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L’EXCLUSION SOCIALE : CONSTRUIRE AVEC CELLES ET CEUX QUI LA VIVENT Vers des pistes d’indicateurs d’exclusion sociale à partir de l’expérience de personnes en situation de pauvreté

L’exclusion sociale : construire avec celles et ceux qui ... · qualifiée de notionvalise, de prénotion, de concept flou » (ROY et SOULET, 2001, p. 3). On reproche notamment

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L’excLusion sociaLe :construire avec ceLLes et ceux qui La vivent

vers des pistes d’indicateurs d’exclusion sociale à partir de l’expérience de personnes en situation de pauvreté

Rédaction et analyse réalisées par : Aline Lechaume avec la collaboration de Dominique Brière

Conception graphique et mise en page : Direction des communications Ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale

Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion Direction générale adjointe de la recherche, de l’évaluation et du suivi de la performance Ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale 425, rue Saint-Amable, 4e étage Québec (Québec) G1R 4Z1

Téléphone : 418 646-0425, poste 67271 Télécopieur : 418 644-1299 Courriel : [email protected]

Le présent document peut être consulté sur le site Internet du Centre d'étude sur la pauvreté et l'exclusion (CEPE) à l’adresse suivante : www.cepe.gouv.qc.ca. La reproduction totale ou partielle de ce document est autorisée à la condition que la source soit mentionnée.

Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2014ISBN 978-2-550-70219-1 (PDF)

© Gouvernement du Québec

TABLEDES MATIÈRES

IntroductIon 1

chapItre 1 - contexte du projet : de la lIttérature à la défInItIon 21.1 Concevoir l’exclusion sociale : ce qui s’est déjà écrit 2

Statut versus processus 3L’exclusion : un phénomène multidimensionnel 5Face à l’exclusion : l’individu dans son contexte 7

1.2 Les dimensions de l’exclusion 8L’exclusion en tant que défavorisation 9L’exclusion en tant que stigmatisation et discrimination 10L’exclusion à titre de trajectoire ou de parcours de vie 11L’exclusion résultant de la concentration spatiale de désavantages ou la géographie de l’exclusion 12

1.3 La mesure de l’exclusion sociale 13

1.4 Suivi en matière d’exclusion sociale 17

1.5 Définir l’exclusion sociale 17

chapItre 2 - le projet de recherche sur l’exclusIon socIale 192.1 Ateliers réunissant des participants et participantes ayant recours à des organismes d’aide 19

2.2 Le déroulement des ateliers 21

2.3 Analyse des ateliers 22

chapItre 3 - les résultats 233.1 Les dimensions de l’exclusion sociale 23

Dimension 1 : Conditions matérielles 23Dimension 2 : Logement 25Dimension 3 : Santé 27Dimension 4 : Travail et emploi 29Dimension 5 : Éducation 31Dimension 6 : Réseaux 32

3.2 Au-delà des dimensions, la discrimination ou le regard de l’autre… 37

3.3 Les principaux constats 40

conclusIon 41L’apport des personnes en situation de pauvreté à la démarche 41

Prochaines étapes 41

BIBlIographIe 42

annexe 1 44

L’exclusion sociale : construire avec celles et ceux qui la vivent

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IntroductIon

Le projet de recherche sur l’exclusion sociale a été entrepris dans la perspective de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Le projet vise la poursuite des travaux sur des indicateurs de mesure de l’exclusion sociale, en y associant des personnes en situation de pauvreté.

Le projet de recherche comporte plusieurs étapes, dont la première était de convier à des ateliers des participants et participantes qui avaient recours à des organismes d’aide aux personnes ayant différentes missions ou clientèles cibles.

Le présent rapport a pour but de présenter les résultats de cette première étape du projet de recherche sur l’exclusion sociale. Dans un premier temps, nous expliquerons le contexte lié au projet. Ensuite, nous exposerons les principaux éléments qui sont ressortis des ateliers en fonction des diffé­rentes dimensions touchées par l’exclusion sociale. Finalement, nous tirerons quelques conclusions de l’expérience et nous présenterons la suite du projet.

Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion

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chapItre 1 contexte du projet : de la lIttérature à la défInItIon

L’Assemblée nationale a adopté en 2002 la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Ainsi, le gouvernement du Québec s’était fixé comme objectif de faire en sorte que le Québec rejoigne progressivement, d’ici 2013, les pays industrialisés comptant le moins de personnes pauvres. Pour atteindre un tel objectif, il faut pouvoir prendre la mesure de la pauvreté et de l’exclusion, c’est­à­dire se donner des indicateurs qui permettent d’évaluer les progrès réalisés ou à faire en la matière (FRÉCHET, LANCTÔT et MORIN, 2009, p. 9). La Loi commande au gouvernement québécois de prendre position sur les indicateurs à retenir pour mesurer les progrès réalisés dans la lutte contre la pauvreté et l’exclusion (FRÉCHET, LANCTÔT et MORIN, 2009, p. 19). Une première démarche a été effectuée par le Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion et s’est conclue par un avis au ministre déposé en 2009 et établissant des recommandations relatives aux indicateurs afin de « prendre la mesure de la pauvreté au Québec ».

Dans cet avis, le Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion recommande également de définir l’exclusion sociale et de déterminer ses principales dimensions (recommandation 15).

L’objectif de cette recommandation était de permettre au Québec de se donner des outils de suivi en matière d’exclusion sociale, dans le contexte de l’application de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale.

C’est également avec le souci d’associer à la démarche les personnes susceptibles de vivre des situations d’exclusion que nous avons amorcé ce projet de recherche sur l’exclusion sociale. Il s’est agi d’une initiative novatrice, dans la mesure où l’expérience et les connaissances de ces personnes avaient jusque­là été très peu considérées dans les démarches sur les indicateurs.

1.1 ConCevoir l’exClusion soCiale : Ce qui s’est déjà éCrit

Tout un défi, que celui de vouloir définir l’exclusion sociale! Le concept est l’objet d’un débat dans la littérature et il ne fait pas l’unanimité. Comme le mentionne Groulx : « Malgré l’intérêt pour la notion d’exclusion, il n’existe pas de consensus, ni sur sa définition, ni sur la diversité des situations qu’elle recouvre, ni sur son ampleur ou ses causes » (GROULX, 2011, p. 2). Castel qualifie l’exclusion de « mot valise pour décliner toutes les variétés de la misère du monde » (CASTEL, 1995, p. 13). Plusieurs chercheurs et chercheuses ont eu recours à cette notion pour aborder des problématiques liées à la santé mentale, à la prostitution, à la polytoxicomanie, etc. (ROY, 2008). Ainsi, « la thématique de l’exclusion a largement été documentée, débattue, critiquée […] On en a démontré les limites, la dimension trop politique, trop polémique, trop vague. On a largement mis en évidence le fait qu’elle

« Le Centre recommande de préciser l’usage de la notion d’exclusion sociale, de déterminer ses principales dimensions et d’établir des indicateurs appropriés. Il recommande de développer des indicateurs de processus qui permettent de reconnaître les mécanismes d’exclusion à l’œuvre, notamment les mécanismes institutionnels.

Il recommande en outre d’associer des personnes en situation de pauvreté et d’exclusion à cette réflexion.

En partant du principe qui veut que les personnes en situation de pauvreté soient particulièrement bien placées pour témoigner de l’exclusion ou de la marginalisation dont elles peuvent être victimes, le fait de les associer à des travaux visant à développer des indicateurs d’exclusion ne devrait être que bénéfique. Il importe par conséquent d’associer des personnes en situation de pauvreté et d’exclusion à cette réflexion » (FRÉCHET, LANCTÔT et MORIN, 2009, p. 58).

L’exclusion sociale : construire avec celles et ceux qui la vivent

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soit insuffisamment construite scientifiquement ou tout simplement impossible à construire. On l’a qualifiée de notion­valise, de pré­notion, de concept flou » (ROY et SOULET, 2001, p. 3).

On reproche notamment à cette notion son ambiguïté et la possible confusion qu’elle peut entraîner avec une multitude de situations très variées, souvent hétérogènes (GAGNON et autres, 2009; ROY dans CHOPART et ROY, 1995; CASTEL cité par CHOPART et ROY, 1995). Elle laisse ainsi sous­entendre que les processus et les dynamiques sont identiques, faisant ainsi disparaître les spécificités et diffé­rences de chacun (GAGNON et autres, 2009; CASTEL dans LABERGE et ROY, 1994). Ce terme induit une division de la société en deux groupes : ceux et celles qui sont au­dedans (les « inclus ») et ceux et celles qui sont au­dehors (les « exclus »). Pourtant, dans les faits, il n’y a personne de véritablement en dehors de la société, sans aucun lien d’attache à celle­ci (GAGNON et autres, 2009). Castel mentionne également que ce terme risque « d’autonomiser des situations limites qui ne prennent sens que si on les replace dans un processus » (CHOPART et ROY, 1995, p. 14).

Pour certains, la notion demeure trop vague. « L’exclusion sociale est ainsi vue comme une consé­quence potentielle d’un nombre de facteurs de risques sans que cette conséquence soit spécifiée, nommée » (JEHOEL­GIJSBERS et VROOMAN, 2007, p. 11). Pour Castel : « Parler en termes d’exclusion, c’est plaquer une qualification purement négative qui nomme le manque sans dire en quoi il consiste ni d’où il provient » (CHOPART et ROY, 1995, p. 14). C’est pourquoi plusieurs auteurs nous invitent à être prudents dans l’usage du terme « exclusion » et nous suggèrent de le remplacer par d’autres termes ou expressions perçus comme plus appropriés : désaffiliation, rupture du lien social, disqualifi­cation sociale, mise à distance, désintégration, marginalité, défavorisation, etc.

Malgré ces nombreuses critiques formulées à l’égard de la notion d’exclusion, cette dernière est toujours employée pour analyser les risques et les fractures sociales actuels. Selon Roy : « On peut faire l’hypothèse que, si elle a persisté, c’est qu’elle permettait de ramener à l’avant­scène des questions que l’on avait tendance à taire ou à relayer au second plan et pour lesquelles les autres notions ou concepts s’avéraient inefficaces » (ROY, 2008, p. 16).

L’exclusion sociale est un concept très large englobant une multitude de situations et de réalités. Elle se traduit non seulement par un manque de moyens matériels, mais également par une incapacité à prendre part à la société aux points de vue social, économique, politique et culturel. De l’exclusion, il en existe donc plusieurs formes et à divers degrés.

Dans la prochaine section, différents éléments seront abordés pour mieux cerner les processus qui mènent à l’exclusion sociale et à l’état d’exclu, en lien avec la pauvreté. Car l’exclusion se situe dans un continuum. Elle est multidimensionnelle et principalement, mais non exclusivement, liée à la pauvreté. Finalement, il est important de discuter du rôle de l’État, de la société et de l’individu dans les mécanismes et processus d’exclusion.

Statut versus processus

Les auteurs ne s’entendent pas sur la question de savoir si l’on doit considérer l’exclusion comme un processus ou comme un statut. Pour Castel, la notion d’exclusion réfère clairement à un statut qu’on attribue à une personne, donc à un état : « Qu’elle soit totale ou partielle, définitive ou provisoire, l’exclusion, au sens propre du mot, est ainsi toujours l’aboutissement de procédures officielles et représente un véritable “statut” » (CHOPART et ROY, 1995, p. 19). Il aborde l’exclusion sous l’angle de la désaffiliation, comme l’aboutissement d’un double décrochage : par rapport au travail et par rapport à l’insertion relationnelle (LABERGE et ROY, 1994, p. 13). L’exclusion réfère donc à l’état de la personne qui a atteint la zone de désaffiliation.

Pour d’autres, l’exclusion est clairement un processus. « L’exclusion sociale n’est donc pas l’état d’une personne, mais un processus dynamique marqué par des étapes (non linéaires), des allers­retours, des singularités venant du contexte et de l’histoire de vie, mais qui, globalement, vont dans le sens d’un éloignement de la précarité, des pôles d’insertion, d’intégration, d’inclusion » (ROY, 2008, p. 19).

Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion

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McAll (CHOPART et ROY, 1995) abonde dans le même sens en affirmant que l’exclusion considérée comme une condition, donc comme un statut ou un état, occulte le fait qu’elle est un rapport et que des processus agissent dans ce rapport.

Pour plusieurs auteurs, l’exclusion ne doit pas simplement référer à un état ni à un ou des processus, mais plutôt à une articulation entre caractéristiques et mécanismes. En effet, selon Da Cunha : « Il existe actuellement un consensus sur la nécessité de considérer l’exclusion comme état, mais également comme processus dynamique, évolutif et multidimensionnel. Cette démarche consiste à s’interroger sur les “mécanismes” qui conduisent de l’intégration et de la sécurité à la précarité, à la pauvreté relative et absolue et à l’exclusion » (SOULET, 2007, p. 39). Son analyse de l’exclusion repose ainsi sur quatre approches analytiques de la précarité. Les deux premières réfèrent à un état (l’analyse des ressources [cumul de handicaps] et l’approche par les conditions d’existence [déprivation]). Les deux autres réfèrent à un processus (l’analyse des trajectoires [désaffiliation sociale] et l’approche par le vécu des personnes [disqualification sociale]).

FIGURE 1

Vulnérabilité sociale et pauVreté : une approche plurielle

(DA CUNHA dans SOULET, 2007, p. 39)

Pour Jehoel­Gijsbers et Vrooman, la notion d’exclusion sociale ne doit pas tenir compte uniquement du processus (dynamique), car elle peut également désigner le fait d’être exclu de la société (statique) (JEHOEL­GIJSBERS et VROOMAN, 2007, p. 16). Silver (2007) abonde dans le même sens en affirmant que :

« La plupart des théoriciens soutiennent que l’exclusion sociale est un processus, non seule­ment la condition tenant compte des résultats de ce processus. […] Il n’y a pas de seuil d’exclusion formelle à franchir, comme il en existe un pour la pauvreté. Au contraire, les individus se situent dans un continuum multidimensionnel et peuvent se déplacer vers l’inclusion dans un sens ou dans l’autre ou vers un cumul de ruptures sociales » (traduction libre, SILVER, 2007, p. i).

état processus

trajectoires Vécu

désaffiliationsociale

disqualificationsociale

approchesanalytiques

ressources conditionsd'existences

cumulhandicaps dépriVation

L’exclusion sociale : construire avec celles et ceux qui la vivent

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Silver (2007) aborde ainsi la notion de continuum, ce qu’on retrouve également chez plusieurs auteurs. D’un côté, on trouve le pôle d’intégration, de l’autre, celui de l’exclusion ou de la désaffiliation. Le pôle d’intégration ou d’insertion est caractérisé par l’autonomie, l’indépendance, la maîtrise de son existence, la responsabilité, la citoyenneté (ROY dans CHOPART et ROY, 1995). Jaccoud suggère que l’exclusion comme processus dynamique plutôt que statique consiste en « une mise à distance dont le mouvement suggère une rupture avec un centre ou un espace d’intégration vers une ou des périphéries » (CHOPART et ROY, 1995). L’individu se trouve quelque part sur la ligne en fonction de ses conditions d’existence et de ses capacités personnelles et se promène sur cette ligne en fonction des événements auxquels il est confronté. L’intégration peut varier dans les différentes dimensions de la vie d’un individu. Selon Roy : « […] on ne serait pas inclus ou exclus, pour toutes les dimensions de nos vies, on le serait partiellement, temporairement, en raison de conditions objectives ou subjec­tives, de choix ou non, de périodes plus ou moins longues de la vie » (ROY, 2008, p. 27). Certains auteurs parleront d’exclusion partielle ou totale, tout dépendant de l’endroit où se situe la personne dans le continuum. D’autres proposent que l’on réserve le terme « exclusion » à l’aboutissement de ces processus ruptures (ROY, dans CHOPART et ROY, 1995; GAGNON et autres, 2009).

Gagnon, Pelchat, Clément et Saillant considèrent qu’il existe plusieurs processus d’exclusion, mais que l’exclusion en soi est l’aboutissement de ces processus : « L’exclusion se présente comme l’aboutissement d’une série de ruptures et de pertes (emploi, logement, famille…) ou comme le cumul de plusieurs facteurs de vulnérabilité (handicap, décrochage scolaire, difficultés d’accès au logement ou à la santé, etc.) » (GAGNON et autres, 2009, p. 8). Entre les deux pôles, on parlerait davantage de précarité, d’absence de sécurité ou de vulnérabilité. Roy suggère également que l’on réserve ce terme à l’aboutissement des différents processus d’exclusion : « l’exclusion se situerait tout au bout du processus de désinsertion » (CHOPART et ROY, 1995, p. 76), prenant en exemple l’itinérance comme forme exemplaire d’exclusion, car cette trajectoire est marquée par une accumulation de multiples ruptures qui s’inscrivent dans la durée et répondent aux critères de répétitivité.

En somme, plusieurs sources, parmi les plus récentes, s’orientent dans la même direction : il importe de considérer l’exclusion comme le résultat d’un ensemble de processus et non comme un statut, un état. Nombreux sont les mécanismes en cause dans ces processus qui touchent différentes sphères de la vie des individus.

L’exclusion : un phénomène multidimensionnel

S’il n’y a pas de consensus sur une définition universelle de celle­ci, il y a assurément consensus sur le fait que l’exclusion est un phénomène multidimensionnel qui touche généralement plusieurs aspects de la vie des personnes. L’exclusion touche ainsi plusieurs domaines de la vie des individus (le travail, les conditions matérielles et financières, les relations sociales et familiales, l’éducation, etc.) et différents aspects (individuel, collectif, économique, institutionnel).

En 2010, l’Organisation mondiale de la Santé présentait les travaux du Social Exclusion Knowledge Network. Dans les orientations de l’Organisation mondiale de la Santé, l’accent était logiquement mis sur l’exclusion comme moteurs des inégalités sociales de santé. Dans cette perspective, les processus d’exclusion sociale étaient alors situés dans un continuum d’inclusion/exclusion caractérisé par des inégalités dans l’accès à des ressources (moyens utilisés en vue de répondre à des besoins), les capacités (capabilities au sens de Sen : le pouvoir relatif que les personnes ont d’utiliser les ressources disponibles) et les droits. Ces inégalités contribuent à alimenter les processus d’exclusion sociale, entraînant ainsi un cercle vicieux.

Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion

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Avant ce rapport, le réseau Social Exclusion Knowledge Network (2008) avait déjà défini l’exclusion comme un phénomène qui consiste en des processus dynamiques et multidimensionnels engendrés par l’interaction de relations inégales de pouvoir touchant quatre dimensions : économique, politique, sociale et culturelle, et différents aspects : individu, ménage, groupe, communauté, pays, à l’échelle globale. Pour chacune de ces quatre dimensions, on précisait alors :

�� que la dimension sociale est constituée des relations de proximité (amis, famille, réseaux, voisinage, communauté, mouvements sociaux) qui génèrent un sentiment d’appartenance; les liens sociaux sont faibles ou forts.

