Lettre Mensuelle Numerique 324

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  • 324 324Sommaire

    La lettre mensuelleRevue des ACF et des CPCT

    publie par lcole de la Cause freudienneJanvier 2014

    Dossier : Vers le congrs de lamp. Un rel pour le xxie sicle (1)

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    4DITORIAL, Stella Harrison p. 3LEurope de la psychanalyse regarde la Belgique, Yves Vanderveken p. 5 Nommer lextime , Gil Caroz p. 6

    ACF actionLa Premire Sance, une Premire, Armelle Gaydon et Pascale Bouda p. 7Flash Back sur La Premire Sance, Armelle Gaydon p. 8

    cliniqueLa crise commence o finit le langage, Sbastien Rose p. 10Julien et son psychologue pratique , Emmanuel Chenesseau p. 11Le(s) surmoi(s) dOdette, Vincent Lucas p. 12

    TIR--PART Pour une lecture borromenne de lautisme, Francesca Biagi-Chai p. 14Sur la notion d autisme de la jouissance , Esthela Solano-Suarez p. 16

    LES DOSSIERS DE LA LM : VERS LE CONGRS DE LAMP UN REL POUR LE XXIe SICLE (1)Prsentation du dossier, Camilo Ramirez p. 18La rupture cause/effet, Guy Briole p. 19Du rel dans une psychanalyse, ric Laurent p. 20Dsir de lanalyste, Pierre Naveau p. 20De la ponctuation lquivoque, Hlne Bonnaud p. 22 Vers une redfinition du dsir de lanalyste, Sonia Chiriaco p. 23Notes sur le dsir de lanalyste, Pierre Streliski p. 25Inconscient transfrentiel et inconscient rel, Philippe de Georges p. 26

    CPCTLhomme qui a appris nager sur internet, Franoise Denan p. 27Le corps en questions, Sylvie Goumet p. 29

    ARTS & LETTRESKertsz lcrivain de limpossible, entretien avec Nathalie Georges et Daniela Fernandez p. 31Jeannette, alias Blue Jasmine, Rose-Paule Vinciguerra p. 33Ce quHitchcock nous enseigne sur le rel dans le film Psychose, lisabeth Marion p. 34 Qui est cette femme dont je tombe ? propos de LOrigine de la danse de Pascal Quignard, Carolina Koretzky p. 35

    VNEMENTSUn apologue pour aujourdhui, Vanessa Sudreau p. 38Qui a peur du DSM ? Colloque organis par lAssociation franco-argentine de psychiatrie, Dominique Wintrebert p. 39Un devoir dhumanit, Un chez-soi, pour quoi faire ? , Stphanie Navas p. 40

    LM CES LIVRESLAmerican way of life, Lacan et les dbuts de lEgo Psychology, de Pamela King, Franck Rollier p. 44Le bateau sexuel de Franoise Haccoun, Jean-Franois Cottes p. 45

    CONNEXIONSTisser des liens : voir, couter, lire, Jolle Hallet p. 47

    AGENDA p. 48

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    l ditorialStella Harrison

    Je remercie Patricia Bosquin-Caroz, nouvelle Prsidente de lcole de la Cause freudienne, de la confiance quelle maccorde en me nommant rdactrice en chef de la Lettre mensuelle, Revue des ACF et des CPCT. Tous nos vux pour 2014, et celui-ci, dabord : la nouvelle quipe de la LM souhaite ardemment

    que la cause du dsir lemporte sur celle de sa grise rgulation. Elle apporte son concours laction mene en Belgique par les associations du Champ freudien, la Section Clinique de Bruxelles, lAPCF et le Kring voor Psychoanalyse.Il faut relire les textes Psychanalyse : Spcial Belgique et Alerte ! publis dans Lacan Quotidien

    n 363 le 18 dcembre dernier. Ils situent le contexte de la mobilisation de nos collgues belges qui se sont opposs un projet de loi assimilant et rduisant la psychanalyse une spcialisation de la psychothrapie : cration du Forum des psychanalystes dont les premiers numros furent envoys aux parlementaires et largement diffuss ; union des diffrentes associations analytiques en une fdration, la FABEP, qui aboutit la rdaction dune ptition exigeant que la psychanalyse soit reconnue comme une discipline part entire. Malgr lAppel des psychanalystes aux parlementaires de Belgique rcoltant prs de 5000 signatures, et les dclarations de Madame Onkelinx, Ministre des Affaires sociales et de la Sant publique, confirmant lors dune confrence de presse que la psychanalyse ne serait pas concerne par cette loi, rien ntait cependant acquis. Cest promptement quun Forum clair a donc t organis le 19 dcembre Bruxelles.Vous trouverez deux textes tmoins de cette actualit qui presse, attaque la psychanalyse et la

    menace nouveau, ds les premires pages de notre Lettre.

    Nous avons la chance de prendre le relai dune quipe pionnire : cest avec elle que la LM, Bulletin de lECF depuis sa cration, devenue Revue des ACF en 2010, puis des ACF et des CPCT en 2012, est passe au numrique. Merci aussi Francesca Biagi-Chai et son quipe de leur gnrosit et leur souci de clart dans la transmission de leur exprience. Impossible de taire ici cette surprise : cest avec un enthousiasme souvent immdiat que chaque

    un, sollicit participer lquipe de cette nouvelle LM, me rpondit. De Bruxelles Angers, de Toulouse Strasbourg, de Nantes Marseille, et jen passe, lcole de la Cause freudienne suscite le dsir. Il nous reviendra de faire entendre ce souffle sur nos tablettes.

    Bulletin ? Feuillet ? Mini-revue ? Blog ?

    La Lettre mensuelle de lECF, Lettre mensuelle des ACF et des CPCT, rsiste, persiste, quels que soient sa couverture, sa maquette, son format Notre LM vit, vous le savez, depuis quelques mois de dlicates transitions radicales. Oxymore ? Elle est devenue numrique ds juin 2013, (PDF interactif) et de nouveaux sauts technologiques lattendent ; la rflexion est en cours avec le Directoire. Il est envisag de passer en format Epub3, format standardis pour les livres lectroniques qui peuvent intgrer des images, du son, de la vido. Ce type de fichier est lisible par les tablettes et tlphones Ipad et Androd et galement sur un ordinateur avec les logiciels (gratuits). Passer la Lettre mensuelle en format Epub suggre que les lecteurs soient plutt quips de tablettes pour avoir le maximum de confort de lecture, et pour se convertir la publication numrique, mme sil sagit encore dun format lisible sur tlphone et ordinateur.

    Lettre des ACF et des CPCT

    Si trop nest jamais assez , comme nous la dit Jacques-Alain Miller lors de lAssemble gnrale de lECF du 15 novembre dernier, nous devrons accrotre notre effort : il sagit, toujours plus, de faire exister lACF dans lcole, lcole. Pour donner voix la singularit et au multiple, nous attendrons sans relche les textes des ACF.

    Ils viseront nous clairer de leurs innovations, de leurs points de butes, de leurs faons eux danimer le dsir de la psychanalyse.

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    Les textes seront, encore, prsents dans les rubriques Clinique , Actions , Rflexions , et ouvriront la Lettre. Le Dossier de la LM prendra la suite et traitera dun thme vif de notre temps, intime ou extime notre Champ. Nous nous situons, ici, en continuit avec la politique ditoriale mene par lquipe prcdente.Vous trouverez dans cette LM ainsi que dans les deux suivantes un Dossier consacr au thme du

    prochain Congrs de lAssociation Mondiale de Psychanalyse : Un rel pour le XXIe sicle.Modes daccs prcieux la psychanalyse, les CPCT tmoignent depuis leur cration dune nergie

    persistante ; ils poursuivent leur dveloppement. la LM de savoir leur donner voix afin que puissent se recueillir les portes cliniques de cette exprience. Il nous faut, enfin, mettre laccent sur un souci plus vif que jadis, li la numrisation de notre

    Lettre : le contenu de la rubrique CPCT et de la part clinique de la rubrique ACF sera pens avec le Directoire, du fait de la ncessit de confidentialit accrue concernant la diffusion des cas cliniques. La psychanalyse doit savoir se transmettre, mais il nous reviendra de prendre en compte les effets de notre nouvelle orientation technologique sur la prservation du secret des cas. Le dsir de cette lettre, sil court, cest grce chaque lecteur, auteur, qui, dans son style unique,

    tmoignera au plus prs de la spcificit de son lien lcole.Continuit, persistance, poursuite mais alors, rien de nouveau ?

    Rendez-vous en fvrier !

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    LEurope de la psychanalyse regarde la BelgiqueYves Vanderveken

    La question belge intresse lEurope sur son devenir politique. Mais au-del, elle intresse lEurope de la psychanalyse. Cest que sy joue un nouvel pisode des volonts rglementaires des tats dans la socit des normes o nous voluons. La fin de lgislature approchant, et la suivante tant loin dtre certaine, les bouches lgislatives

    redoublent. Pour la Vice-Premire Ministre et Ministre de la Sant, figure de proue de la politique socialiste francophone belge, pas une semaine sans lannonce, semble-t-il de bonne foi, avec un savoir-faire politique redoutable mais aussi une dtermination qui se laisse peu dtourner de ses erreurs, dune nouvelle rforme visant enfin rguler les dysfonctionnements de lhumain. Ainsi, l o dautres sy taient cass les dents, le serpent de mer rput irralisable dune lgislation du champ des professions de la sant mentale semble trouver enfin son point daboutissement, aux cts par exemple de linterdiction des animaux sauvages dans les cirques, ou de la mise en place de commissions qui statueront sur la nature artistique dun travail. Largumentaire est toujours imparable. Qui la protection animale, qui le statut social de lartiste. Dans notre cas, laugmentation du malaise psychique dans la socit, la lutte contre la surmdication et le lobby pharmaceutique, lefficacit reconnue des psychothrapies et, bien entendu, la protection du consommateur et sus au charlatanisme ! Les bonnes intentions conduisant souvent au pire, le rsultat qui se dessinait fin aot tait pour la psychanalyse tout simplement dsastreux : si elle tait reconnue , ce qui enchantait les Belles mes, ctait en tant quune des spcialisations du champ dune psychothrapie entirement chapeaute du belvdre de la mdecine et de la psychologie, le tout aurol de son crdit acadmique. Les commissions daccrditation venir se voyant bien entendu rserver le pouvoir de dterminer la reconnaissance de la pratique, le cursus de formation et les organismes habilits le dispenser. Le tout faisant surgir des coulisses des tres insouponns prts prendre enfin leur part de gteau longuement chafaude, tels des associations de psychologues se targuant de vrifier et de valider les parcours analytiques de leurs membres, stant, avec les associations de psychothrapeutes, auto-proclams voix de la psychanalyse, celle-ci tant dans ses associations rpute trop fragmente !La raction du monde de la psychanalyse et de ses amis qui aura t jusqu tonner la ministre

