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Université de NANTES Institut de Géographie et d’Aménagement Régional IGARUN Jérémie PARNAUDEAU L’IMPACT DE LA MONDIALISATION DANS UNE MICRO-REGION RURALE AU SENEGAL : LE CAS DES VILLAGES DU BLOUF (BASSE-CASAMANCE) Ajustement structurel, exode rural, disparition de la riziculture, salinisation des terres, interventions d’Organisations Non Gouvernementales : le Programme Alimentaire Mondial finance la construction de digues anti-sel pour conserver ce qui faisait l’identité Diola et le symbole de la solidarité ethnique. Mémoire de Master I « Terres et Mers Atlantiques » Sous la direction de : Christophe GRENIER, Maître de Conférences Juin 2005

L’IMPACT DE LA MONDIALISATION DANS UNE …asso-un.fr/0_DOSSIER_SITE/11.librairie.editions/2005_12_15_Memoire... · Bassirou Sambou, président de la Communauté rurale de Mangagoulack,

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Université de NANTES

Institut de Géographie et d’Aménagement Régional

IGARUN

Jérémie PARNAUDEAU

L’IMPACT DE LA MONDIALISATION DANS UNE MICRO-REGION RURALE AU SENEGAL : LE CAS DES VILLAGES DU BLOUF

(BASSE-CASAMANCE)

Ajustement structurel, exode rural, disparition de la riziculture, salinisation des terres, interventions d’Organisations Non Gouvernementales : le Programme Alimentaire Mondial finance la construction de digues anti-sel pour conserver ce qui faisait

l’identité Diola et le symbole de la solidarité ethnique.

Mémoire de Master I« Terres et Mers Atlantiques »

Sous la direction de : Christophe GRENIER, Maître de Conférences

Juin 2005

PARNAUDEAU Jérémie

Titre du mémoire : L’impact de la mondialisation dans une micro-région rurale au Sénégal : le cas des villages du Blouf (Basse-Casamance)

Nombre de pages : 202 + 36 pages d’annexesNombre de cartes, graphiques et documents : 98Nombre de photographies : 70

Résumé : Dans le contexte de la mondialisation, les espaces ruraux d’Afrique sont touchés par des réactions en chaîne qui bouleversent l’économie locale. On pourrait penser que le rôle de la mondialisation dans ces espaces restés traditionnels est minime ; en réalité, il n’y a pas de meilleur clé de lecture pour comprendre les mutations qui touchent le Blouf, micro-région rurale de 21 villages. Dans la première partie est évoquée la naissance d’un système socio-économique particulier fondé sur l’interaction entre les héritages et les avatars de la mondialisation (colonisation, étatisation et ajustement structurel). Le système actuel privilégie l’exode rural et l’extraversion de l’économie, fondée sur l’importance des transferts d’argent par les diasporas du Blouf à l’extérieur. Les activités génératrices de revenus disparaissent en raison de la libre concurrence et l’agriculture décline au profit d’investissements dans des structures d’éducation et de santé et la construction de maisons en ciment par les villageois en ville (deuxième partie). Les impacts géographiques qui en découlent sont multiples (troisième partie) et l’accent est mis sur les dysfonctionnements de ce système.

Summary : In a backdrop of globalization, rural places of Africa are concerned with knock-on effects which often distort their local economies. Many people spurn the idea of the role of globalization where life is still traditional. It's hypothesised there that no better key exist to understand rural African mutations, such as we can find in the Blouf, a southern Senegal micro-region of 21 villages, in Casamance. It discusses the birth of a new system based on upshots of colonisation, nationalisation and structural adjustment, three forms of globalization. These established facts interact with local specificities, a wetter climate and large submerged places with mangrove, permitting a very well-structured society, living in big villages, closed and animists whereas the rest of Senegal was Muslim. It's shown that the system changed to a new one, where rural exodus and abandon of rice fields first due to an ancient strong French schooling imply the dependence of outside aid (NGO's, urban workers born in the villages). Owing to free trade, remunerating activities are disappearing. All agriculture declines in front of increasingly infrastructures for education and health, and the building of new houses in cement by « urban villagers ». It bodes ill for the region, encouraging dependence. The future of the Blouf is in abeyance.

Mots-clés : Basse-Casamance – Mondialisation – Géographie rurale – Géographie économique – Exode rural – Système géographique.

Keywords : Basse-Casamance – Globalization – Economic Geography – Rural Geography – Rural exodus – geographic system.

Rubrique de classement : Géographie tropicale

JURY : Christophe GRENIER, Maître de ConférencesEtienne CHAUVEAU, Maître de Conférences

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MERCI

Christophe GrenierGeneviève Limes et Jean-Paul Glotin – association unBassirou Sambou, président de la Communauté rurale de Mangagoulack, pour un accueil extraordinaire pendant plus d’un moisSiaka Badji à Ziguinchor pour m’avoir accueilli et aidé à chaque fois que j’en ai eu besoinIbrahima Sambou, à Dakar, pour m’avoir accompagné dès qu’il le pouvait dans la ville tentaculaireIdrissa Goudiaby et Binta Sambou à Dakar pour un accueil formidableYounousse Sambou, un guide, un ami, un frèreTaïrou Diatta et Ibrahima Sow pour une sincère amitiéAmadou Bâ, la gentillesse personnifiée

Dans les villages de la Communauté rurale de Mangagoulack, cent personnes dont l’accueil a été au-delà de toutes les espérances et pour avoir tout fait pour répondre précisément aux questions

Et dans les villages, plus particulièrement :

A Tendouck : Mamina Goudiaby, Kadialy Diatta, El-Hadji Diémé, Yama Tombo Diatta, Nafi Diatta, Idrissa Diedhou.A Boutégol : M’Baye Goudiaby, Fatou Badji, Sonkaro Sambou, Baboucar Diatta, Siriac Diatta, Henri Mané.A Mangagoulack : Adramé Diatta, Seringbai Diatta, et bien sûr Younousse et Bassirou Sambou.A Diatock : Moussa Diatta, Lamine Diatta, Fodé Goudiaby, Djibril Sagna, la maîtresse du centre de couture.A Elana : Ahmed Sambou, Paul Ignace Sagna, Atab Sambou, Pascal Diedhou, Pascal Sagna.A Bodé : Moussa Bodian, Ousseynou Sagna.A Boutœum : Cheikh Tidiane Diedhou, Jean Abassène Badji, Marie Augustine Diatta, Vital Badji.A Djilapao : Alexis Djiba.A Affiniam : Pierre Simon Diedhou, François « Fanfo » Coly, Louis André Sambou, Nestor du Campement Villageois, Louis André Sambou, Dominique Manga et Moustapha Diatta, frère Christophe du CPRA.A Diégoune : Moustapha Diedhou, président de Communauté rurale, Mamadou Solo Badji du CLCOP, Sadibou Badji.A Balingore : Sana Fofana Badji, président de Communauté rurale.A Dianki : El-Hadji Lamine Camara, Bacary Camara, Iancouba Bodian, président de communauté rurale, Kambatouko Sonko, El-Hadji Sonko qui m’a accompagné toute la journée.A Mlomp : Bacary Coly, président de communauté rurale, Malick Diatta.

A Ziguinchor, les présidents des associations de ressortissants : Emile Manga, Djibril Diatta, Aliou Diatta, Jean-Marie Sagna, Lamine Sambou, Arthur Diatta, Souleymane Soumaré, Félix Sambou.

Et encore : Alimatou Souaré de Kagamen, John Eichelsheim et Djibril Coly de Idée Casamance, Olivier Flament et l’équipe du PAM, Franck Müller de l’ARD, David Diatta du PSIDEL, Carmen Garrigos de l’UNICEF, Bassamba Diedhou de Entreprise Works, François Sagna du CRS, ENDA-ACAS.

A Bignona, Abdoulaye Sall, inspecteur départemental de l’éducation nationale, Potnil Diémé et l’association ARBRES.

A Dakar, les associations de ressortissants : Edmond Sagna pour Boutœum, Pascal Sagna de Djilapao, Youssouph Diatta de Tendouck, Clément Badji d’Affiniam, Aliou Diatta de Diatock, Youssouph Goudiaby et l’ensemble du bureau de Mangagoulack, Adramé Sambou et le bureau de Boutégol ainsi que l’amicale des élèves et étudiants de Boutégol, Pascal Diémé d’Elana, Omar Soumaré et le bureau de Bodé.

Et bien sûr :Odile et Albert, mes parentsSophie et Nicolas

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AVANT-PROPOS

Cet ouvrage est le fruit d’une réflexion et d’un cheminement personnels qui dépassent le simple

cadre d’une année de Master I en géographie. Il s’inscrit dans une logique, dans une volonté de

construire un parcours de formation personnalisé, original dans le cadre d’une filière géographique. Il

résulte en effet de la volonté de construire une formation professionnelle, mais qui bénéficie des

apprentissages de l’analyse propre à la recherche. Il nous semble que la méthode de réflexion

universitaire est tout à fait adaptée à l’apprentissage du terrain avant l’action sur le terrain. En effet,

elle permet la compréhension de phénomènes qui peuvent sembler complexes à première vue, et par

suite proposer la ou les solutions les meilleures possibles aux problèmes soulevés par l’étude. Ce

travail cherche donc avant tout à faire progresser une formation du monde de la recherche vers la

mise au service du développement.

D’où l’idée d’un cursus universitaire ayant pour but de se former à mettre en application des

préceptes et des méthodes d’analyse qui seront employables sur le terrain, dans un contexte de

professionnalisation dans le domaine du développement et de la solidarité internationale. C’est de ces

pensées qu’a éclos l’idée de réaliser un mémoire qui confronterait deux visions du développement :

celle qui se fonde sur l’analyse, et celle qui a pour postulat un travail de terrain avant tout, le soutien à

des populations face à des besoins exprimés. Notre première démarche se portait donc vers un sujet

qui aurait porté sur les impacts territoriaux d’une association de solidarité internationale, quelle qu’elle

soit. Cela revêtait des avantages pour les deux parties : pour cette association, l’observation d’un œil

nouveau, extérieur et renforcé par des structures conceptuelles et d’explication, se révélait

enrichissante. Cette observation devait fournir par la suite un document d’évaluation et d’aide à la

décision. Pour nous-même, c’était l’opportunité d’acquérir à la fois une aide logistique et une

expérience nouvelle en matière de solidarité internationale. Tout un pan du travail, donc, a été entamé

au cours de l’année universitaire 2003-2004, à travers la rencontre avec des organismes et des

associations humanitaires, de Loire-Atlantique essentiellement pour des raisons de commodité. Il

s’agissait en effet d’établir un contact régulier avec l’organisme qui serait choisi et qui devait déjà

fournir en lui-même une source d’informations. Nous avons découvert rapidement, toutefois, le faible

impact géographique de ces associations. La plupart travaillaient sur des micro-projets de

construction, d’aide à la scolarisation, ou de développement des soins. Peu d’entre elles touchaient le

secteur du développement dans son ensemble ou de celui de l’amélioration de conditions

économiques. En vérité, il aurait mieux valu évaluer ce type de projets sur un territoire donné, en

recensant toutes les associations qui s’y trouvaient. C’est une éventualité qui a été envisagée, puis

rejetée en raison de la nécessité de fait d’une aide logistique suffisante à la fois pour vivre sur le

terrain et pour y mener des recherches : nous souhaitions en effet travailler dans un pays en

développement, notre choix s’étant porté sur l’Afrique pour des raisons pratiques d’une part – la

francophonie étant un aspect non négligeable dans le cadre de recherches au plus près de la

population – et des considérations affectives d’autre part, liées à une certaine image véhiculée, selon

laquelle l’Afrique serait « l’ailleurs à nos portes ».

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Il fut finalement décidé un stage au sein d’une association nazairienne, l’association un. Le

concept reflété dans le logo chargé de symboles, qui représente deux demi-cercles imbriqués,

identiques par leur forme mais différents par leur couleur, comme s’ils étaient complémentaires, nous

a rapidement séduit. De même que l’approche prônée par cette association, qui a adopté un mode de

fonctionnement fondé sur le dialogue avec les populations pour les aider à avancer et à mieux se

structurer. De plus, cette association œuvre au Sénégal, et plus particulièrement en Casamance, un

territoire d’une valeur peu commune pour l’analyse géographique comme il sera développé en

introduction ; nous avions là un démarrage sous les meilleurs auspices. Il n’était plus question,

toutefois, d’envisager une quelconque étude des effets d’une ou de plusieurs associations sur le

développement territorial. A la demande de l’association, et après mûre réflexion, on pouvait envisager

de dégager des potentialités de développement pour la région, à travers une étude géographique.

C’était justement la démarche qui justifiait l’intégralité de notre parcours universitaire, et c’est dans cet

état d’esprit que nous contactâmes M. Christophe Grenier, maître de conférences à l’université de

Nantes, et que se mit en place au cours de nos discussions le sujet qui devait être abordé dans ce

mémoire, à savoir le processus de mondialisation en Basse-Casamance. Plutôt que de limiter l’objet

d’étude en élargissant le champ spatial de la recherche, nous décidâmes d’un commun accord de

limiter la surface de cette étude à une micro-région, bornée par les limites de la communauté rurale de

Mangagoulack. Celle-ci correspondait en effet à la zone de travail privilégiée de l’association. Sans

compter qu’elle représentait l’archétype du territoire Diola traditionnel, bouleversé par les mutations

actuelles. Cette surface permettait une étude raisonnablement approfondie dans le cadre d’un

mémoire, dont le sujet était assez vaste mais qui permettait d’élaborer une véritable synthèse des

changements territoriaux.

Le séjour s’est préparé peu à peu dans cette optique. Une importante recherche

bibliographique avait précédé le départ et jeté les fondements de l’étude. Elle avait permis aussi de

déterminer les modalités de la recherche sur le terrain. Il était évidemment entendu qu’elle passerait

par le maximum d’entretiens auprès des personnes ressources, et entendu également que cela ne

suffirait pas. Il s’agissait de réunir auprès d’administrations ou d’ONG*1 des sources à analyser et qui

permettraient d’apporter caution sur ce qui pouvait être compris ou suggéré lors des entretiens. Au vu

du caractère clairsemé de telles sources et de la difficulté de leur accès, il fallait encore, cependant,

un moyen de construire soi-même des sources, et l’enquête se révélait une méthode excellente à la

fois pour progresser dans les recherches et pour créer un savoir qui n’existait pas et qui manquait

même cruellement aux données existantes dans les villages. Un questionnaire fut donc élaboré, repris

et revu à de nombreuses reprises avec M. Grenier, pour prendre une forme définitive à quelques jours

du départ.

L’expérience de terrain s’est révélée précieuse. L’association nous ayant introduit auprès des

autorités locales, nous avons été accueilli chez M. Bassirou Sambou, président de la Communauté

Rurale de Mangagoulack. Nous avons pu être plongé dans le vif du sujet dès le départ, et en restant

auprès de cet homme, nous avons pu beaucoup apprendre, surtout dans les moments informels, le

soir autour du thé par exemple. Mais, non content d’un accueil très chaleureux et d’une écoute jamais

1 Le signe * renvoie au glossaire en fin d’ouvrage.

5

lassée, Bassirou nous a facilité les choses en mettant à notre disposition son neveu Younousse pour

nous servir de guide et d’interprète. Nous avons donc sillonné les neuf villages de la Communauté

Rurale, ne perdant pas un jour : le travail a ainsi été mené au-delà de toute espérance puisque des 25

à 40 enquêtes prévues initialement, nous avons pu en faire 100, touchant ainsi environ 10 % des

ménages puisqu’on peut estimer approximativement la population de la communauté à 10000 âmes

et la population d’un ménage à 10 personnes. L’enquête, d’intéressante, devenait significative.

Ce travail devait être complété dans les villages par la rencontre des responsables de

Groupements d’Intérêt Economique (GIE*), d’associations et de projets de développement qui nous

ont fourni à la fois des données et des idées. C’est à partir de la base que notre travail à Ziguinchor a

pu être dirigé : chaque retour dans la capitale régionale était donc l’occasion de rencontres,

essentiellement avec des ONG et des organismes internationaux, ainsi que certaines administrations

suffisamment bien gérées pour produire des chiffres. Au fur et à mesure que s’enrichissait le panel

des contacts et des documents et sources collectées, la mise en évidence d’un système

particulièrement bien en place nous sautait aux yeux.

Dans ce système intervenaient les ressortissants, ceux qui sont originaires du village mais

vivent et travaillent en ville. Ils y tenaient même une place essentielle. Or, ils étaient nombreux à

Ziguinchor : c’est ainsi que peu à peu nous avons commencé à les rencontrer ; finalement, presque

tous les présidents d’associations de ressortissants, par village d’origine, ont été contactés et

entretenus. Nous en sommes alors venus à prendre des rendez-vous avec les « patrons » de ces

associations, qui étaient à Dakar ; le travail commencé dans des villages lointains s’est donc terminé

dans la capitale. Cela exprime bien le dépassement nécessaire des frontières du Blouf pour

comprendre la dynamique villageoise. Ce travail pourrait très bien être poursuivi en France où la

communauté expatriée de la communauté rurale compte de nombreux éléments…

L’ambition de ce travail, limité au départ à cette communauté rurale, s’est progressivement

élargie. En effet, la Communauté appartient à un ensemble physiquement et culturellement très

homogène, comprenant quatre autres communautés rurales, qu’on appelle « Blouf » mais qui est

administrativement l’arrondissement de Tendouck, l’un des plus grands villages du Blouf. Par

commodité et faute de temps, il était impossible de mener des enquêtes dans toute la zone. Par

contre, nous avons pris soin, lors de rencontres avec les acteurs du développement, de prendre des

informations et des documents concernant tout le Blouf ; c’est ainsi que nous avons pu nous procurer

l’ensemble des Plans Locaux de Développement (PLD*) de chaque Communauté Rurale. Finalement,

les distances entre chefs-lieux de communauté ne s’étant pas révélées si longues à parcourir avec la

bicyclette dont disposait l’association à Tendouck, nous avons pu terminer le travail en rencontrant

divers acteurs dans chacune des autres communautés. Nous avons pu ainsi confirmer les idées déjà

esquissées à propos du système géographique actuel qui régissait les dynamiques villageoises.

Il s’agissait d’un travail délicat, car le temps limitait les possibilités. Pourtant, une préparation

réfléchie en collaboration avec M. Grenier, une aide sans faille de la part de l’association un et sur le

terrain ont montré que la réalisation en était possible. Mais cela n’aurait pas suffi s’il avait manqué

6

l’enthousiasme et l’envie coûte que coûte de mener le travail à bien. Nous avons retenu la leçon qu’un

tel travail nécessite de la passion pour aboutir.

7

SOMMAIRE

Remerciements……………………………………………………………………………. 3Avant-propos………………………………………………………………………………. 4Sommaire………………………………………………………………………………….... 8Introduction……………………………………………………………………………….. 11

Première partie : le Blouf : une micro-région originale au sein du Sénégal….. 21

Introduction : des héritages à la mondialisation, d’une spécificité à l’autre……… 21

1. Milieu naturel et civilisation…………………………………….………………………... 2111. Le Blouf : un milieu particulier………………………….…………………………………...

21111. Un climat spécifique112. L’entremêlement de la terre et de l’eau113. Une région où ces spécificités sont accentuées

12. Un espace fortement humanisé……………………………………………………………... 26121. L’enracinement des hommes122. Le Blouf des « gros villages »123. Prospérité et enclavement

13. Une civilisation du riz…………………………………………………………………………. 31131. Stockage de l’eau et riziculture132. Rizières et résistance à la modernité133. Une société profondément égalitaire

2. Le Blouf entre colonisation et indépendance…………………………………………. 3521. Une puissante colonisation d’inspiration chrétienne…………………………………… 35

211. Faible pénétration de l’islam et missions catholiques212. L’école et le Diola213. La mise en place de la « traite » de l’arachide

22. Une « colonisation » sénégalaise à l’indépendance ?................................................. 41221. Le mythe du paradis terrestre222. De l’encadrement économique par l’arachide…223. … A l’encadrement administratif et législatif

23. De l’école à l’exode……………………………………………………………………………. 44231. Le plus fort exode rural du pays232. La mise en place des filières de ressortissants233. Les conséquences sur les terroirs villageois

3. Les premiers symptômes de la mondialisation………………………………………. 5031. Le désengagement de l’Etat…………………………………………………………………. 51

311. La privatisation de la traite de l’arachide312. Le développement des cultures de substitution313. Un milieu humain fragilisé

32. En contrepartie, un fourmillement de projets étrangers………………………………... 54321. Une myriade de projets dans le Blouf322. Les tentatives de modernisation de la riziculture323. Le soutien à la diversification des activités économiques

33. Les années 2000 : la fin d’un système……………………………………………………... 58331. La crise casamançaise, origines et conséquences332. Fin des projets et recul des activités économiques333. Esquisse d’une théorie sur le nouveau système

Conclusion : A l’aube du troisième millénaire, des spécificités notables………….. 60

8

Deuxième partie : globalisation et changement de système…………………..... 63

Introduction : les caractères de la globalisation..……………………………………….. 63

1. Activités en déprise et apport extérieur.……………………………………………….. 6311. Les activités économiques en déclin : le maraîchage au premier chef……………… 64

111. Des revenus dérisoires112. La fin des grands projets113. Attentisme et faiblesse des projets actuels

12. Le cercle vicieux de l’exode rural…………………………………………………………… 76121. Ampleur de l’exode et diminution des bras122. L’importance des transferts d’argent123. Un système nuisible au développement local

13. Des secteurs qui perdurent, soutenus par la monétarisation…………………………. 88131. La pêche puise ses racines dans les transferts d’argent132. La monétarisation de la construction et des cultures133. Les autres revenus se fondent sur un capital déjà en place

2. Associations de ressortissants et organismes internationaux.…………………… 9521. La puissance des associations de ressortissants………………………………………. 95

211. Une organisation moderne pour un système moderne212. Collecte de fonds et collecte de relations213. Des réalisations centrées sur l’éducation

22. La nouvelle politique des organismes internationaux………………………………… 108221. Le retour des bailleurs de fonds222. Des actions avant tout au profit de l’école223. Bailleurs de fonds et investissements de confort matériel

23. Enjeux de la scolarisation et conséquences démographiques...……………………. 117231. De la scolarisation à la scolarisation232. La vie en ville, l’espoir d’une retraite au village233. Les conséquences démographiques

3. Des mutations irréversibles ?.................................................................................. 124

31. L’ampleur de la désaffection.………………………………………………………………. 125311. Le village à la ville : un remarquable dynamisme urbain312. Rester : une situation d’échec ?313. La faiblesse structurelle de la population sur place

32. L’augmentation des dépenses villageoises..…………………………………………… 129321. La fin des cultures vivrières322. Des dépenses alimentaires en forte hausse323. Un état de faits qui pousse à privilégier l’avenir des enfants

33. Les vecteurs du renforcement des liens entre villes et villages…………………….. 134331. Elèves en vacances et vieux parents cultivent ensemble le riz332. La pression sociale du village sur les « exodés »333. Un comportement irrationnel mais socialement nécessaire

Conclusion : des impacts majeurs sur la vie au village………………………………. 137

9

Troisième partie : Où la mondialisation influence la géographie..……………..139

Introduction : une spatialité bouleversée par ces mutations.……………………….. 139

1. Dans les zones basses et inondables, une riziculture larvée et symbolique..… 13911. Le recul jusqu’à quasi-disparition des parcelles rizicoles cultivées……………….. 140

111. Les parcelles rizicoles occupent aujourd’hui la mince bande des terres les moins fertiles112. Digues abandonnées et progression de la langue salée113. Quand les rizières ne sont pas salinisées : jachère ou culture payée par les ressortissants

12. L’apparition des digues anti-sel témoigne d’un système qui manque de rationalisme………………………………………………………………………………………... 145

121 La mise en place des digues anti-sel122. Un apport extérieur et tardif, pour sauver une culture résiduelle123. Les paradoxes d’une rémunération en vivres

13. De nouveaux usages pour les zones basses……………………………………………. 151131. Une anthropisation croissante des bolons : pêche, transport, tourisme132. Les activités de cueillette dans la mangrove133. Un espace sollicité de plus en plus pour la construction

2. Les terres du plateau rendues à la brousse et offertes à la construction...……. 154

21. La disparition de l’arachide offre un paysage uniforme de broussailles...………… 155211. Sur le plateau, un monde en apparence abandonné212. Une brousse pourtant exploitée intensivement213. Le lieu des expériences nouvelles et des nouvelles pressions foncières

22. Activités maraîchères en friche et développement de l’arboriculture dans ces mêmes friches.…………………………………………………………………………………….. 158

221. Des périmètres maraîchers abandonnés222. La récupération par les arbres fruitiers223. Partout en brousse, la mise en place de plantations individuelles

23. Le plateau de plus en plus affecté par la construction...……………………………… 160231. L’importance de la construction de maisons232. le rôle des ressortissants dans les constructions233. Des maisons répondant au « besoin d’air » des exodés

3. Derrière le masque d’un avenir serein, des perspectives douteuses..…………. 16631. Une apparente et grandissante opulence de l’habitat et du confort..………………. 166

311. La multiplication des maisons cimentées voire des « villas »312. Un meilleur accès aux infrastructures313.De nouvelles disparités entre villages

32. Mais une misère d’idées, d’initiatives et de projets...………………………………….. 173321. La disparition des savoir-faire322. Attentisme, foi en la société moderne et perte de la culture Diola323. Dépenses et dépendances

33. Pourtant, un potentiel à développer...…………………………………………………….. 175331. La femme est-elle l’avenir de l’homme ?332. Rationalisme contre riziculture : le maraîchage hivernal333. La nécessité d’un commerce équitable

Conclusion : l’espace porte les marques successives des mutations……………..

182

Conclusion générale…………………………………………………………………… 185Bibliographie...………………………………………………………………………….. 190Glossaire des sigles…………………………………………………………………… 196

10

Liste des sources……….……………………………………………………………… 197Table des illustrations……..……………………………………………………………199Annexes………………………………………………………………………………..… 203

INTRODUCTION

« Partout ou presque, interviennent dans l’organisation des activités et la vie de chacun, le niveau local, celui du quotidien et de la proximité, le niveau de l’Etat ou d’institutions nées des délégations et de ses attributions (…), et le monde, maintenant environnement de tous les systèmes spatiaux »

Olivier DOLLFUS (Dollfus, 1997, p.75)

Il peut paraître curieux ou même inutile, pour qui ne maîtrise pas les enjeux fondamentaux de la

mondialisation et ses conséquences sur les lieux, d’utiliser un tel terme pour tenter de comprendre les

dynamiques d’un espace rural enclavé de la Basse-Casamance. C’est un espace très éloigné, en

apparence, de l’idée que l’on peut se faire d’un « espace mondialisé ». Il n’est pourtant pas de clé de

lecture plus pertinente pour donner du sens à l’ensemble, pour montrer que deux types de mutations

en apparence très éloignés l’une de l’autre s’inscrivent dans une même logique. C’est là où se situe

tout l’intérêt d’une telle étude : l’étudiant ou le chercheur se plaçant à la fois dans la perspective d’une

quête de sens dans l’espace et dans une volonté de sensibilisation des populations sur les

fondements de changements actuels qui les affectent profondément, peut de la sorte permettre un

raccourci dans les transferts de savoir entre Nord et Sud. C’est ainsi seulement que le paysan pourra

prendre conscience des raisons de la mise en place d’un système qui affecte sa vie de tous les jours.

Il n’est paradoxalement pas évident de montrer à un homme, qui chaque jour mange du riz de

Thaïlande, dont le village est aidé par le Programme Alimentaire Mondial des Nations Unies ou par

une association française de solidarité internationale, qui a des ressortissants en Espagne et en Italie,

que la mondialisation a un impact profond et même structurant dans cet espace. On y perçoit celle-ci

comme s’exerçant dans des espaces fluides, urbains et frénétiques où la vie est facile. Une éducation

et une sensibilisation insuffisantes, les voix unanimes des politiques locaux et l’absence de recul

nécessaire amènent à des convictions et parfois des décisions qui ne sont pas dictées par une

compréhension globale mais souvent par la nécessité et la confiance en un « haut lieu » prônant une

certaine forme de politique.

Cette volonté d’apporter une clé pour la compréhension des mutations territoriales en Basse-

Casamance est le fil conducteur de cet ouvrage. Sans cesse, nous avons eu à nous poser la question

de la mondialisation comme angle d’attaque d’une étude géographique, et c’est finalement cette

entrée qui formera notre sujet. C’est elle qui a permis de dégager la problématique ; il en a découlé

une méthode de recherche qui a eu ses limites, que nous tâcherons également de mettre en lumière.

1 – Le processus de mondialisation comme clé de lecture

11

Avant d’entamer tout discours sur le sujet, il s’agit de bien cerner le terme central dans notre

réflexion, celui de « mondialisation ». Comme de nombreux termes passés dans le vocable courant,

son sens s’est élargi, a pris de multiples facettes, à tel point qu’aujourd’hui, on finit par perdre de vue

la signification première du terme. D’aucuns le brandissent comme symbole d’une gestion capitaliste

et libérale du monde, le stigmatisent comme la source de tous les maux sans être capables d’en

exprimer le sens : or, sa signification revêt un enjeu important puisque la mondialisation est au cœur

de multiples débats.

Il nous faut pour cela interroger la sagesse de nombreux chercheurs qui ont réfléchi sur ce

concept et d’autres qui lui sont liés : essentiellement le GIP-RECLUS*2, avec R. Brunet (1990) en tête,

mais aussi O. Dollfus (Brunet, Dollfus, 1990), M.F. Durand (Durand, Lévy, Retaillé, 1992), qui ont mis

en lumière l’idée d’un « système-monde » qui s’imposait à tous les niveaux, y compris au niveau

local ; mais on en citera d’autres, comme Jacques Lévy (Durand, Lévy, Retaillé, 1992), Jacques Adda

(Adda, 2002), Michel Lussault (Lévy, Lussault, 2003) ou encore D. Retaillé (Durand, Lévy, Retaillé,

1992).

Tous ces auteurs s’accordent à dire que la mondialisation est un processus que l’on peut

évaluer dans différentes échelles de temps, du temps long de l’histoire humaine (le fameux

structuralisme de Fernand Braudel), au temps de la globalisation, qui commence peu ou prou à la fin

de la guerre froide. C’est peut-être Jacques Adda (2002) qui décrit le mieux le processus comme la

diffusion à l’échelle mondiale du capitalisme, c’est-à-dire d’un système de production autant qu’un

système de pensée qui consiste à rechercher toujours le profit matériel et à construire prestige et

condition sociale sur cette base. Ce processus émane des bourgeoisies de l’Europe du Nord-Ouest et

notamment des « bonnes villes » de la Hanse ou des Flandres, leurs bourgeoisies portuaires portant

ce système dès la fin du Moyen Age.

C’est la colonisation qui lance le processus de mondialisation proprement dit. En effet, « la

formation des empires coloniaux au cours des quatre siècles qui ont suivi le grand désenclavement

planétaire s’était accompagnée (…) d’un processus de périphérisation des économies soumises,

autrement dit d’une restructuration de leurs productions en fonction des besoins de consommation

(…) des nations centrales » (Adda, 2002, p.8). Tout est là : le processus de mondialisation a en effet

contribué à organiser le monde selon un modèle « centre-périphérie ». Ce modèle, conçu notamment

par deux économistes de la Commission des Nations Unies pour l’Amérique Latine (CEPAL), Raul

Prebish et Hans Singer, émet au sortir de la seconde guerre mondiale l’idée que l’espace est organisé

par des centres, qui dominent des périphéries plus ou moins intégrées. En somme, un modèle

d’organisation de l’espace que l’on peut retrouver à toutes les échelles et qui a tendance à se vérifier

de plus en plus à l’échelle mondiale.

C’est face à cette constatation qu’Olivier Dollfus (Brunet,Dollfus, 1990) fonde, dans les années

1980, enrichi des apports de l’école de Brunet et du GIP-RECLUS, le concept de « système-monde ».

La mondialisation se traduirait alors, en quelque sorte, par une incursion de ce système-monde dans

2 Le signe * renvoie au glossaire en fin d’ouvrage.

12

les circuits locaux qu’il modifierait en profondeur. Avant de s’avancer plus loin dans ces théories, il

convient de s’arrêter sur un nouveau concept associé, celui de système.

Le dictionnaire « critique » de Roger Brunet (1992) se penche relativement longuement sur ce

terme qui est une des clés de voûte de la géographie chorématique qu’il a contribué à inventer. On y

lit que le système est un « ensemble organisé d’éléments et d’interactions entre les éléments, du grec

systema : qui tient ensemble ». Et que « les espaces géographiques sont façonnés par des systèmes

spatiaux (ou spatialisés) (…). On peut concevoir le système d’énergie du système spatial, où entrent

en interaction les forces de travail, l’information, les ressources et le capital, par l’intermédiaire des

moyens de production » (Brunet, 1992, art. « système »). En somme, les relations entre les acteurs et

le territoire formeraient pour le système des « structures » qui expliqueraient « l’essentiel de ses

forces et de ses dynamiques géographiques, qui sous-tendent l’essentiel de ses distributions »

(Brunet, Dollfus, 1990, p.129). Le système est donc une clé de compréhension de l’espace : « le

géographe ne peut prétendre connaître un espace que lorsqu’il en analyse non seulement

l’organisation spatiale mais encore le système des acteurs et des actions » (ibid, p.130). Tiré des

travaux de l’écologie qui considèrent les interactions des phénomènes naturels comme un tout

(l’écosystème), le concept permet de prendre en considération toutes les composantes du terrain et

de les inclure dans un tout qui explique la structure du territoire donné.

Cela signifie, pour les auteurs cités, que la mondialisation est l’aboutissement d’un processus

qui a fait du monde un système. Et cette définition peut s’appliquer pour toute recherche concernant la

mondialisation : l’espace de production d’une grande firme transnationale, c’est le monde tout entier.

Par sa vision des choses, elle fait de la Terre, du globe, un « système de production ». Mais le monde

est aussi un système d’éléments nationaux, les Etats (ce que O. Dollfus appelle « le champ de

l’international », par opposition au « champ du transnational » des grandes firmes) ; ceux-ci sont

l’expression de l’aboutissement d’un processus d’harmonisation « à l’occidentale » des structures

politiques, harmonisation qui n’était pas évidente pour l’ensemble du monde. Finalement, ce sont des

modes de consommation aussi bien que de production, de culture ou de gestion qui se sont répandus

à travers le monde jusqu’à devenir les éléments dominants du « système-monde ».

Au terme d’une réflexion où l’accent était mis sur la signification géographique du terme de

mondialisation, il s’agit de s’atteler à décrire les modalités de l’impact de la mondialisation à l’échelle

d’une micro-région. Cela suppose une démarche et une méthode d’analyse des interactions du local

avec le global. Dans ce domaine, la réflexion d’Olivier Dollfus est particulièrement intéressante. Lui

s’attache à montrer comment les potentialités du local sont déterminantes dans la manière dont la

mondialisation va les affecter. En effet, le milieu naturel, comme le milieu humain, qui sont en

interaction pour former ce que l’on pourrait définir comme un système géographique que O. Dollfus

appelle « les héritages », jouent un rôle clé : « c’est à partir de cet apparent paradoxe entre la mobilité

des informations du capital, des biens matériels et la fixité des lieux, de ces « biens situés », ancrés

dans le sol, que les entreprises partent dans le monde « faire leurs marchés » des lieux qui vont leur

permettre de mieux réaliser leurs projets et d’atteindre leurs objectifs » (Dollfus, 1997, p.72).

13

« Biens situés » (l’expression est de Jacques Lévy), « héritages », « systèmes traditionnels » :

autant de termes permettant de désigner les territoires sur lesquels vont se superposer les structures

et les avatars de la mondialisation. Ainsi, le local entre en interaction avec de multiples autres

espaces, via des réseaux mondiaux. C’est ce qu’exprime le mot d’Olivier Dollfus que nous avons

placé en tête de cette introduction. Or, ces interventions de l’extérieur, si elles sont influencées par le

local dans leurs modalités, affectent et transforment ces systèmes traditionnels plus qu’ils n’ont jamais

été modifiés.

Dans un système, le bouleversement d’une seule de ses composantes déstabilise l’ensemble,

au point que ce système puisse changer totalement et être remplacé par un nouveau système.

2 – Une région d’étude particulière

On prend de suite la mesure de cet « arsenal conceptuel » (Dramé, 2000) qui s’adapte à

n’importe quel type d’espace. Celui qui nous intéresse est particulier. La Basse-Casamance est en

effet une région originale en Afrique par sa géographie. Les cartes de situation (cartes 1 et 2) nous

montrent un espace enclavé, serti entre la Guinée-Bissau au sud et la Gambie au nord, à l’écart des

autres régions du Sénégal. L’espace est intéressant à étudier : si l’on reprend le classement d’Olivier

Dollfus (1997) qui montre comment le local est influencé à la fois par une aire culturelle, un espace

national et le monde, on pourra dire que le territoire de la Basse Casamance se situe dans l’aire

culturelle guinéenne, et plus précisément dans l’aire des civilisations rizicoles des « Rivières du

Sud » ; il est toutefois inclus dans l’espace national sénégalais. Enfin, et de plus en plus, il subit les

influences du système-monde.

Le Blouf, cadre de notre étude, est l’un des lieux d’enracinement les plus profonds et les plus anciens

de la culture Diola (Pélissier, 1966) : l’on verra plus bas que les caractères de l’ethnie s’y retrouvent de

façon très prononcée. Situé au nord du fleuve Casamance, entouré presque totalement par un réseau

fractal de marigots ou bolons3 encadrant ses plateaux gréseux, l’arrondissement de Tendouck a une

superficie de 908 kilomètres carrés4. Cinq communautés rurales le composent, ainsi qu’une

commune, Thionck-Essyl, exclue de notre étude en raison d’une évolution particulière qui mériterait

une étude à elle seule mais en fait un cas à part, fort intéressant mais volontairement

3 Le terme marigot désigne un cours d’eau salé en zone tropicale. Le mot « bolong », que nous utiliserons par la suite, est un synonyme couramment employé en Casamance.4 Source : Plans Locaux de Développement.

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15

16

délaissé. La population totale de ces communautés est, au recensement de 1988, seule source fiable

malgré un recensement effectué en 2002, de 32080 habitants5 ; c’est une population fluctuante en

raison de l’importance des migrations entre saison sèche et hivernage6. Espace enraciné car

favorable, doté de vastes espaces de mangrove que l’on pouvait défricher pour cultiver le riz, doté

donc de gros villages, parfois énormes : les villages de Kagnobon et Dianki comptent respectivement

3191 et 2833 habitants.

C’est sur ce postulat que vont résonner les chocs successifs des différentes phases de la

mondialisation. Le système géographique en a été profondément affecté. Tout l’intérêt de l’étude dans

cet espace particulier est là : en effet, au cœur d’une culture particulière, c’est un espace qui se

présente avec des héritages spécifiques. Or, les héritages comme on l’a vu jouent leur rôle dans les

modalités de l’impact de la mondialisation : cette articulation est à la base du système géographique

moderne.

3 – Problématiser les enjeux actuels dans le Blouf

Dans le cadre de notre étude, l’intérêt de ce préambule autour du sujet est de nous permettre

un questionnement utile dans le cadre d’une réflexion sur les impacts de la mondialisation sur une

micro-région de Basse-Casamance, au Sénégal. En effet, le système traditionnel affecté depuis fort

longtemps par un processus structurel, profond et de long terme, s’est modifié. C’est chose certaine.

L’idée est donc de replacer chacun des éléments du système socio-spatial actuel dans sa fonction,

afin de redonner une logique à l’ensemble. Telle pratique ancienne peut perdurer ; telle nouvelle peut

se développer, telle autre peut disparaître, et tout cela est sous-tendu par une logique. C’est ainsi que

progressivement, l’on en arrive à connaître les mécanismes et les mouvements de fond qui animent

« la vaine agitation des hommes à la surface des choses » (Braudel). Sans vouloir se placer

complètement dans l’optique du structuralisme, il est évident que nous emprunterons à cette école,

tant elle nous montre combien l’évolution systémique peut expliquer des mutations.

C’est donc dans le cadre d’une analyse systémique que nous plaçons notre problématique.

Dans le contexte de la mondialisation, nous nous posons la question de savoir en quoi les

mécanismes qu’elle met en branle pèsent sur la construction d’un nouveau système, et quel est-il. En

fait, cela revient à s’interroger sur la nature véritable du nouveau système impulsé par la

mondialisation.

Le système socio-spatial fondé sur l’interaction entre mondialisation et système traditionnel

Diola dans le Blouf est-il porteur d’un développement local ou d’une extraversion et une mise

sous dépendance de l’espace rural ?

5 Source : Recensement Général de la Population 1988.6 C’est pourquoi nous considérons ces chiffres avec prudence.

17

Ce questionnement n’est pas sans enjeu. Il pose la question des perspectives d’avenir de la

région. Il détermine l’avenir de l’exode rural et le maintien des forces vives dans les villages. Il

détermine plus généralement, sur le long terme, toute l’évolution géographique, permet de faire des

prévisions et de prendre un recul sur les évolutions actuelles, de manière à en saisir les implications.

4 – Une approche méthodologique comportant de nombreux obstacles

31 – L’enquête

Nous avons décidé, d’un commun accord avec notre directeur de recherche, qu’il fallait un

fondement solide à la recherche sur le terrain, qui permette de ne pas s’égarer. Il faut donc considérer

l’enquête7, réalisée auprès de 100 personnes, comme l’élément essentiel de notre travail. Cette

enquête permet d’identifier la personne de manière géographique et socio-économique, de prendre la

mesure de son parcours avant d’être au village, de sa mobilité. On a cherché à identifier ceux que,

dans la famille, l’exode rural a poussé vers les villes ; leur occupation, leur action vis-à-vis de ceux qui

sont restés. Une interrogation sur les prix a été menée également, ainsi que toutes les sources de

revenus au village. Des critères de richesse (radio, mobylette, toit de tôle, maison de ciment…) ont été

retenus ainsi qu’une évaluation de la situation agricole familiale, et des dépenses courantes de la

famille. On concluait avec des questions sur la dynamique et les projets. En somme, il s’agissait de

dresser un diagnostic familial qui rende compte le plus fidèlement possible des conditions de vie des

populations.

Cela n’a pas été simple. Compte tenu de l’analphabétisme de nombreuses personnes,

essentiellement des femmes et des anciens, il nous a fallu un interprète, ce qui a évidemment facilité

le travail. L’ensablement des pistes et des chemins, l’usage de la bicyclette nous ont contraints à se

limiter à la communauté rurale de Mangagoulack. Toutefois, ce moyen de locomotion de même que la

simplicité de nos conditions de vie ont installé un climat de confiance qui a permis le bon déroulement

des enquêtes et l’accord de toutes les personnes interrogées. Au fur et à mesure, de nouvelles

interrogations apparaissaient ; de plus en plus, on a été amenés à cibler une certaine catégorie de

personnes, les jeunes de 25 à 45 ans qui restent pour s’occuper de leurs parents ; ils sont au fait de

toutes les affaires de la famille. Mais certains enquêtés ignoraient des éléments. Il est possible que

d’autres en aient caché, caché des soutiens en argent par exemple. Mais l’enquête sur les dépenses

trahit le décalage qui existe. En somme, c’est essentiellement sur l’évaluation financière qu’a reposé

la difficulté, le point essentiel mais aussi le point délicat : une somme gagnée est dépensée et il fallait

parfois de l’ingéniosité pour évaluer le bénéfice d’une activité.

L’enquête avait pour objectif de saisir les formes de réaction et de pratique des populations face

aux mutations ; il semble atteint en grande partie.

7 Le questionnaire est donné en annexe.

18

32 – Organismes et sources de documentation

L’autre versant important du travail fut la rencontre avec de multiples organismes8 et

administrations. Le plus difficile fut d’avoir des rendez-vous, et de pouvoir rencontrer les responsables

(même lorsque les rendez-vous étaient fixés). Les organisations ne divulguent rien sans l’accord

préalable et la rencontre avec les autorités supérieures ; heureusement le grand nombre de

personnes à rencontrer permit de combler les moments creux. Toutefois, ces responsables, sur la

base d’une grille d’entretien9, apportèrent la plupart du temps des renseignements précieux et des

documents intéressants, surtout lorsque ceux-ci étaient sur informatique. C’est ainsi que nous avons

pu nous voir remettre les cartes IGN scannées au 50000e de la région ainsi qu’une multitude de cartes

thématiques sur le Sénégal et la région de Ziguinchor, et de nombreux rapports d’ONG sur leurs

travaux dans le Blouf10.

Il a manqué toutefois un parcours balisé, puisque c’est à partir des indications dans les villages

que nous avions eu les contacts de ces organismes, qui nous renvoyaient eux-mêmes vers d’autres.

La coordination n’existant pas, sauf peut-être à travers le CONGAD* (Coordination des Organisations

Non Gouvernementales pour l’Action sur le Développement) qui nous a donné une liste.

Probablement d’autres organes auraient été intéressants à rencontrer.

33 – Associations villageoises, groupements d’intérêt économique et associations de

ressortissants

Le troisième volet du triptyque fut une série d’entretien avec des responsables d’association et

de Groupements d’intérêt Economiques (GIE*) locaux, ou d’expatriés originaires du village. Une grille

d’entretien, là encore, avait été préparée. Dans la communauté rurale de Mangagoulack, le

recensement des associations et des GIE et la rencontre des responsables fut systématique. Ajoutons

que les responsables des infrastructures comme l’école étaient aussi rencontrés. Dans le reste du

Blouf, l’étude s’est fondée sur la consultation des Plans Locaux de Développement (PLD*), documents

à l’usage des bailleurs de fonds, et des journées de rencontre plus rapides, dans chaque communauté

rurale. Ces entretiens furent très riches et l’on peut dire que s’ils n’apportent pas forcément de

données précises, ils sont du moins à la base de la réflexion. Tout aussi riches furent les longs

entretiens, en ville, avec les responsables des associations de ressortissants11 des villages, pour les

neuf villages que compte la Communauté rurale de Mangagoulack. Il a manqué peut-être le moyen,

dans les villages, de prendre des rendez-vous, mais cela aurait aussi allongé le temps d’entretiens

8 Se reporter à la liste des sources.9 La grille d’entretien est donnée en annexe.10 Quelques rapports sont donnés en annexe.11 Nous utiliserons souvent le terme de « ressortissants ». Au Sénégal, il désigne dans les villages ceux qui sont en ville mais issus de ce village.

19

que nous faisions le plus rapidement possible faute de temps. Toutefois, cette partie du travail n’a pas

soulevé de difficultés particulières.

Nous ne serions pas exhaustif si nous laissions de côté le travail bibliographique d’un semestre,

la moitié du travail finalement puisque c’est lui qui nous a permis d’entrer en Casamance avec des

connaissances indispensables, d’interpréter ce que nous pouvions constater avec les grilles offertes

par cette généreuse littérature. Car la Casamance a été l’objet de nombreuses publications

scientifiques – n’est-ce pas déjà une forme de mondialisation ? et très complètes. Cependant, il

manque à cet éventail des études géographiques régionales prenant en compte toutes les

composantes du système. D. Avenier-Sharman (1987) avait fait un travail de ce type, mais l’espace

comme le temps sont différents. Il n’est pas inintéressant de revenir sur le terrain quelque 18 ans

après.

Cette bibliographie abondante nous a appris la recherche bibliothécaire, et cela n’a pas été

sans problèmes puisqu’il a souvent fallu commander à d’autres universités des mémoires ou thèses

que l’on ne trouvait pas à Nantes, avec un temps limité pour les lire. Cette bibliographie est donc très

loin d’être complète ; mais elle a le mérite d’un tour d’horizon intéressant.

Il ressort de ce travail d’entrée en matière la décision d’établir pour ce mémoire un plan qui

ferait l’examen des modalités, puis des implications, et enfin des conséquences et enjeux de l’impact

de la mondialisation dans le Blouf.

- Dans un premier temps, il s’agira de mettre en lumière les spécificités de l’espace ; nous

montrerons de quelle manière et pour quelles raisons s’est effectuée son évolution, entre

héritages traditionnels et processus de mondialisation ;

- Ensuite, nous nous attacherons à démontrer la présence d’un système totalement extraverti

qui a vu la mise en place de mécanismes d’autoreproduction permettant une alimentation

extérieure des villages, qui devient de plus en plus une forme de villégiature ;

- Nous pourrons de là en tirer les conséquences géographiques et les enjeux d’un tel système.

Cela nous amènera progressivement à disserter des perspectives d’avenir.

PREMIERE PARTIE

Le Blouf : une micro-région originale au sein du Sénégal

20

Introduction : des héritages à la mondialisation, d’une spécificité à

l’autre

Il ne s’agit pas ici de faire une description exhaustive de l’espace étudié. Comme il a été

démontré en introduction générale, le territoire affecté par les mécanismes de la mondialisation existe

avant même d’être relié au monde. Et justement, c’est par cette existence préalable, par ce que l’on

peut appeler des « héritages », que les mécanismes de la mondialisation s’exercent différemment

entre les lieux, et que leurs destins divergent. Il convient donc de juger des spécificités de ce que l’on

appellera par commodité « le Blouf », qui est au niveau administratif l’arrondissement de Tendouck, un

regroupement de cinq communautés rurales du Sénégal, composé de 21 villages. C’est en effet à la

lumière de ces spécificités territoriales, tant physiques qu’humaines, mais bien souvent les deux

s’enchevêtrent, que l’on pourra lire et comprendre les impacts de la mondialisation en ce lieu précis.

Or, à tous points de vue, il s’agit là d’un espace tout à fait exceptionnel, et c’est ce que nous allons

tenter de démontrer.

1. Milieu naturel et civilisation

On s’attachera sans cesse, dans cette première esquisse du territoire étudié – on parlera

encore de « système traditionnel » par opposition à « système modernisé » ou, mieux encore,

« système mondialisé » – à faire la comparaison avec le reste du Sénégal, notamment avec la partie

située au nord de la Gambie et à laquelle la Casamance, et le Blouf avec elle, a été rattachée. Les

différences sont de taille, que ce soit du point de vue physique, climatique, que culturel ou humain, et

jouent un rôle essentiel dans la compréhension du sujet.

11. Le Blouf : un milieu particulier

Situé au nord du fleuve Casamance, encadré par les marigots de Bignona et de Baïla, au nord-

ouest de la capitale de la Casamance historique, Ziguinchor, devenue aujourd’hui capitale de la

Basse-Casamance (administrativement région de Ziguinchor), le Blouf est, comme l’on va le voir, une

des régions les plus représentatives de la Basse-Casamance, une sorte d’archétype au sein d’un

espace déjà fort original.

111. Un climat spécifique

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On pourra observer la superbe photographie satellite du Sénégal (document 1),

gracieusement fournie par l’Agence Régionale de Développement à Ziguinchor, tirée de la base de

données de l’ESA. En plus d’être de très bonne qualité, elle a l’avantage de montrer immédiatement la

spécificité de l’espace. Il se situe en effet, selon M. Leroux (citée par D. Avenier-Sharman, 1987) dans

le domaine sub-guinéen maritime, une variante maritime du climat soudanais. Trois centres d’action

provoquent des phénomènes météorologiques : l’anticyclone des Açores (alizé maritime s’exerçant de

novembre à mai), l’anticyclone du Sahara qui envoie un vent sec, l’harmattan, de octobre à avril ; enfin

l’anticyclone de Sainte-Hélène (alizé austral). Au total, on a une saison sèche de novembre à mai et

une saison humide ou hivernage de juin à octobre, sorte de « mousson africaine » issue de l’inversion

de l’alizé venu de l’anticyclone de Sainte-Hélène et dévié à la hauteur du Nordeste brésilien, lorsqu’il

passe l’équateur. Chargés d’humidité, ces vents viennent apporter entre mai et novembre des

précipitations qui renforcent le passage de la convergence intertropicale, amas de nuages qui

apportent leurs pluies aux régions équatoriales, à ce moment. Ces pluies se dégradent très

22

rapidement vers le nord et l’est, ce qui fait que la Casamance et notamment la Basse Casamance

connaît un climat au potentiel intéressant, à commencer par la présence sur les plateaux d’une forêt

sèche, ou mésophile. En somme, on trouve là des pluies en abondance ; mais elles sont très

concentrées, essentiellement, selon les mots des habitants du village, entre juillet et septembre ; qui

plus est, elles sont extrêmement irrégulières et semblent à la baisse, avec l’ensemble des zones

sahéliennes, depuis une trentaine d’années (Avenier-Sharman, 1987).

