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Petit guide contre-intuitif à l’usage des parents Réussite, autonomie, persévérance, épanouissement… Chacun souhaite « le meilleur pour son enfant ». Mais comment y parvenir ? La journaliste Guillemette Faure a enquêté et part à l’assaut des idées reçues sur ces questions. 44 LES GRANDS DOSSIERS DES SCIENCES HUMAINES N° 39 Juin-juillet-août 2015 ÉLEVER SES ENFANTS « rien » ou « j’ai joué ». « Tu as été sage ? La maîtresse était-elle contente ? » ne marchent pas mieux. Les enfants sont disposés au dialogue si on sait l’amorcer par des stratagèmes, tels que lui raconter des moments de notre propre journée. Pas à un inter- rogatoire. Et, ajoute le neuropsy- chiatre Daniel Siegel, encourager à se souvenir, à raconter est un bon pli pour l’adolescence. Là encore, les enquêtes Pisa montrent que chez les ados, le temps de conversation de sujets généraux (notamment poli- tiques ou sociaux) a plus d’impact sur leur niveau que des activités étique- tées scolaires. Autonomie : l’échec a du bon ! L’ère est aux parents-hélicoptères, toujours en survol au-dessus de la tête de leur enfant, qui toute affaire ces- FLORA YACINE participent à des activités bénévoles pour l’école ont de moins bons scores en lecture que ceux des parents moins impliqués, et cela à niveau socioéco- nomique égal. Alors comment faire ? Se jeter sur le cahier de texte et s’acharner sur l’exé- cution des devoirs dès que l’enfant est rentré ? Prendre un coach pour le faire à votre place ? Plusieurs études montrent que ce qui marche, c’est d’être attentif aux enfants et à leur scolarité. « Demander aux enfants comment s’est passée leur journée, y montrer un intérêt sincère peut avoir le même effet sur les scores des tests Pisa que des heures de cours particuliers », explique A. Ripley. Pas si simple cependant. Les enfants deviennent soudainement amné- siques à partir de 16 h 30. À la question « qu’est-ce que tu as fait aujourd’hui ? », on risque de s’entendre répondre Réussite scolaire : comment s’impliquer efficacement ? En France notamment, les parents ont du mal à trouver leur place à l’école. Faut-il s’échiner à faire des gâteaux marbrés à chaque manifesta- tion scolaire, se demande Guillemette Faure ? Inutile de croire qu’une bonne note en gâteau marbré améliorera la moyenne du petit chéri ! Selon une enquête de la journaliste du New York Times Armanda Ripley, les parents coaches, tels les Asiatiques qui font réciter des tables de multi- plication à leurs enfants en faisant la cuisine, sont plus efficaces que les « parents pom-pom girls » qui s’im- pliquent à l’école. Et les enquêtes Pisa (qui comparent les niveaux scolaires dans les pays de l’OCDE) le confir- ment : les enfants dont les parents GD39_44_45_P16_Bac.indd 44 06/05/2015 12:24

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Petit guidecontre-intuitifà l’usage desparents

Réussite, autonomie, persévérance, épanouissement… Chacun souhaite « le meilleur pour son enfant ». Mais comment y parvenir ? La journaliste Guillemette Faure a enquêté et part à l’assaut des idées reçues sur ces questions.

44 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 39 Juin-juillet-août 2015

élever ses enfants

« rien » ou « j’ai joué ». « Tu as été sage ? La maîtresse était-elle contente ? » ne marchent pas mieux. Les enfants sont disposés au dialogue si on sait l’amorcer par des stratagèmes, tels que lui raconter des moments de notre propre journée. Pas à un inter-rogatoire. Et, ajoute le neuropsy-chiatre Daniel Siegel, encourager à se souvenir, à raconter est un bon pli pour l’adolescence. Là encore, les enquêtes Pisa montrent que chez les ados, le temps de conversation de sujets généraux (notamment poli-tiques ou sociaux) a plus d’impact sur leur niveau que des activités étique-tées scolaires.

■ Autonomie : l’échec a du bon !

L’ère est aux parents-hélicoptères, toujours en survol au-dessus de la tête de leur enfant, qui toute affaire ces-

■ FLora Yacine ■

participent à des activités bénévoles pour l’école ont de moins bons scores en lecture que ceux des parents moins impliqués, et cela à niveau socioéco-nomique égal.

Alors comment faire ? Se jeter sur le cahier de texte et s’acharner sur l’exé-cution des devoirs dès que l’enfant est rentré ? Prendre un coach pour le faire à votre place ? Plusieurs études montrent que ce qui marche, c’est d’être attentif aux enfants et à leur scolarité. « Demander aux enfants comment s’est passée leur journée, y montrer un intérêt sincère peut avoir le même effet sur les scores des tests Pisa que des heures de cours particuliers », explique A. Ripley.

