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LES TEMPS FORTS Alors que le nouveau visage du terrorisme, sous les traits de Daesh, frappe aux quatre coins de l’Europe et du monde, les instances de sécurité et de défense ont dû s’adapter à cette nouvelle menace, son mode opératoire complexe et ses motivations inédites. « Nous sommes entrés dans une ère de grande turbulence », assène Emmanuel Macron dans la préface de la revue stratégique qui lui a été remise le 13 octobre. Le président, qui a placé la lutte contre le terrorisme comme priorité n°1 de la diplomatie française, réaffirme le « besoin d’un outil de défense agile, projetable et résilient ». Mais quels sont les nouveaux défis auxquels doivent faire face les institutions publiques ? Comment le secteur privé peut-il répondre aux besoins opérationnels ? Et comment l’Europe doit-elle se positionner ? Les nouveaux défis de la protection du territoire national Où en sont les instances publiques de protection du territoire en matière de lutte antiterroriste et de coordination de cette lutte ? Pour monsieur le préfet Pascal Bolot, leur rôle tient en trois mots : compréhension, prévention et action. Pour se prémunir d’une menace à la fois « extérieure et intime », il est nécessaire de « mettre sous tension l’ensemble de l’appareil d’État, pour que le monopole de la prise en compte de la menace ne revienne pas aux forces de la sécurité intérieure ». La Défense, grâce à un réseau de « correspondants », doit la répercuter sur chacun des ministères (Transport, Éducation Nationale, Santé…) et des opérateurs concernés, afin de pouvoir « intervenir en amont » et gagner en réactivité. Pour cela, et pour s’adapter à une menace terroriste qui évolue sans cesse, une partie des équipes d’intervention a été militarisée et les plans Vigipirate, Piratenet, Piratemer et Métropirate révisés et optimisés. Cependant, si une quarantaine d’attentats ont été déjoués en 2017, « la difficulté, c’est que notre ennemi fait preuve d’une grande imagination et d’une grande agilité », déplore Pascal Bolot. Augmenter les capacités technologiques Or, même si « le terrain apporte une réponse rapide », dit-il, « on ne va pas pouvoir continuer ad vitam æternam de recruter policiers et gendarmes ». C’est dans cette perspective que s’inscrit l’intérêt grandissant pour l’industrie de la sécurité privée –qui compte autant d’emplois que la sécurité publique et « se structure depuis trois ans pour peser au niveau européen ». Mais, pour Pascal Bolot, le défi à relever est technologique. Vidéosurveillance intelligente, biométrie… autant d’innovations dépendantes des réseaux de communication, qui doivent évoluer si l’on veut « augmenter la capacité individuelle des agents envoyés sur le terrain ». Un appel à projets a été lancé, le programme-cadre Horizon 2020, doté de 1,7 milliard d’euros. Pascal BOLOT Directeur de la protection et de la sécurité de l’État, SECRÉTARIAT GÉNÉRAL DE LA DÉFENSE ET DE LA SÉCURITÉ NATIONALE Sécurité Défense 2017 Changement de visage du terrorisme : quels nouveaux enjeux économiques et politiques ? Jeudi 9 novembre Maison des Polytechniciens Paris Sécurité Défense Synthèse des débats du jeudi 9 novembre 2017 1

LES TEMPS FORTS - Les Echos Events · 2017-11-15 · E.health FORUM • Synthèse des débats du mardi 19 septembre 2017 LES TEMPS FORTS Alors que le nouveau visage du terrorisme,

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E.health FORUM • Synthèse des débats du mardi 19 septembre 2017

LES TEMPS FORTSAlors que le nouveau visage du terrorisme, sous les traits de Daesh, frappe aux quatre coins de l’Europe et du monde, les instances de sécurité et de défense ont dû s’adapter à cette nouvelle menace, son mode opératoire complexe et ses motivations inédites. « Nous sommes entrés dans une ère de grande turbulence », assène Emmanuel Macron dans la préface de la revue stratégique qui lui a été remise le 13 octobre. Le président, qui a placé la lutte contre le terrorisme comme priorité n°1 de la diplomatie française, réaffirme le « besoin d’un outil de défense agile, projetable et résilient ». Mais quels sont les nouveaux défis auxquels doivent faire faceles institutions publiques ? Comment le secteur privé peut-il répondre aux besoins opérationnels ? Et comment l’Europe doit-elle se positionner  ?

