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Master Sciences du Langage spécialité FLE - 1ère année
Linguistique Textuelle et Didactique de l’Ecrit code formation
Professeur: Jean-Emmanuel LE BRAY 8 1053 TG PA 00 05 339/351
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LINGUISTIQUE TEXTUELLE
et
DIDACTIQUE de l’ECRIT
Sommaire
Chapitre 1. Pour Introduire la Linguistique Textuelle 1.1. Texte et phrase
1.2. Texte et discours
1.3. Texte et écrit
1.4. Texte et pragmatique
1.5. Texte, paratexte, métatexte… voire hypertexte
1.6. Définition du texte comme ensemble cohérent de phrases
Activités d’approfondissement
Chapitre 2. La Cohésion Textuelle 2.1. Référence et coréférence
2.2. Contiguité sémantique
2.3. Présupposition
2.4. Connecteurs
Activités d’approfondissement
Chapitre 3. La Dynamique Communicative 3.1. Thème et rhème
3.2. Le critère formel de la disposition
3. 3. Les critères pragmatiques
3.4. Progression thématique
Activités d’approfondissement
Chapitre 4. Les Types de Textes
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Linguistique Textuelle et Didactique de l’Ecrit code formation
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4.1. Clôture du texte
4.2. Le texte comme type
Activités d’approfondissement
Chapitre 5. De la linguistique textuelle à la didactique de l’écrit
5.1. Le rapport à l’écrit
5.3. Compétence linguistique et compétence textuelle
5.3. Oral et écrit : question de diglossie et de continuum ?
5.4. Place de la grammaire
5.5. Diversité et intérêt des ressources : du texte littéraire au
« document authentique »
Activités d’approfondissement
Conclusion
Annexes.
- Deux exercices type examen final avec corrigés
- Corrigés ou commentaires des activités proposées à la fin de chaque
chapitre
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Avant-propos
Présentation du Cours
Après avoir décrit la structure des langues, la linguistique complète son
objet et ses méthodes. A coté de la phonologie, de la morphologie, de la syntaxe,
de ce « noyau dur » de la discipline, sont pris en compte au-delà du système lui-
même, les produits de l’activité langagière, du contexte qui les voit surgir, des
processus et des stratégies que les locuteurs mettent en œuvre pour produire et
échanger. Nous assistons de ce fait à une perspective qui dépasse le cadre de
l’héritage saussurien, de la linguistique dite « générale » ou « interne » qui
posait en son temps la nécessité de prendre « pour unique et véritable objet la
langue envisagée en elle-même et pour elle-même ».
Le langage est appréhendé sous l’angle d’une activivité langagière qui
vient se manifester sous la forme d’un discours ou d’un texte. Le cadre de
l’énoncé, de la phrase apparaît dès lors trop étroit. Il faut s’attacher à mettre en
œuvre, voire à élaborer des outils méthodologiques susceptibles de rendre
compte de segments plus larges que ceux analysés usuellement par la
linguistique générale et les manuels de grammaire. La linguistique textuelle s’y
attache dès lors qu’elle s’interroge sur les relations interphrastiques, sur l’ordre
des phrases dans un texte, sur les exigences ou les critères constitutifs d’une
suite de phrases qui vient fabriquer un texte.
Se pose alors la question d’une compétence spécifique, d’une compétence
textuelle qui ne saurait être réductible à une compétence linguistique au sens
strict du terme. L’enjeu pédagogique est significatif. Est concernée la didactique
de l’écrit, de l’écriture et de la lecture. Il ne s’agit pas de concevoir la didactique
de l’écrit comme le champ d’application direct et immédiat de la linguistique
textuelle, mais l’effort d’abstraction et de théorisation sur le texte conduit
nécessairement à une prise de distance quant à une conception naïve de l’écrit
comme transcription de l’oral, ou comme registre de langue exigeant et
contraignant en orthographe, grammaire et lexique.
Les quatre premiers chapitres du cours sont consacrés à la linguistique
textuelle ; le cinquième et dernier chapitre entend posé quelques jalons pour une
didactique de l’écrit.
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Linguistique Textuelle et Didactique de l’Ecrit code formation
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Modalités d'évaluation et indications méthodologiques
Le texte est un objet que le lecteur ou le scripteur « sent » plus ou moins,
c'est-à-dire pressent confusément. La linguistique textuelle veut donner des
outils formels d'analyse d'un objet qui demande à être défini. Le cours proposé
ici se veut une introduction modeste à une problématique complexe, mais entend
mettre à l'épreuve du texte des concepts éprouvés en linguistique générale.
L'étudiant trouvera en annexe deux exercices types avec leur corrigé.
Proposés il y a quelques années dans le cadre de l’évaluation terminale, ces deux
exercices donnent une idée de ce qui est attendu à l’examen. L’étudiant trouvera
également des corrigés ou commentaires afférents aux activités proposées à la
fin de chaque chapitre
Est également proposé, dans le cadre de la préparation, un devoir
d'entraînement (adressé séparément). Ce devoir est prévu pour 2 heures, pour le
temps alloué à l'épreuve terminale de linguistique textuelle. Il est conseillé de
prendre en compte cette contrainte horaire pour le devoir d'entraînement.
A la fin de chaque chapitre, vous trouverez quelques questions ou
documents qui doivent vous permettre d’approfondir certains points du cours ou
d’imaginer des applications pour la linguistique textuelle.
L’expérience révèle que les inscrits peuvent consacrer en moyenne 5 mois
à leur préparation aux examens terminaux, de décembre à avril généralement
pour la première session qui se déroule au cours du mois de mai. Cinq mois pour
cinq chapitres, un chapitre par mois, ceci permet de programmer
raisonnablement le travail. Mais la reprise ou consultation régulière des
exercices ou activités proposés à la fin de chaque chapitre et des annexes doit
être conseillée car elle doit donner à l’étudiant une expertise qui s’affine
progressivement.
… et maintenant bon courage à toutes et à tous. ☺☺☺☺
Bibliographie sélective
ADAM, Jean-Michel : Le texte Narratif. Précis d'Analyse Textuelle, Paris,
Nathan, 1987.
ADAM, Jean-Michel : Eléments de Linguistique Textuelle. Théorie et Pratique
de l'Analyse Textuelle, Liège, Mardaga, 1990.
ADAM, Jean-Michel : Linguistique textuelle. Des genres et discours aux textes,
Paris, Nathan, 1999.
CHARAUDEAU, Patrick : Grammaire du sens et de l'Expression, Paris,
Hachette, 1992 (voir troisième partie)
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COIRIER, Pierre, GAONAC’H Daniel, PASSERAULT, Jean-Michel :
Psycholinguistique Textuelle. Approche Cognitive de la compréhension et de la
production des textes, Paris, Armand Colin, 1996.
COMBETTES, Bernard : Pour une Grammaire Textuelle. La Progression
Textuelle, Bruxelles-Paris, De Boeck-Duculot, 1983.
COMBETTES, Bernard et TOMASSONE, Roberte : Le Texte Informatif,
Bruxelles, De Boeck, 1988.
COMBETTES, Bernard : Quelques Jalons pour une Pratique Textuelle de
l'Ecrit, Clermont-Ferrand, CRDP- CEFISEM, 1989 (ouvrage distribué par les
CRDP).
COMBETTES, Bernard : L'organisation du Texte, Metz, Université de Metz,
1992.
GARDES TAMINE, Joëlle : Pour une grammaire de l’écrit, Paris, Belin, 2004.
JEANDILLOU, Jean-François : L’Analyse Textuelle, Paris, Armand Colin, 1997.
LANE, Philippe : La périphérie du texte, Paris, Nathan, 1992.
LUNDQUIST, Lita : La Cohérence Textuelle: syntaxe, sémantique,
pragmatique, Copenhague, Nyt Nordisk Forlag Arnold Busck, 1980.
LUNDQUIST, Lita : L'analyse Textuelle. Méthode, Exercices, Paris, CEDIC,
1983. (Les ouvrages de Lundquist sont malheureusement difficiles à trouver. Voir, quand c'est
possible, les bibliothèques universitaires)
MOIRAND, Sophie : Une Grammaire des Textes et des Dialogues, Paris,
Hachette, 1990.
PERY-WOODLEY, Marie-Paule : Les Ecrits dans l'Apprentissage, Clés pour
Analyser les Productions des Apprenants, Paris, Hachette, 1993.
REBOUL, Anne et MOESCHLER, Jacques : Pragmatique du discours. De
l’interprétation de l’énoncé à l’interprétation du discours, Paris, Armand Colin,
1998.
REICHLER-BEGUELIN, Marie-José, DEVERNAUD, Monique, JESPERSEN,
Janine : Ecrire en français. Cohésion textuelle et apprentissage de l’expression
écrite, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 2ème
édition, 1989.
ROULET, Eddy : La description de l’organisation des discours, Paris, Didier,
1999.
VIGNER, Gérard : Lire : du texte au sens. Eléments pour un apprentissage et un
enseignement de la lecture, Paris, CLE international, 1979.
VIGNER, Gérard : Ecrire. Eléments pour une pédagogie de la production écrite,
Paris, CLE international, 1982.
Sitographie sélective
www.edufle.net
http://www.ciep.fr
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(les références ont ici été réduites à des portails institutionnels où l’internaute
retrouvera l’essentiel des ressources disponibles en FLE)
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Chapitre 1. Pour Introduire la Linguistique Textuelle
Une définition simple, voire simpliste, de la linguistique textuelle est de
concevoir ce développement scientifique relativement récent comme une
discipline appliquant une méthode mise en place par la linguistique générale, à
savoir la méthode structurale, à un objet plus large que celui que traite
traditionnellement la linguistique, à savoir la phrase, un objet plus large ayant
pour nom le texte. Une telle définition a le mérite de situer les problèmes
rencontrés par la linguistique textuelle.
1.1. Texte et Phrase
La phrase est l'unité maximale d'analyse de la linguistique générale, de
l'analyse grammaticale. Nous ne faisons ici que reprendre le point de vue
généralement admis par les linguistes, un point de vue que présente notamment
John Lyons, en s'appuyant sur Bloomfield:
"... une phrase est une forme linguistique indépendante, qui n'est pas incluse en
vertu d'une quelconque construction grammaticale dans une quelconque forme
linguistique plus grande."1
Pour Benveniste, la phrase peut être segmentée, mais ne peut être intégrée
dans une unité plus grande. En linguistique générative, Katz et Fodor indiquent
que les grammaires cherchent à décrire la structure d'une phrase, séparée des
1 LYONS, John: trad. française, Linguistique Générale. Introduction à la Linguistique
Générale, Paris, Larousse, 1970, p. 133.
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positions dans lesquelles elle peut se trouver dans les discours (écrits et oraux)
ou dans les contextes non linguistiques (sociaux ou physiques).
Le projet d'une linguistique textuelle relèverait-il d'une gageure?
Jean-Michel Adam ne manque pas de relever les difficultés de l'entreprise:
" Bien que l'analyse de discours, inaugurée par Z.S. Harris en 1952, ait donné à la
linguistique une orientation discursive, jusqu'à ces dernières années, dans le
domaine francophone du moins, cette célèbre remarque de Bakhtine2 a gardé
toute sa validité:
La linguistique... n'a absolument pas défriché la section dont devraient relever les
grands ensembles verbaux: longs énoncés de la vie courante, dialogues, discours,
traités, romans, etc. car ces énoncés-là peuvent et doivent être définis et étudiés,
eux aussi, de façon purement linguistique, comme des phénomènes du langage. ...
La syntaxe des grandes masses verbales ... attend encore d'être fondée; jusqu'à
présent, la linguistique n'a pas avancé scientifiquement au-delà de la phrase
complexe: c'est le phénomène linguistique le plus long qui ait été scientifiquement
exploré. On dirait que le langage méthodiquement pur de la linguistique s'arrête
ici... Et cependant, on peut poursuivre plus loin l'analyse linguistique pure, si
difficile que cela paraisse, et si tentant qu'il soit d'introduire ici des points de vue
étrangers à la linguistique."3
Que cherchent donc les spécialistes du texte dans une discipline où l'on
déclare qu'on ignore tout objet au-delà de la phrase? Quels arguments faire
valoir, pour légitimer une "continuité" de la phrase au texte?
Le premier est que nous parlons, écrivons, communiquons, construisons de
l'information, en produisant non des phrases isolées, mais en inscrivant les
phrases dans des entités plus larges, textuelles ou discursives. Tous les ouvrages
consacrés à la linguistique textuelle s'attachent, dans leur introduction, à mettre
en avant ce constat, et tirent les conséquences.
Le second argument procède du constat incontournable qui pose le texte
comme une suite de phrases, qui reprend en cela la définition du discours de
Harris. Comment admettre, à partir de là, une mutation entre la phrase et le texte,
une différence de "nature" entre la phrase et le texte? La question a des
implications tant sur le plan théorique que pratique. En admettant une coupure
de la phrase au texte, on admet que la phrase se prête à un jugement de
grammaticalité et le texte à un jugement d'un autre type, à un jugement de
"cohérence", de "logique". Les annotations portées par les enseignants dans la
marge des copies d'élèves font apparaître cette dichotomie, une dichotomie qui
2 BAKHTINE, Mikhail.: Esthétique du Roman, trad. Française, Paris, Gallimard, 1978, p. 59.
3 ADAM, Jean-Michel: Eléments de Linguistique Textuelle. Théorie et Pratique de l'Analyse
Textuelle, Liège, Mardaga, 1990, p. 7.
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n'est pas sans indiquer les limites de l'enseignement traditionnel de la grammaire
dans l'apprentissage de cette compétence textuelle qui se trouve sollicitée dès
qu'il y a production de suite suivie de phrases. Il n'est pas interdit de penser que
la difficulté à concevoir le texte masque une conception trop étroite de la notion
de phrase. Non seulement le texte est fait de phrases; mais encore les phrases
fabriquent du texte. Le principe d'autonomie syntaxique de la phrase n'est pas en
cela contesté. La lisibilité d'une entité textuelle est intimement liée à
l'organisation séquentielle de celle-ci. Après tout, une phrase, elle-même, est le
produit d'un découpage, puisqu'elle est agencement et ordination de constituants.
Il est possible de soutenir que le principe du texte est déjà présent dans la phrase,
que la phrase et le texte procèdent d'une même logique.
Pour "preuve", le troisième argument: certains problèmes éminemment
grammaticaux ne trouvent pas de solution dans le cadre étroit de la phrase. Nous
nous contenterons ici de citer quelques exemples.
Le pronom4 trouve bien souvent son antécédent dans la phrase qui précède
celle où il est placé. Les grammaires (de la phrase) nous disent que le pronom
permet d'éviter la répétition d'un même substantif dans un même texte. C'est là
une problématique qui trouvera une continuité "naturelle" dans la grammaire du
texte (cf. la coréférence comme outil de la cohésion).
Les grammaires de la phrase ont bien du mal à faire comprendre
l'opposition entre l'article défini et celui indéfini en se référant à la détermination
(en soi). "Le chat" que je rencontre dans une phrase donnée, peut effectivement
être l'animal générique, mais il est le plus souvent celui dont le texte a déjà parlé.
Individualisation, certes, mais individualisation produite par l'activité textuelle.
Dernier exemple: la grammaire des temps verbaux tient pour une large part
à la structuration du texte. Ainsi la valeur d'antériorité que l'on attribue au plus-
que-parfait ressortit-elle bien souvent moins à une chronologie objective qu'à
une mise en perspective, un acte d'écriture où le narrateur, en choisissant le
temps verbal, crée ce qu'on appelle une introduction.
La mise en relation de la phrase et du texte est de type dialectique. Une
continuité de la phrase au texte non seulement valide le modèle d'analyse
linguistique pour l'approche des textes, mais aussi interroge le mode de
fonctionnement "étroit" de la grammaire traditionnelle, de la grammaire de la
phrase, de cette grammaire où la règle se trouve illustrée par des phrases
4 Que ce soit le pronom qui se trouve le premier mis en avant est significatif. Exemplaire est
en effet le pronom dans sa fonction de substitut. Inscrit sur la chaîne du texte, le pronom est la
trace d'autre chose, d'un segment textuel placé devant ou derrière, ou d'un référent
situationnel. A partir de là, le pronom oblige à porter le regard, l'analyse, au-delà de lui-même.
On ne peut manquer de citer le travail d'Emile Benveniste sur les pronoms qui a interrogé la
dichotomie saussurienne Langue/ Parole, et qui constitue toujours aujourd'hui l'un des
passages obligés de la linguistique de l'énonciation (Cf. "La Nature des Pronoms", in
Problèmes de Linguistique Générale, Paris, Gallimard, 1966, pp. 251-257).
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décontextualisées5 . L'étude du texte, très vite, oblige à avoir un regard différent
sur la grammaire de la phrase.
1.2. Texte et Discours
En posant la question de la continuité de la phrase au texte, nous avons pu
laisser croire que les notions de phrase et de texte constituaient des notions sinon
simples, du moins "consensuelles".
Qui fréquente la linguistique générale aura vite fait de se rendre compte de
la complexité de la notion de phrase. Critiqué pour son sémantisme sournois,
pour sa référence au modèle normatif de l'écrit, le concept de phrase est le plus
souvent remplacé par celui d'énoncé. Il résiste chez les tenants de la grammaire
générative qui en font une unité "théorique". Dans son Introduction à la
Grammaire Générative, Nicolas Ruwet note qu' "une phrase grammaticale n'est
pas la même chose qu'un énoncé observé dans un corpus"6 . La phrase est une
unité théorique parce qu'une grammaire doit prévoir des énoncés non encore
réalisés, doit également rejeter certaines "performances" lacunaires, fautives,
quand bien même réalisées par des natifs. La phrase pose la question de la
norme, du traitement d'un usage qui ne fait pas systématiquement la loi7 .
En préférant généralement le concept d'énoncé à celui de phrase, la
linguistique signale son souci de prendre en compte le langage tel qu'il est, de se
démarquer des points de vue normatifs, introduit à terme le sujet, le locuteur.
L'énoncé annonce l'énonciation. D'une linguistique de l'objet nous passons à une
linguistique du processus.
Qui comprend la discussion des notions de phrases et d'énoncés n'est pas
loin de saisir celle qui se développe aujourd'hui sur les notions de texte et de
discours en linguistique textuelle et en analyse du discours.
La Grammaire du Sens et de l'Expression de Patrick Charaudeau8 est, à cet
égard, exemplaire. Le texte apparaît comme un produit:
5 Que penser ainsi de cette question que nous avons rencontrée dans un sujet d'examens:
"Analysez la valeur de l'imparfait dans l'énoncé suivant:
Tous les matins, il répétait ses exercices de piano." ?
6 RUWET, Nicolas, Introduction à la Grammaire Générative, Paris, Plon, 1968, p. 36.
7 cf. le débat sur la description et la prescription en linguistique
8 Paris, Hachette, 1992.
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"Le texte est la manifestation matérielle (verbale et sémiologique : orale/
graphique, gestuelle, iconique, etc.) de la mise en scène d'un acte de
communication, dans une situation donnée, pour servir de Projet de parole d'un
locuteur donné"
p. 645.
Reste alors à définir le discours. L'ouvrage de Charaudeau consacre toute sa
troisième partie aux "modes d'organisation du discours"9 , mais s'appuie sur une
définition extrêment lâche du discours, sur une définition que le lecteur doit
reconstituer, une définition qui fait du discours " ce qui fonde le langage"10 .
Une telle définition n'éclaire le débat que dans le sens où elle souligne sa
complexité. Elle laisse néammoins prévoir la proposition de plusieurs
typologies, la distinction entre les typologies de textes et les typologies de
discours.
Jean-Michel Adam fait état d'une distinction "assez communément admise
aujourdh'ui" entre le discours qui serait le texte avec les "conditions de
production" et le texte qui serait le discours sans les "conditions de production":
"En d'autres termes, un discours est un énoncé caractérisable certes par des
propriétés textuelles, mais surtout comme un acte de discours accompli dans une
situation (participants, institutions, lieu, temps)."11
Le texte devient dès lors un objet abstrait et la définition proposée par
Adam, à la suite de C. Fuchs et de D. Slatka12 , apparaît prendre le contre-pied
de celle avancée par Charaudeau (manifestation matérielle).
9 pp. 633- 833.
10 ... une grammaire qui se donne pour objectif de décrire les catégories de la langue du point
de vue du sens et de la manière dont elles sont mises en oeuvre par le locuteur pour construire
un acte de communication, une telle gramaire ne peut pas ne pas s'intéresser à ce qui fonde
véritablement le langage, à savoir : le discours.
Si les grammaires traditionnelles n'entrent pas dans ce domaine, en revanche, certaines
branches de la linguistique et de la sémiotique ont beaucoup exploré celui-ci depuis quelques
années, et ont proposé différents points de vue sous des dénominations diverses: analyse de
discours, grammaire du discours, grammaire de discours, grammaire communicative, etc.
Il en résulte une extraordinaire richesse de pensée, de théories et de méthodes concernant le
discours et le texte, mais aussi, malheureusement, une certaine difficulté à voir clair dans un
domaine qui, il faut le reconnaître, est relativement complexe."
op. cit., p. 633.
11 op cit, 1990, p. 23.
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Notre propos ici n'est pas de règler un débat terminologique: il est de
relever une question méthodologique essentielle. La linguistique textuelle doit-
elle se contenter d'analyser les marques attestées au niveau de la chaîne
textuelle? Nous pouvons déjà noter qu'un texte et ses marques attestées au
niveau de la chaîne textuelle ne se réduisent pas à la fonction référentielle et
n'ignorent pas l'énonciation. C'est le cas notamment quand le texte comporte une
adresse explicite au lecteur et une invite à un certain mode de lecture. Quand un
quotidien régional note, en page 7, en page locale , sous le titre d'un fait divers ,
"lire p. 5", faut-il considérer ce segment comme faisant partie de l'entité
textuelle? Et s'il faut l'inclure, peut-on alors oublier le journaliste, le scripteur et
son lecteur? L'exemple montre si besoin en est la très grande difficulté qu'il y a
à opérer une partition nette entre le texte et le discours. La complexité de la
question du bornage du texte y est pour quelque chose.
Le concept de discours, tel que nous venons de le développer, prend appui
et sur la définition de Harris (le discours comme suite), et sur l'acception
pragmatique (le discours comme action). Il est une autre entrée au concept de
discours qui complique si besoin en est la situation. Le discours, chez
Benveniste, est le plan d'énonciation qui s'oppose à l'"histoire"13 . Et cette
12 SLATKA, Denis: "L'Ordre du Texte", in Revue Etudes de Linguistique Appliquée, n° 19,
juillet-septembre 1975, pp. 30-42.
" Il s'agit d'articuler l'unité contradictoire du texte, objet formel abstrait et du discours,
pratique sociale concrète. Deux plans sont alors à spécifier comme "contraires s'excluant
mutuellement", mais aussi comme contraires complémentaires, dont il convient de marquer
les rapports. Le plan de la signifiance est cet aspect de la contradiction où s'explicitent les
possibilités de signifier (systèmes de potentialités linguistiques), l'autre aspect étant le champ
des significations concrètes réalisées dans les différentes pratiques discursives. D'où les deux
questions: (1) Comment penser la transformation de la signifiance en signification? Ou encore
(2) Sous quelles conditions s'opère la concrétisation des textes en discours réels?... La
signifiance est à comprendre comme un système de règles linguistiques formelles dont la
fonction est de déterminer, contradictoirement, un ensemble linguistique de possibilités et de
contraintes, et qui portent sur la structure suivante: texte - phrase - morphème. La
signification, au contraire, repose sur les transformations parallèles du TEXTE en discours
concret, de la PHRASE en ENONCE et du MORPHEME en MOT (p. 30)".
L'argumentaion de Slatka et, plus généralement, des tenants de l'analyse du discours pose ou
repose une question que la linguistique à la fois ne peut règler et ne peut ignorer: celle du sens.
Et la dichotomie saussurienne laisse déjà prévoir la difficulté en opposant une "langue" posée
comme virtuelle et une "parole" définie comme concrète, en laissant en suspens le type de
relation entretenue entre la "langue" et la "parole", une relation qui ne peut être conçue comme
une relation naïve de détermination, mais qui doit être pensée comme une relation
DIALECTIQUE.
13 BENVENISTE, Emile: "Les Relations de Temps dans le Verbe Français", in Problèmes de
Linguistique Générale, Tome 1, Paris, Gallimard, 1966, pp. 237-250.
Il est remarquable que dans l'opposition discours / histoire, Benveniste procède d'une
définition somme toute traditionnelle et commune du discours:
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nouvelle entrée au concept de discours n'est pas sans importance pour la
linguistique textuelle.
