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Linguistique appliquée à l’enseignement du français langue étrangère Sonia Chirú de Prudham Maîtrise FLE Universidad de Panama Document de travail Septembre - décembre 2016

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Linguistique appliquée à l’enseignement du français langue étrangère

Sonia Chirú de Prudham

Maîtrise FLEUniversidad de Panama

Document de travailSeptembre - décembre 2016

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Table des matières

1. Notions fondamentales …………………..………… p. 5a. Qu’est-ce que la linguistique ? ………………… p. 6b. Les études sur le langage, une histoire ancienne . p. 10

i. La grammaire antique ……………………… p. 11ii. Le Moyen âge ……………………………… p. 13iii. L’Humanisme ………………………........ p. 13iv. La grammaire classique (XVII et XVIIIe siècles) p.15v. Le XIXe siècle …………………………….…. p. 17vi. La fin du XIXe siècle …………………… p. 20

2. Saussure et le Cours de linguistique générale ………. p. 22a. Une science descriptive ………………………… p. 22b. Place de l’oral et de l’écrit ………………………. p. 23c. La linguistique, fille de la sémiologie …………… p. 23d. L’objet de la linguistique ………………………… p. 24e. Synchronie et diachronie ………………………… p. 26f. Primauté du point de vue synchronique................ p. 26

g. Langue et parole …………………………………. p. 29h. Place de la syntaxe ………………………………. p. 30 i. De l'individuel au systématique …………………. p. 31j. Code et message …………………………………. p. 31k. Le Cours et le signe linguistique............................. p. 31l. L'arbitraire du signe linguistique ………………… p. 32m. Valeur du signe linguistique ……………………… p. 34n. La langue comme système ……………………….. p. 35o. Syntagme et paradigme …………………………. p. 35

3. Les domaines de la linguistique ……………………… p. 37a. La phonologie ……………………………………. p. 37b. La grammaire ou morpho-syntaxe ……………….. p. 38c. La lexicologie ……………………………………. p. 39

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d. La pragmatique …………………………………… p. 404. Disciplines qui étudient la variation……………………p. 415. Le langage et la pensée …………………………………. p. 42

a. Les textes et les discours………………………..…… p. 42b. Disciplines qui ont pour référence la linguistique…. p. 43

6. Les différentes écoles linguistiques …………….……… p. 45a. La linguistique de tradition européenne..... …........... P; 45b. La linguistique américaine …………………………. p. 47c. Les grands courants de la linguistique actuelle ……. p. 48d. La linguistique d’inspiration cognitive …………...... p. 50

i. Les théories énonciatives et pragmatiques …….. p. 507. Opérations pour dégager les unités linguistiques ……… p. 52

a. Le corpus ………………………………………….. p. 52b. Les notions de segmentation et substitution ………. p. 54c. La commutation ……………………………………. p. 54

8. Les unités linguistiques ………………………………… p. 559. La double articulation du langage ………………………. p. 5710. L’analyse distributionnelle ………………………………p. 5711. Les classes distributionnelles ….....…………………….. p. 5812. Phonétique et phonologie ……………………………… p. 61

a. Quelques éléments de phonétique articulatoire ……. p. 62i. Mode articulatoire ……………………………… p. 63ii. Le point d’articulation …………………………. p. 64

b. Quelques éléments de phonétique acoustique …….. p. 65c. Le point de vue phonologique ……………………….p. 69

i. Le phonème ………………………..…...... p. 70ii. Les traits distinctif ………………….......... p. 70

d. La méthode de commutation ….......... ...................... p. 71e. La méthode des paires minimales …......................... p. 72f. Le système phonologique du français ………............ p. 73

13. Les faits suprasegmentaux de la langue …………........ p. 74

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a. Enchaînements et liaisons......................... p. 75b. Les faits prosodiques et leurs fonctions..... p. 76

Bibliographie ………….………………..................… p. 78

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NOTIONS FONDAMENTALES

Vous êtes un homme une femme réelle-ment en train de parler. Il ne vous sort plus de la bouche les catégories de la langue, qui laissent toujours un drôle de résidu, mais tout entier vous êtes dis-cours et prosodie. L’infini du dire.

Henri Meschonic, La rime et la vie, Folio essais, 2006

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Qu’est-ce que la linguistique ? Qu’est-ce qu’un linguiste ?

Ce n’est pas toujours très simple de définir un domaine d’étude et encore moins en linguistique que dans d’autres disci-plines car bien d’autres disciplines participent des études sur la langue et le langage, ce qui rend difficile la définition des fron-tières des études linguistiques.

Le travail du linguiste semble énorme : la linguistique s’intéresse aux langues. Or, il y a des milliers d’idiomes et dia-lectes dans le monde. Doit-il les connaître tous ? Comment faire pour tous les étudier ?

Si l’on veut étudier la langue on va s'intéresser aux pro-ductions orales, donc, à la prononciation. Le linguiste aura be-soin de comprendre la physiologie de l’appareil phonatoire qui permet la production de la parole. Faut-il devenir médecin pho-niatre, spécialiste de la voix pour comprendre la production de la parole ?

Puis, les sons produits par la bouche du locuteur, ar-rivent aux oreilles de son destinataire sous forme d’une onde sonore. Pour comprendre les caractéristiques de la langue étu-diée, l’analyse physique de l’onde s’avère nécessaire. Ceci se fait à l’aide d’un appareillage technique tels des oscilloscopes, sonagraphes... qui mesurent le son et donnent à voir les carac-téristiques techniques des éléments qui composent la parole et les langues naturelles. Faut-il pour autant devenir physicien, acousticien ? Il est certain que nous devons faire appel, d'une façon ou d'une autre, à ces disciplines bien éloignées des études de langues telles que nous les concevons habituellement.

Puis, cette parole émise par le locuteur arrive aux oreilles de l'auditeur sous forme d’onde sonore brute. Elle doit être perçue / entendue par l'oreille puis simultanément, com-prise et interprétée par le destinataire. Et nous entrons dans un autre domaine qui est le fonctionnement de l’audition d’abord, de l’appareil auditif et sa physiologie, puis de sa relation avec

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le fonctionnement cognitif et neurologique du sujet. On rentre dans le domaine de la neurologie car la langue que nous par-lons est un fait abstrait, inscrit dans notre cerveau. Et le cer-veau c’est la partie de notre corps la plus inaccessible à l’étude. Pourquoi y a-t-il des retards de langage, comment surviennent les troubles du langage, tels que l’aphasie ? Ce sont des ques-tions qui intéressent autant le linguiste que les neurologues. Le linguiste doit faire appel, dans de nombreuses occasions, aux apports de ces disciplines qui semblent si éloignées des études de langues.

Comment le langage vient à l’enfant entre 0 et 3 ou 4 ans, comment l’acquiert-il ? Quelles sont les facultés psy-chiques qu’il met en œuvre pour arriver à maîtriser sa langue en si peu de temps ? Comment fait-il pour créer des réseaux qui lui permettent de mémoriser, organiser le pensable, associer mots, phrases et sens... Le linguiste deviendrait-il psychologue ?

La langue parlée par une communauté donnée est ins-crite dans le corps social. Elle est le produit de cette société et de sa façon de concevoir le réel. Ceci est valable pour toutes les langues en général mais aussi pour les langages développés dans certains secteurs de la société : le parler jeune, l’argot, voire les langages propres à tel ou tel groupe socio profession-nel... De ce point de vue, la sociologie et la linguistique se ren-contrent.

Par delà la diversité des langues, la linguistique doit es-sayer de saisir la fonction même du langage. Le moyen de le faire est de tenter de chercher ce qu’il y a de commun aux langues. La linguistique générale se soucie de cette question ancienne qui se confond avec des études philosophiques et la recherche des universaux du langage.

La linguistique, plus que toute autre science est obligée à l’interdisciplinarité. Cela donne naissance à des disciplines mixtes telles que la neurolinguistique, la socio-linguistique ou

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la psycho-linguistique. Mais aussi, de nouveaux champs de re-cherche se créent et qui lui apportent de nouvelles connais-sances : les sciences cognitives, la logique, l’informatique, la psychologie, les neurosciences... qui étudient aussi le langage selon d’autres points de vue ou qui utilisent les apports de la linguistiques pour leurs propres recherches.

Cependant, pour conserver son autonomie et ne pas perdre son essence, la linguistique doit savoir préserver ses propres points de vue et définir ce qui est propre à la linguis-tique plutôt que ce qu’elle partage avec toutes ces autres sciences que nous venons de mentionner.

La linguistique est une discipline éminemment empi-rique. Son objet est le langage et toutes les langues naturelles parlées de par le monde. Mais ces langues ne sont pas obser-vables comme les planètes et les satellites qui peuplent la voûte céleste et que les astronomes ont pu observer et nommer depuis la plus haute antiquité, même avant l’apparition du premier té-lescope. Une langue n’existe que parce que des locuteurs l’uti-lisent et émettent des messages articulés, mots, phrases... dans cette langue. Elle n’est observable que par ces productions qu’il faut saisir au vol pour les analyser, les comparer à d’autres productions, les décortiquer, les segmenter pour en comprendre les éléments qui les composent et dégager des constantes, des règles... qui font sa construction théorique. La linguistique part de l’observation du concret (productions lan-gagières) pour aboutir à une théorie de la langue qui, elle, n’est pas observable directement et sur laquelle on fait des hypo-thèses.

L’autre aspect de la linguistique concerne l’étude de la formation et de l’évolution des langues avec ses implications historiques, politiques, sociales... Les langues apparaissent comme des êtres vivants qui naissent, se développent et dispa-raissent. Le linguiste cherche à expliquer pourquoi et comment les langues se modifient-elles. Ce type d’études est l’objet de la

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linguistique historique qui a été l’essentiel des études linguis-tiques jusqu’au XIXe siècle et qui ont donné lieu à la recherche de cette communauté entre les langues tentant d’identifier une langue originelle qui serait à la racine de toutes les autres.

Les études linguistiques ont trouvé de nombreuses ap-plications dans divers domaines tels que : le traitement automa-tisé dans langues, la communication (radio, téléphonie, recon-naissance vocale...) ; l’aménagement linguistique (normalisa-tion de terminologies...) ; et, ce qui nous intéresse en premier lieu, la didactique des langues étrangères, secondes et mater-nelle. Ce que nous avons appelé linguistique appliquée, n’est autre chose que les acquis des études linguistiques mis en pra-tique pour un renouveau des pédagogies et pratiques dans l’en-seignement des langues vivantes.

En résumé, la linguistique est une discipline descriptive (elle décrit ce qui existe); théorique (elle explique ce qu’elle décrit) ; générale (elle dégage des concepts valables pour toutes les langues) ; historique (montre l’évolution des langues) ; phi-losophique (étudie les rapports entre langage et pensée, langage et vérité...) et appliquée par la mise en pratique des bénéfices de ces études.

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Les études sur le langage, une histoire ancienne

La science qui s’est constituée autour des faits de langue a pas-sé par des phases successives avant de reconnaître quel est son véritable et unique objet.On a commencé par faire ce qu’on appelait de la grammaire. Cette étude inaugurée par les Grecs, continuée principalement par les Français, est fondée sur la logique et dépourvue de toute vue scientifique et désintéressée sur la langue elle-même ; elle vise uniquement à donner des règles pour distinguer les formes correctes des formes incorrectes ; c’est une discipline norma-tive, fort éloignée de la pure observation et dont le point de vue est forcément étroit1.

La linguistique moderne est le fruit de, au moins, deux millénaires de réflexion critique sur des notions héritées d'une longue histoire d'études et réflexions depuis la plus haute anti-quité.

Les conceptions que nous avons du langage dépendent directement des sociétés où la réflexion est conduite. Ce regard est étroitement lié aux époques, lieux et état de la société en question.

La grammaire dite traditionnelle était le résultat des modes de pensée de la tradition greco-latine dont l’objectif était de donner des modèles. L’étude du langage est toujours in-dissociable des sociétés dans lesquelles elle s’élabore et cette étude va de pair avec une philosophie et une certaine relation aux textes (littéraires, religieux...). Donc, l’accès à la langue se fait toujours à travers des pratiques sociales de celle-ci, et par-mi ces pratiques, on doit mettre au premier plan les pratiques scolaires qui sont les premières par lesquelles l'enfant accède au langage de façon consciente.

1 Cours de linguistique générale de Ferdinand de Saussure, Ed. Payot, Paris, 1972

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De l’antiquité au comparatisme

En Occident, on considère trois grandes étapes dans l’histoire des théories du langage : la grammaire grecque (anti-quité jusqu’au XIX siècle) ; la grammaire comparée au début du XIXe et la linguistique structurale au début du XXe.

La grammaire antique

La réflexion linguistique la plus rigoureuse et ancienne que l'on connaisse concerne les études sur le sanskrit. Panini2

en particulier est célèbre pour avoir donné les règles de mor-phologie, de syntaxe et de sémantique de cette langue an-cienne de l’Inde. L’ensemble de ces études est connue sous le nom d’Ashtadhyayi3 et reste encore aujourd’hui un référence pour l’étude de la grammaire de cette langue.

Dans la civilisation occidentale, la réflexion sur le lan-gage est restée très attachée au mode de pensée de la civilisa-tion grecque classique qui peut présenter deux approches diver-gents : l’optique rhétorique lié à l’émergence de la sophistique et l’optique logique.

L’émergence de la démocratie grecque a fait surgir la nécessité du maniement de la parole aux fins de convaincre. La persuasion politique devient un enjeu majeur. Il apparaît alors ce que l’on considère comme des techniciens de la parole : les sophistes. Ils considèrent le langage comme un instrument dont il est possible d’analyser et codifier les ressources. Ce courant qui cherche surtout à analyser les éléments qui rendent la pa-role efficace pour agir sur autrui a abouti à la Rhétorique d’Aristote (381-322 av. J.C.) dont, encore de nos jours, nous trouvons des traces dans la culture occidentale.2 Grammairien de l'inde antique (560-480 av. J.C.).3 Aussi connue sous le nom de Paniniya.

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Parallèlement, on voit se développer un courant de pen-sée, philosophique, qui développe une réflexion sur le langage en rapport au concept de vérité. On cherche à mettre en relation la structure du langage et celles des propositions par lesquelles l’esprit énonce des jugements vrais ou faux sur le monde. Ceci est mis en évidence aussi par Aristote qui met en avant l’impor-tance et complémentarité entre sujet et prédicat. Notions qui semblent évidentes pour la plupart d’entre nous aujourd’hui.

Peu à peu, une réflexion proprement grammaticale se dégage de sorte que Denys de Thrace4 écrit, pour le grec, la première grammaire systématique de la culture occidentale. Il y distingue les parties du discours (article, nom, pronom, verbe...) telles que nous les connaissons aujourd’hui. Pour les grammairiens d’Alexandrie, l’intérêt n’était pas l’étude de la langue pour elle-même mais pour rendre lisibles les textes an-ciens (Homère...) qui étaient de plus en plus éloignés de la langue de leur époque.