Les nouveaux défis de la protection du territoire national

Où en sont les instances publiques de protection du territoire en matière de lutte antiterroriste et de coordination de cette lutte  ? Pour monsieur le préfet Pascal Bolot, leur rôle tient en trois mots  : compréhension, prévention et action. Pour se prémunir d’une menace à la fois « extérieure et intime  », il

est nécessaire de « mettre sous tension l’ensemble de l’appareil d’État, pour que le monopole de la prise en compte de la menace ne revienne pas aux forces de la sécurité intérieure ».

La Défense, grâce à un réseau de «  correspondants  », doit la répercuter sur chacun des ministères (Transport, Éducation Nationale, Santé…) et des opérateurs concernés, afin de pouvoir «  intervenir en amont  » et gagner en réactivité. Pour cela, et pour s’adapter à une menace terroriste qui évolue sans cesse, une partie des équipes d’intervention a été militarisée et les plans Vigipirate, Piratenet, Piratemer et Métropirate révisés et optimisés. Cependant, si une quarantaine d’attentats ont été déjoués en 2017, « la difficulté, c’est que notre ennemi fait preuve d’une grande imagination et d’une grande agilité », déplore Pascal Bolot.

Augmenter les capacités technologiquesOr, même si «  le terrain apporte une réponse rapide  », dit-il, « on ne va pas pouvoir continuer ad vitam æternam de recruter policiers et gendarmes  ». C’est dans cette perspective que s’inscrit l’intérêt grandissant pour l’industrie de la sécurité privée –qui compte autant d’emplois que la sécurité publique et « se structure depuis trois ans pour peser au niveau européen ». Mais, pour Pascal Bolot, le défi à relever est technologique. Vidéosurveillance intelligente, biométrie… autant d’innovations dépendantes des réseaux de communication, qui doivent évoluer si l’on veut «  augmenter la capacité individuelle des agents envoyés sur le terrain ». Un appel à projets a été lancé, le programme-cadre Horizon 2020, doté de 1,7 milliard d’euros.

Pascal BOLOT Directeur de la protection et

de la sécurité de l’État,SECRÉTARIAT GÉNÉRAL

DE LA DÉFENSE ET DE LA SÉCURITÉ NATIONALE

Sécurité Défense 2017Changement de visage du terrorisme : quels nouveaux enjeux économiques et politiques ?

Jeudi 9 novembre

Maison des Polytechniciens • Paris

Sécurité Défense • Synthèse des débats du jeudi 9 novembre 20171

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Coordonner pour protéger les frontièresAutre défi majeur en matière de sécurité du territoire  : la protection des frontières. Avec les crises migratoires auxquelles l’Europe est confrontée, comment la gendarmerie anticipe-t-elle ce défi majeur  ? Pour Pierre Sauvegrain, l’immigration est un « aspect fondamental » de la question sécuritaire, mais intrinsèque à la transition démographique. En 2050, rappelle-t-il, la population devrait atteindre les 9,8 milliards d’habitants – une croissance principalement supportée par l’Afrique. Pour « limiter les dégâts », il faut donc une « meilleure coordination »

entre les acteurs publics et ses partenaires privés, dit-il. « Toute cette chaîne étatique, et bien au-delà, doit se mettre en ordre de bataille. »

Renforcer les partenariats public-privéJustement, cette coopération public-privé s’est notamment développée à travers le numérique, que Laurent Giovachini, voit comme «  la revanche possible du ministère de l’Intérieur sur le ministère des Armées  ». Avec pour objectif «  d’aller plus vite dans la mise en place de nouveaux usages, avec un coût plus raisonnable  ». L’Hexagone semble encore loin en terme de maturité, mais Laurent Giovachini en est convaincu : « La France doit et peut se doter d’un écosystème souverain dans le domaine du numérique. » Et de lister ses atouts, nombreux : « De grandes administrations avec des compétences et des expertises techniques fortes  ; une dynamique importante en matière de start-ups  ; de grandes entreprises industrielles… » Pas de GAFA bleu-blanc-rouge mais des ESN, « assez inédites  » et qui peuvent agir en complément.

Avec également en ligne de mire le cyber-terrorisme et une idée fixe : « Maîtriser et exploiter les données de façon massive, afin de détecter des signaux faibles. » Il est donc nécessaire de « valoriser notre patrimoine informationnel » pour anticiper les menaces. D’après lui, la France dispose de « toutes les briques élémentaires » pour renforcer cette collaboration public-privé – reste plus qu’à les « orchestrer ».