1.3. Texte et Ecrit
Il n'est pas possible d'échapper à la mise en parallèle naïve entre le texte qui
serait un produit scriptural canonique, qui aurait pour modèle exemplaire le texte
littéraire, et le discours qui serait d'emblée oral. Il y a deux façons de traiter
cette question.
La première consiste à introduire de la variété, de la pluralité dans les
ordres de l'oral et de l'écrit. On peut ainsi se reporter aux approches de l'écrit par
Sophie Moirand14 et Michel Dabène15 , à l'opposition établie par Jean Peytard
entre l'ordre oral et l'ordre scriptural16 . Les analyses ne se contentent pas d'une
opposition naïve, strictement binaire. Chaque ordre est posé dans sa complexité
et son hétérogénéité. D'où l'idée d'un continuum entre les différentes productions
orales ou scripturales, continuum balisé d'une part par l'écrit littéraire, d'autre
part par l'oral spontané.
La seconde façon de poser l'écrit consiste à mettre en retrait le vecteur, le
canal (phonique ou graphique), à mettre en avant le rapport au langage, un mode
d'énonciation. La dichotomie discours/ histoire de Benveniste procède de cette
attitude. Avec le discours, il y a implication, proximité de l'énonciateur; avec
l'histoire, distance, distanciation. Si le discours est illustré exemplairement par
l'oral spontané et l'histoire par les écrits "académiques", la coïncidence n'est que
statistique et nombre de productions langagières oscillent entre ces deux pôles.
Cette seconde attitude n'est pas antinomique par rapport à la première. Dans les
deux cas, le langage est compris comme une instance langagière et la perspective
"Il faut entendre discours dans sa plus large extension : toute énonciation supposant un
locuteur et un auditeur, et chez le premier l'intention d'influencer l'autre en quelque manière"
(pp. 241- 242).
14 MOIRAND, Sophie: Situations d'Ecrits, Paris, CLE International, 1979.
MOIRAND, Sophie: Une Grammaire des Textes et des Dialogues, Paris, Hachette, 1990.
15 DABENE, Michel: L'Adulte et l'Ecriture, Bruxelles, De Boeck,
16 PEYTARD, Jean: "Oral et Scriptural, deux Ordres de Situations et de Descriptions
Linguistiques, in revue Langue Française, n° 6, Paris, Larousse, 1970.
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est pragmatique. Et de nouvelles perspectives didactiques s'ouvrent qui en
appellent à une définition de la compétence scripturale ou textuelle, d'une
compétence qui ne saurait se réduire à une compétence grammaticale. Nous
reviendrons sur ces points au chapitre 5.
1.4. Texte et Pragmatique
En tant qu'entité large, le texte apparaît comme une totalité et s'inscrit de ce
fait dans une perspective pragmatique. Définie comme l'étude de l'action
humaine sur le monde par le langage, la pragmatique peut être précisée comme
"l'étude des conditions d'appropriété contextuelle des énoncés linguistiques".
Nous reprenons ici une définition proposée par Jef Verschueren qui veut
défendre l'idée de cohérence des multiples études sur les actes de langage, la
présupposition et la conversation17 .
Mais que peut être l'appropriété contextuelle pour un texte? Les discours
qui ont pour fonction d'évaluer les écrits, notamment scolaires, sont un début de
réponse. Un texte peut ainsi être jugé lacunaire par un correcteur parce qu'il ne
présente pas d'introduction, ou de conclusion, parce qu'il présente des répétitions
ou des contradictions, parce qu'il manifeste des formes trop familières, parce
qu'il n'argumente pas et se contente d'énumérer, etc. Les remarques qui annotent
les copies d'élèves vont à l'évidence au-delà de l'unité phrastique et ce quand
bien même les enseignants ne disposent pas aujourd'hui encore des outils
méthodologiques qui permettraient d'aller au-delà d'une évaluation trop souvent
"impressionniste". Notre référence à l'évaluation n'est pas fortuite. Il est
remarquable que le texte est un produit fortement institué, devant répondre à un
certain canon. D'où l'insistance de l'école à enseigner la compétence scripturale
ou textuelle. Nous trouvons le texte dès l'école primaire et jusqu'à l'université. Et
les enseignants savent combien reste fragile la maîtrise de l'écrit. Au-delà des
enjeux pédagogiques, il apparaît que le texte est un produit d'emblée prescriptif,
un produit devant répondre à un certain nombre de critères que doit identifier la
linguistique textuelle.
La pregnance de l'évaluation et de la prescription renforce la qualité
pragmatique du texte. La pragmatique est en effet, selon une autre définition
communément admise, l'étude du "rapport des signes à leurs utilisateurs"18 . Et
cette conception justifie les questions suivantes :
17 VERSCHUEREN, Jef: "A la Recherche d'une Pragmatique Unifiée", in Revue
Communications, n° 32, "Les Actes du Discours", Paris, Le Seuil, 1980, pp. 274 - 283.
18 cf. LUNDQUIST, Lita: La Cohérence Textuelle: Syntaxe, Sémantique, Pragmatique,
Copenhague, Nyt Nordisk Forlag Arnold Busck, 1980.
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Quelle idée nous faisons-nous du texte? Quel rôle social assignons-nous au
texte ?
1.5 Texte, paratexte, métatexte…voire hypertexte La notion de texte s’est enrichie de nombreux préfixes où il n’est pas
toujours simple de s’y retrouver. Citons par ordre alphabétique l’architexte, le
cotexte, le contexte, l’épitexte, l’hypertexte, l’intertexte, le métatexte, le
paratexte, le péritexte, le transtexte. Un tel classement n’est qu’un inventaire naïf
et il faut organiser ce champ19.
Avec l’architexte et l’intertexte, nous prenons en compte le réseau de
dépendances qu’entretient un texte avec l’ensemble culturel et historique dans
lequel il s’inscrit. Un texte se nourrit d’autres textes, s’en fait nécessairement
l’écho, porte la trace d’un intertexte. L’architexte se situe à un degré
d’abstraction plus grand que l’intertexte et vient reconnaître, par exemple,
l’appartenance d’un texte à un genre. Le caractère plus abstrait de l’architexte
explique que les ouvrages spécialisés utilisent davantage la notion
d’architextualité. La remarque vaut pour le couple transtexte / transtextualité.
Les types de transtextualité … se caractérisent par leur abstraction qui va
croissant de l’un à l’autre. Si l’intertexte repose sur une présence simultanée
et strictement délimitable, les relations paratextuelles, métatextuelles et
hypertextuelles élargissent le champ d’investigation et font que l’analyse
s’éloigne toujours plus de son support immédiat. … dans la typologie de
Genette, le plus haut degré d’absraction est le propre de l’architextualité.
Jean-François JEANDILLOU, L’analyse Textuelle, Paris, Armand Colin, p.
135
Le métatexte n’est pas sans rappeler la fonction métalinguistique de
Jakoson par laquelle il est posé que le langage permet de parler de lui-même. Le
métatexte est un texte sur un texte, plus précisément, un texte qui signale ou
s’interroge sur son fonctionnement. Non seulement il peut, mais encore il doit
faire partie d’un texte. Il n’existe pas seul ; il n’existe qu’en terme de séquence,
que partie d’un texte.
" Dans la linguistique textuelle, l'on a pu voir s'insérer la division sémiotique de la linguistique
traditionnelle en trois domaines différents:
la syntaxe: le rapport des signes entre eux,
la sémantique: le rapport des signes à ce qu'ils désignent,
la pragmatique: le rapport des signes à leurs utilisateurs." (p. 17)
19 voir notamment GENETTE, Gérard : Introduction à l’architexte, Paris, Le Seuil, 1979.
- Palimpsestes, Paris, Le Seuil, 1982.
- Seuils, Paris, Le Seuil, 1987. -
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16
La remarque vaut pour le cotexte. Par cotexte nous entendons
l’environnement textuel, verbal d’un segment dans un texte. Le cotexte est
nécessairement endophorique (voir chap. 2, point 2.1.). Pour illustrer le cotexte,
il faut d’abord choisir un segment dans un texte (concrètement un mot ou une
suite de mots) : le cotexte est alors composé de ce qu’il y a avant et de ce qu’il y
a après le segment sélectionné.
Est-il possible de comprendre le contexte à partir du cotexte ? Le cotexte
n’est qu’un cas particulier de contexte, mais la question de l’entourage, facile à
admettre pour le cotexte est moins simple pour le contexte et oblige à préciser
l’idée que nous nous faisons du texte, du texte comme objet, comme produit
matériel. Le mot est-il réductible aux mots, à la chaîne verbale qu’il manifeste ?
Soit l’illustration suivante, soit la jaquette d’un roman de Camilleri20 :
Comment lit-on « comme ça » sur ce document ? En serait-il de même s’il
n’y avait pas cette grosse tâche rouge sur le fond bleu de la jaquette proposée
par l’éditeur ?
Dans le pronom « ça », il peut y avoir tout, notamment ce que l’on ne peut
pas ou ne veut pas nommer. Ceci explique que « ça » puisse désigner d’une part
l’idéal ( par définition, non atteint) dans l’expression « Désolé, ce n’est pas
encore ça ! » , d’autre part l’irrationnel, l’inexplicable, ou le fruit du hasard dans
l’expression « Marcel s’est inscrit en Master FLE comme ça ! ».
Avons-nous ce cas dans le document proposé ; retrouvons cette forme
figée du « comme ça » ? La tâche rouge qui nous est proposée ici représente le
20 La forme de l’eau, Paris, Le Fleuve Noir, 1998.
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sang et, par là, la violence extrême de la mort, de l’assassinat. Le « ça » renvoie
à cette tâche et sa signification. Si, maintenant, nous modifions la jaquette,
supprimons cette tâche ou modifions sa couleur, la valeur du « ça » se trouve
immédiatement modifiée. Et le « ça » de Camilleri devient celui de Marcel !
L’analyse du document ci-dessus nous oblige à clarifier la notion de
contexte, à choisir entre deux hypothèses méthodologiques.
Si nous comprenons le contexte dans le sens étroit de cotexte verbal
endophorique, le texte comme objet est réduit aux mots qu’il manifeste. La tâche
rouge du document ci-dessus est dans cette hypothèse considérée comme un
élément de la situation et le pronom « ça » du texte sera considéré comme
déictique.
Si, au contraire, nous comprenons le texte comme un objet sémiotique,
nous nous débarrassons d’une conception logocentriste du texte, et nous posons
que le texte d’emblée, dans sa mise en forme, prévoit les mots, la présentation et
les illustrations graphiques. Le « ça » dans le document ci-dessus est alors
considéré comme anaphorique et provoque un renvoi endophorique.
C’est la deuxième hypothèse méthodologique que nous retenons et nous en
tirons les conséquences : le contexte inclut le cotexte quelque soit le code mis en
œuvre. Il inclut ainsi le paratexte, c’est-à-dire les notes de bas de page, les
didascalies des pièces de théâtre, la présentation, les titres. Ce paratexte peut
correspondre au péritexte, mais absolument pas à l’épitexte de Genette21.
La notion d’hypertexte est également polysémique. Genette l’illustre
notamment par la reprise, par la parodie. Mais il est une entrée nouvelle de
l’hypertexte qui nous arrive de l’informatique. Celle-ci ne doit rien à la typologie
de Genette, mais enrichit la réflexion sur le texte. L’hypertexte peut qualifier un
mode de structuration (réticulaire), peut qualifier également un cyberespace, un
espace à n dimensions22. L’hypertexte est un texte non linéaire, est aussi un texte
21 Pour Gérard Genette, le paratexte comprend le péritexte et l’épitexte. Par épitexte, il faut
entendre, par exemple, la correspondance, les entretiens de l’auteur. 22 cf. LAUFER, Roger, SCAVETTA, Domenico : Hypertexte Texte,, Hypermédia, Paris,
PUF, coll. Que sais-je? , n° 2629, 1ère édition, 1992, pp. 3-4.
Une première définition très "classique":
Le texte est un ensemble de paragraphes successifs, réunis en articles ou chapitres,
imprimés sur du papier et qui se lisent habituellement depuis le début jusqu'à la fin.
Un hypertexte est un ensemble de données textuelles numérisées sur un support
électronique, et qui peuvent se lire de diverses manières. Les données sont
réparties en éléments ou noeuds d'information - équivalents à des paragraphes.
Mais ces éléments, au lieu d'être attachés les uns aux autres comme les wagons
d'un train, sont marqués par des liens sémantiques, qui permettent de passer de l'un
à l'autre lorsque l'utilisateur les active. Les liens sont physiquement "ancrés" à des
zones, par exemple à un mot ou une phrase.
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18
ouvert. Nous pensons que l’arrivée via l’informatique de l’hypertexte viendra
modifier à terme notre conception de l’écriture et de la lecture.
Nous avons pris du temps pour tenter de clarifier un champ extrêmement
prolifique en préfixes. Sous cette richesse terminologique, se pose à notre sens la
question du texte, du cœur du texte. Que doit-on considérer comme faisant partie
du texte (endophorique) ou étant extérieur (exophorique) ?
Conclusion : Le texte comme ensemble cohérent de phrases
L'exigence essentielle que doit manifester le texte est la cohérence. C'est la
cohérence qui fait d'une suite de phrases donnée non une suite aléatoire, mais
une suite organisée, logique. Lita Lundquist écrit:
"La cohérence fait partie de la compétence linguistique de deux manières: d'une
part, l'homme est capable de produire des textes, c'est-à-dire des suites cohérentes
de phrases, d'autre part, il est en mesure de décider si une suite de phrases est
cohérente ou non et si elle constitue un texte ou non.
C'est cette conception de la cohérence qui a fait dire à Maingueneau23 :
" La cohérence ne serait-elle pas pour le texte le concept équivalent de celui de
grammaticalité pour la phrase?"
Le texte, qui est ainsi défini comme une suite cohérente de ses phrases, peut se
réduire à la représentation formelle suivante:
Texte= Ph (+ C + Ph + C + .... Phn).
Le "C" de cette formalisation est à concevoir comme le fait de cohérence, comme
le lien cohésif, comme l'élément de connexion interphrastique."
(op. cit., p.10 )
Un seconde, des mêmes auteurs, moins "immédiate":
Le préfixe "hyper" est pris dans le sens mathématique d'"hyperespace", c'est-à-dire
d'espace à n dimensions. Pas plus qu'un hypercube, un hypertexte ou un
hypermédia n'est directement accessible à nos sens en tant que tels. Le
lecteur/visionneur, au fil de sa consultation, en extrait des pages, des images et des
sons, dont la suite constitue sa version personnelle, son point de vue sur
l'hypertexte.
23 MAINGUENEAU, Dominique: Initiation aux Méthodes de l'Analyse du Discours, Paris,
Hachette, 1976.
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Critère générique et universellement admis24 , la cohérence, se révèle à
l'usage difficile à manipuler car globale, ressortissant à l'évaluation de la macro-
structure du texte. La cohérence pour le texte, tout comme la grammaticalité
pour la phrase, exige donc une décomposition.
Nous proposerons à cet effet 4 (sous)critères.
Le premier est l'homogénéité thématique. La cohérence d'un texte ne résiste
pas à l'hétérogénéité. Un texte doit parler de quelque chose, d'un “sujet”, ne peut,
pour reprendre l'expression française consacrée, "sauter du coq à l'âne"25 .
Articulé au premier est le second critère, le critère de progression. Un texte
doit "avancer", manifester une dynamique. Nous développerons les notions
d'homogénéité thématique et de progression dans les chapitres 2 et 3.
Un texte doit également respecter le principe de clôture. Celui-ci se trouve
nécessairement au niveau global du texte, d'une entité qui doit ce statut au fait de
posséder une introduction, un développement et une conclusion. Les modes de
manifestation de la clôture sont multiples: graphiques, rhétoriques et
grammaticaux; ils fonctionnent également pour délimiter des parties dans un
texte long (cf. le paragraphe, par exemple). Nous y reviendrons au chapitre 4.
Un quatrième critère mérite notre attention: un texte doit avoir un type, une
identité institutionnelle. Reprenant Halliday et Hasan, Jean-Michel Adam note
que la "compétence textuelle générale se double d'une compétence spécifique, en
quelque sorte typologique"26 . Un lecteur sait distinguer différents genres de
textes, indépendamment de leur contenu référentiel. Par voie de conséquence, un
scripteur doit respecter les "lois du genre". Notre chapitre 4 développe la
question des typologies, typologies où les notions de texte et de discours restent
en concurrence.
L'ordre de présentation des 4 (sous)critères est méthodologiquement
significatif. Deux attitudes descriptives sont envisageables. Il est possible
d'aborder le texte en allant du local au global, de commencer par l'analyse des
relations transphrastiques. A l'inverse, on peut prendre appui sur l'approche
globale du texte, sur la planification. Ces deux perspectives semblent justifier
l'opposition faite entre les niveaux micro- et macro-textuel, entre la grammaire
du texte et la linguistique textuelle. Une telle opposition n'est pas sans poser une
question méthodologique difficile: comment justifier le passage ou la mutation
24 voir, par exemple, CHAROLLES, Michel : "Introduction aux Problèmes de la Cohérence
des Textes", in revue Langue Française, n° 38, Paris, Larousse, 1978, pp. 7-41.
25 L'expression "sauter du coq à l'âne" est idiomatique, mais nombre de langues proposent des
expressions similaires, des synomymes. D'où le postulat d'une exigence textuelle générale.
26 ADAM, Jean-Michel (1990), p. 15.
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du micro- au macro-textuel? C'est là une problématique qui dépasse largement le
présent domaine, une problématique que l'on retrouve en épistémologie quand,
au nom du principe holistique, on fait valoir que la valeur d'un tout n'est pas
réductible à la somme des valeurs de ses parties, ou constituants27 .
Activités d’approfondissement pour le chapitre 1
1. Si elle est un critère communément admis, la cohérence est déclinée
avec des variations sensibles selon les auteurs.
Ainsi, Michel Charolles propose 4 métarègles :
1. Méta-règle de répétition (MRI) : Pour qu’un texte soit microstructurellement ou
macrostructurellement) cohérent, il faut qu’il comporte dans son développement
linéaire des éléments à récurrence stricte….
2. Méta-règle de progression (MR II) : Pour qu’un texte soit microstructurellement ou
macrostructurellement cohérent, il faut que son développment s’accompagne d’un
apport sémantique constamment renouvelé.
3. Méta-règle de non-contradiction (MR III) : Pour qu’un texte soit microstructurellment
ou macrostructurellement cohérent, il faut que son développement n’introduise aucun
élément sémantique contredisant un contenu posé ou présupposé par une occurrence
antérieure ou déductible de celle-ci par inférence.
4. Méta-règle de relation (MR IV) : Pour qu’une séquence ou qu’un texte soient
cohérents, il faut que les faits qu’ils dénotent dans le monde soient reliées.
"Introduction aux Problèmes de la Cohérence des Textes", in revue Langue Française, n° 38,
Paris, Larousse, 1978, pp. 7-41.
Essayez d’illustrer ces 4 méta-règles en allant puiser dans vos
souvenirs d’élève ou de professeur, en songeant à vos rédactions ou
dissertations, notamment aux commentaires critiques écrits en rouge
sur vos copies.
2. Voici une « brève de comptoir » de Jean-Marie Gourio28 :
27 voir ADAM, Jean-Michel (1990), pp. 15-19. 28 Appellations données à ces petites histoires populaires entendues dans les lieux publics, notamment dans les
cafés.
Exemple: Ce qu'il a de bien quand tu vas dans le désert, c'est que t'es pas obligé d'apprendre la langue!
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21
- Vous avez du mal à marcher?
- Les jeunes filles me couraient après!
- Y pas que dans le Sud que ça vante.
- C’est le beaujolais.
- Y en a dans le monde entier du beaujolais, comment vous voulez...
- C’est grand le Beaujolais.
- Moins que le monde entier alors... j’ai été enregistrée au Panthéon
- De?
- Je suis née au Panthéon... Je suis née là où il y a en a qui meurent.
- C’est grand le Beaujolais comme région.
- On y passera tous...
- Je bois du bourbon...
- C’est pour ça...
- Non ça n’a rien à voir... mes jambes, c’est mes jambes...
- On y passera tous.
- Moi j’y suis déjà...
- C’est un vin qui représente la France...
- Surtout pour prendre l’avion, je bois ma demie-bouteille de whisky.
- Vous voyagez encore?
- Pas en ce moment, je bois de la bière.
- ... le beaujolais.
- Quelle chaleur.
- C’est l’orage.
- En avion, c’est l’horreur ça, et pourtant ça fait cage de Faraday
- Quand vous êtes en l’air, ça change rien.
Jean-Marie GOURIO, Brèves de Comptoir 1998 , Paris, Michel Lafon,
Ce document vous semble-t-il mériter le qualificatif de texte ?
3. Une carte routière est-elle, selon vous, un texte ?
Ces Brèves de Comptoir font l'objet d'une publication de Jean-Marie GOURIO chaque année. Un florilège de ces
Brèves de Comptoir a été mis en scène par Jean-Michel RIBES dans un théâtre parisien.
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(La question 3 ressemble de fait à la question 2 mais elle sollicite des
arguments différents … et complémentaires)
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Chapitre 2 . La Cohésion Textuelle
L'homogénéité d'un texte peut s'évaluer aux niveaux macro et micro-
structurel. Les notions méthodologiques que la linguistique textuelle propose
pour en rendre compte sont quelque peu instables et peuvent varier selon les
auteurs.
Nous pouvons nous appuyer sur Lundquist:
"Essentielles pour la cohérence textuelle sont les notions suivantes:
- la (co-)référence,
- la contiguité sémantique,
- les connecteurs." (1980, p. 28)
Mais les outils ici dégagés ressortissent à l'analyse des relations intra et
interphrastiques, à ce que J-M. Adam appelle la connexité:
" A la relation linéaire de connexité intra et inter-phrastique, il faut bien ajouter
une relation non linéaire de cohésion-cohérence, construction élaborée par
l'interprétant à partir d'éléments discontinus du texte." (1990, p. 14).
La connexité de J-M. Adam semble correspondre à ce que d'autres auteurs
comme Halliday et Hasan29 et Widdowson30 appellent la cohésion.
Sans vouloir trancher un débat terminologique, il nous apparaît que le
terme cohésion présente l'avantage d'être moins large que celui de cohérence et
plus communément admis que celui de connexité. Nous le reprendrons donc à
notre compte en ajoutant que notre analyse de la cohésion se fondera sur la
syntaxe et la sémantique, reprendra les notions de (co) référence, de contiguité
29 HALLIDAY, M.A.K. et HASAN R.: Cohesion in English, Londres, Longman, 1976.
30 WIDDOWSON, H.G.: (Traduction Française) Une Approche Communicative de
l'Enseignement des Langues, Paris, Hatier, 1981.
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sémantique et de connecteurs annoncées par Lundquist, ces notions qui illustrent
les liens cohésifs qui font d'une suite de phrases un texte.
2.1. Référence et Coréférence.
La référence est une problématique largement débattue en philosophie. On
peut notamment se reporter aux travaux de Russell, de Frege, à l'ouvrage de
synthèse de Léonard Linsky31 , au Dictionnaire Encyclopédique des Sciences du
Langage32 . C'est à la philosophie qu'on doit, par exemple, les énoncés célèbres
comme "Le chat est sur le paillasson" et "L'(actuel) roi de France est chauve",
énoncés repris dans les approches logiciennes de la pragmatique. Il faut donc
distinguer dans la pragmatique des philosophes, ces approches formalistes des
approches empiristes où l’on prend en compte non le langage tel qu’il devrait
être et qui est susceptible d’être soumis à des conditions de vérité, mais le
langage ordinaire qui a pour visée d’être socialement efficace. C’est le sens de la
démarche du philosophe anglais Austin33 qui oppose les énoncés performatifs à
ceux constatifs, de travaux dont se réclame largement aujourd’hui la didactique
des langues avec les actes de parole.
Pour la linguistique, la référence peut être définie comme la procédure ou
fonction par laquelle le langage renvoie au monde, c'est-à-dire à la réalité extra-
linguistique réelle ou imaginaire. La fonction référentielle est posée par certains
linguistes (Martinet et Mounin, par exemple) comme essentielle, centrale. La
fonction référentielle est alors confondue avec la fontion de communication.
Cette attitude méthodologique peut apparaître excessive et Jakobson, dans son
fameux schéma de la communication34 , refuse de faire de la fonction
référentielle la fonction rectrice des cinq autres.
