence postcoloniale
362
A. Ali Abdel-Rahman Younes, Images of the West as Portrayed in the Political Cartoons in the United
Kingdom-based Arab Media, PhD thesis, University of Bradford, 1992. Consultée à Londres – British Library en
2007. 363
M. Alzahrani, L’Image de l’Occident dans le roman arabe contemporain, thèse de doctorat, paris III, 1990. 364
A. Ahrazem, L’Image de l’Occident dans le roman marocain, thèse de doctorat, Paris III, 1993.
188
à différents niveaux, culturels, économiques et politiques après l‟indépendance. La
troisième dimension est incarnée par la prise de conscience par rapport à la
problématique de l‟identité nationale dans la mesure où les peuples auparavant
colonisés sont sous l‟influence de l‟Occident lequel représente en même temps
pour eux un modèle de renouveau et de progrès.
En résumé, la série des événements qui ont marqué le rapport entre
monde arabo-islamique et Occident tels que les croisades, le colonialisme
continuent d‟agir sur l‟imaginaire arabe et la formulation des représentations arabes
de l‟Occident. Ces représentations sont dominées par le ressassement des mêmes
images d‟une puissance coloniale agressive et des croisés et envahisseurs. Que ce
soit l‟approche libérale, nationaliste ou islamiste, l‟Occident se présente, à la fois
comme modèle étatique et politique, ou comme influence et domination culturelle.
Pour le nationaliste, qu‟il soit au pouvoir en Syrie, Irak, ou Libye, ou dans
l‟opposition, l‟Occident résiste aux tentatives d‟unification arabe politiquement et
culturellement. En un mot, „‟le politique et le culturel s‟imbriquent d‟une manière
indissociable dans la formulation des perceptions et représentations arabes de
l‟Occident365
.‟‟
2. Culture : moyen de médiation interculturelle
2.1 Que-ce que c’est la consommation culturelle ?
L‟intégration d‟une minorité ethnique au sein d‟une société
d‟accueil ne se limite pas seulement à un processus strictement économique et
social. En fait, ce processus d‟intégration économique dissimule un travail
d‟appropriation culturelle. Cette procédure d‟adaptation culturelle est subordonnée
à l‟ouverture sur la culture du pays d‟accueil comme stratégie de médiation
interculturelle. L‟alignement des habitudes et des coutumes propres à un groupe
culturel sur l‟ensemble des mœurs de la population autochtone est possible à
travers l‟adaptation culturelle qui est réalisable grâce à une consommation culturelle
diverse.
365
Ibid. p.126.
189
La pratique culturelle englobe la fréquentation des salles de cinéma, des
théâtres et la consommation audiovisuelle : radio, télévision et musique. Cette
pratique culturelle, selon Olivier Donnat et Denis Cogneau, „‟change constamment
à travers divers stades allant de l‟initiation à l‟abandon, de l‟initiation à la pratique
régulière, ou de l‟abandon à la reprise366
.‟‟ Les individus peuvent s‟adonner
régulièrement à des pratiques comme ils peuvent s‟en écarter délibérément à
travers l‟initiation à d‟autres pratiques. Les déplacements sur ce continuum sont
fréquents puisque les individus peuvent passer progressivement d‟une pratique
occasionnelle à une pratique régulière. Les habitudes culturelles relèvent d‟un
processus fondamental de structuration et de déstructuration des liens sociaux et
peuvent permettre à une communauté d‟établir un lien avec les communautés
culturelles à travers l‟intérêt porté aux problèmes de la société.
2.2 Pratique culturelle : pont interculturel
Les pratiques culturelles s‟inscrivent dans des logiques de
médiation puisque nous prenons conscience de notre appartenance à travers ces
pratiques. Il s‟agit d‟une activité au cours de laquelle nous assumons une langue par
le simple fait de la comprendre. Nous acquérons également des informations qui
nous donnent une culture commune avec d‟autres lecteurs engagés dans les mêmes
activités telles que la lecture d‟un journal, l‟écoute d‟une radio ou le spectacle
d‟une télévision. Dans ce sens, ces pratiques sont des activités de médiation qui
donnent à la sociabilité une dimension et une consistance fondée sur des pratiques
d‟autant plus ancrées dans notre conscience qu‟elles sont mises en œuvre au cours
de nos expériences et de nos relations personnelles.
Bref, les pratiques culturelles d‟une minorité pourraient
s‟analyser comme le résultat d‟une négociation entre sa tradition et son projet global
d‟insertion dans le nouvel environnement culturel. La transmission des
significations sociales, par la médiation notamment les pratiques culturelles, permet
à l‟individu de communiquer avec autrui et de s‟insérer dans un nouveau tissu
366
O. Donnat et D. Cogneau, Les Pratiques culturelles des Français, p. 55.
190
social. Dans la mesure où les individus appartenant à des minorités culturelles ont
tendance à fréquenter autrui, à vivre en société et à être ouverts et accommodants,
ils se familiarisent avec le nouvel environnement social et culturel. Dans ce
contexte, notre l‟étude du rapport intercommunautaire de la minorité ethnique arabe
de Londres avec le courant majoritaire de la société britannique traite le lien entre
les grandes tendances en matière de lecture de presse ou d‟utilisation d‟autres
moyens culturels et la formation des réseaux des relations interpersonnels.
3. Traitement des données
3.1 Pratiques culturelles
3.1.1 Lecture des journaux
Il est à noter qu‟une grande proportion de la communauté lit en
premier lieu les journaux provenant de leurs pays d‟origine, puis les journaux
arabes édités à Londres. Le taux le plus bas de lecture de la presse (35% des
questionnées) est observé chez les femmes qui lisent en particulier les magazines
féminins les plus centrés sur la famille et la maison. Autrement dit, la lecture des
magazines et des revues publiés à Londres ou provenant du monde arabe domine la
consommation des produits culturels chez les femmes. Les hommes, à l‟inverse,
s‟adonnent très nettement à la lecture des journaux politiques et privilégient les
lectures qui sont en rapport avec le monde extérieur.
On observe une corrélation entre fréquence de lecture et type de
quotidiens. La lecture des journaux nationaux est plus souvent quotidienne que celle
des journaux panarabes édités à Londres. Il semble donc qu‟on puisse distinguer
deux modalités de lecture de la presse quotidienne. La lecture de la presse nationale
et arabe est une pratique quotidienne, dominante et fortement ritualisée chez 63%
des questionnés. En revanche, la lecture de la presse anglaise est moins fréquente et
se limite aux élites et aux jeunes de la deuxième génération (25% des questionnés).
Le manque d‟intérêt des jeunes pour les médias arabes est attribué au fait
que la majorité ne maîtrise pas la langue arabe. Le mode de consommation des
médias est caractérisé par un usage informationnel sélectif pour les média de la
société d‟accueil d‟une part, et d‟autre part, par un usage affectif pour les médias
191
ethniques. Globalement, si l‟on ne retient que les deux modalités de lecture les plus
fréquents, la prédominance des quotidiens nationaux sur les quotidiens arabes est
nette puisque les premiers ont deux fois plus de lecteurs que les seconds (65%
contre 34%).
3.1.2 Pratiques audiovisuelles
La même tendance est observée en ce qui concerne la musique, la
radio et la télévision. La consommation audiovisuelle est dominée par les moyens
de communication arabes et les gros consommateurs se recrutent parmi les femmes.
Ces dernières peuvent utiliser la radio comme fond sonore pendant l‟exécution de
tâches domestiques ou pour certaines pendant le temps du travail.
Les pratiques audiovisuelles sont concentrées sur les moyens de
communication arabes à l‟exception d‟une proportion des membres de la deuxième
génération. La proportion des Arabes qui écoutent ou regardent les chaînes
britanniques est faible et les élites de la communauté sont toujours les plus
nombreuses à le faire, mais le phénomène apparaît bel et bien générationnel chez les
générations nées en Grande-Bretagne. Le rajeunissement de l‟auditoire ou son
niveau de scolarité est un facteur qui reflète la consommation des produits
culturels britanniques. La majorité des jeunes choisissent des émissions et des films
britanniques et écoutent la musique britannique en raison parfois du manque de
maîtrise de l‟arabe.
Bref, les médias ethniques et nationaux sont utilisés plus que les
médias dominants dont les immigrants expliquent l‟utilité souvent à titre de moyen
éducatif pour apprendre la langue anglaise. Cette pratique reflète la manière
d‟organiser la communication sociale et le rapport avec le milieu d‟accueil et le
groupe d‟appartenance nationale et ethnique. Les membres de la communauté arabe
recourent aux médias ethniques pour des besoins psychologiques et affectifs reliés à
la nostalgie du pays d‟origine, tandis qu‟ils utilisent les médias dominants pour des
besoins informationnels filtrés.
192
3.1.3 Fréquentation de l’espace public
Les fréquentations de l‟espace public en matière de sorties culturelles
confirment la plus grande pratique de l‟espace de proximité. Les membres de la
communauté arabe sont, dans l‟ensemble, nombreux à ne pas fréquenter les lieux
culturels. Le réseau des activités communautaires constitue une alternative
considérée comme positive pour encadrer les occupations culturelles. Ces activités
rassemblent les membres de la communauté à l‟occasion des soirées arabes. Les
fêtes, en particulier Aid el-Fitr (fête de la rupture du jeûne du mois de ramadan) et
Aid el-Kebir (la fête du mouton), constituent de puissants facteurs de ressourcement
communautaire à la culture arabe, donnant ainsi l‟occasion de réunir largement des
familles autour de convictions confessionnelles ou des pratiques rituelles.
3.2 Les attitudes d’acculturation
Dans un milieu multiculturel, les immigrants négocient différemment
le rapport avec le nouvel environnement culturel. S‟agissant des attitudes
d‟acculturation des membres de la communauté arabe de Londres, l‟intégration est
l‟attitude d‟acculturation qui domine.
0
50
100
150
200
250
300
Intégration Individualisme Séparation Assimilation
Attitudes d'acculturation (n500)
193
La préférence accordée à l‟intégration et à la séparation comme
attitudes d‟acculturation révèle l‟importance que les immigrants accordent au
maintien des liens avec la culture arabe et leurs attitudes vis-à-vis de l‟interaction
intercommunautaire. Les individus qui adoptent l‟intégration comme orientation
d‟acculturation ont une expérience d‟interaction avec la culture britannique et
rencontrent moins de difficultés d‟adaptation sociale. Par contre, ceux qui
choisissent la séparation sont attachés aux valeurs traditionnelles arabes avec un
réseau de relations interpersonnelles limité à la communauté ethnique.
L‟orientation d‟acculturation individualiste est également
privilégiée par une partie significative des questionnés qui proviennent
généralement du milieu universitaire, qui place la réussite individuelle avant
l‟origine culturelle et sociale. Les résultats confirment la pertinence de la place de
l‟individualisme comme profil d‟acculturation chez les jeunes. L‟orientation
d‟assimilation est très peu populaire. Chez toutes les catégories, l‟intégration et
l‟assimilation se trouvent respectivement en première et en dernière position.
Les stratégies d‟acculturation sont corrélées avec l‟âge et le sexe des
questionnés de façon significative. Autrement dit, plus les questionnés sont âgés,
plus ils adoptent une stratégie de séparation. Le groupe des femmes révèle une
légère accentuation de la séparation par rapport à celui des hommes. En un mot,
l‟âge, le sexe et le niveau d‟éducation des questionnés influencent leur stratégie
d‟acculturation.
3.3 Réseaux des relations interpersonnelles
Dans l‟ensemble, le réseau des relations interpersonnelles est centré
sur le groupe ethnique ou national. Ce réseau intraethnique s‟agrandit par
différents moyens de connexion tels que les liens de parenté, les mosquées et les
organismes communautaires, qui constituent des réseaux d‟amis du pays d‟origine.
A la différence des réseaux avec les natifs, les rapports intraethniques s‟avèrent
indispensables, efficaces et très influents. Certains réseaux, comme ceux des
églises, des mosquées, des associations, sont établies préalablement à l‟arrivée
194
d‟immigrants et fonctionnent comme véritable système d‟accueil. D‟autres se
construisent et se développent au fur et à mesure que nos informateurs vivent leurs
expériences d‟émigration dans la société d‟accueil.
Les liens intercommunautaires sont cependant difficiles à développer
chez certains immigrants qui connaissent peu de natifs qu‟ils peuvent considérer
comme amis, faute d‟occasions de rencontre ou de compétence linguistique. Une
catégorie de nos questionnés s‟affirment comme appartenant à la culture d‟origine
et au groupe monoethnique. Ils sont distants du courant dominant de la société et
fréquentent en premier lieu les membres de leur groupe ethnique et national.
L‟existence de réseaux ethniques solides et forts constitue pour cette catégorie un
facteur positif pour diminuer la marginalité. Une autre catégorie développe des liens
et des interactions avec la société d‟accueil. Plusieurs facteurs, notamment l‟âge et
le niveau d‟instruction et d‟insertion professionnelle constituent un appui pour la
création des réseaux extraethniques.