�� que la dimension politique est constituée par des dynamiques de pouvoir dans les relations, qui comportent des inégalités de droits, de pratiques ou de conditions dans lesquelles les droits sont exercés (accès à l’eau potable, aux soins personnels, à un abri, au transport, aux soins de santé et à l’éducation, à la protection sociale, etc.).

�� que la dimension culturelle est constituée de la manière avec laquelle ces valeurs, normes et modes de vie sont acceptés et respectés.

�� que la dimension économique est constituée de l’accès aux ressources matérielles nécessaires au maintien de la vie et de la distribution de celles­ci (revenu, emploi, logement, territoire, conditions de travail, etc.).

Les approches élaborées au Québec et au Canada tendent à s’orienter plus directement vers les liens intrinsèques entre exclusion et pauvreté (les conséquences sur la santé sont alors un des effets de ces liens). Laberge et Roy (1994) soutiennent que les formes que prend fréquemment l’exclusion sont généralement liées à la pauvreté. Groulx affirme que la pauvreté chronique « est souvent assimilée à l’exclusion, car elle réduit de façon importante et durable les ressources, les moyens, les choix et le pouvoir d’accéder aux droits de participer à la vie sociale. Elle augmente […] la probabilité de vivre des formes multiples d’exclusion » (GROULX, 2011, p. 9). Or, même si son importance est cruciale, le facteur pauvreté n’est pas exclusivement déterminant (CASTEL dans LABERGE et ROY, 1994).

Jehoel­Gijsbers et Vrooman distinguent ces deux concepts sur plusieurs points. Tout d’abord, la pauvreté réfère selon eux à une condition statique pour laquelle nous pouvons établir un seuil, alors que l’exclusion est dynamique et réfère à des processus. Il est donc plus difficile d’établir un point de démarcation, une frontière tangible, de l’exclusion. De plus, la pauvreté renvoie à une seule dimension, alors que l’exclusion implique des formes de défavorisation dans plusieurs domaines. Dans leur approche basée sur l’idée que la pauvreté et l’exclusion sociale sont principalement le résultat de facteurs structuraux, ces auteurs considèrent l’exclusion comme un concept désignant deux principales formes d’exclusion : l’exclusion économique et structurelle et l’exclusion sociale et culturelle. La première forme comprend une dimension matérielle (revenu et biens) et une dimension non matérielle (droits sociaux). La deuxième fait davantage référence à la dimension relationnelle et prend en compte l’intégration sociale (relations et réseaux) et l’intégration culturelle (valeurs et normes) (JEHOEL­GIJSBERS et VROOMAN, 2007, p. 16).

Ces mêmes auteurs introduisent également l’idée que l’action de différents acteurs peut influencer le risque de pauvreté et d’exclusion sociale. Ainsi, les citoyens et citoyennes, les organisations inter­médiaires, les municipalités et les gouvernements peuvent tous avoir des effets positifs ou négatifs sur les individus ou les groupes d’individus en fonction des actions qu’ils font, des politiques qu’ils mettent en œuvre, etc. Pour McAll (CHOPART et ROY, 1995), les institutions et les acteurs contribuent à mener « hors de la cité » les personnes qu’ils sont chargés d’aider. Cela nous amène à nous questionner sur les responsabilités de ces différents acteurs et institutions dans les processus d’exclusion en place dans la société.

L’exclusion sociale : construire avec celles et ceux qui la vivent

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Face à l’exclusion : l’individu dans son contexte

Quelques auteurs abordent le rôle de différents acteurs sociaux relativement à l’exclusion dans leur ouvrage. Selon Chopart, « le “laisser­faire, laisser passer” a prouvé son inaptitude à réguler nos sociétés développées […] » (CHOPART et ROY, 1995, p. 31). Gagnon, Pelchat, Clément et Saillant affirment que : « Si, dans les textes de loi, la sortie des individus de la précarité et de l’insécurité est d’abord reconnue comme une responsabilité de l’État, dans les interventions la responsabilité tend souvent à être imputée aux individus. » Si l’on reconnaît l’individu comme un acteur déterminant dans son parcours de vie, il ne faudrait pas pour autant occulter le fait qu’il se situe dans un contexte socio­économique sur lequel il n’a pas, ou bien peu, de contrôle. La prochaine figure illustre bien comment l’individu se situe dans un contexte très large et est soumis à une multitude d’influences et de contraintes.

FIGURE 2une approche intégrée

source : BURCHARDT, LE GRAND et PIACHAUD, 2002.

En effet, à l’échelle globale, la mondialisation pourrait être à l’origine de l’accroissement de nombreuses situations d’exclusion :

« Le développement économique a longtemps visé l’insertion sociale d’une large majorité par le travail. Maintenant on n’y parvient plus. L’avènement des technologies a fait disparaître des tâches historiquement accomplies par des humains et en même temps, on n’assiste pas à la création d’emplois productifs. Le système capitaliste ne produit pas moins de richesse mais davantage. Cela dit, il n’assure pas une redistribution équitable […] En laissant hors du travail des milliers et des milliers d’individus, la mondialisation accélère le processus d’exclusion, non seulement en termes économiques mais aussi en termes de non­participation à la vie collective démocra­tique » (ROY et SOULET, 2001, p. 5).

indiVidu

famille

local

national

global

communauté

légende

Individu : âge, sexe, race, incapacités, préférences, croyances et valeurs

Famille : état matrimonial, responsabilités familiales

Communauté : environnement social et physique, écoles, services de santé et services sociaux

Local : marché du travail, transport

National : influences culturelles, sécurité sociale, cadre législatif

Global : commerce international, migration, changements climatiques

Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion

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Ce point de vue, bien que discutable à certains égards, s’inscrit dans la foulée des théories de Silver (2007), pour qui l’État­providence a contribué à institutionnaliser un mode de vie commun à tous les citoyens et citoyennes d’un même pays. Ce processus aurait ainsi conduit vers l’exclusion sociale ceux et celles dont les vies ne sont pas conformes aux différentes normes.

Mayer (SILVER, 2007) soulève différents points de convergence et de divergence quant à l’attribution du statut d’exclu dans les pays industrialisés. Dans les états de marché libéral, l’exclusion semble surtout s’étendre aux travailleurs et travailleuses pauvres. Dans les États­providence continentaux conserva­teurs, l’exclusion prend la forme de l’exclusion du marché du travail des jeunes adultes, mais surtout des personnes âgées sans emploi depuis une longue période. Dans les États­providence du sud de l’Europe, l’exclusion se manifeste principalement chez les jeunes adultes sans emploi. Or, toujours selon Mayer, les États scandinaves préviennent l’exclusion sociale permanente par la mise en œuvre de programmes de redistribution universels et consensuels. Ainsi, même si certaines affirmations pourraient être nuancées, on observe que les processus d’exclusion sont vécus dans des structures sociales teintées par le contexte national, mais également par le contexte local et international.

La notion d’obligation pour la société de se mobiliser pour favoriser l’insertion de tous et toutes est mise en relief par Castel (1995) : « […] l’insertion n’est pas seulement une obligation faite au béné­ficiaire en contrepartie de la prestation qu’il touche. C’est en même temps une obligation pour la collectivité qui doit se mobiliser pour proposer des “contrats d’insertion” adaptés à la situation du destinataire ». Cette intervention essentielle de l’État comporte toutefois des défis importants. Pour Roy, « les institutions de prise en charge créent […] les conditions de la dépendance des populations qu’elles cherchent, par ailleurs, à aider » (GAGNON et autres, 2009). En effet, il n’est pas toujours simple de trouver le moyen d’assurer une sécurité et une protection aux individus, qui favorisent leur pleine participation à la vie sociale sans les marginaliser ou les inférioriser. Il faut que ces moyens leur permettent de bénéficier des services et du soutien nécessaires pour les amener à changer leur condition, tout cela sans que la responsabilité repose entièrement sur leurs épaules

L’individu a également un rôle à jouer dans ces processus d’inclusion et d’exclusion. Ses caractéristiques personnelles et sa façon de réagir devant les contraintes viennent sans aucun doute influencer son parcours de vie.

En résumé, la notion d’exclusion peut caractériser à la fois les processus de mise en marge d’individus et l’état d’« exclu ». Le concept ne se limite pas simplement à l’aspect économique (revenus), mais touche également différents domaines de la vie des personnes (le logement, la santé, l’éducation, les réseaux, etc.). Une variété d’acteurs sociaux entre en jeu dans les différentes dynamiques d’exclusion. La responsabilité de l’exclusion ne repose pas uniquement sur les épaules de l’individu « exclu ». On doit également tenir compte des différentes influences auxquelles il est soumis.

1.2 les dimensions de l’exClusion

Dans une publication portant sur le sujet, Groulx (2011) établit quatre grandes dimensions lui permet tant de classer l’essentiel de la littérature portant sur l’exclusion sociale au Canada. Chaque dimension combine des formes différentes d’exclusion qui sont complémentaires :

�� L’exclusion en tant que défavorisation;

�� L’exclusion en tant que stigmatisation et discrimination;

�� L’exclusion à titre de trajectoire ou de parcours de vie;

�� L’exclusion résultant de la concentration spatiale de désavantages ou la géographie de l’exclusion.

C’est à partir des dimensions établies par Groulx que nous présentons ici les points de vue proposés par différents auteurs.

L’exclusion sociale : construire avec celles et ceux qui la vivent

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L’exclusion en tant que défavorisation

La défavorisation ou le cumul de désavantages est un cadre d’analyse fréquemment utilisé pour comprendre les différentes facettes de l’exclusion. On s’intéresse au cumul de différents désavantages ou handicaps qui mènent à des situations de vulnérabilité ou d’exclusion.

Selon Groulx :

« Le cumul des désavantages correspond à un état de défavorisation durable dans divers domaines de l’existence tels que le logement, la santé, l’alimentation, les loisirs et la partici­pation sociale. Le “risque statistique” n’est pas aléatoire et varie selon les caractéristiques sociodémographiques et les situations personnelles, familiales et sociales des personnes. L’exclusion reste ici liée à la plus ou moins grande capacité de mobiliser un ensemble de capitaux qui agiraient comme rempart vis­à­vis des événements ou des situations difficiles, déstabilisateurs dans les parcours de vie des personnes » (GROULX, 2011, p. 7).

La société ne remplirait plus sa fonction intégratrice à la suite de la transformation profonde de la société salariale remettant en cause la cohésion sociale. Cela aurait donné lieu à des situations de défavorisation dans différents domaines tels que le travail et la famille, prenant ainsi la forme d’une distanciation, d’un affaiblissement ou d’une rupture du lien social (ROY et SOULET, 2001, p. 4).

Dans le même ordre d’idées, Gagnon, Pelchat, Clément et Saillant (2009) présentent l’exclusion comme une insécurité, une fragilisation des liens sociaux. L’appauvrissement et la marginalisation attribuables aux phénomènes sociaux tels que le chômage et l’immigration (difficultés d’intégration, racisme) entraînent un cumul de facteurs de vulnérabilité. La précarité ou l’absence de sécurité provoquée par l’affaiblissement des institutions qui assurent l’intégration sociale compromettent ainsi « l’acquisition d’un statut et d’une identité stables et valorisants, ainsi que l’accès à un loge­ment, aux services de santé ou aux biens de consommation ». L’exclusion y est ainsi analysée sous l’angle du cumul de facteurs de vulnérabilité (handicap, décrochage scolaire, difficulté d’accès au logement ou à la santé, etc.) ou de l’aboutissement d’une série de ruptures et de pertes (emploi, logement, famille, etc.) (GAGNON et autres, 2009, p. 7­8).

Il est important de considérer la structure bidimensionnelle de la défavorisation (PAMPALON et RAYMOND cités par GROULX, 2011), soit la dimension matérielle (revenu, scolarité, emploi) et la dimension sociale (état matrimonial, fait de vivre seul ou dans une famille monoparentale). L’approche par capitaux de Da Cunha, qui prend en compte trois dimensions (économique, culturelle et relationnelle), rejoint cette idée de considérer plusieurs dimensions dans l’analyse de l’exclusion. Cette approche est centrée sur l’accès à ces différents capitaux plutôt que sur l’environnement socio­économique de l’individu. Dans cette perspective, l’exclusion peut se mesurer par le cumul de désavantages quant aux ressources personnelles (DA CUNHA dans SOULET, 2007, p. 36). Pour Paugam et Gallie (2000) :

« Social exclusion refers to a situation where people suffer from cumulative disadvantages of labour market marginalization, poverty and social isolation. The different aspects of deprivation become mutually reinforcing over time, leading to a downward spiral in which the individual comes to have neither the economic nor the social resources needed to par­ticipate in their society or to retain a sense of social worth » (cité dans SILVER, 2007, p. 12).

L’exclusion est donc un concept multidimensionnel qui peut se mesurer par cumul de désavantages et de handicaps sur le plan des ressources personnelles. Elle peut ainsi être vue comme le manque d’accès ou la détérioration de l’accès à différents capitaux.

Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion

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L’exclusion en tant que stigmatisation et discrimination

Selon cette perspective, l’exclusion se présente comme le résultat de rapports de pouvoir. Contrai­rement à la première dimension, l’accent est mis sur les rapports sociaux plutôt que sur les manques de ressources de l’individu. Selon Groulx, l’exclusion est ici une relation sociale de pouvoir, la discri­mination agissant comme un mécanisme de production d’exclusion. L’action repose ainsi sur ceux et celles qui ont le pouvoir de restreindre ou tout simplement d’empêcher l’accès à des ressources ou à des droits (GROULX, 2011, p. 22). Jaccoud (CHOPART et ROY, 1995) appuie sur l’importance de traiter de l’exclusion en tant que rapport de pouvoir en insistant sur le fait que « l’exclusion est un repère théorique insuffisant si l’on n’y intègre pas une perspective de pouvoir et de domination ».

L’exclusion est ici analysée sous l’angle d’une non­reconnaissance de la personne ou de l’attribution d’un statut. L’individu devient ainsi réduit à un stéréotype, un préjugé. Pour Gagnon, Pelchat, Clément et Saillant, l’exclusion est la construction d’une altérité sur la base de différences observables ou imaginées par la mise à distance ou l’attribution d’un statut social à l’autre (GAGNON et autres, 2009, p. 5­6). Pour Roy et Soulet : « L’exclusion repose alors sur la défense d’un territoire : physique (un quartier), symbolique, idéologique, culturel. C’est sur le différentiel de pouvoir entre des groupes que repose l’exclusion de l’un par l’autre » (ROY et SOULET, 2001, p. 4). Les individus sont ainsi classés en fonction de certaines valeurs que l’on attribue à des espaces sociaux. « When groups delineate what makes them special and what the members share, they draw a line that makes outsiders inferior » (SILVER, 2007, p. 15). L’exclusion est le résultat de rapports de pouvoir entre groupes qui ne s’expliquent pas uniquement en termes d’inégalités économiques (ROY et SOULET, 2001). Elle influence les comportements à l’intérieur et à l’extérieur de ces frontières. « Social boundaries separate “us” from “them” encouraging mutual aid and sociability within the boundary and exploitation and denigra­tion across it » (SILVER, 2007, p. 15).

En influençant ces comportements, les préjugés envers les personnes pauvres nuisent à la lutte contre la pauvreté :

« Parce qu’ils instillent chez les personnes en situation de pauvreté un sentiment d’infériorité et une souffrance qui sapent leurs efforts pour améliorer leur sort;

« Parce qu’ils minent la cohésion sociale en contribuant à diviser les citoyens et citoyennes, portant atteinte du même coup au degré d’appui de la population aux mesures de lutte contre la pauvreté et aux investissements qu’elles nécessitent;

« Parce qu’ils font obstacle à l’émergence et à la mise en place de solutions novatrices ou différentes, et nous confinent aux stratégies qui cadrent avec les points de vue dominants qui ont cours » (DE KONINCK, dir., 2010, p. 12).

Les préjugés agissent comme des barrières limitant l’accès à diverses ressources, réduisant par le fait même les possibilités de sortir de la pauvreté et de l’exclusion (GROULX, 2011). Groulx établit deux types de barrières qui peuvent être à l’origine de l’exclusion :

« Les premières concernent les attributs sociaux de la personne qui sont difficiles ou quasi impossibles à modifier, comme la couleur de la peau, l’ethnicité, la culture, la religion, l’âge, le sexe et les handicaps. Les deuxièmes peuvent être plus facilement modifiées avec le temps : le niveau et la source de revenu, les connaissances acquises, la langue et l’accent, la taille du ménage et son type, l’expérience des principales institutions et la connaissance de la culture du pays d’accueil » (GROULX, 2011, p. 26).

L’exclusion sociale : construire avec celles et ceux qui la vivent

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Pour Da Cunha (SOULET, 2007), l’analyse de l’exclusion doit tenir compte du vécu des personnes confrontées à l’expérience de la précarité (disqualification sociale). McAll aborde également les rapports de pouvoir relativement aux concepts de citoyenneté et de territoire. L’auteur soutient que les personnes qui sont mises en minorité sur différents territoires (le territoire domestique [ou ménage], le milieu de travail, etc.) sont plus à risque de vivre des situations d’exclusion (CHOPART et ROY, 1995, p. 86).

Silver met l’accent sur l’importance d’analyser l’exclusion au­delà des caractéristiques individuelles des individus et de porter notre regard sur les relations qui peuvent être à l’origine de situations d’exclusion : « […] too often, the study of social exclusion focuses on its victims, their characteristics of life events. This tends to conceal the relationships involved in exclusion, the role played by excluders as well as excluded. Individual micro­data cannot capture discrimination and other exclusionary relations between insiders and outsiders » (SILVER, 2007, p. 17).

En effet, les relations inégales, celles qui discriminent, mettent à l’écart et marginalisent certains individus ou groupes, entraînent diverses formes, parfois graves, d’exclusion sociale : « l’exclusion sociale ne se restreint pas uniquement à une mise à l’écart. Pour les personnes les plus touchées, l’exclusion est souvent liée à des comportements d’abus de pouvoir et de violence posés par différentes personnes dans différents milieux sociaux » (HYPPOLITE, 2012, p. 83).