    elle qui se fait fort de ne stonner de rien a jusqu prsent permis dinflchir la trajectoire du paquebot juste temps et fait tomber de leur chaise les sectataires en question. Jusqu introduire dans les commentaires du texte de loi et dans les dclarations de la ministre que lexercice et le titre de psychanalyste ntaient pas concerns par la dite loi. Il restait valider juridiquement les choses ce qui semblait en bonne voie. Et l, quelle nest pas la surprise semble-t-il aussi de bonne foi, dcidment ! de voir, dabord sous couvert, puis, dcouvert, forcment dcouvert, deux associations de psychanalyse dnoncer le pacte conclu et uvrer pour revenir sur ce quelles avaient elles-mmes demand et obtenu dans une plateforme commune avec lensemble des associations de psychanalyse de Belgique ! Faute politique majeure1. Ce qui nest videmment pas sans fragiliser la perspective de validation juridique par le politique, prompt sengouffrer dans la brche pour sen remettre plus tard - entendez au pouvoir dinterprtation judiciaire.LEurope de la psychanalyse regarde la Belgique. Il sy joue lun de ces rendez-vous avec le rel qui

    toujours, dans lhistoire de la psychanalyse, aura men des lignes de fracture. Ces fractures, loin dtre dissensions, sont rponses ce rel. La marque quaura laisse Lacan, pour ceux qui lauront voulu, semble l, sans nous tonner, dcisive.Le monde politique belge doit savoir quil est l, sous lil attentif de lEurope de la psychanalyse

    lacanienne, convoqu un de ces moments historiques. Sy dfaussera-t-il ? Prendra-t-il la responsabilit de faire de la psychanalyse une psychothrapie la dfinissant ainsi contre nature, volant la discipline qui excde le seul champ du thrapeutique elle-mme ? La faute sera lourde de consquence, au regard de lutilit publique de la psychanalyse2. Ou alors, la face claire du matre moderne saura-t-elle, comme cela se dessinait, produire une loi intelligente, complexe3, qui prservera la possibilit de la place dextimit de la psychanalyse, signe de sant dmocratique, et aussi un lieu o puisse trouver se loger le malaise dans la civilisation dans lintime du hors-norme ?

    1 Comme lindiquait Jean-Daniel Matet, Prsident de lEuroFdration de Psychanalyse, lors du forum-clair de Bruxelles du jeudi 19 dcembre 2013. paraitre dans le Forum des psychanalystes n 3.2 Lire ce sujet la confrence dric Laurent lUniversit Saint-Louis, La psychanalyse nest pas une psychothrapie, mais. du mardi 10 dcembre 2013. galement paraitre dans le Forum des psychanalystes n 3.3 Voir le texte de Gil Caroz, Nommer lextime , qui suit.

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    Nommer lextimeGil Caroz

    Mais oui, ils saisissent ce quest lextimit. La preuve : selon le commentaire de larticle 31 de la

    dernire preuve de la Proposition de loi sur les professions de la sant mentale, lexercice de la psychanalyse et le port du titre de psychanalyste nest pas du ressort de la prsente loi . Cette formule de dngation obit une structure topologique qui permet dinscrire lintrieur dune loi un lment qui lui est extrieur. Le lgislateur a donc trs bien compris ce quest lextimit. Reste savoir sil aura le courage den tirer les consquences et dintroduire cette mention dans la loi afin de reconnatre la psychanalyse sa spcificit, celle dtre extrieure aux professions de la sant mentale, tout en tant concerne par ces professions en tant que manifestations contemporaines du malaise dans la civilisation. La confrence dric Laurent luniversit de Saint-Louis1 nous a permis de reconnatre dans

    leffort de lgifrer les professions de la sant mentale un symptme de notre temps. Exaspr par lchec du savoir couvrir le tout de lhumain, le lgislateur est appel rduire zro les vides juridiques en soumettant toutes les obdiences du champ psy une surveillance des universits et de la mdecine. Cette opration de surveillance partir de quelques critres normatifs ne garantit rien dautre que laccroissement de ce qui chappe la norme sous forme de dchet. La norme se dfinit comme la moyenne de tous les cas particuliers. Il ny a donc pas de cas qui lui sont extrieurs. Elle ne met personne la porte, mais elle sgrgue ceux qui ne participent pas au calcul de la moyenne. tre en dehors de la norme nquivaut pas tre en dehors dune loi, mais chuter comme un reste de la communaut conforme. On est dans la norme, ou bien on nest nulle part. Sauf si une place est creuse et nomme en dehors de la norme pour ce qui ne sy inscrit pas. Le

    fameux commentaire concernant la psychanalyse dbute par une formule qui dvoile un tel effort de nomination. Il prcise que dans cette loi, la psychanalyse nest pas nomme . Cette formule est bien videmment paradoxale, puisque la psychanalyse est bel et bien nomme comme extrieure cette loi. En effet, la nomination creuse dans le discours la possibilit dun statut dextime. La place que le commentaire de la proposition de loi rserve la psychanalyse par la ngation rsonne avec la place du das Ding freudien dans la structure. Lacan le situe au centre au sens quil est exclu [...] tranger moi tout en tant au cur de ce moi 2. Notons que si le das Ding appartient au registre de lobjet, cest quil se constitue dans une conjoncture archaque de nomination, au moment de la naissance du sujet humain comme tre parlant. Ce das Ding, dit Lacan, tait l au commencement, [...] cest la premire chose qui a pu se sparer de tout ce que le sujet a commenc de nommer et darticuler 3. Faut-il le rappeler ? Nous ne voulons pas de cette loi. Mais si elle simpose comme symptme

    de notre temps, elle pourra slever au rang dune loi qui nomme plutt que de se rduire une surveillance administrative, condition de reconnatre la spcificit de la psychanalyse. Esprons que cette opration de nomination soit approuve.

    1 Le 10 dcembre 2013, sous le titre : La psychanalyse nest pas une psychothrapie, mais , organise par LAssociation de la Cause Freudienne en Belgique, en collaboration avec Le Rseau Interdisciplinarit et Socit de luniversit Saint-Louis, Bruxelles.2 Lacan J., Le Sminaire, livre VII, Lthique de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1986, p. 87.3 Ibid., p. 100.

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    Armelle Gaydon et Pascale Bouda

    Samedi 9 novembre 2013 Nice, pas loin de deux cents personnes se sont dplaces pour assister la projection du film de Grard Miller La Premire Sance. Dans ce documentaire, des patients exposent pour la premire fois en cinquante-deux minutes chrono, pourquoi ils ont choisi dentrer en analyse et comment sest droule leur premire sance . Organise par lACF-ECA* la soire laissait une large place au dbat organis avec nos invits Philippe Hellebois et Chantal Bonneau, psychanalystes respectivement Bruxelles et Nice. Il tait anim par Franois Bony, alors Dlgu Rgional de lACF et par Armelle Gaydon qui vient de lui succder ce poste.

    Laxe choisi pour ces soires est de projeter des films en relation avec la psychanalyse lacanienne, faisant usage de ses concepts, ou tmoignant dun rapport au rel susceptible de nous enseigner. Il sagit de cerner, avec nos invits, le destin de la dimension imaginaire en fin danalyse. De ce point de vue, voir et revoir La Premire Sance permet de prendre la mesure de ce que G. Miller a inaugur, discrtement, avec ce film et dont nous navions pas pleinement pris la mesure lors de sa sortie.

    Il faut dire combien, de la premire la cinquante-deuxime minute, La Premire Sance accroche les spectateurs, suspendus aux pro-pos dune grande sincrit de ces analysants ainsi que de leurs psychanalystes, qui G. Miller donne galement la parole. Un tel accueil est assez rare pour tre soulign, la rgle pour de tels objets audiovisuels tant de susciter une attention plutt discontinue. Ce qui frappe lorsquon assiste plusieurs projections du film, cest le plaisir quon a le revoir et quel point il est subtil et drle , stonnait P. Hellebois quand la lumire est revenue dans la salle. Les choix de mise en scne illustrent en quoi avoir fait une analyse change le regard quun ralisateur porte sur son objet. En tmoignent le tournage, ralis dans un thtre et non au domicile des interviews, la qualit du story-board (dcoupage et montage

    sont efficaces) mais, avant tout, le talent de G. Miller crer le climat suscitant une parole intelligente. Comme nous le faisons avec les rcits de cas, G. Miller procde en ayant recours lart de la citation : accompagn de la camra, soulignant et ponctuant ici, commentant l, il sefface pour donner tout lespace la parole analysante. Il a fallu attendre Dautres voix, le film dIvan Ruiz sur lautisme sorti il y a un an qui reprenait ces principes en y ajoutant la dose de fiction qui le transcende et fait quil touche lart pour prendre conscience de loriginalit de la voie quavait ouverte G. Miller. Avec La Premire Sance, il donne une image fidle de la psychanalyse telle que nous la vivons et trouve une forme transmissible ce qui pourtant relve de lirreprsentable, de lintransmissible, de limpossible dire : lexprience analytique elle-mme.

    Son film aborde ces questions que tout un chacun se pose au moment de franchir le pas et dont pourtant nous ne parlons jamais ouvertement dans notre champ, non par passion du secret mais parce que limpossible transmettre convoque la pudeur. Pourquoi dcide-t-on dentamer une analyse ? Comment trouver un psy puis savoir si cest le bon ? Pourquoi la premire sance est-elle si essentielle ? Et le divan, est-il obligatoire ? Est-il vrai que le psychanalyste ne dit jamais rien ? Est-ce aussi cher et aussi long quon lentend dire ? Finalement combien a cote et combien de temps a dure ?

    Les analysants interviews par G. Miller voquent le premier contact tlphonique avec leur analyste, le lieu lui-mme, la dcoration du cabinet, le psy en chair et en os, son style vestimentaire, sa voix, son ton. Ils tmoignent de la souffrance les ayant conduits demander une analyse, au point parfois davoir eu lenvie den finir. Dautres disent clairement pourquoi la psychanalyse nest pas pour tous, ou comment ils ont fui un lieu ne permettant aucune accroche durable.

    Se succdent ainsi lcran inconnus ou clbrits (Carla Bruni, Marc-Olivier Fogiel), comdiens (Jacques Weber, Charles Berling),

    ACTION

    La Premire Sance, une Premire

    Le film sur La Premire Sance danalyse tait projet Nice le 9 novembre dernier. Voir et revoir ce documentaire permet den apprcier toujours plus la profondeur (1er article). Il est loccasion aussi de sinterroger sur limportance de la premire rencontre entre un analysant et un analyste (2e article).

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    tion ralisateurs (Patrice Leconte, Marc Jolivet), romancires (Marie Darieussecq, Christine

    Orban), autant de sujets que lcart entre le personnage social et leur tre le plus intime, devenu source dune trop grande souffrance, a conduits, un beau jour, chez un psychanalyste.

