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I NSTITUT N ATIONAL DE LA STATISTIQUE ET DES ÉTUDES ÉCONOMIQUES Série des documents de travail de la Direction des Etudes et Synthèses Économiques Juin 1999 Je tiens à remercier Bruno CREPON, Guy LAROQUE et Françoise MAUREL pour leurs remarques. _____________________________________________ * ENSAE - Faisait partie du Département des Etudes Economiques d’Ensemble au moment de la rédaction de ce document. Département des Etudes Economiques d'Ensemble - Timbre G201 - 15, bd Gabriel Péri - BP 100 - 92244 M ALAKOFF CEDEX - France - Tél. : 33 (1) 41 17 60 68 - Fax : 33 (1) 41 17 60 45 Ces documents de travail ne reflètent pas la position de l’INSEE et n'engagent que leurs auteurs. Working papers do not reflect the position of INSEE but only their author's views. G 9907 L’impact des contraintes financières dans la décision d’investissement Fabienne ROSENWALD *

L’impact des contraintes financières dans la décision d ... · 2 Résumé L’étude de l’investissement est centrale ... particulier à la suite d’un courant s’intéressant

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INSTITUT NATIONAL DE LA STATISTIQUE ET DES ÉTUDES ÉCONOMIQUES

Série des documents de travailde la Direction des Etudes et Synthèses Économiques

Juin 1999

Je tiens à remercier Bruno CREPON, Guy LAROQUE et Françoise MAURELpour leurs remarques.

_____________________________________________* ENSAE - Faisait partie du Département des Etudes Economiques d’Ensemble au moment de la rédaction de ce document.

Département des Etudes Economiques d'Ensemble - Timbre G201 - 15, bd Gabriel Péri - BP 100 - 92244 MALAKOFF CEDEX -France - Tél. : 33 (1) 41 17 60 68 - Fax : 33 (1) 41 17 60 45

Ces documents de travail ne reflètent pas la position de l’INSEE et n'engagent que leurs auteurs.Working papers do not reflect the position of INSEE but only their author's views.

G 9907

L’impact des contraintes financières

dans la décision d’investissement

Fabienne ROSENWALD *

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Résumé

L’étude de l’investissement est centrale pour la compréhension de l’activitééconomique. Sa forte volatilité contribue aux fluctuations de l’économie de façon nonnégligeable. Son rôle à court-terme dans la demande totale et son rôle à plus long-terme dans l’offre totale font de l’investissement une variable clef de l’économie.Régulièrement on s’interroge sur un possible retard de l’investissement qui aurait delourdes conséquences sur l’avancée technologique de l’économie et surl’introduction d’innovations dans les processus de production. Or le comportementd’investissement, s’il fait l’objet d’une nombreuse littérature économique etempirique, est très mal cerné par des équations économétriques. En particulier, lorsdu dernier cycle conjoncturel, devant la difficulté à expliquer la majeure partie desfluctuations observées, on s'est penché sur les liens entre la sphère réelle et la sphèrefinancière. L’utilisation, pour décrire l'évolution de l'investissement, d'un modèled'accélérateur, ou de tout modèle où l'on donne un rôle aux fonds propres ou àl’endettement, s’est révélée beaucoup mieux adaptée au niveau empirique qu'un q-modèle où le financement interne et le financement externe sont traités de façonsymétrique. La théorie des problèmes d’information permet d'expliquer cesphénomènes en rendant dépendantes les décisions réelles et financières desentreprises. Une littérature, regroupée sous le terme de canal large du crédit, s’estdéveloppée autour de ces thèmes et vise à expliquer l’impact de divers chocs sur lescomportements des agents économiques en se fondant sur l’existenced’imperfections sur le marché du crédit. Dans cette note, nous dressons un brefpanorama de l’impact de ces courants économiques sur la modélisation desdécisions d’investissement, que ce soit du côté théorique ou du côté empirique.

Mots-clés : investissement, canal du crédit, asymétries d’information.

Abstract

Investment plays a central role for the understanding of business cycles. But theinvestment behaviour, although widely studied in the theoretical and empiricalliterature, is poorly explained by econometric equations. As a matter of fact theintroduction of financial variables in investment models greatly improves theexplanation power of empirical equations. The theory of informational asymmetries,by making real and financial corporate decisions dependent, may explain suchphenomena. A strand of literature, known as large credit channel or as financialaccelerator, explains the impact of shocks on corporates’ behaviour by introducingimperfections in credit markets. In this paper we give a brief survey of this literatureand of its consequences on theoretical and empirical models of investment.

Keywords : investment, credit channel, asymmetric information.

Classification JEL : C23 ; D21 ; D82 ; G14

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Introduction

Lors du dernier cycle conjoncturel qu'ont connu les pays industrialisés une attentiontoute particulière a été portée aux facteurs financiers. Devant la difficulté à expliquerla majeure partie des fluctuations observées, on s'est penché sur les liens entre lasphère réelle et la sphère financière. Le rôle des imperfections financières du marchédes capitaux sur la propagation et l'amplification des chocs, en particulier monétaires,a été particulièrement mis en avant. En effet plusieurs phénomènes sont difficilementexplicables ou interprétables dans un marché financier parfait. Ainsi, le caractèreprédictif de l'écart de taux entre les billets de trésorerie et les bons du Trésor etsurtout le succès empirique limité des modèles d'investissement néoclassique oudérivés de la q-théorie semblent difficilement conciliables avec un cadre de marchésfinanciers parfaits. Dans les modèles d'investissement néoclassiques ou dérivés de laq-théorie, le financement interne et le financement externe sont traités de façonsymétrique. Le succès empirique de ces modèles est limité. En particulier un modèleaccélérateur, ou tout modèle où l'on autorise un rôle des fonds internes via la variableprofit ou les variables de fonds propres ou d’endettement1, apparaissent plusadaptés.

Depuis une dizaine d’années s’est développé un regain d’intérêt pour l’étude desliens entre les décisions d’investissement et les décisions de financement, enparticulier à la suite d’un courant s’intéressant aux canaux de transmission de lapolitique monétaire. Ainsi, à côté d'un canal traditionnel, appelé canal monétaire(liquidité-taux d'intérêt), certains économistes mettent en valeur des frictions sur lemarché des capitaux comme élément fondamental de transmission et de propagationde chocs monétaires, ou d’autres chocs. Deux approches sont envisagées. Le canaldu crédit au sens large part de la constatation qu'il existe des imperfectionsfinancières sur les marchés des capitaux (dues à des problèmes d'informationimparfaite). Tous les moyens de financement externe des agents sont des substitutsimparfaits au financement interne. La différence de coût entre ces deux sortes definancement varie inversement avec la richesse nette de l'emprunteur2. Tout choc quiaffecte cette richesse (choc sur la valeur des garanties, sur les prix futurs du capital,sur la valeur de l'immobilier par exemple) est alors propagé et amplifié. Le canallarge du crédit est le mécanisme par lequel la politique monétaire, et plusgénéralement tout choc, affecte la différence de coût entre le financement externe etle financement interne. Les effets d'un choc varient donc selon l'exposition desemprunteurs aux imperfections financières. Les travaux se rattachant à ce courantétudient les conséquences des imperfections du marché des capitaux sur les moyensde financement des entreprises, sur leurs décisions d'investissement, d'emploi et destockage, sur la nature des intermédiaires financiers et sur la propagation de chocs

1 cf. l’encadré de la note de conjoncture de l’INSEE de mars 1998.2 La théorie des problèmes d'information permet d'expliquer ces phénomènes en rendant

dépendantes les décisions réelles et financières, soit via des problèmes d'information cachée àla Myers-Majluf [1984] où les prêteurs ne sont pas sûrs de la qualité des emprunteurs, soitdes problèmes d'agence à la Jensen-Meckling [1976], où on met l'accent sur les conflitsd'intérêt entre le dirigeant de l'entreprise et les actionnaires. Dans ces deux cas on obtient unécart de coût entre le financement interne et le financement externe et donc une sensibilité desdécisions réelles des agents à leurs fonds propres. Nous aborderons ce sujet en section 1.

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monétaires. Le canal strict du crédit distingue les crédits bancaires des autresmoyens de financement. Il est plus particulièrement lié à la nature spéciale desbanques par rapport aux autres intermédiaires financiers. Si les banques ne peuventisoler leur activité de prêteur des chocs de la politique monétaire et si certainsemprunteurs ne peuvent substituer à leurs emprunts bancaires d'autres financements,alors la politique monétaire, en agissant sur l'offre de fonds bancaires proposée à cesagents, a un rôle, indépendant du mouvement de l'ensemble des taux d'intérêt, surleurs décisions de dépenses. Il repose sur une imparfaite substitution entre les prêtsbancaires et les autres actifs financiers des banques et des entreprises. La politiquemonétaire agit directement sur les prêts bancaires : après une contraction monétaireles banques réajustent leur portefeuille en réduisant leur offre de prêts (elles nepeuvent pas compenser autrement à cause de l'imparfaite substitution). L'activité desagents fortement dépendants de ce type de financement est alors touchée.

Si le canal strict du crédit centre son analyse sur les prêts bancaires et sur les chocsmonétaires, le canal large du crédit repose plus sur l'amplification des effets dueaux imperfections financières que sur la possibilité de la politique monétaire dedirectement réguler les prêts bancaires. Les deux théories sont différentes puisquedans le cas du canal large du crédit les banques ne sont pas un point central et quetout choc, même non monétaire, qui affecte la prime de coût entre le financementexterne et le financement interne peut déclencher un mécanisme de propagation. Lecanal strict du crédit nécessite plus d'hypothèses que le canal large du crédit puisqu'ilsuppose que les banques sont des agents économiques soumis, eux-aussi, à desproblèmes d'imperfections financières dans leur financement externe. Pour une revuede la littérature on pourra se reporter à Bernanke et Gertler [1995], Pollin [1996],Rosenwald [1995].

L'analyse du canal large du crédit est particulièrement attirante parce que, en sus deses bases micro-économiques solides, elle permet d'expliquer de nombreuxphénomènes et comportements qu'un canal monétaire via le coût du capital ne peutinterpréter. Le canal du crédit permet de mieux comprendre les évolutions et lessignifications des principaux agrégats et variables financières. En particulier il donneune interprétation du faible impact des taux d'intérêt obligataires sur les décisionsd'investissement des entreprises, observé empiriquement, sans pour autant nier leseffets que peut avoir la politique monétaire sur les décisions de dépenses des agents.On peut ainsi mettre en relief les conséquences des caractéristiques des marchésfinanciers dans l'influence des politiques monétaires et souligner l'importance de lacomposition des portefeuilles des banques ainsi que les effets de toutes lesréglementations du secteur bancaire. Ainsi le canal du crédit permet d'expliquer lefort impact de la politique monétaire sur les dépenses de biens durables. En effet,alors qu'on n'arrive pas à faire ressortir des estimations économétriques un impact dutaux d'intérêt, le fait d'introduire des variables qui sont des proxies de la prime definancement externe améliore considérablement le pouvoir prédictif de ces équations.Finalement le canal du crédit explique le fait qu'il existe des effets différenciés de lapolitique monétaire sur les entreprises selon leur taille. Une petite entreprise serait

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plus touchée qu'une grande entreprise lors d'une restriction monétaire parce qu'ellen'a guère accès à d'autres moyens de financement que les crédits bancaires.