L’exclusion à titre de trajectoire ou de parcours de vie

Un autre cadre d’analyse couramment utilisé pour décrire l’exclusion est celui des trajectoires de vie. Selon Groulx (2011), les individus sont ici perçus comme des acteurs pouvant agir et influencer la trajectoire de leur vie. On met l’accent sur les capacités des individus à intervenir ainsi que sur les stratégies utilisées tout en tenant compte des mécanismes extérieurs qui agissent sur les trajectoires. En effet, tel que mentionné précédemment, une multitude d’acteurs peuvent influencer le parcours de vie des individus :

« Le processus d’exclusion se présente alors comme l’articulation et le jeu complexe des contraintes conjugales et familiales, de l’instabilité et de la précarité sur le marché du travail, de l’intermittence en emploi et d’une certaine fragilité émotive. Cet ensemble de contraintes exerce ses effets de façon plus prononcée dans les périodes de transition en déstabilisant souvent le cours des trajectoires, tout en érodant les conditions qui protègent de la pauvreté et de l’exclusion sociale » (GROULX, 2011, p. 38).

Dans cette perspective, les événements de la vie, les points de rupture s’enchaînent, se cumulent et se renforcent mutuellement, ce qui entraîne les individus dans une sorte de cercle vicieux dont la sortie est ardue (GROULX, 2001, p. 37). Gagnon, Pelchat, Clément et Saillant décrivent bien cette spirale de l’exclusion dans laquelle plusieurs individus sont prisonniers :

« La précarité et l’exclusion entraînent une dégradation des conditions de vie, qui créent un environnement peu propice à une bonne santé (insalubrité, violence, insécurité); elles génèrent aussi de la honte, une dévalorisation de soi, favorisant à son tour des conduites à risque (toxicomanie, suicide, comportements violents), autant qu’elles engendrent de la détresse et de la souffrance » (GAGNON et autres, 2009, p. 39).

L’analyse de l’exclusion sous l’angle des trajectoires de vie tente de décrire et de comprendre les trajectoires des individus, cherchant ainsi à déterminer les facteurs de protection, les facteurs fragi­lisants et les éléments déclencheurs des processus d’exclusion en cours (DA CUNHA dans SOULET, 2007, p. 41).

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Puisque l’exclusion envisagée comme parcours de vie considère la capacité des individus à intervenir dans leur propre vie, il est intéressant de s’attarder aux problèmes identitaires qui peuvent avoir une conséquence majeure à cet égard. « Dans l’espace ouvert par l’exclusion sociale, la dépendance vis­à­vis des institutions de prise en charge, la faiblesse des supports sociaux, les désignations caté­gorielles stigmatisantes et la négativité des sentiments mobilisés deviennent des conditions difficiles pour la renégociation de son identité » (ROY, 2008, p. 22). L’individu se trouve ainsi fragilisé. Il fait face à des obstacles importants à la construction de son identité, ce qui freine sa capacité d’agir sur son propre parcours et fragilise d’autant plusieurs des sphères de sa vie. Parmi celles­ci, l’état de santé est un domaine où les conséquences de cette fragilisation sont souvent flagrantes. Le rapport du Directeur régional de la santé publique sur les inégalités sociales de santé (2012) est très éloquent à cet égard. Après avoir tenu une série de groupes de discussion réunissant des personnes en situa­tion de pauvreté de trois territoires de la région de la Capitale­Nationale, les auteurs soulignent les effets néfastes de la pauvreté sur la santé de ceux et celles qui la vivent : stress, fatigue, perte de confiance, symptômes dépressifs, idées suicidaires, violence, criminalité, recours aux drogues, qui sont autant d’inducteurs d’exclusion sociale.

L’exclusion résultant de la concentration spatiale de désavantages ou la géographie de l’exclusion

La notion de territoire revient dans quelques ouvrages, parfois comme une composante distincte de l’exclusion et parfois aussi à travers d’autres composantes, notamment celle de l’ancrage du rapport de pouvoir. Groulx choisit de la présenter comme une dimension à part entière, puisqu’elle soulève la question des effets du quartier, du milieu de vie, dans le processus de l’exclusion. Dans cette dimension, on cherche notamment à comprendre si le fait de vivre dans un quartier à plus forte concentration de pauvreté contribue à entraîner ou entraîne des effets précis quant à la vulnérabilité sociale et économique et s’il devient ainsi source d’exclusion sociale pour ses résidants et résidantes (GROULX, 2011, p. 53).

Dans cette même veine, les travaux de De Koninck (DE KONINCK et autres, 2010) montrent clairement que les milieux dans lesquels vivent les individus ont une influence sur leur état de santé. « Cette influence est multidimensionnelle et parmi les facteurs présents dans les milieux de vie qui agissent sur la construction d’états de santé différenciés, les liens sociaux et les réseaux sociaux dont disposent les populations jouent un rôle particulièrement significatif. En effet, les écarts de santé paraissent tributaires de défavorisation sociale plutôt que de simple défavorisation économique ».

D’autres auteurs abordent cette dimension géographique dans la perspective d’un jeu de pouvoir (ROY et SOULET, 2001; MCALL dans CHOPART et ROY, 1995; GAGNON et autres, 2009). Un quartier défavorisé ou à réputation négative peut être « un obstacle important au développement d’un sentiment d’appartenance, favorable à l’ancrage dans le milieu et l’engagement dans la vie commu­nautaire » (GROULX, 2011, p. 63). À l’inverse, Laberge et Roy affirment que « […] le quartier populaire a souvent servi de filet de protection tant du point de vue économique que par rapport aux risques de désocialisation entraînés par la pauvreté » (LABERGE et ROY, 1994). Il est donc intéressant de s’attarder à la dimension territoriale dans l’analyse du phénomène de l’exclusion sociale.

Il existe autant de façons de décliner le concept d’exclusion sociale en dimensions qu’il existe de divergences et de nuances dans la définition qu’on en donne. Cette classification de Groulx met bien en évidence les différentes formes d’exclusion sociale. D’autres approches s’attardent davantage à traiter de l’exclusion dans les différents domaines de la vie : la privation matérielle, le non­accès à des droits ou services, la non­participation sociale et civique, etc. Quand vient le temps de mesurer l’exclusion sociale, le choix des indicateurs et la façon dont on traite de l’exclusion jouent un rôle majeur. En effet, le choix des indicateurs de mesure dépendra directement des dimensions établies pour aborder le concept.

L’exclusion sociale : construire avec celles et ceux qui la vivent

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1.3 la mesure de l’exClusion soCiale

Mesurer l’exclusion sociale pose un défi tout aussi important que celui de la définir. Certains auteurs doutent même de la possibilité de mesurer l’exclusion, puisqu’il s’agit d’un concept ambigu qui peut caractériser une population très hétérogène. Dans plusieurs études, on s’intéresse peu aux caracté­ristiques mêmes de l’exclusion. Ce sont plutôt les causes potentielles ou les facteurs de risque de l’exclusion qui sont principalement analysés, le plus souvent sous l’angle des facteurs individuels (JEHOEL­GIJSBERS et VROOMAN, 2007).

La mesure de l’exclusion comporte pourtant de multiples défis. En effet, « […] la question des enchaînements de causalité, ainsi que l’interaction entre les facteurs est loin d’avoir été résolue. Il est difficile d’établir des inférences causales à partir des données recueillies […]. À cela s’ajoute le problème de l’établissement des indicateurs et de l’échelle d’observation la plus pertinente. Il est parfois difficile de savoir si les indicateurs informent sur les causes ou les effets de l’exclusion » (GROULX, 2011, p. 63).

« Mesurer l’exclusion c’est, tout d’abord, la définir, en produire une représentation légitime […] nous ne mesurons jamais la réalité mais seulement les concepts dont nous nous servons pour la représenter » (DA CUNHA dans SOULET, 2007, p. 29). Il y a une certaine complexité à traduire le concept de l’exclusion en une série de dimensions qui recouvrent la diversité des situations d’exclusion. Le choix des indicateurs concrets et mesurables qui serviront à rendre compte de ces dimensions découle directement de ces dernières. Il faut s’assurer que ces indicateurs reflètent adéquatement la réalité à mesurer et qu’ils couvrent une part suffisante, voire idéalement exhaustive (mais qui pourrait y prétendre?) du phénomène de l’exclusion sociale. Pour mesurer les concepts en sciences sociales, Paul Lazarsfeld (cité par DA CUNHA dans SOULET, 2007) propose trois étapes : définir les concepts qui construisent le phénomène, spécifier les composantes ou dimensions des concepts, puis déterminer le type de données à recueillir pour chacune des dimensions établies.

Dans la recherche sociale, les données disponibles ont largement orienté la sélection des dimensions de l’exclusion à mesurer (SILVER, 2007). Elles varient d’une étude à l’autre, d’un pays à l’autre. Puisque l’exclusion sociale touche différents domaines de la vie des personnes, la mesure de l’exclusion doit également refléter cette multiplicité. Les indicateurs retenus vont alors varier selon la définition donnée au concept d’exclusion sociale et selon l’approche privilégiée pour aborder le concept. « Les différentes approches de “mesure” de l’exclusion ne sont pas à considérer comme compétitives, mais plutôt comme complémentaires. Elles marquent le passage d’une vision en terme uniquement de manque financier à une vision d’un phénomène multidimensionnel, pluriel et complexe qui touche directement les conditions d’existence, mais aussi la question de lien social » (DA CUNHA dans SOULET, 2007, p. 42).

Un seul indicateur ne peut recouvrir que très partiellement une dimension du concept à l’étude. C’est souvent la combinaison de plusieurs facteurs qui témoigne de situations d’exclusion ou de situations à risque d’exclusion. Les différentes approches de mesure de la pauvreté prennent généralement en compte plusieurs aspects à la fois. Chose certaine, « le concept d’exclusion étant polysémique, sa “mesure” ne peut être que multidimensionnelle » (DA CUNHA dans SOULET, 2007, p. 33). Puisque l’exclusion est presque toujours associée à la pauvreté, on trouve nécessairement dans la plupart des études des indicateurs de nature économique.

Gagnon, Pelchat, Clément et Saillant (2009) établissent deux types d’indicateurs : les indicateurs de moyens et les indicateurs de résultats. Les premiers se rapportent aux dispositifs de lutte contre l’exclusion touchant, par exemple, le logement et l’accès aux soins. Les deuxièmes mesurent l’évolution des situations touchant le non­accès aux droits (logement, santé, travail).

Il existe différentes approches de mesure de l’exclusion, qui, rappelons­le, ne sont pas concurrentielles, mais plutôt complémentaires. Analysée sous l’angle de la rupture du lien social ou de la désaffiliation, la mesure de l’exclusion passe par des approches qualitatives telles que les récits de vie ou les

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entretiens. Elle cherche à reconstituer les trajectoires des individus et à « identifier les éléments déclencheurs (perte d’emploi, séparation, maladie, etc.) d’un processus de désaffiliation ainsi que les facteurs protecteurs ou fragilisants (formation, âge, passé assistanciel, etc.) » (DA CUNHA dans SOULET, 2007, p. 41).

L’approche par cumul de désavantages s’attarde, quant à elle, au cumul de handicaps dans de multiples dimensions de la vie (revenu, logement, santé, éducation, etc.). Bien que la réalité de l’exclusion ne se limite pas à celle­ci, cette approche permettrait de mesurer l’évolution des progrès relativement à la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sur une base récurrente. Par ailleurs, d’autres approches se fondent davantage sur les perceptions de l’accès inégal aux possibilités (capabilities).

Plusieurs auteurs se sont frottés au défi de concevoir des indicateurs d’exclusion sociale. En Grande­Bretagne, Ruth Levitas, conceptrice de la Bristol social exclusion matrix (B­SEM), définit ainsi l’exclusion :

« L’exclusion sociale est un processus complexe et pluridimensionnel. Elle comprend le manque ou le déni de ressources, de droits, de biens et de services, et l’incapacité d’avoir des relations et de mener des activités normales, qui sont disponibles à la majorité des membres d’une société, que ce soit sur la scène économique, sociale, culturelle ou politique. Elle influe tant sur la qualité de la vie des particuliers que sur l’équité et la cohésion de la société dans son ensemble » (traduction libre, LEVITAS et autres, 2007, p. 86).

Pour chacune des dimensions et sous­dimensions de l’exclusion établies par l’auteure, une série de thèmes ont été déterminés. L’auteure énumère dans un tableau (matrice), le B­SEM, les 10 sous­dimensions de l’exclusion sociale présentes au cours des étapes de la vie (l’enfance, la jeunesse, l’âge adulte [en âge de travailler] et la vie ultérieure), ainsi que les thèmes qui y sont associés. Le tableau 2.0 présente les sous­dimensions et les thèmes en question.

L’exclusion sociale : construire avec celles et ceux qui la vivent

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TabLEaU 1dimensions, sous-dimensions et thèmes du b-sem

DImENsIoNs soUs-DImENsIoNs ThèmEs

Ressources Ressources matérielles/économiques

Revenu, biens, accès à la propriété, économies, dettes, pauvreté subjective

Accès aux services privés et publics

Services publics, transport, services privés, accès aux services financiers (incluant l’accès à un compte bancaire)

Accès à des ressources sociales Institutionnalisation/séparation de la famille, soutien social (affectif et matériel), fréquence et qualité des contacts avec les membres de la famille, amis et collègues

Participation Participation économique Emploi (salarié ou salariée, travailleur ou travailleuse autonome, au chômage, sans emploi), bénévolat, travail non rémunéré, qualité des conditions de travail (travail temps partiel/temps plein, horaires antisociaux, avantages sociaux et autres)

Participation sociale Activités sociales, rôles sociaux

Culture, éducation, compétences

Compétences de base (littératie, aptitudes pour le calcul, compétences en anglais), niveau de scolarité, accès à l’éducation, loisirs culturels, accès à Internet

Participation politique et civique

Statut de citoyenneté, participation politique, efficacité civique (ex : se sentir capable d’influencer une décision), participation civique, adhésion volontaire à des groupes ou activités

Qualité de vie Santé et bien­être Exercice et santé physique, santé mentale, incapacités, satisfaction relativement à la vie, développement personnel, estime de soi, vulnérabilité à la stigmatisation

Environnement Logement, qualité du logement, sécurité du quartier (trafic, pollution atmosphérique et par le bruit), satisfaction à l’égard du quartier, accès à des espaces ouverts

Criminalité Sécurité objective (incluant abus ou risques d’abus à la maison), sécurité subjective, harcèlement, discrimination, casier judiciaire, emprisonnement

Son analyse tient également compte d’autres variables qui ne constituent pas une dimension de l’exclusion, mais qui peuvent agir comme facteurs de risque : le sexe, l’origine ethnique, la classe sociale, le type de propriété, la composition familiale, l’affiliation religieuse et des événements critiques de la vie.

Au Canada, deux chercheuses de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC) ont proposé un indicateur inspiré de cette démarche (B­SEM) se fondant sur la notion de cumul de désavantages. Cette proposition tente de quantifier plusieurs aspects de l’exclusion et de les fusionner en un seul indicateur. Selon cette approche, les individus cumulant au moins trois désavantages dans trois domaines clés de la vie (collectivité [quartier], revenu, soutien social, éduca­tion, privation matérielle, santé et participation au marché du travail) sont considérés comme « exclus », alors que ceux en cumulant au moins quatre sont considérés comme « extrêmement exclus ». Ces individus se retrouvent davantage que les autres en situation de vulnérabilité.

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Cette approche suppose que les désavantages relatifs aux multiples dimensions du bien­être se renforcent l’un l’autre.

Jehoel­Gijsbers et Vrooman (2007) ont aussi élaboré une échelle qui exprime le degré d’exclusion sociale en un seul indice. Dans leur démarche, l’exclusion sociale est conçue comme un concept multidimensionnel qui combine deux types d’exclusion : l’exclusion économique­structurelle et l’exclusion sociale­culturelle. Elle est envisagée comme une combinaison de privation matérielle, un accès insuffisant aux droits sociaux, un faible degré de participation sociale et un manque d’intégration normative.

TabLEaU 2les caractéristiques de l’exclusion sociale

DImENsIoNs DEsCRIpTIoNs

Privation matérielle

Lacunes par rapport aux besoins de base et aux biens matériels, lifestyle deprivation, surendettement, arrérages de paiement

Accès insuffisant aux droits sociaux

Listes d’attente, obstacles financiers et autres obstacles à la santé, à l’éducation (surtout des enfants), au logement, à l’aide juridique, aux services sociaux, aux agences pour l’emploi, à la sécurité sociale et à certains services commerciaux (tels que les banques et les compagnies d’assurances), insuffisance de sécurité

Faible degré de participation sociale

Manque de participation aux réseaux sociaux formels et informels, y compris les activités de loisirs, insuffisance du soutien social, isolement social

Manque d’intégration normative

Manque de conformité avec les normes et les valeurs fondamentales associées à la citoyenneté, indiqué par une éthique de travail faible, l’abus du système de sécurité sociale, un comportement délinquant, des vues divergentes sur les droits et les devoirs des hommes et des femmes, aucune participation dans le voisinage local et dans la société dans son ensemble

(JEHOEL­GIJSBERS et VROOMAN, 2007)

Des questions couvrant chacune de ces dimensions ont été élaborées afin que les répondants et répondantes se situent sur une échelle de 1 (jamais) à 5 (toujours), les résultats les plus élevés indiquant des niveaux plus élevés d’exclusion sociale. Le modèle suppose essentiellement une causalité à sens unique : les facteurs de risque sont considérés comme augmentant le risque d’être exclu de la société. L’étude a, entre autres, démontré que les principaux indicateurs généralement utilisés (revenus, travail et non­emploi) ne peuvent expliquer qu’une partie de l’exclusion sociale. Un certain nombre de caractéristiques individuelles jouent également un rôle important (état de santé, maîtrise de la langue, situation familiale et autres). Cette approche est très normative par certains aspects, mais elle nous invite toutefois à porter notre regard au­delà des indicateurs « traditionnels » vers une multitude d’aspects touchant la vie des individus.

Une variété d’indicateurs peut donc être utilisée et traitée en fonction de la façon dont on décline le concept d’exclusion en dimensions. À titre d’exemple, Burchardt, Le Grand et Piachaud (SILVER, 2007) ont établi des indicateurs relatifs à quatre dimensions de la participation sociale dans les activités « normales » de la société : 1) la consommation (moins de la moitié du revenu moyen net des ménages) et les économies; 2) la production (celles et ceux qui sont actifs économiquement et qui ne sont pas engagés dans des activités à caractère social); 3) l’engagement politique (celles et ceux qui ne votent pas ou n’appartiennent pas à une organisation politique) et 4) les interactions sociales (celles et ceux qui n’ont personne pour leur offrir du soutien [écoute, réconfort, aide lors d’une crise], personne avec qui relaxer ou personne qui les apprécie vraiment). Un autre groupe de recherche de Bristol a conduit une enquête sur la pauvreté et l’exclusion sociale (SILVER, 2007).