    * ACF-ECA : Association Cause freudienne-Estrel Cte dAzur. Les projections sont organises par lactivit Psychanalyse et Cinma Nice , dont lquipe a choisi de se constituer en un Cartel de lecture de textes sur le rapport psychanalyse et cinma.

    Flash back sur La Premire Sance

    Armelle Gaydon

    Aussi bien avons-nous dmontr () la fonction de la hte dans la prci-pitation logique o la vrit trouve sa condition indpassable. Rien de cr qui napparaisse dans lurgence, rien dans lurgence qui nengendre son dpasse-ment dans la parole.1

    Pourquoi, dcide-t-on, un beau jour de demander une analyse ? Cest lexpression consacre : une analyse se demande. Lacan disait : Demander, le sujet na jamais fait que a, il na pu vivre que par a, et nous prenons la suite... 2 La forme de cette demande varie dans le temps : chaque poque a ses signifiants-matres pour envelopper le symptme de formulations prleves dans le vocabulaire ambiant. Aujourdhui, les patients arrivent moins souvent en disant je veux faire une analyse , jaimerais comprendre ce qui marrive et pourquoi , ou avec la question qui suis-je ?. Dans le discours courant le ce suis-je du temps [du pote] Villon sest renvers dans le cest moi de lhomme moderne 3. Les matres-mots de lpoque - efficacit,

    normalit, rapidit - donnent la coloration des prises de rendez-vous : All, combien a cote ? Est-ce que cela sera long ? Il parat que les psys ne disent rien : moi je veux quelquun qui me parle .Lentre en matire de nos contemporains

    se prsente un peu comme une demande de contrat dassurance : les sujets se renseignent sur ltendue des garanties offertes, le rapport qualit/prix, les conditions de remboursement, lefficacit du traitement, la dure du contrat.

    Ils comparent, veulent aller vite. LUn-tout-seul veut jouir. Pour lUn, tout ce qui relve de lAutre est second : le savoir devient une marchandise comme une autre. Lorsque le surmoi commande Jouis ! , ce que le sujet demande, cest que le sujet-suppos-savoir lui donne accs un savoir-y-faire immdiatement utilisable pour servir cet impratif.Cette apparente circonspection saccompagne

    dune confiance sans borne dans le pouvoir de la parole : parler est devenu un Droit de lhomme, parler ne peut faire que du bien, il faut tout dire. La parole est le super-hros des temps modernes, suppos vous sortir des situations les plus abracadabrantesques. Nulle nostalgie dans ce constat : la psychanalyse nira pas regretter que le sujet contemporain ait cess de croire aux semblants en mme temps quau Pre Nol. Elle y a largement contribu. Avec pour consquence logique ce dlaissement du symbolique, une hypermodernit marque dune part par un dploiement sans borne de limaginaire (do linflation de super- hros, de comics, et de blablabla), et de lautre, par la monte au premier plan du rel devenu dautant plus consistant auquel les sujets ont affaire. Les psychanalystes ne salarment que lorsque le symptme, rebaptis trouble du comportement , devient un dys-fonc tionnement radiquer et que nous avons affaire une demande formule sous le mythe du tout-traitable 4, pour reprendre une expression dAnnick Relier.Mais si la forme que prend la demande varie,

    ce qui ne varie pas, cest le fond. Une demande danalyse se prsente toujours avec un certain caractre durgence, parfois vitale. Lentre en analyse a essentiellement rapport, avant le dbut de lanalyse, avec lurgence cest--dire avec lmergence de ce qui fait trou comme traumatisme 5, rappelait J.-A. Miller. On vient lanalyse parce que lon souffre, parce que quelque Chose dinvivable a surgi dans notre vie. Gnralement, on a tout fait auparavant pour lviter, tout essay pour ne pas y aller. Mais entre la demande polie et lexigence absolue 6 et en dpit du fait que lUn pour jouir puisse se passer trs bien du savoir de lAutre,

    chez le sujet parlant [il y a ] une faille 7, faille qui est le propre de lhomme, produit son symptme et fait sa solitude.

    Je te demande de refuser ce que je toffre parce que ce nest pas a 8

    Je viens parce que mon fils est violent lcole, parce que ma fille a des TOC, parce que je suis anorexique, parce que je me fais virer de tous mes boulots, parce que je veux divorcer mais ny arrive pas, parce que jai le sentiment

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    de passer ct de ma vie, parce que jai peur de mourir quarante ans comme mon pre, parce que je rate mes histoires damour, parce que je ne peux pas mempcher de me dguiser en fille, parce que depuis mon accident, je ne me reconnais plus, parce que je nai plus got rien La premire sance est ce moment clef o quelquun demande tre libr dune souffrance que rien na pu jusqualors apaiser. Alors, dune analyse, que peut-on esprer

    obtenir ? Ce que propose la psychanalyse est modeste : elle ne promet pas de gurir, mais dentrer dans une exprience qui vise faire parler le symptme plutt que de le faire taire. Ce symptme qui fait la douleur dun sujet et dont il ignore la cause est unique, sans pareil, incomparable. Il est ce que le sujet a de plus intime et de plus tranger la fois pour rpondre au rel. Quelle que soit la structure, il sagit de le mettre aux commandes du travail analytique, parfois de le dchiffrer et dapprendre le lire (dans la nvrose), et, toujours, de lisoler, llaguer, le ciseler non pas tant pour en trouver le sens que pour en apprhender le poids de jouissance, dont il sagit de se faire responsable. Comment savoir, alors, si lanalyse est un

    succs ? Lavancement du travail se mesure par lallgement qui sobtient. Freud disait quune psychanalyse russie est celle qui permet de jouir de la vie, daimer, et de travailler. Pour sa part, Lacan parlait d amliorer la position du sujet 9. Il estimait que lanalyse touchait sa fin lorsque le sujet pouvait tmoigner de cette satisfaction-l : une capacit retrouve de vivre en bonne intelligence avec soi-mme et de pouvoir aimer et travailler.

    Mais nous voil dj la fin de lanalyse et la dernire sance , bien loin de cette Premire sance dont Grard Miller a fait la matire du documentaire auquel jemprunte le titre de ce texte10. La toute premire rencontre dun analysant avec son analyste est propice ces sortes de tlescopages temporels. Il peut arriver, dans la contingence et la hte

    dune situation durgence, quen un clair, le sujet puisse identifier en une seule raison le parti quil choisit et le dsordre quil dnonce, pour en comprendre la cohrence dans le rel et anticiper par sa certitude sur laction qui les met en balance 11. Cet instant de voir 12 ordonne, dans une certitude anticipe, les lments de lhistoire du sujet qui se confirmeront ultrieurement comme essentiels, au terme du temps pour comprendre . De telles fulgurances se conjuguent au futur antrieur. Dans la logique du Wo es war, soll ich werden, ce qui se ralise dans mon histoire, nest pas le pass dfini de ce qui fut puisquil nest plus, ni mme le parfait de ce qui a t dans ce que je suis, mais le futur antrieur de ce que jaurai t pour ce que je suis en train de devenir 13. La premire sance aura fait vnement lorsquelle aura constitu, pour un sujet, la coupure instaurant dans sa vie un avant et un aprs.

    1 Lacan J., Fonction et champ de la parole , crits, Paris, Seuil, 1966, p. 241.2 Lacan J., La direction de la cure , crits, op. cit., p. 617.3 Lacan J., Fonction et champ de la parole , crits, op. cit., p. 281.4 Relier A., Une variation contemporaine de la de man- de , 30 dcembre 2010, publi en ligne sur le site de lcole de la Cause freudienne, rubrique Psychanalyse et politique .5 Miller J.-A., Lorientation lacanienne. Le tout dernier Lacan , enseignement prononc dans le cadre du dpartement de psychanalyse de luniversit Paris VIII, leon du 15 novembre 2006, indit.6 Georges N., ditorial , La Cause freudienne, n 77, fvrier 2011 sur La demande en analyse , p. 7.7 Ibid.8 Lacan J., Le Sminaire, livre XIX, ... ou pire, Paris, Seuil, 2011, p. 92 et Le Sminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 101.9 Lacan J., Le Sminaire, livre X, Langoisse, Paris, Seuil, 2004, p. 70.10 Miller G., La Premire Sance (2010), coproduction France 3 et Morgane Production (en vente en ligne sur le site de Grard Miller).11 Lacan J., Fonction et champ de la parole , crits, op. cit., p. 241.12 Lacan J., Le temps logique et lassertion de certitude anticipe , crits, op. cit.13 Ibid., p. 300.

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    e CLINIQUELa crise commence o finit le langageSbastien Rose

    Ce sont les mots qui me font vivre et je fais vivre les mots , tels sont les propos de Jeanne que je rencontre depuis deux ans. Elle nest point artiste ou crivain mais sintresse beaucoup la littrature et au langage. La parole et les mots ont une place essentielle dans sa vie. Sa vie et son discours mettent en lumire comment un sujet habite les mots (et comment aussi les mots habitent le sujet).

    Une femme de paroles

    Jeanne a la cinquantaine quand je fais sa connaissance en hospitalisation la suite dune tentative de suicide par ingestion mdica men-teuse et par strangulation. Elle se prsente, lors de notre premire entrevue, quasi mutique, ralentie et perplexe. Les rares mots noncs font la trame dun discours dauto-reproches, dauto-accusations, et teint dune extrme culpabilit. Elle a trahi tout le monde , il y a la vraie Jeanne et la fausse Jeanne , elle a trich sur son identit . Mais, quest-ce qui a pouss Jeanne ce geste suicidaire ? Quelques semaines avant son passage lacte, Jeanne est trs angoisse. Elle ressent une boule dangoisse et ce, depuis un vnement somme toute banal : limpossibilit de traduire un texte du franais langlais son travail. En outre, le dpart annonc de son patron amorce la monte dangoisse jusquau moment o les semblants vacillent avec cette traduction qui met nu la faute originelle du sujet mlancolique. Jai perdu tous mes moyens , Je ne suis pas la hauteur , dit-elle lors de cet vnement. Lisons-le dune manire littrale : la perte effective de ses moyens comme appuis sur les semblants. De l, apparaissent le sentiment dindignit et les auto-reproches. Ils sont lis la duperie quant son niveau licence . Elle na rellement quune anne dtude danglais. Elle a d soccuper de sa mre souffrant de dpression. Limpossibilit de traduire un texte pointe la faute symbolique du sujet. Ce passage lacte met en lumire les points dappui de Jeanne dans son existence : un soutien sur les semblants (les idaux de son patron) ainsi que le lien existentiel la parole (une femme de paroles). Pour tout sujet, un certain rapport au semblant et la parole est ncessaire. Cliniquement, la mlancolie se joue entre la dimension de la faute et celle de la perte.