4. Analyse et interprétations des données
4.1 Pratiques culturelles : médias arabes, puissants facteurs de
ressourcement communautaire
Dans la société arabe, la pratique culturelle, selon Abdelkader Ben
Cheik, est largement marginalisée en raison en premier lieu du niveau élevé de
l‟analphabétisme367
. L‟analphabétisme, les abandons prématurés de l‟école
constituent des entraves au développement de la pratique culturelle. L‟insuffisance
des bibliothèques publiques, où le citoyen peut s‟initier à l‟exploitation individuelle
et collective de l‟information documentaire, et les conditions socio-économiques
freinent les possibilités matérielles d‟accès au livre et à la presse.
L‟examen du budget familial est révélateur de la place qu‟occupe la
culture d‟une manière générale dans la hiérarchie des besoins sociaux au monde
arabe368
. L‟acte de lire est faiblement enraciné dans les habitudes de la famille
arabe. En effet, une large majorité baigne dans un climat de fragilité matérielle et
367
A. Ben Cheik, Productions de livres et lecture dans le monde arabe, p. 41. 368
Ibid. p. 41.
195
culturelle. „‟L‟apprentissage du désir de lire est limité à une minorité libérée des
entraves matérielles et habituées au rôle de la culture dans le développement de la
personnalité et d‟une scolarité réussie369
.‟‟
L‟analyse des pratiques culturelles de la communauté arabe de
Londres, en particulier les pratiques médiatiques et la fréquentation des lieux
culturels, révèle certaines disparités dans l‟ouverture sur la culture du pays
d‟accueil. L‟opposition la plus forte est celle qui existe entre gros consommateurs
des moyens de communication du pays d‟origine et ceux qui consomment la culture
britannique. L‟univers des pratiques culturelles est fortement stratifié. Ainsi, on
distingue trois axes fondamentaux de la stratification des pratiques culturelles selon
le genre, le niveau de scolarité et l‟âge.
Le degré de scolarité de la personne représente une variable exerçant une
très grande influence sur les pratiques culturelles chez les membres de la
communauté arabe de Londres. Si l‟on considère par exemple l‟indicateur de la
scolarité, on remarque que les plus scolarisés sont les plus actifs en matière du
cumul des pratiques culturelles des deux environnements culturels. L‟ouverture sur
la culture britannique à travers les médias se maintient à un niveau progressif chez
les intellectuels et les membres de la deuxième génération. La proportion de forts
consommateurs continue à augmenter chez cette catégorie qui, en même temps, fait
des sorties culturelles, fréquentant les bibliothèques, le théâtre ou le cinéma.
L‟analyse des résultats par tranche d‟âge indique clairement que la
proportion des consommateurs quotidiens de la culture arabe est plus élevée chez
les membres de la première génération. L‟une des grandes ruptures en matière des
pratiques culturelles est celle qui s‟est établie entre jeunes et personnes âgées. En
effet, on observe que ce sont essentiellement les jeunes qui sont porteurs des
grandes tendances dans l‟évolution des taux de consommation de la culture
britannique. Il s‟agit de l‟exemple le plus typique des transformations majeures des
pratiques culturelles chez les membres de la communauté arabe de Londres.
369
Ibid. p. 42.
196
A l‟opposé, la première génération s‟est approprié les modèles
culturels du pays d‟origine sans modification de ses pratiques culturelles. Ces
dernières sont limitées à une consommation culturelle qui favorise ce qui est
national et ethnique. Pour cette catégorie, le fait de regarder les chaînes arabes,
d‟une manière fidèle, signifie ne pas être coupé de l‟actualité du pays d‟origine.
Autrement dit, elle se forge une identité, celle, non pas de personnes coupées des
réalités du pays d‟origine, mais plutôt de personnes qui s‟intéressent activement à
l‟actualité et à la culture du pays d‟origine malgré la distance grâce aux nouvelles
technologies.
Ainsi, l‟établissement d‟un lien avec la culture d‟origine constitue
pour ces personnes qui entretiennent une relation difficile avec la culture dominante
une marque d‟appartenance à la culture d‟origine dans la mesure où les médias
communautaires trouvent une légitimation sociale dans l‟accès à l‟information en
langue arabe et une liaison avec les pays arabes.
Le troisième axe de la disparité qui domine les pratiques culturelles est
le genre. Les hommes sont plus ouverts à la culture britannique que les femmes.
Les différences observées portent sur les niveaux et l‟intensité de la pratique
culturelle qui se manifeste très explicitement dans les pratiques reliées aux
habitudes de lecture et aux médias. Bref, il y a corrélation entre les attitudes
d‟acculturation des questionnés et leurs pratiques culturelles. Dans le processus
d‟intégration culturelle, les pratiques culturelles, qui représentent des systèmes
culturels et communicationnels, jouent un rôle crucial dans la formation de la
conscience de celui qui reçoit les informations et de l‟opinion publique. Elles
représentent un facteur actif dans la consolidation de la pluralité culturelle et dans
la familiarisation des nouveaux arrivants avec les valeurs culturelles, sociales et
morales de la société d‟accueil.
Les pratiques culturelles s‟inscrivent dans un processus dynamique
qui traverse et enrichit de manière constante les relations interpersonnelles à travers
la construction de ponts entre les cultures et leur connaissance respective et
197
cohabitation féconde. Dans ce sens, ce que les anthropologues appellent pratiques
culturelles‟ en termes de consommation des médias est un instrument capable de
construire un pont interculturel qui permet de développer des rapports
intercommunautaires et d‟apporter la compréhension. Notre étude révèle que les
pratiques culturelles, qui constituent „‟une occasion dont la sociabilité peut
s‟emparer, peuvent contribuer à l‟élaboration et à la formalisation du champ
relationnel dans une société composée370
‟‟. Elles constituent, selon Bernard
Lamizet, „‟l‟ensemble des activités qui donnent une consistance effective à la
médiation symbolique constitutive de la sociabilité371
‟‟. De même que, pour
d‟autres, la pratique culturelle est un arsenal de mesures sociales et
comportementales mobilisées pour faire face aux défis de l‟environnement culturel
d‟accueil372
.
4.2 Les attitudes d’acculturation : entre recul et avancement vers la culture
majoritaire
Les stratégies d‟acculturation révèlent les attitudes d‟une minorité
ethnique confrontée à une diversité culturelle et la manière dont elle interprète et
forge les relations avec les natifs. Cette disparité culturelle affecte différemment les
liens avec le nouveau milieu culturel. L‟intégration est un processus d‟apprentissage
et de transformation culturelle par rapport à la culture du pays d‟accueil. Les
membres de la communauté arabe de Londres adoptent des pratiques et des
discours différents dans leurs rapports avec la société majoritaire. Suivant le
positionnement par rapport à l‟interaction avec le nouvel environnement culturel,
l‟immigrant définit différemment l‟intégration, la société d‟accueil et les relations
avec les natifs.
4.2.1 La séparation : une poursuite de l’authenticité culturelle
L‟orientation vers la séparation est un choix adopté par une
catégorie de la communauté arabe de Londres. Ce choix émane de l‟attachement
370
D. Pasquier, „La Culture comme activité sociale,‟ Penser les médiacultures, p.106. 371
B. Lamizet, La Médiation culturelle, p.165. 372
W. Denevan, „Adaptation, Variation, and Cultural Geography‟, The Professional Geographer, p.399-407.
198
entier à la tradition et du rejet catégorique de la culture du milieu d‟accueil. Cette
attitude se caractérise par un nationalisme religieux et une identité culturelle
franche de tout effet culturel extérieur. Le type d‟univers conforme à cette tendance
est l‟univers religieux. C‟est une attitude qui se manifeste par l‟attachement aux
valeurs religieuses et le rejet des idées et des valeurs de la société d‟accueil. Sans
aucun penchant fort vers la culture majoritaire, cette tendance souligne la nécessité
de mener un mode de vie spécifiquement religieux. C‟est dans ce contexte que le
fait communautaire est souvent exacerbé par le fait religieux.
Souvent engagés dans les activités de leur communauté, ceux qui
adoptent cette stratégie d‟acculturation sont attachés au mode de vie traditionnel
de la société arabe, notamment dans ses perspectives religieuses. L‟inclination est
plutôt vers le conservatisme d‟une manière qui reflète l‟engagement de ce groupe
dans une sorte de „‟ resistant identity’’ pour vivre en sécurité et confort dans un
mode de vie sans transgression de ses normes et de ses coutumes. Un repli sur la
culture d‟origine s‟opère avec un renfermement identitaire qui se traduit par deux
caractères, „‟à savoir un hégémonisme, exprimant le fait que leurs prescriptions
tendent à concerner toutes les situations de l‟existence ; d‟autre part, des
prescriptions visant le détail de chaque situation373
.‟‟
Pour cette catégorie, l‟intégration ne mène qu‟à la dissolution de
l‟identité culturelle. Le nouveau milieu culturel est considéré comme éloigné des
valeurs religieuses. La vision culturelle pose comme „‟principe intangible le primat
de la religion, l‟hostilité à tout brassage entre cultures et l‟obsession de la notion de
pureté374
. „‟ Le nouveau milieu culturel est évalué par les membres de ce groupe à
travers un prisme religieux sur la base d‟une catégorisation du monde basée sur une
idéologie politico-religieuse. Cette vision, purement théologique, renvoie à la
crainte d‟un effet culturel extérieur qui est vu comme un processus qui non
seulement introduit un élément étranger au groupe ethnico-religieux, mais qui
373
C. Camilleri, Stratégies identitaires, p.93-94. 374
M. Harbi, „Relecture d‟une résistance‟, Pratiques et résistance culturelles au Maghreb, p.78.
199
reflète également un milieu culturel rejeté et attaqué sévèrement sur la base de la
moralité.
Cette tendance est plus grande chez les femmes ; ce qui reflète la persistance
de l‟aspect patriarcal dans le nouveau environnement culturel375
. Les parents
tentent souvent de restaurer une autorité menacée en exerçant, notamment à l‟égard
des filles, un contrôle bien plus rigide que celui en vigueur dans le pays d‟origine.
Ces dernières s‟attachent souvent à se plier aux coutumes et mœurs de la
communauté ethnico-religieuse pour ne pas décevoir les parents.
Dans cette catégorie, les femmes ont moins de contacts avec la société
majoritaire que les hommes. Ces femmes insistent sur des différences
fondamentales entre valeurs arabes et valeurs britanniques pour réfuter la
tendance d‟intégration culturelle. S‟agissant des valeurs arabes, elles mettent en
avant les qualités des liens familiaux et les restrictions imposées sur le
comportement sexuel comme traits distinguant la culture arabe de la culture
britannique. Ces différences en manière de liens de famille et de sexualité
influencent évidemment le choix d‟une tendance séparatiste. Ces femmes projettent
une image de femmes arabes qui s‟attachent aux normes orientales dans les
relations interpersonnelles. Cette tendance est liée à la vision de la femme en tant
que dépositaire de l'honneur de la famille. Les restrictions sont destinées à
sauvegarder cet honneur en veillant à ce que les filles et les femmes n'aient pas la
possibilité de transgression de mœurs sexuelles plutôt strictes376
.
Il est à noter, d‟autre part, que le sentiment d‟aliénation et les formes de
préjugés et de la discrimination peuvent être un obstacle à l‟intégration culturelle.
Ce sentiment est suscité par l‟intolérance, réelle ou supposée, de la communauté
d‟accueil. Si la tendance séparatiste rejette la culture du groupe majoritaire,
l‟attitude d‟intégration favorise la diversité culturelle et les contacts avec des
personnes appartenant à la culture majoritaire.
375
M. Benitto, Gender and intergroup contact: the case of Arab woman, Journal of Identity and Migration
Studies, volume 4, n° 1 spring/ summer 2010. 376
J. Tucker, „the Family in History « otherness » and the Study of the Family‟, Arab Women, p.200.
200
4.2.2 L’intégration : une recomposition identitaire à double facettes
L‟attitude d‟intégration a été mise en avant par une catégorie qui
reconnaît avoir une attitude très favorable envers la diversité culturelle ainsi qu‟une
grande tolérance des autres cultures. Le maintien partiel de l‟intégrité culturelle du
groupe ethnique est conjugué avec une participation de plus en plus marquée au
sein du nouveau milieu culturel. L‟adoption de l‟intégration peut s‟expliquer par la
vision de la société qu‟a cette catégorie. Contrairement à la vision religieuse de la
société de la tendance séparatiste, ce groupe de questionnés a un mode de pensée
laïque. Les partisans de cette tendance ne se définissent pas généralement par une
appartenance religieuse ou confessionnelle. Ils prêchent plutôt une vision laïque qui
favorise l‟attachement aux traits culturels arabes et une intégration simultanée dans
la société d‟accueil.
Cette tendance d‟intégration n‟implique pas l‟abandon total de la
culture arabe. Elle exprime une ouverture considérée comme vitale sur les autres
cultures et une réaction d‟opposition à l‟attitude d‟attachement jaloux à l‟identité
culturelle qui alimente le repli et l‟enfermement. Afin d‟éviter .l‟exclusion et la
marginalisation, les membres de ce groupe essayent de s‟accommoder au nouveau
milieu culturel avec la conscience de la construction de l‟arabité comme
composante ethnique d‟une société pluraliste. L‟arabité est présentée comme
identité fermement située dans le contexte multiculturel de la société d‟accueil.