D’un autre côté, déjà dans la Grèce ancienne, la nature du langage a été objet de controverse affrontant des courants philosophiques : d’une part, les analogistes et de l'autre, les anomalistes. Les analogistes pensent que la structure de la langue est régulière et peut faire l’objet d’une science. Les ano-malistes considèrent que la langue est formée d’un ensemble d’usages arbitraires ; d’autre part, on rencontre l’opposition entre ceux qui pensent qu’il y a une relation naturelle entre les mots et la réalité (la matière sonore du mot serait motivé par son sens et vice-versa) et ceux, dont Aristote, qui pensent que le rapport entre les signes et ce qu’ils désignent (le référent) est totalement conventionnel et immotivé.

Les Latins ont adopté et transmis les travaux des Grecs, d’autant plus facilement que leurs langues avaient des struc-tures assez proches. La grammaire grecque mettant l’accent sur 4 Denys le grammairien ou Denys de Thrace (170 - 90 av. J.C.), de l’école des grammairiens d’Alexandrie (Egypte).

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la morphologie - le mot et ses déclinaisons - la langue latine devait aussi avoir des déclinaisons pour que le passage d’une langue à l’autre puisse s’opérer plus facilement. Les grands grammairiens latins sont Varron (1er siècle av. J.C.), auteur d’un De Lingua latina ; Donat (v. 400) et Priscien (v 500), au-teurs de manuels d’enseignement du latin qui feront autorité jusqu’au XVIIe siècle en Europe.

Le Moyen âge

Le fait le plus marquant à l’époque est la prépondérance du latin sur la vie culturelle. On rencontre des érudits comme Alexandre de Villedieu (vers 1200) qui en a fait un résumé ver-sifié à des fins pédagogiques. Au XIIIe siècle se développe un courant philosophique qui débouche sur la grammaire spécula-tive (de spéculum qui signifie miroir, car la langue y est le mi-roir de la réalité). Ces philosophes, les modistes s’intéressent aux principes universels selon lesquels les mots sont liés au monde. Pour eux, la grammaire est la même dans toutes les langues qui ne diffèrent pas dans leur substance mais dans leurs accidents.

L’Humanisme

Au moment de la Renaissance plusieurs mouvements voient le jour. Un renouveau dans la pensée, la philosophie, la poésie bouscule les esprits. Cependant, et ceci semble étrange, on remet à l’honneur les grands classiques de l’ancienne Grèce et du Latin classique alors que les études sur les différentes langues vernaculaires se multiplient à travers l’Europe. C’est en 1522 qu’apparaît la première traduction du Nouveau Testa-ment en allemand, faite à partir des textes originaux en grec an-cien, par Martin Luther, le prêtre Réformateur. L’Ancien Testa-ment paraît en 1534, traduit de l’hébreu ancien et va former

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avec le Nouveau Testament, la première Bible en langue verna-culaire européenne. Cette Bible de Luther connut un succès im-médiat, facilité par l’invention de l’imprimerie. Dans la même veine, la traduction de textes anciens et les études philolo-giques sont mis au goût du jour.

Ce double mouvement s’intéressant aux langues an-ciennes à la fois que l’on conduit des études sur les langues vulgaires n’est en rien contradictoire. En réalité, si l’on étudie le français c’est parce que l’on suppose qu’il est digne de cet intérêt car il posséderait une organisation grammaticale digne de ce nom et pour le prouver, on cherche a montrer sa confor-mité avec le latin ou le grec5.

En 1539, l’ordonnance de Villers-Cotterêts bannit enfin le latin de l’usage juridique et administratif et assure, sur le ter-ritoire français, la domination du français comme langue offi-cielle de l’État et de l’Administration. Les premières gram-maires françaises sont apparues vers 15306.

D’un autre côté, les développement des voyages, des colonisations, des échanges commerciaux... emmènent les Eu-ropéens à connaître d’une grande diversité de langues dont les dictionnaires polyglottes constituent des répertoires destinés es-sentiellement à la communication.

5 cf. H. ESTIENNE (Paris 1528 - Lyon 1598), Traité de conformité du lan-gage français avec le grec, 1569.6 cf. John Palsgrave, né vers 1480 à Londres et mort en 1554 dans le Northamptonshire était un prêtre catholique à la cour de Henri VIII deAngleterre. Il est l'auteur de Lesclarcissement de la langue francoyse (en français moderne : L'éclaircissement de la langue française). Cet ouvrage, écrit en anglais malgré son titre français et publié en 1530 à Londres, est considéré comme la première grammaire de la langue française. Il s'adressait à des Anglais voulant apprendre le français ; Louis Meigret (Lyon, vers 1510 -1558), Traité de la grammaire française, 1550, est un grammairien français, réformateur de la langue française de la Renaissance.

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Il y a, à cette époque, une description de la langue qui s’intéresse à la multiplicité des formes et usages sans recher-cher les principes généraux que la caractérisent.

La grammaire classique (XVII et XVIIIe siècles)

C’est à partir du XVIIe siècle que le bel ou le bon usage de la langue va se mettre en place et se codifier du fait princi-palement du centralisme monarchique qui fait de la langue un instrument du pouvoir. La grammaire de Vaugelas (1647) Re-marques sur la langue française, va instaurer l’usage de la langue de la Cour et de certains cercles privilégiés comme norme du bon langage. Ce point de vue accorde plus d’intérêt à des modes, à des caprices d’usage qu’aux grandes régularités de la langue. La notion de faute de français devient fondamen-tale : bien parler c’est connaître un ensemble de conventions, un code, celui de l’élite sociale. Ce bon usage va se couper pro-gressivement de usage réel et effectif de la langue. Il prendra pour référence les textes d’écrivains choisis pour leur classi-cisme. La fondation de l’Académie Française par Richelieu en 1635, aura une importance décisive. Elle fixera le bon usage de la langue, grâce, en particulier, à son Dictionnaire (1ère édition, 1694) et aura une grande influence dans le domaine de l’ensei-gnement du français encore de nos jours.

C’est la grammaire de Port Royal (publiée en 1660) qui va marquer cette époque. Les auteurs en sont Arnauld et Lance-lot. Pour eux, l’étude des formes grammaticales est subordon-née à une théorie des relations logiques qui fondent la langue. La langue n’existe que si elle représente fidèlement la pensée. Elle est un ensemble de signes par lesquels on remonte aux principes rationnels universels auxquels doit obéir toute langue. C’est une grammaire dite mentaliste où les règles grammati-cales, ce sont les principes clairs qui expliquent comment ces règles permettent d’exprimer la pensée.

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Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, c’est cette conception de la grammaire qui va dominer. La proposition logique, le juge-ment sont au centre de la réflexion : la proposition analyse la pensée en combinant des idées représentées par les mots. L’his-toire des langues sont secondaires, ce qui importe est la stabili-té de la logique cartésienne. Cette conception de la langue est clairement présente dans l’Encyclopédie7 où le grammairien Beauzée8 affirme que toutes les langues doivent se conformer à l’analyse logique de la pensée et que ces lois sont les mêmes partout et dans tous les temps. Cela explique l’intérêt de l’époque pour l’origine des langues, pour le mythe d’une langue originelle dans laquelle le langage aurait coïncidé par-faitement avec la pensée.

7 L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers est une encyclopédie française, éditée de 1751 à 1772 sous la direction de Diderot et D’Alembert.

L’Encyclopédie est un ouvrage majeur du XVIII e

siècle et la première encyclopédie française. Par la syn-thèse des connaissances du temps qu’elle contient, elle représente un travail rédactionnel et éditorial considé-rable pour l’époque, mené par des encyclopédistes constitués en « société de gens de lettres ». Enfin, au-delà des savoirs qu’elle compile, le travail qu’elle repré-sente et les finalités qu'elle vise, en font un symbole de l’œuvre des Lumières, une arme politique et, à ce titre, l’objet de nombreux rapports de force entre les éditeurs, les rédacteurs, le pouvoir séculier et ecclésiastique.

8 Nicolas de Beauzée (Verdun, 1717 - Paris 1789), linguiste et gram-mairien français, il exposa de manière méthodique et claire les principes de la grammaire dans sa Grammaire générale, ou Exposition raisonnée des éléments nécessaires pour servir à l’étude de toutes les langues (1767).

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Le XIXe siècle

Durant le XIXe siècle, plusieurs courants apparaissent. Le langage n’est plus, comme à l’époque classique un élément qui analyse la pensée d’un point de vue logique mais devient un organisme soumis à l’histoire. C’est la recherche de la langue mère, l’indo-européen qui donnera naissance à une mé-thodologie : le comparatisme. De cette méthodologie sont nées, par exemple, les recherches qui permettent les classements des langues par famille. On constate que malgré la grande variété de langues dans le monde on perçoit des différences mais aussi des ressemblances entre elles. La linguistique du XIXe a consa-cré beaucoup d’efforts à étudier ces constantes. Les linguistes font des classements et mettent en relief que des langues comme l’anglais, le danois et l’allemand désignent le même ré-férent de main par [hænd], [hānd] et [hant] respectivement. En revanche, le même référent de main [mẼ] du français, se dit [mano] en italien et en espagnol, et en roumain [mɨnǝ]. On ar-rive ainsi à une conclusion de familiarité entre deux groupes de langues et la méthode pourrait être appliquée à toutes les langues du monde. Comment nomme-t-on la main dans d’autres langues ?

Ainsi, sur la base des méthodes comparatistes, les lin-guistes ont classé les langues du monde en une vingtaine de grandes familles : afro-asiatique, altaïque, amérindien, austra-lien-aborigène, austronésien, caucasien, coréen, dravidien, es-kimo-aleoute, indo-européen, indo-pacifique, japonais, khoi-san, na-déné, niger-congo-nilo-saharien, ouralique, paleosibé-rien, sino-tibétain et thaï.

C’est donc, au cours du XIXe siècle que des linguistes érudits ont parcouru le monde, à la suite des explorateurs pour répertorier les langues du monde et tenter de trouver un ancêtre commun au langage des hommes.

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Déjà en 1786, l’anglais W. Jones émettait l’hypothèse que le sanskrit (ancienne langue sacrée de l’Inde) pouvait avoir la même origine que le latin, le grec, le celtique, le persan, etc. car ils présentaient des ressemblances frappantes. De nombreux travaux furent consacrés à cette question jusqu’à la fondation de ce que l’on s’accordera à appeler la méthode comparatiste par F. Bopp et R. Rask.

F. Bopp (1791 - 1867) publia en 1816 un mémoire sur Le système de conjugaison du sanskrit comparé à celui du grec, du latin, du persan et du germanique dans lequel il démontra ri-goureusement la communauté d’origine de ces langues. Un an plus tôt, le danois, R. Rask9 avait établi les affinités entre islan-dais, langues scandinaves, grec, latin, arménien, slave, langues germaniques... Avec ces deux auteurs suivis de bien d’autres, la notion vague de ressemblances entre les langues fait place à une méthodologie de plus en plus rigoureuse et précise.

Par ailleurs, le mouvement Romantique qui fait un re-tour sur l’histoire, l’éveil des nationalismes et des traditions po-pulaires, donne naissance à un travail très important d’études philologiques sur les contes, légendes, épopées, etc. Ils vont considérer la langue comme le produit de l'histoire des peuples qui la parlent, indissolublement liée à la culture et coutume des hommes.

Parallèlement, l’étude du langage subit aussi les in-fluences des biologistes tels que Cuvier ou Darwin. On fait une analogie entre les langues et les êtres vivants. La langue est un organisme de la nature, un être vivant qui obéit aux mêmes lois que tout organisme de la nature : elle est un organisme en évo-lution constante qui connaît une naissance, une période de croissance, puis, la corruption et la mort. Donc, toutes les langues sont vouées à disparaître. Selon cette perspective théo-rique, l’indo-européen est considéré comme l’ancêtre des 9 Rasmus Kristian Rask (1787 - 1832), Investigation sur l’origine du vieux norrois ou islandais.

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langues (langue mère) dont dérivent des langues filles et des langues petite-filles.

La tendance qui considère le langage comme produit de l’histoire et de la culture des peuples, représentée par Wilhem Von Humboldt (1767 - 1835) qui considère la langue comme une forme qui façonne la pensée, exprimant et organisant l’âme des peuples et leur vision du monde. En somme, la langue est un fait social. Humboldt comme son frère était un érudit de son temps :Il [Humbolt] apprenait toutes les langues et même tous les pa-tois de la terre, rapporte Chateaubriand. Dans ses essais sur L'Étude comparée des langues (1820) et Le Caractère national des langues (1822), il accomplit une véritable révolution intel-lectuelle. Dépassant les bornes des modèles grammaticaux classiques, grecs et latins, il veut affronter toutes les langues trouvables, écrites ou non écrites, sans préjuger de leurs mé-rites. Esprit pénétré du don des langues, il en maniait une soixantaine, du malgache au guarani, en passant par le copte, le lapon, le mandchou, l'auvergnat et le wolof. Il composa une trentaine de grammaires et fut le principal découvreur des langues du Nouveau Monde et de l'Océanie. Aujourd'hui que les questions de langue universelle, de langue maternelle, et du statut de la diversité sont plus que jamais d'actualité, comment négliger une oeuvre qui sut poser les langues dans leurs diffé-rences sans les hiérarchiser pour autant, une pensée du divers qui ne renonçait pas à l'horizon d'universalité10.

10 Gerd Hohendorf, Wilhelm von Humboldt, 1767-1835, Perspectives: revue trimestrielle d'éducation comparée (Paris, UNESCO: Bureau international d'éducation), vol. XXIII, n° 3-4, 1993, p. 685-696.

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La deuxième tendance est représentée par A. Schleicher11qui considère la langue comme un organisme biologique. Pour lui, la langue est plutôt un être de la nature et non un fait social comme le pense Humboldt. La langue pour Schleicher est sou-mise à la nécessité d’évolution, aux lois phonétiques. Il publie-ra La Théorie darwinienne et la science du langage en 1865.

La fin du XIXe siècle

Une véritable science expérimentale apparaît après 1850. La phonétique étudie la production et la substance phy-sique des sons du langage et ce sont des savants comme Helm-holtz12 ou Rousselot13 qui en font une science qui va apporter de nouveaux éléments à la grammaire comparée.