Pas si simple cependant. Les enfants deviennent soudainement amné-siques à partir de 16 h 30. À la question « qu’est-ce que tu as fait aujourd’hui ? », on risque de s’entendre répondre

■ Réussite scolaire : comment s’impliquer efficacement ?

En France notamment, les parents ont du mal à trouver leur place à l’école. Faut-il s’échiner à faire des gâteaux marbrés à chaque manifesta-tion scolaire, se demande Guillemette Faure ? Inutile de croire qu’une bonne note en gâteau marbré améliorera la moyenne du petit chéri !

Selon une enquête de la journaliste du New York Times Armanda Ripley, les parents coaches, tels les Asiatiques qui font réciter des tables de multi-plication à leurs enfants en faisant la cuisine, sont plus efficaces que les « parents pom-pom girls » qui s’im-pliquent à l’école. Et les enquêtes Pisa (qui comparent les niveaux scolaires dans les pays de l’OCDE) le confir-ment : les enfants dont les parents

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sante, vont réparer le tricycle, finir le coloriage ou portent les sacs à la sortie de l’école. « Si l’on veut massacrer un enfant, il faut l’abandonner ou trop l’entourer », affirme le neuropsychiatre Boris Cyrulnik. Laisser un enfant prendre des décisions développe le cortex préfrontal, et les fonctions exé-cutives du cerveau (planifier, bâtir des stratégies, se projeter, contrôler son attention…).

Être autonome, c’est aussi savoir accepter ses échecs. Ce n’est pas le fort des jeunes Français. Les élèves français testés par Pisa préfèrent ne pas donner de réponse plutôt que de risquer une réponse fausse. On oublie que Steve Jobs a connu les plus gros flops dans son entreprise, il en a même été renvoyé. Aux États-Unis, certaines écoles commencent à enseigner les bienfaits de l’échec : le succès est considéré comme la capa-cité à se relever. Le sentiment d’effica-cité personnelle, mis en avant depuis longtemps par le célèbre psychologue canadien Albert Bandura, se déve-loppe en surmontant les obstacles par la persévérance et non quand les parents les aplatissent à la place de l’enfant.

■ Épanouissement : faut-il les laisser s’ennuyer ?

La réponse est non ! Il est vrai que depuis quelques années, le discours dominant met en garde les parents contre le trop-plein d’activités qui nuirait, entre autres, au développe-ment de l’imagination et de la créa-tivité. Cependant, signale G. Faure, aujourd’hui, « l’absence d’activités ne rend pas l’enfant miraculeusement créatif mais miraculeusement télé-phage ». Dans une enquête améri-caine, 60 % des enfants gros consom-mateurs de télé et de tablettes disent s’ennuyer souvent, contre 48 % chez les utilisateurs modérés.

Par ailleurs, apprendre une langue étrangère ou jouer de la musique est beaucoup plus aisé à 6 ans qu’à

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n• Ne pas parler de ce qu’il est mais de ce qu’il a fait : dire « ce n’est pas gentil

de taper ta sœur » plutôt que « tu n’es pas gentille ».• Réfléchir à la manière de l’exprimer : va-t-on se défouler en vidant son sac

ou aider l’enfant à rebondir ?• Retenir moqueries et sarcasmes : en rappelant, par exemple, les échecs

ou les bêtises devant d’autres personnes : « Tu veux que je te rappelle ce qui t’est arrivé la dernière fois ? » Chacun a un souvenir cuisant de vexations dans son enfance. Il vaut mieux lui laisser faire bonne figure et le critiquer en privé.

• Remettre le cap sur l’avenir : « Tu t’en souviendras pour la prochaine fois… » aide à se fixer de nouveaux objectifs.

• Rester un soutien inconditionnel : condition essentielle pour que l’enfant se fasse confiance. l f.y.

Cinq règles pour critiquer son enfantsans le blesser

Ces pages ont été réalisées à partir de l’ouvrage de Guillemette FaureLe Meilleur pour mon enfant. La méthode des parents qui ne lisent pas les livres d’éducation, Les Arènes, 2015.

20 ans. Les activités sont l’occasion de développer de nouvelles compétences en dehors du cadre scolaire et de se sociabiliser. Selon les enquêtes, les enfants qui pratiquent des activités extrascolaires ont de meilleurs résul-tats en classe. Le nombre de jeunes qui ne participent à rien est bien plus préoccupant, notent les auteurs.

Bien entendu, il faut éviter la sur-

charge. Certes, il existe des enfants inscrits au cours violon, à l’atelier d’anglais, à la danse ou au tennis et qui partent en colonie de vacances « escrime et astronomie »… Mais dans la majorité des cas, cette image est caricaturale. l

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