Parallèlement à l‟attachement aux valeurs émanant de leurs origines
ethniques et nationales, une volonté de vivre simultanément leur appartenance à la
société britannique, comme différente et semblable, se manifeste. La plupart des
membres de ce groupe s‟affirment par les symboles de la diversité culturelle et se
voient comme minorité ethnique.
Sans affiliation complète aux mœurs britanniques, cette catégorie a un
penchant identitaire qui combine des traits culturels des deux cultures, arabe et
britannique. Les membres de ce groupe ont tendance à s‟ouvrir aux réseaux sociaux
des autres groupes ethniques, notamment celui de la société majoritaire. Dans ce
201
sens, ce groupe combine assertion de l‟arabité avec les notions d‟intégration.
C‟est un désir d‟avoir une identité arabe reconnue publiquement en s‟intégrant
dans la société d‟accueil. Dans ce contexte, ils accentuent le rôle des associations
arabes qui s‟activent dans le domaine culturel et social dans le développement de la
conscience communautaire et l‟incitent à participer aux activités de la société
majoritaire comme stratégie menant vers une intégration réussie.
Brièvement, l‟adoption moderniste de la rationalité multiculturelle s‟oppose
au désir de reviviscence des valeurs traditionnelles. Ce groupe essaye d'avoir des
interprétations modernes des concepts religieux et de les réconcilier avec les normes
régnantes et lutte pour la reconnaissance ethnique de la communauté arabe comme
composante de la mosaïque ethnique en Grande-Bretagne.
4.2.3 L’individualisme et le rapport sur une base humaniste
Les personnes qui adoptent une attitude individualiste se dissocient à la
fois de leur origine ethnoculturelle et de la culture de la société d‟accueil. Elles
préfèrent plutôt se définir en tant qu‟individus. L‟orientation individualiste est
endossée par un groupe pour qui l‟appartenance à un groupe culturel spécifique
n‟est pas un référent important. Ces individus se définissent en dehors de la
rhétorique de l‟identité culturelle. Cette tendance est adoptée surtout par les jeunes
qui peuvent être considérés des cosmopolites qui s‟accommodent aisément des
mœurs de la culture arabe et de la société britannique. Une telle situation est
caractérisée „‟par l‟émergence d‟un horizon de perception d‟un monde unique dans
lequel les expériences entre les cultures continuer à exister et où les
interdépendances augmentent377
.‟‟ L‟interaction intercommunautaire „‟se manifeste
concrètement dans la mesure où les distinctions entre nous et les autres, entre le
national et l‟international sont complètement chamboulées378
.‟‟
Ce groupe, qui vit avec les deux cultures, rejette certains aspects de la
culture du pays d‟origine, tout en s‟attachant à d‟autres traits de la culture
377
H. Perlmutter, „On the Road to the First Global Civilization‟, Modernity and its Features, p.103. 378
B. Ulrich, Qu’est-ce que le cosmopolitisme, p.26.
202
britannique. Spécifiquement, les membres de ce groupe cosmopolite ne rejettent pas
catégoriquement la culture arabe ou l‟arabité, mais ils se différencient de la
tendance qui construit le rapport avec autrui à partir de l‟appartenance ethnique. Ce
groupe cosmopolite, qui ne s‟associe pas au courant conservateur de l‟arabité, tisse
ses rapports avec les autres. Dans ce sens, il avance que les membres de la
communauté arabe doivent se conformer et s‟adapter afin d‟affirmer leur
compatibilité avec le courant dominant de la société.
Autrement dit, ce groupe appelle plutôt à se fondre dans la société
d‟accueil, loin de tout rapport relationnel construit sur des liens d‟appartenance
ethnique ou d‟affinité culturelle. L‟idée véhiculée par cette tendance accentue le fait
que les minorités doivent pratiquer leur culture dans la sphère privée. Elle
préconise l‟aspect multiculturel de la société qui confine la préférence culturelle au
domaine privé afin d‟éviter la fragmentation du corps social de la société. Aux
yeux des membres de ce groupe, l‟intégration nécessite des efforts
d‟accommodation et d‟adaptation.
L‟attitude individualiste se distingue des autres tendances par le fait
qu‟elle possède un réseau de contacts élargi au-delà des appartenances ethniques et
nationales. Dans la dichotomie de l‟arabité et britannité, la première n‟est pas
regardée comme identité publique, elle est placée dans le domaine privé tandis
que la dernière est en pratique dans le domaine public. L‟intégration dans la société
britannique nécessite l‟établissement de rapports avec les autres sans filtrage
ethnique et culturel. Dans le rapport relationnel, l‟autre est vu comme individu
déchu de toute appartenance ethnique ou adoption culturelle car „‟tant qu‟un
homme demeure rivé à son moi ou à sa „petite personne‟ comme à un horizon
indépassable, il demeure, quel que soit son âge, dans l‟état de minorité379
.‟‟
379
P. Guenancia, L’Identité, Notions de philosophie, p.624.
203
4.2.4 Assimilation ou l’alignement unilatéral sur la culture majoritaire
Une catégorie des membres de la communauté arabe adopte
l‟attitude d‟assimilation qui s‟accomplit par la fusion et l‟absorption dans le
nouveau milieu culturel en adoptant sa culture. L‟immersion sociale de ce groupe
au sein de la société d‟accueil est le signe d‟une rupture avec la culture d‟origine
qui n‟a pas été transmise par le milieu familial. L‟oubli des traits culturels de la
culture d‟origine dans le processus de l‟intégration dans le nouvel environnement
culturel abouti à une transformation culturelle et l‟adoption des valeurs culturelles
de la société d‟accueil.
Contrairement à l‟intégration, qui est à la croisée des cultures
d‟origine et d‟accueil, l‟assimilation procède par une déculturation complète de la
culture d‟origine, ou par son reniement, associée à une resocialisation active dans
celle de la société majoritaire. Différent facteurs peuvent expliquer un tel processus
comme le parachèvement d‟une intégration qui commence avec la génération
immigrante précédente et la perception de la différence comme handicap lourd qui
empêche l‟intégration au sein de la société d‟accueil.
La tendance à l‟assimilation s‟incarne par la socialisation et
l‟interaction avec des personnes des autres groupes ethniques. Elle encourage la
communication avec le nouvel environnement culturel sous forme d‟apprentissage
de divers aspects de la culture d‟accueil. Se tenir à l‟écart des organisations à
caractère ethnique est un indicateur d‟assimilation. Cette catégorie, qui s‟éloigne du
rapport avec sa propre communauté ethnique, manifeste plutôt un désir de côtoyer
et d‟avoir des rapports fréquents avec les membres des exogroupes. La vitalité
ethnoculturelle de l‟endogroupe est considérablement faible. Cette catégorie des
Arabes „‟anglicisés‟‟, qui a absorbé la culture britannique, n‟a aucune inclination
sérieuse vers la culture arabe. Cette tendance est prédominante chez les jeunes de
sexe masculin. Ce groupe, qui est éloigné de la culture de son groupe
ethnoculturel, est entièrement et culturellement intégré dans la société britannique.
Il s'agit d'une inculcation délibérée de la culture britannique et une rupture avec la
204
culture arabe. Ils sont totalement détachés du contexte culturel du pays d‟origine
auquel ils sont incapables de se réassimiler. Une fois ce degré de l'assimilation
atteint, l‟éloignement des valeurs arabes et islamiques et l'accomplissement des
rites religieux et culturels s‟agrandissent.
La dévalorisation des habitudes culturelles et des modes du pays
d‟origine (souvent méprisés comme „‟archaïques‟‟) amène cette catégorie à se
reconnaître dans les valeurs associées au pays d‟accueil. L‟acculturation rapide de
la génération née et socialisée en Grande-Bretagne instaure une véritable ligne de
fracture au sein de la famille, entre parents et enfants. Malgré l‟assimilation de la
culture dominante, la stigmatisation au sein de la société d‟accueil, est une source,
parfois, d‟un sentiment de rejet pour cette catégorie. Entre la rupture avec la
communauté d‟origine et le rejet et la stigmatisation au sein de la société
britannique, les membres de ce groupe peuvent être dans une situation de „entre
deux monde culturels‟ avec parfois une identité indéterminée. Avec la perte des
repères d‟ici et de là-bas, certains vivent à la croisée des cultures, entre crise
identitaire, rupture et délinquance.
4.3 Choix des réseaux des relations interpersonnelles
A la lumière des différentes tendances d‟acculturation étudiées ci-
dessus, nous remarquons qu‟en matière du choix des réseaux des relations
interpersonnelles, les membres de la communauté arabe sont nombreux à
privilégier en premier lieu les rapports avec les membres de leur groupe ethnique et
national. Ils évoquent, comme motif du désir de côtoyer plutôt les membres de leur
communauté, une question de mentalité, de parenté culturelle et le besoin
d‟atténuer la difficulté de se sentir seul. En revanche, ceux qui entretiennent des
relations avec les membres de la société majoritaire sont indifférents à la nationalité
et à la culture des gens avec lesquels ils se mettent en contact. Animés par un
besoin d‟amplifier leurs réseaux de connaissance et avec l‟amorce du processus
d‟acculturation et de la compréhension progressive des valeurs culturelles de la
société britannique, leurs réseaux de relations sociales s‟ouvrent au-delà des
limites ethniques et culturelles.
205
4.3.1 Choix intra-ethnique : autour du groupe d’appartenance nationale,
ethnique ou religieuse
Le choix intra-ethnique des rapports sociaux est préconisé par une
catégorie des questionnés. Cette dernière accentue l‟importance cruciale du partage
de la même culture comme raison derrière la fréquentation régulière des membres
de sa communauté. Le choix des réseaux des relations sociales au-delà du groupe
national et ethnique devient alors de plus en plus désinvesti et beaucoup plus limité.
Ce désinvestissement des relations sociales à l‟extérieur des groupes d‟appartenance
est renforcé aussi par une méfiance accrue à l‟égard des autres et une moindre
adaptabilité aux changements culturels. Le souci et l‟insécurité manifestés à l‟égard
de la culture du pays d‟origine limite l‟ouverture sur les autres cultures et aboutit
dans les cas extrêmes au repli communautaire et à l‟isolement.
Il s‟avère qu‟il existe, en fait, au début du séjour et notamment chez
les plus jeunes, une tendance à privilégier les relations avec les membres du groupe
national. Ce penchant s‟explique, non seulement par une question de mentalité ou
de difficulté d‟interaction avec les membres de la société majoritaire, mais
également par un besoin de revivre les habitudes et l‟ambiance culturelle du milieu
culturel du pays d‟origine. Ce choix leur procure un sentiment de sécurité intérieure
dans un milieu culturel qui est différent.
Cette tendance est, d‟ailleurs, plus visible chez les personnes ayant
un niveau de scolarité très bas et des difficultés d‟insertion sociales et
professionnelles. Lorsqu‟on leur demande de choisir entre les deux modes de vie,
arabe et britannique, un grand pourcentage n‟hésite pas à choisir le premier. En
effet, la plupart justifie ce choix par le désir d‟être plus à l‟aise dans le mode de vie
arabe auquel ils assignent les valeurs de générosité, de solidarité et de spontanéité
en opposition à un mode de vie britannique jugé matériel et individualiste. Les
traits de la culture d‟origine sont jugés, dans plusieurs cas, plus avantageux sur les
plans affectif et social.
206
A l‟inverse de la parenté culturelle du même groupe ethnique, la
divergence culturelle constitue l‟obstacle majeur le plus fréquent à l‟établissement
d‟un lien intergroupe durable. L‟attachement à la culture arabe et le désir de vivre
cette culture limite les réseaux des relations interpersonnelles au groupe ethnico-
religieux. Ce groupe s‟attache à montrer sa diversité ethnique pleinement à travers
la fréquentation régulière des lieux arabes et la rencontre des personnes appartenant
au même groupe ethnique ou national. Ce constat est d‟ailleurs renforcé par
plusieurs facteurs, notamment la présence d‟un réseau économique arabe à Londres
et la concentration géographique dans l‟ouest de La capitale. L‟homogénéisation
des modes de vie d‟une partie de la communauté arabe se concrétise autour d‟un
réseau économique centré principalement dans la capitale britannique en plus d‟une
concentration spatiale qui favorise l‟interaction sociale avec les membres de la
même communauté. Dans ce cas, en raison de ces facteurs spatiaux, la sociabilité
est alors plus communautaire et n‟incite guère au mélange. Le phénomène se révèle
davantage chez la population arabe originaire d‟Afrique du Nord, qui se concentre
dans des quartiers à la périphérie de Londres, notamment à Kensington.