L’exclusion sociale : construire avec celles et ceux qui la vivent

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Ces chercheurs ont innové dans leur étude en demandant à un échantillon représentatif de la ville de Bristol ce que ses citoyens et citoyennes considéraient comme des activités sociales « normales ». Ils ont ainsi examiné les aspects sociaux de l’exclusion. L’exclusion a été déclinée en quatre dimensions de l’exclusion sociale et les indicateurs choisis y sont directement liés : 1) la pauvreté financière et les privations matérielles; 2) l’exclusion du marché du travail; 3) l’exclusion des services publics et 4) l’exclusion des relations sociales. Plusieurs autres études ont mené à l’élaboration d’indicateurs de l’exclusion sociale.

Les différents travaux effectués dans d’autres pays peuvent nous servir de point de départ pour élaborer nos propres indicateurs de mesure au Québec. Le suivi en matière d’exclusion au Québec et la comparaison avec d’autres pays doivent toutefois tenir compte du contexte socio­économique propre à chacun.

1.4 suivi en matière d’exClusion soCiale

L’objectif principal visé par le projet de recherche sur l’exclusion sociale est de se doter d’indicateurs afin de pouvoir suivre adéquatement les progrès et reculs du Québec en la matière. Il pourrait également être pertinent d’envisager une mesure de l’exclusion sociale qui puisse permettre certaines compa­raisons interprovinciales, voire internationales, au moins partielles, de quelques indicateurs. Toutefois, aussi louable qu’elle puisse être, cette ambition de comparaison résiste difficilement à l’épreuve de la réalité. En effet, les exemples ne manquent pas pour se convaincre que les comparaisons sont facilement hasardeuses lorsqu’on s’intéresse à des éléments précis qui n’ont pas la même signification ou les mêmes implications d’un pays à l’autre. Proposer, par exemple, des comparaisons entre certains pays européens et le Québec quant au logement peut s’avérer très approximatif si l’on tente d’établir ces comparaisons à partir d’un niveau de confort acceptable ou d’une superficie minimale. Pourtant, l’Union européenne s’est dotée d’une série de 10 indicateurs de pauvreté et d’exclusion sociale. Mais Silver (2007) souligne que, malgré la désignation d’indicateurs communs, les différences nationales dans le sens qu’on donne à l’exclusion peuvent largement entraver les études comparatives. En effet, « le statut des pauvres et des exclus dépend à la fois du sens que prennent, dans chaque société, des critères comme le niveau de vie ou le degré de participation à la vie économique et sociale, et du rapport que les populations désignées comme “pauvres” ou “exclues” entretiennent avec ceux qui les désignent ainsi » (SIMMEL cité dans PAUGAM, 2000). Puis, en aval de la conception, se posera le défi crucial des données : leur accès, leur fiabilité, leur récurrence, leurs possibilités de comparaison, etc.

Ainsi, en tenant compte des travaux et des expériences menés ici et là sur l’exclusion sociale, est venu le temps, au Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion, de se questionner sur la façon de s’approprier ces indicateurs, en les adoptant ou en les adaptant, ou encore en élaborant de nouveaux indicateurs afin de pouvoir traduire, le plus adéquatement possible, les progrès et les reculs du Québec en cette matière. Mais, avant cela, une première démarche s’imposait, celle de se doter d’une définition opérationnelle de l’exclusion sociale.

1.5 définir l’exClusion soCiale

Comme vient de le montrer le tour d’horizon de la littérature, le concept est l’objet de débats : quelques points de convergence, nombreuses sources de divergence.

L’exclusion sociale est donc un concept très large englobant une multitude de situations. Elle se traduit non seulement par un manque de moyens matériels, mais également par une incapacité à prendre part à la société aux points de vue social, économique, politique et culturel. De l’exclusion, il en existe donc plusieurs formes et à divers degrés. Toutefois, pour l’exercice auquel nous souhaitions nous livrer, il a été clairement établi, dès le départ, que ce sont les formes de l’exclusion sociale qui sont liées à la pauvreté qui seraient retenues.

Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion

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Or, l’exclusion est liée, mais non limitée, à la pauvreté. « Cette pauvreté chronique est souvent assimilée à l’exclusion, car elle réduit de façon importante et durable les ressources, les moyens, les choix et le pouvoir d’accéder aux droits de participer à la vie sociale. Elle augmente […] la proba­bilité de vivre des formes multiples d’exclusion » (GROULX, 2011, p. 9). Nous nous intéressons à la problématique de l’exclusion sociale lorsqu’elle est liée à la pauvreté. La pauvreté n’est pas le seul déterminant de l’exclusion. Il s’agit sans doute d’un déterminant parmi d’autres, mais c’est l’intersection des deux phénomènes que nous tentons d’approfondir. La relation entre l’exclusion et la pauvreté est circulaire; les deux phénomènes peuvent se renforcer mutuellement.

Proposition de définition de l’exclusion sociale

Le 25 mai 2012, le comité de direction du Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion s’est entendu, par consensus, sur une définition de l’exclusion sociale :

C’est cette définition qui a servi d’orientation au projet. Il s’agissait là de tester cette définition, de s’aventurer hors des sentiers battus, tout en faisant écho à la littérature, en adoptant une approche inédite pour le Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion : celle de proposer des indicateurs d’exclusion sociale construits à partir de l’expérience de personnes en situation de pauvreté.

« L’exclusion sociale est le résultat d’un ensemble de processus économiques, politiques, institutionnels, culturels, souvent interdépendants et cumulatifs, qui mettent des personnes ou des groupes à part dans la société.

« Quand l’exclusion sociale et la pauvreté se conjuguent, elles peuvent se renforcer mutuellement au fil du temps. L’exclusion sociale associée à la pauvreté peut se traduire notamment par des possi­bilités limitées pour les individus (et conséquemment pour leur famille et leur communauté) de maintenir leur autonomie économique, tout en affectant l’intégrité de leur identité sociale, leur santé, leur éducation, leur participation au marché du travail ainsi qu’aux réseaux de relations sociales et familiales. Ces conséquences peuvent à leur tour entraver la sortie de pauvreté.

« Les mécanismes de l’exclusion sociale peuvent être corrigés par une action collective et par des politiques publiques. »

L’exclusion sociale : construire avec celles et ceux qui la vivent

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chapItre 2 le projet de recherche sur l’exclusIon socIale

À la suite de plusieurs rencontres du comité de direction entre 2011 et 2012, les membres se sont prononcés en faveur d’un projet sur l’exclusion dont la première étape consisterait en la tenue d’ateliers réunissant des personnes ayant recours à des organismes d’aide aux personnes en situation de pauvreté, en vue de proposer des indicateurs pour une mesure de l’exclusion sociale liée à la pauvreté.

Tout en confirmant l’approche retenue, les membres ont décidé d’effectuer une démarche parallèle, celle de transposer au Québec, en l’adaptant au besoin, l’approche de l’exclusion sociale par le cumul des désavantages (FORTIN et GAUTHIER, 2011). L’objectif du Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion devait consister dès lors à proposer des indicateurs d’exclusion sociale résultant d’une approche complémentaire, dans la lignée de ces différentes démarches d’exploration et tenant compte tant des caractéristiques des personnes que des mécanismes d’exclusion.

2.1 ateliers réunissant des partiCipants et partiCipantes ayant reCours à des organismes d’aide

La démarche consiste en une exploration de la définition de l’exclusion, de ses dimensions et de ses mécanismes ainsi que de certaines pistes d’indicateurs selon une approche participative avec des personnes ayant recours à des organismes d’aide pour les personnes susceptibles de vivre des situations d’exclusion liée à la pauvreté.

Ce projet a reçu l’approbation du Comité d’éthique de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) ainsi que celle de la répondante en éthique du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale.

Les principaux objectifs visés par les ateliers étaient :

�� d’approfondir et de confirmer une ou des définitions de l’exclusion sociale;

�� d’ancrer la démarche de recherche sur l’exclusion liée à la pauvreté, de lui donner des perspectives;

�� de documenter et de mieux comprendre les caractéristiques et les mécanismes de l’exclusion sociale liée à la pauvreté;

�� de donner la parole aux personnes en situation de pauvreté en leur permettant de proposer des éléments à considérer lorsqu’il est question d’exclusion;

�� de s’assurer que les éléments retenus ont « un sens » pour les personnes en situation de pauvreté;

�� de faire surgir ou de confirmer certaines pistes d’indicateurs.

Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion

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Une liste des organismes a été établie au préalable par la chargée de projet, le Comité de direction du Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion et le Comité consultatif de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale.

Voici la liste de ces organismes :

�� un organisme de défense des droits des personnes;

�� un organisme en alphabétisation;

�� un organisme œuvrant auprès des jeunes;

�� un organisme œuvrant auprès des personnes immigrantes;

�� un organisme œuvrant auprès des femmes en difficulté;

�� un organisme d’aide en santé mentale;

�� un organisme œuvrant auprès des hommes en difficulté;

�� un organisme œuvrant auprès des familles monoparentales;

�� un organisme œuvrant auprès des Autochtones (en milieu urbain);

�� un organisme visant à améliorer le mieux­être des résidants et résidantes d’un quartier à risque (personnes âgées).

Dix ateliers ont eu lieu entre le 7 juin et le 25 septembre 2012. Au total, nous avons rencontré 76 personnes, soit entre 5 et 10 participants et participantes par atelier. La composition des ateliers était très variée : légère majorité de femmes, des participants et participantes de toutes les catégories d’âge, issus de différentes minorités, la plupart sans emploi, mais quelques­uns et quelques­unes avec un emploi, plusieurs bénévoles actifs. Bref, sans prétendre à une forme ou une autre de représentativité, nous pouvons affirmer que les participants et participantes aux ateliers étaient d’une grande hétérogénéité. Sans prétendre non plus à l’exhaustivité, nous jugeons que ce nombre a été suffisant pour faire surgir une diversité certaine de situations, de mécanismes et de parcours de personnes en situation de pauvreté et d’exclusion.

Il est important de souligner la diversité des parcours des personnes rencontrées, tant sur le plan des problématiques vécues que sur celui du parcours d’engagement. Certains participants et partici­pantes, une petite minorité, qui avaient un parcours d’engagement ou de militantisme connaissaient bien les concepts de pauvreté et d’exclusion. En revanche, pour la plupart, il s’agissait davantage d’une amorce de réflexion sur le sujet et d’une toute première occasion de participer à ce type d’atelier. Il avait été très clair, dans les consignes que nous avions données aux organismes, que nous souhaitions organiser des ateliers avec des personnes ayant recours à leurs services et non avec des intervenants et intervenantes. Ces consignes ont été tout à fait respectées. Toutefois, on ne saurait se leurrer : derrière tous ceux et celles qui se sont présentés aux ateliers se cachent sans doute d’autres personnes probablement plus exclues encore. Dans tous les cas, notre attitude a été celle de l’écoute et de l’accompagnement dans la démarche de construction de chacun des ateliers afin d’amener les groupes vers des propositions d’indicateurs. Pour y parvenir, il a fallu, dans toute la mesure du possible, se garder d’influencer la dynamique du groupe pour le diriger vers une piste plutôt qu’une autre et respecter les limites individuelles autant que collectives. Le rapport qui suit est donc le fruit de cette attitude, ni plus, ni moins.

Afin de préserver l’anonymat des personnes, chacun des organismes sélectionnés a procédé au recrutement des participants et participantes au sein de sa clientèle. Ainsi les coordonnées des participants et participantes sont­elles demeurées confidentielles. Une compensation financière a été remise en argent, de manière anonyme, pour leur seule présence, à chacun des participants et participantes afin de couvrir leurs frais éventuels de déplacement, de garde, etc.

L’exclusion sociale : construire avec celles et ceux qui la vivent

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2.2 le déroulement des ateliers

Nous avons animé les groupes en nous inspirant des techniques élaborées, notamment par Lucille Guilbert (voir bibliographie), dans le cadre des ateliers interculturels de l’imaginaire. Il s’agit d’une approche participative qui favorise la compréhension mutuelle et la coopération par le partage et la transmission des savoirs, des pratiques et des représentations. Chaque atelier a duré approximativement trois heures.

Avant le début de chaque atelier, nous avons rappelé aux participants et participantes le thème de l’atelier, le but de l’atelier, le fait que les discussions seraient enregistrées, la façon dont la confidentialité et l’anonymat seraient respectés, etc. Un guide a été rédigé afin de nous permettre de construire la structure des ateliers. Il est important de mentionner que les principes de ce guide n’ont pas été suivis à la lettre. Comme c’est toujours le cas dans ce type d’animation, ils ont été adaptés en fonction de la dynamique de chacun des groupes.

Les ateliers se sont déroulés en quatre étapes :

1. Présentation de soi au moyen d’objets symboliques

Chaque participant et participante a été invité à couper, à l’aide de ciseaux, un morceau de cordelette de la longueur de son choix (pour représenter sa présence dans le groupe) et à se présenter au moyen d’un ou de plusieurs objets qui se trouvaient sur la table (un masque, un coffret, des lettres, des blocs, un sablier, etc.). Dans le cadre du projet sur l’exclusion, ce type de présentation nous semblait être moins « anxiogène » pour les participants et participantes qu’une présentation traditionnelle (de type « tour de table »).

Cette étape a permis la création, l’ouverture d’un espace commun. « Acte fondateur » de la formation du groupe.

2. Qu’est-ce que l’exclusion sociale?

Chaque participant et participante a été amené à parler de sa vision de l’exclusion, de ce que cela comportait, de comment cela se traduisait dans son quotidien, dans ses observations. Il s’agissait donc d’une partie non directive, l’objectif étant que les participants et participantes s’expriment librement et spontanément sur le sujet, tout en testant les différentes orientations de la définition.

Notre rôle était davantage de déclencher les échanges, de faciliter et soutenir l’expression des participants et participantes. Nous nous sommes assurés que toutes les composantes du thème avaient été abordées durant l’atelier. Au besoin, nous avons eu recours aux différents domaines (thèmes) établis dans les travaux menés pour l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale1 afin d’orienter et d’alimenter la discussion. Les échanges ont alors été orientés selon les lignes directrices suivantes : Ça touche quoi, l’exclusion? Qu’est­ce que cela signifie dans les différents domaines de la vie : l’argent, le logement, la santé, l’image de soi, le rapport à l’environnement, les relations avec les proches, les relations avec les professionnels et profession­nelles et les institutions, les déplacements, le travail et l’emploi, l’éducation?

3. Vers des pistes d’indicateurs

Après avoir fait une synthèse de la première partie et un rappel des objectifs de l’atelier, nous avons demandé aux participants et participantes de se prononcer sur comment, selon eux, on peut mesurer l’exclusion sociale. Nous voulions savoir quels instruments de mesure nous pourrions utiliser pour la mesurer. Nous avons posé la question suivante aux participants et participantes : « Dans cinq ans, par rapport à aujourd’hui, qu’est­ce qui pourrait indiquer qu’on a fait des progrès, ou non, en matière d’exclusion sociale? » La notion d’indicateur était expliquée de manière très concrète. Les indicateurs étaient présentés comme des outils, des instruments : « un thermomètre sert à mesurer la température, une horloge indique l’heure, etc. ». Pour chacune des idées, des pistes proposées, les

1 Expérimenter une méthode de connaissance de la pauvreté et de l’exclusion sociale (2009), Paris, ONPES. (pour consultation : https://www.onpes.gouv.fr/IMG/pdf/Valeur_Plus.pdf)

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participants et participantes cherchaient également des instruments de mesure. Cette partie de l’atelier était plus encadrée que la précédente afin de nous permettre d’atteindre les objectifs visés par les ateliers : trouver des indicateurs qui nous permettraient de mesurer l’exclusion sociale.

4. Clôture des ateliers

Pour terminer l’atelier, chaque participant et participante était invité à dire ce qu’il retenait, en une phrase, relativement ou non aux objets qu’il avait sélectionnés au départ ou à un autre objet de son choix.

2.3 analyse des ateliers

Les ateliers ont été enregistrés et retranscrits textuellement (verbatim) aux fins de la recherche. Nous avons utilisé le logiciel Nvivo pour organiser et classer les données.

C’est donc dans une logique inductive, au fil de l’analyse et des discussions avec les membres du comité de direction du Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion, que nous avons construit les différentes dimensions de l’exclusion telles qu’elles sont présentées dans ce rapport. Cette façon de faire nous a permis de présenter les résultats de façon claire et cohérente. Les indicateurs nommés par les participants et participantes ont ainsi été regroupés par dimensions. Nous les avons presque tous conservés, à l’exception de quelques­uns, vraiment trop éloignés de notre objectif, qui ne nous semblaient pas réellement pouvoir couvrir une des facettes de l’exclusion.

La force de cette approche repose donc sur ses bases, celles de l’expérience des personnes en situation de pauvreté, et sur sa volonté, pleinement assumée, de construire la connaissance – des indicateurs d’exclusion – à partir de cette expérience. Cette proximité recherchée fait également qu’en contre­partie cette approche peut avoir acquis, au moins par moments, les défauts de ses qualités et n’être pas à l’abri d’avoir introduit certains biais. Misant sur les forces, tout en étant conscients des limites et des risques de mésinterprétation, nous avons « traqué » ces biais tout au long de cette démarche, et dans toute la mesure du possible.

L’exclusion sociale : construire avec celles et ceux qui la vivent

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chapItre 3 les résultats

Avant toute chose, nous pouvons affirmer que la définition opérationnelle proposée en début de projet « tient la route ». Confrontée à l’expérience de personnes en situation de pauvreté, elle n’a pas eu à être remise en question. C’est pourquoi nous pensons, sans l’idéaliser, que cette définition permet de faire un pas de plus dans la compréhension et la connaissance de l’articulation de l’exclusion liée à la pauvreté. Ceci constitue un des résultats importants de cette recherche.

Pour le reste, nous présentons ici les résultats à partir de différentes dimensions de la vie touchées par l’exclusion sociale. Cette classification nous permet de couvrir la variété des situations comprises dans le phénomène de l’exclusion sociale liée à la pauvreté :

�� Les conditions matérielles;

�� Le logement;

�� La santé;

�� Le travail et l’emploi;

�� L’éducation;

�� Les réseaux (personnels et institutionnels/organisationnels).

Dans la prochaine section du rapport, nous documenterons chacune des dimensions à partir des éléments soulevés par les participants et participantes lors des ateliers. De nombreux indicateurs sont ressortis comme étant des indicateurs pour mesurer une facette du phénomène de l’exclusion sociale. Pour le moment, nous les avons presque tous conservés. Il sera nécessaire, pour la suite du projet de recherche, de soumettre ces indicateurs à l’épreuve de la réalité, de les cerner avec rigueur et fiabilité et de savoir s’ils mesurent réellement ce que nous souhaitons mesurer.

