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Corpus de textes / Extraits de Les Suppliants (E. Jelinek) et La Petite fille de monsieur Linh (P. Claudel) Les Suppliants, Efriede Jelinek 1. Il tremble un peu, le bateau, il tremble, c’est quand même trembler, ça, non ? Non, il y a un autre mot, non, celui-ci ne me convient pas non plus, n’est pas le bon mot, il oscille, le bateau, il bringuebale. 2. Le bateau est rempli à ras bord de gens, même lorsqu’ils se couchent il n’y a rien à quoi se cramponner. Ça n’avance le moteur à rien qu’il puisse polluer l’air, puisqu’il ne marche pas ! Il ne le peut que s’il marche ! S’il te plaît, moteur, empoisonne-nous, mais marche, marche, quoi ! 3. Il est temps de dire nos noms, mais personne ne veut les entendre 4. Il nous faut d’abord atteindre la plage, l’autre plage, celle où nous voulons aller. 5. Nous sommes à 27 et un moteur foutu, vous avez compris ? Il faut une offrande, qui se porte volontaire ? 6. Nous ne valons rien, on peut nous offrir quelque chose, s’il vous plaît, merci, mais nous échanger, personne ne le ferait, contre rien. 7. Et maintenant ils sont là. Ils produisent des volcans de merde, de bordel, de déchets, on dirait qu’une déchetterie a explosé, oui, regardez-moi le bordel qu’ils font, et nous voudrions les laisser s’installer chez nous ? 8. La photo est faite, elle est montrée au monde entier, et voilà. Une seule photo, un petit garçon. Qu’est -ce que ça représente. 9. Nous sommes en vie. Nous sommes en vie. L’essentiel, c’est ça : nous sommes en vie. 10. Déconfits, nous patientons. Nous sommes renvoyés une fois encore. 11. Nous avons rempli deux tonnes de papier, évidemment ils nous ont aidés, nous le brandissons maintenant, ce papier, non, nous n’avons pas de papiers, seulement du papier, à qui pouvons-nous le donner ? 12. Notre pied s’est posé sur votre rivage, notre pied s’est posé sur bien d’autres rivages, s’il en a eu la chance. Mais que faire maintenant ? 13. La mer nous a presque anéantis, les montagnes nous ont presque anéantis, où serons-nous après-demain et les jours suivants ? 14. Nos paroles tomberont dans le vide, en état d’apesanteur. 15. Notre lourd destin n’aura brusquement plus de poids, parce qu’il tombera dans le néant. 16. L’État protège les droits, tous, mais pas les nôtres. 17. Nous sommes ici, mais plus maintenant, nous sommes là, et là aussi 18. Es-tu en fait un véritable réfugié ? 19. Les gens comme nous doivent se contenir, non, être contenus, excusez-moi, pour que nous ne vous inondions pas.

Les Suppliants, Efriede Jelinek - lephenix.fr · Les Suppliants, Efriede Jelinek 1. Il trem le un peu, le ateau, il trem le, ’est quand même trem ler, ça, non ? Non, il y a un

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  • Corpus de textes / Extraits de Les Suppliants (E. Jelinek) et La Petite fille de monsieur Linh (P. Claudel)

    Les Suppliants, Efriede Jelinek

    1. Il tremble un peu, le bateau, il tremble, c’est quand même trembler, ça, non ? Non, il y a un autre mot, non,

    celui-ci ne me convient pas non plus, n’est pas le bon mot, il oscille, le bateau, il bringuebale.

    2. Le bateau est rempli à ras bord de gens, même lorsqu’ils se couchent il n’y a rien à quoi se cramponner. Ça

    n’avance le moteur à rien qu’il puisse polluer l’air, puisqu’il ne marche pas ! Il ne le peut que s’il marche ! S’il

    te plaît, moteur, empoisonne-nous, mais marche, marche, quoi !

    3. Il est temps de dire nos noms, mais personne ne veut les entendre

    4. Il nous faut d’abord atteindre la plage, l’autre plage, celle où nous voulons aller.

    5. Nous sommes à 27 et un moteur foutu, vous avez compris ? Il faut une offrande, qui se porte volontaire ?

    6. Nous ne valons rien, on peut nous offrir quelque chose, s’il vous plaît, merci, mais nous échanger, personne

    ne le ferait, contre rien.

    7. Et maintenant ils sont là. Ils produisent des volcans de merde, de bordel, de déchets, on dirait qu’une

    déchetterie a explosé, oui, regardez-moi le bordel qu’ils font, et nous voudrions les laisser s’installer chez

    nous ?

    8. La photo est faite, elle est montrée au monde entier, et voilà. Une seule photo, un petit garçon. Qu’est-ce

    que ça représente.

    9. Nous sommes en vie. Nous sommes en vie. L’essentiel, c’est ça : nous sommes en vie.

    10. Déconfits, nous patientons. Nous sommes renvoyés une fois encore.

    11. Nous avons rempli deux tonnes de papier, évidemment ils nous ont aidés, nous le brandissons maintenant,

    ce papier, non, nous n’avons pas de papiers, seulement du papier, à qui pouvons-nous le donner ?

    12. Notre pied s’est posé sur votre rivage, notre pied s’est posé sur bien d’autres rivages, s’il en a eu la chance.

    Mais que faire maintenant ?

    13. La mer nous a presque anéantis, les montagnes nous ont presque anéantis, où serons-nous après-demain et

    les jours suivants ?

    14. Nos paroles tomberont dans le vide, en état d’apesanteur.

    15. Notre lourd destin n’aura brusquement plus de poids, parce qu’il tombera dans le néant.

    16. L’État protège les droits, tous, mais pas les nôtres.

    17. Nous sommes ici, mais plus maintenant, nous sommes là, et là aussi

    18. Es-tu en fait un véritable réfugié ?

    19. Les gens comme nous doivent se contenir, non, être contenus, excusez-moi, pour que nous ne vous

    inondions pas.

  • La Petite fille de monsieur Linh, Philippe Claudel

    La traversée et l’arrivée en France

  • La rencontre avec Bark