Un modèle inspiré de Oliner et Rudebush [1994] permet une visualisation graphiquede l’impact de l’existence d’imperfections sur le marché du crédit sur la décisiond’investissement et du mécanisme de transmission de chocs. On suppose que le coûtde financement externe est de la forme r f B rf+ +θ Ω( , ) où r f représente le taux

sans risque, θ le facteur normal de risque approprié pour l'entreprise et Ω( , )B rf la

prime de financement externe, fonction croissante du besoin de financement B et dutaux r f (on pose Ω( , ) ( )B rf rf I F= −λ où I est le niveau d'investissement et F

les cash-flows de l’entreprise). On spécifie la demande d'investissement parr I= − +κ υ. S’il n’y avait pas d’imperfection sur le marché du crédit, l’entreprise sefinancerait à r f + θ et la courbe d’offre serait horizontale. Pour une entreprise

disposant d’un montant d’autofinancement AF* le niveau d‘investissement choisisera donc I*, beaucoup plus faible que le montant I qui serait celui choisi enprésence de marchés financiers parfaits(cf. graphique 1). Si le niveaud’autofinancement de l’entreprise augmente jusqu’à AF** cette dernière vaaugmenter ses investissements jusqu’à I**. La sensibilité de l’investissement auniveau de l’autofinancement est claire.

Graphique 1

I* I** IAF* AF** I

r

r f + θ

offre

demande

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Le graphique 2 permet de visualiser l’effet d’une hausse du taux de refinancement. Sice dernier augmente de r f à r f ' les courbes d’offre de financement externe se

déplacent sous l’effet de plusieurs facteurs :

(1) l’effet coût du capital qui fait monter la courbe de r f + θ à r f '+θ

(2) l’effet accélérateur financier qui modifie la pente de la prime de financementexterne puisque cette dernière dépend du taux de refinancementΩ( , ) ( )B rf rf I F= −λ

(3) toujours l’effet accélérateur financier : une hausse des taux de refinancements’accompagne d’une baisse des cash flows de l’entreprise (soit parce qu’on a unebaisse générale de l’activité, soit parce que les frais financiers s’élèvent si l’entrepriseest endettée à court terme...) qui fait baisser le seuil à partir duquel la courbe d’offrede financement externe s’éloigne de l’horizontale (on peut également envisager que lahausse du taux de refinancement modifie le risque de l’entreprise et agisse sur λ).

A la suite d’une hausse du taux de refinancement, en l’absence d’imperfectionsfinancières, l’entreprise modifierait son investissement de I(1)* à I(2)*. Lorsque lesmarchés financiers sont imparfaits l’entreprise passe de I(1) à I(2) : la baisse est plusforte, le mécanisme de l’accélérateur financier a accentué la baisse.

Graphique 2

r

II(2) I(1) I(2)* I(1)*

r f + θ

r f '+θ

Ainsi l’abondante littérature sur le canal du crédit a ravivé l’intérêt déjà ancien (cf.Malinvaud) pour la prise en compte du comportement de financement etl’introduction de variables financières ou de profit dans les équationsd’investissement. Les articles appartenant à ce courant ont étendu les modèlesconventionnels de choix d'investissement, de stocks ou d'emploi pour y incorporerun rôle des contraintes financières, que ce soit du côté théorique ou empirique. Nouspasserons en revue successivement ces deux volets de la prise en compte del’impact de contraintes financières sur l’investissement des entreprises.

Dans une première partie, nous exposerons quelques modèles types de la littératuredu canal du crédit qui fourniront les arguments théoriques expliquant pourquoi des

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problèmes d'information et d'incitation introduisent un écart entre le coût definancement interne et externe, et les conséquences de telles imperfections financièressur le comportement d’investissement des agents. Ces modèles disposent del'ingrédient nécessaire pour générer un canal du crédit : tous les moyens definancement externes (crédits bancaires et autres) sont des substituts imparfaits aufinancement interne et le comportement de certains emprunteurs dépend de leurrichesse nette, de leurs flux de trésorerie et de la valeur de leurs garanties. Quelle quesoit l'origine de l'imperfection financière, tous les modèles aboutissent à desprédictions similaires :

→ Les frictions du marché des capitaux créent une hiérarchie des différentsfinancements. Le financement externe est plus onéreux que le financement interne. Ladifférence de coût reflète le coût d'agence lié à des problèmes d'informationasymétrique.

→ Cette différence de coût varie inversement avec la richesse nette del'emprunteur (c'est à dire avec ses fonds internes et la valeur de garantie de ses actifsilliquides). Tout choc sur cette richesse peut modifier cette différence de coût, pesersur les décisions de l'entreprise et donc déclencher un mécanisme de propagationdes cycles.

→ La prime de financement diminue avec la qualité des agents, que cettequalité soit mesurée par la valeur de leurs collatéraux, ou par un autre indicateur dudegré des problèmes d'information auxquels ils sont confrontés. On peut ainsipenser, en particulier, que la taille d’une entreprise est un bon proxy pour l’amplitudedes problèmes d’information entre l’entreprise et ses investisseurs extérieurs. Onpeut aussi utiliser le fait que l’entreprise fasse ou non partie d’un groupe ou le fait quel’entreprise émette ou non des dividendes... Nous verrons plus précisément cesindicateurs dans la suite de l’exposé.

On aboutit ainsi à des phénomènes de fuite vers la qualité, c'est-à-dire desmouvements sur la qualité des emprunteurs qui entrent ou quittent le marché du créditselon le niveau de cette prime. Un choc sur cette dernière induit des changements decomportements en fonction du niveau des difficultés qu’a l’agent à trouver dufinancement externe. Les emprunteurs de "moins bonne qualité" voient leurs créditsdiminuer au profit des agents de "meilleure qualité".

→ Dans le cas limite on peut aboutir à des situations de rationnement : le prêteurlimite le niveau des fonds prêtés sinon son profit diminuerait parce que desentreprises trop risquées emprunteraient.

En particulier, l'effet d'une hausse du taux d'intérêt sur les comportements d'un agentne passe pas seulement par un effet classique du coût du capital (qui fait augmenter laproductivité marginale exigée) mais aussi par l'impact négatif qu'il a sur la valeur descollatéraux et de la richesse nette de l'agent, ce qui amplifie ainsi les conséquencesdes problèmes d'information et réduit ses possibilités de financement (la productivité

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marginale exigée est augmentée de ce coût lié aux frictions). Ses capacités d'empruntsont alors affectées et son activité en pâtit. Le choc initial est ainsi propagé etentretenu.

Dans une deuxième partie, nous étudions deux situations concrètes. La premièreconcerne l’impact d’un choc boursier (baisse brutale du cours des actions) sur lesdécisions d’investissement. Nous distinguons les effets prédits dans le cadre standardde la q-théorie et ceux que l’on pourrait observer dans le cadre du canal large ducrédit. La deuxième situation que nous considérons est celle du financement desprojets innovants. Nous montrons le rôle spécifique joué par les problèmesd’information, et nous examinons comment ils peuvent être résolus.

Nous passerons ensuite en revue les modélisations économétriques del’investissement en présence de contraintes financières. Il s’agit d’articles qui testentl’existence d’un impact de variables financières sur les décisions d’investissement desentreprises et de nature soit macro-économique, soit micro-économique. Nousn’étudierons que des modèles sur données individuelles. L'intérêt des données dePanel est qu'elles permettent de mieux examiner au niveau individuel l'incidence et lasévérité des problèmes d'information. Dans les modèles d'imperfections financières,le degré d'accès au marché des capitaux et la situation patrimoniale des entreprisesapparaissent comme des variables clefs. Or ce sont des informations qui ne peuventêtre fournies qu'au niveau individuel. Toute vérification empirique ne peut donc êtreque micro-économique. Les modélisations empiriques présentées dans la troisièmepartie sont soit des modèles accélérateurs ou des q-modèles auxquels on rajoute desvariables financières, l’aspect le plus délicat de ces approches étant d'isoler les effetsdes variables financières dûs à l'existence d'une prime de financement de ceux dus àdes changements dans les opportunités d'investissement qu'ils peuvent aussireprésenter, soit des modèles utilisant les équations d’Euler dérivées explicitementd’un programme de maximisation de sa valeur par l’entreprise en présence decontraintes financières.

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1 - Les modèles théoriques d’investissement

1.1 Les fondements micro-économiques des contraintes de financement

D'après le théorème de Modigliani et Miller [1958] la valeur de marché d'uneentreprise ne dépend pas de sa structure de capital : les financements externes etinternes sont parfaitement substituables et les décisions d'investissement d'une firme,conséquences de la maximisation de sa valeur de marché, sont totalementindépendantes de ses décisions de financement et de facteurs financiers comme laliquidité interne, le niveau d'endettement ou la politique de dividendes. Cependantdifférentes frictions peuvent entraîner une dépendance entre ces deux décisions. Ainsil'existence d'information asymétrique entre emprunteurs et prêteurs augmente le coûtdu financement externe par rapport au coût du financement interne d'une prime. Onpeut même aboutir à une situation de rationnement (cf. Stiglitz et Weiss [1981]3).Ces problèmes d’information asymétriques peuvent être des problèmesd'antisélection (cf. Myers et Majluf [1984]) ou des problèmes d'aléa moraux (cf.Jensen et Meckling [1976]).

Les problèmes d’antisélection ("adverse selection") apparaissent dès lors que lesemprunteurs disposent de plus d'information que le prêteur sur leur type, le risque deleurs projets .... Les agents font alors face à des financements externes coûteux carles investisseurs, n'étant pas sûrs de la qualité de l'agent, exigent une prime servant àcompenser les pertes encourues dans le cas où l'agent est un mauvais risque("lemon"). On aboutit à des phénomènes d'antisélection qui augmentent le coût dufinancement externe et même peuvent entraîner des phénomènes de rationnement.

