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LETTRE ENCYCLIQUE EVANGELIUM VITAE DU SOUVERAIN PONTIFE JEAN-PAUL II AUX ÉVÊQUES, AUX PRESBYTRES ET AUX DIACRES, AUX RELIGIEUX ET AUX RELIGIEUSES, AUX FIDÈLES LAÏCS ET À TOUTES LES PERSONNES DE BONNE VOLONTÉ SUR LA VALEUR ET L'INVIOLABILITÉ DE LA VIE HUMAINE INTRODUCTION 1. L'Evangile de la vie se trouve au cœur du message de Jésus. Reçu chaque jour par l'Eglise avec amour, il doit être annoncé avec courage et fidélité comme une bonne nouvelle pour les hommes de toute époque et de toute culture. A l'aube du salut, il y a la naissance d'un enfant, proclamée comme une joyeuse nouvelle: « Je vous annonce une grande joie, qui sera celle de tout le peuple: aujourd'hui vous est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur, dans la cité de David » (Lc 2, 10-11). Assurément, la naissance du Sauveur a libéré cette « grande joie », mais, à Noël, le sens plénier de toute naissance humaine se trouve également révélé, et la joie messianique apparaît ainsi comme le fondement et l'accomplissement de la joie qui accompagne la naissance de tout enfant (cf. Jn 16, 21). Exprimant ce qui est au cœur de sa mission rédemptrice, Jésus dit: « Je suis venu pour qu'ils aient la vie et qu'ils l'aient en abondance » (Jn 10, 10). En vérité, il veut parler de la vie « nouvelle » et « éternelle » qui est la communion avec le Père, à laquelle tout homme est appelé par grâce dans le Fils, par l'action de l'Esprit sanctificateur. C'est précisément dans cette « vie » que les aspects et les moments de la vie de l'homme acquièrent tous leur pleine signification. La valeur incomparable de la personne humaine 2. L'homme est appelé à une plénitude de vie qui va bien au-delà des dimensions de son existence sur terre, puisqu'elle est la participation à la vie même de Dieu.

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LETTRE ENCYCLIQUEEVANGELIUM VITAEDU SOUVERAIN PONTIFEJEAN-PAUL IIAUX VQUES,AUX PRESBYTRES ET AUX DIACRES,AUX RELIGIEUX ET AUX RELIGIEUSES,AUX FIDLES LACS ET TOUTESLES PERSONNES DE BONNE VOLONTSUR LA VALEUR ET L'INVIOLABILITDE LA VIE HUMAINEINTRODUCTION1. L'Evangile de la vie se trouve au cur du message de Jsus. Reu chaque jour par l'Eglise avec amour, il doit tre annonc avec courage et fidlit comme une bonne nouvelle pour les hommes de toute poque et de toute culture.A l'aube du salut, il y a la naissance d'un enfant, proclame comme une joyeuse nouvelle: Je vous annonce une grande joie, qui sera celle de tout le peuple: aujourd'hui vous est n un Sauveur, qui est le Christ Seigneur, dans la cit de David (Lc2, 10-11). Assurment, la naissance du Sauveur a libr cette grande joie , mais, Nol, le sens plnier de toute naissance humaine se trouve galement rvl, et la joie messianique apparat ainsi comme le fondement et l'accomplissement de la joie qui accompagne la naissance de tout enfant (cf.Jn16, 21).Exprimant ce qui est au cur de sa mission rdemptrice, Jsus dit: Je suis venu pour qu'ils aient la vie et qu'ils l'aient en abondance (Jn10, 10). En vrit, il veut parler de la vie nouvelle et ternelle qui est la communion avec le Pre, laquelle tout homme est appel par grce dans le Fils, par l'action de l'Esprit sanctificateur. C'est prcisment dans cette vie que les aspects et les moments de la vie de l'homme acquirent tous leur pleine signification.La valeur incomparable de la personne humaine2. L'homme est appel une plnitude de vie qui va bien au-del des dimensions de son existence sur terre, puisqu'elle est la participation la vie mme de Dieu.La profondeur de cette vocation surnaturelle rvle lagrandeuret leprixde la vie humaine, mme dans sa phase temporelle. En effet, la vie dans le temps est une condition fondamentale, un moment initial et une partie intgrante du dveloppement entier et unitaire de l'existence humaine. Ce dveloppement de la vie, de manire inattendue et immrite, est clair par la promesse de la vie divine et renouvel par le don de cette vie divine; il atteindra son plein accomplissement dans l'ternit (cf.1 Jn3, 1-2). En mme temps, cette vocation surnaturelle souligne lecaractre relatifde la vie terrestre de l'homme et de la femme. En vrit, celle-ci est une ralit qui n'est pas dernire , mais avant-dernire ; c'est de toute faon uneralit sacrequi nous est confie pour que nous la gardions de manire responsable et que nous la portions sa perfection dans l'amour et dans le don de nous-mmes Dieu et nos frres.L'Eglise sait que cetEvangile de la vie,qui lui a t remis par son Seigneur, 1 trouve un cho profond et convaincant dans le cur de chaque personne, croyante et mme non croyante, parce que, tout en dpassant infiniment ses attentes, il y correspond de manire surprenante. Malgr les difficults et les incertitudes, tout homme sincrement ouvert la vrit et au bien peut, avec la lumire de la raison et sans oublier le travail secret de la grce, arriver reconnatre, dans la loi naturelle inscrite dans les curs (cf.Rm2, 14-15), la valeur sacre de la vie humaine depuis son commencement jusqu' son terme; et il peut affirmer le droit de tout tre humain voir intgralement respecter ce bien qui est pour lui primordial. La convivialit humaine et la communaut politique elle-mme se fondent sur la reconnaissance de ce droit.La dfense et la mise en valeur de ce droit doivent tre, de manire particulire, l'uvre de ceux qui croient au Christ, conscients de la merveilleuse vrit rappele par le Concile Vatican II: Par son Incarnation, le Fils de Dieu s'est en quelque sorte uni lui-mme tout homme . 2 Dans cet vnement de salut, en effet, l'humanit reoit non seulement la rvlation de l'amour infini de Dieu qui a tant aim le monde qu'il a donn son Fils unique (Jn3, 16), mais aussi celle dela valeur incomparable de toute personne humaine.Et, scrutant assidment le mystre de la Rdemption, l'Eglise reoit cette valeur avec un tonnement toujours renouvel 3 et elle se sent appele annoncer aux hommes de tous les temps cet vangile , source d'une esprance invincible et d'une joie vritable pour chaque poque de l'histoire.L'Evangile de l'amour de Dieu pour l'homme, l'vangile de la dignit de la personne et l'Evangile de la vie sont un Evangile unique et indivisible.C'est pourquoi l'homme, l'homme vivant, constitue la route premire et fondamentale de l'Eglise. 4Les nouvelles menaces contre la vie humaine3. En vertu du mystre du Verbe de Dieu qui s'est fait chair (cf.Jn1, 14), tout homme est confi la sollicitude maternelle de l'Eglise. Aussi toute menace contre la dignit de l'homme et contre sa vie ne peut-elle que toucher le cur mme de l'Eglise; elle ne peut que l'atteindre au centre de sa foi en l'Incarnation rdemptrice du Fils de Dieu et dans sa mission d'annoncer l'Evangile de la viedans le monde entier et toute crature (cf.Mc16, 15).Aujourd'hui, cette annonce devient particulirement urgente en raison de la multiplication et de l'aggravation impressionnantes des menaces contre la vie des personnes et des peuples, surtout quand cette vie est faible et sans dfense. Aux flaux anciens et douloureux de la misre, de la faim, des maladies endmiques, de la violence et des guerres, il s'en ajoute d'autres, dont les modalits sont nouvelles et les dimensions inquitantes.Dans une page d'une dramatique actualit, le Concile Vatican II a dplor avec force les mul- tiples crimes et attentats contre la vie humaine. Trente ans plus tard, faisant miennes les paroles de l'assemble conciliaire, je dplore ces maux encore une fois et avec la mme force au nom de l'Eglise tout entire, certain d'tre l'interprte du sentiment authentique de toute conscience droite: Tout ce qui s'oppose la vie elle-mme, comme toute espce d'homicide, le gnocide, l'avortement, l'euthanasie et mme le suicide dlibr; tout ce qui constitue une violation de l'intgrit de la personne humaine, comme les mutilations, la torture physique ou morale, les tentatives de contraintes psychiques; tout ce qui est offense la dignit de l'homme, comme les conditions de vie infra-humaines, les emprisonnements arbitraires, les dportations, l'esclavage, la prostitution, le commerce des femmes et des jeunes; ou encore les conditions de travail dgradantes qui rduisent les travailleurs au rang de purs instruments de rapport, sans gard pour leur personnalit libre et responsable: toutes ces pratiques et d'autres analogues sont, en vrit, infmes. Tandis qu'elles corrompent la civilisation, elles dshonorent ceux qui s'y livrent plus encore que ceux qui les subis- sent, et elles insultent gravement l'honneur du Crateur . 54. Malheureusement, ce panorama inquitant, loin de se rtrcir, va plutt en s'largissant: avec les nouvelles perspectives ouvertes par le progrs scientifique et technique, on voit natre de nouvelles formes d'attentats la dignit de l'tre humain. En mme temps, se dessine et se met en place une nouvelle situation culturelle qui donne aux crimes contre la vieun aspect indit et si cela se peut encore plus injuste,ce qui suscite d'autres graves proccupations: de larges couches de l'opinion publique justifient certains crimes contre la vie au nom des droits de la libert individuelle, et, partir de ce prsuppos, elles prtendent avoir non seulement l'impunit, mais mme l'autorisation de la part de l'Etat, afin de les pratiquer dans une libert absolue et, plus encore, avec l'intervention gratuite des services de sant.Tout cela provoque un profond changement dans la faon de considrer la vie et les relations entre les hommes. Le fait que les lgislations de nombreux pays, s'loignant le cas chant des principes mmes qui fondent leurs Constitutions, aient accept de ne pas punir ou, plus encore, de reconnatre la lgitimit totale de ces pratiques contre la vie est tout la fois un symptme proccupant et une cause non ngligeable d'un grave effondrement moral: des choix considrs jadis par tous comme criminels et refuss par le sens moral commun deviennent peu peu socialement respectables. La mdecine elle-mme, qui a pour vocation de dfendre et de soigner la vie humaine, se prte toujours plus largement dans certains secteurs la ralisation de ces actes contre la personne; ce faisant, elle dfigure son visage, se met en contradiction avec elle-mme et blesse la dignit de ceux qui l'exercent. Dans un tel contexte culturel et lgal, mme les graves problmes dmographiques, sociaux ou familiaux, qui psent sur de nombreux peuples du monde et qui exigent une attention responsable et active des communauts nationales et internationales, risquent d'tre rsolus de manire fausse et illusoire, en contradiction avec la vrit et avec le bien des personnes et des nations.Le rsultat auquel on parvient est dramatique: s'il est particulirement grave et inquitant de voir le phnomne de l'limination de tant de vies humaines naissantes ou sur le chemin de leur dclin, il n'est pas moins grave et inquitant que la conscience elle-mme, comme obscurcie par d'aussi profonds conditionnements, ait toujours plus de difficult percevoir la distinction entre le bien et le mal sur les points qui concernent la valeur fondamentale de la vie humaine.En communion avec tous les Evques du monde5. Le problme des menaces contre la vie humaine en notre temps a fait l'objet duConsistoire extraordinairedes Cardinaux qui a eu lieu Rome du 4 au 7 avril 1991. Aprs un examen ample et approfondi du problme et des dfis lancs toute la famille humaine, en particulier la communaut chrtienne, les Cardinaux m'ont, par un vote unanime, demand de raffirmer avec l'autorit du Successeur de Pierre la valeur de la vie humaine et son inviolabilit, eu gard aux circonstances actuelles et aux attentats qui la menacent aujourd'hui.Aprs avoir accueilli cette requte, j'ai, le jour de la Pentecte 1991, adress unelettre personnelle chacun de mes Frres dans l'piscopat pour qu'il m'apporte, dans l'esprit de la collgialit piscopale, sa collaboration en vue de la rdaction d'un document portant sur cette question. 