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Master Sciences du Langage spécialité FLE - 1 ère année Linguistique Textuelle et Didactique de l’Ecrit code formation Professeur: Jean-Emmanuel LE BRAY 8 1053 TG PA 00 05 339/351 ___________________________________________________________________________ 1 LINGUISTIQUE TEXTUELLE et DIDACTIQUE de l’ECRIT Sommaire Chapitre 1. Pour Introduire la Linguistique Textuelle 1.1. Texte et phrase 1.2. Texte et discours 1.3. Texte et écrit 1.4. Texte et pragmatique 1.5. Texte, paratexte, métatexte… voire hypertexte 1.6. Définition du texte comme ensemble cohérent de phrases Activités d’approfondissement Chapitre 2. La Cohésion Textuelle 2.1. Référence et coréférence 2.2. Contiguité sémantique 2.3. Présupposition 2.4. Connecteurs Activités d’approfondissement Chapitre 3. La Dynamique Communicative 3.1. Thème et rhème 3.2. Le critère formel de la disposition 3. 3. Les critères pragmatiques 3.4. Progression thématique Activités d’approfondissement Chapitre 4. Les Types de Textes

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Linguistique Textuelle et Didactique de l’Ecrit code formation

Professeur: Jean-Emmanuel LE BRAY 8 1053 TG PA 00 05 339/351

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1

LINGUISTIQUE TEXTUELLE

et

DIDACTIQUE de l’ECRIT

Sommaire

Chapitre 1. Pour Introduire la Linguistique Textuelle 1.1. Texte et phrase

1.2. Texte et discours

1.3. Texte et écrit

1.4. Texte et pragmatique

1.5. Texte, paratexte, métatexte… voire hypertexte

1.6. Définition du texte comme ensemble cohérent de phrases

Activités d’approfondissement

Chapitre 2. La Cohésion Textuelle 2.1. Référence et coréférence

2.2. Contiguité sémantique

2.3. Présupposition

2.4. Connecteurs

Activités d’approfondissement

Chapitre 3. La Dynamique Communicative 3.1. Thème et rhème

3.2. Le critère formel de la disposition

3. 3. Les critères pragmatiques

3.4. Progression thématique

Activités d’approfondissement

Chapitre 4. Les Types de Textes

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4.1. Clôture du texte

4.2. Le texte comme type

Activités d’approfondissement

Chapitre 5. De la linguistique textuelle à la didactique de l’écrit

5.1. Le rapport à l’écrit

5.3. Compétence linguistique et compétence textuelle

5.3. Oral et écrit : question de diglossie et de continuum ?

5.4. Place de la grammaire

5.5. Diversité et intérêt des ressources : du texte littéraire au

« document authentique »

Activités d’approfondissement

Conclusion

Annexes.

- Deux exercices type examen final avec corrigés

- Corrigés ou commentaires des activités proposées à la fin de chaque

chapitre

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Avant-propos

Présentation du Cours

Après avoir décrit la structure des langues, la linguistique complète son

objet et ses méthodes. A coté de la phonologie, de la morphologie, de la syntaxe,

de ce « noyau dur » de la discipline, sont pris en compte au-delà du système lui-

même, les produits de l’activité langagière, du contexte qui les voit surgir, des

processus et des stratégies que les locuteurs mettent en œuvre pour produire et

échanger. Nous assistons de ce fait à une perspective qui dépasse le cadre de

l’héritage saussurien, de la linguistique dite « générale » ou « interne » qui

posait en son temps la nécessité de prendre « pour unique et véritable objet la

langue envisagée en elle-même et pour elle-même ».

Le langage est appréhendé sous l’angle d’une activivité langagière qui

vient se manifester sous la forme d’un discours ou d’un texte. Le cadre de

l’énoncé, de la phrase apparaît dès lors trop étroit. Il faut s’attacher à mettre en

œuvre, voire à élaborer des outils méthodologiques susceptibles de rendre

compte de segments plus larges que ceux analysés usuellement par la

linguistique générale et les manuels de grammaire. La linguistique textuelle s’y

attache dès lors qu’elle s’interroge sur les relations interphrastiques, sur l’ordre

des phrases dans un texte, sur les exigences ou les critères constitutifs d’une

suite de phrases qui vient fabriquer un texte.