3.1 les dimensions de l’exClusion soCiale

L’exclusion touche différents domaines de la vie des personnes et à différents degrés. Pour plusieurs, l’exclusion, c’est se sentir en marge, ne pas être dans la norme : « Pour moi, l’exclusion, me sentir exclue, c’est un peu ne pas pouvoir avoir accès à des choses que toute personne dite normale a accès » (participante à l’atelier B). L’exclusion est souvent partielle, rarement totale : « C’est des petites choses auxquelles on n’a pas accès, qu’on peut pas se permettre dans la vie de tous les jours qui nous empêchent, dire qu’on fait partie de la société » (participant à l’atelier B). Il peut s’agir d’une accumulation de désavantages dans plusieurs de ces domaines ou bien d’un événement qui déclenche un processus dont la finalité est l’exclusion.

Dimension 1 : Conditions matérielles

Cette dimension touche principalement la situation de pauvreté vécue par les participants et partici­pantes, du manque de ressources matérielles et financières et du manque de capacités que cette pauvreté implique.

Quand les ressources financières disponibles sont très limitées, il est difficile de répondre à tous ses besoins. Les personnes en situation de pauvreté doivent régulièrement choisir parmi certains besoins essentiels, se voyant dans l’incapacité de tous les combler. « Est­ce que je me paye une attelle à 30 $ et je coupe ça dans mon épicerie ou bien je m’en passe » (participante à l’atelier B)? Le manque d’argent cause ainsi la précarité des conditions matérielles en privant les personnes de la possibilité, par exemple, d’avoir une alimentation saine et suffisante (manger de la viande, des fruits et des légumes), et un habillement adéquat (adapté aux différentes saisons), ainsi que de pratiquer des sports et d’avoir des loisirs. Le transport est également une ressource dont les personnes en situation

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de pauvreté doivent se priver, faute de moyens financiers : « […] tu peux pas prendre l’autobus. Juste aller faire un tour, t’sais, tu veux aller prendre l’air sur le bord du fleuve, là, puis prendre l’autobus du point A au point B » (participante à l’atelier C).

Le transport représente une contrainte importante pour les personnes en situation de pauvreté, que ce soit pour se déplacer pour le travail, pour maintenir des liens avec la famille, profiter de certains services. Le coût d’une carte mensuelle permettant d’utiliser le réseau de transport en commun représente plus de 10 % des revenus d’une personne prestataire de l’aide sociale. L’accès au transport en commun revêt une importance particulière pour les personnes en situation de pauvreté. En effet :

« […] plus l’on est pauvre et exclu socialement, plus l’on devient captif du transport public pour assurer sa mobilité. Puis, plus le transport en commun connaît des hausses tarifaires, plus l’exclusion sociale s’enracine […] Cette importance s’explique à la fois par le caractère obligatoire de cette dépense et par le peu de flexibilité que l’on a par rapport à son montant, à compter du moment où l’on a une activité professionnelle normale. Alors qu’il est possible, en effet, de couper dans le budget vestimentaire ou alimentaire par exemple, le coût du transport peut difficilement être évité, voire réduit, pour les personnes qui utilisent le trans­port en commun à Montréal ou leur voiture en Mauricie, puisque dans les deux cas, il n’existe aucun autre moyen réaliste » (SMEREKA, 2007, p. 27).

Les limites du transport en commun restreignent les possibilités de recours à des ressources répondant à des besoins essentiels : « Ils nous demandent deux dollars par semaine (pour le panier de nourriture). […] je pouvais pas y aller, j’avais pas de transport, j’avais pas d’argent pour prendre l’autobus […] c’est six piastres d’autobus pour moi, là, aller chercher ça […] » (participante à l’atelier C). En région, il existe toutefois des organismes de transport bénévoles qui offrent des services à petits frais pour les rendez­vous médicaux, ce qui favorise l’accessibilité aux soins.

Finalement, le fait de ne pas pouvoir faire d’économies pour faire face aux imprévus ou pour réaliser des projets limite grandement les possibilités des personnes pauvres de se sortir de leur situation. En effet, leur qualité de vie est affectée par le manque de ressources financières et matérielles. Elles sont constamment en état de survie et peuvent plus difficilement exploiter tout leur potentiel à cause du peu de moyens dont elles disposent.

pistes d’indiCateurs

Voici la liste des principales pistes d’indicateurs qui ont été proposés par les participants et participantes pour cette dimension :

�� L’évolution de l’écart entre le coût de la vie et le seuil de pauvreté;

�� L’évolution de l’écart entre le coût de la vie et le salaire minimum;

�� L’ajustement du montant des prestations d’aide sociale versus le coût de la vie;

�� Le montant des prestations d’aide sociale comparativement au revenu médian;

�� Le nombre de personnes qui ont besoin des suppléments de revenu (plus de revenus égale moins de prestations pour les enfants);

�� Le nombre et le pourcentage de personnes sous le seuil de faible revenu;

�� L’évolution du seuil de faible revenu;

�� L’évolution du nombre de faillites personnelles;

�� Le suivi de l’augmentation du salaire minimum (indexé au coût de la vie);

�� Le fait de pouvoir se payer des fruits et des légumes chaque jour;

L’exclusion sociale : construire avec celles et ceux qui la vivent

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�� Le nombre de personnes qui ne sont pas capables de se payer trois repas par jour;

�� Le nombre de travailleurs et travailleuses qui ont recours aux banques alimentaires;

�� Le nombre de personnes capables financièrement de suivre le guide alimentaire;

�� Le fait d’avoir un budget pour les loisirs;

�� Le pourcentage du revenu consacré au transport en se basant sur le prix des cartes mensuelles;

�� L’évolution de la couverture du réseau de transport en commun et des heures de desserte;

�� L’évolution du nombre de personnes qui ont un testament enregistré;

�� L’évolution du pourcentage de la population qui a accès à Internet à son domicile.

Dimension 2 : Logement

Le logement est une préoccupation cruciale pour les personnes en situation de pauvreté. En effet, trouver un logement décent et abordable représente souvent tout un défi. Or, un ménage qui habite un logement convenable et qui accorde une part acceptable de son revenu à celui­ci peut se concentrer sur d’autres aspects de la vie comme l’alimentation, l’éducation et la santé.

Plusieurs études ont montré que le logement constitue le principal poste de dépenses dans le budget des ménages en situation de pauvreté. Nombreuses sont les personnes qui ont rapporté avoir eu des difficultés à se trouver un logement. Plusieurs sont confrontées au fait de ne pas avoir le choix du logement et de devoir prendre ce qu’on accepte de leur louer, ce qui implique parfois un logement trop cher, en mauvais état, voire insalubre ou inadéquat, au détriment de leurs conditions de vie. Le rapport de la Commission itinérante sur le droit au logement (2012) est très éloquent à cet égard, soulignant que :

« La nécessité d’avoir un toit exerce une pression énorme sur les plus démunis et conduit directement à des situations d’exploitation manifeste. […] Le nombre de personnes devant consacrer une très grande partie de leurs revenus à leur logement est important et en augmentation partout où la Commission a siégé. Une fois le loyer payé, il reste bien peu d’argent pour les autres besoins essentiels. L’appauvrissement des personnes touchées est alors instantané. Au­delà du stress évident que génère cette situation, il y a l’humiliation de vivre aux crochets des autres, d’avoir toujours à demander, d’attendre un sac de nourriture ou une distribution de vêtements » (p. 13).

Le coût du logement constitue donc un obstacle majeur à une qualité de vie décente. Tout comme la Commission itinérante sur le droit au logement, les ateliers ont permis aux participants et participantes de s’exprimer sur leurs conditions de logement. Souvent, les difficultés d’accès à un logement abordable ont été mentionnées. Par exemple, selon plusieurs participants et participantes, le prix moyen d’un logement dans la ville de Québec est supérieur au montant des prestations de base de l’aide sociale. Il va sans dire que, dans ces conditions, il est difficile pour une personne à faible revenu de trouver un logement qui correspond à ses critères, à un prix raisonnable et en fonction de son budget. Plusieurs personnes accordent donc au­delà de 60 % à 70 % de leurs revenus au logement. Elles doivent parfois se contenter d’un logement inadéquat, c’est­à­dire plus petit (logement surpeuplé), mal entretenu, difficile à chauffer, insalubre (vermine), dans un autre quartier, etc. Cette situation est plus particu­lièrement marquée chez les personnes vivant seules ou chez les familles monoparentales.

De plus, il existe beaucoup de préjugés au sujet des personnes en situation de pauvreté : « […] Si t’es une pauvre ou un pauvre, tu peux te contenter de peu. Alors, que ce soit n’importe où, n’importe quand, en autant que t’as une place pour crécher, les gens ont cette mentalité­là. Alors, ils vont t’offrir n’importe quoi, n’importe comment. C’est pas parce que t’es pauvre que t’as pas une intégrité

Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion

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puis une dignité » (participante à l’atelier C). Les préjugés des propriétaires à l’égard de certaines catégories de personnes (notamment les assistés sociaux, les mères monoparentales, les Autochtones) semblent être une barrière importante à l’accès à des logements convenables : « Quand vient le temps des déménagements, bien, m’a te dire si y a un obstacle à être capable de se louer un logement, c’est bien d’être à l’aide sociale. […] un des gros, gros défis, c’est de se trouver un logement, puis d’avoir un propriétaire qui a pas de préjugés » (participante à l’atelier C).

Plusieurs affirment que leur propriétaire entretient mal ou tout simplement pas du tout leur logement : « Souvent, les propriétaires font moins d’efforts de maintenir ton logement en bonne condition quand t’es à l’aide sociale parce qu’ils se disent : “Bah! Elle a pas le choix […] Elle va rester pareil” » (participante à l’atelier C).

Certains propriétaires tirent profit de la vulnérabilité des personnes. Par exemple, certains proprié­taires vont profiter du fait que les personnes immigrantes n’ont pas de références d’anciens propriétaires ni d’antécédents de crédit pour recourir à des pratiques illégales, comme exiger trois mois de loyer d’avance, demander un dépôt ou demander le numéro d’assurance sociale de la personne. Certains refusent même de leur faire visiter des logements quand ils comprennent qu’il s’agit de personnes immigrantes.

Les logements sociaux représentent donc, pour plusieurs, l’occasion d’avoir une vie décente en accordant un montant raisonnable du budget au logement, ainsi que des conditions d’accès plus équitables pour tous. Malgré quelques commentaires négatifs au sujet des habitations à loyer modique (pas le choix du lieu de résidence, conflit entre Québécois et immigrants, ambiance négative), la plupart des personnes voient comme une chance le fait de pouvoir avoir accès à un logement social. Le temps d’attente est toutefois souvent très long. La majorité des participants et participantes s’entend sur le fait que l’accès au logement social devrait être plus facile et plus rapide.

En matière d’aide au logement, il a également été souligné que le seuil de revenu utilisé pour donner accès au programme Allocation­logement est très bas et certaines personnes qui n’y ont pas accès auraient besoin de cette allocation pour joindre les deux bouts :

« […] pour l’aide au logement […] le montant qu’ils demandent comme montant maximal […] c’est 14 000 je sais pas quoi, il faudrait qu’il soit ajusté avec une réalité, ce montant­là […] j’aurais pas besoin d’aller chercher non plus un logement à revenus modiques si je pouvais l’avoir, cette possibilité­là qu’on me donne, je sais pas, au moins 50, 75 dollars de plus par mois qui m’aideraient, que je pourrais mettre sur mon loyer. J’en aurais vraiment besoin, là. […] avec ce que j’ai actuellement, là, il y a 5 000 piastres dans l’année qu’il faut que je trouve […] Je suis 5 000 piastres dans le trou. Puis je gaspille pas » (participant à l’atelier I).

Puisque l’accès au logement social est souvent long, l’allocation­logement est une autre forme d’aide qui peut venir combler des besoins de base pour les personnes en situation de pauvreté. Toutefois, à l’heure actuelle, l’accès à ce programme est également assez limité en raison du seuil de revenu.

pistes d’indiCateurs

Voici la liste des principales pistes d’indicateurs qui ont été proposés par les participants et participantes pour cette dimension :

�� La proportion du revenu consacrée au logement;

�� L’évolution du seuil de revenu pour avoir droit à l’allocation­logement;

�� Le nombre de personnes qui occupent un logement qu’elles jugent inadéquat (grandeur, emplacement);

�� Le pourcentage de personnes qui ont un logement insalubre;

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�� L’évolution du nombre d’accès à de grands logements pour les familles;

�� L’évolution du nombre de logements subventionnés (ou à loyer modéré) en milieu rural;

�� L’évolution du nombre de coopératives d’habitation;

�� L’évolution du nombre de logements sociaux;

�� L’évolution du nombre de logements sociaux destinés aux Autochtones;

�� L’évolution du temps d’attente pour un logement social;

�� Le temps d’attente avant de pouvoir obtenir un logement dans une habitation à loyer modique;

�� L’évolution du nombre de structures de location qui valorisent une plus grande mixité (entre autres, logements multigénérationnels);

�� L’augmentation du nombre de maisons avec trois ou quatre logements;

�� Le pourcentage de personnes immigrantes ou de familles monoparentales qui obtiennent un logement dès la première demande sans devoir affronter divers obstacles;

�� L’évolution du nombre de plaintes à la Régie du logement;

�� L’évolution des règles régissant les locations (abolition des garants, interdiction des cautions);

�� L’évolution du nombre d’années où les pénalités figurent au dossier à la Régie du logement.

Dimension 3 : Santé

Il est beaucoup plus facile d’agir sur sa vie et sur son environnement quand on est en bonne santé. Vivre dans la précarité affaiblit l’état de santé physique et mentale. Il est difficile d’adopter de saines habitudes de vie, de se maintenir en bonne santé et de répondre à tous ses besoins liés à la santé quand on est en situation de pauvreté. Un mauvais état de santé peut être le résultat du processus d’exclusion dans différents domaines de la vie, mais il peut également, en lui­même, mener à des situations d’exclusion. De plus, avoir de saines habitudes de vie nécessite certaines ressources finan­cières. Or, les personnes en situation de pauvreté doivent faire des choix qui ne sont pas toujours les meilleurs pour leur santé. Par exemple, en ce qui a trait à l’alimentation, plusieurs nous ont men­tionné opter pour la quantité de nourriture plutôt que pour la qualité. C’est une stratégie de survie, une manière de s’assurer qu’elles auront suffisamment de nourriture pour le mois. Ceux­ci étant souvent dispendieux, plusieurs personnes n’ont pas les moyens de pratiquer une activité physique ou un sport, malgré leur désir de se tenir en forme. Il est en de même pour les loisirs, qui sont souvent mis de côté malgré le fait qu’ils leur permettraient de préserver une bonne santé mentale. La plupart n’ont de moyens financiers que pour répondre à leurs besoins de base. Dans ces conditions, il est difficile de prendre part à la société, d’être actif socialement et de s’impliquer dans des démarches d’intégration en emploi, de retour aux études, etc.

Pour les personnes ayant des problèmes de santé, la situation est encore plus préoccupante. L’argent investi dans les soins de santé est souvent de l’argent en moins pour le budget nourriture du mois. Certains choisiront donc de renoncer à la médication et de vivre avec les conséquences. C’est le cas d’une personne qui a raconté avoir cessé de prendre ses médicaments quand elle a quitté l’aide sociale pour retourner sur le marché du travail (sa médication n’était plus entièrement couverte par l’assurance médicaments). Le manque d’argent entraîne parfois de lourdes conséquences sur la vie des personnes : « C’est sûr que, si je mange pas, il y a des médicaments qu’il faut que je prenne en mangeant. Je les prends pas quand je mange pas. Mais c’est pour ça que je te dis, mon équilibre est fait à partir de telle, telle, telle affaire. Si je saute un repas, je saute la médication. Donc mon état s’en ressent » (participante à l’atelier B). La majorité des parents rencontrés ont affirmé offrir en priorité les soins nécessaires à leurs enfants avant de penser à eux­mêmes : « […] j’ai beaucoup de réparations au niveau de mes dents, puis je souffre le martyre souvent, puis je gobe des pilules parce

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que c’est ma fille qui va passer avant moi au niveau du dentiste et ces choses­là, parce que, rendue à l’âge qu’elle a, là, on paie maintenant pour elle. C’est 10 ans maximum. […] si j’ai un choix à faire, c’est les dents de ma fille qui vont passer avant les miennes » (participante à l’atelier F).

Il est important de souligner l’angoisse et la détresse liées à la situation constante de manque que vivent ces personnes : « Moi, je voulais parler du stress que c’est de jamais avoir un sou pour faire face aux imprévus […] personnellement j’en ai développé des obsessions. J’ai toujours peur que mon frigo lâche… que ma laveuse lâche […] » (participant à l’atelier B). Leur état de santé mentale est constamment mis à l’épreuve. Plusieurs attribuent le fait de ne pas être en bon état de santé (mentale) au fait de vivre dans la précarité. Différentes situations (divorce, perte d’emploi, diagnostic de maladie mentale, etc.) ont amené les personnes à vivre de la précarité et cette dernière est accentuée par la faiblesse de leurs moyens financiers. La capacité d’agir sur sa vie est également directement touchée par l’état de santé mentale des personnes. Pour la plupart, la maladie mentale et l’angoisse liée à leur situation de précarité représentent autant de barrières supplémentaires à surmonter pour se sortir de l’exclusion.

La maladie est parfois un facteur d’exclusion, notamment quant vient le temps de se trouver un emploi. En effet, certains processus d’embauche sont discriminatoires :

« Moi, en partant, depuis que j’ai des diagnostics soit de santé physique ou mentale, il y a des questionnaires médicaux à l’embauche. Ça fait que t’es exclu en partant. Je veux dire, ils le savent même pas si tu fais la job ou pas, si t’es bon pour effectuer le travail, mais, t’sé, ils te refusent parce que t’as des problèmes de santé parce qu’ils se disent : “Ah! peut­être qu’elle va tomber en arrêt de travail. Ça fait qu’on prendra pas la chance de l’embaucher” » (participante à l’atelier G).

La maladie, qu’elle soit physique ou mentale, peut donc être à la fois une cause de l’exclusion (ex. : exclusion du marché du travail) et une conséquence de l’exclusion (ex. : manque d’argent pour se payer des soins nécessaires au maintien d’une bonne santé).

pistes d’indiCateurs

Voici la liste des principales pistes d’indicateurs qui ont été proposés par les participants et participantes pour cette dimension :

�� Le nombre de personnes qui renoncent à des soins de santé ou à des médicaments;

�� L’évolution du taux de diabète dans la population québécoise et plus particulièrement chez les personnes pauvres;

�� L’évolution des campagnes d’information sur l’alimentation dans les milieux défavorisés;

�� L’évolution du nombre d’adhésion à des assurances privées ou publiques;

�� L’évolution du taux de suicide;

�� L’évolution du taux de dépression ou d’épuisement professionnel;

�� L’évolution de la perception de l’estime de soi dans la population;

�� L’évolution du sentiment de responsabilisation par rapport à sa situation personnelle;

�� Le suivi de l’échelle de bien­être de la population.