    La faute primordiale lie au rejet de la perte va se rejouer chaque fois que, dans sa vie, le sujet sera confront une perte : perte(s) de sant, de pouvoir, dun proche, perte quelquefois anodine1 Devant la perte, le sujet sera confront sa faute originelle dexister, sa faute davoir rejet la perte qui lui aurait donn sa raison de vivre (chez Jeanne le renoncement de ses tudes danglais pour soccuper de sa mre malade).

    Une bavarde au service de lAutre

    Au fur et mesure des sances, Jeanne tmoigne de ce qui semble dterminant dans sa vie : sa manire dexister, cest dtre bavarde . Elle justifie cela par sa position dans la fratrie et par les problmes de sant de ses frres et surs et de lattention ainsi porte par ses parents sur eux. Ctait peut-tre ma faon moi dexister . Je bavarde donc jexiste ! Cette position dexistence a dautant plus de valeur inconsciente quelle est supporte par deux vnements. Elle associe ce rapport la parole avec deux souvenirs denfance. Le premier, lge de cinq ans, alors que Jeanne parlait beaucoup, son grand pre dit sa femme fais-la taire ! . Elle en garde une trace. Cet vnement est redoubl par un autre vnement avec son propre pre, toujours dans son rapport au langage. Jeanne a six ans et elle regarde avec son pre les informations la tlvision. Elle se souvient de la gifle quelle a reue de son pre parce quelle parlait trop, ainsi que la parole paternelle tais-toi ! . Lincarnation surmoque et mortifre du tais-toi ! par deux figures paternelles rduit le sujet lobjet dchet. En effet, le tais-toi dsaline le sujet de la chane signifiante et le rapproche de lobjet a. Les sances ont ainsi pour vise de contrer la jouissance mortifre de ce dire. Contrer celui-ci tout en respectant le temps du sujet par rapport la parole. Ne pas remplacer cet impratif surmoque par un autre (le tais-toi ! par un parle !). En outre, lors dune sance, Jeanne mapprendra quelle tait reprsentante syndicale dans son premier travail, ce quelle maintient toujours dans sa position existentielle. Etant donn la fonction quelle occupe dans son entreprise, elle a toujours une parole pour les salaris et pour leurs droits. Jeanne est bavarde mais cette fois au service de lAutre. Elle reprsente et dfend les intrts des salaris faisant ainsi chasuble cet objet a qui du sujet fait la misre 2.

    Ranimer la dimension potique contre la pulsion de mort

    Lors dune sance, Jeanne voque sa tristesse et le got amer de la culpabilit quelle prouve toujours. chaque sance, elle me

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    1 Deffieux J.-P., Le risque suicidaire , La Cause freudienne, Paris, Navarin diteur, n 58, octobre 2004, p. 54.2 Lacan J., Discours lcole Freudienne de Paris , Autres crits, Paris, Seuil, 2001, p. 262.

    Julien et son psycho-logue pratique Emmanuel Chenesseau

    Exclu de lhpital de jour du fait dune sexua lit qui dborde, Julien, douze ans, se voit proposer de rencontrer un homme, le psychologue, pour parler de sexualit .

    La rencontre, une prsence de lAutre 1

    Julien fait les cent pas, ne me regarde pas et dbite des scnarii de films catastrophe qui ne sarrtent pas. Je saisis alors un crayon, une feuille et tente dcrire ce flot de mots que jentends, cherchant comment y mettre un point : je saisis une petite suspension pour demander : Cest fini l ? Il invente alors une formule trs singulire pour mettre fin ses scnarii et clore nos rencontres. Julien reprend la main sur les entretiens.

    Comment traiter limpact de lAutre sur le corps 2 ?

    Les sances suivantes dbutent ainsi : une partie du corps jaillit sous forme de mots vulgaires laissant lautre de la relation dans langoisse dun code social qui ny est plus : a surgit et se rpte. Du corps, ce sont les pieds qui portent une charge toute particulire. Comment rpondre sans exclure ce qui est en jeu ? Les inventions du sujet viennent au secours du clinicien embarrass. Il leur fait confiance. Julien dcouvre lvier cach dans le placard : il veut utiliser leau et le gel hydroalcoolique, rclame un contenant ; je trouve une bote quil va remplir deau. Mais il ne veut pas que je regarde, je dois donc lui tourner le dos. Lorsque je lui dis : Tu fais une exprience ? , Julien rpond par laffirmative. Je lui demande alors des prcisions. Il me dit quil se masse et que cest agrable. Japerois son pantalon relev jusquaux genoux et les deux pieds dans la bote deau. Mais leau dborde et lui-mme nest pas satisfait du peu de possibilits offertes son exprimentation. Dans le service, il y a des salles dites pataugeoires et, la sance suivante, je propose Julien dy poursuivre son exprience.

    Dans cette salle, Julien se dshabille, prend une baignoire denfant, la remplit et se met devant le miroir. Il asperge son corps, fait diffrentes grimaces devant le miroir, puis regarde lon-guement ses pieds et plus particulirement le dessous. Au bout de deux sances, alors que jusquici, je dois me tenir un peu de ct, il me demande de venir auprs de lui : il a tourn la baignoire, il est dos au miroir et cest moi quil montre la plante de ses pieds : Cest quoi ? Tes pieds. Comment sont-ils ? Je les qualifie par leur couleur, le nombre dorteils, leur place dans le corps. Aprs cette sance, Julien ne demandera plus retourner dans cette salle. Par la suite, le rel des pieds naura plus le

    mme poids. Le pied se lie limage de femmes gymnastes ou nageuses.

    Une rduction des quivoques 3

    Ce qui lintresse alors est une sorte de code de conduite. Julien pose des questions sur ce qui est possible ou pas : Est-ce que je peux dire Tes con ! au directeur ? . Une une, les questions se suivent et il me demande ce que jen pense. Elles nont pas toutes le mme statut : pour certaines, Julien a la rponse, pour dautres, non. Il attend alors que jy rponde. Ces questions occupent toute la sance puis, peu peu, elles se rarfient.

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    e Civiliser la pulsionParalllement, Julien veut que japporte un

    goter pour marquer les dates importantes (anniversaires, Nol, puis dbut et fin de va-cances ). Au fil du temps, toutes les sances deviennent finalement des goters. Dans lengloutissement sans mots du dbut de ces sances, jintroduis un verre, par exemple, et Julien, quant lui, me fait dcouvrir sa musique sur MP3 : un couteur pour lui, lautre pour moi, et nous voil relis dans lcoute du Heavy metal ; je dcouvre le grunt (ou death growl), sorte de chant trs guttural que Julien qualifie de lion qui crie dans sa caverne . Il me demande l aussi de qualifier cette musique. Je me fais son lve et il menseigne les diffrents noms de ce genre musical. Un couple signifiant semble pour lui important : triste ou joyeux . Il me demande l aussi den attester quelque chose et nous en parlons a minima partir de son code propre.

    Julien traite la fois lobjet et lAutre. Concernant lobjet oral, les goters se civilisent au cours de sances peu orthodoxes et rebours de toute vise ducative . Puis, les voix voluent du a dchire vers les signifiants joyeux-triste . Enfin, lautre devient un partenaire. De mes rponses ses questions, Julien dduit : Tu prfres le rock papa . Par ailleurs, nous ne choisissons pas les mmes boissons pour nos goters. Je deviens donc le psychologue qui naime pas le coca et qui prfre le rock papa.

    Pour conclure avec Julien (lors de sa dernire sance) : Cest pratique davoir un psychologue qui ne recouvre pas mala-droitement leffroi avec des mots hors sujet pour accueillir ce que Julien, l, a pu inventer. Il a alors trait limpasse dans laquelle il tait pris, impasse que lAutre risquait de qualifier de perverse . Que je mefface pour tre l de manire discrte laide nouer quelque chose du corps, de limage et du signifiant.

    1 Laurent ., La bataille de lautisme, Paris, Navarin diteur, 2012, p. 93.2 Ibid., p. 97.3 Ibid., p. 98.

    Le(s) surmoi(s) dOdetteVincent Lucas

    Odette se tient devant moi souriante,

    dtendue, lgre. Je ne la connaissais jusquici que harcelante force dangoisse, pleurant lourdement dans les couloirs de lhpital, repousse plus ou moins patiemment par tous ceux dont elle implorait laide.

    Ce changement, inattendu, je le lis dans la logique de nos entretiens, et mme prcisment dans la suite dune phrase que je lui ai dite, inhabituelle dans ma pratique : alors quelle clate en sanglots disant ne plus arriver rien faire, et face ce qui se prsente comme un abme que je sais quasi mlancolique chez elle, je lui rponds : Moi, je vois ce que vous faites ; et vous faites beaucoup de choses .

    Il ny a pas de dialogue vritable avec Odette, elle nentre pas dans une conversation, elle semble plutt rester en dehors, interdite. Si elle parle, cest par pisodes, dans un jaillissement soudain, sans lien avec ce qui prcde. Elle a cependant cette plainte rcurrente et massive : elle ne peut plus rien faire et cest une catastrophe. Son cas stait ainsi construit au fil de nos entretiens : toujours sous la menace du lchage de lautre, elle cherchait faire tout pour lui et si cela ne pouvait tre, tout seffondrait. Cest donc souvent de tches mnagres

    dont il est question dans nos entretiens, Odette voulant tre une pouse sans faille, aprs avoir t lenfant qui faisait tout pour sa mre ; qui faisait tout sans mtaphore, qui faisait toutes les tches mnagres. Mais la logique de ce signifiant-matre qui a valeur de fantasme se droule rellement sans limite : elle fait tout le mnage, tout le temps. Et quand ce nest pas possible, elle ne sert plus rien et se prcipite lhpital exiger quon la soigne, cest--dire quon lui donne le mdicament qui lui permettra de reprendre cette tche, sans dfaut.

    Ma rponse Odette visait volontairement une rduction de jouissance, essayant de retenir Odette qui se prcipite dans une jouissance toute, ft-elle celle du dchet. Mais la forme de ma rponse prsente une face nigmatique. Pourquoi cette implication soudaine dun moi, je ? Est-ce un tac au tac qui fait pice au dficit total dimaginaire chez ma patiente ce moment-l ? Et avec ce je vois , sensiblement accentu, pourquoi donc faire sonner le surmoi et, pire pour une structure psychotique, lincarner ?

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    e Il y a bien sr ce qui mappartient en propre. Mais la suite me pousse continuer chercher des claircissements dans la clinique mme de la patiente.Car, contre toute attente, Odette va mieux ;

    au point de finalement paratre tout fait bien. Trop bien mme, car, ne rencontrant plus dentraves, la logique du tout pour lautre prend son essor, et Odette se met vivre et dire quelle peut tout faire. Il me faut donc nouveau chercher avec elle ce qui pourrait devenir limitation de jouissance, ce que nous essayons de trouver dans la promotion de la mesure, limpossibilit du vraiment tout, parce que cest trop, quon spuise, que ce nest pas envisageable continuellement. Odette comprend facilement ce succdan de castration, y adhre, et, conquise par les effets de la parole quelle a constats, demande ce que je laide ragir de faon moins entire en famille. Mais le procd va rencontrer assez vite sa limite.

