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L'ESPACE DES MOUVEMENTS SOCIAUX Lilian Mathieu De Boeck Supérieur | Politix 2007/1 - nº 77 pages 131 à 151 ISSN 0295-2319 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-politix-2007-1-page-131.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Mathieu Lilian, « L'espace des mouvements sociaux », Politix, 2007/1 nº 77 , p. 131-151. DOI : 10.3917/pox.077.0131 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - ENS Lettres et Sciences Humaines - Lyon - - 140.77.84.157 - 20/02/2013 10h27. © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - ENS Lettres et Sciences Humaines - Lyon - - 140.77.84.157 - 20/02/2013 10h27. © De Boeck Supérieur

L'Espace Des Mouvements Sociaux - Mathieu

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O artigo, de Mathieu, analisa os estudos sobre conflitos sociais e mobilizações, discutindo suas dificuldades e insuficiências.

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  • L'ESPACE DES MOUVEMENTS SOCIAUX

    Lilian Mathieu

    De Boeck Suprieur | Politix

    2007/1 - n 77 pages 131 151

    ISSN 0295-2319

    Article disponible en ligne l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    http://www.cairn.info/revue-politix-2007-1-page-131.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Mathieu Lilian, L'espace des mouvements sociaux , Politix, 2007/1 n 77 , p. 131-151. DOI : 10.3917/pox.077.0131--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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  • Volume 20 - n 77/2007, p. 131-151

    Lespace des mouvements sociaux

    Lilian M

    ATHIEU

    Rsum -

    Le concept despace des mouvements sociaux dsigne lunivers de pratique et de sens, relati-vement autonome lintrieur du monde social, au sein duquel les mobilisations protestataires sontunies par des relations dinterdpendance. Localiser ainsi lactivit contestataire permet de saisir ladynamique interne des relations qui unissent entre eux les diffrents mouvements, ainsi que, sur un planexterne, les relations que cette sphre dactivit entretient avec dautres univers sociaux, tels le champpolitique ou le monde syndical. Une attention la dimension pratique de lactivit contestataire amne envisager lespace des mouvements sociaux comme un univers de comptence, exigeant de ceux qui enfont partie la matrise dun ensemble de savoirs et savoir-faire spcialiss. La prsentation du conceptapporte un clairage sur les recompositions des mouvements sociaux contemporains dans le mmetemps quelle engage une discussion des principaux concepts de la sociologie de laction collective.

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  • Lespace des mouvements sociaux

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    a multiplicit de conflits sociaux et de mobilisations visant la dfense decauses spcifiques, tout comme la diversit des organisations qui les ani-ment, offrent aux sociologues et aux politistes loccasion de raliser de

    nombreuses, et souvent riches, tudes de cas. Mais elles posent lanalyse unesrie de problmes ds quil sagit de saisir lactivit contestataire la fois dans saglobalit et dans sa spcificit en regard dautres formes de participation. Simposenotamment la ncessit de prendre en compte les relations dinterdpendancequi tendent unir les diffrentes mobilisations : un des traits les plus marquantsdes mouvements sociaux contemporains est en effet dtre la fois centrs sur desenjeux spcialiss (immigration, environnement, condition des femmes, rela-tions Nord-Sud, sant) et troitement lis les uns aux autres par des rapportsallant de lalliance la concurrence exacerbe voire au conflit ouvert.

    Le constat, aujourdhui assez largement partag au sein de la communautdes analystes des mouvements sociaux, que cette interdpendance tend fairede laction contestataire une sorte de monde part , a donn lieu plusieurslaborations conceptuelles. Marco Giugni et Florence Passy ont, partir dunetude des mouvements suisses, postul la constitution dune

    arne des mouve-ments sociaux

    , parallle celles des partis politiques et des groupes dintrt, parlaquelle les citoyen(ne)s peuvent adresser aux autorits politiques leurs reven-dications, mais aussi informer la population sur certains enjeux

    1

    . ChristopheAguiton et Philippe Corcuff ont point une dconnexion des sphres dusocial et du politique , en portant notamment laccent sur les diffrences detemporalits ( le temps court de laction revendicative, le temps moyen de lacomptition lectorale et le temps long de la stabilisation des collectifssyndicaux ) qui les distinguent

    2

    . Sinspirant quant elle du concept de

    champpolitique radical

    labor par Philippe Gottraux

    3

    , Ccile Pchu a entrepris dexa-miner les carrires des militants de Droit au logement au sein de ce quelleappelle le

    champ militant

    , distinct du champ partisan et structur par quatreples (organisationnel/spontaniste, classiste/contre-culturel)

    4

    . Grard Maugera propos le concept de

    champ des mouvements sociaux

    , quil envisage commeune composante du champ politique plus large, et au sein duquel pourraienttre distingues quatre composantes (syndicale, associative, intellectuelle etpolitique)

    5

    , tandis que Nick Crosley attire lattention sur la spcificit du jeu

    1. Giugni (M.), Passy (F.),

    Histoire des mobilisations politiques en Suisse

    , Paris, LHarmattan, 1997, p. 201.2. Aguiton (C.), Corcuff (P.), Mouvements sociaux et politique : entre anciens modles et enjeuxnouveaux ,

    Mouvements

    , 3, 1999, p. 9.3. Gottraux (P.),

    Socialisme ou barbarie . Un engagement politique et intellectuel dans la France de laprs-guerre

    , Lausanne, Payot, 1997.4. Pchu (C.), Du Comit des mal logs Droit au logement, sociologie dune mobilisation, thse de docto-rat en science politique, IEP de Paris, 2004.5. Mauger (G.), Pour une politique rflexive du mouvement social ,

    in

    Cours-Salies (P.),Vakaloulis (M.), dir.,

    Les mobilisations collectives : une controverse sociologique

    , Paris, PUF, 2003.

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    que proposent les mouvements sociaux, entendus comme composant unchamp de la contestation (

    contentious field

    ) au sein duquel spanouiraient lesdispositions propres un habitus radical

    6

    . Ces diffrentes pistes danalyseprsentent un certain nombre de convergences, telles quune proccupationpour les relations entre mouvements sociaux et politique partisane et institu-tionnelle, ainsi que la rfrence au concept, issu de la tradition de recherche dePierre Bourdieu, de

    champ

    .

    Le concept d

    espace des mouvements sociaux

    que nous proposons ici partagelessentiel des proccupations et des constats de ces auteurs, et sinscrit globale-ment dans la mme tradition de recherche. Il sen distingue toutefois sur uncertain nombre de points, justifiant quon en fasse une prsentation relative-ment labore, qui sera loccasion den situer les articulations avec diffrentesthories de laction collective (ainsi quavec des cadres conceptuels issusdautres domaines des sciences sociales) et,

    in fine

    , den valuer la porte heu-ristique comme certaines des limites. La question de larticulation entre dimen-sions structurelles (la relative autonomie de lespace des mouvements sociaux etles relations quil entretient avec dautres secteurs du monde social) et pragma-tiques (les conditions et les modes dengagement des individus dans lactionprotestataire), spcialement, sera au cur de notre tentative de conceptualisa-tion, laquelle sappuie sur les acquis de ltude de diffrents mouvements quenous prsenterons au fil de larticle.

    Un espace dinterdpendance spcifique

    Nous proposons de dfinir minimalement lespace des mouvementssociaux comme un univers de pratique et de sens relativement autonome lintrieur du monde social, et au sein duquel les mobilisations sont unies pardes relations dinterdpendance. Localiser ainsi lactivit contestataire permetde saisir la dynamique interne des relations qui unissent entre elles les diff-rentes causes (et les organisations et militants qui les portent et les font vivre),ainsi que, sur un plan externe, les relations que cette sphre dactivit entre-tient avec dautres univers sociaux, tels que le champ politique, le milieu syn-dical, le domaine conomique ou encore la liste nest pas exhaustive lemonde des mdias.