Les problèmes d’aléa moral ("moral hazard") apparaissent lorsque l’emprunteurpeut réaliser des actions non observables par un tiers qui agissent sur la rentabilité duprojet. Il existe des conflits d'intérêt entre les prêteurs, les actionnaires et lesdirigeants. En particulier si le dirigeant possède peu d'actions de l'entreprise il préfèreprivilégier ses intérêts personnels au détriment de ceux des investisseurs. Lesactionnaires s'efforcent alors de contrôler le dirigeant via des audits ou des systèmesde compensations salariales. Les prêteurs sont eux confrontés au fait que le dirigeantet les actionnaires ont plus intérêt à investir dans des projets très risqués puisqu'ilsn'en supportent que les bénéfices et pas les pertes. Les prêteurs se protègent pardifférents moyens qui constituent les coûts d'agence. Tous ces problèmes d'incitationet ces coûts d'audit augmentent donc le coût du financement externe de la dette etdes actions.

Dans ces deux cas, le niveau de richesse des agents devient une variable clef. Eneffet l'utilisation de collatéraux dans les contrats de prêt permet d'atténuer les coûtsde ces problèmes d'information. D'un côté les pertes des prêteurs sont réduites en

3 Dans leur modèle, comme le type de l'emprunteur est inobservable, les prêteurs ne peuvent

différencier les bons des mauvais emprunteurs. Lorsque le taux d'intérêt augmente ce sont lesemprunteurs les plus risqués qui restent, ce qui peut faire chuter le profit des prêteurs. Al'équilibre il peut arriver que le taux d'intérêt soit trop bas par rapport à la demande, maisl'augmenter ne laisserait sur le marché que les entreprises les plus risquées.

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cas de faillite puisqu'ils peuvent récupérer ces collatéraux. D'un autre côté lesproblèmes d'aléa moral sont atténués : plus un emprunteur investit de sa proprerichesse dans le financement d'un projet, moins ses intérêts divergent de ceux de sonprêteur, puisqu'il perdra beaucoup en cas de faillite.

Ces modèles de structure financière des entreprises aboutissent au fait que lesmoyens de financement externe des agents sont des substituts imparfaits aufinancement interne. La différence de coût entre ces deux sortes de financement varieinversement avec la richesse nette de l'emprunteur. Les modèles liés au courant ducanal du crédit partent de ce point de départ et décrivent alors les choixd’investissement des entreprises dans ce contexte. Bien qu'ils diffèrent dans lesraisons d'existence des imperfections financières, leurs conclusions sont les mêmes.Nous allons décrire les modèles les plus caractéristiques de cette littérature avecdeux cadres principaux : le premier repose sur l’existence d’un plafondd’endettement et le second prend en compte des coûts d’audit de l’entreprise en casde défaillance.

1.2 L’impact des contraintes financières sur l’investissement

Existence d’un plafond d’endettement

Plusieurs articles font l’hypothèse que les prêteurs ne peuvent acquérir del’information gratuitement sur les opportunités, les caractéristiques ou les actions desemprunteurs. De plus ils supposent qu’il est très coûteux pour le prêteur de saisir laproduction de l’entreprise emprunteuse en cas de faillite de cette dernière alorsqu’on peut appliquer une clause par laquelle le prêteur devient propriétaire desfacteurs fixes (du capital fixe) de l’entreprise en cas de faillite. Ainsi le capital del’entreprise peut servir de collatéral.

Ainsi dans Bernanke, Gertler et Gilchrist [1996] la firme est soumise à une contrainte

d'emprunt BpKr

≤ : elle ne peut emprunter plus que la valeur actualisée de ses

collatéraux (la banque se protège puisque le remboursement exigé rB est ainsiinférieur à la valeur de l’entreprise pK que peut récupérer la banque en cas de nonremboursement)4. Si la contrainte de liquidité n'est pas saturée, l'entrepriseinvestit jusqu'au point où la productivité marginale est égale au taux d'intérêtet une augmentation du taux d'intérêt r réduit l'investissement par un effet classiquesur le coût du capital r en augmentant la productivité marginale exigée. Par contre, sil'entreprise bute sur sa contrainte de liquidité, on aboutit à un écart entre laproductivité marginale de l'investissement et le taux d'intérêt r, cet écart étantlié au multiplicateur5 associé à la contrainte d’endettement. Une hausse du tauxd'intérêt voit son impact sur le coût du capital amplifié par le fait qu'elle agit aussi sur

4 Whited [1992] et Hubbard, Kashyap et Whited [1995] font l'hypothèse d'une limite exogène

sur le montant maximal de dette B qu'une firme peut émettre : B<B*.Le problème avec une telleapproche est que ce plafond est exogène alors qu’on conçoit qu’il dépend descaractéristiques de l’entreprise et de l’environnement économique.

5 Le multiplicateur de Lagrange de la contrainte financière correspond à l'augmentation de lavaleur actuelle de l'entreprise si la contrainte sur la dette était relâchée d’une unité.

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cet écart. Une augmentation du taux d'intérêt pèse sur le poids de la dette et réduit lavaleur actualisée de la richesse qui sert de collatéral. Ceci élève le coût marginal dufinancement externe, augmente la productivité de l'investissement désirée et réduitdonc les niveaux d'investissement décidés. C'est le mécanisme d'accélérateurfinancier : des fluctuations de la richesse nette des emprunteurs, via le taux d'intérêtou via les flux de trésorerie ou via les prix des actifs, se transmettent à l'activité réelle.

Kiyotaki et Moore [1995] se placent dans le même contexte où il est possible detransférer la propriété des facteurs fixes au prêteur si l'emprunteur fait défaut, maisétudient le problème dans un cadre dynamique afin de bien modéliser le mécanismede propagation de l’accélérateur financier. Dans ce modèle, des fluctuationsendogènes pro-cycliques des prix des actifs génèrent ainsi des modifications de larichesse nette, du crédit et des dépenses des agents de l'économie, qui auront unimpact sur les possibilités de prêts des agents à la période suivante : le choc initial esttransmis, amplifié et entretenu par l'existence de ces contraintes d'endettement.

Les possibilités d’audit

Dans les modèles précédents seul l’emprunt parfaitement sécurisé était possible. Unautre pan de la littérature sur le canal du crédit autorise la possibilité de faillite et lescrédits non sécurisés. Ainsi la possibilité d’un audit par le prêteur des résultats del’entreprise permet de suppléer à l’utilisation de collatéraux comme moyen dediscipliner les emprunteurs. Un modèle d'équilibre partiel souvent utilisé pourmodéliser le mécanisme d'accélérateur financier est une approche principal-agent (P-A) reposant sur des problèmes d'information imparfaite : les prêteurs (P) ne peuventacquérir sans coût des informations sur les résultats des projets des emprunteurs (A).Les imperfections du marché du crédit proviennent ici de l'existence d'un coût d'auditou de vérification comme chez Townsend [1979], Gale et Hellwig [1985] ou chezWilliamson [1987]. Ce coût d'audit par le prêteur remplace l'utilisation de collatérauxcomme moyen de contrôler les emprunteurs. L'existence de ce coût d'audit rend lefinancement externe plus onéreux que le financement interne puisque l'emprunteurdoit compenser le prêteur pour l'existence de ce coût.

Ainsi Gertler et Gilchrist [1994] construisent un modèle pour expliquer que lesventes, les stocks et les prêts bancaires des petites entreprises baissentproportionnellement plus que ceux des grandes lors d’un choc monétaire restrictif.La firme choisit son niveau d'investissement de manière à égaliser sa productivitémarginale au coût marginal qui est ici la somme de deux termes, le coût marginal d'unemprunt dans un cadre d'absence d'imperfections financières (le taux sans risque) etla prime de financement externe qui correspond au coût anticipé pour la banque,c'est-à-dire à la probabilité marginale de faillite de l'entreprise multipliée par le coûtde l'audit. La prime est endogène et dépend du taux sans risque, du niveau du prêt etde la taille de l'entreprise. Dans leur modèle la probabilité de faillite diminue avec lataille, ce qui aboutit à un coût externe de financement pesant plus sur les petitesentreprises. Un choc sur le taux d'intérêt est ainsi amplifié via son impact sur lescomposantes de cette prime.

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Rosenwald [1998] modélise dans un cadre analogue la manière dont s'établissent lestaux sur les emprunts en fonction du taux de refinancement du prêteur et du montantemprunté. Le mécanisme de transmission déduit du modèle permet d'expliquer queles agents de l'économie réagissent différemment selon le degré d'imperfectionsfinancières auxquelles ils sont soumis, puisque les primes qu'ils paient sont nonseulement différentes mais aussi affectées différemment par un choc.

Empiriquement, lorsqu'on trace la courbe des taux emprunteurs en fonction desmontants empruntés on observe que l'écart entre les taux proposés aux montants lesplus faibles et les taux proposés aux montants les plus élevés s'accroît en période debaisse des taux de refinancement et diminue en période de hausse des taux derefinancement. Ce comportement peut être expliqué dans le cadre du modèlethéorique proposé par un double effet : un changement à montant donné sur destypes d'emprunteurs et une réaction des taux débiteurs à ces changements du fait del'existence de la prime de financement externe. En particulier, lorsque le taux derefinancement diminue, des entreprises, jusque là trop confrontées à des problèmesd'information pour emprunter, entrent sur le marché du crédit et cet effet l'emportesur la baisse générale des taux si bien que l'écart des taux débiteurs sur deux prêts demontants différents s'accroît en période de baisse du taux de refinancement.

Bernanke et Gertler [1989] se placent dans un cadre dynamique pour modéliser lemécanisme de propagation de l’accélérateur. Un choc exogène, comme une baissede la productivité, réduit les flux de trésorerie présents, ce qui affecte la possibilitédes entreprises de se financer de manière interne. Leur prime de financement externeaugmente (le coût d'agence est en effet inversement corrélé avec la richesse nette del'entrepreneur), le niveau d'investissement est donc affecté, ce qui réduit l'activité del'économie et réduit les flux de trésorerie des périodes suivantes : le choc initial estpropagé par un mécanisme d'accélérateur financier. Enfin on voit apparaître lephénomène de fuite vers la qualité : lorsque les coûts d'agence de l'activité de prêteuraugmentent, la quantité de crédit accordé aux firmes qui doivent être auditéesdiminue.

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1.3 Conclusion

Finalement le canal large du crédit est le mécanisme qui détermine ladifférence de coût entre les financements externes et les financements internes.Tout choc sur les flux de trésorerie, sur la productivité, sur les prix futurs du capital,sur la valeur des placements immobiliers aura des conséquences sur la valeur desgaranties et donc sur les termes du financement et par là sur l'activité en propageantle choc initial.