6 Je suis profondment reconnaissant tous les vques qui m'ont rpondu, me donnant des informations, des suggestions et des propositions qui m'ont t prcieuses. De cette faon aussi, ils ont apport le tmoignage de leur participation unanime et sincre la mission doctrinale et pastorale de l'glise au sujet de l'Evangile de la vie.Dans la mme lettre, peu avant la clbration du centenaire de l'EncycliqueRerum novarum,j'attirais l'attention de tous sur cette singulire analogie: De mme qu'il y a un sicle, c'tait la classe ouvrire qui tait opprime dans ses droits fondamentaux, et que l'Eglise prit sa dfense avec un grand courage, en proclamant les droits sacro-saints de la personne du travailleur, de mme, prsent, alors qu'une autre catgorie de personnes est opprime dans son droit fondamental la vie, l'Eglise sent qu'elle doit, avec un gal courage, donner une voix celui qui n'a pas de voix. Elle reprend toujours le cri vanglique de la dfense des pauvres du monde, de ceux qui sont menacs, mpriss et qui l'on dnie les droits humains . 7Il y a aujourd'hui une multitude d'tres humains faibles et sans dfense qui sont bafous dans leur droit fondamental la vie, comme le sont, en particulier, les enfants encore natre. Si l'Eglise, la fin du sicle dernier, n'avait pas le droit de se taire face aux injustices qui existaient alors, elle peut encore moins se taire aujourd'hui, quand, aux injustices sociales du pass qui ne sont malheureusement pas encore surmontes, s'ajoutent en de si nombreuses parties du monde des injustices et des phnomnes d'oppression mme plus graves, parfois prsents comme des lments de progrs en vue de l'organisation d'un nouvel ordre mondial.La prsente encyclique, fruit de la collaboration de l'piscopat de tous les pays du monde, veut donc treune raffirmation prcise et ferme de la valeur de la vie humaine et de son inviolabilit,et, en mme temps, un appel passionn adress tous et chacun, au nom de Dieu:respecte, dfends, aime et sers la vie, toute vie humaine!C'est seulement sur cette voie que tu trouveras la justice, le dveloppement, la libert vritable, la paix et le bonheur!Puissent ces paroles parvenir tous les fils et toutes les filles de l'Eglise! Puissent-elles parvenir toutes les personnes de bonne volont, soucieuses du bien de chaque homme et de chaque femme ainsi que du destin de la socit entire!6. En profonde communion avec chacun de mes frres et surs dans la foi et anim par une amiti sincre pour tous, je veuxmditer nouveau et annoncer l'Evangile de la vie,splendeur de la vrit qui claire les consciences, lumire vive qui gurit le regard obscurci, source intarissable de constance et de courage pour faire face aux dfis toujours nouveaux que nous rencontrons sur notre chemin.Et, tandis que je repense aux riches expriences vcues pendant l'Anne de la Famille, comme pour donner une conclusion laLettreque j'ai adresse chaque famille concrte de toutes les rgions de la terre , 8 je porte mon regard avec une confiance renouvele vers tous les foyers et je souhaite que renaisse et se renforce tous les niveaux l'engagement de tous soutenir la famille, pour qu'aujourd'hui encore au milieu de nombreuses difficults et de lourdes menaces elle demeure constamment, selon le dessein de Dieu, comme un sanctuaire de la vie . 9A tous les membres de l'Eglise,peuple de la vie et pour la vie,j'adresse le plus pressant des appels afin qu'ensemble nous puissions donner notre monde de nouveaux signes d'esprance, en agissant pour que grandissent la justice et la solidarit, et que s'affirme une nouvelle culture de la vie humaine, pour l'dification d'une authentique civilisation de la vrit et de l'amour.

CHAPITRE ILA VOIX DU SANG DE TON FRRE CRIE VERS MOI DU SOL

LES MENACES ACTUELLESCONTRE LA VIE HUMAINE CONTRE LA VIE HUMAINECan se jeta contre son frre Abel et le tua (Gn4, 8): la racine de la violence contre la vie7. Dieu n'a pas fait la mort, il ne prend pas plaisir la perte des vivants. Il a tout cr pour l'tre... Oui,Dieu a cr l'homme pour l'incorruptibilit;il en a fait une image de sa propre nature. C'est par l'envie du diable quela mort est entre dans le monde;ils en font l'exprience, ceux qui lui appartiennent (Sg1, 13-14; 2, 23-24).L'vangile de la vie, proclam l'origine avec la cration de l'homme l'image de Dieu en vue d'un destin de vie pleine et parfaite (cf.Gn2, 7;Sg9, 2-3), fut contredit par l'exprience dchirante dela mort qui entre dans le mondeet qui jette l'ombre du non-sens sur toute l'existence de l'homme. La mort y entre cause de la jalousie du diable (cf.Gn3, 1.4-5) et du pch de nos premiers parents (cf.Gn2, 17; 3, 17-19). Et elle y entre de manire violente, cause du meurtre d'Abel par son frre Can: Comme ils taient en pleine campagne, Can se jeta sur son frre Abel et le tua (Gn4, 8).Ce premier meurtre est prsent avec une loquence singulire dans une page paradigmatique du livre de la Gense: une page rcrite chaque jour dans le livre de l'histoire des peuples, sans trve et d'une manire rpte qui est dgradante.Relisons ensemble cette page biblique qui, malgr son archasme et son extrme simplicit, se prsente comme particulirement riche d'enseignements.Abel devint pasteur de petit btail et Can cultivait le sol. Le temps passa et il advint que Can prsenta des produits du sol en offrande au Seigneur et qu'Abel, de son ct, offrit des premiers-ns de son troupeau, et mme de leur graisse. Or le Seigneur agra Abel et son offrande. Mais il n'agra pas Can et son offrande, et Can en fut trs irrit et eut le visage abattu. Le Seigneur dit Can: "Pourquoi es-tu irrit et pourquoi ton visage est-il abattu? Si tu es bien dispos, ne relveras-tu pas la tte? Mais si tu n'es pas bien dispos, le pch n'est-il pas la porte, une bte tapie qui te convoite? Pourras-tu la dominer?" Cependant Can dit son frre Abel: "Allons dehors", et, comme ils taient en pleine campagne, Can se jeta sur son frre Abel et le tua.Le Seigneur dit Can: "O est ton frre Abel?" Il rpondit: "Je ne sais pas. Suis-je le gardien de mon frre?" Le Seigneur reprit: "Qu'as-tu fait! coute le sang de ton frre crier vers moi du sol! Maintenant, sois maudit et chass du sol fertile qui a ouvert la bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frre. Si tu cultives le sol, il ne te donnera plus son produit: tu seras un errant parcourant la terre". Alors Can dit au Seigneur: "Ma peine est trop lourde porter. Vois! Tu me bannis aujourd'hui du sol fertile, je devrai me cacher loin de ta face et je serai un errant parcourant la terre, mais le premier venu me tuera!" Le Seigneur lui rpondit: "Aussi bien si quelqu'un tue Can, on le vengera sept fois", et le Seigneur mit un signe sur Can, afin que le premier venu ne le frappt point. Can se retira de la prsence du Seigneur et sjourna au pays de Nod, l'orient d'den (Gn4, 2-16).8. Can est trs irrit et il a le visage abattu parce que le Seigneur agra Abel et son offrande (Gn4, 4). Le texte biblique ne rvle pas le motif pour lequel Dieu prfre le sacrifice d'Abel celui de Can; mais il montre clairement que, tout en prfrant le don d'Abel,il n'interrompt pas son dialogue avec Can.Il l'avertiten lui rappelant sa libert face au mal:l'homme n'est en rien prdestin au mal. Certes, comme l'tait dj Adam, il est tent par la puissance malfique du pch qui, comme une bte froce, est tapi la porte de son cur, guettant le moment de se jeter sur sa proie. Mais Can demeure libre face au pch. Il peut et il doit le dominer: Il te convoite, mais toi, domine-le! (Gn4, 7).La jalousie et la colre l'emportentsur l'avertissement du Seigneur, et c'est pourquoi Can se jette sur son frre et le tue. Comme on le lit dans leCatchisme de l'Eglise catholique, l'Ecriture, dans le rcit du meurtre d'Abel par son frre Can, rvle, ds les dbuts de l'histoire humaine, la prsence dans l'homme de la colre et de la convoitise, consquences du pch originel. L'homme est devenu l'ennemi de son semblable . 10Le frre tue le frre.Comme dans le premier fratricide, dans tout homicide est violela parent spirituelle qui runit les hommes en une seule grande famille, 11 tous participant du mme bien unique fondamental: une gale dignit personnelle. Il n'est pas rare que soit paralllement violela parent de la chair et du sang ,par exemple lorsque les menaces contre la vie se dveloppent dans les rapports entre parents et enfants: c'est le cas de l'avortement ou bien, dans un contexte familial ou parental plus large, celui de l'euthanasie favorise ou provoque.A la source de toute violence contre le prochain, il y ale fait de cder la logique du Mauvais,c'est--dire de celui qui tait homicide ds le commencement (Jn8, 44), comme nous le rappelle l'Aptre Jean: Car tel est le message que vous avez entendu ds le dbut: nous devons nous aimer les uns les autres, loin d'imiter Can, qui, tant du Mauvais, gorgea son frre (1 Jn3, 11-12). Ainsi, le meurtre du frre l'aube de l'histoire donne un triste tmoignage de la manire dont le mal progresse avec une rapidit impressionnante: la rvolte de l'homme contre Dieu au paradis terrestre s'ajoute la lutte mortelle de l'homme contre l'homme.Aprs le crime,Dieu intervient pour venger la victime.Face Dieu qui l'interroge sur le sort d'Abel, Can, au lieu de se montrer troubl et de demander pardon, lude la question avec arrogance: Je ne sais pas. Suis-je le gardien de mon frre? (Gn4, 9). Je ne sais pas: par le mensonge, Can cherche couvrir son crime. C'est ainsi que cela s'est souvent pass et que cela se passe quand les idologies les plus diverses servent justifier et masquer les crimes les plus atroces perptrs contre la personne. Suis-je le gardien de mon frre?: Can ne veut pas penser son frre et refuse d'assumer la responsabilit de tout homme vis--vis d'un autre. On pense spontanment aux tendances actuelles qui font perdre l'homme sa responsabilit l'gard de son semblable: on en a des symptmes, entre autres, dans la perte de la solidarit l'gard des membres les plus faibles de la socit - comme les personnes ges, les malades, les immigrs, les enfants -, et dans l'indiffrence qu'on remarque souvent dans les rapports entre les peuples mme quand il y va de valeurs fondamentales comme la survie, la libert et la paix.9. MaisDieu ne peut laisser le crime impuni:du sol sur lequel il a t vers, le sang de la victime exige que Dieu fasse justice (cf.Gn37, 26;Is26, 21;Ez24, 7-8). De ce texte, l'Eglise a tir l'expression de pchs qui crient vengeance la face de Dieu et elle y a inclus, au premier chef, l'homicide volontaire. 