    Lhypothse selon laquelle se serait constitu en France un espace des mouve-ments sociaux se base sur le postulat dune diffrenciation de nos socits, com-poses dune multiplicit dunivers sociaux relativement autonomes les uns desautres et traverss par des logiques propres. Cette diffrenciation a notamment

    6. Crosley (N.), From Reproduction to Transformation. Social Movement Fields and the RadicalHabitus ,

    Theory, Culture & Society

    , 20 (6), 2003.

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    t thorise par Norbert Elias

    7

    , Pierre Bourdieu

    8

    , Niklas Luhmann

    9

    et MichelDobry

    10

    , qui ont respectivement propos dappeler

    configurations

    ,

    champs

    ,

    syst-mes

    ou

    secteurs

    ces divers univers, tout en portant chacun laccent sur telle de leursproprits comme linterdpendance qui unit leurs composantes (Elias), leshomologies qui les rapprochent (Bourdieu), leur caractre autorfrentiel (Luh-mann) ou les variations de leur degr dobjectivation (Dobry). la suite de cesauteurs, nous postulerons que les mobilisations contemporaines se dploientdans un univers relativement autonome, travers par des logiques propres, etdont les diffrents lments sont unis par des relations de dpendance mutuelle.Ces relations sont fluctuantes, car extrmement sensibles aux volutions ducontexte, et peuvent varier de la coopration ou de la coalition la concurrenceou la rivalit. Cet espace autorfrentiel se distingue des autres univers constitu-tifs du monde social en ce quil propose aux acteurs individuels ou collectifs qui lecomposent des enjeux spcifiques tout en tant organis par des temporalits, desrgles et des principes dvaluation propres, qui contraignent leurs pratiques, pri-ses de positions, anticipations et stratgies. Ajoutons que la pleine appartenance lespace des mouvements sociaux suppose la matrise des comptences inhrentesaux diffrentes pratiques qui y ont cours et notamment la possession dunrpertoire de laction collective

    11

    ainsi que la connaissance des principes de clas-sement des multiples mouvements et organisations qui le composent, principesqui permettent de sy reprer et de svaluer mutuellement entre organisationsrivales ou concurrentes et qui, comme lensemble des comptences laction col-lective, ont t acquis au cours dune carrire militante

    12

    par un processus desocialisation spcifique.

    Le concept despace des mouvements sociaux se rapproche galement decelui de

    secteur de mouvement social

    propos par John D. McCarthy et MayerN. Zald, et qui consiste en lensemble des mouvements sociaux dunesocit

    13

    . Il sen distingue toutefois en ce quil ne vise pas seulement appr-hender, comme le font ces deux auteurs, les relations entre les diffrentes causes quils dsignent significativement par la mtaphore conomiqued

    industries de mouvement social

    sous le seul angle de leur concurrence pourlacquisition de ressources (comme des entreprises rivalisent pour la captation

    7. Elias (N.),

    La Socit des individus

    , Paris, Pocket, 1991.8. Bourdieu (P.), Gense et structure du champ religieux ,

    Revue franaise de sociologie

    , XII, 1971 ;Bourdieu (P.) Le champ littraire ,

    Actes de la recherche en sciences sociales

    , 89, 1991.9. Luhmann (N.),

    The Differentiation of Society

    , New York, University of Columbia Press, 1982.10. Dobry (M.),

    Sociologie des crises politiques

    , Paris, Presses de la FNSP, 1986.11. Tilly (C.),

    From Mobilization to Revolution

    , New York, Random House, 1978.12. Fillieule (O.), Post-scriptum : propositions pour une analyse processuelle de lengagementindividuel ,

    Revue franaise de science politique

    , 51 (1-2), 2001.13. McCarthy (J. D.), Zald (M. N.), Resource Mobilization and Social Movements : A Partial Theory ,

    American Journal of Sociology

    , 82 (6), 1977, p. 1220.

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    dune clientle), mais de saisir la dynamique dun univers social au sein duqueldiffrents mouvements et organisations sont en interdpendance, et qui est lui-mme soumis des processus volutifs dextension ou de rtractation de lacti-vit contestataire. Linterdpendance qui relie les diffrents mouvements nestjamais fige, mais en volution constante, ce qui explique que certaines causespuissent conjoncturellement apparatre comme davantage porteuses , avant-gardistes ou lgitimes (ou linverse indfendables , ringardes ou disqualifiantes), voire devenir de vritables

    points de rfrence

    , en fonctiondesquels les autres mobilisations tendent laborer leurs anticipations et strat-gies. Ainsi lespace des mouvements sociaux franais a-t-il vu, au cours de ladcennie passe, se succder plusieurs mobilisations que leur retentissementpublic voire, dans certains cas, leur succs ont fait accder ce statut de pointde rfrence, vers lequel convergent et dont tentent de sinspirer dautres mou-vements. La rquisition dun immeuble de la rue du Dragon par Droit aulogement en 1994, les grves et les manifestations de novembre-dcembre 1995,loccupation de lglise Saint-Bernard par les sans-papiers en 1996, le mouve-ment des chmeurs de la fin 1997 ont ainsi constitu des pisodes exemplai-res pour lactivit contestataire, dont linfluence a largement dbord les seulesorganisations spcialises dans les questions portes par chaque mouvement(ainsi quen tmoignent, exemples parmi dautres, l appel des sans en sou-tien aux grvistes de dcembre 1995 ou le ralliement de lassociation de luttecontre le sida Act Up la cause des sans-papiers).

    Lespace des mouvements sociaux apparat de ce point de vue comme une

    zone dvaluation mutuelle

    : le niveau dactivit des autres mouvements et orga-nisations, le destin de leurs tentatives de mobilisation, leurs innovations tacti-ques ou les mises en forme originales de leurs revendications sont lobjetdune saisie perceptive permanente, et constituent des indicateurs dun tat ducontexte sur lesquels se fondent les valuations du jouable , de l opportun ou encore du risqu . De la sorte peut-on comprendre le dveloppement desvagues de contestation, le succs de certains groupes incitant dautres entrer leur tour dans le jeu protestataire pour y dfendre leurs revendications propres.La victoire des tudiants opposs la rforme des universits dAlain Devaqueta par exemple indiqu en 1986 que le gouvernement se trouvait en position defaiblesse, et incit dautres groupes (les cheminots, spcialement) se mobiliser leur tour pour faire valoir leurs intrts propres. Plusieurs auteurs ont reprcertains des effets de cette valuation mutuelle : Doug McAdam a signal la dif-fusion au-del de leur foyer dinvention des innovations des rpertoiresdaction lorsquelles donnaient quelques signes defficacit

    14

    , tout comme

    14. McAdam (D.), Tactical Innovation and the Pace of Insurgency ,

    American Sociological Review

    ,48, 1983.

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    David Meyer et Nancy Whittier ont montr combien certains mouvements pou-vaient servir de modles dautres qui tentent de sinspirer du rpertoire, des cadres dexpression des griefs et des formes organisationnelles qui paraissentavoir fait leur succs

    15

    . La russite nest de ce point de vue pas seule exercer uneinfluence : les checs donnent eux aussi des indications sur ltat du contexte (etnotamment sur ltat du rapport de force qui oppose aux autorits) et fournis-sent sur le plan tactique des sortes d exemples ne pas suivre . Serge Proust aainsi montr combien la radicalit du mouvement des intermittents du spec-tacle de lt 2003 est un produit du prcdent du mouvement contre la rformedes retraites, dont lchec a t attribu une insuffisante combativit

    16

    . Onnotera au passage que cette approche situationnelle et comprhensive rejoint lesrcentes rvisions de la thorie des opportunits politiques. Suite aux nombreu-ses et vigoureuses critiques qui ont point son objectivisme, ses principaux adep-tes ont abandonn sa dfinition comme structure au profit dune conceptionsitue (cest--dire relative un contexte particulier) et subjective : les opportu-nits ne constituent plus tant un donn stable et objectif que linterprtationque les acteurs se font de la dtermination et des intentions de leur adversaire

    17

    .