Dans ce cadre, la politique monétaire peut affecter les décisions des entreprises oude tout autre agent de l'économie de plusieurs façons. Une politique monétaireexpansionniste a pour conséquence que les prix des actifs s'élèvent (puisque les tauxbaissent), ce qui fait augmenter la valeur des actifs financiers et immobiliers détenuset donc la richesse nette des entreprises. La prime de financement externe se réduit,entraînant ainsi une hausse de l'investissement. Une politique monétaireexpansionniste agit aussi, si les firmes sont endettées à court-terme ou à tauxvariables, en augmentant les flux de trésorerie des entreprises via la baisse des tauxd'intérêt nominaux à court-terme, ce qui diminue les coûts d'agence. On n'a pasbesoin ici, comme dans le cadre du canal monétaire que la politique monétaire agissesur le taux réel à long-terme.

En particulier dans le canal du crédit un rôle très important est imparti à la valeurbilantaire des agents, que ces derniers soient les entreprises ou des banques. Unedétérioration de la valeur de ces bilans augmente le coût de leurs financementsexternes et se répercute en s’amplifiant sur leur comportement réel (d’investissementpour les entreprises et d’offre de prêts pour les banques).Le niveau de richesse des agents devient une variable clef.

Dans le prolongement de ces modèles théoriques qui expliquent l’impact decontraintes de financement sur les décisions des agents et qui détaillent lesmécanismes de propagation de divers chocs, nous pouvons envisager deux casparticuliers dans lesquels il peuvent être appliqués. Tout d’abord nous allonsexaminer l’effet d’un crash boursier sur les décisions d’investissement desentreprises, l’effet passant par la baisse de valeurs des collatéraux des entreprises etdes banques. Puis nous dériverons un modèle de financement de projets innovantsoù les problèmes d’information sont particulièrement importants et peuvent conduireà des choix non optimaux.

14

15

2 - Applications

2.1 Effet d’une baisse des prix des actions sur l’investissement desentreprises

Un choc sur le marché boursier se transmet de la sphère financière à la sphère réellepar plusieurs canaux. L’un de ces canaux se raccorde à la théorie du q de Tobin :face à un krach boursier les entreprises sont incitées à favoriser des modes externesde croissance. L’augmentation des capacités de production individuelles se fait alorspar rachat d’anciens équipements. La théorie du canal du crédit fondée surl’existence d’imperfections sur les marchés financiers fournit d’autres canaux detransmission plus robustes et qui empiriquement se sont révélés plus adaptés pourexpliquer l’effet des krachs boursiers passés. Nous allons expliciter ces mécanismesde transmission d’un choc boursier à la sphère réelle dans ces deux cadres6.

Théorie du q de Tobin

La théorie du q de Tobin fournit un mécanisme par lequel la variation des cours desactions affecte le comportement d’investissement des entreprises. On définit qcomme la valeur de marché d’une entreprise rapportée au coût de remplacement ducapital. Lorsque q baisse pour l’ensemble des entreprises, celles-ci ne vont pasinvestir car leur valeur de marché est inférieure au coût du capital. Une stratégie quiconsiste à racheter une entreprise existante est moins coûteuse qu’une stratégie quiconsiste à créer de nouvelles entreprises et à investir en capital. Si les entreprisesveulent accroître leur capacité de production, la meilleure stratégie consiste àracheter une autre entreprise. Une baisse de q, toutes choses égales par ailleurs,réduit l’investissement et la capacité de production globale de l’économie.

Un choc à la baisse sur le marché boursier réduit les valeurs de marché desentreprises et par conséquent les valeurs des q de Tobin des entreprises. Ceci setraduit par une baisse de l’investissement et potentiellement par une vague de rachatsd’entreprises. On peut résumer ce premier mécanisme de passage d’un choc sur lesprix des actifs au comportement d’investissement par

p q I↓ ⇒ ↓ ⇒ ↓où I représente l’investissement, p le cours boursier et q le q de Tobin.

Le canal large du crédit

Un effondrement du marché boursier augmente les problèmes d’asymétried’information et d’aléa moral sur les marchés financiers car il se traduit par undéclin de la valeur de marché de la richesse des entreprises. Les prêteurs sontmoins enclins à prêter puisque la richesse des entreprises leur sert de collatéral pourse protéger en cas de non remboursement des entreprises. L’offre de prêts se

6 Il existe bien sûr d’autres canaux de transmission par les flux commerciaux.

16

déplace : à taux donné on offre un volume moins important. La prime de financementexterne s’élève et les entreprises réduisent leur investissement. Mais la baisse del’investissement réduit la demande, ce qui propage encore plus le choc initial : lemécanisme de l’accélérateur financier est à l’œuvre. On peut résumer ce deuxièmemécanisme de transmission d’un choc sur les prix des actifs au comportementd’investissement par

p les problèmes d'information ↓ ⇒ ↓ ⇒ ↑ ⇒ ↓ ⇒ ↓V L Ioù I représente l’investissement, p le cours boursier, V la richesse de l’entreprise oula valeur de ses collatéraux et L l’offre de prêts des banques.

Le canal strict du crédit

En dehors de l’impact d’un choc sur le marché boursier sur la valeur des collatérauxd’un agent économique, un autre mécanisme peut être à l’œuvre dans le cas desbanques. Les mouvements des prix des actions peuvent avoir des effets sur lescomportements d’offre de prêts des banques s’ils interviennent dans lescontraintes de gestion bancaires. Ainsi la ratio du capital aux prêts distribués doitêtre supérieur à un seuil minimum. Si le capital est composé en partie d’actifsfinanciers alors une baisse des prix des actions diminue sa valeur et doit êtrecompensé par une baisse de l’offre de prêts des banques7. Si des emprunteurs (enparticulier les ménages et les petites entreprises) ne peuvent substituer à leursemprunts bancaires d'autres financements, alors une baisse de l’offre de prêts setraduira par une baisse de leurs investissements8. On peut résumer ce troisièmemécanisme de passage d’un choc sur les prix des actifs au comportementd’investissement par

p↓ ⇒ ↓ ⇒ ↓ ⇒ ↓ ⇒ ↓VVL

L I

où I représente l’investissement, p le cours boursier, V la valeur du capital de labanque et L l’offre de prêts des banques.

7 Il faut cependant que l’offre de financement externe des banques ne soit pas parfaitement

élastique ou que les banques ne puissent pas se refinancer par manque de liquidité du marchésinon ces dernières compenseraient la chute du ratio en émettant des fonds externes et nemodifieraient pas leur offre de prêts.

8 Peek et Rosengreen [1997] mettent ainsi en évidence un effet significatif à la fois au point devue statistique et au point de vue économique de l’effondrement de l’indice Nikkei à la fin desannées 80 sur l’offre de prêts des filiales de banques japonaises aux Etats Unis. Le mécanismea été le suivant. Les banques japonaises détiennent beaucoup d’actions d’entreprisesjaponaises (20%) donc l’effet de la baisse des cours des actions a fait descendre les ratios desbanques en-dessous des niveaux requis. Les banques devaient donc réduire leur offre deprêts pour restaurer leurs ratios de capital. Pour protéger leur offre de prêts au Japon elles ontdonc réduit l’offre de prêts à l’étranger. Or les banques japonaises comptaient pour 18% desprêts accordés aux entreprises américaines. Les estimations de Peek et Rosengreen révèlentainsi qu’une baisse de 1% du ratio de capital des banques japonaises s’est traduite par unebaisse de 6% de l’offre de prêts aux Etats Unis.

17

2.2 Le financement de l’innovation

Nous exposons un exemple simple illustrant la façon dont les imperfections dumarché du crédit, en créant une prime de financement externe, peuvent empêcher laréalisation de certains projets innovants rentables. Le modèle est inspiré de celui deBernanke et Gertler décrit en section 2.2 qui repose sur l’existence d'un coût d'audit.Ce coût est plus élevé lorsque les projets sont innovants puisqu’ils sont moins facilesà évaluer. Les taux sur les emprunts dépendent du taux de refinancement du prêteur,du degré d’innovation du projet et des coûts liés aux asymétries d’information. Nousexplicitons la prime de financement puis étudions ses variations en fonction du typedu projet entrepris, du taux de refinancement et des coûts d’audit.

Nous examinons aussi une autre forme de contrat entre la banque et l’entreprise. Labanque prête sans prime de risque mais prend en contrepartie une participation βdans le capital de l’entreprise. Un tel contrat de prêt, à coût non majoré selon lerisque, associé à une participation permet d’engager des projets qui n’auraientpas été entrepris dans un cadre classique de marché du crédit. De tels contratsrapportent autant à la banque mais améliorent la situation générale des entreprises enpermettant à de nouvelles entreprises rentables d’investir dans des projets et enaugmentant les profits de celles qui investissaient déjà mais payaient cher leurs prêts.

Le modèle : choix discret d’investissement

Le modèle se déroule sur deux périodes. A la première période les entreprisesveulent emprunter un montant 1 afin d'investir dans un projet qui donnera desrésultats à la deuxième période. Le projet d’investissement est discret : on ne peutinvestir que 0 ou 1. Les entreprises sont différenciées par un paramètre λ quireprésente le caractère innovant du produit. L'entreprise λ a pour fonction deproduction f rλ λ= 2 où λ représente les effets du projet innovant de l'entreprise. Leprojet a une probabilité p de réussir, et dans ce cas l'entreprise pourra rembourserson prêt, et une probabilité (1-p) d'échouer, et l'entreprise ne pourra rienrembourser. Cette probabilité p dépend fortement du caractère innovant ou non du

produit. On posera p=1λ

, c’est-à-dire que la probabilité de faillite est une fonction

croissante du caractère innovant du projet choisi par l’entreprise. Ainsi, les projetsles plus innovants sont les plus risqués mais ce sont également ceux qui améliorent leplus les techniques de production. On prend λ supérieur à 1. La valeur de 1correspond à un projet sans risque et non innovant.

Nous supposons que tous les agents sont neutres au risque. Le prêteur ne peutobserver le résultat du projet de l'entreprise mais connaît la nature plus ou moinsinnovante du projet λ. Le résultat du projet peut cependant être connu du prêteuraprès une vérification coûteuse : l'entreprise et le prêteur sont confrontés à desproblèmes d'information asymétrique ex post (coûts de vérification des résultats). Lecoût d'audit γ dépend en particulier de l'information publique dont on dispose surcette entreprise et nous le supposons être une fonction décroissante du degré

18

d’innovation du projet λ de l'entreprise (les projets non innovants sont facilementcontrôlables). Le coût d'audit γ d'une entreprise peut ainsi être décomposé en troisparamètres : l'un intrinsèque à la firme, fonction de λ, qui représente le caractèrerisqué du projet, un deuxième α commun à toutes les firmes et un troisième lié àl’activité économique via le niveau du taux de refinancement i9 : γ λ α α λ( , ) = 2i .Nous supposons que le coût d'audit dépend du montant emprunté10. Nousprendrons r>i.