Le plan local de développement (PLD*) de la Communauté rurale de Mangagoulack donne pour

les dernières années les indications suivantes : « durant les 3 dernières années, le régime

pluviométrique de la communauté rurale s'est amélioré bien que les pluies annuelles enregistrées

soient inférieures à la moyenne estimée à 1500 mm (1999 : 1379,4 mm en 90 jours ; 2000 : 1203,4

mm en 72 jours ; 2001 : 1153,1 mm en 66 jours ; 2002 (jusqu’en fin septembre) : 782,9 mm en 37

jours) »12. Le graphique 1 est révélateur de la diminution de la pluviométrie en Casamance.

12 Groupement de Recherches en Développement Rural (GRDR), Communauté rurale de Mangagoulack, Plan Local de Développement (PLD), Ziguinchor, 2002.

23

Ce climat est très spécifique par rapport au reste du Sénégal, beaucoup plus sec. Mais il est

une autre donnée importante dans le milieu naturel : c’est la symbiose étroite entre zones sèches et

des zones humides.

112. L’entremêlement de la terre et de l’eau

On peut classer la Casamance dans les « rivières du sud », région naturelle située entre la

Gambie et le Liberia. Toute la Basse-Casamance est en fait un ancien golfe, ennoyé lors de la

transgression nouakchottienne (environ 6000 BP ; Cormier-Salem, 1989). Les espaces de plateau

sont d’anciennes îles, et des cordons sableux se sont développés pour barrer l’entrée du golfe,

permettant l’envahissement de la slikke par la mangrove. On distingue donc trois types de terroirs : les

24

25

espaces aquatiques proprement dits, correspondant au fleuve et aux marigots qui s’y jettent,

entièrement soumis au régime des marées et des précipitations ; les espaces de mangrove ; les

espaces de plateau enfin. La carte 3, simple carte IGN, très ancienne, montre extrêmement

clairement ce phénomène d’entremêlement. Or, la conjonction de ces deux caractéristiques que sont

le climat plus humide qu’au nord et la présence de vastes zones ennoyées nous donne un milieu

naturel favorable à un phénomène sénégalais que l’on ne retrouve que dans la vallée du Fleuve

Sénégal, tout à fait au nord du pays, mais qui est si différente du reste du pays que P. Pélissier l’a

dédaigné dans son œuvre monumentale sur Les paysans du Sénégal (Pélissier, 1966) : il s’agit de la

possibilité de stocker l’eau pour y pratiquer des cultures inondées .

113. Une région où ces spécificités sont accentuées

Or, le Blouf, justement, est l’une des micro-régions de la Basse-Casamance où de telles

caractéristiques sont les plus accentuées. C’est un espace, comme on le voit sur la carte 3, à l’est, qui

a l’avantage d’avoir ces espaces de mangrove en abondance tout en conservant de larges espaces

de plateau qui permettent à la vie de se développer. Sur la carte, les rizières sont abondantes aux

abords du plateau du Blouf. Or l’on constate que de tels espaces ne se retrouvent pas au nord de la

Basse-Casamance, ni à l’est : ils sont à la fois trop peu arrosés, la mousson s’exerçant à partir du

sud-ouest, et trop relevés. Dans son étude sur la vallée de Bignona, c’est-à-dire la limite est de

l’arrondissement de Tendouck, D. Avenier-Sharman (1987) montre clairement que la vallée, vaste

marigot au sud – c’est-à-dire au droit du Blouf – n’est qu’une simple gouttière au nord. On a donc un

espace potentiellement très riche, puisqu’il est très varié : c’est un finage composé de plusieurs

terroirs, comme le montrent les photographies n°1, 2 et 3.

Photographies n°1, 2 et 3 : Trois terroirs principaux composent le milieu traditionnel du Blouf : le plateau (1, à Boutœum), au-dessus des zones inondables ; les espaces de rizières dans les zones semi-inondables (2, à Tendouck) ; les zones submergées avec mangrove (3, au sud d’Elana). Clichés n°1 et 2 : J. Parnaudeau. Cliché 3 : J. P. Glotin, association un.

On a donc, d’un côté, l’espace aquatique, envahi par l’eau de mer – n’oublions pas le mécanisme de

la transgression – et formant un entremêlement de bras appelés communément « marigots » ou

« bolons » ; il n’est pas nécessaire, dans le cadre de cette étude, de différencier les termes, et nous

utiliserons aussi bien l’un que l’autre. On trouve ensuite les espaces vaseux, envahis par la mangrove,

parfois restant nus à l’état de tannes. Pour finir, c’est le plateau : la limite avec les espaces plus bas

est brutale, marquée par un talus souvent haut de dix à quinze mètres et un changement radical dans

la distribution de la végétation. C’est l’espace de la forêt sèche, peuplée d’arbres tels que le palmier

rônier, le fromager, le baobab, le palmier à huile ou encore le manguier.

26

Il ressort de la présentation de ce milieu naturel une évidence : la forte potentialité de

peuplement et l’abondance des ressources naturelles. C’est ainsi que se sont établis sur ces terres

des peuples dont on peut dire qu’ils ont façonné ces terres tout comme ils ont été façonnés par elles.

A tous points de vue, l’anthropisation du Blouf est à part par rapport au reste du Sénégal : d’abord par

sa densité même, ensuite par la culture que la symbiose entre l’ethnie Diola, qui peuple le Blouf, et le

milieu naturel, a contribué à créer, et qui est absolument fondamental dans l’optique de cette étude.

12. Un espace fortement humanisé

En guise d’introduction, nous pourrons retenir ce chiffre assez significatif : en Basse-Casamance, qui

ne représente qu’un tiers de la superficie de ce que l’on nomme la « Casamance naturelle » (cf carte

1) se concentrent, dans les années 1960, environ 45 % de la population. C’est dire si cet espace aux

fortes potentialités, que l’on ne retrouve pas en Moyenne ni en Haute Casamance, est anthropisé.

Mais cette anthropisation ne s’arrête pas aux chiffres et à la population : elle a en effet des

caractéristiques très particulières.

121. L’enracinement des hommes

Il semblerait, toujours avec P. Pélissier (1966) que le peuple Diola soit le plus ancien du Sénégal avec

les Baïnouk, peuples de la forêt. Arrivés depuis l’est, originaires des forêts guinéennes, il s’agit de

peuples poussés par la pression démographique qui se sont installés depuis au moins le XVIème

siècle, puisque les Portugais les ont trouvés sur place en débarquant à Carabane, la première île de

l’estuaire. Appelés sous le nom générique de Diola, ils se sont diffusés, semble-t-il, à partir du sud du

fleuve Casamance, à partir de morceaux de famille qui se détachaient. C’est ainsi que les habitants de

Thionck Essyl, commune comprise dans le Blouf mais que nous avons exclu de l’étude – étant passée

sous statut urbain – seraient originaires d’Essyl dans le département d’Oussouye (appelé parfois le

« Kassa » ou le « Royaume ». Ces peuples maîtrisaient très bien les cultures inondées et ont

développé la riziculture grâce à l’atout principal de cet espace particulier : les possibilités de stockage

de l’eau. Ce paysage agraire s’est construit au prix d’efforts considérables, en raison du nécessaire

défrichement de la mangrove avant dessalement des terres envasées. Nous reviendrons sur la

riziculture, car elle est un trait essentiel – le trait essentiel – de la culture Diola. Contentons-nous pour

le moment de montrer combien ces techniques culturales ont permis une solide et durable

implantation des hommes, par un cercle vertueux bien connu et mis en lumière par Pierre Gourou

dans Riz et civilisation (Gourou, 1984). La riziculture demandait beaucoup de travail, et donc de bras :

plus on avait de bras, mieux on pouvait produire et donc nourrir ces bras. Il n’est pas étonnant, ainsi,

que les espaces les plus enracinés soient restés longtemps les plus peuplés. Le document 2, tiré de

P. Pélissier (1966), nous montre une carte des densités de population, tout aussi

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éloquente que les chiffres et que la carte 4, réalisée par le Centre de Suivi Ecologique à Dakar et

gracieusement mise à notre disposition par l’Agence Régionale de Développement à Ziguinchor. La

densité de population par communauté rurale est, à l’exception du bassin arachidier à l’ouest du pays,

qui est aussi la grande région de Dakar, plus importante qu’ailleurs en Casamance, et au sein de la

Casamance, plus importante dans les communautés où se produit cette symbiose entre terre et eau, à

peu près sur les bords du fleuve et dans les zones les plus enracinées, dont le Blouf fait partie.

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122. Le Blouf des « gros villages »

C’est D. Avenier-Sharman (1987) qui a le mieux, à nos yeux, mis en évidence la dichotomie

entre Blouf et Fogny, entre deux visages de la Casamance, l’un au sud de la vallée de Bignona, l’autre

au nord : le Blouf, archétype du milieu arrosé et diversifié, est fait de regroupements en nébuleuses

sur les espaces de bordure entre plateau et terres de rizières, pour des raisons évidentes de

placement au plus près des zones productives. A l’opposé, le Fogny déploie sur ses plateaux séparés

par de maigres espaces dépressionnaires et très souvent à sec des myriades de villages parfois

minuscules. La carte 5 tente d’exprimer ce phénomène. On explique assez facilement cette

concentration humaine, avec deux facteurs principaux : d’une part, la plus grande densité des

hommes permise par l’abondance des cultures ; d’autre part, la concentration nécessaire sur ces

fameux espaces de lisière. Ajoutons que le Fogny étant moins riche en terres rizicultivables, il a été

peuplé tardivement, donc son humanisation est moindre, simple résultante de la pression

démographique. Tout ceci intervient pour démontrer combien, au sein même de la Casamance, le

Blouf est une région particulière, et que cette situation va lui conférer, aux temps de la modernisation

et de la mondialisation, une direction toute différente à celle que prendra le Fogny. C’est ainsi que P.

Pélissier nous montre des villages en bordure des plateaux, linéaires ; un peuplement qui se fait par

densification et nouveaux défrichements. Les terres à riz s’opposent aux champs de culture sèche.

Les villages sont une juxtaposition de fermes familiales. Chaque quartier est un développement sur

place d’une famille. A l’opposé, le Fogny, surtout dans sa partie septentrionale, a longtemps servi de

no man’s land entre les peuples Diola au sud et Mandingues au nord, avant d’être peu à peu peuplé.

Cette comparaison entre Blouf et Fogny est particulièrement intéressante pour montrer cette profonde

particularité du Blouf. P. Pélissier (1966) s’aventure même à dire que « nul terroir africain n’est plus

profondément aménagé » (p. 850). Et ces deux directions s’expriment à travers les mots de D.

Avenier-Sharman (1987), qui montre dans son introduction que le système est modernisé et prédateur

au nord, traditionnel et rizicole, mais désorganisé au sud. Bien entendu, au terme de presque vingt

années, il convient de replacer ces propos dans leur contexte ; néanmoins, ils sont significatifs.

123. Prospérité et enclavement

La contrepartie de ces fortes concentrations humaines se trouve, curieusement, dans la très faible

implication de ces peuples dans les affaires des autres. On peut même dire sans mentir que les Diola

ont vécu très longtemps dans une complète autarcie. Rien à voir, par exemple, avec le Nord du

Sénégal où les peuples ont toujours dû compter avec les autres, qu’ils soient envahisseurs ou

partenaires commerciaux. C’est ainsi, par exemple, que l’islam s’est répandu sur les terres des

ethnies Wolof et Sérère. En revanche, les Diola, bénéficiant justement de terres capables de les

nourrir sans recours à d’autres ressources telles que le commerce, ont été amenés à un repli sur leurs

propres terroirs. Ce phénomène se retrouve au niveau du village et même au niveau des familles.

Pierre Gourou (1984) a fait la distinction dans le système Diola entre la perfection des techniques

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d’exploitation et l’absence de techniques d’organisation de l’espace. Une farouche opposition à toute

administration les caractérise. Les Français travaillèrent de 1836 à 1914 pour coloniser, obligés qu’ils

étaient de traiter avec chaque village (Roche, 1985). En fait, les Diola se révoltent contre toute forme

d’autorité. Les vendettas entre villages expriment leur désunion. Le colonisateur a eu bien du mal à

établir des circonscriptions. Ces comportements se maintiennent toujours. En fait, il n’y a pas dans

ces sociétés de hiérarchies sociales ; on ne trouve qu’une juxtaposition de familles paysannes

(Pélissier, 1966). Bien entendu, ce phénomène est fortement accusé dans le Blouf, puisqu’il constitue

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comme on l’a vu l’un des cœurs, l’un des nœuds de la culture Diola. Retenons donc ceci : le système

traditionnel Diola, parce qu’il permet de vivre en complète autarcie, a également longtemps freiné

toute forme de friction avec les autres peuples, et a donc préservé un isolement quasi-total.

Cet état de faits, que l’on ne fait qu’esquisser, concerne le plan que l’on peut qualifier de socio-

économique de la vie dans les villages, pragmatique en quelque sorte. Mais il en est un autre, le plan

culturel, que nous allons développer à présent car on verra que la culture Diola est indissociable des

mutations modernes en lien avec la mondialisation. Et nous avons choisi de regrouper l’étude de cette

culture sous le terme de « civilisation du riz », comme en écho au titre de l’ouvrage de P. Gourou

(1984). En effet, c’est à partir de ce système rizicole profondément africain que l’on peut décliner la

culture Diola.

13. Une civilisation du riz

Selon P. Pélissier, l’ethnie Diola est née de la manière même dont elle cultivait la terre. L’étude

linguistique montre qu’il n’y a pas un peuple Diola unique. Comme on l’a dit, ces peuples étaient

extrêmement isolés. En fait, peu importent les types ethniques : on cultive le riz, donc on est Diola. Et

c’est à la manière d’un ethnologue qu’il nous parle : « la personnalité ethnique des Diola est

éminemment géographique, tandis que pour la plupart des populations qui les environnent elle reste

(…) essentiellement biologique » (Pélissier, 1966, p. 663).

131. Stockage de l’eau et riziculture

On trouve dans ces systèmes de production une parenté avec la Guinée : on peut parler d’aire

culturelle commune. C’est ainsi que la civilisation du riz Diola est véritablement africaine : En fait, la

riziculture y est toute en paradoxes. D’une part, l’aménagement des rizières est remarquable par l’art

de la transformation des zones inondables. Là poussent en effet les riz les plus productifs et les plus

exigeants en eau. D’où la nécessité de construire des digues ; les secteurs les plus bas, les plus

lourds, sont les meilleurs. Les rizières profondes, les plus remarquables, sont poldérisées par une

grande digue d’environ un mètre de haut pour un de large à la base, avec des drains pour évacuer les

eaux ou remplir les rizières. Au pied de ces digues, on place un fossé de drainage. On défriche

ensuite la mangrove, et le bois est récupéré. On procède au dessouchage. Enfin, lors des hivernages,

on fait entrer l’eau douce puis on l’évacue pour dessaler. Deux à trois ans après, on laboure, puis on

dessale à nouveau. Le sel reste dans les couches profondes, provoquant un danger de remontée par

capillarité ; il faut relaver au début de la saison des pluies. Mais d’autre part, aucune modernisation

dans ce système, un archaïsme des origines : depuis des générations, les procédés de repiquage, de

construction des digues, de labour, sont les mêmes. Pas de traction animale : les hommes labourent

et construisent les digues à l’aide du kadiandou, outil rudimentaire présenté sur le document 3. Et

pourtant, les soins apportés à cette culture sont particulièrement méticuleux, au point que les

rendements y étaient très satisfaisants. Et ce sont donc les parcelles les plus vastes, aux digues les

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plus hautes, aux sols les plus lourds, qui donnent les meilleurs rendements et les riz les plus tardifs.

Surtout, ce sont les plus représentatives de la culture Diola, et aussi les plus exposées en cas de

crise, les plus rapidement abandonnées. Les finages qui disposent en la plus grande quantité de tels

espaces sont aussi ceux où la culture Diola est la plus enracinée, la plus solide, la moins sujette aux

influences extérieures : c’est précisément le cas de l’arrondissement de Tendouck. La photographie

n°4, tirée de Paul Pélissier (1966), est représentative de cette époque de plein essor des cultures

rizicoles.

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Photographie n°4 : la « Casamance heureuse », du temps des belles et profondes rizières (Photo Paul Pélissier, 1966).

Cette présentation serait inutile si l’on ne précisait pas son intérêt pour l’étude. Curieusement,

en effet, les villages les moins modernisés sont, précisément, ceux qui ont les cultures les plus

savantes ; c’est ainsi le cas du Blouf. La modernisation semble donc être une fonction inverse de la

puissance de la culture rizicole, à moins que ce ne soit le contraire : et c’est là un point sur lequel il

convient de s’arrêter.

132. Rizières et résistance à la modernité

On constate, à la lecture des écrits de P. Pélissier, le poids extrêmement lourd des traditions,

nécessaires à la survie et à la prospérité de la société : les obligations diverses étaient auparavant

très fortes, les deux plus contraignantes étant la retraite prolongée et ascétique des jeunes gens

effectuée dans un bois sacré sous la tutelle des prêtres et des anciens, au moment de la circoncision,

pour revenir imprégnés des principes Diola (ils renaissaient alors), ainsi que l’obligation de la

maternité des femmes32. Les Diola sont en outre manière attachés aux valeurs concrètes ; âpres et

peu hospitaliers pour les étrangers, ils cultivent le travail et la force physique dont la lutte est

l’expression. D’où une réputation usurpée de brutalité et de sauvagerie. Le climat religieux est très

important, ponctué d’une somme d’interdits. Les boekin sont les esprits, habitants de la nature, qui

permettent de dialoguer avec Ata Emit, l’Esprit suprême (Thomas, 1959). Les prêtres ou féticheurs

établissent les interdits qui conditionnent la survie de la société. Le pragmatisme et la religion sont

extrêmement liés, cette dernière étant le trait d’union entre homme et milieu. Il eût été décevant, pour

un étudiant découvrant l’Afrique, de ne pas glisser un mot sur les pratiques religieuses traditionnelles

(que l’on dit aussi « animistes »). Aussi éloignées qu’elles puissent sembler de notre sujet, elles jouent

un rôle dans la démonstration.

Ces contraintes sont très représentatives du panel de traditions qui n’avaient qu’un but, comme

il a été souligné : viser à l’auto-reproduction de la société en minimisant les risques de déstabilisation.

Et nous rejoignons ici notre fil conducteur qui part de la riziculture et aboutit à la construction de la

société ; mais pour ce faire, il faut s’improviser, le temps d’un paragraphe, ethnologue ou sociologue.

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On comprend en effet qu’une telle société ait à se pérenniser, puisqu’elle est bâtie sur le

principe du cercle vertueux de la riziculture. Comme dans la plupart des sociétés traditionnelles, le

système en se modernisant risquait d’être déséquilibré par une baisse des besoins en main-d’œuvre,

et donc la marginalisation d’une partie de la population. Voilà aussi pourquoi la commercialisation du

riz ne pouvait se concevoir. Tous les spécialistes de la question ont pu observer, dans les greniers qui

servaient de réserve, des bottes de riz vieilles de dix à vingt ans : on capitalisait le riz en plus.

L’épargne était représentée par du bétail que l’on échangeait contre du riz aux Peul du haut pays, et

qui vagabondait dans les rizières à la saison sèche, permettant la fumure des champs.

On conçoit, dans ces conditions, que religion et pragmatisme fussent extrêmement liés, puisque

la religion était le support de la conservation d’une société en l’état. On peut concevoir que cette

ethnie remarquable, marquée par des procédés culturaux extrêmement complexes, ait toujours tenu

l’étranger comme un perturbateur, et par suite ait toujours jalousement combattu ce qui venait de

l’extérieur. Il le combattait encore jusqu’à une date récente, avec des armes plus modernes…

133. Une société profondément égalitaire

Cependant, au-delà de ces innombrables contraintes sociales, la civilisation Diola a ceci de

remarquable qu’elle n’est gouvernée par aucune hiérarchie. Chaque famille est son propre maître,

tout au plus élit-on un chef de village. On peut expliquer cela, encore une fois, par la possibilité de

vivre en parfaite autarcie et sans avoir recours aux échanges. N’oublions pas, non plus, que chaque

quartier ou morceau de village était la conséquence de l’étalement sur place d’une seule famille, d’une

seule souche qui s’était installée ici à la base, en totale liberté. De même, il s’agit de peuples installés

à la suite d’expansions démographiques ; les premiers arrivés étaient bien souvent de personnages

aventureux, qui ont tout construit de leurs mains. Là encore, rien à voir avec les sociétés islamisées

depuis longtemps au nord du Sénégal, où la religion a mis en place des couches sociales dans des

ethnies déjà prédisposées à cela, quand elles n’étaient pas déjà hiérarchisées. En effet, la présence

de territoires plus secs passe souvent par la nécessité des échanges, et donc souvent de structures

politiques plus élaborées ; le commerce a de plus amené l’islam et son organisation. Mais nous

sommes ici dans le territoire de la forêt, une aire culturelle guinéenne, l’Afrique des ethnies tribales, et

le système géographique traditionnel dans le Blouf est enclavé, peu ouvert, peu organisé

politiquement. Si nous restons dans le cadre de notre sujet, le fait que cette société soit si égalitaire,

outre que c’est un phénomène remarquable au Sénégal, aura son importance dans le cadre de

l’intervention sur cet espace de facteurs extérieurs.

Le riz n’est donc, dans ce cas, pas seulement une source d’alimentation. C’est lui qui est à la

base de la richesse et du prestige : nul organe de commandement, chefferie ou tribu, nulle

spécialisation héréditaire dans le travail ou les charges ; les qualités de l’individu sont intrinsèques.

Cela explique, bien entendu, la disposition anarchique des villages, aux cases groupées par lignages

en quartiers, puis en villages.

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Un système traditionnel que l’on peut qualifier d’ autarcique, malgré des échanges restreints à

une forme de coopération avec les Peul13, vient donc d’être dégagé. En réalité, celui-ci est quasiment

utopique ; cela fait pratiquement quatre siècles que les Européens sont présents en Casamance, et il

s’agit d’évaluer la portée de leur action. La colonisation a en effet changé bien des choses, sans que

l’on puisse dire que le système ait changé en profondeur. Et il s’agit, dans les prochaines réflexions,

de se demander jusqu’où, en définitive, on peut pousser l’étude d’un système traditionnel tant qu’il n’a

pas disparu.

2. Le Blouf entre colonisation et indépendance

C’est, comme on l’a vu, entre 1836 et 1914 que le Blouf est colonisé par les Français, qui ont

chassé les Portugais, premiers arrivés dans la région. Ils en font un canton dont l’arrondissement

actuel reprend les limites. Nous devons considérer la colonisation comme une forme de

mondialisation à part entière. Par son essence même, puisqu’elle concourt à « l’internationalisation »

du monde, qui est pour Dollfus la première forme, le premier avatar de la mondialisation, tout comme

par ses actions et les mutations qu’elle a engendrées, capitales dans l’évolution de cette micro-région,

la colonisation est un profond facteur de mutation, qu’il ne faut pas négliger. Il nous faut toutefois nous

demander en quoi la colonisation a été originale dans le Blouf. Or, en raison même des particularités

de l’espace étudié, la colonisation s’est traduite ici par de fortes spécificités par rapport au reste du

Sénégal, sur lesquelles nous allons nous attarder.

21. Une puissante colonisation d’inspiration chrétienne

Si la colonisation a été française ici comme dans le reste du Sénégal, elle a cependant, sur

deux aspects, des caractéristiques qui lui sont propres : d’une part, la puissance des missions

catholiques, favorisée par une faible pénétration de l’islam ; d’autre part, une relative autonomie par

rapport au reste du Sénégal, tout le transit de marchandises s’effectuant, par exemple, depuis le

fleuve Casamance et Ziguinchor, sans passer par Saint-Louis ou Dakar lorsque celle-ci est devenue

capitale de l’Afrique Occidentale Française (AOF).

211. Faible pénétration de l’islam et missions catholiques

13 Les Peul gardaient souvent les troupeaux dans les rizières moissonnées, ce qui enrichissait la terre. En échange, les Diola leur laissaient le lait de leurs vaches. Le bétail était une forme d’épargne chez les Diola, et surtout une preuve de richesse et un élément de prestige (d’après Pélissier, 1966).

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Photographie n°5 : La mission catholique d’Elana, la plus grande du département de Bignona, a joué un rôle très fort au niveau de la scolarisation. Elle est aujourd’hui à l’état de semi-abandon (cliché J.P.)

Il nous faut reprendre ici les propos issus de l’excellente thèse de Vincent Foucher, condensée

dans un article de l’ouvrage coordonné par M. C. Diop (2002). L’auteur y présente un travail original

sur le rôle de l’école en Basse-Casamance. Il est clair que l’islamisation a été longtemps absente du

territoire Bas-Casamançais, à fortiori du Blouf. P. Pélissier (1966) nous apprend quant à lui que c’est

vers la fin du XIXème siècle que commence, peu à peu, l’islamisation du nord et de l’est de la région

sous l’influence des marabouts Mandingues, qui jusque là restaient cantonnés au-delà d’une sorte de

« no man’s land », parcouru notamment par les Baïnouks, peuples de la forêt. Si les Français ont plus

ou moins favorisé l’expansion de l’islam vers le sud, à travers notamment l’ouverture de la traite de

l’arachide aux marabouts, et cela dans le but d’asseoir leur domination sur les peuples Diola, il n’en

reste pas moins que la Basse-Casamance et notamment le Blouf ont pu être fortement christianisés.

L’exemple est donné dans le Blouf par la grande mission catholique d’Elana (photographie n°5),

implantée quasiment à la fin de la colonisation, en 1954. Une autre, plus petite, se trouve à Affiniam.

Des églises ont peu à peu été construites, une partie de la population étant restée catholique malgré

une islamisation massive après l’indépendance (carte 6).

Cela a des conséquences extrêmement importantes selon P. Pélissier. En effet, on constate des

transformations, d’abord dans l’habitat : la cellule familiale éclate, l’agglomération se discipline, se

centralise par sa place et sa mosquée. L’évolution sociale entraîne le reste : la place de la femme

change, les procédés de production évoluent. Les hommes se concentrent sur les cultures sèches de

rente, les femmes seules restent en rizière. D’où une forte mutation, les femmes étant trop faibles

pour manier le kadiandou. Elles utilisent l’efanting léger des Manding, d’où une culture à plat, et une

suppression des rizières profondes. Les soudures sont plus délicates, les cultures d’appoint

deviennent plus nécessaires. L’économie devient Manding, le système hiérarchisé et prédateur. En

revanche, dans le Blouf, rien de tout cela : la christianisation a arrêté le processus. Elle au contraire

n’entraîne pas de changements fondamentaux dans les pratiques sociales, c’est pourquoi on peut

parler d’un milieu qui reste traditionnel. Il est frappant de constater combien deux types d’héritages, en

réagissant différemment à des influences extérieures, peuvent s’écarter l’un de l’autre. Ainsi, dans le

Blouf, l’homogénéité du milieu est indiscutable.

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Mais la christianisation, corroborée encore par J.-C. Marut14 (com. pers., février 2005,

Ziguinchor), a une autre conséquence, peut-être plus frappante encore par ses conséquences : c’est

la mise en place de la scolarisation française.

212. L’école et le Diola

La scolarisation intéresse notre sujet au plus haut point, car elle est à l’origine du plus fort exode rural

du pays15. V. Foucher (in Diop, 2002) nous montre que la zone la moins scolarisée du Sénégal est le

cœur du territoire des Mourides, la plus grande confrérie musulmane du pays. L’islam offre en effet

une alternative à l’école française qui a nui au développement de celle-ci dans le reste du Sénégal. En

revanche, l’école pouvait en Casamance trouver sa pleine mesure, et surtout, bien entendu, dans les

lieux où le christianisme était le plus répandu : il est assez notoire que les premières écoles coloniales

étaient dirigées par des missionnaires, qui « élevaient les âmes » en

14 Auteur d’une thèse sur le conflit en Casamance (v. bibliographie)15 Comme il sera montré à la page 46.

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même temps qu’ils éduquaient les enfants. On peut prendre quelques exemples pour montrer

combien est ancienne la scolarisation dans le Blouf : selon le président de la section du village de

l’association « Renaissance de Dianki » et rencontré dans ce village (voir carte 2), la première école

du Blouf est celle de Bessir, construite en 1927 ; sur les 329 villages, hors la commune de Bignona,

que compte le département du même nom, elle est la première construite avec Tendième, Baïla et

Diouloulou. L’école de Dianki date de 1937 ; celle de Tendouck de 1945 ; celle d’Elana, privée, de

1955. La carte 7, réalisée par le CSE*, permet de se rendre compte qu’encore aujourd’hui l’école est

en Basse-Casamance, et surtout dans le Blouf largement sur-représentée par rapport au reste du

Sénégal. Ajoutons que la taille des villages permettait aisément de scolariser beaucoup d’enfants…

On conçoit, dans ce cas, que le taux d’alphabétisation en français de la Basse-Casamance ait

été très tôt supérieur à celui du reste du pays. Telle est la principale spécificité de la colonisation en

Basse-Casamance : la région de Ziguinchor est encore aujourd’hui la mieux scolarisée du Sénégal, et

au sein de celle-ci, le département de Bignona est également le mieux scolarisé. Ce qui fait dire à V.

Foucher (in M.-C. Diop, 2002) que, malgré un taux de musulmans qui est en 1994 de 73,3 % en

Basse-Casamance, l’école coloniale a été fortement implantée. Et cela se ressent dès le sortir de la

colonisation : les Diola sont sur-représentés dans les concours administratifs. Les conséquences

dépasseront le simple cadre de l’éducation et de la scolarisation. C’est en effet l’école, comme

l’affirme J.-C. Marut (com. pers., février 2005), qui est à l’origine du plus fort exode rural du pays. Et la

colonisation a eu d’autres impacts sur les pratiques agricoles.

213. La mise en place de la « traite » de l’arachide

C’est un point, en revanche, sur lequel la colonisation en Casamance ne diffère pas de celle qui

a eu cours partout ailleurs au Sénégal : il s’agit la tentative de mise en place d’une monoculture de

l’arachide. Son expansion avait plusieurs objectifs. En premier lieu, il s’agissait de procurer à la

France des denrées tropicales aux prix les plus bas possibles, le Sénégal étant assez adapté à cette

culture. Mais c’était aussi un moyen de surveiller des populations souvent rebelles, comme c’était le

cas dans le Blouf. Le contrôle des points de collecte et des semences permettait aussi un contrôle des

hommes, et ce n’est pas un hasard si l’on a appelé cette pratique, de manière assez édifiante, la

« traite ». Enfin, et ce n’est peut-être pas la moindre raison, l’arachide permettait une forme de

monétarisation de l’économie locale, surtout en Casamance là encore où l’on vivait en complète

autarcie avec le riz et les cultures de plateau. C’est ce qui a permis également l’implantation des

commerçants marabouts Mandingues ; leur expansionnisme a été encouragé par les Français à la fin

du XIXème siècle, pour réaliser la traite que bien souvent eux-mêmes ne parvenaient pas à mettre en

place. Et l’arachide a été, finalement, un vecteur assez puissant de la conquête des territoires

casamançais (Roche, 1985). On en constate les effets dans le Blouf depuis très longtemps : la carte

8, tirée de P. (1966), nous montre combien elle a, petit à petit, grignoté la forêt au point qu’on a dû la

conserver sous le nom de « Forêt classée de Tendouck ». Nous ne négligerons donc pas le rôle

crucial de l’arachide dans le Blouf, d’autant qu’elle a été encouragée par le jeune gouvernement

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sénégalais de l’indépendance, survenue en 1960, qui, finalement, a peut-être contribué à une

poursuite de l’œuvre coloniale.

22. Une « colonisation » sénégalaise à l’indépendance ?

Ce que d’aucuns ont appelé la nationalisation ou « l’étatisation » de l’Afrique puise ses racines

au cœur même de la mondialisation. Nous ne sommes pas encore, loin s’en faut et ce n’est pas l’objet

de cette partie, dans le stricto sensu de la « globalisation » ; cependant l’expansion à l’échelle

mondiale des espaces nationaux a quelque chose de global qui participe, effectivement, des

processus de la mondialisation. Encore une fois, à cet instant, l’image, le rôle, la fonction de la Basse-

Casamance, et du Blouf avec elle, change : elle devient le « poumon vert » du pays, qu’il faut exploiter

pour la croissance nationale.

221. Le mythe du paradis terrestre

Photographie n°6 : la « verte Casamance » a la peau dure… Ici à Affiniam (cliché J. P.)

Le schéma est classique : à des héritages viennent se surimposer des processus modernes,

« exogènes » pourrait-on dire, et aussitôt l’espace, une nouvelle fois, change de perception. En

l’occurrence, le gouvernement sénégalais a très tôt lancé un mythe d’une « verte Casamance » qui

s’opposerait aux terres arides du nord. Cet espace aux fortes potentialités devait par conséquent être

mis en valeur de manière intensive et moderne. Il en allait de la richesse de la nation sénégalaise et

de la réussite du jeune Etat. Mais on se méfie, alors, du Diola « arriéré », qui ne connaît pas la vie

moderne, réticent depuis longtemps à toute forme de main-mise. En somme, un lieu édénique peuplé

de sauvages… L’image est d’Epinal (photographie n°6). « L’appartenance de la Casamance à

l’ensemble guinéen, humide et forestier, synonyme de richesse, lui confère une image d’espoir. (…)

En revanche, les Casamançais inquiètent : hommes de la forêt, ils sont parfois encore considérés

comme des sauvages » (in Barbier-Wiesser et al., 1994, p.16). Est-il utile de préciser que par ces

« sauvages », on désigne la part des Diola qui vivent dans les conditions les plus traditionnelles ? Le

Blouf est parfaitement représentatif de ce type de lieu. Et Christian Saglio, ethnologue et co-fondateur

du tourisme rural « intégré » en Casamance, une forme de commerce équitable, et très sensible aux

représentations de l’espace, de s’exclamer : « que ce soit contre les Portugais, les Mandingues, les

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Français ou l’administration sénégalaise, on assiste toujours au même scénario : la loi contre la

coutume. Une loi importée, imposée et incompréhensible, qui menace l’équilibre et l’harmonie créés

par la coutume » (Saglio, 1984, p. 28 ).

On conçoit dès lors, à la fois les réticences des Diola à se plier à une volonté prédatrice de

l’Etat sénégalais, et les craintes de celui-ci face à un peuple extrêmement jaloux de ses traditions.

Sommes-nous loin de la pensée de certains Sénégalais de l’époque lorsque nous reprenons cette

phrase de Boccandé, colon français, en 1856 : « la Sénégambie méridionale est en définitive une

terre vierge pour le commerce (…). Tout se résume (…) dans ces quelques mots : profits

considérables réservés à la transaction intelligente » ? Et encore : « il faut éviter à tout prix que les

indigènes reprennent leur vie primitive d’antan (…), se contentant de produire les quelques cultures

vivrières indispensables à leur subsistance » (in Saglio, 1984, p.13).

Ces représentations vont mener, dans le Blouf, à un encadrement économique très puissant,

puis à un fort encadrement législatif.

222. De l’encadrement économique par l’arachide…

L’Etat sénégalais a repris, tout naturellement, la monoculture de l’arachide dans le but de créer

des surplus. Sans aller dans le détail de l’encadrement de l’arachide au Sénégal, ce que beaucoup

ont fait déjà (Freud, 1997), disons simplement que le gouvernement de Senghor qui arrive au pouvoir

en 1960 instaure un « socialisme africain » qui vise à une étatisation très forte des circuits de

production. La traite arachidière est donc reprise en main par l’Etat. On peut de suite en constater les

effets sur le terrain qui nous intéresse, à savoir le Blouf : selon Bassirou Sambou, président de la

Communauté Rurale de Mangagoulack, sur laquelle nous avons fait peser le gros de nos recherches,

« il y a trente ans, on pouvait voir les maisons de Diatock [à deux kilomètres au nord] tellement il y

avait d’arachide. Et les gens pouvaient produire jusqu’à cinquante et même cent sacs à cette

époque ». (com. pers., février 2005).

Il y a donc eu une longue période de prospérité sénégalaise avec l’arachide, qui a touché le Blouf,

certes moins que dans les zones Sérère, au cœur du bassin arachidier, mais toutefois plus que ce que

l’on aurait pu penser au premier abord. On a une idée de l’ampleur de l’arachide dans le Blouf à

travers le document établi par le bureau d’étude CIDS de Ziguinchor, pour l’ONG Idée Casamance16. A

Elana, « la culture d’arachide était l’activité principale des années 1950 aux années 1970. Elle était la

seule production monétarisée. Chaque famille cultivait environ deux hectares et produisait quatre à

cinq tonnes. Les récoltes étaient vendues à une coopérative de Bignona, gérée par J. B. Coly,

commis peseur du père Boussan, fondateur de la mission catholique, qui a organisé la coopérative du

Blouf d’Affiniam à Kartiack ».

Cette prise en main économique par l’Etat, qui a poussé à la culture d’arachide, a eu pour

corollaire une vaste déforestation. Or la déforestation a des conséquences sur le climat, moins

perceptibles que l’érosion et la perte des sols mais cependant sournoises : on peut observer un

16 CIDS Ziguinchor (2004), Inventaire culturel et socio-économique des villages d’Elana et Djivente, p.

45

parallélisme entre recul de la forêt et recul des précipitations. Par un effet d’évapotranspiration, en

effet, la forêt est un excellent renfort qui vient grossir les pluies liées à la convergence intertropicale.

Parallèlement à ce développement économique impulsé depuis Dakar, s’est mis en place un

cadre législatif important.

223. … A l’encadrement administratif et législatif

L’afflux de personnels administratifs « nordistes » en Casamance, bien qu’important, ne

change pas trop, finalement, de l’administration coloniale mise en place par le « toubab » français. En

revanche, plus significatif dans le cadre de cette étude est la réforme de la gestion foncière. C’est G.

Hesseling (in Barbier-Wiesser et al., 1994) qui a le mieux rapporté ce phénomène : elle a étudié cette

question à partir de travaux anciens et en retournant dans les villages. A la base, les familles ont

l’usufruit de terres communes. Depuis, la loi est venue s’imposer. Celle de 1964 déclare domaine

national toutes les terres qui ne tombent pas sous le statut foncier du colonisateur. Les zones de

terroir, quatrième catégorie du domaine, font l’objet de droits d’usage, les exploitants en disposant,

mais un Conseil rural élu pouvant les modifier, étant chargé de la gestion foncière. Les attributions de

ces conseils sont précisés dans la réforme administrative de 1972, et les premiers en Basse-

Casamance sont élus en 1979. Mais le résultat est néfaste : le nombre de terres demandées par les

non-résidents est croissant. Les conseils ruraux privilégient ceux qui ont les moyens. C’est ainsi

qu’apparaît pour la première fois la Communauté rurale, ensemble de villages, à mi-chemin entre la

communauté villageoise et l’arrondissement. Elle devient une circonscription administrative à part

entière, gérée par un conseil rural élu, et gagne de plus en plus de prérogatives.

Il n’y a rien de plus représentatif, au fond, que cette réforme du droit foncier traditionnel, que

l’on distord pour le faire s’adapter à un droit moderne. En effet, les terres des Communautés Rurales

sont déclarées propriété inaliénable de l’Etat ; le paysan jouit seulement d’un usufruit s’il détient la

terre et continue à l’exploiter. Une terre non exploitée depuis plus de trois ans tombe sous le coup de

la loi et revient à l’Etat, qu’en théorie elle ne quitte jamais… Il y a là de quoi parler de main-mise. Il est

assez facile, dans ces conditions, d’obtenir l’attribution de terres pour y monter des projets exogènes.

On peut donc parler, pour la période qui s’étend de 1960 à 1980 environ, d’une tentative par

l’Etat sénégalais d’intégration de la Casamance à son espace national, par le biais essentiellement de

l’exploitation économique. On se rendra compte que ces réformes et ces mutations, qui dans

l’ensemble touchent la Basse-Casamance, mais comme on l’a vu plus particulièrement les zones

Diola restées les plus « pures » pour reprendre la classification d’Annie Chéneau-Loquay45 et donc le

Blouf au premier chef, auront leur importance dans l’édification d’un système, encore une fois, où faits

sociaux et géographiques, ancrés dans les lieux, et mondialisation se confondent pour lui donner sa

forme.

23. De l’école à l’exode

46

Les premiers avatars de la mondialisation, ceux que nous inscrivons comme partie intégrante

dans les particularités de l’arrondissement de Tendouck, ont eu des conséquences notables qui ont

fait évoluer cet espace de manière considérable. C’est la mise en place de l’école qui a eu le plus de

répercussions et ce pour trois raisons : d’abord, l’exode rural ; par suite, des conséquences sur les

terroirs liés à l’abandon de certaines cultures ; enfin, la mise en place d’un système d’exode par

filières.

231. Le plus fort exode rural du pays

De très nombreuses études ont été réalisées sur les migrations en Basse-Casamance :

citons, assez succinctement, Klaas De Jonge et al. en 1978, l’INED (1984) sur Mlomp, Reboussin

(1995) sur Affiniam et Boutœum, Vincent Foucher ou encore Michael C. Lambert (in Diop, 2002). Ce

dernier nous montre que dans les études sur les Diola, les enfants nés après l’indépendance ont tous

séjourné à Dakar au moins un an. Il est curieux de constater, par ailleurs, que c’est la région la plus

enclavée qui a le plus fort exode rural ; elle est en effet barrée au nord par l’enclave gambienne qui a

longtemps été, et est encore, un obstacle malgré la route qui la traverse. En somme, tous les auteurs

s’accordent à dire, d’une part, que le pays Diola connaît le plus fort exode rural du Sénégal, et d’autre

part, que c’est bien la scolarisation qui est à la base de cet exode rural, par l’accès à l’emploi public

que cela permettait.

Part de la population de la famille à l'extérieur par rapport à la population sur placeen fonction des personnes interrogées

Moins d'un quart5%

Entre le quart et la moitié18%

De la moitié aux trois quarts27%

Inférieure mais plus des trois quarts14%

Supérieure ou égale36%

Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=100)

Graphique 2

47

Quelques chiffres illustrent assez bien ce phénomène. En 1970, sur 225000 habitants en

Basse-Casamance, 33500 sont concernés par la migration (Foucher, in Diop, 2002). Mieux encore :

dans la région de Dakar, les Diola constituent la première communauté « immigrée » avec 12,6 % de

la population ; la région de Kolda, qui compte 55 % des habitants de la Casamance « naturelle », ne

possède dans la région de Dakar qu’une communauté qui en représente 1,2 %. Entre 1960 et 1981,

on est passé de 6000 à 67000 employés dans le service public au Sénégal, ce qui a profité aux fils de

la Basse-Casamance.

C’est là que l’enquête de terrain peut être utile : le graphique 2 compare au nombre de

membres dans chaque famille le nombre de personnes qui sont à l’extérieur ; il faut l’associer à la

carte 9 qui montre les destinations des émigrés permanents et temporaires (quatre par famille), ainsi

que le graphique 3 qui nous montre la proportion des personnes interrogées ayant déjà vécu ailleurs

en fonction de l’âge. On se rend bien compte, en face de ces documents, de l’importance de l’exode

rural en Basse-Casamance, et plus encore dans le Blouf. En effet, l’exode rural est plus fort dans les

zones fortement scolarisées. Mais ce sont aussi les plus christianisées, celles où la culture Diola était

donc la plus enracinée, celle également où les villages étaient les plus gros et où l’accès à l’éducation

était donc facilitée par une concentration des populations… Tout ce que le Blouf représente. Ajoutons

une certaine liberté dans la structuration de la société, et on a un mélange plus que favorable à

l’exode.

Proportion des personnes ayant déjà vécu ailleurs par classe d'âge

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

18-24 25-29 30-34 35-39 40-44 45-49 50-59 60-75 + de 75 Moyenne

Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=100)

Graphique 3

Au-delà, les conséquences de l’exode rural doivent être mises en lumière : en effet, il a entraîné

un dynamisme villageois qui s’est poursuivi en ville.

48

49

232. La mise en place des filières de ressortissants

Si nous parlons déjà des associations de ressortissants, alors que notre étude nous a montré

que ce n’était que depuis quelques années qu’elles prenaient véritablement les rênes des villages,

c’est que leur enracinement est déjà ancien. Vincent Foucher a montré que ces associations

« naissent au carrefour des pèlerinages » (in Diop, 2002). Michael C. Lambert nous parle de

« communautés multi-locales » pour exprimer le changement d’état des villages. Très tôt, le centre de

gravité du village bascule vers la ville.

Il est assez aisé de comprendre la mise en place des associations de ressortissants. Les

entretiens avec les ressortissants des villages de la Communauté rurale de Mangagoulack, à

Ziguinchor et à Dakar, nous ont montré comment cela se passait. Avant tout, il est assez significatif de

constater que chaque village a son association de ressortissants, et même Djilapao qui compte au

recensement de 1988 158 habitants, dont on ne sait s’ils sont permanents ou pas.

En général, une personne sert de moteur aux autres. C’est le système du tutorat : un homme qui

obtient un poste de fonctionnaire (en général) peut loger du monde et leur chercher du travail. Cela

explique la concentration constatée au fil des entretiens dans quelques quartiers périphériques de

Dakar des Diola, tout du moins ceux du Blouf : Fass, Grand Médine, Grand Yoff, Liberté V et VI et les

Parcelles Assainies (voir carte 10). Cela explique un effet démultiplicateur de la scolarisation : il n’y a

plus besoin de réussir à l’école pour émigrer en ville, il suffit d’avoir de la famille. C’est ainsi que M.

Lambert (in Diop, 2002) nous montre deux générations de migrants, la première qui réussit, souvent

dans la fonction publique, l’armée ou l’industrie, et la seconde, plus massive, mieux reliée aux villages

aussi avec les progrès des transports routiers, qui travaille dans l’urbain informel, qu’il soit industriel

ou artisanal. Les femmes font leur entrée, comme ménagères de domicile à une écrasante majorité.

Le contrôle des arrivées de « co-villageois » par les ressortissants est donc assez aisé, puisque tout

passe par ces fameux tuteurs. Il est donc très compréhensible que les associations de ressortissants

s’y implantent. Il s’agit là d’une forme finalement traditionnelle, reprenant en quelque sorte la structure

des associations traditionnelles du village, qui avaient des buts précis et essentiellement la culture des

champs.

Les filières de ressortissants, qui accentuent l’exode rural, deviennent rapidement

structurantes : chacun veut faire son bout de chemin en ville, attiré par les mirages classiques que

sont le confort et le bien matériel. La massification de l’exode dans les années 1970 a entraîné sur le

finage et l’agriculture des conséquences très visibles. L’histoire de certaines associations de

ressortissants nous montre clairement le statut de tuteur de leurs meneurs.

50

51

233. Les conséquences sur les terroirs villageois

Il suffit d’une photographie (photographie n°7) pour illustrer le principal impact de l’exode rural

sur les terroirs. Elle est tirée de l’ouvrage de P. Pélissier (1966). On y voit le finage de Tendouck dont

certaines rizières profondes sont envahies à nouveau par la mangrove. Le Blouf a ceci de fragile que

les rizières les plus profondes, celles qui sont également les plus productives, nécessitent un entretien

constant. Le départ saisonnier des jeunes en saison sèche a eu pour conséquence une fragilisation

des systèmes de production : les digues basses n’étant plus entretenues, une partie des terres

gagnées sur la mangrove fut abandonnée. En outre, les bouches à nourrir étaient moins nombreuses.

Mais le résultat fut, en même temps que des transferts d’argent accrus de l’extérieur, une

paupérisation du système Diola, mise en lumière par A. Chéneau-Loquay : « Pourquoi les systèmes

de production diola basés sur la riziculture sont-ils aussi peu performants aujourd’hui, alors qu’il y a à

peine trente ans, les mêmes techniques étaient admirées pour leur efficacité au point que cette

société diola (…) supportait la comparaison avec les sociétés rizicoles asiatiques ? » (in Barbier-

Wiesser et al., 1994, p. 352)

Photographie n°7 : photographie aérienne de la zone de Tendouck (IGN, 1959). On voit clairement le plateau à droite en raison de la présence d’arbres. Une île à gauche est emplie de rizières. Au centre, en haut de la photographie, les traces d’un finage réoccupé par la mangrove (tiré de Pélissier, 1966).

Toujours selon Annie Chéneau-Loquay, dans la région de Ziguinchor, alors que l’on était

autosuffisant en riz, il se produit depuis 1970 un déficit. Les importations augmentent de 5,4 % par an.

52

On peut donc se demander quel est son avenir. C’est d’autant plus troublant qu’il existe un paradoxe

entre les performances d’antan et la médiocrité actuelle ; il faut invoquer le rôle des facteurs

exogènes. Toutefois, les projets ne manquent pas dans les villages. Mais on manque d’eau ; les zones

de tannes, terres salinisées restant à nu, augmentent ; les zones les plus rizicoles voient leur

population diminuer. En outre, la fixité des techniques s’oppose à une pénétration moderne forte, de la

traction attelée par exemple. Et les terres vacantes sont parfois rares en raison de la pression

démographique. Le cercle vertueux semble être devenu vicieux…

Dans l’introduction de sa thèse, D. Avenier-Sharman (1987) nous déclare que l’on stigmatise

beaucoup trop les problèmes climatiques pour parler de dégradation des conditions agricoles en

Basse-Casamance. C’est ainsi que la salinisation des terres, qui pour beaucoup est attribuée au

manque d’eau, s’explique beaucoup plus facilement par le manque d’entretien des digues.

A l’aube des années 1980, on peut déjà parler pour le Blouf d’un dérivé de système, très

évolutif. L’exode y joue sa place, mais c’est encore l’arachide qui fournit aux populations le plus de

ressources. Le riz de soudure, importé d’Asie, est de plus en plus acheté mais c’est encore le riz Diola

qui fournit l’alimentation principale. Or, dans les années 1980, sous l’influence des grands organismes

internationaux, le Sénégal entre dans une nouvelle phase de sa politique avec Abdou Diouf : c’est le

temps de l’ajustement structurel. On entre dans la mondialisation proprement dite.

3. Les premiers symptômes de la mondialisation

C’est l’ouvrage de M.-C. Diop (2002) faisant partie de la trilogie d’ouvrages écrits sur le Sénégal

entre 2002 et 2004, qui nous donne la meilleure idée de l’ampleur du changement. Il évoque en effet

« un processus (…) dominé (…) par le passage de la phase dite de l’Etat-providence à un autre

marqué par la privatisation de pans entiers du service public » (p. 12). Tout est dit. A partir de ce

tournant de 1980, marqué par les premiers accords avec le Fonds Monétaire International et la

Banque Mondiale, le Sénégal entre dans l’ère du désengagement de l’Etat. De multiples effets en

découlent. Il s’agit ici d’en montrer les impacts dans le Blouf, pas épargné, bien évidemment, puisque

désormais son sort est relié à celui du Sénégal ; mais touché différemment que les autres régions,

pour les mêmes raisons de différences d’héritages auxquels se surimposent la mondialisation. Cela

nous amènera, au seuil du XXIème siècle, à un système particulier dont l’étude des éléments de

caractérisation formera la seconde partie.