    Les logiques dimitation ne sont pas reprables quentre mouvements pro-ches par leurs terrains daction ou leur idologie, mais galement entre mouve-ments quoppose un trs vif antagonisme. Suzanne Staggenborg a ainsi montr,dans son tude de lopposition entre les mouvements

    pro-choice

    et

    pro-life

    am-ricains, que chacun deux a continuellement tendu ajuster ses formes organi-sationnelles et ses actions de manire rpondre aux dfis poss par lesinnovations tactiques de son antagoniste, processus qui a produit un relatif

    iso-morphisme

    des deux mouvements

    18

    . Le mme phnomne a t repr enFrance loccasion des manifestations contre le PACS, que leurs organisateursont conues en rfrence la gay pride, dont ils ont tent de reproduire le carac-tre joyeux et festif tout en en inversant diamtralement le sens. Cette tendance limitation qui impose aussi un travail subtil de distinction des formesdaction employes par les adversaires constitue un effet de la rivalit entre lesmouvements, qui leur impose de sengager sur des terrains ouverts par ceuxauxquels ils sopposent pour ne pas leur en rserver lexclusivit tout enessayant de faire mieux ou, au moins, aussi bien (comme dans le cas de

    15. Meyer (D. S.), Whittier (N.), Social Movement Spillover ,

    Social Problems

    , 41 (2), 1994.16. Proust (S.), Les luttes autour du rgime de lintermittence et leur radicalisation en 2003 ,

    in

    Balasinski (J.), Mathieu (L.), dir.,

    Art et contestation

    , Rennes, PUR, 2006.17. Dans cette nouvelle perspective, aucune opportunit, mme objectivement ouverte, ne peut inviter la mobilisation si elle nest pas a) visible des protestataires potentiels et b) perue comme uneopportunit . Cf. McAdam (D.), Tarrow (S.), Tilly (C.),

    Dynamics of Contention

    , Cambridge, CambridgeUniversity Press, 2001, p. 43.18. Staggenborg (S.),

    The Pro-Choice Movement. Organization and Activism in the Abortion Conflict

    , OxfordUniversity Press, 1991, p. 95.

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    ces rassemblements dopposants et de dfenseurs de lavortement lors de procsde commandos anti-IVG , au cours desquels il est dans chaque camp impor-tant de ne pas paratre moins nombreux que ladversaire). Plus encore, linter-dpendance conflictuelle dans laquelle sont pris les mouvements contraintlargement leur action : les mouvements ne sont pas totalement matres de leurcalendrier et des enjeux de leurs mobilisations, mais voient ceux-ci leur treimposs par les initiatives de leur adversaire, face auxquelles il leur est indispen-sable de contre-attaquer

    19

    .

    Chaque position occupe au sein de lespace des mouvements sociaux estdfinie par un ensemble de proprits pertinentes, telles que limportance desressources matrielles et des effectifs de lorganisation considre, son histoire(et donc ventuellement sa lgitimit, retire de son anciennet et des grandes victoires quelle a pu remporter dans le pass), son inspirationidologique, religieuse ou philosophique, son recrutement social (en regarddu genre, de lge, du volume de capital scolaire, conomique, symbolique ouencore social de ses membres), etc. Affinits idologiques et homologies derecrutement militant permettent didentifier diffrents

    ples

    lintrieur delespace des mouvements sociaux

    20

    , lesquels jouent souvent un rle dcisifdans les processus de mobilisation. La sociologie du militantisme na pas seu-lement soulign la frquente

    multipositionnalit

    des acteurs des mouvementssociaux, gnralement actifs dans la dfense dun ensemble diversifi de cau-ses, mais elle a aussi, par le recours aux outils de lanalyse des rseaux, montrque les connexions que ces militants multicartes sont mme doprerentre sites de mobilisation distincts contribuent largement limpulsion desdynamiques contestataires

    21

    .

    Chaque position est galement dfinie par sa proximit dautres universsociaux, et plus prcisment par son degr dautonomie, ou linverse dht-ronomie, leur gard. Considrer que lespace des mouvements sociaux dis-pose dune autonomie

    relative

    , cest en effet postuler que si le jeu qui sy joueet les enjeux quil propose sont distincts de ceux que proposent dautreschamps (les mouvements sociaux noffrent pas de postes lectoraux, par

    19. Telle est la situation du mouvement fministe, dont certaines leaders regrettent que la dfense du droit lavortement menac par les commandos anti-IVG lempche de se consacrer dautres dossiers telsque les ingalits de salaires ou le travail temps partiel impos ; cf. Mathieu (L.), Repres pour unesociologie des croisades morales ,

    Dviance et socit

    , 29 (1), 2005.20. Comme celui des mouvements de prcaires, autodfini comme mouvement des sans , tudi parMouchard (D.), Les mobilisations des sans dans la France contemporaine : lmergence dun radica-lisme autolimit ,

    Revue franaise de science politique

    , 52 (4), 2002.21. Cf. Curtis (R. L.), Zurcher (L. A.), Stable Resources of Protest Movements: The Multi-OrganizationalField ,

    Social Forces

    , 52 (1), 1973, et Fillieule (O.), Blanchard (P.), Carrires militantes et engagementscontre la globalisation ,

    in

    Agrikoliansky (E.), Sommier (I.), dir.,

    Radiographie du mouvement altermon-dialiste

    , Paris, La Dispute, 2005.

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  • Lespace des mouvements sociaux

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    exemple), il nen reste pas moins soumis linfluence que, des degrs diversselon le contexte et les zones de lespace, une multiplicit dautres univers peu-vent exercer sur lui. Ainsi certains mouvements tiennent-ils jalousement leurautonomie lgard du monde partisan (tels Attac ou la Ligue des droits delhomme, dont les statuts interdisent aux membres de se prvaloir de leurappartenance lassociation sils veulent se porter candidats une lection),tandis que dautres entretiennent des liens notoires avec des partis ou sontengags dans des relations institutionnalises avec le systme politique. Certainsse tournent vers des sources de financement priv et engagent des relationscomplexes avec le champ conomique ( limage dAct Up, dont le financementpar des laboratoires pharmaceutiques a suscit de notables tensions internes).Dautres encore entretiennent des rapports troits avec le monde juridique (telle GISTI, qui mobilise les ressources du droit dans la dfense des trangers),avec le champ intellectuel (comme Attac, dot dun conseil scientifique osigent des universitaires), avec le champ mdical (comme les associations demalades du sida) ou avec le champ religieux ( linstar de la mouvance pro-vie,lie certaines fractions de lglise catholique). Tous sont dpendants descomptes rendus des mdias et doivent en consquence adapter leurs actionspubliques aux attentes du monde mdiatique ou tisser des relations de connivence avec les journalistes

    22

    .

    Les transformations de la composition de ses effectifs comme de ses rapportsavec les autres composantes du monde social expliquent les volutions, parfoisimportantes, de la position occupe au fil du temps par une mme organisation lintrieur de lespace. La succession des gnrations militantes, lvolutiondes rapports de force internes, la perte ou le gain dautonomie lgard desmondes politique, syndical ou encore religieux, les variations du niveau de res-sources matrielles peuvent ainsi contribuer substantiellement modifierlidentit et les objectifs dune organisation. Un exemple en est donn par AC !,association de lutte contre le chmage fonde en 1993 par des syndicalistes qui,devant la rticence des grandes confdrations se saisir du problme du ch-mage, ont lanc ce qui se voulait lorigine davantage un rseau de lutte pourlabolition du chmage quune organisation de chmeurs. Cette vocation pre-mire et la position occupe au sein de lespace des mouvements sociaux (quisitue alors AC ! dans une des zones les plus soumises linfluence du champsyndical) ont t bouscules suite la Marche contre le chmage de 1994, qui aattir de nombreux chmeurs, souvent de longue dure et en grande prcarit.Sous leffet de cette arrive massive de nouveaux militants, non seulement le rseau sest transform en une organisation de chmeurs, parallle sinonconcurrente celles dj existantes, mais les fondateurs syndicalistes se sont

    22. Cf. Neveu (E.), Mdias, mouvements sociaux et espace public ,

    Rseaux

    , 98, 1999.

