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Mars 2005, vol. 5, n° 1 Droit, déontologie et soin 91 S YNTHÈSE L’évolution de l’obligation d’information, vers une remise en cause de la nature de la relation médecin-patient Virginie ABELLARD DESS, droit et évaluation des structures sanitaires et sociales, Université Lyon III. Résumé L’objet de cette étude est d’analyser la remise en cause de la nature de la relation médecin-patient engendrée par l’évolution de l’obligation d’information. Il s’agit de délimiter les contours de l’information à délivrer au patient à partir de points de repères juridiques, afin de comprendre en quoi peut être atteint le colloque singulier. L’évolution du droit de la responsabilité du médecin, de manière générale, et de l’obligation d’information, en particulier, provoquée par les différentes évolutions jurisprudentielles et légales a modifié de façon significative la nature de la relation médicale. En vingt ans, le médecin est passé d’un statut de héros, gardien de l’immortalité, à celui d’assassin potentiel contre qui il devient néces- saire de se protéger. La parole est peu à peu donnée aux malades qui deviennent à leur tour acteurs de leur santé. Les victimes refusent de plus en plus de mettre leur pré- judice sur le compte de la fatalité et veulent désormais trouver un responsable à leur malheur. Les patients tendent à exiger de toute intervention thérapeuti- que des résultats positifs et, en cas d’échec, ils soupçonnent systématiquement la faute du praticien au lieu d’accepter les aléas inhérents à la science médicale. Lorsque aucune faute ne peut être établie, ils se fondent alors, en ultime recours, sur le défaut d’information ou l’absence de recherche préalable du consente- ment pour demander au juge de faire valoir l’engagement de la responsabilité du praticien.

L’évolution de l’obligation d’information, vers une remise en cause de la nature de la relation médecin-patient

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L’évolution de l’obligation d’information, vers une remise en cause de la nature de la relation médecin-patientVirginie ABELLARD

DESS, droit et évaluation des structures sanitaires et sociales, Université Lyon III.

Résumé

L’objet de cette étude est d’analyser la remise en cause de la nature de larelation médecin-patient engendrée par l’évolution de l’obligationd’information. Il s’agit de délimiter les contours de l’information à délivrerau patient à partir de points de repères juridiques, afin de comprendre enquoi peut être atteint le colloque singulier.

L’évolution du droit de la responsabilité du médecin, de manière générale,et de l’obligation d’information, en particulier, provoquée par les différentesévolutions jurisprudentielles et légales a modifié de façon significative la naturede la relation médicale. En vingt ans, le médecin est passé d’un statut de héros,gardien de l’immortalité, à celui d’assassin potentiel contre qui il devient néces-saire de se protéger.

La parole est peu à peu donnée aux malades qui deviennent à leur touracteurs de leur santé. Les victimes refusent de plus en plus de mettre leur pré-judice sur le compte de la fatalité et veulent désormais trouver un responsableà leur malheur. Les patients tendent à exiger de toute intervention thérapeuti-que des résultats positifs et, en cas d’échec, ils soupçonnent systématiquementla faute du praticien au lieu d’accepter les aléas inhérents à la science médicale.Lorsque aucune faute ne peut être établie, ils se fondent alors, en ultime recours,sur le défaut d’information ou l’absence de recherche préalable du consente-ment pour demander au juge de faire valoir l’engagement de la responsabilitédu praticien.

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Les professionnels de santé se sentent extrêmement démunis face au déve-loppement de leurs obligations juridiques. Ils sont aujourd’hui confrontés à plu-sieurs problèmes majeurs étroitement imbriqués entre eux, celui de la nature deleur activité, de la manière dont elle est ressentie par le patient et celui de sa res-ponsabilité au sens moral comme au sens juridique du terme. Il est vrai que « nuln’est censé ignorer la loi », mais l’on comprend aisément que les médecins puissentêtre désorientés face aux tourbillons incessants de la jurisprudence, des textes offi-ciels et des médias. Les errements des juges civils témoignent d’ailleurs des impor-tantes difficultés rencontrées dans la construction de règles juridiques adaptées.

Avant d’aborder les moyens permettant de concilier l’obligation d’infor-mation avec l’instauration d’une véritable relation de confiance entre médecinet patient (I), il parait important de rappeler les origines de cette obligation etles règles juridiques qui la sous tendent (II).

I – Une relation médecin-patient en pleine mutation, du paternalisme excessif à la coopération

Historiquement, la relation médecin-patient était fondée sur le principe debienfaisance à l’égard de celui qui est en état de faiblesse, par sa maladie et sonignorance. Mais peu à peu, ce modèle paternaliste ne convient plus et devientinsuffisant. Des mouvements émergent dans le but de sauvegarder les droits desindividus. Les malades, de mieux en mieux informés, se sont progressivementréapproprié leur corps et leurs maladies, au point d’acquérir une place et unrôle véritable au sein du système sanitaire. Désormais, la connaissance doit êtrepartagée par les deux acteurs – le médecin et le malade – pour aboutir à l’éta-blissement d’une véritable relation de confiance.

A – Le malade passif et obéissant d’hier

Les obligations d’informer et, par voie de conséquence, de recueillir leconsentement du patient sont en réalité très anciennes. On les retrouve en effetdans la Genèse, dans le Talmud1 ou encore dans le code d’Hammourabi2.

Ces notions, bien que présentes dans certains textes, n’étaient pourtant pasintégrées dans la « civilisation occidentale ». Les médecins étaient considéréscomme les exécuteurs de la volonté divine dont les manifestations ne pouvaientconnaître une quelconque contestation. Les médecins n’hésitaient donc pas àimposer aux malades, parfois sans explication, ce qu’ils jugeaient être bon poureux et cette attitude était socialement acceptée. Ce paternalisme protecteur et

1. B. HOERNI, M. BÉNÉZECH, L’information en médecine : évolution sociale, juridique, éthique, 2e éd.Masson 1994.2. Me REGNOUX, L’évolution jurisprudentielle du droit à l’information médicale des patients, Revue deMédecine Vertébrale n° 3, septembre 2001, p 28- 31.

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bienveillant de celui qui sait et qui est censé maîtriser les techniques scientifiquesface au profane affaibli et vulnérable, en raison de sa maladie et/ou de son igno-rance, a dominé la relation médicale durant toute cette époque. Cependant, ceprincipe de bienfaisance a conduit inévitablement à infantiliser et à vider de sensla relation thérapeutique. Il y avait une obligation morale de se substituer aupatient pour faire son bien et le paternalisme bienfaisant pouvait aller jusqu’àla rétention d’information pour protéger le patient3.

La relation médecin-patient semblait apparemment immuable mais lesmentalités ont changé et évolué au gré des progrès scientifiques. Peu à peu, lemodèle paternaliste est devenu insuffisant et la relation médicale s’en est trouvéelittéralement bouleversée. Des auteurs ont commencé à dénoncer la conspirationdu silence autour du malade. Dès la fin du XIXe siècle, la reconnaissance desdroits des patients a gagné peu à peu du terrain dans les mentalités de chacun.Le paternalisme excessif du médecin envers son patient, semblait devoir désor-mais laisser sa place à une nouvelle ère, moins contraignante pour le maladequi devient progressivement acteur du processus thérapeutique.

B – La timide reconnaissance d’un droit à l’information pour les patients

Le XXe siècle s’apparente au siècle du savoir et de la communication, descertitudes et de l’infaillibilité de la médecine. Il est marqué par l’apparition destechnologies les plus avancées grâce auxquelles le médecin devient plus techni-cien qu’humaniste. Cependant, si la médecine est devenue plus efficace elle estaussi plus invasive et plus agressive dans ses techniques chirurgicaux, chimiqueset exploratoires et, par conséquent, plus risquée pour le patient4.

Du fait de cette hyper technicité de la médecine et de la profusion desinformations qui circulent via Internet et les médias, le malade plus instruit,est plus exigeant. Il admet de moins en moins l’échec et l’aléa médical. Il souffreparallèlement d’un manque d’écoute et d’information. Il souhaiterait un accèsplus partagé au savoir médical et à la décision médicale qui le concerne. Lepoids des associations de consommateurs et la demande croissante d’informa-tion du public deviennent de plus en plus importants et un courant de dénon-ciation du pouvoir médical s’affirme, dès les années 1970, dans l’opinionpublique. En réalité, une sorte de malaise et d’incompréhension est en train des’installer dans le couple médecin – patient. On assiste peu à peu à une désa-cralisation de l’image du médecin qui semble, pour l’opinion publique, n’êtreplus qu’un simple prestataire de service.