Les études de phonétique vont permettre de caractériser plus précisément les lois phonétiques. Aussi, l’étude de l’in-do-européen est quelque peu délaissé au profit des langues ro-manes. Il est plus aisé, à travers des textes accessibles aux chercheurs d’étudier le passage du latin au français, à l’espa-gnol, à l’italien... Les dialectes régionaux sont aussi l’objet d’études nombreuses. La dialectologie se développe sur cette fin de siècle et, en 1902, J. Gilliéron14, fondateur de la Revue

11 August Schleicher (1821 - 1868), linguiste allemand dont l'œuvre majeure est Compendium der vergleichenden Grammatik der indogermanischen Sprachen, où il tente de reconstituer l'indo-européen commun. 12 Hermann Ludwig Ferdinand von Helmholtz (Potsdam, 1821 - Berlin, 1894) est un scientifique (physiologiste et physicien ). Il a notamment fait d'importantes contributions à l'étude de la perception des sons et des couleurs.13 Jean (Pierre) Rousselot (dit l'Abbée Rousselot) (1846 - 1924) est un phonéticien et dialectologue français. L'abbé Rousselot est considéré comme le fondateur de la phonétique expérimentale tant en recherche fondamentale qu'en recherche appliquée.14 Jules Guilliéron (1854 - 1926), linguiste suisse, figure préémi-nente de la dialectologie.

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des patois gallo-romains (1867), publie un Atlas linguistique de la France, avec des cartes géographiques. Ce travail allait sus-citer des imitations dans l’Europe entière.

Les néo-grammairiens (Leipzig, 1875), groupe de jeunes linguistes considèrent que la seule étude scientifique du langage est l’étude historique et posent le caractère absolument nécessaire des lois phonétiques. Ils rejettent les études sur l’in-do-européen primitif et estiment que les études doivent se tour-ner vers les langues chronologiquement plus proches.Se développent, alors, durant cette deuxième moitié du siècle, les études sur les origines de la langue française et donc de l’ancien français. Les principaux représentants de ce mouve-ment sont, dans le domaine de la grammaire comparée et de la linguistique générale, Michel Bréal15 qui s'insurge contre l’inté-rêt quasi exclusif que l’on porte aux lois phonétiques pour se concentrer sur le sens. Il est le créateur du terme sémantique en tant que science des significations et des lois qui président à la transformation du sens ; et Antoine Meillet16 qui est surtout connu pour ses études dans le domaine de l’indo-européen et pour l’influence qu’a exercée sur lui la sociologie de Dur-kheim. Pour lui, la langue est avant tout un fait éminemment social.

C’est grâce à une étude critique des acquis et des im-passes de tous ces grands érudits que Ferdinand de Saussure va tenter de bâtir une linguistique générale dont se réclameront tous les courants structuralistes européens et qui marque l’avé-nement de la linguistique moderne.15 Michel Bréal (1832 - 1915), linguiste français, considéré comme le fon-dateur de la sémantique moderne. Parmi ses oeuvres : De l'enseignement des langues vivantes (1893) ; Essai de sémantique : science des significa-tions, Paris, Hachette (1897).16 Paul Jules Antoine Meillet (1866 - 1936) est le principal linguiste fran-çais du début du XXe siècle. Parmi ses oeuvres : Linguistique historique et linguistique générale (1921) dont les deux tomes ont été regroupés en 2015 chez Lambert-Lucas.

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Saussure et le Cours de linguistique générale

Le nom de Ferdinand de Saussure (1857-1913) a été at-taché à la naissance de la linguistique moderne. Cependant, l’ouvrage que nous connaissons sous l’intitulé de Cours de lin-guistique générale n’a jamais été écrit par lui mais par ses dis-ciples Charles Bally (1865 - 1947) et Albert Sechehaye (1870 - 1946), principalement, qui ont tenu à publier les notes des cours que Saussure a dictés à l’Université de Genève entre 1906 et 1911. Le Cours a été publié pour la première fois en 1916 et a rencontré un grand succès depuis.

Les apports du Cours de linguistique générale de Saus-sure sont nombreux et en particulier il va définir l’objet de la linguistique et définir du mieux possible cet objet : la langue.

Une science descriptive

Premièrement, pour Saussure, la linguistique n’a pas pour objet de dire aux locuteurs ce qui est correct ou ce qui ne l’est pas. Si la linguistique veut se donner le titre de science parmi les sciences humaines elle doit se baser sur l’observation de ce qui est et décrire les faits de langue tels qu’ils sont obser-vables et observés.

La grammaire traditionnelle édictait des lois, légiférait sur ce qui était le bon français, la langue correcte, se basant, en général sur les écrits d’écrivains choisis. Ils sont présentés comme des exemples que tout locuteur doit suivre s'il veut ap-paraître comme quelqu'un de cultivé. C'est aussi un marqueur social.

La linguistique depuis Saussure, se contentera de dé-crire la langue telle qu’elle est visible grâce aux productions des locuteurs qui la pratiquent au sein d’une communauté lin-guistique donnée. Le linguiste doit s’astreindre autant que pos-sible aux méthodes scientifiques des naturalistes, par exemple,

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qui ont parcouru le monde en décrivant les espèces, les réperto-riant, les classant, etc. Place de l’oral et de l’écrit

Saussure fait le constat que les langues sont d’abord parlées et qu'il existe des communautés linguistiques sans écri-ture. Il observe que ce n’est pas pour autant que leur langue est moins respectable qu’une autre qui aurait développé une forme de fixation de l’oral par des signes écrits. On peut aussi, parler une langue sans pour autant maîtriser l’écrit de cette langue. Il conclut, donc, que le linguiste doit s’intéresser d’abord aux productions orales de la communauté linguistique étudiée avant de s’intéresser à l’écriture qui est une forme de représentation de ce que les hommes disent. Et l’oral est antérieur à l’écrit. Sans l’oral il n’y a pas d’écrit.

La linguistique, fille de la sémiologie

La linguistique est, pour Saussure, une partie d’une science bien plus englobante que serait la sémiologie qui serait chargée d’étudier la vie des signes au sein de la vie sociale. La linguis-tique ne se chargerait que d’une partie de ces signes, ceux véhi-culés par la langue. La langue est un système particulier de signes.

Alors que le langage est une faculté naturelle, la langue est un produit collectif des communautés linguistiques, un sys-tème de signes qui permet l’expression et la transmission de chaque expérience humaine possible. La langue est donc, le plus important des systèmes de signes. Elle intervient, à titre de composante ou de relais dans tous les systèmes de signes.

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L’objet de la linguistique

L’objet de la linguistique est bien compliqué à définir pour des raisons que Saussure explique très clairement au chapitre III de son cours :

D’autres sciences opèrent sur des objets donnés d’avance et qu’on peut considérer ensuite à différents points de vue ; dans notre domaine, rien de semblable. Quelqu’un prononce le mot français <nu> : un observateur superficiel sera tenté d’y voir un objet linguis-tique concret ; mais un examen plus attentif y fera trouver successi-vement trois ou quatre choses parfaitement différentes, selon la ma-nière dont on le considère : comme son, comme expression d’une idée, comme correspondant du latin <nūdum>, etc. [...] et Saussure conclut ainsi que l’objet ne précède pas le point de vue mais que c’est plutôt le point de vue adopté qui crée l’objet. Et rien ne dit d’avance que l’une de ces manières de considérer le fait en question soit antérieure ou supérieure aux autres.

En outre, quel que soit le point de vue qu’on adopte, le phé-nomène linguistique présente perpétuellement deux faces qui se cor-respondent et dont l’une ne vaut que par l’autre. Par exemple :

• Les syllabes qu’on articule sont des impressions acoustiques perçues par l’oreille, mais les sons n’existeraient pas sans les organes vocaux ; [...]. On ne peut donc réduire la langue au son, ni détacher le son de l’articulation buccale ; réciproque-ment on ne peut pas définir les mouvements des organes vo-caux si l’on fait abstraction de l’impression acoustique [...].

• Mais admettons que le son soit une chose simple : est-ce lui qui fait le langage ? Non, il n’est que l’instrument de la pensée et n’existe pas pour lui-même. Là surgit une nouvelle et redou-table correspondance : le son, unité complexe acoustico-vo-cale, forme à son tour avec l’idée une unité complexe, physio-logique et mentale […].

• Le langage a un côté individuel et un côté social et l’on ne peut concevoir l’un sans l’autre. En outre :

• À chaque instant il implique à la fois un système établi et une évolution ; à chaque moment, il est une institution actuelle et

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un produit du passé. Il semble à première vue très simple de distinguer entre ce système et son histoire, entre ce qu’il est et ce qu’il a été ; en réalité, le rapport qui unit ces deux choses est si étroit qu’on a peine à les séparer. [...]

Il n’y a, selon Saussure, qu’une solution à toutes ces difficul-tés ; il faut se placer de prime abord sur le terrain de la langue et la prendre pour norme de toutes les autres manifestations du langage. Parmi tant de dualités, la langue seule paraît être susceptible d’une définition autonome et fournit un point d’appui satisfaisant pour l’es-prit.

Arrivé à ce point du raisonnement, Saussure tente une défini-tion de la langue, distincte de celle du langage. La langue ne serait qu’une partie du langage, même si elle en est une partie essentielle.[La langue] c’est à la fois un produit social de la faculté du lan-gage et un ensemble de conventions nécessaires, adoptées par le corps social pour permettre l’exercice de cette faculté chez les individus. Pris dans son tout, le langage est multiforme et hétéroclite ; à cheval sur plusieurs domaines, à la fois physique, physiologique et psychique, il appartient encore au domaine in-dividuel et au domaine social ; il ne se laisse classer dans au-cune catégorie des faits humains, parce qu’on ne sait comment dégager son unité. La langue, au contraire, est un tout en soi et un principe de classification. [...]

Pour attribuer à la langue la première place dans l’étude du langage, on peut [...] faire valoir [...] que la faculté - natu-relle ou non - d’articuler des paroles ne s’exerce qu’à l’aide de l’instrument créé et fourni par la collectivité ; [...] c’est la langue qui fait l’unité du langage.

À travers cet ensemble de raisonnements complexes pour déterminer l’objet de la linguistique et les définitions de cet objet, Saussure va développer une série de concepts qui ont été, par la suite d’une très grande rentabilité pour de généra-tions de chercheurs, même si parfois, certains l’ont mal com-pris ou dévié de sa pensée initiale.

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Synchronie et diachronie

La deuxième partie du Cours s’intitule Linguistique synchronique et la troisième Linguistique diachronique.

Par ces mots forgés du grec, Saussure définit deux points de vue possibles pour les études linguistiques.

Le point de vue synchronique désigne un état de la langue considéré dans son fonctionnement à un moment donné du temps, alors que le point de vue diachronique s’intéresse à une phase de l’évolution de la langue. Cette opposition est pu-rement méthodologique car elle n’existe pas vraiment dans les faits car à chaque instant, le langage implique à la fois un sys-tème établi et une évolution. Lorsqu’on adopte un point de vue synchronique sur la langue, on s’applique à décrire des rapports entre éléments simultanés ; en adoptant un point de vue dia-chronique, on s’attachera à considérer et expliquer les change-ments survenus dans la langue.

Primauté du point de vue synchronique

Saussure et à sa suite, la linguistique structurale a ac-cordé une importance primordiale au point de vue synchro-nique, rompant ainsi avec la tradition de la grammaire compa-rée qui considérait la comparaison entre les langues comme un moyen de retrouver le passé des ces langues. Cette perspective historiciste conduisait à une sorte d'émiettement en retraçant l'évolution d'un mot ou d'une catégorie grammaticale au lieu de rechercher les cohérences et l'aspect systématique de la langue. Ainsi, on procède par tâtonnements et empirisme sans véritable démarche scientifique.

Lorsque Saussure parle d’une perspective diachronique en linguistique, ce point de vue ne peut être assimilé à celui de la grammaire comparée, ancienne linguistique historique. Pour

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Saussure, l'histoire d'une langue est toujours l'histoire d'un sys-tème linguistique. La diachronie est en fait un succession de synchronies.

Il est évident que la primauté accordée à la perspective synchronique se justifie par le fait que le locuteur qui acquiert une langue, qu’elle soit maternelle ou seconde, n’a pas besoin de connaître les évolutions de celle-ci pour apprendre à manier les règles du système qui l’occupe ici et maintenant. On n’a pas besoin de chercher dans le latin l’origine des conjugaisons du français pour apprendre à conjuguer les verbes de la langue telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui. L’état de la langue, au-jourd’hui, est, selon Saussure, autonome dans son fonctionne-ment des états par lesquels elle est passée au cours de son his-toire et son évolution. D’ailleurs, lorque l'on s’intéresse à l’his-toire de la langue, on le fait à partir de son état actuel, ce qui démontre la prééminence de la synchronie.

Saussure marque donc la dualité de points de vue que l’on peut avoir sur la langue et il lui semble pertinent de mettre en avant le point de vue synchronique sans nier, à aucun mo-ment, l’interdépendance des deux points de vue.

Le cours de Linguistique générale de Saussure constitue bien une rupture avec la tradition historique. Il met l’accent sur le point de vue synchronique de la description linguistique et en même temps, définit la langue comme un objet fondamenta-lement inscrit dans une société et donc nécessairement soumis à l’histoire.

*****

Dans la partie II du Cours, Saussure développe les raisons pour lesquelles il n’y a pas de changement brusque et général de la langue, insistant sur le caractère accidentel et aveugle des chan-gements qui n’ont rien à voir avec la conception du XIXe et qu’on rencontre encore aujourd’hui qui fait croire que ces

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changements sont le signe d’une dégénérescence des langues vouées à une mort certaine à plus ou moins long terme comme tout être vivant.

Cependant, pour les linguistes la différence entre syn-chronie et diachronie a été une source permanente de débat.Selon Roman Jakobson, cette notion doit être dépassée car un changement est [...] à ses débuts un fait synchronique et [...] l’analyse synchronique doit englober les changements linguis-tiques ; inversement, les changements linguistiques ne peuvent se comprendre qu’à la lumière de l’analyse synchronique17.

Les structuralistes, semblent n’avoir pas bien compris la position de Saussure en ce qui concerne cette dichotomie de la description linguistique. Ils ont eu tendance à mettre l’accent sur le mot primauté attribué à la perspective synchronique en l’utilisant comme arme contre la perspective historique de l’étude des langues. C’est ce que pointe Oswald Ducrot en fai-sant remarquer qu'on a tendance […] en se fondant […] sur l’autorité de Saussure, et sur son opposition du diachronique et du systématique, à tenir pour nécessaire l’antagonisme du sys-tème et de l’histoire18 ».

C’est cette dualité entre le système tel qu’il fonctionne à un moment T donné et son évolution qui constitue la pre-mière difficulté pour la délimitation de l’objet de la linguis-tique.

17 Essais de linguistique générale, éd. Minuit, 196318 O. Ducrot (né en 1930), linguiste français, agrégé de philosophie, direc-teur d'études de l'École de Hautes études en Sciences Sociales. Auteur de nombreux ouvrages, dont Qu’est-ce que le structuralisme ? ed. du Seuil,1968

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Langue et parole

La langue, en tant que système conventionnel permet-tant la communication à un groupe social est défini par Saus-sure comme le principal objet de la linguistique. Cependant, ceci exige certaines explications plus fines car la langue, le sys-tème ne préexiste pas dans la nature. Difficile donc de l’obser-ver indépendamment d’autres faits.