La manière dont les membres de cette partie de la communauté
arabe construisent leurs réseaux de relations interpersonnelles est dominée par
l‟immersion dans le milieu ethnique. Par conséquent, c‟est surtout avec les
membres du même groupe ethnico-religieux que cette catégorie rapporte avoir des
contacts de bonne qualité. L‟essentiel de la vie sociale d‟une catégorie de la
communauté arabe à Londres se passe à l‟intérieur de la communauté des
compatriotes, avec les membres de leur ethnie, dans la logique des liens déjà
existants avant l‟émigration et des nouveaux liens renoués pendant l‟émigration.
Les contacts avec les membres de la société majoritaire sont très peu fréquents,
souvent évités et décrits comme étant les moins positifs.
Le contact fréquent et intense avec les membres de leur communauté
ethnique leur offre un soutien social et leur aide à surmonter les sentiments
d‟anxiété et d‟aliénation dans une société qui est perçue comme émotionnellement
froide. Les motifs évoqués sont souvent la différence culturelle, la mentalité et la
207
religion. Cette perception renvoie une autre image plutôt négative et qui se rapporte
à plusieurs traits relevant du culturel et du social. Cette dernière image est
accompagnée d‟un refus de ces valeurs, voire d‟une crainte qu‟elles ne pénètrent les
foyers arabes, crainte qui se traduit par une attitude défensive aboutissant
également à un refus du contact avec autrui.
L‟infidélité féminine, mais aussi masculine, est l‟un des traits qui, selon les
membres de la communauté arabe, marque le plus la vie du groupe majoritaire. Une
partie du groupe communautaire arabe déplore de façon systématique cette
libération et l‟esprit de la liberté individuelle qui dominent les relations dans la
société majoritaire. De même, devant notre insistance de comprendre le secret de
l‟absence de relations amicales avec le courant majoritaire de la société,
l‟explication qui est revenue le plus souvent est le souci du mauvais exemple ou de
l‟influence néfaste que peut constituer la fréquentation des autres groupes culturels.
Ainsi, la divergence culturelle, qui influence souvent le
développement des liens sociaux au-delà des groupes d‟appartenance culturelle,
renvoie souvent aux valeurs de la société arabe concernant les relations entre les
deux sexes. Les libertés individuelles qui caractérisent les relations au sein du
groupe majoritaire, notamment la libération des mœurs dont bénéficie le sexe
féminin, sont vues d‟un mauvais œil par les membres de la communauté arabe à
Londres. Cette vision négative imprègne tellement les esprits qu‟elle ne se limite
pas à une simple opinion neutre mais entraîne des prises de positions au sein des
familles et des choix en matière d‟éducation des enfants. Dans l‟esprit du groupe
minoritaire arabe à Londres, l‟éducation des enfants dans le modèle culturel
britannique les distance du corps familial, ce qui engendre leur retournement contre
les parents au moment où les enfants quittent la famille pour s‟investir dans des
relations de plus en plus distantes du milieu familial.
208
Le genre a un poids majeur quant à la constitution des réseaux des
relations interpersonnelles380
. La femme subit la pression et les restrictions de la
famille pour se plier aux coutumes et mœurs de la communauté ethnico-religieuse.
Les restrictions aux sorties, les limitations des déplacements comme le contrôle
familial ou social restreignent d‟autant plus les possibilités de relations en dehors du
groupe ethnique. Dans ce sens, les règles de conduite qui sont prescrites à la
femme, notamment aux jeunes filles, rendent leurs réseaux de relations limités au
groupe ethnique et national, voire aux personnes du même sexe. En effet, „‟les
rapports intergroupes des femmes sont limités en raison des coutumes, des
bienséances ancestrales et des interdits381
.‟‟
La plupart des femmes ont tendance à surveiller leurs filles pour ne
pas avoir un réseau de relation avec le groupe majoritaire, en particulier lorsqu‟il
s‟agit d‟un réseau masculin. Avoir des amitiés ou des liens en dehors du groupe
ethnique demeure difficile pour les jeunes femmes. Elles sont poussées vers le repli
sur le même groupe ethnique et s‟attachent souvent à ne pas transgresser le modèle
de comportement exigé par les traditions arabes pour ne pas décevoir les parents.
La croyance traditionnelle du rôle de genre dans la société arabe prévaut chez le
groupe minoritaire arabe à Londres.
4.3.2 Choix extra-ethnique : au-delà des groupes d’appartenance
Cette catégorie élargit le champ des relations interpersonnelles dans
une volonté de s‟intégrer dans le nouveau tissu culturel. Les attitudes favorables à
la diversité ethnique de ce groupe et la tolérance envers les cultures des autres
groupes ethniques favorisent ce penchant. La plupart des membres de cette
catégorie, qui proviennent des milieux universitaires, sont bien intégré sur le plan
professionnel. Ils fréquentent souvent les membres de la société majoritaire pour
différents motifs, qui tiennent principalement à leurs conditions de vie, à leur travail
ou même parfois au rejet du modèle culturel arabe.
380
M. Benitto, “Gender and Intergroup contact: the case of Arab Woman‟‟, Journal of Identity and Migration
Studies, volume 4, n°1, spring/summer 2010. 381
S. Ramzi-Abadir, La Femme arabe au Maghreb et au Machrek, p.93.
209
A l‟opposé de la première tendance, cette catégorie se trouve mieux
dans le mode de vie britannique qui, selon leur avis, permet à l‟individu de choisir
sa façon de vivre , alors que, selon le modèle culturel arabe, l‟individu subit les
contraintes du corps social dont la famille est l‟élément social le plus saillant. Afin
d‟approfondir cette investigation, nous avons demandé aux interrogés d‟énumérer
les aspects qu‟ils jugent positifs dans chacun des deux modèles culturels et qui
influencent leurs choix en ce qui concerne les relations sociales.
Dans le modèle culturel arabe, ce qui est le plus positif aux yeux
d‟une catégorie de la communauté arabe de Londres sont les relations humaines, la
solidarité familiale et les valeurs morales telles que la générosité et la serviabilité et
les restrictions imposés aux comportements sexuels. D‟autre part, une autre
catégorie plus avancée dans la voie du processus d‟acculturation, jugent positif,
dans le modèle culturel de la société d‟accueil, les libertés individuelles et
collectives et rejette la nature des relations chez leur groupe ethnique. Cette
catégorie n‟apprécie pas de cultiver des relations uniquement avec le groupe
ethnique et préfère au contraire s‟en distancier parfois en exprimant des attitudes
qui tiennent davantage au rejet. Leurs relations avec le milieu d‟accueil, dont la
fréquentation est favorisée dans la quête d‟un effet bénéfique d‟insertion sociale,
constituent un mode de relation qui dépasse les simples rapports de politesse entre
les individus liés par la proximité due au voisinage à une insertion dans un réseau
de relation avec un degré d‟implication et d‟échange plus ou moins grand.
En dépit des affiliations culturelles, cette catégorie de la
communauté arabe est plus progressiste dans ses attitudes sur les rôles traditionnels
et les relations au sein des familles. Leurs liens avec les autres groupes culturels
changent avec la durée du séjour et surtout le niveau de la scolarité et la nature de
l‟insertion professionnelle. Si les membres de la première génération s‟identifient
avec le groupe ethnique d‟une façon plus solide et jusqu'à un degré d‟isolement
beaucoup plus grand, l‟ouverture sur autrui caractérise la vie de la deuxième
génération.
210
Ce choix du rapport avec le nouvel environnement culturel peut être
affecté par les circonstances de l'immigration. Les immigrés volontaires et les
immigrés contraints diffèrent dans les circonstances de leur l'immigration. Les
premiers sont habituellement préparés psychologiquement et motivés pour accepter
les changements linguistiques et culturels exigés afin de s‟intégrer dans le nouvel
environnement culturel. Beaucoup d‟entre eux arrivent avec un minium de
connaissance de la culture et de la langue du pays d‟accueil. Les seconds, par
contre, comme les réfugiés qui sont forcés de quitter leur pays d‟origine, sont
moins préparés pour le changement de l‟environnement culturel. Ils sont plus
affectés, par conséquent, par le changement du milieu culturel et réalisent les
niveaux bas de l'intégration dans le pays d‟accueil.
Conclusion
L'établissement de liens relationnels avec le courant dominant de la
société britannique est lié aux aspects d‟ajustement et aux penchants
d‟acculturation. Le désir d‟avoir un rapport intergroupe est fortement corrélé avec
les attitudes d‟acculturation. Les facteurs déterminants dans la tendance d‟établir
des liens intercommunautaires sont liés au degré d‟ouverture, de la consommation
culturelle et de la compétence linguistique. Si certains s‟attachent à la singularité
culturelle et religieuse dans un contexte de dislocation, d'autres font preuve de
souplesse dans la pratique religieuse et admettent des comportements différents. La
question identitaire et la négociation de l‟appartenance à un groupe influe sur le
comportement social et les interactions qui rendent tangible l‟intégration des
migrants dans le contexte de la société d‟accueil.
La consommation culturelle s‟avère essentielle à la relation
interculturelle. C‟est un ensemble de compétences sociales et culturelles qui
peuvent être acquises à travers l‟ouverture sur la culture du nouveau milieu culturel.
La recherche a démontée que plus les membres de la minorité arabe s‟investissent
dans des activités culturelles du courant dominant, plus leurs attitudes envers le
211
nouvel environnement culturel deviennent favorables. Cette connaissance culturelle
inclut, en gros, la consommation médiatique et les sorties culturelles.
La maîtrise de la langue du pays d‟accueil est également
essentielle pour le développement des relations avec les membres de la société
majoritaire. La langue favorise le contact avec le nouvel environnement culturel et
facilite la construction de réseaux des relations interpersonnelles et l‟utilisation des
sources d‟information extra-ethniques. Pourtant, elle n‟est pas toujours synonyme
de compétence socioculturelle. D‟une importance similaire, l‟attitude envers l‟autre
culture aide à instaurer des liens interculturels au sein d‟une société hétérogène et à
diminuer la méconnaissance ou le malentendu.
En somme, le rapport de la communauté arabe avec la société
majoritaire se situe entre deux pôles. La stratégie de rejet réfute toute mixité sociale
en raison des restrictions culturelles. La construction identitaire se réalise à travers
la réduction au minimum de la mixité culturelle et sociale. C‟est une réponse
défensive qui implique la séparation du courant dominant de la société avec des
degrés différents de séparation selon les partisans. Une partie de la communauté
arabe continue d‟entretenir des relations étroites avec les pays d‟origine. Le fait
qu‟elle soit rejetée ou marginalisée dans la société d‟accueil peut renforcer
considérablement l‟identité culturelle et empêcher ainsi le développement
harmonieux des relations interethniques. La stratégie d‟intégration consiste à
comprendre les valeurs arabes et britanniques et à les intégrer dans une tendance
cosmopolite. Le rapport relationnel intercommunautaire apparaît comme la
synthèse de deux modèles culturels, celui de la société d‟accueil et celui de la
société d‟origine. Ainsi, chez la communauté arabe de Londres, deux images tout à
fait opposées de la société d‟accueil et du rapport intercommunautaire coexistent.
D‟une part, la société britannique est présentée comme une société
relativement fermée aux valeurs morales et peu intéressée par l‟éducation religieuse.
D‟autre part, se donne l‟image d‟une société qui incarne les valeurs de la liberté
individuelle et de la justice sociale. Cette image positive est accompagnée d‟une
212
envie d‟inculquer une éducation moderne qui transpose certaines valeurs du
nouveau milieu culturel. La disposition à l‟ouverture vers la culture majoritaire
paraît pour une catégorie indispensable pour leur intégration dans la société
britannique en dépit des contraintes et des restrictions qui émanent de la divergence
culturelle. Cependant, ce désir de socialisation est rejeté par une autre partie qui
s‟attache à la perpétuation de son mode de vie dans le contexte d‟émigration.
En somme, l‟intégration est la stratégie dominante dans le rapport
de la communauté arabe de Londres avec la société majoritaire. Cette tendance est
jugée, selon des études faites par d‟autres chercheurs comme John Berry, efficace
en ce qui concerne l‟adaptation sociale et le renforcement de l‟adaptation
psychologique des immigrants. Ceux dont les attitudes en relation avec
l‟acculturation étaient favorables à l‟intégration ne manifestent pas de problèmes de
santé mentale en comparaison avec ceux qui adoptent la séparation. Ces résultats
peuvent être expliqués par le fait que ceux qui adoptent la stratégie de séparation
ont un réseau de relations interpersonnelles plus étroit qui se limite au groupe
ethnique et souvent même au groupe familial. De ce fait, un sentiment de solitude et
d‟exclusion domine la vie de ces immigrants qui vivent souvent avec un sentiment
de nostalgie pour le pays d‟origine. Ils „‟ souffrent du stress plus que ceux qui ont
des contacts et des interactions avec les membres de la société majoritaire et leur
groupe ethnique382
. „‟
5. Le rapport intercommunautaire : déductions et synthèse
L‟analyse et la juxtaposition des différentes attitudes
d‟acculturation des deux communautés et le questionnement sur le degré de la
connaissance d‟autrui et le désir d‟un rapprochement, nous permettent de repérer les
divers points de divergences empêchant l‟établissement d‟un lien
intercommunautaire harmonieux. La coexistence intercommunautaire s‟avère
problématique en raison d‟absence d‟une entente sur le maintien de la culture
d‟origine et le désir du groupe majoritaire d‟assimiler les nouveaux arrivants. Si une
382
J. Berry, „Acculturation and Intercultural Relations‟, Cross-Cultural Psychology, p.352.
213
partie des deux communautés est liée par des rapports harmonieux et consensuels
d‟échange et de connaissance, on peut dire que les relations interculturelles entre les
deux groupes subissent des hauts et des bas et peuvent, dans les cas les plus
extrêmes, atteindre des degrés conflictuels. L‟établissement d‟une convivialité
intercommunautaire reste faible à cause de disparités culturelles et religieuses, et
l‟effet d‟une mémoire qui pèse sur les consciences collectives des membres des
deux communautés.