3. M. CHARAVEL, La relation médecin-patient vers la décision partagée, un nouveau champ d’investigationen psychologie de la santé, Bulletin de psychologie, tome 56 (1), 463, janvier-février 2003, p. 80.4. V. en ce sens, S. RAMEIX, Du paternalisme des soignants à l’autonomie des patients ?, Collection Études,Recherches, Actions en Santé Mentale en Europe, Erès 2000.

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Peu à peu, les notions d’information du patient, de protection de l’individu,d’indemnisation des victimes et de sanction du coupable s’installent dans le pay-sage juridique. C’est, en fait, le siècle des responsabilités puisque, fort de leursdroits, les patients n’hésitent désormais plus à engager la responsabilité de leursmédecins.

C – Le consomm’acteur de soins aujourd’hui

C’est seulement dans la seconde moitié du XXe siècle que le modèle « auto-nomiste » va peu à peu s’imposer dans le droit. L’évolution qui se dessine peutêtre décrite comme le passage d’une époque de paternalisme éclairé, où lemédecin décidait plus ou moins unilatéralement de ce que devait être le bien dupatient en lui imposant une thérapeutique, à une époque plus contractuelle5, oùle médecin tient compte des opinions de son patient et négocie avec lui lesmodalités de son intervention. Partout dans le monde paraissent des codes dedéontologie, des chartes professionnelles et des comités d’éthique.

Face à cette dispersion des textes et à l’augmentation des actions en jus-tice du fait des manquements des médecins à leur obligation d’information,les magistrats sont peu à peu amenés à procéder à l’élaboration d’uneconstruction prétorienne cohérente qui s’efforce d’assurer la conciliation duprincipe majeur du respect de la personne humaine, de l’intérêt du patient etde l’impérieuse nécessité pour les médecins de pouvoir « soigner leurs patientsen conscience et en science6 ». Les tribunaux tentent d’établir un rééquilibragede la relation médecin – patient en instituant de nouvelles obligations pourles médecins.

L’information va s’imposer comme un leitmotiv tout au long du XXe siècle,et en pratique, ce droit à l’information du patient va se transformer au fil dutemps, en un devoir d’information pour le praticien. On assiste, à la fin duXXe siècle, à une inflation des textes protecteurs des droits de la personne maladese référant au principe du respect de l’autonomie du patient. Citons en parti-culier : Le décret relatif aux règles de fonctionnement des centres hospitaliers etdes hôpitaux locaux7, la loi Hurriet8, l’article L. 710-2 du code de la santé publi-que, la loi de bioéthique9, le code de déontologie médicale10 de 1995, la charte

5. Arrêt MERCIER 1936. Cass. 1e Civ. 20 mai 1936, Gaz. Pal. 1936, 2, p. 41, note A. BESSON.6. Cass. 1re civ. 20 mai 1936 : DP 1936, 1, p. 88, concl. Matter, rapp. Josserand, note E.P ; S. 1937, 1,p. 321, note A. BESSON ; Gaz. Pal. 1936, 2, p. 41, note A. BESSON.7. Décret n° 74-27 du 14 janvier 1974, relatif aux règles de fonctionnement des centres hospitaliers et deshôpitaux locaux.8. Loi n° 88-1138 du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes qui se prètent à des recher-ches biomédicales. Journal Officiel de la République Française 22/12/88. Modifiée : loi n° 94-630 du25 juillet 1994.9. Loi de bioéthique n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain. Journal Officiel dela République Française, 30/07/94 p. 11056-11059.10. Code de déontologie médicale : Décret n° 95-1000, Journal Officiel de la République française 06/09/95.

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du patient hospitalisé11… Mais l’examen dans le détail de ces textes juridiquesne permet pas de conclure à l’existence d’un corpus homogène et d’applicationpratique généralisée. En effet, la disparité et l’éparpillement des textes sont lescauses de leur ignorance par les professionnels.

En ce début de millénaire, la santé n’est plus une donnée insaisissable aban-donnée à la divine providence. Le patient entend jouer un rôle essentiel dans laprise de décision qui affecte sa santé et renonce désormais à toute idée de pater-nalisme médical. Il est placé, aujourd’hui, au cœur du processus décisionnel etrevendique un ensemble de droits. Le professionnel de santé est, quant à lui,tenu d’exercer une activité soumise à des contraintes scientifiques et juridiquessans cesse croissantes. Le non respect de ces obligations est source de nombreu-ses responsabilités que le praticien appréhende souvent mal.

Conscient de la nécessité de concilier ces intérêts divergents, le législateura voté, le 4 mars 2002, une loi cardinale qui entend parvenir à assurer un justeéquilibre entre les droits des malades et la liberté thérapeutique indispensableaux soignants. Bien qu’elle ne vienne, en grande partie, que confirmer une juris-prudence pré établie, elle apporte incontestablement des réponses positives àl’évolution de la relation médecin-malade avec un grand respect de la volontéde ce dernier. On voit peu à peu des malades devenir pour leur médecin despartenaires précieux, qui comprennent leur maladie. Ils entrent dans un véritabledialogue sur les décisions thérapeutiques, aboutissant à des décisions prises encommun et véritablement partagées.

L’évolution de la société nous a conduit semble-t-il, à abandonner lemodèle paternaliste afin d’adopter le modèle « autonomiste ». Toutefois, lepaternalisme médical n’a pas pour autant disparu totalement de notre paysage.Il existe, en effet, un certain nombre de circonstances où le consentement dupatient et a fortiori sa participation à la décision médicale font difficulté enlaissant place à la relation de bienfaisance paternaliste du médecin. Cela conduitd’ailleurs à se demander si l’évolution actuelle de la société ne conduirait pasplutôt vers une conciliation subtile de ces deux modèles apparemment opposés.

L’interventionnisme de la jurisprudence et des pouvoirs publics ne semblen’avoir fait que transférer le paternalisme au juge et au législateur qui ont, enréalité, mis en place un système protectionniste. Il est vrai que l’autonomie dupatient semble être en soi un élément positif de la relation médicale. Cependant,ce n’est pas tant l’autonomie de l’individu que l’on retrouve dans notre société,même si elle était initialement recherchée, mais plus la protection accrue en vued’une indemnisation quasi systématique. Sous le couvert de l’autonomie, onsemble tomber dans les travers du protectionnisme. On s’aperçoit finalement

11. La Charte du patient hospitalisé, annexée à la circulaire ministérielle n° 95-22 du 6 mai 1995 relativeaux droits des patients hospitalisés.

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que ce que recherche l’individu, ce n’est pas tant le libre arbitre, l’autonomiedont il abandonne bien volontiers la responsabilité au professionnel, que la répa-ration et l’indemnisation du non respect de cette autonomie. Notre société estmarquée par la protection et l’assurance obligatoire de toute responsabilité envue d’une réparation et d’une sanction.

Le modèle « autonomiste » poussé à l’extrême conduit donc vers unedérive consumériste, légaliste et judiciaire des soignés et soignants où la relationcontractuelle entre service de santé et consommateur de soins remplace la rela-tion de confiance personnalisée indispensable à la prise de décision partagée.Cette dérive risque aussi de s’accompagner d’une déresponsabilisation des méde-cins qui ne se sentiraient plus soumis qu’aux seules obligations formelles de laloi avec la crainte constante de poursuites éventuelles.

La bonne information se situe alors à mi-chemin entre le paternalisme etl’autonomisme. La confiance aveugle du patient dans la toute puissance bien-faisante du médecin rendrait l’information inutile dans le premier cas. Dans lesecond, la contractualisation de l’acte médical ferait reculer le médecin au rangde technicien sans pour autant permettre au patient de décider en touteconnaissance de cause. En réalité, le principe de bienfaisance et le principe durespect de l’autonomie s’avèrent plus complémentaires que contradictoires, etc’est pourquoi il est nécessaire de parvenir à un certain compromis. La relationsoignant-soigné doit s’établir sur la recherche et l’instauration d’un dialogue vraiet partagé. Et c’est dans cet esprit de coopération et de collaboration confianteentre le médecin et son patient que la qualité des soins prodigués pourravéritablement s’améliorer.

II – La recherche d’une véritable relation de confiance entre médecin et patient

L’évolution de l’obligation d’information et le renversement de la chargede la preuve en 1997, ont contribué à développer l’idée d’une médecine défen-sive. Il est par conséquent, nécessaire et indispensable de trouver des moyensefficaces de restaurer de manière durable la relation de confiance qui unit lecouple praticiens-patients.

A – L’émergence d’une médecine défensive

1 – Analyse générale du contentieux de l’information : une dérive judiciaire

Pendant de nombreuses années, la question de la délivrance de l’informa-tion par le professionnel de santé restait, dans un débat judiciaire, extrêmementsubsidiaire. Mais, c’est sur ce fondement du défaut d’information que furent

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basées les premières condamnations de médecins, lorsque l’acte technique nepouvait être mis en cause.