53

31. Le désengagement de l’Etat

« Les principales interventions gouvernementales dans les domaines économiques et sociaux

sont liées aux différentes phases de la formation de l’Etat, c’est-à-dire du renforcement à

l’affaiblissement de l’économie arachidière pour l’exportation et à la mise sous ajustement de

l’économie qui a démoli et réduit brutalement en cendres les prétentions « socialistes » de la classe

dirigeante » (Diop, 2004, p. 11) : c’est bien la politique d’ajustement structurel lancée dans les années

1980, avec la mise en place de la Nouvelle Politique Agricole (NPA*) en 1984 (Duruflé, 1994), qui

sonne le début de cette nouvelle phase. Elle a brutalement privé les villages de la manne de

l’arachide, devenue « un moteur en panne » (Freud, 1997). Après l’échec, en effet, de l’économie

« étatisée », le premier Plan d’Ajustement Structurel (PAS*) est lancé en 1980. Il se traduit par un

désengagement de l’Etat dans de nombreux domaines, notamment l’agriculture, l’éducation, la santé.

En 1984 est lancée la Nouvelle Politique Agricole, sur la même ligne de conduite (Dramé, 2000). On

distingue plusieurs plans et programmes : de 1978 à 79, un Plan de Redressement Economique et

Financier (PREF) ; pour la période 1985-1992 est adopté un Plan d’Ajustement à Moyen et Long

Terme (PAMLT) ; les échecs de cette nouvelle politique a amené en 1994 une dévaluation qui a

entraîné une crise importante. L’économie s’est fortement libéralisée depuis. Et surtout, « le Plan

d’Ajustement Structurel a mis au premier plan la clientèle technocratique indigène des bailleurs de

fonds devenue le groupe le plus important dans les orientations des politiques économiques et

sociales » (Diop, 2004, p.14).

311. La privatisation de la traite de l’arachide

Il en résulte avant tout la chute des cours de l’arachide. En réalité, on pourrait croire que le

déclin de l’arachide dans le Blouf a commencé avant les années 1980, comme l’indique le président

de la communauté rurale de Mangagoulack. Il est certain que la diminution du nombre de bras valides

n’allait pas sans poser des problèmes au moment de la culture. Mais jamais elle n’a autant décliné

que dans les années 1980 et 1990. Dans le document établi par le CIDS17, il est dit à la page 44 que

« une grande partie des grands champs anciennement cultivés entre Diatock et Elana – actuelle forêt

de Sobokor – a été abandonnée. Ces terres produisaient de l’arachide (depuis 1914) et du mil. On y

cultivait également du fonio. La sécheresse conjuguée à la baisse des cours de l’arachide, a amené

un abandon progressif de ces cultures. Par ailleurs, le manque de main-d’œuvre dû à l’exode des

jeunes ne permet plus de cultiver de grandes surfaces. Les jeunes qui reviennent en hivernage

n’arrivent qu’au mois d’août alors que les plus gros travaux de préparation sont achevés. Ils repartent

avant les récoltes et pendant leur séjour ils sont plus occupés à se retrouver autour de leurs loisirs

qu’à aider leurs familles aux champs. Depuis 1991, l’arachide n’y est plus cultivée. Les villageois

affirment que c’est depuis 1999 que les terres de Sobokor ont vraiment été regagnées par la

végétation sauvage. Ces terres sont très fertiles (…) ». Il est encore ajouté en note qu’il « semblerait

que la baisse de la main-d’œuvre ait atteint son seuil critique vers 1999. Avant cette année, les

familles réussissaient à cultiver de plus grandes surfaces. Peut-être les derniers jeunes adultes sont-

17 CIDS Ziguinchor (2004), Inventaire culturel et socio-économique des villages d’Elana et Djivente.

54

ils partis à cette période… ». C’est bien la baisse des cours de l’arachide qui a entraîné ce déclin,

relayée mais non créée par l’exode des jeunes. C’est un phénomène assez brutal pour être signalé :

en vingt ans, les familles sont passées d’une production moyenne de cinq tonnes par an, soient cent

sacs, à rien du tout ! On évalue la valeur d’un sac aujourd’hui à 5000 francs CFA18. La production

d’une famille à l’époque atteindrait donc 500000 francs CFA19 ! Des revenus que l’on ne trouve plus

dans les villages, comme on le verra plus loin.

Outre l’apparition d’un paysage désolant de friches ou brousse de reconquête sur ces espaces,

le déclin de l’arachide, conséquence directe de l’ajustement structurel qui a stoppé à la fois la traite et

le soutien des cours par l’Etat, par le biais de mécanismes sur lesquels nous ne nous arrêterons pas,

a eu pour corollaire la mise en place de cultures de substitution. Le Blouf, d’ailleurs, a été l’un des

espaces les plus touchés par ce phénomène.

312. Le développement de cultures de substitution

Photographie n°8 : le maraîchage, une culture de substitution apparue au début des années 1980 (cliché J. P., à Mlomp).

Il nous faut encore une fois interroger la thèse de D. Avenier-Sharman (1987) pour comprendre

l’ampleur qu’ont pu prendre, dans les années 1980, ces cultures de substitution. Le maraîchage en est

la plus symbolique. C’est une culture de saison sèche (photographie n°8), féminine pour les

légumes, masculine pour les fruits20. « Ces activités ont connu, par leur intérêt commercial, un essor

remarquable ces dernières années en particulier au sud de la vallée car elles constituent le seul

espoir concret face aux défaillances de la riziculture ». « Mais il se développe dans la plus concrète

anarchie : l’approvisionnement, la commercialisation ne sont pas maîtrisés du fait de l’inorganisation

des producteurs » (p.164). C.M. Jolly (1984) (cité par Avenier-Sharman) s’est intéressé à la

18 50 francs français ou 7,61 euros.19 761 euros environ.20 Nous pensons que cette séparation des tâches est traditionnelle, la culture légumière ainsi que la culture d’arbres fruitiers pour l’autoconsommation étant assez ancienne ; nous n’avons pu cependant en déterminer clairement les raisons, peu importantes dans le cadre de cette étude.

55

commercialisation de ces produits maraîchers. En 1969-1970, 310 tonnes ont été produites ; ce sont

4028 tonnes dans la vallée de Bignona en 1978-1979, avec un taux de croissance de 25,6 % par an.

On comptait, en 1987, en tout 275 jardins dans la vallée de Bignona : 15 au nord et 260 au sud...

Malheureusement, le manque d’organisation fait que tous les travaux sont manuels, que le travail et

la commercialisation sont mal maîtrisés. Le bétail divague souvent et détruit les cultures. Le manque

d’eau est parfois un handicap. De plus, la surproduction provoquée par l’explosion de ces cultures

entraîne une valorisation médiocre et une mévente importante. On trouve dans toute la zone quelques

« bana-bana 21» qui s’aventurent dans les villages... Restent les rares taxi-brousse, petits cars passant

dans les villages. Les productions se vendent mal, surtout les légumes européens. En fait, le

problème essentiel vient de la nécessité de la vente. Mais cette culture est justement tenable du fait

de l’absence des coûts de production. On l’abandonne s’il faut investir. En outre, la manque de

formation et de modernisation est donc important.

L’arboriculture masculine se fait dans des vergers à demi sauvages, sur les manguiers et les

agrumes. Le problème de la commercialisation et de la concurrence est le même qu’ailleurs... En fait,

adopter un mode de culture pour le commerce leur est intenable, puisque la concurrence génère des

coûts de production bien moindres. En somme, ces cultures de substitution se sont développées très

rapidement, en réaction immédiate à la chute des cours de l’arachide, et ont rencontré de nombreux

problèmes en raison même de la nature de la crise : elle est liée à l’ajustement structurel qui soumet

tous les produits à la concurrence : l’ouverture des marchés entraîne l’importation massive de fruits et

légumes du Mali ou du Maroc en direction de la capitale sénégalaise.

On peut se poser la question de la forte présence des jardins dans le Blouf par rapport au

Fogny. Il semblerait en fait que dans le premier, l’absence de terres en plus pour l’arachide ait

empêché les paysans d’entrer dans « la logique du système économique dominant : produire plus

pour gagner autant, gagner plus pour consommer autant » (Avenier-Sharman, 1987, p. 8). Là où les

gens du Fogny ont pu étendre leurs terres, ceux du Blouf n’ont pas eu ce choix, trop nombreux et

ayant trop peu de terres en brousse, aux dires des habitants même. Il s’en est ensuivi une fragilisation

du milieu humain.

313. Un milieu humain fragilisé

Il s’agit en somme, ici, de réaliser un bilan des fragilités qui affectent l’espace du Blouf à la fin

du XXème siècle. Toutes ces fragilités sont à replacer dans le contexte des mutations qui ont affecté

cet espace et sur lesquels nous nous sommes amplement attardé. En premier lieu, le manque de bras

crée un problème structurel de baisse des rendements et des productions agricoles, et donc un risque

de dégradation de la situation économique des ménages. Le problème se pose également de la

baisse des prix des denrées agricoles, ce qui oblige à accroître les cultures. Les villageois ne peuvent

plus supporter d’augmenter leurs production pour deux raisons. D’abord, le manque de terres sur les

plateaux. Ensuite, la diminution du nombre de bras, encore, puisqu’il ne faut pas oublier que si ce

manque de bras nuit aux cultures vivrières, il nuit encore plus aux cultures de rente, à fortiori

21

Le bana-bana est un grossiste qui achète la production de tout un verger ou potager, embauche des travailleurs pour récolter les fruits ou légumes et emporte la production en vrac vers les villes.

56

lorsqu’elles sont effectuées pendant la saison sèche où tous les élèves du secondaire sont en ville. Il y

a donc, dans le Blouf, une fragilité structurelle qui pousse à l’exode rural. En somme, c’est devenue la

périphérie du Sénégal, lui-même périphérie au sein de l’espace-monde : une « périphérie de

périphérie », donc, pour reprendre l’expression de Jean-Claude Marut (1999).

Corollaire d’un recul de l’Etat qui a mis le Blouf au ban de l’économie nationale, lui qui pourtant

était l’un des espaces les plus prospères au Sénégal, la micro-région s’est vue frappée par une

déprise puissante ; en contrepartie de quoi, et toujours en raison de ces accords entre Sénégal et

organismes internationaux, de multiples Organisations Non Gouvernementales (ONG) ont apporté

leur soutien aux villages du Blouf.

32. En contrepartie, un fourmillement de projets étrangers

La Basse-Casamance a été l’une des régions les plus aidées au Sénégal. Il y a deux raisons à

cela : d’une part, les fragilités que l’on vient d’énoncer et qui ont fragilisé cette région plus que

d’autres. D’autre part, le Sénégal voyait l’intérêt d’une aide massive dans cette région, puisqu’il a été

décidé, dans les années 1980, de faire de la Casamance le grenier à riz du Sénégal. Il fallait donc

moderniser la riziculture tout en soutenant la diversification des activités économiques pour endiguer

l’exode rural.

321. Une myriade de projets dans le Blouf

Les projets n’émanent pas seulement des ONG ; ils sont parfois issus de grands organismes

internationaux ou de l’Etat lui-même, qui bien souvent finance les projets qu’il mène grâce au

concours de donneurs étrangers. Le phénomène débute dans les années 1970, en réaction aux

premières conséquences de l’exode rural ; mais on peut vraiment dire que les grands projets sont

lancés dans les années 1980. De grands programmes les coordonnent : c’est d’abord le Programme

Intégré de Développement Agricole de la Casamance (PIDAC*). Celui-ci vise au soutien des

producteurs maraîchers ainsi qu’à la modernisation de la riziculture. Il est relayé en 1976 par la

Société de Mise en Valeur Agricole de la Casamance, la SOMIVAC*, société privée financée

essentiellement par l’USAID*, l’aide américaine au développement (Avenier-Sharman, 1987). Mais les

entretiens nous ont montré que dans le Blouf, de nombreux petits projets ont été développés par des

ONG : les allemands du PAARZ-GTZ* dans le domaine du micro-crédit ; CARITAS*, ONG de

confession catholique, à travers les réalisations du Centre Agricole Rural d’Affiniam (CARA) devenu

Centre de Promotion Rurale d’Affiniam (CPRA*) en 1991 ; ENDA* Tiers-Monde ; le Catholic Relief

Services (CRS*)… D. Avenier-Sharman avait établi à l’époque une liste des ONG intervenant en

Casamance. Elle couvrait deux pages complètes, soit … organisations.…

Il faut retenir de cette période des années 1980 un grand nombre de réalisations et un

fourmillement de projets. C’est à ce moment, également, que se constituent les premières

« organisations paysannes », sortes de fédérations d’associations d’agriculteurs créés à partir de

jeunes « exodés » qui ont cherché, par tous les moyens, à freiner l’exode rural. Elles perdurent

57

aujourd’hui encore, et le président de la Coordination des Organisations Rurales pour le

Développement, CORD*, créée en 1988, à Bignona, m’a donné entre autres ces noms : l’Association

des Jeunes Agriculteurs de la Casamance (AJAC-Blouf*), la Fédération des Groupements de

Promotion Féminine (projets encadrés par le PIDAC), la FGPF*, ainsi que tout un panel de

groupements de quelques associations : Entente Djimoutene, Union GOPEC*, SECORAT*,

AMICAR*…

Nous avons interrogé le président actuel d’Union GOPEC. Le rayon d’action du GOPEC était

tout le village de Mlomp (carte 2). Le FED* et l’USAID l’ont financé, ils s’appuyaient sur ce type

d’organisation paysanne. Elle a été créée en 1980-1985. Il est donc clair que nous parlons d’une

époque où l’on croyait être en mesure de freiner l’exode rural par du développement endogène.

322. Les tentatives de modernisation de la riziculture

La riziculture anti-sel a commencé avec le projet de l’ILACO*, société privée hollandaise de

développement agricole, entre 1965 et 1973. Il était prévu de récupérer 1400 hectares sur la

mangrove par des digues et des cloisonnements. Du fait de la faiblesse de la main-d'œuvre, on a

ramené ce chiffre à 720. En fait, seuls 29 hectares ont été récupérés63... En 1973, l’ILACO se retire : il

ne reste rien. On accuse la sécheresse et le manque de main-d'œuvre. La mise en place du barrage

de Guidel, au sud de la Casamance, est un échec également. Entre 1962 et 1965, le Groupement

d’Etudes Rurales de la Casamance (GERCA*) décide de lancer un projet de barrage sur les cinq

grands marigots de la Casamance, pour protéger 70000 hectares. A partir de 1974, la construction de

ces barrages sont le fer de lance de la politique agricole en Casamance. Les marigots de Baïla,

Bignona, Soungrougrou, Kamobeul et Guidel devront être équipés. Celui de Guidel, le premier

construit, est entièrement financé par des apports extérieurs. Le barrage est constitué d’une digue sur

le lit majeur et d’une vanne sur le lit mineur. Le but est de reproduire le travail de dessalement des

Diola. Celui d’Affiniam devait protéger 12000 hectares et permettre d’en récupérer 6000 anciennement

cultivés. Il est l’objet d’une coopération entre le Sénégal et la Chine, avec des accords commerciaux.

Tout le matériel a été acheminé de Chine. La construction a débuté en novembre 1984. Le barrage

d’Affiniam (photographies n°9 et 10) est un pur produit du libéralisme, puisqu’il est financé par les

Chinois en contrepartie d’accords de pêche. Il est assez notoire que le poisson est très demandé en

Chine et que, grâce à la présence du courant des Canaries au large de ses côtes, le Sénégal recèle

des trésors halieutiques dans sa zone économique exclusive... Ce barrage a longtemps été perçu

comme un remède miracle.

58

Photographies n°9 et 10 : le barrage d’Affiniam, contrepartie des accords de pêche avec les chinois, une des plus frappantes illustrations de l’impact de la mondialisation dans le Blouf. Pour la localisation, voir carte 32. (Cliché 9 : J. P. ; cliché 10 : Franck Müller, ARD).

Les petits aménagements sont une solution alternative. Ils sont situés sur des affluents des

marigots. Construits en béton et en bois dans les années 1980, chacun protège environ 500 hectares.

Les villageois fournissent la main-d'œuvre, la terre et le sable ; le PIDAC fournit le personnel qualifié,

le ciment, le fer. En outre, il forme à l’entretien du barrage. Le stockage des eaux de ruissellement,

lancé par le CADEF*, est en revanche peu développé. Sur les petits barrages, le PIDAC a réalisé une

étude de coût montrant que le coût de l’hectare récupéré sur un petit barrage était 21 fois moindre

qu’à Guidel, le coût de l’hectare protégé 152 fois moindre (Avenier-Sharman, 1987). On a une

illustration de ces petits aménagements sur la photographie n°11.

Photographie n°11 : un petit barrage anti-sel, ici entre Tendimane et Balingore (cliché J.P.)

Enfin, la SOMIVAC et le PIDAC, puis le DERBAC (Développement Rural de la Basse-Casamance)

lancé en 1990 (A. Chéneau-Loquay, in Barbier-Wiesser et al., 1994), tous financés grâce à la manne

étrangère, ont tenté un encadrement agricole des paysans, dans le but de moderniser la riziculture :

apport d’engrais, notamment, et de crédit pour soutenir les projets autonomes. A Tendouck et Elana, la

SOMIVAC a mis en place deux magasins de stockage (photographie n°12). Mais on a vu que les

paysans n’avaient que peu d’intérêt à cette modernisation qui brise un cercle vertueux depuis

longtemps en place. Ces projets, qui bouleversent donc la vie économique et sociale des paysans,

étaient bancals dès le début.

59

Photographie n°12 : la devanture du magasin de la SOMIVAC à Elana, depuis longtemps inutilisé (cliché J. P.)

323. Le soutien à la diversification des activités économiques

On l’a vu, de multiples projets de diversification des activités économiques ont vu le jour,

extrêmement nombreux dans le Blouf, et puis ils ont menacé de s’arrêter très rapidement en raison de

la concurrence. Les divers organismes internationaux, ONG et programmes de développement sont

donc intervenus pour soutenir ces projets, et notamment sur le plan de l’arboriculture et du

maraîchage. On distinguait ainsi, pour le maraîchage, les jardins provisoires naissant autour des puits

et les jardins permanents encadrés par le Projet de Développement Intégré de la Casamance

(PIDAC). Ceux-ci étaient souvent des bananeraies de un hectare environ. Elles sont l’objet de

Groupements d’Intérêt Economique (GIE*) et gérées le plus souvent individuellement, chacun ayant

quelques planches, et parfois en communauté. Il en subsiste une à Mlomp (photographie n°13) car

le CPRA* d’Affiniam la soutient à présent. Il existait également de multiples projets maraîchers. La

CARITAS*, le PAARZ-GTZ*, ENDA* Action en Casamance (ACAS*) les ont soutenus, de même que

les organisations paysannes : Union Gopec ainsi intervenait grâce à des financements du Fonds

Européen de Développement (FED) et de l’USAID auprès de quatre blocs maraîchers, correspondant

à quatre quartiers de Mlomp.

Photographie n°13 : la bananeraie de Mlomp, un vestige des anciens projets d’arboriculture (cliché JP Glotin).

Il ne s’agissait pas seulement du maraîchage. Des projets ont été tentés dans d’autres

domaines. Ainsi, ENDA-ACAS a créé un GIE, dans les années 1990, nommé « CIVDD* » (Comité

Inter-Villageois de Développement Durable) qui avait pour objectif principal le développement des

60

ressources traditionnelles et leur modernisation. Ils ont lancé, selon Bassirou Sambou, président de la

Communauté rurale de Mangagoulack, qui en a fait partie, un projet autour de l’apiculture. D’autres

projets encore ont été lancés autour de la pêche. On comprendra ici le rôle des ressortissants dans la

gestion de ces organisations paysannes. Sans la pléthore de cadres issus des villages, jamais ces

organisations n’auraient pu se structurer aussi bien ; c’est ce que montre H. Dramé (2000). En

somme, les années 1980-1990 nous montrent comment un système peut évoluer et s’adapter sans

nécessairement changer. Pourtant, le Blouf devait connaître des bouleversements radicaux, et ce pour

trois raisons essentielles : la guerre, qui survient dans les années 1990 mais qui couvait depuis 1982 ;

l’ajustement structurel qui a fini par déstructurer totalement l’économie locale ; et la massification de

l’exode rural.

33. Les années 2000 : la fin d’un système

Il semblerait, en effet, à la lumière de nos recherches sur place, que les années 2000 marquent

véritablement, pour le Blouf, la charnière entre un système « traditionnel modernisé » qui devenait

intenable et un nouveau système, qui a changé radicalement de fonctionnement, dont on peut dire

qu’il est le résultat de l’adaptation progressive des éléments à un nouvel ordre ; on verra comment, là

encore, il est la résultante de conjonctions du local et du global, et que tous les éléments antérieurs

entrent en compte dans la structure nouvelle de cet ensemble.

331. La crise casamançaise, origines et conséquences

La récente thèse de V. Foucher, dont il résume les apports dans Diop (2002), nous montre

comment la crise casamançaise est profondément et intimement liée aux mutations qui ont affecté

l’espace de la Basse-Casamance. Entre 1982 et 2004, date de la signature d’accords de paix qui

semblent devoir perdurer, une guerre tantôt larvée et tantôt ouverte a en effet affecté l’ensemble du

territoire de la Basse-Casamance, c’est-à-dire de la région de Ziguinchor, et, curieusement, elle seule.

D’abord cantonnée aux lisières de la région, notamment au nord, après être partie de Ziguinchor

même, elle s’est progressivement décalée vers le sud. Longtemps, des combats ont opposé forces

gouvernementales et rebelles séparatistes. N’était-ce pas le symbole qui manquait à la région pour en

faire un archétype ? Sa situation est extrêmement classique dans un pays d’Afrique : une région

éloignée des arcanes du pouvoir, une culture totalement aux antipodes du « modèle islamo-wolof22 »

pour reprendre l’expression de Mamadou Diouf (2001), et des projets étatiques visant à la main-mise

de l’espace : tous les éléments sont réunis pour un conflit.

Pourtant, les analystes de cette crise ne sont pas tous d’accord ; d’aucuns donnaient une

interprétation culturelle du conflit, stigmatisant le fossé existant entre les deux cultures ; c’était aussi le

prétexte pris par le Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance, le MFDC*, pour

légitimer les revendications indépendantistes. D’autres parlaient du traumatisme lié au choc brutal de

la modernité. C’est une thèse qui se tient et qui a été peu ou prou défendue par Jean-Claude Marut

22 Pour M. Diouf, la construction nationale au Sénégal correspond à l’expansion à l’ensemble des régions d’un modèle fondé sur les valeurs de l’ethnie Wolof et de l’islam.

61

(1999). Cette explication se réfère au processus de mondialisation. On peut donc parler d’une guerre

issue de la modernité. Vincent Foucher (in Diop, 2002) remet en cause ces explications : pour lui, le

rôle des Casamançais « évolués », les cadres, ceux qui ont fait les bancs, souvent jusqu’au bac, est

fondamental. Le premier MFDC, créé en 1947, était loyaliste. Les Diola se fondaient dans le moule

sénégalais et avaient de l’ambition. Dans les années 1980, le pacte social est remis en cause ; avec

l’ajustement structurel, le recrutement des fonctionnaires tombe de 3000 à 300 par an ; Foucher nous

parle d’une « lumpen-elite » déçue de l’Etat sénégalais. Le discours sur l’ethnicité émanerait

totalement de cette élite. La thèse est audacieuse et très intéressante. Elle montre surtout combien la

crise s’inscrit dans le même processus que celui qui a affecté le Blouf depuis le début de la

colonisation.

332. Fin des projets et recul des activités économiques

Les conséquences de la crise dans le Blouf, bien qu’il eût été peu touché, directement, par le

conflit, sont essentielles pour en comprendre l’évolution. D’abord parce que, pour Bassirou Sambou,

« beaucoup de nos fils se sont engagés dans la résistance ». Ce qui, dans une certaine mesure, a

renforcé l’exode rural. Mais probablement moins, en fait, que le climat d’insécurité qui a touché la

région pendant à peu près quinze à vingt ans. Il est difficile d’évaluer, auprès des populations, le

nombre de ceux qui, pour cause d’insécurité, ont abandonné leur village pour aller vivre en ville,

essentiellement à Ziguinchor, tenue fermement par les forces gouvernementales. Il est certain, en tous

les cas, et en ce point tous les entretiens, formels comme informels, nous le font savoir, que l’exode

rural a été renforcé en raison même de ce conflit.

Mais la plus grande et la plus grave conséquence de ce conflit, très certainement, est le retrait

de nombre d’ONG et d’organismes internationaux en raison du conflit. La plupart des projets qui

étaient alors en cours ont été arrêtés, les ONG ne souhaitant plus travailler en Casamance ou se

retirant sur Ziguinchor. De même, l’activité des organisations paysannes étaient au ralenti puisque les

réunions ont été un temps interdites. Le maraîchage a commencé à reculer ainsi que l’arboriculture.

Il semblerait cependant qu’en réalité, la crise a joué dans le Blouf un rôle de catalyseur. Elle a

précipité, à priori, la chute d’un système déjà condamné. Les projets de développement économique

n’étaient plus viables en raison des prix des produits, en baisse depuis le début de la politique

d’ajustement structurel. Ce qui renforçait peu à peu l’exode rural, augmentait les transferts d’argent

des villes vers les villages et freinait d’autant plus les activités. Finalement, la guerre, point de

convergence, si l’on peut dire, des mutations socio-spatiales liées à la mondialisation, a également été

l’accélérateur de la chute d’un système. Pendant les années de guerre, on a donc pu observer une

sorte de chaos, qu’on peut aussi interpréter comme une époque troublée qu’on observe lors du

passage entre deux systèmes.

333. Esquisse d’une théorie sur le nouveau système

Ce système qui affecte le Blouf aujourd’hui est le résultat, sur le long terme, de la rencontre

entre diverses forces, toutes liées de près ou de loin à un même processus, la mondialisation. Elles

62

ont toujours progressé dans le même sens : une progression de l’exode rural, de la scolarisation, un

recul de la culture traditionnelle du riz en raison de ce manque de bras, le recul des activités

génératrices de revenus, et l’augmentation des décisions des ressortissants dans les affaires du

village. Nous arrivons donc, ici, à la conviction que l’on est passé d’un système rural déclinant,

système traditionnel résiduel si l’on peut dire, que l’on tentait à tout prix de conserver, à un système

moderne et adapté aux nouvelles conditions socio-économiques.

L’idée est que ce nouveau système se fonde presque exclusivement sur le rapport entre le

village et ses ressortissants23. C’est-à-dire que les activités économiques au village, n’ayant plus de

raison d’être, disparaissent, remplacées par l’apport des ressortissants en transfert d’argent. Les

activités économiques restant en place sont simplement liées à une stimulation de la demande locale

par les populations, ou encore à des cultures résiduelles qui ne demandent pas d’entretien. On peut

aller plus loin en parlant de l’action des ressortissants pour leur village : celle-ci devrait être dirigée

dans un seul but, l’éducation des enfants, pour leur permettre une vie en ville et le soutien des parents

lorsque ceux-ci seront rentrés au village pour la retraite. C’est pourquoi les ressortissants investissent

également dans le confort, électricité et robinetterie. Les nouveaux projets de développement iront

aussi dans ce sens de l’éducation et du confort, sans proposer des projets de développement

économique, ou alors en en proposant mais avec des échecs. La riziculture disparaît ; le riz thaï ou

vietnamien a remplacé le vieux riz Diola.

Ce tableau est une hypothèse. Elle est le résultat de toutes les observations, de tous les entretiens

et de toutes les idées glanées au hasard des recherches. La seconde partie a pour objectif de les

vérifier.

Conclusion : à l’aube du troisième millénaire, des spécificités

notables.

Le but initial de cette première partie était de décrire la zone d’étude et d’en présenter les

principales originalités. La carte de synthèse des spécificités du Blouf (carte 11) les a

rassemblées. Mais il nous semblait indispensable de présenter également les interactions entre ces

spécificités et les diverses phases de la mondialisation, afin de cerner l’évolution même de ces

spécificité et voir ce qu’elles sont devenues à la lumière de cette clé de lecture. On peut mettre en

évidence des enchaînements logiques: ainsi, la possibilité du stockage de l’eau corrélée à la présence

de peuples d’aire culturelle guinéenne a permis l’établissement d’une civilisation du riz. L’autarcie et

l’enclavement en sont issus ; cet enclavement explique la résistance à l’islam dans le cadre de la

diffusion de cette religion qui peut être assimilée à une forme de mondialisation. La colonisation

conjuguée à cet état de faits nous donne un développement du christianisme et de l’école française,

d’où une scolarisation plus forte qu’ailleurs : on comptait 35 écoles dans le département de Bignona

dans les années 1950, soit une école pour dix villages ! D’où l’exode rural. Celui-ci, conjugué dans le

Blouf à l’existence de gros villages, nous donne des associations de ressortissants très puissantes. La

23 On appelle « ressortissants » les villageois à l’extérieur, selon une appellation répandue au Sénégal.

63

diminution des rizières est la résultante de l’exode. L’ajustement structurel fait disparaître l’arachide, et

en raison d’un déficit vivrier oblige au développement d’autres activités. Cette fragilité entraîne le

développement des ONG et des projets de développement. Le contexte de la guerre, lié à la

mondialisation, précipite la chute annoncée du système. La logique est imparable.

Il ne reste plus qu’à apporter les éléments de caractérisation d’un nouveau système pour le

Blouf.

64

65

DEUXIEME PARTIE

Globalisation et changement de système

Introduction : les caractères de la globalisation

On parle traditionnellement de « globalisation » pour désigner un monde dans lequel la

production de données, d’informations, de richesse est organisée et structurée au niveau mondial, et

où chaque lieu est spécialisé en fonction de ses héritages et de sa capacité à entrer dans ce système.

Mais la globalisation laisse en marge de nombreux espaces qui, ne pouvant plus suivre le rythme de

la mondialisation, ne sont pas en mesure de satisfaire aux critères d’entrée. C’est en cela que l’on

peut dire que le Blouf connaît actuellement les impacts d’une « globalisation » : son système n’étant

plus viable au sein d’un espace mondialisé, celui qui a pu perdurer jusque dans les années 2000 est

complètement bouleversé. L’espace, alors marginalisé, doit trouver des formes d’adaptation. Et cela

intéresse le géographe, en ceci que les adaptations, d’une part, se fondent une nouvelle fois sur les

spécificités préexistantes du territoire, et d’autre part parce que les impacts géographiques de

l’ensemble des mutations qui amènent le Blouf d’un système à un autre ont de profondes retombées

géographiques. Celles-ci seront l’objet de la troisième et dernière partie. Il s’agit pour le moment de

démontrer le changement de système à la lumière d’indicateurs qui se fondent surtout sur du travail

de terrain : l’enquête au premier chef, mais également les entretiens, qu’ils aient eu lieu auprès des

associations de ressortissants ou auprès des ONG et organismes internationaux.

1. Activités en déprise et apport extérieur

Comme on a pu le constater, l’un des meilleurs indicateurs de la crise que traverse le Blouf,

consécutive à des mutations ayant progressivement apporté un bouleversement du système en place,

est la disparition des activités économiques antérieures. Qu’elles soient aidées ou non par des projets

de développement, et ceux-ci ont vraiment été nombreux dans l’arrondissement, les activités

économiques sont en forte régression : on le constate à la fois à travers l’enquête et à travers

l’analyse, dans les villages, des activités génératrices de revenus pratiquées collectivement.

Parallèlement, à la fois cause et conséquence, l’exode rural augmente, et provoque à son tour une

diminution encore renforcée de ces activités pour deux raisons : l’augmentation des transferts de

revenus qui incite à moins se fonder sur les revenus au village, et la diminution de la main-d’œuvre. Il

est toutefois des secteurs qui continuent à se développer sous l’effet d’un corollaire de ces mutations :

l’augmentation du pouvoir d’achat local. Ainsi, toutes les activités économiques n’ont pas disparu :

elles ont changé de nature.

66

11. Les activités économiques en déclin : le maraîchage au premier chef

On se souvient que le maraîchage avait pris dans le Blouf, à partir des années 1980, une

importance grandissante (Avenier-Sharman, 1987). C’est le secteur qui, avec la pêche, s’était

développé le plus, accompagné par de grands projets. L’arboriculture en un sens peut lui être

associée. Or ces deux pôles de la vie économique des dernières décennies sont en train de

disparaître. Mais ce cas de figure peut être étendu à d’autres secteurs d’activités qui ont fait l’objet

d’aides par certaines ONG ou des partenaires. Il s’agit également donc également d’examiner le rôle

des ONG porteuses d’activités génératrices de revenus.

111. Des revenus dérisoires

Le graphique 4 est une synthèse de l’étude des activités rémunératrices par l’enquête. Pour les

personnes interrogées, le maraîchage représente aujourd’hui 8 % des revenus de l’activité principale ;

en revanche, 15 % des personnes le pratiquent. En somme, s’il occupe encore, aujourd’hui, une petite

partie de la société, son revenu est minimal. Nous avons construit le graphique 5, spécifique au

67

maraîchage : alors que 74 % des personnes qui le pratiquent ont un revenu inférieur à 100000 francs

CFA24 avec le maraîchage, 68 % ont une dépense totale supérieure à 200000 francs CFA25 ! Il y a là

un déficit prononcé.

Répartition des personnes interrogées pratiquant le maraîchageen fonction de la part de leurs revenus dans leur dépense totale

0 à 25 %66%

25à 50 %20%

75 à 100 %7%

Supérieure7%

Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=15)

Graphique 5

Une personne gagne, avec le maraîchage, environ 500000 francs CFA26 : elle contribue grandement

aux 8 % de la rémunération totale. Mais il s’agit là d’une culture d’hivernage, marginale puisqu’elle

s’oppose à un système où l’on cultive le riz à cette époque, contre vents et marées, comme nous le

verrons plus loin. Ajoutons que dans les quinze personnes qui pratiquent le maraîchage, trois sont

aidées par le Centre de Promotion Rurale d’Affiniam (CPRA*), ce qui leur rapporte environ 100000

24 Environ 150 euros.25 Environ 300 euros.26 Environ 750 euros.

68

Photographie n°14 : le recul du maraîchage collectif (ici à Elana) entraîne un repli sur le maraîchage traditionnel vivrier Cliché J. P.

francs CFA. Mais on verra également que cet apport soutient de manière totalement artificielle le

maraîchage sans lui permettre de se développer de manière autonome. C’est ainsi que de nombreux

blocs maraîchers sont en friche (photographie n°14) tandis que la plupart des femmes préfèrent

dorénavant, par un réflexe rationnel, cultiver leurs légumes sans les vendre. De plus en plus, le

maraîchage comme culture de rente diminue et tend à disparaître.

Répartition des personnes interrogées pratiquant la culture de l'arachideen fonction de la part de leurs revenus dans leur dépense totale

0 à 25 %45%

25à 50 %44%

50 à 75 %11%

Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=9)

Graphique 6

Nous pouvons comparer cela avec le graphique 6 qui fait la même comparaison avec

l’arachide : si quelques familles arrivent encore à générer un certain revenu grâce à cette culture, la

plupart ne gagnent presque rien. En revenant au graphique 4, on peut constater combien l’arachide a

perdu : Cultivée par 11 % de la population, elle ne génère que 6 % des revenus… Et la récolte est

bien maigre (photographie n°15).

69

Photographie n° 15 : la récolte d’arachide diminue d’année en année (cliché JP Glotin, à Affiniam).

Quant à l’arboriculture (graphique 7), quand elle donne, c’est grâce à une certaine inertie des

plantations, comme celles des manguiers ou des orangers qui peuvent durer des années.

Répartition des personnes interrogées pratiquant l'arboricultureen fonction de la part de leurs revenus dans leur dépense totale

0 à 25 %51%

25à 50 %21%

50 à 75 %14%

Supérieure14%

Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=14)

Graphique 7

La plupart du temps, cependant, les blocs maraîchers, l’arboriculture ou les autres activités

génératrices de revenus étaient gérés collectivement et sous le coup de projets de développement,

émanant des ONG, des organisations paysannes ou de grands projets. L’observation de la destinée

de ces grands projets est donc particulièrement intéressante, plus encore, probablement, que

l’enquête proprement dite.

112. La fin des grands projets

70

L’un des traits les plus représentatifs de ce recul des activités rémunératrices est la disparition

des blocs maraîchers du PIDAC*. Chaque village, pratiquement, dans le Blouf, avait été doté d’un

terrain grillagé, de puits, d’une pompe à main. Nous les avons visités à Tendouck et à Mangagoulack.

Dans les deux cas (photographies n°16 et 17), le même constat. Ces projets, financés par l’USAID*,

sont un échec patent. Le maraîchage n’y est plus pratiqué. Les pompes à main ne sont plus utilisées,

et la surface du terrain est recouverte de manguiers.

Photographies n°16 et 17 : Pompes en panne à Mangagoulack, grillages ravagés à Tendouck, planches envahies par les manguiers dans les deux cas : les projets maraîchers du PIDAC ne sont plus qu’un souvenir (clichés J.P.)

Des femmes que nous avons interrogées, nous avons obtenu ces explications : d’abord, on a

accusé les manguiers de prendre toute la surface. A une remarque faite qu’il suffisait de les couper

en-dehors des temps de culture, il nous a été répondu qu’il était plus intéressant et moins pénible,

pour ces femmes, de vendre le produit de la récolte des mangues que de pratiquer le maraîchage.

L’explication est simple : les grossistes en fruits, appelés bana-bana, viennent en camion chercher la

récolte, offrent un prix pour le verger et paient ensuite des hommes pour récolter les fruits, ce qui

n’occasionne aucune peine pour le propriétaire. Mais surtout, la désaffection progressive des femmes

en raison d’un travail trop pénible par rapport à des prix trop bas, a peu à peu vidé le terrain. Les rares

femmes qui travaillaient encore là ont donc préféré arrêter le travail et vendre les mangues.

On retrouve à peu près le même type de problème à Elana. Mais ici le généreux bailleur de

fonds est une association française, « les Amis d’Elana », qui a soutenu un projet de développement

du maraîchage en 1988 en offrant grillage et pompe manuelle, tout comme le PIDAC* l’avait fait. On

verra plus loin que ce partenariat est un pur fruit de la mondialisation. En attendant, ce qui s’est passé

à Elana relève exactement du même processus que ce qui a eu lieu dans les périmètres du PIDAC.

Seules 21 femmes pratiquent encore le maraîchage ici et elles sont toutes âgées. Mais les mangues

rapportent entre 500000 et 600000 francs CFA par saison… Cet argent va directement dans la caisse

du village. A l’intérieur du périmètre (photographie n°18), il semblerait que la nature ait repris ses

droits.

A Mlomp, quatre périmètres maraîchers étaient soutenus par Union GOPEC*. D’après son

président, le même problème d’invasion des arbres fruitiers se pose. Depuis la fin des financements, il

ne reste qu’un seul périmètre maraîcher fonctionnel, est encore cultivé, qui plus est soutenu par le

CPRA*. Ce qui montre également que le maraîchage ne peut perdurer qu’avec un soutien qui enlève

71

toute forme d’autonomie. La photographie n°19 nous montre, à Diatock, la présence d’un ancien

projet du Catholic Relief Service (CRS) datant de 2001. Dans le Blouf, on compte deux financements

du CRS* : celui-ci a coûté 18,9 millions de francs CFA27 pour 25 jeunes du GIE* Djimeraye

(motopompe, grillage, puits, local). L’autre financement a été pour Bessir (projet apicole : 7,2 millions28

pour la formation, la coordination et le matériel). Le projet de Diatock a échoué à partir du moment où

les motopompes sont tombées en panne. Il n’avait pas deux ans.

Photographies n°18 et 19 : deux types de partenariat désormais terminés. A gauche, le jardin des femmes mis en place par les Amis d’Elana, envahi de manguiers, où quelques femmes travaillent encore ; à droite, à Diatock, un périmètre du CRS à l’abandon, cultivé encore difficilement par trois personnes (clichés J. P.)

Les projets qui ont échoué sont nombreux et ne concernent pas que le maraîchage. Parmi

d’autres activités rémunératrices, la pêche a été un temps soutenue. On prendra les cas d’Elana et de

Bodé car ils sont très représentatifs. Des projets de pêche avaient été financés, à Elana par les Amis

d’Elana, à Bodé par un autre partenaire français, Teranga. Ces deux projets n’existent quasiment plus.

Du moins n’y a-t-il plus de moteurs pour les pirogues à Bodé, et les pêcheurs doivent pêcher à la

manière traditionnelle, ce qui empêche quelque peu de dégager du surplus pour le GIE de pêche. Une

maison (photographie n°20) des pêcheurs avait pourtant été construite pour y entreposer le matériel.

27 Environ 28500 euros.28 Environ 11000 euros.

72

Photographie n°20 : la case des pêcheurs de Bodé, témoin d’un ancien projet de pêche désormais abandonné (cliché J. P.)

A Elana, ce fut encore pire. La première année, en 1988, la pirogue équipée d’un moteur, entièrement

payée par les Amis d’Elana, fit une excellente pêche. Chaque pêcheur reçut une solde de 68000

francs CFA29, le reste allant dans la caisse du GIE. Mais, par la suite, on mit de moins en moins

d’argent dans la caisse, chaque pêcheur réclamant plus ; finalement, le matériel s’abîma sans qu’on

puisse le réparer et le projet tomba de lui-même. Les partenaires reprirent alors le matériel pour le

remettre à la CARITAS* de Ziguinchor. La raison : tout simplement la présence d’une population

dépassée par la concurrence, qui n’envisage donc pas de projets qui réussissent à long terme. C’est

une conséquence des programmes d’ajustement structurel30. Et, en second lieu, la présence d’une

population peu éduquée et peu au fait des problèmes de gestion, conséquence naturelle de l’exode

rural : les plus faibles restent au village. Cela sera démontré plus loin. On pourrait, pour parfaire

l’exemple, évoquer le projet apicole d’ENDA-ACAS*, mis en veilleuse aussitôt le contrat terminé.

Il existe cependant des projets de développement économique qui perdurent. Mais ils ne sont

rien moins, actuellement, qu’une forme de transfert de l’extérieur. Car il s’agit d’activités artificiellement

maintenues.

113. Attentisme et faiblesse des projets actuels

Document 4 : les projets de développement économiques financés par des partenaires extérieurs dans le Blouf

Village Partenaire Activités soutenues Résultat

29 Environ 100 euros.30 Ces programmes ont eu pour conséquence le désengagement de l’Etat et l’ouverture du Sénégal aux marchés mondiaux. Ces deux facteurs entraînent une baisse des cours des produits primaires en raison d’un manque d’encadrement et d’une concurrence accrue.

73

Tendouck Boutégol Idée Casamance Ostréiculture, savonnerie, teinture batik

Grande dépendance, faible autonomie

Thiobon Tendouck Kagnobon

Mandégane

Kagamen Savonnerie, transformation des fruits Peu de résultats mais le tout début

Diatock ARBRES Reboisement, soudure métallique, pépinièresPeu rémunérateur et

donc très assisté

Diatock ARBRES Centre de coutureGrande dépendance,

faible autonomie

Diatock Catholic Relief Services Périmètre pour l'arboriculture, les pépinièresPanne des

motopompes abandon

Diégoune Djimande Kagnobon

ONG ASPRODEB (CLCOP)

Aide à la formation en technique d'aviculture, arboriculture, apiculture…

Pas de travail sur les débouchés

Mlomp Kagnobon Affiniam Diatock Bodé

CPRA Maraîchage

Les femmes prennent plus en compte l'aide

financière que l'accompagnement

Bessir CRS Apiculture Echec

Elana Les Amis d'Elana Projet de pêche Echec complet

Elana Les Amis d'Elana Périmètre maraîcher Echec complet

Bodé Teranga (ONG française)

Projet de pêche Echec

Source : entretiens

C’est encore dans la communauté rurale de Mangagoulack que l’on trouvera le plus

d’exemples, après avoir étudié de près les réalisations des divers organismes de développement dans

tous les villages de cette communauté rurale. Le document 4, sous forme de tableau, permet de

résumer les projets de développement des activités rémunératrices, puisqu’il s’agit toujours de cela,

dans la communauté rurale de Mangagoulack. On a ainsi une idée de leur action et des problèmes qui

se posent. La plupart, comme on le voit, sont très récents : Idée Casamance n’intervient que depuis

2003 à Tendouck et Boutégol et développe des activités comme la teinture et la savonnerie qui ne

permettent pas encore de rémunérer les femmes. Le permettront-elles jamais ? On peut craindre le

contraire : après avoir rencontré les femmes aidées ainsi que les dirigeants de l’ONG à Ziguinchor, il

semble bien que les objectifs ne soient pas les mêmes. Pour les premières, seuls comptent les

fournitures pour fabriquer savons et « batik » (une forme de teinture) ; les seconds ont un objectif

environnemental, pour développer l’ostréiculture. Mais cette activité a une vocation beaucoup plus

écologique qu’économique. Pour eux, le batik et les savons ne sont qu’un pis-aller.

74

Photographies n°21, 22 et 23 : L’action de l’ONG ARBRES, initiative hollandaise, à Diatock : un reboisement symbolique car infime, avec des arbres dévorés par les termites déjà, à gauche ; le centre de soudure, au centre ; la pépinière, à droite. Au total, un apport intéressant mais peu développeur car peu rémunérateur (clichés J. P.).

A Diatock, le Groupement d’Intérêt Economique (GIE*) Karonguen Karamba (« protégeons la

brousse », en Diola) fait vivre dix personnes avec un très bon salaire, mais travaille à perte : c’est

l’Ambassade de Hollande qui les paie. Ce GIE est géré de plus haut par l’Association pour le

Renouvellement des Bois et le Rétablissement de l’Ecosystème en Sénégambie (ARBRES*)31. Là

encore, l’objectif environnemental (reboisement) n’a que peu d’impact (photographie n°21), et

l’activité principale, la vente de plants d’arbres fruitiers, rapporte moins qu’elle ne coûte. On a donc un

GIE* complètement assisté malgré des activités intéressantes (photographies n°22 et 23), soudure

métallique et pépinières. A Diatock, un centre de couture a été financé par l’entremise de ce même

hollandais. La rencontre avec la maîtresse du centre de couture nous montre que depuis l’arrêt du

financement de fournitures par l’ambassade de Hollande, le projet semble tourner au ralenti

(photographie n°24).

Une autre ONG, Kagamen ou « association pour la promotion de la mère et de l’enfant »,

dirigée par une femme de Ziguinchor, Alimatou Souaré, a apporté de des financements pour les

savonneries. 5 millions ont été octroyés par le ministère de la famille32 :

- Kagnobon (4 unités) a reçu 800 litres d’huile soient 400000 francs CFA33.

- Tendouck a reçu 160000 francs CFA.

- Thiobon a reçu 104000 francs CFA.

- Mandégane a reçu 122000 francs CFA.

Photographie n°24 : à Diatock, le centre de couture est très souvent déserté, faute de l’arrêt d’un soutien financier par l’Ambassade de Hollande (cliché J. P.).

31 Source : entretien avec le bureau de ARBRES à Bignona.32 Source : entretien avec A. Souaré à Ziguinchor.33 100 francs CFA représentent 1 franc français.

75

Tous ces financements sont en nature (huile). Là encore, on peut parler d’assistanat. Tout

comme dans les communautés rurales dotées d’un CLCOP* (Cadre Local de Coordination des

Organisations Paysannes), soutenu par l’ONG Asprodeb : elle soutient des projets de maraîchage,

arboriculture, aviculture, dans les communautés rurales de Diégoune et Kartiack ; mais en réalité elle

ne finance que la formation, et les GIE membres n’existent que parce que ces CLCOP existent34…

Photographie n°25 : le jardin des femmes de Bodé est remarquable pour comprendre ce qu’est un périmètre maraîcher géré en commun. A droite, la pompe solaire fournie par la FONDEM. Le périmètre est entouré d’un grillage (cliché J. P.)Nous nous arrêterons un peu plus longuement sur le cas du Centre de Promotion Rural

d’Affiniam (CPRA). En effet, depuis sa réorganisation en 1991, ce centre n’a pas cessé de travailler

auprès des femmes de nombreux périmètres maraîchers, montrant un dynamisme fort qu’on pourrait

prendre pour une exception (qui confirme la règle ?). Les photographies n°25, 26 et 27 nous

montrent trois exemples de ces périmètres maraîchers. On remarquera la présence de la pompe

solaire, financée grâce à la Fondation Energies pour le Monde (FONDEM*).

34 Nous avons placé quelques documents issus de ces ONG en annexe pour plus de renseignements, sans vouloir s’étaler,

bien évidemment, et risquer de rendre la démonstration trop chargée en exemples.

76

Photographies n°26 et 27 : deux autres exemples de jardins encadrés par le CPRA : Mlomp, à gauche, et Diatock (Bémé) à gauche. On aperçoit la pompe solaire sur la photo de gauche (cliché J. P.)

Le CPRA*, installé à Affiniam, où est né l’actuel évêque de Casamance, est une antenne de la

CARITAS* de Ziguinchor. Outre son propre centre, devenu une entreprise faisant travailler des

journaliers, le CPRA encadre 13 groupements maraîchers dans le Blouf. Les cartes 12 et 13 nous

montrent à la fois l’effectif de ces groupements, leur augmentation ou diminution, et le revenu par

femme. Ces renseignements nous ont été fournis par le CPRA ainsi que puisés dans le mémoire de

DEA d’un étudiant de Dakar, Philippe Ngor Dione (2004).

Revenus de l'activité principale de la population féminine interrogée dans la communauté rurale de Mangagoulack

016%

De 1000 à 50000 CFA59%

De 51000 à 100000 CFA25%

Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=31)

Graphique 8

77

78

79

Deux remarques nous font tempérer la réussite des activités du CPRA. La première, c’est que si l’on

observe les revenus des femmes, en moyenne (graphique 8), ils sont encore inférieurs, et largement,

à l’équivalent de l’achat d’un sac de riz par mois pendant douze mois, soient 132000 francs CFA. La

seconde nous est parvenue en assistant à un séminaire tentant de remettre en question l’action du

CPRA (photographie n°28) : les femmes considèrent véritablement le CPRA comme un bailleur de

fonds et non comme un accompagnateur. Le matériel donné (puits, grillage, pompe) tombe

régulièrement en panne faute d’entretien : les femmes n’y sont pas responsabilisées. Nous avons

reproduit le rapport de ce séminaire en annexe. Enfin et surtout, on ne peut dire que les femmes

soient enthousiastes : la plupart des groupements sont en recul. Les femmes n’acceptent plus les prix

trop bas. En conséquence, l’action du CPRA ne semble pas trop changer l’idée que l’on peut se faire

des projets de développement actuels.

Photographie n°28 : Le 2 et 3 fé vrier 2005 s’est tenu à Affiniam un séminaire ayant pour objet un questionnement sur

les activités du CPRA (cliché J.P.)

Pour terminer cette exposition un peu longue, mais nécessaire à la compréhension de c déclin

des activités rémunératrices, la carte 14 nous offre une synthèse des actions de développement dans

le Blouf. On l’aura compris, de telles activités sont en grand déclin dans le Blouf, et le soutien des

ONG s’apparente vraiment à une assistance vaine. Ce n’est pas un hasard si nombre de projets ont

échoué. Car, en face de cela, un système bien mieux rodé se met en place, lié à l’extraversion de

l’économie villageoise, aux reversements d’argent depuis la ville, et à un exode rural sans cesse

accru, d’autant plus que les Activités Génératrices de Revenus sont en voie de quasi-extinction.

12. Le cercle vicieux de l’exode rural

80

Nous avons plusieurs fois évoqué ce phénomène de l’exode rural qui fonctionne en

s’entretenant lui-même, nous pourrions dire même, à la manière des « systémistes », en fonction de

« boucles de rétroaction positives » : c’est ainsi que l’on exprime un système qui s’emballe, un

81

82

phénomène se renforçant lui-même du fait des conséquences qu’il engendre. C’est exactement

ce qui se produit dans le Blouf. L’exode entraîne l’exode pour trois raisons. D’abord, par les transferts

d’argent qui incitent à diminuer sa peine ; ensuite, par la diminution des bras qu’il provoque ; enfin, par

l’augmentation des dépenses liées à la baisse de la culture vivrière dont il est la cause principale.