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    retrouvs minoritaires, et la revendication de rduction du temps de travailquils portaient a t remise en cause par les chmeurs qui exigeaient plutt uneamlioration de leurs moyens dexistence sans rfrence loccupation dunemploi.

    Une autonomie relative et volutive

    La question de lautonomie est cruciale pour la comprhension de ce quenous entendons par espace des mouvements sociaux, et plus prcisment pourlintelligibilit des rapports que cette notion entretient avec celle de champ.Apprhender le degr dautonomie ou linverse dhtronomie de lespacedes mouvements sociaux exige de se pencher sur les frontires qui le sparentdes autres composantes du monde social, et spcialement du champ politique.La tche de tracer une telle limite ne revient pas lanalyste, qui doit plutt sui-vre linvitation de G. Mauger considrer que labsence de dfinition dumouvement social fait [] partie de sa dfinition

    23

    puisque la dlimitationdes frontires de lespace est elle-mme un des enjeux de la lutte qui oppose sesdiffrentes composantes.

    Une telle attention aux luttes de dfinition et de dlimitation est caractristi-que de lanalyse des champs, laquelle se rattache G. Mauger. Pour autant, il nenous semble pas possible daccorder le titre de champ lunivers que formentles mouvements sociaux, et cela pour plusieurs raisons. La premire est quelunivers contestataire ne nous semble pas disposer dun degr dobjectivation,de structuration et dinstitutionnalisation suffisant pour correspondre ce queBourdieu, dans ses dfinitions les plus rigoureuses, dfinit comme un champ

    24

    .Tout dabord, sur le plan interne, lespace des mouvements sociaux apparatcomme un univers trop faiblement unifi, et au sein duquel les rapports sociauxsont trop peu objectivs, pour prtendre au titre de champ. Lunivers contesta-taire constitue de ce point de vue une sphre dactivit trs largement infor-melle, dnue de toute instance de rgulation des rapports sociaux internes mme dtablir des verdicts incontestables dans les comptitions internes ( lamanire des lections dans le champ politique ou des scrutins professionnelsdans le champ syndical) ou de sanctionner les manquements aux principes defonctionnement , et sa dispersion en une multiplicit de causes souventdconnectes les unes des autres lempche daccder une objectivation tellequelle lui permette dimposer, y compris parfois ceux qui en font partie, sareprsentation comme domaine unifi. De mme lespace des mouvements

    23. Pour une politique rflexive , art. cit, p. 33.24. Pour une discussion plus approfondie des ambiguts du concept de champ, cf. Mathieu (L.),Roussel (V.), Pierre Bourdieu et le changement social ,

    ContreTemps

    , 4, 2002.

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  • Lespace des mouvements sociaux

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    sociaux est-il dpourvu de cette forme particulire dinstitutionnalisation questla reconnaissance par la loi (qui dlimite en le restreignant un domainedaction), la manire du champ syndical

    25

    .

    Une deuxime raison rside dans les trs importantes variations de lautonomiede lespace des mouvements sociaux lgard des autres univers dont il est proche.Ce sont ces variations qui nous empchent de souscrire la proposition deG. Mauger selon laquelle le mouvement social peut tre dcrit comme un sous-champ au sein du champ politique

    26

    , car le rapport de lespace des mouvementssociaux au champ politique ne peut tre pos

    a priori

    comme relevant de linclu-sion

    27

    . Davantage attentif, la suite de M. Dobry, aux changements dtat et auxvolutions conjoncturelles du degr dobjectivation des univers sociaux, nousconsidrons que lespace des mouvements sociaux est un

    univers dont la consistanceest lobjet de sensibles variations en fonction du contexte

    , qui peuvent aller de la quasi-disparition (par exemple lors de phases de forte dflation de lactivit contestataire) des pousses dautonomie tendant en faire un univers distinct. Un rapide survoldes transformations de lespace des mouvements sociaux franais depuis lesannes 1968 permettra dappuyer, en lillustrant empiriquement, cette assertion.

    La pousse contestataire qui suit la crise de mai 1968 peut tre considrecomme une premire phase dautonomisation dun espace des mouvementssociaux en France

    28

    . Telle quelle est par exemple analyse par G. Mauger

    29

    ,cette priode correspond un processus de reconversion dinvestissementspolitiques antrieurs, et plus prcisment dinvestissements rvolutionnairesdus. La crise de mai nayant pas dbouch sur le grand soir attendu, nom-breux ont t au dbut des annes 1970 les militants pralablement socialiss des activits dordre avant tout protestataire, et ventuellement violentes

    25. Sur la gense et les enjeux de la loi relative la cration des syndicats, cf. Barbet (D.), Retour sur la loide 1884. La production des frontires du syndical et du politique ,

    Genses

    , 3, 1991.26. Art. cit, p. 37.27. Il ne saurait galement tre considr, ainsi que le fait le courant de la structure des opportunits politi-ques, comme relevant ncessairement de la dpendance : les relations entre mouvements sociaux et systme politique ne sont pas univoques, et lhistoire ne manque pas dexemples de politiques gouver-nementales inflchies sous la pression de mobilisations contestataires. Voir par exemple la perspectivedfendue par Hanspeter Kriesi et son quipe, pour qui la structure des opportunits politiques dterminedans une large mesure les stratgies du mouvement, son niveau de mobilisation et les rsultats du proces-sus de mobilisation ; Kriesi (H.), Koopmans (R.), Duyvendak (J. W.), Giugni (M.),

    New Social Move-ments in Western Europe

    , London, UCL, 1995, p. XV.28. Ladoption dune perspective temporelle plus large, et qui envisagerait les rapports entre mouvementscontestataires et politique institutionnelle dans les priodes antrieures, serait certainement clairante maisexigerait une connaissance historique suprieure celle dont nous disposons. Signalons quune telle pers-pective ne pourrait sans anachronisme remonter au-del de lmergence de la forme mouvement social,que Charles Tilly fait remonter au XVIII

    e

    sicle : Tilly (C.),

    Social Movements, 1768-2004

    , Boulder, Para-digm Publisher, 2004.29. Mauger (G.), Gauchisme, contre-culture et no-libralisme : pour une histoire de la gnration68 ,

    in

    CURAPP,

    Lidentit politique

    , Paris, PUF, 1994.

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    quitter les organisations gauchistes pour reconvertir leurs savoir-faire dans unemultiplicit de causes qui, en dpit de leur diversit, partageaient un certainnombre de points communs, comme une focalisation sur les marges (immi-grs, prisonniers, malades mentaux) et la dfense didentits minoritaires(rgionalisme, fminisme, homosexualit). Cette floraison, on le sait, a faitlobjet dun grand nombre danalyses, dont certaines, regroupes sous lappella-tion de paradigme identitaire

    30

    , ont mis laccent sur leur nouveaut et leurfocalisation sur des enjeux postmatrialistes , ainsi que sur leur recrutementprivilgi au sein de la petite bourgeoisie nouvelle .