L’exclusion sociale : construire avec celles et ceux qui la vivent

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Dimension 4 : Travail et emploi

Le travail offre différents avantages (revenus, protection sociale, socialisation, etc.) susceptibles de favoriser l’intégration sociale. Toutefois, selon plusieurs des participants et participantes rencontrés, la croissance des emplois atypiques ou précaires et les exigences du marché du travail affaiblissent cette relation entre l’intégration et le travail. Ainsi, presque paradoxalement, bien que, pour plusieurs, il demeure le principal mode d’intégration sociale, le travail peut également parfois donner lieu à des situations d’exclusion. Les obstacles à l’intégration au marché du travail sont majeurs.

Pour plusieurs des personnes rencontrées, l’intégration sociale passe par le travail. Le travail procure un certain statut. Il permet de conserver des liens sociaux réguliers, de renforcer l’estime de soi, etc. Sans travail, le risque d’exclusion est plus grand : « Fait que, t’sé, pas de travail, tu t’exclues parce que, au travail, tu restes en contact avec la réalité de la vie » (participante à l’atelier C). Toutefois, les obstacles à l’intégration au marché du travail sont nombreux : « La difficulté […] c’est l’insertion et l’insertion, ça ne peut se faire que par le travail. […] c’est ce qu’on a choisi parce qu’on a fait l’immigration économique » (participant à l’atelier E).

Les coûts, réels ou non, d’un retour au travail pour une personne sur l’aide sociale semblent être un obstacle important. Tout d’abord, les coûts liés à la recherche d’emploi sont autant d’argent en moins pour les autres besoins à combler : « Si t’as pas d’argent pour manger jusqu’à la fin du mois, vas­tu prendre de l’argent pour essayer de te trouver une job » (participante à l’atelier C)? Ensuite, plusieurs participants et participantes ont mentionné hésiter à retourner sur le marché du travail, car ils n’auraient plus les avantages sociaux liés à l’aide sociale. Certains sont prêts à assumer ce risque, car ils jugent qu’être sur le marché du travail est plus gratifiant qu’être sur l’aide sociale. Toutefois, ce ne sont pas toutes les personnes qui sont prêtes à prendre ce « risque ».

Les conditions du marché du travail ne sont pas attrayantes pour tout le monde. En effet, les revenus d’une personne qui ne peut accéder qu’à un emploi au salaire minimum sont insuffisants pour couvrir toutes les dépenses, notamment les médicaments et les frais liés au fait d’être en emploi (entre autres, l’habillement et le transport). Une personne raconte qu’elle a eu une opportunité de travail au sein d’un organisme communautaire à côté de chez elle : « Bien, si moi, comme quand j’ai commencé, quand j’ai commencé à faire mes recherches d’emploi, si j’aurais pas eu ici […] j’avais calculé qu’aller travailler à l’extérieur, qu’il faut que je prenne le transport en commun, qu’il faut que je paie les passes d’autobus, en tout cas, au salaire minimum, bien, il me restait 70 dollars par semaine clairs. Pas d’épicerie » (participante à l’atelier A). Certains multiplient les stratégies pour y arriver : « parce que, même si j’ai deux travails, j’arrive pas à m’en mettre de côté, puis j’arrive pas à avoir une vie sociale convenable » (participant à l’atelier I).

De plus, la conciliation travail/famille est un obstacle important à l’intégration au marché du travail. Parmi les raisons les plus fréquemment évoquées, nous trouvons notamment le fait d’avoir un enfant avec des problèmes de santé, des difficultés de comportement ou un handicap et les horaires atypiques. Par exemple, avoir un enfant qui présente des troubles de comportement nécessite beaucoup de disponibilité de la part des parents afin qu’ils puissent assister aux rendez­vous de suivi, l’accompagner dans ses déplacements ou le garder à la maison lorsqu’il est suspendu de l’école ou de la garderie. Cela implique donc d’avoir un horaire flexible ou d’avoir un très bon réseau de soutien. Or, ces conditions ne sont pas données à tous. Les familles monoparentales font face à cette réalité plus difficilement. Une mère nous a raconté son expérience sur le marché du travail :

« Avoir perdu deux fois des jobs, avoir tout perdu, justement tomber à terre, faire une dépres­sion, parce que tu perds tout ce que t’as, j’ai dit : “Ben, là, un moment donné, il fallait que je trouve un moyen de dealer avec […] les garderies, l’enfant à problème, les téléphones, les rendez­vous.” Bien, j’ai dit : “Pars à ton compte.” Je suis partie à mon compte, ça va faire quatre ans. Puis il y a pas personne qui me dit que j’ai pas le droit de quitter à 4 h, puis il y a personne qui me dit que j’irai pas au rendez­vous, puis il y a personne qui va me couper ma paie » (participante à l’atelier F).

Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion

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Dans un autre ordre d’idées, le marché de l’emploi est avare d’emplois adaptés aux personnes qui présentent certaines difficultés (handicap, problème de santé mentale). En exigeant performance et rendement, le marché du travail exclut certaines personnes, qui auraient beaucoup de potentiel, mais qui répondent moins bien à ces deux critères : « Parce que, moi, ça fait 25 ans que je travaillais, puis ça fait neuf ans que je suis malade, puis j’ai essayé cinq fois une job, des jobs, mais ils disaient : “T’es trop lente, t’as…” Ils acceptent, mais ils comprennent pas qu’on est plus lente, qu’on n’a pas la même ténacité dans le travail. Il faudrait qu’ils comprennent plus » (participante à l’atelier D). Ce ne sont pas tous les employeurs qui sont ouverts et sensibles à cette réalité.

Certaines personnes ont été propulsées dans l’exclusion à la suite de la perte d’un emploi. C’est le cas d’une personne qui a perdu son emploi après deux diagnostics liés à sa santé mentale et à sa santé physique et qui ne peut plus travailler dans son domaine (celui de la santé) à cause de la maladie :

« […] je trouve ça quand même difficile, là, parce que […] j’avais déjà ma vie professionnelle, mon auto, mon appart. neuf. T’sé, j’étais partie, là. Ça fait comme pfuit! T’sé, c’est quand même toujours difficile à accepter, là. Puis je pense pas me rendre au même niveau que j’étais avant, mais j’essaie de faire autre chose, là, mais, t’sé, je serais pas capable de retourner à l’école parce que j’ai des problèmes de concentration » (participante à l’atelier G).

D’autres situations ou évènements peuvent mener au risque d’exclusion, comme le fait de perdre son emploi à un âge avancé ou d’être déclaré « inapte à l’emploi » à la suite d’un diagnostic lié à sa santé mentale ou à sa santé physique :

« Moi, j’étais travailleuse comme toi, puis tout ça. J’ai gagné ma vie toute ma vie. J’ai fait plusieurs affaires, puis à un moment donné la maladie s’est emparée de moi, puis j’ai été obligée, je suis diminuée. Je suis devenue pauvre. La pauvreté m’a rejointe parce que j’étais plus capable indépendamment d’aller gagner ma vie pour me payer tout ce que je peux me payer […] qu’est­ce que je dois me payer pour vivre décemment, c’est­à­dire un toit, un logement, l’électricité puis les divertissements, mais comme je te dis, c’est la tv, là. C’est pas la fin du monde, là […] » (participante à l’atelier G).

Certains mécanismes sont déjà en place pour permettre aux personnes avec des capacités limitées d’intégrer le marché du travail. Selon les participants et participantes, ils devraient toutefois être renforcés afin de permettre au plus grand nombre possible d’y avoir accès.

La non­reconnaissance des diplômes pour les personnes immigrantes est également un problème majeur lié au travail. Certains participants nous ont raconté avoir été admis au Québec comme « travailleurs qualifiés ». Toutefois, une fois arrivés, ils ont constaté que leurs diplômes n’étaient pas reconnus et que, pour exercer un emploi dans leur domaine de formation, ils n’avaient d’autre choix que celui de retourner aux études. Or, ceux qui ont une famille n’ont pas toujours les moyens de s’engager dans cette voie et ils accepteront un emploi pour lequel ils sont surqualifiés, un emploi moins bien rémunéré et avec de moins bonnes conditions de travail.

En outre, le manque d’adéquation entre les compétences requises pour l’emploi et le niveau d’études exigé par les employeurs a été soulevé à plusieurs reprises lors des ateliers. Ceux et celles qui n’ont pas de diplôme de 5e secondaire ont généralement de la difficulté à se trouver un emploi qui offre de bonnes conditions. Or, ces personnes peuvent tout de même avoir des compétences et un savoir­faire : « Même si t’as pas ton secondaire 5, t’es capable de laver des vitres » (participant à l’atelier J). Aux yeux des participants et participantes, les employeurs exigent de plus en plus de compétences pour des emplois qui n’en requièrent pas nécessairement autant.

L’exclusion sociale : construire avec celles et ceux qui la vivent

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Finalement, il a été souligné par certains qu’il serait important de reconnaître la valeur du travail bénévole. Plusieurs personnes rencontrées ont dit ne pas être capables de supporter la pression du marché du travail. Pour elles, le bénévolat est une façon de rester actives, d’être en contact avec d’autres personnes et d’être valorisées : « Je travaille à l’accueil, puis ça fait vraiment du bien, là, de voir qu’on peut, de se sentir utile, puis même si c’est pas rémunéré, là » (participante à l’atelier G). Pour certaines personnes, cela peut être aussi valorisant, sinon plus que le travail.

Le travail est une dimension essentielle dans l’équation de l’exclusion sociale. Les obstacles à l’intégration au marché du travail demeurent nombreux pour les personnes en situation de précarité.

pistes d’indiCateurs

Voici la liste des principales pistes d’indicateurs qui ont été proposés par les participants et participantes pour cette dimension :

�� L’évolution du nombre de personnes qui renoncent à se chercher un travail parce qu’ils n’ont pas d’argent pour le faire;

�� L’évolution des subventions salariales pour l’intégration au marché du travail (notamment pour les personnes ayant un problème de santé mentale);

�� L’évolution du pourcentage de personnes ayant un problème de santé mentale qui sont en emploi;

�� L’évolution du taux de chômage;

�� L’évolution du taux d’emploi, notamment celui des personnes ayant un handicap;

�� L’évolution du délai avant l’accès à un premier emploi et à un premier emploi qualifié pour les personnes immigrantes;

�� L’évolution du nombre de places en garderie subventionnées;

�� L’évolution de l’accès au travail à temps partiel et des différentes formes d’accommodement pour les personnes affectées par un problème de santé mentale;

�� L’évolution du nombre de création d’entreprise;

�� L’évolution du nombre de personnes en emploi qui n’ont pas de 5e secondaire;

�� L’évolution de l’adéquation entre les compétences requises pour un emploi et les exigences des employeurs;

�� L’évolution des différentes formes de conciliation travail/famille (horaires flexibles, par exemple);

�� L’évolution du nombre de travailleurs et travailleuses autochtones hors réserve;

�� L’évolution des incitatifs financiers et sociaux qui favorisent le retour sur le marché du travail des prestataires de l’aide sociale.

Dimension 5 : Éducation

Cette dimension comprend les problématiques liées à l’éducation, à la connaissance de la langue et à celle de l’environnement. L’éducation peut grandement faciliter ou entraver l’accès au marché du travail.

Le décrochage scolaire a été le lot de plusieurs des participants et participantes que nous avons rencontrés. Le manque de ressources et de suivi dans les écoles pour les enfants en difficulté semble en être une cause importante. Certains participants et participantes affirment avoir éprouvé diverses difficultés (difficultés d’apprentissage, troubles de comportement et autres) qui ont entravé leur parcours scolaire et les ont menés vers le décrochage :

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« Le problème, c’est que les personnes, comme moi, c’est mon cas, j’ai besoin en permanence. Après ça, ils te laissent tomber un moment donné, là, ils disent : “Bon, comment ça se fait, ça allait ben. Comment ça se fait que tes notes re-droppent, puis tu recommences à mal aller?” Bien, j’ai perdu ce qui me permettait d’aller ben! C’est normal que ça re-droppe. Tu fais pas moins d’efforts » (participant à l’atelier D).

Plusieurs pensent que l’on gagnerait beaucoup à mettre en place davantage de services personnalisés dans les milieux scolaires.

Un autre élément qui a été soulevé à plusieurs reprises est celui de la méconnaissance de la langue et de l’environnement, une situation particulière aux personnes immigrantes. Cette méconnaissance entrave le processus d’intégration des immigrants et immigrantes, tant sur le plan du travail que sur celui des relations sociales : « C’est difficile, la langue. Je n’arrive pas à comprendre le français québécois, moi aussi, malgré que j’ai étudié le français pendant 20 ans à peu près, mais quand même je n’arrive pas à le comprendre facilement […] » (participante à l’atelier E).

Le retour aux études a été nommé comme une opportunité d’accéder à de meilleures conditions de vie, notamment d’avoir un meilleur emploi. Toutefois, les coûts financiers et personnels pour y arriver sont importants et en limitent d’autant l’accès.

pistes d’indiCateurs

Voici la liste des principales pistes d’indicateurs qui ont été proposés par les participants et participantes pour cette dimension :

�� L’évolution du nombre et du pourcentage de personnes immigrantes qui sont capables de travailler en français;

�� L’évolution du nombre et du pourcentage de personnes immigrantes qui travaillent en français;

�� L’évolution du taux de décrochage scolaire;

�� L’évolution du nombre d’enfants par classe;

�� L’évolution du nombre d’enfants sous médication pour trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH);

�� L’évolution du taux de diplomation dans les familles monoparentales (retour aux études);

�� L’évolution des subventions dans les écoles pour de l’aide (psychologie, orthopédagogie, éducation spécialisée);

�� L’évolution du nombre d’élèves par enseignant.

Dimension 6 : Réseaux

Afin de comprendre les mécanismes de l’exclusion sociale, il est nécessaire de s’attarder aux différentes ressources personnelles, organisationnelles et institutionnelles qui gravitent autour de la personne. La quantité et la qualité du soutien social en disent long sur l’enracinement dans l’exclusion. Le problème de l’accès à des ressources, organismes, institutions peut également être observé quand on s’intéresse au manque de soutien, à la désaffiliation. Cette dimension a été divisée en deux sous­dimensions : le réseau personnel et le réseau institutionnel/professionnel.

Réseau personnel

Le réseau personnel comprend tout ce qui touche la relation avec les proches, l’image de soi et le rapport à l’environnement. Il est important de s’y intéresser, car le soutien social permet de pallier certains manques et aide l’individu à surmonter les difficultés plus facilement. L’isolement social est un facteur qui renforce l’exclusion sociale.

L’exclusion sociale : construire avec celles et ceux qui la vivent

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Le fait d’avoir ou non un bon réseau social peut être déterminant dans la vie des personnes. Le soutien social apporté par les amis ou la famille peut être d’ordre moral, affectif ou financier. Il est important de s’intéresser non seulement au nombre de personnes qui composent le réseau, mais également à la qualité de celui­ci, c’est­à­dire au soutien réel qu’apporte l’entourage de la personne. Il faut aussi prendre en considération que, malgré la présence de personnes sur qui on peut compter, il y a la gêne et la honte de demander de l’aide : « […] je suis tellement mal à l’aise des fois quand je va lui demander quelque chose [à ma mère] que, regarde, j’aime mieux pas lui demander, puis m’en priver » (participante à l’atelier C). Plusieurs raisons peuvent expliquer la faiblesse du réseau social des personnes rencontrées, notamment les préjugés et l’incompréhension des autres à l’égard d’une situation (santé mentale, aide sociale). D’autres ont choisi de s’exclure elles­mêmes :

« Moi, c’est pas mes amis qui m’ont quittée, c’est plus moi qui me suis retirée. Je me suis coupée de mon réseau social. J’ai pas vraiment une raison. Je peux pas dire pourquoi. Je sais pas si c’est parce que j’avais honte ou parce que, bien, je feelais pas en partant, là. J’avais pas nécessairement envie de continuer à fréquenter des gens. J’étais plus dans ma bulle » (participante à l’atelier G).

L’image de soi est constamment mise à l’épreuve pour les personnes qui vivent en situation de pauvreté et cela influence leurs comportements :

« J’avais plus de budget beaucoup, puis j’étais gênée d’aller demander, d’aller à une banque alimentaire. Ça m’a pris des mois et des mois avant de me convaincre que c’était fait pour moi aussi. De me voir rendue là, j’avais de la misère à l’acceptation. Ça m’a pris du temps de me convaincre moi­même d’y aller. Finalement, bien, j’étais en train de crever de faim. Alors je suis allée. Mais ça a pas été facile […] » (participante à l’atelier C).

Les personnes peuvent ainsi se contraindre à ne pas demander d’aide ou bien adopter diverses stratégies : « Je rentrais par la porte d’en arrière tout le temps pour venir icitte, asteure je rentre par la porte d’en avant » (participant à l’atelier D). Préserver son estime de soi est un perpétuel combat pour ces personnes.

Plusieurs participants et participantes ont affirmé être plutôt isolés. Pour certains, la situation remonte à l’enfance; pour d’autres, l’isolement est survenu à la suite d’un événement comme l’annonce d’un problème de santé mentale ou le fait de « tomber » sur l’aide sociale, ou d’autres situations qui ont pu être mal perçues dans leur entourage. En effet, nous avons rencontré de nombreuses personnes qui affirment avoir vécu du rejet de la part de leur famille et de leurs amis. Certains donnent comme motif leur situation financière et matérielle : « Bien, non, t’es exclu. T’en n’as pas, d’argent, t’es pas intéressant pour eux autres » (participant à l’atelier I). Ou encore :

« T’es pas intéressant. T’es pas un facteur, t’es pas une personne à connaître. Tu peux rien leur apporter […] Ça fait que, eux autres (amis, famille), ils te fuient parce que, dans le fond, ils ont peur que tu leur empruntes de l’argent. Ils ont peur que tu leur demandes un service. Ils ont peur que, comme moi, là, j’ai deux enfants, bien, criffe, ils iront pas s’en approcher : “Ils vont peut­être avoir besoin de gardiennage” » (participant à l’atelier I).