La tradition sémiotique fait également une place à la référence et les
ouvrages de linguistique textuelle ne manquent pas de citer le triangle
sémiotique d'Odgen et
31 LINSKY, Leonard: (Traduction Française) Le Problème de la Référence, Paris, Le Seuil,
1974.
32 DUCROT, Oswald et TODOROV Tzvetan: Dictionnaire Encyclopédique des Sciences du langage, Paris, Le
Seuil, coll. "Points", 1972, pp. 317-324.
33 AUSTIN, John Langshaw : Quand dire, c’est faire, Paris, Le Seuil, 1970.
34 JAKOBSON, Roman: Essais de Linguistique Générale, Tome 1: Les Fondations du
Langage, Paris, Ed. de Minuit, 1963.
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Richards :
THOUGHT (or REFERENCE)
symbolises refers to
(a causal relation) (other causal relation)
SYMBOL stands for REFERENT
(an imputed relation)
Ce schéma reprend le triangle proposé par Peirce 35:
OBJET
« Réel, imaginable ou inimaginable »
(ex : la ville de Grenade »)
REPRESENTAMEN INTERPRETANT
image sonore ou visuelle image « mentale » associée
d’un mot (« grenade) avec ou sans mot (« ville »)
ayant ayant
une signification une signification reçue qui
indéterminée ou incomplète détermine ou complète
Le triangle sémiotique permet d'opposer à la conception saussurienne du
signe, une conception ternaire, où le référent s'ajoute au signifiant et au signifié,
35 PEIRCE: (Traduction française et commentaire de G. DELEDALLE) Ecrits sur le Signe,
Paris, Le Seuil, 1978, p. 229.
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pour constituer un signe "global". Comme Lundquist, mais pour des raisons
différentes36 , nous préférons la conception classique et binaire du signe
linguistique. La référence est l'acte de désignation du monde par le signe. La
référence introduit donc la réalité extralinguistique, une réalité qui a pour nom
référent. Le référent est nécessairement externe au signe. Nous ne voulons pas
confondre l'univers du signe et celui des objets, les mots et les choses.
Nous proposons donc une nouvelle forme de triangle sémiotique:
Référent
Pensée
Signifiant Signifié
La référence devient à partir de là l'un des paramètres de la conjoncture
linguistique, de la performance, de la parole, mais reste externe à la langue, au
signe proprement dit. C'est la raison pour laquelle, la référence est recherche
d'adéquation du langage au monde, recherche toujours avortée, approximative,
d'où le recours à cette autre fonction du langage qu'est la fonction
métalinguistique, fonction centrée sur le signifié, fonction qui vise en quelque
sorte à corriger les impropriétés du code.
Un exemple permettra de saisir la disjonction entre le langage et le monde,
entre les mots et les choses. Soit la couleur verte, soit le vert. Du point de vue de
la réalité, cette couleur se saisit dans un continuum chromatique, celui que
manifeste l'arc-en-ciel. Il est impossible de compter les couleurs. La désignation
de celles-ci se fait donc nécessairement par le langage, par la référence. Le
langage, une langue en l'occurrence, vient découper arbitrairement le continuum
chromatique naturel. D'où le fait bien connu que les langues humaines découpent
différemment les couleurs. Les langues comme le breton et le kabyle auront ainsi
un seul mot pour ce que le français distingue avec les mots bleu et vert. Et cette
particularité linguistique n'indique évidemment pas une insuffisance visuelle des
bretons ou des kabyles, n'interdit évidemment pas à ceux-ci de distinguer le bleu
36 cf LUNDQUIST, 1980, pp. 7- 8.
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et le vert tant avec leurs yeux qu'avec les métaphores de leur langue. Le kabyle
dira "comme la mer" pour le bleu et "comme l'herbe" pour le vert.
Le langage à ce niveau est représentation de la réalité et ne saurait se
confondre avec celle-ci. Et il faut comprendre langage dans un sens large.
Un tableau célèbre de Magritte n’a pas manqué d’attirer des remarques
pour sa « légende » : « ceci n’est pas une pipe ». Le lecteur retrouvera facilement
cette œuvre et les nombreux commentaires qu’elle a suscités en utilisant son
moteur de recherche favori sur internet. Il suffit de mettre en œuvre les
algorithmes booléens avec AND ou ET.
Exemple de requête : Magritte AND pipe
On peut vouloir trouver dans cette œuvre la manifestation d’une facétie,
une pratique chère aux surréalistes. Mais il est possible de prendre cette légende
pour une analyse qui vient constater qu’en peinture, quand bien même figurative,
quand bien même réaliste, la représentation ne produit pas, ne reproduit pas des
objets, mais ne fait que les représenter. Cette pipe de Magritte, même
ressemblante, n’est pas « fumable ». La peinture - plus généralement l’art - est
en ce sens langage et, comme le langage, est représentation, n’est pas fusion
avec la chose.
Le signe linguistique est caractérisé par cette impropriété et l’homme a du
mal à accepter cette donnée. Nous retrouvons le vieux débat entre les analogistes
et les anomalistes sur la raison du nom. C’est le thème du Cratyle de Platon37 :
HERMOGENE
Cratyle, que voici, prétend, Socrate, qu’il y a pour chaque chose un
nom qui lui est naturellement approprié et que ce n’est pas un nom que
certains hommes lui ont attribué par convention, en lui appliquant tel ou tel
son de leur voix, mais que la nature a attribué aux noms un sens propre, qui
est le même chez les grecs et chez les barbares. Je lui demande donc, moi, si
Cratyle est, ou non, son nom véritable. Il dit que oui. Et celui de Socrate? ai-
je dit. - C’est bien Socrate, a-t-il répliqué. - Et pour tous les autres hommes,
le nom dont nous appelons chacun d’eux, c’est bien le nom de chacun? - Et
lui : “Non, pas pour toi, m’a-t-il répondu : ton nom n’est pas Hermogène,
même si tout le monde t’appelle ainsi. “Et comme je l’interroge, vivement
désireux de savoir ce qu’il peut vouloir dire, au lieu de s’expliquer, il me
traite avec ironie et il feint d’avoir une pensée de derrière la tête, comme s’il
savait sur ce sujet quelque chose qui, s’il voulait le dire, me forcerait à
l’approuver et à dire comme lui. Si donc tu as quelque moyen d’interpréter
l’oracle de Cratyle, j’aurai du plaisir à t’entendre, mais j’en aurai encore
davantage à apprendre de toi ce que tu penses sur la justesse des noms, si tu
veux bien le dire. 37 PLATON, Dialogues, Cratyle, Paris, Garnier-Flammarion, 1967, pp.391-392.
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SOCRATE
Fils d’Hipponicos, Hermogène, c’est un vieux dicton que les belles
choses sont difficiles à connaître en leur essence, et en particulier l’étude des
noms n’est pas une petite affaire. Ah! si j’avais déjà entendu de la bouche de
Prodicos la leçon de cinquante drachmes qui, à ce qu’il prétend, renseigne
pleinement ses auditeurs sur la question, rien ne t’empêcherait de savoir
immédiatement la vérité sur la justesse des noms, mais je n’ai entendu que la
leçon à une drachme. Aussi je ne sais pas ce que peut être la vérité en ces
matières ; mais je suis prêt à chercher en commun avec toi et Cratyle. Quant
à ce qu’il dit, qu’Hermogène n’est pas véritablement ton nom, j’ai comme
un soupçon qu’il plaisante. Il entend peut-être par là que tu cours après la
fortune et que tu la manques toujours38 . Mais je le répète, ces sortes de
questions sont difficiles à débrouiller. il faut donc réunir nos efforts pour
examiner si c’est toi qui as raison, ou si c’est Cratyle.
HERMOGENE
Pour moi, Socrate, après en avoir souvent raisonné et avec lui et
avec beaucoup d’autres, je ne saurais me persuader que la justesse du nom
soit autre chose qu’une convention et un accord. Il me semble que, quel que
soit le nom qu’on donne à une chose, c’est le nom juste, et que, si par la
suite on en met un autre à la place et qu’on renonce à celui-là, le second n’en
est pas moins juste que le premier. C’est ainsi que nous changeons le nom de
nos serviteurs, sans que le nom substitué soit en aucune façon moins propre
que celui qu’ils avaient reçu d’abord. Car aucun objet ne tient jamais son
nom de la nature, mais de l’usage et de la coutume de ceux qui l’emploient
et qui en ont créé l’habitude. S’il en est autrement, je suis, pour ma part, prêt
à m’instruire et à l'entendre non seulement de la bouche de Cratyle, mais de
n’importe quel autre.
L’une des premières questions que se posent les hommes sur le langage et
les langues concerne le rapport du mot, du nom à la chose et l’attitude analogiste
pose qu’il y a un lien “naturel” entre le nom et la chose que désigne ce nom.
Hermogène - littéralement, fils d’Hermès - ne pourrait s’appeler Hermogène car
sa vie ne ressemble en rien à celle attribuée au dieu grec Hermès, célèbre
notamment pour sa ruse et son habileté. Or Hermogène ne connaît pas la réussite
sociale ou matérielle. C’est ce que veut signifier Cratyle.
Si nous admettons facilement aujourd’hui l’impropriété et l’arbitraire du
signe, il faut quand même accepter l’idée que le souci analogiste est présent chez
tout locuteur. L’une des rationalités que nous donnons au langage, dans l’usage
effectif que nous en faisons, est le mythe et celui-ci est inhérent à la fonction
référentielle, à la représentation. C’est un argument défendu notamment par
38 Par quel hasard Hermogène, fils du riche Hipponicos, fut-il réduit à la pauvreté, nous
l’ignorons. Son frère Callias était au contraire extrêmement riche. (cf. note du traducteur, p.
498)
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Ernst Cassirer39. Le souci analogiste a pu être posé comme la manifestation
d’une pensée archaïque, mais nous pensons qu’il reste présent dans nos
productions actuelles. Ne disons-nous pas de quelqu’un qu’il est bien ou mal
nommé ! Ne plaisantons-nous pas avec le nom des choses et des personnes !
Complexe d’Œdipe aggravé pour Monsieur Périllat, car dans « Périllat » il y a
« père il y a » et « péril y a » ! Nous n’avons fait ici que reprendre un exemple
cité dans un pamphlet contre Jacques Lacan40.
39 CASSIRER, Ernst : Language and Myth, New-York, Dover Publications, 1953.
- « Le langage et la construction du monde et des objets », in Essais sur le Langage,
Paris, Ed. de Minuit, 1969, pp. 37-68.
- Substance et fonction. Eléments pour une théorie du concept, Paris, Ed. de Minuit,
1977. -
40 GEORGE, François : L’effet « y’au de poêle ». De Lacan et des lacaniens, Paris, Hachette,
1979.
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Le document ci-dessus41 représente Marc l’Evangéliste avec une tête de
cheval. Comme l’indique l’auteur de cette histoire de la Bretagne à qui nous
avons emprunté cette enluminure, il y a homophonie entre le nom de Marc et le
mot breton qui désigne le cheval en breton (mac’h). On peut s’en étonner si l’on
prend en considération que l’emblème de Saint Marc est le lion (cf. le lion de la
place Saint Marc à Venise, cf. le martyre de l’évangéliste qui fut jeté aux lions).
Mais à Penmarc’h, dans ce port du Finistère, Marc perd son bestiaire originel et
fait l’objet d’un jeu de mots en breton. Et le lion se fait cheval.
Autre exemple emprunté au contexte breton. Parmi les saints vénérés en
Bretagne, Saint Gurloës (en breton Sant Urlou), premier abbé ou prieur de
l’abbaye bénédictine de Sainte-Croix à Quimperlé, mort en 1057, est vénéré
comme saint guérisseur. Il est en particulier invoqué et sollicité pour la maladie
de la goutte, maladie qui se nomme « urloù » en Breton. Il semble bien qu’ici
l’habit ait fait le moine.
La pensée mythologique se manifeste plus souvent qu’on ne le croit. Elle
est dans l’étymologie42, dans la sociolinguistique
43 et dans le langage ordinaire
quand nous prenons les mots au pied de la lettre. Et Raymond Devos sommeille
en chacun d’entre nous.
Nous saisissons que la question de la référence dépasse largement la
linguistique textuelle et touche à l'essence même du langage. Le long
développement que nous venons de consacrer à la référence aura une incidence
sur notre conception de la coréférence.
La référence est procédure de renvoi du langage au monde, d'ancrage du
texte dans le monde. C'est la référence qui permet à un texte de parler de quelque
chose. La référence est renvoi externe, exophorique. Elle se distingue de la
coréférence qui est le renvoi d'un segment du texte à un autre segment du même
texte. La coréférence est interne, endophorique. La référence est renvoi à la
situation et au monde. La coréférence est renvoi au contexte, au co-texte.
TEXTE
Référence Coréférence
Monde Cotexte
Situation extra-textuelle Contexte intra-textuel
41 Cité par ELEGOUET, Louis : Bretagne. Une histoire, Rennes, CRDP, 1999, p. 56.
42 Voir GUIRAUD, Pierre : L’étymologie, Paris, Puf, Coll. « Que Sais-je ? », n° 1122, 3
ème
édition, 1972, 1972 (voir chapitre 1). 43 Cf. la théorie du reflet, par exemple.
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A l'intérieur du texte, le renvoi peut fonctionner d'aval en amont, ou
inversement. La coréférence sera de type anaphorique dans le premier cas; de
type cataphorique dans le second (cf. ci-dessous):
"Quand je serai grand, j'irai là." Et le doigt de l'enfant, après avoir glissé sur la
carte, s'arrêta à la frontière d'un pays d'Afrique équatoriale. Autour de lui, les
gosses se mirent à rire. Ah, ce Josef Teodor Konrad Korzeniowski, il était
vraiment impayable!...
Le Nouvel Observateur
Pour Josef Teodor Konrad Korzeniowski, nous avons je, j', l'enfant, lui en
position cataphorique; il en position anaphorique.
Procédure de reprise d'un même élément au fil du texte, la coréférence
assure en quelque sorte la trame, la "texture" de l'entité textuelle. Un segment du
texte peut renvoyer à un référent extra-textuel et être lui-même l'objet d'un
renvoi intratextuel de la part d'un autre segment du texte, être le référé d'un
référant.
(Monde) (Texte)
Référent Référant / Référé Référant
Référence Coréférence
Lunquist note : « Le passage de la référence à la coréférence se conçoit comme le
passage d’une relation externe à une relation interne : tandis que par la
référence, le locuteur crée une relation entre le texte et la réalité, il établit par
la coréférence des relations entre des éléments textuels. L’on constitue
d’abord, par la référence externe, le thème du texte, pour le faire évoluer
ensuite en une structure thématique par la coréférence. »
(1980, p.31)
Mais cette position ne nous apparaît pas pleinement compatible avec celle
proposée toujours par Lundquist dans le même ouvrage :
« Nous appelons coréférence le fait que plusieurs instances
linguistiques se réfèrent à un même objet du monde extralinguistique. »
(1980, p. 29) ou avec celle du Dictionnaire Larousse de Linguistique
44 :
44 Paris, Larousse, 1973, p.128.
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co-référence : Lorsque l’on a une phrase comme Pierre regarde
Pierre dans la glace, Pierre sujet et Pierre objet peuvent représenter la même
personne ; ils ont en ce cas le même référent ; ils sont co-référents au même
« objet ».
L’exemple choisi nous ramène façon exemplaire à la problématique de la
représentation. Ce Pierre-objet représente-t-il la même chose que ce Pierre-
sujet ? Pierre en tant que personne se confond-t-il avec l’image que lui donne,
que réfléchit le miroir ? Et avons-nous réellement la personne dans le Pierre-
sujet ? Nous avons plus précisément dans les deux occurrences de Pierre des
mots, des segments de texte. Le développement peut sembler abstrait, mais
l’analyse d’autres exemples peut révéler l’importance méthodologique de la
conception de la coréférence.
Soit l’extrait de texte ci-dessous : L’unique passion de Michel Strogoff était pour sa mère.... Lorsque son
fils la quitta, ce fut le cœur gros, mais en lui promettant de revenir toutes les
fois qu’il le pourrait, - promesse qui fut toujours religieusement tenue.
Jules VERNE, Michel Strogoff (extrait)
Si nous prenons appui sur la définition de la coréférence comme procédure
de renvoi interne qui fait qu’un segment du texte renvoie à un autre segment du
même texte, le segment sa mère est référant (anaphorique) du segment Michel
Strogoff (référé). Et son fils est référant (anaphorique) de sa mère. Nous nous
appuyons dans cette analyse sur des marques, les adjectifs possessifs en
l’occurrence. Bien entendu la solidarité des segments n’oblige pas à l’identité
référentielle. Nous ne confondons pas Michel Strogoff avec sa mère, ni son fils
avec sa mère. Nous posons seulement que le texte met en relation des segments,
met en relation des référants avec des référés.
Quand on pose la coréférence comme renvoi de segments d’un texte à un
même référent, on se situe sur un autre plan, on se place plus au niveau des
choses que des mots. Nous n’utiliserons pas pour cette raison le concept de
coréférent. Nous lui préfèrerons celui de référant.
Pour la même raison, nous considérons qu’il est impossible d’illustrer ou
d’exemplifier un référent, car cela exige une activité de représentation,
notamment par le langage.
Une conception strictement endophorique de la coréférence permet à notre
sens de mieux faire comprendre la construction progressive des réseaux qui vont
constituer la texture, la trame du texte, d’éviter une conception « décousue » de
la texture (cf. schéma ci-dessous).
Référent a TEXTE
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coréférent-a-1
Phrase 1 coréférent-a-2
coréférent-b-1
Référent b
coréférent –b-2
Phrase 2 coréférent-a-3
coréférent-a-4
… …
Référent n
Phrase n coréférent-n-1
coréférent-a-n
Une conception endophorique de la coréférence ne met pas en avant des
coréférents, mais des référants qui lient les segments d’un texte de phrase en
phrase.
Un référant peut ainsi devenir lui-même le référé d'un autre référant. Un
rapide exemple permet d'illustrer ceci:
Soit un texte où nous avons en phrase 1 "un homme à mine patibulaire". Je
peux avoir dans la seconde phrase "le bandit" et dans la troisième "il".
TEXTE
Phrase 1
Référent (Référence) Référé (un homme à mine patibulaire)
Phrase 2
Référant et Référé (le bandit)
(Coréférence)
Phrase 3
Référant (il)
(Coréférence)
Pour ce texte, "le bandit" est à la fois référé et référant, selon le segment
auquel je le rattache par coréférence.
Dans l’exemple proposé ci-dessus, on pourrait être tenté de retenir le
concept de coréférents pour les 3 segments reliés, mais sur l’extrait emprunté à
Jules Verne, on saisit mieux la différence :
L’unique passion de Michel Strogoff était pour sa mère....
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Lorsque son fils la quitta,ce fut le cœur gros,
mais en lui promettant de revenir toutes les fois qu’il le pourrait,
promesse qui fut toujours religieusement tenue.
Le fils atteint Michel Strogoff via la mère.
La référence permet d’introduire un élément nouveau dans un texte et il
appartient à la coréférence de le développer. La référence se manifeste très
souvent par des substantifs (cf. un homme à mine patibulaire, Michel Strogoff).
Les substantifs permettent l'acte de référence en découpant le continuum
sensible du monde. La référence peut également être effectuée par les déictiques,
ces éléments linguistiques qui n'ont pas de valeur en langue, mais dans l'acte de
parole, dans l'instant de l'énonciation. C'est le cas des adverbes spatio-temporels
(ex: "ici", "maintenant"), des pronoms personnels (ex: "je", "tu"), des pronoms
démonstratifs (ex: "ça"). Ces déictiques, pour fonctionner, pour référer,
supposent l'évidence de la situation pour les interlocuteurs. On les trouve donc
de manière spectaculaire dans l'oral spontané, dans la conversation en face à
face. D'où les commentaires qu'on doit nécessairement ajouter à la transcription
brute de certains dialogues. Si Jean dit "tu" devant Paul et Marcel, "tu" reste
ambigu tant qu’on ne précise pas à qui s'adresse précisément Jean. On ajoutera
donc une parenthèse en italiques avec, par exemple, après Paul "se tournant vers
Marcel".
L'analyse de la référence, en dehors du cas particulier des déictiques, nous
conduit à nous intéresser aux substantifs, aux syntagmes nominaux plus
précisément, car ce sont les déterminants du substantif, du noyau du syntagme
nominal, qui nous permettent de distinguer la référence de la coréférence.
Soit l'extrait de texte suivant:
Un nouvel accident mortel en scooter des mers, le troisième en cinq ans en
méditerranée, a coûté la vie lundi soir à Calvi (Haute-Corse), à un adolescent de
17 ans qui, les vertèbres cervicales brisées dans une collision avec un autre
appareil, n'a pu être réanimé...
L'accident est survenu lorsque le scooter piloté par la victime est entré en
collision, à 5OO m de la plage, avec celui de l'une de ses camarades...
Ce fait divers paru dans un quotidien régional, vient manifester nombre de
groupes nominaux, avec des expansions diverses utilisant des adjectifs, des
compléments de nom, des propositions relatives. Hors le cas particulier du nom
propre, le nom est précédé d'un déterminant obligatoire qui est ici l'article, mais
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qui pourrait être également un adjectif démonstratif, possessif, numéral, ou
indéfini.
Au début du texte les noms accident et adolescent apparaissent avec un
article indéfini, lequel n'indique pas l'indétermination ou l'imprécision du nom,
mais permet d'introduire dans le texte un référent. Ceci explique que le texte ci-
dessus ne puisse pas proposer dans sa première phrase Le nouvel accident... ou
l'adolescent de 17 ans. L'article défini, bien sûr, peut déterminer
grammaticalement le nom d'un référent ontologiquement unique (cf. le soleil),
mais, le plus souvent, dans un texte, l'article défini signale que le nom ainsi
déterminé renvoie à un autre placé en amont du même texte, indique par là un
énième renvoi à un référé. C'est le cas pour L'accident que nous trouvons au
début du second paragraphe de notre extrait. Après Un nouvel accident mortel et
une collision, il n'est plus possible d'avoir à cette place avec accident l'article
indéfini. L'accident est coréférentiel; un accident, référentiel. Et la coréférence
vient après la référence. La distribution dans le texte des déterminants permet de
reconnaître l'ordre des noms dans un texte, permet de reconstituer l'ordre originel
d'un texte mis en puzzle.
Les noms propres posent un problème particulier dans la mesure où,
grammaticalement, ils n'exigent pas de déterminants. Ces noms propres réfèrent
à des lieux ou des personnes. Deux hypothèses sont à considérer, selon que le
référent visé présente ou non un caractère d'évidence. C'est le cas pour Calvi
dans notre extrait. Le lecteur d'un quotidien régional français est présupposé
familier de la géographie française. Quand le référent visé est présupposé
"confidentiel", le texte doit impérativement accompagner le nom propre de
précisions, le faire précéder ou suivre immédiatement d'un nom commun. Dans
l'extrait ci-dessus, l'identité de l'adolescent apparaît après un adolescent de 17
ans. Possible, mais moins probable, est la disposition où l'identité est
immédiatement suivie du nom commun, où le nom commun est placé en
apposition.
Il convient d'ajouter que le caractère d'évidence n'est pas toujours...
évident. La communication repose pour part sur des connaissances partagées et
nombre de malentendus procèdent des savoirs différents conscients et surtout
insconscients des partenaires. Il est intéressant de noter dans le texte cité que le
journaliste a fait suivre le nom propre Calvi de la localisation départementale
(Haute-Corse). De là, on peut induire que le lecteur pressenti de ce fait divers
n'est pas de la région, n'est pas corse. Il est en l'occurrence celui d'un quotidien
breton, du Télégramme de Brest et de l'Ouest. L'accident aurait eu lieu à Brest,
qu'il n'y aurait pas eu (Finistère) après le nom de la ville.
Il est remarquable que le nom propre dont il est dit qu'il désigne un référent
unique n'est pas obligatoirement référentiel dans un texte45. Il ne l'est qu'à la
45 La linguistique générale qualifie le nom propre d’ « autoréférentiel », signifiant par là qu’il désigne un objet
extralinguistique unique. Le nom propre se distinguerait en cela du nom dit commun caractérisé quant à lui par la
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condition de répondre à la condition d'évidence, à une condition difficile à
évaluer et fluctuante. Les savoirs varient dans le temps, l'espace et la société (cf.
les trois axes de la variation sociolinguistique), sont la propriété particulière
d'individus particuliers.
Marques significatives sont également les adjectifs qui accompagnent le
nom. A la fin du second paragraphe de notre extrait, nous lisons ses camarades.