Le contrat de prêt optimal qui s'établit alors est, sous de bonnes hypothèses, uncontrat de prêt tel que le remboursement du montant emprunté est fixe (montant plusintérêt) sauf si l'entreprise ne peut rembourser11. Dans ce cas la banque auditel'entreprise, ce qui lui coûte γ (cf. Gale et Hellwig [1985] et Williamson [1987]).L'entreprise de caractéristique λ choisit d'emprunter un montant 1 de façon àmaximiser son profit sous la contrainte que le rendement espéré du prêteur sur ceprêt soit égal à son coût d'opportunité des fonds i, le taux de refinancement12. Cecis'écrit, en appelant R le taux sur le prêt qui est imposé à l’entreprise :pR - (1 - p) iγ = .

L’entreprise maximise son profit en connaissant le taux R proposé par la banque.Ceci s’écrit

Ma p(f R),0

sc pR = i (1 - p)

γ

+

Lorsque l’entreprise investit, son profit Π est pf pR pf i pλ λ γ− = − − −( )1 . Elle

n’investit donc que si ce profit est positif. Comme p=1λ

, Π= r i iλ α λ λ− − −( )1 est

une fonction de λ qui croît jusqu’à r i

i+ αα2

puis décroît jusqu’à -∝. Comme le profit

en λ=1, Π(1)=r-i, est positif, on a obligatoirement une unique solution λ* deΠ(λ*)=0, qui est supérieure à 1. Donc les entreprises telles que λ<λ* investissent etcelles qui ont des projets trop innovants, c’est-à-dire λ>λ* n’investissent pas. Leseuil λ* au delà duquel les entreprises ne peuvent investir vu les conditionsproposées par les prêteurs, dépend des paramètres i,α et r, de la façon suivante :

∂λ ∂λ

∂α

∂λ

∂ ∂

∗<

∗<

∗>

i r

0 0 0, ,

9 La banque fournit en effet un effort pour auditer l’entreprise, cet effort pouvant en particulier

se traduire en salaires versés à des experts et pouvant donc dépendre de la conjonctureéconomique.

10 La banque mettra plus de soin et de temps à auditer une entreprise qui a beaucoup emprunté.11 Nous supposerons que sont vérifiées toutes les hypothèses qui font que ce contrat est

robuste à la renégociation. Les expliciter ne ferait qu'alourdir l'exposé et ne changerait rien auxrésultats

12Nous supposons que l'industrie bancaire est à rendements constants avec barrière à l'entrée.

19

Une hausse du taux de refinancement, ou du coût de l'audit, évince des projetsinnovants qui jusque là, c'est-à-dire pour des niveaux de taux de refinancement plusfaibles, étaient lancés. C'est l'effet appelé « fuite vers la qualité » du canal large ducrédit : en cas de durcissement de la politique monétaire ou des problèmesd’information asymétriques, par exemple si les banques durcissent leurs conditionsde prêts ou parce que le coût de l’audit augmente, les crédits se "décalent" vers lesmeilleurs emprunteurs (c'est-à-dire ici vers les λ les plus faibles).

Par contre, une hausse de la rentabilité du projet permet à d’autres entreprisesd’entrer sur le marché du crédit et d’investir.

Taux proposé à l'entreprise

Le taux proposé à l'entreprise λ est donc

( ) ( )( )R i 2 = i + i 1 + = i + P(i ) = + − −λ λ α λ λ αλ λ αi 1 1 2 , ,

La prime de risque P(i,λ,α) appliquée à l'entreprise est fonction du taux derefinancement i et du type de l'entreprise. Elle est croissante en i, en α et en λ : plusl'entreprise est innovante, plus la prime de risque qu'elle paie est élevée. Cette primepeut en réalité être décomposée en deux.

• Une partie "coût du risque" : c'est ( )i λ − 1 qui correspond à ce que le prêteurferait payer à l'entreprise dans le cas où il n'y aurait pas de problèmes d'informationincomplète ex post. Il tarifierait le risque du projet (qu'il connaît parfaitement) à

( )i i i+ − =λ λ1 .

• L'autre partie de la prime ( )P(i, , ) = - 1λ α λ αλ2i correspond au surcoût dû àl'existence de ces asymétries d'information. C'est elle qui est à l'origine de l'effetd'accélérateur financier et qui représente la prime de financement externe. Elledisparaît d'ailleurs lorsque λ se rapproche de 1 (entreprise qui n’innove pas et doncsans problème d'information) et le taux du crédit R se rapproche alors du taux derefinancement i additionné d'une prime de risque simple. La prime de financementexterne P(i, , )λ α dépend du caractère innovant du projet λ de l'entreprise.L'existence de l'accélérateur financier, c'est-à-dire d'un effet supplémentaire etendogène de la politique monétaire en plus de son effet direct, repose sur cetteprime. C'est ce que l'on peut voir en calculant les dérivées partielles.

∂∂λ

∂∂

∂∂α

∂∂ ∂λ

∂∂α∂λ

R ,

R i

0 , R

> 0

R i

> 0, R

> 0

>

0

2 2

20

Le taux proposé croît avec le degré innovant du projet et ceci d'autant plus que lestaux de refinancement sont élevés ou/et que le coût d’audit est élevé.

L'effet d'un changement du taux de refinancement sur le coût du crédit peut êtredécomposé en deux parties : l'effet direct sur ( )i i+ −λ 1 , qui correspond à l'effetdu canal monétaire et l'effet complémentaire sur la prime de financement externeP(i, , )λ α qui amplifie le premier et est à l'origine de l'existence du canal du crédit.Cet effet supplémentaire renforce l'impact du taux de refinancement, i, sur le taux ducrédit R et est à l'origine de l'influence du caractère innovant du projet sur lasensibilité du taux du crédit au taux de refinancement. Pour les entreprises qui

n’innovent pas, c'est-à-dire lorsque λ → 1, on a ∂∂ R i

→ 1, ce qui est l'effet normal

vu le risque du projet, et correspond au cas où il n'y a pas de prime de financementexterne. Par contre, le taux sur les prêts réagit d'autant plus à un mouvement du tauxde refinancement que l'entreprise est innovante, c'est-à-dire que la prime definancement externe P(i, , )λ α est grande.

Enfin un choc à la baisse sur le coût d’audit réduit le taux du crédit et ce d’autantplus que l’entreprise est innovante.

Cadre sans problèmes d’information

Nous allons comparer nos résultats au cas où il n’existerait pas de problèmesd’information ex post. Dans ce cas la banque ne fait payer que le risque du projet,pR=i.

Lorsque l’entreprise investit, son profit Π est pf pR pf i r iλ λ λ− = − = − . Toutesles entreprises investissent et R i i i= = + −λ λ( )1 .

L’existence de problèmes d’information rend le financement externe plus coûteuxque le financement interne, sauf si ce financement externe est complètement garanti,c'est-à-dire si α=0. Le coût plus élevé du financement externe reflète l'existence deproblèmes d'information asymétrique. Nous avons vu que cette prime augmente avecle caractère innovant du projet choisi par l’entreprise. Enfin un choc sur cette primetouche plus les entreprises les plus innovantes, c'est-à-dire les plus exposées auxasymétries d'information. Si on considère l'activité d'audit comme un substitut àl'utilisation de collatéraux (cf. Holmstrom et Tirole [1994]), alors tout choc sur lesprix des actifs, une dévaluation/réévaluation des garanties de l'entreprise, un choc surla valeur de l'immobilier par exemple, fait baisser la valeur des garanties desentreprises, même si le taux de refinancement i ne bouge pas, ce qui augmente le

coût d'audit et provoque une hausse de leurs coûts de financement (∂∂α

R> 0 ) et

même élimine certains emprunteurs (lorsque α augmente λ α∗( , )i diminue aussi).L'effet d'un choc (à la hausse) sur α est d'ailleurs d'autant plus ressenti que

21

l'entreprise est innovante ∂

∂α∂λR

< 0). L'activité de ces entreprises en pâtit et le choc

initial est transmis et amplifié.

Contrat de prêt accompagné d’une participation dans l’entreprise

Regardons ce qui se passe si le contrat passé entre la banque et l’entreprise est uncontrat de prêt associé d’une participation β dans le capital de l’entreprise. Plusprécisément la banque prête le montant demandé au taux de refinancement i, c’est-à-dire qu’elle ne tarifie pas le risque, mais prend en contrepartie une participation βdans le capital de l’entreprise.Regardons ce qui ce passe si l’entreprise investit et donc emprunte 1.Lorsque leprojet réussit, le profit à partager entre la banque et l’entreprise est donc, une fois leprêt remboursé au taux i, ( )fλ − i . La banque reçoit sa part de participation,

β λ( )f − i , et le remboursement de son prêt, i, si le projet réussit mais doit

rembourser dans tous les cas son emprunt de 1 au taux de refinancement i. Sonprofit espéré est donc p i piβ λ( )f − + . Quant à l’entreprise, elle récupère un profit

Πcie p f i= − −( ) ( )1 β λ .L’entreprise maximise son profit sous la contrainte que le rendement espéré duprêteur sur ce prêt soit égal à son coût d'opportunité des fonds i, le taux derefinancement, ce qui s’écrit p i pi iβ λ( )f − + − = 0 . On a donc

βλλλ

=−

=−−−

i pp

ir if i

( )(

( ))

1 12 (le terme de droite est compris entre 0 et 1). L’entreprise

obtient donc si elle investit un profit de ( ) ( )1− − = − = −β λ λ λp pf i f i r i et choisitdonc d’investir puisque λ est supérieur à 1 et i inférieur à r.

On peut comparer les profits obtenus avec ceux du cadre précédent, c’est-à-diredes contrats de prêts avec des problèmes d’information sans participation de labanque. Les entreprises qui n’empruntaient avec ces contrats, c’est-à-dire telles queλ λ> * , peuvent investir avec ces contrats de participation et ceci quel que soit leniveau de participation de la banque. Pour les entreprises telles que λ λ< * le profitobtenu dans un contrat avec participation est supérieur à celui obtenu avec lescontrats de prêts précédents puisque( ) ( ( ))1 1− − ≥ − − −− = − =β λ λ α λ λλ λp r i r i if i pf i ).

Pour les entreprises de risque λ λ> * exclues jusque là du marché du crédit, le faitde permettre une participation de la banque leur donne accès à des financements etleur donne la possibilité d’investir. Quant aux autres elles sont au moins aussi bien.Un tel contrat de prêt à coût non majoré avec participation permet d’engager desprojets plus risqués qui n’auraient pas été entrepris dans un cadre classique demarché du crédit.