Cybersécurité et protection des données : un enjeu majeur pour les services de renseignement et les entreprises privées

Avec cette massification de la donnée, véritable nerf de la guerre, comment adapter l’environnement ainsi que les outils de travail, afin de faciliter sa

diffusion et son usage ? Alexandre Papaemmanuel, rappelle en outre que «  la menace est hybride, sait s’adapter et agir dans l’urgence  ». Face à des logiques «  très propriétaires  » du traitement de ces informations pléthoriques, l’urgence est donc aujourd’hui de fluidifier leur partage, à la fois en «  imposant une ouverture  », en «  adaptant les solutions logicielles  » et en « décloisonnant l’usage de la donnée ». Puisque « le renseignement ne se donne pas, mais s’échange  », dit-il, il faut absolument « changer les mentalités pour passer du droit d’en connaître au devoir du partage ». Or, sans impulsions politiques, la France ne pourra pas « devenir prescriptrice dans cette gouvernance de la data pour ensuite la promouvoir ».

Différencier pour exporter, former pour sécuriserThierry Delville évoque la capacité à « concurrencer des offres anglo-saxonnes et monter en gamme », mais insiste surtout sur les « enjeux de certification » et l’importance de disposer d’outils à l’échelle européenne. Il estime que « le marché va se structurer beaucoup à travers l’élaboration du réglementaire  », qui permet notamment des «  approches différenciées  » et une « ambition réelle de valeur ajoutée ».

Thierry Rouquet, administrateur du comité Richelieu et président de Sentryo, fait lui deux constats. D’abord, qu’« il faut des technologies de

Laurent GIOVACHINIDirecteur général adjoint,

SOPRA STERIA

Pierre SAUVEGRAIN Adjoint au Directeur des opérations et de l’emploi,DIRECTION GÉNÉRALE DE LA GENDARMERIE NATIONALE

Alexandre PAPAEMMANUEL Directeur sécurité & renseignement intérieur,SOPRA STERIA

Thierry ROUQUET Administrateur du Comité Richelieu ;Président,SENTRYO

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Sécurité Défense 2017Changement de visage du terrorisme : quels nouveaux enjeux économiques et politiques ?

Thierry DELVILLE Délégué ministériel aux industries de sécurité et à la lutte contre les

cybermenaces, MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR

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confiance ET de conquête », dit-il, citant les exemples américain et israélien. Or si la France dispose de «  compétences très fortes » en matière d’innovation et de start-ups, ces dernières manquent de moyens et d’un capital confiance. «  Il faut que les grands clients français leur donnent une chance » au lieu de «  se précipiter  » vers les technologies étrangères. Le second challenge, lui, est plutôt culturel  : les industriels doivent être eux sensibilisés et formés au risque cyber.

Qu’en est-il au sein des entreprises  ? La réglementation en vigueur sur l’utilisation des données a-t-elle des conséquences  ? Xose Diaz est

catégorique : si le RGPD a un impact sur le conseil, « les bonnes pratiques sont là ». Pour les aider à se mettre en conformité, il liste trois recommandations  : contrôler le chiffrement sur les appareils mobiles déployés ; séparer clairement données personnelles et professionnelles  ; et contrôler les outils qui permettent de maîtriser le risque de perte de données. Du côté des salariés, comment accompagner l’usage du smartphone, qui a bouleversé la façon de travailler ? Pour Xose Diaz, il faut d’abord balayer les idées reçues : si l’appareil est « de plus en plus central dans la stratégie de productivité de l’entreprise  », il n’est pas moins sécurisé qu’un PC  ! L’enjeu est davantage de former l’être humain derrière le smartphone, afin de « réduire les risques volontaires et involontaires ». L’enjeu est donc de pallier un « manque de connaissances suffisantes pour contrôler ces risques, tout en optimisant la collaboration entre employés ».

Mais après le «  security by design  », bientôt le «  legal by design » ? Alexandre Papaemmanuel, l’affirme : une réflexion est nécessaire pour «  penser les systèmes comme nativement compatibles avec la loi ». Une nécessité que les industriels ne doivent pas traiter uniquement comme une contrainte, mais plutôt comme « une chance pour différencier l’offre à l’export » avec une offre « respectueuse des droits et libertés individuelles par rapport aux concurrents  ». Pour lui, la France doit être le fer de lance de cette souveraineté numérique qui protège les citoyens sans sacrifier à leur vie privée.

Vers plus de coopération entre l’Etat et les entreprises du privé ?