L'adjectif possessif ses fait du nom camarades un coréférent d'un autre nom, de
victime en l'occurrence. Dans les textes, nous avons des coréférences du même
type avec les adjectifs démonstratifs. Les adjectifs numéraux présentent un
fonctionnement quelque peu particulier. Non précédé de l'article défini, l'adjectif
numéral indique une référence et peut être considéré comme l'équivalent d'un
déterminant obligatoire du nom, d'un déterminant indéfini plus précisément.
Quand l'article numéral est précédé de l'article défini, le nom est clairement
coréférentiel. Pour un texte qui présente deux touristes d'une part, les deux
touristes d'autre part, je sais que le premier nom est référentiel et le second
coréférentiel, par là je connais la disposition de ceux-ci dans le texte.
L'analyse du réseau coréférentiel, de la trame du texte, ne doit pas se
contenter de la prise en compte des déterminants du nom (cf la définitivisation
ou définitivation). L'auteur d'un texte dispose d'outils linguistiques permettant de
renvoyer à un référent en évitant la répétition des unités lexicales. Il dispose en
premier lieu des substituts, des pronoms, de toute la gamme des pronoms. Ces
pronoms tissent la coréférence aussi bien au niveau intra qu'interphrastique.
Dans l'extrait cité, les pronoms qui et celui trouvent leur antécédent dans la
phrase où ils se trouvent placés. Substituts d'un type différent sont les unités
lexicales qui sémantiquement renvoient à d'autres du même texte. C'est ainsi
que, dans notre extrait, appareil est coréférentiel de scooter et victime
d'adolescent. Il est remarquable que certaines unités lexicales, de part leur
sémantisme même, sont prédisposées à devenir dans un texte des substantifs
coréférentiels. C'est le cas pour victime; c'est le cas également pour coupable,
condammé, ou encore innocent, pour ne citer que quelques exemples dans le
même champ.
polysémie, cette propriété du signe qui fait dire aux linguistes que les langues humaines ne sont pas des systèmes
d’étiquettes que l’on peut coller sur la réalité du monde. Les mots sont donc des principes de classement qui
permettent d’appréhender une réalité du monde indénombrable et rétive à tout inventaire. La polysémie du signe
est essentielle à l’économie du signe et c’est à celle-ci que les langues doivent de pouvoir toujours appréhender
un nouveau réel, une nouvelle réalité du monde.
Le développement que nous venons de faire ci-dessus à propos du caractère référentiel des noms propres se
situent sur un autre plan, prend en compte le fonctionnement du texte qui doit satisfaire deux nécessités :
l’introduction par référence d’une part ; le rappel par coréférence, d’autre part. C’est l’évidence, la connaissance
partagée ou supposée telle qui permet à un nom propre d’ancrer directement, par lui-même, la réalité, le référent
dans un texte.
Attention : l’évidence ou la connaissance partagée ne concerne pas le lecteur du présent polycopié, les étudiants
du Master FLE en l’occurrence : cela concerne l’auteur du texte soumis à l’analyse et son lectorat. C’est donc les
choix rédactionnels, les marques du texte lui-même qui permettent de décider.
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La coréférence avec variation de l'item lexical pose le problème plus
général de la contiguité sémantique.
2.2. Contiguité sémantique.
Deux unités sont en relation de contiguité quand elles présentent certains
traits communs. La relation de contiguité, considérée du point de vue interne à la
langue, peut être ou d'inclusion ou d'intersection.
Dans la relation d’inclusion les items lexicaux entretiennent entre eux des
relations d'hyperonymie et d'hyponymie, des relations que nous pouvons
représenter avec le schéma suivant:
hyperonyme
hyponyme
Félin est hyponyme pour animal, mais hyperonyme pour chat.
Le rapport d'intersection repose sur le fait que plusieurs items lexicaux
puissent présenter des sèmes communs. On peut ici se reporter à l'analyse
sémique, au fameux exemple développé par Bernard Pottier sur les "pour
s'asseoir". Dans le champ lexical délimité par le sème générique "pour s'asseoir",
un champ illustré par l'archilexème siège, unité hyperonyme pour toutes les
autres constitutives du champ, on peut avoir, par exemple, fauteuil, chaise et
canapé. L'intersection de chaise et fauteuil est importante. Les deux unités ont
pour sèmes communs, outre "pour s'asseoir", "pour une personne", "avec
matériau rigide", "avec des pieds" et "avec dossier". Le sème qui les distingue
animal
félin
chat
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est "avec accoudoirs" pour fauteuil et "sans accoudoirs" pour chaise. Et chaise
est moins proche de canapé que de fauteuil, puisque canapé, à la différence des
deux autres, ne présente pas le sème " pour une personne". Nous pourrions ici
schématiser les rapports d'intersection de la façon suivante:
Le recouvrement absolu des termes indique une parfaite synonymie, un
sémème identique46 .
Il est d'usage d'opposer au synonyme l'antonyme. Que des unités lexicales
soient des contraires n'impliquent en aucune façon que celles-ci présentent une
intersection minimale ou nulle. C'est-là un contresens naïf qui est fréquemment
commis. L'antonymie implique des contraintes sémiques fortes. Les antonymes
sont des termes "voisins" liés par un rapport de complémentarité (ex: grand
versus petit), ou de réciprocité ( prendre versus donner). L'antonymie se fonde
sur une relation forte, binaire. L'antonymie ne touche donc qu'une partie du
lexique, et assez peu les noms proprement dits. Ce n'est pas un hasard si nos
exemples sont des adjectifs qualificatifs et des verbes. Il n'est pas d'antonyme à
cheval. Etalon, par contre, peut s'opposer à jument, comme mâle à femelle. De là
à inférer que jupe est l'antonyme de pantalon, il est un pas à ne pas franchir. Et
la plupart des noms n'ont pas d'antonymes.
Nous venons de traiter de la contiguité sémantique d'un point de vue
strictement interne, comme fait de langue. A ce niveau, les noms propres ne sont
pas concernés. « Edith Piaf » n’est hyponyme de femme, pas plus que
« président » est hyperonyme de « Chirac ». A ce niveau, ne sont pas non plus
concernés les rapports du tout à la partie. « Roue » n’est pas hyponyme de
« voiture ». L’argument vaut pour « barreau » et « chaise ».
Dans l'acte de parole, dans le discours, dans un texte, c'est-à-dire également
dans une situation de production, la contiguité entre deux termes lexicaux peut
s'établir de façon conjoncturelle. Ici religion peut être associée à église ; là, à
mosquée. L'homme établit des relations entre les mots en fonction de sa propre
culture, de sa propre histoire. A ce niveau, les spécificités, les savoirs propres
46 Sémème (lexicologie): faisceau des traits sémiques, des sèmes constitutifs d'une unité
lexicale. Le sémème est à la lexicologie ce que le phonème est à la phonologie. Le parallèle
vaut pour sème et trait pertinent.
chaise
fauteuil
chaise
canapé
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apparaissent très vite, bien avant les frontières nationales ou linguistiques. La
lecture de la presse est un bon exercice pour s'en convaincre.
Soit cet extrait du quotidien Le Monde (28 novembre 91):
Chanson Plus Bifluoré
Les quatre compères visitent la chanson française avec talent et
humour...
La contiguité de Chanson Plus Bifluoré et de Les quatre compères ne vaut
que pour qui est familier de la chanson française en 9147 . Particulièrement
fragile quand elle prend appui sur un nom propre, la contiguité pose le problème
plus général de la présupposition pragmatique. Le scripteur présuppose que son
lecteur sait déjà un certain nombre de choses, peut, à partir de là, établir par lui-
même un lien entre des appellations différentes d'un même référent. Un texte ne
procède pas "ex nihilo"; il vient nourrir un savoir pré-existant.
L'homme établit également des relations "hic et nunc", en fonction de ce
qu'il est en train de raconter à un instant donné, dans un lieu donné, dans le cadre
d'une expérience particulière. Dans le cadre d'un cours qu'il assure, l'enseignant
et ses étudiants peuvent ainsi établir des relations de contiguité situationnelle
entre amphithéâtre, tableau, rétroprojecteur, et même chaleur pour le cas où le
local se trouve surchauffé. Les listes de possibles vont bien au-delà de celles
que peuvent établir les inventaires thématiques ou listes de vocabulaire qui font
la joie ou la douleur de certains cours de langues vivantes. Contrairement à la
contiguité en langue, la contiguité en parole est strictement subjective. Et
l'homogénéité textuelle est pour part dépendante du conformisme, de la
prévisibilité de la situation.
Soit
L'homme voulut entrer, mais coïnça sa jupe dans la porte.
Bien sûr, avec homme, on penserait plutôt à veste. Cela se passerait en
Ecosse que l'affaire deviendrait plus vraisemblable: les écossais portent des kilts.
Mais cela peut également arriver à Lorient, dans l'Ouest de la France, où se
déroule en août le festival interceltique. Et l'homme est peut-être un japonais,
joueur de cornemuse du Bag Pipe Band de Tokyo, venu avec son groupe
participer au dit festival. La vérité n'est pas toujours vraisemblable48. Un texte
47 Chanson Plus Bifluorée: nom d'un groupe musical français.
48 En l'occurrence, il y a bien eu des japonais, sonneurs de cornemuses en tenue écossaise au
festival de Lorient.
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peut donc surprendre. Il sera néammoins accepté, à la condition que le lecteur
présuppose la cohérence du texte qui lui est proposé et le professionnalisme de
l'auteur.
La contiguité sémantique, d'un point de vue fonctionnel, permet à un texte
de développer un même sujet sans reprendre les mêmes termes nominaux, sans
abuser non plus des pronoms qui peuvent poser des problèmes de lisibilité, de
reconnaissance. Un emploi imprudent des pronoms dans un texte peut faire de
ceux-ci des "provni", des "pronoms volants non identifiables"49 . Et les
enseignants savent combien les élèves ont du mal à construire dans leurs écrits
un réseau anaphorique efficace et lisible.
Le développement du réseau coréférentiel dans un texte ne se contente pas
de l'élégance permise par la variation des items lexicaux en relation de contiguité
sémantique, ni de l'économie autorisée par l'emploi des pronoms. Elle dispose
également d'outils linguistiques dont la fonction même est de mettre en rapport
les segments du texte. La mise en relation peut enfin être implicite.
2.3. Présupposition Cas particulier d’implicite, la présupposition a fait l’objet de nombreuses
études en philosopie et en linguistique. Nous n’avons pas l’intention de
reprendre ici l’historique de la notion50, mais, plus modestement, de poser les
enjeux de cette notion en linguistique textuelle.
Quand nous situons le présupposé en opposition avec le posé, nous
signalons la hiérarchie créée dans la phrase par la dynamique communicative.
Un texte qui se développe fait admettre qu’à un moment du texte, certaines
données sont acquises et, de ce fait, ne peuvent plus faire l’objet d’une
discussion. L’énoncé Le roi de France est chauve présuppose l’existence d’un
roi en France . Une histoire (ou texte) ne va pas répéter à chaque nouvelle phrase
ce qu’il a déjà présenté dans les phrases précédentes. La phrase n d’un texte
présuppose la phrase n-1, présuppose l’acceptation des phrases précédentes.
Nous y reviendrons dans notre chapitre 3 (cf. opposition thème / rhème).
Autre forme d’implicite est le sous-entendu. « Tandis que le présupposé se
déduit littéralement de la signification linguistique, le sous-entendu dépend de la
situation d’énonciation, et sera plus ou moins facile à interpréter », écrit Jean-
François Jeandillou (1997, p. 14). Si dans le cas du présupposé, l’analyse peut
49 PROVNI : jeu de mots, sur le modèle d'OVNI, sigle d'Objets Volants Non Identifiés, terme
utilisé par les journalistes pour désigner les apparitions non expliquées d'objets insolites dans
le ciel (les soucoupes volantes, par exemple).
50 Voir DUCROT, Oswald : Dire et ne pas dire, Paris, Hermann, 1972
- Le dire et le dit, Paris, éd. de Minuit, 1984. -
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s’appuyer sur la mise en forme de l’énoncé, du texte, dans le cas du sous-
entendu, il faut rattacher l’énoncé, le texte à une connaissance extérieure. Cette
connaissance peut être donnée par l’évidence situationnelle immédiate. Elle peut
être un capital accumulé qui va devenir un prérequis. Le sous-entendu est alors
un savoir plus ou moins partagé, dont le niveau de partage (ou le degré
d’évidence) va déterminer la réussite de la communication orale ou écrite. Dans
la communication orale, dans la conversation spontanée, l’évidence
situationnelle est prégnante ; à l’écrit, l’évidence est affaire de savoirs
préalables, de prérequis. Ainsi un texte sera-t-il plus ou moins facile à
comprendre, selon qu’il parle de choses que nous connaissons bien ou que nous
connaissons mal. Ainsi le scripteur devra-t-il constamment dans son acte
d’écriture prendre en compte son lecteur et ses connaissances. Le traitement de
la référence avec les noms propres est affecté par l’évaluation de l’évidence. Le
traitement de la coréférence également. Pour rattacher implicitement en 1991,
Chanson Plus Bifluoré à quatre compères (cf. exemple cité plus haut), il faut
avoir un minimum de connaissances musicales françaises contemporaines.
La question de la présupposition est liée à celle de l’inférence. La
compréhension du texte implique une activité inférentielle. Un texte ne dit
jamais tout et sollicite des connaissances. Le malentendu repose souvent sur une
« mauvaise » inférence.
2.4. Connecteurs. Avec les connecteurs, nous ne sommes pas dans le mode de l’implicite,
nous disposons de marques dont la fonction est d’assurer la cohésion. Un texte,
pas plus qu'une phrase, n'est apposition ou juxtaposition de segments, quand bien
même référentiellement récurrents. Les segments sont régis par des liens qui
construisent une hiérarchie. C'est là le principe même de la syntaxe. Ce principe
vaut pour le texte qui est construction logique, raisonnement. L'histoire de la
grammaire montre que les grammairiens ont voulu tout de suite identifier les
spécificités notamment fonctionnelles des mots, ont, de ce fait, distingué
différentes "parties du discours", "classes de mots". C'est ainsi que la
grammairiens ont fondé les concepts de préposition et de conjonction pour
désigner les types de mots à fonction de mise en relation dans le cadre de la
phrase. Au-delà de la phrase, au niveau du texte, nous disposons d'outils
complémentaires, des outils que la terminologie grammaticale traditionnelle
classe comme adverbes51 (ex: ainsi, donc, aussi, enfin), et locutions adverbiales
(ex: en revanche). La connexion peut être assurée autrement que par des mots
spécialisés. La langue permet à son utilisateur d'expliciter la cohérence de son
51 On saisit pour le coup la nécessité de revoir la terminologie grammaticale traditionnelle.
Véritable fourre-tout, la classe des adverbes est particulièrement concernée.
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discours. Il dispose pour cela de formules et peut même construire des
propositions "ad hoc" (ex: Ainsi qu'il a été démontré ci-dessus). Le métatextuel
peut être considéré comme l'une des manifestations du métalinguistique.
Les connecteurs peuvent apparaître proches des pronoms, dans la mesure
où, comme ceux-ci, ils assurent la connexion, la mise en relation. La similarité
s'arrête là car, à la différence des pronoms, les connecteurs établissent une
relation bipolaire d'une part; ont une charge sémantique en eux-mêmes d'autre
part.
Les pronoms, comme substituts, effectuent un renvoi ou anaphorique, ou
cataphorique. Les connecteurs présentent nécessairement ces deux qualités à la
fois. Et les connecteurs ne sont pas des substituts, lesquels, comme le nom
l'indique, n'ont pour valeur sémantique que celle du segment textuel auquel ils
renvoient. La valeur portée en propre par les connecteurs permet la classification
sémantique de ceux-ci. Nous reprendrons celle proposée par Lundquist (1980,
pp. 50-51):
"1. ADDITIF: et, de nouveau, encore, également, de plus, aussi, de même, or,
voire
2. ENUMERATIF: d'abord - ensuite - enfin, finalement, premièrement -
deuxièmement..., a) - b) - c)...
3. TRANSITIF: d'ailleurs, d'autre part, du reste, en outre
4. EXPLICATIF: car, c'est que, c'est-à-dire, en d'autres termes, à savoir
5. ILLUSTRATIF: par exemple, entre autres, notamment, en particulier, à savoir
6. COMPARATIF: ainsi, aussi, plus... , moins..., plutôt, ou mieux
7. ADVERSATIF: or, mais, en revanche, au contraire, par contre, d'un coté - d'un
autre coté
8. CONCESSIF: toutefois, néammoins, cependant
9. CAUSATIF / CONSECUTIF / CONCLUSIF : c'est pourquoi, donc, ainsi, en
effet, aussi, en conséquence, alors
10. RESUMATIF: bref, en somme, enfin
11. TEMPOREL: d'abord, ensuite, puis, en même temps, plus tard, alors
12. METATEXTUEL: voir p. , cf. p. , comme il été signalé plus haut."
La classification ci-dessus ne se veut pas universelle et son auteur note que "les
critères de classification et l'inventaire des connecteurs diffèrent d'un traité à
l'autre" (p. 50). Lundquist note également:
"Il convient de signaler que, d'une part un même connecteur peut se ranger dans
plusieurs catégories sémantiques ("aussi": additif + consécutif), et que, d'autre
part, plusieurs catégories se prêtent à des subdivisions plus fines, par exemple
selon leur degré d'insistance ("en revanche" est plus fort que "mais")." (p. 51)
Un tel constat conduit à s'interroger sur l'utilité du classement sémantique
des connecteurs. La valeur d'un connecteur n'est pas réductible à sa valeur en
langue. Il est significatif que la catégorie qui présente la plus grande cohérence,
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est celle des connecteurs métatextuels. La remarque signale, si besoin en est, les
difficultés qu'il y a à poser des frontières précises entre syntaxe, sémantique et
pragmatique.
Il est possible toutefois d'envisager une typologie d'une autre nature, une
typologie moins sémantique, partant d'une double propriété du langage: la
concaténation et l'ordination. La concaténation ou mise en chaîne des segments
linguistiques procède de la linéarité du langage. Parler, écrire, c'est mettre des
mots les uns à la suite des autres. Il y a donc une temporalité, une chronologie
dans les manifestations du langage, dans les textes, une chronologie somme
toute indépendante d'une chronologie évènementielle, imposée par le monde, et
ce même si dans le texte narratif, par exemple, il y a recherche de coïncidence
entre les deux types de chronologie. L'ordination établit entre les segments une
relation de type non chronologique, mais hiérarchique, logique. Le principe de
rection constitutif de la syntaxe ressortit à l'ordination. Et il y a également
ordination dans la planification d'un développement, dans l'organisation d'un
raisonnement.
La concaténation et l'ordination ne doivent pas être confondues, mais il faut
ajouter que la concaténation est une contrainte minimale incontournable de la
mise en texte. A partir de là, il est envisageable de distinguer deux types de
connecteurs: les forts et les faibles. Les faibles seraient strictement concaténants;
les forts seraient concaténants ET ordinants. La conjonction de coordination et
est l'exemple même du connecteur faible. C'est d'ailleurs là ce qui explique son
rendement, sa fréquence. Il est possible quasiment partout. D'autres connecteurs
peuvent fonctionner de façon similaire: c'est le cas notamment pour et puis alors,
et alors, et puis, ensuite, pour ces connecteurs qui se répètent dans les discours
spontanés et nombre de rédactions scolaires. Il est remarquable que les
connecteurs que nous venons de rajouter sont considérés comme temporels. Les
connecteurs à qualité double exigent la possibilité de relation logique entre deux
segments textuels. C'est le cas pour mais qui ajoute une valeur d'opposition et
pour donc qui qualifie la relation comme consécutive. Ces deux connecteurs sont
plus exigeants sémantiquement. Leur fréquence est moins grande et leur
manipulation plus délicate. La pratique des productions langagières amène à
nuancer la remarque: à l'oral spontané, il y a souvent neutralisation de la valeur
d'ordination du connecteur. C'est ainsi que donc peut être observé avec une
valeur strictement concaténante.
A une typologie positiviste du type de celle proposé par Lundquist, il est
possible de substituer une typologie plus dynamique, plus dialectique, plus
pragmatique, où les connecteurs s'inscrivent sur un axe délimité par deux
repères, deux pôles, l'un fort qui est l'ordination (ou connexion avec hiérarchie),
l'autre faible qui est la concaténation (ou stricte connexion). Il est donc
prévisible qu'il existe entre les extrêmes une zone molle, floue. La grammaire
traditionnelle repère celle-ci quand elle hésite à définir sémantiquement certaines
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propositions circonstancielles (cf. les causales ou consécutives qu'on peut
qualifier de temporelles, ou inversement).
Les valeurs que la grammaire attribue aux différents connecteurs sont des
valeurs en langue, des valeurs théoriques, virtuelles, "par défaut". Dans l'acte de
parole, les connecteurs peuvent venir confirmer ou modaliser ces valeurs. Cela
vaut notamment pour la zone molle mentionnée ci-dessus. Les extrêmes résistent
mieux.
Les études sur les connecteurs, le plus souvent, insistent sur les relations
interphrastiques. Il nous apparaît que cette focalisation est discutable, car les
relations interpropositionnelles nous semblent concernées au même titre. Faire
une phrase complexe, lier deux propositions par un connecteur pose des
problèmes similaires.
Soit l'exemple donné par Lundquist: I. 1) Pierre n'a plus d'argent. 2) Il ne va pas au cinéma.
II. 1) Pierre n'a plus d'argent. 2) C'est pourquoi il ne va pas au cinéma.
Une autre transformation par connexion est envisageable:
III. Comme il n'a plus d'argent, Pierre ne va pas au cinéma.
Et cette dernière nous semble plus conforme à ce que nous attendons dans
la production textuelle. Ceux qui enseignent l'écrit portent leur attention non
seulement sur la mise en relation des phrases, mais encore sur la maîtrise de la
phrase complexe, voire la segmentation phrastique.
Conclusion.
La cohésion dans un texte est marquée, mais peut-on évaluer la cohésion à
la puissance du réseau coférentiel, au degré de contiguité sémantique entre les
unités lexicales, au nombre de connecteurs? La lecture de l'histoire du rhume
chez Ionesco peut nous instruire :
Le pompier : "Le Rhume" : Mon beau-frère avait, du coté paternel, un cousin
germain dont un oncle maternel avait un beau-père dont le grand-père paternel
avait épousé en secondes noces une jeune indigène dont le frère avait rencontré,
dans un de ses voyages, une fille dont il s'était épris et avec laquelle il eut un fils
qui se maria avec une pharmacienne intrépide qui n'était autre que la nièce d'un
quartier-maître inconnu de la Marine britannique et dont le père adoptif avait une
tante parlant couramment l'espagnol et qui était, peut-être, une des petites-filles
d'un ingénieur, mort jeune, petit-fils lui-même d'un propriétaire de vignes dont on
tirait un vin médiocre, mais qui avait un petit-cousin, casanier, adjudant, dont le
fils avait épousé un bien jolie jeune femme, divorcée, dont le premier mari était le
fils d'un sincère patriote qui avait su élever dans le désir de faire fortune une de ses
filles qui put se marier avec un chasseur qui connut Rothschild et dont le frère,
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après avoir changé plusieurs fois de métier, se maria et eut une fille dont le
bisaïeul, chétif portait des lunettes que lui avaient données un sien cousin, beau-
frère d'un Portugais, fils naturel d'un meunier, pas trop pauvre, dont le frère de lait
avait pris pour femme la fille d'un ancien médecin de campagne, marié trois fois
de suite dont la troisième femme...
M. Martin : J'ai connu cette troisième femme, si je ne me trompe. Elle mangeait
du poulet dans un guêpier.
Le pompier : C'était pas la même.
Mme Smith : Chut !
Le pompier : Je dis : ... dont la troisième femme était la fille de la meilleure sage-
femme de la région et qui, veuve de bonne heure ...
Mme Smith : Comme ma femme.
Le pompier : ... s'était remariée avec un vitrier, plein d'entrain, qui avait fait, à la
fille d'un chef de gare, un enfant qui avait su faire son chemin dans la vie ...
Mme Smith : Son chemin de fer ...
M. Martin : Comme aux cartes.
Le pompier : Et avait épousé une marchande de neuf saisons, dont le père avait un
frère, maire d'une petite ville, qui avait pris pour femme une institutrice blonde
dont le cousin, pêcheur à la ligne...
M. Martin : A la ligne morte ?
Le pompier : ... avait pris pour femme une autre institutrice blonde, nommée elle
aussi Marie, dont le frère s'était marié à une autre Marie, toujours institutrice
blonde...