5.1 Points majeurs de discordance intercommunautaire
5.1.1 Divergence d’ordre culturel
La langue est parfois le premier élément de divergence. Le fait de
parler la même langue réduit les difficultés et facilite davantage la cohabitation.
Dans la société occidentale, „‟les codes sont devenus flous parce que multivoques,
laissent nombre de détails à l‟initiative et la liberté individuelle383
.‟‟ En revanche,
dans la société arabe, l‟attachement aux traditions prévaut. Ce conservatisme
s‟incarne par la vision des rôles sexuels, et en particulier, le rôle de la femme et le
cadre moral qui régit les relations au sein du groupe. Les rapports sociaux sont
organisés autour de la famille et des groupes les plus proches. Des modèles
patriarcaux des rapports entre les sexes et des rôles qui en découlent prévalent
jusqu‟à présent. Légitimés par la religion, ils sont enracinés dans les cultures. Les
relations au sein du groupe sont structurées selon le sexe. Ce penchant se traduit
par l‟approbation de l‟entrée des garçons dans le nouvel environnement culturel
tandis que les filles sont censées garder une obédience aux valeurs traditionnelles.
L‟importance est de sauvegarder les apparences en adoptant un comportement
irréprochable, conforme à la tradition qui est un élément permanent de la
personnalité arabo-musulmane384
.
Le concept d‟'individualisme est rejeté dans la culture arabe.
L‟individualisme est associé à l‟égoïsme et au matérialisme, et au modèle culturel
occidental dont l‟acceptation est plus difficile chez une grande partie de la
383
C. Camilleri, Stratégies identitaires, p.93-94. 384
S. Ramzi-Abadir, La Femme arabe au Maghreb et au Machrek, p.91.
214
communauté arabe de Londres. Chez cette communauté, l‟individu est
généralement incorporé et subordonné à la famille et à l‟unité ethnico-religieuse,
tandis que chez la communauté majoritaire, la primauté de la liberté individuelle
est mise en avant. Par conséquent, la sauvegarde des traditions et coutumes
s‟oppose au zèle de la société majoritaire pour la libération des mœurs. La loyauté
envers les traditions et les coutumes d‟une catégorie de la communauté arabe est
opposée à la loyauté au modèle occidental et à ses valeurs de liberté.
Par conséquent, la disparité culturelle est à l‟origine d‟un déchirement
entre le recul vers les origines culturelles et l‟avancement vers une intégration
socioculturelle et politique au sein du nouveau milieu culturel. Une partie de la
communauté arabe exprime une réticence lorsqu‟il s‟agit des normes culturelles de
la société d‟accueil. La conformité aux coutumes et traditions règne sur les
préoccupations et le souci de la perte des valeurs culturelles surgit lors de
l‟interaction intercommunautaire. A l‟inverse de cette tendance, l‟importance est
assignée, chez le courant dominant de la société majoritaire, à l‟individu, à
l‟indépendance, et à la liberté individuelle.
Si la fidélité aux traditions apparaît souvent comme moyen de
préservation identitaire chez une catégorie de la communauté arabe, une autre
catégorie rejette cet attachement aux valeurs traditionnelles qui est parfois, pour
eux, synonyme d‟enfermement. Cette divergence des perspectives se manifeste
également en ce qui concerne l‟intégration politique. Le seul signe d‟intérêt
politique, chez une partie de la communauté arabe, se borne à la participation aux
manifestations en relation avec le monde arabe et avec les activités
communautaires. L‟intérêt porté aux affaires politiques dans la société d‟accueil se
manifeste uniquement chez une élite qui revendique une identité arabe et une
appartenance à la société britannique.
En somme, entre deux modèles culturels, les deux communautés
peuvent manifester des attitudes variables entre la perméabilité qui consiste à
s‟ouvrir à autrui, et l‟imperméabilité ou le rejet des valeurs émanant des autres
215
cultures. Lors de la rencontre interculturelle, les visions fondamentales des deux
modèles culturels s‟annoncent parfois incompatibles. A travers l‟ouverture sur
d‟autres cultures et groupes culturels, les deux communautés peuvent cesser de se
reconnaître dans le système culturel de leurs origines à travers un processus
d‟assimilation et de métissage. Inversement, par un enfermement culturel, elles
réalisent une séparation.
5.1.2 Place du religieux dans la constitution des deux communautés
La différence religieuse est un autre point majeur de discorde
intercommunautaire. La coexistence devient problématique si le groupe d‟accueil
a l‟habitude d‟avoir deux religions se côtoyant ou si une seule religion est
dominante. La religion musulmane demeure simultanément une prophétie et une
législation. Elle englobe le social et le politique sans accomplir la séparation entre
les deux. C‟était le cas du christianisme avant la décision de ne pas soumettre la
totalité de la vie sociale et politique à l‟Eglise. L‟enjeu donc en qui concerne le
rapport intercommunautaire est celui de la place du religieux dans la constitution
des deux groupes.
La société d‟accueil d‟origine chrétienne semble avoir abandonné la
référence religieuse suite au processus historique de sécularisation, qui différencie
les sphères de l‟existence en ramenant le religieux dans la sphère de la vie
personnelle. La religion n‟est pas perçue comme élément essentiel dans
l‟identification et la vie quotidienne. 66 % des Britanniques indiquent qu‟ils n‟ont
pas de lien avec la religion 385
et seulement 18 % déclarent être membres d‟une
Eglise386
. Cette société n‟est pas en mesure d‟absorber les nouveaux arrivants
musulmans comme c‟était le cas d‟autres groupes d‟immigrants d‟Europe absorbés
par la culture britannique. La communauté arabe, qui est marginale à l‟histoire de la
Grande-Bretagne, n‟appartient pas à l‟héritage judéo-chrétien.
385
Tearfund research, "Churchgoing in the UK" 2007 April 03. 386
Mori Poll results 2003 Aug 08-17.
216
La religion a une présence dans la vie de la plupart des membres de la
communauté arabe. Cette communauté arabe „‟tire son originalité de son
appartenance à la civilisation arabo-islamique alors que la société majoritaire
appartient à la civilisation judéo-chrétienne, ce qui a mené à un dialogue de sourds,
envenimé par la polémique théologique, toujours plus ou moins latente387
.‟‟ La
diversité religieuse influe sur le rapport intercommunautaire. Certaines pratiques
exigent des modes de comportements et d‟observances religieuses qui diffèrent
des valeurs du courant dominant de la société d‟accueil. Les rôles traditionnels de la
femme dans le groupe minoritaire, à titre d‟exemple, limitent l'expérience
d'acculturation et pèsent sur l‟interaction et le contact intergroupe.
En gros, la diversité culturelle et religieuse est à l‟origine parfois des
jugements ethnocentriques, raison de la divergence intercommunautaire.
L‟inclination à juger les membres d‟une autre culture par les normes et les pratiques
émanant de sa propre culture agit sur les liens intercommunautaires. Ce
comportement ethnocentriste, qui se déplace dans les deux directions, dégrade les
rapports intercommunautaires et peut de manière plus subtile causer l'aliénation
des deux communautés. Son effet sur les rapports intercommunautaire s‟incarne
dans la formation d‟une identité culturelle qui est étroite et défensive et la
perception des membres des autres cultures en termes de stéréotypes. Dès lors, des
jugements comparatifs s‟opèrent entre les deux cultures dans un climat de
résistance à l‟influence culturelle. De surcroît, les relations entre les deux
religions n‟ont pas été seulement marquées par la controverse et la divergence,
mais aussi par la rivalité et l‟affrontement dont les empreintes restent gravées dans
les consciences.
5.1.3 Effet d’une mémoire gravée dans les consciences collectives
L‟hostilité entre le monde arabe et l‟Occident prit des formes
différentes comme l‟hostilité au moment de la présence arabe en Espagne, les
croisades, la présence ottomane en Europe, ou lors de la période du colonialisme.
387
J. Redouane, L’Orient arabe vu par les voyageurs anglais, p. 280-281.
217
Ces périodes d‟affrontements et de désaccords économiques et politiques se sont
greffées sur les désaccords culturels. La rencontre s‟est faite dans un rapport de
contacts et d‟influences dans plusieurs domaines, dans un sens positif ou négatif,
dans l‟acceptation ou dans le refus. Ainsi, l‟un des points forts de la divergence
intercommunautaire est l‟effet d‟une mémoire qui ravive la peur et l‟hostilité.
Cette mémoire est un réservoir de sens qui s‟active lors des rencontres
dans un sens ou dans l‟autre. C‟est un ensemble de représentations constituées à
travers une opération de cumul complexe qui a commencé tôt dans l‟histoire et se
poursuit. Ces représentations, l‟un des principaux obstacles à la coopération et à la
coexistence intercommunautaire, relèvent souvent de l‟abstraction, de la
généralisation, et de l‟exagération. Les conflits historiques, qui se mêlent à des
récits imaginaires, s‟associent à des réalités contemporaines pour faire la mise à
jour d‟une expérience historique d‟affrontement entre l‟Occident et le monde
arabo-musulman. L‟interpénétration de divers facteurs d‟ordre culturel, religieux
ou historique s‟accumulent pour créer une atmosphère de méfiance réciproque et de
divergence.
5.2 Facteurs d’aggravation de la divergence
5.2.1 Les médias et l’inculcation d’une altérite culturelle anormale
Dans le monde actuel de l‟information et de la communication, les
médias constituent un noyau dur de semeurs de divergence intercommunautaire.
La question de la compatibilité de la culture musulmane avec la culture occidentale
domine les colonnes des médias. Cette tendance, qui s‟est accrue avec
l‟augmentation de la présence des populations musulmanes en Europe et
l‟émergence de l‟Islam politique après la révolution iranienne de 1979, a été
aggravée par les actes terroristes de ces dernières années. Les médias se lancent
dans un feuilleton de défiguration et de formation des stéréotypes basés sur des
antécédents culturels, politiques et historiques. „‟Les musulmans britanniques font
l‟objet attaques continuelles dans la presse populaire qui fustige leur intransigeance,
leur esprit anti-démocratique et le caractère fondamentaliste de leurs croyances et
218
leurs pratiques religieuse388
.‟‟ Les représentations négatives, qui circulent et se
répandent de la télévision au cinéma en passant par les journaux389
continuent
d‟empoisonner l‟existence des personnes originaires des communautés ethniques.
A force d‟inculcation par les divers moyens de communication des
stéréotypes sur l‟Autre s‟installe, l‟incompréhension réciproque susceptible de
creuser divergence et aliénation. Les blocages dus aux stéréotypes sont nombreux
et les images véhiculées par la presse arabe sur le monde occidental sont négatives
en contribuant à figer des représentations dominantes. Le rapport
intercommunautaire a été, en outre, réduit par les concentrations spatiales de la
communauté arabe. En raison de ce fait, les membres de la société majoritaire
continuent d‟avoir un contact limité avec d‟autres groupes ethniques.
5.2.2 La gestion communautaire ou la création des enclaves
Contrairement au modèle français d‟intégration qui ne pose pas de
questions sur l‟identité culturelle et l‟intégration des populations d‟origine étrangère
en favorisant plutôt l‟appartenance républicaine, le modèle britannique est fondé
sur la coexistence des communautés, qui conservent leurs langues, leurs coutumes,
et leurs mémoires. Le système français a été traditionnellement un système
d‟assimilation ou d‟intégration des étrangers dans la collectivité nationale. Il met
l‟accent sur l‟effacement des différences dans la sphère publique plutôt que sur la
promotion des droits des minorités. En revanche, le système britannique „‟ favorise
le développement des communautés en « communauté des communautés‟,
résolument anti-assimilationniste, mais favorisant naturellement la constitution de
groupes peu concernés par le partage de valeurs communes390
.‟‟
Cette sorte d‟homogénéisation ethnique s‟accompagne d‟une
tendance à la concentration spatiale et la formation d‟enclaves. Dans ce sens, la
densité de la minorité arabe dans des espaces géographique spécifiques influence le
388
D. Lassalle, Les Relations interethniques, p.254. 389
Religious discrimination in England and Wales: Home Office Research Study, 2001. 390
« Analyse comparative de différents modèles d‟intégration en Europe », Haut conseil à l‟intégration,
décembre 2006.