Au milieu de la masse confuse des faits de langue, la science doit circonscrire quel est le terrain spécifique de son champ d’action au moins pour se distinguer d’autres disciplines qui s’intéressent aux faits de langage telles que la philosophie, la psychologie, la sociologie, etc. Afin de définir ce terrain de compétence, Saussure propose de définir en séparant langue de langage puis langue de parole.

Le langage ne peut être l’objet d’une seule discipline. C’est une faculté naturelle et contient des faits de nature diffé-rentes.

Selon Saussure, ce qui est naturel à l’homme est la fa-culté de constituer une langue, c’est-à-dire un système de signes distinctifs correspondants à des idées distinctes19 et non le langage parlé proprement dit.

C’est d’ailleurs, l’existence de la langue comme sys-tème de signes qui rend possible l’existence du langage parlé, la faculté à proférer des paroles.

La langue occupe donc une place de tout premier ordre dans l’ensemble des faits de langage. Pour circonscrire ce qui est langue et ce qui ne l’est pas on va partir d’un acte de paro- le : un individu profère des paroles qui lui permettent de com-muniquer avec un autre. Il faut montrer que ce mécanisme est incompréhensible et la communication impossible si les deux sujets ne possèdent en commun un système qui associe les sons

19 Saussure, Cours... p. 26

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produits avec un sens compris par les parties prenantes. C’est ce système d’associations que Saussure appèle la langue.

On quitte donc l’acte individuel de la parole pour s’in-téresser au fonctionnement à l’échelle de toute une communau-té et définir la langue comme un pur objet social, un ensemble systématique de conventions indispensable à la communica-tion. La langue appartient à une société donnée, la parole à l’in-dividu. La langue est un fait virtuel, la parole une réalisation individuelle. La parole est libre, peut faire des choix, est inven-tive, créative car les combinaisons des signes linguistiques dé-pendent de la volonté du locuteur.

****Place de la syntaxe

Une des difficultés de l’analyse saussurienne est l’ab-sence de traitement de la syntaxe. Les limites entre la langue et la parole ne sont pas très claires. Les expressions figées (à quoi bon ? prendre la mouche...) sont-elles du domaine de la langue ou de la parole ? La question n’est pas clairement tranchée.

La parole est, de plus, source de création et d’innova-tion. Elle fait évoluer la langue.

La parole se fait, d’autre part, par des actes de phona-tion nécessaires à la production des signes et de leurs combi-naisons : la langue comme système grammatical et lexical vir-tuel existe dans le cerveau de chaque locuteur. La parole réalise cette virtualité. Saussure assimile la langue à une symphonie dont l’existence virtuelle est indépendante de son exécution. Ainsi, la distinction de la langue comme forme et la parole comme réalisation de suites de sons doués de sens constitue un préalable à la définition de la langue comme un système de signes et de valeurs.

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De l'individuel au systématique

Saussure distingue deux types de linguistique : la lin-guistique proprement dite, celle qui a pour objet la langue et une linguistique de la parole qu’il semble cantonner dans un rôle secondaire. Saussure neutralise par ce biais tous les faits individuels du langage, toutes les différences au sein d’une même langue et limite le champ d’action de la linguistique. Cet espace laissé libre sera occupé ensuite par d’autres disciplines telles que la sociolinguistique, la psycholinguistique, etc.

Code et message

Certains linguistes, se réclamant de Saussure, et sous l’influence des théories de la communication et de l’informa-tion liées à de nouvelles technologies, ont voulu remplacer le terme langue par code et parole par message. Il est démontré que la langue est un système beaucoup trop complexe avec des conventions implicites, qui ne peut se réduire à un code comme n’importe quel autre : pour le prouver il n’y a qu’à regarder les difficultés que rencontrent les traducteurs.

Saussure distingue donc langue de parole et fait de la langue l’objet premier de la linguistique. De cette façon il lui rend son autonomie par rapport à d’autres sciences qui s’inté-ressent aux faits de langage.

Le Cours et le signe linguistique

Le Cours de linguistique générale ne cherche pas à dé-terminer la nature du signe linguistique d’un point de vue phi-losophique mais à définir la langue en tant que système de signes organisé. Cependant il faut examiner la structure du

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signe pour pouvoir expliciter le caractère indissociable entre la notion de signe - arbitraire - et celle de système.

Le signe linguistique unit un concept et une image acoustique. Le signe /livR/ (livre) comporte deux aspects (faces) : l’idée ou concept de livre et d’autre part l’empreinte psychique de sa représentation par les sons / phonèmes qui constituent le signe /livR/. Pour bien marquer la séparation entre ces deux objets d’étude formant le signe linguistique, Saussure a créé les notions de signifiant (image acoustique) et signifié (concept auquel l’image acoustique renvoie).

Cette nouvelle terminologie permet de débarrasser la nouvelle science linguistique de termes issus de la psychologie (image acoustique / concept) pour marquer son autonomie.

L'arbitraire du signe linguistique

Ce principe de l’arbitraire du signe permet de faire un pas décisif dans la compréhension des notions telles que signe et système.

Le signe linguistique est dit arbitraire parce qu’il n’y a aucun rapport de motivation entre la suite sonore /livR/ et l’ob-jet ou idée que nous désignons par ce vocable. Il est pertinent de dire que plus que d’arbitraire il s’agit de la non motivation du signe. C’est ainsi que l’on explique que l'animal à cornes de nos campagnes se dit

En France En Allemagneboeuf Ochs

signifié

signifiant Les deux faces du SIGNE LINGUISTIQUE

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C’est le caractère immotivé du signe linguistique qui fait sa spécificité parmi les autres types de signes. C’est Peirce20 dans ses travaux de sémiologie qui propose une division des signes qui pourraient être :

des indices La fumée es indice d’un feudes icônes La carte géographique icône du pays qu’elle re-

présentedes symbolesRelation totalement arbitraire, institutionnalisée

: le feu rouge = interdiction de passer.

Ainsi, le signe linguistique constituerait un symbole au sens de Peirce.

En posant le principe de l’arbitraire du signe, Saussure prend parti dans le grand débat théorique inauguré par le Cra-tyle de Platon qui opposait les tenants de l’origine naturelle du langage aux partisans du conventionnalisme. Il se situe dans la lignée des conventionnalistes mais son propos va bien au-delà du débat philosophique. Il s’agit pour lui de se placer sur le ter-rain proprement linguistique en reliant l’arbitraire du signe à ceux de valeur et de système en rendant obsolètes les débats sur l’origine des langues, encore très en vogue au début du XXe

siècle. C’est que l’objectif de Saussure est de porter un coup

fatal à la conception de la langue en tant que nomenclature qui reste vivace avec le conventionnalisme (idée d’une liste de termes correspondant à autant de choses). Une telle conception supposait des idées toutes faites préexistant aux mots, c’est à dire, que la la pensée aurait existé avant la langue. Or, avant la langue, la pensée n’est qu’une masse amorphe et indistincte. 20 Charles Sanders Peirce (1839-1917) fondateur avec William James et Ferdinand de Saussure du courant pragmatiste. Un des pères de la sémiolo-gie moderne et un grand logicien.

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Ce n’est que la langue qui donne forme et sub-stance au sens et elle découpe la réalité. Chaque langue a une manière qui lui est propre de concevoir le réel, d’organiser les données de l’expérience de tel sorte qu’apprendre une langue étrangère ne peut se réduire à acquérir une nouvelle liste de termes.

Saussure insiste longuement sur la définition de la langue comme forme. De la même façon que la pensée sans la langue est une nébuleuse, les sons ne constituent pas des unités délimités d’avance : c’est la langue qui introduit un ordre dans ce chaos. Elle articule l’une sur l’autre ces deux masses amorphes (sons / pensée) en les découpant de manière arbi-traire en éléments distincts. Quand Saussure parle de la notion d’arbitraire, il s’agit davantage de l’arbitraire du système que de celui du signe.

Il y a donc deux types d’arbitraire: celui de l’absence de motivation dans la relation entre le Signifiant (Sa) et le Signifié (Sé) ; l’autre qui concerne l’organisation des signes dans le sys-tème de la langue car les signes ne sont délimités par rien d’autre que par leurs relations les uns avec les autres. Leur or-ganisation est indépendante de toute référence à la substance conceptuelle ou phonique. C’est avec la théorie de la valeur linguistique que l’on pourra comprendre l’indissociabilité des notions de signe et de système.

Valeur du signe linguistique

Il faut, pour comprendre le concept, il faut envisager le problème des identités et des différences dans la langue : on peut dire un mot avec toutes les variétés de débit, intonations possibles, ce sera toujours le même mot. Il peut aussi se char-ger de nuances de sens sans que son identité soit compromise. Ceci est possible car si le locuteur a le sentiment de l’identité de ce terme, celle de sa prononciation et de sa signification,

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c’est à cause des différences qui existent avec d’autres pronon-ciations, d’autres significations possibles. La réalité d’un signe linguistique est inséparable de sa situation dans le système : la valeur d’un signe résulte du réseau de ressemblances et de dif-férences qui situe ce signe par rapport à tous les autres signes. Comme au jeu d’échecs, chacune des pièces prises isolément ne représente rien ; elle n’acquiert sa valeur que dans le cadre d’un système (les règles du jeu) : peu importe que je remplace le cavalier par un autre objet pourvu que je lui conserve le même mode de fonctionnement.

La langue comme système

La notion de valeur conditionne la définition de la langue comme forme, et place au premier plan la notion de sys-tème : c’est que les valeurs émanent du système ; le système n’est pas la somme des signes. On ne peut identifier les signes qu’une fois qu’on a reconnu le caractère systématique de la langue : toute définition du signe doit être immédiatement rap-portée à celle du système puisque le propre du signe c’est d’être différent d’un autre signe. En ce sens, Saussure définit la langue comme un système de différences.

La conception de la langue comme système de valeurs a été la condition de possibilité du développement de la linguis-tique structurale. Cependant, le structuralisme n’a pas exploité jusqu’au bout les acquis de la démarche saussurienne et en par-ticulier la thèse de la prééminence de la valeur sur la significa-tion.

Syntagme et paradigme

Après avoir mis en évidence le caractère arbitraire du signe linguistique, Saussure a fait ressortir un second caractère de celui-ci : la linéarité du signifiant. C’est-à-dire que les élé-

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ments de la langue apparaissent les unes à la suite des autres. On ne peut pas prononcer deux éléments à la fois. Les syn-tagmes sont composés de combinaisons d’unités successives. Ils se composent de deux ou plusieurs unités consécutives.

Les syntagmes

Saussure appelle syntagme aussi bien un mot composé qu’un groupe de mots et une certaine catégorie des phrases. Pour la linguistique structurale, le terme syntagme désigne un groupe d’éléments linguistiques formant une unité dans une or-ganisation hiérarchisée ; on parlera par exemple de syntagme nominal et de syntagme verbal pour désigner les deux princi-paux groupes constituants de la phrase.

Les paradigmes

Outre les rapports syntagmatiques, les termes d’une langue ont entre eux des « rapports associatifs », des rappro-chements entre les mots comme par exemple :

Même radical Même suffixe Sens voisin

refermer armement éducation

enfermer changement apprentissage

Les rapports de ce type sont appelés rapports paradig-matiques. Le terme paradigme désigne l’ensemble d’unités en-tretenant entre elles un rapport virtuel de substitution.

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Les domaines de la linguistique

La linguistique est une discipline qui se divise tradition-nellement en sous domaines selon le type de phénomènes étu-diés. Ces sous domaines sont :

• La Phonologie• La grammaire (morphosyntaxe)• La lexicologie• La sémantique• La pragmatique

La phonologie

La phonologie est, parmi les branches de la linguis-tique, celle qui a connu le plus tôt le plus grand développe-ment. C’est aussi celle qui a connu le moins de contestations. Longtemps, le partage entre phonétique et phonologie ne fut pas clair et ceci même dans la terminologie saussurienne. On peut situer vers les années 1930, avec les travaux du Cercle de Prague, l’avènement de la phonologie comme science à part entière au sein de la linguistique.

La phonétique a pour objet l’étude des sons du langage du point de vue de leur émission (phonétique articulatoire21), de leur réception (phonétique auditive22) et de leurs caractères physiques (phonétique acoustique23). En revanche, la phonolo-gie est une science qui étudie les sons non par eux-mêmes mais du point de vue de leur fonctionnement dans le système lin-guistique, de leurs fonctions distinctives.

La phonétique appartient à la parole alors que la phono-logie24 appartient à la langue. La parole est la manifestation

21 étudie l’appareil vocal humain lorsqu’il fonctionne pour produire des sons.22 décrit comment l’oreille humaine réagit aux stimulations acoustiques.23 analyse les sons en tant que phénomènes physiques24 aussi appelée phonématique ou phonétique fonctionnelle

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physique du système alors que la langue est la condition pour que cette manifestation fonctionne comme moyen de commu-nication. La phonétique s’intéresse à la substance alors que la phonologie s’intéresse à la forme.

Il faut distinguer aussi dans la phonétique au sens large du terme :

• la phonétique générale qui examine les conditions géné-rales du fonctionnement de la parole et de la langue ;• la phonétique descriptive qui privilégie l’aspect syn-chronique ;• la phonétique historique qui privilégie l’aspect diachro-nique de la langue.

On parlera de phonologie descriptive si elle analyse la fonction des phonèmes dans un système donné et de phonolo-gie générale si l’étude porte sur les lois qui président au fonc-tionnement des systèmes phonologiques de toutes les langues existantes. Au contraire, la phonétique descriptive au sens étroit s’intéressera à la substance des sons à l’intérieur d’un système donné.

La grammaire ou morpho-syntaxe

C'est le deuxième grand domaine de la linguistique. Elle se charge d’étudier les phénomènes liés à la morphologie et à la syntaxe de la langue. Cette distinction entre morphologie et syntaxe repose sur deux critères de base: la différence entre forme (relevant de la morphologie) et fonction (relevant de la syntaxe) et l’adoption du mot, comme unité linguistique de base. La morphologie va traiter des différentes catégories de mots (noms, verbes, adjectifs, etc.), des différentes formes de flexion (en français: marques de genre, de nombre, de per-sonne) et des questions sur la dérivation (préfixation et suffixa-tion). Par opposition à la morphologie, on a la syntaxe qui traite des combinaisons des mots à l’intérieur de la phrase ; elle

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recouvre les phénomènes d’accord et les fonctions grammati-cales.

La linguistique structurale a substitué le mot par mor-phème (ou monème) comme unité fondamentale d’analyse de la langue.

Étant donné que la langue est considérée avant tout comme une combinatoire, il est évident que la syntaxe consti-tue, avec la phonologie, l’élément essentiel de la description linguistique et tend à enlever de l’autonomie à la morphologie en intégrant les flexions à la syntaxe et étudiant la dérivation dans le cadre de la lexicologie.