M. Smith : Puisqu'elle est blonde, elle ne peut être que Marie.
Le pompier : ... et dont le père avait été élevé au Canada par une vieille femme
qui était la nièce d'un curé dont la grand-mère attrapait, parfois, en hiver, comme
tout le monde, un rhume.
Mme Smith : Curieuse histoire. Presque incroyable.
M. Martin : Quand on s'enrhume, il faut prendre des rubans.
M. Smith : C'est une précaution inutile, mais nécessaire.
La Cantatrice Chauve (Extrait, Scène VIII)
Enfant direct, néammoins facétieux du F.L.E., Eugène Ionesco joue avec
les ressources de la langue. Le non sens en littérature procède de l'exploitation
forcenée des liens entre les segments du texte. Nous avons dans l'histoire du
rhume un texte
- qui implique une très forte contiguité sémantique (cf. les termes de
parenté),
- qui emprunte à un discours fortement ritualisé et contraint,
- qui impose une homogénité thématique (la déclinaison d'un arbre
généalogique),
- qui manifeste sur la fin des connecteurs forts (comme, puisque, mais);
mais
- qui énonce des absurdités
- et qui, sur l'ensemble, masque son projet narratif, le retarde jusqu'à la fin
extrême, moment où apparaît l'incongruité d'une histoire prétendument drôle et
qui ne l'est que par l'absurde, parce qu'elle n'est pas drôle précisément.
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Activités d’approfondissement pour le chapitre 2
1. soit le texte suivant :
Marcel et Robert décident de s’affronter dans une course à pied. Le premier,
malheureusement, n’a plus les jambes de ses 20 ans et termine second, à la grande joie du
second qui franchit le premier la ligne d’arrivée.
Quelles remarques vous inspire la construction des réseaux
coréférentiels dans le texte ci-dessus ? Pouvait-on faire mieux ?
2. Soit le texte ci-dessous :
Sa carte bancaire étant défectueuse, un client du Crédit
Agricole obtient de son banquier une nouvelle carte. La
première, volée plus tard, sera utilisée. Dans ce cas, a jugé
la Cour de Cassation dans un arrêt du 10 janvier, le titulaire
et le banquier sont co-responsables: le premier parce qu’il a
rangé sa carte avec son code, le second parce qu’il n’a pas
récupéré et détruit la carte soi-disant inutilisable...
Libération, mardi 17 janvier 95
Quel référé attribuez-vous au segment La première ?
3. Nombre d’articles de presse, notamment dans la rubrique des faits
divers, utilisent le mot « victime(s) ». Consultez vos journaux, à défaut
imaginez des titres d’articles avec le mot « victime ». Quels sont les
conditions nécessaires à l’emploi des segments « la victime » ou « les
victimes » dans un titre de presse ?
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Chapitre 3. La dynamique communicative
Il n'échappe pas au lecteur que le texte de Ionesco cité en conclusion du
chapitre précédent doit sa drôlerie pour partie au déséquilibre qu'il manifeste.
L'histoire du rhume se réduit fonctionnellement à l'histoire de quelqu'un qui
attrapait, parfois, en hiver, comme tout le monde, un rhume. Cette phrase
interminable du pompier qui énumère une généalogie intercontinentale et
multifamiliale n'apporte rien à l'histoire proprement dite; pire, elle distrait
dangereusement l'attention du destinataire. En un mot, avec un tel début de
phrase, on ne voit pas où le pompier "veut en venir", selon une expression
familière, mais parlante. Un début doit laisser prévoir la fin, quitte à surprendre à
l'instant final. Pour raconter une histoire, un texte (mono ou pluriphrastique) doit
construire et indiquer un itinéraire. Un texte doit manifester une "dynamique
communicative", selon l'expression de Firbas, reprise par Slatka52 . La
dynamique communicative est équilibrage de deux nécessités: la cohésion et la
progression. Il ne suffit pas que les segments du texte entretiennent des relations
de cohésion; il faut en plus que cette cohésion serve et ne s'oppose pas à un
développement. Ceci explique que les segments du texte évoluent, changent de
statut au fil de l'histoire qui se construit progressivement. Pour rendre compte de
la progression, la linguistique textuelle utilise les concepts de "thème" et de
"rhème".
3.1. Thème et Rhème.
Les concepts de thème et de rhème sont largement développés par l'Ecole
de Prague (cf. Danes et Mathesius). L'idée fondamentale est que l'information se
répartit fonctionnellement dans la phrase, une information "nouvelle" devant se
rajouter à une "ancienne". Au chapitre précédent, nous faisions remarquer qu'un
52 cf. SLATKA, Denis (1975, pp. 36-37).
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texte ne procède pas "ex nihilo", s'appuie sur des savoirs présupposés partagés.
A ce niveau de présupposition extratextuel, va se rajouter un niveau de
présupposition intratextuel. La phrase (n) du texte présuppose la lecture de la
phrase (n-1), présuppose plus précisément la lecture du texte jusqu'à la phrase
(n-1). A la phrase (n), l'auteur ne peut donc répéter ce qu'il a déjà écrit jusqu'à la
phrase (n-1). Il ne peut pas non plus oublier cet amont du texte. La phrase (n)
doit donc porter la trace économique du savoir accumulé jusqu'à la phrase (n-1).
La fonction de rappel est assurée par les outils de la cohésion que sont les noms
coréférentiels et les pronoms. C'est le cas dans les deux exemples ci-dessous:
a) La terre a tremblé en Californie. La secousse a provoqué des
dégâts très importants.
b) Un séisme de forte amplitude a secoué la Californie. Il a provoqué
des dégâts très importants.
Les segments La secousse en a) et surtout Il en b) illustrent le rappel
économique du thème, un thème qui, dans les deux cas, se trouve placé à gauche
dans la phrase et constitue le sujet grammatical de celle-ci. A partir de là,
surgissent deux premières questions:
- Comment identifier le thème à la première phrase d'un texte?
- Quels types de critères permettent de reconnaître le thème d'une
phrase?
Au niveau de la première phrase, nous ne pouvons pas nous appuyer sur la
coréférence, sur cette procédure de renvoi qui indique par définition un rappel,
un déjà connu. Nous pouvons envisager trois situations, illustrées par les trois
premières phrases suivantes:
a) Chirac prend quelques jours de vacances en Corrèze.
b) Il était une fois une princesse atteinte d'une maladie mystérieuse.
c) La conférence de presse de Tony Blair a surpris les journalistes.
En a) et c), nous avons un fort ancrage situationnel, la référence à une vie
politique, à une histoire précise. Tel n'est pas le cas de b) qui est en quelque sorte
hors du temps (cf. le une fois), et qui procède en quelque sorte de zéro53 . Entre
a) et c), il est une différence d'ancrage. Si a) et c) impliquent un ancrage
situationnel, c), ajoute à celui-ci, un ancrage intertextuel, présuppose la
connaissance du texte de la conférence de presse donnée par le premier ministre
britannique.
53 une nuance doit être apportée, de par le caractère rituel de la formule il était une fois qui
introduit nombre de contes.
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Il ressort que la thématique, au niveau d'un texte qui démarre, peut être
déjà donnée, et, dans ce cas, être référentielle ou intertextuelle. Dans cette
hypothèse, il est possible de supposer que ces données se retrouveront
naturellement dans ce segment de la phrase que la linguistique textuelle appelle
le thème.
Mais y-a-t-il une relation d'équivalence entre l'acception vulgaire du mot
"thème" et le concept du même nom de la linguistique textuelle? Quand on parle
trivialement du "thème" ou du "sujet" d'un texte, on identifie une qualité, à
savoir la thématique générale de celui-ci; on ne distingue absolument pas au
niveau de chaque phrase le segment thématique de celui rhématique, on ne prend
pas en compte la distribution fonctionnelle des segments dans la phrase. Or c'est
là précisément la perspective de la linguistique textuelle. Un texte dont la
première phrase doit présenter la thématique ou le sujet, dont la première phrase
ne peut s'appuyer sur des présupposés, doit, de ce fait, considérer la thématique,
au sens familier du terme, comme "nouvelle". Mais, du point de vue de la
linguistique textuelle, cette thématique pourra être exprimée aussi bien par le
segment thématique que par le segment rhématique de la phrase.
L'exemple b) avec la formule présentative Il était une fois fait de notre
princesse, certes, le sujet, le "thème" ou thématique de notre histoire, mais
surtout le rhème de notre première phrase. Mais rien n'interdit à cette princesse
d'intégrer le segment thématique. C'est le cas dans la phrase suivante:
Une princesse atteinte d'une maladie mystérieuse se mourait lentement
dans le château du roi.
La notion de thème pose à l'évidence une difficulté de manipulation,
laquelle ressortit à la résistance de l'acception vulgaire du terme. Il faut d'emblée
admettre que la linguistique textuelle propose une définition propre du thème.
Au fil du texte, un même segment peut évoluer. Thème dans telle phrase, il
pourra être rhème dans une autre. La reconnaissance du thème et du rhème dans
une phrase se fait au niveau de cette phrase, quand bien même cette
reconnaissance peut s'appuyer sur le contexte, sur l'amont du texte.
Concrètement, en linguistique textuelle, nous courons constamment le
risque de confondre l’opposition thème/rhème avec les oppositions
connu/inconnu ou référence/coréférence. C’est le scripteur et lui seul qui est
responsable de l’organisation du thème et du rhème dans la phrase qu’il propose
à son lecteur. Et rien n’interdit à un auteur d’introduire dans la dernière phrase
de son texte un élément nouveau et de le placer dans le segment thématique de
cette phrase.
Ex : Une enquête a été diligentée par le procureur de la république.
… pour un texte où il n’aurait jamais été question d’enquête jusqu’à cette
dernière phrase. Mais la remarque est superfétatoire, dans la mesure où nous
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aurions eu, dans ce cas, une marque de renvoi à référé sur enquête (ex :
l’enquête, cette enquête…).
Sans doute faut-il à terme renoncer à définir l’opposition thème/rhème
comme une opposition ancien/nouveau, ou encore connu/inconnu, voire
datum/novum ; sans doute faut-il préférer aujourd’hui l’opposition topic / focus.
Ces concepts ont en effet le mérite de toucher l’essentiel. La répartition
thème/rhème est de l’ordre du texte et non de la réalité extralinguistique, de
l’ordre des mots et non des choses. La thématisation verrouille la négociation,
oblige à consentement sans discussion ; la rhématisation autorise, voire invite à
la négociation de l’information, de la partie signifiée dans le segment rhématique
plus précisément. On comprend à partir de là que les logiciens se soient
interrogés sur les conditions de vérité d’un énoncé comme « le roi de France est
chauve », a fortiori sous la forme « l’actuel roi de France est chauve ». La
formulation d’un tel énoncé, cette mise en forme de l’information, présuppose
l’existence effective d’un roi de France, en cela n’autorise la discussion, ou
contestation que sur la calvitie de ce personnage. Il n’y a que la calvitie qui doit
répondre aux conditions de vérité, se soumettre à une évaluation Vrai/Faux.
La compréhension de la dichotomie thème/rhème suppose la
reconnaissane de la pluralité des points de vue, des niveaux d’analyse.
La linguistique textuelle entend développer une perspective "fonctionnelle"
et reconnaît trois approches dans le domaine: morphosyntaxique, sémantique et
thématique. Celle thématique ne se distingue pas facilement des deux premières
et le métalangage grammatical tend à confondre les perspectives. Bernard
Combettes note54 :
"Si l'on s'en tient d'ailleurs à la "grammaire scolaire", à la tradition grammaticale
classique, on pourra observer que ces trois plans sont plus ou moins intuitivement
sentis, mais sont souvent confondus. Examinons en effet quelques définitions,
quelques concepts; dans un même manuel, il est possible de relever des
constatations du type : "la préposition est un mot invariable qui introduit un
complément", "le complément d'objet direct supporte l'action exprimée par le
verbe", "le sujet de la phrase est ce dont on parle, le prédicat est ce que l'on en
dit". Nous pourrions citer bon nombre d'autres définitions, qui montreraient que
l'on se place souvent à des niveaux différents d'analyse; ainsi, dans les exemples
que nous venons de choisir, le niveau syntaxique, purement formel, s'attache aux
"constructions" (la préposition), le niveau sémantique concerne les "rapports de
sens" entre les constituants (l'objet "supporte" l'action), le niveau "logique"
définissant "ce que l'on dit" et "sur quoi" (c'est essentiellement le sujet et le
prédicat qui sont concernés). Ce sont là les trois niveaux souvent mêlés dans
l'analyse traditionnelle; les deux premiers surtout: une même définition, une
54 COMBETTES, Bernard: Pour une grammaire Textuelle. La Progression thématique,
Bruxelles-Paris, De Boeck-Duculot, 1983.
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même dénomination, contiennent parfois les deux critères; l'expression
"complément d'objet direct", par exemple, dans laquelle objet relève du niveau
sémantique, direct du niveau syntaxique (absence de préposition); ou encore, dans
une définition comme: "un circonstant est un complément "libre" (niveau
syntaxique) qui permet d'exprimer la manière, le lieu, le temps (niveau
sémantique)". Nous remarquons toutefois que le niveau qui nous intéresse au
premier chef, le niveau thématique, qui concerne la façon dont l'information se
répartit sur la phrase, n'est d'ordinaire pas pris en compte par la grammaire
scolaire; en effet le niveau "logique", s'il a des liens avec le niveau
"informationnel" ne doit pas être confondu avec lui."
(p. 12)
De la même façon qu'elle doit se garder de la terminologie générale, la
linguistique textuelle doit se démarquer de l'héritage grammatical. Même si dans
la phrase Le gendarme attrappe le voleur, je peux trouver une coïncidence
absolue, puisque Le gendarme est le sujet grammatical, l'agent sémantique et le
thème, je ne peux pour autant confondre les trois niveaux d'analyse.
Se pose dès lors un problème méthodologique délicat: quels critères faire
jouer pour l'identification du thème de la phrase?
3.2. La Disposition
Certains auteurs cherchent à reconnaître des correspondances entre
l'organisation des idées et l'organisation des phrases. C’est le cas de Henri Weil
dans un ouvrage de 184455 :
" Les mots sont les signes des idées : traiter de l’ordre des mots est donc, par
conséquence, traiter de l’ordre des idées. Les grammairiens se sont beaucoup
occupés des mots considérés isolément ; ils en ont étudié l’enchaînement ; mais la
plupart n’ont pas donné une grande attention à l’ordre dans lequel les mots
peuvent se succéder " (p.1)
L’apport remarquable de l’ouvrage est de clairement dissocier
l’organisation des idées de celle syntaxique, de s’interroger à partir de là sur les
types d’organisation des idées dans des langues très différentes, anciennes et
modernes, de rediscuter à ce niveau une classification entre des langues qui
seraient analogues, ou logiques et d’autres, transpositives ou inversives. Dans les
premières, l’organisation de la pensée épouserait l’organisation syntaxique ; dans
les secondes, tel ne serait pas le cas. 55 WEIL, Henri : De l’ordre des mots dans les langues anciennes comparées aux langues
modernes, 3ème édition, Paris, Vieweg, 1879.
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Au niveau de la proposition, Henri Weil reconnaît dans les termes de son
temps, l’opposition que nous faisons aujourd’hui entre le thème et le rhème :
" La proposition est l’expression totale d’un jugement, dont les deux parties ne devront
jamais se confondre, mais bien se suivre dans l’ordre de l’opération logique de l’esprit." (p.
14)
Pour Weil, dans la proposition, on doit reconnaître un « point de départ »
ou « notion initiale » et un « but du discours » (cf. pp. 20-21). L’argumentation
développée sera reprise plus tard, notamment à Prague, par Mathésius. En
France, le critère de la disposition sera repris par Denis Slatka (1975):
"La distinction Thème (Th) - Rhème (Rh) est opérante au plan de la linéarité des
constituants; il s'agit d'expliciter les notions vagues de début, de milieu et de fin
de la phrase. Dans la Perspective Fonctionnelle de la Phrase (FSP)56 , la phrase
est conçue comme devant constituer un message organisant la communication et
l'information. Aussi se trouve mis en place par Firbas le concept fondamental de
"dynamique communicative" (DC), qui dénote "une qualité manifestée par la
communication dans son développement". Autrement dit, chaque groupe
linguistique porte, selon sa place, un degré de DC. Ce qui permet de préciser dans
quelle mesure chacun des groupes contribue au développement de la
communication. On pose alors que la DC augmente par degré du début à la fin de
la phrase. Ainsi, le premier groupe (le plus à gauche) - qui constitue le Thème
(Th) - porte le plus bas degré de DC; au dernier (le plus à droite) - ou Rhème (Rh)
- est assigné le plus haut degré de DC. Entre le thème et le rhème se situe la
transition (tr)..." (pp. 36-37)
La prise en compte du critère de la disposition présente des avantages
remarquables. Critère formel, la disposition est d'une fiabilité incomparablement
plus forte que celle des jugements sémantiques ou subjectifs. Le critère de la
disposition, de plus, permet de rendre compte des cas où le thème de la phrase
n'est pas porté par le sujet grammatical. C'est à sa position dans la phrase et non
à sa fonction syntaxique, que le segment sujet peut devoir sa qualité de thème.
Dans la mesure où nombre de phrases en français commencent par le groupe
sujet, il est prévisible que le thème soit fréquemment assuré par celui-ci. Mais la
coïncidence est strictement statistique et peut être infirmée par des
contrexemples:
a) Avec Notre Temps57 , vos droits ne prendront pas leur retraite.
56 FSP : Functional Sentence Perspective.
57 Notre Temps: journal français qui s'adresse aux retraités.
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b) En période de crise, les consommateurs restent frileux.
c) Si tu veux la paix, prépare la guerre.
d) Omo est là et la saleté s'en va.58
e) Grillé Pelletier, le savoir-faire de demain.59
Nous trouvons en position initiale, en position de thème, des compléments
circonstantiels, une proposition circonstancielle et une proposition indépendante.
La phrase e) enfin ne comporte pas de verbe.
Le critère de la disposition nous semble toutefois devoir être pondéré dans
le cas des constructions segmentées (ou anacoluthes), une construction que les
manuels de grammaire présentent le plus souvent comme un écart stylistique,
une mise en relief. Cette conception de la construction segmentée ne nous
semble pas adéquate pour toutes les productions langagières, ne nous semble pas
convenir plus précisément à certains oraux spontanés, productions où les
locuteurs sont en situation d'urgence. La prudence que nous avons à l'encontre de
la construction segmentée ne nous interdit pas toutefois de reconnaître un thème
à gauche et un rhème à droite dans le slogan publicitaire suivant:
J'aime ça, les Frosties de Kellog's.
Le critère de la disposition est applicable au niveau de la phrase et ne fait
appel ni au co-texte, ni à la situation. S'il permet d'identifier le début du segment
thématique, ce critère ne livre pas pour autant la fin du thème. L'approche
fonctionnelle de la phrase a prévu la difficulté en posant entre le thème (Th) et le
rhème (Rh), la transition (tr), en indiquant que le degré de la dynamique
communicative va croissant du début à la fin de la phrase. La gradation est
applicable au sein même de chaque segment. Ce principe est clairement présenté
par Denis Slatka (1975):
" ... tout ce qui sera situé avant transition sera dit thème; et tout ce qui sera placé
après transition sera dit Rhème. Cependant, la première place sera spécifiée en
Thème propre (Thp) et la dernière en Rhème propre (Rhp). S'il apparaît d'autres
thèmes après le thème propre, il suffira de les graduer: Thp ----- Th1 ----- Th2...;
chacun portant un degré plus haut de DC au fur et à mesure que la phrase
s'amplifie à droite. S'il y a deux thèmes, le second est communicativement plus
important que le premier; il en va de même quand deux rhèmes se succèdent, on
58 Publicité pour la lessive de marque OMO.
59 Publicité pour un produit alimentaire industriel.
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précisera: la position initiale (Thp) porte le bas degré de DC, alors que la position
finale (Rhp) porte le plus haut. Soit:
En France (Thp), tout parlementaire (Th) désire (Tr) un petit journal (Rh) pour sa
circonscription (Rhp).
A propos de la place de la transition, il convient aussi d'opérer une distinction
importante: toute forme verbale complexe sera scindée en transition propre (Trp)
et Transition (Tr) (i.e. le verbe). Ainsi dans:
Mon ami (Th) a (Trp) rencontré (Tr) son député (Rh)
Les positions abstraites dans la phrase (la gradation étant continue entre Thp et
Rhp) sont donc:
Thp ---Th1...Thn---Trp---Tr---Rh1...Rhn---Rhp" p. 37
Dans la mesure où c'est la transition qui permet de séparer le thème du
rhème, dans la mesure où cette transition est assurée par le segment verbal, la
syntaxe "vient au secours" de la disposition. Mais des difficultés subsistent qui
tiennent à la diversité et à la complexité des constructions phrastiques soumises à
examen.
En raison de ces difficultés, le repérage et le bornage des segments
thématiques et rhématiques s'appuient également sur des tests, des tests
d'identification du rhème, partant du principe qu'une transformation vient
toucher prioritairement le segment de la phrase essentiel du point de vue
informationnel.
3.3. Les critères pragmatiques
Le test de la contradiction ou de la dénégation
La contradiction peut mettre en oeuvre une transformation négative, peut
manifester une opération syntaxique, mais elle ne ressortit pas en propre à la
grammaire, au niveau syntaxique. Le test de contradiction se situe au troisième
niveau, au niveau pragmatique.
La distinction peut sembler abstraite, mais un exemple pourra, nous
l'espérons, clarifier le débat, à défaut en indiquer la complexité.
Dans un album de Hergé consacré aux aventures de Tintin, à savoir On a
Marché sur la Lune, l'irascible capitaine Haddock vient de se moquer des deux
Dupont, détectives particulièrement médiocres, qui viennent de confondre le
cirque lunaire d'Hipparque avec le cirque du parc. D'où le trait du capitaine:
"Si je le savais (qu'il y avait un cirque sur la lune)?... Bien sûr.
Tout le monde sait cela!... J'ai même appris qu'ils avaient besoin de
deux clowns... Vous feriez parfaitement l'affaire!"
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Informés par le professeur Tournesol de la vraie nature du cirque
d'Hipparque, les deux Dupont comprennent progressivement la perfidie de la
remarque du capitaine Haddock, s'emportent et en viennent à exiger des excuses.
Sous la pression, le capitaine s'exécute et déclare:
"Eh bien! Soit!... Je retire ce que j'ai dit!... Le cirque
d'Hipparque n'a pas besoin de deux clowns: vous ne pouvez donc pas
faire l'affaire! Etes vous satisfaits?"
Il est clair que les deux opérations syntaxiques, les deux transformations
opérées par le capitaine Haddock ne conduisent pas celui-ci à retirer ce qu'il
avait dit, bien au contraire: il s'agit d'une nouvelle moquerie, que les malheureux
détectives auront bien du mal à décrypter... mais là n'est pas notre propos.
L'exemple que nous venons de développer permet de distinguer la contradiction
qui est une opération pragmatique de la négation qui est une opération
syntaxique. Et quand elle fait référence à la négation, la linguistique textuelle, en
fait, pense à la contradiction.
Soit l'exemple, a priori simple, proposé par Bernard Combettes (1983, p.
22):
a) Il boit pour oublier.
b) Pour oublier, il boit.
Pour oublier, de par la disposition, est rhème en a), thème de b). La
transformation syntaxique de ces phrases donne:
c) Il ne boit pas pour oublier.
d) Pour oublier, il ne boit pas.
La phrase c) ne vient pas nier le segment rhématique; la phrase d) touche
bien le rhème, mais conduit à une phrase pragmatiquement contestable, une
phrase qui ne satisfait pas à la condition d'appropriété. C'est plus l'ébriété que la
sobriété qui permet l'oubli. Dans la mesure où elle touche le verbe, la
transformation négative est peu discriminante. La transformation de b) en d) ne
conduit au rhème de la phrase b) que parce qu'ici la phrase s'achève par un
verbe, un verbe qui, contrairement à la plupart de ses occurrences, ne fonctionne
pas comme transition. Si nous nous plaçons du point de vue pragmatique, les
transformations par contradiction que nous pouvons faire subir aux phrases a) et
b) ci-dessus sont certes
c) "Il ne boit pas pour oublier",
mais également
e) "Ce n'est pas pour oublier, qu'il boit".
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On identifie ici plus clairement le segment rhématique, mais encore faut-il
prouver que telle transformation par contradiction porte bien sur telle phrase
source, et autoriser la liberté que l'on prend avec le critère de la disposition (cf.
e) pour a) et c) pour b))!