Les médecins sont en général intimement convaincus que leur profession estmise à mal par la justice ces dernières années. Il est vrai que les affaires médicalesfont régulièrement la une des journaux mais n’a-t-on pas à faire, ici, à de simplesremous médiatiques ? La justice s’acharne t-elle véritablement, comme beaucouppeuvent le prétendre, sur le corps médical afin d’indemniser les victimes de l’aléathérapeutique ? Les médecins sont-ils si souvent condamnés par la justice ?

Seule une étude sérieuse des litiges portés devant la Cour de cassationentre la période du 1er janvier 1990 au 6 juillet 2004, semble pouvoir répondreà ces différentes questions et préoccupations que se pose le corps médical. Lafinalité de cette étude est d’exposer de manière objective l’importance et lanature du contentieux se rapportant au devoir d’information du médecin et demettre en évidence les traits essentiels de l’évolution de l’activité de la premièrechambre civile de la Cour de cassation avant et après le fameux arrêt Hédreul,responsable, selon beaucoup, de l’inflation des contentieux liés à l’obligationd’information.

a – Étude du nombre annuel d’arrêts rendus par la Cour de cassation

Le nombre de litiges concernant le défaut d’information, portés devant laCour de cassation ces sept dernières années a augmenté de manière très nettedepuis 1997, alors que la tendance observée jusqu’alors (1990-1996) était enfaveur de la stabilité. Il est intéressant d’identifier et de comprendre les raisonsqui peuvent être à l’origine d’une telle croissance du contentieux de l’information.

La constante progression du nombre d’arrêts de la Cour de cassation datede 1997. On peut donc supposer que le renversement de la charge de la preuveopéré en 1997 dans l’affaire Hedreul, ainsi que l’exigence d’information sur lesrisques graves même exceptionnels, en 1998, soient à l’origine de cette évolution.La jurisprudence judiciaire avait d’ailleurs été extrêmement critiquée depuis

Nombre annuel d'arrêts rendus par la Cour

de cassation sur l'obligation d'information

0

5

90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 00 01 02 03 (années)

10

15

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1997, parce qu’elle avait développé de manière excessive le rôle de l’obligationd’information en matière de responsabilité médicale12.

Il est en effet, plus simple, à partir de 1998, d’engager la responsabilité deson praticien puisque la preuve du défaut d’information n’incombe plus aupatient et que le champ du devoir d’information devient de plus en plus étendupour le médecin, qui doit, dès lors, informer de tous les risques graves afférentsaux investigations, y compris ceux qui ne se réalisent qu’exceptionnellement.

b – Identification des auteurs des pourvois devant la Cour de cassation

Cette étude met en évidence la véritable prépondérance des recours forméspar les patients et/ou leurs ayants droit devant le juge de la Cour de cassation.Ce constat, fort intéressant, permet d’en déduire que dans la plus grande majo-rité des cas (77 %), les patients n’obtiennent pas satisfaction auprès des jugesd’appel puisqu’ils décident de former un pourvoi en cassation.

c – Identification des bénéficiaires des arrêts rendus par la Cour de cassation

Cette troisième étude est relativement rassurante pour le corps médical,puisque, dans 69 % des cas, la Cour de cassation statue en faveur des médecins.

12. Sur ces critiques voir : M. LAMARCHE, Heurs et malheurs de l’obligation d’information en matière médi-cale RRJ 1998, p. 1223 à 1241.

Auteurs des pourvois devant la Cour de cassation

de janvier 1990 à juillet 2004

CPAM(1%)

Patients et/ou ayants droits (77%)

Médecins et/ou Assureurs (22%)

Bénéficiaires des arrêts de la Cour de

cassation, de janvier 1990 à juillet 2004Médecins et/ou Assureurs

(69%)

CPAM(1%)

Patients et/ou ayants droits (30%)

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Dans seulement 30 %, elle retient la responsabilité du médecin et ouvre droit àl’action en réparation du dommage moral subi par les patients.

d – Pourcentage des arrêts rendus par la Cour de cassation en faveur des médecins

Ce graphique met encore en évidence l’incidence de l’arrêt Hedreul surl’engagement de la responsabilité des médecins par les juges de la Cour de cas-sation.

Compte tenu du faible nombre d’arrêts recensés entre 1996 et 1998 pourétablir les pourcentages, il est statistiquement plus pertinent de comparer deuxpériodes.

À la lecture du tableau ci-dessus, nous pouvons observer que sur lapériode de 1997 à 2000 les arrêts rendus par la Cour de cassation demeuraientplutôt défavorables aux praticiens (50 % des arrêts étaient rendus en faveurdes médecins).

Par ailleurs nous constatons une nette amélioration de la situation à partirde 2001, puisque dans plus de 80 % des cas, les médecins sont bénéficiaires despourvois.

Pourcentage des arrêts de la Cour de cassation rendus en faveur des médecins

0%

90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 00 01 02 03(années)

04

50%

100%

150%

1997-2000 2001-2003

Nombre total d’arrêts 26 31

Nombre d’arrêts rendus en faveur des médecins 13 25

Pourcentage d’arrêts rendus en faveur des médecins 50 % 81 %

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e – Identification du type de contentieux porté devant Cour de cassation

Cette dernière étude met en évidence la prépondérance des litiges relatifsaux risques d’un traitement ou d’une intervention médicale (90 %). Ce résul-tat semble tout à fait logique, puisque la majeure partie des dommages liésà l’activité médicale résulte de la survenance de risques. Dès lors, on com-prend mieux pourquoi la jurisprudence a, durant des années, porté toute sonattention sur la déterminations du champ de l’information sur les risquesmédicaux.

La conclusion essentielle à retenir pour les médecins praticiens est qu’uneinformation de qualité sur les risques encourus par le patient permet d’éviter90 % des contentieux portés devant la Cour de cassation.

2 – La réparation du défaut d’information

En pratique, le défaut d’information est la cause de nombreuses procédurescontentieuses engagées contre le corps médical, mais ne débouchant pourtantpas sur une indemnisation systématique du patient victime du risque qui s’estréalisé. Il est, en effet, primordial de rappeler le caractère relativement limité dela réparation des préjudices causés par le défaut d’information. Un point souventignoré par de nombreux professionnels.

L’indemnisation du préjudice suppose une évaluation préalable du dom-mage subi par le patient. Toutefois, il est difficile d’évaluer un préjudice né dudéfaut d’information car ce n’est pas ce défaut qui a entraîné la réalisation durisque. Ce risque est, en effet, inhérent à tout acte médical. En principe, les jugesconsidèreront que le défaut d’information n’a fait perdre au patient qu’unechance d’éviter le risque auquel il a été soumis. En refusant l’intervention ou les

Type de contentieux porté davant la Cour de

cassation, de janvier 1990 à juillet 2004

Risques (90 %)

Information sur les autres choix thérapeutiques (3 %)

Information antécédents (2 %)

Information sur les précautions à prendr (2%)

Information entre praticiens (1 %)

Silence thérapeutique (2 %)

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soins litigieux, il aurait pu échapper au dommage qui en est résulté13. Ainsi, lepréjudice né du défaut d’information consiste simplement dans la perte dechance d’échapper au risque qui s’est réalisé. La perte de chance est appréciéesouverainement par les juges du fond.

Un arrêt de la Cour de cassation du 20 juin 2000 14, a précisé que le patientdoit établir, pour obtenir réparation, que s’il avait été dûment informé, il auraitfait un choix différent. Il résulte de cet arrêt que la responsabilité du médecinne peut être engagée pour défaut d’information lorsque, même informé, lepatient n’aurait manifestement pas refusé l’opération ou les soins.

Ainsi, on peut dégager une distinction en fonction du caractère indispen-sable, inéluctable des actes médicaux15 :

Si l’acte médical était inéluctable, on peut penser que, même si le patientavait été correctement informé, il s’y serait soumis. Dans ce cas, il n’existe aucundommage réparable, sauf le préjudice moral subi par le patient qui découvre aposteriori l’atteinte portée à son libre choix et à son consentement « libre etéclairé », et l’incapacité temporaire de travail non prévue du fait du défautd’information. Il ne faut cependant pas croire que cela dispense, pour autant,le médecin de son obligation d’information16.

Par contre, si l’intervention n’a rien d’inéluctable17, le patient se trouve privé,du fait du défaut d’information, de toute possibilité de choix, et c’est alors l’entierdommage qu’il faudra réparer, en raison de cette privation totale de tout choix.