12 Pour les Juifs comme pour de nombreux peuples de l'Antiquit, le sang est le lieu de la vie; bien plus, le sang est la vie (Dt12, 23) et la vie, surtout la vie humaine, n'appartient qu' Dieu; c'est pourquoicelui qui attente la vie de l'homme attente en quelque sorte Dieu lui-mme.Canest maudit par Dieu et aussi par la terre qui lui refusera ses fruits (cf.Gn4, 11-12). Etil est puni:il habitera dans la steppe et dans le dsert. La violence homicide change profondment le cadre de vie de l'homme. La terre, qui tait le jardin d'Eden (Gn2, 15), lieu d'abondance, de relations interpersonnelles sereines et d'amiti avec Dieu, devient le pays de Nod (Gn4, 16), lieu de la misre , de la solitude et de l'loignement de Dieu. Can sera un errant parcourant la terre (Gn4, 14): l'incertitude et l'instabilit l'accompagneront sans cesse.Toutefois Dieu, toujours misricordieux mme quand il punit, mit un signe sur Can,afin que le premier venu ne le frappt point (Gn4, 15): il lui donne donc un signe distinctif, qui a pour but de ne pas le condamner tre rejet par les autres hommes mais qui lui permettra d'tre protg et dfendu contre ceux qui voudraient le tuer, mme pour venger la mort d'Abel.Meurtrier, il garde sa dignit personnelleet Dieu lui-mme s'en fait le garant. Et c'est prcisment ici que se manifestele mystre paradoxal de la justice misricordieuse de Dieu,ainsi que l'crit saint Ambroise: Comme il y avait eu fratricide, c'est--dire le plus grand des crimes, au moment o s'introduisit le pch, la loi de la misricorde divine devait immdiatement tre tendue; parce que, si le chtiment avait immdiatement frapp le coupable, les hommes, quand ils puniraient, n'auraient pas pu se montrer tolrants ou doux, mais ils auraient immdiatement chti les coupables. (...) Dieu repoussa Can de sa face et, comme il tait rejet par ses parents, il le relgua comme dans l'exil d'une habitation spare, parce qu'il tait pass de la douceur humaine la cruaut de la bte sauvage. Toutefois, Dieu ne voulut pas punir le meurtrier par un meurtre, puisqu'il veut amener le pcheur au repentir plutt qu' la mort . 13Qu'as-tu fait? (Gn4, 10):l'clipse de la valeur de la vie10. Le Seigneur dit Can: Qu'as-tu fait? Ecoute le sang de ton frre crier vers moi du sol! (Gn4, 10).La voix du sang vers par les hommes ne cesse pas de crier,de gnration en gnration, prenant des tonalits et des accents varis et toujours nouveaux.La question du Seigneur qu'as-tu fait? , laquelle Can ne peut se drober, est aussi adresse l'homme contemporain, pour qu'il prenne conscience de l'tendue et de la gravit des attentats contre la vie dont l'histoire de l'humanit continue tre marque; elle lui est adresse afin qu'il recherche les multiples causes qui provoquent ces attentats et qui les alimentent, et qu'il rflchisse trs srieusement aux consquences qui en dcoulent pour l'existence des personnes et des peuples.Certaines menaces proviennent de la nature elle-mme, mais elles sont aggraves par l'incurie coupable et par la ngligence des hommes, qui pourraient bien souvent y porter remde; d'autres, au contraire, sont le fait de situations de violence, de haine, ou bien d'intrts divergents, qui poussent des hommes agresser d'autres hommes en se livrant des homicides, des guerres, des massacres ou des gnocides.Et comment ne pas voquer la violence faite la vie de millions d'tres humains, spcialement d'enfants, victimes de la misre, de la malnutrition et de la famine, cause d'une distribution injuste des richesses entre les peuples et entre les classes sociales? ou, avant mme qu'elle ne se manifeste dans les guerres, la violence inhrente au commerce scandaleux des armes qui favorise l'escalade de tant de conflits arms ensanglantant le monde? ou encore la propagation de germes de mort qui s'opre par la dgradation inconsidre des quilibres cologiques, par la diffusion criminelle de la drogue ou par l'encouragement donn des types de comportements sexuels qui, outre le fait qu'ils sont moralement inacceptables, laissent prsager de graves dangers pour la vie? Il est impossible d'numrer de manire exhaustive la longue srie des menaces contre la vie humaine, tant sont nombreuses les formes, dclares ou insidieuses, qu'elles revtent en notre temps.11. Mais nous entendons concentrer spcialement notre attention surun autre genre d'attentats,concernant la vie naissante et la vie ses derniers instants, qui prsententdes caractristiques nouvelles par rapport au pass et qui soulvent des problmes d'une particulire gravit:par le fait qu'ils tendent perdre, dans la conscience collective, leur caractre de crime et prendre paradoxalement celui de droit , au point que l'on prtend une vritable et rellereconnaissance lgale de la part de l'Etat et, par suite, leur mise en uvre grce l'intervention gratuite des personnels de sant eux-mmes.Ces attentats frappent la vie humaine dans des situations de trs grande prcarit, lorsqu'elle est prive de toute capacit de dfense. Encore plus grave est le fait qu'ils sont, pour une large part, raliss prcisment l'intrieur et par l'action de la famille qui, de par sa constitution, est au contraire appele tre sanctuaire de la vie .Comment a-t-on pu en arriver une telle situation? Il faut prendre en considration de multiples facteurs. A l'arrire-plan, il y a une crise profonde de la culture qui engendre le scepticisme sur les fondements mmes du savoir et de l'thique, et qui rend toujours plus difficile la perception claire du sens de l'homme, de ses droits et de ses devoirs. A cela s'ajoutent les difficults existentielles et relationnelles les plus diverses, accentues par la ralit d'une socit complexe dans laquelle les personnes, les couples et les familles restent souvent seuls face leurs problmes. Il existe mme des situations critiques de pauvret, d'angoisse ou d'exacerbation, dans lesquelles l'effort harassant pour survivre, la souffrance la limite du supportable, les violences subies, spcialement celles qui atteignent les femmes, rendent exigeants, parfois jusqu' l'hrosme, les choix en faveur de la dfense et de la promotion de la vie.Tout cela explique, au moins en partie, que la valeur de la vie puisse connatre aujourd'hui une sorte d' clipse , bien que la conscience ne cesse pas de la prsenter comme sacre et intangible; on le constate par le fait mme que l'on tend couvrir certaines fautes contre la vie naissante ou ses derniers instants par des expressions empruntes au vocabulaire de la sant, qui dtournent le regard du fait qu'est en jeu le droit l'existence d'une personne humaine concrte.12. En ralit, si de nombreux et graves aspects de la problmatique sociale actuelle peuvent de quelque manire expliquer le climat d'incertitude morale diffuse et parfois attnuer chez les individus la responsabilit personnelle, il n'en est pas moins vrai que nous sommes face une ralit plus vaste, que l'on peut considrer comme une vritablestructure de pch,caractrise par la prpondrance d'une culture contraire la solidarit, qui se prsente dans de nombreux cas comme une relle culture de mort . Celle-ci est activement encourage par de forts courants culturels, conomiques et politiques, porteurs d'une certaine conception utilitariste de la socit.En envisageant les choses de ce point de vue, on peut, d'une certaine manire, parler d'uneguerre des puissants contre les faibles:la vie qui ncessiterait le plus d'accueil, d'amour et de soin est juge inutile, ou considre comme un poids insupportable, et elle est donc refuse de multiples faons. Par sa maladie, par son handicap ou, beaucoup plus simplement, par sa prsence mme, celui qui met en cause le bien-tre ou les habitudes de vie de ceux qui sont plus favoriss tend tre considr comme un ennemi dont il faut se dfendre ou qu'il faut liminer. Il se dchane ainsi une sorte de conspiration contre la vie. Elle ne concerne pas uniquement les personnes dans leurs rapports individuels, familiaux ou de groupe, mais elle va bien au-del, jusqu' branler et dformer, au niveau mondial, les relations entre les peuples et entre les Etats.13. Pour favoriser une pratique plus tendue del'avortement,on a investi et on continue investir des sommes considrables pour la mise au point de prparations pharmaceutiques qui rendent possible le meurtre du ftus dans le sein maternel sans qu'il soit ncessaire de recourir au service du mdecin. Sur ce point, la recherche scientifique elle-mme semble presque exclusivement proccupe d'obtenir des produits toujours plus simples et plus efficaces contre la vie et, en mme temps, de nature soustraire l'avortement toute forme de contrle et de responsabilit sociale.Il est frquemment affirm que lacontraception,rendue sre et accessible tous, est le remde le plus efficace contre l'avortement. On accuse aussi l'Eglise catholique de favoriser de fait l'avortement parce qu'elle continue obstinment enseigner l'illicit morale de la contraception. A bien la considrer, l'objection se rvle en ralit spcieuse. Il peut se faire, en effet, que beaucoup de ceux qui recourent aux moyens contraceptifs le fassent aussi dans l'intention d'viter ultrieurement la tentation de l'avortement. Mais les contrevaleurs prsentes dans la mentalit contraceptive bien diffrentes de l'exercice responsable de la paternit et de la maternit, ralis dans le respect de la pleine vrit de l'acte conjugal sont telles qu'elles rendent prcisment plus forte cette tentation, face la conception ventuelle d'une vie non dsire. De fait, la culture qui pousse l'avortement est particulirement dveloppe dans les milieux qui refusent l'enseignement de l'Eglise sur la contraception. Certes, du point de vue moral, la contraception et l'avortement sont desmaux spcifiquement diffrents:l'une contredit la vrit intgrale de l'acte sexuel comme expression propre de l'amour conjugal, l'autre dtruit la vie d'un tre humain; la premire s'oppose la vertu de chastet conjugale, le second s'oppose la vertu de justice et viole directement le prcepte divin tu ne tueras pas .Mais, mme avec cette nature et ce poids moral diffrents, la contraception et l'avortement sont trs souvent troitement lis, comme des fruits d'une mme plante. Il est vrai qu'il existe mme des cas dans lesquels on arrive la contraception et l'avortement lui-mme sous la pression de multiples difficults existentielles, qui cependant ne peuvent jamais dispenser de l'effort d'observer pleinement la loi de Dieu. Mais, dans de trs nombreux autres cas, ces pratiques s'enracinent dans une mentalit hdoniste et de dresponsabilisation en ce qui concerne la sexualit et elles supposent une conception goste de la libert, qui voit dans la procration un obstacle l'panouissement de la personnalit de chacun. La vie qui pourrait natre de la relation sexuelle devient ainsi l'ennemi viter absolument, et l'avortement devient l'unique rponse possible et la solution en cas d'chec de la contraception.Malheureusement, l'troite connexion que l'on rencontre dans les mentalits entre la pratique de la contraception et celle de l'avortement se manifeste toujours plus; et cela est aussi confirm de manire alarmante par la mise au point de prparations chimiques, de dispositifs intra-utrins et de vaccins qui, distribus avec la mme facilit que les moyens contraceptifs, agissent en ralit comme des moyens abortifs aux tout premiers stades du dveloppement de la vie du nouvel individu.14. Mme les diversestechniques de reproduction artificielle,qui sembleraient tre au service de la vie et qui sont des pratiques comportant assez souvent cette intention, ouvrent en ralit la porte de nouveaux attentats contre la vie. Mis part le fait qu'elles sont moralement inacceptables parce qu'elles sparent la procration du contexte intgralement humain de l'acte conjugal, 14 ces tech- niques enregistrent aussi de hauts pourcentages d'chec, non seulement en ce qui concerne la fcondation, mais aussi le dveloppement ultrieur de l'embryon, expos au risque de mort dans des dlais gnralement trs brefs. En