La lexicologie

C'est la science qui s’occupe d’étudier la morphologie lexicale (ex. pomme de terre, machine-outil, etc. - et la dériva-tion - suffixation et préfixation) et aussi le sens des mots. Dans une perspective structurale, la lexicologie vise à décrire les rap-ports sémantiques entre les unités (mots ou morphèmes) sur les axes syntagmatique et paradigmatique. À l’aide de certaines méthodes comme l’analyse distributionnelle ou l’analyse sé-mique, on examine la question des champs sémantiques pour apporter de nouvelles réponses aux problèmes de l’homony-mie, de la polysémie, des figures de rhétorique, etc. Dans une perspective diachronique et socio-historique, la lexicologie étu-die l’évolution des sens des mots, l’apparition de nouvelles uni-tés lexicales (la néologie) ; elle comprend aussi des recherches sur les vocabulaires spécialisés, scientifiques et techniques et couvre aussi l’analyse du discours. Elle trace des voies nou-velles à la lexicographie.

La sémantique s’ajoute aux précédents domaines défi-nis par le structuralisme et va traiter des problèmes liés à la si-gnification. Son champ d’action et conception ont varié : d’abord, par opposition à la lexicologie qui s’occupe de l’unité

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lexicale de base (mot ou morphème), elle prend en charge l’étude des relations de sens dans le cadre de la phrase et même, chez Benveniste, plus largement, la dimension de la mise en discours.

Les approches ont varié à travers le temps : elle a été essentiellement diachronique à la fin du XIXe siècle, puis struc-turale25, puis générative26 et aujourd’hui cognitive27. Son auto-nomie dans le champ des recherches linguistiques reste problé-matique car les faits de sens concernent aussi d’autres disci-plines comme l’analyse du discours, la sémiotique et la philo-sophie du langage.

La pragmatique La pragmatique est une nouvelle discipline qui s’est dévelop-pée depuis les années 1970 qui étudie les relations entre le sys-tème de la langue et son emploi en situation. On est de plus en plus sensibles au fait que le sens n’est pas uniquement inscrit dans les énoncés mais qu’il se construit aussi à travers l’action des sujets engagés dans une communication inscrite dans des contextes toujours particuliers. Les spécialistes de la pragma-tique étudient en particulier les actes du langage (promesse, ordre, insulte...), les connecteurs (mais, en effet, donc...), et l’argumentation, l’implicite (présupposés ou sous-entendus), les embrayeurs de personne (je, tu...), de temps ou de lieu (hier, là-bas...), la référence des groupes nominaux, l’emploi des temps verbaux, etc. Certains pragmaticiens pensent que la sé-mantique proprement linguistique joue un rôle minime dans l’interprétation d’un énoncé et accordent la première place au contexte28 ; d’autres pensent que le sens linguistique, et donc la 25 Bernard Pottier et A.J. Greimas Sémantique structurale, Larousse, 196626 M. Galmiche, Sémantique générative, Larousse, 197527 F. Rastier, Sémantique et recherches cognitives, PUF, 199128 C’est entre autre sur cette base que repose la Théorie du sens élaborée par Danika Séleskovich et Marianne Lederer qui donnera origine à la Théo-

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sémantique, jouent un rôle fondamental et plaident pour une complémentarité entre le composant sémantique et pragma-tique.

Disciplines qui étudient la variation

La dialectologie étudie les variations d’ordre géogra-phique, social et culturel des langues et à l’intérieur des langues29. La dialectologie cherche à constituer des Atlas lin-guistiques. Elle étudie aussi les phénomènes de dialectisation, la description linguistique des dialectes et des patois. On peut y ajouter les recherches sur les mélanges de langues (sabir, pid-gin, créole) ou les problèmes du multilinguisme30.

L’ethnolinguistique est une science qui étudie la langue en tant qu’expression d’une ethnie, d’un peuple, d’une culture. Cependant, on réserve, en général, ce terme aux recherches conduites, en liaison avec l’ethnologie, sur les groupes primi-tifs. Ainsi, l’ethnolinguistique américaine a décrit la plupart des langues indiennes.

La sociolinguistique s’occupe des modes d’expression langagières caractérisant certains groupes sociaux au sein d’une même collectivité linguistique. Le linguiste s’intéresse aux variations dans les usages de la langue et les modes et fonctionnements de la communication sociale31.

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rie interprétative de la traduction (TIT), base de la formation de traducteurs et interprètes professionnels dans les grandes écoles comme l’ESIT (Univer-sité Paris III - Sorbonne Nouvelle.29 Ex.: le français parlé au Québec, l’espagnol parlé au Panama...30 cf. G. Vermès et J. Boutet, France, pays multilingue, 2 vol., L’Harmattan, 1987)31 cf. H. Boyer Éléments de sociolinguistique, Dunod, 1991

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Le langage et la pensée

Un autre groupe de disciplines connexes à la linguis-tique concerne les rapports entre le sujet parlant et la langue qu’il utilise. On peut considérer la langue du point de vue de la psycholinguistique qui étudie l’acquisition, développement et le fonctionnement des comportements verbaux. Elle a emprun-té ses modèles à la linguistique et s’occupe de l’acquisition du langage chez l’enfant, des opérations psychologiques de pro-duction et compréhension du discours et plus généralement for-mule des hypothèses des rapports entre langage et pensée. Les divers courants psycholinguistiques se sont inscrits dans des cadres psychologiques de type behavioriste ou piagétien et, au-jourd’hui, dans la problématique cognitiviste où s’estompe la différence entre psychologie du langage et psycholinguis-tique32.

Au sens large, la psycholinguistique inclut aussi les tra-vaux en neurolinguistique et tout ce qui concerne les re-cherches sur la pathologie du langage ; grâce à ses études sur les rapports entre les troubles tels que l’aphasie et les lésions cérébrales, des avancées importantes permettent d’analyser les structures qui, dans le cerveau, permettent la production et la compréhension du langage.

Les textes et les discours

Un troisième groupe de disciplines étudient les textes et les discours. Ceci a permis le renouvellement de la poétique, théorie générale de la littérature, selon Aristote et aussi la rhé-torique.

Dans le domaine de la poétique, on a vu, depuis les an-nées 1960, se développer une sémiotique textuelle, plus spécifi-

32 J. Caron, Précis de psycholinguistique, PUF, 1989.

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quement dans le domaine de la narratologie33 et dans l’étude des textes poétiques34. La stylistique traditionnelle, discipline qui met en relation la linguistique et la littérature est actuelle-ment très influencée par les courants de la pragmatique et de l’analyse du discours.

Tous ces courants ont abouti à un nouveau champ de re-cherches qui couvre l’analyse du discours se chargeant d’étu-dier articulation entre la structure des textes et les conditions dans lesquelles ils sont produits35. Ces travaux s’attachent plus particulièrement aux genres de discours.D’autre part, la linguistique textuelle se centre sur les types de textes et étudie les facteurs qui concourent à la cohérence de ceux-ci aussi bien à l’écrit qu’à l’oral.

Disciplines qui ont pour référence la linguistique

Ce dernier ensemble concerne des disciplines qui uti-lisent la linguistique dans leurs expériences et pratiques profes-sionnelles. Quelquefois, il s’agit de l’utilisation directe du mo-dèle linguistique. Ce que l’on a longtemps appelé la linguis-tique appliquée désignait les essais de renouvellement pédago-gique dans l’enseignement des langues vivantes étrangères et maternelles. Ces nouvelles pédagogies importaient des mé-thodes et des description issues des théories du langage. Même certains revendiquent encore cette orientation, on assiste depuis les années 1980 à l’émergence de la didactique des langues, comme discipline qui prétend à l’autonomie et à la scientificité, pour laquelle la linguistique constitue un champ théorique pri-vilégié, au même titre que la psychologie et les sciences de l’éducation36.33 narratologie : analyse des récits.34 cf.: Roman Jakobson : fonction poétique du langage35 cf. D. Maingueneau, Analyse du discours, Hachette, 1991.36 cf. Revues Études de linguistique appliquée (https://www.cairn.info/revue-ela.htm), Pratiques (http://www.pratiques-cresef.com/) et Le français au-

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Le métier d’orthophoniste utilise les procédures de la linguistique pour mettre en place des techniques d’expression afin de donner aux locuteurs les moyens de communiquer effi-cacement. La phonétique et la phonologie sont une composante fondamentale du métier.

Les progrès de la lexicographie dépendent, bien enten-du, des travaux réalisés en lexicologie en essayant de répondre au besoin social que constituent l’invention et l’harmonisation des terminologies37 et le développement des discours de spécia-lité.

Il y a beaucoup d’autres applications des sciences du langage mais il faut prêter attention plus spécialement aujour-d’hui aux applications dans le domaine de l’informatique : les techniques de traduction assistée par ordinateur, l’analyse auto-matique de la documentation, la reconnaissance vocale sont des enjeux industriels et génèrent de redoutables difficultés théo-riques dans le traitement du langage comme la communication homme machine en utilisant une langue naturelle38.

jourdhui (http://www.revues.armand-colin.com/lettres-langue/francais-aujourdhui)37 T. CABRÉ, La terminologie, Armand Colin, 199838 cf. R. Carré et allii, Langage humain et machine, Presses du CNRS, 1991.

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Les différentes écoles linguistiques

Il n’y a pas en linguistique une seule méthode univer-sellement admise mais un foisonnement d’orientations, des dé-marches et de terminologies.

Pour parler des écoles linguistiques nous avons choisi de considérer trois orientations : la tradition européenne, la tra-dition américaine et les grands courants contemporains39.

La linguistique de tradition européenne

Le Cours de linguistique générale de Saussure a eu une grande influence dans toutes les tendances marquantes de la linguis-tique européenne.

La glossématique, fondée par L. Hjelmslev (1899-1965) et son collaborateur H. J. Uldall a voulu continuer les enseigne-ments de Saussure. Sous son impulsion en compagnie de V. Brondal (1987 -1942) se forme, en 1931, le Cercle de linguis-tique de Copenhague qui publie ses Travaux à partir de 1944. La glossématique développe une théorie linguistique qui conçoit, à l’extrême, la langue comme forme afin de donner une autonomie absolue aux études linguistiques par rapport aux autres études sur le langage40.

Le structuralisme se forge à Prague en 1926 par la créa-tion de ce que nous connaissons aujourd’hui comme «L’École de Prague ». On ne peut pas dire que les membres de ce groupe subissent l’influence du Cours de Saussure mais que leur tra-vaux convergent grandement. Les thèses du groupe ont été pu-bliées à partir de 1929 sous la forme de Travaux du Cercle de linguistique de l’École de Prague. Globalement, les concep-39 En suivant le partage réalisé par J-L Chiss, J. Filliolet et D. Main-gueneau dans leur Introduction à la linguistique française (t. 1) Ha-chette, 2013.40 cf.: Hjelmslev, Le langage, éditions de Minuit, 1966 ; Prolégomènes à une théorie du langage, 1971 ; Essais linguistiques, 1971

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tions de ces chercheurs va dans le sens de celles de Saussure : priorité à la description synchronique, la langue comme sys-tème de signes, importance de la fonction communicative. Ils privilégient la description phonologique en accordant une grande attention au caractère fonctionnel des éléments linguis-tiques41. Roman Jakobson, pour sa part, s’est illustré dans tous les domaines de la linguistique : morphologie, sémantique, phonologie et poétique42.

Dans la même veine saussurienne et pragoise, on re-marque l’école française fonctionnaliste, avec André Martinet et Georges Gougenheim.

Martinet (1908 - 1999) a apporté une contribution déci-sive à la linguistique moderne avec la notion de double articu-lation du langage. Sa position quand à la fonction des unités linguistiques l’amène à les considérer du point de vue du rôle qu’elles jouent dans la communication. Ses recherches ont por-té principalement sur la phonologie (synchronique et diachro-nique), sur la linguistique générale, la morphologie et les appli-cations de la linguistique à la description du français43.

Il faut citer aussi Émile Benveniste (1902-1976) qui participe en partie au courant fonctionnaliste mais a subi l’in-fluence de l’École de Prague. Il occupe un place très spéciale parmi les linguistes français. Spécialiste de l’indo-européen, toute une partie de son oeuvre est consacrée aux questions phi-lologiques mais il a mené d’importantes recherches en linguis-tique française et en linguistique générale. Il s’est intéressé à la question des rapports entre langue et pensée, à la sémiologie ; on peut le considérer comme l’initiateur des théories du dis-41 cf. N. S. Troubezkoy, Principes de phonologie, publié à Prague en 1939 et traduit en français par J. Cantineas, editions Klincksieck, 1949 et 195742 cf. R. Jakobson, Essais de linguistique générale I et II, Éditions de Minuit, 1963 et 197343 L’oeuvre de Martinet est considérable pour la linguistique française. On peut citer : Éléments de linguistique générale, éd. Colin, « U-Prisme », 1982 Économie des changements phonétiques, Berne, 1964 ; La linguistique syn-chronique, PUF, 1965 ; Fonction et dynamiques des langues, A. Colin, 1989

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cours, de l’énonciation par la mise en évidence, plus spéciale-ment, du fonctionnement des déictiques44.

D’autre part, Lucien Tesnière (1893 -1954) a développé une approche des fonctions grammaticales45 et se rapproche de certaines autres recherches qui dépassent le cadre du structura-lisme comme par exemple sa notion de translation que l’on peut comparer à celle de transformation.

Par ailleurs, Gustave Guillaume (1883-1960) a élaboré une théorie du langage connue sous le nom de « psycho-systé-matique ou psycho-mécanique », qui considère la langue comme un dynamisme lié à l’activité de la pensée46. De son côté, Bernard Pottier a présenté dans ses travaux une théorie des structures syntaxiques et le premier exposé de sémantique structurale47.

La linguistique américaine

Dans la linguistique américaine il y a deux grands cou-rants importants : l’un s’est préoccupé principalement d’ethno-linguistique, l’autre de linguistique générale et des théories grammaticales.

Pendant très longtemps la tâche principale de la linguis-tique américaine a été de décrire et répertorier les centaines de langues amérindiennes. Ils développé peu de modèles théo-riques car la priorité était aux aspects pratiques de leurs re-cherches. Franz Boas (1858 - 1942), donne des méthodes de description des langues et émet des hypothèses sur les relations entre langue et ethnie. Edward Sapir (1984 - 1939), publie d’importants travaux en linguistique et anthropologie et un par-ticulier son Language48, un classique publié en 1921. Avec son disciple Benjamin L. Whorf, ils ont développé une théorie (hy-44 cf. Problèmes de linguistique générale, I et II, Gallimard, 1966, 1974.45 cf. Éléments de syntaxe structurale, Klincksieck, 195946 cf. Langage et science du langage, Nizet, 2ème éd. 1969 47 cf. Linguistique générale, théorie et descriptions, Klincksieck, 1974

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pothèse Whorf-Sapir), selon laquelle c’est la langue qui impose à la communauté sa vision du monde.