Le manque d’argent limite également les activités des personnes victimes d’exclusion sociale, ce qui complique le maintien des liens avec leur réseau. À force de toujours se faire dire non, les proches (amis et famille) finissent par ne plus les inviter. Le manque d’argent pour payer le transport a également été mentionné comme étant un facteur limitant les contacts avec le réseau. Certains participants et participantes souffrant de rejet de la part de leur famille affirment que cela résulte d’un manque de compréhension relativement à leur problème de santé mentale : « Tu sais, ils savent pas qu’il y a

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plusieurs sortes de dépression, ils savent pas, ils essaient même pas de comprendre quand c’est dans la famille aussi, là. Moi, en tout cas, j’ai été exclue de ma famille » (participante à l’atelier D). L’isolement social est donc un phénomène très présent chez les personnes rencontrées.

Un autre élément qui a été fréquemment mentionné lors des ateliers est que la séparation et la monoparentalité qu’elle implique sont des facteurs majeurs de précipitation vers un processus d’exclusion. En effet, la séparation amène une série de conséquences (financières, matérielles, émotives) qui entraînent souvent les personnes dans la spirale de l’exclusion. « La séparation a été pénible, puis ça m’a occasionné des frais. J’ai perdu ma maison, puis j’ai perdu mes économies […] ce qui fait que j’ai dû déclarer une faillite » (participant à l’atelier I).

À de nombreuses reprises, nous avons pu constater que certains éléments déclencheurs tels que la maladie mentale, la monoparentalité, la perte d’un emploi et le fait d’avoir un enfant avec un handicap, pour ne citer que ceux­là, peuvent constituer des facteurs très puissants de précipitation dans la spirale de l’exclusion.

pistes d’indiCateurs

Voici la liste des principales pistes d’indicateurs qui ont été proposés par les participants et participantes pour cette dimension :

�� L’évolution du nombre de personnes sur qui on peut compter si on a besoin d’aide (amis, famille);

�� L’évolution de la perception de la qualité de la relation avec la famille et les amis;

�� Le sondage « D’un point de vue personnel, est­ce que vous vous sentez en situation d’exclusion? Jusqu’à quel point avez­vous un bon réseau? »;

�� L’évolution du nombre de personnes qui se perçoivent comme exclues.

Réseau institutionnel/professionnel

La sous­dimension du réseau institutionnel/professionnel comprend tout ce qui a trait au recours aux institutions, aux problèmes d’accès à celles­ci ainsi que la participation à des organismes. L’accès à des services ainsi que la participation à des organismes renforcent la capacité d’agir des personnes en leur donnant des outils supplémentaires pour faire face à leur situation de précarité.

Nous avons été à même de constater l’importance des organismes communautaires dans la vie des personnes (soutien moral, financier, alimentaire, etc.). Le recours à des organismes est un facteur de survie et d’inclusion sociale :

« Moi, j’ai rien devant moi. Donc, je me suis habituée à vivre en mode survie et je me suis habituée à trouver toutes les ressources qui existent pour être capable de me sentir intégrée dans la société. J’ai toujours considéré, je me suis jamais vue pauvre parce que je me suis toujours dit : “Je suis pas démunie. Je suis capable de trouver des ressources.” C’est génial. Il y en a, des ressources, puis on a du soutien » (participante à l’atelier G).

Plusieurs participants et participantes ont affirmé que, sans la présence de l’organisme communautaire auquel ils participent, il y aurait beaucoup plus de détresse psychologique : « Bien, moi, je vais te dire bien franchement, si on n’aurait pas l’organisme A […] là, je pense qu’il y aurait beaucoup plus d’isolement […] puis de suicides, puis de burn-out, puis de tout ce que tu voudras » (participante à l’atelier A). Les organismes communautaires permettent à de nombreuses personnes de briser cet isolement qui les maintient dans l’exclusion : « Comme nous autres, on n’est pas comme les autres, donc on est tous tassés dans un petit coin, puis on va y rester, dans notre petit coin. Une chance qu’il y a des organismes comme ici qui nous accueillent, là. Tu sais. […] Parce que autrement on serait sûrement pus de ce monde » (participante à l’atelier C).

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Le fait de participer à un organisme peut donc être déterminant. Cela permet à de nombreuses personnes de briser l’isolement dont sont souvent victimes les personnes en situation de pauvreté, tout en leur permettant d’accéder à des services auxquels elles n’auraient pas accès autrement. Les groupes de soutien et les cuisines collectives, pour ne nommer que ceux­là, permettent non seulement de briser l’isolement, mais également d’apporter une aide concrète (matérielle ou psychologique).

Le problème de l’accès aux services et aux institutions est réel, notamment en ce qui a trait au temps d’attente, aux coûts des services et aux modes de communication. Il a été mentionné à plusieurs occasions que le temps d’attente pour avoir accès à des services est long, ce qui entraîne fréquemment une aggravation de l’état de santé physique ou psychologique. Cette situation fait en sorte que les personnes hésitent à aller demander de l’aide, notamment au centre local de services communautaires (CLSC) : « Ils te mettent sur une liste, puis si c’est pas un cas de suicide […] bien, ils te prennent pas tout de suite. Puis, ça, je trouve pas ça… c’est dangereux » (participant à l’atelier D). Certaines perdent même confiance en la capacité du réseau à les aider : « Moi, depuis qu’elle [sa fille] a 18 mois, j’attends [pour avoir des services d’un éducateur spécialisé]. Elle a cinq ans et demi » (participante à l’atelier F). Encore une fois, l’argent est un facteur limitatif, car l’accès à des services dans le privé est rarement une possibilité pour les personnes en situation de pauvreté : « Les services spécialisés. Tout ce qui est spécialisé, tu te sens beaucoup exclue si t’as pas d’argent pour payer, là » (participante à l’atelier F). Les critères établis qui priorisent l’accès à des services à certains groupes de population font aussi en sorte de laisser d’autres groupes à part, comme c’est souvent le cas pour les personnes seules : « Des fois, c’est ta situation qui fait que t’as pas droit aux banques alimentaires. […] les couples passent avant, les mères, puis les pères monoparentals passent avant une personne seule » (participant à l’atelier I). C’est également le cas pour les hommes : « Puis le gouvernement va faire des programmes pour les femmes, pour les Autochtones, pour les Noirs […] on n’a pas de support parce qu’on est des hommes, puis on est des Québécois. On n’en a pas. Il y a des programmes pour tout le monde excepté nous autres ici […] » (participant à l’atelier I).

Le coût peut également freiner le recours à des services. Même lorsqu’elles sont peu élevées, certaines personnes n’ont pas toujours les moyens d’effectuer les contributions financières exigées et doivent attendre deux, trois semaines avant de pouvoir participer à un atelier de groupe, par exemple.

Les modes de communication sont de moins en moins personnalisés. Pour certains, le fait de devoir remplir des demandes en ligne, au moyen d’Internet, ou de « parler » avec une boîte vocale pose problème. Ils auraient davantage besoin d’un service personnalisé. Plusieurs se découragent devant la complexité des démarches et des questionnaires à remplir pour demander de l’aide, notamment de l’aide financière de dernier recours. Certains accumulent les refus parce qu’il manque un papier ou une information et doivent remplir d’autres demandes : « […] ça fait un mois que je vais leur porter de la paperasse, mais j’ai pas plus de nouvelles pour savoir si je vais avoir de l’argent » (participant à l’atelier I). La lourdeur des démarches administratives est ressortie comme étant un obstacle majeur à l’accès aux services : « […] Puis, là, t’essaies de t’en sortir, mais tu te fais dire : “Faites vos preuves ou bien non apportez­nous tel papier.” […] la paperasse, là, pfuit! Ça te tue plus que d’autres choses » (participant à l’atelier I). De plus, les documents, la technologie et les programmes changent régulièrement : « Puis aussitôt que, est­ce que je peux dire pas s’habituer, mais qu’on essaie de comprendre le roulement de l’aide sociale, bien, ils nous rechangent ça. Là, asteure, il faut faire face à une télévision ou […] un vidéo guichet » (participante à l’atelier C). Tous n’ont pas la chance d’avoir de l’aide et du soutien, pour les accompagner et les aider à comprendre et à remplir les formulaires.

Aussi, différents services et programmes sont méconnus de la population : « Nous autres, on le sait parce qu’on est passés par le CLSC ou on connaît quelqu’un, puis on se fait refiler le tuyau. Autrement, on l’aurait même pas su, nous autres non plus » (participant à l’atelier D). La diffusion de l’information sur les ressources et programmes existants pourrait être un moyen de favoriser le recours aux services : « T’sais, l’ignorance, je veux dire, ça peut causer aussi l’isolement, là, de l’exclusion » (participante à l’atelier G).

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En résumé, la relation avec les institutions est souvent complexe et ne favorise pas toujours l’inclusion des personnes en situation de pauvreté, en ne tenant pas compte de leur réalité. Parfois, cette relation est le résultat d’une mauvaise expérience ou d’une confrontation aux limites du système : de ce fait, la confiance des personnes à l’égard des situations est souvent faible. Plusieurs ne croient pas en la capacité des institutions de les aider :

« […] mettons qu’on a un besoin, une aide, puis c’est une aide d’urgence, puis souvent on va cogner dans les portes, tout ça, mais bien souvent, là, on va en cogner des portes, là, pour avoir un service d’aide, puis… bien souvent, les réponses qu’on a : “Bien, madame, qu’est­ce que vous voulez qu’on fasse?” Moi, c’est la question qui me fait suer, c’est ça » (participante à l’atelier F).

« Un moment donné, tu rencontres finalement la travailleuse sociale, mais un certain temps… rendu à un certain temps, elle dit : “Bon, on va fermer votre dossier parce qu’on voit que vous cheminez même pas assez.” Des fois, on fait des efforts pour, mais ils ferment ton dossier quasiment pour rien » (participant à l’atelier B).

pistes d’indiCateurs

Voici la liste des principales pistes d’indicateurs qui ont été proposés par les participants et participantes pour cette dimension :

Organismes communautaires

�� L’évolution du nombre de proches de personnes atteintes d’un problème de santé mentale qui fréquentent les organismes pour mieux soutenir les personnes;

�� L’évolution des subventions aux organismes;

�� L’évolution du financement et des subventions accordés aux organismes communautaires;

�� L’évolution du financement et des subventions accordés aux organismes en santé mentale;

�� L’évolution du financement aux organismes d’aide aux hommes;

�� L’évolution de l’information diffusée sur les organismes d’aide;

�� L’évolution du nombre de personnes qui participent aux organismes communautaires;

�� L’évolution du nombre de bénévoles dans les organismes d’aide aux personnes;

�� L’évolution de la publicité et de la promotion pour les organismes d’aide;

�� Le temps d’attente pour l’accès à un médecin de famille.

Accès aux services

�� L’évolution du pourcentage de la population qui a un médecin de famille;

�� L’évolution du nombre de médecins de famille;

�� L’évolution de la gratuité des soins de santé pour les enfants par catégorie d’âge;

�� L’évolution du nombre de personnes qui renoncent à des soins de santé, faute d’y avoir accès facilement;

�� L’évolution du nombre de personnes qui ont accès à l’aide juridique;

�� L’évolution du nombre de personnes qui renoncent à l’aide juridique;

�� L’évolution du nombre de dossiers refusés à l’aide sociale (contraintes administratives);

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�� L’évolution du temps d’attente lors de demandes de services au CLSC;

�� L’évolution du taux de satisfaction après fermeture du dossier au CLSC;

�� L’évolution du nombre de places dans les centres de la petite enfance (CPE);

�� L’évolution du pourcentage de garderies qui offrent des services en dehors des heures habituelles (soir, fin de semaine);

�� L’évolution des investissements pour des ressources à l’école (psychologie, orthopédagogie, éducation spécialisée);

�� L’évolution des règles pour établir le montant des prestations (tenir compte du revenu actuel plutôt que du revenu indiqué sur la dernière déclaration de revenus);

�� L’évolution de la structure réglementaire (étapes des démarches administratives);

�� L’évolution du temps d’attente avant la prise en charge lors d’une demande d’aide;

�� L’évolution de l’accès au crédit : réduction du temps où les personnes n’y ont pas accès;

�� L’évolution de l’offre de services (de cours du soir ou de services en milieu de travail);

�� L’évolution du nombre de jardins communautaires.

Mode de communication avec les institutions

�� L’évolution du nombre d’institutions ou d’organisations qui nécessitent l’accès à Internet;

�� L’évolution de l’accès à des personnes « physiques » dans les services administratifs.

3.2 au-delà des dimensions, la disCrimination ou le regard de l’autre…

Les personnes en situation de pauvreté sont nécessairement confrontées au regard de l’autre. Mais, au­delà de ce qui constitue le quotidien de tout un chacun en société, le regard de l’autre qui est lié à la pauvreté est plus souvent qu’autrement discriminatoire, avec toutes les conséquences que cela peut impliquer. À ce titre, le rapport de Centraide intitulé « Un préjugé, c’est coller une étiquette » cerne très justement les conséquences du regard de l’autre empreint de préjugés : « L’une des conséquences les plus dramatiques des préjugés tient à ce que les personnes qui en sont la cible finissent par se persuader qu’elles ont en effet moins de valeur que les autres. Cette intériorisation du préjugé pourra entraîner l’auto­exclusion pour les uns, la révolte pour d’autres et, dans tous les cas, un accroc de plus au tissu social. »

Les préjugés envers les personnes en situation de pauvreté sont nombreux, destructeurs et tenaces : les participants et participantes aux ateliers l’ont répété à de multiples reprises. Ils ont le sentiment d’être constamment jugés, enfermés dans des stéréotypes qui entraînent autant de formes de discrimi­nation à leur égard. Cette discrimination semble souvent trouver ses sources dans la situation financière et la précarité des statuts que confère le fait d’être sans emploi ou prestataire de l’aide sociale :

« On met toutes les personnes dans le même panier. Parce que une personne a fait un acte malhonnête ou pas correct, bien, tout le monde sont comme ça! Ça fait que c’est ça qui nuit à nous, les personnes à l’aide sociale, parce qu’on va dire : “Toutes les personnes à l’aide sociale sont comme ci, toutes les personnes à l’aide sociale sont comme ça” » (participante à l’atelier B).

La discrimination peut également être fondée sur d’autres éléments qui touchent de près la pauvreté, par exemple le lieu de résidence. Le fait de demeurer dans un quartier dit « défavorisé » peut être source de stigmatisation : « Ça, c’est d’être étiqueté quand t’es dans un secteur démuni […] On est tous des niaiseux, tous des pauvres, tous des drogués, tous des alcooliques » (participant à l’atelier A). Il y a également le fait de demeurer dans une habitation à loyer modique (HLM). Une participante

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raconte : « […] ils m’ont fait des menaces de m’amener à la Régie du loyer, moi, regarde. J’ai dit : “Bien, c’est pas à cause que je reste icitte (dans un HLM), madame, que je suis une folle.” Ils nous prennent pour des imbéciles, on dirait, parce qu’on reste ici » (participante à l’atelier A).

Le parcours de vie de certaines personnes est marqué par la discrimination depuis l’enfance : « Moi, je me souviens, quand j’étais petite, à l’école, on se faisait battre, puis le monde nous humiliait, ils nous envoyaient plein de choses parce qu’on était pauvres […] Ça fait mal de se faire dire des choses de même » (participante à l’atelier A). Une autre participante raconte les conséquences à long terme de la discrimination dont elle a été victime : « […] l’exclusion, je l’ai vécue jeune en ayant des problèmes de santé mentale, jeune adulte […] c’est venu programmer ma vie. En tout cas, c’est venu teinter ma vie […] » (participante à l’atelier G). On voit ici comment une difficulté liée à la santé mentale (comme toute autre forme de handicap) peut constituer une entrave considérable à l’interaction avec d’autres individus ou groupes d’individus. Vivre de la discrimination peut compro­mettre la sortie de la spirale de l’exclusion, notamment parce que l’image de soi de ces individus est constamment mise à l’épreuve et affaiblie par ce type d’expérience. Le manque de confiance en soi et à l’égard des autres ainsi que la peur du jugement ou de l’échec viennent ainsi jouer un rôle. Cela peut se traduire par l’évitement de situations difficiles ou par l’incapacité de prendre des décisions ou de faire des actions dans sa vie personnelle qui pourraient favoriser la sortie de l’exclusion. Des personnes évitent de se mettre dans des situations où elles pourraient être jugées, par exemple demander de l’aide (affective ou matérielle) à un proche, ce qui les prive de différentes formes d’aide qui pourraient les soutenir considérablement.

D’autres personnes vont fuir les situations dès qu’elles sentent que cela pourrait devenir plus complexe parce qu’elles ne se font pas suffisamment confiance ou qu’elles ne peuvent supporter le jugement de l’autre. Une participante rapporte un entretien qu’elle a eu avec un propriétaire alors qu’elle était en recherche de logement : « […] il dit : “Comment vous allez faire pour le payer? Savez­vous, j’ai dit, on va laisser faire, des propriétaires comme vous, j’en veux pas de toute façon.” J’ai raccroché, mais j’étais tellement hors de moi […] » (participante à l’atelier J). Ainsi, certains renoncent à des logements, ne souhaitant pas avoir un propriétaire qui entretient dès le départ des préjugés négatifs à l’égard des personnes sur l’aide sociale. D’autres renonceront à demander de l’aide à un organisme par peur d’être vu et remarqué par d’autres individus, ce qui est un fait plus marqué dans les petits villages : « [Il y a des gens] qui osent pas venir. […] À cause de la gêne parce que, tu sais, l’organisme J est quand même au milieu de la rue, tu sais, puis… Quasiment dedans la rue, hein » (participant à l’atelier J)? La discrimination peut freiner le recours des personnes à des ressources, comme elle peut également priver de l’accès à des droits fondamentaux, comme celui d’aller à l’école. C’est le cas d’une participante qui a mis fin à son parcours scolaire : « Eux, ils m’écœuraient parce que, moi, j’étais pas comme les autres. Tu sais, j’étais plus grosse […] C’est du style comme ça qu’on m’écœurait […]. Sans ça, j’aurais pu continuer l’école jusqu’à mes 22 ans, mais j’ai arrêté à mes 18 ans [avant la fin du secondaire [NDLR]] » (participante à l’atelier J).

Les préjugés et les formes de discrimination qu’ils impliquent atteignent directement l’estime de soi des personnes en situation de pauvreté, ayant ainsi d’autres répercussions sur différentes sphères de la vie de ces dernières. Ces personnes portent alors les stigmates du regard de l’autre : « Nous autres, on fait du bénévolat, on est refoulés, on est repoussés parce qu’ils voient qu’on travaille pas. Dans ce temps­là, on les intéresse pas. Souvent, ça arrive et ça peut briser le moral de bien des gens quand tu te fais repousser comme ça » (participante à l’atelier B). La discrimination a donc des conséquences majeures sur le plan affectif, brimant notamment l’intégrité même des personnes concernées.