    Cette premire autonomisation de lespace des mouvements sociaux nest certespas complte. Les reprsentations et schmes de perception de nombre de militantsrestent fortement imprgns de rfrences marxisantes issues de leur passage par lesorganisations rvolutionnaires ou de leur proximit avec elles

    31

    . Surtout, lamfiance lgard de ltat

    32

    qui marque nombre de mouvements des annes 1970sestompe mesure que le Parti socialiste parvient se poser, lintrieur du champpolitique, comme le relais naturel des revendications des mouvements sociaux,dont il a par ailleurs entrepris de recruter nombre de militants (au niveau localprincipalement). Resitue dans la logique de comptition qui loppose alors auPCF, la nouvelle position du PS, et lattestation de sa capacit reprsenter unealternative politique crdible, entranent un

    alignement des anticipations

    des acteursde lespace des mouvements sociaux sur le calendrier lectoral celui des lgislati-ves de 1978 puis de la prsidentielle de 1981. Cette emprise croissante du champpolitique partisan sur les calculs et les anticipations des mouvements sociauxsaccentue aprs la victoire de F. Mitterrand qui, sous le double coup de la satisfac-tion (au moins partielle) dun certain nombre de revendications et dun transfert deplusieurs responsables associatifs vers les cabinets ministriels du nouveau gouver-nement socialiste, provoque une dflation de lactivit contestataire

    33

    .

    30. Cf. Cohen (J. L.), Strategy or Identity: New Theoretical Paradigms and Contemporary SocialMovements ,

    Social Research

    , 52 (4), 1985. Cette approche est principalement reprsente en France parles travaux dAlain Touraine (spcialement

    La voix et le regard

    , Paris, Le Seuil, 1978) et de son quipe.31. Ce que montre la rcurrence des interrogations des militants de lpoque sur le potentielrvolutionnaire des rvoltes des marges , telles celles des sans-papiers ou des prostitues ; cf.Simant (J.),

    La cause des sans-papiers

    , Paris, Presses de Sciences Po, 1998, et Mathieu (L.),

    Mobilisations deprostitues

    , Paris, Belin, 2001.32. Et plus prcisment lgard de ses vellits supposes de contrle social et de ses instruments rpressifs tels que la rgle de droit ; cf. Spanou (C.), Le droit instrument de la contestation sociale ?Les nouveaux mouvements sociaux face au droit ,

    in

    Lochak (D.), dir.,

    Les usages sociaux du droit

    , Paris,PUF-CURAPP, 1989.33. Le mouvement contre la double peine offre une illustration de ce processus : lentre de plusieurs res-ponsables associatifs (du GISTI et du Syndicat de la magistrature, notamment) dans les cabinets minist-riels fonde de nouvelles allgeances, et entrave lexpression de critiques lgard de la rforme lgislativedoctobre 1981 sur lentre et le sjour des trangers en France, qui ne rpond pourtant que partiellementaux attentes du mouvement pro-immigrs ; cf. Mathieu (L.),

    La double peine. Histoire dune lutte inacheve

    ,Paris, La Dispute, 2006, chap. 3.

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    La captation des attentes, et dune partie des leaders, des entreprisescontestataires par le PS apporte sa contribution au dlitement de lespacedes mouvements sociaux que connat la France dans les annes 1980. Elle nesttoutefois pas la seule, puisque viennent sy ajouter leffondrement de lextrmegauche, engag partir du milieu des annes 1970, suivi par celui du Particommuniste, ainsi que la chute des adhsions syndicales et des journes degrve. Ce faisant, ce sont la fois certains des principaux sites de socialisationmilitante, mais galement, sur un plan davantage symbolique, la pertinencepolitique des options contestataires qui entrent alors en crise. Le seul constatde leffondrement de lactivit protestataire

    34

    , accompagn par lidologie dunsuppos repli individualiste sur la sphre prive, suffira ici pour indiquercombien la reprise de la contestation du dbut des annes 1990 a pu constituerune divine surprise pour bien des militants accabls par la dmobilisationde leurs organisations et par une srie ininterrompue de reculs sociaux. Laphase de reconstitution de lespace des mouvements sociaux qui souvre alorssopre au travers dun retour au premier plan des questions conomiques etsociales, qui la fois tmoignent de la prcarisation de la socit franaise et delinadquation, pour lanalyser, du postmatrialisme invoqu par la thoriedes nouveaux mouvements sociaux

    35

    . Act Up, fond en 1989, fait de laccs la sant un de ses principaux axes de lutte au moment o le sida touche demanire croissante les populations les plus dmunies. Droit au logement(DAL), n en 1990 la suite du Comit des mal-logs, dveloppe une stratgiede rquisitions de logement vides, et donne naissance Droits devant !!,laquelle entretient des relations troites avec les diffrentes associations dechmeurs. Les pisodes contestataires se succdent : outre ceux lists plushaut, rappelons la mobilisation fministe de novembre 1995, la ptition contrela loi Debr de 1996, ou encore la grande manifestation contre le FN deStrasbourg en 1997.

    Le vaste mouvement de grve de la fonction publique de novembre-dcembre 1995 a jou un rle dcisif dans la nouvelle autonomisation delespace des mouvements sociaux, en ce que lobtention du retrait partiel duprojet de rforme de la Scurit sociale dAlain Jupp a montr quune mobili-sation dampleur tait apte faire reculer le gouvernement

    par elle-mme

    ,cest--dire sans le relais des forces partisanes. Lensemble de ces mobilisa-tions, et les relatifs succs quelles ont arrach, ont consolid lautorfrencede lespace des mouvements sociaux,

    i.e.

    la reprsentation partage par nom-bre de ses membres de constituer un univers distinct et qui, quoiqu distance

    34. Cf. Sommier (I.),

    Le renouveau des mouvements contestataires

    lheure de la mondialisation, Paris,Flammarion, 2003, et Denis (J.-M.), dir., Le conflit en grve ? Tendances et perspectives de la conflictualitcontemporaine, Paris, La Dispute, 2005.35. Cf. Mathieu (L.), Les nouvelles formes de la contestation sociale , Regards sur lactualit, 251, 1999.

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    Lilian MATHIEU 143

    du champ partisan, nen est pas moins capable de significativement peser surle cours de la vie politique. Un des principaux tmoignages de la consolidationde lautonomie et de lautorfrence de lespace des mouvements sociaux quisopre alors est lappel Nous sommes la gauche , lanc par Act Up et rallipar diffrentes personnalits et organisations (GISTI, Syndicat de la magistra-ture, membres dAC !, du DAL, dassociations de lutte contre le sida, intellec-tuels et artistes) loccasion des lections lgislatives de 1997, et qui pose lesmouvements sociaux en concurrents directs des partis pour lincarnation de la gauche 36.

    La constitution du mouvement altermondialiste peut tre considrecomme une des expressions, en mme temps quun prolongement, decette nouvelle autonomisation de lespace des mouvements sociaux,puisquil regroupe la plupart des organisations emblmatiques de lareprise de la contestation des annes 1990. En est galement significativelattention vigilante porte aux relations avec lunivers partisan, quitmoigne dune volont explicite de clture de lespace. Attac, on la dit,interdit ses membres de se prvaloir de leur appartenance lassociationsils sengagent dans la comptition lectorale, et la Charte des forumssociaux prend soin de les dfinir comme un espace pluriel et diversifi,non confessionnel, non gouvernemental et non partisan . Le discrdit despartis, la crainte de la rcupration de la critique altermondialiste desfins lectorales et la volont de prserver un espace de militantisme dsintress car dnu denjeux de carrire contribuent expliquercette fermeture lgard de lunivers partisan. Lautonomie savre cepen-dant difficile prserver en raison de la porosit entre espace des mouve-ments sociaux et champ politique, laquelle est en partie due lamultipositionnalit de nombreux militants et responsables altermondia-listes membres de partis de gauche ou dextrme gauche. Elle est gale-ment lie au fait que les partis ne pouvaient rester longtemps indiffrentsau succs des thmatiques altermondialistes et ont rapidement entreprisde se connecter au mouvement qui les porte. Elle est enfin inhrente ladpendance du mouvement lgard des ressources matrielles que lechamp politique est souvent seul mme de lui fournir, et qui amne lesaltermondialistes louvoyer entre dfiance affiche et coopration de

    36. Lappel affirme notamment que partout nous avons rinvesti lespace laiss vacant par ceux quitaient censs nous reprsenter. Partout nous avons colmat les brches ouvertes par des politiquesgouvernementales de plus en plus inadaptes. Si la gauche veut vraiment construire une Europe politi-que et sociale, si elle veut en finir avec cette politique inique de limmigration, si elle veut lutter contrele chmage, organiser la solidarit avec les pays du Sud, mener une politique de lutte contre le sidapour toutes les personnes atteintes, redonner priorit lducation et la Culture, reconnatre que larpression contre la toxicomanie doit cder le pas une politique de rduction des risques, elle doit leprouver.