La théorie de la perte de chance peut être sujette à de sévères critiques. Eneffet, cette théorie était parfois utilisée par les juges dans le but d’indemniser lesvictimes de l’aléa thérapeutique18 puisque, avant la loi du 4 mars 2002, rienn’était prévu pour indemniser les victimes d’un tel aléa. Ce procédé semble toutà fait contestable puisqu’il imposait aux médecins ou aux établissements de soinsde supporter indirectement le poids de l’indemnisation de l’aléa thérapeutique.La loi du 4 mars 2002 semblerait venir apporter une réponse à ce problème eninstaurant désormais, pour les victimes de l’aléa, un fonds général d’indemnisa-tion, au titre de la solidarité nationale. Cependant, ce système montre malheu-reusement déjà ses faiblesses. En effet, les conditions d’accès à une indemnisationdu préjudice issu de l’aléa restent très limitées. Les patients qui peuvent préten-

13. V. en ce sens, S. PORCHY. Lien causal, préjudices réparables et non respect de la volonté du patient,D. 1998, chron. p. 379.14. Cass. Civ. 1re, 20 juin 2000, D. 2000, p. 198, JCP éd. G 2000, IV 2385.15. V. en ce sens, J. PENNEAU, Les fautes médicales, RCA juillet-Août 1999, p. 12.16. Cass. Civ. 1re 18 juillet 2000, n° pourvoi 99-10886.17. TGI Lyon, 4e ch., 26 juin 2000, n° RG 1998/14942.18. L’aléa thérapeutique peut être défini par D. TABUTEAU comme « la part d’incertitude inhérente à touteintervention chirurgicale ou tout acte médical, même le mieux réalisé, du fait de réactions imprévisiblesdu patient ou de circonstances imparables ne mettant pas en cause la technique ou la compétence dessoignants ». ( L’indemnisation du risque thérapeutique ; Droit social, 3 mars 1992, p. 306)

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dre à une indemnisation du préjudice résultant de l’aléa thérapeutique doiventavoir un taux d’incapacité permanente partielle (IPP) correspondant à 24 %19.Or ce taux d’IPP correspond déjà à une incapacité très importante et très inva-lidante. Seuls 2 à 3 % des patients atteignent un tel taux d’IPP et, donc, lamajeure partie des patients victimes d’aléas en sera exclue.

B – Les moyens d’instituer un colloque singulier durable entre médecin-malade

1 – Les moyens pratiques de délivrer une bonne informationAfin de déterminer les moyens de délivrer une bonne information aux

patients, il est nécessaire de se poser au préalable, différentes questions prati-ques. Il convient en effet, de savoir : « Qui informer », « Sur quoi informer »,« Quand informer », « Comment informer » et enfin « Jusqu’où informer ».

a – Qui informer ?

Toute personne doit être présumée capable a priori de recevoir des infor-mations et de donner un consentement « libre et éclairé » à un acte médicalqu’on lui propose, à moins qu’il ait été établi que cette capacité lui faisait défaut.Si le médecin a l’impression que la personne n’est pas en état de comprendre oude choisir, il lui incombe de prouver que ses capacités lui font défaut.

b – Sur quoi informer ?

– Informer sur les risques « fréquents ou graves normalement prévisibles »

L’information sur les risques est incontournable mais ne doit en aucun casêtre un élément prioritaire20.

La loi du 4 mars 2002 dispose que le professionnel de santé doit infor-mer sur « les risques fréquents ou graves normalement prévisibles ». La loine reprend pas ici, la terminologie des décisions de justice qui avaient retenuune information sur les risques graves, même exceptionnels. À travers l’ambi-guïté de son énoncé, la loi du 4 mars 2002 vient quelque peu perturberl’appréciation classique du critère « risque » inhérent à l’obligation d’infor-mation et soulève bien des polémiques quant à l’interprétation qui doit enêtre faite.

Il semblerait que les juges décideront d’entendre par « risques normalementprévisibles » les risques dont on connaît l’éventuelle survenance même si celle-ci demeure exceptionnelle.

19. Taux fixé par le Décret n° 2003-314, du 4 avril 2003 relatif au caractère de gravité des accidentsmédicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales prévu à l’article L. 1142-1 du CSP, JOdu 5 avril 2003 p. 6114 et suivantes.20. Anaes, Information des patients, recommandations destinées aux médecins, mars 2000.

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Cette précision devra être, bien évidemment, entendue par référence à lanotion du « bon père de famille », c’est-à-dire du professionnel moyen, diligent.

Le médecin ne devra donc informer son patient que des risques conformesaux données acquises de la science. Il ne sera pas tenu d’anticiper sur la décou-verte future de risques nouveaux, ni même de connaître des « risques à ris-ques »21. En revanche, dès que ces risques deviendront notoires, connus par unemajorité des professionnels, le médecin devra les signaler expressément aupatient, sous peine de manquement à son obligation d’information22.

– Informer sur les risques nouvellement identifiés

La seule circonstance que le traitement soit terminé ne signifie pas pour lepraticien une extinction de son obligation d’informer. Le devoir d’informationsubsiste, même si le praticien et le patient ne sont plus dans une démarche desoins. En effet, le médecin a l’obligation, selon l’article L. 1111-2 du code de lasanté publique (issu de la loi du 4 mars 2002), d’informer son patient « posté-rieurement à l’exécution de ses investigations, traitements ou actions de préven-tion, des risques nouveaux identifiés, sauf en cas d’impossibilité de le retrouver ».

– Informer sur les autres alternatives possibles au traitement proposé

L’article L. 1111-2 du Code de la santé publique, résultant des dispositions dela loi du 4 mars 2002, impose désormais que le patient soit informé « sur les autressolutions possibles » afin de lui permettre de faire un choix éclairé parmi celles-ci.

En général, les magistrats apprécient en fonction des risques inhérents àchaque solution. Si la solution proposée comportait un risque moindre que lessolutions occultées, les magistrats en déduisent que le patient aurait fait ce choixet qu’en conséquence, il ne peut invoquer un préjudice en raison du défautd’information23. Il s’agit donc d’une estimation de probabilité qui reste à la libreappréciation des magistrats.

– Informer sur les conséquences prévisibles en cas de refus de soins

Le médecin à l’obligation d’informer son patient sur sa situation médicaleet sur les risques qu’il encourt en cas de refus de soins. Il incombe au praticiende convaincre l’intéressé de l’utilité et de l’intérêt de l’action proposée en multi-pliant les entretiens et en privilégiant le dialogue. Toutefois, si le malade persistedans son refus de soins, le professionnel doit, en vertu de l’article L. 1111-4 duCode de la santé publique, se conformer à sa décision et respecter son choixpuisque aucun acte médical, ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le

21. Cass. Civ. 1re, 6 juin 2000 : JCP G 2000, II, 10447, note G. MEMETEAU.22. V. en ce sens, C. RADE, La réforme de la responsabilité médicale après la loi du 4 mars 2002 relativeaux droits des malades et à la qualité du système de santé. RCA, mai 2002, p. 4-12.23. CA Agen 24 octobre 2001, n° 825.

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consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiréà tout moment24. Les médecins doivent tenter de convaincre leur patient d’opterpour la méthode la moins dangereuse, la moins aléatoire, ils doivent le convaincrede se soigner mais ils ne sont pas assujettis à une obligation de résultat.

Si une telle circonstance doit un jour se présenter, le médecin peut fairesigner un certificat de refus de soins au patient afin d’éviter toute contestationultérieure. La Cour de cassation précise à cet égard que « le médecin en ce caspeut, à la condition d’assurer la continuité des soins, cesser de soigner le malade.Il peut, pour couvrir sa responsabilité, faire constater par écrit l’attitude dupatient »25 et que « le délit de non assistance à personne en péril ne saurait êtreretenu à l’encontre d’un médecin, dès lors qu’il est constaté que la thérapeutiqueadéquate ordonnée par lui n’a pas été appliquée en raison du refus obstiné etmême agressif du malade de se soumettre aux soins prescrits, le malade ayantd’ailleurs signé un certificat constatant ce refus ».

c – Quand informer ?

La loi du 4 mars 2002 précise que l’information médicale doit être délivréeau cours d’un « entretien individuel » par tout professionnel de santé dans lecadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui luisont applicables. L’Anaes insiste, elle aussi, sur la primauté de l’informationorale dans la relation établie entre le médecin et le patient. La forme orale permetdonc de personnaliser l’information et d’établir un échange irremplaçable pourinstaurer la relation de confiance.

d – Comment informer ?