Les phénomènes de discrimination ont des conséquences directes sur les conditions de vie de ces personnes. Plusieurs participants et participantes ont souligné que certains propriétaires refusent de louer leurs logements à des prestataires de l’aide sociale, à des familles monoparentales ou bien à des personnes immigrantes, faisant ainsi obstacle à l’accès à un logement décent, adéquat et adapté à leurs besoins. D’autres ont mentionné que certains programmes gouvernementaux ont des

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exigences préalables tellement élevées qu’ils sont susceptibles de freiner l’accès des plus démunis à ces programmes. Ainsi, des personnes aux prises avec le cercle vicieux de l’exclusion n’ont pas accès à certains droits et services fondamentaux. Il en va de même pour d’autres types de services importants comme l’accès à l’aide juridique ou à des services funéraires pour un proche, qui sont d’autres services auxquels certains des participants et participantes ont dû renoncer pour des raisons financières.

Au cours des ateliers, nous avons été à même de constater que les personnes sans emploi ou ayant un faible revenu, les personnes présentant un handicap physique ou un problème de santé mentale et les personnes immigrantes sont des catégories de personnes plus susceptibles de rencontrer de nombreux obstacles lorsque vient le temps de faire valoir leurs droits ou d’accéder à des services. Certaines circonstances créent des obstacles à la participation économique et sociale, ce qui accroît par le fait même le risque d’exclusion. À titre d’exemple, plusieurs personnes présentant un problème de santé mentale ou des personnes immigrantes ont affirmé que, malgré la présence de programmes d’aide, l’accès à l’emploi est souvent ardu, voire impossible, les privant ainsi d’être actifs sur le marché du travail et de bénéficier de tous les avantages (économiques et sociaux) que procure un emploi. Des employeurs montrent de sérieuses réticences à les engager malgré certains dispositifs gouvernementaux mis en place pour les soutenir dans leurs démarches.

Le rapport à l’environnement pour les personnes en situation de pauvreté est donc complexe, tant au point de vue des institutions qu’au point de vue des relations sociales avec la famille et les amis. La discrimination vécue par les personnes en situation de pauvreté agit alors comme une importante barrière à la sortie de la pauvreté et de l’exclusion.

indiCateurs

Voici une liste d’indicateurs qui ont été retenus par les participants et participantes et qui se rapportent principalement à la sensibilisation, au regard de l’autre et à la discrimination :

�� L’évolution des campagnes de publicité et de sensibilisation sur la santé mentale;

�� L’évolution du nombre de personnages dans les téléromans qui ont des problèmes de santé mentale;

�� L’évolution de la diffusion d’information sur le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) dans l’objectif de réduire les préjugés;

�� L’évolution des programmes visant la « discrimination positive » de certaines catégories précises de clientèles (programmes qui en avantagent certains, mais qui en désavantagent d’autres);

�� L’évolution des campagnes de sensibilisation sur l’analphabétisme « il y a moyen de s’en sortir »;

�� L’évolution de la publicité visant à réduire la stigmatisation à l’égard des hommes qui ont besoin d’aide « on n’est pas des moumounes parce qu’on a besoin d’aide »;

�� L’évolution de la sensibilisation quant à la situation des Autochtones et des Métis;

�� L’évolution du taux de garde partagée des enfants en cas de séparation.

Toutefois, arrivés au terme de l’exercice, force nous est de constater que de nombreuses propositions d’indicateurs, déjà répartis dans d’autres dimensions de ce rapport, auraient pu figurer dans cette section.

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3.3 les prinCipaux Constats

L’interrelation entre les différentes dimensions

Les constats qui ont émergé de cette démarche nous permettent maintenant de mieux saisir à quel point les multiples facettes des dimensions de l’exclusion sont toutes complémentaires et interdé­pendantes. Les frontières entre ces dimensions ne sont pas hermétiques; ces dernières s’entrecroisent et s’influencent. Une situation, un événement peut jouer sur une ou plusieurs dimensions à la fois. Ainsi, une perte d’emploi peut, par exemple, avoir des répercussions dans les domaines des conditions matérielles, du réseau personnel (estime de soi et relation avec les proches), etc. Par ailleurs, un facteur de protection dans une dimension agira directement ou indirectement sur les autres dimen­sions. Par exemple, avoir un membre de la famille, un ami ou un organisme sur lequel il est toujours possible de compter en cas de besoin peut donner un répit ou satisfaire des besoins essentiels, comme l’alimentation, ce qui permet de remonter la pente et d’avoir une conséquence positive, temporaire au moins, sur la santé.

La spirale de l’exclusion et le cumul des désavantages

Il existe différentes façons de concevoir et d’analyser l’exclusion. La tenue des ateliers nous a permis de mettre en lumière de multiples facettes de ce phénomène. De ces dernières, nous pouvons main­tenant affirmer que, au­delà des caractéristiques individuelles qui constituent incontestablement, et malheureusement, un terreau des plus fertiles, les mécanismes précipitants sont coriaces, féroces. C’est ce que nous appelons, comme d’autres avant nous, la « spirale de l’exclusion ».

En effet, nous avons constaté, à travers le récit des participants et participantes, qu’il n’est pas rare qu’un seul événement déclencheur précipite un individu dans l’exclusion. Nous avons pu déterminer certains facteurs de vulnérabilité, tels que la séparation, la maladie mentale et physique ou le non­accès à la bonne ressource au bon moment, qui semblent déterminants et qui peuvent, à eux seuls, précipiter les individus dans la précarité. Jumelés à la pauvreté, ces facteurs entraînent les personnes dans de profondes situations d’exclusion.

À l’inverse, d’autres facteurs peuvent être assez puissants pour renverser cette spirale et entraîner une personne vers la sortie de l’exclusion. Par exemple, une personne orientée au bon moment vers des ressources adaptées et adéquates peut être accompagnée hors de l’exclusion. Nous avons ren­contré plusieurs participants et participantes pour lesquels une personne ou un organisme a été déterminant dans leur parcours de vie, illustrant ainsi le fait qu’il est également possible de faire une différence, de renverser cette spirale de l’exclusion.

Toutefois, au­delà des renversements de tendances, d’autres tendances, très lourdes celles­là, ne semblent pas pouvoir s’inverser. Un constat s’est vite imposé au fil des ateliers : en général, il est plus « facile » de tomber dans la pauvreté et l’exclusion que d’en sortir. Autant on peut perdre pied et « dégringoler » rapidement, autant le sentier pour sortir de l’exclusion peut être long, escarpé et tortueux. Avec la plupart des participants et participantes aux ateliers, nous avons pu observer qu’une fois pris dans la spirale les manifestations et conséquences de l’exclusion (ex. : isolement social, détresse) s’accumulent et accroissent la vulnérabilité des personnes. La pauvreté constitue alors un facteur supplémentaire d’enracinement dans l’exclusion puisqu’elle prive souvent de l’accès à des ressources nécessaires. De là toute l’importance d’offrir les bons services aux bons moments.

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conclusIon

l’apport des personnes en situation de pauvreté à la démarChe

La démarche entreprise se voulait sans a priori ni présupposés, inductive et résolument participative. Au terme de la première étape, il ressort que l’approche par croisements de savoirs a été fertile et que l’apport des personnes en situation de pauvreté à cette entreprise a été plus que pertinent, riche d’enseignements tant pour la recherche elle­même que pour les personnes qui y ont participé.

En témoignant de leur expérience, en nous faisant part de leur parcours et en partageant leurs connaissances, ces personnes ont apporté de nombreux éléments qui ont à la fois défini approfondi et nuancé notre compréhension du phénomène de l’exclusion liée à la pauvreté dans ses manifesta­tions et ses mécanismes quotidiens. L’apport des personnes en situation de pauvreté a donc été très précieux pour alimenter notre réflexion sur le sujet. De plus, la majorité des participants et partici­pantes ont manifesté leur appréciation quant au fait d’avoir été associés à la démarche. Cela leur a permis d’aborder différemment les difficultés qu’ils vivent au jour le jour, de se sentir non seulement écoutés, mais utiles. Plusieurs nous ont mentionné leur satisfaction d’avoir participé à construire quelque chose, espérant que cet exercice pourra servir à orienter les actions en matière de lutte à la pauvreté et à l’exclusion. Nous avons ressenti un sentiment de fierté chez plusieurs participants et participantes à la fin de chaque atelier. Leur participation à la recherche a dépassé le simple témoignage au profit d’une réflexion beaucoup plus large sur les dimensions de l’exclusion, alors que plusieurs doutaient de leurs capacités et de leurs compétences à pouvoir le faire au début des ateliers.

« Moi aussi, je dis que c’est quelque chose de formidable parce que, pour la première fois, j’ai eu à parler avec des personnes qui m’écoutent. […] depuis que je suis ici, je n’ai jamais eu l’occasion de discuter comme ça, […] avec les gens qui viennent du gouvernement, qui viennent chercher d’après les immigrants les problèmes qu’on est en train de rencontrer ici. En parlant des hôpitaux, du transport et tout… et j’espère qu’il va y avoir d’autres, d’autres ateliers comme ça et que je participerais avec un grand plaisir » (participant à l’atelier E).

« Parce que ça été un temps qu’on a profité et j’ai l’espoir de pouvoir aider la société avec mes idées et que ces idées peuvent aider les autres » (participante à l’atelier E).

« Je trouve que, c’est comme l’exercice qu’on fait, là, aujourd’hui, là, c’est la démonstration qu’on doit tenir compte des exclus dans la société […] et, pour faire avancer la société, on doit en tenir compte » (participante à l’atelier G).

Nous réitérons donc l’importance et la pertinence d’impliquer, chaque fois que possible, les personnes en situation de pauvreté dans les démarches qui les concernent.

proChaines étapes

À partir des résultats obtenus et de la liste des indicateurs proposés lors des ateliers, une démarche a été entamée afin de retenir les indicateurs les plus significatifs, les plus parlants et les plus « opérationalisables ».

Chacun des indicateurs retenus par les participants et participantes a ainsi été analysé afin de déterminer s’il est possible de le rendre mesurable, de manière récurrente, à l’aide de données disponibles. Dans la mesure de ces indicateurs, un souci particulièrement aiguisé guidera notre démarche vers la recherche d’une mesure « réelle », au sens de « parlante », chargée de sens.

Les prochaines étapes permettront de valider ou d’invalider ce choix d’indicateurs de l’exclusion sociale en lien avec la pauvreté.

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annexe 1 cepe – projet de recherche sur l’exclusIon socIale – étape 1 guide d’animation des ateliers

rappel des prinCipales modalités éthiques :

1. S’assurer que les participants et participantes ont reçu la lettre d’information ou ont été informés du projet de recherche.

2. Rappeler aux participants et participantes les objectifs du projet, les méthodes de collecte des données et la forme que prendra leur participation :

� L’objectif du projet est d’explorer ce qu’est l’exclusion sociale et certaines pistes d’indicateurs qui serviraient à mesurer l’exclusion sociale au Québec, à travers le temps;

� La collecte des données se fait au moyen d’ateliers, auxquels participent des personnes ayant recours à des organismes communautaires;

� La participation de ces personnes au projet est volontaire. Elle consiste en une rencontre en groupe pour échanger des idées sur le thème de l’exclusion sociale.

3. Rappeler aux participants et participantes la façon selon laquelle la confidentialité des données sera assurée et les renseignements recueillis, protégés :

� Les propos échangés au cours des ateliers seront retranscrits. Des noms fictifs seront utilisés pour identifier les participants et participantes. Les transcriptions seront protégées à l’aide d’un mot de passe et les enregistrements seront conservés sous clé, puis détruits.

4. Rappeler aux participants et participantes leur droit de quitter l’atelier et de ne pas répondre à certaines questions.

5. Rappeler aux participants et participantes leur droit, à titre de participant ou participante volontaire, de se retirer du projet à tout moment s’ils le jugent nécessaire.

6. Rappeler aux participants et participantes leur droit de communiquer avec la responsable du projet s’ils ont des questions.

7. Donner aux participants et participantes l’assurance que les propos recueillis au cours de l’atelier seront traités de façon confidentielle et anonyme. Cependant, s’assurer qu’ils sont conscients que, même si les participants et participantes sont invités à être discrets, il demeure possible qu’un autre participant ou participante dévoile leur identité. L’anonymat et la confidentialité ne peuvent être garantis en raison du caractère collectif de l’activité.

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étape 1 : présentation de soi au moyen d’objets symboliques

Chaque participant et participante est invité à couper, à l’aide de ciseaux, un morceau de cordelette de la longueur de son choix (pour représenter sa présence dans le groupe) et à se présenter au moyen d’un ou de plusieurs objets qui se trouveront sur la table (un masque, un coffret, des lettres, des blocs, un sablier, etc.). (Précision : ce type de présentation peut être moins anxiogène pour les participants et participantes qu’une présentation traditionnelle [de type « tour de table »].)

Création, ouverture d’un espace commun. « acte fondateur » de la formation du groupe.

étape 2 : disCussion sur la définition de l’exClusion proposée par le Centre d’étude sur la pauvreté et l’exClusion

Garder en tête les éléments structurants de la définition élaborée par les membres du comité de direction du Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion :

« L’exclusion sociale est le résultat d’un ensemble de processus économiques, politiques, institutionnels, culturels, souvent interdépendants et cumulatifs, qui mettent des personnes ou des groupes à part dans la société.

Quand l’exclusion sociale et la pauvreté se conjuguent, elles peuvent se renforcer mutuellement au fil du temps. L’exclusion sociale associée à la pauvreté peut se traduire notamment par des possi­bilités limitées pour les individus (et conséquemment pour leur famille et leur communauté) de maintenir leur autonomie économique, tout en affectant l’intégrité de leur identité sociale, leur santé, leur éducation, leur participation au marché du travail ainsi qu’aux réseaux de relations sociales et familiales. Ces conséquences peuvent à leur tour entraver la sortie de pauvreté.

Les mécanismes de l’exclusion sociale peuvent être corrigés par une action collective et par des politiques publiques » (Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion, mai 2011).

aborder le sujet de manière plus générale pour faire « surgir » les grandes dimensions :�� pour vous, c’est quoi, l’exclusion sociale?

�� pour vous, c’est quoi, l’inclusion sociale?

Garder en tête les dimensions qui sont ressorties de la revue de la littérature, principalement les dimensions de l’exclusion :�� Dimension de privation matérielle (ressources matérielles et financières, logement);

�� Dimension économique (marché du travail, niveau de scolarité, bénévolat);

�� Dimension d’intégration socioculturelle (participation à des activités et/ou à des organismes, discrimination);

�� Dimension liée au capital social (réseau social, soutien extérieur, type de ménage);

�� Dimension des capacités d’action (état de santé physique et mentale).

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aborder concrètement les domaines constitués lors de la démarche de l’observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale avec des personnes en situation de pauvreté :

pour vous, ça touche quoi, dans la vie, l’exclusion sociale?

�� argent

� Ressources

� Dépenses

� Renoncement en raison du manque

� Angoisse liée au manque

� Autre

�� Logement � Pas de logement

� Perte du logement

� Coût du logement

� État du logement

� Choix du logement

� Situation géographique du logement

� Autre

�� Image de soi et rapport à l’environnement � Peur, stress, angoisse et repli

� Compréhension

� Renoncement

� Regard des autres

�� Relations avec les professionnels et professionnelles et les institutions � Recours aux droits

� Accès aux droits

� Accès aux professionnels et professionnelles ou à l’Administration

� Aide juridique

�� Relations avec les proches

� Famille et amis

� Voisinage

�� santé � Mauvaise santé physique

� Problèmes de santé mentale

� Dépenses et coûts

� Accès aux soins

� Renoncement aux soins

�� Déplacements � Mobilité

� Accès aux transports en commun

�� Travail et emploi � Accès à l’emploi

� Préjugés

� Discrimination

�� Éducation � Langue et langage

� Maîtrise de la lecture et de l’écriture

� Accès aux études

� Accès à la formation

PAUSE

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étape 3 : disCussion aveC les partiCipants et partiCipantes

Imaginez que vous êtes membre d’un groupe chargé de proposer des pistes, d’émettre des hypothèses sur ce qu’est l’exclusion et de faire des propositions sur comment la mesurer.

Inciter les gens à dépasser le témoignage au profit d’une réflexion sur leur vécu.

Revenir sur les grands domaines et dégager des éléments concrets qui vont au-delà de l’expérience personnelle.�� Qu’est­ce qui indique qu’une personne ou un groupe est exclu ou inclus? Quels sont les instruments de mesure qui peuvent permettre de le déterminer?

Grandes idées : � Est­ce que l’argent joue un rôle?

� Est­ce que l’éducation joue un rôle?

� Est­ce que la santé joue un rôle?

� Est­ce que l’endroit où on vit peut avoir des conséquences (sur l’inclusion ou l’exclusion) (état du logement, situation géographique, accès aux transports)?

� Est­ce que le fait de fréquenter un organisme peut avoir des conséquences (sur l’inclusion ou l’exclusion)?

�� Qu’est­ce qui indique qu’une personne ou un groupe exclut ou inclut? Quels sont les instruments de mesure qui peuvent permettre de le déterminer? Expliquer l’idée de l’instrument de mesure (thermomètre, horloge, etc.). � De quelle façon s’y prennent­ils?

� Qu’est­ce qui peut être source de discrimination?

�� Qu’est­ce qui contribue à l’exclusion ou à l’inclusion des personnes? � Les lois? Les institutions? Les groupes?

� Lesquels?

� Comment?

�� Quel rôle la pauvreté joue­t­elle dans le processus d’exclusion?

�� Si on devait retenir les principales dimensions de l’exclusion, quelles seraient­elles? � Est­ce qu’une ou plusieurs de ces dimensions ont plus de poids que d’autres dans le processus

d’exclusion?

�� Synthèse de l’exercice : � Quels indicateurs (quels signaux) concrets doit­on retenir pour mesurer l’exclusion liée à la

pauvreté? Comment peut-on mesurer l’exclusion sociale? (Donner des exemples concrets : le thermomètre pour la température, l’horloge pour l’heure, etc.). Dans cinq ans, qu’est-ce qui pourrait nous indiquer qu’on a fait des progrès, ou qu’on a régressé, par rapport à aujourd’hui en matière d’exclusion sociale?

� Enfin, essayer d’aller plus loin : qu’est-ce qui nous indique qu’une personne n’est plus victime d’exclusion sociale? Chercher des instruments de mesure.

étape 4 : fin de l’aCtivité

En une phrase, qu’est­ce que vous retenez de l’atelier? (Possibilité de reprendre un objet pour conclure.)

L’excLusion sociaLe :construire avec ceLLes et ceux qui La vivent

vers des pistes d’indicateurs d’exclusion sociale à partir de l’expérience de personnes en situation de pauvreté