121. Ampleur de l’exode et diminution des bras

Raisons invoquées de la vie au village des personnes interrogées dans la communauté rurale de Mangagoulack

S'occuper de la maison18%

Mariée à un chargé de famille19%

S'occuper des parents44%

Pas de scolarisation, toujours vécu ici

9%

Autre raison3%

Maladie3%

Retraite tranquille2%Volonté propre

1%Pas de travail

1%

Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=100)

Graphique 9

On a déjà pu constater, dans la première partie, l’ampleur de l’exode rural en ce qui concernait

les personnes interrogées : 78 % avaient vécu ailleurs, et on atteignait 100 % chez les jeunes. Le petit

graphique 9 permet de constater que les personnes qui restent dans les villages ne le font souvent

pas de gaieté de cœur : pour 44 % d’entre eux, c’est la nécessité de s’occuper de ses vieux parents

qui pousse à revenir vivre au village. Parfois même, c’est simplement pour s’occuper de la maison :

Document 5 : Résumé de questionnaire n°1.

Il vit à Djilapao, quartier d’Eridiang, où il est né. Ayant eu la chance de poursuivre ses études jusqu’en première, il a vécu pendant neuf ans à Ziguinchor, recueilli par son grand frère : d’abord élève, il a fini par arrêter les études. A ce moment, son grand frère et la famille lui ont intimé de revenir au village, car la famille risquait d’y perdre ses racines, il n’y avait plus personne là-bas. C’est donc pour reconstruire la maison familiale qu’il est revenu au village, avec sa femme qui est de Bandial, en 1984. Il a trois enfants. Sa femme et ses enfants vivent à Ziguinchor car il est difficile de se procurer de l’argent à Djilapao : elle gère un télécentre familial et s’occupe de leurs enfants, dont l’un est au collège, l’autre en primaire et le dernier au jardin d’enfants. Il vit seul à Djilapao ; 6 personnes reviennent à chaque hivernage, c’est-à-dire sa femme, ses enfants et deux autres membres de la famille, élèves. Sa femme a commencé le télécentre cette année, elle devrait revenir à l’hivernage avec de l’argent. Quatre autres membres appartiennent à la maison mais ne reviennent plus : l’un d’entre eux travaille à l’ambassade du Cameroun, à Dakar, et lui envoie environ 20000 francs par an. On compte encore un militaire, un apprenti maçon et un candidat libre au bac. Il cultive seul son riz mais cela lui suffit amplement pour l’année. Ses dépenses sont faibles et la pêche qu’il pratique lui rapporte assez pour les prendre en charge. Il va très régulièrement à Ziguinchor et place tout l’espoir de son avenir dans la réussite de ses enfants. Il représente le parfait exemple de celui qui reste au village pour garder une maison familiale.

83

des pressions de la famille, des chefs de la famille qui sont à l’extérieur poussent à reprendre, voire

reconstruire les maisons comme l’indique le résumé de questionnaire n°1 (document 5). La plupart

nous ont dit également que c’était suite à leur échec en ville qu’ils étaient revenus s’occuper de la

maison. Cela nous amène à une autre réalité, plus grave : il semble bien que dans la plupart des

maisons, les vieux parents habitent avec un seul

Document 6 : résumé de questionnaire n°2

Il réside à Tendouck, dans le quartier de Djirkitang. Marié, il a 7 enfants ; il est le seul de sa famille à être resté au village, avec sa vieille mère dont il faut s’occuper. Il a toutefois recueilli quatre enfants de ses frères, qui vont au collège de Tendouck et pour lesquels ses frères lui envoient de l’argent ; leur entretien coûte moins cher. Il accueille également deux autres enfants qui vont au collège. Au total, ils sont au nombre de 14 dans la maison. Lui n’a jamais vécu ailleurs : il a stoppé ses études en CE2. Il lui a fallu rester toujours à la maison lorsque son père est mort. Agé de 50 ans, il est seul à subvenir aux besoins de la famille, en pratiquant la pêche. Heureusement pour lui, il reçoit un peu d’aide de ses frères et sœurs. Ceux-là sont tous exilés. Parmi ses frères, un est en Gambie, un est à Dakar ; deux sont en Espagne et un autre est en Italie. Dans ses sœurs, au nombre de quatre, l’une est au Cap Skirring, les trois autres sont en Gambie. Ce sont principalement ceux qui se trouvent en Europe qui lui envoient de l’argent. Du fait du manque de bras et de la salinisation des terres, il lui est impossible d’avoir du riz toute l’année ; il en consomme uniquement pendant un mois, voire moins. Cela l’oblige à acheter, par mois, un sac de riz. Il estime avoir le droit, en tant que garant de la famille au village, à un peu plus d’argent de la part de ses frères et sœurs, car pour lui il est difficile de nourrir autant de monde.

de leur fils, tous les autres se trouvant en ville : ainsi l’atteste le résumé de questionnaire n°2

(document 6). On pousse plus loin l’analyse avec la carte 15, assez représentative de l’ampleur de

ces migrations puisque d’une part, elle nous donne le ratio, pour chaque famille interrogée, entre

personnes à l’extérieur et personnes dans la maison. On constate donc que, partout, les migrations

tendent à prendre un tour assez catastrophique : à Djilapao par exemple, on ne voit que peu

d’enfants… Ils sont tous en ville, chez un tuteur. Et la carte 16 nous montre, pour chaque village, le

nombre total de ressortissants à Ziguinchor et à Dakar, estimé d’après les présidents des associations

de ressortissants des villages. C’est édifiant : L’ensemble de la population « exodée » avoisine le

chiffre de la population donné par le recensement de 1988. Mais d’après Bassirou sambou, il faut

diviser cette population par trois en saison sèche… Malgré la difficulté d’obtenir des chiffres fiables, on

a ici une idée assez intéressante de l’ampleur de l’exode. C’est pourquoi nous prenons ces chiffres,

très significatifs, avec des pincettes tout de même.

Dans l’ensemble, cette enquête est vraiment représentative de l’état d’esprit des villageois : en

somme, la vie au village leur est pénible, vécue comme un échec. Comment, en ce cas, ne pas avoir

une attitude résignée et attentiste par rapport à l’extérieur ? En revanche, un élément est nouveau : le

graphique 10 nous montre que les anciens sont là pour leur retraite majoritairement et aiment la vie

au village. Et parmi ceux-ci, on sait que un peu plus de 20 %, soient près du quart, ont vécu ailleurs.

C’est-à-dire qu’on peut considérer que la vie au village est vécue pour les uns comme une contrainte,

pour les autres comme un retour au bercail ; dans tous les cas, on pourra parler, avec beaucoup de

précautions, d’une certaine forme de « villégiature » au village, perçu comme le lieu rêvé, le lieu où

l’on souhaite vivre. C’est encore plus net avec les entretiens auprès des ressortissants. Et c’est

accentué par cet état de faits : l’exode entraîne un manque de bras. La riziculture, comme les activités

rémunératrices, est en diminution. C’est une conséquence logique. Mais l’exode entraîne aussi un

apport de ressources extérieures. Ce qui renforce l’idée d’une fonction de « réserve » du village : on y

est pour garder les terres de la famille, rarement par volonté d’y rester…

84

85

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122. L’importance des transferts d’argent

Cela fait un certain temps qu’il est d’usage, pour un fils parti à la ville, de reverser à ses parents

un peu d’argent tous les ans ou tous les mois, en une quantité qui dépend du travail effectué et, bien

entendu, de la volonté de l’émigré. C’est un fait assez répandu dans les pays d’Afrique, du reste, et

certainement aussi très répandu au Sénégal : Olivier Flament, coordinateur régional du Programme

Alimentaire Mondial (PAM), rencontré à Ziguinchor, nous a montré que dans le nord du pays les

populations vivaient très bien en raison même de l’importance de ces transferts. Il n’empêche que

dans le Blouf, ces transferts atteignent un taux critique dans le revenu des ménages (graphique 11).

87

Part des personnes interrogées recevant de l'argent de leur famille

037%

26 - 500008%

51-10000014%

101 - 15000013%

151 - 30000010%

300000 - 1 million6%

Plus de 1 million2%

1 - 2500010%

Les données sont exprimées en FCFA (1 euro = 655,957 FCFAou 100 FCFA = 1 FF)

Conception et réalisation : J. Parnaudeau - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=100)

Graphique 11

88

89

Déjà en 1987, selon D. Avenier-Sharman, les migrations comptent pour 20 % du revenu monétaire

total et touchent 60 % des ménages dans le village de Diatock. La carte 17 nous montre, toujours

d’après enquête, d’une part le revenu moyen transféré par famille, d’autre part le pourcentage de ce

revenu dans le revenu total des ménages. Partout ou presque, celui-ci est devenu essentiel. On peut

encore observer le graphique 12 qui nous montre le pourcentage des revenus transférés dans les

revenus totaux, en pourcentage des personnes interrogées. Le constat est le même. Deux raisons,

encore, à cet état de faits qui n’atteignait pas ce seuil dans les années 1980 : d’abord, le recul des

activités rémunératrices ; ensuite, et bien entendu ces deux raisons sont intimement liées,

l’augmentation de l’exode.

Mais les transferts d’argent ne sont pas les seules formes d’aide des ressortissants à leurs

villages. Beaucoup font des dons en nature ; quand on peut les évaluer en argent, nous l’avons fait

(pour le riz par exemple) ; quand cela n’est pas possible, nous l’avons indiqué. C’est ainsi que l’on

trouve de plus en plus de maisons cimentées (photographie n°29), avec l’aide de ressortissants, le

plus souvent ceux qui sont en Europe. Ces transferts depuis l’Europe sont significatifs dans le Blouf :

c’est ce que montrent les résumés de questionnaire 3 et 4 (documents 7 et 8). Dans certains

villages, comme Affiniam, qui possèdent en raison de la configuration du terrain encore beaucoup de

90

rizières, les ressortissants peuvent payer la culture du riz par une association de travail. Parfois

encore, les personnes interrogées connaissent l’existence d’un transfert de revenus, à leur père ou

leur mère, mais en ignorent le montant. En effet, si les enfants s’occupent souvent de leurs parents,

ceux-ci restent les maîtres. Il en est qui envoient aux fils, d’autres aux parents. Enfin, comme l’exprime

le résumé de questionnaire 5 (document 9), une partie de la population travaille à l’extérieur, pas

assez pour échapper aux critères de l’enquête mais suffisamment pour que cela soit significatif : ils ne

sont que 4 % mais réalisent près de 9 % de la rémunération totale des villages, soient plus que le

maraîchage ! Et c’est aussi une forme de transfert d’argent depuis l’extérieur.

Photographie n°29 : la multiplication des maisons cimentées dans les villages s’exprime ici à Affiniam (cliché J. P.)

Document 7 : résumé de questionnaire n°3

Il occupe la maison familiale à Elana, dans le quartier de Kagout, juste au bord des rizières. A 36 ans, il est célibataire ; on ne trouve que trois personnes dans sa maison, dont sa mère qui est âgée. Auparavant, on trouvait en plus trois enfants qui allaient à l’école privée catholique. Mais celle-ci a fermé et ils sont partis à Ziguinchor. Il est allé jusqu’en quatrième secondaire, logé chez un instituteur d’Affiniam, ami de la famille, à Ziguinchor. Revenu au village pour cause d’échec scolaire, il a participé au projet de pêche des Amis d’Elana, avant que celui-ci ne périclite et que lui-même ne tombe malade. Il a ensuite passé deux ans et demi chez un guérisseur à Badiana, dans le Fogny, avant de revenir, guéri, s’occuper de sa vieille mère. Il voit revenir 7 membres de la famille à l’hivernage, dont un enseignant vacataire, son frère, à Sedhiou, qui envoie de l’argent à leur mère. Un autre de ses frères est à l’Université de Dakar, il rêve de partir en Europe. D’autant que deux de ses sœurs sont en Italie : elles s’arrangent, à deux, pour faire vivre la famille. D’abord, elles paient une location pour leur frère qui est à l’Université ; ensuite, quand elles viennent à Dakar, elles donnent à ce frère de l’argent pour la maman. Par an, le total de ce qu’elles reversent se monte à 450000 francs CFA, soit environ 600 euros, ce qui est plus qu’il n’en faut pour faire vivre une famille pendant toute une année. Cette somme dépasse largement tout ce qu’il peut gagner en une année, entre la culture d’arachide, le verger de son père et la pêche. Et c’est heureux, car il doit dépenser beaucoup d’argent pour acheter du riz. Beaucoup de choses sont également prises en charge par son frère qui est enseignant à Sedhiou. Sans projet pour le moment, il envisage sereinement la vie au village. Avoir une partie de la famille en Europe permet de voir venir.

Document 8 : résumé de questionnaire n°4

Il coule une retraite heureuse à Affiniam, dans le quartier un peu excentré de Djiloguir. Il est en réalité de Diagobel, de l’autre côté du barrage. Marié, il a deux femmes, mais ils ne sont que 5 dans sa maison. Son parcours est passionnant. Avec en

91

poche le certificat d’études primaires seulement, passé en 1955, il est monté en Mauritanie, jusqu’à Nouadhibou, attiré par l’offre de travail dans les mines de fer. Il a travaillé pendant cinq ans là-bas avant d’effectuer la longue remontée par le désert, jusqu’en France, où il a vécu et travaillé pendant 32 ans comme ouvrier chez Air Liquide. Revenu au village au moment de la retraite, il a construit à Affiniam, lieu de naissance de ses épouses. Il a cinq enfants ; il a réussi à tous les faire vivre en France et à leur faire réussir leurs études. L’un est cadre à Roissy en France, un autre est électricien, l’une de ses filles est hôtesse de l’air et lui envoie chaque année un billet charter qui coûte 10 % du prix réel. Doté d’une retraite française, il ne réclame pas d’argent à ses fils, puisqu’il est déjà extrêmement riche par rapport aux autres villageois. Il a tout de même voulu vivre sans excès, ses seuls projets étant l’installation d’un panneau solaire et la construction d’une maison à Ziguinchor. Il compte désormais sur ses enfants pour réussir comme il a réussi malgré de nombreuses difficultés. Cet exemple est très révélateur de la dynamique des peuples Diola dans l’exode rural, exode qui a commencé dès la décolonisation.

92

Document 9 : résumé de questionnaire n°5

Il habite dans le quartier catholique de Badjimeul, un des quartiers centraux d’Affiniam. Nous l’avons trouvé en train de cimenter la cuisine ; il réalise actuellement de nombreux travaux dans la maison. Ses revenus sont liés à sa présence à Dakar pendant une partie de l’année, où il est conducteur d’engins. Il gagne environ 120000 francs CFA (environ 180 euros) par saison. Il a trouvé ce travail après avoir vécu à Dakar, chez sa grande sœur, où il a effectué un apprentissage. Il était très difficile de gagner vraiment sa vie au village, il l’a vite compris. Aussi, malgré une récolte intensive du vin de palme, continue-t-il a faire trois à quatre mois par an à Dakar. Heureusement pour lui, il arrive à cultiver son riz pour toute l’année ; il faut dire qu’à Badjimeul, l’entraide est très importante à ce niveau. De plus, sa sœur à Dakar occupe un bon poste puisqu’elle travaille dans un laboratoire informatique. Elle lui envoie pratiquement 50000 francs CFA (75 euros) tous les mois. Elle a ainsi contribué à la cimentation de la maison et à de nombreux frais pour l’améliorer. Il récupère aussi de l’argent grâce à une vieille plantation familiale. Bien que cet homme envisage sa vie uniquement au village, on peut dire que l’économie familiale est très extravertie, au point qu’il doive aller chercher l’argent en travaillant à Dakar une partie de l’année.

On peut terminer par la dernière forme d’aide aux familles, qui s’exprime par le tutorat. Un

homme installé à Dakar peut recevoir de sa famille nombre d’élèves. Pour ceux qui ont du mal à

trouver un emploi, il peut même, et cela arrive souvent, par le biais de ses relations, obtenir un poste

pour eux. Un exemple concret nous est donné par un homme de Boutégol qui vit à Ziguinchor : grâce

à une audience avec le gouverneur, il a permis à deux de ses neveux d’entrer à la SONACOS. Nous

ne nous attarderons pas sur cette pratique, trop difficile à mesurer. Elle est courante. Tous les

ressortissants y ont fait allusion.

Il y a dès lors des raisons de penser que ce système va à l’encontre de toute tentative de

développement endogène.

123. Un système nuisible au développement local

Au vu de ce qui a déjà été démontré, il n’est guère difficile de montrer les faiblesses d’un

système fondé sur l’extraversion des ressources humaines et l’origine extérieure des ressources

monétaires. Nous avons tenu, cependant, à l’exprimer de manière plus claire sous forme d’un

organigramme (document 10) qui montre les mécanismes de l’exode, du transfert d’argent et de la

diminution des pratiques agricoles. Nous n’avons pas trouvé, sur place, de structure qui soit en

mesure d’offrir une autre perspective aux villageois. Et, à la réflexion, ceux-ci sont conscients de la

désaffection actuelle pour le développement endogène, mais pas aussi pessimistes que nous

pourrions le croire. Le graphique 13 nous montre que 45 % des personnes envisagent l’avenir avec

sérénité. C’est ce qui peut donner à penser que nous sommes déjà entrés dans un nouveau système,

puisque femmes et hommes croient en l’avenir et ne remettent pas en cause ce système ; beaucoup

stigmatisent l’exode rural, certes, mais beaucoup accusent en premier lieu les changements

climatiques. A la réflexion, il manquait peut-être une question, dans le questionnaire donné en

annexe, sur les raisons principales des problèmes des villages. Mais il est à peu près certain qu’on

aurait placé le manque d’eau en première ligne. Comme si la Casamance, malgré une plus grande

sécheresse, avérée évidemment, était aussi sèche que certaines régions du Sénégal qui s’en sortent

mieux au niveau agricole… En réalité, nous sommes à peu près persuadés que les populations sont

assez heureuses d’un nouveau système qui, finalement, leur apporte plus de ressources et un confort

à l’occidentale. Voilà pourquoi les problèmes liés à la mondialisation sont-ils si peu abordés…

93

Cette prospérité qui semble revenir dans les villages (graphique 13) est donc un témoin du

changement de système. Prospérité d’autant renforcée qu’elle accroît le pouvoir d’achat des ménages

et donc le développement d’activités économiques de marché local. Il est temps d’analyser, en effet,

les activités rémunératrices qui perdurent, car elles existent, en montrant pourquoi leur

développement s’inscrit toujours dans la même logique.

94

Avis des personnes interrogées sur leur avenir au village dans la communauté rurale de Mangagoulack

Bon avenir45%

Espoir sur réussite des enfants12%

Inquiétude15%

Main de Dieu13%

Pas d'avis10%

Avenir en ville4%

Pas de réponse1%

Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=100)

Graphique 13

13. Des secteurs qui perdurent, soutenus par la monétarisation

Il existe finalement des activités économiques qui se pérennisent dans les villages, malgré une

conjoncture peu favorable, soit qu’ils résistent à cet état de faits, soit même qu’ils se développent et

sont en croissance. Il nous faut les considérer comme une faille dans l’ordonnancement du système

avant de montrer que, finalement, ils font partie intégrante de celui-ci, du fait de spécificités qui ne

font finalement qu’en renforcer la logique. En fin de compte, ces activités économiques ne semblent

pas affectées ; en réalité, elles changent de nature.

131. La pêche puise ses racines dans les transferts d’argent

95

Photographie n°30 : la pêche se développe mais les moyens manquent. Ici à Mangagoulack (cliché J.P.)

En reprenant le graphique 5, on se rend compte que la pêche est le premier secteur

d’activités dans les villages. S’il n’a pas encore été question de cela pour le moment, c’est tout

simplement parce qu’il s’agit d’une activité en pleine expansion actuellement. Elle représente en effet

23 % de la population interrogée et 36 % de la richesse créée : autant dire que c’est un secteur lucratif

pour celui qui accepte d’y aller le plus souvent possible, avec des moyens rudimentaires

(photographie n°30). La carte 18 nous montre la répartition de la pêche dans les villages : les plus

favorisés sont ceux qui sont les plus au bord du bolong, essentiellement Djilapao, Elana et Bodé ; ils

compensent ainsi, pour les deux derniers, un recul rapide des rizières, lié justement à la présence de

ce bolong. En fait, la pêche ne concerne que les hommes : c’est donc finalement un tiers (33 %) de la

population potentiellement amenée à pratiquer ce métier, et la moitié, 17 % environ, si l’on considère

une population normale où les femmes représenteraient la moitié de l’échantillon. La pêche semble

donc bien, aujourd’hui, l’exutoire majoritaire des hommes contraints de demeurer au village.

On peut s’interroger dès lors sur les raisons d’un fort engouement pour les populations pour la

pêche, la communauté rurale étant Diola à 95 %35, et que, selon P. Pélissier (1966), les Diola font de

médiocres pêcheurs et ne font que ramasser ou piéger les produits halieutiques. La navigation leur est

peu connue, mais ils savent profiter des marées pour canaliser les poissons dans des pièges. Les

anciennes ou futures rizières profondes sont parfois transformées en viviers par les femmes ; on les

vide à la fin de la saison des pluies. Mais les Diola achètent souvent leur poisson en riz aux Niominka.

Il semblerait donc qu’à l’heure actuelle, la pêche au filet ait été adoptée par les Diola. C’est M.-C.

Cormier-Salem (1992) qui a montré l’explosion de cette pratique en Basse-Casamance. L’entretien et

les discussions informelles autour des questionnaires, souvent aussi intéressantes que les

questionnaires eux-mêmes, ont montré que certains se rendaient en pirogue dans les îles de

l’estuaire, où des campements existent, et qu’ils passaient plusieurs mois à pêcher dans ces lieux,

séchant le poisson, le consommant et le revendant à des femmes qui en font le commerce. Un

homme peut gagner raisonnablement de 50 à 75000 francs avec une telle campagne.

En fait, il faut considérer les conséquences de l’exode rural ainsi que celles des transferts

d’argent. L’exode prive en effet les populations, non seulement de bras en nombre suffisant pour

générer des revenus sur place, mais également de tout ce qui pouvait représenter des ressources

vivrières : les anciens ont souvent trop peu de force pour pêcher, et les jeunes absents ne peuvent

plus le faire pour eux. Parallèlement – on est toujours dans une sorte de cercle vicieux – les transferts

d’argent augmentent ; de sorte que la pêche, en général, est une autre forme d’appui des

ressortissants : ce sont eux, finalement, qui stimulent cette activité... Par ailleurs, au vu de l’échec des

divers projets de pêche, il semblerait qu’elle n’a que peu d’avenir ; satisfaisant une demande locale,

elle n’a pas d’autre ambition en raison même de la concurrence.

35 Source : enquêtes 2005 (n=100)

96

97

132. La monétarisation de la construction et des cultures

Photographie n°31 : malgré des techniques qui restent rudimentaires, la construction est de plus en plus monétarisée.

Ici à Tendouck (cliché J. P.)

Un autre secteur est extrêmement représentatif en tant qu’activité de plus en plus lucrative et

soutenue par le système de transfert d’argent : il s’agit de la construction. Il faut ici s’arrêter un peu sur

les techniques de construction pour comprendre la nécessité grandissante de faire appel à une main-

d’œuvre payée. La photographie n°31 nous montre comment on monte les murs, cinquante

centimètres par jour que l’on laisse sécher. Cela nécessite peu de compétences mais beaucoup de

monde ; il faut creuser la terre, y mouiller le « banco », l’argile, en faire des boules, les transporter, les

tasser… Or, une fois encore, l’exode rural empêche parfois qu’il y ait un nombre suffisant de

personnes pour cela. Les plafonds en revanche nécessitent plus de technique, ce sont des artisans

spécialisés qui les réalisent en bois de rônier et de palétuvier (photographie n°32). De même pour la

charpente. Mais ces « spécialistes » ne sont en plus grand nombre que parce que le nombre de

constructions augmentent : de plus en plus de ressortissants font construire au village, conscients

qu’avec un tel système, ils vont pouvoir aisément y passer leur retraite. Et « l’embellissement » de

beaucoup de maisons que l’on recouvre de ciment, encore faible mais en forte augmentation, et déjà

très importante à Tendouck, entraîne également du travail pour d’anciens maçons qui ne trouvaient

plus de travail en ville. En somme, encore une fois, ce sont les ressortissants qui font progresser cette

activité… Activité qui tout de même représente, selon les enquêtes, environ 5 % des travailleurs et 3,5

% des revenus. Autant dire que l’on n’est pas encore dans une activité extrêmement lucrative ;

cependant, elle sera amenée, d’après des prévisions que l’on peut d’ores et déjà effectuer à la lumière

de ce système en fin de gestation, à se développer fortement. En effet, ce sont les ressortissants qui

le plus souvent financent ces réalisations.

98

Il faut retenir de cette analyse que, si les transferts d’argent de l’extérieur sont de plus en plus

importants, les revenus sur place induits par la mise en place de ce nouveau système le sont tout

autant. On peut prendre l’exemple simple de la rémunération de l’activité principale : entre la pêche, le

travail à l’extérieur une partie de l’année, la construction, la retraite et les emplois créés par une ONG

ou un GIE*, on atteint 55,87 % des revenus ! Vu sous cet angle, il semble donc bien que le système

s’est déjà mis en place et fonctionne bien…

Photographie n°32 : la construction des plafonds, comme celui-ci à Boutoeum, est de plus en plus payée et non

réalisée en solidarité (cliché J. P.)

Comme on le voit, la plupart de ce qui, auparavant, était réalisé sans vente ou achat, par le

simple biais de services rendus, est de plus en plus monétarisé du fait des influences extérieures.

Celles-ci sont le résultat d’une conjonction de plus en plus étroites entre le village et sa projection

urbaine. La culture du riz dans les villages où la salinisation n’a pas fait son œuvre, est de plus en plus

réalisée par des associations de travail payées pour cela, souvent des jeunes urbains revenant pour

l’hivernage.

Il nous reste à faire mention de certaines activités qui perdurent malgré tout, que l’on aurait

tendance à qualifier de résiduelles mais que l’on se doit de considérer en raison de l’existence d’un

certain dynamisme malgré tout.

133. Les autres revenus se fondent sur un capital déjà en place

La principale de ces activités est l’arboriculture : elle représente tout de même presque 11 %

des revenus et 14 % de la population. Le mieux est que dans la part des personnes interrogées qui

nous déclare avoir un projet d’avenir, soit les 42 % de la population, 28,6 % nous parlent d’une

plantation (graphique 14). Nous sommes loin de l’image de désaffection du maraîchage. Et les

99

plantations peuvent rapporter gros : certains récoltent 200000 à 300000 francs CFA36 par an, ce qui

peut représenter la moyenne de la dépense annuelle d’une famille. La réalité semble assez simple à

comprendre pourtant : il s’agit là d’une activité qui ne nécessite pas de soin particulier à partir du

moment où les plants ont poussé suffisamment pour être à l’abri des attaques du bétail. Nous avons

souvent rencontré de vieux manguiers qui donnent des fruits à ne savoir qu’en faire, « en pagaille »

pour reprendre une expression sénégalaise. Il semblerait, en fin de compte, que ces plantations de

manguiers et d’orangers aient été créés au temps des projets d’arboriculture et de maraîchage des

années 1980. Ils ont connu les mêmes problèmes d’écoulement que le maraîchage, mais absolument

pas la même destinée : leur inertie les a fait se perpétuer jusqu’à nos jours, traverser la crise sans

encombre : ils ne nécessitaient pas d’entretien. Les bana-bana ont sauté sur l’occasion en rachetant

les productions aux prix les plus bas possibles, profitant du système. Encore une conséquence de la

mondialisation, puisque le désengagement de l’Etat interdit toute forme de collecte étatique… Et les

commerçants achètent ainsi le verger à 50 francs le kilo, à Boutégol, avant d’aller le revendre à Dakar

à 300 francs le kilo d’après les entretiens… Pour beaucoup, donc, ce qu’ils nomment leur « activité

principale » consiste à regarder pousser les fruits et traiter avec les bana-bana… On comprend donc

pourquoi cette source de revenus perdure. Quant à ceux qui ont le projet de plantation, c’est

finalement l’exemple d’un capital à constituer qui les intéresse. Beaucoup donc investissent en

clôturant des parcelles de brousse pour constituer des pépinières (photographie n°33) avant de

planter dans un champ citronniers, orangers, pamplemoussiers, mandariniers, anacardiers…

Part de chaque secteur dans les projets d'avenir des personnes interrogées dans la Communauté rurale de Mangagoulack

Commerce8%

Autres8%

Pêche, équipement8%

Arboriculture12%

Pas de projets58%

Investir dans le confort4%

Vie en ville1%

Maraîchage1%

Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=100)

36 229 à 305 euros

100

Graphique 14

Plus largement, on peut considérer que les activités ayant encore de l’intérêt pour les résidents

sont celles où il suffit de se baisser pour avoir quelque chose à vendre. Par exemple, dans la

catégorie « autres », où sont classées les activités qui ne concernent qu’une ou deux personnes, on

trouvera, en vrac, la récolte des fruits sauvages dans la forêt, la récolte du vin de palme, du bois de

chauffe… Cette idée renforce l’idée que le village a une fonction de « lieu de ressourcement », « lieu

inutile » – on a encore pensé au terme d’ « arrière-garde », qui exprime à la fois la traîne au niveau du

dynamisme économique et la réserve de bien-être conservée au profit des ressortissants. Ajoutons

que nombre de ces « autres » activités sont encore induites par la monétarisation, comme la récolte

du bois de chauffe ou encore le commerce (à part, dans le graphique 4).

Photographie n°33 : Les pépinières en pleine brousse se multiplient, comme celle de Bassirou Sambou à

Mangagoulack (cliché J. P.)

L’essentiel est là, à la lumière de l’étude des processus à l’œuvre dans le village. Nous avons

évoqué dans cette partie, en effet, les éléments qui corroboraient le passage d’un système à un autre.

Mais il nous faut à présent nous attarder sur les éléments qui font de ce nouveau système quelque

chose d’organisé, avec une logique visant à son auto-reproduction. Et c’est autour des associations

de ressortissants et des nouveaux programmes de développement que nous allons trouver les

réponses apportées au besoin des villageois de faire perdurer ce système qui, comme nous avons pu

le constater, est plutôt accueilli favorablement. Et pour cause : il apporte dans les villages le confort

matériel, que depuis la colonisation l’on s’acharne à promouvoir, afin de renforcer la volonté des

habitants de se procurer encore et encore des devises.

101

2. Associations de ressortissants et organismes internationaux

Dans l’optique de ce nouveau système, nous avons vu que les « ressortissants » occupaient

une place grandissante, d’abord par leur nombre, de plus en plus élevé, ensuite par les soutiens de

tous ordres qu’ils apportaient à leur famille : argent, stimulation de l’économie, construction ou

dépenses de tous ordres, tutorat des enfants en ville. Mais il semble logique, également, que les

actions, non plus individuelles, mais collectives, des « associations de ressortissants » existant pour

chaque village dans les villes, se développent, non plus vers les familles, mais vers les villages eux-

mêmes. C’est-à-dire que, de plus en plus, ces associations se battent pour que des projets soient

réalisés dans leurs villages. Et ces projets sont de plus en plus nombreux pour deux raisons encore,

leur nombre grandissant et leur intérêt de plus en plus important dans le cadre d’un nouveau système.

Ce n’est pas un hasard si les réalisations des ressortissants visent avant tout à l’auto-reproduction.

Les nouveaux programmes de développement, fondés à la fois sur la mondialisation mais aussi sur le

retour à la paix, s’inspirent aussi, comme nous allons le voir, de cette logique.

21. La puissance des associations de ressortissants

Nous prenons en exemple le résumé du rapport de congrès créant, en 2001, « l’Association de

Développement d’Affiniam »37. Il est en effet extrêmement révélateur de l’évolution de l’organisation au

sein des village : à partir des années 2000, les ressortissants de Dakar prennent les rênes des

traditionnelles associations de village, qui réunissaient les sections de ressortissants et du village. Ce

congrès a eu lieu à la demande même de ces ressortissants, inquiets pour l’avenir du village. Nous

n’avons pu le récupérer malheureusement que dans le village, et donc n’en avons pas de copie ; nous

avons toutefois pu le consulter. Quelques savoureuses phrases donnent le ton dès l’avant-propos : il

s’agit pour le village de « sortir du sous-développement », de « le faire entrer dans l’ère du troisième

millénaire, de la civilisation universelle, des nouvelles technologies, de l’internet, de la

mondialisation ». Quelle plus belle illustration de la pertinence du sujet ?

211. Une organisation moderne pour un système moderne

Les ressortissants sont en général organisés en association, soit qu’elle représente une des

sections de l’association visant au développement du village, soit qu’elle soit une association

indépendante des autres associations de ressortissants. Ainsi, Boutégol possède une grande

association nommée « Rassemblement des Associations de Boutégol » (RAB*) tandis que la section

de Dakar se nomme « Association des Ressortissants de Boutégol à Dakar » (ARB* Dakar). Dans les

deux cas, et depuis quelques années, en général depuis les années 2000, les ressortissants ont pris

en main le destin des associations villageoises. Le secrétaire général de l’Association de

37 Rapport du Congrès créant l’Association de Développement d’Affiniam, 13 et 14 août 2001.

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Développement de Boutœum, à Ziguinchor, nous a déclaré que le centre de gravité de cette

association villageoise, qui existait de toute éternité, était progressivement passé à Ziguinchor puis à

Dakar. Ce qui explique une organisation de plus en plus poussée (document 11 : organigramme de

l’association Honnoro de Tendouck) portée par l’élite Diola du Blouf : des fonctionnaires pour la

plupart, des ingénieurs… Certaines associations sont ainsi extrêmement bien structurées. A

Boutœum, l’organisation est excellente en raison du nombre de cadres issus du village, catholique à

100 % (est-ce un hasard ?). Le Congrès, instance toute-puissante, élit le chef du village, l’Assemblée

Générale et le Comité Directeur. Le Comité Directeur élit le bureau et les Commissions (comité de

santé, Association des Parents d’Elèves sont des commissions). Le tout est bien huilé. Toute section,

génération d’initiation, catégorie professionnelle et groupements ou associations diverses sont

représentées dans ce Comité Directeur, le bureau et chaque commission. Ces commissions sont de

véritables directoires, des ministères. Mais rien ne se fait sans l’accord du Congrès qui alloue des

budgets. Cela marche à merveille, et on leur envie ce système dans les autres villages. Chaque

commission a un plan d’action et un cahier des charges qui sont arrêtés et discutés lors des

Assemblées Générales du Congrès. Le système fonctionne depuis longtemps mais a pris sa forme

moderne depuis un temps récent. En 1972, un grand réaménagement s’est fait au niveau des jeunes.

L’Union Socioéconomique de Boutoeum est créée à ce moment. En 1982, c’est l’Association pour la

Rénovation de Boutoeum, devenue en 1998 ADEB*38.

38 Source : entretien avec le secrétaire général de l’ADEB à Ziguinchor.

103

104

On a déjà évoqué le cas d’Affiniam, dont le rapport, assez volumineux, dans son ensemble,

stigmatise la gestion villageoise des ressources, tandis que « parfois, c’est avec étonnement que les

gens [du village] apprennent la réalisation de telle infrastructure (…). Pourtant, il existe, tout de même,

des gens consciencieux qui se battent dans l’ombre, dans l’anonymat absolu, sans faire de bruit (…),

pour faire avancer Affiniam »39.

L’impossibilité de s’attarder sur cette organisation des ressortissants est dommage, les

exemples ne manquant pas. Nous avons tenu cependant à restituer sur un tableau (document 12)

l’organisation des associations de ressortissants et à mettre en avant le caractère récent de leur

modernisme. Car c’est bien le trait essentiel de cette démonstration : les ressortissants, en prenant en

main les destinées villageoises, soumettent son avenir à une vision ambitieuse : les Dakarois

d’Affiniam veulent faire du village la capitale du Blouf, un carrefour économique et un village

touristique… On trouvera en annexe quelques documents illustrant des exemples de ce type.

Document 12 : l’organisation des « villages multi-locaux » dans la Communauté rurale de Mangagoulack

Village Structure centraleAssociations de ressortissants

Autres associations dans le village

Date de modernisation

Congrès

Tendouck Association Honnoro Simples sections Simples commissions 1995 Annuel

BoutégolRassemblement des

Associations de Boutégol Simples sections Simples commissions 1979 Annuel

Mangagoulack Association du village Indépendantes Simples commissions 1994 Annuel

DiatockFoyer des Jeunes et de la

Culture de DiatockSimples sections Simples commissions 2002 Annuel

Elana Association Socio-Culturelle d'Elana

Indépendantes Simples commissions Pas de modernisation

Annuel

Bodé Association du village Indépendantes Indépendantes 1995 Annuel

BoutoeumAssociation pour le Développement de

BoutoeumSimples sections Simples commissions 1998 Tous les 3 ans

Djilapao Association du village Indépendantes Indépendantes 2000 Annuel

AffiniamAssociation pour le

Développement d'AffiniamSimples sections Simples commissions 2001 Tous les 3 ans

Sources : entretiens avec les ressortissants à Ziguinchor et Dakar – février-mars 2005

212. Collecte de fonds et collecte de relations

A la base organisées pour permettre une certaine solidarité entre ressortissants d’un même village,

notamment en cas de décès ou de maladie, les associations de ressortissants en sont donc venues à

l’apport de projets au sein même du village. Les moyens de parvenir à les financer ne manquent pas.

D’abord, c’est la collecte de fonds. Ayant réussi à rencontrer tous les représentants des associations

de ressortissants à Ziguinchor et à Dakar, nous avons pu dresser la carte 19 qui montre l’argent

récolté en moyenne chaque année par les différentes sections, en fonction des

39 Rapport du Congrès créant l’Association de Développement d’Affiniam, 13 et 14 août 2001.

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106

villages. On voit que les recettes issues des ressortissants sont importantes, largement supérieures à

ce qui est récolté dans le village. Mais il faut distinguer plusieurs types de recettes : celles qui entrent

dans la caisse des ressortissants, celles qui vont directement dans la caisse du village (ce sont ces

deux premières que l’on a cartographiées) et les recettes exceptionnelles, destinées à un projet

précis. En réalité, peu d’argent entre directement dans la caisse du village. En revanche, les

ressortissants collectent eux-mêmes de l’argent et l’envoient au village en cas de projet précis. Ils

gardent donc la haute main sur ces projets. Dans ce cas, les manières de gagner de l’argent sont

assez simples : la mise en place de cotisations ou l’organisation d’événements. Le document 13

nous montre de manière assez simple, sur un tableau, ces moyens d’obtenir de l’argent mis en place

par chaque association, et ce qu’ils gagnent avec. Le document 14 nous permet, à travers l’exemple

de Tendouck, de se rendre compte du fonctionnement de l’association Honnoro à travers son volet

financier. Enfin quelques documents en annexe complètent ces appuis.

Document 13 : les moyens utilisés pour financer les projets par les associations de ressortissants des villages de la Communauté Rurale de Mangagoulack

Village Moyens de gagner de l'argent

Tendouck Bal annuel, cotisations des sections, influences, cotisations exceptionnelles

Boutégol Cotisations des sections, théâtre

MangagoulackCotisations des sections, cotisations exceptionnelles,

investissement dans le télécentre40

Diatock Cotisations des sections, coupes et tournois, bals et fêtesElana Cotisations des sectionsBodé Cotisations des sections

Boutœum Bal annuel, cotisations des sections, influences, cotisations exceptionnelles

Djilapao Bal annuel, cotisations des sections

AffiniamInvestissement dans des réalisations génératrices de

revenus : campement, télécentre, pirogue, foyer

Sources : entretiens avec les présidents des associations de ressortissants à Dakar et Ziguinchor

De multiples raisons font qu’il est relativement simple d’obtenir plus d’argent en ville. D’une part,

parce que les ressortissants y sont très nombreux : 300 à 350, selon Edmond Sagna, président de la

section de l’ADEB* à Dakar, pour le petit village de Boutœum, 200 membres de la section d’Affiniam à

Ziguinchor selon Emile Manga qui en est le président. Les plus gros villages atteignent 500 membres

qui paient leur cotisation (Tendouck) à Dakar ; ils étaient 625 au terme d’un recensement pour

Diatock. Quand on sait la difficulté à payer des ressortissants, on peut aisément imaginer que ce

nombre est le quart du nombre véritable de ressortissants dans la capitale. D’autre part, les salaires

de certains des responsables permettent de bonnes cotisations. A Ziguinchor, l’un des membres de

l’association des ressortissants de Mangagoulack cotise pour neuf personnes, tous élèves, en plus de

lui et sa femme … Enfin, parce qu’il est plus facile d’organiser une soirée qui rapporte de l’argent à

40 Le télécentre est, au Sénégal, un lieu avec une ligne téléphonique d’où l’on peut appeler et se faire appeler. Le paiement se fait à l’unité utilisée.

107

Dakar. Boutœum obtient facilement, pour son bal annuel, 800000 à un million de francs CFA41 de

bénéfice… Cette pratique est ancienne, et certains villages comme Boutégol avaient même,

auparavant, une troupe théâtrale. Il semble qu’aujourd’hui les cotisations aient pris le pas sur ce type

d’événements.

Document 14 : Le fonctionnement financier de l’association Honnoro de Tendouck

L’Association Honnoro de Tendouck a une caisse générale, celle du Congrès, la caisse du village ; c’est dans celle-ci que l’on puise l’argent nécessaire aux projets développés dans les villages. Cette caisse est alimentée par des cotisations spéciales pour le Congrès, qui sont versées à ce moment par chaque section de ressortissants. Ces sections, que ce soit à Ziguinchor, à Dakar, en Gambie, ou encore en France où il y a une communauté assez active d’une vingtaine de personnes, ont en revanche leurs propres caisses. Elles sont alimentées par les membres de la section, par le biais de cotisations principalement, mais aussi de bals qui ont lieu chaque année. La section de Dakar, très importante, peut ainsi compter sur une importante communauté. gagne ainsi environ 3 millions de FCFA (environ 4500 euros) chaque année. Essentiellement, la caisse de ces sections vient en aide à ses membres ; mais pour tout projet du village, une somme est débloquée. D’autant que parfois, l’effort conjoint des caisses ne suffit pas : il faut alors en appeler aux cotisations dites extraordinaires, ou à des actions spécifiques ; pour le collège de Tendouck, un bal a rapporté 1,4 million de FCFA (environ 2100 euros). Des cotisations exceptionnelles ont été lancées : chaque travailleur devait donner 15000 FCFA (22,50 euros), chaque retraité 7500 FCFA (11,6 euros) et chaque chômeur 3000 FCFA (5 euros). On a revu les chiffres à 10000, 5000 et 2500.Les commissions ont également leurs caisses propres, qui fonctionnent avec la caisse du village comme les vases communicants : lorsque l’une a besoin, c’est l’autre qui l’alimente. C’est le cas pour les jeunes par exemple. Ces commissions ont des financements spécifiques : les jeunes cultivent par exemple durant l’hivernage dans des associations de travail ; le comité de santé, l’association des parents d’élèves ont leurs cotisations propres.

L’association Honnoro reçoit parfois des financements exceptionnels ou des aides de ses ressortissants à l’étranger. Ceux de France ont envoyé l’équivalent de 10 millions de francs CFA (15240 euros) en tables et bancs pour le collège, dans un conteneur. Ils ont aussi récupéré 10 ordinateurs pour l’équiper.

Le fonctionnement de cette association, très moderne, est comme on le voit bien rodé. On peut constater dans cette organisation la prépondérance des actions des ressortissants. Ils financent principalement des projets centrés sur l’éducation, la santé, les activités socio-culturelles.

Source : entretien avec le secrétaire général de Honnoro, à Dakar

Il est une dernière forme de récolte de fonds liée aux activités des ressortissants : c’est la mise

en place d’activités lucratives dans le village (et pour le village, non pour les villageois). On peut ici

extrapoler hors de la communauté rurale de Mangagoulack. Dans celle de Diégoune, le vice-président

du Comité Local de Coordination des Organisations Paysannes (CLCOP*), Sadibou Badji, nous a

présenté un document sur une association de quartier à Djimande, devenue le Groupement d’Intérêt

Economique (GIE) du quartier de Bandine. En 1998 et 1999, les ressortissants ont entièrement

financé une boutique villageoise pour la somme de 3,6 millions de francs CFA42, et en 2000 un

télécentre pour la somme de 400000 francs43. Plus encore que dans les villages du sud du Blouf, ces

gros villages semblent encore plus sous dépendance de ce système. Enfin, une décortiqueuse a été

financée en 2004 pour la somme de 2,7 millions44. Tout cela rapporte de l’argent au village selon le

principe bien connu : c’est grâce à l’argent des transferts que télécentre (centre téléphonique),

boutique et décortiqueuse sont construits. Et ils le sont de plus en plus en raison de la diminution des

ressources et de la nécessité d’être en contact permanent avec les ressortissants… Pour avoir une

idée de l’apport de ces activités, le petit graphique 15 nous donne une idée des revenus, à Affiniam,

issus du télécentre, de la pirogue, du campement... Financés pour les deux premiers par les

41 1 million : environ 1500 euros.42 Environ 4900 euros.43 600 euros.44

2550 euros.

108

ressortissants. Les télécentres fleurissent : on en trouve à Tendouck, Mangagoulack, Elana et Affiniam

(photographie n°34).

Part des diverses structures de l'ADA dans les revenus villageois d'Affiniam (en 2004)

Télécentre2108465

Pirogue4291470

Foyer511432

Campement1125430

Moulin à céréales324657

Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : entretien avec le président de ADA à Dakar

En FCFA (1 euro = 656 FCFA)TOTAL : 8361454 FCFA

Graphique 15

Photographie n°34 : Le télécentre de Mangagoulack a été entièrement payé par ses ressortissants à Dakar (cliché J.-P. Glotin).

Outre ces très nombreuses formes de récolte d’argent, les ressortissants ont également le

pouvoir de récolter des relations leur permettant parfois de financer des projets, voire de faire des

demandes directes. Ainsi, à Affiniam, pour la construction du collège, un document a été envoyé à

l’Ambassade des Etats-Unis pour la construction du CEM. L’ambassadeur du Sénégal aux Etats-Unis,

Paul Badji, est en effet d’Affiniam – ce qui est assez révélateur… Le captage des bailleurs ne

concerne pas que les ONG, mais aussi et surtout des organismes et des personnalités. C’est ainsi

109

qu’en 1994, Robert Sagna, ancien ministre et aujourd’hui maire de Ziguinchor, a donné au village de

Boutégol 140000 francs45, et Landing Sané, ministre, 100000 francs46. Ces versements sont

souterrains mais essentiels. Lamine Sambou, de Ziguinchor, a fait une lettre auprès du Gouverneur et

a ainsi obtenu l’électrification de son village. A Tendouck, les ressortissants de France, une grande

communauté, ont réussi à se procurer dix ordinateurs pour le collège, et des tables et chaises pour un

montant de dix millions de francs CFA qu’ils ont envoyé directement par container… Là encore, nous

résumons dans le document 15, pour chaque village, les influences et les relations qui ont permis des

apports.

Document 15 : les réalisations dues aux influences des ressortissants dans la Communauté rurale de Mangagoulack

Village Influences RéalisationTendouck Ressortissants en France Obtention de 10 ordinateurs pour le CEM

Tendouck Ressortissants en France Obtention de tables et bancs pour 10 millions de FCFA (15240 euros)

Tendouck Jeunes du village (rencontré le ministre lors d'une inauguration)

Projet de pêche

Tendouck Géomètres issus du village Préparation du lotissement

Boutégol Docteur dans l'armée issu du village Dispensaire de Tendouck

Boutégol Docteur dans l'armée issu du village Extension de la robinetterie jusqu'au village de Boutégol

Boutégol Docteur dans l'armée issu du village, relation avec l'inspecteur d'académie

Ecole financée par la Banque Islamique de Développement

Boutégol Docteur dans l'armée issu du village, relation avec le directeur de l'énergie

Electrification

Mangagoulack Président de la Communauté Rurale Obtention d'enseignants dans le CEM

DiatockHomme travaillant à l'aéroport L. S. Senghor de

Dakar-YoffInformations sur des forages japonais et autres

possibilités

Elana Ressortissants à Dakar et à Ziguinchor Recherche sur le moyen de rouvrir l'école

Boutœum Ressortissante en France Partenariat avec une commune, Salviac Réalisations sanitaires

AffiniamMissionnaire issu du village, ami d'un

missionnaire français

Jumelage entre avec une communauté paroissiale française et nombreuses réalisations (éducation et

santé, foyer des jeunes)

Affiniam Ambassadeur du Sénégal aux Etats-Unis issu du village

Demande de financements

Source : entretiens avec les présidents des associations de ressortissants des villages de la Communauté rurale.

Pour boucler la boucle, nous devons observer les projets qui sont développés à partir de ces

associations de ressortissants : comme nous allons le voir, elles visent à la reproduction du système.

Leur étude est donc essentielle.

45 210 euros.46 150 euros.

110

213. Des réalisations centrées sur l’éducation

On peut prendre ici pour référence le travail mené dans les villages, pour les villages de la

communauté rurale de Mangagoulack comme dans les autres villages du Blouf où des entretiens ont

été menés dans ce sens à la fin du séjour. Les entretiens avec les ressortissants complètent ces

recherches en apportant des précisions, des chiffres, parfois des traces écrites. L’exemple du village

de Mangagoulack est excellent : les principales réalisations des villageois ont commencé en 1999.

Auparavant, ils n’avaient guère construit que des bâtiments pour l’école : le premier bâtiment en 1983,

le second en 1984. Autres temps et autres mœurs : c’était en effet l’époque où les villageois résidant à

Mangagoulack pouvaient encore se cotiser grâce aux revenus de l’arachide… Autre système

également. Entre ces dates et 1999, rien de nouveau, si ce n’est la réhabilitation du foyer des jeunes,

qui servait aux réunions et aux soirées dansantes en hivernage ; réalisé en 1994, cette réhabilitation

n’a rien coûté puisque les habitants ont remis les tôles de l’ancien par-dessus le banco47.

En 1999, on installe le télécentre. La section de Dakar paie la ligne. Puis le local, qui a coûté

700000 francs48, totalement payé par l’association des ressortissants à Dakar, selon Youssouph

Goudiaby qui en est le président. Puis la case de santé. Là encore, Dakar a payé les tôles, le ciment,

et la formation de la matrone et du responsable, tout comme des médicaments pour 100 à 200000

francs.

Photographie n°35 : Le CEM de Mangagoulack a ouvert à la rentrée 2004 (cliché J. P.)

Mais le principal projet réalisé par ces ressortissants est le Collège d’Enseignement Moyen

(CEM*). Bassirou Sambou ayant appris que, dans le cadre de la décentralisation, des enseignants

viendraient dans les villages qui auraient construit un CEM, il a fait une demande auprès de

l’Inspection Départementale de Bignona (IDEN*), qui a accepté si le CEM rentrait en fonction en

47 d’après Younousse Sambou qui nous a servi de guide et d’interprète48 210 euros.

111

2004 : en cinq mois, Dakar a pu réunir 549000 francs49 ; Ziguinchor a envoyé 100000 francs CFA, et la

Gambie 200000 francs. Dakar a encore dû payer les portes et les fenêtres : le CEM a finalement pu

ouvrir à la rentrée 2004 (photographie n°35).

Et c’est une composante structurante de l’action des ressortissants dans les villages :

l’importance donnée au créneau de l’éducation est essentielle. Elle nous montre combien les

ressortissants tiennent à ce que leurs enfants, le plus longtemps possible, poursuivent leurs études.

Or la présence de CEM dans les villages, fort curieuse, s’explique très bien à la lumière d’un système

qui privilégie la réussite des enfants. D’abord parce que, dans les villages, ils subissent une pression

plus importante et des tentations moindres qu’en ville ; ensuite parce qu’il est parfois difficile de

trouver un tuteur en ville ; enfin parce que l’entrée en sixième se fait sur concours et que les places

sont limitées et que des collèges dans les villages renforcent fortement les possibilités d’entrée des

enfants. Nous avons ainsi eu la chance d’assister dans les villages du Blouf à toutes les phases de la

création d’un CEM : à Affiniam, le défrichement du terrain (photographie n°36) ; à Dianki, la fin de la

construction grâce à des briques en banco, la presse ayant été obtenue grâce à des relations d’un

ressortissant de Ziguinchor (photographie n°37) ; à Mangagoulack, un CEM tout neuf ; à Tendouck,

un CEM existant déjà depuis plusieurs années (photographie n°38).