– Une information claire et compréhensive

L’émergence d’un malade plus instruit à conduit à ce que le patient attendede son praticien qu’il le conseille et l’informe de manière très précise. L’article 35du code de déontologie médicale précise que le médecin « tient compte de lapersonnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension ».La clarté implique la recherche d’une simplification du propos par l’utilisationd’un vocabulaire dépourvu de termes trop complexes. Le médecin doit égale-ment effectuer au cours de l’entretien, une vérification de la compréhension del’information afin d’éviter de gros malentendus par la suite.

– Une information loyale

La loyauté suppose que le médecin informe dans l’intérêt exclusif de sonpatient. Aussi, il ne doit pas lui délivrer une information volontairement orientée

24. Cass. Civ. crim, 3 janv. 1973, D. 1974.591, note LEVASSEUR : « Le refus du patient ne peut être trans-gressé (…) et en respectant ce refus le médecin ne commet aucune infraction ».25. Cass. Civ 1re 7 novembre 1961.

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et dont la finalité est l’obtention du consentement. Le terme loyal signifie que lemédecin est tenu de dire la vérité dans l’état actuel des données de la sciencemédicale et qu’il ne doit conseiller un traitement approprié que dans la mesureoù il n’y a pas de risques excessifs. Il doit constater des chances de succès valables,sans une disproportion excessive entre les risques courus et le résultat possible.

L’information mensongère, qui va jusqu’à conseiller des interventions inu-tiles ou même contre-indiquées constitue un manque certain de loyauté26. Parexemple, les juges considèreront que le médecin a adopté un comportementdéloyal, s’il tente de convaincre un patient de subir une intervention sans quecelle-ci soit indispensable et dans l’objectif de pallier un taux insuffisant de rem-plissage de l’établissement de santé.

– Une information adaptée

Le médecin ne peut pas se contenter de délivrer à son patient l’informationqu’il détient. La diffusion des données doit être accompagnée d’un véritable tra-vail d’adaptation. L’information due au patient revêt, aujourd’hui, un caractèreentier et tend à se rapprocher d’une information la plus complète possible, touten restant appropriée à l’état de la personne. Il appartient donc au médecin dedéterminer les facultés de compréhension de son patient en tenant compte dedifférents facteurs (son âge, son activité professionnelle, son niveau social, sonétat de santé physique ou mental, sa culture…).

– Une information partagée et cohérente au sein de l’équipe médicale

• La charge de l’information dans le cas d’une pluralité de médecins

Il est fréquent que plusieurs médecins participent à la même démarche dia-gnostique ou thérapeutique. Il est alors indispensable que l’information délivréepar chaque intervenant soit homogène et non contradictoire pour le patient27.Le médecin qui prescrit un acte médical ou chirurgical n’est pas nécessairementle seul responsable du défaut d’information28. En effet selon l’article 64 du Codede déontologie médicale29, l’ensemble des praticiens qui participent à la prise encharge du patient sont tous les garants d’une communication satisfaisante del’information au patient mais aussi entre eux. L’arrêt du 14 octobre 199730, réaf-firme clairement et expressément le principe selon lequel l’obligation d’informa-tion pèse sur tous les médecins participant aux soins.

26. F.J PANSIER, Le consentement à l’Hôpital Gaz. Pal 1999, p. 11.27. P. SARGOS, Responsabilité médicale en matière d’exercice médical pluridisciplinaire. Médecine et Droit,1996, n° 17, p. 17.28. Voir en ce sens Cass. 1re. Civ., 29 mai 1984, Bull. civ., n° 177 & 178.29. Article 64 du code de déontologie médicale : « Lorsque plusieurs médecins collaborent à l’examen ouau traitement d’un malade, ils doivent se tenir mutuellement informés ; chacun des praticiens assume sesresponsabilités personnelles et veille à l’information du malade ».30. Cass. civ. 1re , 14 oct. 1997, JCP Ed.G, 1997, II 22942, rapp. SARGOS.

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Il en résulte, nécessairement, que les médecins praticiens (généralistes ouspécialistes) prescripteurs de tels actes devront se ménager la preuve de l’infor-mation procurée au patient sur les risques de l’acte, au même titre que le médecinqui réalise l’acte31. Aujourd’hui, les juges semblent ne plus vouloir cantonner lesspécialistes dans le cadre étroit de leur spécialité. Ils les obligent de plus en plusà améliorer une information qui chevauche une autre spécialité. Ainsi, il n’estplus rare de constater qu’à l’occasion d’une intervention réalisée sous anesthésie,le juge impute solidairement au chirurgien et à l’anesthésiste un défaut d’infor-mation sur la nature et les dangers de l’anesthésie pratiquée.

• La place du personnel paramédical au sein du processus informatif

Le personnel paramédical occupe également un rôle important au sein duprocessus informatif. Il est un relais indispensable et précieux entre le médecinet le patient. Le personnel paramédical peut contrôler la qualité de la compré-hension des informations reçues par le patient et doit alerter le médecin lorsqu’ilconstate une insuffisance. Toutefois, le personnel infirmier n’est en aucun casassujetti à une obligation comparable à celle du médecin. Cela semble tout àfait normal, puisque l’information à caractère médical présente une technicitéparticulière et sa diffusion ne doit pouvoir être réalisée que par le personneldisposant des compétences requises32.

e – Les modes de preuve de l’information

Les modes de preuve accordés au médecin pour justifier d’une exécutionsatisfaisante de son obligation d’information sont précisés à l’article L. 1111-2du code de la santé publique qui dispose que « en cas de litige, il appartient auprofessionnel ou à l’établissement de santé d’apporter la preuve que l’informa-tion a été délivrée à l’intéressé […]. Cette preuve peut être rapportée par toutmoyen ». La loi ne précise pas les modalités de délivrance de l’information. Ilsemblerait donc, qu’à la lumière de ce texte, tous les moyens traditionnellementadmis par notre droit soient recevables en cas de contestation33. On peut ainsidénombrer à titre non exhaustif : l’écrit, les lettres adressées au médecin traitant,le contenu du dossier médical, les présomptions, les témoignages, le délai deréflexion, la durée et le nombre de consultations…

– L’écrit

Le revirement de jurisprudence du 25 février 1997, sur la charge de lapreuve ne cesse d’inquiéter le corps médical. Les professionnels de santé ont

31. Cf. J. PENNEAU, Les fautes médicales. RCA, juillet Août 1999, p. 11.32. O. DUPUY, L’information médicale, information du patient et information sur le patient ; coll. Toutsavoir sur, Les études hospitalières, 2002, p. 36.33. V. en ce sens : P. SARGOS, Obligation de moyens et obligation de résultat du médecin. Bilan de lajurisprudence récente de la Cour de cassation. Méd. et Droit 1997 ; 24 : 2-50

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l’impression de se trouver face à une obligation nouvelle sans pouvoir en dis-cerner clairement les modalités pratiques.

Il est alors important de rassurer les professionnels en leur rappelant queles arrêts de la Cour de cassation qui ont suivi cette importante décision se sontfondés sur de simples présomptions pour décider si l’information avait été ounon délivrée au patient. La Cour de cassation, confirmée récemment par l’articleL. 1111-2 du Code de la santé publique34, permet aux praticiens de fournir tousles éléments de preuve permettant de corroborer l’idée de la délivrance d’uneinformation satisfaisante.

L’écrit reste toujours possible, mais il n’y a aucune obligation légale ouréglementaire à faire signer un tel document (sauf cas précis : études géné-tiques, recherche biomédicale, assistance à la procréation, IVG, prélèvementd’organes sur un donneur vivant, intervention chirurgicale sur un mineur).Il ne faut pas croire que l’écrit, en matière médicale, est toujours suffisantpour exonérer le médecin ou l’établissement de santé de sa responsabilité. Ilest en effet, primordial de rappeler qu’un document informatif standardiséne peut être, par nature, qu’imparfait. De deux choses l’une : soit cedocument est bref donc trop schématique et forcément incomplet, soit il estcomplet et dans ce cas il ne sera ni compris ni lu par le patient du fait de salongueur et de sa complexité. Ce document écrit ne constitue qu’uncommencement de preuve quant à la délivrance de l’information médicale.Il n’aurait qu’une fonction informative et non, selon l’Anaes, vocation à rece-voir la signature du patient35. L’écrit sur lequel figure la signature attestantde la bonne délivrance de l’information au patient, ne constitue jamais unedécharge de responsabilité et le médecin ne peut pas empêcher son patientd’exercer un recours contentieux. En effet, l’accès a un tribunal reste undroit essentiel de l’individu, consacré par des textes fondamentaux tels quel’article 6-1 de la Convention Européenne de sauvegarde des droits del’homme et des libertés fondamentales (CEDH).

L’écrit ne peut donc être considéré par les professionnels comme étant lameilleure solution possible. « Il ne s’agit que d’un vecteur d’amélioration de laqualité de l’information de ses patients […] Il stigmatise au contraire, les défi-ciences réelles de la communication des professionnels de santé avec leurspatients.36 »

L’écrit est donc à utiliser avec modération !

