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PALAIS DU LUXEMBOURG - 15, RUE DE VAUGIRARD - 75291 PARIS CEDEX 06 TEL. : 01 42 34 48 03 - FAX : 01 42 34 49 13 - MAIL : MN.LIENEMANN@SENAT.FR Monsieur Emmanuel MACRON Ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique 139, RUE DE BERCY 75572 PARIS CEDEX 12 Paris, le jeudi 21 janvier 2016, Objet : Révolution numérique et fiscalité Monsieur le Ministre, Vous rencontrerez ce soir au Forum de Davos Monsieur Éric Schmidt, le patron de l’entreprise Google. Cette rencontre est bien légitime au regard de l’enjeu représenté par la révolution numérique qui est en cours dans nos sociétés. Cependant, il me semble que cette rencontre devrait être l’occasion de faire passer quelques messages à cette société ainsi qu’à l’ensemble des géants de l’internet. Car une des premières mutations produites par l’émergence de champions mondiaux du numérique, particulièrement les désormais célèbres « GAFA » est l’affaiblissement formidable des ressources fiscales des États. Et ceci par un double mécanisme de vaste ampleur. D’une part, une stratégie développée par ces nouveaux acteurs d’évitement fiscale sans précédent. D’autre part, la fâcheuse tendance de ces mêmes acteurs à sortir du marché des acteurs économiques plus conventionnels qui contribuaient habituellement aux budgets nationaux à juste proportion. Qui saurait se résigner de cet état de fait particulièrement délétère pour tout projet de société démocratique ? La collectivité des citoyens se voit privée de recettes auxquelles elle a légitimement droit. Concrètement, chaque contribuable français, par son impôt sur le revenu, ou à travers de la TVA, finance « le manque à taxer » d’entreprises devenues « Too Big to Tax », alors même que leur succès est largement dépendant de sociétés éduquées et solvables, d’infrastructures et d’engagements publics. En d’autres termes, le chantage à la délocalisation n’est ici pas opérant. …/… R E P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E MARIE-NOËLLE LIENEMANN ___________ ANCIEN MINISTRE ___________ SENATRICE DE PARIS

Lettre de Marie-Noëlle Lienemann à Emmanuel Macron sur la fiscalité des groupes internationaux du numérique

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DESCRIPTION

Alors que le ministre de l'économie doit rencontrer Eric Schmidt, patron de Google, lors du forum de Davos, le soir du jeudi 21 janvier 2016, Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice socialiste de Paris et membre du BN du PS, l'interpelle sur la nécessité de reprendre à son compte la taxe Google qui avait été votée par le Sénat en avril 2015.

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Page 1: Lettre de Marie-Noëlle Lienemann à Emmanuel Macron sur la fiscalité des groupes internationaux du numérique

PALAIS DU LUXEMBOURG - 15, RUE DE VAUGIRARD - 75291 PARIS CEDEX 06

TEL. : 01 42 34 48 03 - FAX : 01 42 34 49 13 - MAIL : [email protected]

Monsieur Emmanuel MACRON

Ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

139, RUE DE BERCY

75572 PARIS CEDEX 12

Paris, le jeudi 21 janvier 2016,

Objet : Révolution numérique et fiscalité

Monsieur le Ministre,

Vous rencontrerez ce soir au Forum de Davos Monsieur Éric Schmidt, le

patron de l’entreprise Google. Cette rencontre est bien légitime au regard de

l’enjeu représenté par la révolution numérique qui est en cours dans nos

sociétés.

Cependant, il me semble que cette rencontre devrait être l’occasion de faire

passer quelques messages à cette société ainsi qu’à l’ensemble des géants de

l’internet.

Car une des premières mutations produites par l’émergence de champions

mondiaux du numérique, particulièrement les désormais célèbres « GAFA »

est l’affaiblissement formidable des ressources fiscales des États. Et ceci par

un double mécanisme de vaste ampleur.

D’une part, une stratégie développée par ces nouveaux acteurs d’évitement

fiscale sans précédent. D’autre part, la fâcheuse tendance de ces mêmes

acteurs à sortir du marché des acteurs économiques plus conventionnels qui

contribuaient habituellement aux budgets nationaux à juste proportion.

Qui saurait se résigner de cet état de fait particulièrement délétère pour tout

projet de société démocratique ? La collectivité des citoyens se voit privée de

recettes auxquelles elle a légitimement droit. Concrètement, chaque

contribuable français, par son impôt sur le revenu, ou à travers de la TVA,

finance « le manque à taxer » d’entreprises devenues « Too Big to Tax »,

alors même que leur succès est largement dépendant de sociétés éduquées et

solvables, d’infrastructures et d’engagements publics. En d’autres termes, le

chantage à la délocalisation n’est ici pas opérant.

…/…

R E P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

MARIE-NOËLLE

LIENEMANN

___________

ANCIEN MINISTRE

___________

SENATRICE

DE PARIS

Page 2: Lettre de Marie-Noëlle Lienemann à Emmanuel Macron sur la fiscalité des groupes internationaux du numérique

- 2 -

…/…

Prenant appui sur l’exemple de la loi de finances britannique (dont vous

conviendrez qu’elle n’est pas l’aboutissement de présupposés anti-libéraux),

nous avions fait adopté au Sénat, à mon initiative et avec le soutien du groupe

socialiste & républicain, le 16 avril dernier un amendement à la loi « pour la

croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques » que vous portiez

au nom du gouvernement.

Cet amendement proposait d’instaurer un régime légal de déclaration en

France des bénéfices réalisés sur le territoire français, quand bien même les

entreprises considérées auraient eu recours à des techniques juridiques leur

permettant de ne pas sembler y résider. Par exemple, Google France n’a

quasiment pas de chiffre d’affaire au regard de son activité économique qui

est patente et extrêmement substantielle en France. Ce régime serait venu

s’insérer en cohérence avec l’évolution récente du code général des impôts en

ce qui concerne le contrôle des prix de transfert et des opérations sans

substance économique. Nous estimons que son adoption pourrait se traduire

par un surcroît de chiffre d’affaires déclaré en France de l’ordre d’au moins

10 milliards d’euros, soit une recette espérée de quelques milliards d’Euro.

Cette disposition aurait pu avoir un effet d’entraînement et d’accélération

dans mise en œuvre de nouvelles pratiques fiscales internationales. Nous

espérions également qu’elle favorise une coopération plus étroite entre

administrations fiscales des États membres, comme un premier pas vers une

harmonisation fiscale européenne effective, condition indispensable au retour

de la confiance des citoyens en Europe.

Il est donc regrettable que l’Assemblée Nationale – à la demande du

gouvernement – n’ait pas jugé bon de maintenir cette disposition, qui avait

recueilli un quasi consensus des sensibilités politiques du sénat. C’est

pourquoi je vous demande de bien vouloir reprendre au plus vite le travail sur

des dispositions allant dans le même sens qui aurait pour effet de moderniser

notre système fiscal, de l’adapter à la réalité économique et d’assainir nos

relations avec les grands acteurs internationaux de l’économie numérique.

Ainsi, votre rencontre avec Monsieur Eric Schmidt serait une occasion utile

pour entamer ce chemin.

Restant à votre disposition, je vous prie, Monsieur le Ministre, de bien vouloir

agréer l’expression de mes meilleures salutations.

MARIE-NOËLLE LIENEMANN