    Cette limite se prsente sous la forme dun branlement : une infirmire dun autre organisme la longuement interroge sur sa maladie . Or pour Odette, malade est le nom de sa castration impossible, son idal, tre normale en tant loppos radical ; ici, pas de mesure, ces signifiants ne peuvent tre que totalement opposs. Odette se sent donc moins bien, sen inquite, et je maperois cette occasion que la parole de linfirmire et

    la mienne ont un poids quivalent. Je crois dabord que cela tient une supposition de savoir attribue tout soignant , mais je vais bientt me rendre compte que toute parole profre par un autre a valeur de vrit pour elle, tout le symbolique tant rel. Il ny a pas dAutre derrire lautre, mais bien plutt un Autre clat en autant de petits autres quelle rencontre, dont chaque parole a valeur de S1. Le je vois (ce que vous faites) qui mest venu tient, je crois, cela, une rponse anticipe dans lnonciation la place que la patiente massigne... comme tout autre. En effet, ne se soutenant daucun discours tabli, ne pouvant sappuyer sur un Autre qui est toujours au bord de la disparition, Odette se soutient de paroles dites par une prsence fraternelle.

    Cest donc un travail de Sisyphe qui nous attend, nous amenant traiter mesure quelles se prsentent les paroles qui lont dstabilise, risquant toujours de lui faire perdre ce soutien ncessaire. Cela nest possible que grce la structure qui laccueille, une hospitalisation de jour cre partir de lorientation lacanienne. Si lon ny prenait garde, on pourrait croire quOdette vient y faire diverses activits pour occuper son temps. Alors que, se trouvant en rapport potentiellement permanent avec une quipe de soignants aviss, cest le discours que ces soignants constituent quOdette vient chercher, pour soutenir son existence.

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    borromenne de lautisme

    Francesca Biagi-Chai

    Dans ce beau texte, Francesca Biagi-Chai nous parle de la sp-cificit du sujet autiste en lui restituant ses lettres de noblesse par la fonction de la parole et le champ du langage, qui le concernent, aussi, ce sujet-l. Elle poursuit dans cette veine pour interroger, chez le sujet autiste, la ncessit de multiples savoir-faire, et le dveloppement de la mmoire : sagit-il ici dune forme de supplance ? Pas seulement ! Lisons.

    Depuis que lautisme est rapport, dans le domaine de la mdecine notamment, un dsordre biologique, hormonal ou gntique, la porte est ouverte toutes sortes de causes organiques, pourvu quelles restent fermes dans le mme temps toute lucidation psychique. On doit Georges Canguilhem et au renversement quil a opr sur la conception du normal et du pathologique ds 1967 en mdecine, une rfrence prcieuse. Il traite du biologique, du corps, en supposant acquis dans le champ du psychisme le concept selon lequel il ny a pas de pathologie objective 1. Il refuse ainsi que le pathologique soit fix, et considre que la physiologie a mieux faire que de chercher dfinir objectivement le normal, cest de reconnatre loriginale normativit de la vie 2. Maintenant tout est reprendre, puisquil sagit en retour de faire rentrer le psychique dans le somatique.

    Jacques-Alain Miller ouvre la perspective, en crivant propos de lautisme, dans un hommage rendu Rosine et Robert Lefort : Lautisme comme tat natif du sujet, comme catgorie fondamentale peut se recommander du tout dernier Lacan, du symptme qui se dfait et o Lacan rduit linconscient au fait de parler tout seul. On parle tout seul parce quon ne dit jamais quune seule et mme chose. 3 Si cette seule et mme chose est linsistance du rel, alors tout le reste est dfense. Lalangue, en

    tant quelle ne relve pas de la communication, en tant quelle est, dans sa sonorit, fondatrice du parltre, en tant quelle est dleste de la grammaire 4, na pas de ngatif. Dans le dernier enseignement de Lacan, le signifiant la fois cre le sens, mais aussi bien cre le rel qui lui est antinomique, hors-sens, trou, vacuole. Au contraire de cette perspective lacanienne, lidal secret des apprentis sorciers est la matrise totale du rel visant en faire leur ralit pour aboutir un dressage des autistes.

    Nous souhaitons interroger ici un autisme abord par le prisme lacanien : de quoi redonner un autiste sa spcificit, sa consistance, en ne lexcluant pas de la fonction de la parole ni du champ du langage. Lautisme ne saurait tre exempt du rapport fondamental de tout un chacun au trou de la forclusion gnralise 5, laquelle est inhrente lincompltude du symbolique.

    Si lautisme est distinguer de la schizo-phrnie ou de la paranoa, doit-on pour autant le soustraire la forclusion comme une forme de rponse celle-ci ? Cette forclusion qui plonge ce sujet dans lexacerbation douloureuse de la sensation, voire de lhallucination sensorielle et cnesthsique. Cest ce qui lloigne du monde en le rendant concern par celui-ci et rciproquement.

    Trois caractristiques sont gnralement admises comme spcifiques des fondements de lautisme.

    1) Limmuabilit ou la ncessit que lenviron-nement, le monde, les objets ne changent pas. Ne peut-on y lire quel point lautiste semble parvenir, de par sa caractristique mme, garantir la prsence du sujet dans sa permanence ? Tout dcalage, tout drangement confrontant ce sujet en devenir au vide, a de fait pour consquence un rapport dquivalence au nant tel qutre ou disparatre.

    Ds lors quen est-il de la forme, de limage comme limite, comme fonction du moi ? Le sujet dpend de lAutre, de sa stabilit, mais ne peut, travers une reprsentation de lui-mme, le reconnatre. et la question, de savoir ce quil connat l de lui sans sy reconnatre 6 est lnigme retenue par Lacan propos de la forclusion. Pas de hors signifiant pour lautisme puisque le sujet sy loge de par sa jouissance mme. Que constate-t-on dans lautisme ? Lautre nest pas perceptible comme tel, pas diffremment que lintrusion dun lment tranger non identifi. Donna Williams crit en ce sens : Je voyais le monde par bribes et par

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    art petits bouts. Je ne percevais que des figures gomtriques aux motifs attrayants ; des trian-

    gles verts, des carrs dors 7

    Le corps propre semble tre pris dans un halo perceptif aux contours flous. Le terme de Un-corps 8 amen par Jacques-Alain Miller, pour rendre compte de ltre pris dans la dimension de lautisme, acquiert une valeur conceptuelle vers quoi convergent les phnomnes clastiques dalerte, dangoisse, lorsque, comme corps-environnement, il est menac. Avec lorientation lacanienne, le corps pris dans le signifiant subit lincidence de ce qui se passe dans lAutre : sil y a intrusion, toute perception signifie bien une diffrenciation des sensations et une intgration minimale subjective. La modalit hirarchise des rponses vrifie cette hypothse et dessine dj une voie de sortie de lautisme, un pas-tout qui vaut pour tous. Limmuabilit est le nom de la jouissance qui ne peut tre entame sans que le corps le soit. Alors un savoir-faire du sujet plus ou moins aid, une limite, un trait minimal lui appartenant, le rendant visible lui-mme donc aux autres, peut apparatre. Un bord peut ds lors se dessiner comme le thorise ric Laurent.9

    2) Llot de comptence : llot de comptence est gnralement tenu pour ce qui permet au sujet autiste de sortir de son enfermement. Il organise, oriente, dcide de la manire dont un sujet, et pas un autre, va entrer dans le monde travers un got, un talent, un intrt. Est-ce autre chose quun objet au sens de lobjet a propos par Lacan ? Un objet par lequel le savoir-faire quivaille au savoir-tre. Est-il autre chose quun condensateur, qui, de par sa fonction projective et pragmatique, capture les phnomnes perceptifs ?

    cet gard, le tmoignage de Temple Grandin est paradigmatique. Elle a fait dune machine usage priv, destine rgler les limites de son corps et de ses sensations, la matrice dune machine industrielle reconnue dans le domaine agricole, ce qui lui a confr notorit et existence. Le concept lacanien de signifiant-matre rend compte de manire clatante de cette mutation dans la continuit. Ceci dautant mieux que, dans la forclusion, le signifiant-matre isol a valeur de condensateur de jouis-sance, dobjet a, dans ce cas insparable : il fait supplance. Il est objet et fait fonction de nomination par antonomase.

    3) Lobjet autistique enfin : il va du minuscule intrt pour de petites choses entrevues, repres par lentourage, aux manipulations les plus visibles dobjets divers de manire ritre. Parfois, cet objet est dcouvert par

    le sujet autiste par hasard, le plus souvent par contigut, cest--dire de manire centrifuge, exprimentale donc non intrusive, partant de ce qui est l tout prs de lui. Accueillis par les parents ou les personnes prsentes auprs de lenfant (ce que lanalyste recommande car il tient compte de lintrt de lenfant), ces objets deviennent en eux-mmes, progressive-ment, biface. Dun ct des objets autistiques, de lautre des mdiateurs, seule chance de dgeler le rapport unique lUn-Corps, au corps comme objet. Cette position attentive voire discrtement active du psychanalyste se conceptualise dans le droit fil de ce que Lacan avait recommand propos de la psychose, Disons que semblable trouvaille ne peut tre que le prix dune soumission entire, mme si elle est avertie, aux positions proprement subjectives du malade [] 10 , tre en prise avec le rel, ici lapprivoisement de lenvironnement ft-il dabord lobjet le plus banal mais le plus proche.

    Faisons un pas en direction de limage, support de limaginaire (ici en dfaut) et du lien limage. Le moment particulier de la naissance du je dans le miroir associe subjectivit virtualit. Lexcitation libidinale du corps sy diffracte et se rcupre travers linadquation du petit homme son image ; assomption jubilatoire et destine mortelle, augurant du plus-de-jouir et du manque--tre.

    Dans la psychose, bien que cela se produise diffremment, le miroir comme renvoi dune image nest pas pour autant absent. La jouis-sance menaante de lAutre mchant sy pr fi-gure pour le paranoaque. Pour le sujet schizo-phrne, le morcellement, tout comme le vase fl, est prsent, mais non exprim. Le moi y fait fonction de je, ce qui rend bien compte de la dimension mgalomane de la structure. Sans dclenchement, la bance est hors apparition du rel ; personnalit marquante, caractrielle, multiple ou psychose ordinaire.