34. Article L. 1111-2 du CSP : «En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l’établissement desanté d’apporter la preuve que l’information a été délivrée à l’intéressé dans les conditions prévues auprésent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen »35. D. THOUVENIN, Information des patients, recommandations destinées aux médecins. Anaes, mars 2000.36. O. DUPUY, L’information médicale : information du patient et information sur le patient, coll. Toutsavoir sur. Les études Hospitalières, 2002, p. 137.

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– Le contenu du dossier médical

Il s’agit là de l’une des pièces maîtresses de toute procédure judiciaire. Ilpermet de reconstituer la chronologie des soins, d’identifier les divers interve-nants, les délais d’intervention.

Il est une véritable référence permettant à la justice de fonder ou derejeter l’action en responsabilité. C’est d’ailleurs pour cette raison, qu’il estindispensable de noter dans les dossiers médicaux les principaux éléments desconsultations, y compris le fait d’avoir informé le patient et peu importe quece soit par écrit ou par oral. Le dossier doit également contenir tous les cour-riers échangés avec les confrères, les dates et parfois même les heures desévénements.

Toutefois, on peut penser que les éléments du dossier et les annotationsdu médecin pourront facilement donner lieu à contestation, dans la mesure oùon pourra toujours croire qu’il est facile a posteriori de modifier ou de constituerun élément d’un dossier37.

– Les témoignages et les présomptions

Les témoignages et les présomptions constituent les modes de preuve lesplus accessibles.

Le témoignage réclame la présence d’une tierce personne, ce qui n’est passouvent possible. La Cour prend en compte les témoignages des auxiliaires médi-caux ou ceux d’autres médecins. Toutefois, ces solutions de preuve, si elles sonten principe recevables devant les juges, risquent d’être inopérantes. En effet,« quelle valeur probante faut-il accorder aux témoignages des auxiliaires médi-caux ou des autres médecins, affaiblis par la suspicion légitime de grandecompréhension à l’égard du confrère poursuivi ? »38. La fragilité d’un témoi-gnage humain est donc bien connue, surtout s’il existe des risques que sa fiabilitésoit contestée en cas de litige.

Les présomptions définies comme « un ensemble de faits, circonstances ouéléments graves, précis et concordants » par l’article 1353 du code civil, sontdes éléments importants pour confirmer la délivrance de l’information. Ce modede preuve ne doit pas être sous estimé, car les indices sont nombreux. Un arrêtde la Cour de cassation a pris, par exemple, en compte l’inquiétude manifestéeà son entourage par un malade au sujet d’une intervention programmée, pourjuger qu’une information significative à bien été transmise39.

37. V. en ce sens, J. PENNEAU, Le consentement face au droit de la responsabilité médicale, Gaz. Pal 1999,p. 7.38. J. COELHO, L’obligation médicale d’information et son nouveau statut législatif, Gestion Hospitalière,avril 2003, p. 312.39. B. PECOUD Information du malade : les devoirs et les libertés du médecin. Le quotidien du médecinn° 6424 ; janv. 1999, p. 23.

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Des éléments de présomptions pourront aussi être tirés des mentionsdans les dossiers médicaux, fiches, comptes rendus, lettres à des confrères,etc.40.

– Le nombre de consultations et le délai de réflexion

La preuve de la délivrance d’une bonne information peut être rapportéesimplement par le fait que le patient a vu son praticien plusieurs fois avantl’opération. Cela montre en effet, qu’il n’est pas venu par hasard, qu’il adiscuté avec son médecin et donc qu’il a eu le temps de réfléchir àl’intervention.

De la même manière, on peut considérer qu’un patient qui subit une opé-ration, après être passé par toutes les étapes d’un bilan pré-opératoire (consul-tations avec le chirurgien, le nutritionniste, l’anesthésiste, le cardiologue, puis ànouveau le chirurgien), a certainement pu prendre connaissance des risques qu’ilencourait à se faire opérer.

La preuve peut aussi être constituée par le temps écoulé entre la décisionthérapeutique et l’acte lui même, qui montre que le malade a eu le temps de laréflexion. Les juges attachent beaucoup d’importance au temps de réflexion quia été laissé au patient. La Cour de cassation considère que le devoir d’informa-tion passe par un délai de réflexion et une quelconque décision opératoire nedevrait pas, en dehors de l’urgence, être prise au cours de la premièreconsultation.

f – Jusqu’où informer ?

Le caractère absolu de l’information cède, bien évidemment, dans certainescirconstances.

La loi du 4 mars 2002 précise à cet effet, que « seules l’urgence ou l’impos-sibilité d’informer peuvent dispenser le professionnel de santé de son devoird’information ».

– L’exception de l’urgence ou de l’impossibilité d’informer

L’obligation d’information s’éteint en cas d’urgence et d’impossibilitéd’informer.

La notion d’urgence ne fait pas l’objet d’une définition précise dans lestextes. Il appartient, selon la Cour de cassation, aux juges du fond de se pro-noncer souverainement sur l’existence de circonstances s’apparentant àl’urgence41. « Les tribunaux font preuve d’une réelle compréhension, à condition

40. P. SARGOS, La jurisprudence judiciaire relative à l’information du patient, au consentement et au refusde soins, Gestions Hospitalières, mars 2000, p. 236.41. Cass. Civ 1e, 30 juin 1958, Bull. civ, n° 343.

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qu’il s’agisse bien d’une urgence réelle et non de la conséquence des retards liésà des décisions qui n’ont pas été prises à temps »42. Ces derniers veillent néan-moins à limiter la portée de cette exception.

Ainsi, le chirurgien qui découvre, au cours d’une intervention pratiquéeavec le consentement du malade, une affection non diagnostiquée doit, lorsqu’ille peut, différer son acte afin d’indiquer au patient les conséquences induites parce geste. Cette règle ne s’applique cependant pas lorsque l’intérêt d’un patientcommande une action non différée43 puisque l’ajournement de l’acte pourraitgénérer des risques supplémentaires liés à l’affaiblissement de l’organisme parla pratique de plusieurs anesthésies successives.

– L’exception du refus de savoir

Il est en effet, important de savoir que chacun est libre d’être tenu dansl’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic44 et cette volonté doit être respec-tée par le médecin, sauf lorsque des tiers sont exposés à un risque de transmis-sion (article L. 1111-2 du code de la santé publique).

– L’exception déontologique ?

Avant la loi du 4 mars 2002, il existait encore, une ultime dérogation àl’information du patient : l’« exception déontologique » de l’article 35 alinéa 2du code de déontologie médicale. Le médecin pouvait limiter l’information lors-que celle-ci était de nature à avoir une influence négative sur la réussite desinvestigations ou des soins. La Cour de cassation, par un arrêt du 23 mai 200045 avait clairement repris le Code de déontologie médicale et admis qu’un patientpouvait être tenu dans l’ignorance en cas de diagnostic ou de pronostic grave,dans son intérêt et pour des raisons légitimes.

La loi ne semble pas remettre en cause cette exception d’information46.L’article L. 1111-2 alinéa 2 du CSP dispose en effet, que l’information doit êtredélivrée par le professionnel « dans le respect des règles professionnelles qui luisont applicables ». Or, cette disposition pourrait renvoyer implicitement à l’arti-cle 35 du code de déontologie médicale47 qui autorise la dissimulation à l’initia-tive du professionnel de santé.

42. L’information préalable. Droit déontologie et soin, juin 2002, vol. 2, numéro 2, p. 254.43. Cass. Civ. 1re, 27 oct. 1953, Bull. Civ n° 287.44. Cass. Civ 1re 7 oct. 1998, Bull. n° 291.45. Cass. Civ. 1re 23 mai 2000, D : JCP G 2000, II, 10342, rapp. P. SARGOS, Dalloz 2000, sommairescommentés p. 470.46. Voir Le nouveau droit des malades, P. JOURDAIN, A. LAUDE, J. PENNEAU, S. PORCHY-SIMON, éd. Juris-Classeur, 2002, p. 51à 59.47. Article 35 du code de déontologie médicale : « […] Toutefois, dans l’intérêt du malade et pour desraisons légitimes que le praticien apprécie en conscience, un malade peut être tenu dans l’ignorance d’undiagnostic ou d’un pronostic graves, sauf dans les cas où l’affection dont il est atteint expose les tiers àun risque de contamination. […]. ».

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2 – L’évaluation de la qualité de l’information délivrée aux patients du centre Médico chirurgical de Réadaptation des Massues

Une information de qualité doit venir intégrer l’ensemble des données pré-cédemment énoncées.