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    fait37. Mme arriv un haut degr dautonomie et dautorfrence,lespace des mouvements sociaux reste bien des gards soumis lemprise du champ politique.

    Les rapports complexes quentretiennent les mouvements sociaux aumonde politique doivent aussi se comprendre en regard des transformationspropres lunivers partisan, et spcialement de la conversion de la principaleforce de gauche au social-libralisme. La conjoncture des annes 1990 se dis-tingue en effet de celle des annes 1970 par lexprience du PS au pouvoir.Alors que celui-ci, on la vu, avait canalis les attentes des mouvementssociaux autour de la candidature de F. Mitterrand, la dception qui a suivichez de nombreux militants de gauche a favoris un militantisme plus thma-tique et peru comme davantage concret et dsintress au sein dumonde associatif38. Ce phnomne est solidaire dune tendance la clture duchamp politique, dont les positions dominantes se sont progressivement fer-mes aux militants au profit de professionnels mieux dots en capitaux (sco-laires, spcialement, et acquis au sein d coles du pouvoir telles queSciences Po et lENA) dsormais promus en critres de dfinition de lexcel-lence politique, mais aussi moins insrs dans des rseaux (syndicaux ou asso-ciatifs) extra-partisans39. En dautres termes, lautonomisation de lespace desmouvements sociaux peut certains gards tre considre comme un effetdune autre autonomisation, celle du champ politique partisan, et de sa fer-meture aux profanes.

    On ajoutera, au terme de cette partie, une troisime raison qui nous semblemiliter en dfaveur dune apprhension des mobilisations contestataires en ter-mes de champ . Celle-ci tient aux enjeux et formes mmes des mouvementssociaux, et peut tre cerne partir de lhomologie tablie par P. Bourdieu entreles champs politique et religieux40. Sinspirant directement de la sociologie de lareligion de Max Weber41, celui-ci considre que chacun de ces deux champs estfond sur une coupure entre les profanes et le corps des spcialistes de la ges-tion, respectivement, des biens politiques et des biens de salut : les profession-nels de la politique et les prtres, dtenteurs exclusifs des comptences

    37. Lorganisation du Forum social europen de Saint-Denis, par exemple, naurait pas t possible sans lesoutien matriel de plusieurs mairies communistes. Sur ce qui prcde, cf. Mathieu (L.), La constitutiondu mouvement altermondialiste franais , Critique internationale, 27, 2005.38. Voir ltude de ce processus de dsaffection lgard du militantisme partisan chez les militants de laLigue des droits de lhomme conduite par Agrikoliansky (E.), La Ligue franaise des droits de lhomme et ducitoyen depuis 1945, Paris, LHarmattan, 2002.39. Cf. Birnbaum (P.), dir., Les lites socialistes au pouvoir, Paris, PUF, 1985, et Lefebvre (R.), Sawicki (F.),La socit des socialistes. Le PS aujourdhui, Broissieux, Le Croquant, 2006.40. Cf. Bourdieu (P.), La reprsentation politique , Actes de la recherche en sciences sociales, 36-37, 1981 et Gense et structure du champ religieux , art. cit.41. Cf. Weber (M.), conomie et socit, tome 2, Paris, Pocket, 1995, p. 145-409.

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    spcifiques leur domaine daction et disposant pour ce faire dun corpus dedoctrine labor. Aux marges de chacun de ces champs se trouvent les agentsqui expriment eux aussi une prtention lexercice du pouvoir politique oureligieux, mais selon des formes radicalement diffrentes de celles pratiquespar les politiciens ou les prtres, et qui pour cette raison constituent unemenace pour leur monopole : ce sont, respectivement, les rvolutionnaires etles prophtes, dfenseurs dune doctrine politique ou religieuse alternative, etlargement hrtique en regard des modes dominants de gestion des biens poli-tiques ou de salut.

    La poursuite de lhomologie invite rapporter la position des mouvementssociaux celle du sorcier ou du magicien, manipulateur profane (et profana-teur) du sacr qui rpond au coup par coup des demandes partielles etimmdiates 42 (demandes de cure, spcialement), et qui ne dispose pas dunedoctrine systmatique, mme si ses pratiques et ses discours peuvent reposersur des formes dgrades et parcellaires danciennes croyances devenueshrtiques. Les mouvements sociaux eux aussi relvent dune irruption desprofanes dans le domaine rserv des spcialistes, aux yeux desquels leursrevendications paraissent souvent illgitimes. Eux aussi interviennent sur desquestions prcises (environnement, emploi, immigration) et se mobilisentsur des enjeux concrets et limits, en exigeant une rponse immdiate cequils identifient comme des prils (rforme du systme dindemnisation duchmage, loi dfavorable aux immigrs, culture de plantes OGM) pour lapopulation dont ils se disent les dfenseurs. Les mouvements sociaux sont parailleurs frquemment empreints dlments de doctrine plus ou moins labo-rs, ou adapts de thorisations intellectuelles (la thorie du capitalimmatriel dAntonio Negri dans le mouvement des intermittents, parexemple), mais ne disposent pas pour autant dun programme global de gou-vernement de la socit. La prtention loccupation du pouvoir politique lesferait de fait passer ltat soit de professionnels de la politique (sils respec-tent les formes institues de la comptition politique, i.e. se prsentent deslections), soit de rvolutionnaires (sils se donnent pour objectif, en mmetemps que la prise du pouvoir, une transformation radicale de ses modesdexercice)43. En consquence les mouvements sociaux sont-ils condamns

    42. Bourdieu (P.), Gense et structure du champ religieux , art. cit, p. 321.43. Ce dilemme semble tre celui dans lequel se trouve actuellement le mouvement altermondialiste, qui aprocd une trs grande gnralisation de ses enjeux et thmatiques, au point de se poser en contre-modle au nolibralisme, mais aussi de ne plus trop savoir quels sont son statut et ses objectifs. Do latentation, dont ont tmoign certains pisodes rcents, de se muer en force politique participant la com-ptition lectorale, option laquelle soppose celle du retrait dans un rle intellectuel dinstance dlabora-tion de contre-propositions. La dfense de loption rvolutionnaire, quant elle, apparat limite quelques groupuscules (ou sectes) marginaux et que leurs thorisations hrtiques (en regard du contexteactuel) tendent disqualifier.

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    rester des entreprises relativement disperses, limites dans leurs enjeuxcomme dans leur porte, et se cantonner sauf se nier en tant que tels,cest--dire se muer en partis politiques ou en mouvements rvolution-naires dans les marges extrieures du champ politique.