Photographies n°36, 37 et 38 : Du défrichage à Affiniam au CEM fonctionnel à Tendouck, en passant par la construction à

Dianki : le Blouf en ébullition est parsemé de nouveaux collèges (clichés 35 et 37 : J.P., cliché 36 : J.-P. Glotin).

Nous avons cartographié, pour donner une idée de la puissance des écoles et collèges dans le Blouf,

leur effectif (carte 20) ; le graphique 16 montre la comparaison entre effectif des écoles et part de la

population du Blouf dans le total du département. D’autres actions sont menées en faveur de

l’éducation, comme la construction de classes pour les écoles primaires. A Diatock, les ressortissants

organisent chaque année une remise de prix. Avec 92,31 % de réussite à l’entrée en sixième, Diatock

connaît le deuxième taux de réussite de tout le département de Bignona. Pour compléter ces

exemples, une carte 21 montre, dans les réalisations des ressortissants, la part de chaque secteur

dans le poids total. On y voit très clairement la prépondérance des réalisations pour l’éducation, de

même que dans le document 16 qui résume en un tableau les interventions des ressortissants dans

le Blouf.

49 800 euros environ.

112

Les nouvelles interventions des ressortissants, mieux organisés et désormais aux rênes de

l’avancée des villages, concernent donc essentiellement les postes éducatifs, et, au-delà, les

dépenses liées à un meilleur niveau de vie des populations au niveau du confort : c’est-à-dire la santé

et le téléphone surtout. Nous sommes donc bien dans le contexte d’un système qui vise à sa

reproduction : en effet, les dépenses liées à l’éducation et au confort matériel traduisent effectivement

une volonté de retraite au village, aidée par des enfants qui auront réussi… en ville. Un système qui

se met en place, mais ne fonctionne pas encore, comme on l’a vu, au maximum. En revanche, les

113

114

115

organismes, partenaires et projets qui se développent actuellement, de retour, vont franchement

dans le même sens que l’action de ces associations de ressortissants.

Document 16 : les réalisations des ressortissants dans la Communauté rurale de Mangagoulack depuis une dizaine d’années

Village Réalisation Date Coût (si connu)

Tendouck Dispensaire 19975 millions FCFA (environ 7500

euros)

Tendouck Collège 200120 millions FCFA (environ

30000 euros)

Tendouck Foyer des jeunes 2000 Inconnu

Boutégol Robinetterie 2005 Inconnu

Mangagoulack Collège 20045 millions FCFA (environ 7500

euros)

Mangagoulack Case de santé 2000 Inconnu

Mangagoulack Télécentre 1999700000 FCFA (environ 1050

euros)

Elana Foyer des jeunes Inconnue Inconnu

Elana Boutique Inconnue Inconnu

Boutœum Réfection de la case de santé

2005 (en cours)

Inconnu

Affiniam Télécentre Inconnue Inconnu

Affiniam Pirogue 2003 Inconnu

116

Affiniam Collège En cours Inconnu

Sources : entretiens avec les personnalités et responsables dans les différents villages

117

22. La nouvelle politique des organismes internationaux et des

partenaires

Depuis les années 2000, en effet, il semblerait que l’on assiste à un retour en masse des

projets de développement et des projets « humanitaires » dans le Blouf. Les entretiens avec les

responsables et autorités du village comme des structures porteuses de ces projets l’ont confirmé.

Nous ne sommes plus, cependant, dans l’optique des anciens projets de développement économique.

Il semblerait que ce volet soit de moins en moins au goût du jour. En revanche, il serait logique que se

développent des projets liés à la santé et à l’éducation, au vu de tout ce qui a été dit auparavant.

221. Le retour des bailleurs de fonds

Nous avons préféré utiliser le terme générique de « bailleurs de fonds » pour désigner, en vrac,

tous les porteurs des projets de développement dans les villages. L’objectif est cependant ici de les

distinguer et d’expliquer les raisons de leur retour, ou de leur venue. On trouve d’abord et avant tout

de grands organismes internationaux que nous pourrions classer dans la catégorie « organisations

humanitaires » et même « intervenants urgentistes » puisque le Programme Alimentaire Mondial

(PAM*) et United Nations Children’s Fund (UNICEF*) interviennent dans le cadre du retour à la paix.

Peut-on dire que leur intervention relève des effets de la mondialisation ? En quelque sorte, puisque la

mondialisation de l’action humanitaire fait partie des mécanismes qui accompagnent le processus. Or

ils sont intervenus énormément dans le Blouf depuis les années 2000. En second lieu, on trouve les

programmes de développement étatiques. Ceux-ci sont fondés, désormais, sur la signature d’accords

entre le Sénégal et de grands organismes internationaux que sont le FMI*, la Banque Islamique de

Développement (BID*), la Banque Africaine de Développement (BAD*), la Banque Mondiale, la Chine

Nationaliste de Taiwan… En somme, ils entrent dans la catégorie des plans d’ajustement structurel, le

Sénégal devant fournir, évidemment, des certificats de bonne conduite par rapport à sa politique

libérale. En troisième lieu, ce sont les ONG, celles qui ne sont pas parties et celles qui sont revenues :

mais nous parlons également pour ces ONG de « retour » en ce sens que leurs actions changent peu

à peu de destination. Le quatrième type de bailleurs de fonds est constitué par ce que l’on appelle sur

place, et de manière un peu abusive, les « partenaires » : ce sont les associations étrangères,

souvent de petite taille, qui apportent un soutien financier à certains villages, en général accompagné

d’échanges. Il peut s’agir également de jumelages. En fait, nous pouvons considérer ces partenariats

comme des conséquences directes de la mondialisation, à travers un autre de ses avatars : le

tourisme. Il n’est pas de meilleur exemple pour évoquer la mondialisation en Basse-Casamance que

de donner celui-ci : il est révélateur de la transformation d’un système traditionnel en une image

véhiculée à l’extérieur et dont l’Etat sénégalais s’est largement fait le relais, celle du paradis sur terre

peuplé de « sauvages ». Or, les valeurs de ce début de millénaire emportent les occidentaux vers de

tels rivages. Elles ont donné lieu à la création en 1979 du campement villageois d’Affiniam, le seul du

Blouf. Mais l’attentisme des habitants par rapport à ce projet venu de l’extérieur a entraîné une

mauvaise gestion qui a privé le campement de revenus pendant vingt-cinq ans… Il est normal que

118

nous ne nous soyons pas étendus sur le sujet. Mais le tourisme a permis les contacts entre Noirs et

Blancs et les partenariats se sont multipliés et se multiplient encore… En somme, nous pouvons voir

que ces projets, d’après un tableau encore (document 17) sont revenus en force dans le Blouf. La

question se pose de savoir quel système ils encouragent.

Document 17 : les nouveaux projets des bailleurs de fonds dans la Communauté rurale de Mangagoulack

Village Partenaire Réalisation Date Coût (si connu)

TendouckFonds Européen de

DéveloppementDispensaire 1997

20 millions FCFA (30000 euros)

TendouckBanque Islamique de

DéveloppementDeux classes 2000 Inconnu

Tendouck UNICEF package avec restauration de l'école et formation 20028 millions FCFA (12000

euros)

BoutégolBanque Islamique de

DéveloppementTrois classes 2000

Autour de 17 millions FCFA (24000 euros)

Mangagoulack UNICEF package avec restauration de l'école et formation 20028 millions FCFA (12000

euros)

Mangagoulack CARITAS Forage 1997 Inconnu

Diatock UNICEF package avec restauration de l'école et formation 20028 millions FCFA (12000

euros)

BodéTeranga (ONG française), FED

Ecole publique 199123 millions FCFA

(34500 euros)

Elana Les Amis d'Elana Soutien à l'école privéeJusqu'en

2004Inconnu

Affiniam Allonnes (jumelage)Soutien à l'école privée et à l'école publique, aux

jeunes, construction du foyer des jeunes1987-2005 Inconnu

Sources : Entretiens dans les villages, IDEN Bignona, UNICEF, document du jumelage Allonnes

222. Des actions avant tout au profit de l’école

De plus en plus, on tente de coordonner les actions de ces divers bailleurs de fonds dans une

même direction. C’est à cet effet qu’ont été lancés, à partir de 2002, les Plans Locaux de

Développement (PLD) qui devaient servir de plans d’investissement pour les communautés rurales et

de documents de référence pour ces bailleurs. C’est le Programme de Soutien aux Initiatives de

Développement Local (PSIDEL*) qui a lancé ces PLD*, relayés bientôt par le Groupement de

Recherches en Développement Rural (GRDR*) à Ziguinchor, ONG française issue de ressortissants

de Casamance, et le cabinet MSA et associés dans le Blouf. Ils ont établi des dossiers entre 2002 et

2004, nommés « Plans Locaux de Développement », qui sont une base pour l’étude mais

essentiellement du fait de la présence de leurs plans d’investissement qui témoignent des attentes

des populations en matière de projets. Le graphique 17 compare tous ceux du Blouf. Il est frappant

de voir combien les programmes sur l’éducation forment le gros des investissements : 34 % à

Kartiack, 29 % à Diégoune, 58 % à Mlomp, 26 % à Balingore et 16 % à Mangagoulack… On peut

ajouter des éléments avec le petit graphique 18, obtenu auprès de Bassirou Sambou (Président du

Conseil Rural de Mangagoulack), qui concerne le budget d’investissement 2005 de la communauté

119

rurale de Mangagoulack. Notons que le PSIDEL*, émanation du Fonds Européen de Développement,

prévoit déjà des financements présentés en tableau dans le document 18.

120

Dépenses d'investissement prévues par le budget 2005 du Conseil rural de Mangagoulack

Voiries10%

Maison communautaire12%

Véhicule16%

Maison des jeunes et de la culture21%

Scolarité et bâtiments scolaires36%

Santé4%

Bicyclettes et cycles1%

Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=100)

Total : 70 millions de FCFA (90000 euros)

Graphique 18

Document 18 : les investissements prévus par le Programme de Soutien aux Initiatives de Développement Local (PSIDEL)

Village Investissement financé de manière sûre par le PSIDEL

Bodé Réfection de la case de santé

Diatock Financement d'une pirogue

Elana Financement d'une pirogue

Boutégol Construction du foyer des jeunes

Bessir Sécurisation des écoles construction de terrains de sport

Dianki Sécurisation des écoles construction de terrains de sport

KartiackSécurisation des écoles

construction de terrains de sport

ThiobonSécurisation des écoles

construction de terrains de sport

Source : Plans d’Investissement Annuel – Plans Locaux de Développement des Communautés Rurales du Blouf

Mais passons aux projets déjà réalisés pour se faire une idée de l’ampleur du phénomène. On

s’est déjà rendu compte, à Bodé, que les projets qui avaient été financés par l’association Teranga ont

échoué. En fait, seul un projet a réellement fonctionné : c’est l’école (photographie n°43). Le projet,

lancé en 1991, a coûté au Fonds Européen de Développement… 18,4 millions de francs CFA50.

Jusqu’en 2004, l’association des Amis d’Elana soutenait financièrement l’école privée d’Elana,

désertée en raison de la multiplication des écoles publiques. Il y restait 35 enfants en 2004-2005.

C’est une autre forme de soutien, mais qui s’est achevé : l’école qui a formé les grands cadres du

50 28000 euros. Source : entretien avec Souleymane Soumaré, président de la section des ressortissants de Bodé à Ziguinchor.

121

Blouf a fermé ses portes (photographie n°38). En revanche, Affiniam est toujours aidée par la

communauté paroissiale d’Allonnes qui soutient son école privée51.

Photographie n°39 : L’école privée d’Elana a fermé ses portes en 2004 (cliché J.-P. Glotin)

L’UNICEF* apporte également son soutien aux écoles grâce à des « packages » de 8 millions

de CFA52 comprenant formation des enseignants, avec un volet sur la protection (dépistage du stress

des enfants), un volet sur la prévention et gestion des conflits, et un volet qualité (bien former en

maths, français, gérer les problèmes d’organisation…). Ils contiennent aussi une réhabilitation de

l’environnement scolaire : eau, puits, entretien de la pompe, mise en place d’une clôture et d’un jardin,

réhabilitation surtout des bâtiments avec ciment et peinture, latrines. On trouve ce type d’intervention

à Mangagoulack (photographie n°45) et à Tendouck ou encore Diatock. Plus encore, de nombreux

Photographie n°39 : Une belle réhabilitation d’école à Mangagoulack par l’UNICEF (cliché J.P.)

51 Source : 15 ans du jumelage, Allonnes-Affiniam, document souvenir.

52 selon Carmen Garrigos qui coordonne ces programmes.

122

Photographies n°40 et 41 : deux constructions de classes à Tendouck et à Boutégol (où l’on voit le contraste avec la vieille

école construite par les villageois), par la Banque Islamique de Développement, dans le cadre d’accords (clichés J.P.)

123

124

bâtiments sont construits par les programmes des organismes internationaux tels que le FED et la

BID : on en trouve à Tendouck (photographie n°40), datant de 2002, et à Boutégol (photographie

n°41), datant de 2000. La carte 22 montre, d’après des documents fournis par l’IDEN* à Bignona, les

constructions de bâtiments et les programmes à venir dans le Blouf. Et même des collèges, à présent,

sont aidés, comme celui de Balingore (photographie n°42), dont le document 19 retrace l’histoire

édifiante. On peut encore prendre l’exemple de l’école maternelle de Dianki, magnifiquement refaite

par l’Etat (photographie n°43). Il s’avère que les enfants bien préparés en maternelle, école qui est

très rare au Sénégal, réussiront mieux dans les classes supérieures.

Photographie n°42 : le CEM de Balingore aspire à devenir un lycée (cliché J.P.)

Document 19 : le Collège d’Enseignement Moyen (CEM) de Balingore.

Le premier collège du Blouf a été construit à Balingore, si l’on excepte toutefois le CEM de Thionck-Essyl, commune que nous avons exclue de l’étude, comme il a déjà été souligné, puisque il s’agit à présent quasiment d’une entité urbaine. Il n’est pas étonnant que ce village, peuplé de plus de 3000 habitants (3054 au recensement de 2002) et dont 185 ressortissants sont en Europe. Balingore est l’un des villages pionniers du système socio-économique particulier qui s’est mis en place dans le Blouf. L’organisation des ressortissants a été rapide, et les moyens mis en œuvre ont permis dès 1998 la sortie de terre de trois classes, construites en banco. Mais le plus intéressant, c’est que le village a bénéficié en 2000 de la construction de six classes, qui entrent dans le cadre du « Programme 2000 classes » de l’Etat sénégalais, conséquence de la signature d’accords internationaux avec différents organismes. Il s’agit donc d’une conséquence des politiques d’ajustement structurel. L’Etat s’est évidemment appuyé au maximum sur les structures pionnières, et l’on peut aisément imaginer également que le jeu des relations ait pu avoir son importance. En 2004, l’Etat a encore construit deux classes. En 2005, le Conseil Régional de Ziguinchor en a ajouté une autre, manœuvre probablement politicienne. Au total, ce sont donc 12 classes physiques qui existent, les bâtiments en banco étant relativement dégradés mais ont été réhabilités, pour 14 classes physiques : quatre sixièmes (172 élèves), trois cinquièmes (148 élèves), trois quatrièmes (147 élèves), et quatre troisièmes (196 élèves). Avec un total de 663 élèves, le plus gros collège des cinq communautés rurales espère bien devenir à terme un lycée.

125

Photographie n°43 : l’école maternelle de Dianki, complètement réhabilitée par des financements extérieurs (cliché J.P.).

On peut ici placer une réflexion intéressante : ces programmes internationaux ont pour

contrepartie un renforcement du libre-échange et de la concurrence, donc des contraintes sur les

paysans et un exode croissant ; ils réalisent des écoles qui vont permettre de poursuivre l’exode, lui-

même source de diminution des activités… Il ne faut pas perdre de vue que toute cette politique

renforce l’exode rural.

N’oublions pas, non plus, que le Programme Alimentaire Mondial fournit de quoi alimenter les

cantines scolaires (photographie n°44). A Boutégol, ce sont 18 sacs de riz, 80 litres d’huile et 3 sacs

de lentilles qui sont fournies pour trois mois53. A Tendouck, il y a aussi du poisson en conserve. Toutes

les femmes du village se mobilisent pour la cuisine…

Photographie n°44 : La cantine scolaire d’Affiniam, alimentée par le Programme Alimentaire Mondial (cliché J.P.).

Il est donc extrêmement clair que les apports des bailleurs de fonds à l’école dans le Blouf sont

importantes, structurantes. Mais il faut les observer en comparaison, bien sûr, avec les autres

secteurs encouragés par ces bailleurs dans le Blouf.

223. Bailleurs de fonds et investissements de confort matériel

Il ne faudrait pas limiter les interventions nouvelles des bailleurs de fonds, toutefois, au seul

volet de l’éducation. Il nous faut observer à nouveau le graphique 18 pour connaître la part des

autres secteurs concernés par les plans d’investissement des communautés rurales. Que constate-t-

on ? Pour prendre l’exemple de Mangagoulack, les villageois souhaitent avant tout de meilleures

routes, une bonne électrification et robinetterie (33 %) ainsi que des digues anti-sel (33 %). On

constate également la présence des investissements sanitaires (4 %). En somme, les investissements

pouvant servir à la vie économique ne sont que de 9 %. Ceci corrobore l’idée que la volonté des

53 Source : entretien avec le directeur de l’école.

126

populations est avant tout le confort matériel. Et l’on peut ajouter que, dans ce domaine, aucun projet

n’a encore été financé. L’accent est également mis sur la culture et le sport (4,9 %) qui joue à peu

près le même rôle que l’école puisque le Congrès de l’Association de Développement d’Affiniam se

plaint que « depuis quelques années, nos équipes de football engagées dans diverses compétitions

organisées au village comme à Dakar sont souvent éliminées de manière prématurée, inattendue,

inexplicable »54 : on y insiste lourdement sur la nécessité de mettre sur pied des équipes compétitives

ouvrant des perspectives de carrière à des jeunes.

54 Rapport du Congrès créant l’Association de Développement d’Affiniam, 13 et 14 août 2001

127

128

En somme, pour le moment, l’Etat a commencé à installer la robinetterie et l’électricité dans certains

villages, comme à Tendouck, Boutégol, Mangagoulack où l’on trouve un forage. A Mangagoulack, le

forage a été installé par la Banque Islamique de Développement ; il a enfin commencé à fonctionner

en 2004. On a donc ici quelques exemples de projets d’assistance aux populations.

La digue anti-sel peut également être considérée comme un projet d’assistanat. Délaissant

l’apport agricole de ce projet, nous pouvons nous intéresser au paiement des hommes en nourriture.

Et au-delà, c’est toute l’action du PAM* qui peut être remise en cause : la carte 23 nous fait la

présentation de l’action du PAM dans le Blouf, avec les types d’interventions et le tonnage, ainsi que

les personnes concernées. Cette carte a été établie d’après croisement avec les informations données

sur le terrain par les « pointeurs » chargés de faire l’appel des travailleurs chaque jour à la digue. Ainsi

à Diatock, 206 hommes sont inscrits, qui travaillent deux jours dans la semaine pour recevoir chaque

jour 3,5 kilos de riz, 1 litre d’huile et des haricots. Cela fait presque, dans un mois, 30 kilos de riz par

personne ! Une telle situation soulage des conséquences de la mondialisation et permet donc de

légitimer le système qui se met en place.

En fin de compte, le retour des bailleurs de fonds ne change rien au système qui est en train de

se mettre en place. Bien au contraire, il le renforce, privilégiant les dépenses de confort matériel et de

scolarisation, accroissant donc par la même occasion la fonction de lieu de repos, de ressourcement

qui affecte les villages. La décision, lorsque nous étions présent sur le terrain, du Programme National

d’Infrastructures Rurales, le PNIR*, financé par l’USAID*, de s’installer dans la communauté rurale de

Diégoune, va renforcer cet état de faits puisque le PNIR s’appuie fidèlement et fort logiquement sur le

Plan Local de Développement. Le PNIR devrait s’étendre à toutes les communautés rurales en

2006… Il semble évident, une fois de plus, que le système est en pleine croissance et va être amené

à donner sa pleine mesure dans les années à venir.

23. Enjeux de la scolarisation et conséquences démographiques

Par tous ces exemples glanés un peu partout dans le Blouf, nous avons pu donner des

indicateurs clairs et précis capables de montrer combien le système traditionnel préexistant, qui avait

été grandement modifié dans l’avalanche de mutations subies au cours du XXème siècle, avait été

renversé pour laisser place à un nouveau système, fondé sur l’espoir dans l’extérieur, qui justifie

l’impression d’attentisme laissé par les populations locales. Il s’agit à présent de mieux comprendre

les enjeux de ce système et les conséquences sociales qu’il entraîne, avant de se préparer à l’étude

des conséquences spatiales.

129

231. De la scolarisation à la scolarisation

Comparaison des taux d'alphabétisation de la Communauté rurale de Mangagoulack et du Sénégal

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

Sénégal CR Mangagoulack

Taux d'alphabétisation des hommes

Taux d'alphabétisation des femmes

Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=100) - UNICEF, 2000 pour le Sénégal

Graphique 19

Le fort taux de scolarisation du Blouf est difficile à mesurer. On peut également se fonder sur le très

révélateur taux d’alphabétisation (graphique 19). On le voit, on a déjà les héritages d’une ancienne

scolarisation qui se répercute sur les populations locales. La politique actuelle de scolarisation a

d’importantes conséquences sociales. Le PLD de la communauté rurale de Balingore nous montre

que « le CEM [de Balingore] accueille l’ensemble des élèves de la communauté rurale reçus en

classe de sixième »55. La possibilité pour les élèves de poursuivre jusqu’à la troisième, si l’on ajoute à

cela des réhabilitations de classe, des programmes de renforcement des capacités pédagogiques des

enseignants, la mise en place d’écoles maternelles, renforce encore plus la possibilité des élèves de

réussir leurs études. On peut observer sur le graphique 20 le taux de réussite des écoles du Blouf à

l’entrée en sixième : une partie des écoles sont très bien placées. Les autres sont souvent des écoles

qui viennent d’être implantées ou des écoles privées en déclin. Ces mesures et ces évolutions vont

dans le sens d’un exode rural croissant des jeunes en raison de la poursuite d’études au lycée,

souvent à Thionck-Essyl, doté depuis peu d’un lycée, à Bignona ou au lycée Djignabo à Ziguinchor.

La carte 24 nous montre pour chaque village le nombre d’élèves partis au lycée dans les personnes

interrogées (on a ramené, par pondération, à 10 personnes la population interrogée par village). De

plus en plus d’élèves parviennent aux études supérieures, l’université Cheikh Anta Diop (UCAD) de

Dakar se développant. Le document 20 retrace l’histoire d’une Amicale des élèves et étudiants de

Boutégol qui vient de se créer à l’UCAD* pour développer la solidarité entre ces élèves dont le

55 Cabinet MSA et Associés (2003), Communauté rural de Balingore, Plan Local de Développement, Ziguinchor.

130

131

nombre augmente. Ce qui permet de plus en plus aux ressortissants du Blouf d’émigrer à l’étranger :

à Balingore, 185 membres du village vivent actuellement en Europe !

Taux de réussite à l'entrée en sixième des écoles du département de Bignona

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100%

En rouge, les écoles du BloufConception et réalisation : J. Parnaudeau -

IGARUNSource : IDEN

Graphique 20

Document 20 : l’Amicale des Elèves et Etudiants de Boutégol.

L’Amicale est née en 2004, initiative de cinq étudiants à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, qui avaient en commun d’être issus du même village. La vie d’étudiant à Dakar étant extrêmement difficile, ils ont jugé bon de se regrouper. Cette naissance intervient en réponse à l’augmentation de l’effectif des étudiants issus du village : ils sont une trentaine d’étudiants dans l’Amicale et une cinquantaine en tout avec les élèves. Leurs objectifs sont nombreux, le principal étant d’arriver à faire décoller un jour le village : ils sont en effet amenés à être l’élite des natifs de Boutégol. Pour le moment, leur aide se limite à des cours de vacances dans l’école primaire de Boutégol, auprès des enfants depuis le Cours d’initiation (CI, au-dessous du CP) jusqu’à la troisième. L’Amicale, séparée désormais de celle des Elèves et Etudiants de Tendouck, vise également à permettre aux étudiants à Dakar de passer leurs études dans de bonnes conditions. Ces étudiants doivent payer des transports, parfois même un logement. Les chambres universitaires sont attribuées en fonction du mérite en théorie ; en réalité, les jeux d’influence perturbent ce fonctionnement, de même que pour les bourses. C’est pourquoi les étudiants qui ont obtenu une chambre aident les autres en les logeant avec eux. L’Amicale parvient aussi à payer des tickets de restaurant universitaire pour le matin, le midi et le soir en période de révision, afin que le travail de révision s’effectue dans de bonnes conditions. A plus long terme, elle souhaite louer une chambre à proximité de l’université, où pourraient loger environ six étudiants.Si c’était encore à prouver, on aurait là un témoignage criant de l’importance de la scolarisation et des études dans le système socio-économique Diola.

Source : entretien à l’UCAD avec le bureau de l’AEEB*.

La conséquence en est un exode temporaire qui devient définitif : il est évident que plus la

diplôme augmente, plus l’on est amené à travailler en ville. Mais plus l’on a un bon diplôme, plus,

également, l’on a de revenus à transférer au village. Le graphique 21 fait la comparaison entre

revenus transférés depuis l’Europe, depuis Dakar, Ziguinchor et Bignona au total. L’Europe est bien

placée malgré le petit nombre de personnes qui y vivent. Mais on constate également que, plus les

ressortissants sont nombreux, plus ils sont organisés, et plus, finalement, ils sont à même d’investir

dans leurs propres villages. Et ils investissent surtout dans l’éducation… Ce qui renforce, finalement,

132

le fonctionnement de ce système et permet de l’entretenir. Car les ressortissants ont également un

espoir, celui d’être soutenus lorsque, à leur tour, ils viendront passer leur retraite au village.

Total de l'argent reversé aux familles interrogées en fonction de la provenance dans la Communauté rurale de Mangagoulack

0

500

1000

1500

2000

2500

Dakar

Ziguinc

hor

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Bignon

a

Gabon

Kolda

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Provenance du transfert

Arg

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A)

Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=100)

Graphique 2156

232. La vie en ville, l’espoir d’une retraite au village

La plupart des ressortissants interrogés, en effet, nous ont déclaré, que ce soit à Dakar ou à

Ziguinchor, vouloir revenir au village passer la fin de leur vie. Nous avons même pu constater que la

plupart des gens se considéraient en ville « de passage », bien que certains y fussent depuis plus de

vingt, voire trente ans, et installés dans de belles maisons. Tous nous ont dit qu’ils envoyaient de

l’argent à leur famille et accueillaient ses enfants, avec l’espoir de leur réussite, afin que plus tard, ils

puissent être aidés à leur tour lorsqu’ils reviendront au village. Le témoignage de Lamine Sambou,

secrétaire de l’Association des Ressortissants de Boutégol à Ziguinchor, est particulièrement

intéressant. De son côté, il souhaite revenir au village, mais à la condition que les projets y soient

réalisés, afin d’avoir tout de même, en plus des avantages de la vie rurale, le minimum du confort

matériel, eau et électricité, téléphone et route en bon état. On peut se demander, après cela, si

l’emploi du terme de « villégiature » est si mal employé que cela : le processus semble analogue à

celui qui, en France, affecte la classe d’âge des 60 à 70 ans qui rachètent des maisons en pleine

campagne, mais souhaitent également un confort urbain… La différence est qu’un autre facteur entre

en jeu, qui est celui du coût de la vie. Malgré la diminution des récoltes, on peut encore se procurer

56 L’absence de la France s’explique par l’absence d’envoi d’argent chez les personnes interrogées, celles-ci étant généralement d’anciens fonctionnaires et touchent donc une pension, qui rend inutile l’envoi d’argent de leurs enfants. Il y a tout de même 7 personnes en France dans les familles des personnes interrogées.

133

nombre de denrées à bas prix, le poisson y est moins cher que partout ailleurs, les fruits sont

gratuits…

Mais, quelles qu’en soient les raisons, ce retour au village est significatif que, malgré tout,

l’exode rural ne signifie jamais tourner le dos au village. L’endogamie, le regroupement dans les

quartiers urbains des ressortissants d’un même village donnent l’impression d’être au village même

lorsque l’on est à Dakar. Nous avons eu l’occasion de passer une semaine dans le quartier des

Parcelles Assainies, chez des ressortissants de Mangagoulack, et nous avons pu juger de cet esprit

communautaire chez les Diola. A tel point qu’il est peut-être dépassé de parler d’exode rural ; peut-

être faudrait-il mieux parler, avec un peu d’audace, d’un « village multi-local », à l’image de Michael

Lambert (in Diop, 2002) Cela nous montre combien les logiques s’emboîtent et que chaque lieu de ce

« village multi-local » a sa fonction.

On pourrait finalement penser que cet exode rural a vidé les villages de leur substance. En

réalité, les implications démographiques de ce système permettent le maintien d’une population.

233. Les conséquences démographiques

Nombre d'enfants par personne interrogée

2

1

3

1

8

11

7

12

10

11

10

7

16

0

2

4

6

8

10

12

14

16

18

0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20

Nombre d'enfants

% d

es

pe

rso

nn

es

inte

rro

es

Conception et réalisation : J. Parnaudeau - IGARUNsource : enquêtes 2005 (n=100)

Graphique 22

Nous ne pouvons nous fonder que sur l’enquête pour évaluer les caractères démographiques

de l’arrondissement de Tendouck. Le graphique 22 nous montre le nombre d’enfants par personne

interrogée. Il est assez difficile de comparer ces chiffres avec l’Indice Synthétique de Fécondité du

Sénégal, qui est de 4,9 : beaucoup, en effet, sont célibataires ou trop jeunes pour avoir eu beaucoup

134

d’enfants. Le graphique 24 montre le nombre d’enfants par personne mariée : la moyenne se situe

entre 5 et 7 enfants.

Nombre d'enfants par personne mariée dans la Communauté Rurale de Mangagoulack

0

2

4

6

8

10

12

0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 et plus

Nombre d'enfants

Eff

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f d

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erso

nn

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nte

rro

gée

s

Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=76)

Graphique 23

Nombre d'enfants des plus de 50 ans dans la Communauté Rurale de Mangagoulack

0

0,5

1

1,5

2

2,5

3

3,5

4

4,5

5

0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 et plus

nombre d'enfants

Eff

ecti

f d

es p

erso

nn

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nte

rro

gée

s

Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=100)

Graphique 24

135

Enfin, le graphique 24 nous montre le nombre d’enfants par âge de la population interrogée.

On constate que les plus de cinquante ans, ceux qui en théorie n’auront plus d’enfants, ont en

moyenne 7 enfants… On est au-dessus de la moyenne du Sénégal, très sensiblement. Cela traduit un

système également très défavorable à la limitation des naissances : l’objectif étant d’avoir des enfants

ayant un bon travail pour permettre les transferts d’argent et la retraite, il vaut mieux en avoir plus et

avoir ainsi plus de chances de réussite. Sans avoir plus de précisions sur la structure de la population,

en raison de l’impossibilité d’obtenir des statistiques fiables sur les résultats du recensement de 2002,

on peut du moins présumer que la moitié de la population a moins de 15 ans ; les 20 à 30 ans forment

très probablement le maillon faible de la pyramide, tandis que l’on va trouver une certaine proportion

de 40 à 55 ans avant que la proportion des plus âgés ne se délite en raison d’une espérance de vie

qui reste basse.

C’est donc un autre corollaire d’un système fondé sur l’extraversion et la réussite des enfants

en ville que ce dynamisme démographique très fort. Il sauve heureusement les villages d’un déclin

démographique trop rapide qui les mènerait à la disparition progressive. On trouve, c’est évident, des

maisons qui restent vides ; parallèlement, le taux de natalité très important permet de maintenir un

niveau de population intéressant. Cela oblige également à sans cesse renforcer les capacités

d’accueil des enfants scolarisés, ce qui est déjà plus vicieux.

Les conséquences sociales de ce nouveau système sont donc visibles à travers le

renforcement de la scolarisation et donc des départs, le renforcement des transferts d’argent, le

renforcement également des liens entre ville et village et finalement la mise en place d’un village

« multi-local » où chaque partie joue son rôle précis. On peut dire que le village joue donc à la fois un

rôle de lieu de retraite, de villégiature, mais aussi de réservoir démographique. Cette transformation

du rôle, de la fonction du lieu villageois est un point central de notre étude.

On peut se demander, dans une dernière partie sur cette analyse de la mise en place d’un

nouveau système, quels sont les facteurs qui entravent un développement d’une autre manière.

3. Des mutations irréversibles ?

On pourrait penser, en effet, que les changements liés à la mondialisation, qui ont affecté le

Blouf et ont déterminé la mise en place de ce système, pourraient tout aussi bien être tempérés par

des éléments perturbateurs. En réalité, c’est une organisation, une structure qui, bien que nouvelle,

est remarquablement bien en place. Aussi, malgré la possibilité d’autres types de développement, les

logiques d’enchaînement des conséquences les entravent. Plusieurs causes peuvent être invoquées :

en premier lieu, la détérioration des capacités humaines dans les villages ; ensuite, l’augmentation

croissante et corrélative des cultures vivrières ; enfin, et c’est un point tout aussi essentiel, le

renforcement d’une forme de pression sociale villageoise qui encourage le renforcement de ce

système et empêche le développement, de manière rationnelle, de projets qui pourraient être porteurs

d’un dynamisme économique endogène.

136

31. L’ampleur de la désaffection

Ce que nous nommerons ici « désaffection » désigne à la fois le départ des forces vives du

village, en même temps que la détérioration progressive de l’image des villages comme capables de

générer des entreprises créatrices de richesse sur place. En effet, le dynamisme urbain des villages

incite de plus en plus à rejoindre « ce village-là » plutôt que de rester dans « ce village-ci ». Ce qui fait

que le retour au village dans la force de l’âge est souvent mal vécu par les populations, qui sont donc

moins en mesure de lancer leurs propres projets de développement.

311. Le village à la ville : un remarquable dynamisme urbain

De nombreux facteurs expliquent ce dynamisme des ressortissants villageois à la ville.

Premièrement, le nombre de jeunes est impressionnant. Outre les enfants de ceux qui sont exilés

depuis longtemps en ville, on trouve les élèves des villages qui, toute l’année, étudient en ville ; pour

la plupart, les jeunes de 18 à 20 ans sont lycéens. Ajoutons tous ceux qui font l’apprentissage d’un

métier, faute de n’avoir pu réussir à l’école, et ceux enfin qui ne font rien. Un recensement fait par les

ressortissants de Boutœum à Ziguinchor donne une population de 95 % d’élèves… Une dynamique

s’installe entre jeunes gens déjà bien scolarisés et alphabétisés, d’une certaine éducation, montant de

nombreuses associations culturelles, sportives, avec un lien social extrêmement fort. A la limite, on

peut presque penser que le dynamisme démographique des Diola serait plus fort en ville ; en tous les

cas, il est certain qu’il est plus facile de trouver un conjoint en ville que dans les villages. Le

regroupement de ces jeunes, une autre raison, procède d’une certaine solidarité villageoise. Et le

système du tutorat leur permet d’avoir un toit et le repas, et donc de pouvoir vivre décemment.

Un autre facteur de ce dynamisme est l’emploi. Nombre de Diola que nous avons rencontré en

ville sont « en fonction », administratifs, enseignants ou policiers : c’est le propre de cette ethnie que

de réussir aux concours administratifs, et plus encore depuis que se développent les projets à l’endroit

des écoles dans le Blouf. Le développement économique du Sénégal, fortement soutenu, il est vrai,

par les projets de construction liés aux financements extérieurs, permet la création de nouveaux

emplois, sans cesse, de chauffeurs, administrateurs, mais aussi, plus bas dans l’échelle sociale, de

menuisiers, menuisiers métalliques et surtout maçons ou mécaniciens. Or si l’emploi se développe en

ville, les activités économiques périclitent dans les villages. En somme, la solidarité et le lien social

deviennent aujourd’hui plus forts en ville qu’au village : la vie à l’intérieur du Blouf est donc souvent

vécue pour un jeune comme une mise à l’écart.

137

312. Rester : une situation d’échec ?

On peut résumer cette idée dans un seul exemple qui nous a été fourni par le président de la

section des ressortissants de Boutœum à Dakar. Il a en charge un fils de son frère décédé. N’ayant

pas voulu travailler malgré les pressions de sa famille, celui-ci a été renvoyé au village, auprès de sa

grand-mère, pour un « examen de conscience ». Comme si le fait de revenir au village alors que l’on

est jeune était une tare, ou un état transitif dont on veut se débarrasser au plus vite… Le document

21 donne l’exemple de trois personnes interrogées qui ont dû revenir au village pour des raisons

diverses, de maladie par exemple, et qui n’attendent que de revenir en ville. La plupart des hommes,

comme on l’a vu déjà, ne sont revenus au village que pour s’occuper, qui de leur maison, qui de leur

famille : là encore, trois exemples sont donnés dans le document 22. En fait, l’organisation familiale

est ainsi faite que ceux qui réussissent sont chargés de faire vivre leur famille, tandis que ceux qui ont

échoué ont pour mission de rester au village pour tenir la maison et permettre un soutien physique et

affectif aux parents, avant qu’ils ne décèdent. Système bien huilé dans lequel chacun a sa place,

enfants peu doués comme enfants doués, et où les vieillards trouvent aussi leur compte. Quant aux

femmes, la plupart sont au village par le mariage, soit qu’elles aient épousé un homme qui a dû

revenir au village, soit qu’elles ont elles-mêmes échoué en ville. Encore que les femmes qui ont un

travail que l’on peut qualifier de définitif en ville soient très rares : le graphique 25 montre, pour les

femmes qui ont déjà vécu ailleurs, le métier qu’elles ont fait. Peu ou pas du tout ont eu un métier lié à

la scolarisation. L’emploi majoritaire en ville est celui de « ménagère de domicile », de « bonne ». Le

retour est donc aussi pour elles le résultat d’une situation d’échec.

Document 21 : Trois exemples d’un retour au village non souhaité en attendant de revenir à la ville.

Elle réside à Djiloguir, quartier d’Affiniam, mais est née à Ziguinchor. Encore jeune et toujours célibataire, elle est revenue au village de ses parents, Affiniam, en 2004. Auparavant, elle a vécu quatre années à Dakar, comme ménagère de domicile, avant qu’une de ses voisines ne la fasse venir à Kafountine pour aider dans un restaurant. Mais elle a eu un enfant, ce qui l’a obligée à revenir. Elle ne fait rien au village et n’attend que de pouvoir repartir.

Elle est aussi d’Affiniam, mais du quartier de Badjimeul. Toute jeune, elle aussi est née à Ziguinchor mais la maison des ancêtres est là. Après avoir passé toute son enfance à Ziguinchor, elle a travaillé pendant trois ans comme ménagère de domicile à Dakar… Avant d’avoir son premier enfant et de devoir revenir, à la mort de sa mère, s’occuper de son père qui lui-même vivait à Ziguinchor. Il est revenu au village pour sa retraite de professeur de lycée. Elle aussi attend le moment de repartir, de pouvoir se marier ; elle aide à la maison et fait du jus de citron en attendant.

Elle est d’une autre concession, toujours à Badjimeul. Après avoir passé 5 ans chez sa grande sœur à Ziguinchor, lors de ses années de collège, elle a arrêté les études car elle a eu un enfant. Elle a ensuite travaillé à Dakar dans un salon de thé, mais la maladie l’a fait revenir au village. A la mort de sa mère, elle s’est retrouvée seule dans la maison, tous ses frères et sœurs étant à Dakar ou à Ziguinchor. Elle a dû rester, n’ayant comme activité que le jus de citron. Ses frères et sœurs paient la culture du riz et ont permis de cimenter entièrement la maison. Un instituteur est venu s’installer dans la maison avec sa sœur ; elle n’est donc plus seule, mais ne souhaite que repartir à Dakar.

Sources : enquêtes 2005

Document 22 : Trois exemples d’un retour au village lié au besoin de s’occuper des parents

Il habite à Nianguef, un quartier de Diatock. Après avoir vécu pendant 21 ans à Dakar, où il a appris la couture et travaillé comme couturier, il a du revenir au village sous la pression de ses frères, à la mort de son père, en 2000, pour soutenir sa mère. Il vit au village aujourd’hui, à 38 ans, en faisant du maraîchage ; il a commencé une pépinière et d’adonne parfois à la culture de l’arachide et du mil. Il a en charge aussi certains fils de ses frères.

Il vit dans le quartier de Baskande, à Boutœum. Il est allé jusqu’en troisième secondaire. Puis il a appris la mécanique et travaillé à Dakar pendant cinq ans ; ne trouvant plus de travail, il s’est retrouvé sans ressources, logé aux frais de sa famille. Il a dû alors revenir au village s’occuper de sa mère, avec laquelle il vit ainsi que sa femme et ses deux petites filles, partageant son travail entre récolte de l’arachide et récolte du vin de palme.

Il vit dans un autre quartier de Boutœum, Sambounsilué. Lui aussi est allé jusqu’en troisième, à Bignona. Il a ensuite appris la menuiserie avant d’aller travailler à Velingara comme menuisier. Mais il a dû revenir pour s’occuper de ses vieux parents, à

138

qui ses frères et sœurs envoient de l’argent. Il lui reste la pêche, l’arachide, qu’il pratique pour la consommation. Il est aussi l’un des menuisiers du village.

Sources : enquêtes 2005

Emploi en ville des femmes ayant déjà vécu ailleurs dans la Communauté Rurale de Mangagoulack

Jamais vécu ailleurs6%

Enfance3%

Couturière10%

Elève13%

Femme au foyer19%

Ménagère de domicile49%

Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=31)

Graphique 25

Cette vision doit toutefois être tempérée. En effet, les villageois au village ne sont globalement pas

malheureux de leur sort. La plupart même sont très contents de vivre sur place, et cela se comprend

en partie : matériellement, ils sont de mieux en mieux aidés par leur famille partie vivre en ville ;

moralement, ils sont les garants du maintien d’une forme de vie au village et ils en sont très fiers. Ce

qui n’empêche pas que la population restée au village soit peu encline à développer des projets

économiques.

313. La faiblesse structurelle de la population sur place

D’abord, du fait de la structure de la population que l’on a tenté de mettre en évidence à travers

l’esquisse (intuitive il est vrai) d’une pyramide des âges, on peut considérer qu’il manque au village les

catégories de population les plus à même de développer les ressources sur place, c’est-à-dire les

jeunes. Ensuite, ce sont les catégories les moins scolarisées, celles qui ont réussi le mieux, qui

restent au village, à quelques exceptions près ; Bassirou Sambou, président de la Communauté rurale

de Mangagoulack, en est une. On peut évaluer cette idée grâce au graphique 26 qui observe la

corrélation entre niveau d’études et projets personnels pour améliorer son niveau de vie. Il est évident

que le premier influe sur les seconds. En fin de compte, malgré un niveau d’études malgré tout assez

élevé des populations (graphique 27) par rapport au reste du Sénégal, la population est fragile et

parfois hostile aux projets en raison bien souvent de l’échec en ville, qui fait douter de ses propres

139

capacités à développer des activités économiques, et de l’âge élevé de ceux qu’on appelle ici des

« jeunes », la catégorie de population qui a le plus souvent 35 à 55 ans…

Niveau d'études et projet personnel dans la Communauté rurale de Mangagoulack

0%

20%

40%

60%

80%

100%

Analphabète CP, CE1 CE2, CM1 CM2, CFEE 6e, 5e,4e 3e,2de,1re Terminale et Bac

niveau d'études

pro

jet

pe

rso

nn

el

Non

Oui

Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=100)

Graphique 26

Niveau d'études des personnes interrogées dans la Communauté rurale de Mangagoulack

Analphabète24%

CP, CE12%

CE2, CM18%

CM2, CFEE31%

6e, 5e,4e9%

3e,2de,1re22%

Terminale et Bac4%

Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=100)

Graphique 27

On le voit, il paraît difficile d’inverser la tendance au vu du nombre des chaînes de

conséquences qui affectent le système. Le village est le lieu où l’on revient en cas d’échec. Donc la

140

ville est le lieu de la réussite. Schéma classique de la ville-mirage qui a toujours fait fortune dans ce

que l’on appelait autrefois « le Tiers-Monde ». D’autre part, les activités économiques déclinent, donc

encouragent l’exode rural, qui entraîne un dynamisme en ville à l’origine d’un attrait urbain renforcé,

qui accroît encore l’envie d’exode. C’est un mécanisme désormais bien connu, et ces éléments

d’explication des facteurs limitant les autres évolutions ne sont pas les seules : on peut stigmatiser

également une hausse nécessaire des dépenses.

32. L’augmentation des dépenses villageoises

Il semblerait, en effet, que depuis quelques années les dépenses vivrières augmentent

considérablement. Nous devons nous placer pour comprendre cet état de faits dans le contexte d’une

diminution progressive des forces vives capables d’entretenir les zones de culture et de cultiver la

terre en quantité suffisante, ce qui nuit à la production vivrière, en même temps qu’une augmentation

de la quantité d’argent disponible dans les familles qui permet, de plus en plus, de se procurer des

denrées moyennant finance.

321. La fin des cultures vivrières

Durée de consommation du riz local dans la Communauté rurale de Mangagoulack

Pas de consommation7%

1 jour - 2 semaines4%

2 semaines - 1 mois39%

1mois - 3 mois26%

6 mois - 9 mois2%

9 mois - 11 mois2%

Toute l'année12%

3 mois- 6 mois8%

Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=100)

Graphique 28

Le graphique 28 est stupéfiant, puisqu’il semble montrer une quasi-disparition de la

consommation de riz local dans les villages : en effet, 39 % des personnes interrogées mangent ce

riz-là pendant un mois ou moins. On peut stigmatiser une année assez mauvaise ; le document 23,

issu du Programme Alimentaire Mondial, nous montre qu’en moyenne dans la région de Ziguinchor,

on est autosuffisant pendant huit mois de l’année en riz. Mais on est tombé à deux mois dans une

141

année très mauvaise. Cependant, la baisse de la main-d’œuvre oblige nécessairement à ne cultiver

plus que la partie supérieure des anciennes rizières qui est, bien entendu, la partie la plus sensible

aux aléas du climat. La baisse de la pluviométrie catalyse donc un processus d’essence avant tout

anthropique. Beaucoup d’enquêtes réalisées nous ont démontré également combien la diminution des

quantités disponibles devenait structurelle : cela fait déjà plusieurs années pour certains, bonne ou

mauvaise année, qu’ils doivent se contenter d’une production de riz équivalente à un mois de

consommation familiale. Cela dépend toutefois des villages (carte 25) : on voit que dans certains

villages comme Affiniam, Boutœum et Djilapao, la moyenne de la durée de cette consommation

augmente. Cela ne remet pas en cause la diminution des cultures vivrières : à Djilapao, c’est la

diminution des bouches à nourrir qui permet cela ; à Affiniam, c’est l’augmentation du paiement des

cultures et de la prestation de service, qui entraîne de toute manière l’augmentation des coûts…

Document 23 : L’autosuffisance alimentaire moyenne des régions du Sénégal et la situation en 2002

RégionAutosuffisance céréalière en année

normale Autosuffisance 2002

Dakar 1 mois 1 moisSaint Louis 4 mois 1 mois et demi

Louga 6 mois 1 moisThiès 6 mois et demi 4 mois

Kaolack 8 mois et demi 6 moisKolda 8 mois et demi 5 mois

Ziguinchor 8 mois et demi 2 moisDiourbel 9 mois 4 moisFatick 9 mois 4 mois

Tambacounda 9 mois 4 moisSource : Gouvernement du Sénégal, Programme Alimentaire Mondial (2003), La vulnérabilité structurelle à l’insécurité alimentaire en milieu rural, Dakar.

Photographie n°45 : le riz Diola s’épuise…des gerbes pour un mois seulement dans ce grenier de Mangagoulack

(cliché J.P.)

142

143

Nous en arrivons ainsi, petit à petit, à une situation où le riz Diola fait figure de réserve. Lorsqu’on en

possède, on ne le mange pas et préfère le capitaliser, de sorte qu’il en reste toujours un peu pour les

cérémonies. Mais, d’une année sur l’autre, il en reste de moins en moins dans le grenier

(photographie n°45), tandis qu’auparavant on réussissait à en avoir de plus en plus. Le Blouf, qui

était une terre où pourtant les rizières étaient parmi les plus abondantes de toute la Casamance, est

donc finalement, peu à peu, en train de devenir un « grenier vide » pour reprendre la comparaison de

Sylvie Brunel (1986) entre l’Asie aux « greniers pleins » et l’Afrique aux « greniers vides »…

322. Des dépenses alimentaires en forte hausse

Nombre de sacs de riz thaï chaque année par les personnes interrogées dans la Communauté rurale de Mangagoulack

Aucun8%

Moins de 5 sacs8%

5 à 7 sacs10%

8 à 11 sacs15%

12 à 14 sacs35%

15 à 19 sacs10%

20 sacs et plus14%

Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=100)

1 sac = 50 kilos

Graphique 29

La diminution progressive des stocks vivriers a pour conséquence directe une augmentation

des achats de denrées issues de l’importation. Le graphique 29 illustre ce phénomène à travers la

proportion de la population en fonction du nombre de sacs de riz achetés chaque année. On constate

que l’achat d’un sac de riz, soit 50 kilos, par mois, est de plus en plus répandu chez tout le monde. Or

un sac coûte 11500 francs CFA, ce qui donne un coût de 132000 francs57 par an. Nous avons essayé

de voir combien de personnes pouvaient se payer seulement cela avec leur rémunération (graphique

30) : devant l’ampleur des difficultés économiques, il devient assez clair que ce sont les ressortissants

qui ont à supporter l’effort de ces nouvelles dépenses. Il semblerait même que les apports des

ressortissants soient minimisés en raison de « lacunes » mais qui peuvent s’expliquer aussi par la

vente de bétail, le travail aux digues anti-sel… Dépenses auxquelles s’ajoutent, bien entendu, l’achat

de « condiment », c’est-à-dire de poisson, auprès de pêcheurs locaux : la plupart des femmes en

achètent un kilo par jour, ce qui fait à peu près 73000 francs par an. On arrive donc, pour les simples

dépenses alimentaires, aux alentours de 200000 francs… Les plats locaux, notamment le fitefou,

57 200 euros.

144

préparé à base de palmistes avec lesquels on fait une sauce rouge très riche pour accompagner le riz,

disparaissent au profit du plat de riz et poisson d’une triste monotonie. On pourrait même croire que

l’augmentation des dépenses de santé, que l’on ne peut quantifier mais que beaucoup nous ont laissé

entendre, pourrait être lié à ce manque de richesse et de variété dans la nourriture, et à l’introduction

dans les organismes d’un riz importé du Vietnam ou de Thaïlande, si l’on n’observait pas également

l’augmentation des infrastructures de santé. Avec la mise en place d’un dispensaire à Tendouck,

beaucoup se font soigner plus souvent, ce que l’on faisait très peu auparavant.

Part de la rémunération des activités au village dans la dépense totale des personnes interrogées

De 0 à 25 %29%

De 50 à 75 %11%

De 75 à 100 %10%

Plus de 100 %29%

De 25 à 50 %21%

Conception et réalisation : J. PARNAUDEAU - IGARUNSource : enquêtes 2005 (n=100)

Graphique 30

Quoi qu’il en soit, l’augmentation de ces dépenses a des conséquences extrêmement

dramatiques pour les villages. Une somme de 200000 francs58, uniquement pour se nourrir, est très

difficile à trouver sur place pour pouvoir nourrir toute une famille ; s’il n’y avait pas l’exode, personne

ne pourrait supporter l’augmentation importante de ces dépenses. Mais on pourrait penser aussi,

évidemment, que s’il n’y avait pas l’exode, il n’y aurait peut-être pas cette chute des récoltes

vivrières… C’est une évolution que le Blouf aurait pu connaître. L’histoire en a décidé autrement.