    Labsence de dclenchement revendiqu pour lautisme, la construction proprement parler dun appui imaginaire travers un autre (parfois un animal, un objet, un signifiant ou un son qui se fait partir de lobjet autistique par apprivoisement des perceptions), le rapport direct du rel au rel11, comme le signale J.-A. Miller, ce qui passe par lobjet aussi (jouissance et signifiant-matre isol, ou holo-phras), concourent voquer la forclusion du miroir comme tel, mais galement sa possibilit de donner forme. La forclusion du regard fait une place au moi et au monde dans le mme mouvement. Le sujet autiste doit suppler la

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    forclusion mme du regard. Il doit construire ses solutions par listes, par encombrement, par raction entre invasion et acquiescement lautre, douleur et plaisir ou excitation. Ici encore sentrevoit le retour de la jouissance sur le bord12. Lenjeu tant de faire bord pour construire une image de soi, cran entre lUn-corps et lAutre.

    Aussi la construction de limaginaire par le rel 13 me semble tre celle dun nouvel imaginaire 14 ; soit dans le cas du sujet autiste dun imaginaire intrinsquement verbeux 15. Une matrialit, des objets, des signifiants, qui se succdent mtonymiquement quivalent une tentative dcriture. Parfois des crits mme viendront en place de vrit. Le dveloppement de la mmoire serait-il donc une ncessit pour le sujet autiste, une forme de supplance ?

    La clinique borromenne en effet est une clinique de lalangue. Dans lautisme aussi un lien peut se faire entre le corps, lalangue et lcriture pour faire tre. Lien de consquence entre trou, dfense et supplance.

    1 Canguilhem G., Le normal et le pathologique, Paris, PUF, p. 72.2 Ibid., p. 116.3 Miller J.-A., Lorientation lacanienne. Le Tout dernier Lacan , enseignement prononc dans le cadre du dpartement de psychanalyse de luniversit Paris VIII, leon du 7 mars 2007, indit. 4 Ibid.5 Miller J.-A., Lorientation lacanienne. Ce qui fait insigne , enseignement prononc dans le cadre du dpartement de psychanalyse de luniversit Paris VIII, leon du 27 mai 1987, indit.6 Lacan J., Propos sur la causalit psychique , crits, Paris, Seuil, 1966, p. 165.7 Williams D., Si on me touche je nexiste plus, Paris, Robert Laffont, coll. Jai lu, 1992, p. 102.8 Miller J.-A., Lorientation lacanienne. Pices dtaches , enseignement prononc dans le cadre du dpartement de psychanalyse de luniversit Paris VIII, leon du 24 novembre 2004, indit. 9 Cf. Laurent ., La bataille de lautisme, de la clinique la politique, Paris, Navarin /Le Champ freudien, 2012.10 Lacan J., Dune question prliminaire tout traitement de la psychose , crits, Paris, Seuil, 1966, p. 534.11 Cf. Miller J.-A., Lorientation lacanienne, Pices dtaches , op. cit.12 Cf. Laurent ., La bataille de lautisme, op. cit.13 Formulation propose par Jean-Claude Maleval dans plusieurs de ses ouvrages.14 Lacan J., Le Sminaire, livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil, 2005.15 Lacan J., Confrence Genve sur le symptme , in Le bloc-notes de la psychanalyse n 5, 1985.

    Lautisme de la jouissanceEsthela Solano-Suarez

    Lautisme de la jouissance est un terme isol par Jacques-Alain Miller. Cest le produit dune extraction pratique dans le dernier et le tout dernier enseignement de Lacan. Ce terme qualifie le mode de fonctionnement

    de la jouissance du symptme en cela quelle est irrductible lAutre du langage, lAutre du sens. Cela comporte que la jouissance du symptme est solipsiste et opaque, puisquelle exclut le sens. Lautisme de la jouissance traduit le concept de sinthome labor par Lacan linstar de Joyce lillisible.

    Ce nest que dans le cadre du discours de lanalyste que ce concept est concevable et op ratoire. Il sert rendre compte de ce que lexprience dune analyse permettrait de cerner et de resserrer quand elle est oriente par le rel hors sens. Cette vise ne laisse pas indemne la question attenante la nature de lopration de lanalyste.

    Cette question fondamentale amnera Lacan concevoir lopration analytique comme une coupure visant la disjonction de larticulation signifiante minimale S1-S2 productrice de sens, afin disoler le signifiant Un tout seul, qui peut tre nimporte quel signifiant pris comme Un, hors sens. Il sagirait alors de cerner lUn du signifiant dans son effet premier de jouissance. Ce cheminement se dcline sur la distinction introduite par Lacan entre la lalangue, carac-trisant la matrialit sonore du signifiant, disjointe du signifi et affectant le corps du parltre, et le langage, lequel tombe au rang dune lucubration de savoir sur la lalangue. Cette coupure sen redouble dune autre qui dit que la jouissance de lUn de lalangue nest pas un tre de langage, voire une fiction, mais quelle ex-siste au langage creusant le vide qui sera peupl par les fictions : rves et fantasmes notamment.

    Cest lUn du signifiant, rduit la matrialit de la lettre, qui affecte le corps. La rencontre contingente des mots avec le corps laissera une trace, voire une marque de jouissance, laquelle ne va pas sans comporter aussi un effet de trou. Do le troumatisme. Le symptme y tmoigne en tant quvnement de corps. Le corps qui se jouit dune jouissance relle et opaque, ex-siste

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    lUn corps qui sisole dans sa consis tance imaginaire, en tant que forme commandant le principe de son adoration. Il serait plutt substance jouissante qui parltre tout seul, sans savoir ce quil dit.

    Si la jouissance est de lUn, alors la jouissance de lAutre nex-siste pas. Cela comporterait que la jouissance dun corps Autre est exclue de fait. Cette radicalit saccommode de la catgorie de limpossible au sens logique : ce qui ne cesse pas de ne pas scrire cest le rapport sexuel. En revanche, ce qui ne cesse pas de scrire cest la jouissance de lUn, et pas de deux.

    La jouissance du sinthome cest la jouissance quil y a, faute de celle quil ny a pas. Et cest avec cette jouissance-l, isole comme telle dans le cours dune analyse, dans son caractre de jouissance irrmdiable, autistique et irr-ductible, commandant nos rencontres amou-reuses, aussi bien que nos ratages, nos joies aussi bien que limpuissance de notre pense, bref, cest avec ce qui reste quil sagit en fin de compte de parvenir savoir y faire Nous ferons le constat, en somme nous saurons, que ce reste opaque tmoigne de notre faon singulire de rpondre lnigme de la vie.

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    Le Dossier de la LM

    Camilo Ramirez

    Cest une chance douvrir cette nouvelle srie des Dossiers de La lettre mensuelle avec trois numros consacrs au thme du prochain Congrs de lAssociation Mondiale de Psychanalyse : Un rel pour le xxie sicle. Le cartel, qui a charge de prparer les dossiers pendant ces deux prochaines annes, a bnfici de laide prcieuse de Guy Briole, directeur du Congrs, afin de privilgier une cohrence thmatique dans leur construction. Des collgues de la commission scientifique ont accept de mettre jour, de faon vive et percutante, la pratique analytique partir du statut du rel dans le dernier enseignement de Lacan. Partant dun texte commun, lorientation donne par Jacques-Alain Miller dans la prsentation du Congrs, chaque auteur met en valeur un point prcis qui renouvelle la prise en compte de ce rel sans loi. Lanalyste du XXIe sicle ne peut plus se contenter de sorienter dans la direction de la cure partir de lAutre, de la relation cause-effet et de lordre symbolique, mais doit prendre acte du fait quil a affaire au dsordre dun rel contingent. Cest lensemble des concepts constituant le cur de la pratique analytique qui doit tre remani. Il sagit de dfinir linconscient proprement lacanien en le distinguant de linconscient transfrentiel, forger une interprtation analytique qui bouscule la dfense, dgager comment les mtamorphoses radicales, en ce dbut de sicle, aussi bien que la faon dont Lacan subvertit labord du rel, ncessitent de reformuler le dsir de lanalyste. Dans le prochain numro, ce renouveau sera clair dune autre lumire

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    p La rupture cause/effetGuy Briole

    Dans un parcours clair et concis, Guy Briole fait saillir les grands axes du prochain Congrs de lamp.

    [] La relation cause-effet est un prjug scientifique appuy sur le sujet suppos savoir. Cette relation ne vaut pas au niveau du rel sans loi, elle ne vaut que comme rupture entre la cause et leffet. 1 Ce passage, extrait de la Confrence de Jacques-Alain Miller, sur la rupture cause/effet est comme la charnire dune porte quil ouvre vers le changement qui marque le xxie sicle et qui nest pas sans incidences sur les pratiques.

    Linterprtation

    Le premier enseignement de Lacan na jamais nglig le rel que la cure parvenait dgager de la rptition. Linterprtation analytique sy prsentait alors comme un franchissement dont les effets de vrit ne suivaient pas une logique cause-effet mais un alatoire, un ind-ductible. Linterprtation est toujours de lordre dune rupture de la causalit et cest ce qui la fait incalculable2. Mais, au-del de ce que linterprtation aurait pu rgler des impasses du dsir, Lacan pensait que ce rel tait rsorbable par lopration symbolique, par linterprtation. Cest dans son dernier enseignement quil insistera sur un rel inassimilable, sur ce qui dans le symptme, est hors-sens 3. Ce rel, il le met en relation avec une jouissance de corps un corps qui jouit seul , une auto jouissance du corps. Pour autant ce nest pas non plus une jouissance quelconque : elle nest pas sans lien avec le point dinsertion du signifiant sur le corps et, en ce sens, elle est singulire chacun.

    Vers lontique

    Le vrai changement chez Lacan, celui qui rordonne la thorie comme la pratique, cest celui que J.-A. Miller mettra en lumire dans son cours de 20114 et qui est le passage de lontologique lontique, de ltre ltant. Tout le premier enseignement de Lacan se rfre lontologique et se situe dans le registre de ltre qui contient la fois le manque et le dsir ; manque--tre et dsir dtre. Cest dans

    le chapitre VII du Sminaire Encore, Une lettre dmour , quil soulignera que dans son schma des formules de la sexuation S(A/ ) et a sont du mme ct : celui de la fonction de ltre . Une scission, un dcollement, reste faire , dit Lacan.5 Cest ce qui le conduira se sparer de ltre. Lacan avait dj abord la question de lUn

    spar de lAutre et nonc ce Ya dlUn, par lequel il ne sagit pas de lUn par rapport lAutre mais de lhnologie6 : lUn sans lAutre. Soit dun Un tout seul, un Un disjoint du sens. Ce Un est la marque constitutive du parltre, la marque sur le corps. En ce sens, le langage est appareil de la jouissance, rduit alors la lettre, au singulier. Ce Un, l, renvoie lex-sistence, la question ontique. L o tait la rptition articule au dsir et la vrit, sera litration7 lie la jouissance et ce quelle comporte de contingence, dimprvisible, de rupture de causalit.