    Un univers de comptences spcialises

    Notre prsentation sen est jusqu prsent tenue aux seules dimensions structurelles de lespace des mouvements sociaux, car surtout attentive sastructuration interne et ses relations avec les autres composantes du mondesocial. L ne se limite pas la porte du concept, lequel est galement mmedclairer les dimensions subjectives (cest--dire ce qui relve des reprsenta-tions et perceptions des agents) et pragmatiques (relevant des modalits con-crtes daccomplissement de laction) de la pratique contestataire. Lespace desmouvements sociaux peut ainsi tre apprhend comme le site au sein duquelsacquiert et sactualise un ensemble de comptences pratiques et cognitivesspcifiques et ncessaires la conduite des mobilisations. Dans cette perspectivepeut-on esprer articuler niveaux des structures et de l action 44, ainsi queles dimensions subjective et objective de la ralit sociale45.

    Envisager lespace des mouvements sociaux comme un univers de pratiqueet de sens distinct suppose que ceux qui en font partie, ou qui prtendent ypntrer, matrisent un ensemble de savoirs et de savoir-faire inhrents laconduite des actions contestataires. En dautres termes, linvestissement dansun mouvement social et la ralisation des diffrentes activits par lesquellescelui-ci se concrtise (rdiger un tract, ngocier le trajet dune manifestationavec la prfecture, retourner en sa faveur une assemble gnrale hostile, expo-ser des revendications aux mdias) exige de disposer de comptences prati-ques, actualises en situation et souvent dautant plus insaisissables quellesrelvent dune matrise pr-rflexive : ayant t acquises de manire implicitedans et par la conduite des luttes, ces comptences sont difficilement transmis-sibles de manire formelle.

    Les comptences cognitives, comme ensemble de connaissances et de schmesde perception propres laction collective, ne sont pas moins importantes quecelles dordre pratique, car elles permettent aux acteurs de sorienter au sein delespace par la matrise du langage et des principes de classement qui y ont courset qui permettent de distinguer les diffrentes nuances de traditions ou de cou-rants en prsence ( lambertistes , libertaires , cathos de gauche , etc.). La

    44. Sur larticulation entre structure et capacit daction (agency), cf. Sewell (W.), A Theory ofStructure: Duality, Agency, and Transformation , American Journal of Sociology, 98 (1), 1992.45. Cf. Berger (P.), Luckmann (T.), La construction sociale de la ralit, Paris, Mridiens-Klincksieck, 1986.

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    matrise de ces schmes de perception informe et nourrit la pratique, notam-ment par anticipation des coups quadversaires, concurrents ou partenairessont susceptibles de jouer dans un contexte daction donn. Elle se fonde gale-ment sur lvaluation des situations prsentes laune de prcdents, mme deservir de repres et de rfrences. Lors de phases de mobilisation marques parune trs forte incertitude, les acteurs tendent en effet se raccrocher aux exp-riences passes comparables pour tenter de dfinir une ligne stratgique. Ainsila conduite du mouvement dopposition la rforme des retraites du prin-temps 2003 sest-elle largement fonde sur le prcdent victorieux dedcembre 1995, mais avec des effets de dmoralisation lorsque les grvistes ontconstat, aprs la non-reconduction de la grve dans les transports publics, queceux qui huit ans plus tt avaient servi de locomotive au mouvement res-taient finalement lcart de la lutte46.

    Sil ne saurait tre question ici de donner une liste finie des multiples con-naissances et comptences que requiert la participation une action collective,il reste possible den signaler rapidement certaines, tout en soulignant par lamme occasion lintrt quil peut y avoir revisiter dans une perspective prag-matique certains thmes classiques de lanalyse des mouvements sociaux. Il enest ainsi des rpertoires de laction collective, dont M. Dobry invite uneapprhension pragmatique lorsquil signale que leur analyse se doit dintgrer les dilemmes pratiques que rencontrent les acteurs dans la ralit de leursmobilisations , et quils existent avant tout sous forme dobjectivations dexp-riences passes contraignant les calculs, dfinitions de situations et anticipa-tions des actions collectives 47. Disposer dune matrise pratique de diffrentesformes dexpression publique des griefs, connatre les avantages, risques etcontraintes de chacune et, sur la base de cette connaissance, savoir choisir cellequi convient le mieux aux objectifs, capacits de mobilisation et ressources dumoment constituent dans cette optique des comptences souvent dcisives. Laperspective labore par Danny Trom sinscrit dans un mme champ de proc-cupation lorsquil envisage laction collective comme un ensemble de perfor-mances se caractrisant par lactualisation dune grammaire politiquepartage 48. Ces performances, au cours desquelles un ordre de motif faisantgnralement rfrence au bien commun et la justice est actualis, doivent,

    46. Voir galement linfluence du prcdent qua constitu ce mme mouvement contre la rforme desretraites sur la radicalisation de la mobilisation des intermittents, signale par S. Proust (cf. note 16). Sur lepoids des prcdents, cf. McAdam (D.), Sewell (W. Jr.), Its About Time: Temporality in the Study ofSocial Movements and Revolutions , in Aminzade (R.) et al., Silence and Voice in the Study of ContentiousPolitics, Cambridge, Cambridge University Press, 2001.47. Dobry (M.), Calcul, concurrence et gestion du sens , in Favre (P.), dir., La Manifestation, Paris, Pres-ses de la FNSP, 1990, p. 361 et 363.48. Trom (D.), Grammaire de la mobilisation et vocabulaires de motifs , in Cefa (D.), Trom (D.), dir.,Les formes de laction collective, Paris, EHESS, Raisons pratiques , 2001, p. 108.

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    ajoute Daniel Cefa, se plier des grammaires de la vie publique pour trerecevables, ce qui implique dorienter lanalyse vers la dimension dramaturgi-que et rhtorique de laction collective49.

    La richesse des pistes traces par les sociologies pragmatique et interaction-niste pour lanalyse de laction collective en situation ne doit cependant passous-estimer les effets de la localisation sociale et de la trajectoire spcifiquesdes protagonistes des mobilisations. Lordre de linteraction, en effet, npuisepas la signification de ce qui sy joue, et lon se rappellera que le fondateur de laframe analysis considrait lui-mme quen regard de lanalyse de la structure dela vie sociale, sa perspective ne traitait que de ce qui est secondaire 50. Endautres termes, les approches pragmatistes souffrent dune tendance la natu-ralisation des comptences laction collective lorsquelles les considrentcomme faisant partie intgrante a priori de lquipement de base de lensembledes membres de nos socits51, et ce alors que nombre de mobilisations ettout spcialement les poor peoples movements52 prsentent des situationsdingalits, parfois particulirement criantes, de niveaux de matrise dessavoirs et savoir-faire contestataires. La prise en compte de ces ingalits, denombreux travaux lont montr, permet dclairer les processus dalliance entregroupes dpourvus de tradition et dexprience de laction collective, et soutiens davantage aguerris au point de pouvoir tre considrs comme devritables virtuoses du militantisme, dans le mme temps quelle permetdexpliquer la passivit de groupes ayant pourtant toutes les bonnes raisons de se rvolter53. Lexplication de ces disparits doit en priorit tre recherchedans des diffrences de trajectoires sociales, et plus prcisment dans le passage(ou son absence) par ces instances de socialisation militante que sont, en pre-mier lieu, la famille, mais galement les institutions denseignement ou encorele monde du travail. tre issu dune famille elle-mme riche en expriencescontestataires et o ont pu soprer ds le plus jeune ge des formes dappren-tissage militant (accompagner ses parents aux manifestations du 1er mai, parexemple), avoir connu de multiples activits associatives dans sa jeunesse, trepass par le scoutisme ou le militantisme tudiant, travailler dans un milieu

    49. Cefa (D.), Les cadres de laction collective , in Cefa (D.), Trom (D.), dir., ibid., p. 51 et 52. Voiraussi linvitation de James Jasper envisager la conduite des mouvements sociaux comme un art, demanire restituer la force dinvention des mouvements sociaux et la crativit individuelle et collectivede leurs membres , cf. Jasper (J.), Lart de protestation collective , in Cefa (D.), Trom (D.), dir., ibid.,p. 137, et, du mme auteur, The Art of Moral Protest, Chicago, University of Chicago Press, 1997.50. Goffman (E.), Les cadres de lexprience, Paris, Minuit, 1991, p. 22.51. Cf. le bilan critique que dresse, de lintrieur, Nicolas Dodier de ce courant thorique : Le laboratoiredes cits. Lespace et le mouvement du sens critique , Annales HSS, 1, 2005.52. Piven (F. F.), Cloward (R. A.), Poor Peoples Movements, New York, Vintage Books, 1977.53. Cf. par exemple Simant (J.), La cause des sans-papiers, op. cit., et Mathieu (L.), Mobilisations de prosti-tues, op. cit.