323. Un état de faits qui pousse à privilégier l’avenir des enfants

C’est donc un frein de plus, un facteur limitant de plus au maintien des activités dans les

villages, que l’augmentation de ces dépenses de santé. C’est même l’une des grosses limites de ce

système que l’on peut qualifier de « mondialisé » : pour beaucoup, à la limite, l’exode rural n’est pas

grave en soi à partir du moment où le lien entre ville et village perdure et que continuent à se

transmettre les revenus depuis les jeunes à Dakar jusqu’aux anciens du village. Néanmoins,

l’observation de cette augmentation des dépenses ainsi que de la vie au village en général, puisque

58 300 euros.

145

nous avons eu la chance de vivre, au total, pendant presque un mois et demi au sein des villages,

nous montre une véritable détérioration de la qualité de vie de ce point de vue. Le riz que l’on mange

provient du PAM* ou de l’importation, et les rares fois où nous avons eu à goûter au riz Diola, nous

avons pu sentir la différence de qualité… Plus encore, la diminution avérée des récoltes, à mettre en

relation avec une ferme croyance des villageois en l’essence climatique des problèmes rencontrés59,

oblige, à la limite, les jeunes à partir en ville. Du fait également de la diminution des activités

rémunératrices, les vieux à présent obligent plus ou moins leurs enfants à partir dans la mesure où ils

leur demandent d’exercer une activité qui puisse rapporter suffisamment.

Avec la mise en place des organisations paysannes dans les années 1980, les villages, très

dynamiques, se plaçaient dans une logique d’endiguement de l’exode rural. A tout prix, il fallait retenir

les jeunes au village à travers la promotion des activités agricoles de type maraîchage, arboriculture,

apiculture… Il semble que ce soit une époque lointaine. Peu de gens, aujourd’hui, stigmatisent l’exode

rural, à l’exception de certaines personnes instruites qui attribuent ces maux à l’obligation de gagner

de l’argent, en montrant le décalage entre des villages au potentiel énorme, mais totalement désertés

par des projets qui prennent en compte ce potentiel, et la présence à Dakar ou ailleurs de nombreux

cadres issus du village – le tout étant le produit d’une même logique – qui auraient les moyens de

générer un important développement au village mais qui ne le font pas. D’abord parce qu’ils doivent

rester en ville s’ils veulent conserver un travail qui paie convenablement. Ensuite parce qu’ils

subissent une pression telle, entre le tutorat et la nécessité de renvoyer l’argent au village, qu’il ne leur

reste plus d’argent en fin de mois…

En effet, la pression sociale venant des villageois, et qui s’exerce sur ces populations urbaines,

est très importante. Or cette pression entretien un comportement spécifique et pas forcément

rationnel, mais qui contribue au renforcement d’une certaine limitation de la capacité des populations

à monter des projets de développement. Nous avons donc un dernier facteur limitant toute autre forme

d’évolution, que l’on peut qualifier de facteur sociologique au sens où il est issu de la nécessité de

renforcer les liens entre le village et sa partie urbaine.

33. Les vecteurs du renforcement des liens entre villes et villages

Comme on va le voir, ces vecteurs se fondent sur des traditions ancrées depuis longtemps mais

qui reprennent sens et corps pour défendre un nouveau système. Conséquence de la mondialisation,

certaines traditions vont se perpétuer en raison même de leur utilité au sein de la société Diola dans le

Blouf. Ainsi, la culture du riz, qui pourrait disparaître totalement, se poursuit, à notre avis, pour des

raisons totalement sociologiques. De même que certaines cérémonies animistes et que certains

comportements que l’on pourrait penser totalement irrationnels mais qui se comprennent à la lumière

de ces éclaircissements.

331. Elèves en vacances et vieux parents cultivent ensemble le riz

59 Cette baisse de la pluviométrie se ressent dans la diminution du niveau des nappes dans le plateau, le raccourcissement de la période d’hivernage, des pluies de plus en plus irrégulières, la diminution du nombre de jours de pluie, et de moins bonnes récoltes de riz et d’arachide, qui ne doivent pas masquer le rôle prépondérant des facteurs humains.

146

La culture traditionnelle du riz est un phénomène qui se poursuit malgré une quasi-disparition

des rizières cultivées. On s’acharne, coûte que coûte, à défendre dans les derniers lopins restants,

une culture rizicole, en sachant pertinemment toutefois que le travail n’engendrera qu’une maigre

récolte. Le retour traditionnel des élèves pour les grandes vacances, de août à septembre, entraîne

une croissance de la population d’environ 50 à 100 %. Elle a pour corollaire une augmentation des

dépenses en hivernage, parfois compensée par la venue d’un travailleur, mais pas forcément. Il est

évident qu’en contrepartie, les élèves se voient contraints de travailler aux champs ; c’est un

phénomène universellement reconnu. Même si les jeunes arrivent trop tard pour la préparation des

champs et trop tôt pour les récoltes, mis à part pour les variétés hâtives, ils sont chargés

d’accompagner leurs parents en rizière. Cette contribution n’a pas beaucoup d’utilité économique,

mais son utilité sociale est chargée de sens : les jeunes en effet, dans l’esprit de la société Diola,

doivent savoir cultiver le riz pour demeurer eux-mêmes des Diola. Plus encore, c’est la seule manière,

aujourd’hui, de montrer aux jeunes la nécessité de venir en aide à leurs aînés : une façon de leur

signifier que, plus tard, ils auront intérêt à ne pas délaisser leurs vieux parents qui resteront au village,

voire qui y reviendront.

Et l’on pourrait presque dire qu’aujourd’hui, la culture rizicole ne peut plus se comprendre que

par ce bord sociologique. Sinon, comment expliquer que l’on fasse de si grands efforts pour une

culture qui ne rapporte rien, ou presque, puisque le riz ne sera pas mangé pendant l’année, sauf aux

cérémonies et aux moments importants de la vie ? Comment expliquer la demande unanime des

villageois en digue anti-sel ? Cette demande de protection, aux organismes internationaux comme à

leurs propres enfants, ne peut donc se comprendre que dans l’optique d’une culture éducative, et

même nécessaire socialement, puisque, selon les mots de Bassirou Sambou, « parler de la

Casamance sans parler de riz… »60.

Cette pression sociale est présente, on la voit à travers la culture du riz ; mais on peut

également, une fois que l’on a compris quelle forme elle pouvait prendre, trouver dans beaucoup

d’autres faits sociaux propres aux habitants des villages des formes de pression sociale, toutes

dirigées dans un même but : asseoir le système sur une solidarité entre la vie rurale et la vie urbaine

des villages.

60 Voir l’entretien en annexe.

147

332. La pression sociale du village sur les « exodés »

A travers les entretiens avec les ressortissants des villages, qu’ils soient à Dakar ou à

Ziguinchor, on peut prendre la mesure de cette pression dans tout ce qui est dit de manière informelle.

Le développement des télécentres dans les villages entraîne d’ailleurs une communication renforcée

et plus directe entre les membres des familles qui sont éparpillés. De sorte que la pression apparaît

renforcée et ce d’autant avec le renforcement des moyens routiers. Ajoutons que, de plus en plus, les

liaisons entre Casamance et Dakar seront renforcées du fait de la signature des accords de paix en

décembre 2004, et des multiples accords signés avec des partenaires étrangers ; c’est ainsi que,

durant notre séjour, le Maroc a envisagé la mise en place d’une nouvelle liaison maritime Dakar-

Ziguinchor, interrompue depuis le terrible naufrage du Joola en septembre 2002. Les villageois ont

donc de plus en plus d’occasions de communiquer avec leurs ressortissants. Le tutorat est une

première forme d’aide à laquelle ils sont tenus de se plier : première forme de pression. Toute

personne du village envoyée en ville doit être hébergée par la famille. Bien évidemment, une

personne qui travaille en ville est très mal vue si elle n’envoie pas à sa famille une partie de son

salaire. Mais il y a encore les formes de pression « collective », qui s’expriment lors des Congrès qui

réunissent une fois l’an l’association du village et ses sections de ressortissants, ou par la voix des

autorités du village, qui demandent à leurs ressortissants de s’investir dans tel ou tel projet.

Photographie n°46 : la danse de l’initiation de Tendouck à Ziguinchor : la culture Diola, ciment social, a bien sa place dans le

système socio-économique mondialisé (cliché J.P.).

A ces formes de pression extrêmement directes, mais qui ont pour conséquence de rappeler

aux « exodés », tels qu’ils sont appelés là-bas, leur rôle dans les rouages du système, s’ajoutent des

pressions beaucoup plus larvées. Celles-ci peuvent s’appuyer sur des pratiques traditionnelles,

ancestrales, qui nous donnent à penser que la mondialisation et ses conséquences ne s’expriment

pas toutes par la brutale chute dans le modernisme mais par une subtile alchimie des éléments

modernes et traditionnels. L’exemple le plus frappant est la perpétuation de la cérémonie de l’initiation

dans les villages. Rite animiste, alors même que le Blouf ne possède plus, ou presque plus,

148

d’animistes, il consiste pour chaque village, tous les vingt-cinq ou trente ans, à réunir l’ensemble de

ces enfants qui n’ont pas participé au rite la dernière fois ; pendant quelques jours aujourd’hui et non

plus des semaines comme avant, on va les initier à la culture Diola. Or les ressortissants doivent s’y

soumettre aussi : à Tendouck et Boutégol, on est en train de préparer l’initiation de 2006. Nous avons

eu la chance, à Ziguinchor, d’assister à l’une des danses préparatoires (photographie n°46) qui

montre, d’abord, que les ressortissants des villages sont en très grand nombre, et ensuite, surtout,

que le village fait tout pour que ses enfants n’oublient pas leurs racines et sachent quel est leur devoir

vis-à-vis de leurs villages.

333. Un comportement irrationnel mais socialement nécessaire

On peut toutefois se poser des questions sur la valeur rationnelle de ce comportement qui vise

par tous les moyens à mettre en place sur le dos des « fils prodigues » du Blouf une pression sociale

de plus en plus importante. Il amène en effet des pratiques qui ne peuvent se concevoir que

socialement, mais qui dans leur utilité économique n’en ont que peu : la pratique rizicole occupe les

populations villageoises, et surtout les femmes dont on sait qu’elles sont extrêmement déterminantes

en matière de projets de développement économique, pendant toute la durée de l’hivernage. C’est-à-

dire que, durant les trois ou quatre mois où il pleut le plus, toute l’attention des villageois est

concentrée sur une culture qui ne rapporte pas d’argent et dont l’évolution, conjuguée au processus

de mondialisation, fait qu’elle ne rapporte quasiment rien au moment de la récolte. Quoi de plus

irrationnel ? On pourrait cultiver d’autres denrées, commercialisables celles-là, et profiter de la

pluviométrie pour avoir un travail facilité. En y mettant autant de cœur que pour la culture du riz, une

personne pourrait gagner de quoi remplir son grenier en sacs de riz thaï… Ainsi, il paraît tout à fait

inintéressant, pour les populations du Blouf, de continuer cette culture dans le contexte de l’exode

rural et de la diminution de cette production.

Mais la sociologie, depuis Durkheim qui a montré combien l’homme était un « animal social »,

nous apprend que le manque de rationalisme économique des hommes se compense par une logique

sociale. La culture du riz est irrationnelle mais conserve une utilité sociale extrêmement forte. On peut

même dire que la culture rizicole est la clé de voûte de ce système, puisque comme on l’a vu, elle est

le ciment social, le lien essentiel entre la jeunesse, scolarisée et dynamique, la future élite des

villages, et les anciens, vénérables, garants de l’ordre éternel. Un ordre que l’on tente, malgré les

évolutions de la vie sociale et économique, de faire perdurer, et qui finalement trouve assez bien sa

place dans le système.

En fin de compte, on a pu juger par ces exemples de l’extrême cohérence du système. C’est ce qui

nous fait dire, parfois, que l’entrée par l’étude des processus issus de la mondialisation donne du sens

à ce qui apparemment n’en a plus, met une logique et ordonne des processus qui semblent

totalement distincts. Cette solidité s’exprime par la mise en évidence de multiples facteurs tendant à

accroître les forces en mouvement dans le fonctionnement des villages du Blouf. Là ou certaines

évolutions, certaines logiques en marche pourraient être contrariées par certaines volontés, d’autres

logiques, issues de ce système, et en apparence fort éloignées, s’empressent d’emboîter le pas aux

149

premières pour en renforcer la valeur. Il en ressort l’impression d’une mécanique bien huilée et qui

fonctionne à merveille, à tous les niveaux.

Conclusion : des impacts majeurs sur la vie au village

Nous avons pu juger ici, par conséquent, des éléments du nouveau système et de leur étroite

imbrication dans des logiques qui ont tendance à modifier en profondeur la vie économique et sociale

des villages du Blouf, et particulièrement de la communauté rurale de Mangagoulack, qui fut le lieu de

notre enquête. Nous avons essayé à la fois d’apporter des preuves de nos hypothèses sur le

fonctionnement de cette partie de la Casamance, mais aussi des éléments montrant tous les impacts

de ce fonctionnement nouveau qui est le fruit de la conjonction des héritages et du processus de

mondialisation. Nous avons cherché à montrer enfin comment ces impacts contribuaient à leur tour à

un renforcement du système en place, si bien que l’on peut parler à la manière des systémologues de

« rétroactions positives » qui risquent à terme « d’emballer » le fonctionnement de ce système lorsqu’il

sera dépassé par sa propre évolution. Mais il ne s’agit pas de faire des prévisions. L’important est de

comprendre comment les mutations actuelles observées dans le Blouf sont sous-tendues par une

logique, rationnelle au moins socialement lorsque ce n’est pas économiquement, et qu’elles entraînent

à leur tour des conséquences importantes sur la vie des villages.

Nous avons commencé ce travail de mémoire comme un géographe et c’est comme un géographe

que nous le terminerons : car il est évident que nous ne pouvons laisser de côté les conséquences

spatiales de telles évolutions. Telle était bien, d’ailleurs, notre ambition : celle de montrer comment la

géographie infléchit les mutations socio-économiques liées à la mondialisation, et comment ces

mutations, pour boucler la boucle, ont à leur tour des répercussions spatiales. Ces implocations dans

l’espace joueront à leur tour, à n’en pas douter, un rôle dans d’autres mutations socio-économiques

lorsque le monde changera encore : elles ont déjà commencé puisqu’elles contribuent comme on l’a

vu, à travers la salinisation des terres, au renforcement de l’exode rural. C’est en cela que notre travail

peut raisonnablement se placer sur le terrain d’une étude géographique.

150

TROISIEME PARTIE

Où la mondialisation influence la géographie

Introduction : une spatialité bouleversée par ces mutations

Il s’agit ici de prendre la mesure de l’ensemble des conséquences spatiales de ce système.

L’étude nous montre des mutations extrêmement profondes depuis une vingtaine d’années. Il y a

énormément à dire, à tous les niveaux, sur l’évolution géographique de la zone. C’est pourquoi notre

étude se portera d’abord sur les espaces anciennement cultivés en rizières, avant d’observer

l’évolution sur les plateaux, aux abords des villages et plus loin. La zone « basse » de la mangrove et

du poto-poto, la vase noire de ces zones marécageuses, et la zone « haute » des terres gréseuses et

latéritiques du plateau, ont toujours été distinguées par les géographes (notamment Pélissier, 1966) et

c’est ainsi que nous procéderons également. Un dernier point sera consacré aux perspectives, qui

entrent plus ou moins dans une étude des conséquences de la dynamique mondialisatrice dans le

Blouf ; même si nous y reviendrons plus longuement en conclusion générale, il s’agira là de voir

comment ces évolutions spatiales, conjuguées aux évolutions sociales et économiques, mises en

lumière, peuvent nous permettre de dégager pour l’avenir quelques grands traits d’analyse de ces

perspectives. On se place ici dans une optique de géographe du développement, peut-être futur

acteur, qui espère que cette étude servira à pointer les faiblesses d’un tel système.

1. Dans les zones basses, une riziculture larvée et symbolique

On a eu à l’évoquer tout au long de ce mémoire : les zones de mangrove, mises en culture

depuis très longtemps, ont eu à subir depuis les années 1950 les contrecoups de toute une

dynamique d’exode rural, dans un contexte d’internationalisation puis de mondialisation. Depuis

quelques années, elles subissent carrément les impacts d’un système nouveau, qui a encore

augmenté la puissance de cette dynamique. Malgré tout, on a constaté que cette culture, pour l’ethnie

Diola, était essentielle, d’un point de vue culturel comme d’un point de vue social. On va donc voir ici

comment, à la lumière de l’ensemble de ces mutations que l’on appellera socio-économiques, la zone

du Blouf qui correspond à la mangrove rizicultivée a évolué, cette fois de manière très concrète, en

observant le recul des rizières, mais aussi en observant les conséquences de mutations liées à la

même logique, qui encouragent la mise en place de digues pour sauver la riziculture. On envisagera

enfin les nouveaux usages et les perspectives à long terme de la mangrove.

151

11. Le recul jusqu’à quasi-disparition des parcelles rizicoles cultivées

Nous nous sommes fondés pour l’analyse géographique du recul des rizières sur le maximum

de documents que nous avons pu trouver ; malheureusement, il semblerait que les photographies

aériennes soient très anciennes, et du reste pas utilisées. Nous avons pu nous en procurer une

auprès de l’association un, peu utile mais que nous avons tenté de confronter avec notre observation

sur le terrain. Pour le reste, on se fonde essentiellement sur l’étude photographique et les dires des

populations.

111. Les parcelles rizicoles occupent aujourd’hui la mince bande des terres les

moins fertiles

Photographies n°47 et 48 : deux exemples de rizières en friche : les terroirs de Mandégane (à gauche) et d’Affiniam (à droite).

Clichés J. P.

La littérature scientifique consacrée à la Casamance avait déjà évoqué depuis longtemps un

certain recul des terres rizicoles les plus profondes (Chéneau-Loquay, 1995). Comme dans certains

pays d’Europe occidentale, à l’apogée de la pression sur les terres, on s’était aventuré sur les terres

les plus lointaines pour cultiver le riz, au prix d’efforts considérables : le défrichement d’une mangrove

beaucoup plus haute et solide que dans les parties plus élevées et la nécessité d’élever les digues les

plus hautes. A la différence de l’Europe occidentale, ces parties étaient les plus rentables, grâce à

l’abondance de l’eau et à la présence des sols les plus lourds. Mais P. Pélissier (1966) fait remarquer,

sur la photographie n°7, d’anciennes rizières reconquises par la mangrove. Il s’agissait à l’époque

plus de légères fluctuations démographiques que de véritable déclin ; en revanche, le phénomène a

largement pris de l’ampleur dans les années 1980. « Auparavant, nos ancêtres cultivaient jusqu’au

bolong » nous a dit un vieux de Mangagoulack. Ce déclin, s’il a affecté les parties les plus profondes,

s’est poursuivi et l’on peut désormais parler de culture résiduelle pour évoquer les rizières. La plupart

de celles que nous avons rencontrées sont à l’état de friche ou salinisées (photographies n°47 et

152

48) ; même s’il s’agit d’une simple observation qui n’a pas été suivie d’une étude précise, faute d’outils

pour la réaliser, nous avons été suffisamment présent sur le terrain pour nous en rendre compte ; et

d’autre part, il est clair qu’une telle observation montre que l’on ne peut plus parler de « civilisation du

riz » lorsqu’un observateur extérieur constate cette quasi-disparition de la riziculture.

Il en résulte une observation simple : les rizières se situaient auparavant dans la partie située

entre le bolong et le plateau où les villages étaient groupés, ou bien dans des « dépressions en doigt

de gant » (Pélissier, 1966), causées par la présence d’une entaille dans le plateau où la vase s’était

déposée. On constate dans les deux cas un recul. Dans les « doigts de gant », les rizières se massent

désormais sur les parties les plus hautes, tout autour du plateau ; dans les parties entre bolong et

plateau, les rizières se massent également tout en haut. Le document 24 représente, à travers un

bloc-diagramme, ce phénomène. Nous l’avons repéré sur la photographie n°49 : retravaillée pour

153

faire apparaître les différentes strates, elle nous montre que les rizières (ici à Mangagoulack)

n’occupent plus parfois qu’une bande d’une centaine de mètres entre des zones très ensablées,

conséquences des forts déboisements du plateau, et des zones en friche. Les zones salinisées

viennent encore après. La principale cause de ce recul, « géophysiquement parlant », est une

progression de la langue salée. On a pu constater que cette progression était, bien entendu, le fruit

des mutations socio-économiques qui ont affecté le Blouf.

Photographie n°49 : les rizières désormais cultivées occupent une mince bande, comme ici à Mangagoulack avec les

travailleurs de la digue (cliché J. P.)

112. Digues abandonnées et progression de la langue salée

154

Photographie n° 50 : des digues à l’abandon en arrière de la mangrove, totalement salinisées (cliché J. P., à Mangagoulack).

Il est extrêmement simple, en s’aventurant un peu dans la mangrove, en utilisant les chemins

pris par les pêcheurs pour se rendre jusqu’à leur pirogues, ceux que prennent les femmes pour aller

aux huîtres ou à la récolte du bois de chauffe, ou même en prenant une pirogue comme nous avons

eu l’occasion de le faire, de trouver les traces d’un ancien finage (photographie n°50) qui nous

montre très nettement la progression des zones salinisées : la photographie regarde vers le plateau ;

la mangrove se situe entre le plateau et cet ancien finage. On imagine, entre les palétuviers et le

contact avec la « forêt » – en fait la zone de contact, beaucoup plus boisée que la brousse – le finage

actuel : une toute petite bande de terre où l’on cultive quelques lopins. Cette photographie, prise à

Mangagoulack, aurait pu l’être n’importe où : à part les terroirs autour de Thionck-Essyl et d’Affiniam,

tous les villages ont connu cette régression en fonction de la progression de la langue salée. Mais par

« progression », il faut entendre « retour » : là où, sur la photographie, se développe en ce moment la

mangrove, ce sont des espaces qui, vierges de toute occupation humaine, étaient déjà occupés par

ce type de végétation. En somme, le biogéographe parlerait de retour à un « climax » pour désigner

cette progression aux dépens des zones rizicoles.

155

Photographie n°51 : La digue de la fondation Jean-Paul II à Mangagoulack, vestige d’une époque où les villageois

cultivaient le riz jusqu’au bolong, est tombée en ruine (cliché J. P.)

Ce retour est rapide, très brutal. Il semblerait en effet que cette dislocation du finage ne soit

intervenue que depuis les années 1980. On en a la preuve avec la présence, à Mangagoulack, des

vestiges d’une digue anti-sel repérée lors d’une excursion dans les bolons (photographie n°51). Elle

a été construite dans les années 1980 avec l’aide de la fondation Jean-Paul II61. Le résultat est que,

faute d’entretien, elle n’a servi à rien, soit-disant parce que c’était mal fait. En fait, comme beaucoup

d’autres projets de l’époque, il s’agissait d’un espoir que l’on pourrait peut-être parvenir à sauver les

activités en place : espoir déçu. La digue a rompu en plusieurs endroits, sous les coups de boutoir de

la marée mais aussi à cause de l’éternel problème du manque d’entretien. L’exemple montre bien,

d’une part, le changement qui s’est opéré dans les dynamiques socio-économiques depuis ces

années-là, d’autre part, géographiquement, le recul de la riziculture, et enfin, la brutalité de ce recul.

Nous devons observer le cas spécifique des zones qui sont moins concernées par la

salinisation, en raison d’une certaine étendue de leurs surfaces rizicoles. Ce n’est pas par hasard que

nous en tenons compte : l’idée est de montrer que la salinisation n’est pas l’unique cause de ce

déclin.

113. Quand les rizières ne sont pas salinisées : jachère ou culture payée par les

ressortissants

Dans notre étude, les zones les moins salinisées concernent les villages d’Affiniam, Boutœum

et Djilapao, les seules concernées par la micro-région que constitue le Blouf – et d’où l’on a exclu le

finage de Thionck-Essyl – qui soient véritablement en mesure de cultiver des terres sans digues. La

configuration du terrain a en effet permis ici la présence de vastes zones rizicoles – base, du coup,

d’un très profond enracinement, dont nous reparlerons quand nous évoquerons les disparités inter-

villageoises – et l’on pourrait penser, en reprenant les dires des habitants qui accusent la salinisation

de la disparition des rizières, que le riz aurait pu prospérer au moins là. En vérité, comme on l’a

constaté, peu de gens même dans ces villages arrivent à faire toute l’année avec ce riz : cette fois,

c’est le manque de bras qui est à prendre en considération. Dans ce cas, il n’y a que deux solutions :

ou bien payer une « association de travail », généralement des jeunes gens désireux de financer

quelques projets de vacances, fêtes, « navétanes » ou tournois de football, mais cela suppose une

bonne assise familiale en ville pour soutenir ce paiement ; ou bien laisser la terre en « jachère », ce

qui évite la peine de la fumer, mais provoque du même coup la réduction du terroir. Ceux qui

parviennent tout de même à cultiver pour toute l’année sont ceux qui ont peu ou pas de famille à

nourrir. C’est le cas à Djilapao où l’on ne trouve pas d’école. Du coup, ces espaces paraissent

également peu ou prou abandonnés (photographie n°52).

61 Selon Younousse Sambou, notre guide et interprète

156

Photographie n°52 : à Djilapao, le gâchis de vastes rizières non cultivées (cliché J. P.)

Ayant obtenu, grâce à l’association un, une excellente mais ancienne photographie aérienne de

ces trois villages que sont Affiniam, Boutœum et Djilapao, nous avons tenté à partir de la carte IGN au

1:50000e, datant des années 1950, de représenter les rizières telles qu’elles s’étendent sur la carte et

l’étendue que nous estimons par l’observation (document 25). Ceci n’est en aucun cas un document

scientifique, mais permet au moins de comprendre le processus progressif de rétractation de la

culture rizicole, même dans les zones où les rizières étaient, traditionnellement, en fort déclin. On se

rend compte de l’ampleur du recul, et surtout on comprendra pourquoi il faut véritablement parler

d’une culture résiduelle, ou d’une culture qui a quasi disparu.

Mais nous devons toutefois considérer que, si son étendue spatiale comme économique a

fortement régressé dans le Blouf, la culture du riz conserve toutefois son rôle social. Il semblerait

même, à la limite, que la culture en elle-même n’a pas une importance considérable : ce qui compte,

c’est plutôt le fait de cultiver ensemble. Toutes les tentatives de modernisation de la pratique rizicole

ont échoué et ce n’est pas un hasard : seule l’utilité sociale du riz compte. C’est peut-être ce qui a

incité à la vague extrêmement récente, donc liée au nouveau système, de construction des digues

anti-sel dans le Blouf.

157

12. L’apparition des digues anti-sel témoigne d’un système qui manque

de rationalisme

158

Nous n’avons pas parlé, avant cette dernière partie, de la mise en place partout dans le Blouf,

au niveau des bordures du plateau, de digues anti-sel. La carte 26 nous montre leur localisation dans

le Blouf ainsi que l’effectif des travailleurs. On constate que la Communauté Rurale de Mangagoulack,

notre laboratoire, a été la plus touchée par ce phénomène. Nous avons préféré compter ces digues

comme une composante spatiale et non un phénomène socio-économique, ce qu’elle est également :

nous allons donc envisager leur étude comme celle d’un objet géographique. Leur consacrer cette

partie ne relève en aucun cas de la curiosité intellectuelle pour un objet nouveau : il s’agit de montrer

en quoi la présence de ces digues renforce l’idée de l’importance sociale de la riziculture.

159

160

121. La mise en place des digues anti-sel

Photographie n°53 : la construction des digues utilise des moyens très rudimentaires (cliché J. P., à Diatock).

Si l’on se place du point de vue des faits, on observe que ces digues sont nouvelles,

nombreuses, qu’elles ont « poussé » toutes en même temps, ou du moins entre 2002 et 2004

généralement, dans les villages du Blouf, et surtout dans la communauté rurale de Mangagoulack. Le

même principe régit la construction de toutes ces digues : il est extrêmement simple (photographie

n°53). Les hommes creusent la terre au pied de la digue, ils la remontent à la force des bras et à

l’aide du kadiandou ou d’une pelle à long manche, tandis que d’autres façonnent la digue avec cette

lourde terre de mangrove qu’on leur remonte. Le résultat est assez surprenant (photographie n°54),

avec des ouvrages parfois très imposants. En fait, la majorité des hommes valides vient régulièrement

travailler à la digue, comme l’indiquent les effectifs très importants relevés auprès des pointeurs de la

digue et que nous indiquons sur la carte 27. Ils sont parfois appuyés par les femmes, qui apportent

les coquillages nécessaires à la consolidation de ces digues. Les ouvrages se situent à peu de

distance du rebord du plateau généralement, parfois même tout au bord comme le montre la

photographie n°55 prise de la mission catholique d’Elana : l’espace y est minimal pour les rizières.

161

Photographies n°54 et 55 : les digues anti-sel sont des ouvrages imposants, comme à Djilapao (à gauche) mais ne permettent pas de récupérer des terres (à droite) : à Elana, elle se situe au niveau du contact avec la mangrove (cliché J. P.)

La mise en place des digues anti-sel émane de l’ONG GRDR*, qui est en même temps un

bureau d’études, et a été l’objet de longues réflexions lors du montage du Plan Local de

Développement. C’est à la demande des populations qu’a été proposé l’appui du GRDR, en

partenariat avec le Programme Alimentaire Mondial : les premiers devaient fournir le capital technique

et les seconds le paiement des travailleurs en nourriture et le financement des ouvrages permettant

162

163

l’écoulement de l’eau (photographie n°56), c’est-à-dire les vannes. L’objectif de ces constructions est

assez simple, de même que leur principe. On souhaite avant tout arrêter la progression de la

salinisation des terres, avant d’essayer éventuellement de regagner des terres sur celles qui ont été

salées. La digue reprend le principe des digues ancestrales décrites par P. Pélissier en 1966, hautes

d’environ un mètre, qui utilisaient elles-mêmes des vannes traditionnelles faites d’un tronc de rônier

évidé que l’on bouchait ou débouchait. La différence est que ces vannes sont désormais modernes,

en ciment et en zinc, que les villageois sont payés pour construire. Les rizières qu’elles protègent ont

de moins en moins vocation de permettre aux populations de se nourrir.

Photographie n°56 : les vannes de la digue anti-sel de Mangagoulack (cliché J. P.)

122. Un apport extérieur et tardif, pour sauver une culture résiduelle

Il peut paraître curieux, à la lumière de tout ce qui a été dit auparavant, de constater un tel

phénomène, non pas épisodique et clairsemé mais véritablement répandu à l’échelle de tous les

villages. Ce n’est pas la première fois que des digues anti-sel sont construites pour tenter de stopper

la fameuse « remontée salée », comme on l’a vu avec la première digue de Mangagoulack ; à

Affiniam, la construction avait débuté en 1993 avec l’aide d’un autre partenaire, l’association Tara le

Requin62, mais ne s’était pas poursuivie. Et d’autres projets de digues ont été relevés dans quelques

villages du Blouf pour les années antérieures ; mais jamais ce phénomène n’avait eu l’ampleur qu’on

lui connaît. Comme par hasard, c’est un projet qui arrive en même temps que tous les autres, que

cette vague de projets qui dans les années 2000 fait partie du nouveau « système » et contribuent à

en renforcer les logiques. On peut donc légitimement se poser la question d’une remise en cause des

observations antérieures en étudiant ces projets, qui représentent un tiers du budget d’investissement

sur trois ans de la Communauté rurale de Mangagoulack (graphique 19) au moins pour le total de

l’intervention sur les zones basses, et 180 millions de CFA63 pour les seules digues : cela ne

témoigne-t-il pas d’un nouveau dynamisme du riz ?

62 Selon J.-P. Glotin, président de l’association un.63 270000 euros.

164

Au vu de tout ce qui a été mis en relief, il paraît difficile de croire en un tel phénomène.

Toutefois, les faits sont là. Et les villageois croient véritablement que les digues anti-sel vont aider à un

nouveau souffle au niveau de la dynamique des villageois. Bassirou Sambou, dans l’entretien en

annexe, montre son enthousiasme par rapport aux digues : « si les digues sont en place, ça peut

contribuer positivement à un relèvement des rendements au niveau de l’agriculture »64. En réalité, les

digues ont été construites, non pas loin pour récupérer des terres, mais peu ou prou au niveau des

terres que l’on cultivait encore il y a un ou deux ans. Plus encore, on se rend compte que sans digues,

si la situation actuelle perdure, les villageois perdront totalement leurs rizières. Car toute rizière doit

être protégée ; « dans le temps, trente ans ou quarante ans plus tôt, il y avait suffisamment de bras

dans les villages, les gens pouvaient faire des digues sans problème ». La nécessité des digues anti-

sel est donc essentiellement fondée sur la nécessité de conserver une parcelle de vie rizicole dans les

villages. Le maintien d’une forme de reproduction sociale en dépend. Comme le dit Philippe Ngor

Dione (2004) : « le Diola cultive le riz et on est tenté de dire qu’il en a besoin parce que sans lui, il

perdrait son identité sociale et ethnique » (Dione, 2004, p.57). Sans compter que cela permet de

conserver un petit grenier ; non pour la nourriture ordinaire, dans la plupart des villages, mais pour les

cérémonies. Or, pouvoir participer encore aux cérémonies par son riz est essentiel pour

l’appartenance sociale de l’individu à l’ethnie Diola.

Comme on le voit, le fleurissement de ces digues s’intègre dans la logique du système : et plus

encore quand on sait que les travailleurs sont payés pour les construire.

123. Les paradoxes d’une rémunération en vivres

Document 26 : les digues anti-sel dans la Communauté rurale de Mangagoulack

VILLAGE Début de la construction

Nombre d'hommes y travaillant

Nombre de femmes y travaillant

Nombre de kilos de riz reçu par

personne et par jour

Nombre de litres d'huile reçus par

personne et par jour

Nombre de kilos de

lentilles reçus par personne

et par jour

Boutégol 2003, décembre 69 88 3 1 2

Mangagoulack 2003, novembre 62 64 2,5 1 1,5

Diatock 2003, décembre 206 0 3,5 1 2

Elana 2004, septembre 126 162 2,5 0,5 1,25

Bodé 2003, octobre 50 0 1,5 0,25 0,5

Boutoeum 2004, août 148 0 3 1 2

Djilapao 2004, septembre 51 61 6 puis 3 1 puis 0,75 2,5 puis 1

Affiniam 2003, novembre 250 250 5 1,5 3

Sources : entretiens avec les pointeurs des digues – février 2005

En effet, le Programme Alimentaire Mondial (PAM*) apporte à chaque villageois qui travaille à la

digue, pour une journée, une quantité de riz, d’huile et de lentilles ou de haricots qui peut varier en

64 Entretien avec Bassirou Sambou. Voir annexe.

165

fonction des réserves dont dispose le PAM et de l’ancienneté des travaux (cela a tendance à

diminuer). Le document 26 donne, sous la forme d’un tableau et pour chaque village de la

communauté rurale de Mangagoulack, le nombre de travailleurs, la quantité reçue pour chaque

denrée et le nombre de jour de travail, en plus de la date du début de la construction (d’après les

différents pointeurs rencontrés dans les villages). On voit que, vu le nombre de travailleurs et la

quantité qui est donnée en échange des travaux, et malgré une quantité faible et qui tend à diminuer,

l’apport n’est pas si faible que cela : un travailleur qui se rend deux fois par semaine à la digue obtient

en moyenne une trentaine de kilos de riz par mois. S’il en achète cinquante par mois, ce sont les trois

cinquièmes de ses dépenses qui sont offertes par le PAM !

Cette constatation sert simplement à mettre le doigt sur le côté un peu pervers de la

construction des digues : la rémunération permet de soulager du coût de certaines dépenses en

denrées alimentaires. Parallèlement, elle est donnée en échange d’un travail qui vise – en théorie – à

augmenter les récoltes de riz ; mais faciliter l’obtention des vivres contribue encore à moins cultiver,

ou plutôt à avoir moins besoin de ces digues pour survivre. Cela renforce encore l’idée, d’une part

d’un certain attentisme qui fait qu’on ne prend des projets de développement que le côté matériel, et

d’autre part de l’inutilité économique de la construction des digues. Dorénavant, les villageois

survivent grâce au riz importé.

Ne nous trompons donc pas de fonction quand on observe et que l’on cherche à comprendre

les digues anti-sel : il s’agit bel et bien de sauvegarder, plus qu’une agrculture, une culture. Et une

identité qui a sa place dans le système socio-économique modernisé, mondialisé, qui change peu à

peu et de plus en plus rapidement le visage du Blouf. Dans les zones basses, ce système l’affecte à

travers la disparition des rizières, mais aussi la construction des digues, conséquence également de la

mondialisation de l’assistance humanitaire ; mais il change également les usages de ces zones

basses, peu à peu recouvertes par la mangrove.

13. De nouveaux usages pour les zones basses

Les espaces vaseux, où remonte cycliquement la marée salée qui envahit les eaux de

l’estuaire de la Casamance et les marigots qui le bordent, voient donc leur paysage se transformer

peu à peu. Lentement et irrémédiablement, les rizières qui ont longtemps fait la fierté des « Diola

Boulouf » disparaissent. Il reste derrière les rizières des zones complètement salées, et plus bas des

mangroves qui peu à peu regagnent du terrain. Or, ces espaces sont de plus en plus utilisés,

désormais, à d’autres fins que la riziculture. Ils deviennent même les espaces en réserve, qui

cristallisent beaucoup d’activités.

131. Une anthropisation croissante des bolons : pêche, transport, tourisme

Même si la pêche ne recouvre pas les zones anciennement vouées à la culture, on peut la

considérer comme ayant un impact croissant sur des zones basses comme le sont ces espaces. Il

s’agit cependant des espaces aquatiques proprement dits, des bolons envahis d’eau salée et formant

166

un enchevêtrement de bras entre des espaces vierges, envahis par des forêts de palétuviers. Or le

développement de la pêche à des fins commerciales, locales, provoque une intensification de l’activité

aux abords des zones de plateau. Il ne faut pas oublier que le tiers de la surface du Blouf est occupé

par ces zones basses, et ce serait donc occulter un tiers du terrain dans l’étude si l’on ne s’en souciait

pas. D’autant que ces effets que l’on observe dans cette zone sont fortement corrélés avec les

mutations socio-économiques dans l’arrondissement de Tendouck. En effet, les bolons sont affectés

par la présence croissante des bateaux : des petites pirogues de pêche aux grosses pirogues de

transport (photographie n°57) en passant par les voiliers européens, insolites au milieu du village de

Djilapao (photographie n°58), que l’on peut voir au large des marigots.

Photographies n°57 et 58 : deux exemples d’anthropisation du bolong : la multiplication des pirogues de transport (à gauche, celle d’Affiniam) et des voiliers dans le marigot de Bignona (à droite, à l’arrière-plan, à Djilapao). Clichés J.-P. Glotin (57), J. P. (58).

Ces trois types de navigation « fluviale » peuvent être inscrits, toujours, dans une même

logique, celle de la mondialisation. Qu’elle prenne les formes du tourisme, conjugué avec une certaine

mode pour la navigation et l’aventure, les formes d’un apport de devises aux populations, ce qui leur

permet d’acheter du poisson, ou encore les formes d’un transport croissant en raison de la mobilité de

plus en plus grande des populations villageoises, cette logique se fonde toujours sur la prise en

compte des « biens situés », des lieux, du milieu naturel où l’on trouve le poisson, où l’on peut

naviguer, où l’on peut joindre Ziguinchor en une heure trente. Là encore, l’observation des données

géographiques – celles-là sont moins repérables, plus furtives – peut contribuer aussi à la

compréhension des faits, à la condition d’avoir mis en place, auparavant, des clés de lecture.

Un peu plus haut, les terres de rizières, regagnées par la mangrove, sont également l’objet d’usages

de plus en plus importants.

132. Les activités de cueillette dans la mangrove

167

La mangrove, auparavant utilisée par les villageois comme bois de cuisson – dit « bois de

chauffe » quand elle venait d’être arrachée avant qu’on la transforme en rizière, n’a jamais eu chez les

Diola une importance capitale. Composante du terroir et utilisée comme telle, on y récoltait les huîtres

et le bois mort. Désormais, la mangrove est omniprésente, elle représente une partie non négligeable

de l’économie locale. Il faut attribuer cela en partie au retour de forêts de palétuviers, un phénomène

spatial d’essence naturelle autant qu’anthropique, presque au niveau des villages : on vit désormais

beaucoup plus avec la mangrove. Mais il faut aussi prendre en compte une certaine monétarisation de

la société qui fait que, de plus en plus, ce que l’on peut s’y procurer peut aussi se vendre dans le

village. C’est pourquoi les huîtres, traditionnellement l’apanage des « vieilles mamans » pour le CIDS

de Ziguinchor65 comme pour Younousse Sambou, font l’objet d’une récolte croissante qui a fait dire à

John Eichelsheim, président de l’ONG Idée Casamance, à Ziguinchor66, qu’il fallait arrêter cette

dévastation.

On peut prendre également l’exemple du bois de chauffe pour montrer la diversité – et la

diversification – des usages de la mangrove : de plus en plus, les vieilles femmes font appel à des

jeunes hommes qui vont ramasser dans les palétuviers du bois de chauffe, moyennant finance : une

finance facilitée, là encore, par des envois réguliers d’argent depuis l’extérieur. Mais la plus belle

preuve de ces nouvelles formes d’exploitation repose sur la coupe des bois de palétuviers pour la

construction.

133. Un espace sollicité de plus en plus pour la construction

La technique traditionnelle de construction Diola utilise en effet le bois de palétuvier pour la

réalisation des plafonds. On a une illustration de cette technique sur la photographie n°32. En

observant les impacts sur la mangrove de l’usage du palétuvier pour la construction, là encore, nous

sommes en présence de la conséquence géographique d’un usage lui-même résultant d’une logique

socio-économique liée à la mondialisation. La construction, comme on va le constater, est en forte

progression : dès lors, de plus en plus, on a recours à la mangrove pour réaliser les plafonds de ces

nouvelles maisons. Il s’agit la plupart du temps de vastes cases. Cette pratique a tendance aujourd’hui

à avoir des répercussions importantes sur les espaces de mangrove, surtout aux alentours des

embarcadères ; d’autant que ce sont les meilleurs arbres, les plus grands, qui sont utilisés en

construction.

Au total, on constate que le retour de la mangrove dans les zones basses, qui représentent à

peu près 30 % du Blouf, se conjugue à des évolutions socio-économiques qui transforment l’aspect

des forêts de palétuviers. De large zones deviennent nues, se transformant peu à peu en tannes. Il est

intéressant de penser que nous sommes en présence de la conjonction de deux phénomènes socio-

économiques, exode rural et monétarisation, liés entre eux mais qui se retrouvent aussi sur le terrain

du géographe pour en changer le paysage.

65 CIDS (2004), Inventaire culturel et socio-économique dans les villages de Elana et Djivente, Ziguinchor.66 Source : entretien avec les membres d’Idée Casamance, février 2005.

168

La riziculture a donc disparu, ou quasiment disparu, de la surface des zones basses de

mangrove ; cette dernière a repris ses droits, petit à petit. Pourtant, étant donnée la personnalité

particulière de l’ethnie Diola, c’est une culture qui résiste pour des raisons sociologiques : d’où, sur le

terrain, cette spécificité de la mise en place de digues anti-sel pour protéger de la disparition complète

ces espaces. Le document 27 montre par un dessin l’ensemble de ces processus, qui font qu’on se

retrouve aujourd’hui avec quatre strates différentes, quatre types d’espaces différenciés dans ces

zones basses : le complexe rizière-digue ; la zone salinisée, utilisée essentiellement par les femmes

pour la récolte du sel, résultant souvent de l’exploitation intensive de la mangrove ; la forêt de

palétuviers, affectée par la récolte des huîtres et de bois de plafond ; enfin les espaces aquatiques,

lieu d’une présence humaine de plus en plus forte.

Il est intéressant de voir comment les phénomènes spatiaux trouvent leurs fondements dans les

phénomènes socio-économiques et comment, modifiés à leur tour, ils affectent ces derniers par des

réactions spécifiques. Sur le plateau, les évolutions spatiales sont également extrêmement

importantes.

169

2. Les terres du plateau rendues à la brousse et offertes à la

construction

Le processus de la mondialisation, qui a affecté les terres les plus basses au premier chef,

exerce également ses influences et une pression sur les terres gréseuses qui portent les villages et

les cultures dites traditionnellement « sèches ». Le plateau a subi, en effet, les conséquences de la

traite arachidière massive d’une part, de la mise en place du maraîchage et de l’arboriculture d’autre

part, enfin de tous les processus qui ont entraîné le déclin progressif de ces cultures, qui rapportaient

un certain profit mais se sont progressivement délitées. En somme, l’évolution spatiale de ces terres

de plateau est un excellent indicateur des processus en mouvement sur le Blouf. Non seulement il

porte, en effet, les marques d’une ancienne exploitation lucrative qui a progressivement régressé

jusqu’à sa quasi-disparition, mais encore il est désormais de plus en plus occupé par les terrains où

se construisent des maisons. C’est donc un espace-symbole, tout comme l’étaient les terres de

riziculture, où se rencontrent les « deux faces d’une même médaille », pour plagier Paul Vidal de la

Blache : déclin de l’endogène et croissance de l’exogène.

21. La disparition de l’arachide offre un paysage uniforme de

broussailles

Visuellement, c’est indiscutablement l’arachide qui a le plus marqué le paysage, du moins si,

quittant les villages, on s’aventure à travers les chemins plus discrets qui mènent aux anciens

champs. Non seulement elle a contribué, dans le Blouf, à une quasi-disparition des forêts primitives,

mais sa disparition a également permis la mise en place d’un écosystème original, de reconquête.

Cependant, derrière ce monde en apparence abandonné, se cache une multitude d’usages, qui vont

en se multipliant : en effet, il est de plus en plus courant de rechercher les profits sans peine. Et on en

fait plus en brousse, comme dans le bolong, que dans les champs.

211. Sur le plateau, un monde en apparence abandonné

170

Photographie n°59 : villages et rizières de Boutœum, Affiniam et Djilapao.

Nous nous fondons ici sur l’observation de la photographie n°59 pour comprendre

véritablement le sens de ce titre. Elle reprend la photographie aérienne d’Affiniam, Boutœum et

Djilapao, sans y porter d’indications ; la partie claire correspond aux terres de plateau. Comme on

peut le constater, il n’y a véritablement que dans les villages que demeure encore une pseudo-forêt,

qui donne aux villages ce charme des grandes cases endormies sous les fromagers. Au-delà, tout

n’est que brousse. On peut chercher les champs : il y en a ici ou là, placés dans le désordre, et en tout

petit nombre. Le reste a été abandonné et est occupé par une brousse de reconquête. C’est un

espace où l’on ne va jamais la nuit, un lieu que l’on fréquente épisodiquement, où l’on ne fait que

passer à priori.

On peut donc considérer que le processus de mondialisation s’exprime très fortement à travers

ce double mouvement d’extension et de rétractation de la culture de l’arachide dans le Blouf. Là

encore, l’espace est à la fois un support de ces processus et un témoin : il garde la trace des temps

passés. L’arachide a disparu des surfaces cultivées, ou quasiment, même si l’on cultive encore dans

certains villages comme le montrent les statistiques sur la population de la communauté rurale de

Mangagoulack, mais sa trace est encore visible dans le paysage, avec la brousse, l’absence de forêt.

171

Il serait cependant trop succinct de réduire les évolutions sur le plateau à ce double processus, ce

paysage à une brousse abandonnée et l’espace à un lieu de passage. Multiples sont les activités qui

s’exercent sur ce milieu.

212. Une brousse pourtant exploitée intensivement

Document 28 : Les petits métiers que l’on classe dans la catégorie « autres »…

Vente de beignetsRécolte de bois de chauffe

Récolte de bois de palétuviersMenuiserie

Constructeur de toitsConstructeur de plafonds

CharbonnierPuisatier

Tresseur de paniersApiculteur

Vendeuse de crèmesAuxiliaire vétérinaire

Alphabétisation en DiolaMaçonnerie

Cimentation de maisonsJus de citron

CoutureHuile de palmeNoix de palmeNoix d’acajou

Pousses de rônierFruits sauvages

Vin de palme

Source : enquêtes 2005 (n=100).

En effet, la brousse est un lieu de réserve et les populations trouvent souvent là le complément

nécessaire à leur survie. C’est pourquoi il n’est pas rare de rencontrer, à chacun de nos passages en

brousse, ici ou là, un homme armé d’un coupe-coupe qui défriche ou coupe des branchages, sans

que l’on sache trop à quelles fins. Renseignements pris, il s’agit souvent de prendre du bois tout

simplement, ou de défricher une petite parcelle pour y planter des arbres. Nous avons décidé de

mettre au point le document 28 qui établit la liste des petits métiers rencontrés dans les

questionnaires et que l’on a classés dans la catégorie des « autres ». Face à l’augmentation des

dépenses, alimentaires essentiellement, la plupart des habitants du Blouf, généralement les femmes,

si elles abandonnent des cultures par trop pénibles, tentent toutefois de se faire un peu d’argent avec

des travaux qui peuvent permettre de se procurer directement des devises. Nous avons donc ici un

autre exemple de l’exploitation d’un espace lié à des mutations socio-économiques, augmentation des

dépenses mais aussi monétarisation croissante de l’économie. On s’y rend compte que les activités

de cueillette y sont très importantes : on y récolte les fruits sauvages par exemple, les « cabas » ou

les « madds », ou encore le « néré ». La récolte de bois de chauffe également est développée, tout

comme la récolte, encore une fois, de bois de construction puisque c’est le rônier qui est utilisé pour la

charpente et les poutres du plafond. Hommes comme femmes utilisent cet espace, surtout en saison

sèche ; les premiers y défrichent, y coupent le bois pour la construction ou pour bâtir des palissades ;

le bois de chauffe est essentiellement l’apanage de la gent féminine. On utilise également le bois des

fromagers pour y sculpter des pirogues. Au total, la brousse est loin d’être cet espace vierge, inutilisé ;

cependant, l’utilisation humaine y est beaucoup plus furtive que les anciens champs d’arachide.

172

De plus, chaque famille sait exactement où se trouve ses propres terres. Toutes les terres du

plateau sont appropriées, même si elles ne sont pas cultivées depuis dix ou vingt ans, et repassées

en théorie sous la coupe du domaine national : les communautés rurales n’arrivent pas à faire

respecter cela, et n’essaient pas. Nombre de ces familles y développent même des projets, voire des

expériences originales ; c’est donc aussi un lieu où s’exercent des pressions foncières.

213. Le lieu des expériences nouvelles et des nouvelles pressions foncières

Dans la tradition des études menées par les universitaires sur la région et particulièrement sur

le Blouf (Avenier-Sharman, 1987), les zones basses, les zones de rizière sont en général perçues

comme les espaces déclinants, tandis qu’augmentent, sur les espaces voués aux cultures sèches, les

activités génératrices de revenus. Comme nous l’avons vu, ces activités ont décliné à leur tour ; il

n’empêche que la plupart des projets expérimentaux s’exercent aujourd’hui sur les espaces de

brousse, comme le montrent les enquêtes : c’est le cas des activités développées, par exemple, par le

GIE Karonguen Karamba ; c’est également le cas des activités encouragées par l’ONG Entreprise

Works67. Elle développe particulièrement deux volets : l’anacarde, pour en retirer l’amande et la

transformer en gâteaux apéritifs (d’où l’organisation de formations pour ceux qui sont intéressés, de

manière individuelle). L’idée est que la collectivité bénéficiera forcément des initiatives individuelles ;

et le maraîchage hivernal, dont on reparlera.