22

Impact de l’autofinancement

Supposons que l’entreprise dispose d’un montant d’autofinancement qu’elle peututiliser pour financer tout ou partie de son projet ou qu’elle peut placer au taux i surle marché financier. Deux cas sont envisageables : soit l’entreprise dispose d’assezde liquidités pour financer son projet, c’est-à-dire 1<AF, soit l’entreprise ne disposepas d’assez d’autofinancement, c’est-à-dire 1>AF, et elle doit emprunter le montantrestant 1-AF au taux R fixé par le marché concurrentiel des banques (le rendementanticipé des prêts doit être égal au taux de refinancement desbanques : ( ) ( )pR 1- AF = i 1- AF + − −( ) ( )1 1p AFγ ). Plaçons nous dans le cas oùl’entreprise ne dispose pas de suffisamment d’autofinancement. Elle doit comparer leprofit si elle investit et si elle place au taux i son autofinancement. Le programmes’écrit :

( ) ( ) ( )

Max iAF

p AF

p f R 1- AF

sc pR 1- AF = i 1- AF

λ

γ

+ − −

;

( ) ( )1 1

Pour que l’entreprise investisse il faut donc que son profit Π soit supérieur à iF,c’est-à-dire pf pR AF pf i AF p AFλ λ γ− − = − − − − −( ) ( ) ( )( )1 1 1 1 >iAF.D’où la condition r i i AFλ α λ λ− − − −( )( )1 1 >0. Or le membre de gauche est une

fonction de λ qui croît jusqu’à r i AF

i AF+ −

−α

α( )

( )1

2 1 puis décroît jusqu’à -∝. Comme

Π(1)=r-i>0, on a obligatoirement une unique solution de Π(λ**)=0 qui estsupérieure à 1. Donc les entreprises telles que λ<λ** investissent et celles qui ontdes projets trop innovants, c’est-à-dire λ>λ** n’investissent pas. Ce seuil λ**dépend de i,α, r mais également du niveau AF de l’autofinancement. Si on lecompare au seuil précédent λ*, on a λ*<λ** puisqueΠ(λ*)=r i i AF i AFλ α λ λ α λ λλ * * ( * )( ) * ( * )− − − − = −1 1 1 >0 : si lesentreprises disposent d’autofinancement cela permet d’augmenter le seuil d’entrée.

Le degré maximal d’innovation du projet évolue en fonction des paramètres dumodèle de la façon suivante

∂λ ∂λ∂α

∂λ ∂λ∂ ∂ ∂

**,

**,

**,

**

i r AF< < > >

0 0 0 0

Une augmentation de l’autofinancement permet à des entreprises qui jusque làn’avaient pas accés au marché du crédit d’investir.

L’autofinancement est donc le moyen privilégié de financement del’investissement lorsqu’il y a des problèmes d’information. Plus l’entreprise estinnovante moins elle peut faire appel aux emprunteurs car cela lui coûte cher

23

et donc dès qu’elle dispose d’un peu d’autofinancement cela peut débloquer sasituation.

24

3 - Les modèles économétriques d’investissement sur donnéesindividuelles

Nous rappelons rapidement le modèle d’investissement avec des marchés financiersparfaits. Les problèmes d’adéquation empirique de ce modèle conduit à prendre encompte l’existence de contraintes financières, ce que nous examinerons dans lessections 3.2 et 3.3.

3.1 Le cadre sans contraintes financières

Dans un cadre de marchés financiers parfaits, l’entreprise maximise sa valeuractualisée Vt définie par13 :

Vt E t t j t jj

=

+ +

=

∑ β Π0

où Π t représente le revenu de l’entreprise et β t j+ le facteur d’escompte (on a

β t =1). L’opérateur d’espérance E t est conditionnel à toute l’information disponibleà t. Le capital Kt évolue selon l’équation suivante où I t représente l’investissementréalisé à t :

( )K K It t t= − +−1 1δ

Le revenu s’écrit :

( ) ( )Π t t t t t t t t t tI

tp F K L p G I K w L p I= − − −, ,

où F est une fonction de production, G est une fonction de coûts d’ajustementconvexe en l’investissement, Lt le niveau de l’emploi à t, wt le salaire, pt

I le prixd’une unité de capital et p t le prix de vente. On peut alors écrire le programme del’entreprise :

( ) ( )[ ] V K Max K L I E V Kt t t t t t t t t− + += +1 1 1Π( , , ) β

On obtient les conditions du premier ordre :

∂∂

∂∂

β∂∂

Π ΠI K

EVKt t

t tt

t

+

+

=+

+1

1 0 1 ( )

( ) ( )∂∂

δ∂∂

δ β∂∂

VK K

EVK

t

t tt t

t

t−+

+

= −

+ −

11

11 1 2Π

( )

13 Ce programme est équivalent, dans ce cadre de marchés financiers parfaits, à la maximisation

de la valeur actualisée des dividendes.

25

∂∂ΠL t

= 0 (3)

Des deux premières équations on peut déduire l’équation suivante qui caractérisel’évolution de la valeur du capital :

( )∂∂

δ∂∂

VK I

t

t t−

= − −

1

1 4Π

( )

Le terme de gauche est la valeur d’une unité supplémentaire de capital à la date t-1(ou de 1-δ unités de capital à t) et le terme de droite le coût de 1-δ unités de capitalà t.

Les modèles économétriques d’investissement sont fondés sur ces équations. Les q-modèles utilisent la dernière équation et estiment le membre de gauche par le ratio dela valeur de marché de l’entreprise sur la valeur de remplacement de son capital.L’approche par l’équation d’Euler consiste à utiliser toutes les conditions du premierordre pour obtenir une condition liant l’investissement de la période courante à celuide la période passée et au revenu marginal du capital de la période passée.

Q-modèle d’investissement sans contrainte de financement

On obtient en partant de l’équation (4) et en spécifiant le membre de droite

∂∂

∂∂

ΠI

pGI

pt

tt

tI

= −

− en prenant ( )G I K bKIK

ct t tt

, =

12

2

:

( )IK t

cb

qtpt

I

pt

= + −

11 (5)

où ( )

qt

VtKt

ptI= −

δ1

1 est le q marginal. Toutes les anticipations sur les revenus et

coûts futurs dont on a besoin pour décider de l’investissement à la date t sontrésumées dans ce q marginal. Lorsqu’il n’y pas de coûts d’ajustement, b=0, onchoisit un stock de capital qui égalise ce q marginal à 1, mais en présence de coûtsd’ajustement le niveau d’investissement décidé est une fonction croissante de l’écartde ce q marginal à 1. L'intérêt empirique des q-modèles vient de ce que, sous deshypothèses de marchés des capitaux parfaits, de concurrence parfaite et de fonctionsde production et de coûts d'ajustement homogènes de degré 1, le q marginal peutêtre remplacé par le ratio de la valeur de marché de l'entreprise sur le coût deremplacement du capital, ratio appelé q moyen ou q de Tobin, et qui, lui, estobservable. On estime ainsi l’équation (6) suivante :

26

IK

Qit

itit it

= + +1

6α β ε ( )

où I

Kit

it −1

représente le taux d'investissement et Qit le q moyen ou q de Tobin. De

telles équations expliquent mal l’investissement empiriquement. Ce modèle dérivédans un cadre de marché financier parfait apparaît mal adapté.

L’équation d’Euler sans contrainte de financement

L'avantage de l'approche via l'équation d'Euler est qu'elle ne nécessite pas de mesurede la profitabilité et donc de la variable q. Elle correspond à une réécriture desconditions du premier ordre du programme de maximisation du profit de l'entreprisesous différentes contraintes en éliminant justement cette valeur inobservable desrevenus futurs anticipés. En utilisant (1) et (4) on obtient :

( )1 711

=

+

+

+

δ β∂∂

∂∂

∂∂

EI I Kt t

t t t

Π Π Π ( )

On évalue le terme anticipé EIt t

t

β∂∂+

+

1

1

Π sous l'hypothèse d'anticipations

rationnelles en le remplaçant par la valeur observée plus un terme d'erreur ε t +1

vérifiant E t( )ε + =1 0. Ce terme d'erreur est non corrélé avec l'information connue à tet donc avec toutes les variables connues à la date t ou auparavant. L’équation (7)s’écrit :

( )1 811

=

+

+

+

δ β∂∂

∂∂

∂∂

δ εtt t tI I K

Π Π Π+ (1 - ) t+1 ( )

Cette équation n’apparaît pas satisfaite par les observations pour certains typesd’entreprises (petites entreprises, jeunes entreprises ...) plus à même de rencontrerdes problèmes de financement. Ainsi Bond et Meghir [1994] estiment un coefficientdu cash flow positif dans cette équation d’Euler, c'est-à-dire que l'investissementcourant est positivement influencé par les variations passées du cash flow. Cecisemble indiquer que le cash flow ne représente pas la profitabilité marginale ducapital (car il apparaîtrait alors en négatif) mais représente plutôt une contrainte deliquidité dans le sens où l'entreprise ne peut se procurer tout le financement externequ'elle pourrait désirer à un coût donné. Bond et Meghir [1994] refont alors leursestimations séparément sur deux groupes d'entreprises et concluent que l'équationd'Euler classique est validée pour les firmes distribuant beaucoup de dividendes alorsque les paramètres estimés pour les entreprises distribuant peu de dividendes sontplus compatibles avec une hypothèse de contrainte financière (la variable de cashflow est significative et positive). L'équation d'Euler classique est donc rejetée pourles entreprises a priori contraintes financièrement. En utilisant la même spécificationBond, Elston, Mairesse et Mulkay [1994] sur données françaises (1365 entreprises),

27

allemandes (226 entreprises), belges (36 entreprises) et britanniques (570entreprises) portant sur la période 1978-1989 mettent en évidence que les variablesde cash flow ou de profit jouent un rôle significatif et positif, surtout pour leRoyaume-Uni.

Face à ces problèmes de nombreuses études se sont efforcées de prendre encompte l’impact de variables financières sur la décision d’investissement.

3.2 Q-Modèle d'investissement dans un cadre de marchés financiersimparfaits

Les tests pour détecter la présence de contraintes financières ont consisté en généralà ajouter des proxies de la valeur de la richesse interne dans une formulationclassique d'un Q-modèle d'investissement. On teste ensuite si ces nouvelles variablesfinancières sont significatives pour un groupe de firmes identifiées a priori commeétant plus susceptibles de faire face à des problèmes d'imperfections financières. Onestime :

IK

Qit

itit it it

= + + +1

9α β δ ε LIQ ( )

où LIQit est une variable de liquidité de l'entreprise. Les estimations économétriquesmettent en évidence que l’ajout dans une équation dérivée d'un Q-modèle d’unevariable de cash flow améliore l’estimation au moins pour certaines catégoriesd’entreprises, caractérisées comme plus à même de faire face à des problèmes definancement.