On l’a compris, les acteurs de la sécurité et de la défense plaident de manière unanime pour l’optimisation et l’accroissement d’une synergie public-privé. En trois mots  :

« Souplesse, agilité, économie », résume Stéphane Schmoll, président de la commission stratégique du CICS. De par leur nature, les entreprises ont ce « devoir d’efficience pour s’adapter à une réalité qui change tout le temps ». L’État, moins souple, doit donc « s’adosser au privé » afin de gagner en réactivité et éviter l’obsolescence. Son rôle est celui d’un «  maître d’ouvrage, qui s’appuie sur l’ensemble de l’intelligence collective pour définir les bonnes architectures. » L’idéal, d’après Stéphane Schmoll, serait une plate-forme comme une « boîte à outils interchangeables ». Sans oublier un travail de pédagogie nécessaire, car «  l’acceptabilité des solutions doit être travaillé et non décrété », afin d’inciter les citoyens à coproduire eux aussi.

Un défi culturel et de formation

Claude Tarlet ne dit pas autre chose : s’il est nécessaire de développer une offre privée – « donc suspecte, car nous avons des résistances culturelles  »  – l’enjeu est bien dans «  le travail de

conviction de l’opinion publique et politique  ». Cette nouvelle offre, explique-t-il, doit être perçue comme un « complément utile au quotidien » et non comme « une menace pour les libertés individuelles et collectives ». Il estime également important de créer des instituts de formation et « d’élargir le champ de nos prestations  ». Patrons, installateurs, intégrateurs, opérateurs spécialisés, partenariats avec le CICS… « La solution de demain est globale », affirme Claude Tarlet, « il n’y aura pas d’autre voie que ce partage de savoir-faire, savoir-être et de mutualisation des compétences  ». C’est grâce à cela que la sécurité privée « gagnera en crédibilité ».

Même constat du côté de Christophe Gomart, qui déplore lui aussi ce défaut de formation, qui peut avoir

Xose DIAZHead of Enterprise Services & Partnerships,SAMSUNG MOBILE EUROPE

Claude TARLETPrésident,FÉDÉRATION FRANÇAISE DE LA SÉCURITÉ PRIVÉE

Stéphane SCHMOLL Président de la commission

stratégique,CICS

Christophe GOMARTGénéral de corps d’armée (2s)  ;

Directeur de la sûreté et de l’ingénierie immobilière

UNIBAIL-RODAMCO

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Sécurité Défense 2017Changement de visage du terrorisme : quels nouveaux enjeux économiques et politiques ?

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des « conséquences immédiates sur la population », ainsi qu’un problème de « middle management ». Il plaide pour la création d’une « école patronnée par l’État », qui permettrait de renforcer la sécurité du public et « dérouler une carrière dans ce métier » où, dit-il, « il n’y a pas de débouchés ». Les acteurs privés ayant « une responsabilité vis-à-vis de leur clientèle », rappelle affirme Christophe Gomart, le plus urgent est « d’entamer un dialogue de sûreté nationale ».

Une volonté d’efficience qui ne peut exister sans impulsion politique

Certes, il reste de nombreux d’axes d’amélioration, mais la coopération public-privé a déjà prouvé son

efficacité, notamment en matière d’analyse vidéo intelligente. L’entreprise de Luc Tombal équipe depuis trente ans polices techniques et scientifiques du monde entier afin d’identifier des suspects. Une plate-forme logicielle résultant de groupes de travail public-privé et d’une « démarche de travail itérative » a été livrée en 2016 au ministère de l’Intérieur. Un projet de coopération européenne, Victoria (Video analysis for Investigation of Criminal and TerrORIst Activities), est mené dans le cadre du programme Horizon 2020 avec plusieurs ministères de l’Intérieur, des industries ou encore des start-ups, afin d’améliorer les plates-formes disponibles. Les données peuvent-elles constituer un axe de réflexion majeur dans le développement de cette collaboration ? Pour Luc Tombal, « le temps est notre principal ennemi et l’organisation est la clé ». Les organisations terroristes génèrent énormément d’informations (communications, achats, financements, déplacements…) hétéroclites (son, chiffres, vidéos, images, alphabets…). Or, les systèmes d’analyse de données en place aujourd’hui « intègrent des algorithmes qui n’ont pas été pensés pour la sécurité ». Pour les adapter rapidement aux besoins opérationnels, explique-t-il, il faut « se mettre dans une démarche pragmatique et agile, avec une taskforce composée d’opérationnels de terrain, universitaires, industriels, juristes, intégrateurs, experts en sécurité…  ». Et de conclure : « Il vaut mieux mettre six mois pour résoudre 80 % d’un problème, plutôt que trois ans pour le résoudre à 100 %. »