    Lincurable

    Cette volution touche au dsir de lanalyste et trouve ses rpercussions dans la cure, dans ce dplacement vers le hors-sens et un rapport plus authentique au rel. Lorientation de la cure ne va pas dans le sens de llimination des restes symptomatiques mais vers un savoir y faire avec lincurable. Cest une des consquences du dplacement de linterprtation du cadre dipien vers le cadre borromen 8. Alors linterprtation change et [] passe de lcou-te du sens la lecture du hors-sens. 9 Le dplacement dans la direction de la cure aura t de linterprtation signifiante lquivoque qui se situe entre signifiant et lettre, sens et hors-sens, pour en venir au Un tout seul partir duquel on peut avoir accs ce qui, au-del de ldipe, reste comme marque singulire chacun et inscrite de manire contingente.

    Au-del

    Le dsir de lanalyste est ce qui convient au manque--tre. Au-del, lanalyste a affaire un analysant qui est confront au trou que laisse lUn sans lAutre. Dsir de lanalyste et exprience du rel se sparent et viennent se renouer, mais autrement. Cest ce que les travaux du Congrs devraient mettre en vidence.

    1 Miller J.-A., Un rel pour le xxie sicle, Scilicet, Paris, Collection rue Huysmans, 2013, p. 26.2 Miller J.-A., Lorientation lacanienne. Les us du laps , enseignement prononc dans le cadre du dpartement de psychanalyse de luniversit Paris VIII, leon du 2 fvrier 2000, indit.3 Miller J.-A., Lire un symptme , Mental n 26, juin 2011, p. 55.

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    p 4 Cf. Miller J.-A., paratre sous le titre LUn tout seul, Lorientation lacanienne. Ltre et lUn, enseignement prononc dans le cadre du dpartement de psychanalyse de luniversit Paris VIII, 2010-2011.5 Lacan J., Le Sminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 77. 6 Lacan J., Le Sminaire, livre XIX, Ou pire, Paris, Seuil, 2011, p. 153.7 Miller J.-A., Ltre et lUn , op. cit., leon du 30 mars 2011.8 Miller J.-A., Lire un symptme , op. cit., p. 57.9 Ibid.

    Du rel dans une psychanalyse*ric Laurent

    Quest-ce quune interprtation qui prend acte de linexistence de lAutre de lAutre ? Voici quelques pistes prcieuses dgages par ric Laurent.

    Il nous faut distinguer plusieurs rgimes de linterprtation, qui ne sexcluent pas mutuel-lement. Il y a linterprtation selon le sens ou selon la multiplicit de la dimension du sens. Elle nest pas pour autant ouverte tous les sens. Linterprtation selon le sens ne doit pas oublier lobjet a qui circule entre les lignes et qui soppose la conception dune totalit du sens.

    Dans linterprtation qui vise lobjet a entre les lignes, il faut encore distinguer la zone o lon peut rendre compte dune interprtation et de sa raison dans lespace subjectif, et la zone o il nest pas possible de rendre compte de ce point. Dans cette dimension, linterprtation se retrouve rellement hors-sens. Le fantasme se rvle un montage, un appareil qui peut tre situ comme dfense contre la jouissance qui reste et qui chappe tout montage pour se maintenir dans litration.

    Aborder la pratique de la psychanalyse partir de la dimension de la non-garantie dans sa dimension radicale nous amne prendre en compte ce qui de la substance jouissante ne sarticule ni dans le circuit pulsionnel, ni dans lappareil du fantasme. Cest ce qui, de la jouissance, reste non ngativable et ne se comporte plus comme une quasi-lettre dans son itration. Cest ainsi que peut saborder ce que

    serait la consistance du rel dans lexprience de la psychanalyse. Pour le rel, limportant, cest que le mme soit le mme matriellement, la notion de matire est fondamentale en ceci quelle fonde le mme.1 Le dmontage de la dfense est un dmontage non seulement de lidole engage la place du manque phallique, mais aussi du circuit de lobjet a pour rencontrer le bord de jouissance que ces circuits cernent. Autour de ce bord, les consistances se nouent. Jai affaire au mme matriel que tout le monde, ce matriel qui nous habite.2 Matriel est pris au sens du rel de la jouissance. Lacan propose l une autre version dun inconscient qui nest pas fait des effets de signifiant sur un corps imaginaire, mais un inconscient qui inclut linstance du rel qui est la pure rptition du mme, ce que J.-A. Miller, dans son dernier cours, a isol dans la dimension de lUn-tout-seul qui se rpte. L, est vraiment la zone hors-sens, et hors garantie.

    * Texte dorientation publi sur le site de lAMP.1 Lacan J., Le Sminaire, livre XXIV, Linsu que sait de lUne bvue saile mourre , leon du 14 dcembre 1976, Ornicar ?, Paris, Lyse, n12-13, dcembre 1977, p. 10.2 Lacan J., Le Sminaire, livre XXIV, Linsu que sait de lUne bvue saile mourre , leon du 11 janvier 1977, Ornicar ?, Paris, Lyse, n14, Pques 1978, p. 5.

    Dsir de lanalystePierre Naveau

    Prenant appui sur deux cas clbres comments par Lacan, Pierre Naveau se penche sur une notion cl du Congrs : dranger la dfense. De cette lecture se dtache une figure prcise de lanalyste au xxie sicle : lanalyste surpreneur .

    J.-A. Miller a fait remarquer, dans son cours du 2 dcembre 1998, que dranger la dfense, ce nest pas la mme chose quinter-prter le refoulement. On trouve ce terme dranger dans le passage de La direction de la cure o Lacan voque le cas de lhomme au tour de bonneteau. Bref rappel. Le patient, se montrant impuissant, propose sa matresse de faire entrer un troisime

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    homme dans la danse. Cest l-dessus que celle-ci fait un rve. Rsumons-le cela : bien quelle ait un phallus, elle veut, pourtant, en avoir un. Leffet du rcit de ce rve est immdiat. Le patient retrouve aussitt ses moyens. Commentaire de Lacan (en substance) : la femme ici restaure dune ruse un jeu dchappe que lanalyse a drang1. Entre parenthses, cette expression un jeu dchappe , qui fait allusion la dfense, intrigue. En tout cas, la morale de la fable, dit Lacan, est celle-ci : rien ne sert de lavoir, [quand] son dsir est de ltre 2. Ne peut-on pas dire qu propos du cas de lhomme aux cervelles fraches, Lacan indique Kris que, l o il interprte la dfense, cest, au contraire, la dranger quil et fallu faire ? L aussi, rsumons. Linterprtation de Kris est celle-ci : le patient se dfend de voler les ides des autres en saccusant de vouloir les leur voler. En fait, il ne vole pas. Il saccuse donc de vouloir voler pour sempcher de voler. Cest ce qui sappelle, dit Lacan, analyser la dfense avant la pulsion, qui ici se manifeste dans lattrait pour les ides des autres 3. Aussi,

    celui qui, quelques annes auparavant, stait laiss aller lui dire : a ne se fait pas ! 4, Lacan rtorque-t-il alors : Vous tes ct. Lacan, prenant appui sur lacting out du patient, dit bien ce que cest que dranger la dfense. Il sadresse directement Kris : Ce nest pas que votre patient ne vole pas, qui ici importe. Cest quil [] vole rien. Et cest cela quil et fallu lui faire entendre. 5 Ce rien indique, en effet, ce dont il sagit : cest quil puisse avoir une ide lui, qui ne lui vient pas lide 6. Le rel, certes, surprend. Mais il revient lanalyste de surprendre le rel, l o rsonne, du mme coup, lincidence du traumatisme. Ce nest pas du psychanalyste surpris dont parle Thodore Reik quil est question, mais de lanalyste surprenant et le mot est de J.-A. Miller de lanalyste surpreneur .

    1 Lacan J., La direction de la cure , crits, Paris, Seuil, 1966, p. 632.2 Ibid., p. 632.3 Ibid., p. 599.4 Ibid., p. 600.5 Ibid., p. 600.6 Ibid., p. 600.

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    p De la ponctuation lquivoqueHlne Bonnaud

    Dranger le vouloir jouir qui est au cur du symptme, cest ainsi quHlne Bonnaud conoit linter-prtation de la pulsion.

    Linterprtation analytique est, au dbut de lanalyse, une rponse donne par lanalyste lnigme quest pour lanalysant, son symptme. Elle agit comme une plonge dans le sens, puissant moyen du dchiffrage de linconscient, sa lecture se faisant de plus en plus serre et prcise. Les signifiants isols par la ponctuation des sances, la mise en perspective du dsir qui sy entend, lappui de linconscient-interprte comme la chambre de rsonnance de tout ce qui fait son invention lapsus, rves, oublis, figurent la puissance interprtative de lanalyse quand elle sinscrit dans ce registre de la recherche de la vrit.

    Lenseignement de Lacan qui sy rfre va de Fonction et champ de la parole et du langage 1 jusquau moment o Lacan aborde la question de lalangue. En effet, avec ce concept, Lacan rompt avec la question du sens pour y substituer celle de la jouissance.

    Lalangue est essentiellement faite des alluvions qui saccumulent des malentendus, des crations langagires, de chacun 2. Linter-prtation passe alors du vouloir-dire au vouloir-jouir. Cest dans son Sminaire XX3 que Lacan donnera une formule radicale de la coupure entre la parole qui veut dire et la pulsion qui veut jouir avec son concept de lapparole : lapparole cest ce que devient la parole quand elle est domine par la pulsion et quelle nassure pas communication mais jouissance.4

    Ds lors, linterprtation portera non pas sur le sens, mais cherchera atteindre le vouloir-jouir de la pulsion. En effet, davoir introduit la pulsion comme prise dans le langage, a ouvert Lacan des perspectives indites sur la faon de linterprter. Interprter la pulsion, cest dranger le vouloir-

    jouir qui est au cur du symptme. Certes, la question est de savoir comment latteindre, comment atteindre le rel par linterprtation, ou plutt aprs que linterprtation transfrentielle ait elle-mme vid le sens inconscient, le refoul. Linterprtation vise alors labolition du sens et elle latteint par lquivoque. Quest-ce que lquivoque ? Elle opre partir de lcrit quelle fait rsonner. En jouant de lquivoque, linter prtation drange le sens attendu, fait apparatre son absurdit et dbranche le savoir de sa position de vrit. De ce fait, linterprtation nest plus du ct de lillimit de la parole en tant que sens dchiffrer, mais elle vient au contraire faire limite. Cest une interprtation qui finitise, qui rompt avec la jouissance interprtative de linconscient comme savoir.