outre, on produit parfois des embryons en nombre suprieur ce qui est ncessaire pour l'implantation dans l'utrus de la femme et ces embryons surnumraires , comme on les appelle, sont ensuite sup- prims ou utiliss pour des recherches qui, sous prtexte de progrs scientifique ou mdical, rduisent en ralit la vie humaine un simple matriel biologique dont on peut librement disposer.Lediagnostic prnatal,qui ne soulve pas de difficults morales s'il est effectu pour dterminer les soins ventuellement ncessaires l'enfant non encore n, devient trop souvent une occasion de proposer et de provoquer l'avortement. C'est l'avortement eugnique, dont la lgitimation dans l'opinion publique nat d'une mentalit perue tort comme en harmonie avec les exigences thrapeutiques qui accueille la vie seulement certaines conditions et qui refuse la limite, le handicap, l'infirmit.En poursuivant la mme logique, on en est arriv refuser les soins ordinaires les plus lmentaires, et mme l'alimentation, des enfants ns avec des handicaps ou des maladies graves. En outre, le scnario actuel devient encore plus dconcertant en raison des propositions, avances et l, de lgitimer dans la mme ligne du droit l'avortement, mmel'infanticide,ce qui fait revenir ainsi un stade de barbarie que l'on esprait avoir dpass pour toujours.15. Des menaces non moins graves psent aussi sur lesmalades incurableset sur lesmourants,dans un contexte social et culturel qui, augmentant la difficult d'affronter et de supporter la souffrance, rend plus fortela tentation de rsoudre le problme de la souffrance en l'liminant la racinepar l'anticipation de la mort au moment considr comme le plus opportun.En faveur de ce choix, se retrouvent souvent des lments de nature diffrente, qui convergent malheureusement vers cette issue terrible. Chez le sujet malade, le sentiment d'angoisse, d'exacerbation et mme de dsesprance, provoqu par l'exprience d'une douleur intense et prolonge, peut tre dcisif. Cela met dure preuve les quilibres parfois dj instables de la vie personnelle et familiale, parce que, d'une part, le malade risque de se sentir cras par sa propre fragilit malgr l'efficacit toujours plus grande de l'assistance mdicale et sociale; d'autre part, parce que, chez les per- sonnes qui lui sont directement lies, cela peut crer un sentiment de piti bien concevable mme s'il est mal compris. Tout cela est aggrav par une culture ambiante qui ne reconnat dans la souffrance aucune signification ni aucune valeur, la considrant au contraire comme le mal par excellence liminer tout prix; cela se rencontre spcialement dans les cas o aucun point de vue religieux ne peut aider dchiffrer positivement le mystre de la souffrance.Mais, dans l'ensemble du contexte culturel, ne manque pas non plus de peser une sorte d'attitude promthenne de l'homme qui croit pouvoir ainsi s'riger en matre de la vie et de la mort, parce qu'il en dcide, tandis qu'en ralit il est vaincu et cras par une mort irrmdiablement ferme toute perspective de sens et toute esprance. Nous trouvons une tragique expression de tout cela dans l'expansion del'euthanasie,masque et insidieuse, ou effectue ouvertement et mme lgalise. Mise part une prtendue piti face la souffrance du malade, l'euthanasie est parfois justifie par un motif de nature utilitaire, consistant viter des dpenses improductives trop lourdes pour la socit. On envisage ainsi de supprimer des nouveau-ns malforms, des personnes gravement handicapes ou incapables, des vieillards, surtout s'ils ne sont pas autonomes, et des malades en phase terminale. Il ne nous est pas permis de nous taire face d'autres formes d'euthanasie plus sournoises, mais non moins graves et relles. Celles-ci pourraient se prsenter, par exemple, si, pour obtenir davantage d'organes transplanter, on procdait l'extraction de ces organes sans respecter les critres objectifs appropris pour vrifier la mort du donneur.16. Frquemment, des menaces et des attentats contre la vie sont associs un autrephnomneactuel, le phnomnedmographique.Il se prsente de manire diffrente dans les diverses parties du monde: dans les pays riches et dvelopps, on enregistre une diminution et un effondrement proccupants des naissances; l'inverse, les pays pauvres connaissent en gnral un taux lev de croissance de la population, difficilement supportable dans un contexte de faible dveloppement conomique et social, ou mme de grave sous-dveloppement. Face la surpopulation des pays pauvres, il manque, au niveau international, des interventions globales des politiques familiales et sociales srieuses, des programmes de dveloppement culturel ainsi que de production et de distribution justes des ressources , alors que l'on continue mettre en uvre des politiques anti-natalistes.La contraception, la strilisation et l'avortement doivent videmment tre compts parmi les causes qui contribuent provoquer les situations de forte dnatalit. On peut facilement tre tent de recourir ces mthodes et aux attentats contre la vie dans les situations d' explosion dmographique .L'antique pharaon, ressentant comme angoissantes la prsence et la multiplication des fils d'Isral, les soumit toutes les formes d'oppression et il ordonna de faire mourir tout enfant de sexe masculin n des femmes des Hbreux (cf.Ex1, 7-22). De nombreux puissants de la terre se comportent aujourd'hui de la mme manire. Eux aussi ressentent comme angoissant le dveloppement dmographique en cours et ils craignent que les peuples les plus prolifiques et les plus pauvres reprsentent une menace pour le bien-tre et pour la tranquillit de leurs pays. En consquence, au lieu de vouloir affronter et rsoudre ces graves problmes dans le respect de la dignit des personnes et des familles, ainsi que du droit inviolable de tout homme la vie, ils prfrent promouvoir et imposer par tous les moyens une planification massive des naissances. Les aides conomiques elles-mmes, qu'ils seraient disposs donner, sont injustement conditionnes par l'acceptation d'une politique anti-nataliste.17. L'humanit contemporaine nous offre un spectacle vraiment alarmant lorsque nous considrons non seulement les diffrents secteurs dans lesquels se dveloppent les attentats contre la vie, mais aussi leur forte proportion numrique, ainsi que le puissant soutien qui leur est apport par un large consensus social, par une frquente reconnaissance lgale, par la participation d'une partie du personnel de sant.Comme je l'ai dit avec force Denver, l'occasion de la VIIIe Journe mondiale de la Jeunesse, les menaces contre la vie ne faiblissent pas avec le temps. Au contraire, elles prennent des dimensions normes. Ce ne sont pas seulement des menaces venues de l'extrieur, des forces de la nature ou des "Can" qui assassinent des "Abel"; non, ce sontdes menaces programmes de manire scientifique et systmatique.Le vingtime sicle aura t une poque d'attaques massives contre la vie, une interminable srie de guerres et un massacre permanent de vies humaines innocentes. Les faux prophtes et les faux matres ont connu le plus grand succs . 15 Au-del des intentions, qui peuvent tre varies et devenir convaincantes au nom mme de la solidarit, nous sommes en ralit face ce qui est objectivement une conjuration contre la vie, dans laquelle on voit aussi impliques des Institutions internationales, attaches encourager et programmer de vritables campagnes pour diffuser la contraception, la strilisation et l'avortement. Enfin, on ne peut nier que les mdias sont souvent complices de cette conjuration, en rpandant dans l'opinion publique un tat d'esprit qui prsente le recours la contraception, la strilisation, l'avortement et mme l'euthanasie comme un signe de progrs et une conqute de la libert, tandis qu'il dpeint comme des ennemis de la libert et du progrs les positions inconditionnelles en faveur de la vie.Suis-je le gardien de mon frre? (Gn4, 9):une conception pervertie de la libert18. Le panorama que l'on a dcrit demande tre connu non seulement du point de vue des phnomnes de mort qui le caractrisent, mais encore du point de vue descauses multiplesqui le dterminent. La question du Seigneur qu'as-tu fait? (Gn4, 10) semble tre comme un appel adress Can pour qu'il dpasse la matrialit de son geste homicide afin d'en saisir toute la gravit au niveau desmotivationsqui en sont l'origine et desconsquencesqui en dcoulent.Les choix contre la vie sont parfois suggrs par des situations difficiles ou mme dramatiques de souffrance profonde, de solitude, d'impossibilit d'esprer une amlioration conomique, de dpression et d'angoisse pour l'avenir. De telles circonstances peuvent attnuer, mme considrablement, la responsabilit personnelle et la culpabilit qui en rsulte chez ceux qui accomplissent ces choix en eux-mmes criminels. Cependant le problme va aujourd'hui bien au-del de la reconnaissance, il est vrai ncessaire, de ces situations personnelles. Le problme se pose aussi sur les plans culturel, social et politique, et c'est l qu'apparat son aspect le plus subversif et le plus troublant, en raison de la tendance, toujours plus largement admise, interprter les crimes en question contre la vie comme desexpressions lgitimes de la libert individuelle, que l'on devrait reconnatre et dfendre comme de vritables droits.On en arrive ainsi un tournant aux consquences tragiques dans un long processus histo- rique qui, aprs la dcouverte de l'ide des droits humains comme droits inns de toute personne, antrieurs toute constitution et toute lgislation des Etats , se trouve aujourd'hui devantune contradiction surprenante:en un temps o l'on proclame solennellement les droits inviolables de la personne et o l'on affirme publiquement la valeur de la vie, le droit la vie lui-mme est pratiquement dni et viol, spcialement ces moments les plus significatifs de l'existence que sont la naissance et la mort.D'une part, les diffrentes dclarations des droits de l'homme et les nombreuses initiatives qui s'en inspirent montrent, dans le monde entier, la progression d'un sens moral plus dispos reconnatre la valeur et la dignit de tout tre humain en tant que tel, sans aucune distinction de race, de nationalit, de religion, d'opinion politique ou de classe sociale.D'autre part, dans les faits, ces nobles proclamations se voient malheureusement opposer leur tragique ngation. C'est d'autant plus dconcertant, et mme scandaleux, que cela se produit justement dans une socit qui fait de l'affirmation et de la protection des droits humains son principal objectif et en mme temps sa fiert. Comment accorder ces affirmations de principe rptes avec la multiplication continuelle et la lgitimation frquente des attentats contre la vie humaine? Comment concilier ces dclarations avec le rejet du plus faible, du plus dmuni, du vieillard, de celui qui vient d'tre conu? Ces attentats s'orientent dans une direction exactement oppose au respect de la vie, et ils reprsententune menace directe envers toute la culture des droits de l'homme. la limite, c'est une menace capable de mettre en danger le sens mme de la convivialit dmocratique:au lieu d'tre des socits de vie en commun , nos cits risquent de devenir des socits d'exclus,de marginaux, de bannis et d'limins. Et, si l'on largit le regard un horizon plantaire, comment ne pas penser que la proclamation mme des droits des personnes et des peuples, telle qu'elle est faite dans de hautes assembles internationales, n'est qu'un exercice rhtorique strile tant