219
taux et le caractère de l‟incorporation dans la culture du courant majoritaire de la
société britannique. La concentration communautaire, dans les limites de quelques
espaces, comme c‟est le cas à Kensington, tend à empêcher les processus
acculturation et assimilation et à limiter le contact interethnique. Cette situation tend
à durcir et à figer les caractéristiques culturelles des minorités ethniques en exaltant
leur différence.
Le rapport sur la cohésion391
communautaire en Grande-Bretagne
indique que les minorités ethniques, qui représentent seulement 8 % de la
population britannique, sont concentrées dans des espaces géographiques
particuliers dans le pays. Le niveau élevé de la ségrégation dans l‟attribution des
logements dans certaines villes britanniques entrave l‟établissement de liens
intercommunautaires392
. Cette „‟ ségrégation physique des logements sociaux‟‟,
phénomène que l‟on retrouve dans tous les domaines de la vie quotidienne, à
l‟école, sur le lieu de travail ou de culte, dans le langage et dans les réseaux
socioculturels est également pointé du doigt par le rapport Cantle393
. Ce rapport a
montré que la politique de logement conduisait au renforcement de la ségrégation
et de la méfiance intercommunautaire en absence d‟une interaction entre les
différentes communautés.
Une étude de l‟Université de Bristol recommande des politiques du
logement qui créent des environnements multiculturels afin de diminuer la
prédominance des voisinages mono-culturels394
. La cohésion sociale nécessite la
participation à l‟extérieur des limites communautaires à travers des voisinages
multiculturels. La dislocation des communautés diminue la cohésion et crée des
ghettos ethniques et des charges de préjuges et de stéréotypes dans l‟imaginaire
social. On est non pas en présence d'une société multiculturelle, mais d'un ‘mono-
culturalisme pluriel395
’ dans lequel les cultures n'interagissent pas de façon positive
391
Report of the Community Cohesion Panel, Home Office, July 2004. 392
A. Kundnani, „From Oldham to Bradford: the violence of the violated‟, The Three Faces of British Racism,
p.2. 393
Cantle Report, Paragraph 1.2. 394
Report of the Community Cohesion Panel, Home Office, July 2004. 395
A. Sen, „Chili and Liberty - the Uses and Abuses of Multiculturalism‟, The New Republic, Février 2006.
220
mais restent éloignées. Cette politique réduit les possibilités d'épanouissement. La
proximité spatiale peut favoriser la reconnaissance et l‟appréciation des différences
dans un état d‟esprit qui va au-delà des opinions fixées à une connaissance à travers
la promiscuité et le voisinage. De cette façon, les groupes ethniques échappent à
l‟enfermement dans un espace communautaire. La rencontre au quotidien
développe la conscience des réalités de la diversité culturelle et la capacité à tolérer
le manque d‟harmonie entre modèles culturels. La flexibilité interpersonnelle qui
émane de la conscience des implications des différences culturelles s‟installe et, ce
qui est particulier à une communauté, se manifeste pour être reconnue comme une
des formes de l‟universel. De cette attitude découle la volonté de recherche des
occasions de rencontre avec l‟autre et la capacité à évoluer et à s‟adapter à une
nouvelle situation multiculturelle. La cohabitation culturelle permet la rencontre
entre les cultures et aussi l‟affirmation de celles-ci dans leur identité et leur
différence
5.3 Quelles sorties de l’impasse ?
5.3.1 Pratique médiatique : régulation des dérives
Le rapport intercommunautaire est aujourd‟hui mis à l‟épreuve par les
médias qui façonnent la perception et la connaissance d‟autrui. La relation
qu‟entretient la société majoritaire avec ses minorités ethniques, notamment la
communauté arabe, est secouée par l‟incidence des problèmes géopolitiques sur la
situation interne, notamment les événements dans le monde arabe. Il existe une
capacité de la société britannique à promouvoir l‟égalité, mais les tensions de type
religieux se sont accrues ces derniers temps. Le redressement de l‟image historique
qui influe sur le présent et l‟avenir exige de la part des médias des attitudes
morales et objectives396
. L‟une des recommandations du rapport sur la cohésion
communautaire était, sans imposer aucune restriction à la liberté d‟expression,
l‟adoption d‟un code de conduite et de déontologie397
. L'industrie médiatique doit
réduire la polarisation des attitudes religieuses et ethniques, notamment en ce qui
396
Y. Alibhai-Brown, True Colours, p.127. 397
Community Cohesion: A Report of the Independent Review Team Chaired by Ted Cantle, Home Office,
2001.
221
concerne la représentation des réfugiés et des demandeurs d'asile, afin de modifier
la représentation déformée, entachée d‟erreur sur autrui398
.
Le manque de connaissance, qui ne cesse de s‟aggraver entre les
deux communautés, doit être comblé. La familiarité des professionnels des médias
avec les différentes cultures les aidera à cet égard. Par ailleurs, la multiplication des
contacts entre journalistes arabes et occidentaux serait un moyen de développement
de la connaissance culturelle. Les contacts interprofessionnels sont le plus souvent
un moyen de rationalisation des passions.
5.3.2 Education : vecteur de connaissance d’autrui
La coexistence entre les deux communautés culturelles et leur intégration
dans un corps social élargi passe par un changement des perceptions et
l‟édification collective d‟un système de valeur qui transcende les représentations
négatives. Dans le contexte actuel des mutations des sociétés contemporaines et des
interrogations identitaires que ces changements suscitent, un modèle d‟intégration
marqué par une coexistence intercommunautaire nécessite qu‟il existe au-dessus des
différents groupes culturels, une connaissance réciproque des divers modèles
culturels impliquant la tolérance et la reconnaissance du droit à la différence.
Ainsi, pour l‟amélioration des rapports intergroupe, la connaissance constitue une
„‟gomme pour effacer les représentations reconfigurées par les circonstances
économiques, politiques et médiatiques et surtout par la position qu‟occupent les
producteurs de l‟information399
.‟‟
L‟éducation multiculturelle, qui doit commencer à partir de l‟école,
est le vecteur de la connaissance de l‟autre. L‟option interculturelle implique la
révision des programmes scolaires dans le sens d‟une plus grande ouverture aux
autres cultures400
. En effet, l‟école constitue la première étape de l‟initiation au
rapport intergroupe puisque elle contribue à fournir l‟apprentissage de la diversité
culturelle. L‟école, comme moyen de la transmission des aspects importants des
398
The End of Parallel Lives? The Report of the Community Cohesion panel, Home Office, 2004. 399
Commission Islam et laïcité (ed), Islam, Médias et Opinions Publique, p. 49-50. 400
R. Benattig, les Migrants en Europe : quel avenir éducatif et culturel ?p.33.
222
différentes cultures, est un établissement central dans les processus de la
socialisation et de l‟enculturation des individus au sein des collectivités.
Le rapport Swann (Education for All 1985)401
souligne
l‟importance d‟un système éducatif qui prépare les enfants à la vie dans une société
multiraciale et multiculturelle402
. Ce rapport préconise le pluralisme et une
éducation basée sur la transmission des valeurs culturelles qui peut susciter des
pratiques et des comportements visant à développer l‟aptitude à la communication
et à la relation intercommunautaire à travers la découverte de l‟altérité en tant que
rapport et non en tant que barrière. En donnant aux enfants de la minorité un
certain sens de ce qu‟est leur héritage ethnique et culturel, on leur donne de
manière plus générale l‟espace et le temps nécessaires pour s‟adapter affectivement
à un contexte psychoculturel nouveau ; une telle manière peut alimenter une
véritable cohésion interculturelle403
.
Si le débat sur les enjeux culturels de l‟éducation s‟est développé en Grande-
Bretagne depuis les années soixante en préconisant l‟idée d‟un système centré sur
les réalités de la vie communautaire à travers le projet de la zone d‟éducation
prioritaire de Liverpool404
, le rôle des écoles religieuses dans la promotion de la
compréhension suscite actuellement le débat dans une société de plus en plus
multiconfessionnelle et laïque. Le développement des écoles religieuses peut être
une entrave à l‟amélioration des relations intercommunautaires si ces écoles ne
favorisent pas l‟expansion et l‟enrichissement des contacts et connaissances avec les
autres cultures et groupes culturelles405
. „‟Les écoles religieuses sont nombreuses et
bénéficient de fonds publics : 4500 sont anglicans, 270 catholiques, 38 juives tandis
que les établissements musulmans sont moins nombreux encore406
‟‟. La sociologue
Yasmin Alibhai-Brown met en garde contre „‟le danger du développement d‟un fort
401
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Analyse comparative de modèles d‟intégration en Europe‟ Haut conseil d‟Intégration, décembre 2006.
223
secteur étatique confessionnel et l‟éducation des enfants à se séparer des autres et à
se distancier des valeurs communes407
.‟‟ Cette „ ségrégation scolaire‟ est critiquée
par David Ward dans „ parallel lives’ vu que la plupart des élèves dans certaines
écoles appartiennent aux minorités ethniques, tandis que d‟autres écoles ne sont
fréquentées que par des élèves appartenant au courant dominant de la société
britannique408
.
A la lumière de cette situation, le réaménagement des programmes
en vue d‟un enseignement comparatif des cultures et des religions s‟avère essentiel
afin que la variation culturelle soit représentée et transmise dans le système
scolaire409
. Un système éducatif qui prendrait en compte les nouvelles réalités serait
un système éducatif qui est ouvert aux apports des diverses cultures.
L‟enseignement, „‟aussi bien laïque que confessionnel, doit se baser sur
l‟universalité de droits de l‟homme, la responsabilité civique, l‟égalité raciale et
sexuelle, le respect mutuel ainsi que sur l‟importance de la mise en cause critique de
l‟information et des idées reçues410
.‟‟ Par la sensibilisation au relativisme culturel,
les capacités à s‟ouvrir se développent et la connaissance mutuelle émerge. Sans
une gestion des écoles en prenant en compte l‟aspect multiculturel de la société
britannique, les divisions sociales peuvent s‟exacerber. Les pays d‟origine
s‟efforcent par divers moyens de préserver et d‟intensifier les relations que leurs
communautés émigrées entretiennent avec le pays natal et sa culture. La formation
des enseignants est nécessaire non seulement pour leur adaptation à l‟appareil
scolaire du pays d‟accueil mais aussi pour les sensibiliser à l‟éducation
interculturelle411
.
407
Cité par Didier Lassalle, Les relations interethniques et l’intégration des minorités au Royaume-Uni, p.260. 408
D. Ward, „Parallel lives‟, The Guardian, 15 January 2002. 409
Le Dialogue entre les Peuples et les Cultures dans l‟Espace Euro Méditerranéen : Rapport du Groupes des
Sages créé à l‟initiative du président de la Commission européenne, 2003. 410
D. Lassalle, Les Relations interethniques et l’intégration des minorités au Royaume-Uni, p.261. 411
R. Benatting, Les Migrants en Europe : quel avenir éducatif et culturel ?, p.77.
224
Conclusion générale
Les mouvements migratoires constituent une des caractéristiques des sociétés
humaines. Selon le rapport sur la migration internationale des Nations Unies de
2006, 190 millions de personnes vivent dans un pays autres que leurs pays
d‟origine. Un nombre qui augmente chaque année en raison des crises
économiques, politiques et environnementales. La migration a été renforcée ces
dernières années par la mondialisation favorisée par le développement des moyens
de transport et de communication. Comme résultat de ce processus migratoire,
l‟installation dans les pays du Nord des communautés immigrées aboutit à
l‟émergence des sociétés multiculturelles. Pour faire face aux mutations ethniques
et culturelles subies par ces sociétés, différentes approches de l‟intégration des
migrants ont été adoptées.
En Europe, on distingue le modèle „‟assimilationniste‟‟ et le modèle
„‟multiculturaliste‟‟. Le premier est incarné par le modèle républicain français qui
prône l‟assimilation républicaine. La différence culturelle est respectée tant qu‟elle
est manifestée dans la vie privée. Dans ce système d‟intégration, le mot
„‟multiculturalisme‟‟ rime souvent avec communautarisme qui est défini comme
une tendance qui donne à la communauté, ethnique, spirituelle ou sociale, une
importance plus grande par rapport à l'individu et aux valeurs communes de la
société française. L‟incorporation des minorités est fondée sur l‟intégration
individuelle et non pas collective ou communautaire. Cette politique qualifiée
d‟assimilation n‟implique pas la suppression des spécificités des minorités. La
politique d‟intégration, menée sous la présidence de Nicolas Sarkozy, met l‟accent
la nécessité de valeurs partagées, d‟un « contrat d‟intégration », et la connaissance
de la langue et des institutions du pays d‟accueil. Cette politique s‟est caractérisée
par la création d‟un ministère de l‟immigration et de l‟identité nationale.
225
Par contre, le modèle britannique est fondé sur la construction d‟une société
multiculturelle ou plutôt sur la juxtaposition de communautés ethniques et
culturelles. Après l‟abandon de la politique assimilationniste mise en place dans
les années cinquante pour gérer l‟implantation de communautés en provenance
d‟anciennes colonies britanniques, ce modèle d‟intégration britannique, basé sur la
promotion de la diversité culturelle, a été renforcé par un arsenal juridique pour
lutter contre les discriminations. La première loi votée en 1965 interdit la
discrimination à cause de l‟origine ethnique, de la couleur de la peau ou de la
nationalité. Le Race Relations Act de 1976, qui créa la Commission pour l‟égalité
raciale, rejette la discrimination dans le logement, l‟emploi et les services publics.