L’objet de cette étude sera d’évaluer dans un premier temps, les différentsindicateurs de la qualité de l’information mis en place au CMCR des Massues(Lyon) et de déterminer ensuite différents axes d’amélioration afin de répondreà la demande grandissante de qualité de l’information.

a – L’évaluation de la pertinence des indicateurs : la satisfaction des patients

Soigner consiste à améliorer l’état de santé du patient. Cela ne peut se fairequ’en répondant à ses besoins et attentes, donc en assurant une certaine satis-faction. « Les établissements de santé doivent évaluer le degré de satisfaction deleurs clients en élaborant des outils de mesure de la satisfaction et de la perfor-mance du service rendu »48.

Cette évaluation de la satisfaction des patients revêt une importance fon-damentale puisque la perception que le malade a de ses soins est un élémentdéterminant de sa prise en charge et donc de l’amélioration de son état de santé.La pratique médicale ne peut et ne doit en aucun cas se limiter aux seuls aspectstechniques des soins. Aujourd’hui, la mesure de la satisfaction des patients estune obligation réglementaire pour les établissements de santé. L’article L. 710-1-1 de l’ordonnance n° 96-346 du 24 avril 1996 portant réforme de l’hospita-lisation publique et privée précise que « tout établissement de santé doit procé-der à une évaluation régulière de la satisfaction des patients ». La procédured’accréditation impose cette même exigence.

Cette mesure de la satisfaction des patients permet aux établissementsd’évaluer les opinions des clients afin d’améliorer la qualité, d’obtenir des avissur des points supposés faibles, de communiquer avec les patients en leur mon-trant que l’établissement est attentif à leurs attentes.

Une étude réalisée dans un établissement de santé49 tente d’analyser ledegré de pertinence des indicateurs utilisés par cet établissement, au sujet dela qualité de l’information en fonction du degré de satisfaction de sespatients.

L’enquête a été réalisée pendant une période de 5 mois consécutifs et s’estétendue à la totalité des services de l’hôpital (médecine physique et réadaptation,chirurgie, hospitalisation de jour).

48. C. VILCOT et H. LECLET, Les indicateurs qualité en santé. éd. AFNOR, 2001, p. 109.49. Étude réalisée en 2004 à l’occasion d’un mémoire de Master niveau II à l’université Lyon III (IFROSS).

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Les questionnaires de satisfaction étaient destinés à tous les patients del’établissement.

Le nombre total de questionnaires recueillis dans les différents services aété de 320, selon la répartition suivante :

Afin de comparer les différents services à la moyenne de l’établissement, aété utilisé le test statistique du Khi 2. Ce test permet d’évaluer la significativitéd’un écart à la moyenne (paramétré à 95 % et modifié de manière à ce que toutevaleur supérieure à 0 soit significative).

Les résultats de l’enquête de satisfaction menée dans cet établissement, ontété utilisés pour sensibiliser le personnel de l’hôpital aux attentes des patients,pour mettre en œuvre des actions d’amélioration, mais aussi pour communiquerpositivement le niveau de satisfaction des patients.

De manière générale, le taux de satisfaction concernant la qualité de l’infor-mation délivrée dans l’établissement est excellent puisque 93 % des patients s’esti-ment satisfaits50 (dont 54 % très satisfaits et 39 % relativement satisfaits). Ce tauxne peut être que rassurant même si les médecins le traduisent comme un sentimentde désacralisation de leur statut face à des malades toujours plus exigeants.

50. En considérant que :– les personnes sont très satisfaites lorsqu’elles donnaient une note de 9 à 10,– les personnes sont relativement satisfaites lorsqu’elles donnaient une note de 6 à 8,– les personnes sont mécontentes lorsqu’elles donnaient une note de 0 à 5.

Nature du service Nombre de personnes sondées

(001) Médecine (enfants) 53

(002) Médecine (adulte) 59

(003) Médecine (adulte) 27

(004) Médecine (adulte) 61

(005) Chirurgie 58

(006) Hospitalisation de jour 62

Note Moyenne Hôpital 8,442/10

Khi 2

Note Moyenne Service 001 9 – 5,729

Note Moyenne Service 002 8,085 0 0,563

Note Moyenne Service 003 7,852 0 0,985

Note Moyenne Service 004 8,098 0 0,501

Note Moyenne Service 005 8,724 – 3,942

Note Moyenne Service 006 8,565 – 2,846

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Nous pouvons donc observer que de manière générale les patients de cetétablissement sont satisfaits par la qualité de l’information qui leur est délivrée.Toutefois leur satisfaction est relative puisqu’ils font part, au cours de l’enquête,de plusieurs motifs de mécontentement.

– 20,6 % des patients ne se sentent pas capables d’expliquer à un prochel’évolution prévisible de leur état de santé avec et sans traitement

Il faut préciser que ce taux varie de manière très significative d’un serviceà l’autre. Par exemple, dans le service 005 seulement 10,34 % des patients nesavent pas expliquer à un proche l’évolution prévisible de leur état de santé alorsque dans le service 004 plus de 36 % des patients sondés ne le savent pas. Il estalors intéressant de comprendre pourquoi de telles différences existent entredeux services.

On pourrait supposer que ces importantes variations s’expliquent par lanature même des services. En effet le service 005 est un service de chirurgie alorsque le service 004 est un service de médecine adulte. On est en droit de penserque les chirurgiens, plus souvent inquiétés par les patients, sont plus vigilantsdans la délivrance de l’information.

Un autre point viendrait également confirmer l’idée selon laquelle lespatients de chirurgie se considèrent mieux informés que les autres. Une chirurgieest souvent une alternative après l’échec d’un traitement médical. Les patientsont donc reçu une information complémentaire par plusieurs médecins (méde-cins généralistes, radiologue, chirurgien, anesthésiste…). L’information répétéepar différents intervenants est alors mieux assimilée par le patient ce qui expli-querait en partie ces meilleurs résultats.

Toutefois, pour savoir s’il existe réellement une différence entre cesdeux spécialités médicales, il convient de prendre en compte les résultatscomparés des autres services de médecine (adulte). On constate alors que leservice 002 a un taux d’insatisfaction de 20 % et que le service 003 a untaux d’insatisfaction de 22 %. Ces résultats supérieurs à celui du service dechirurgie mais bien inférieurs à celui du service 004 viennent confirmer par-tiellement l’idée selon laquelle il existe des différences entre ces deux spécia-lités médicales.

On peut alors supposer que les patients devant subir une chirurgie soientplus réceptifs et plus attentifs aux informations qui leurs sont données car unechirurgie reste un acte invasif, empreint de risques pour les patients.

Nous pouvons d’ailleurs constater à la lecture des résultats de l’enquête,que les patients subissant une chirurgie souhaitent, à 91 %, être tenus informésdes risques encourus par leur intervention alors que les patients de médecine(service 004) le souhaitent à 84 %. Nous voyons donc que les patients de

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chirurgie souhaitent davantage être impliqués dans le processus de soins et leprocessus décisionnel que les patients de médecine.

– 19,9 % des patients ne se sentent pas capables d’expliquer à un procheles caractéristiques et risques des traitements proposés

Nous pouvons voir, à la lecture du tableau ci-dessus, que la note moyennecorrespondant à tous les services confondus (7,3/10) est la plus basse des notesmoyennes rencontrées au cours de cette enquête. De plus, les notes moyennespar services sont toutes relativement basses puisque aucune ne dépasse le seuildes 8/10. Ceci témoigne donc d’une difficulté générale pour les équipes soignan-tes à délivrer une information satisfaisante sur les caractéristiques et risques destraitements proposés.

Or, l’information sur les risques encourus est pourtant considérée commeessentielle et primordiale par la très grande majorité des patients, puisqu’à laquestion : « Avez-vous souhaité être informé sur les risques de votre traite-ment ? » 84 % des personnes sondées ont répondues par l’affirmative et seule-ment 16 % par la négative.

Ces résultats restent plutôt préoccupants, surtout lorsque l’on sait que lepourcentage de litiges relatifs au défaut d’information sur les risques d’un trai-tement ou d’une intervention représente 90 % du contentieux général de l’infor-mation. Il est donc primordial que les équipes soignantes accordent une plusgrande attention et une vigilance accrue à la délivrance de l’information sur lesrisques puisqu’elle constitue à elle seule, l’essentiel des recours formés devantles tribunaux pour défaut d’information.