Ainsi Fazzari, Hubbard et Petersen [1988] utilisent un échantillon de 422 entreprisesde l'industrie manufacturière de 1970 à 1984. Les estimations montrent que lecoefficient du cash flow est significativement plus élevé pour les entreprises quidistribuent le moins de dividendes14. Hoshi, Kashyap et Scharfstein [1991] estimentun Q-modèle sur un échantillon de 145 entreprises entre 1977 et 1986 et montrentque les entreprises appartenant à un keiretsu sont moins sensibles à des variations decash flow que des entreprises indépendantes. Hayashi, Inoué [1991] estiment un Q-modèle d'investissement sur un panel de 687 entreprises de 1977 à 1986 et montrentque la variable de cash flow, qui était significative dans les premières années del'échantillon, perd de son pouvoir explicatif depuis la libéralisation des marchés descapitaux japonais.

La difficulté des équations où l'on teste l’impact d'une variable liquidité sur unevariable comme l'investissement est que plusieurs interprétations sont possibles. On

14 Cette conclusion est contestée par Kaplan et Zingalès [1997] qui montrent que ce sont les

firmes qui sont les moins contraintes financièrement, d'après un classement qu’ils font en sebasant sur les comptes-rendus d’activité de ces entreprises, qui ont la plus grande sensibilitéà la variable de cash flow. Ils expliquent ce résultat par l'impossibilité de distinguer entre lecontenu informationnel de la variable de cash flow et son effet sur le poids des contraintesfinancières.

28

peut expliquer le fait que l’introduction dans un Q-modèle d’une variable de cashflow améliore l'estimation de deux façons.

(1) Dans le cadre d'un canal large du crédit cette variable cash flow est un proxypour la richesse nette de l'entreprise et sa significativité s'explique par l'influencequ'elle a sur la contrainte financière des entreprises, comme nous l'avons vu dans lesmodèles exposés précédemment.

(2) Mais il existe une autre explication. La variable de profitabilité du q marginal esten général approximée par le q moyen, ce qui peut entraîner des erreurs de mesuresur cette variable q. La significativité du cash flow peut simplement refléter le faitqu'elle contient de l'information sur la profitabilité future et qu'elle est ainsi un proxypour toutes les opportunités d'investissement non capturées par q. Si bien que mêmesi l'investissement n'est pas vraiment affecté par le cash flow il est corrélé avec lui.

→ Une solution pour détecter si les variations de cash flow représentent desvariations dans les opportunités d'investissement ou des variations de liquidité a étéproposée dans l'article de Lamont [1996]. Il analyse le comportement d'entreprisesqui opèrent sur deux marchés, l'un qui est lié au marché du pétrole et l'autre qui n'aaucun rapport avec lui. Il peut ainsi identifier des chocs sur le cash flow qui ne sontpas corrélés avec la rentabilité d'un investissement. Sous une hypothèse de marchéfinancier parfait, si les cash flow du secteur pétrolier d'une entreprise s'effondrent,alors il n'y a aucune raison pour l'investissement du secteur non pétrolier en soitaffecté si la profitabilité de l'investissement n'est pas touchée. Par contre, dans uncadre de marchés financiers imparfaits, lorsque les contraintes financières seresserrent les montants d'investissement de tous les secteurs de l'entreprise sontaffectés puisque ce sont toutes les primes de financement qui augmentent. Sur unéchantillon de 39 entreprises, actives sur plusieurs secteurs dont le secteur pétrolier,Lamont trouve que des variations de cash flow dans le département lié au pétrole ontdes effets significatifs sur l'activité des autres départements. Ceci semble signifier quele cash flow joue un rôle au-delà d'un pourvoyeur d'information sur la profitabilitéfuture.

→ Une autre façon de séparer le contenu en information sur la profitabilité ducontenu sur l'état des liquidités d'une entreprise de la variable cash flow est laméthode utilisée par Gilchrist et Himmelberg [1995] qui utilisent un modèle VARpour construire un indicateur de la valeur présente des profits, qu'ils appellent qfondamental. L'approche VAR permet ainsi de décomposer l'effet du cash flow surl'investissement en deux composantes : l'une qui prévoit la profitabilité future et l'autrequi est attribuable à des frictions financières. Leurs estimations démontrent unesignificativité plus élevée du coefficient de la variable de cash flow pour les firmes lesplus contraintes et à l'inverse une plus forte significativité de la variable de qfondamental pour les entreprises les moins contraintes (avec des critères de taille, lefait qu'elles aient ou non des notations pour leurs obligations, leurs billets detrésorerie....

29

La critique principale de ces Q-modèles auxquels on rajoute une variable de cashflow, ou tout autre variable qui représente la richesse de l'entreprise, est qu'ils ne sontpas dérivés formellement d'un modèle structurel. Ils partent d'un Q-modèled'investissement bien spécifié et rajoutent à l'équation économétrique des variablescompatibles avec un cadre de marchés financiers incomplets (équation 9). C'est-à-dire que le modèle alternatif sous cette hypothèse n'est pas spécifié, ni estimé. Il estdonc difficile de conclure de façon tranchée et correcte sur le significativité de telleou telle variable. La solution est d'estimer des modèles d'investissement bienspécifiés. En particulier une alternative pour tester l'effet des contraintes de liquiditéest d'estimer l'équation d'Euler en présence d'imperfections financières.

3.4 Equation d'Euler dans un cadre de marchés financiers imparfaits

Lorsqu'on ne fait plus l'hypothèse de marchés financiers parfaits l'expression del'équation d'Euler est modifiée. Tout d’abord il faut définir le programme del’entreprise puisque la maximisation de la production n’est pas équivalente à unemaximisation de la valeur de l’entreprise pour les actionnaires. On définit leprogramme de l’entreprise comme la maximisation de sa valeur, c’est-à-dire de lasomme actualisée de ses dividendes. Il faut également introduire une contrainte depositivité des dividendes sinon l’entreprise disposerait d’un moyen de financementcomplètement élastique. On introduit alors les dettes de l’entreprise. L’introductionde contraintes financières sur le marché du crédit a un effet sur le taux d'actualisationde l’entreprise qui se met à dépendre des conditions financières de l'entreprise. Uneentreprise butant sur des contraintes de financement verra son coût marginald'opportunité d'investir aujourd'hui s'élever par rapport à celui d'attendre demain. Ladifficulté empirique est qu’apparaît alors dans l’équation d’Euler le multiplicateur deLagrange de la contrainte de financement qui est une variable inobservable fonctiondes caractéristiques de l’entreprise. La conséquence essentielle est que les conditionsd'orthogonalité de l'équation d'Euler (8) sous hypothèse de marchés financiersparfaits ne sont plus vérifiées puisqu’on introduit ce terme supplémentaire.

Le modèle est le suivant. L’entreprise maximise la valeur actualisée de ses dividendesDt sous contrainte de positivité des dividendes et sous la contrainte d’accumulationde capital. Son programme s’écrit :

MaxVt E Dt t j t jj

=

+ +

=

∑ β0

avec :( )K K It t t= − +−1 1δet Dt ≥ 0

L’équation qui régit les flux et les sources de fonds s’écrit :

( )D B r Bt t t t t= + − + − −Π 1 1 1

30

où Bt représente la dette et rt−1 le taux d’intérêt. Le revenu s’écrit :

( ) ( )Π t t t t t t t t t tI

tp F K L p G I K w L p I= − − −, ,

où F est une fonction de production, G est une fonction de coûts d’ajustementconvexe en l’investissement, Lt le niveau de l’emploi à t, wt le salaire, pt

I le prixd’une unité de capital et p t le prix de vente.

Deux types de modélisations se rencontrent alors dans la littérature : soit les auteursintroduisent une contrainte de plafond de dette exogène, c’est-à-dire de la formeB Bt ≤ * , soit les auteurs spécifient un coût marginal croissant de la dette, c’est-à-

dire ( )r r Bt t t− − −=1 1 1 .

Plafond d’endettement

La première approche (cf. Whited [1992] et Hubbard, Kashyap et Whited [1995])consiste à introduire un plafond d’endettement dans la lignée des modèles de lasection 2.2. A moins que le multiplicateur de Lagrange associé à cette contrainte nesoit introduit dans l’équation d’Euler cette dernière est mal spécifiée. De nombreuxarticles estiment donc l’équation d’Euler du modèle sans contrainte financière pourdifférents échantillons d’entreprises dont on pense que les degrés de contraintesfinancières sont différents et procèdent à des tests de spécifications. Cette méthoden’est guère satisfaisante car il existe de nombreuses raisons pour lesquelles un test despécification peut rejeter un modèle. De plus même si le modèle est rejeté en raisonde contraintes financières cette méthode ne dit rien sur leur importance.

Plus explicitement on peut dériver les nouvelles équations. On a rajouté la contrainteB Bt ≤ * dans le modèle précédent. On appelle λ t

D+1 le multiplicateur de Lagrange

associé à la contrainte de non négativité des dividendes et λ tB celui associé à la

contrainte de plafond d’endettement. Les variables de contrôle sont I t , Lt et Bt etles variables d’état K t−1 et Bt −1 . On obtient :

( )1 0 1011+

+

+

=+

+λ∂∂

∂∂

β∂∂t

D

t tt t

t

tI KE

VK

Π Π ( )

∂∂ΠL t

= 0 11 ( )

( )1 0 1211+ + +

=+

+λ λ β∂∂t

DtB

t tt

t

EVB

( )

( )( )∂∂

δ λ∂∂

VK I

t

ttD

t−

= − − +

1

1 1 13Π

( )

( )( )∂∂

λV

Bt

ttD

= − +

1

1 141+ r t -1 ( )

31

Avec les relations d’exclusions : λtD = 0 si Dt > 0 et λt

B = 0 si B Bt < * .

Les équations (10) et (13) donnent :

( )1 1 11

=

+

+ +

+

δ β∂∂

∂∂

∂∂

EI I Kt t t

t t t

ΛΠ Π Π

(15)

où Λ ttD

tD++=

++1

111

λλ

est la valeur des fonds de la période suivante sur la période

courante. On obtient également en utilisant (12) et (14) :

[ ] ( ) ( )E t t ttB

tD

βλ

λ+ + = ++

1 1 1

11

16Λ1+ r

t

( )

Dans un cadre de marchés financiers parfaits λ tD+1 =λ t

D =λtB = 0 et on a

obligatoirement [ ] ( )E t tβ + =1

11+ rt

. Ici on a donc modifié le taux d’actualisation.