La notion d‟action positive, issue du Race Relations Act de 1976, constitue une
mesure pour combattre la discrimination et promouvoir l‟égalité des chances. Ces
lois sur les relations raciales ont été renforcées en 2000 par le Race Relations
(Amendment) Act de 2000 qui incite les administrations à promouvoir la diversité
et l‟égalité raciale en encourageant les entreprises à installer un suivi ethnique
(ethnic monitoring) de leurs personnels.
D‟autre part, l‟approche multiculturelle laisse aux minorités le droit
d‟utiliser leurs langues maternelles, de conserver leur organisation familiale et
communautaire en gardant leurs coutumes et religions. La politique éducative
renforce également cette tendance à travers l‟enseignement de langues maternelles
et l‟instruction religieuse. Cependant, dans les dernières années, le succès du
multiculturalisme britannique comme modèle d'intégration a été mis en question.
L'affaire Rushdie en 1989, les émeutes de 2001, et les attentats de métro et de bus
de 2005, ont suscité de nombreux débats quant à la capacité et la volonté des
minorités, en particulier les communautés musulmanes à „‟s'intégrer‟‟ dans la
société britannique.
Un appel solennel a été émis par des instances politiques et médiatiques pour
imposer l‟homogénéité culturelle. Le modèle d‟intégration britannique, aux yeux
de beaucoup de responsables politiques qui expriment un doute sur les politiques
multiculturelles, aurait encouragé l‟enfermement communautaire au détriment de
l‟affirmation d‟une culture et des valeurs communes. En bref, la Grande-Bretagne
226
est devenue le théâtre d‟un débat passionnant depuis avril 2004, date à laquelle,
Trevor Philips, le président de la commission pour l‟égalité raciale, déclare : „‟
multiculturalisme is over „‟ en appelant à resserrer le lien social en inculquant aux
immigrés les valeurs fondamentales de l‟identité politique britannique.
Si le concept d'intégration était réservé par les sociologues comme Emile
Durkheim au problème de la société dans son ensemble, la sociologie
contemporaine commence à explorer les rapports entre l‟individu et le groupe et
les relations entre les collectivités humaines au sein d‟une même société.
Désormais, les sociologues distinguent entre l'adoption des traits culturels de la
société et la participation aux diverses instances de la vie sociale. Le mot
intégration, utilisé aussi bien par les politiques que par les sociologues, porte à la
fois sur l'intégration des individus à la société et sur l'intégration de la société dans
son ensemble. Autrement dit, le degré plus ou moins élevé de cohésion, ce que la
sociologue française Dominique Schnapper appelle „l‟intégration systématique‟.
Ainsi, en Grande-Bretagne, le terme cohésion communautaire (Community
Cohesion) a pris place dans les discours sur les relations raciales. „‟Community
Cohesion „‟ a été un concept du gouvernement travailliste pour réfléchir sur les
questions de la diversité ethnique et les conflits communautaires. Il est également
proposé pour faire face à la baisse du niveau de la participation politique et de
l‟engagement civique. Pourtant, au cœur de l'idée de „‟Community Cohesion’’ reste
la problématique des dynamiques identitaires des groupes, les tensions et les
divergences entre les différentes communautés de la société britannique et le
respect de la différence. Ce concept a été largement utilisé après les rapports Cantle
et Denham de 2001 sur les émeutes dans les villes britanniques. Ces rapports ont
souligné que certaines communautés en Grande-Bretagne vivent dans un isolement
et repli communautaire qui renforce la ségrégation et la divergence
intercommunautaire.
Notre travail de recherche s‟inscrit dans ce débat sur les relations raciales. Il
constitue une contribution à la réflexion sur le dysfonctionnement des rapports
intercommunautaires ou les entraves de la coexistence intercommunautaires à
227
travers l‟étude des rapports intercommunautaires entre la minorité arabe visible de
Londres et les membres de la société majoritaire.
Tout en étant conscient que ce sujet ne peut pas être abordé en dehors du
rapport Orient-Occident avec les représentations des uns et des autres greffées
dans les consciences collectives, nous avons adopté une triple démarche historique,
documentaire et empirique pour interroger les facteurs empêchant l‟acheminement
des rapports intercommunautaires vers une coexistence harmonieuse.
Notre travail de recherche conforte l‟hypothèse d‟une coexistence
problématique en raison d‟une divergence d‟ordre culturel, religieux et l‟effet d‟une
mémoire collective. Chez la communauté arabe de Londres, les relations au sein
du groupe sont hiérarchiques et dominées par la conformité aux traditions et
coutumes du groupe. La pensée arabe est construite sur la dualité „‟modernité/
tradition‟‟. Si le premier terme fait référence à ce tout qui est nouveau, le deuxième
désigne ce qui a conservé un lien avec l‟origine. Pour le traditionalisme,
l‟occidentalisation peut engendrer la dissolution de l‟identité. La religion se donne
la fonction de la préservation des valeurs culturelles. La défense de l‟identité
culturelle implique le repli sur les valeurs d‟origine. Par contre, le modernisme
prône le pluralisme culturel et l‟ouverture sur autrui, d‟où l‟opposition entre la
sécularité et la religiosité. Les membres de la communauté arabe ne sont pas aussi
mobiles que les Britanniques en matière du respect des traditions qui pivotent
autour du rôle de la famille, les rapports entre les sexes et la morale sociale. La
menace de la perte des valeurs culturelles émerge lors de l‟interaction entre les
deux communautés ; pourtant une métamorphose culturelle se manifeste chez une
partie de la communauté arabe qui s‟engage dans une démarche de recomposition
identitaire.
La place du religieux dans la constitution des deux groupes influe sur les
rapports intercommunautaires. La culture arabo-musulmane préserve une
conception spirituelle globale du monde actuel. En revanche, l‟Occident devient
de plus en plus laïc. La perte d‟emprise du religieux sur la société semble bien être
228
une évidence. „‟Ce passage de la religion englobante à ce qu‟on pourrait appeler
„‟la religion personnelle‟‟ c‟est-à-dire la religiosité de l‟individu qui construit son
propre système de sens, apparait comme un signe distinctif des sociétés occidentales
modernes412
.‟‟ Dans ce sens, chez le groupe majoritaire, la tendance individualiste
domine en accordant l‟importance à l‟individu et à la liberté individuelle.
L‟individu ne se soumet pas aux croyances, aux règles et aux normes collectives ; il
est plutôt libre de fonder ses propres valeurs dans une société pluraliste où
cohabitent des valeurs contradictoires.
La question de l‟islam est problématique dans une société qui a consacré la
sécularisation et le modèle communautaire. La référence religieuse a subi un
affaiblissement dans la société britannique avec la baisse de l‟influence de la
religion dans la société en limitant le référent religieux au domaine de la vie privée.
Tandis que, chez la communauté arabe, le religieux détermine l‟identité de la
personne et influe sur la perception de soi-même et sur les modalités de l‟interaction
avec autrui.
D‟autre part, les musulmans n‟appartiennent pas à l‟héritage judéo-chrétien
comme le reste des immigrants d‟Europe. Le manque d‟interaction
intercommunautaire s‟explique par la divergence entre deux mondes culturels et
religieux. La communauté arabe a ses racines dans la civilisation arabo-islamique
tandis que la société majoritaire appartient à la civilisation judéo-chrétienne. En
outre, les relations entre les deux religions ne furent pas seulement marquées par la
controverse et la divergence, mais aussi par la rivalité et l‟affrontement dont les
empreintes restent gravées dans les consciences. Les rapports entre les pays de
l‟Europe et le monde arabo-musulman ont été ponctués de confrontation et de
colonisation. L‟islam en Europe est considéré comme phénomène extérieur. La
présence des musulmans sur ce continent remonte aux périodes de domination
entretenue par les pays européens avec certains pays d‟Afrique et d‟Asie. Cette
condition explique la résistance et même parfois l‟hostilité engendrée par la
présence définitive de cette religion dans les sociétés européennes. La vision de
412
F. Lenoir, Les Métamorphoses de Dieu, p.17.
229
l‟islam ne sort pas „‟du contexte postcolonial dans la mesure où les narrations de
la période coloniale continuent à véhiculer une image de l‟islam qui s‟enracine
dans cette relation occultée et refoulée de la période coloniale413
‟‟.
Ainsi, la détérioration des relations intercommunautaires ne peut être
comprise si on ne tient pleinement compte de l‟effet des affrontements historiques
et les stéréotypes et les préjugés enracinés dans les mémoires collectives. La
Méditerranée était un terrain de confrontation entre deux civilisations et deux
mondes : l‟Occident chrétien et l‟Orient arabo-musulman. Les perceptions
réciproques des uns et des autres qui se sont développées sur les deux rives
influencent considérablement la connaissance et le rapport avec autrui.
Les attaques du 7 juillet 2005 à Londres, les guerres en Irak et les
euphémismes au Proche-Orient n‟ont fait que renforcer la divergence
intercommunautaire et attiser les tensions entre communautés et cultures. Nous
avons, en effet, relevé que les événements du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis et
7 juillet 2005 en Grande-Bretagne ont complètement changé la perception de la
communauté arabe et musulmane en général. Dans ce sens, une partie de la
population britannique enquêtée fait l‟amalgame entre arabe, musulman, islamiste
et terroriste. Des préjuges tenaces, alimentés par l‟ignorance parfois, creusent un
fossé d‟incompréhension et de méfiance entre les deux communautés.
Les divergences culturelles et religieuses sont également exaspérées par le
modèle anglo-saxon d‟intégration et les représentations médiatiques. La Grande-
Bretagne est confrontée aux dégâts de son modèle d‟intégration communautaire. En
encourageant les différences culturelles et religieuses, le pays évolue vers une
société où règne la ségrégation. La ségrégation ethnico-résidentielle augmente et
nuit au développement d‟une société multiculturelle. De cette façon, le
communautarisme se renforce chez les membres de la communauté arabe. Quand
on dit communautarisme, on signifie vivre isolé de la communauté nationale et le
groupe d‟appartenance reste celui de la culture d‟origine étendue aux autres
413
J, Cesar, „‟L‟islam en Europe‟‟ Musulmans d’Europe, Comoti, n° 33, 2010.
230
communautés musulmanes. Le fait que les différentes communautés mènent des
vies parallèles conduit à une carence en cohésion sociale. De ce fait, la lutte contre
le (harcèlement) racial afin de permettre l‟accès des minorités ethniques à des cités
blanches semble être la stratégie la mieux adéquate pour promouvoir la mixité
ethnique en Grande-Bretagne.
La pertinence de l‟effet international sur le national, c‟est-à-dire le global sur
le local, tout cela avec le concours du quatrième pouvoir à savoir les médias,
bloque les rapports intercommunautaire dans une impasse. Les médias continuent
de véhiculer une image étonnamment homogène de la société britannique. La
représentation souvent négative des minorités ethniques par l‟industrie de
l‟information et du divertissement dans une société multiculturelle, comme la
Grande-Bretagne, est un facteur qui nourrit la divergence. Ces médias présentent
encore les membres des minorités visibles comme des étrangers dont les pratiques
culturelles sont étrangères à la société britannique.
Dans ce monde qui devient de plus en plus globalisé et multiculturel, la
diversité culturelle est un défi majeur. Le pluralisme des médias est essentiel pour le
fonctionnement d‟une société multiculturelle en reflètant la société dans son
ensemble afin de stimuler la compréhension et le dialogue intercommunautaire. Le
renforcement de la compréhension intercommunautaire par les médias nécessite
une pratique d‟éthique médiatique, à l‟abri d‟influences d‟intérêt politiques et
économiques. De cette façon, les médias peuvent fournir des informations et des
connaissances indispensables à l‟entente intercommunautaire étant donné que le
degré de fermeture et d‟ouverture à l‟altérité culturelle, source des comportements
ethnocentriques, est toujours relié au degré de la connaissance. De l‟autre côté, les
médias ethniques, opérant dans un environnement multiculturel, tout en répondant
aux attentes des populations minoritaires auxquels les médias dominants
s‟intéressent peu, doivent favoriser l‟intégration de ces dernières dans un corps
national caractérisé par l‟hétérogénéité.
231
Le rapport Parekh414
(CFMEB (2000) souligne que pour développer la
cohésion communautaire, la construction d‟un sentiment d'appartenance pour toutes
les communautés, la valorisation de la diversité et le combat contre la
discrimination et l‟exclusion sociale sont essentiels. Ce rapport prône la
réaffirmation d‟une société pluraliste et inclusive en ré-imaginant la „‟Britishness‟‟
afin de donner aux minorités ethniques et culturelles un sens d‟appartenance à la
société britannique. La notion de „‟Britishness‟‟ a été inventée au dix-huitième
siècle dans une période où l‟empire britannique et la monarchie étaient en position
de force. Elle a traversé des périodes d‟instabilité sans être un concept fixe. Entre
1870 et 192O, elle a été largement défiée par la lutte pour „‟Irish Home Rule „‟ et
la séparation de l‟Irlande du Royaume-Uni en 1920-21. Les expériences de la
première et deuxième guerre mondiales ont renforcé l‟union autour d‟une identité
britannique415
.