Le test de la question
La question n'est pas réductible à une transformation interrogative de la
phrase soumise au test. Comme la contradiction, la question se situe au niveau
pragmatique.
Soit la phrase:
La semaine dernière, au festival interceltique de Lorient, j'ai vu des
joueurs de cornemuses japonais.
Cette phrase peut appeler questions suivantes:
a) Quand, au festival interceltique de Lorient, as-tu vu des joueurs de
cornemuses japonais?
b) Que faisaient les japonais que tu as vus au festival interceltique de
Lorient, la semaine dernière?
c) Dans quel cadre, à Lorient, la semaine dernière, as-tu vu des joueurs de
cornemuses japonais?
d) Qui étaient les joueurs de cornemuses que tu as vus la semaine dernière
à Lorient?
e) De quoi jouaient les japonais que tu as vus la semaine dernière au
festival interceltique de Lorient?
f) Que faisaient avec des cornemuses les japonais que tu as vus la semaine
dernière, à Lorient, au festival interceltique?
g) Qu'as-tu vu la semaine dernière à Lorient, au festival interceltique?
h) Où as-tu vu des joueurs de cornemuses japonais?
voire
i) Hein! Quoi?
La question peut porter sur de multiples segments, plus ou moins longs, du
texte. Mais comment justifier que la phrase de référence est la réponse à telle ou
telle question? La seule situation où nous pouvons décider est celle où un texte
donné nous propose en amont de la phrase une question. Autrement dit, la
question n'est pas tant un test que nous pouvons élaborer et soumettre "in vitro" à
une phrase donnée, qu'une information coréférentielle que l'amont du texte nous
fournit.
Nous saisissons pour le cas, les limites du vocabulaire que nous venons
d'utiliser pour désigner les tests de reconnaissance du rhème de la phrase. Les
notions de contradiction et de question ont le mérite de prendre distance quant à
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celles, syntaxiques, de transformations négative et interrogative, mais le tort de
rester "expérimentales". L'analyse fonctionnelle de la phrase doit non pas tant
chercher à appliquer un test, à transformer celle-ci, qu'à chercher ou une
question en amont, ou une dénégation en aval. Elle s'appuie de ce fait sur le
cotexte, quitte à aboutir à des résultats qui viennent infirmer ceux que donne
l'application stricte de la règle de la disposition au sein de la phrase (cf. la
Dynamique Communicative).
La modalisation
Il existe des procédés autres que celui de la disposition qui permettent à
l’émetteur d’indiquer, de signaler l’importance d’un segment dans une phrase.
Prenons, pour exemple, la phrase d'un journaliste qui en 1968 déclare à la radio
ou la télévision:
A son retour d'Allemagne, le général de Gaulle s'est adressé en uniforme à
la nation.
Cette phrase est historiquement située, fait référence aux "évènements de
mai 68", à une période où, pendant quelques jours, il y a vacance du pouvoir, au
point de conduire le chef de l'Etat de l'époque auprès du général Massu, chef des
forces militaires françaises stationnées en Allemagne, ce pour s'assurer la
loyauté de l'armée... au cas où... Fort de l'appui obtenu, le général de Gaulle veut
reprendre les choses en mains et veut le signaler par une allocution musclée à la
nation.
L'affirmation de l'autorité passe par l'uniforme, et le symbole n'échappe à
personne en France, puisque le général, depuis la libération de la France,
n'affiche son uniforme militaire que très rarement et dans des circonstances
graves. Pour le journaliste, il importe peu de choisir entre:
a) A son retour d'Allemagne, le général de Gaulle s'est adressé en
uniforme à la nation.
ou
b) A son retour d'Allemagne, le général de Gaulle s'est adressé à la nation
en uniforme.
S'il veut mettre l'accent sur le circonstant en uniforme, il peut certes le
placer à la fin de la phrase, mais il peut aussi marquer le découpage syllabique
de ce segment (EN - U - NI- FORME). La transcription orthographique essaie de
rendre compte de cette modalisation en utilisant les tirets, les majuscules ou le
soulignement. A l’oral, la modalisation s’accompagne d’une gestualité déictique.
Si le principe d'une dynamique communicative semble incontestable,
l'identification précise de la charge informationnelle des différents segments de
la phrase n'apparaît pas aisée. Nous devons admettre qu’il peut y avoir
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opposition entre l’intention du scripteur et la compréhension du lecteur. Nous
devons également prendre en compte le degré de probabilité d’une information.
Une information complètement incongrue ou invraisemblable attirera l’attention
du récepteur, quelque soit la disposition choisie par l’émetteur.
3.6. Progression Thématique
L'homogénéité d'un texte suppose l'unité de la thématique, mais cette
dernière accepte une pluralité de thèmes, au sens précis que la linguistique
textuelle donne à ce terme. De la même façon que chaque phrase du texte
progresse du thème au rhème, tout texte progresse d'une phrase à l'autre. Cette
progression se fait sur la base de la reprise d'éléments des phrases précédentes.
Mais les possibilités de reprise sont de différents types.
La progression linéaire La progression linéaire semble la plus "logique", la plus immédiatement
prévisible. Le thème de la phrase (n) reprend le rhème de la phrase (n-1). La
progression linéaire semble la plus "logique", dans la mesure où, avec elle, le
référent nouveau désigné par un rhème devient connu, donc thème, à la phrase
suivante.
Phrase 1: Th 1 Rh2
Phrase 2: Th2 Rh2
Phrase 3: Th3 Rh3
La progression linéaire peut être illustrée par le segment suivant:
L'homme fit quelques pas dans le salon. Celui-ci était très faiblement
éclairé. Dans la pénombre se détachait une silhouette...
La progression à thème constant
Avec la progression à thème constant, le thème de la phrase reprend
fidèlement celui de la phrase précédente.
Phrase 1: Th 1 Rh2
Phrase 2: Th2 Rh2
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Phrase 3: Th3 Rh3
exemple: Donar allait de son pas élastique, enfermant dans son coeur la promesse de
l'aventureuse tentative qui commencerait cette nuit. Il connaissait le petit port, où
il espérait découvrir un navire en partance (...) Donar était tout à ses pensées
quand il en fut tiré brusquement par un martèlement de sabots de chevaux qui
apparaissaient à un tournant de la piste et, au galop, ventre à terre. Le fugitif se
jeta aussitôt derrière un rocher...
René Guillot: Le Champion d'Olympie, Paris, Hachette, Bibliothèque verte, 1965, p. 40.
Une consultation "sauvage" ou aléatoire de textes authentiques a vite fait de
révéler que les progressions linéaires et à thème constant se développent
rarement de façon aussi simpliste dans un texte. Le plus souvent, le thème d'une
phrase est non reprise stricte, mais extraction intelligente d'un segment ou
thématique ou rhématique de la phrase précédente. D'où les progressions à
thèmes dérivés.
La progression à thème dérivé d'un hyperrhème Cette progression est un cas particulier de la progression linéaire. Le thème
de la phrase reprend mais partiellement le rhème de la phrase précédente.
Soit la phrase:
Le premier mai a vu à Paris le traditionnel défilé des ouvriers venus de
tout l'hexagone.
Si nous reprenons le critère de la disposition, le rhème propre est venus de
tout l'hexagone et la transition est constituée du verbe a vu. Le reste du rhème
est à Paris le traditionnel défilé des ouvriers .
Cette phrase autorise de multiples suites, dont:
a) La capitale n'avait pas connu pareils embouteillages depuis plusieurs
années.
b) Le cortège dépassait cette année les trois kilomètres.
c) Aux ouvriers s'étaient joints les étudiants et les fonctionnaires.
et même,
d) Les DOM-TOM également étaient représentés.
Nous n'avons évidemment pas épuisé la liste des possibles, des possibles à
partir de la reprise partielle du segment rhématique de la phrase source. Les
possibilités d'extraction du segment sont proportionnelles à la longueur de celui-
ci.
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Il en est une autre, plus subtile, qui est indépendante de la longueur du
segment source, qui ressortit à la contiguité sémantique. Elle est disponible
aussi bien pour le thème dérivé d'un hyperrhème que pour le thème dérivé d'un
hyperthème.
La progression à thème dérivé d'un hyperthème
Soit la phrase:
Le français présente des qualités multiples.
à partir de laquelle, nous proposons:
Le normand est indécis. Le corse est fainéant. Le breton est têtu.
L'auvergnat est avare. Le dauphinois est renfermé. Le parisien est prétentieux.60
Nous avons ici un thème dérivé par inclusion sémantique (rapport
d'hyponymie).
La progression à saut (ou à trou)
Dès lors qu'il se développe, un texte se complexifie. Le thème d'une phrase
n'est pas obligatoirement reprise totale ou partielle du thème ou du rhème de la
phrase précédente. Un thème peut d'une part introduire un nouveau référent,
lequel s'intègrera à la thématique du texte; d'autre part reprendre un élément
d'une phrase placée au-delà de la phrase précédente.
Soit l'extrait suivant: Au centre, un mince jet d'eau jaillissait d'une vasque de marbre. Une boule
dorée dansait au sommet de son panache irisé.
Le Champion d'Olympie, p. 64.
Une boule dorée, quand bien même au sommet du panache dorée du jet
d'eau jaillissant de la vasque de marbre, est une référence nouvelle dans le texte.
Ce thème n'est pas annoncée dans les phrases précédentes, mais contribuera au
développement de l'histoire.
Le terme "progression à saut" est souvent réservé à la désignation de
l'apparition, de l'introduction d'un thème référentiellement nouveau dans un
texte. Il est possible de discuter la validité de l'appellation "progression à saut"
dans cette occurrence, car il s'agit en fait moins de progression à saut, que de
suspension de la progression. Un thème présentant un nouveau référent ne
connaît en effet aucun ancrage dans l'amont du texte.
La progression à saut désignerait, à notre sens plus judicieusement, la
reprise à distance, totale ou partielle, d'un thème ou d'un rhème.
60 Toute ressemblance avec une personne ayant existé ou vivante est purement fortuite.
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ex: ...Abdou, le mulâtre, revenait au port rasséréné.
Bormo le berger, au même moment, dans sa cabane, parlait à son chien...
Le Champion d'Olympie, p. 63.
Bormo le berger est un personnage que le lecteur a déjà rencontré. Il est
dans l'histoire depuis la page 26.
Une même histoire peut mettre en parallèle (cf. en même temps) plusieurs
évènements mettant en action différents personnages... à la condition que ceux-
ci, au bout du compte, avant le dénouement de l'histoire, viennent se croiser,
pour le moins croisent un personnage commun.
Quand elle rattache son thème à un segment cotextuel situé en amont de la
phrase immédiatement précédente, nous avons une progression véritablement "à
saut", ou encore à "thème résurgent".
Progression à thème résumatif
Par thème résumatif, nous comprenons un segment thématique qui porterait
en lui-même le capital accumulé du texte, de l’amont du texte plus précisément.
L’anaphore résomptive constitue un outil exemplaire pour ce type de thème (ex :
Tout ça…). Autre exemple : un texte dont la dernière phrase commence par
Cette histoire…
Conclusion
L'analyse fonctionnelle de la phrase essaie de rendre compte
scientifiquement du texte comme entité dynamique. Même si elles sont
complexes à manipuler, les notions développées dans le présent chapitre sont
essentielles pour qui veut comprendre qu'un texte est un itinéraire, un trajet, où
l'information se construit petit à petit et conduit à une fin. Un même référent
change de statut au fil du texte. Selon qu'il est désigné au niveau du rhème ou du
thème, le référent est ou n'est pas susceptible de négociation. Le dialogue
pratique le thème et le rhème de façon spectaculaire. Qu'on songe à ces
questions de journalistes auxquelles refusent de répondre les hommes politiques.
Une question, en imposant le thème, construit nécessairement une partie de la
réponse, n'est donc pas neutre. D'où le souci fréquent qu'a le questionné de
reformuler la question. Le thème n'est tant l'ancien, le déjà connu du texte que
l’information non négociable, le savoir imposé.
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Activités d’approfondissement pour le chapitre 3
1. Soit le document suivant :
Paru la veille de la finale de la coupe d’Europe des nations de football,
finale opposant la France à l’Italie, cet article propose un titre « curieux » :
Barthez – Toldo : un seul but, les éviter.
Comment comprenez-vous et expliquez-vous ici l’emploi du segment
but ?
( Pour les non spécialistes : Barthez vaut pour le gardien de but de l’équipe
de France, Toldo pour celui de l’équipe italienne.)
2. Analysez dans les titres de presse le fonctionnement des deux points ( : ).
Comment peut-on faire quand on ne dispose pas de ce signe de ponctuation ?
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3. Soit le texte suivant :
Sa carte bancaire étant défectueuse, un client du Crédit Agricole
obtient de son banquier une nouvelle carte. La première, volée
plus tard, sera utilisée…
Pouvait-on avoir pour seconde phrase La première sera volée plus tard et
utilisée ?
Quelles remarques vous suggère cette transformation ?
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Chapitre 4. Les Types de Textes (ou de Discours)
Aux chapitres 2 et 3, nous avons étudié le texte au niveau de la phrase et
des relations interphrastiques. C'est là la perspective de la grammaire du texte.
Une approche plus globale entend comprendre le texte comme une totalité, une
totalité où le texte présente un bornage et s'identifie à un type.
4.1. La Clôture du texte
Qu'il raconte une histoire ou développe une argumentation, un texte
construit un itinéraire qui pose un point de départ et conduit à un dénouement.
La dynamique communicative est en quelque sorte morbide, puisqu'une
progression bien construite conduit à une phrase conclusive.
Selon qu'on est à l'oral ou à l'écrit, selon qu'on est en situation d'urgence ou
que l'on dispose d'un temps de préparation, le balisage de l'itinéraire pose des
problèmes différents. Combien de locuteurs natifs sont incapables de raconter
une histoire quand bien même connue! A ceux-là nous conseillons les "brèves de
comptoir" . La compétence textuelle exige certes la mémoire, mais surtout la
capacité à gérer les informations au fil du texte, à mettre en quelque sorte à
distance l'information ponctuelle qu'il faut rapporter et inscrire dans un projet
d'ensemble.
Quelques exemples:
1. C'est l'histoire de Toto61 à l'école, une histoire venue de l'école primaire.
Pendant la dictée, Toto demande à la maîtresse d'aller aux toilettes. La maîtresse
refuse en rétorquant à Toto qu'il faut toujours terminer ce que l'on a commencé.
Arrive la récréation, occasion qui permet donc et enfin à Toto de se soulager. A
la reprise des cours, la maîtresse, en colère, pose à la classe la question suivante:
"Qui a utilisé tout le papier dans les toilettes". Toto avoue son crime, mais
61 Faire référence à Toto, c'est en France, introduire une histoire drôle (cf. cette autre formule
introductive - remarquablement xénophobe: C'est une histoire belge!)
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ajoute: "Mais, Maîtresse, c'est vous qui avez dit que quand on commence
quelque chose, il faut toujours le terminer!"
Ceci, c'est pour une histoire éminemment drôle et bien racontée. Mais
l'histoire en question est rarement rapportée aux amis et parents sous cette forme.
Tout se gâte généralement à l'épisode "récréation", car l'enfant narrateur aura
tendance à raconter que Toto, pendant la récréation, est allé aux toilettes et a
utilisé tout le papier du même nom, aura tendance, par là, à gâcher son histoire
drôle, en anticipant sur le dénouement.
Un narrateur efficace doit donc mettre en réserve une information qu'il
connaît, mais qui ne doit être proposée au destinataire que dans la dernière
phrase, au niveau de la "chute". La compétence suppose la capacité de gestion de
l'itinéraire narratif.
2. Soit un exposé de lycéen, ou d'étudiant. Nous connaissons tous le
"pensum". On sait quand un exposé commence, rarement quand il se termine.
L'une des clôtures possibles ressortit à la contrainte horaire, où le combat cesse
"à la cloche". Une autre annonce le plan de l'exposé, qui permet au destinataire
de se repérer. C'est ainsi que souvent le narrateur, avant son exposé, écrit au
tableau ou distribue le plan de son exposé. En dépit de la pauvreté des
connecteurs utilisés, en dépit du caractère accumulatif de l'exposé, le destinataire
pourra se repérer et saura attendre et prévoir la fin. Il est remarquable qu'ici l'oral
s'appuie sur l'écrit.
A la différence de l'oral, l'écrit signale d'emblée l'entité textuelle, ne serait-
ce que par le fait que le texte, couché sur le papier, délimite une surface. A l'écrit
nous disposons en quelque sorte de "signes extérieurs" de textualité. A l'oral, la
clôture du texte est strictement interne, au point d'obliger ceux qui manquent
d'imagination à dire: "pour conclure", "et ce sera là le mot de la conclusion",
voire, devant un auditoire déstabilisé : "C'est fini!". Pour des récits fortement
ritualisés, la clôture est plus facile à repérer. C'est le cas de l'histoire drôle avec
la chute; c'est également le cas avec le conte qui s'achève avec "Ils se marièrent,
vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants".
A l'écrit, l'une des façons de clôre le texte est de le circonscrire
matériellement. Un roman est un objet isolable, à l'achat, au transport, à la
lecture. Un fait divers dans un quotidien régional est inscrit sur une surface qui
émerge comme entité avant même qu'on ait pris connaissance du texte et des
textes voisins. D'où l'expression "coupure de presse". A la différence du roman,
ou de l'essai philosophique, le journal n'est pas un texte mais un ensemble de
textes. La pluralité tient moins à la pluralité des scripteurs qu'à la pluralité des
textes. Même écrit à quatre mains, un roman ou essai reste UN texte. Un journal
ayant un seul rédacteur est une collection de textes. L'unité matérielle ne suffit
donc pas à fonder l'unité textuelle. Nombre de romans ont été publiés sous la
forme du feuilleton.
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De ceci découle un premier principe: la circonscription d'un texte ne peut
être créée par le seul balisage matériel. Celui n'intervient qu'après. Le principe
de clôture est immanent au texte. Le texte, même écrit, ne doit sa clôture qu'à
son unité, sa cohérence, laquelle sera éventuellement soulignée par un balisage
externe. Ce balisage externe peut aller très loin, mettre en oeuvre des plans, des
sommaires, des index.
Un texte n'est pas toujours strictement verbal. Il peut être multicodique. Il
l'est clairement quand il propose en même temps que le texte au sens étroit du
terme, au texte défini comme une suite de phrases, des illustrations graphiques
iconiques ou schématiques (photos, dessins, tableaux, diagrammes, etc.). Il l'est
également, de façon plus discrète, quand le scripteur met en oeuvre des outils
typographiques (caractères, styles, corps, etc.). Ces outils créent du sens ou
signalent l'organisation du texte. Il faut cependant faire ici la part de ce qui crée
en propre du sens et de ce qui ne fait que souligner l'organisation immanente du
texte.
Le probème de la clôture du texte ne saurait se poser seulement à la
périphérie du texte. Si une unité textuelle est composée sur la base d'une
pluralité de phrases, c'est que le principe de l'unité et de la clôture implique celui
de la segmentation. Le propos semble paradoxal, mais il est aisé de comprendre
qu'un texte long se contente difficilement d'une seule phrase. La lisibilité d'un
texte est pour partie dépendante de sa segmentation. Le découpage du texte en
paragraphes, loin de la perturber, facilite et structure l'activité de lecture. La
linguistique textuelle essaie de reconnaître l'organisation séquentielle du texte et,
pour cela, propose en sus de la notion de paragraphe, celles de pause, de période,
de séquence.
On pourra saisir le principe de l'organisation séquentielle du texte dans
l'extrait. La compétence textuelle permet au lecteur de sélectionner
intelligemment une suite donnée de phrases. La sélection peut s'opérer sur la
base de critères référentiels (cf. les unités de temps, de lieu ou d'action), mais
peut également faire appel à des marques linguistiques.
Soit une histoire à raconter, du type de celles que les enseignants donnent à
composer à l'école: une journée à la mer.
La narration va prendre appui sur la chronologie, rapportera, par exemple,
le lever, le déjeuner, le départ, le voyage, l'arrivée à la mer, le premier contact
avec la plage, le déjeuner, la partie de badminton, la baignade, le goûter, le
rassemblement et l'inventaire des objets et des personnes, enfin le voyage-retour.
Il n'y a entre les évènements constitutifs de la journée aucune hiérarchie. A
tel point que nombre d'élèves en arrivent à proposer pour introduction les
premiers moments de la journée et pour conclusion le retour au bercail. Le
développement, plus important, plus long, peut se contenter d'enchaîner des
phrases simples, mais peut également avec des phrases complexes mettre en
perspective les évènements rapportés par les propositions. La mise en
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perspective fait que les deux référents ne sont plus perçus dans une successivité,
mais dans un rapport de hiérarchie. Ce rapport est signifié par la subordination; il
est également marqué par les temps verbaux (cf. le passé simple de premier plan
versus l'imparfait de second plan).
Soit une phrase du type: "Le voyage avait été très pénible". Le choix du
plus-que-parfait dans notre narration n'est pas anodin. Passé du passé, le plus-
que-parfait ne vise pas tant à faire du voyage un évènement objectivement passé
ou antérieur, qu'à créer une séquence nouvelle. Avec le plus-que-parfait, le
narrateur indique qu'il a fini de raconter le voyage et qu'il commence un nouvel
épisode. Le plus-que-parfait introduit la nouvelle séquence.
Une séquence qui s'ouvre doit pouvoir se fermer et le narrateur dispose à
cet effet du futur du passé. Notre narration peut ainsi proposer: " Le voyage
serait pénible". Une telle phrase ne peut intervenir que dans un épisode qui
précède le récit du voyage proprement dit. Elle peut ainsi conclure efficacement
la séquence consacrée aux préparatifs du départ.
Nous venons d'effleurer la question de l'organisation séquentielle du texte,
de justifier le paradoxe qui veut que l'unité implique la segmentation. Mais n'est-
ce pas là une relation nécessaire que nous pouvons prévoir dès lors que nous
notons qu'une unité textuelle est construite par une pluralité de phrases!
4.2. Le Texte comme type
Les critères communs auxquels doivent satisfaire les textes ne conduisent
pas à l'uniformisation des productions textuelles. Les textes vont se distinguer
les uns des autres en s'inscrivant dans des typologies instituées. Devant une
collection de textes variés, le lecteur est capable d'opérer un tri, un classement.
Les critères de classement peuvent être somme toute naïfs. Un conte pourra être
reconnu par ses formules introductives et conclusives, un article journalistique
par son support, un article scientifique par son lexique et son référent, etc. Même
naïf, un classement n'est pas le tri subjectif et ponctuel d'un réel. Il s'appuie
nécessairement sur des critères, lesquels peuvent être plus ou moins conscients.
La référence à "conte" ou à "article" présuppose ainsi la pratique, la familiarité
et une certaine connaissance des textes. Et l'on ne classe qu'à partir de
classifications déjà établies.
La linguistique textuelle n'ignore pas les classifications vulgaires des
textes, mais souhaite proposer de nouveaux critères de classement. Les
propositions, à ce niveau, sont particulièrement nombreuses et il n'est pas dans
notre intention de décliner toutes les typologies existantes. Il faudrait y
consacrer tout un ouvrage. En dépit de la production dans le domaine, il est
possible de reconnaître deux grands principes de classement, selon que le texte
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est analysé ou du point de vue de l'énonciation, ou du point de vue de la
séquentialité.
Le second point de vue est illustré notamment en narratologie, et les
travaux publiés en 1928 par Propp sur le conte62 peuvent être considérés
comme la référence originelle. En 1966, un numéro de la revue
"Communications" (n° 8), numéro consacré à l'analyse structurale du récit63 , va
stimuler en France les études universitaires sur les types narratifs. Les
recherches contemporaines de Jean-Michel Adam, auteur suisse que nous avons
largement cité dans le présent cours, s'inscrivent dans cette perspective. Les
typologies fondées sur la séquentialité font du texte un modèle d'histoire, de
parcours, d'itinéraire, de scénario. Le conte devra ainsi présenter une suite
précise et imposée de séquences (cf. les concepts de "quête", d'"épreuves").
Si le texte est récit en narratologie, il est plutôt discours pour les
linguistiques qui fondent les typologies sur les marques de l'énonciation. La
Grammaire du Sens et de l'Expression de Patrick Charaudeau (1992) consacre sa
troisième et dernière partie à ces questions. La compréhension des modes
d'organisation du discours suppose la mise en avant de différents paramètres,
lesquels permettent d'établir différents types de classement. Charaudeau, ainsi,
insiste successivement sur la situation, sur les modes d'organisation du discours,
sur les textes enfin. Ces trois paramètres nous permettent de revenir sur une
difficulté relevée au chapitre 1, difficultés concernant la définition des notions
de texte, de discours et d'écrit.