que n'est pas dmasqu l'gosme des pays riches qui refusent aux pays pauvres l'accs au dveloppement ou le subordonnent des interdictions insenses de procrer, opposant ainsi le dveloppement l'homme? Ne faut-il pas remettre en cause les modles conomiques adopts frquemment par les Etats, notamment conditionns par des pressions de caractre international qui provoquent et entretiennent des situations d'injustice et de violence dans lesquelles la vie humaine de populations entires est avilie et opprime?19. O se trouventles racines d'une contradiction si paradoxale?Nous pouvons les constater partir d'une valuation globale d'ordre culturel et moral, en commenant par la mentalit qui,exacerbant et mme dnaturant le concept de subjectivit,ne reconnat comme seul sujet de droits que l'tre qui prsente une autonomie complte ou au moins son commencement et qui chappe une condition de totale dpendance des autres. Mais comment concilier cette manire de voir avecla proclamation que l'homme est un tre indisponible ?La thorie des droits humains est prcisment fonde sur la prise en considration du fait que l'homme, la diffrence des animaux et des choses, ne peut tre soumis la domination de personne. Il faut encore voquer la logique qui tend identifier la dignit personnelle avec la capacit de communication verbale expliciteet, en tout cas, dont on fait l'exprience. Il est clair qu'avec de tels prsupposs il n'y pas de place dans le monde pour l'tre qui, comme celui qui doit natre ou celui qui va mourir, est un sujet de faible constitution, qui semble totalement la merci d'autres personnes, radicalement dpendant d'elles, et qui ne peut communiquer que par le langage muet d'une profonde symbiose de nature affective. C'est donc la force qui devient le critre de choix et d'action dans les rapports interpersonnels et dans la vie sociale. Mais c'est l'exact contraire de ce que, historiquement, l'Etat de droit a voulu proclamer, en se prsentant comme la communaut dans laquelle la force de la raison se substitue aux raisons de la force .Sur un autre plan, les racines de la contradiction qui apparat entre l'affirmation solennelle des droits de l'homme et leur ngation tragique dans la pratique se trouvent dansune conception de la libertqui exalte de manire absolue l'individu et ne le prpare pas la solidarit, l'accueil sans rserve ni au service du prochain. S'il est vrai que, parfois, la suppression de la vie naissante ou de la vie son terme est aussi tributaire d'un sens mal compris de l'altruisme ou de la piti, on ne peut nier que cette culture de mort, dans son ensemble, rvle une conception de la libert totalement individualiste qui finit par tre la libert des plus forts s'exerant contre les faibles prs de succomber.C'est dans ce sens que l'on peut interprter la rponse de Can la question du Seigneur o est ton frre Abel? : Je ne sais pas.Suis-je le gardien de mon frre? (Gn4, 9). Oui, tout homme est le gardien de son frre , parce que Dieu confie l'homme l'homme. Et c'est parce qu'il veut confier ainsi l'homme l'homme que Dieu donne tout homme la libert, qui comporteune dimension relationnelle essentielle.C'est un grand don du Crateur, car la libert est mise au service de la personne et de son accomplissement par le don d'elle-mme et l'accueil de l'autre; au contraire, lorsque sa dimension individualiste est absolutise, elle est vide de son sens premier, sa vocation et sa dignit mmes sont dmenties.Il est un autre aspect encore plus profond souligner: la libert se renie elle-mme, elle se dtruit et se prpare l'limination de l'autre quand elle ne reconnat plus et ne respecte plusson lien constitutif avec la vrit. Chaque fois que la libert, voulant s'manciper de toute tradition et de toute autorit, qu'elle se ferme mme aux vidences premires d'une vrit objective et commune, fondement de la vie personnelle et sociale, la personne finit par prendre pour unique et indiscutable critre de ses propres choix, non plus la vrit sur le bien et le mal, mais seulement son opinion subjective et changeante ou mme ses intrts gostes et ses caprices.20. Avec cette conception de la libert,la vie en socit est profondment altre.Si l'accomplissement du moi est compris en termes d'autonomie absolue, on arrive invitablement la ngation de l'autre, ressenti comme un ennemi dont il faut se dfendre. La socit devient ainsi un ensemble d'individus placs les uns ct des autres, mais sans liens rciproques: chacun veut s'affirmer indpendamment de l'autre, ou plutt veut faire prvaloir ses propres intrts. Cependant, en face d'intrts comparables de l'autre, on doit se rsoudre chercher une sorte de compromis si l'on veut que le maximum possible de libert soit garanti chacun dans la socit. Ainsi disparat toute rfrence des valeurs communes et une vrit absolue pour tous: la vie sociale s'aventure dans les sables mouvants d'un relativisme absolu. Alors,tout est matire convention, tout est ngociable,mme le premier des droits fondamentaux, le droit la vie.De fait, c'est ce qui se produit aussi dans le cadre politique proprement dit de l'Etat: le droit la vie originel et inalinable est discut ou dni en se fondant sur un vote parlementaire ou sur la volont d'une partie qui peut mme tre la majorit de la population. C'est le rsultat nfaste d'un relativisme qui rgne sans rencontrer d'opposition: le droit cesse d'en tre un parce qu'il n'est plus fermement fond sur la dignit inviolable de la personne mais qu'on le fait dpendre de la volont du plus fort. Ainsi la dmocratie, en dpit de ses principes, s'achemine vers un totalitarisme caractris. L'Etat n'est plus la maison commune o tous peuvent vivre selon les principes de l'galit fondamentale, mais il se transforme enEtat tyranqui prtend pouvoir disposer de la vie des plus faibles et des tres sans dfense, depuis l'enfant non encore n jusqu'au vieillard, au nom d'une utilit publique qui n'est rien d'autre, en ralit, que l'intrt de quelques-uns.Tout semble se passer dans le plus ferme respect de la lgalit, au moins lorsque les lois qui permettent l'avortement ou l'euthanasie sont votes selon les rgles prtendument dmocratiques. En ralit, nous ne sommes qu'en face d'une tragique apparence de lgalit et l'idal dmocratique, qui n'est tel que s'il reconnat et protge la dignit de toute personne humaine,est trahi dans ses fondements mmes: Comment peut-on parler encore de la dignit de toute personne humaine lorsqu'on se permet de tuer les plus faibles et les plus innocentes? Au nom de quelle justice pratique-t-on la plus injuste des discriminations entre les personnes en dclarant que certaines d'entre elles sont dignes d'tre dfendues tandis qu' d'autres est dnie cette dignit? . 16 Quand on constate de telles manires de faire, s'amorcent dj les processus qui conduisent la dissolution d'une convivialit humaine authentique et la dsagrgation de la ralit mme de l'Etat.Revendiquer le droit l'avortement, l'infanticide, l'euthanasie, et le reconnatre lgalement, cela revient attribuer la libert humaineun sens pervers et injuste,celui d'un pouvoir absolu sur les autres et contre les autres.Mais c'est la mort de la vraie libert: En vrit, en vrit, je vous le dis, quiconque commet le pch est esclave du pch (Jn8, 34).Je devrai me cacher loin de ta face (Gn4, 14):l'clipse du sens de Dieu et du sens de l'homme21. Quand on recherche les racines les plus profondes du combat entre la culture de vie et la culture de mort , on ne peut s'arrter la conception pervertie de la libert que l'on vient d'voquer. Il faut arriver au cur du drame vcu par l'homme contemporain:l'clipse du sens de Dieu et du sens de l'homme,caractristique du contexte social et culturel domin par le scularisme qui, avec ses prolongements tentaculaires, va jusqu' mettre parfois l'preuve les communauts chrtiennes elles-mmes. Ceux qui se laissent gagner par la contagion de cet tat d'esprit entrent facilement dans le tourbillon d'un terrible cercle vicieux:en perdant le sens de Dieu, on tend perdre aussi le sens de l'homme,de sa dignit et de sa vie; et, son tour, la violation systmatique de la loi morale, spcialement en matire grave de respect de la vie humaine et de sa dignit, produit une sorte d'obscurcissement progressif de la capacit de percevoir la prsence vivifiante et salvatrice de Dieu.Une fois encore, nous pouvons nous inspirer du rcit du meurtre d'Abel par son frre. Aprs la maldiction que Dieu lui a inflige, Can s'adresse au Seigneur en ces termes: Ma peine est trop lourde porter. Vois! Tu me bannis aujourd'hui du sol fertile,je devrai me cacher loin de ta faceet je serai un errant parcourant la terre; mais le premier venu me tuera! (Gn4, 13-14). Can considre que son pch ne pourra pas tre pardonn par le Seigneur et que son destin inluctable sera de devoir se cacher loin de sa face . Si Can parvient confesser que sa faute est trop grande , c'est parce qu'il a conscience de se trouver confront Dieu et son juste jugement. En ralit, l'homme ne peut reconnatre son pch et en saisir toute la gravit que devant le Seigneur. C'est aussi l'exprience de David qui, aprs avoir fait le mal devant le Seigneur , rprimand par le prophte Nathan (cf.2 S11-12), s'crie: Mon pch, moi, je le connais, ma faute est devant moi sans relche; contre toi, toi seul, j'ai pch, ce qui est coupable tes yeux, je l'ai fait (Ps51 50, 5-6).22. C'est pourquoi, lorsque disparat le sens de Dieu, le sens de l'homme se trouve galement menac et vici, ainsi que le Concile Vatican II le dclare sous une forme lapidaire: La crature sans son Crateur s'vanouit... Et mme, la crature elle-mme est entoure d'opacit, si Dieu est oubli . 17 L'homme ne parvient plus se saisir comme mystrieusement diffrent des autres cratures terrestres; il se considre comme l'un des nombreux tres vivants, comme un organisme qui, tout au plus, a atteint un stade de perfection trs lev. Enferm dans l'horizon troit de sa ralit physique, il devient en quelque sorte une chose , et il ne saisit plus le caractre transcendant de son existence en tant qu'homme . Il ne considre plus la vie comme un magnifique don de Dieu, une ralit sacre confie sa responsabilit et, par consquent, sa protection aimante, sa vnration . Elle devient tout simplement une chose qu'il revendique comme sa proprit exclusive, qu'il peut totalement dominer et manipuler.Ainsi, devant la vie qui nat et la vie qui meurt, il n'est plus capable de se laisser interroger sur le sens authentique de son existence ni d'en assumer dans une vritable libert les moments cruciaux. Il ne se soucie que du faire et, recourant toutes les techniques possibles, il fait de grands efforts pour programmer, contrler et dominer la naissance et la mort. Ces ralits, expriences originaires qui demandent tre vcues , deviennent des choses que l'on prtend simplement possder ou refuser .Du reste, lorsque la rfrence Dieu est exclue, il n'est pas surprenant que le sens de toutes les choses en soit profondment altr, et que la nature mme, n'tant plus mater, soit rduite un matriau ouvert toutes les manipulations. Il semble que l'on soit conduit dans cette direction par une certaine rationalit technico-scientifique, prdominante dans la culture contemporaine, qui nie l'ide mme que l'on doive reconnatre une vrit de la cration ou que l'on doive respecter un dessein de Dieu sur la vie. Et cela n'est pas moins vrai quand l'angoisse devant les consquences de cette libert sans loi amne certains la position inverse d'une loi sans libert , ainsi que cela arrive par exemple dans des idologies qui contestent la lgitimit de toute intervention sur la nature, presque en vertu de sa divinisation , ce qui, une fois encore, mconnat sa dpendance par rapport au dessein du Crateur.En ralit, vivant comme si Dieu n'existait pas , l'homme perd non seulement le sens du mystre de Dieu, mais encore celui du monde et celui du mystre de son tre mme.23. L'clipse du sens de Dieu et de l'homme conduit invitablement aumatrialisme pratiquequi fait se rpandre l'individualisme, l'utilitarisme et l'hdonisme. L encore, on constate la valeur permanente de ce qu'crit l'Aptre: Comme ils n'ont pas jug bon de garder la vraie connaissance de Dieu, Dieu les a livrs leur esprit sans jugement, pour faire ce qui ne convient pas (Rm1, 28). C'est ainsi que les valeurs de l'tresont remplaces par celles de l'avoir.La seule fin qui compte est la recherche du bien-tre matriel personnel. La prtendue qualit de la vie se comprend essentiellement ou exclusivement comme l'efficacit conomique, la consommation dsordonne, la beaut et la jouissance de la vie physique, en oubliant les dimensions les plus profondes de l'existence, d'ordre relationnel, spirituel et religieux.Dans un contexte analogue, lasouffrance,poids qui pse invitablement sur l'existence humaine mais aussi possibilit de croissance personnelle, est censure , rejete comme inutile et mme combattue comme un mal viter toujours et n'importe quel prix. Lorsqu'on ne peut pas la surmonter et que disparat la perspective du bientre, au moins pour l'avenir, alors il semble que la vie ait perdu tout son sens et la tentation grandit en l'homme de revendiquer le droit de la supprimer.Toujours dans le mme contexte culturel, lecorpsn'est plus peru comme une ralit spcifiquement personnelle, signe et lieu de la relation avec les autres, avec Dieu et avec le monde. Il est rduit sa pure matrialit, il n'est rien d'autre qu'un ensemble d'organes, de fonctions et d'nergies employer suivant les seuls critres du plaisir et de l'efficacit. En consquence, lasexualit,elle aussi, est dpersonnalise et exploite: au lieu d'tre signe, lieu et langage de l'amour, c'est--dire du don de soi et de l'accueil de l'autre dans toute la richesse de la personne, elle devient toujours davantage occasion et instrument d'affirmation du moi et de satisfaction goste des dsirs et des instincts. C'est ainsi qu'est dform et altr le contenu originaire de la sexualit humaine; les deux significations, union et procration, inhrentes la nature mme de l'acte conjugal sont artificiellement disjointes; de cette manire, on fausse l'union et l'on soumet la fcondit l'arbitraire de l'homme et de la femme. Laprocrationdevient alors l' ennemi viter dans l'exercice de la sexualit: on ne l'accepte que dans la mesure o elle correspond au dsir de la personne ou mme sa volont d'avoir un enfant tout prix et non pas, au contraire, parce qu'elle traduit l'accueil sans rserve de l'autre et donc l'ouverture la richesse de vie dont l'enfant est porteur.Dans la perspective matrialiste dcrite jusqu'ici,les relations interpersonnelles se trouvent gravement appauvries.Les premiers en souffrir sont la femme, l'enfant, le malade ou la personne qui souffre, le vieillard. Le vrai critre de la dignit personnelle celui du respect, de la gratuit et du service est remplac par le critre de l'efficacit, de la fonctionnalit et de l'utilit: l'autre est apprci, non pas pour ce qu'il est , mais pour ce qu'il a , ce qu'il fait et ce qu'il rend . Le plus fort l'emporte sur le plus faible.24. C'estau plus intime de la conscience moraleque s'accomplit l'clipse du sens de Dieu et du sens de l'homme, avec toutes ses nombreuses et funestes consquences sur la vie. C'est avant tout la consciencede chaque personnequi est en cause, car dans son unit intrieure et avec son caractre unique, elle se trouve seule face Dieu. 18 Mais, en un sens, la conscience morale de la socitest galement en cause: elle est en quelque sorte responsable, non seulement parce qu'elle tolre ou favorise des comportements contraires la vie, mais aussi parce qu'elle alimente la culture de mort , allant jusqu' crer et affermir de vritables structures de pch contre la vie. La conscience morale, individuelle et sociale, est aujourd'hui expose, ne serait-ce qu' cause de l'influence envahissante de nombreux moyens de communication sociale, undanger trs grave et mortel,celui dela confusion entre le bien et le malen ce qui concerne justement le droit fondamental la vie. Une grande partie de la socit actuelle se montre tristement semblable l'humanit que Paul dcrit dans la Lettre aux Romains. Elle est faite d' hommes qui tiennent la vrit captive dans l'injustice (1, 18): ayant reni Dieu et croyant pouvoir construire sans lui la cit terrestre, ils ont perdu le sens dans leurs raisonnements , de sorte que leur cur inintelligent s'est entnbr (1, 21); dans leur prtention la sagesse, ils sont devenus fous (1, 22), ils sont devenus les auteurs d'actions dignes de mort et, non seulement ils les font, mais ils approuvent encore ceux qui les commettent (1, 32). Quand la conscience, cet il lumineux de l'me (cf.Mt6, 22-23), appelle bien le mal et mal le bien (Is5, 20), elle prend le chemin de la dgnrescence la plus inquitante et de la ccit morale la plus tnbreuse.Cependant, toutes les influences et les efforts pour imposer le silence n'arrivent pas faire taire la voix du Seigneur qui retentit dans la conscience de tout homme; car c'est toujours partir de ce sanctuaire intime de la conscience que l'on peut reprendre un nouveau cheminement d'amour, d'accueil et de service de la vie humaine.Vous vous tes approchs d'un sang purificateur (cf.He12, 22. 24):signes d'esprance et appel l'engagement25. Ecoute le sang de ton frre crier vers moi du sol! (Gn4, 10). Il n'y a pas que le sang d'Abel, le premier innocent mis mort, qui crie vers Dieu, source et dfenseur de la vie. Le sang de tout autre homme mis mort depuis Abel est aussi une voix qui s'lve vers le Seigneur. D'une manire absolument unique, crie vers Dieula voix du sang du Christ,dont Abel est dans son innocence une figure prophtique, ainsi que nous le rappelle l'auteur de la Lettre aux Hbreux: Mais vous vous tes approchs de la montagne de Sion et de la cit du Dieu vivant..., du Mdiateur d'une Alliance nouvelle, et d'un sang purificateur plus loquent que celui d'Abel (12, 22. 24).C'estle sang purificateur.Le sang des sacrifices de l'Ancienne Alliance en avait t le signe symbolique et l'anticipation: le sang des sacrifices par lesquels Dieu montrait sa volont de communiquer sa vie aux hommes, en les purifiant et en les consacrant (cf.Ex24, 8;Lv17, 11). Tout cela s'accomplit et se manifeste dsormais dans le Christ: son sang est celui de l'aspersion qui rachte, purifie et sauve; c'est le sang du Mdiateur de la Nouvelle Alliance, rpandu pour une multitude en rmission des pchs (Mt26, 28). Ce sang, qui coule du ct transperc du Christ en croix (cf.Jn19, 34), est plus loquent que celui d'Abel; celui-ci, en effet, exprime et demande une justice plus profonde, mais il implore surtout la misricorde, 19 il devient intercesseur auprs du Pre pour les frres (cf.He7, 25), il est source de rdemption parfaite et don de vie nouvelle.Le sang du Christ, qui rvle la grandeur de l'amour du Pre,manifeste que l'homme est prcieux aux yeux de Dieu et que la valeur de sa vie est inestimable.L'Aptre Pierre nous le rappelle: Sachez que ce n'est par rien de corruptible, argent ou or, que vous avez t affranchis de la vaine conduite hrite de vos pres, mais par un sang prcieux, comme d'un agneau sans reproche et sans tache, le Christ (1 P1, 18-19). C'est en contemplant le sang prcieux du Christ, signe du don qu'il fait par amour (cf.Jn13, 1), que le croyant apprend reconnatre et apprcier la dignit quasi divine de tout homme; il peut s'crier, dans une admiration et une gratitude toujours nouvelles: Quelle valeur doit avoir l'homme aux yeux du Crateur s'il a mrit d'avoir un tel et un si grand Rdempteur (Exultetde la nuit pascale), si Dieu a donn son Fils afin que lui, l'homme, ne se perde pas, mais qu'il ait la vie ternelle (cf.Jn3, 16)! . 20De plus, le sang du Christ rvle l'homme que sa grandeur, et donc sa vocation, est ledon total de lui-mme.Parce qu'il est vers comme don de vie, le sang de Jsus n'est plus un signe de mort, de sparation dfinitive d'avec les frres, mais le moyen d'une communion qui est richesse de vie pour tous. Dans le sacrement de l'Eucharistie, celui qui boit ce sang et demeure en Jsus (cf.Jn6, 56) est entran dans le dynamisme de son amour et du don de sa vie, afin de porter sa plnitude la vocation premire l'amour qui est celle de tout homme (cf.Gn1, 27; 2, 18-24).Dans le sang du Christ, tous les hommes puisent aussila force de s'engager en faveur de la vie.Ce sang est justement la raison la plus forte d'esprer et mmele fondement de la certitude absolue que, selon le plan de Dieu, la vie remportera la victoire. De mort, il n'y en aura plus , s'crie la voix puissante qui vient du trne de Dieu dans la Jrusalem cleste (Ap21, 4). Et saint Paul nous assure que la victoire prsente sur le pch est le signe et l'anticipation de la victoire dfinitive sur la mort, quand s'accomplira la parole qui est crite: La mort a t engloutie dans la victoire. O est-elle, mort, ta victoire? O est-il, mort, ton aiguillon? (1 Co15, 54-55).26. En ralit, on peroit des signes annonciateurs de cette victoire dans nos socits et dans nos cultures, bien qu'elles soient fortement marques par la culture de mort . On dresserait donc un tableau incomplet, qui pourrait conduire un dcouragement strile, si l'on ne joignait pas la dnonciation des menaces contre la vie un aperu dessignes positifsefficaces dans la situation actuelle de l'humanit.Malheureusement, ces signes positifs apparaissent difficilement et ils sont mal reconnus, sans doute parce qu'ils ne sont pas l'objet d'une attention suffisante de la part des moyens de communication sociale. Mais beaucoup d'initiatives pour aider et soutenir les personnes les plus faibles et sans dfense ont t prises et continuent l'tre, dans la communaut chrtienne et dans la socit civile, aux niveaux local, national et international, par des personnes, des groupes, des mouvements et diverses organisations.Il y a de nombreuxpouxqui savent prendre gnreusement la responsabilit d'accueillir des enfants comme le don le plus excellent du mariage . 