Cependant, les tenions engendrées par les attentats de Londres ont soulevé
de nouveau le débat sur l‟identité britannique dans les médias et au sein de la
classe politique. Depuis l‟arrivée au pouvoir du New Labour, avec la dévolution de
compétences à des assemblés galloise et écossaise, le concept „‟Britishness „‟
représente un enjeu politique pour les différents partis. Dans un article paru dans le
Daily Telegraph, le 25 mars de 2008, l‟ancien premier ministre Gordon Brown
met l‟accent sur les avantages de l‟union et de valeurs partagées. L‟introduction par
les travaillistes après les attentats de 2005 des cours de la citoyenneté dans les
écoles publiques et les cérémonies de la naturalisation sont des initiatives censées
renforcer le sentiment d‟appartenance et de citoyenneté.
414
Rapport de la Commission on the Future of Multi-ethnic Britain (CFMEB) 415
P. Ward, Britishness since 1870, p.172.
232
Le gouvernement britannique a publié en juillet 2006 A Green Paper- The
Governance of Britain, qui, en ce qui concerne l‟identité britannique et la
citoyenneté, accentue la diversité ethnique et raciale de la société britannique et le
besoin de définir des valeurs communes :
„Il est important d'être clair sur ce que signifie être
britannique, ce que signifie appartenir à la société britannique et,
surtout, d'être résolu en mettant en évidence que cela implique un
ensemble de valeurs qui ne doivent pas être seulement partagés,
mais également acceptées. De multiples et différentes identités
peuvent être célébrés, mais aucune de ces identités ne doit être au
dessus des valeurs démocratiques fondamentales qui définissent ce
que signifie être britannique. Un citoyen britannique, pleinement
assumant un rôle dans la société britannique, doit agir en
conformité avec ces valeurs416
‟
Ces valeurs communes doivent fédérer la nation britannique et ses diverses
communautés ethniques et culturelles. Ainsi, la britannité, selon l‟ancien ministre
britannique Jack Straw, „‟pourrait fournir des valeurs communes telles que la
liberté, la tolérance et l‟Etat de droit…. elle est une identité pour les anglicans,
les catholiques, les juifs, les musulmans, les sikhs, les hindous et ceux des autres
religions, et l‟élément central de cette identité est le principe que chacun a la liberté
de pratiquer sa foi non pas comme une question de la tolérance, mais de droit417
.‟‟
Dans ce contexte, Tarik Modood met en grade contre une marche arrière qui
peut balayer les acquis du multiculturalisme qui a évolué en Grande-Bretagne. Il
prône plutôt de repenser l‟Europe et ses nations pour inclure les musulmans comme
416
A Green Paper- The Governance of Britain, p.57. „‟It is important to be clearer about what it means to be
British, what it means to be part of British society and, crucially, to be resolute in making the point that what
comes with that is a set of values which have not just to be shared but also accepted. There is room to celebrate
multiple and different identities, but none of these identities should take precedence over the core democratic
values that define what it means to be British. A British citizen, fully playing a part in British society, must act in
accordance with these values‟‟ 417
http://news.bbc.co.uk/2/hi/uk_news/politics/6110798.stm [consulté le 12 aout 2010] „‟Britishness could
provide common values such liberty, tolerance and the rule of law…..Britishness is thus an identity available to
Anglicans, Catholics, Jews, Muslims, Sikhs, Hindus and those of other religions and a central element of that
identity is the principle that everyone has the freedom to practice their faith not as a matter of tolerance but of
right.‟‟
233
une partie de „‟ nous‟‟ et non pas d‟ „‟eux 418
‟‟ dans le cadre, comme le sociologue
anglais John Rex le souligne, d‟un multiculturalisme égalitaire dominé par le
respect mutuel entre les tenants de la culture commune et les tenants des cultures
minoritaires419
.
C‟est ce que l'héritier de la couronne britannique, le prince Charles, a
d‟ailleurs souligné dans son discours en 1993 au Centre d‟Oxford pour les Etudes
islamiques quand il a mis l‟accent sur le fait que „„l'islam fait partie de notre passé
et de notre présent à plus d‟un titre. Il a contribué à la création de l'Europe moderne
et fait donc partie intégrante et indissociable de notre patrimoine‟‟.
C‟est une manière pour faire barrage aux adeptes du choc des
civilisations qui s'activent à allumer un brasier en propageant l‟idée qu‟Enoch
Powell avait raison dans son rejet catégorique de la diversité culturelle et l‟appel à
l‟imposition de l‟homogénéité culturelle et à combattre l‟immigration. Le
rapprochement intercommunautaire est tributaire de la célébration de la diversité et
de la compréhension même s‟il existe, certes, des courants radicaux qui s'efforcent
de perturber la cohésion communautaire.
Le déchirement du multiculturalisme britannique ses dernières années est
relié largement à des forces extérieures, notamment l‟incidence des problèmes
géopolitiques sur la situation interne. On pourrait donc se demander si le
développement de la connaissance est suffisant pour amortir aujourd‟hui le choc né
de la diversité culturelle, des perceptions, et des représentations des uns et des
autres. Il s‟avère que les rapports intercommunautaires dans une société multi-
culturelle ne peuvent pas être dissociés du contexte international.
L‟établissement des rapports interculturels harmonieux passe également par
le politique. Si le terme „‟Community Cohesion’’ est récurrent actuellement dans
les débats sur les relations raciales en Grande-Bretagne, il ressort que la montée de
l‟intolérance, de la xénophobie, et de l‟extrémisme qui marque notre ère de la
418
T. Modood, „Multicultural Citizenship and Making Space for Muslims, Cycnos, volume 25, n° 2, 2008. 419
J. Rex, Ethnic minorities in the Modern Nation, p.29.
234
mondialisation influe sur les rapports intergroupes et contribue à l‟affaiblissement
de la socialisation. Les guerres élargissent l‟écart entre les différentes civilisations
et sèment les graines de la haine entre les individus et les groupes. Elles ont
toutefois une influence importante sur la perception et l‟interaction avec l‟autre,
dont il faut tenir compte si l‟on veut promouvoir des relations culturelles fécondes
entre les différentes communautés culturelles.
235
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253
Annexe A Interview schedule for the Arab community
A -Background information
-You are: Male Female
- Age
-Occupation:
-Qualification:
B-Cultural identity
-How do you define your identity?
-Arab –Muslim
- Arab and Muslim
-Other
-How important do you feel it is for your children to know something about the history
of your country of origin?
-How important do you feel it is for your children to follow Arab customs and ways of
life?
-How important do you feel it is for your children to celebrate Arab holidays?
C- Language Use
-What language (s) do you read and speak?
-Arabic only -English only - Arabic more than English
-both equally
-What language(s) do you usually speak with your friends?
-Arabic only
-English only
- Arabic more than English
-both equally
- What language(s) do you usually speak at home?
- Arabic only
-English only - Arabic more than English
-both equally
-In what languages(s) are the movies, TV, and radio programmes you listen to?
- Arabic only
254
-English only - Arabic more than English
-both equally
D- Integration Scale
-Social integration
-Are you in favour of marriage to a person from a different religion?
-Are you in favour of marriage to a person of a different national origin?
-Do you accept the idea of marrying without the consent of your parents?
-What do you think of sexual relations without marriage?
- Do you accept the idea of living in cohabitation?
-Would you accept your son living in cohabitation?
-Would you accept your daughter living in cohabitation?
- Do you like the domestic role distribution in Arab culture?
-Do you like the parent-child relationship in the Arab family?
-Do you like the husband-wife relationship in the Arab family?
- Do you like the boyfriend-girlfriend relationship in British culture?
- Political participation
-Are you a member of any Arab club, committee, or organisation?
-If you take part in gatherings, why are you interested in such gatherings?
-Do you take part in demonstrations or boycotts?
-Are you affiliated to a political party?
-Are you registered to vote?
-Did you vote in the last election?
-Do you feel inclined to vote?
- Do you trust British institutions?
-Do you feel at home here?
E- Acculturation scale/ ways of balancing cultures
- As an Arab in Britain, you choose to
-Maintain your own heritage while also adopting British culture
-Give up your culture of origin for the sake of adopting British culture
- Maintain you r culture of origin without mixing it with British culture
- Whether maintaining your culture of origin or adopt British culture makes no
difference.
F -Media preference and cultural practice
-How often do you watch Arab TV?
-always
-occasionally
-seldom
-never
-How often do listen to Arab radio?
-always
-occasionally
-seldom
255
-never
-How often do you watch British TV?
-always
-occasionally
-seldom
-never
-How often do you listen to British Radio?
-Always
-occasionally
-seldom
-never
-How often do you read Arabic newspapers/ magazines?
-Always
-Occasionally
-seldom
- Never
-How often do you read British newspapers/ magazines?
-Always
-Occasionally
-seldom
- Never
-How often do you listen to Arab music / watch Arab movies?
-Always
-Occasionally
-seldom
- Never
-How often do you listen to British music?
-Always
-Occasionally
-seldom
- Never
-How often do you go to the theatre, cinema, and museums?
- Always
-occasionally
-seldom
- Never
-How often do you participate in British cultural activities?
-always
-occasionally
-seldom
- Never
256
G -Interpersonal relations
Your close friends are:
-all Arabs
-more Arabs than British
-both equally
-more British than Arabs
-all British
-The people you visit or who visit you are:
-all Arabs
-more Arabs than British
-both equally
-more British than Arabs
-all British
-You like going to parties/ gatherings at which people are:
-all Arabs
-more Arabs than British
-both equally
-more British than Arabs
-all British
- Cultural difference is an obstacle to contact: -I agree
-I strongly agree
-I disagree
-I strongly disagree
How favourable are you towards cultural diversity?
-very favourable
- fairly favourable
-very unfavourable
-fairly unfavourable
Your contact with British people (if existing) is perceived as:
- positive
- very positive
-negative
-very negative
-Have you been victim of racial harassment?
-yes
-no
- If yes, what type of harassment?
257
Annexe B Interview schedule for mainstream society
A- Background information
-You are : Male Female
- Age
-Occupation
-Qualification
B- acculturation/ Attitudes
- I think Arab immigrants should:
- maintain their heritage while also adopting British culture
-give up their culture of origin for the sake of adopting British culture
- can maintain their culture of origin as long as they do not mix it with British culture
-are free to either adopt their culture of origin or British culture
C- Perception and Intergroup contact
Would you like to have a member of the Arab community as your friend, neighbour?
-yes
-why not
-no
- not at all
Do you have close friends from the Arab community?
-yes
- no
Do you exchange visits with members of the Arab community?
-yes
-no
This contact (if existing) is perceived as:
-very positive
- positive
-negative
-very negative
Cultural difference is an obstacle to contact: -I agree
-I strongly agree
-I disagree
-I strongly disagree
The family values held by Arabs are not compatible with those of British citizens?
-I agree
- I strongly agree
- I disagree
258
-I strongly disagree
How favourable are you towards cultural diversity?
-Very favourable
- Fairly favourable
-very unfavourable
-fairly unfavourable
- Your opinion of Arabs is:
-Very positive
-positive
-negative
-very negative
Do you think asylum seekers among them should be allowed to stay?
-yes
-no
-do not know
Which of the following do you think should happen to them?
-they should all be deported
-they should be allowed to stay if they work
-they should be allowed, irrespective of whether they work or not
D -Knowledge of Arab culture
How much do you feel you know about Arab community?
-a great amount
-not very much
-nothing
- a great deal
Which of these is your biggest single source of information about Arabs?
-TV and newspapers
- Arab friends
- Reading
-other
How much do you feel you know about Arab history, culture?
-a great amount
- not very much
-nothing
-a great deal
How much do you feel you know about Islam?
-very knowledgeable
-not very knowledgeable
-not at all knowledgeable
- Which comes closest to your view about Arab culture and Islam?
-different
-monolithic
-menacing
-fanatic
259
Annexe C Structured Interview Questions
Interviewee: ------------------------------Age--------------------Sex
---------------------Education-----------------------employment
Do you have links with people (Arabs / British) outside the neighbourhood?
What is the nature of those links?
How would you characterize your relationship with Arab / British group?
Do you feel the need to establish collaboration/links with them?
Do you enjoy living among people of different lifestyles?
Do you have any English/British friends?
What nationality are your closest friends?
What are the perceived barriers for an interaction?
When you think of the different types of connection you have with people (Arab/
British), what do you think you get out of those connections?
260
Profil des répondants
Arabes Nombre
Age
18-27 146
29-40 137
40-54 119
55-65 98
Femme 216
Homme 284
Origine nationale
Algérie 68
Egypte 95
Irak 131
Liban 92
Maroc 76
Somalie 20
Yémen 18
Britannique
Age
18-27 116
29-40 152
40-54 128
55-65 104
Homme 273
Femme 227