La prise en compte de la situation est prioritaire et permet de distinguer une
production langagière interlocutive d'une production monolocutive64 . Le modèle
exemplaire de la première est l'oral spontané, le dialogue; de la seconde, les
écrits académiques. Le développement de la didactique de l'écrit est, selon nous,
largement dépendant de la bonne compréhension des situations. Le sens du texte
62 PROPP, Vladimir: Morphologie du Conte, traduction française, Paris, Le Seuil, 1965 et
1970.
63 cf. le sommaire du numéro:
Roland BARTHES: "Introduction à l'analyse structurale des récits."
A.J. GREIMAS: "Eléments pour une théorie de l'interprétation du récit mythique."
Claude BREMOND: "La logique des possibles narratifs."
Umberto ECO: James Bond: "une combinatoire narrative."
Jules GRITTI: "Un récit de presse: les derniers jours d'un "grand homme"."
Violette MORIN: "L'histoire drôle."
Christian METZ: "La grande syntagmatique du film narratif."
Tzetan TODOROV: "Les catégories du récit littéraire."
Gérard GENETTE: "Frontières du récit."
64 cf. CHARAUDEAU, P. (1992), pp. 636-641.
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(cf. les critères constitutifs de la cohérence) n'est pas donné avec la compétence
naturelle du locuteur .
Le texte, tel qu'il est défini par Charaudeau comme "manifestation
matérielle de la mise en scène d'un acte de communication, dans une situation
donnée, pour servir le projet de parole d'un locuteur donné" (1992, p. 645),
semble retrouver l'acception vulgaire, mais se trouve justifé par des "modes de
discours dominants" (cf. schéma ci-dessous):
TYPES DE TEXTES MODES DE DISCOURS
DOMINANTS
AUTRES MODES DE
DISCOURS
Publicitaires
-affiches de rue
- magazines
Enonciatif
(simulation de dialogue)
variable mais Descriptif dans
le slogan
Narratif
(lorsqu’une histoire est
racontée)
Plus Argumentatif
Dans les revues spécialisées
Presse
- faits divers
- éditoriaux
- reportages
- commentaires
Narratif et Descriptif
Descriptif et Argumentatif
Descriptif et Narratif
Argumentatif
Enonciatif
Selon les cas, effacement ou
intervention du journaliste
Tracts politiques Enonciatif (appel) Descriptif
(liste des revendications)
Narratif
(action à accomplr)
Manuels scolaires Variable selon les disciplines
mais omniprésence du
descriptif et du narratif
Enonciatif (dans les
consignes de travail)
Plus Argumentatif
(dans certaines disciplines:
mathématiques, physique,
etc.)
D’information
-recettes
- notices techniques
- règles de jeux
Descriptif
Descriptif et narratif (Faire)
Descriptif et narratif
Récits
- romans
- nouvelles
- de presse
Descriptif et Narratif
Enonciatif
Intervention variable de
l’auteur-narrateur selon genre
(autobiographie, témoignage,
nouvelle, etc.)
1992, p. 646.
Le tableau de Charaudeau, avec les modes de discours, fait apparaître
clairement ce qui inspire la plupart des typologies de textes (ou de discours)
proposées par les linguistes et reprises par les pédagogues.
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Le classement développé par Bernard Combettes65 , sans se confondre avec
lui, reste ainsi compatible avec celui de Charaudeau66 :
Modes d’organisation du discours
chez Patrick Charaudeau
Types de textes
chez Bernard Combettes
- Enonciatif
- Descriptif
- Narratif
- Argumentatif
-Narratif
-Descriptif
- Argumentatif
-Informatif
- Injonctif
Chez Combettes, un premier critère permet de distinguer les textes narratifs
et descriptifs des autres. Les textes narratifs et descriptifs sont centrés sur le
référent, alors que ceux argumentatifs, informatifs et injonctifs accordent le
primat aux rapports de l'émetteur et du récepteur:
"- Texte argumentatif: l'intention est de remplacer une croyance (supposée
chez le récepteur) par une autre croyance (jugée meilleure). L'argumentation part
donc du principe que le lecteur (ou l'auditeur) a déjà une opinion sur la question.
- Texte informatif: l'objectif est ici de donner une connaissance sur une
question: le récepteur est supposé ne pas avoir d'idée, de savoir, sur le problème; il
ne s'agit pas réellement de convaincre. On pourrait d'ailleurs distinguer le texte
"purement" informatif du texte explicatif: l'explication est une conduite
particulière, une sous-catégorie dans les façons d'informer. Le texte explicatif
suppose habituellement qu'il y ait un problème, une difficulté de compréhension,
d'où la nécessité d'une démarche plus "pédagogique".
- Texte injonctif: le but est de faire agir l'interlocuteur, à plus ou moins court
terme." Quelques Jalons..., p. 181.
Partageant la fonction centrée sur le référent, les textes narratifs et
descriptifs se distinguent par leur rapport au temps et à l'espace. La narration
renvoie à une réalité, à des faits situés dans le temps, et implique de ce fait une
chronologie. La description n'est pas fondée sur un déroulement temporel et
désigne une réalité où les éléments sont perçus comme simultanés, sont perçus
65 cf. notamment, Quelques Jalons pour une Pratique Textuelle de l'Ecrit, Dir. scientifique:
COMBETTES, Bernard, Clermont-Ferrand, CEFISEM, 1989.
66 cf. CHARAUDEAU,P. (1992), pp. 641-642.
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dans l'espace. Les textes narratifs et descriptifs manifestent des indices
linguistiques spécifiques que nous pouvons énumérer.
La narration utilise des déictiques temporels (ex: avant); la description, des
déictiques spatiaux (ex: à gauche). Une forte présence de connecteurs
interphrastiques temporels (ex: ensuite) est indice de narration. L'emploi des
temps verbaux est également significatif. L'imparfait, avec son bornage
imprécis, caractérise la description; le passé simple, en permettant d'inscrire avec
précision une chronologie, construit la narration. On retrouve ici somme toute ce
que la grammaire traditionnelle nous dit de l'opposition imparfait/ passé simple.
L'imparfait de description va "naturellement" avec les verbes duratifs (ou de
répétition) et le passé simple avec les verbes ponctuels. L'opposition imparfait /
passé simple peut reprendre la distinction état / action. Et l'on s'intéresse dès lors
au sémantisme des verbes. Le texte descriptif utilise des verbes duratifs; celui
narratif, des verbes ponctuels. Autre critère: la progression thématique qui est à
thème constant pour la narration et linéaire pour la description.
A partir de ces caractéristiques, il est possible de construire des textes
fortement contrastés.
Exemple de texte narratif:
Wilheim Fermtag s'approcha de l'entrée du pavillon. Il sonna et,
sans attendre, ouvrit la porte. Fermtag inspecta du regard le vestibule
puis fit un pas en avant. Il aperçut alors ....
Exemple de texte descriptif:
Au milieu de la pièce était installée une grande table. A gauche,
une cheminée. Posé bien au centre du manteau, un candélabre
éclairait faiblement le lieu. Celui-ci était donc occupé...
La présentation que nous venons de faire des textes narratifs et descriptifs
est extrêmement rapide et réductrice : elle appelle quelques remarques critiques.
Peut-on gommer le paramètre temps dans la description? Deux arguments
obligent à conserver ce paramètre. Le premier procède d'une contrainte
incontournable du langage: la linéarité. Les segments phrastiques se construisent
nécessairement les uns après les autres et construisent de ce fait une chronologie
textuelle. Même si les éléments d'une description peuvent être présentés dans
différents ordres, la mise en texte impose un choix. Le deuxième argument vaut
pour une description "dynamique", pour une description qui fait découvrir un
lieu par le biais d'un regard ou d'une déambulation. Je peux ainsi découvrir un
espace en promenant mon regard de gauche à droite, ou de droite à gauche. Dans
cette hypothèse, "à gauche" peut être traduit verbalement par un "d'abord" ou un
"enfin".
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L'opposition ponctuel / duratif pose également problème, a fortiori si l'on
confond ici le temps verbal et le sémantisme du verbe. Le sémantisme du verbe
ressortit à la valeur propre du radical lexical."Durer" est un verbe duratif et
"surprendre", un verbe ponctuel, ce indépendamment de la conjugaison
présentée. Si elle semble évidente pour certains verbes, l'opposition ponctuel /
duratif est plus délicate à reconnaître pour d'autres. Soit le verbe "s'étaler". Je ne
peux pas poser d'emblée son caractère sémantique. Dans "Au pied de la
montagne s'étale une plaine immense"; "s'étaler" est duratif, verbe d'état; dans
"Marcel s'étale sur la piste de danse"; "s'étaler" est ponctuel, verbe d'action.
L'identification sémantique des verbes prend donc en compte l'emploi attesté, le
contexte. Et ce n'est pas le sémantisme du verbe qui impose le temps verbal. Si
tel était le cas, les verbes présenteraient des conjugaisons syncopées. Les verbes
duratifs n'auraient pas de passé simple; ceux ponctuels, pas d'imparfait. La
remarque peut sembler évidente, mais l'expérience des copies d'élèves,
notamment en F.L.E., révèle que la confusion est fréquente. Dans les textes au
passé, c'est très souvent le sémantisme du verbe qui vient imposer le choix ou du
passé simple ou de l'imparfait.
Exemple relevé: Les villageoises sautèrent à terre et continuaient à pied.
Les grammaires du français ont leur part de responsabilité dans cet emploi
fautif des temps verbaux. En décontextualisant les phrases exemples, en
rattachant avec excès le temps à la chronologie, les manuels tendent à occulter,
du moins à faire à occulter la valeur aspectuelle des temps verbaux, partant à
priver les apprenants de la clé du problème. Les linguistes ont certes proposé des
études et des ouvrages67 qui distinguent le temps de l'aspect dans le verbe, mais
force est de constater que les manuels traditionnels continuent à inspirer
l'enseignement des temps verbaux dans la classe de langue.
Le rattachement de l'imparfait à la description et du passé simple à la
narration peut laisser comprendre que ces temps verbaux fonctionnent
indépendamment, alors qu'ils ne valent que l'un par l'autre. La pratique des textes
aboutit immanquablement à ce constat de solidarité. Dans un texte, l'utilisation
de ces deux formes permet de mettre en perspective des phrases, des
propositions (cf. notions de premier et de second plans). Et ce n'est pas tant le
référent qui vient imposer le choix que l'acte d'écriture de l'auteur. Les Exercices
de Style de Raymond Queneau en sont une célèbre illustration.
Le critère de la progression thématique, enfin, est lui-même fragile, car il
est difficile d'imaginer un texte (descriptif ou narratif) qui se contenterait d'un
seul type de progression.
67 cf. notamment, WEINRICH, Harald: Le Temps, le Récit et le Commentaire, Paris, Le Seuil,
1973.
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Les remarques critiques que nous venons de formuler montrent que la
narration et la description sont sans doute moins des types de textes que des
types de séquences textuelles, voire, comme l'indique Charaudeau, des modes
d'organisation du discours. Il est remarquable que la difficulté des typologies est
relevée par les auteurs68 , dont Combettes69 lui-même qui écrit que "force est de
reconnaître que, dans la majorité des situations, les textes sont
polytypologiques".
Conclusion
Avec la question des types, au bout compte, nous ne savons pas exactement
ce que nous classons ; en même temps nous reconnaissons la nécessité de
classer. La formulation peut apparaître paradoxale, mais nous signifions ici que
la compétence textuelle pour le consommateur (scripteur ou lecteur) des textes
repose nécessairement sur la capacité à nommer et identifier un produit, un
produit que le consommateur va apparenter à des produits similaires. Le
consommateur non spécialiste n’a pas attendu le critère d’architextualité de
Gérard Genette70 pour identifier un produit textuel en le rattachant à un genre. Et
le genre est un critère de classement d’autant plus efficace qu’il impose des
contraintes formelles fortes. Les genres dits littéraires ont souvent cet avantage.
C’est le cas du poème en vers qui impose très souvent une structure étroite. C’est
le cas du sonnet ; c’est aussi le cas du haïku, ce poème traditionnel japonais de 3
vers, avec le premier et dernier pentasyllabiques, le second heptasyllabique. Il
est remarquable que le définition même du genre est liée à la contrainte formelle.
C’est le cas du calligramme, ou, pour prendre un autre exemple, du lipogramme
où le scripteur s’interdit l’usage de certains outils de la langue, certaines lettres
en l’occurrence. Un exemple célèbre est La disparition de Georges Pérec, texte
où l’auteur se refuse l’emploi de la voyelle « e », d’où le titre de l’oeuvre. Et
dans la traduction italienne, c’est la voyelle « i » qui se trouve prohibée.
68 Quelques références pour approfondir la question des typologies:
- ADAM, Jean-Michel: Le Texte Narratif, Paris, Nathan, 1985.
- ADAM, J-M. et PETITJEAN, A.: Le texte Descriptif, Paris, Nathan, 1989.
- HAMON, Philippe: Introduction à l'analyse du Descriptif, Paris, Hachette, 1981.
- TODOROV, Tzetan: Les genres du Discours, Paris, Le Seuil, 1978.
- Revue "Communications", Le texte, de la théorie à la recherche, Paris, Le Seuil, n° 19,
1972.
- Revue "Pratiques", Les Types de texte, Metz, CRESEF, 1987.
69 COMBETTES, Bernard et TOMASSONE, Roberte: Le Texte Informatif, Aspects
Linguistiques, Bruxelles, De Boeck, 1988. 70 GENETTE, Gérard : Introduction à l’architexte, Paris, Le Seuil 1979.
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La contrainte imposée qui fait la définition d’un genre peut valoir pour
certains documents non littéraires. C’est le cas du télégramme et de la petite
annonce, par exemple.
Pour des documents plus ouverts, plus longs, plus libres, l’identification
apparaît nettement plus complexe. C’est à dessein que nous venons de proposer
le terme « documents », terme qui a le mérite, selon nous, d’appartenir à la
terminologie usuelle, et de ne pas rechercher une définition théorique, comme
ceux de « textes » et de « discours ». La possibilité d’identification et de
classement a besoin d’arguments, doit s’appuyer sur des traces visibles, des
marques. Le texte comme manifestation concrète d’une activité langagière,
comme produit, en propose. C’est moins vrai pour le discours qui veut prendre
en compte le texte et les conditions de production. Le discours pose le problème
plus général de la complexité du langage, d’une action où le message peut
signifier autre chose ou plus que ce qu’il semble dire, où la performativité d’un
acte de parole n’est pas toujours signifiée par un performatif explicite (cf.
Austin). Ceci explique, à notre sens, et pour une large part, que les typologies
savantes aient quelques difficultés à s’imposer à l’école qui tend à prendre appui
sur une classification mettant en oeuvre le métalangage naturel.
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Activités d’approfondissement pour le chapitre 4
1. Dans un ouvrage destiné aux élèves de 6
ème, un éditeur parisien bien connu de
manuels scolaires propose une leçon consacrée à la publicité, leçon où la
publicité est définie comme un document comportant une image et un texte.
Cette définition vous semble-t-elle pertinente ? Avez-vous des propositions
autres pour définir la publicité, ou le document publicitaire ?
2. Pourquoi et comment enseigne-t-on le texte argumentatif ?
3. Comment comprenez-vous la notion de récit quand elle veut qualifier un type
de texte ?
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Chapitre 5. De la linguistique textuelle à la didactique de
l’écrit
5.1. Le rapport à l’écrit
Faut-il admettre qu’il existe des difficultés particulières dans
l’apprentissage de l’écrit, de la lecture et de l’écriture, et ce indépendamment de
la langue utilisée ? L’importance des études, les débats – largement médiatisés -
sur l’illettrisme, les querelles sur l’orthographe, les constants réitérés sur les
« lacunes » rédactionnelles des élèves et des étudiants, nous invitent à clarifier
une question où se mêlent des arguments épistémologiquement divers.
Une affaire de représentation L’écrit fait partie des pratiques sociales et reflète celles-ci. Un individu est
plus ou moins exposé ou invité dans son environnement social à l’écrit et l’école
de par le statut qu’elle accorde à l’écrit peut apparaître ou en harmonie ou en
conflit avec les pratiques, les habitudes ou valeurs sociales du sujet71. Un
apprenant arrive à l’école avec des représentations, lesquelles laissent prévoir
des attitudes ou positives d’adhésion ou négatives de rejet. L’analyse des
représentations permet de comprendre l’inégalité des chances à l’école, mais ne
définit pas pour autant une pratique pédagogique. Elle recommande cependant
une politique éducative qui admet les inégalités de départ72.
Une affaire de technique La question du rapport à l’écrit n’est pas épuisée par la problématique des
représentations sociales. Il est usuel de lire dans les ouvrages de linguistique et
d’ethnologie que toutes les langues ne s’écrivent pas, quand bien même toutes se
parlent. L’expression «société sans écriture » est sans doute ethnocentriste, et il
est préférable de partir du constat qu’à l’intérieur d’une société reconnue comme
disposant de l’écriture, il existe des exclus, des individus qui n’accèdent ni à la
lecture, ni à l’écriture.
71 Voir DABENE, Michel : L’adulte et l’écriture. Contribution à une didactique de l’écriture en langue
maternelle, Bruxelles, De Boeck, 1990.
72 Une attitude plus radicale consiste à remettre en cause les programmes eux-mêmes. On peut ici citer l’Anti-
Manuel de Français de Claude DUNETON et Jean-Pierre PAGLIANO, publié en 1978, au Seuil.
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Nous retrouvons ici l’illettrisme, une réalité qu’une enquête
(méthodologiquement contestable) évalue à 41% pour la population française73.
Orgueil hexagonal mis de coté, l’écrit ne se donne pas au sujet social qui doit,
pour l’obtenir, « travailler » et accepter l’intervention de l’école. C’est en ce sens
que nous posons ici que l’écrit est moins acquisition qu’apprentissage.
Il y a avec l’écrit apprentissage d’un code second, d’un système de
transcription (l’orthographe) ; il y a aussi apprentissage de la rédaction, du texte.
L’écrit suppose à ce niveau la maîtrise d’une technique74 et par technique
nous comprenons la nécessaire mise à distance des données de l’information et
l’artifice de la sélection, de la hiérarchisation, de la mise en forme des données.
Pouvant surprendre, voire heurter, notre référence à la technique mérite
quelques explications. Nous posons que l’écrit, dans sa spécificité, ressortit non
au langage, mais à l’outil75. L’argument que nous ne développons pas ici peut
apparaître comme un axiome, mais nous voulons signifier que l’homme a la
propriété du langage et de l’outil, lequel permet à l’homme de soumettre son
activité à une analyse, de définir des projets, des processus, des étapes, des
moyens. Contrairement à l’instrument que l’homme partage avec l’animal,
l’outil est « virtuel » (comme le signe linguistique) et se trouve pensé, conçu
avant et en dehors de la tâche qu’il doit accomplir.
L’outil est « abstrait », comme l’argumentation présente, mais qu’on songe
à ces magnifiques cadeaux offerts à l’occasion des fêtes et anniversaires (le
robot ménager ou la perceuse, par exemple) qui continuent à dormir au fond des
espaces de rangement domestiques ! Qu’on songe, également, à ces objets que
nous avons placés dans notre sac aujourd’hui et qui, ce soir, à la fin de la
journée, n’auront servi à rien ! Allez donc essayer de convaincre le singe le plus
intelligent de transporter sur lui, dans un sac, un bout de bois qui pourrait lui
servir à décrocher un régime de bananes trop haut pour une cueillette
« manuelle » et pour le cas il se trouverait dans cette éventualité en situation
d’avoir faim!
Pour l’écrit, il faut apprendre l’orthographe et les règles de la rédaction
avant de produire en situation authentique. La dictée n’a strictement aucune
73 Enquête internationale parrainée par l’OCDE (Organisme de Coopération et de Développement Economiques)
et réalisée en 2000. Pour la critique de cette enquête, voir POSTEL-VINAY, Olivier : « Chers illettrés », in
revue La Recherche, nov.2000, p. 114.
Voir sur la question de l’illettrisme FRIER, Catherine : « Illettrisme : métissage culturel et rumeur sociale », in
Regards sur la lecture : textes et images, Grenoble, Ellug, 1989, pp. 7-25.
74 En rattachant l’écrit à la technique, nous avons bien conscience d’attirer des critiques qui peuvent voir dans la
technique une médiation contre nature qui peut tuer, castrer toute créativité, notamment à une étape du
développemnt où la libre expression doit être le moteur de la motivation et de l’apprentissage. Mais, à ces
critiques, les tenants de l’OULIPO (Ouvroir de Littérature Potentielle), dont Georges PEREC (cf. La disparition,
par exemple), et les spécialistes de la créativité ont déjà apporté des réponses.
75 Il existe des troubles de l’écriture sans troubles du langage, sans aphasie. Et, dans ce cas, les troubles de
l’écriture ne sont que l’une des manifestations de troubles plus généraux de l’apraxie.
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visée pragmatique, sinon d’obtenir une bonne note à l’école ou d’être sélectionné
pour le concours orthographique de Bernard Pivot, qui, tel le beaujolais nouveau,
se consomme et se célèbre rituellement une fois l’an.
Il est reconnu que la communication écrite, par opposition à celle orale, est
une communication différée. Au-delà de ce constat, nous pensons que l’écrit,
parce qu’il ressortit à l’outil, est plus fondamentalement une production
langagière caractérisée par la distanciation. Il doit sa difficulté à cette propriété.
5.2. Compétence linguistique et compétence textuelle Définie comme la capacité à produire – voire comprendre – un nombre
infini de phrases dans une langue donnée, la compétence linguistique reste
limitée. En didactique des langues et en pragmatique on insiste aujourd’hui sur
la compétence communicative qui prend en compte l’appropriété sociale des
énoncés, c’est-à-dire la capacité à produire et comprendre l’énoncé dans son
contexte social. On tutoie son copain, mais pas une vieille dame qu’on ne
connaît pas. Au-delà de cette illustration triviale, il y a le postulat que le langage
ne peut pas se réduire à un système de signes, à la grammaire, que le langage, en
tant que totalité pragmatique, sollicite outre la compétence grammaticale (ou
linguistique au sens strict du terme) d’autres compétences : communicative,
discursive et … textuelle.
La compétence communicative (ou sociolinguistique) n’est pas, à notre
sens, une macro-compétence qui engloberait toute les autres, dont la liste serait
de plus provisoire76. Pour nous, la compétence communicative est une
compétence spécifique qui n’est pas de même nature que les compétences
grammaticale, discursive et textuelle.
La compétence textuelle ressortit à une compétence plus large, technique,
est capacité à distancier l’activité, à soumettre l’activité de représentation à une
activité de notation. L’argument peut sembler quelque peu abstrait et mérite une
illustration.
Quand je veux raconter une histoire (avec des faits, des évènements) ou
donner un point de vue (avec des idées), je peux « sortir » ce que je sais, ce dont
je me souviens, ce que j’ai sur le cœur, ce que je pense. Il suffit pour cela de le
manifester par la parole ou l’écriture. Le produit de cette activité sera une suite
et aussi un « tas », c’est-à-dire un capital accumulé et mis à disposition par
l’activité linguistique. Tout le monde est capable de faire cela, mais cette activité
ne garantit pas l’émergence d’un texte. Il faut, comme on dit familièrement, 76 Il n’y a pas lieu, selon nous, de poser une compétence référentielle, une notion épistémologiquement
contestable et provoquant des contresens avec les usages déjà attestées de la notion de référence.
La référence, nous la trouvons dans le schéma de la communication de Jakobson et la fonction référentielle est
aussi la fonction de communication, fonction par laquelle le langage désigne, représente la réalité du monde. La
référence chez Jakobson retrouve la référence de la philosophie et de la linguistique textuelle. On saisit pour le
coup l’ambiguité de la notion de fonction de communication chez Jakobson.
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savoir raconter, non seulement savoir, mais aussi savoir faire. Le texte est de
l’orde du savoir faire, d’un savoir-faire qui donne de la cohérence à une suite de
phrases (cf. chapitre 1).
La nécessité de cohérence impose au texte une mise en forme
contraignante, avec notamment une gestion de la durée. Le scripteur doit résister
à la pression de l’instant, doit penser son texte comme un ensemble. Même
averti, le scripteur est souvent pris en défaut. C’est ainsi qu’un étudiant de la
maîtrise FLE, dans un mémoire rédigé en mai 2001, en haut de sa page 47,
annonce 3 remarques, propose pour les indexer un système de numérotation.