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    p On passe ds lors de linterprtation prise dans le symbolique et limaginaire, linterprtation du rel. En quoi est-ce que le rel sassure par linterprtation ? 5, se demande Jacques-Alain Miller dans ce mme texte. Tant que nous sommes dans linterprtation de lapparole, linterprtation reste au niveau de la jouissance de la parole. Il ny a aucun rel assur. Cest en quoi linterprtation doit suivre une contre-pente au principe de plaisir. Elle doit introduire limpossible. Cest ce que Lacan indique dans le Sminaire Encore. Si le sujet est heureux, mme dans le ratage que souligne linterprtation, tout ce bonheur ne permet pas dassurer le rel du rapport sexuel. Pour sassurer du rel, linterprtation devra sapparenter une forma-lisation si lon admet que seule la formalisation mathmatique atteint un rel. Cela implique que linterprtation se fait lenvers du sens. Lacan fait de lquivoque le moyen dy parvenir : nous navons que a lquivoque comme arme contre le sinthome 6. Et il ajoute quelques lignes plus loin, jouer de cette quivoque qui pourrait librer du sinthome. 7. Ces deux citations nous indiquent comment contrer le rel du sinthome, et, dans un deuxime temps, sen librer. Il sagit de passer, par linterprtation, du a veut dire, un a ne veut rien dire qui permet dextraire le a veut jouir. Et donc, pour retrouver le a veut jouir, il faut en passer par le a ne veut rien dire. 8

    Interprter fait alors de lcriture le moyen datteindre au a ne veut rien dire de la jouis-sance. Elle touche le hors-sens de la jouissance pour atteindre le rel du sinthome qui est, comme Lacan la formul, un etc

    1 Lacan J., Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse , crits, Seuil, Paris, 1966.2 Miller J.-A., Le monologue de lapparole , La Cause freudienne n 34, Paris, Navarin/Seuil, octobre 1996, p. 11.3 Lacan J., Le Sminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975.4 Miller J.-A., Le monologue de lapparole , op. cit. p. 13.5 Ibid., p.17.6 Lacan J., Le Sminaire, livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil, 2005, p. 17.7 Ibid., p.17.8 Miller J.-A., op. cit., p. 18 .

    Vers une redfinition du dsir de lanalysteSonia Chiriaco

    Un dsir de lanalyste dont la boussole nest plus lAutre mais la jouissance de lUn-tout-seul, tel est le dplacement ici serr par Sonia Chiriaco.

    En fin de compte, quel dsir le sujet va-t-il saffronter dans lanalyse, si ce nest au dsir de lanalyste ? 1, interroge Lacan lors de la dernire leon de son Sminaire Le dsir et son interprtation. Nest-il pas remarquable quil dsigne ainsi le dsir de lanalyste, pour la premire fois, aprs avoir nonc quil ny a pas dAutre de lAutre 2 ? Si Lacan ne dfinit pas ici ce quest ce dsir de lanalyste, il donne nanmoins un indice prcis concernant son acte, savoir que la coupure est sans doute le mode le plus efficace de linterprtation analytique 3. Ds lors, il ne cessera plus dinterroger le dsir de lanalyste en larticulant la fin de lanalyse. Dans le Sminaire qui suit son excommunication, Les quatre concepts fondamentaux de la psycha-nalyse, il pose les jalons dune doctrine de la fin de lanalyse, qui se concrtisera avec sa proposition sur la passe, trois ans plus tard. Lors de la dernire sance de ce Sminaire, Lacan lance des questions qui rsonnent avec celles que J.-A. Miller nous propose pour aborder le prochain congrs de lAMP4. Que doit-il en tre du dsir de lanalyste pour quil opre dune faon correcte ? 5 Comment un sujet qui a travers le fantasme radical peut-il vivre la pulsion ? Cela est lau-del de lanalyse et na jamais t abord. 6 Lacan nous offre alors une premire bauche de rponse : Le dsir de lanalyste nest pas un dsir pur. Cest un dsir dobtenir la diffrence absolue. 7 Cette diffrence absolue na jamais pris autant de relief que depuis lintroduction du Y a dlUn de son dernier enseignement. En nous entranant vers cet au-del de lanalyse que J.-A. Miller a appel loutrepasse 8, cette zone o tout reste construire 9, il nous incite reprendre les questions du Lacan de 1964 avec un nouvel angle de vue, celui du rel. La position de lanalyste, quand il se

    confronte au Y a dlUn dans loutrepasse, nest plus marque par le dsir de lanalyste mais par une autre fonction quil nous faudra laborer

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    par la suite. 10 Cette autre fonction, si elle se rfre encore un tant soit peu au dsir, ne peut pourtant plus, au temps du non rapport, tre rfre lAutre. Dans loutrepasse, cest bien la jouissance du Un tout seul qui est concerne, jouissance du corps tel quil a t percut par le signifiant, et cest une jouissance hors sens. Au-del du dsir, cest au serrage du sinthome que nous avons affaire. Cest toute la clinique qui en est bouscule, au point que tous les cas sont devenus inclassables ! Ainsi, toujours seul dans son acte, lanalyste ne peut plus se rfrer un quelconque ordre tabli. Sil parvient avancer avec le sentiment dun risque absolu 11, cest quil sait comment ses propres arrangements nvrotiques avec le rel furent surpris, drangs, dmonts par lquivoque qui dfait le sens, laissant le sujet aux prises avec sa jouissance opaque, et cela jusqu dnuder le sinthome. Lquivoque est loutil quil a dsormais sa main pour surprendre son tour son analysant et parvenir dfaire par la parole ce qui sest fait par la parole. 12

    Lanalyste sait quil ne peut se passer de son sinthome mais il a appris sen servir pour en faire un usage nouveau dans une pratique qui vise rsolument le rel.

    1 Lacan J., Le Sminaire, livre VI, Le dsir et son interprtation, Paris, ditions de La Martinire et Le Champ Freudien diteur, 2013, p. 5712 Ibid., p. 353.3 Ibid., p. 572.4 Miller J.-A., Le rel au XXIe sicle , La Cause du dsir, n 82, Paris, Navarin, 2012, p. 88-94.5 Lacan J., Le Sminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p. 14.6 Ibid., p. 246.7 Ibid., p. 248.8 Miller J.-A., Lorientation lacanienne, Ltre et lUn , cours du 4 mai 2011, indit. 9 Ibid., cours du 30 mars 2011, indit.10 Ibid., cours du 11 mai 2011, indit.11 Lacan J., Le Sminaire, livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil, 2005, p. 45.12 Lacan J., Le Sminaire, livre XXV, Le moment de conclure , leon du 15 novembre 1977, indit.

    Tresse, par Martine Soueix

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    Note sur le dsir de lanalysteFace un monde domin par un rel drgl et multiple, Pierre Streliski fait valoir un dsir de lanalyste en mesure de le contrer.

    Pierre Strliski

    Le dsir de lanalyste nest pas un dsir pur, pas une pure mtonymie infinie, mais nous apparat comme un dsir datteindre au rel, de rduire lAutre son rel et de le librer du sens 1, dit Jacques-Alain Miller prsentant le prochain congrs de lAMP Un rel pour le XXIe sicle. Il note que cette impuret du dsir de lanalyste est une remarque de Lacan en 1964. On la trouve la dernire page du Sminaire XI2. La suite est lexplication de ce que serait ce dsir impur : le dsir est toujours impur, il est impu-ret lui-mme, il est le grain de sable qui enraye lordre symbolique, la machination que fait le surmoi pour tout figer, tout arrter. Cette impuret dans lordre de lunivers3 est en mme temps une ncessit pour que ce monde ne soit pas tout fait vain, cynique ou dsespr. Pierre Naveau, dans un texte dorientation pour ce Congrs, voque lhomme au tour de bonneteau dont le symp-tme, une impuissance sexuelle, arrtait le dsir. Dans cette configuration si classique, le

    dsir de lanalyste est de relancer le dsir via linconscient transfrentiel. Le dsir de lanalyste est en somme une expression plo-nastique : le psychanalyste est dsir. Lacan en donne la dfinition dans son thique : La morale traditionnelle sinstallait dans ce que lon devait faire dans la mesure du possible, comme on dit, et comme on est bien forc de le dire. Ce quil y a dmasquer, cest le point pivot par o elle se situe ainsi ce nest rien dautre que limpossible, o nous reconnaissons la topologie de notre dsir 4, avec un peu plus loin cette phrase clbre : Je propose que la seule chose dont on puisse tre coupable, au moins dans la perspective analytique, cest davoir cd sur son dsir 5. Lanalyste est plac, ou se place, dans le discours analytique comme objet dsirant. Il dsire quoi ? Que lanalyse se fasse, quelle existe, au-del de toute identification contraignante. Il dfend la voie ou la voix de la rvlation de la vrit. Il est dnonciateur de vrit. Lui, toutefois, nnonce nul oracle, sa position vertueuse Un saint qui dcharite , dira plus tard Lacan est de dsigner de son doigt lev 6 cet horizon

    du dsir inconscient. Il dit une seule chose, qui est titre dun sminaire : Encore. la fin de son enseignement, Lacan considre

    cela autrement. Une analyse na pas tre pousse trop loin , dit-il en 1975. La fin de la vrit, ajoute-t-il, la vrit vraie est quentre les hommes et les femmes a ne marche pas 7. La psychanalyse dbouche donc sur un impossible, un Il ny a pas , qui est notre rel, le rel de la psychanalyse. Il y a pas dautre dfinition possible du rel que : cest limpossible 8.

    Lanalyste na pas pour tche de dfinir quelque chose. Comment dfinir quelque chose quil ny a pas ? La logification serre sans doute cet impossible, le gaine comme Nora gainait Joyce. Mais le dsir de lanalyste dans notre XXIe sicle, o le rel domine le monde, o il est sur le devant de la scne, continue de viser quelque chose, autre chose que de regarder le spectacle de ce monde. Il vise srement moins cette vrit cache dans le tableau clinique, que le rel lui-mme. Cest la seconde partie de la phrase de J.-A. Miller : le dsir de lanalyste est dsir datteindre au rel, de rduire lAutre son rel et de le librer du sens . Comment atteint-on limpossible ? Par la contin-

    gence. Ce qui ne cesse pas de ne pas scrire, a se rencontre videmment. Mais, dans ce qui se rpte, dans laddiction symptomatique, dans litration, il ny a pas que la figure dun destin. Lanalyste, ce rel il a pour mission de le contrer 9, en contrer la part toujours obscure, toujours opaque, propre au sens et qui sappelle la jouissance 10,

    prcise Laure Naveau. Si la dfinition du rel cest limpossible, il y a aussi que reale e impossibile sono antitetici, non possono andare insieme 11, dit Lacan dans un entretien en Italie. Comme la paire vrit/jouissance, la paire rel/impossible est antithtique, incompatible. Elles compatissent lune de lautre, disait Lacan de la premire.Le dsir de lanalyste vise cette jouissance

    qui ne cesse pas, jusqu ce que se dgage un fragment inattendu, surprenant, contingent : un sinthome.

    1 Miller J.-A., Le rel au XXIe sicle, Prsentation du thme du IXe Congrs de lAMP , La Cause du dsir n 82, Paris, Navarin, 2012, p. 94.2 Lacan J., Le Sminaire, livre XI, Les quatre concepts fon-damentaux de la psychanalyse,