Ainsi, tout projet nouveau développé par une ONG, qu’il ait ou non une chance de réussir, et

tout projet développé par une personne individuellement touche en général l’espace de la proche

brousse. Malgré les nombreuses faiblesses de ces projets, certains sont développés parce qu’ils

apportent quelque chose aux populations, de manière assistée et sans contrepartie, d’autres parce

qu’ils sont un capital pour plus tard, les arbres par exemple. En fait, on se rend compte que la

brousse, outre une brousse « ex-arachidière », tend à multiplier ses occupations et à devenir un genre

de « fouillis multi-usages ».

La brousse est donc marquée, elle aussi, du sceau des mutations sociales et économiques qui

ont affecté les population depuis près d’un siècle. Par bien des traits, elle porte un visage marqué de

cicatrices, celles de la déforestation et d’une traite de l’arachide. Par d’autres, elle porte les stigmates

du petit peuple Diola qui tente de compenser par des travaux simples et journaliers, exutoires à

l’oisiveté, les manques cruels provoqués par tous les impacts de la mondialisation. Mais le trait

marquant de ces dernières années est le fourmillement de l’arboriculture à demi sauvage, auprès de

périmètres maraîchers ou arboricoles anciens, collectifs, qui ont été abandonnés.

22. Activités maraîchères en friche et développement de l’arboriculture

dans ces friches

La brousse est donc, en fait, un monde extrêmement bien balisé pour l’œil exercé, tandis qu’elle

reste souvent un mystère pour l’étranger : souvent, nous avons été surpris de nous retrouver, aux

67 Source : entretien avec B. Diedhou, coordinateur des projets de l’ONG.

173

dires de nos hôtes, dans une plantation, en ayant l’impression d’être resté dans une zone totalement

inexploitée. L’étude de ces exploitations permet de se rendre compte de deux choses : d’une part la

trace, sur le terrain, d’anciens périmètres maraîchers ; d’autre part, de manière très frappante, la

disparition des projets collectifs au profit d’un fourmillement de projets individuels.

221. Des périmètres maraîchers abandonnés

Photographies n°60 et 61 : le maraîchage collectif disparaît. A gauche, le jardin du PIDAC de Mangagoulack est envahi par les manguiers. A droite, quelques femmes âgées cultivent encore dans le jardin des Amis d’Elana, à l’abandon (clichés J. P.)

L’abondance des anciens périmètres maraîchers, comme des anciens périmètres arboricoles

collectifs, est à l’origine d’une composante structurelle de l’espace du plateau en bordure de village.

Dans chaque village, on trouve déjà un jardin du PIDAC* apparemment inutilisé désormais pour le

maraîchage, comme à Mangagoulack sur la photographie n°60. D’autres villages ont reçu des

projets d’autres organismes et d’autres programmes, avec les mêmes résultats : la photographie

n°61 nous présente le destin de celui qui avait été mis en place par les Amis d’Elana, dans le village

du même nom. L’impression donnée est que l’on est en présence d’une « brousse clôturée ». Ainsi, un

peu partout, et le phénomène se retrouve dans tous les villages, on trouve d’anciens jardins dits

« jardins des femmes », rarement cultivés, ou de manière résiduelle et souvent comme culture

vivrière : on profite tout de même de la présence du grillage, celui-ci étant très recherché en raison de

son aptitude à retenir le bétail et les animaux en divagation.

Depuis, on voit s’installer de plus en plus de petits périmètres individuels, clôturés à la manière

traditionnelle et qui ne servent bien souvent que de culture vivrière d’appoint. Mais, de même que les

premiers, les grands, ceux-ci n’ont qu’une durée de vie limitée en raison des difficultés rencontrées

par le maraîchage et que l’on a déjà évoquées. A cela s’ajoute un manque important de moyens,

puisqu’il n’y a pas d’organisme pour soutenir cette forme de maraîchage. En somme, il s’agit d’une

culture qui redevient traditionnelle, une sorte de « jardin de case » mais à l’extérieur.

174

Là encore, on se rend compte combien l’observation paysagère et l’étude géographique d’un

terroir est essentielle à la lecture des mutations qui affectent cette micro-région. Le plateau, aux

abords du village, porte en effet les marques claires de ces anciens projets. C’est intéressant

puisqu’ils ont été à la fois les conséquences de certaines mutations et ont disparu du fait d’autres

changements. On a encore, par conséquent, un résumé, dans le paysage, de cette évolution. On peut

même dire que chaque composante du paysage porte en lui l’histoire de la mondialisation dans le

Blouf. Ces périmètres ont subi une dernière évolution en devenant peu à peu des plantations d’arbres

fruitiers.

222. La récupération par les arbres fruitiers

Les périmètres maraîchers comportaient au départ quelques arbres plantés ; on l’a évoqué plus

haut, le maraîchage lui-même a disparu tandis que les arbres ont peu à peu pris l’ensemble de la

place. Les photographies précédentes le montrent bien : de grands manguiers, à l’ombre très dense, y

poussent désormais, un peu à l’état sauvage. Or la présence de ces arbres fruitiers aux abords des

villages n’est pas seulement limitée à ces anciens périmètres maraîchers : auparavant, la plupart des

familles qui cultivaient des terres en brousse possédaient une petite plantation. La plupart du temps,

celle-ci était située à la périphérie très proche du village. Les arbres devenus grands, malgré une

certaine désaffection pour l’arboriculture dans les dernières années, essentiellement due à la crise

politique en Casamance, ont formé une sorte de « ceinture d’arbres » à l’extérieur des villages, côté

plateau. Cette ceinture se retrouve dans tous les villages.

Nous avons ici une forme de paysage en partie liée à une évolution naturelle : les arbres étant

pérennes, ils se sont développés, à un moment donné, malgré le retrait de tous les projets

encourageant l’arboriculture dans le Blouf, et notamment de ceux qui étaient portés par les

organisations paysannes. Ainsi, la plupart des périmètres collectifs sont restés, mais ont changé de

nature, devenant des plantations ; les bana-bana venant prendre la récolte, les villageois n’ont rien à

faire. Certaines associations de jeunes tentent aujourd’hui de développer à nouveau le volet

arboricole, à travers des plantations collectives, d’anacardiers par exemple comme à Boutégol68.

Au niveau agricole, un dernier trait marquant de l’évolution du plateau est l’apparition de plantations,

de plus en plus, à demi sauvages, au milieu de la brousse. Ce qui est nouveau, c’est que ces

plantations sont individuelles.

223. Partout en brousse, la mise en place de plantations individuelles

On trouve en brousse, dorénavant, de grands espaces plantés d’arbres de loin en loin,

défrichés souvent à moitié, et clôturés peu ou pas, ou quand ils le sont, clôturés à la manière

traditionnelle, avec des branches d’arbres coupées. Cela donne un paysage curieux, pas naturel et

apparemment peu anthropisé, mais que l’on retrouve quasiment partout en brousse : une sorte de

grand espace entouré en partie d’une palissade de branchages, pour les plus aisés de grillage ou de

planches cloutées, envahi de broussailles et planté d’arbres fruitiers à demi sauvages. Se développent

68 selon les représentants de l’Association des Ressortissants de Boutégol à Dakar

175

aussi, et cela va de soi, des pépinières dans le but de vendre les plants : c’est bien évidemment la

demande locale qui incite à cela.

Les spécificités de l’arboriculture en font en effet une activité encore tenable dans le contexte

de la mondialisation : on aura beau vendre au prix le plus bas, à partir du moment où les arbres

commenceront à donner, en tant qu’essences autochtones, ils n’auront plus besoin d’être entretenus :

l’absence de travail donc minimise l’importance du prix, et du moment que l’on gagne de l’argent avec

cela, c’est bien. C’est une conséquence logique de la mondialisation qui aligne les prix par le bas : on

se débarrasse des travaux pénibles à partir du moment ou de moins pénibles peuvent rapporter

autant voire plus…

Le plateau est donc bien une vitrine de toutes les évolutions socio-économiques récentes, qui

ont touché les activités agricoles traditionnellement génératrices de revenus. On a pu constater, après

la disparition de l’arachide, la survenue du maraîchage, qui a fait un passage éclair et laissé une très

mince trace, pourtant encore très visible dans le paysage. La brousse est désormais affectée, de plus

en plus, par l’arboriculture. Mais un autre aspect, plus frappant encore, témoigne des influences du

village sur cet espace traditionnellement vierge : aujourd’hui, les constructions augmentent de plus en

plus, et touchent le plateau au premier chef.

23. Le plateau de plus en plus affecté par la construction

On a pu constater, dans la mise en évidence d’un système socio-économique particulier,

l’importance de la volonté de nombreux ressortissants de revenir au village passer la retraite, de

même que le nombre grandissant de constructions, aidées et soutenues par les ressortissants.

Ajoutons à cela la rénovation des maisons, de plus en plus développée, et l’on peut parler d’une sorte

d’ « explosion » de la construction. Il n’était pas un village où l’on ne trouvait pas trois ou quatre

maisons en construction. Nous allons donc tâcher de montrer, d’abord, cette importance, avant de

montrer le rôle qu’y jouent les ressortissants et d’expliquer cette tendance.

231. L’importance de la construction de maisons

176

Photographies n°62 et 63 : Maisons en construction à Tendouck (à gauche) et Affiniam (à droite). Clichés J.-P.

Nous avons pu constater, dans tous les villages de la communauté rurale de Mangagoulack,

notre principal lieu de travail et d’étude, la présence de maisons en construction un peu partout

(photographies n°62 et 63). Il faut ici séparer deux types de constructions : d’abord celles qui ont

pour objectif de remplacer d’anciennes et petites maisons appartenant aux parents, et qui sont

construites à l’intérieur même des villages, et celles qui sont construites à l’extérieur, sur les terres de

plateau ; celles-là répondent généralement aux besoins de familles qui se sentent trop à l’étroit et

réutilisent leurs terres en brousse pour se construire des maisons. En fait, plusieurs personnes que

nous avons interrogées étaient en train de procéder à la construction d’une maison. On peut prendre

l’exemple du chef du village de Boutégol (résumé de questionnaire n°6, document 29) : nous avons

interrogé sa femme. Il nous montre que la construction d’une seconde maison à côté de la première

est l’idée du frère du chef, qui vit en ville et souhaite revenir plus souvent et pouvoir loger sa famille.

Document 29 : résumé de questionnaire n°6

Elle est la femme du chef de village et vit à Ewonga, quartier de Boutégol. Ils sont 7 à la maison, les trois enfants, le couple et la mère de son mari. Elle a vécu longtemps à Oulampane, un autre village de Casamance, puis à Ziguinchor après la mort de son oncle, pour aider sa tante. La famille compte cinq élèves et apprentis à l’extérieur, qui sont tous à Ziguinchor, auprès du grand frère de son mari, policier en retraite. On peut voir, à côté de la petite maison familiale, une immense maison en construction : en effet, ce policier souhaite revenir s’installer au village et a donc demandé à son frère de construire une vaste demeure. Cet homme est un soutien intéressant pour la famille car il leur envoie du riz : en effet, ses enfants viennent à la maison pendant l’hivernage. Les rizières en effet sont très salinisées et on ne peut pas compter sur elles pour fournir de la nourriture pendant un mois. Quant à elle, son commerce d’arachide et de poissons, qu’elle revend au détail à Diatock, et la plantation de son mari y suffiraient à peine sinon.Ce questionnaire est un excellent exemple de l’influence d’une personne à l’extérieur sur les familles au village, et témoigne de la volonté de s’installer pour certains retraités qui se trouvent en ville.

Cela a donc deux conséquences : au sein même de l’espace villageois, d’abord, une

densification de la construction qui entraîne, petit à petit, la transformation en un village serré. A

Thionck-Essyl, on en est arrivé à un village loti, avec des rues en damier, une véritable petite ville. Si

l’on est loin de cela dans la plupart des villages, on sent un peu cette évolution du côté de Tendouck.

Nous nous attacherons plus loin à discuter des disparités inter-villageoises, très intéressantes pour

notre étude. La seconde conséquence est l’étalement des constructions en direction du plateau. On a

donc, finalement, une double dynamique de desserrement-étalement ; pas forcément en raison d’une

augmentation de la population sur place, mais surtout en raison d’une augmentation de la population

villageoise « extra-Blouf ». En effet, ce sont les ressortissants qui sont les plus grands constructeurs

de maisons.

232. le rôle des ressortissants dans les constructions

C’est ce qu’affirme Bassirou Sambou lui-même en déclarant que « c’est vrai, parce que la

population est galopante [si l’on compte aussi la population exodée]. Mon frère et moi, tout le monde

ne pourrait pas vivre dans cette maison si les autres n’étaient pas partis. En ce moment, il y a trois

maisons en construction ici. Dans d’autres villages, il y en a beaucoup également ». Et encore que

ceux qui construisent, « je crois que c’est surtout ceux qui travaillent. – C’est-à-dire, les ressortissants

qui arrivent à la retraite ? – Oui, ils sont nombreux à construire, ceux-là, et même avant de revenir !

Pour l’hivernage par exemple. »69 Ce petit extrait nous donne une idée assez fidèle de ce qui se passe

69 Questionnaire avec Bassirou Sambou, donné en annexe.

177

dans la communauté rurale de Mangagoulack. En fait, le visage des villages change complètement en

raison de cet investissement des ressortissants dans leur village. Souvent, ils interviennent dans les

constructions, soit qu’ils envoient de l’argent pour que l’un de leurs frères reconstruise une nouvelle

maison pour les parents, soit qu’ils fassent construire pour eux-mêmes. Le résultat en est assez

ahurissant : on voit fleurir, parfois, des maisons de très grande taille. Nous prendrons le cas du village

de Mlomp, où un frère du président de l’organisation paysanne Union GOPEC*, qui vit à Toulon, fait

construire une vaste maison (photographie n°64).

Photographie n°64 : la maison, à Mlomp, d’un villageois qui vit à Toulon : un véritable château (cliché J. P.)

En fait, l’intervention des ressortissants marque vraiment le visage de tout le village ainsi que

des terres de plateau alentour. Le cas du village de Tendouck est le plus marquant, mais ceux des

villages qui sont sur la piste nord, Dianki, Kartiack, Diégoune, sont très intéressants aussi. On voit

apparaître des rues, chose qui n’existait absolument pas auparavant ; des maisons en ciment, mais

aussi des réalisations très coûteuses, réalisées par ces ressortissants, et qui changent la face du

village, en lui donnant une centralité, comme à Dianki avec la mosquée (photographie n°65). Celle-

ci, construite sur 20 ans, a coûté 35 millions de francs CFA70 à la collectivité villageoise exilée de

Dianki. De plus en plus, une sorte de hiérarchie apparaît, avec des maisons de styles de plus en plus

différents, des bâtiments aux fonctions diversifiées… Le village n’est plus cet amas de cases sans rien

d’autre au milieu de la brousse. Il est singulier de constater que cette évolution se retrouve plus dans

certains villages que d’autres : à la lumière de l’étude des caractères particuliers de ces villages-ci et

de ces villages-là, on pourra encore fournir des preuves que tel ou tel caractère spécifique au Blouf

renforce la présence du système que l’on a mis en évidence.

70 Environ 53000 euros.

178

Photographie n°65 : derrière le puits UNICEF* de Dianki, la grande mosquée a coûté aux ressortissants 35 millions de CFA…

Cette abondance de construction témoigne véritablement de la volonté de ceux qui sont en ville

de vivre le plus souvent possible au village, comme pour y puiser un second souffle.

233. Des maisons répondant au « besoin d’air » des exodés

Il s’avère en fait, quand on observe ce phénomène de la construction d’un peu plus près71, sur

les maisons en construction ou nouvellement construites que l’on peut voir dans les villages, et dont il

semblait connaître tous les propriétaires, que la plupart des maisons qui se construisent le sont par et

pour des travailleurs de la ville. De plus en plus, les ressortissants souhaitent une plus grande aisance

quand ils se rendent au village, essentiellement en période d’hivernage. Nous avons discuté avec un

ressortissant d’Affiniam, revenu au village pour la mort de son père qu’il n’avait pas vu depuis vingt

ans : assez catastrophiste, il nous a fait comprendre que tous les fils d’Affiniam étaient à Dakar, nous

a montré des maisons vides en nous parlant d’untel, ingénieur, d’un autre, professeur au lycée…

Avant de nous déclarer que lui-même souhaitait à terme construire pour ses vacances. La plupart des

ressortissants envisagent cette solution, comme l’ont montré les entretiens qui ont été réalisés à

Ziguinchor et à Dakar. On retrouve donc sur le terrain de grandes maisons pouvant accueillir tous les

élèves, mais qui sont pratiquement vides pendant la saison sèche ; bien entendu, la famille au village

s’y installe, mais elle est souvent restreinte. On voit donc, peu à peu, le passage d’un village aux

71 en interrogeant, par exemple, Younousse Sambou, guide et interprète.

179

cases éparpillées, avec cour à l’arrière, à un village plus serrées, avec de vastes cases et de moins en

moins de place pour le jardin.

C’est une évolution particulièrement révélatrice des changements qui se sont opérés dans le

Blouf, conséquences de la mondialisation. En premier lieu, cela montre que, de plus en plus, les

populations des villages vivent sur des apports extérieurs mais aussi qu’ils font moins appel

qu’auparavant à tout ce qu’ils peuvent se procurer sur place : la disparition progressive des cours

autour des maisons en est le meilleur exemple. En second lieu, cela montre que, de plus en plus, le

village tend à devenir l’arrière-garde de la communauté expatriée (« patrie » est ici utilisée pour

« village »). C’est le lieu où l’on se ressource. Par conséquent, comme dans certaines zones rurales

de l’Europe, on voit se multiplier des résidences de « villégiature ». A la différence qu’il ne s’agit pas

de populations allochtones mais bien d'une partie de la communauté villageoise qui a quitté les lieux.

Nous avons cherché un terme approprié pour désigner ce processus : n’en ayant pas trouvé dans la

littérature, et désireux de nous éloigner des sphères néologistes, nous allons préférer l’expression

« retour au village », après avoir envisagé celui, un peu malheureux, de « revillagisation ».

Cette évolution des terres villageoises est essentielle pour notre étude. Elle nous montre à quel

point la présence des ressortissants a affecté le Blouf par le biais de l’investissement en « biens

immobiliers . La configuration des villages s’en trouve fortement bouleversée. L’observation sur le

terrain de ces mécanismes est extrêmement intéressante, d’autant qu’au début de notre travail, nous

nous en rendions peu compte, avant que peu à peu l’on prenne conscience, au fur et à mesure des

entretiens, du fonctionnement actuel de ces villages ; alors l’observation, de plus en plus, nous a

fourni les exemples dont nous avions besoin.

Il est fascinant d’envisager l’étude des impacts de la mondialisation sous l’angle de ses

conséquences spatiales. Bien entendu, c’est là l’objet de cette étude : mais il était indispensable,

auparavant, de mettre en place suffisamment de clés de lecture pour réussir à comprendre ces

mutations spatiales. Une fois que l’on a ces clés en main, la compréhension, l’appréhension de

l’espace devient limpide. L’étude géographique a l’avantage de nous montrer en un même lieu, à la

fois les marques des évolutions actuelles et les traces du passé ; nous nous sommes évertué, dans

toute la longueur de ce mémoire, à montrer que l’impact de la mondialisation dans le Blouf était la

conjonction du passé, des héritages, et des modalités ou des avatars pris par la mondialisation sur cet

espace. On a montré ici, dans ces deux premières parties, combien avait été bouleversé l’espace, à

travers l’étude successive des zones basses et du plateau. A l’échelle de la Communauté rurale de

Mangagoulack, nous donnons ici la carte 28 qui fait la synthèse de toutes ces évolutions. Ce travail

doit permettre, en se plaçant dans l’optique d’un géographe du développement intéressé par la

réalisation de projets de développement cohérents, de juger des perspectives d’un tel système.

180

181

3. Derrière le masque d’un avenir serein, des perspectives douteuses

Aux dires des villageois comme à l’observation de ce système « mondialisé » et de toutes les

conséquences qu’il engendre, il semblerait que les retombées au village soient plutôt bénéfiques du

point de vue d’une certaine augmentation du niveau de vie ainsi que des infrastructures qui se mettent

progressivement en place. On aurait même l’impression que toutes les conséquences des mutations

engendrées par la modernité apportent des améliorations en fin de compte. Le géographe, s’il est sur

le terrain pour étudier, peut se laisser aller cependant à des remarques sur l’ensemble de ces

évolutions et de ces dynamiques, concernant les perspectives d’avenir qu’elles laissent entrevoir et

que l’on entrevoit un peu plus encore par le biais de modestes études de ce type. Modestes, mais

néanmoins les plus complètes possibles, dans la mesure où le temps et les conditions de travail le

permettent. Dans l’optique d’une formation universitaire à la réalisation de projets de développement,

l’espace étudié est aussi un laboratoire qui doit permettre de mettre le doigt, non seulement sur les

dysfonctionnements, mais encore les facteurs permettant de les régler. C’est avec cette idée que nous

abordons la dernière partie de ce travail.

31. Une apparente et grandissante opulence de l’habitat et du confort

Si nous partons de l’hypothèse de graves dysfonctionnements dans le système « socio-

spatial » de l’arrondissement de Tendouck, il faut croire alors que les apparences sont parfois

trompeuses. Depuis les années 2000, en effet, c’est-à-dire grosso modo depuis la mise en place de

manière définitive d’un profond bouleversement des structures en place, on n’a jamais observé autant

l’impression d’une certaine opulence, d’un confort semble-t-il grandissant. Naturellement, cette

impression est accrue dans certains villages : c’est donc ici que nous allons faire cette comparaison

inter-villageoise qui présente un très grand intérêt.

311. La multiplication des maisons cimentées voire des « villas »

Ce qui frappe en premier lieu, dans les villages, c’est l’importance grandissante du ciment

comme signe d’un confort un peu plus important que dans d’autres familles. Il devient assez

classique, en effet, de cimenter tout ou partie de sa maison : les murs de banco sont tout simplement

recouverts de ciment. Cette pratique se multiplie au point que nous avons rencontré, à Diatock, des

hommes qui dans le village gagnaient leur vie en cimentant des maisons, avec une formation de

maçon qu’ils avaient effectuée en ville. On a un exemple d’une maison totalement recouverte de béton

à Affiniam (voir photographie n°29) ; pour la petite histoire, il ne reste dedans que trois personnes,

dont un instituteur logé ici, sa sœur qui s’occupe de la maison quand la propriétaire n’est pas là et

cette dernière, revenue parce qu’elle était malade. Tous les autres ont payé le ciment, et elle-même y

a participé lorsqu’elle était à Dakar.

Ces maisons en banco, cimentées, qui sont la version la plus classique, sont remplacées

parfois, lors de la construction de nouvelles maisons, par des maisons en « dur », construites avec

des « briques en ciment » : celles-ci sont fabriquées sur place (photographie n°66) avant que les

182

murs ne soient montés. Et on a parfois des images insolites, comme la présence d’une maison, à

Djilapao, au milieu d’un village traditionnel aux toits de paille, entièrement construite dans ces briques

en ciment (photographie n°67). Les volets clos évidemment, le propriétaire se trouvant à Dakar. Il y a

une conséquence dramatique (à nos yeux) à cela : c’est l’apparition, petit à petit, des serrures et des

cadenas. Auparavant, toute maison était occupée en permanence : on ne pouvait laisser son foyer.

Les portes n’avaient pas de clé, d’autant que le vol est sévèrement sanctionné chez les Diola.

Photographies n°66 et 67 : les briques en ciment (à gauche) servent à construire des maisons « en dur » pour les ressortissants, comme à Djilapao (à droite). Cliché J. P.

La dernière forme de maison opulente est la « villa ». On appelle de ce type l’une des rares

maisons qui soient à la fois en dur, cimentées et peintes, possédant en plus des grilles aux fenêtres. A

Tendouck, un ressortissant en Italie a ainsi une villa peinte en blanc, qui fait tache dans le paysage. A

Boutème, la résidence de fonction du directeur de l’école est une villa appartenant à une femme

expatriée en Suisse. A Affiniam (photographie n°68), nous nous trouvons en présence d’une villa

appartenant à un militaire en retraite.

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Photographie n°68 : A Affiniam, la « villa » d’un militaire en retraite (cliché J. P.)

A ce confort matériel, personnel, il faut ajouter, dans les signes d’une certaine opulence de

certains villages, un confort meilleur au niveau des équipements collectifs. Là encore, il s’agit d’un

phénomène nouveau et de plus en plus amplifié.

312. Un meilleur accès aux infrastructures

On a déjà évoqué, dans le Blouf, la présence de l’école et la forte proportion d’enfants

scolarisés. A la suite, là encore, des nouveaux programmes de développement axés sur l’éducation et

la santé, l’électrification, l’apport de la robinetterie, du téléphone, on se rend compte que peu à peu les

conditions de vie de ce point de vue s’améliorent peu à peu. Les cartes 29 et 30 nous donnent une

idée à travers les cartes du CSE* qui montrent combien le Blouf est favorisé, ici pour l’accès à une

source d’eau potable et l’accès à un poste de santé et un dispensaire. L’action des ressortissants,

conjuguée à l’action des partenaires étrangers, a amélioré sans aucun doute le niveau de vie des

populations en terme de développement humain. Il manque peut-être des indicateurs de santé

propres au Blouf pour le démontrer, mais la multiplication des écoles, des collèges, des postes de

santé et des infrastructures telles que l’électricité, les télécentres et la robinetterie peut laisser

aisément présumer des retombées sanitaires bénéfiques sur les populations. L’école maternelle de

Dianki (photographie n°69) est l’un des meilleurs exemples que nous ayons pu trouver.

Photographie n°69 : La superbe école maternelle de Dianki (cliché J. P.)

Le Blouf semble vraiment, de ce point de vue, une micro-région favorisée par rapport à nombre

d’autres espaces au Sénégal. Il paraît déplacé, dans ces conditions, d’évoquer des

dysfonctionnements : d’autant que, avec l’augmentation des transferts d’argent en direction des

villages, les paysans Diola du Blouf ont plus facilement accès à ces services ; les boutiques sont de

plus en plus présentes et l’achat du riz ne pose pas trop de problèmes financiers. En somme, on

pourrait croire, non pas que tout va bien, mais que tout avance dans la bonne direction. Nous verrons

comment, en observant de plus près, cette fois, les dysfonctionnements, ce système comporte des

risques et des effet pervers qui peuvent à terme déstructurer totalement les villages du Blouf.

184

Ce renforcement de la richesse de l’habitat, des infrastructures de plus en plus importantes, ne

s’applique pas pareillement à tous les villages. On va le voir, certains ont plus, en la matière, de

chance que d’autres ; mais on ne parlera pas de chance, plutôt d’une différence dans les systèmes

traditionnels qui a entraîné une différenciation croissante en fonction des modalités de la

mondialisation.

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313. De nouvelles disparités entre villages

Ces disparités entre les villages du Blouf ont été constatées petit à petit, au fil des enquêtes et

du travail de terrain. Si nous les abordons maintenant seulement, c’est pour une raison simple : les

caractères de différenciation entre les villages sont moindres que les caractères d’homogénéité. C’est-

à-dire que le Blouf est moins différent entre ses villages que par rapport aux régions extérieures. Voilà

pourquoi nous avons privilégié plutôt l’étude des spécificités de l’arrondissement dans son ensemble

plutôt que celle des différences intervillageoises. Nous avons pourtant décidé de passer ces dernières

au peigne fin. En effet, l’étude de ces différences d’évolution nous donne également des

renseignements sur l’évolution du Blouf lui-même. Les cartes thématiques qui montraient pour la

communauté rurale les données par village montrent bien des différences notables entre les villages.

Nous avons donc décidé de réaliser une petite carte de synthèse (carte 31) montrant pour chaque

village, d’une part l’argent reçu en moyenne par famille depuis l’extérieur, d’autre part les

infrastructures qui existent, enfin la date de la mise en place de la première école. L’hypothèse du

départ est que les gros villages sont favorisés, puisque possédant plus de ressortissants, ils peuvent

mettre en place de plus gros projets et donc en tirer plus de bénéfice.

En fait, on remarque que ce ne sont pas forcément les plus gros qui sont les mieux lotis du

point de vue des ressources envoyées de l’extérieur : il s’agit des villages les plus anciennement

scolarisés. Bodé, dont l’école a été créée en 1991, reçoit la plus faible moyenne de transferts d’argent.

De plus, c’est un village cosmopolite, selon les mots même du PLD de Mangagoulack : « le village de

Bodé a été créé par migration de populations venues du Nord du pays, on y trouve des Sarakholés,

des Woloofs, des Sérères, des Peulhs, des Mandingues et des Diola dans une parfaite harmonie

sociale »72. De fait, c’était un village déjà fortement islamisé. On voit tout de suite l’intérêt d’étudier ces

différences : Bodé a subi des évolutions différentes, car la culture Diola est moins profondément

enracinée qu’ailleurs. D’autres étaient à la pointe, comme Elana et surtout Tendouck : Tendouck est à

la fois un gros village et, choisi par le colon pour sa position centrale, un chef-lieu de canton où l’école

a été placée dès 1945. Or la présence d’une école très tôt, de même qu’à Elana, Affiniam ou

Boutème, entraîne un exode rural plus important et, par suite, plus de projets. Le cas de Tendouck est

d’école. Pur village Diola, animiste, fortement scolarisé, très gros car ayant un énorme potentiel

rizicole, il a une communauté expatriée démesurée et peut réaliser des projets très importants.

Naturellement, les gros villages du nord du Blouf, Dianki, Diégoune, Kagnobon au premier chef,

connaissent aussi une telle évolution : ce sont d’énormes villages, scolarisés très tôt, en 1936 à

Dianki.

Comme on peut le voir, les économies d’échelle comptent beaucoup dans la différenciation des villages,

de même que la scolarisation. Ceux qui se rapprochent le plus du système tel qu’il tend à devenir sont

aussi les villages les plus anciennement scolarisés, car ceux où la culture Diola était la plus profonde,

et les plus gros, donc ceux où l’économie Diola était la plus importante. Là où le système fonctionne

particulièrement bien, on se retrouve avec des villages que l’on pourrait croire

72 GRDR (2002), Communauté Rurale de Mangagoulack, Plan Local de Développement, Ziguinchor.

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opulents tant sont importants les projets qui s’y développent et nombreuses les maisons en ciment. Il ne

faudrait pas croire pour autant que ce système ne comporte pas de dysfonctionnements.

32. Mais une misère d’idées, d’initiatives et de projets

On a déjà évoqué, dans la seconde partie, la difficulté des populations à générer du

développement sur place et à réaliser des projets d’activités économiques susceptibles d’engranger

des revenus. C’est ce problème qui est soulevé ici ; plus exactement, c’est le problème plus général

d’une certaine dépendance à l’extérieur que l’on va tâcher de mettre en lumière. Il s’agit de se

demander en quoi cette dépendance peut être néfaste pour l’avenir. Elle entraîne plusieurs

conséquences que l’on va décliner.

321. La disparition des savoir-faire

La disparition des savoir-faire est une première conséquence de la mise sous dépendance de

cet espace et de la diminution corrélative des pratiques paysannes en général et de l’agriculture en

particulier. C’est bien évidemment le savoir-faire en matière de riziculture qui est stigmatisé ici : on se

rend compte aujourd’hui en effet que si les paysans pratiquent toujours la riziculture, ils ne sont plus

en mesure de fabriquer et entretenir digues et vannes traditionnelles. Bientôt, ils pratiqueront cette

culture de manière résiduelle et en s’abritant derrière les digues modernes du PAM*. D’autant que

l’absence des jeunes pendant la saison sèche les empêche d’apprendre les travaux d’entretien de ces

digues ainsi que l’art de la fumure. La plupart arrivent même après les labours au kadiandou. On a

souvent stigmatisé l’absence de modernisation de cette riziculture ; en réalité, il se trouve que la

culture non modernisée a fait ses preuves depuis longtemps, que la modernité a amené sa régression

et que la culture modernisée n’a jamais vu le jour. En somme, le bilan des impacts de la

mondialisation et des impacts de ce nouveau système au niveau de la riziculture est extrêmement

discutable.

A présent, tout projet qui veut être développé au niveau d’un village et nécessite des savoir-faire

particuliers se trouve freiné par une nécessaire formation que les villageois eux-mêmes ne peuvent

assurer. En lieu et place d’une société qui offrait à ses enfants une formation « gratuite », fondée sur

la transmission de ces savoir-faire de parents à enfants, des vieux aux jeunes, c’est-à-dire une société

qui veillait à sa reproduction, on a une société qui est privée peu à peu de tout ce qu’elle a appris.

Sans pouvoir quantifier une telle régression, on peut présumer qu’il y a là un certain recul qualitatif. On

pourrait quantifier en montrant, par exemple, le coût à présent d’une formation à telle ou telle pratique

agricole : le Comité Local de Coordination des Organisations Paysannes de Diégoune a reçu de

l’ONG ASPRODEB* la somme de 1,6 millions de francs CFA73, pour simplement permettre la

formation en arboriculture, aviculture ou teinture de quelques GIE*.

Il n’est pas étonnant, face à cet état de faits, que les populations deviennent de plus en plus

attentistes par rapport aux projets de développement : c’est un phénomène qui s’entretient et se

renforce. Il va également dans le sens d’une disparition de la culture Diola.

73 2400 euros. D’après les registres du CLCOP à Diégoune.

190

322. Attentisme, foi en la société moderne et perte de la culture Diola

Si les jeunes ne sont plus là, en effet, pendant la saison sèche, la transmission de la plupart des

valeurs qui faisaient la société Diola sont en train, par conséquent, de se fondre dans les sociétés

urbaines occidentalisées. Ceux qui portent le développement des villages sont justement ceux qui

sont le plus impliqués dans la vie urbaine ; ils ont suivi jusqu’au bout un cursus scolaire qui leur a

transmis des valeurs qui n’ont rien à voir avec celles de la culture Diola. On a dit, et c’est vrai, que le

système mondialisé tendait à renforcer les liens entre ville et village, par le biais de la riziculture, qui

perdure, et de certaines cérémonies. Cependant, il est clair que l’exode croissant va dans le sens de

la perte de valeurs, morales notamment, que constate avec amertume le rapport du Congrès de

l’Association de Développement d’Affiniam74.

La perte des valeurs se conjugue aussi avec une foi grandissante des villageois en la société

modernisée : on voit de cette société ce qui est bon à prendre, qui apporte le confort matériel ; sous

les arbres à palabres, c’est de plus en plus la radio qui parle, quand elle n’est pas remplacée à

Tendouck par la télévision. Cette foi est perceptible dans les villages où l’on remercie à tout va tout

organisme qui apporte un projet et de l’argent à investir dans le village, en dédaignant le travail

d’associations qui souhaitent rendre les villageois acteurs de leur propre développement. Peu importe

le degré de la déstructuration de l’économie et de la société pourvu que les enfants puissent aller à

l’école, trouver un travail en ville. On revient toujours dans le même contexte d’un cercle vicieux. Du

coup, les paysans refusent l’effort, à juste titre puisque leurs ressortissants le font de plus en plus pour

eux, tandis que les projets qui sont développés actuellement vont de moins en moins dans le sens de

l’autonomisation des sociétés. On attend les projets et les financements, sans même parfois se

donner la peine de les rechercher…

Là encore, c’est une question qualitative qui se pose, puisqu’elle touche, notamment, à la

dignité humaine, celle de pouvoir réaliser son propre développement de ses propres mains. Le

processus de mondialisation dans le Blouf a, comme on l’a vu, empêché toutes les volontés de ce

côté. Mais la question peut devenir quantitative dès lors que la mise sous dépendance entraîne aussi,

du fait des dépenses croissantes, une certaine détérioration du niveau de vie des populations.

323. Dépenses et dépendances

Il est en effet extrêmement difficile, lorsqu’on est dans un village, d’avoir quoi que ce soit sans

l’acheter : cela paraît curieux quand on sait l’abondance des ressources naturelles sur ce territoire. En

revanche, cela se comprend déjà plus au sens où le développement d’activités diversifiées est

fortement entravé par le processus de la mondialisation et ses conséquences socio-économiques. Il

faut donc importer beaucoup de denrées, à commencer par le riz, mais aussi les sucreries, et aller

souvent acheter en ville les légumes… qui viennent de périmètres maraîchers du nord du Sénégal.

En fait, l’arrondissement de Tendouck est fragilisé par sa nécessité de compter sur les

ressortissants. On peut craindre qu’à terme, ses villages soient donc sous le coup de fluctuations

économiques ou politiques. Il est assez curieux de constater combien ce territoire enclavé et refermé 74 Rapport du Congrès créant l’Association de Développement d’Affiniam, 13 et 14 août 2001.

191

sur lui-même est devenu en peu de temps, sous l’influence des facteurs extérieurs, presque

totalement extraverti. Il est certain qu’à ce rythme, le système allant en se renforçant, les dépenses

augmenteront pour toutes sortes d’achats de matériel et les ressortissants auront de plus en plus à

supporter le poids de leurs racines, alors qu’ils devraient plutôt en être fiers : ceci pour démontrer que

les ressortissants n’apprécient plus le village pour la culture et la sagesse qu’ils peuvent y puiser mais

simplement comme un lieu d’oisiveté.

Nous l’avons compris, le Blouf est sous le coup d’un système géographique extraverti qui se

renforce et s’entretient, petit à petit, par le biais de « rétroactions positives » ; il tend à pousser les

villages vers une dépendance croissante par rapport à l’extérieur. On en a observé, tour à tour, les

conséquences bénéfiques comme néfastes. On peut dire que les premières ne vont pas sans les

secondes. Dès lors, ce système de plus en plus extraverti a besoin d’évoluer pour éviter vraiment qu’il

ne s’emballe et ne provoque une grave crise. Cependant, ses potentialités sont nombreuses et ne

demandent qu’à être exploitées.

33. Pourtant, un potentiel à développer

La Casamance est passée, en une vingtaine d’années, de l’image de « grenier du Sénégal »,

de verte et riche région, à l’image d’une région déstructurée et à reconstruire. Malgré tous les

problèmes qui s’y posent, on ne peut imaginer qu’avec un tel passé agricole, avec de telles richesses

culturelles, et malgré la puissance des changements, les territoires Diola, et notamment le Blouf, aient

perdu toutes ses richesses en quelques années. Au contraire, et nous avons pu le constater en

discutant avec Bassirou Sambou, ou d’autres paysans dynamiques et plein d’idées, tout comme avec

certaines ONG dont les projets nous ont séduit par leur originalité, que tout était question de volonté ;

quand on est conscient des problèmes et que l’on cherche à les régler, tout espoir est permis.

331. La femme est-elle l’avenir de l’homme ?

C’est du côté des projets féminins que nous avons trouvé les idées les plus intéressantes.

Aujourd’hui, les femmes se réunissent et discutent beaucoup plus que les hommes ; pratiquant des

métiers souvent plus pénibles et moins bien payés que leurs maris, elles cherchent comment voir plus

loin et s’organiser entre elles pour parvenir à développer des activités rémunératrices. La plupart de

celles qui lancent de tels projets ont vécu en ville : c’est le cas à Boutœum avec deux GIE (présentés

dans le document 30). Les femmes restent donc très groupées pour gagner de l’argent. Les ONG ne

s’y trompent pas, qui axent les projets collectifs soutenant le travail des femmes. Elles ont gardé une

structure très organisée depuis les Groupements de Promotion Féminine, mis en place par le PIDAC*,

et organisés en une hiérarchie très structurée depuis la fédération des GPF du Blouf jusqu’à la

fédération nationale. Aujourd’hui, elles se regroupent aussi en GIE de femmes par quartier. Les

Groupements d’Intérêt Economique sont une forme d’association plus facile à monter que les

associations proprement dites. La plupart des femmes ont été aidées pour leurs activités

rémunératrices par des ONG. « Kagamen », dirigée à Ziguinchor par une femme de Bodé, Alimatou

Souaré, a ainsi permis aux femmes, tout comme Idée Casamance, de réaliser des activités de

192

savonnerie et de teinture, profitant de la hausse de la demande dans les marchés locaux75. Les

documents 31 et 32 nous donnent une idée de chacune de ces ONG. Leur grande originalité est de

se fonder sur des marchés qui existent déjà, et sur les échanges locaux. Les projets arrivent à

mobiliser du monde, comme on le voit sur la photographie n°70, où les femmes d’un quartier de

Dianki, aidées en cela par les hommes, fabriquent de l’huile de palme pour pouvoir en tirer, plus tard,

le savon par le biais d’autres transformations.

Document 30 : à Boutœum, des femmes s’organisent seules

Il est très rare de rencontrer, dans la Communauté Rurale de Mangagoulack, des organisations collectives qui ne fonctionnent pas sans aide extérieure. On trouve toutefois des exceptions. A Boutœum, on trouve le cas de deux petits Groupements d’Intérêt Economique (GIE), constitués exclusivement de femmes, qui progressent pas à pas sans aucun soutien. Le dynamisme de ces femmes est lié au fait qu’elles ont à peu près toutes vécu en ville, et qu’elles cherchent dorénavant à faire fructifier le capital présent dans les villages. Le premier, nommé Gisof Litte Mandjirock, regroupe une trentaine de femmes qui font exclusivement, pour le moment, du repiquage et de la récolte de riz, profitant du fait qu’il reste de nombreuses rizières à Boutœum et que leur culture est de plus en plus monétarisée. Elles recherchent aussi des fruits sauvages et du bois de chauffe ; elles réalisent enfin des cotisations. A plus long terme, elles souhaitent recueillir des fonds pour faire du commerce et du maraîchage. Le second GIE, Diabot, se développe parallèlement. Les femmes souhaitent faire de la teinture et développent le commerce ; elles cherchent en ce moment une monitrice. On retrouve de tels cas à Elana, où des GIE lancés par le Centre d’Expansion Rurale (CERP*) de Tendouck sont pris en charge par les seules femmes, assistées d’un homme du village qui les a aidées dans leurs démarches. Elles pratiquent la savonnerie.Les femmes, au-delà d’une action qui leur permettrait de gagner plus d’argent, marchent par ce biais également vers la dignité.

Source : entretiens à Boutœum

Document 31 : L’ONG Idée Casamance

John Eichelsheim faisait ses études à Amsterdam. En 1983, il vient travailler sur le lotissement de la ville de Ziguinchor. Il est amené à revenir comme accompagnateur d’étudiants pour des mémoires de Masters of Science. Il a finalement monté une ONG qui construisait des infrastructures sanitaires pour les écoles : STOZAS. Les jeunes des Associations Sportives et Culturelles (ASC) faisaient de la maçonnerie, il leur a fait faire ces blocs sanitaires. Cela a été fait dans 400 villages de la région. Il a alors constaté avec stupeur l’absence de poisson au repas des ouvriers, malgré l’importance des bolons ; c’est ainsi qu’il crée en 1998 Idée Casamance. L’ONG est financée par la Commission européenne, les Allemands catholiques de Misereor, les Hollandais de ARBRES (ex-SKOP), le Wetland’s international, … et l’Ambassade des Pays-Bas à Dakar depuis 2004, qui co-finance ce projet.

Dans l’arrondissement de Tendouck, l’ONG intervient dans les zones humides, pour la revalorisation des bassins piscicoles et l’appui à la cueillette des huîtres.

Djibril COLY a pour objectif de protéger la mangrove. La cueillette traditionnelle coupe la mangrove : pour lutter contre cela, il propose une technique parallèle de production, en créant avec des ficelles des guirlandes d’huîtres et en les installant dans des bolons sur des piquets, soit verticalement, soit horizontalement. Ces huîtres captent des naissains. La culture est expérimentale, on cherche à connaître le temps où elles se reproduisent le plus en fonction de la température et de la salinité de l’eau. Ces techniques sont testées à Tendouck, Boutégol, Thionck-Essyl, Thiobon. A Tendouck, ce sont les GIE Kadiamor et Karambenor ; à Boutégol, les GIE Djbendos et Yama. On tente de les réunir dans deux groupements, un pour chaque village. L’expérience a commencé en 2001. Parallèlement se développent des activités génératrices de revenus comme la teinture Batik et la transformation des fruits. Les femmes suivent et gèrent cela.

Ibrahima DIATTA expérimente des bassins de pisciculture traditionnelle à Bassir, Kartiack, Mlomp et Thionck-Essyl. Il s’agit de revaloriser les bassins d’aquaculture traditionnelle mais en permettant de laisser grossir les poissons et non plus seulement de les piéger. L’apport d’aliment coûte cher : on expérimente donc des compostières qui créent du plancton pour les poissons.

Les activités à Boutégol se composent de trois sites, le premier ayant huit structures, le deuxième quatre et le troisième deux (de 65 mètres). A Tendouck, il y a deux sites dont 1443 guirlandes pour Kadiamor et 1369 pour Karambenor, dans des structures verticales au nombre de 16, et 7 structures horizontales pour le deuxième site. Ils ont été implantés en août 2004. La vente est faite à la population locale : à Boutégol, 12 pots ont été récoltés en 2004 (250 huîtres par pot et 500 f le pot).

L’ONG et les femmes ont malheureusement des objectifs très différents. Là où la première cherche à préserver l’écosystème de la mangrove, les secondes souhaitent avant tout des revenus ; l’ONG est donc obligée de pratiquer l’assistanat en leur octroyant des fournitures. C’est le principal avantage qu’elles voient en cette ONG.

Source : entretiens avec Idée Casamance

Document 32 : L’ONG Kagamen.

C’est l’association pour la promotion de la mère et l’enfant. Elle existe depuis 1982 et la présidente en est Alimatou Souaré. L’association compte 7000 membres, essentiellement à Ziguinchor, et une quinzaine de femmes la font tourner. Au départ, Alimatou dirigeait la fédération national des GPF. Elle s’est alors posé la question des femmes qui n’entraient pas dans ces GPF : les veuves, les filles-mères, les pauvres… Elle a ainsi créé cette association pour faire de la prévention santé

75 Source : entretien avec Alimatou Souaré.

193

et du développement, de l’alphabétisation. Une caisse de solidarité a été créée, elle a travaillé avec un docteur dermatologue. Puis, elle a accueilli la population des femmes déplacées par la crise, et a commencé à leur donner des métiers, de même qu’aux victimes de mines antipersonnel.

Dans l’arrondissement de Tendouck, elle s’est rendue compte que les femmes qui faisaient du maraîchage se fatiguaient beaucoup pour peu de choses. Elle a pourtant aidé à trouver le fonds canadien pour les clôtures. La teinture, la savonnerie et la transformation des produits ont été développés à Tendouck Enébané, Bodé, mandégane, Diégoune, Kagnobon, Thionck-Essyl, Thiobon. Elle a fait financer à Bodé une pirogue motorisée (son grand-père est de là-bas). Les financements lui sont venus du PNUD (savonneries), de l’UNESCO, de l’USAID pour le matériel. On trouve aujourd’hui 60 savonneries dans la région. L’ambassade des Etats-Unis et celle de France aident également. Aujourd’hui, elle souhaite créer des unités de production des emballages à Kagnobon, Kafountine, Bignona et Ziguinchor.

Elle veut créer une unité de séchage des mangues, ayant obtenu pour cela à Ziguinchor un terrain de la SODESI. Elle veut un séchoir de 20 à 40 claies pour la production et la formation.

Pour le dossier « aide aux personnes déplacées, aux victimes des mines antipersonnel et de la guerre », les aides concernent surtout les vivres, la transformation de fruits et légumes et la transformation des céréales.

Un financement pour les savonneries de 5 millions a été octroyé par le ministère de la famille.

Kagnobon (4 unités) a reçu 800 litres d’huile soient 400000 francs.Tendouck a reçu 160000 francs.Thiobon a reçu 104000 francs.Mandégane a reçu 122000 francs.

En fin de compte, les GIE aidés par l’ONG sont très assistés et ne peuvent fonctionner que grâce à l’apport de cette association. Ils ne servent qu’à répondre à une demande locale et ne rapportent donc que peu d’argent, cela ne permettant pas un développement conséquent. Au sortir de la guerre pourtant, nombre d’espoirs peuvent être nourris pour cette ONG.

Sources : entretiens avec Alimatou Souaré et Souleymane Soumaré

Photographie n°70 : fabrication d’huile de palme par un GIE de Dianki (cliché J. P.).

Les femmes veulent voir plus loin, fières de leurs initiatives, avec des projets de maraîchage

aidés par le CPRA qui néanmoins, malgré leurs problèmes, continuent de fonctionner, avec ces

projets de savonnerie et teinture, avec aussi le revenu des arbres de leurs jardins collectifs qui ne sont

plus cultivés. Certaines n’ont guère de projets, évidemment, comme à Elana où les arbres rapportent

pourtant 600000 francs76 par an. Il ne faut surtout pas oublier que nous parlons d’un phénomène

extrêmement marginal : dans l’ensemble, les choses se présentent telles que nous les avons décrites

et ces projets sont une forme à l’avant-garde d’un système alternatif, toutefois très difficile à mettre en

place. A Tendouck, l’existence d’une Caisse Mutuelle d’Epargne et de Crédit (document 33), qui

existe aussi à Dianki, a permis aux femmes du GIE Waraga à Tendouck de lancer leur projet. Ce

regroupement a été créé sur la base d’un petit regroupement de femmes qui cotisaient annuellement

pour la fête de la « Tabaski » ; elles ont fini par lancer d’autres cotisations, avec lesquelles elles ont

mis de l’argent à la caisse d’épargne pour obtenir un crédit et se lancer dans le commerce,

notamment d’huile de palme, achetée à Kolda et revendue dans le village. Les femmes, à terme,

76

900 euros.

194

souhaitent se former et se lancer dans d’autres activités de transformation. Nous avons retracé dans

le document 34 l’ensemble des actions de ces GIE pour la Communauté rurale de Mangagoulack.

Document 33 : La Caisse Mutuelle d’Epargne et de Crédit de Tendouck.

La CMEC* de Tendouck entre dans un programme de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) et est appuyée dans ce cadre par le ministère des finances. De plus, une ONG sénégalaise, Mutualité et Développement, qui a une antenne à Bignona, a appuyée la création de cette Mutuelle grâce à un appui en formation et en fournitures de documents administratifs. L’objectif de la création de cette caisse dans les années 2000 était de faciliter l’accès au crédit des villageois. En 2003, cette caisse compte 123 membres, dont 64 femmes, 43 hommes et 16 GIE. Le chiffre d’affaires en 2003 était de 4,3 millions de francs CFA (environ 6500 euros). Cette CMEC est installée dans les locaux de l’ancien dispensaire de Tendouck. Nous avons rencontré un GIE, Waraga, qui a ainsi obtenu un crédit de 50000 francs à la caisse grâce aux cotisations de ses femmes. Elles ont monté un commerce entre Kolda et le village, où elle revendent de l’huile de palme. Elles envisagent de fabriquer de la pâte d’arachide. Cette Caisse Mutuelle, résultant plus ou moins des conséquences d’accords internationaux, encourage une certaine forme de développement insistant sur la responsabilisation des paysans. Elle a ses risques mais a l’avantage de rendre le paysan autonome et acteur de sa réussite. De plus, elle s’adresse aussi bien au particulier qu’au collectif.