Encore une fois, indique Stéphane Schmoll, la France ne manque pas de compétences mais, premièrement, d’une «  impulsion politique forte et claire » qui doit être « partagée » avec tous les acteurs du secteur afin de «  développer une relation de confiance  »  ; deuxièmement, «  de gros chantiers

fédérateurs qui soient des cas concrets » (à l’instar des JO 2024) ; et troisièmement, « d’une intégration de la R&D qui ne soit pas que technologique, mais qui implique aussi les sciences humaines et sociales  ». Il faut avancer avec une «  volonté d’efficience  », « des services interopérables » et « passer par l’expérimentation ». Peut-être est-il nécessaire de créer « un fonds souverain avec des capitaux publics et privés, et donc une exigence de rentabilité et d’efficacité ».

Claude Tarlet est lui plus nuancé. « La filière économique ne doit pas tout attendre de l’État, mais construire elle-même son avenir », dit-il. Et d’ajouter que «  l’opinion publique doit être au cœur de nos préoccupations », afin de « faire naître une action commune ». Outre la stratégie culturelle, une stratégie opérationnelle est indispensable, avec l’élaboration d’une «  cartographie  » identifiant « les interlocuteurs naturels d’une filière ». Enfin, autre défi à relever, celui de « parvenir à rendre lisible et pertinentes, pour les citoyens, les solutions globales » proposées. Lui appelle de ses vœux une « ouverture sur le monde et sur l’Europe » afin de « sortir de notre ghetto intellectuel ». Et, pourquoi pas, une «  fédération mondiale de la sûreté dans les deux années qui viennent ».

Europe de la Défense : enjeux et perspectives

Malgré ses préoccupations diverses, l’Union européenne peut-elle encore nous aider à faire face aux menaces terroristes ? Ou bien faut-il abandonner la perspective d’une Europe de la défense ?

Pas si simple, tempère Nicole Gnesotto. D’un côté, l’évolution du contexte stratégique européen et mondial, avec « de plus en plus de crises et de moins en moins d’Amérique  » devrait «  logiquement emmener de plus en plus d’Europe  ». Grâce, notamment, à trois éléments favorables  : davantage de ressources financières allouées à la défense  ; le Brexit, qui «  libère du veto des Britanniques » ; et le « vrai problème » que pose Donald Trump au sein de l’Otan. D’un autre côté, trois piliers peuvent compliquer cette montée en puissance de l’UE : la Turquie, dont le régime vire totalitaire, les États-Unis et la Grande-Bretagne. « Les Européens ont le choix  », dit-elle, «  soit on croise les doigts, soit on devient sérieux. »

Luc TOMBAL Directeur stratégie et développement de marché, division sécurité,IDEMIA

Nicole GNESOTTOPrésidente du

conseil d’administration,IHEDN

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Sécurité Défense 2017Changement de visage du terrorisme : quels nouveaux enjeux économiques et politiques ?

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Mais pour s’en sortir et trouver, ensemble, une solution, encore faudrait-il une volonté commune à 27, déplore Nicole Gnesotto. « La moitié veulent que rien ne change –c’est-à-dire que les États-Unis restent leader de l’Otan – tandis que l’autre moitié veut du changement. » Mais elle reste optimiste : si les quatre grands pays européens (France, Allemagne, Espagne et Italie) trouvent un accord, « on peut emmener les autres  », assure-t-elle. En outre, l’opinion publique est de leur côté, malgré la défiance des Européens vis-à-vis de Bruxelles. « On ne pourra pas reconstruire une adhésion à l’Europe par le biais de la défense », dit-elle, « mais si l’UE peut réduire les conséquences des crises extérieures à l’intérieur, la défense fera de nouveau adhérer les citoyens à la construction européenne ».

Alors, quelles priorités la France doit-elle faire siennes pour protéger ses citoyens et regagner leur confiance  ? Michel Friedling estime que «  la

géographie reste un paramètre important  », notamment avec les crises migratoires. En plus de protéger le territoire national et ses citoyens, notre pays doit s’imposer comme « un acteur majeur de la défense en Europe et dans le monde  ». Pour cela, elle doit tenir compte de « l’inversion des préoccupations » des citoyens européens (avant, le chômage ; aujourd’hui, la sécurité et l’immigration) et «  agréger autour de sa vision un certain nombre de partenaires ». Plusieurs initiatives européennes ont par ailleurs été relancées depuis quelques années (coopération structurée permanente, initiative européenne d’intervention) permettant d’accompagner les interventions des États de l’UE.