21 Et il ne manque pas defamillesqui, au-del de leur service quotidien de la vie, savent s'ouvrir l'accueil d'enfants abandonns, de jeunes en difficult, de personnes handicapes, de personnes ges restes seules. Bien descentres d'aide la vie,ou des institutions analogues, sont anims par des personnes et des groupes qui, au prix d'un dvouement et de sacrifices admirables, apportent un soutien moral et matriel des mres en difficult, tentes de recourir l'avortement. On cre et on dveloppe aussi desgroupes de bnvolesqui s'engagent donner l'hospitalit ceux qui n'ont pas de famille, qui sont dans des conditions particulirement pnibles ou qui ont besoin de retrouver un milieu ducatif les aidant surmonter des habitudes nuisibles et revenir un vrai sens de la vie.Lamdecine,servie avec beaucoup d'ardeur par les chercheurs et les membres des professions mdicales, poursuit ses efforts pour trouver des moyens toujours plus efficaces: on obtient aujourd'hui des rsultats autrefois impensables et qui ouvrent des perspectives prometteuses en faveur de la vie naissante, des personnes qui souffrent et des malades en phase aigu ou terminale. Des institutions et des organisations varies se mobilisent pour faire aussi bnficier de la mdecine de pointe les pays les plus touchs par la misre et les maladies endmiques. Des associations nationales et internationales de mdecins travaillent de mme pour porter rapidement secours aux populations prouves par des calamits naturelles, des pidmies ou des guerres. Mme si on est encore loin de la mise en uvre complte d'une vraie justice internationale dans la rpartition des ressources mdicales, comment ne pas reconnatre dans les progrs dj accomplis les signes d'une solidarit croissante entre les peuples, d'un sens humain et moral digne d'loge et d'un plus grand respect de la vie?27. Devant les lgislations qui ont autoris l'avortement et devant les tentatives, qui ont abouti ici ou l, de lgaliser l'euthanasie,des mouvements ont t crs et des initiatives prisesdans le monde entierpour sensibiliser la socit en faveur de la vie.Lorsque, conformment leur inspiration authentique, ces mouvements agissent avec une ferme dtermination mais sans recourir la violence, ils favorisent une prise de conscience plus rpandue de la valeur de la vie, et ils provoquent et obtiennent des engagements plus rsolus pour la dfendre.Comment ne pas rappeler, en outre,tous les gestes quotidiens d'accueil, de sacrifice, de soins dsintresssqu'un nombre incalculable de personnes accomplissent avec amour dans les familles, dans les hpitaux, dans les orphelinats, dans les maisons de retraite pour personnes ges et dans d'autres centres ou communauts qui dfendent la vie? En se laissant inspirer par l'exemple de Jsus bon Samaritain (cf.Lc10, 29-37) et soutenue par sa force, l'Eglise a toujours t en premire ligne sur ces fronts de la charit: nombreux sont ses fils et ses filles, spcialement les religieuses et les religieux qui, sous des formes traditionnelles ou renouveles, ont consacr et continuent consacrer leur vie Dieu en l'offrant par amour du prochain le plus faible et le plus dmuni. Ils construisent en profondeur la civilisation de l'amour et de la vie , sans laquelle l'existence des personnes et de la socit perd son sens le plus authentiquement humain. Mme si personne ne les remarquait et s'ils restaient cachs aux yeux du plus grand nombre, la foi nous assure que le Pre, qui voit dans le secret (Mt6, 4), non seulement saura les rcompenser, mais les rend fconds ds maintenant en leur faisant porter des fruits durables pour le bien de tous.Parmi les signes d'esprance, il faut aussi inscrire, dans de nombreuses couches de l'opinion publique, le dveloppement d'une sensibilit nouvelle toujours plus oppose au recours la guerrepour rsoudre les conflits entre les peuples et toujours plus oriente vers la recherche de moyens efficaces mais non violents pour arrter l'agresseur arm. Dans le mme ordre d'ides, se range aussil'aversion toujours plus rpandue de l'opinion publique envers la peine de mort,mme si on la considre seulement comme un moyen de lgitime dfense de la socit, en raison des possibilits dont dispose une socit moderne de rprimer efficacement le crime de sorte que, tout en rendant inoffensif celui qui l'a commis, on ne lui te pas dfinitivement la possibilit de se racheter.Il faut saluer aussi positivement l'attention grandissante la qualit de la vie,l'cologie,que l'on rencontre surtout dans les socits au dveloppement avanc, o les attentes des personnes sont prsent moins centres sur les problmes de la survie que sur la recherche d'une amlioration d'ensemble des conditions de vie. La reprise de la rflexion thique au sujet de la vie est particulirement significative; la cration et le dveloppement constant de labiothiquefavorisent la rflexion et le dialogue entre croyants et non-croyants, de mme qu'entre croyants de religions diffrentes sur les problmes thiques fondamentaux qui concernent la vie de l'homme.28. Ce panorama fait d'ombres et de lumires doit nous rendre tous pleinement conscients que nous nous trouvons en face d'un affrontement rude et dramatique entre le mal et le bien, entre la mort et la vie, entre la culture de mort et la culture de vie . Nous nous trouvons non seulement en face , mais invitablement au milieu de ce conflit: nous sommes tous activement impliqus, et nous ne pouvons luder notre responsabilit defaire un choix inconditionnel en faveur de la vie.L'injonction claire et forte de Mose s'adresse nous aussi: Vois, je te propose aujourd'hui vie et bonheur, mort et malheur... Je te propose la vie ou la mort, la bndiction ou la maldiction.Choisis donc la vie, pour que toi et ta postrit vous viviez (Dt30, 15. 19). Cette injonction convient tout autant nous qui devons choisir tous les jours entre la culture de vie et la culture de mort . Mais l'appel du Deutronome est encore plus profond, parce qu'il nous demande un choix proprement parler religieux et moral. Il s'agit de donner son existence une orientation fondamentale et de vivre fidlement en accord avec la loi du Seigneur: coute les commandements que je te donne aujourd'hui:aimer le Seigneur ton Dieu, marcher dans ses chemins, garder ses ordres,ses commandements et ses dcrets... Choisis donc la vie, pour que toi et ta postrit vous viviez, aimant le Seigneur ton Dieu, coutant sa voix, t'attachant lui;car l est ta vie,ainsi que la longue dure de ton sjour sur la terre (30, 16. 19-20).Le choix inconditionnel pour la vie arrive la plnitude de son sens religieux et moral lorsqu'il vient dela foi au Christ,qu'il est form et nourri par elle. Rien n'aide autant aborder positivement le conflit entre la mort et la vie dans lequel nous sommes plongs que la foi au Fils de Dieu qui s'est fait homme et qui est venu parmi les hommes pour qu'ils aient la vie et qu'ils l'aient en abondance (Jn10, 10): c'estla foi au Ressuscit qui a vaincu la mort;c'est la foi au sang du Christ plus loquent que celui d'Abel (He12, 24).Devant les dfis de la situation actuelle, la lumire et par la force de cette foi, l'Eglise prend plus vivement conscience de la grce et de la responsabilit qui lui viennent du Seigneur pour annoncer, pour clbrer et pour servir l'Evangile de la vie.

CHAPITRE IIJE SUIS VENU POUR QU'ILS AIENT LA VIE

LE MESSAGE CHRTIEN SUR LA VIE La vie s'est manifeste, nous l'avons vue (1 Jn1, 2):le regard tourn vers le Christ, le Verbe de vie29. Face aux menaces innombrables et graves qui psent sur la vie dans le monde d'aujourd'hui, on pourrait demeurer comme accabl par le sentiment d'une impuissance insurmontable: le bien ne sera jamais assez fort pour vaincre le mal!C'est alors que le peuple de Dieu, et en lui tout croyant, est appel professer, avec humilit et courage, sa foi en Jsus Christ, le Verbe de vie (1 Jn1, 1).L'Evangile de la vien'est pas une simple rflexion, mme originale et profonde, sur la vie humaine; ce n'est pas non plus seulement un commandement destin alerter la conscience et susciter d'importants changements dans la socit; c'est encore moins la promesse illusoire d'un avenir meilleur. L'Evangile de la vieest une ralit concrte et personnelle, car il consiste annoncer lapersonne mme de Jsus.A l'Aptre Thomas et, en lui, tout homme, Jsus se prsente par ces paroles: Je suis le chemin, la vrit et la vie (Jn14, 6). C'est la mme identit qu'il affirme devant Marthe, sur de Lazare: Je suis la rsurrection et la vie. Qui croit en moi, mme s'il meurt, vivra; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais (Jn11, 25-26). Jsus est le Fils qui, de toute ternit, reoit la vie du Pre (cf.Jn5, 26) et qui est venu parmi les hommes pour les faire participer ce don: Je suis venu pour qu'ils aient la vie et qu'ils l'aient en abondance (Jn10, 10).C'est donc partir de la parole, de l'action, de la personne mme de Jsus que la possibilit est donne l'homme de connatre la vrit tout entiresur la valeur de la vie humaine; c'est de cette source qu'il reoit notamment la capacit de faire parfaitement la vrit (cf.Jn3, 21), ou d'assumer et d'exercer pleinement la responsabilit d'aimer et de servir la vie humaine, de la dfendre et de la promouvoir.Dans le Christ, en effet, est dfinitivement annonc et pleinement donn cetEvangile de la viequi, dj prsent dans la Rvlation de l'Ancien Testament, et mme inscrit en quelque sorte dans le cur de tout homme et de toute femme, retentit dans chaque conscience ds le commencement , c'est--dire depuis la cration elle-mme, en sorte que, malgr les conditionnements ngatifs du pch,il peut aussi tre connu dans ses traits essentiels par la raison humaine.Comme l'crit le Concile Vatican II, le Christ par toute sa prsence et par la manifestation qu'il fait de lui-mme par des paroles et par des uvres, par des signes et des miracles, et plus particulirement par sa mort et par sa rsurrection glorieuse d'entre les morts, par l'envoi enfin de l'Esprit de vrit, achve la rvlation en l'accomplissant, et la confirme encore en attestant divinement que Dieu lui-mme est avec nous pour nous arracher aux tnbres du pch et de la mort et nous ressusciter pour la vie ternelle . 2230. C'est donc le regard fix sur le Seigneur Jsus que nous voulons l'couter nous redire les paroles de Dieu (Jn3, 34) et mditer nouveau l'Evangile de la vie.La signification la plus profonde et la plus originale de cette mditation du message rvl sur la vie humaine a t saisie par l'Aptre Jean, qui crit au dbut de sa premire lettre: Ce qui tait ds le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contempl, ce que nos mains ont touch du Verbe de vie car la Vie s'est manifeste: nous l'avons vue, nous en rendons tmoignage et nous vous annonons cette Vie ternelle, qui tait tourne vers le Pre et qui nous est apparue , ce que nous avons vu et entendu, nous vous l'annonons, afin que vous aussi soyez en communion avec nous (1, 1-3).En Jsus, Verbe de vie , est donc annonce et communique la vie divine et ternelle. Grce cette annonce et ce don, la vie physique et spirituelle de l'homme, mme dans sa phase terrestre, acquiert sa plnitude de valeur et de signification: la vie divine et ternelle, en effet, est la fin vers laquelle l'homme qui vit dans ce monde est orient et appel. L'Evangile de la viecontient ainsi ce que l'exprience mme et la raison humaine disent de la valeur de la vie; il l'accueille, l'lve et la porte son accomplissement. Ma force et mon chant, c'est le Seigneur, je lui dois le salut (Ex15, 2):la vie est toujours un bien31. En vrit, la plnitude vanglique du message sur la vie est dj prpare dans l'Ancien Testament. C'est surtout dans l'vnement de l'Exode, centre de l'exprience de foi de l'Ancien Testament, qu'Isral dcouvre quel point sa vie est prcieuse aux yeux de Dieu. Alors mme qu'il semble vou l'extermination, parce qu'une menace de mort pse sur tous ses enfants nouveau-ns (cf.Ex1, 15-22), le Seigneur se rvle lui comme le sauveur, capable d'assurer un avenir celui qui est sans esprance. Il nat ainsi en Isral une conscience prcise:sa viene se trouve pas la merci d'un pharaon qui peut l'utiliser avec un pouvoir despotique; au contraire, elle estl'objet d'un amour tendre et fort de la part de Dieu.La libration de l'esclavage est le don d'une identit, la reconnaissance d'une dignit indestructible etle dbut d'une histoire nouvelle,o dcouverte de Dieu et dcouverte de soi vont de pair. Cette exprience de l'Exode est fondatrice et exemplaire. Isral