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    professionnel fortement syndicalis constituent autant de modalits dacqui-sition de comptences laction collective, prdictives dune forte propension lengagement.

    La mtaphore conomique sur laquelle est fond le concept de capital mili-tant, rcemment propos par Frdrique Matonti et Franck Poupeau et quirecouvre en grande partie ce que nous dsignons comme comptences laction collective, permet dclairer limportance de ces ingalits de matrisedes savoirs et savoir-faire protestataires54. Elle permet galement de pointer cequils dsignent comme le taux de change de ce capital lorsquil est transfrdun univers militant un autre, de lespace des mouvements sociaux ou dumonde syndical au champ politique, par exemple. Les carrires militantes sontfrquemment marques par de tels transferts, au cours desquels les compten-ces antrieurement acquises sont reconverties dans un autre type dactivit55.Mais leur comprhension exige que lon intgre que ces transferts comportentune part de spculation et donc de risque, que lide de taux de change permetprcisment de prendre en compte. Investir dans la politique partisane le capi-tal accumul dans lespace des mouvements sociaux, par exemple, peut consti-tuer une opportunit de le valoriser (par exemple lorsquil a atteint lemaximum de sa rentabilit dans son univers originel dacquisition), maisexpose le dilapider lorsque le taux de conversion se rvle moins avantageuxquespr ; cela est notamment le cas lorsque le discrdit de laction partisaneprovoque la dfection sous forme daccusations de carririsme ou de sen-timents de trahison , par exemple de ceux qui constituaient la base dessoutiens au sein de lespace des mouvements sociaux56.

    On ajoutera pour finir quune des pistes de recherche que lattention auxcomptences laction contestataire invite suivre est celle, pour lheure encorelargement ignore par la sociologie des mobilisations, des modalits dappren-tissage de ces savoirs et savoir-faire. Considrer lespace des mouvementssociaux comme le lieu o sacquirent les comptences protestataires impliqueen effet de se pencher sur les modalits concrtes de cette acquisition, cest--dire sur la logique dessais et derreurs par lesquels les apprentis activistes se

    54. Matonti (F.), Poupeau (F.), Le capital militant. Essai de dfinition , Actes de la recherche en sciencessociales, 155, 2004.55. E. Agrikoliansky montre limportance de ces logiques de reconversion dun ancien militantisme, parti-san ou syndical, dans la carrire des adhrents de la Ligue des droits de lhomme (La Ligue franaise desdroits de lhomme et du citoyen depuis 1945, op. cit.). Voir galement, dans une approche dinspiration prag-matiste qui intgre une dimension dispositionnelle, ltude de la lutte contre le sida de Dodier (N.), Leonspolitiques de lpidmie de sida, Paris, ditions de lEHESS, 2003.56. La mtaphore conomique du capital militant connat aussi ses limites, notamment en plaant ausecond plan la dimension pratique et cognitive des comptences qui existent avant tout ltat incorpor ;sur cette question, cf. Passeron (J.-C.), Linflation des diplmes. Remarques sur lusage de quelques con-cepts analogiques en sociologie , Revue franaise de sociologie, XXIII (4), 1982.

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    forment laction collective, sur les modes de transmission des traditions entregnrations de militants, sur le poids des expriences fondatrices (de la rpres-sion policire, de la trahison dun alli peu fiable), sur les supports (bio-graphies de leaders exemplaires, films documentaires sur des luttes passes)par lesquels se construit lidentit militante, sur lapplication par imitation de recettes pratiques (rdaction de tracts, prparation de recours judiciaires,organisation dune manifestation ou dune grve), etc. Les interactions entreces formes spcifiques dapprentissage et dautres instances de socialisation,dont en premier lieu lcole, apparaissent dune particulire importance si lonconsidre, ainsi que le suggrent F. Matonti et F. Poupeau, que les logiquesdacquisition des comptences militantes sappuient frquemment (et, seloneux, de plus en plus frquemment) sur des apprentissages scolaires pralables.Dans cet ordre dide, cest non seulement la question des relations entresavoirs empiriques, pratiquement acquis et matriss, et connaissances systma-tiquement labores et enseignes (par exemple dans des instituts de formationsyndicale) qui se trouve pose, mais galement celle de lventuelle reproduc-tion, lintrieur de lespace des mouvements sociaux, de formes de domina-tion fondes sur le capital scolaire similaires celles qui traversent les champspolitique et syndical57.

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    On signalera, au terme de cet article, trois limites ou difficults auxquelles doitsaffronter la perspective que lon vient desquisser. Le premier est celui de la per-tinence de ce modle pour ltude de mouvements extrieurs au cadre franais partir duquel il a t conu. Il reste sassurer si lhypothse dune autonomisa-tion dun espace des mouvements sociaux se confirme hors de France, ce qui per-mettrait dvaluer le poids des histoires contestataires nationales sur la maniredont se tissent les rapports entre partis politiques et mouvements sociaux58. Ledeuxime, proche, est celui des difficults auquel le modle se trouve confrontpour rendre compte de mobilisations dpassant le strict cadre national pourse doter dune dimension ou, tout au moins, dune prtention transnationale , lexemple de lactuel mouvement altermondialiste. Le troi-sime concerne les relations entre lespace des mouvements sociaux et luniverssyndical. Celui-ci, on la signal, dispose dun niveau dinstitutionnalisation etdobjectivation bien plus lev que lespace des mouvements sociaux, dans lemme temps quil exerce sur lui une forte influence notamment du fait de la fr-quence, au sein de certains ples de lunivers contestataire, de la multipositionna-

    57. Matonti (F.), Poupeau (F.), Le capital militant. Essai de dfinition , art. cit.58. Cf. par exemple le cas mexicain dun parti politique issu de mouvements sociaux tudi parCombes (H.), De la politique contestataire la fabrique partisane. Le cas du Parti de la rvolution dmocrati-que au Mexique (1989-2000), thse de doctorat en science politique, Universit Paris III, 2004.

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    lit dacteurs la fois syndicalistes et activistes. La sociologie des mobilisations ajusqu prsent fait preuve dun dsintrt regrettable pour le syndicalisme, et celaalors que de nouveaux rapports entre mobilisations menes lintrieur et lextrieur du monde du travail se dessinent lheure actuelle59. Cest dire si lespistes traces ici doivent encore tre approfondies.

    59. Cela est notamment sensible dans les luttes de salaris prcaires (restauration rapide, htellerie, etc.),qui tmoignent parfois de difficults sintgrer au cadre syndical dans le mme temps quelles mobilisentdes rfrences et des ressources (celles de laltermondialisme, par exemple) davantage caractristiques delespace des mouvements sociaux.

    Lilian MATHIEU est charg de rechercheCNRS au Centre de recherche politique dela Sorbonne, Universit Paris 1. Ses recher-ches portent sur les mobilisations contesta-taires et notamment celles de groupes faibles ressources.

    [email protected]

    Il a rcemment publi Comment lutter ?Sociologie et mouvements sociaux, Paris,Textuel, 2004, et La double peine. Histoiredune lutte inacheve, Paris, La Dispute,2006 et a codirig avec Justyne BalasinskiArt et contestation, Rennes, PUR, 2006.

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