L’autre grand linguiste américain de la première moitié du XXe siècle est Leonard Bloomfield (1887-1949) qui a gran-dement contribué à la diffusion du structuralisme aux États Unis. Il est l’initiateur du behaviourisme en linguistique en considérant que la langue fonctionne comme des réponses à des stimuli ce qui l’amène à ne considérer que les faits concrets de production de la parole. En excluant toute référence aux si-gnifications il s’éloigne de la position mentaliste qui considère la langue comme un produit de la pensée. Il établit les prin-cipes de la méthode distributionnelle49 et ceux de l’analyse par constituants immédiats50. Les thèses de Bloomfield ont exercé une influence considérable dans la linguistique américaine. Ainsi, Zellig S. Harris (1909 - 1992) donne en 1992 un exposé plus systématique sur le distributionnalisme et propose ensuite une application de la méthode distributionnelle à l’analyse du discours et introduit dans la méthode linguistique la notion de transformation. Il introduit les modèles mathématiques et lo-giques dans l’analyse linguistique avant Noam Chomsky.

Les grands courants de la linguistique actuelle

C’est Noam Chomsky51 (né en 1928) la grande figure de la linguistique dans plusieurs domaines et en particulier 48 Le langage. Une introduction à l’étude de la parole, Petite Bibliothèque Payot, 1954. Disponible sous forme numérique dans la bibliothèque de l’Université du Québec : http://classiques.uqac.ca/classiques/Sapir_edward/langage/langage.html ; Anthropolo-gie, éditions de Minuit, 1967 ; Linguistique, éditions de Minuit, 196849 à partir d’un corpus donné, on délimite les unités de la langue selon leur environne-ment.50 montre l’organisation hiérarchique des unités de la langue, du phonème à la phrase.51 À lire aux éditions du Seuil : Structures syntaxiques (1969), La linguistique carté-sienne (1969), Aspects de la théorie syntaxique (1971), Essais sur la forme et le sens (1980), La nouvelle syntaxe (1987).

Pour une application au français: A. Delaveau et F. Kerleroux, Problèmes et exercices de syntaxe française, A. Colin, 1985.

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dans celui de la grammaire générative et transformationnelle. Auparavant, la linguistique américaine limitait ses travaux au corpus fini alors que Chomsky avec la grammaire générative prétend rendre compte du fait que le sujet parlant peur émettre et comprendre un nombre indéfini de nouvelles phrases. Le dis-tributionnalisme se contente de décrire alors que la grammaire générative cherche à expliquer. Cette approche cherche à construire un modèle théorique, un système hypothético-déduc-tif. Au lieu d’induire des conclusions sur la langue à partir d’un corpus donné, Chomsky énonce des hypothèses sur la faculté de langage en général, ce qui implique la définition d’une grammaire comme système formel, machine à produire des phrases. La grammaire générative d’une langue sera conçue comme un mécanisme capable de formuler explicitement52

toutes les phrases d’une langue et uniquement celles-ci ; elle devra rendre compte de l’intuition et des jugements de gram-maticalité que les sujets parlant cette langue portent sur les énoncés ainsi générés.

Le modèle générativiste doit comporter une composante en psycholinguistique, un modèle d’apprentissage du langage, une philosophie du langage. Chomsky fait une critique très sé-vère du behaviourisme ce qui produit un retour sur le menta-lisme avec ses références aux idées innées de Descartes et a la Grammaire de Port-Royal. Il postule que l’enfant porte en lui un mécanisme inné d’acquisition du langage et formule l’hypo-thèse selon laquelle il y aurait entre les langues des identités fondamentales. A partir de là, on estime que la théorie généra-tive doit fournir une théorie phonétique, une théorie séman-tique et une théorie syntaxique universelles. Chomsky élimine toute définition de la langue comme objet social qui ne pré-sente pas de théorie de l’arbitraire du signe linguistique ce qui explique son manque d’intérêt pour les études ethnographiques des langues et aussi pour les aspects sémiologiques. La théorie

52 c’est le sens de « to generate »

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générative a subi d’importantes reformulations au cours des dernier quarante ans et le modèle génératif s’est pluralisé en une série de formalismes qui intègrent de plus en plus les ac-quis des sciences cognitives.

La linguistique d’inspiration cognitive

Depuis la fin des années 1970 se développent des re-cherches qui se fondent sur la psychologie cognitive53 et qui tentent d’inscrire le langage dans les facultés cognitives de tout être humain. Ces travaux s’intéressent à la représentation de l’espace dans les langues, aux métaphores, aux principales ca-tégories (nom, adjectif, etc.), à la polysémie, à la transitivité verbale, etc.

Ce type de recherche rejoint par certains aspects les tra-vaux plus anciens du linguiste français Antoine Culioli (né en 1924). Mais celui-ci se distingue par le fait qu’il accorde un au-tonomie beaucoup plus grande au langage en développant une théorie fondée sur l’activité énonciative dans la lignée de G. Guillaume et E. Benveniste. Pour lui, les énoncés doivent être appréhendés comme la trace d’opérations de cette activité énonciative. Ces opérations sont très abstraites en attribuant la même signification au même mot utilisé dans divers environne-ments et contexte. Exemples : « Il dort bien » - « Il veut bien m’aider » - « bien qu’il parte...

Les théories énonciatives et pragmatiques

Les recherches que se réclament de la pragmatique ne sont pas récentes. On en trouvera chez les précurseurs de la rhétorique et aussi chez les disciples de Saussure54. Mais l’im-

53 Menés par des chercheurs américains tels que G. Lakoff (Categories and Cognive Models, 1982) et R. Langacker (Foundations of Cognitive Grammar, 1987)54 Charles Bally, Traité de stylistique française, 1909 ; Linguistique générale et linguis-tique française, 1932.

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pulsion essentielle est venue, dans les années 1960, d’une part des travaux du philosophe anglais, John L. Austin55 sur les énoncés performatifs, ceux qui sont par eux-mêmes des actes : On déclare la séance ouverte, et d’autre part de ceux de E. Ben-veniste et R. Jakobson sur les embrayeurs du langage (signes dont le sens varie selon le contexte : demain, ici, tu, etc. Il y a eu un grand développement des recherches sur la pragmatique à partir des années 1970 et même si les orientations sont nom-breuses, elles ont en commun une certaine conception du lan-gage. Elles s’opposent à la dissociation entre le sens d’une phrase et son usage : l’énonciation56 n’est pas quelque chose d’accessoire qui se surajouterait à une phrase porteuse d’un sens déjà clos, mais c’est une dimension qui conditionne radi-calement sa signification. Dans cette conception du langage on n’admet pas que l’unique fonction de celui-ci soit de représen-ter le monde et de transmettre des informations.

Ce courant s’intéresse aux actes de langage, à l’impli-cite (présupposés, sous-entendus), aux mécanismes de la conversation, et à la valeur argumentative du langage. Il faut remarquer les travaux de O. Ducrot et de son équipe, pour qui le sens d’un énoncé est toujours orienté vers un interlocuteur. Il cherche a exercer sur celui qui écoute une influence d’une ma-nière ou d’une autre57.

Aujourd’hui, le concept d’interactions semble mettre d’accord les tenants de ces diverses orientations58. On a réintro-duit, par ailleurs, dans la théorie grammaticale, des dimensions de l’énonciation et de la variation ce qui estompe les frontières parfois rigides que le structuralisme classique avait dessinées entre le domaine des formes et celui du sens.

La théorie de l’information développée par les spécia-listes des télécommunications a exercé une grande influence 55 cf. Quand dire c’est faire, trad. fr. en 197056 évènement qui constitue son émission par le locuteur.57 O. Ducrot, Le dire et le dit, Éditions de Minuit, 198458 C. Kerbrat-Orecchioni, Les interactions verbales (3 vol.), Armand Colin, 1990-94.

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sur les théories développées par bon nombre de linguistes. C’est de là que vient une certaine assimilation un peu trop cari-caturale entre les notions langue / parole = code /message. L’évolution ultérieure a montré que ce type de modèle donnait une représentation trop pauvre de la communication entre deux personnes à travers les échanges discursifs. Non seulement on ne peut pas lier l’énonciation à une simple transmission d’in-formations explicites car énoncer permet d’accomplir bien d’autres actions, mais surtout, on ne doit pas sous-estimer la di-mension foncièrement interactive de l’activité langagière. C’est interactif car au cours du processus de l’échange linguistique les protagonistes influent l’un sur l’autre. On ne peut pas négli-ger non plus le rôle culturel et implicite qui sous-tend ces échanges et encore moins les phénomènes paraverbaux comme le ton de la voix, les mimiques et les gestes. Au delà des vi-sions de la communication, il reste que la langue est un objet structuré dont les unités présentent un caractère systématique.

Opérations pour dégager les unités linguistiques

Le structuralisme s’est attaché à définir des procédure permettant de dresser l’inventaire complet des unités qui sont en opposition distinctive dans la langue ainsi qu’à décrire leurs relations. Il s’agit de constituer une taxinomie de ces unités et de les classer hiérarchiquement. Dégager une unité linguistique c’est montrer qu’elle entre en opposition, qu’elle exclut d’autres unités de la langue pouvant figurer à la même place dans la chaîne parlée59. Mais le linguiste travaille sur un corpus limité et c’est cette méthodologie du corpus qu’il faut définir avant tout.

Le corpus

59 entre en jeu la notion de paradigme.

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Pour étudier un phénomène donné dans une langue na-turelle le linguiste doit recueillir le corpus correspondant. Ce corpus peut être oral ou écrit et il est produit par des informa-teurs60 que le linguiste sollicite pour produire des énoncés ou juger de l’acceptabilité de tel ou tel énoncé. Le corpus doit être représentatif mais il ne pourra jamais être exhaustif et contenir tous les énoncés relevant du phénomène étudié. Quelques pro-blèmes vont se poser : délimitation de la synchronie, annulation des écarts (dus à l’âge, aux disparités géographiques, sociales ou aux situations de communication...).

Lorsque le linguiste considère que le corpus est saturé61

il l’arrête pour procéder à identifier les unités de la langue et décrire leur interrelations au sein d’une synchronie donnée62. Il s’agit de rendre compte des régularités qui sous-tendent un en-semble fini de données consignées dans le corpus.

De nombreux linguistes structuralistes ont défendu le principe d’immanence, c’est-à-dire qu’ils ne s’occupaient que des rapports entre les éléments de la langue sans tenir compte des faits qu’ils jugeaient extra linguistiques comme la prosodie, la variation géographique, sociale, etc. Ils ne retenaient que le message de tout ce processus global de communication. Cette position a été fortement critiquée de plusieurs points de vue : par la grammaire générative, par la sociolinguistique qui ne conçoit pas qu’un corpus puisse éliminer la variation sociale aux seules fins d’obtenir un corpus homogène et aussi par la pragmatique et les théories de l’énonciation pour lesquelles on ne peut faire abstraction de la situation de communication quand on veut étudier les phénomènes linguistiques.

60 l’informateur est un locuteur de la langue étudiée61 un corpus est saturé lorsque le linguiste considère qu'il a suffisam-ment d'énoncés représentatifs du phénomène étudié.62 ou de plusieurs synchronies s’il cherche à comparer des faits sur plusieurs synchronies.

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Les notions de segmentation et substitution

Les énoncés linguistiques sont linéaires. Ils s’ordonnent les uns après les autres dans la chaîne parlée. On l’appèle aussi l’axe syntagmatique. Nous avons vu que la langue est constitué d’éléments discrets, distincts les uns des autres. Ils sont en nombre fini et entrent en opposition les uns avec les autres sur le plan paradigmatique. Nous avons donc à faire deux opéra-tions élémentaires qui sont la segmentation et la substitution des éléments de la chaîne. Ces opérations permettent d’identi-fier les diverses unités de la langue, c’est-à-dire, de savoir si telle partie de la chaîne parlée constitue ou non une unité de la langue.

La commutation

Lorsque le linguiste segmente la chaîne parlée il fait un test en changeant un segment de cette chaîne afin d’observer le comportement de l’énoncé. Si le nouvel énoncé obtenu appar-tient à la langue et que le sens de l’énoncé change, il est en pré-sence d’unités qui ont une fonction distinctive.

saison maison

ainsi on peut déterminer que /s/ et /m/ sont deux phonèmes car par le test de permutation on obtient un nouveau mot. Ces uni-tés /s/-/m/ sont des unités pertinentes. Si nous avons un énoncé:

Elle est belle cette tête !Je constate que je peux remplacer /t/ par /kR/ qui fera crête, donc

Elle est belle cette crête !énoncé possible dans la langue. On pourra obtenir ainsi, fête, bête, etc.

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On opère de façon systématique avec le test de commu-tation afin d’identifier toutes les unités minimales de la langue.

Les unités linguistiques

Le phonème constitue le niveau ultime de l’analyse car il ne peut pas être segmenté plus en avant. Ce niveau ultime de l’analyse est la phonématique car on y détermine les phonèmes de la langue, l’unité pertinente la plus petite de la chaîne par-lée.

Les phonèmes n’ont pas de signifié, on les combine pour former des unités supérieures qui ont un signifiant et un signifié, appelées communément les mots63.

Le morphème (ou monème) se substitue au mot habi-tuellement employé. Ainsi, par exemple, charmeur est composé de deux éléments à statut différent : charm- qui appartient au lexique et -eur qui est un suffixe, un élément grammatical. Le premier est un lexème ou morphème lexical. Le deuxième est un morphème grammatical.

Le syntagme est le niveau immédiatement supérieur au morphème juste avant la phrase, unité supérieure de base. Un syntagme est une suite de mots formant une unité syntaxique centrée essentiellement sur le nom ou sur le verbe et qui ne suf-fit pas a former une phrase à lui seul. Pour composer une phrase il faut avoir les deux syntagmes.

63 Le mot n’est pas une unité de la linguistique car il ne constitue pas l’unité minimale douée de signifiant/signifié. Ex. charmeur est fait de charm- et du suffixe -eur. Comme on peut avoir livr-eur / dans-eur / donn-eur.

P h r a s e

Syntagme

morphème

phonème

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Le petit enfant mangeait une pommeSyntagme nominal Syntagme verbal

P H R A S E

Le syntagme est un constituant de la phrase mais la phrase n’est pas le constituant d’une unité plus vaste. Au des-sus de la phrase il y a bien l’énoncé mais le structuralisme ne lui accorde pas de statut linguistique. De fait, les phrases ne peuvent pas commuter entre elles, on ne peut pas les soumettre à des tests de commutation de la même façon qu’on le fait pour les phonèmes, morphèmes et même pour les syntagmes. Les phrases sont imprévisibles et en nombre infini, de longueurs variables et elles sont constituées d’unités en nombre fini de ni-veau inférieur.

Ainsi nous avons une sorte de pyramide inversée en haut de laquelle se trouve la phrase comme niveau supérieur de l’analyse linguistique ; elle est composé de syntagmes qui est le niveau immédiatement inférieur ; le syntagme est composé de morphèmes (lexicaux et grammaticaux) ; le morphème est composé de phonèmes, la plus petite unité pertinente qui ne peut être divisée plus loin. Ce type d’analyse porte aussi le nom d’analyse en constituants immédiats. Le phonème est le consti-tuant immédiat du morphème, le morphème, du syntagme et le syntagme, de la phrase.