– 16 % des patients trouvent que le temps consacré à la délivrance del’information a été insuffisant

Ce pourcentage d’insatisfaction semble de prime abord peu élevé. Toute-fois, lorsque l’on regarde plus précisément le pourcentage d’insatisfaction parservice on se rend très vite compte que d’importants écarts existent. En effet,plus de 30 % des patients sondés dans les services 003 et 004 considèrent quele personnel soignant ne leur a pas consacré suffisamment de temps pour les

Note Moyenne Hôpital 7,294/10

Khi 2

Note Moyenne Service 001 7,377 – 2,520

Note Moyenne Service 002 7,458 – 3,113

Note Moyenne Service 003 7,037 – 0,674

Note Moyenne Service 004 6,951 0 0,503

Note Moyenne Service 005 7,862 – 5,943

Note Moyenne Service 006 7 00,165

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informer, alors que 89 % des patients sondés dans les services 001, 002, 005 et006 s’estiment satisfaits.

Après avoir réalisé une énumération détaillée des différents motifs demécontentement concernant la délivrance de l’information, il est à présent,important de se demander si les patients sondés ont eu véritablement l’impres-sion de participer au processus décisionnel et donc d’avoir donné leur consen-tement à l’acte thérapeutique de manière libre et éclairée.

Pour ce faire, il convient d’interpréter la question : « Pensez vous que l’infor-mation qui vous a été donnée, sur les avantages et risques de votre traitementvous a permis d’accepter le traitement proposé en toute connaissance de cause ? ».

Les résultats semblent très bons, puisque 87,4 % des patients sondés dansl’établissement estiment avoir participé activement au processus de soins. Cepourcentage est encore une fois, rassurant car il reflète la satisfaction des patientsconcernant la qualité de l’information délivrée au sein de l’établissement. En effet,comme nous avons pu le voir tout au long de cette étude, c’est bien la délivranced’une information de qualité qui permet au patient de bénéficier d’une véritableliberté de choix et notamment d’accepter ou de refuser un traitement.

b – Les axes d’amélioration à envisager

– Favoriser la libre circulation des documents au sein de l’établissement

La diffusion de documents uniques entre les différents services semble êtredifficile du fait de la spécificité de chaque service. Toutefois, il serait très inté-ressant de mettre en libre consultation l’ensemble des documents écrits existantau sein de l’établissement. En effet, ces documents pourraient inspirer certainsservices ou servir de base à l’élaboration de nouveaux documents informatifspour d’autres. Il est important que les différents services puissent partager etéchanger leurs informations. Pour ce faire, il sera utile d’aider les praticiens àélaborer des outils de diffusion de l’information.

– Arrêter la diffusion des documents inutiles

Note Moyenne Hôpital 8,067/10

Khi 2

Note Moyenne Service 001 = 8,415 – 4,307

Note Moyenne Service 002 = 8,136 – 2,441

Note Moyenne Service 003 = 7,704 – 0,143

Note Moyenne Service 004 = 7,689 00,757

Note Moyenne Service 005 = 8,414 – 4,390

Note Moyenne Service 006 = 7,935 – 1,007

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Information simple et compréhensible

Information délivrée sur l'état de santé

Information délivrée sur l'évolution prévisible de l'état de santé

Information sur les soins et examens nécessaires

Information sur les bénéfices attendus du traitement

Information sur les caractéristiques et risques des traitements proposées

Temps consacré à l'information

Informations sur les avantages et risques permettant au patient de donner un consentement éclairéQualité globale de l'information perçue par le patient au cours de son séjour

Service Service Service Service Service Service

001 002 003 005004 006

Excellent (note moyenne ≥ 8)

Moyen (note moyenne 7,5-8)

À améliorer (note moyenne 7-7,5)

Situation critique (note moyenne < 7)

Tableau récapitulatif concernant la perception de la qualité de l’information parles patients au sein de l’établissement.

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Il est nécessaire d’abandonner la diffusion de certains documents inutilesqui pourraient nuire à la relation médecin-patient.

Les documents informatifs n’ont pas vocation à recevoir la signature dupatient51. Le recours systématique du médecin à l’écrit formaliste pour servir depreuve à l’exécution de son obligation d’information peut être tout à fait défa-vorable à l’instauration et au maintien de la relation de confiance entre médecin-patient. La signature d’un tel document peut s’avérer anxiogène pour le patientou sa famille. D’autre part, la pratique médicale ne peut être guidée par le soucid’une éventuelle procédure judiciaire ultérieure, d’autant plus que la signaturede ces documents ne protège pas entièrement le médecin, puisque le consente-ment écrit n’a pas de valeur juridique absolue. Elle risque, au contraire, de figerle consentement du patient qui, en droit, doit être révocable à tout moment.

– Systématiser la traçabilité des informations dans le dossier médical

Il est primordial d’intégrer de manière systématique au dossier médical lesinformations données au patient et à sa famille ainsi que la réflexion bénéfice-risque. Cette traçabilité dans le dossier devrait, de plus, faciliter l’« alliance thé-rapeutique » c’est à dire la communication entre les différents professionnels encharge du patient. En effet, une bonne traçabilité de l’information dans le dossiermédical permet la diffusion d’une information homogène et non contradictoireà tous les niveaux de la prise en charge du patient. L’administration de soins dequalité requiert une parfaite circulation de l’information entre les divers inter-venants et c’est pour cette raison d’ailleurs que l’on parle de secret professionnel« partagé ». Le défaut de partage des informations relatives au patient peut avoirdes conséquences très graves sur le plan de la mise en œuvre des soins ou de laprise en charge du patient.

Un tableau spécifique sur la traçabilité de l’information pourrait être insérédans les dossiers médicaux des patients. Il permettrait une meilleure circulationde l’information et surtout une meilleure traçabilité de cette dernière. Ce tableaudevra être rempli sur un mode chronologique, permettant de rendre compte del’évolution de l’information dont dispose le malade et du niveau de sa compré-hension. Il devra être inséré dans le dossier en fin de prise en charge du patient.Chaque personne de l’équipe médicale et soignante, intervenant auprès du patientmentionnera sur cette fiche, au fur et à mesure, les informations délivrées, datéeset signées. Ce relevé d’informations délivrées doit permettre à chaque personneintervenant auprès du patient de prendre connaissance de ce qui lui a déjà étécommuniqué et de ne pas commettre d’erreurs dans la diffusion de l’information.

Par exemple, si le médecin ne souhaite pas révéler certaines informationsau patient, il devra préciser les raisons qui l’ont poussé à ne pas lui délivrer sondiagnostic complet (peut notamment être utile dans les services de psychiatrie).

51. Anaes, Information des patients, recommandations destinées aux médecins ; mars 2000.

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– Mettre en place des réunions d’harmonisation du dossier

Une réunion pourrait être instituée au sein de l’établissement afin d’har-moniser la rédaction des dossiers médicaux au sujet de la traçabilité de l’infor-mation. L’avis des médecins et des cadres de santé sur l’insertion systématiquedu tableau spécifique à la traçabilité de l’information dans le dossier médicaldu patient paraît être très intéressant.

– Instaurer un délai de réflexion systématique

Il est nécessaire de laisser un délai de réflexion systématique avant touteopération ou traitement comportant des risques. Il est important de ne pas pren-dre un rendez-vous d’opération dès la première consultation et de ne pasaccomplir un acte thérapeutique à risques avant de laisser un délai de réflexionau patient.

Le médecin peut, par exemple, demander au patient, à l’issue de laconsultation, de bien vouloir confirmer sa demande d’opération par courrier oubien par téléphone après avoir pris connaissance des différents documents quilui ont été remis. Le médecin laisse ainsi au patient un temps de réflexion (dontil appréciera la durée en conscience).

– Reprendre l’enquête de satisfaction périodiquement

La périodicité des mesures de la satisfaction des patients dépend des objec-tifs d’utilisation des résultats, du délai de mise en œuvre des actions d’amélio-ration et des impératifs et priorités de l’établissement. La mesure ponctuelle dela satisfaction des patients au sujet de l’information médicale reste très instruc-tive et intéressante pour l’établissement. Toutefois, une évaluation périodiquepar enquête répétitive permettrait de suivre de manière plus exacte et plus fiablela progression des résultats dans le temps. En effet, « les critères de jugementdes individus changent au fil du temps et il est donc recommandé de renouvelerpériodiquement ces études qualitatives »52.

Aussi, il serait nécessaire de renouveler cette enquête afin de déterminerles éventuels changements dans les services et l’évolution de la satisfaction despatients. Il serait également important de diffuser les résultats de l’enquête afinde sensibiliser l’ensemble de l’équipe médicale aux enjeux de l’information dupatient, et de lui permettre de mettre en œuvre des actions corrective en cas derésultats insatisfaisants et surtout de créer des automatismes, des méthodes ausein de sa pratique médicale.

52. C. VILCOT et H. LECLET, Les indicateurs qualité en santé. éd. AFNOR, 2001, p. 114.