apprend que, chaque fois qu'il est menac dans son existence, il lui suffit de recourir Dieu avec une confiance renouvele pour trouver en lui un soutien efficace: Je t'ai model, tu es pour moi un serviteur; Isral, je ne t'oublierai pas (Is44, 21).Ainsi, reconnaissant la valeur de son existence comme peuple, Isral progresse aussi dansla perception du sens et de la valeur de la vie en tant que telle.C'est une rflexion qui se dveloppe de manire particulire dans les livres sapientiaux, partir de l'exprience quotidienne de laprcaritde la vie et aussi de la conscience des menaces qui la guettent. Devant les contradictions de l'existence, la foi est appele offrir une rponse.C'est surtout le problme de la souffrance qui dfie la foi et la met l'preuve. Comment ne pas saisir la prsence de la plainte universelle de l'homme dans la mditation du livre de Job? L'innocent cras par la souffrance est, de manire comprhensible, amen se demander: Pourquoi donner un malheureux la lumire, la vie ceux qui ont l'amertume au cur, qui aspirent la mort sans qu'elle vienne, qui la recherchent plus avidement qu'un trsor? (3, 20-21). Mme dans l'obscurit la plus paisse, la foi pousse la reconnaissance du mystre , dans un esprit de confiance et d'adoration: Je comprends que tu es tout-puissant: ce que tu conois, tu peux le raliser (Jb42, 2).Peu peu, la Rvlation fait saisir de manire toujours plus claire le germe de vie immortelle dpos par le Crateur dans le cur des hommes: Toutes les choses que Dieu a faites sont bonnes en leur temps; il a mis dans leur cur l'ensemble du temps (Qo3, 11). Cegerme de totalit et de plnitudeattend de se manifester dans l'amour et de s'accomplir, par un don gratuit de Dieu, dans la participation sa vie ternelle.Le nom de Jsus a rendu la force cet homme (Ac3, 16):dans la prcarit de l'existence humaine, Jsus porte son accomplissement le sens de la vie32. L'exprience du peuple de l'Alliance se renouvelle dans celle de tous les pauvres qui rencontrent Jsus de Nazareth. Comme dj le Dieu ami de la vie (Sg11, 26) avait rassur Isral au milieu des dangers, de mme le Fils de Dieu annonce-t-il aujourd'hui ceux qui se sentent menacs et entravs dans leur existence que leur vie aussi est un bien auquel l'amour du Pre donne sens et valeur. Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lpreux sont purifis et les sourds entendent, les morts ressuscitent, la Bonne Nouvelle est annonce aux pauvres (Lc7, 22). Par ces paroles du prophte Isae (35, 5-6; 61, 1), Jsus explique le sens de sa mission: ainsi, ceux qui souffrent d'une forme de handicap dans leur existence entendent de lui labonne nouvellede la sollicitude de Dieu pour eux et ils ont la confirmation que leur vie aussi est un don jalousement gard dans les mains du Pre (cf.Mt6, 25-34).Ce sont les pauvres qui sont particulirement interpells par la prdication et par l'action de Jsus. Les foules de malades et de marginaux qui le suivent et le cherchent (cf.Mt4, 23-25) trouvent dans sa parole et dans ses gestes la rvlation de la haute valeur de leur vie et de ce qui fonde leur attente du salut.Ainsi en est-il dans la mission de l'Eglise, depuis ses origines. Elle qui annonce Jsus comme celui qui a pass en faisant le bien et en gurissant tous ceux qui taient tombs au pouvoir du diable, car Dieu tait avec lui (Ac10, 38) sait qu'elle porte un message de salut qui retentit, avec toute sa nouveaut, prcisment dans les situations de misre et de pauvret que traverse l'homme dans sa vie. C'est ainsi qu'agit Pierre quand il gurit le boiteux dpos chaque jour prs de la Belle Porte du Temple de Jrusalem pour y demander l'aumne: De l'argent et de l'or, je n'en ai pas, mais ce que j'ai, je te le donne: au nom de Jsus Christ le Nazaren, marche! (Ac3, 6). Dans la foi en Jsus, auteur de la vie (Ac3, 15), la vie qui est l, abandonne et implorante, retrouve conscience de soi et pleine dignit.La parole et les gestes de Jsus et de son glise ne concernent pas seulement celui qui vit dans la maladie, la souffrance ou les diffrentes formes de marginalisation. Plus profondment, ils touchentle sens mme de la vie de tout homme dans ses dimensions morales et spirituelles.Seul celui qui reconnat que sa vie est marque par la maladie du pch peut, dans la rencontre avec Jsus Sauveur, retrouver la vrit et l'authenticit de son existence, selon les paroles de Jsus: Ce ne sont pas les gens en bonne sant qui ont besoin de mdecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pcheurs au repentir (Lc5, 31-32).Au contraire, celui qui, comme le riche cultivateur de la parabole vanglique, pense qu'il pourra assurer sa vie par la seule possession de biens matriels, se trompe en ralit: sa vie lui chappe et il en sera bien vite priv sans parvenir en percevoir le sens vritable: Insens, cette nuit mme, on va te redemander ton me. Et ce que tu as amass, qui l'aura? (Lc12, 20).33. C'est dans la vie mme de Jsus, du dbut jusqu' la fin, que l'on retrouve cette singulire dialectique entre l'exprience de la prcarit de la vie humaine et l'affirmation de sa valeur. En effet, la vie de Jsus est marque par la prcarit ds sa naissance. Certes, il trouve l'accueil favorabledes justes, qui s'unissent au oui immdiat et joyeux de Marie (cf.Lc1, 38). Mais il y a aussi, ds le dbut, lerefusd'un monde qui se montre hostile et qui cherche l'enfant pour le tuer (Mt2, 13), ou qui reste indiffrent et sans intrt pour l'accomplissement du mystre de cette vie qui entre dans le monde: Il n'y avait pas de place pour eux dans l'auberge (Lc2, 7). Le contraste entre les menaces et l'inscurit d'une part, et la puissance du don de Dieu d'autre part, fait resplendir avec une force plus grande la gloire qui se dgage de la maison de Nazareth et de la crche de Bethlem: cette vie qui nat est salut pour toute l'humanit (cf.Lc2, 11).Les contradictions et les risques de la vie sont pleinement assums par Jsus: De riche qu'il tait, il s'est fait pauvre pour vous, afin de vous enrichir par sa pauvret (2 Co8, 9). La pauvret dont parle saint Paul n'est pas seulement le dpouillement des privilges divins; c'est aussi le partage des conditions de vie les plus humbles et les plus prcaires de la vie humaine (cf.Ph2, 6-7). Jsus vit cette pauvret pendant toute son existence, jusqu'au moment suprme de la Croix: Il s'humilia lui-mme en se faisant obissant jusqu' la mort et la mort sur une croix. Aussi Dieu l'a-t-il exalt et lui a-t-il donn le Nom qui est au-dessus de tout nom (Ph2, 8-9). C'est prcismentdans sa mort que Jsus rvle toute la grandeur et la valeur de la vie,car son offrande sur la Croix devient source de vie nouvelle pour tous les hommes (cf.Jn12, 32). Quand il affronte les contradictions et l'anantissement de sa vie, Jsus est guid par la certitude qu'elle est dans les mains du Pre. C'est pourquoi, sur la Croix, il peut lui dire: Pre, en tes mains je remets mon esprit (Lc23, 46), c'est--dire ma vie. Grande, en vrit, est la valeur de la vie humaine, puisque le Fils de Dieu l'a prise et en a fait l'instrument du salut pour l'humanit entire! Appels ... reproduire l'image de son Fils (Rm8, 28-29):la gloire de Dieu resplendit sur le visage de l'homme34. La vie est toujours un bien. C'est l une intuition et mme une donne d'exprience dont l'homme est appel saisir la raison profonde.Pourquoi la vie est-elle un bien?L'interrogation parcourt toute la Bible et trouve, ds ses premires pages, une rponse forte et admirable. La vie que Dieu donne l'homme est diffrente et distincte de celle de toute autre crature vivante, car, tout en tant apparent la poussire de la terre (cf.Gn2, 7; 3, 19;Jb34, 15;Ps103 102, 14; 104 103, 29),l'homme est dans le monde une manifestation de Dieu, un signe de sa prsence, une trace de sa gloire(cf.Gn1, 26-27;Ps8, 6). C'est ce qu'a voulu souligner galement saint Irne de Lyon avec sa clbre dfinition: La gloire de Dieu, c'est l'homme vivant . 23 l'homme est confreune trs haute dignit,dont les racines plongent dans le lien intime qui l'unit son Crateur: en l'homme resplendit un reflet de la ralit mme de Dieu.Telle est l'affirmation du livre de la Gense dans le premier rcit des origines, qui place l'homme au sommet de l'action cratrice de Dieu, comme son couronnement, au terme d'un dveloppement qui, du chaos informe, aboutit la crature la plus acheve.Tout, dans la cration, est ordonn l'homme et tout lui est soumis: Remplissez la terre, soumettez-la et dominez... sur tout tre vivant (1, 28), ordonne Dieu l'homme et la femme. Un message semblable est aussi lanc par l'autre rcit des origines: Le Seigneur Dieu prit l'homme et l'tablit dans le jardin d'Eden pour le cultiver et le garder (Gn2, 15). Le primat de l'homme sur les choses est ainsi raffirm: les choses sont pour lui et confies sa responsabilit, tandis qu'il ne peut lui-mme, pour aucun motif, tre asservi ses semblables et de quelque manire tre ramen au rang des choses.Dans le rcit biblique, la distinction entre l'homme et les autres cratures est surtout mise en vidence par le fait que seule sa cration est prsente comme le fruit d'une dcision spciale de la part de Dieu, d'une dlibration qui tablitun lien particulier et spcifique avec le Crateur: Faisons l'homme notre image, selon notre ressemblance (Gn1, 26).La vieque Dieu offre l'hommeest un don par lequel Dieu fait participer sa crature quelque chose de lui-mme.Isral s'interrogera longuement sur le sens de ce lien particulier et spcifique de l'homme avec Dieu. Le livre du Siracide reconnat lui aussi que Dieu, en crant les hommes, les a revtus de force, comme lui-mme, et les a crs son image (17, 3). L'auteur sacr rattache cela non seulement leur domination sur le monde, mais aussiles facults spirituelles les plus caractristiques de l'homme,telles que la raison, la capacit de discerner le bien du mal, la volont libre: Il les remplit de science et d'intelligence et leur fit connatre le bien et le mal (Si17, 7).La capacit d'accder la vrit et la libert sont des prrogatives de l'hommedu fait qu'il est cr l'image de son Crateur, le Dieu vrai et juste (cf.Dt32, 4). Seul de toutes les cratures visibles, l'homme est capable de connatre et d'aimer son Crateur . 24 La vie que Dieu donne l'homme est bien plus qu'une existence dans le temps. C'est une tension vers une plnitude de vie; c'estle germe d'une existence qui va au-del des limites mmes du temps: Oui, Dieu a cr l'homme pour l'incorruptibilit, il en a fait une image de sa propre nature (Sg2, 23).35. Le rcit yahviste des origines exprime la mme conviction. L'antique narration, en effet, parle d'un souffle divinquiest insuffl en l'hommepour qu'il entre dans la vie: Le Seigneur Dieu modela l'homme avec la glaise du sol, il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l'homme devint un tre vivant (Gn2, 7).L'origine divine de cet esprit de vie explique l'insatisfaction perptuelle qui accompagne l'homme au cours de sa vie. Cr par Dieu, portant en lui-mme une marque divine indlbile, l'homme tend naturellement vers Dieu. Quand il coute l'aspiration profonde de son cur, l'homme ne peut manquer de faire sienne la parole de vrit prononce par saint Augustin: Tu nous as faits pour toi, Seigneur, et notre cur est sans repos, tant qu'il ne demeure en toi . 25Il est d'autant plus significatif de voir l'insatisfaction qui s'empare de la vie de l'homme dans l'Eden tant que son unique point de rfrence demeure le monde vgtal et animal (cf.Gn2, 20). Seule l'apparition de la femme, d'un tre qui es