Conserver notre autonomie stratégiqueMais sommes-nous bien armés, justement, pour faire face à des menaces qui nécessitent de plus en plus de technologie ? Oui, car l’Europe dispose d’une «  capacité technologique de haut niveau  », affirme Jean-Marc Duquesne. Mais «  le défi est de la maintenir », puisqu’elle est « la clé de notre autonomie stratégique ». Or, les industriels sont confrontés à de nouveaux concurrents et il faut désormais «  gagner des marchés à

l’export  ». Mais pour ce faire, un «  soutien étatique avec l’augmentation des crédits  » alloués à la R&D est indispensable.

Jean-Marc Duquesne plaide donc pour une « alliance avec les industriels  » afin d’«  atteindre une masse critique au niveau de la compétitivité  » et devenir précurseurs. «  Nous avons une formidable opportunité devant nous, mais nous devons rester vigilants. »

D’autant que la menace a évolué, en Europe, depuis le dernier livre blanc de 2013. Philippe Cothier évoque un «  nouvel environnement » qui n’a plus rien à voir avec le terrorisme des années 80-90, « plutôt militaire que religieux ». Aujourd’hui, dit-il, certains pays ont recours à une «  terreur étatique  », citant les bombardiers et sous-marins russes interceptés récemment au-dessus de la Norvège ou dans le golfe de Gascogne, ou encore le satellite butineur, probablement russe ou chinois, qui a «  visité  » un satellite militaire de communication française. Et de rappeler qu’au sein de l’UE, un seul pays dispose de l’arme nucléaire – la France…

Convaincre et préparer l’avenirLe quinquennat d’Emmanuel Macron, qui semble prêt à briser pas mal de tabous, est-il un signal favorable pour faire avancer l’Europe de la défense ? C’est ce qu’espère Nicole Gnesotto. «  Il était temps que la France réintègre son rôle historique de leadership en matière de défense  », dit-elle. Pour y parvenir, il va falloir «  convaincre les opérationnels français que c’est leur intérêt  » et «  concilier autonomie stratégique de la France et ambition européenne ».

Michel Friedling veut être « optimiste ». Puisque nous manquons d’une perception commune sur les enjeux de sécurité, « nous devons faire un exercice d’introspection et expliquer notre positionnement aux européens qui ne le comprennent pas  ». Il appelle également de ses vœux un « modèle militaire complet et équilibré  », ainsi qu’à «  consolider et moderniser  » celui qui existe – « tout en préparant l’avenir ».

Michel FRIEDLING Officier Général Prospective et Stratégie Militaire, L’ÉTAT-MAJOR DES ARMÉES

Jean-Marc DUQUESNE Délégué général,GICAT

Philippe COTHIER, Président d’honneur,

CEPS

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Sécurité Défense 2017Changement de visage du terrorisme : quels nouveaux enjeux économiques et politiques ?

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Conclusion

Pour gagner en réactivité, les institutions publiques doivent à la fois mettre sous tension l’ensemble du système étatique, mais aussi renforcer les partenariats public-privé, afin d’adopter une démarche pragmatique et agile, pour trouver rapidement des solutions adaptées aux besoins opérationnels. Mais le défi à relever reste technologique : il faut être capable d’augmenter la capacité des agents de terrain, mais aussi celle les analystes chargés d’exploiter de plus en plus de données hétérogènes, dont il est essentiel de fluidifier la diffusion.

La France, qui ne manque pas de compétences, doit se positionner comme prescriptrice et se doter d’une offre

souveraine dans le domaine du numérique. Désormais, elle doit monter en gamme pour se différencier, afin de concurrencer les technologies étrangères. Mais pour cela, elle va devoir faire sauter les verrous culturels en rassurant l’opinion publique.

Le secteur de la sécurité privée doit lui aussi écouter cette dernière, afin d’être perçu comme un complément et non comme une menace vis-à-vis des libertés individuelles. Il doit également se doter d’une offre de formation indispensable et qui fait cruellement défaut et mutualiser les compétences.

Au sein de l’Europe, à défaut d’une volonté commune à 27, la France peut s’imposer comme un acteur majeur et rassembler autour de sa vision, tout en conservant son autonomie stratégique.

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