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La double articulation du langage

André Martinet a introduit la notion de double articula-tion afin de bien distinguer le deux niveaux d’analyse du lan-gage. Cette double articulation est le trait spécifique le plus im-portant du langage humain.

Le langage humain est articulé, c’est-à-dire, construit sur un système d’oppositions et de combinaisons d’unités dis-crètes. La première articulation est celle des unités possédant un signifiant (forme phonique) et un signifié (sens), indisso-lubles. Ces unités sont très nombreuses et en renouvellement permanent, selon les besoins de chaque communauté linguis-tique. Elles forment le lexique de la langue. Ces unités de pre-mière articulation, significatives, sont décomposables en unités de deuxième articulation qui ne possèdent pas de signifié mais qui remplissent une fonction distinctive. Ces unités sont en très petit nombre et avec ce nombre restreint de phonèmes on peut construire des milliers de morphèmes ce qui représente une grande économie et caractérise l’efficacité du langage humain.

L’analyse distributionnelle

Les principes et la méthodologie de l’analyse distribu-tionnelle est apparu vers 1930 aux États-Unis. À partir de 1945, sous l’impulsion de L. Bloomfield, cette approche de la langue, a connu un grand essor. Elle visait à décrire la langue à partir d’un corpus, sans considérer les significations des énoncés ni les contextes dans lesquels les énoncés sont produits mais en s’attachant uniquement aux régularités formelles et de construire des classes paradigmatiques à partir de cette analyse.

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Les classes distributionnelles

La langue est constituée d’éléments discrets (identifiables et segmentables) qui se présentent dans un certain ordre, les uns après les autres sur une ligne syntagmatique. Cependant, toutes les combinaisons ne sont pas possibles dans la langue :

chat toit sur est ton le

ne constitue pas un énoncé grammaticalement correct en fran-çais. Il y a donc des règles à respecter et c’est cela que cherche à définir l’analyse distributionnelle. Quels sont les rapports entre les différentes catégories d’éléments et comment se com-binent-ils les uns avec les autres. Ainsi, on définit des classes d’éléments. Appartiennent à la même classe ceux qui ont les mêmes contraintes distributionnelles. Il est nécessaire d’avoir quelques définitions pour mieux comprendre :

• occurrence : est le fait qu’un élément apparaisse dans un fragment de la chaîne parlée ;• co-occurrence : est le fait que certains éléments appa-raissent les uns à côté des autres. Ils ont une relation de contiguïté ;• environnement ou contexte : est le fait qu’un élément soit entouré de certains autres éléments ;• distribution est la somme de tous les environnements dans lesquels peut apparaître un élément donné.

Par exemple, des éléments comme le, la, les, cette, ce, ces mon, ton, son, chaque… sont des élé-ments qui appartiennent à la même classe (classe des détermi-

nants) car ils se placent toujours de la même façon dans la phrase, devant des éléments comme jour, chat, cheval, ami, père, enfant...

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qui constituent la classe des noms. Ces termes vont être co-oc-currents dans la chaîne parlé car ils se trouvent en position de contiguïté. Ainsi, l’énoncé :

Le cheval gris saute la barrière

peut se modifier par commutation des éléments

Ton cheval gris saute la barrièreMon cheval noir saute la barrière

et ainsi de suite tant que j’obtiens des énoncés grammaticaux, acceptables par les locuteurs de la langue étudiée. Nous consta-tons que gris et noir commutent, de telle sorte qu'ils appar-tiennent à la même classe (adjectifs qualificatifs). En revanche,

*La cheval noir...

n’est pas grammaticalement acceptable et on sera obligé de commuter un autre élément pour obtenir un énoncé acceptable :

La jument noire saute la barrière

Jument et cheval appartiennent à la même classe mais ont des environnements différents. Une autre distribution.

De cette façon, on ne définit pas de façon intrinsèque une unité linguistique mais on considère de façon purement formelle les contextes dans lesquels elle apparaît.

Les unités peuvent être équivalentes au point de vue distributionnel (elles ont la même distribution) si elles peuvent commuter partout l’une avec l’autre. Cette équivalence peut être totale ou partielle.

Si deux unités n’ont aucun contexte commun, elles sont en distribution complémentaire : le (classe des déterminants) et

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cheval (classe des noms) sont en distribution complémentaire car ils figurent nécessairement l’un à côté de l’autre. Ils ne peuvent pas commuter l’un avec l’autre.

On a une distribution en intersection lorsque deux élé-ments peuvent apparaître dans des contextes communs mais qu’il existe des cas où l’un des éléments n’est pas acceptable car il est inclus dans l’autre.

Il est gravement blessé

Il est grièvement blessé

Il est gravement malade

Il est *grièvement malade

La distribution de grièvement est incluse dans celle de grave-ment.

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Phonétique et phonologie

La langue est avant tout orale. Le linguiste doit analyser les messages produits oralement par les locuteurs.

Nos organes vocaux produisent toutes sortes de sons parfois avec des buts différents. Nous contrôlons les sons qui sortent de notre bouche, pouvons les moduler, les rendre très puissants ou très faibles, aigus ou graves... Du cri au chuchote-ment, nous avons toutes les ressources que notre corps nous ac-corde. Nous pouvons produire des sons sans signification, mo-duler pour la beauté du son, faire de la musique et de la même façon nous utilisons ces ressources pour produire un langage articulé, organisé, obéissant aux règles de la communauté lin-guistique dans laquelle nous évoluons.

La partie de la linguistique qui s’intéresse au phéno-mène sonore de la langue (production des sons) c’est la phoné-tique. Lorsque les sons étudiés par la phonétique sont identifiés comme des unités linguistiques avec leurs traits pertinents, ils deviennent des phonèmes qui eux, sont pris en charge par la phonologie, la science des phonèmes (on a dit aussi phonétique fonctionnelle car ce qui intéresse c’est la fonction dans la langue). Il n’y a pas vraiment d’opposition entre phonétique et phonologie. Ce sont deux sciences complémentaires qui ont pour objectif d’identifier les unités minimales de la langue que

sont les phonèmes. La phonétique comporte plusieurs branches qui sont :• La phonétique articulatoire qui étudie la façon dont notre appareil phonatoire s’y prend pour produire (articuler) les sons de la langue. Cette partie de la phonétique utilise les ressources médi-cales et anatomiques pour décrire cette production.

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• La phonétique acoustique qui étudie à l’aide d’appareils de mesure la chaîne sonore et détermine les caractéristiques phy-siques des sons et de leurs variations selon divers paramètres afin de déterminer ce qui est pertinent pour la langue et ce qui est accessoire, propre au locuteur. • La phonétique auditive qui étudie la perception que l’auditeur a des énoncés de son interlocuteur, comment l’appareil auditif perçoit le flux sonore. Cette partie fait appel, comme pour l'étude de la production, aux connaissances médicales sur l'au-dition. La phonétique ne peut pas aller au-delà de cette étape car ensuite, c'est notre cerveau et des mécanismes cognitifs qui prennent le relais pour l'interprétation de ce qui a été entendu.

Quelques éléments de phonétique articulatoire

L’appareil respiratoire, indispensable à notre survie, est aussi l’organe qui permet la phonation, c’est-à-dire la produc-tion de sons de la parole et du chant.

Les professionnels de la pa-role (acteurs, locuteurs de radio, tv, enseignants...) et du chant doivent comprendre le fonctionnement des organes vocaux afin de les utiliser efficacement et éviter certaines pa-thologies dont la cause est un mau-vais usage de la voix. Une bonne respiration et le contrôle de celle-ci par le diaphragme permet de produire des sons à la puissance désirée sans excès de fatigue. Lorsque la colonne d’air qui vient des poumons arrive dans la zone du larynx, le sujet peut produire un son en tendant et rapprochant ses cordes vocales (deux petits muscles qui s’y trouvent) cette tension provoque un mouvement vibratoire qui produit le son. Comme pour un

On considère que dans le système phonétique du français, il y a 16 voyelles.

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instrument de musique, les cordes peuvent vibrer vite ou lente-ment, être plus grosses ou plus petites, ainsi, le son aura des ca-ractéristiques spécifiques (aigu / grave).

Le son produit par les cordes vocales n’est pas encore un son qui va servir à articuler un énoncé linguistiquement si-gnificatif. Ce son va se moduler dans les cavités supérieures qui sont les résonateurs : la bouche (avec les dents et surtout la langue qui vont modifier la forme de la cavité) pour donner du timbre64 au son et la cavité nasale qui permettra d’apporter d’autres modifications au son (production des nasales).

La phonétique articulatoire va définir la manière de pro-duire les sons du langage et on va distinguer les sons (puis les phonèmes) selon leur mode articulatoire et selon leur point d’articulation.

Mode articulatoire

Les phonèmes sont produits selon des modes articula-toires différents.

Les voyelles (de voix) sont les unités du langage qui sont produites par la vibration des cordes vocales, sans obstacle à la colonne d’air et dont le timbre est modifié par les cavités buccales et nasale. Ces modifications font intervenir la langue qui se déplace en avant ou en arrière pour réduire ou agrandir la cavité :[a] voyelle ouverte articulée avec la langue au centre de la bouche et un maximum d'ouverture ;[i] voyelle fermée, articulée avec la langue à l’avant de la bouche et peu d'ouverture buccale ;[u] voyelle fermée, articulée avec la langue en arrière de la bouche et les lèvres avancées pour agrandir la cavité buccale et produire un son grave.

64 C'est le timbre de la voix qui permet de reconnaître une personne au son de sa voix.

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[ã] voyelle produite en ouvrant le passage de l’air vers la cavité nasale.

Les consonnes se caractérisent par le fait d’un rétrécis-sement du conduit vocal ce qui va les classer en consonnes oc-clusives, fricatives, vibrantes, nasales.

Les occlusives sont celles qui se produisent en fermant totalement le conduit vocal à un point quelconque et lâchant brusquement la sortie d’air provocant une explosion d'air. Ces consonnes peuvent être sonores (avec vibration des cordes vo-cales) ou sourdes (explosion sans vibration des cordes). Il y a des occlusives nasales qui se produisent en relâchant l’air par le nez.

Les fricatives et vibrantes subissent un rétrécissement du conduit de l’air sans qu’il soit totalement obstrué ce qui pro-duit frottement, roulement, sifflement...

Entre ces deux grandes catégories on s’accorde pour dé-finir les semi-voyelles (ou semi-consonnes) qui se produisent en général par le contact entre une voyelle faible et une autre voyelle dite forte ou une consonne qui se vocalise.

[j] [W] [ų]Miel, tuyau, fille, abeille

Oui, Louise Lui, nuage

Le point d’articulation C'est un autre critère qu'il faut considérer dans l'étude des sons du langage. Il dépend de la zone de la bouche où va se former le son voulu. Ces zones sont les lèvres, les dents, le palais dur (juste derrière les dents), le voile du palais, le fond de la gorge avec la luette. Selon la zone concernée et leur mode articula-toire, les sons sont classés ainsi :

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mode ☟ Point ☞ Bilabiale Labioden-tale

Dentale Palatale Vélaire

Occlusive☞ Sourde [p] [t] [k]

Occlusive☞ Sonore [b] [d] [g]

Fricatives ☞ Sourde [f] [s]

Fricatives ☞ Sonore [v] [z] [ ]Ʒ

Nasales ☞ [m] [n] [ ]ɲ

Latérale ☞ [l]

Vibrante ☞ [R]

Quelques éléments de phonétique acoustique

Tous les sons de la nature, ceux que nous produisons par l'acti-vité humaine, sons musicaux, bruits de moteur... sont des phé-nomènes physiques qui consistent en une variation de la pres-sion atmosphérique que notre appareil auditif perçoit à travers le tympan. C'est l'acoustique, branche des sciences physiques qui s'occupe d'étudier ces variations atmosphériques que constituent la propagation et perception des sons.

De la même façon que le caillou jeté dans l'eau va créer des ondes concentriques visibles à l'œil nu autour du point d'impact de l'objet, ainsi, le son, quelle qu'en soit la source, produit un mouvement en forme d'ondes dans l'air qui l'en-toure. Cette onde sonore va se propager, invisible à la vue, mais perceptible à l'oreille, va se propager à une vitesse de, environ, 330 mètres par seconde.

L'acoustique est une science qui a de nombreuses appli-cations65 et elle contribue grandement à l'étude des sons de la

65 L'acoustique est nécessaire au facteur d'instruments comme à l'ar-chitecte, l'ingénieur des ponts et chaussées ou au constructeur auto-mobile... car chaque matériau aura des propriétés acoustiques diffé-rentes.

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langue en phonétique et à la définition des traits pertinents au niveau phonologique, ce qui intéresse la linguistique.

Les caractéristiques acoustiques des sons de la parole dépendent directement de la forme des organes de production. Comme tous les humains possédons à peu près les mêmes ca-ractéristiques anatomiques, les sons et phonèmes de toutes les langues du monde vont présenter des caractéristiques similaires et utiliser les mêmes ressources de façon différente selon les langues. Toutes les langues possèdent des voyelles et des consonnes ; elles vont utiliser le voisement ou le non-voise-ment des consonnes ; certaines langues comme le chinois, vont inclure un jeu tonal (aigu / grave / glissando) pour le lexique ; d'autres langues réserveront ce jeu tonal à la syntaxe et aux énoncés plus larges (intonation des phrases, par exemple).

La phonétique acoustique va étudier les propriétés phy-siques du signal transmis de la bouche du locuteur au tympan de l'auditeur. Il est nécessaire de comprendre l'onde sonore en général pour mieux appréhender le signal de parole, qui a la particularité d'être produit par un conduit vocal humain, contrairement aux bruits de la nature.

C'est le physicien et physiologiste Hermann von Helm-holtz66 qui en 1867 a établi les bases scientifiques de l'analyse du signal et de sa perception. À la fin du XIXe siècle, la Trans-formée de Fourier67 a ouvert la voie à l'invention du téléphone (1876), du microphone (1878), du magnétophone (1948), du spectrographe (1941), puis, dans les années 1960, le dévelop-

66 Scientifique allemand, (Postdam, 1821 - Berlin en 1894). Il a fait d'importantes contributions à la perception des sons et des couleurs ainsi qu'à la thermodynamique.67 Transformée de Fourier : fonction mathématique découverte par Joseph Fourier (Auxerre, 1768 - Paris, 1830) qui permet de décom-poser une onde, quelle que soit sa complexité, en une suite d'ondes élémentaires sinusoïdales différant par leur fréquence, leur ampli-tude et leurs phases.

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pement des technologies vocales (synthèse à formants en 1960, reconnaissance de la parole dès 1952 et traitement du signal sur ordinateur). Tous ces développements ont marqué l'entrée de la dimension acoustique dans les études phonétiques et la descrip-tion des co-articulations entre phonèmes en séquence.