Source : entretien avec Mamina Goudiaby

Document 34 : les GIE développant des activités génératrices de revenus dans la Communauté Rurale de Mangagoulack

VILLAGE Nom du GIENombre de membres

Activité principaleOrganisme

d'aideRémunération

annuelleProjets

Tendouck Enébané 200Mangues du jardin

maraîcher savonnerie

Kagamen500000

(mangues) 200000 (savon)

Participé constr. Mosquée, CEM

Tendouck Waraga 15 CommerceCaisse mutuelle d'épargne et de

crédit50000 Développer cela

Boutégol Kadiamor 30transformation des fruits

teinture batik ostréiculture

Idée Casamance Inconnue Développer cela

Boutégol Gifap 100Récolte des fruits pour les

bana-banaAucun 150000

Une TV et un groupe ont été

achetés

DiatockKaronguen Karamba

10Pépinières

soudure métallique reboisement

ARBRES Ambassade

Hollande

120000 par personne

Développer le reboisement

Diatock Djimeraye 3 Pépinières CRS mais échec Très peu Relancer le projet

Mangagoulack Bakounoune Toutes les femmes

SavonnerieCentre

d'Expansion Rurale

Rien pour l'instant Développer cela

Elana Assoukatene 22Savonnerie

travaux champêtres

Centre d'Expansion

Rurale100000 Commerce

Elana Djissof Litte 41Savonnerie

travaux champêtres

Centre d'Expansion

Rurale100000 Commerce

Elana GPFToutes les femmes

Mangues du jardin maraîcher

Aucun 600000 Rien pour l'instant

Bodé Djiralo 35 Maraîchage CPRA100000 par

femmeDévelopper cela

Boutoeum Diabot 30 Arboriculture Aucun Rien pour l'instant Commerce

Boutoeum Gissof Litte Mandjirock

30 Travaux champêtres Aucun Rien pour l'instant Commerce

Affiniam Récolteurs de vin de palme

10 Vin de palme Aucun 100000 Commerce

Affiniam

Femmes de Yamir,

Badjimeul, Thiamang, Gabalang, Djiloguir

101 Trois blocs maraîchers CPRA 100000 par femme

Développer cela

195

Source : entretiens dans les villages – février 2005

On a parlé tout à l’heure de certaines pratiques qui demeuraient « irrationnelles ». Nous nous

fondons sur le travail de l’ONG Entreprise Works pour montrer comment ces pratiques sont

combattues et les résultats que l’on peut obtenir ainsi.

332. Rationalisme contre riziculture : le maraîchage hivernal

L’ONG Entreprise Works77, rencontrée à Ziguinchor, est plutôt classique de la « deuxième

vague » d’organismes internationaux intervenant dans le Blouf : elle a commencé son travail en 2001

et avec des financements de l’USAID*. Mais ses modalités d’aide aux populations divergent par

rapport à nombre d’autres projets. D’abord, ses réalisations se fondent à la fois sur la santé et sur les

activités rémunératrices, ce qui est très rare ; habituellement, on sépare totalement ces deux volets.

Ensuite, les paysans sont responsabilisés : ils font la promotion des pompes manuelles « Sembé

Awagna » pour l’irrigation qui sont vendues et installées 50000 francs78, ce qui est inférieur à leur coût

mais oblige toutefois le paysan à une certaine volonté. « J’en voudrais bien une, mais je voudrais bien

qu’elle serve » nous a dit Bassirou Sambou. De même, ils développent des pompes dites « Erobon »,

manuelles, à manivelle, qui vont chercher l’eau à trente mètres à travers un tuyau PVC : pas de

risque, dès lors, de pollution bactériologique ; le volet santé est donc développé à travers l’eau

potable. La pompe Erobon coût au paysan le même prix. Cela témoigne déjà d’une certaine recherche

et d’un esprit de compréhension des problématiques du terrain. Mieux, les pompes sont fabriqués par

des artisans locaux formés pour ça, qui peuvent ainsi les réparer en cas de problème. Les pompes

Sembé Awagna ont été développées dans cinq quartiers de Thiobon ainsi qu’à Kartiack, Mandégane

et Affiniam.

Mais un volet crédit est également développé. Si une personne veut se lancer dans la culture

de l’anacarde, un agent fait une étude de projet et accompagne la personne jusqu’à l’obtention d’un

prêt. A Ziguinchor, ils vont voir ASACASE*, la CNCA (Caisse Nationale du Crédit Agricole) et le Crédit

Mutuel. Ils développent en effet une politique intelligente de promotion de secteurs qui peuvent obtenir

des marchés et donc rapporter beaucoup d’argent : au départ, l’anacardier servait de parafeu grâce à

sa résistance aux feux de brousse. Puis on s’est rendu compte que les Indiens venaient en acheter.

L’idée est donc apparue de donner de la valeur ajoutée. D’où l’organisation de formations pour ceux

qui sont intéressés, de manière individuelle. L’idée est que la collectivité bénéficiera forcément des

initiatives individuelles et que si l’on développe ces initiatives individuelles, des emplois seront créés.

Dans le Blouf, c’est au niveau du maraîchage hivernal que l’ONG s’oppose aux pratiques dites

« irrationnelles » et qui, on l’a vu, étaient socialement rationnelles. La pratique de la riziculture, en

effet, occupe les femmes pendant tout l’hivernage ; elles font ensuite du maraîchage en saison sèche,

pendant la période de plus grosse concurrence et là où l’eau se fait la plus rare. L’ONG à l’inverse

développe le maraîchage hivernal : malheureusement, ce sont les hommes qui le pratiquent le plus.

77 Source : entretien avec B. Diedhou, coordinateur des projets de l’ONG. Se reporter à la p. 156.78 75 euros.

196

Dans le Blouf, on trouve deux cas seulement (c’est dire si c’est marginal…), à Affiniam79. L’un d’eux,

interrogé, nous dit gagner avec cela dans les 500000 francs chaque année. Et cela sans arroser.

Bassamba Diedhou, coordinateur des projets de Entreprise Works, nous assure que « un paysan que

nous avons aidé n’avait jamais vu un million [de francs CFA] de sa vie. Dès la première année, il a

gagné trois millions80 avec le maraîchage hivernal ». La personne en question a pu acheter un moteur

de pirogue. Comme quoi il est évidemment beaucoup plus rentable de s’occuper du maraîchage,

aujourd’hui, que des rizières… Il faudra du temps avant que la rationalité économique passe avant la

rationalité sociale.

333. La nécessité d’un commerce équitable

Face aux conséquences de la mondialisation sur les conditions de la concurrence en général et

le prix des produits en particulier, il est clair que les paysans ne pourront s’en sortir sans le concours

de structures leur permettant une rétribution juste, et par suite un décollage économique véritablement

endogène. Nous avons discuté longuement de cela avec Bassirou Sambou. Mais le terme de

« commerce équitable » est inconnu ici. Comme par hasard, c’est alors que nous nous trouvions sur

le terrain qu’il est apparu pour la première fois dans les villages, au cours d’un séminaire sur les

activités du Centre de Promotion Rurale d’Affiniam, tenu au CPRA* les 2 et 3 février 2005

(photographie n°89). Nous donnons le rapport de ce séminaire en annexe. Les débats ont été d’une

grande richesse, animés par M. Souleymane Bassoume, de l’ONG Agrecol Afrique, spécialisée dans

le commerce équitable. Il y a expliqué que le Sénégal est le pays le plus aidé d’Afrique. Depuis les

indépendances, les projets de développement sont comme du riz qu’on verse dans un sac percé. On

n’arrête pas de le remplir, mais il n’est jamais plein. Si on répartissait par personne les dépenses qui

ont été faites pour le développement, chacun aurait trois milliards de francs CFA… C’est lui qui, petit à

petit, en commençant par pointer les problèmes d’attentisme, en est arrivé aux problèmes

d’écoulement.

Ayant expliqué rapidement le système d’une « dictature des bana-bana », qui les condamne à

de modestes revenus, il a expliqué le système de son ONG qui récoltait auprès de GIE de femmes

afin de revendre en permettant aux paysans d’obtenir la totalité de la valeur du produit au départ, en

somme que nul ne profite du système. En contrepartie, les produits étaient étiquetés, ce qui permettait

une traçabilité plus grande et donc l’augmentation de la qualité des produits, jusqu’à parvenir peut-

être, un jour, à cultiver sans engrais. Le CPRA, a expliqué M. Bassoume, a en effet tendance à

encourager l’usage des engrais à outrance, de manière « plus royaliste que le roi ». Le commerce

équitable permet à la fois le développement des ressources des populations, et donc incite à de plus

en plus de projets, mais a aussi l’avantage d’engranger plus de revenus collectifs permettant d’investir

dans de la formation et des locaux pour transformer et diversifier les produits.

Dans tout ce qui ressort de cette analyse, il est très clair que des barrières se posent qui

empêchent le développement sur place d’activités. Pourtant, il existe des personnes, individuelles ou

collectives, aidées par certaines ONG développant des idées nouvelles, qui vont dans le sens d’un

79 Dans le quartier de Yamir.80 4500 euros.

197

autre type de développement, d’alternatives à ce système que nous avons décrit et dont nous avons

montré que s’il apportait de l’aisance matérielle – encore n’est-ce pas sûr quand on observe la faible

variété de la nourriture – il faisait perdre aussi au village ses richesses et sa dignité. En somme, c’est

un terrain idéal de travail pour le développement, puisqu’il y a un fort enjeu en fonction des projets sur

lesquels on travaille, de lutte contre un certain type de système.

Si l’on cherche à synthétiser un peu ce qui a été dit sur les perspectives d’avenir, on peut

affirmer que nous sommes dans un système qui compte de plus en plus sur les initiatives extérieures.

De plus, c’est un système qui s’entretient dans le mesure ou sa logique l’oblige sans cesse à

privilégier l’extraversion : extraversion de ses ressources humaines, qui vont chercher du travail en

ville ; extraversion de ses ressources économiques, qui proviennent de plus en plus de ces

« exodés » ; extraversion de ses projets de développement. Les conséquences en sont à la fois une

apparente richesse, croissante même, tandis qu’en terme de culture, de richesse humaine, de

richesse d’initiatives et de projets, on est loin du compte. Les aspects qualitatifs décrits ici ont des

conséquences quantitatives puisque augmentent les dépenses et diminuent les revenus. En définitive,

l’avenir d’un tel système est très douteux, et c’est ce qui nous a amené à développer sur des initiatives

qui montrent combien l’on gagnerait à se fonder sur d’autres valeurs et à oser aller à contre-courant :

en effet, la preuve de l’efficacité économique de telles initiatives n’est plus à faire.

198

Conclusion : l’espace porte les marques successives des mutations

Finalement, cette étude spatiale a rempli ses objectifs. Il s’agissait ici de démontrer l’intérêt

d’une étude géographique dans le cadre de l’approche de la micro-région rurale que constitue le

Blouf. Nous avons choisi des études de géographie avec la conviction que celles-ci permettaient de

donner sens au monde et à ce qui s’y passe, et c’est avec cette conviction qu’a été effectué le travail

géographique proprement dit. Les résultats sont donc à la hauteur des ambitions puisqu’il s’avère que

l’espace et le territoire sont doublement révélateurs des impacts de la mondialisation. Nous

entendrons ici « espace » et « territoire » en les distinguant bien, à la manière géographique : l’espace

comme une surface, une étendue particulière touchée par les interventions humaines, et le territoire

comme un espace approprié, socialisé et symbolisé par une communauté d’êtres vivants.

Deux raisons, donc, à l’intérêt de l’étude géographique : d’abord, le territoire joue un grand rôle

dans la manière dont s’exercent les impacts de la mondialisation. On l’a vu depuis le départ ; nous

n’avons pas cessé de mettre en avant le rôle des « héritages » géographiques dans la construction

d’un système particulier en rapport avec les interventions des facteurs extérieurs. Ensuite, le territoire

porte les marques, les symptômes de toutes ces interventions, qu’elles soient dépassées ou toujours

d’actualité. Cela nous permet de dégager dans le paysage plusieurs strates d’anciens systèmes qui

ne fonctionnent plus. Il est ainsi plus aisé de mettre en évidence les impacts de la mondialisation, en

présentant la logique de fonctionnement de ce système en relation avec les données du territoire.

Reprenant la photographie aérienne centrée sur Affiniam, nous avons tenté de montrer l’utilisation que

l’on pouvait faire de l’étude géographique dans la carte 32.

Plus encore, on peut dire que le territoire vit avec le système et même qu’il l’influence. La

géographie, on l’a vu, est à la base d’un système particulier, qui a bouleversé tout le fonctionnement et

toutes les structures de la société ; mais on voit aussi à travers cette partie que le territoire lui-même a

été touché par ces mutations et que l’espace géographique évolue. L’exemple de la salinisation des

terres suffit à montrer que cette évolution a, à son tour, des impacts très puissants sur le système

socio-économique qu’il contribue à renforcer. Nous avons représenté cette présence à tous les

niveaux du territoire dans le document 35, sous la forme d’un organigramme.

Cet organigramme nous offre une bonne idée de tous les obstacles à surmonter pour mettre en place

des alternatives à un système qui déstructurerait totalement, à terme, toute l’économie locale, et nous

permet, à la lumière d’exemples rencontrés dans le Blouf, de lancer quelques idées pour permettre

d’aller vers le changement.

199

200

201

202

CONCLUSION GENERALE

En arrivant au terme de ce travail, il nous reste à mesurer les enrichissements qu’ont permis ce

travail. Un travail court, oui, puisque nous n’avons eu finalement qu’un semestre pour préparer une

étude bibliographique qui n’a pu rester qu’à l’état d’ébauche, et neuf semaines seulement pour

travailler sur le terrain. Neuf semaines fort heureusement bien employées parce que bien préparées

avec l’association un et notre directeur de recherche, avec des rencontres fréquentes et une forte

volonté, de toutes parts, pour nous aider à aller le plus au cœur des questionnements afin de récolter

le maximum d’informations. Un travail court, parce qu’au terme du voyage, il nous restait à peu près

deux mois pour préparer la rédaction, avec une somme désespérante de documents sur les bras et un

plan qui n’était qu’une ébauche ; et donc, par conséquent, un travail imposant. Mais un travail

passionnant aussi, un thème d’étude ouvrant sur tellement de perspectives que nous avons toujours

pu travailler avec un esprit d’apprenti, et ce malgré les difficultés rencontrées au long du chemin. Mais

la peine valait le coup. Tous les casamançais ont appris ce vers célèbre d’Alfred de Musset :

L’homme est un apprenti ; la douleur est son maître.

C’est ce qui nous a encouragé à persévérer dans cette voie, malgré l’ampleur de la tâche.

L’impression de découverte que nous avons éprouvé chaque jour, le plaisir ressenti à faire ce travail

ont été les moteurs, tout au long de la réalisation de ce projet, de notre progression vers un travail fini.

La difficulté de ce point de vue était également très importante : il s’agissait de se contraindre à arriver

au mois de juin avec un mémoire en bonne et due forme. A tous points de vue, les enrichissements

personnels de ce travail sont nombreux et complètent l’enrichissement plus théorique, mais cependant

indispensable, acquis sur les bancs de l’université et dans les salles des bibliothèques. Nous devons

parler de ces enrichissements personnels : en effet, le travail du mémoire de maîtrise se place dans le

contexte d’une initiation à la recherche, où l’étudiant devra tirer les leçons de tout ce qu’il a dû mettre

en œuvre mais aussi de toutes les difficultés qu’il aura pu rencontrer au cours de son travail. Les

spécificités de ce travail, dans un pays étranger, une autre culture, font que ces enrichissements

personnels sont ici particulièrement forts.

Mais il ne faudrait pas occulter l’apport scientifique ; bien que modeste, il est toutefois intéressant à

nos yeux, en apportant un certain regard, géographique, sur la région qui nous intéresse, et en tentant

une sorte de synthèse sur les problèmes qui se posent dans l’arrondissement de Tendouck en Basse-

Casamance. En se plaçant dans une problématique à mi-chemin entre la géographie régionale et la

géographie thématique, nous avons choisi une entrée particulière pour l’étude d’un territoire

particulier.

203

1 – Des enrichissements personnels très importants

Les enrichissements personnels, on l’aura compris, sont multiples et dépassent très largement

le cadre des études universitaires : une immersion de deux mois dans la culture sénégalaise et de

plus d’un mois dans les villages Diola, logé chez l’habitant, suppose évidemment de multiples apports

humains. Nous nous limiterons cependant, ici, sur les enrichissements en terme d’initiation aux

recherches. Il apparaît que le terrain sur lequel nous nous sommes penché n’est pas, comme nous

pouvons le trouver en Europe, envahi d’études et d’une cartographie spectaculaire qui permette,

comme cela se fait, d’étudier un espace sans même avoir recours à une présence sur le terrain. Ici, la

présence est indispensable : les cartes datant en général de la colonisation, les photographies

aériennes étant antérieures aux années 1980, et les rares études en général rangées au fond des

tiroirs à Ziguinchor, malgré la présence de mémoires et de thèses sur le territoire français, l’étude de

terrain devient primordiale. C’est l’enquête qui nous offre, finalement, la meilleure idée sur les

mécanismes sous-jacents du système que l’on a étudié. D’où le temps que nous avons mis à la

préparer. Et ce sont les entretiens qui offrent la deuxième source intéressante. En général, les

comptes-rendus que nous avons eu à consulter consistent en des rapports de séminaires, les

Sénégalais aimant les belles paroles et les cérémonies d’ouverture, les renseignements que l’on y

trouve sont très succincts.

Nous avons donc été contraint de revenir à une forme de géographie où l’outil informatique

n’est plus un remède miracle, mais simplement le support qui va aider à traiter un travail préalable très

important. C’est ce qui nous a permis de dresser la plupart des cartes. Et l’on se rend compte, à ce

moment, de la chance d’avoir pu vivre dans les villages, qui plus est dans la maison même du

président de la Communauté rurale de Mangagoulack, et d’avoir pu ainsi se rendre compte de

beaucoup de choses lors de rencontres informelles. La maison était chaque soir emplie de visiteurs et

nous passions de longues heures à discuter : la majorité des idées viennent ainsi. Cela nous a donc

apporté, dans l’optique de l’initiation à la recherche, le goût de partager le terrain lorsque l’on fait une

étude, d’avoir une approche plus personnelle, d’envisager, selon le mot de Gilles Sauter dans

Hérodote de 1976, « le territoire comme connivence ». La connaissance que nous avions des lieux a

étonné nos hôtes à Dakar, eux-mêmes ressortissants de Mangagoulack. Et d’ailleurs, avoir pu

également pu être hébergé chez des ressortissants de Mangagoulack à Dakar était tout aussi

enrichissant.

On se rend compte également de l’importance du travail bibliographique. Celui-ci nous a permis

d’avoir une connaissance déjà profonde sur le Blouf, qui s’est révélée évidemment extrêmement

superficielle lors de la découverte du terrain. Mais il a permis aussi de replacer très rapidement toutes

les informations obtenues dans leur contexte, et permis de raccourcir fortement un grand nombre

d’entretiens, puisque les personnes en face de nous se rendaient compte de la connaissance que

nous avions des problèmes. Ce travail bibliographique nous a pris, comme il a déjà été souligné, tout

un semestre ; et c’est une excellente initiation à ce type de travail, qui n’avait été qu’esquissé les

années précédentes. Sans avoir pu faire le tour, loin de là, de la bibliographie sur le sujet et sur

l’espace concerné, nous avons pu réunir une somme satisfaisante de connaissances de base qui

nous font dire que le travail de terrain a été bien préparé. C’est ce travail qui nous a permis de mettre

204

au point les grilles d’entretien81, ainsi que les questionnaires d’enquêtes ; en somme, il nous a permis

de bien cibler le sujet.

Enfin, on s’est rendu compte combien il est nécessaire, lors du travail de terrain, de rencontrer

le maximum de personnes possibles. Plus l’on en rencontrait, notamment à Ziguinchor, et plus l’on

avait une idée claire, non seulement des mécanismes, mais aussi et surtout des personnes

ressources (Fauroux, 2002) que nous pouvions rencontrer : cela nous a permis parfois de faire des

« bonds » dans le travail, notamment lors de deux venues à l’Agence régionale de développement, à

Ziguinchor. La première fois, nous y avons rencontré l’expert-conseil du PSIDEL* qui nous a remis

tous les plans locaux de développement ; la deuxième fois, nous avons vu le responsable, qui nous a

donné toute la cartographie que nous voulions. On nous avait glissé que ce qu’il ne détenait pas sur la

région, personne au Sénégal ne l’avait. Si nous avions poursuivi, nous aurions pu effectuer un travail

de suivi de certaines ONG dans leurs interventions sur le terrain. En tous les cas, l’on se rend compte

peu à peu, par le biais de ces rencontres, que les personnes qui détiennent le plus de pouvoir ne sont

pas toujours celles que l’on imagine ; c’est ce que montre l’ouvrage collectif Comprendre une société

rurale, appliquée à l’ouest malgache mais dont nous avons pu nous inspirer pour notre travail.

En clair, l’enrichissement personnel est multiple. Cette étude nous a permis de franchir le fossé

qui séparait l’apprentissage de la recherche proprement dite. Mais elle nous a aussi permis de

dégager des résultats extrêmement édifiants.

2 – Des apports scientifiques intéressants.

Il est un peu pompeux de parler « d’enrichissements scientifiques » pour un modeste mémoire

de maîtrise. Mais l’approche développée dans ce mémoire a permis d’apporter des connaissances, et

surtout une autre manière de penser l’évolution et les problèmes qui se posent dans le Blouf. La

majorité de ses habitants et de ses ressortissants, en effet, ont aujourd’hui une vision de ces

problèmes qui manque de recul, et les fait louer ce système qui leur apporte de plus en plus le confort

matériel, accusant de leurs problèmes la sécheresse, la pluviométrie, la « volonté de Dieu » en

quelque sorte. Ce travail apporte d’autres réflexions sur ces mutations, en relation avec le processus

de mondialisation, et une autre manière de voir qui pourra être utilisée, justement, pour remettre en

cause cette vision naturaliste des faits. C’est donc un enrichissement qui est de trois types : d’abord, il

y a création d’une information ; ensuite, il y a création d’une réflexion ; enfin, il y a possibilité d’adapter

cette réflexion à une application sur le terrain.

La création de l’information consiste essentiellement, on l’aura compris, en la menée d’une

enquête jusqu’au bout, que nous avons poussé à 100 individus alors qu’il était prévu une cinquantaine

avant de partir. Nous avons donc pu dégager un certain nombre de données, de statistiques par le

traitement de cette enquête ; l’utilisation de l’outil informatique, de la combinaison d’un logiciel de

traitement d’enquête, puis d’un logiciel de traitement de données (un tableur) et enfin d’un logiciel de

dessin ou de cartographie, nous a permis de créer également de la cartographie. A cette enquête

81 Voir annexe.

205

s’ajoute la création d’information existant déjà mais qui n’avaient pas été encore regroupées, par

exemple du point de vue de l’intervention des différentes ONG dans le Blouf, ou des différents projets

de développement. L’avantage de ce long et difficile travail de terrain a donc été de nous obliger à la

création de données qui n’existaient pas. Il est évident par exemple que les statistiques de la Direction

Régionale du Développement Rural (DRDR*) (document 36) sont absolument sans fondement :

chaque année, dans chaque département, on prend trente villages, et trois couples dans chacun de

ces trente villages est enquêté. C’est dire si l’on manque de renseignements valables… Nous-mêmes

avons pu réaliser une enquête sur 100 personnes, soit plus que les 90 de la DRDR, et sur d’autres

thèmes en plus de celui de l’agriculture. On peut donc estimer, en toute logique, que ce travail

d’enquête est primordial dans la compréhension des phénomènes socio-économiques et, par

conséquent, spatiaux : une telle misère de statistiques doit être compensée…

Document 36 : les statistiques de la Direction Régionale du Développement Rural (DRDR)…

Désignation

Données Comparatives de Productions

Objectifs de production 2004 / 2005

Réalisations 2004 / 2005

Réalisations 2003 / 2004

Réalisations 2002 / 2003

MilSup (Ha) 18. 000 20392 19. 200 14. 492

Prod (T) 14. 400 15. 921 15. 460 11. 430

SorghoSup (Ha) 1. 500 929 1. 447 1. 041

Prod (T) 1. 200 794 1. 229 1. 065

MaïsSup (Ha) 8. 000 5181 6. 576 1. 865

Prod (T) 12. 000 11. 923 9. 518 1. 007

RizSup (Ha) 40. 000 33. 825 39. 899 29. 629

Prod (T) 60. 000 42. 113 55. 973 23. 540

Arachide Huilerie

Sup (Ha) 18. 000 15. 720 12. 368 14. 436

Prod (T) 18.000 14. 328 11. 050 6. 357

NiébéSup (Ha) 1. 500 499 1.139 504

Prod (T) 900 224 183 213

TabacSup (Ha) 60 26 61 41

Prod (T) 18 13 49 28

SésameSup (Ha) 2.500 1. 933 394 380

Prod (T) 2.000 1.065 149 133

Total sup. (Ha) 89.560 78505 81. 545 62. 389

Sources : DRDR Ziguinchor. Statistiques pour l’ensemble de la région de Ziguinchor.

Mais, plus encore que l’enquête, c’est la réflexion sous-jacente aux travaux qui ont été réalisés

qui importe le plus. En effet, nous ne nous sommes jamais placé dans l’idée de récolter un maximum

d’information sans y mettre de l’ordre, sans y trouver une logique, des fondements, sans réaliser de

synthèse. Et l’ensemble de ces connaissances accumulées a contribué à former l’édifice de ce

mémoire, la mise en évidence d’un système nouveau, bouleversé par les données de la

mondialisation, où l’espace joue un rôle primordial comme héritage déterminant, influençant les

mutations, comme un bloc d’argile qui conserve les différents coups de griffe de cette mondialisation.

206

Un système fondé sur la présence de ressortissants un peu partout au Sénégal, dans les villes, mais

également en Europe et parfois même aux Etats-Unis. Où les ressortissants jouent à présent le plus

grand rôle dans les revenus des populations en envoyant couramment de l’argent à leur famille au

village. Où le village change peu à peu de fonction pour devenir au fil du temps un lieu de villégiature

et de repos pour cette pléthore de ressortissants, qui investissent au village en pensant à la retraite :

dans de confortables maisons, dans des infrastructures adaptées, dans des écoles et dans des

collèges qui permettront à leurs enfants de gagner leur vie en ville avec un bon travail, et à leur tour

de subvenir aux besoins de ceux qui reviendront vivre à la retraite. Où les villageois deviennent de

plus en plus attentistes, en raison du développement croissant de projets liés au retour à la paix et aux

nouveaux accords d’ajustement structurel signés par le Sénégal, et aux projets permis par la mise en

place de relations des ressortissants avec des personnalités en ville. Où tout, finalement, tend à

l’extraversion et à la mise sous dépendance d’un espace pourtant bien doté en potentialités agricoles

et culturelles.

Cela nous amène à envisager l’enrichissement personnel sous l’angle d’une recherche

appliquée. La compréhension d’un espace, en effet, est un préalable indispensable à l’action : il est

primordial de savoir ce que l’on risque lorsqu’on lance un projet de développement. Il peut entraîner

des conséquences totalement inattendues, voire contraire aux objectifs, en fonction des réalités du

terrain et surtout en fonction du système socio-économique qui sous-tend les logiques du territoire.

L’analyse de ce système permet donc d’en tirer des connaissances qui empêchent de partir sur une

pente qui pourrait devenir dangereuse. Mais elle permet aussi de mettre en évidence toute une série

de dysfonctionnements. En réponse à ces dysfonctionnements, l’on peut alors envisager des projets

qui iraient dans le sens contraire par le biais de réalisations permettant, par exemple, la création

d’activités de transformation au village et la mise en place d’un commerce équitable. Avec des bémols

cependant : pour le moment, la part du commerce équitable dans le monde est infime.

Ce travail se veut donc un travail complet, qui soit à la fois analyse scientifique rigoureuse et

document d’appui à la réalisation de projets futurs. En somme, il ne cache pas son engagement et sa

volonté de participer à des changements futurs qui doivent permettre à cette micro-région du Blouf de

prendre enfin la mesure de ses possibilités d’être l’exemple d’un développement africain réussi.

207

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GLOSSAIRE DES SIGLES

ADA : Association pour le Développement d’AffiniamADEB : Association pour le Développement de BoutœumAEEB : Amicale des Elèves et Etudiants de Boutégol (Dakar)AJAC : Association des Jeunes Agriculteurs de la CasamanceAMICAR : Amicale des Agriculteurs et Ruraux de BignonaARB : Association des Ressortissants de BoutégolARBRES : Association pour le Renouvellement des Bois et le Rétablissement de l’Ecosystème en SénégambieASACASE : Association Sénégalaise pour l’Appui à la Création d’Activités Socio-EconomiquesASPRODEB : Association Sénégalaise pour la Promotion du Développement à la BaseBAD : Banque Africaine de DéveloppementBID : Banque Islamique de DéveloppementCADEF : Comité Associatif pour le Développement du FognyCARITAS : Confédération d’organismes catholiques non gouvernementauxCEM : Collège d’Enseignement MoyenCERP : Centre d’Expansion Rurale PolyvalentCLCOP : Comité Local de Coordination des Organisations PaysannesCMEC : Caisse Mutuelle d’Epargne et de CréditCONGAD : Coordination des Organisations Non Gouvernementales (Ziguinchor)CORD : Coordination des Organisations Rurales du DépartementCPRA : Centre de Promotion Rurale d’AffiniamCRS : Catholic Relief ServicesENDA-ACAS : ENDA Action en CasamanceFED : Fonds Européen de DéveloppementFGPF : Fédération des Groupements de Promotion FéminineFMI : Fonds Monétaire InternationalFONDEM : Fondation Energies pour le MondeFONGZ : Fédération des ONG de ZiguinchorGERCA : Groupement d’Etudes Rurales de la CasamanceGIE : Groupement d’Intérêt EconomiqueGIP-RECLUS : Groupement Inter-Professionnel ; Réseau d’Etudes des Changements dans les Localisations et les Usages du Sol.GOPEC : Groupe opérationnel permanent d’études et de concertationGRDR : Groupement de Recherches en Développement RuralIDEN : Inspection Départementale de l’Education NationaleILACO : International Land Development ConsultantsNPA : Nouvelle Politique AgricoleONG : Organisation Non GouvernementalePAARZ-GTZ : Programme d’Appui aux Activités Socio-économiques de la Région de Ziguinchor (traduction de l’allemand)PAM : Programme Alimentaire MondialPAMLT : Plan d’Ajustement à Moyen et Long TermePAS : Plan d’Ajustement StructurelPIDAC : Projet Intégré de Développement de la CasamancePNIR : Programme National d’Infrastructures RuralesPREF : Plan de Redressement Economique et FinancierPSIDEL : Programme de Soutien aux Initiatives de Développement Local)RAB : Rassemblement des Associations de BoutégolSOMIVAC : Société de Mise en Valeur de la Casamance.UCAD : Université Cheikh Anta Diop (Dakar)UNICEF : Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (United Nations Children’s Fund)USAID : United States Aid for International Development

214

LISTE DES SOURCES

1. Enquêtes et entretiens

Dans les villages :

- Questionnaire d’enquête dans les villages de la communauté rurale de Mangagoulack : 100 enquêtes dont Tendouck 15, Diatock 15, Affiniam 15, Boutégol 10, Mangagoulack 10, Elana 10, Bodé 10, Boutœum 10, Djilapao 5.

- Entretien avec Bassirou Sambou, Président du Conseil Rural (PCR) de Mangagoulack.

- Entretien avec Sana Fofana Badji, PCR de Balingore.

- Entretien avec Moustapha Diedhou, PCR de Diégoune.

- Entretien avec Iancouba Bodian, PCR de Kartiack.

- Entretien avec Bacary Coly, PCR de Mlomp.

- Entretien avec plusieurs membres des Conseils ruraux.

- Entretien avec le secrétaire du Cadre Local de Coordination des Organisations Paysannes (CLCOP) à Diégoune.

- Entretien avec le trésorier du CLCOP à Dianki.

- Entretiens avec les responsables des Groupements d’Intérêt Economique (GIE) dans la Communauté rurale de Mangagoulack.

- Entretiens avec les pointeurs des digues anti-sel de la CR de Mangagoulack.

- Entretien avec des personnalités des villages dans le Blouf, des enseignants, directeurs d’écoles ou présidents d’associations de parents d’élèves et d’associations en tout genre.

- Entretien avec le directeur du Centre de Promotion Rurale d’Affiniam (CPRA).

- Séminaire de réflexion sur les activités du CPRA, le 2 et 3 février 2005.

A Ziguinchor :

- Entretiens avec les présidents des associations de ressortissants de la communauté rurale de Mangagoulack à Ziguinchor.

- Entretien avec les responsables de l’ONG Idée Casamance.

- Entretien avec le coordinateur régional du Programme Alimentaire Mondial (PAM).

- Entretien avec le coordinateur des projets de l’ONG Entreprise Works.

- Entretien avec la responsable des projets de l’UNICEF Ziguinchor.

- Entretien avec la présidente de l’ONG Kagamen.

- Entretien avec un responsable du Catholic Relief Services (CRS).

- Entretien avec un responsable de la Direction Régionale du Développement Rural (DRDR).

- Entretien avec l’expert-conseil du Programme de Soutien aux Initiatives Locales (PSIDEL).

215

- Entretien avec le responsable de l’Agence Régionale de Développement.

A Bignona :

- Entetien avec l’inspecteur d’académie du département de Bignona (IDEN Bignona).

- Entretien avec le bureau de l’Association pour le Reboisement de la Brousse et le Rétablissement de l’Ecosystème en Sénégambie (ARBRES).

- Entretien avec le coordinateur de la Fédération départementale des Groupements de Promotion Féminine (FDGPF).

A Dakar :

- Entretiens avec les présidents ou bureaux des associations de ressortissants des villages de la communauté rurale de Mangagoulack à Dakar .

- Entretien avec le bureau de l’Amicale des Elèves et Etudiants de Boutégol à Dakar.

2. Documents utilisés

- Plans locaux de développement des différentes Communautés rurales du Blouf : Mlomp, Kartiack, Diégoune, Balingore et Mangagoulack.

- Rapport d’activités 2004, ARBRES.

- Rapport d’activités 2004, CRS Ziguinchor.

- Rapport d’activités 2004, ENDA-Action en Casamance.

- Tableau des interventions du Programme Alimentaire Mondial (PAM) dans le Blouf.

- Document du PAM sur la vulnérabilité à la dépendance alimentaire au Sénégal.

- Rapports de Congrès des associations villageoises de la Communauté rurale de Mangagoulack.

- Documents internes aux associations de villages de la Communauté rurale de Mangagoulack, essentiellement à Dakar.

- Documents internes au Centre de Promotion Rural d’Affiniam (CPRA).

- Cartes thématiques du Centre de Suivi Ecologique, gracieusement fournies par l’Agence Régionale de Développement.

- Cartes IGN au 1 :200000e et au 1 :50000e de la Casamance, gracieusement fournies par l’Agence Régionale de Développement, sur support informatique.

- Photographies aériennes des zones d’Affiniam, Boutoeum et Djilapao gracieusement mises à notre disposition par l’association un.

- Photographies prises sur le terrain par Jean-Paul Glotin et Jérémie Parnaudeau. Quelques clichés de Franck Müller (ARD), gracieusement mis à notre disposition.

- Documents divers fournis par les ONG et les GIE.

- Documents internes à l’association un.

TABLE DES ILLUSTRATIONS

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Cartes :

1 – Situation du Blouf au Sénégal et dans le monde...…………………………………………………………… 152 – Situation du Blouf et de la Communauté rurale de Mangagoulack…………………………………………. 163 – L’entremêlement de la terre et de l’eau en Basse-Casamance..…………………………………………… 244 – Densités de population par communauté rurale au Sénégal...……………………………………………… 275 – Comparaison de la localisation et de la taille des villages du Fogny et du Blouf..….....…………………. 306 – Le Blouf, de l’évangélisation à la scolarisation coloniale…………………………………………………….. 377 – Accès à l’école dans les communautés rurales du Sénégal………………………………………………… 388 – Le recul de la forêt face à l’arachide selon P. Pélissier...……………………………………………………. 409 – Poids des lieux de destination dans l’exode rural de la Communauté rurale de Mangagoulack...……… 4610 – Lieux de résidence des présidents d’associations de ressortissants de la Communauté rurale de

Mangagoulack à Dakar.………………………………………………………………………………………. 4811 – Synthèse des spécificités du Blouf : entre héritages et mondialisation..…………………………………. 6212 – Localisation et dynamique des jardins de femmes aidés par le CPRA dans le Blouf...………………… 7413 – Revenus annuels et dynamique économique dans les jardins du Blouf aidés par le CPRA…………... 7514 – Un secteur résiduel : les activités génératrices de revenus dans le Blouf...……………………………... 7715 – Exode rural et population sur place dans la Communauté rurale de Mangagoulack...…………………. 8016 – Population des villages de la Communauté rurale se trouvant à Ziguinchor et à Dakar…….…………. 8117 – L’importance des transferts d’argent depuis l’extérieur dans la Communauté rurale de Mangagoulack.…

…………………………………………………………………………………………….... 8318 – Répartition de la pêche dans les villages de la Communauté rurale de Mangagoulack.………………. 9019 – Les recettes des associations de ressortissants de la Communauté rurale de Mangagoulack...………9820 – Effectif des écoles et collèges du Blouf.……………………………………………………………………. 10521 – Part de chaque secteur d’intervention dans les investissements des ressortissants de la Communauté

rurale de Mangagoulack..…………………………………………………………………………………… 10622 – Accords internationaux et construction d’infrastructures scolaires dans le Blouf……………………… 11323 – Bilan de l’intervention du Programme Alimentaire Mondial dans le Blouf……………………………… 11624 – Consommation de riz Diola dans les villages de la Communauté rurale de Mangagoulack…………. 11925 – L’importance de l’exode des élèves dans la Communauté rurale de Mangagoulack.......................... 13126 – Position des digues anti-sel dans la Communauté rurale de Mangagoulack...………………………… 14627 – Digues anti-sel et effectifs des travailleurs dans le Blouf…………………………………………………. 14828 – Synthèse des mutations spatiales liées au processus de mondialisation dans la Communauté rurale de

Mangagoulack……………………………………………………….....……………………………………. 16529 – Accès à l’eau potable dans les communautés rurales du Sénégal ..……………………………………. 16930 – Accès à la santé dans les communautés rurales du Sénégal..………………………………………….. 17031 – Le rôle de quelques paramètres dans la situations socio-économique des villages..…………………. 17232 – Synthèse des évolutions spatiales sur les finages d’Affiniam, Boutœum et Djilapao...……………….. 184

Graphiques :

1 – Evolution de la pluviométrie à Ziguinchor entre 1960 et 1989..…………………………………………….. 232 – Part de la population de la famille à l'extérieur par rapport à la population sur place

en fonction des personnes interrogées …………………………………………………………...………..….. 443 – Proportion des personnes ayant déjà vécu ailleurs par classe d’âge...……………………………………. 454 – Comparaison du poids économique et du poids humain des activités rémunératrices des personnes interrogées dans la Communauté rurale de Mangagoulack……………………………………………………... 645 – Part des revenus du maraîchage dans les dépenses annuelles des personnes interrogées…………… 656 – Part des revenus de l’arachide dans les dépenses annuelles des personnes interrogées……………… 667 – Part des revenus de l’arboriculture dans les dépenses annuelles des personnes interrogées.………… 678 – Revenus de l’activité principale de la population féminine interrogée..……………………………………. 739 – Raisons invoquées de la vie au village des personnes interrogées……………….……………………….. 7810 – Raisons invoquées de la vie au village chez les plus de 50 ans dans la Communauté rurale………… 8211 – Part des personnes interrogées recevant de l’argent de leur famille………...…………………………… 8212 – Part de l’argent reversé de l’extérieur dans le revenu total des ménages de la Communauté rurale.... 8413 – Avis des personnes interrogées sur leur avenir au village… ……………………………………………… 8814 – Part de chaque secteur dans les projets d’avenir des personnes interrogées.………………………….. 9315 – Part des diverses structures de l’ADA* dans les revenus villageois d’Affiniam..……………...……….. 10116 – part des élèves admis au certificat d’études et de la population du Blouf dans le département…...… 10717 – Comparaison des différents plans d’investissement locaux des communautés rurales du Blouf……. 110

217

18 – Budget d’investissement 2005 de la Communauté Rurale de Mangagoulack...……………………….. 11119 – Comparaison des taux d’alphabétisation de la Communauté rurale et du Sénégal…………………… 11820 – Taux de réussite à l’entrée en sixième des écoles du département de Bignona..…………………….. 12021 – Total de l’argent reversé aux personnes interrogées en fonction de la destination……………...……. 12122 – Nombre d’enfants par personne interrogée………………………………………………………………… 12223 – Nombre d’enfants par personne mariée dans la Communauté rurale de Mangagoulack…......……… 12324 – Nombre d’enfants des plus de 50 ans dans la Communauté rurale de Mangagoulack….....………… 12325 – Emploi en ville des femmes interrogées ayant déjà vécu ailleurs...……………………………………... 12726 – Niveau d’études et projet personnel dans la Communauté rurale de Mangagoulack…………………. 12827 – Niveau d’études des personnes interrogées dans la Communauté rurale de Mangagoulack…..…… 12828 – Durée de consommation de riz local dans la Communauté rurale de Mangagoulack………………… 12929 – Nombre de sacs de riz thaï acheté chaque année………………………………………………………… 13230 – Part de la rémunération des activités au village dans la dépense totale........………………………..… 133

Documents :

1 – Photographie satellite du Sénégal……………………………………………………………………………… 222 – carte des densités de population en Basse-Casamance (Pélissier, 1966)..………………………………. 283 – Le kadiandou Diola (Pélissier, 1966)...………………………………………………………………………… 324 – Les projets de développement économiques financés par des partenaires extérieurs dans le Blouf….. 705 – résumé de questionnaire n°1...…………………………………………………………………………………. 786 – résumé de questionnaire n°2…………………………………………………………………………………… 797 – résumé de questionnaire n°3…………………………………………………………………………………… 858 – résumé de questionnaire n°4…………………………………………………………………………………… 859 – résumé de questionnaire n°5…………………………………………………………………………………… 8610 – Organigramme du système socio-économique dans le Blouf …………………………………………….. 8711 – Organigramme de l’association Honnoro de Tendouck...………………………………………………….. 9612 – l’organisation des « villages multi-locaux » dans la Communauté rurale de Mangagoulack...………… 9713 – les moyens utilisés pour financer les projets par les associations de ressortissants des villages de la

Communauté Rurale de Mangagoulack…………………………….………………………………………. 9914 – Le fonctionnement financier de l’association Honnoro de Tendouck.…………………………………... 10015 – Les réalisations dues aux influences des ressortissants dans la Communauté rurale…...…………… 10216 – Les réalisations des ressortissants dans la Communauté rurale de Mangagoulack..……...…………. 10717 – Les nouveaux projets des bailleurs de fonds dans la Communauté rurale de Mangagoulack. ……… 10918 – Les investissements prévus par le PSIDEL dans le Blouf.....……………………………………………. 11119 – Histoire du CEM de Balingore……………………………………………………………………………….. 11420 – L’amicale des élèves et étudiants de Boutégol……………………………………………………………. 12021 – Trois exemples d’un retour au village non souhaité en attendant de revenir à la ville………………… 12622 – Trois exemples d’un retour au village lié au besoin de s’occuper des parents……………...…………. 12623 – L’autosuffisance alimentaire moyenne des régions du Sénégal et la situation en 2002……………… 13024 – Bloc-diagramme mettant en lumière l’évolution des zones basses dans le Blouf………………………14125 – Evolution des rizières sur 46 ans, dans les terroirs d’Affiniam, Boutœum et Djilapao……………....... 14526 – Statistiques sur les digues anti-sel dans la Communauté rurale de Mangagoulack.………………….. 15027 – Bloc-diagramme des mutations affectant les terres de plateau dans le Blouf………………………….. 15428 – Liste des petits métiers d’appoint dans le Blouf………………………………………...…………………. 15629 – Résumé de questionnaire n°6………………………………………………………...……………………... 16130 – A Boutœum, des femmes s’organisent seules…………………………………………………………….. 17631 – L’ONG Idée Casamance……………………………………..………………………………………………. 17632 – L’ ONG Kagamen……………………………………..…………...………………………………………….. 17733 – La Caisse Mutuelle d’Epargne et de Crédit de Tendouck…………..……………………………………. 17834 – les GIE développant des activités génératrices de revenus dans la Communauté Rurale de

Mangagoulack……………………………………………..………………………………………………… 17835 – Un système territorial gardant l’impact des mutations……………………………………………………. 18336 – Les statistiques de la Direction Régionale du Développement Rural (DRDR)……...………………..... 188

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Photographies :

1 – Un type de terroir Diola : le plateau couvert d’une forêt sèche (J. P.)82... ……….……………….…....….. 252 – Un type de terroir Diola : les zones semi-inondables, couvertes de rizières (J. P.)………………………. 253 – Un type de terroir Diola : mangrove et bolong (J.-P. G.)..…………………………………………………… 254 – La « Casamance heureuse », du temps des belles et profondes rizières (Pélissier).……………………. 325 – La mission catholique d’Elana (J. P.)………………………………………………………………………….. 356 – La « verte Casamance » à la peau dure, ici à Affiniam (J. P.)...……………………………………………. 417 – Photographie aérienne de la zone de Tendouck (IGN, 1959)………………………………………………. 498 – Le maraîchage, une culture de substitution, à Mlomp (J.-P.)...……………………………………………... 529 – Le barrage d’Affiniam vu du sol (J. P.)………………………………………………………………………… 5610 – Le barrage d’Affiniam, vue aérienne oblique (F. Müller)…………………………………………………… 5611 – un petit barrage anti-sel entre Tendimane et Balingore (J.P.)..…………………………………………… 5612 – La devanture du magasin de la SOMIVAC à Elana (J. P.)………………………………………………… 5713 – Bananeraie à Mlomp (J. - P. G).………………………………………………………………………………. 5714 – Illustration du recul du maraîchage collectif à Elana (J. P.).……………………………………………….. 6515 – A Affiniam, la récolte d’arachide est maigre (J.-P. Glotin)...……………………………………………….. 6616 – La pompe désaffectée du jardin du PIDAC à Mangagoulack (J. P.)……………………………………… 6817 – Le grillage cassé du jardin du PIDAC à Tendouck (J. P.)………………………………………………….. 6818 – Le jardin des Amis d’Elana, envahi de manguiers (J. P.)..………………………………………………… 6919 – Une pépinière mise en place par le CRS, à l’abandon à Diatock (J. P.)…………………………………. 6920 – la case des pêcheurs de Bodé, témoin d’un ancien projet de pêche désormais abandonné (J. P.)….. 6921 – Une action de reboisement du GIE Karonguen Karamba à Diatock (J. P.)……………………………… 7122 – Le centre de soudure du GIE Karonguen Karamba à Diatock (J. P.).................................................... 7123 – La pépinière du GIE Karonguen Karamba à Diatock (J. P.).………………………………………………. 7124 – Le centre de couture financé par l’Ambassade de Hollande à Diatock (J. P.)…………………………… 7225 – Le jardin des femmes de Bodé, encadré par le CPRA (J. P.)...…………………………………………… 7226 – Le jardin des femmes de Mlomp, encadré par le CPRA (J. P.)...…………………………………………. 7327 – Le jardin des femmes de Bémé (Diatock), encadré par le CPRA (J. P.)...………………………………. 7328 – Séminaire du CPRA d’Affiniam, les 2 et 3 février 2005 (J. P.)……………………………………………. 7629 – Maison totalement cimentée à Affiniam (J. P.)...……………………………………………………………. 8530 – Pirogue de pêche à Mangagoulack (J. P.)..………………………………………………………………… 8831 – Techniques de construction de maisons à Tendouck (J. P.)……..……………………………………….. 9132 – Techniques de construction des plafonds à Boutœum (J. P.)…………………………………………….. 9233 – Une pépinière en pleine brousse (J. P.)………. ……………………………………………………………. 9434 – Le télécentre de Mangagoulack (J.-P. G.)..………………………………………………………………… 10135 – Le Collège d’Enseignement Moyen de Mangagoulack (J. P.)...…………………………………………. 10336 – Défrichage d’un terrain pour construire un collège à Affiniam (J. P.)……………………………………. 10437 – Collège en fin de construction à Dianki (J. P. Glotin)……………………...……………………………… 10438 – Le Collège d’Enseignement Moyen de Tendouck, fonctionnel (J. P.)…………………………………... 10437 – L’école privée d’Elana, fermée (J.-P. G.)…………………………………………………………………… 11239 – Réhabilitation d’école à Mangagoulack par l’UNICEF (J. P.)…………………………………………….. 11240 – Bâtiment construit par la Banque islamique de développement dans l’école de Tendouck (J. P.)….. 11241 – Bâtiment construit par la Banque islamique de développement dans l’école de Tendouck (J. P.)….. 11242 – Le collège de Balingore (J. P.)………………………………………………………………………………. 11443 – Intérieur de l’école maternelle de Dianki(J. P.)…………………………………………………………….. 11444 – La cantine scolaire d’Affiniam (J. P.).…………..…………………………………………………...……… 11545 – A Mangagoulack, un grenier à riz qui s’épuise (J. P.)…………………………………………………….. 13046 – La danse de l’initiation de Tendouck à Ziguinchor (J. P.)………………………………………………… 13647 – Digues en friche à Mandégane (J. P.)……………………………………………………………………… 14048 – Digues en friche à Affiniam (J. P.)………………………………………………………...………………… 14049 – La mince bande des rizières encore cultivées à Mangagoulack (J. P.)……………………………….... 14250 – Vestiges de diguettes rizicoles sur les tannes à Mangagoulack (J. P.)……………….………………… 14251 – La digue de la fondation Jean-Paul II à Mangagoulack (J. P.)…………………………………………… 14352 – Vastes rizières en friche à Djilapao (J. P.)…………………………………...…………………………….. 14453 – Construction d’une digue anti-sel à Diatock (J. P.)…………………………………………...…………… 14754 – La digue anti-sel de Djilapao (J. P.)…………………………………………………………………………. 147 55 – Vue sur rizière, digue et mangrove à Elana depuis le plateau (J. P.)………………………………...…. 14756 – Les vannes de la digue anti-sel de Mangagoulack (J. P.)..………………………………………………. 14957 – La pirogue de transport d’Affiniam (J.-P. G.)………………………………………………………………. 152

82 L’initiale J. P. désigne Jérémie Parnaudeau, J.-P. G. désignant Jean-Paul Glotin.

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58 – Voiliers au large des rizières de Djilapao (J. P.)…………………………………………………………… 15259 – Photographie aérienne des villages de Boutœum, Affiniam et Djilapao (IGN)….……………………… 15560 – Le jardin du PIDAC de Mangagoulack à l’abandon (J. P.)……………………………………………….. 15861 – Le jardin d’Elana quasi abandonné (J. P.)…………………………………………………………………. 15862 – Maison en construction à Tendouck (J. P.)………………………………………………………………… 16163 – Maison en construction à Affiniam (J. P.)…………………………………………………………………... 16164 – Grande maison d’un ressortissant de Mlomp en France, dans le village (J. P.)……………………….. 16265 – La grande mosquée de Dianki (J. P.)……………………...……………………………………………….. 16366 – Briques en ciment pour la construction de maisons en dur (J. P.)....……………………………………. 16767 – A Djilapao, maison en dur d’un ressortissant à Dakar (J. P.)…………………………………………….. 16768 – A Affiniam, la « villa » d’un officier en retraite (J. P.)…………...…………………………………………. 16769 – Extérieur de l’école maternelle de Dianki (J. P.)……………………...…………………………………… 16870 – Fabrication d’huile de palme par un GIE de Dianki (J. P.)....…………………………………………….. 177

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ANNEXES

Annexe 1 : Exemple d’un questionnaire d’enquêteAnnexe 2 : Grille d’entretien avec les organisations paysannes, les écoles et

collèges, les ONG et les ressortissantsAnnexe 3 : Entretien avec Bassirou Sambou, PCR de MangagoulackAnnexe 4 : Atelier de réflexion et d’échange sur l’intervention du CPRA auprès

de groupements féminins dans le département de Bignona, les 2 et 3 février 2005, CPRA d’Affiniam

Annexe 5 : Statistiques sur les GIE aidés par le CPRA d’AffiniamAnnexe 6 : Documents sur l’ONG KagamenAnnexe 7 : Rapport de séminaire sur l’implication des ressortissants du Blouf,

ENDA-ACAS, 3 au 5 juillet 1998Annexe 8 : Rapport de Congrès de l’association Honnoro de Tendouck, le 8

juin 2003Annexe 9 : Résumé du rapport de congrès d’Affiniam, le 13 et 14 août 2001

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