Le terme qui pose problème dans l’équation (15) est EIt t t

t

β∂∂+ +

+

1 1

1

ΛΠ

. On

fait alors dans la littérature l’hypothèse selon laquelle la covariance de Λ t +1

avec les autres variables à t+1 est constante. D’où, en utilisant cette hypothèse et(16), on réécrit (15) :

( ) ( ) ( )1 11

1

1

+

+

=

+

+

δ∂∂

λλ

∂∂

∂∂

EI I Kt

t

tB

tD

t t

Π Π Π1+ r

(17)t

On constate que le fait de tenir compte de la contrainte B Bt ≤ * introduit dansl'équation d'Euler des termes, liés aux multiplicateurs de Lagrange des contraintes,difficilement estimables tels quels parce que fonctions compliquées de plusieursparamètres de l'entreprise. On choisit donc dans les études de l'exprimer commeune fonction ad-hoc de variables financières de l'entreprise ou de facteurséconomiques (écart de taux...). L’équation (17) s’estime alors en spécifiant lesfonctions de coût et d’ajustement, la paramétrisation des multiplicateurs de Lagrangeet en évaluant le terme anticipé sous l'hypothèse d'anticipations rationnelles, c’est-à-dire en le substituant par la valeur observée plus un terme d'erreur non corrélé avecl'information connue à t et donc avec toutes les variables indicées à t ou moins. Cetteméthode est donc complètement ad-hoc. De plus la contrainte de crédit est celled’un plafond exogène sur le montant de dette, or on conçoit bien que le montantmaximal de dette autorisée dépend des caractéristiques de l’entreprise.

32

Ainsi Whited [1992] utilise un échantillon de 325 entreprises américaines pour lapériode 1972 à 1986 et estime l'équation d'Euler en paramétrant le multiplicateur deLagrange associé à la contrainte de plafond de dette par le ratio de la valeur demarché de l'endettement de l'entreprise sur la valeur de marché de ses actifs et leratio des intérêts de la dette sur la somme de ces intérêts et du cash flow.L'estimation révèle que les coefficients des deux ratios sont significatifs et améliorentfortement l'estimation par rapport au cadre sans contrainte financière. Pour le grouped'entreprises choisies comme contraintes financièrement (en fonction de leurs ratiosdettes sur actifs et intérêts sur la somme des intérêts et du cash flow) l'équationd'Euler non augmentée d'une contrainte de financement est fortement rejetée alorsqu'elle est acceptée pour l'autre groupe. Hubbard, Kashyap et Whited [1995]utilisent un échantillon de 428 firmes américaines de 1976 à 1987 et trouvent quel'équation d'Euler dérivée sans contrainte financière est fortement rejetée pour lesentreprises classées comme financièrement contraintes (par un critère de ratio dedividendes distribués l'année précédent le début de l'échantillon étudié), alors qu'elleest acceptée pour les entreprises dont le ratio de distribution est plus élevé. Lesauteurs proposent alors une spécification ad-hoc du multiplicateur de la contraintefinancière en le faisant dépendre du ratio des cash flow sur le capital pondéré parl'écart du taux sur les billets de trésorerie et les Bons du Trésor à 6 mois qui apparaîtsignificatif et améliore l'estimation économétrique pour les firmes identifiées commecontraintes.

Introduction du coût du crédit

D’autres auteurs prennent une approche différente en spécifiant la fonction de coûtdu crédit comme dépendant de variables de l’entreprise comme le ratio dette surcapital. Ainsi Bond et Meghir [1994] dérivent un modèle où la prime payée sur letaux débiteur est fonction du ratio dette sur capital. Ils ne dérivent une équationéconométrique que pour les entreprises qui ne butent pas sur les contraintes depositivité des dividendes et estiment un coefficient du cash flow de signe contraire àcelui attendu (le cash flow devrait mesurer la productivité du capital et donc entreravec un signe négatif), ce qui pourrait être une preuve de contraintes de liquidité.

D’autres auteurs, comme Johansen [1994], dérivent explicitement les conditions dupremier ordre. Mais, pour aboutir à une équation estimable, ils font des hypothèsessur les corrélations entre les multiplicateurs de Lagrange et les variables de la périodesuivante, comme c’était déjà le cas avec un plafond d’endettement.

Le taux sur les prêts est spécifié comme une fonction croissante du ratio dette sur

capital r rB

q Kt tt

t t− −

− −=1 1

1

1 1( ) . On appelle toujours λ t

D+1 le multiplicateur de Lagrange

associé à la contrainte de non négativité des dividendes. Les variables de contrôlesont I t , Lt et Bt et les variables d’état K t−1 et Bt −1 . On obtient :

33

( )1 0 1811+

+

+

=+

+λ∂∂

∂∂

β∂∂t

D

t tt t

t

tI KE

VK

Π Π ( )

∂∂ΠL t

= 0 19 ( )

( )1 0 2011+ +

=+

+λ β∂∂t

Dt t

t

t

EVB

( )

( )( ) ( )∂∂

δ λ∂∂

λ∂

∂V

K IB

rK

t

ttD

ttD

tt−

−−

= − − +

+1

11

1 1 1 21Π

- ( )

( )∂∂

λ∂∂

VB

BrB

rt

ttD

tt

tt

−−

−−

= − + + +

11

1

111 1 22 ( )

On obtient donc en utilisant (18) et (21) on obtient l’équation d’Euler :

( )1 1 11

1 1−

+

=

+

+ +

++ +δ β

∂∂

β∂

∂∂∂

∂∂

EI

Er

KB

I Kt t tt

t t tt

tt t

ΛΠ

ΛΠ Π

(23)

où Λ ttD

tD++=

++1

111

λλ

. On obtient en utilisant (20) et (22) :

[ ]Er B

rB

t t t

t tt

t

β∂∂

+ + =+ +

1 1

1

1Λ (24)

Le terme qui pose toujours problème dans l’équation (23) est

EIt t t

t

β∂∂+ +

+

1 1

1

ΛΠ

. On fait alors une hypothèse selon laquelle la covariance de

Λ t +1 avec les autres variables à t+1 est constante. D’où (23) qui devient en utilisant(24) :

( )11

1

1

11

+ ++

+ +=

+

+

δ∂∂ ∂

∂∂ ∂

∂∂

∂∂

EI r B

rB

rK

Br B

rB

I Ktt

t tt

t

tt

t tt

t

t t

Π Π Π (25)

L’équation (25) s’estime en évaluant le terme anticipé sous l'hypothèsed'anticipations rationnelles, c’est-à-dire en le substituant par la valeur observée plusun terme d'erreur non corrélé avec l'information connue à t et donc avec toutes lesvariables indicées à t ou moins, et en spécifiant les fonctions de coût, d’ajustement etde financement (cf. l’annexe).

34

3.4 Critère de séparation des entreprises

La caractéristique de tous ces tests empiriques est qu'ils reposent sur l'identificationd'un sous ensemble de firmes pour lesquelles les contraintes financières sontsusceptibles de compter. Or la formation des groupes pose de nombreux problèmes.Le critère de séparation des deux types d'entreprises est en général fixé dès le débutet les firmes ne peuvent pas bouger tout au long de la période étudiée (cf. Fazzari,Hubbard et Petersen [1988]) alors qu'on peut penser que l'intensité des contraintesfinancières varie au cours du temps pour une entreprise donnée. D’autres, comme lefont Whited [1992] et Hubbard, Kashyap et Whited [1995], permettent àl'entreprise de changer de régime au cours du temps selon leur situation. D’autresencore utilisent la situation de l’entreprise un an avant le début de l’étude. De plus cecritère est endogène donc il existe un risque de corrélation avec le terme d'erreurdans les équations. En effet les critères utilisés pour identifier les firmes sont le tauxde rétention des dividendes (or la politique de distribution des dividendes estsûrement endogène et en particulier peut être fortement corrélée aux opportunitésd'investissement non observables), l'affiliation à des groupes bancaires ouindustriels, l'idée étant que des liens solides entre une entreprise et une banquepermettent de réduire les coûts d'information, la taille et l'âge avec l'idée que cesdeux critères sont fortement corrélés avec les facteurs qui déterminent la probabilitéd'être contraint financièrement (mais la variable taille (et âge) peut être corrélée avecdes caractéristiques non financières15), la présence de notation sur lesobligations émises, le degré de concentration des actionnaires...

15 Les petites entreprises sont peut-être plus dans des secteurs difficiles et peuvent être des

fournisseurs marginaux donc très sensibles à une baisse de la demande. Pour se protéger decela il faut regarder les mouvements de différentes variables (ventes, investissements...).

35

36

4 - Conclusion

Comme nous venons de le voir, la littérature empirique sur le canal du crédit secompose de deux types de tests. D'un côté des tests de spécification, qui ont pluspour but de déterminer des groupes d’entreprises les plus à même de rencontrer desproblèmes de financement, et de l’autre des estimations du poids de ces contraintesdans des équations dérivées d’un programme explicite de choix d’investissement enprésence de contraintes financières. Ces dernières, malgré les précautions dont ellesdoivent s'entourer, semblent plus porteuses parce qu'elles permettent d'identifier lescontraintes au niveau individuel.

Enfin nous avons vu que les principales études sont anglo-saxonnes. Dans le casfrançais la plupart des études qui existent utilisent des données agrégées et il en existetrès peu sur données micro-économiques.

37

38

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40

Annexe

Equation d’Euler dans un cadre de marché financierimparfait

On spécifie ( )G I K bKIK

ct t tt

, =

12

2

, ( )r B q K r aB

q Kt it t it tit

t it

, = +0 , où rt0

est le taux de refinancement, F est une fonction de production à rendementsconstants ν et on suppose que l’entreprise fait face à une fonction de demande

d’élasticité ε constante (on note µε

= −

11 1

). On obtient

∂∂ µΠI

pb

IK

c p tI

= −

− et

∂∂ µ

∂∂ µ

ΠK

p FK

bp I

Kc

= +

2

22 . On se

sert de ν∂∂

∂∂

= +FK

KF

FL

LF

et de (19) pour ∂∂ΠL

et on a, avec Y=F-G,

( ) ( )∂∂

νµ

νµ

νµ

νµ

ΠK

p YK

wLK

bp I

Kbc

p IK

=

− + +

−12

12

+ bc2

2

. Et

1

1

11

11

20 0

2

+ +≈

+ +

r BrB

r ra

Bq K

t tt

t

t t

it

t it∂∂

- D’où une équation de la forme

pYqK

wLqK

BqK

BqK

IK

IK

IK

BqK

IK

BqK

t tt

t tt

tt

yt

tt

t tt

ti t

=

+

+

+

+ +

+ ++

α α α η α η α η

α η α η α η χ φ χ

1 2 3

2

3 4 5

2

5

16 7

17 8

3

1

+

+ +

4

6 8t t

41