En 1952, Peterson et Barney présentent une étude sur les voyelles de l'anglais qui montre que la perception que l'on en a dépend directement du spectre de celles-ci et en particulier de la valeur de leur trois premiers formants sur le spectro-gramme. Il a montré aussi la variabilité selon les voix des locu-teurs, hommes, femmes ou enfants. Cette variabilité du timbre de la voix n'a pas d'incidence dans la reconnaissance des voyelles. À la même époque apparaissent les Preliminaries sur les corrélats acoustiques des traits distinctifs, dont l'inventaire, très réduits, permettrait de caractériser toutes les différences distinctives utilisées par toutes les langues du monde.

Les ondes sonores sont des propagations de change-ments de pression, produits par les vibrations de particules du milieu ambiant. Pour les animaux terrestres, dont les humains, ce milieu ambiant est l'air atmosphérique, pour les animaux aquatiques, c'est l'eau. Quand les particules sont au repos, elles se meuvent dans tous les sens et sont équidistantes. Un choc les met en mouvement, créant des alternances de zones de raréfac-tion de l'air et de surpression locales. La propagation des chan-gements de pression est rapide, environ 340 m/sec pour une température de 20° C. Les variations de pression sont transfor-mées en vibrations mécaniques au niveau au tympan.

Les propriétés acoustiques de sons incluent :• leur durée• leur fréquence de fondamentale (relative à la hauteur perçue),

notée F (détectable si les sons sont quasi périodiques) et la forme du signal de source (liée à la qualité de la voix) ;

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• leur intensité physique, qui dépend essentiellement de l'am-plitude acoustique globale et de la répartition relative de l'éner-gie dans les basses, moyennes et hautes fréquences (balance spectrale) ;

• leur composition spectrale, en relation avec la répartition de l'énergie dans l'échelle de fréquences (formants pour les voyelles et la distribution de l'énergie dans l'échelle pour les bruits) ;

• leur aspect stationnaire ou dynamique (diphtongues, transi-tions…).

Sur la phrase : voici une poignée de noix et de noisettes, le gra-phique donne les mesures, sur la première ligne du haut, des mouvements de la fréquence fondamentale de la voix (en Hertz). La deuxième ligne indique l'intensité des sons. On c

onstate des creux et des bosses selon qu'il s'agit de consonnes (faible intensité) ou de voyelles ou semi voyelles (semi consonnes). La même phrase vue par le spectrographe (sonagraphe) montre tout le spectre et on remarque les for-mants dans les aigus pour les consonnes à faible intensité comme le [s] chaque son présentant des caractéristiques qui lui sont propres (sourd / sonore, aigu / grave, etc.) et qui varient selon l'environnement phonétique. En dernier lieu, le signal acoustique montre les enveloppes vocaliques et permet la seg-mentation de ce signal sonore. On voit clairement la place des consonnes sourdes (aucune vibration du signal), les voyelles, les occlusives sourdes, etc.

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Le point de vue phonologique

Chaque fois qu’un homme dit quelque chose à un autre homme, c’est un acte de parole. L’acte de parole est toujours concret : il a lieu à un endroit déterminé et à un moment déterminé. Il suppose : une personne déterminée qui parle (un sujet parlant), une personne déterminée à qui l’on parle (un auditeur) et un état de choses déterminé auquel cet acte de parole se réfère. Mais […]pour que la personne à qui l’on parle comprenne la personne qui lui parle, il faut que toutes deux possèdent le même langage ; l’existence d’un langage vivant dans la conscience des membres de la communauté linguistique est donc la conditions préalable de tout acte de parole.

N.S. TroubetzkoyPrincipes de phonologie

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Le propos de la phonologie est d'appliquer aux unités sonores de la phonétique, qu'elle soit articulatoire ou acous-tique, des critères linguistiques aboutissant à hiérarchiser leur fonction dans la communication.

Le phonème

Un son peut varier selon des locuteurs, les zones géo-graphiques, les circonstances particulières de communication et cela, en général, n'entrave pas la communication pour les locu-teurs habitués au système. Si un Français entend le mot ticket prononcé [tike] au lieu de [tikɛ], il ne prêtera aucune attention à cette différence même s'il sait que la prononciation acceptée est [tikɛ]. En revanche, il aura quelque difficulté à comprendre quelqu'un qui confondra[ã] et [õ] dans la phrase Ses cheveux sont blancs, prononcée [blõ] au lieu de [blã].

Il faut donc repérer les éléments qui dans la langue rem-plissent une fonction distinctive et assurent de ce fait la diffé-rentiation entre les signes linguistiques.

Les traits distinctif

En ce qui concerne sa substance phonique le phonème se carac-térise par certains faits que l'on appèle les traits distinctifs (ou traits pertinents). Ces caractéristiques peuvent être décrites en termes articulatoires ou acoustiques. Les traits distinctifs (ou pertinents ne se présentent pas de façon isolés dans la chaîne parlée mais comme un faisceau de traits. C'est la somme de ces traits qui assure que le phonème peut être opposé à un autre de la même langue. Les autres phonèmes de la langue pourront présenter un élément commun mais vont se combiner avec d'autres traits avec d'autres traits, ce qui va les distinguer les uns des autres. Les phonèmes peuvent présenter aussi, certaines

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caractéristiques, dits traits non distinctifs qui sont liés à l'ori-gine sociale, géographique ou à l'environnement dans lequel de phonème se produit sur la chaîne du discours. Ainsi, apprendre à parler une langue c'est apprendre à articuler de façon à pro-duire des complexes de traits qui seront reconnus par les inter-locuteurs comme des phonèmes de la langue par les interlocu-teurs qui ont appris à les reconnaître par comparaison.

La méthode de commutation et permutation de phonèmes

La phonologie est l'un des premiers domaines de la lin-guistique à avoir utilisé les thèses structuralistes de Saussure. La méthode utilisée pour identifier les phonèmes d'une langue, consiste à faire varier les sons, à la fois, sur l'axe syntagma-tique et sur l'axe paradigmatique. D'un point de vue syntagma-tique, l'opération consiste concrètement à permuter l'ordre de deux sons dans la chaîne parlée.

/tɛR/ <> / tRɛ/(terre) <> (trait)

Il suffit d'inverser les phonèmes /R/ et /ɛ/ pour passer d'un mot à l'autre. Sur la base de ce test, il est possible de conclure que /R/ et /ɛ/ sont deux phonèmes du français. Sur l'axe para-digmatique, l'opération consiste à commuter deux phonèmes, c'est-à-dire, à remplacer un phonème par un autre, en dehors de la chaîne de la parole. Ainsi, par commutation, on passe de

/mɛR/ (mère)à

/tɛR/ (terre)ou à

/pɛR/ (paire)

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Le seul fait de faire varier ce son suffit à produire un change-ment de signification. Ainsi, il est possible de conclure que /m/ /t/ /p/ sont des phonèmes du français.

La méthode des paires minimales

Afin d'identifier les phonèmes d'une langue il importe de faire varier les sons selon les critères décrits ci-dessus. Ce-pendant, n'importe quel son ne peut pas servir à remplacer un autre dans une opératon de commutation. Afin de s'assurer que deux sons sont bien en opposition dans une langue donnée, on procédéra par la méthode des paires minimales. Concrètement, l'idée est de faire varier des sons qui ne s'opposent que par un trait pertinent.

Dans le cas des consonnes, il est possible, par exemple, de faire varier deux sons qui s'opposent uniquement par le cri-tère du lieu d'articulation: /b/ <>/d/. L'une est une consonne la-biale, l'autre, dentale mais elles sont toutes les deux occlusives, sonores.

/bo/ (beau) <> /do/ (dos)

On montre ainsi que les traits labiale ou dentale sont bien des traits pertinents pour la classification des phonèmes /b/ et /d/ en tant que phonèmes du français.On procède de la même façon pour opposer /b/ et /v/ pour les quels le trait pertinent sera l'opposition occlusif <>fricatif.

/bo/ (beau)/vo/ (veau)

Pour ce qui est des voyelles, on retrouve des exemples de paires minimales pour /i/ <>/u/

/li/ (lit) <> /ly/ (lu)qui ne s'opposent que par le critère d'arrondissement des lèvres. Ainsi que /u/ (ou) <> /o/ (o) qui ne s'opposent que par le critère de degré d'ouverture de la bouche.

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Le système phonologique du français

Les sons consonantiques du français ne posent pas de gros problèmes lorsque l'on passe du plan pthonétique au plan phonologique. Ce sont les mêmes et on peut découvrir un nombre important de paires minimales qui montrent que les 17 sons consonantiques présentés au chapitre précédent jouent un rôle dans la communication. Les problèmes sont beaucoup plus complexes pour le système vocalique.

voyelles Phonétique Phonologie

orales simples [i] [e]

[ɛ] [a] [?�]

[ ]ɔ [o]

[u]

/i/ /e/ /ɛ/

a/ /?/�

// /ɔ

o/

/u/

orales compo-sées

[y] [ø/]

[œ]

[ǝ]

/y/ /ø/ /œ/ / /ǝ

nasales [~ɛ]

[~œ]

ã [~ ]ɔ

/~ɛ/ /~œ/ /ã/ /õ/

Les phonèmes situés dans un même cadre du tableau seront utilisés par certains lo-cuteurs comme des variantes libres.

Le système phonologique a tendance à se réduire en fonction du rendement des phonèmes. Si le rendement est grand (grand nombre de mots constituant des paires minimales), c'est-à-dire que le phonème permet de distinguer un grand nombre d'unités, le phonème se maintient. Si le rende-ment est faible, que l'opposition phonologique ne concerne que très peu de cas, alors, les phonèmes ont tendance à s'unifier et fonctionner comme des variantes libres, combinatoires, socio-logiques ou régionales…

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Les faits suprasegmentaux

[…] les travaux des linguistes […] ont montré que le rythme, loin d’être une notion réservée à la littérature, est une réalité fondamentale du langage. Il n’y a pas d’objet de langage sans rythme.

Henri MeschonicTraité du rythme

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Enchaînements et liaisons

Outre les unités minimales que son les phonèmes, la phonologie s'intéresse également à d'autres faits de l'oral. A un niveau supérieur au phonème on trouve notamment la syllabe. A un niveau encore supérieur et plus global, la phonologie s'in-téresse au contour mélodique des phrases et notamment à leur intonation et leur prosodie. L'ensemble des études qui portent sur ces unités très globale, supérieure au phonéme, affectant les syllabes et la phrase, entrent dans le domaine de la phonologie suprasegmentale.

En français, certains des phénomènes suprasegmentaux ont une grande importance dans la langue : les enchaînements et les liaisons.

On parle d'enchaînement lorsque, à l'intérieur d'un groupe intonatif, un mot qui se termine par une consonne s'ap-puie sur la voyelle qui initie le mot suivant. Il y a enchaîne-ment, par exemple, entre le /l/ et le /a/ des mots mal et à dans la phrase suivante:

Yves est mal à l'aise

On parle de laison lorsque la consonne finale d'un mot, norma-lement muette, devient audible devant la voyelle du mot sui-vant. C'est, par exemple, le cas de l'article « les » /le/ qui de-vant « enfants » sonne : /lezãfã/. La même liaison s'applique à la graphie « x » dans des phrases du type :

Elle a deux enfants/ɛladœzãfã/

D'une façon générale, les faits qui contribuent à la pré-sence de laisons sont de deux types : syntaxiques et sociolin-guistiques. D'un point de vue syntaxique, plus les éléments sont liés entre eux au sein de la phrase, plus il y a des liaisons. Par exemple, la liaison est obligatoire entre un déterminant et le

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nom, comme dans le cas de « les enfants », « mes enfants », « ces enfants », etc. La laison avec le verbe « être » à la troi-sième personne « est » est souvent distinctive de la conjonction « et » qui ne se fait jamais avec une liaison. Ainsi :

Pierre est un amivs

Pierre et un amiIl faut noter que l'enchaînement est un phénomène qui se trouve dans la plupart des langues alors que la liaison est un phénomène bien spécifique du français et constitue l'une des grandes difficultés à l'oral pour les non-natifs.

Les faits prosodiques et leurs fonctions

Outre les enchaînements et les liaisons, si importantes à remarquer en français car ils peuvent jouer un rôle disticntif dans certains cas, dans la prosodie d'une langue on va distin-guer plusieurs types de faits :

• l'accentuation : on étudie la nature et la place de l'ac-cent dans la langue ;

• le rythme : la répartition des accents et des pauses ;• l'intonation : dont la substance est désignée par le

terme de mélodie.Chacun de ces prosodèmes est constitués des mêmes

faits acoustiques qui sont la fréquence (hauteur), l'amplitude (intensité) et la durée, de telle sorte qu'il est souvent difficile d'attribuer l'un ou l'autre de ces éléments à un fait accentuel ou à l'intonation. Ainsi, on a opté pour considérer ces faits selon leur fonction en suivant en cela les propositions de N. S. Trou-betzkoy :

• la fonction distinctive qui permet de différentier l'une de l'autre deux unités significatives ;

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• la fonction démarcative qui permet de repérer les li-mites d'une unité linguistique ;• la fonction culminative qui met en relief certains élé-ments du message.

Cependant, ce n'est pas simple d'attribuer telle ou telle fonction à un fait en particulier. Par exemple l'accent que l'on peut identifier à la fonction culminative, remplit, dans certaines langues comme le français une fonction démarcative et dans d'autres, comme l'espagnol une fonction distinctive. L'accent du français est un accent de groupe rythmique et il se trouve toujours à la fin du groupe. On dit qu'il est fixe. En espagnol, ou en anglais, l'accent est un accent de mot et il est libre car il fait partie du lexique et de la morphologie de la langue.

L'intonation concerne les variations mélodiques de la phrase. Elle est identifiée par les variations de la fréquence fon-damentale de l'onde sonore sur l'ensemble de la phrase. Ces va-riations de la fréquence fondamentale joue d'autres rôles dans les langues à tons comme le chinois où ces variations assurent une fonction distinctive entre les unités linguistiques.

En français, les intonations de la phrase ont des fonc-tions significative, communicative, expressive, démarcative. Elles sont aussi un marqueur social et/ou géographique.

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Autres ressources

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•Manuels d'enseignement•Ressources pour la classe

SITOGRAFÍATv5 Monde : http://apprendre.tv5monde.com/S i t e Parlons français : http://parlons-francais.tv5monde.com/webdocumentaires-pourapprendre-le-francais/p-1-lg0-Accueil.htmLe Point du FLE : www.lepointdufle.netPolarfle : http://polarfle.com/ Le web pédagogique : http://lewebpedagogique.com/ressources-fle/sites-fle/ Sochipanama.com: page FLE: https://sochipanama.com/tice/Le site privé du Master :Sochipanamafle https://sochipanamafle.wordpress.com/Le grand roman de l'homme : https://youtu.be/01msvhSQOSgLes vidéo You Tube de Régine Llorca (phonétique) par exemple : https://youtu.be/LYvmGyBuhjs