Mais il fait apparaître en bas de cette même page, un « 4 », lequel commence
par « un autre point… ». Le correcteur relève cette anomalie et peut même la
sanctionner comme un défaut de rigueur. L’étudiant admet le reproche qui lui est
fait et s’étonne de ne pas avoir vu et corrigé lui-même cette anomalie. Il l’aurait
sans doute fait si ce « 4 » n’avait pas été placé dans son texte aussi loin du
segment « trois remarques ». Nous pouvons trouver des problèmes similaires
pour la gestion de l’accord et la psychologie cognitive aime mesurer ce type de
difficultés. Les correcteurs orthographiques de nos traitements de texte actuels
sont souvent piégés par la distance séparant deux segments dans un texte.
Le scripteur ne doit jamais oublier que le texte qu’il écrit doit être un
ensemble où les parties sont solidaires, doit savoir gérer une distance, une
longueur, un trajet, un volume. C’est à ce prix qu’il évite ces remarques
fréquentes dans la marge des copies, ces références des correcteurs au
raisonnement, à la rigueur, à la logique, à la répétition, à la contradiction.
Poser la compétence textuelle dans sa spécificité, la distinguer de la
compétence linguistique, c’est, à notre sens, mieux comprendre le débat sur le
fond et la forme. C’est également distinguer deux niveaux d’intervention dans la
pratique de l’écrit. Ces deux niveaux sollicitent différemment la mémoire (cf.
opposition faite entre la mémoire à court terme et la mémoire à long terme) et la
maîtrise de la phrase ressortit aux opérations de bas niveau. Prenons l’exemple
de l’apprenti lecteur qui mobilise toute son attention pour le déchiffrage du texte.
L’effort ici consenti va se payer et l’apprenti lecteur à ce stade va se révéler
généralement incapable de donner du sens au texte lu, déchiffré. Pour réaliser
une lecture « intelligente », il faut pouvoir se libérer quelque peu des opérations
de bas niveau. Parlant de la compréhension des textes, Jocelyne Gyasson77
compare l’activité de lecture à la pratique du vélo, activité qui dans les premiers
moments de l’apprentissage apparaît très difficile, voire douloureuse, car
l’apprenant doit tout de suite tout faire en même temps. Pour la rédaction écrite,
les opérations de haut niveau comprennent le travail ingrat, mais nécessaire du
brouillon. On pense ici à la construction d’un plan, à la planification. On pense
aussi à un travail d’écriture long , où il faut revenir sans cesse et jusqu’à la fin
77 GIASSON, Jocelyne : La compréhension en lecture, Bruxelles, De Boeck, 1990, p. 5.
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sur son texte (cf. la révision). La didactique de l’écrit fait souvent référence à ce
sujet aux travaux de la psychologie cognitive78 et au schéma de Hayes et
Flower79.
La compétence textuelle opère au niveau des opérations de haut niveau et
n’est pas réductible à la compétence linguistique qui est engagée au bas niveau.
La dissociation des niveaux et des compétences permet de comprendre
certaines spécificités de la didactique de l’écrit en fonction du contexte
d’apprentissage. En FLE l’apprenant doit constamment contrôler son
expression, la syntaxe de ses phrases et il est possible de considérer qu’à ce
niveau l’expression écrite est plus difficile dans une langue étrangère que dans la
langue maternelle. La maîtrise des opérations de haut niveau est d’une autre
nature et les apprenants, dans la rédaction en langue étrangère, peuvent réutiliser
des savoir faire mis en place en langue maternelle. Il y a donc une transversalité
partielle des questions de didactique de l’écrit, transversalité qu’il convient de
prendre en compte et pour évaluer les écrits des apprenants et pour construire
une pédagogie.
5.3. Oral et écrit : question de diglossie et de continuum ? En posant les notions d’oral et d’écrit, on tend à mettre l’accent sur le
vecteur, le canal mis en œuvre dans l’activité langagière. L’oral suppose
phonation et audition ; l’écrit, scription et lecture. Mais c’est évidemment dans la
tête, au niveau du cerveau, que l’essentiel se passe. Dans l’opposition oral / écrit,
il y a reconnaissance de deux ordres langagiers régis par des règles propres80 et
devant être décrits dans leur écosystème.81
Quand il est illustré par la conversation ordinaire, l’oral est spontané et doit
ses particularités à l’immédiateté de la situation. L’oral, dans cette situation,
fonctionne avec des partenaires qui souvent se connaissent, participent à une
même expérience, partagent une situation, qui rarement se trouvent en situation
de construire, d’élaborer une argumentation formelle. Dans cet échange
78 COIRIER, Pierre, GAONAC’H, Daniel et PASSERAULT, Jean-Michel : Psycholinguistique textuelle.
Approche cognitive de la compréhension et de la production des textes, Paris, Armand Colin, 1996
79 HAYES, J.R : « Un nouveau modèle du processus d’écriture », in BOYER, DIONNE et RAYMOND (dir.) :
La production des textes. Vers un modèle d’enseignement de l’écriture. Montréal, Les éditions Logiques, 1995,
pp. 49-72.
- BARRE-DE MINIAC, Christine : Le rapport à l’écriture. Aspects théoriques et didactiques, Lille, Presses
Universitaires du Septentrion (voir Première partie, chapitre 2).
80 PEYTARD, Jean : « Oral et scriptural, deux Ordres de Situations et de Descriptions Linguistiques », in revue
Langue Française, n°6, Paris, Larousse, 1970.
81 Se libérant progressivement de l’héritage saussurien, d’une conception unifiante de la langue, la linguistique
met aujourd’hui en avant la variation et l’adapation au milieu. Voir, par exemple, CALVET, Louis-Jean : Pour
une écologie des langues du monde, Paris, Plon, 1999 .
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conversationnel, nous allons touver les marques, la grammaire de l’oral ; nous
n’allons pas, par contre, trouver les critères constitutifs du texte.
On parle de choses et d’autres, de la pluie et du beau temps et puis… et
puis…c’est pas le tout, mais, avec ça, moi, j’ai autre chose à faire, salut !
J’ai, par exemple, à rédiger une dissertation.
Il ne saurait être question dans ce contexte, de parler de la pluie et du beau
temps. Ce serait attirer les foudres de mon correcteur qui me reprocherait de
mélanger les torchons et les serviettes, de sauter du coq à l’âne.
Ce qui est normal et prévisible pour l’oral spontané et immédiat n’est pas
admis dans l’écrit formel ou académique. Nous retrouvons à ce niveau la
question de l’appropriété pragmatique : il existe différents emplois du langage,
avec des règles, des marques et des rituels pour chacun d’entre eux.
Le texte n’est pas attendu dans l’oral spontané ; il l’est, par contre dans
l’écrit académique, dans ce mode de production différé qui prévoit une
préparation et une planification. Incongruité méthodologique que de vouloir
analyser ou regarder l’oral et l’écrit avec les mêmes critères… incongruité qui
nourrit, malheureusement, les attitudes normatives. Mais l’oral a sa place dans
une didactique de l’écrit, car l’écrit se construit notamment par opposition à
l’oral. Il importe que l’apprenant puisse reconnaître et manipuler ces deux ordres
langagiers dans leur opposition maximale d’abord, dans des situations plus
complexes ensuite.
La question du vecteur phonique ou graphique est à ce niveau secondaire et
une conversation ordinaire, même transcrite, ressortit à l’ordre de l’oral
(immédiat). C’est le cas, par exemple, de la « brève de comptoir » que nous
avons insérée au chapitre 1. Dans les romans, les deux ordres langagiers sont
présents. Il est remarquable que les dialogues portent les marques de l’oral et que
le texte dispose d’outils de signalisation de ces parties (les tirets, les guillemets,
les incises...). L’exercice de l’exposé est hybride dans la mesure où la passation
est orale, mais présuppose la collecte, le tri, la hiérarchisation de données ou
ressources, exige une préparation. Comment à la fois s’appuyer sur et se libérer
de ses notes ? Peut-on se contenter de lire un exposé ? Dans conversation
téléphonique, il y a certes « phonique », mais aussi « télé » et il n’est pas facile
d’accepter l’artifice de l’outil qui met à distance et masque l’allocutaire. Il a fallu
apprendre à se servir du téléphone, apprendre à se présenter autrement que par
« allo, c’est moi ! », apprendre à présenter le lieu où l’on se trouve. Le répondeur
téléphonique ajoute de la distance en ne proposant pas, à la différence du
téléphone, la communauté de temps. On pourrait multiplier les exemples en
prenant appui notamment sur les nouvelles communications médiatisées par
l’informatique et internet. Le clavardage (ou «chat ») est synchrone ; le forum,
asynchrone. La prise de notes que nous pratiquons depuis le collège est un
exercice que nous savons bien ne pas réduire à de la stricte transcription, voire
de la sténographie. Il s’agit de comprendre ce que veut dire l’enseignant et pour
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cela il faut savoir rattacher ce qui est dit à ce qui a été déjà dit et ce qui va l’être.
D’où la nécessité de relire ses notes et de les réorganiser.
5.4. Place de la grammaire Au début de l’apprentissage de l’écrit, il y a l’orthographe, le passage à
l’écrit compris dans sa fonction de transcription. Mais au-delà de cette première
étape admise par tous, les choses se compliquent. La difficulté à poser la
spécificité de l’écrit et la nature de la compétence textuelle explique que le
pégagogie de l’écrit ait eu du mal à se distinguer d’une pégagogie de la
grammaire. Manifestation exemplaire de l’écrit, le texte littéraire met en œuvre
des structures linguistiques qu’il convient d’enseigner. L’écrit devient alors un
registre de langue valorisé par l’institution scolaire et l’occasion de travailler la
langue (morphologie et syntaxe) et le lexique.
Les choses évolueront lentement, à partir de travaux menés dans le champ
de la didactique du français langue maternelle. Dans une thèse soutenue en 1994,
Maurice Mas82, retrace l’histoire de ce renouveau méthodologique et fait
clairement comprendre l’origine de la préoccupation :
« Intéressé par l’étude de la langue, mais peu enthousiasmé – bien qu’y
réussissant honorablement – par les activités de production d’écrit qui
étaient alors proposées à l’école, au collège, l’élève que j’étais avait
empiriquement acquis, comme tous ceux qui étaient dits « bon en français »,
deux intuitives convictions : la première était que , au-delà de la correction
des phrases, la maîtrise de l’écrit relevait de compétences mettant en jeu des
savoirs et des savoir-faire que l’école n’enseignait pas explicitement, sinon à
travers les fréquentes injonctions à « lire davantage » en vue d’une
imprégnation diffuse par la lecture et une imitation – souvent maladroite –
des « bons auteurs » ; la deuxième intuition… était que, pour réussir en
français, il valait mieux être capable de « détecter » les attentes implicites de
l’eneignant en matière.
Devenu enseignant et formateur de maîtres, je me suis trouvé confronté
non seulement avec les difficultés de la production d’écrits divers mais
surtout avec les affres et les aléas de la « correction » des écrits des élèves en
classe, que mes expériences d’élève et d’étudiant ne me permettaient pas
d’ignorer. » (pp. 6-7)
La pression de la demande est évidemment beaucoup plus forte en
didactique de la langue maternelle qu’en didactique d’une langue étrangère.
Mais il ne suffit pas de constater un problème pour le résoudre. C’est la
linguistique textuelle qui va proposer les premiers outils pour dépasser le cadre
de la phrase et de la grammaire. Combettes, Fresson et Tomassone proposeront
82 MAS, Maurice : Recherches sur l’évaluation des écrits des élèves. Problématique didactique, notions de
critère d’évaluation et de contenus d’enseignement (dir. Michel Dabène), Grenoble, 1994.
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ainsi un manuel destiné aux élèves des collèges et intitulé De la phrase au
texte83.
Les nouvelles propositions peuvent à notre sens être regroupées en 2
rubriques. La première se place au niveau du macro-texte et s’intéresse
notamment aux typologies de textes ou de discours. Le manuel propose ici des
documents, des questions, des exercices, des activités, des tâches sur l’article de
presse, le texte théâtral, les textes argumentatif, descriptif et narratif. La
deuxième rubrique correspond à des préoccupations plus locales, à la prise en
compte des relations interphrastiques. On trouvera, par exemple, les activités de
repérage de la trame du texte à partir de la construction du réseau de coréférence.
La reconstruction justifiée de texte peut viser le même objectif. On travaillera
également à ce niveau la maîtrise des connecteurs, ou encore la progression
thématique.
L’arrivée de la grammaire de texte, de la linguistique textuelle à l’école
signifie-t-elle à terme la mort de la grammaire, de la grammaire de la phrase ?
Une certaine pratique scolaire de la grammaire est menacée, mais il convient de
penser l’avenir en terme non de disparition, mais d’évolution.
L’évolution peut être intégration. On travaille les connecteurs quand on
étudie le texte argumentatif, la nominalisation avec l’article de presse. On met
ainsi la grammaire en situation, en évitant autant que possible l’exercice scolaire.
Avec l’intégration, la situation de la grammaire à l’écrit est comparable à celle
de la grammaire à l’oral dans le cadre de l’approche communicative, quand les
structures linguistiques sont soumises aux actes de parole.
Une autre forme d’évolution peut toucher la grammaire. La didactique de
l’écrit d’une part, les recherches sur le texte d’autre part, peuvent amener à
penser différemment certains problèmes grammaticaux. Citons pour exemple les
déterminants définis dans les grammaires actuelles84, y compris dans des
collections où l’on n’attend pas habituellement la modernité85. Et n’oublions pas
l’approche des temps verbaux à la lumière du texte, à la recherche menée
notamment par Harald Weinrich.86. Ces développements ne doivent pas tout à la
linguistique textuelle et il ne faut occulter ni Gustave Guillaume, ni Emile
Benveniste. Ils confortent cependant l’idée selon laquelle la bonne
compréhension de l’emploi des temps verbaux suppose la mise en perspective
des différentes formes, mise en perspective que ne proposent pas véritablement
83 Paris, Delagrave,1990. 84 - CHARAUDEAU, Patrick : Grammaire du sens et de l’expression, Paris, Hachette, 1992.
- SALINS (de), Geneviève : Grammaire pour l'enseignement/apprentissage du FLE,
Paris, Didier/Hatier, 1996.
- 85 BESCHERELLE : La conjugaison, l’Orthographe, la Grammaire, France-Loisirs, 1999.
86 WEINRICH, Harald : Le temps. Le récit et le commentaire, Paris, Le Seuil, 1973 (titre original : Tempus,
1964)
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les manuels de grammaire qui citent des exemples décontextualisés, mais mise
en perspective qu’on trouve « naturellement » dans les textes. C’est à l’épreuve
du texte qu’il est possible de comprendre et de faire comprendre la notion de
plans et de comprendre la hiérarchie créée par la distribution du passé simple et
de l’imparfait.
L’analyse des relations de la didactique de l’écrit à la grammaire est en
conséquence marquée par la linguistique textuelle et il est possible d’observer un
double mouvement : un premier qui permet de sortir de la grammaire stricte de
la phrase ; un second qui fait paradoxalement revenir la grammaire, mais une
grammaire revisitée.
Le texte éclaire la grammaire et la grammaire éclaire le texte.
5.5. Diversité et intérêt des ressources : du texte littéraire au « document
authentique »
Faut-il privilégier le texte littéraire ? La place de la littérature dans la classe
a connu une longue évolution et son statut reste complexe. Il nous apparaît
judicieux de désacraliser le texte littéraire en didactique de l’écrit, de cesser de le
poser comme modèle idéal proposé à l’admiration des foules, un modèle qui
renvoie l’apprenant à ses limites et nourrit ses inhibitions.
Faut-il, dans un mouvement inverse, ne prendre en compte que les textes
fonctionnels, les modes d’emploi, les recettes de cuisine, ou encore les constats
amiables d’accident de la circulation routière ? Nous avons ici les deux extrêmes
et un choix ainsi formulé ne propose pas d’arguments méthodologiques sérieux.
Le point de vue que nous défendons est que tout document présente un intérêt
pédagogique dès lors qu’il permet de faire comprendre et de faire travailler la
compétence textuelle.
A la fin du chapitre 2 du présent cours nous avons cité un extrait d’une
oeuvre de Ionesco. La raison de l’insertion de ce document à l’évidence littéraire
n’a rien à voir avec un souci littéraire de notre part. Ce document est proposé
dans notre chapitre 2 parce qu’il illustre la nécessité pour le texte d’équilibrer la
cohésion et la progression. L’illustration se fait par l’absurde chez Ionesco, mais
elle est révèle par là-même ce qu’un texte doit être pour fonctionner
« normalement ».
Nous justifions notre utilisation de la brève de comptoir au chapitre 1 de la
même façon. Notre souci à ce niveau n’est pas de rire avec les lecteurs de Jean-
Marie Gourio ; il est de montrer que toute suite de phrases, quand bien même
transcrite sur du papier et publiée dans un livre, ne fabrique pas un texte, ne
garantit pas la cohérente, l’existence d’un projet (narratif).
Faut-il au nom de la diversité en appeler à toute la gamme des documents
dits authentiques ? Nous passerons rapidement sur le paradoxe de la notion de
« document authentique » puisque cette notion est une création des didacticiens
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et vient qualifier des documents qui n’ont pas été faits originellement pour la
classe et qui, de fait, cessent d’être authentiques dès qu’ils font l’objet d’une
pédagogisation. Peu importe finalement que ces documents soient vraiment
authentiques ou fabriqués. Il importe par contre qu’un document proposé dans
la classe de langue soit placé dans un contexte pragmatique, ne soit pas proposé
sans ce contexte.
Prenons par exemple le fait divers de la presse régionale, un type de
document que l’on trouve souvent dans les manuels aujourd’hui.
Indépendamment de sa qualité ou de son intérêt intrinsèque, la coupure de presse
s’adresse à un lectorat précis, est placée à certaines pages d’un périodique à
livraison précise (quotidienne, hebdomadaire…). Pourquoi trouvons-nous dans
un quotidien régional en page 7 ( page locale), sous un titre la mention « (lire en
page 5) » ? Pourquoi avons-nous « un mort » pour cet événement en page 5 et
« deux morts » en page 7 (page toutes éditions) ? En posant le contexte
pragmatique pour la coupure de presse, nous faisons valoir que le lecteur de la
page locale, de la page dédiée à une ville par exemple, attend des informations
concernant la ville. Si un accident de la circulation fait deux victimes et que
l’une des victimes est originaire de cette ville, en page locale on pourra ne
retenir que cette victime. Pour trouver la seconde, il faudra aller à la page
« toutes éditions » du journal. La coupure de presse permet ainsi de travailler la
prise en compte du destinataire, du lecteur, une prise en compte qui apparaît
notamment dans l’organisation des pages du journal. Priver un article de presse
de son contexte revient à interdire ce travail, tant en lecture qu’en écriture. Ce
n’est donc pas l’authenticié du document qui importe ; c’est son ancrage
pragmatique. Ceci a été bien compris par les tenants des simulations en
didactique des langues… moins par les adeptes du document authentique.
Une grille du type « Quoi ? Qui ? Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? »
est sans doute trop générale pour l’approche des documents authentiques. Nous
regrettons également une certaine pratique du document authentique dans la
classe de langue où l’on retrouve une exploitation unique, où l’on propose un
document qui fait l’objet, après lecture, de questions de compréhension et sert de
support ou modèle à des activités d’écriture « à la manière de ». Cette pratique
d’une part a le tort de provoquer l’ennui à force d’être répétée, d’autre part ne
s’appuie pas sur un projet didactique, ne repose pas sur une conception de l’écrit.
La diversité des ressources, des documents ne garantit ni la richesse, ni
l’adéquation des exploitations pédagogiques. Il est plus facile de mettre en avant
les documents que les (sous)compétences constitutives de la compétence
textuelle (ou scripturale). La prise en compte du lecteur renvoie à l’une de ces
(sous)compétences. Et quand nous mettons en avant, non le document, mais la
compétence, nous nous plaçons délibérément dans une perspective didactique où
la nature du document n’a pas d’importance en soi.
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Pour travailler la prise en compte du destinataire, il n’y a pas que le fait
divers dans la presse régionale. Nous pensons par exemple aux guides
touristiques, mais aussi à la littérature quand elle pose la question du regard de
l’autre. L’excentricité des anglais tient pour Alphonse Allais à cette manie
qu’ils ont de donner à leurs lieux publics des noms de défaites militaires (ex :
Trafalgar Square, Waterloo Station). Mais si nous travaillons la prise en compte
du destinataire, il importe, quelque soit le document choisi, de proposer une
exploitation ad hoc, de respecter l’objectif préalablement défini.
Mais les objectifs ne se donnent pas immédiatement. Ils sont construits à
partir d’une réflexion théorique sur l’écrit, sur la compétence textuelle. La prise
en compte du destinataire, du lecteur n’est que l’une des composantes de la mise
à distance de l’information caractéristique du texte. La soumission de l’instant à
la gestion de la durée en est une autre et c’est à partir de là que le sens du texte
comme totalité construite peut prendre corps chez l’apprenant.
Conclusion Les pages que nous venons de consacrer aux rapports entre la linguistique
textuelle et la didactique de l’écrit sont rapides et retrouvent la dialectique
théorie/pratique. Il serait naïf de penser que les travaux de linguistique textuelle
trouvent une application immédiate en didactique de l’écrit, en pédagogie
devrions-nous préciser, puisqu’il s’agit bien là du terrain d’intervention visé.
La pratique de la classe en langue maternelle et en langue étrangère met le
doigt sur les difficultés et les résistances de l’expression écrite et l’enseignant
apparaît souvent désarmé. Concrètement, il sait intervenir ponctuellement sur les
problèmes de syntaxe au niveau de la phrase et sur le lexique, mais, au-delà de la
phrase, il se contente de signaler de façon vague les problèmes de rédaction qui
touchent à la cohérence. Ce sont les grandes accolades dans la marge des copies
d’élèves ou d’étudiants, avec pour légende les mots « raisonnement »,
« logique » , écrits en rouge et suivis de points d’exclamation, de suspension et
d’interrogation rageurs.
On a pu intervenir en venant proposer des modèles, des bons ou des beaux
textes, en venant constater qu’avec les textes des apprenants ce n’était pas
encore ça ? Mais qu’est-ce que c’est que ça ? Comment l’enseignant peut-il
comprendre et faire accéder à ce ça ? Il nous apparaît que la rénovation de la
pédagogie de l’écrit passe par un double travail, par un double
approfondissement théorique. Le premier concerne le texte qu’il faut savoir
définir et décrire. C’est l’apport de la linguistique textuelle. Le second
s’intéresse aux rapports du scripteur au texte, aux mécanismes cognitifs mis en
œuvre dans la pratique rédactionnelle. Ces données sont développées davantage
par la psycholinguistique et la didactique des langues que par la linguistique
textuelle, laquelle reste aujourd’hui une science de l’objet, moins du processus.
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Activités d’approfondissement pour le chapitre 5
1. Quelle place accordez-vous à l’oral dans l’enseignement de l’écrit ?
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2. Comment imaginez-vous le traitement de la presse dans l’enseignement de
l’écrit ?
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3. Quelles pistes proposez-vous pour travailler le récit en classe ?
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CONCLUSION
L'objectif du cours est modeste: il s'agit d'introduire un développement
récent des études linguistiques. La grammaire du texte ou la linguistique
textuelle apporte aujourd'hui moins de solutions que de problèmes. Elle n'en
demeure pas moins incontournable, car la bonne compréhension du langage
exige l'analyse de segments verbaux plus larges que ceux phrastiques. Faut-il
pour cela inventer une nouvelle discipline, créer un nouvel appareil conceptuel?
Ce serait là pérenniser la coupure que nous dénonçons entre la phrase et le texte.
Il nous semble plus intéressant et il nous apparaît épistémologiquement légitime
de reprendre certains savoirs établis dans le cadre de la description de la phrase à
la lumière, à l'épreuve du texte. Et déjà peuvent se saisir des convergences
intéressantes. Le pronom sert le texte en tissant économiquement un réseau
coréférentiel. La rupture ou segmentation phrastique aide à comprendre le
principe de clôture du texte.
Il est un autre enjeu à la linguistique textuelle, un enjeu cette fois
pédagogique. La linguistique textuelle peut-elle nourrir la réflexion didactique?
Et nous serions tenté de répondre à cette question par la négative, si la
linguistique textuelle en restait à la description d'un objet (le texte) et ne venait
pas s'intéresser à l'activité langagière (le processus) qui produit cet objet. La
théorie du texte doit être impérativement accompagnée d'une théorie de la
compétence textuelle, de cette compétence qui doit être à l'oeuvre dans nombre
de productions langagières, notamment scripturales, notamment scolaires.
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