Se pose alors la question d’une compétence spécifique, d’une compétence

textuelle qui ne saurait être réductible à une compétence linguistique au sens

strict du terme. L’enjeu pédagogique est significatif. Est concernée la didactique

de l’écrit, de l’écriture et de la lecture. Il ne s’agit pas de concevoir la didactique

de l’écrit comme le champ d’application direct et immédiat de la linguistique

textuelle, mais l’effort d’abstraction et de théorisation sur le texte conduit

nécessairement à une prise de distance quant à une conception naïve de l’écrit

comme transcription de l’oral, ou comme registre de langue exigeant et

contraignant en orthographe, grammaire et lexique.

Les quatre premiers chapitres du cours sont consacrés à la linguistique

textuelle ; le cinquième et dernier chapitre entend posé quelques jalons pour une

didactique de l’écrit.

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Modalités d'évaluation et indications méthodologiques

Le texte est un objet que le lecteur ou le scripteur « sent » plus ou moins,

c'est-à-dire pressent confusément. La linguistique textuelle veut donner des

outils formels d'analyse d'un objet qui demande à être défini. Le cours proposé

ici se veut une introduction modeste à une problématique complexe, mais entend

mettre à l'épreuve du texte des concepts éprouvés en linguistique générale.

L'étudiant trouvera en annexe deux exercices types avec leur corrigé.

Proposés il y a quelques années dans le cadre de l’évaluation terminale, ces deux

exercices donnent une idée de ce qui est attendu à l’examen. L’étudiant trouvera

également des corrigés ou commentaires afférents aux activités proposées à la

fin de chaque chapitre

Est également proposé, dans le cadre de la préparation, un devoir

d'entraînement (adressé séparément). Ce devoir est prévu pour 2 heures, pour le

temps alloué à l'épreuve terminale de linguistique textuelle. Il est conseillé de

prendre en compte cette contrainte horaire pour le devoir d'entraînement.

A la fin de chaque chapitre, vous trouverez quelques questions ou

documents qui doivent vous permettre d’approfondir certains points du cours ou

d’imaginer des applications pour la linguistique textuelle.

L’expérience révèle que les inscrits peuvent consacrer en moyenne 5 mois

à leur préparation aux examens terminaux, de décembre à avril généralement

pour la première session qui se déroule au cours du mois de mai. Cinq mois pour

cinq chapitres, un chapitre par mois, ceci permet de programmer

raisonnablement le travail. Mais la reprise ou consultation régulière des

exercices ou activités proposés à la fin de chaque chapitre et des annexes doit

être conseillée car elle doit donner à l’étudiant une expertise qui s’affine

progressivement.

… et maintenant bon courage à toutes et à tous. ☺☺☺☺

Bibliographie sélective

ADAM, Jean-Michel : Le texte Narratif. Précis d'Analyse Textuelle, Paris,

Nathan, 1987.

ADAM, Jean-Michel : Eléments de Linguistique Textuelle. Théorie et Pratique

de l'Analyse Textuelle, Liège, Mardaga, 1990.

ADAM, Jean-Michel : Linguistique textuelle. Des genres et discours aux textes,

Paris, Nathan, 1999.

CHARAUDEAU, Patrick : Grammaire du sens et de l'Expression, Paris,

Hachette, 1992 (voir troisième partie)

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COIRIER, Pierre, GAONAC’H Daniel, PASSERAULT, Jean-Michel :

Psycholinguistique Textuelle. Approche Cognitive de la compréhension et de la

production des textes, Paris, Armand Colin, 1996.

COMBETTES, Bernard : Pour une Grammaire Textuelle. La Progression

Textuelle, Bruxelles-Paris, De Boeck-Duculot, 1983.

COMBETTES, Bernard et TOMASSONE, Roberte : Le Texte Informatif,

Bruxelles, De Boeck, 1988.

COMBETTES, Bernard : Quelques Jalons pour une Pratique Textuelle de

l'Ecrit, Clermont-Ferrand, CRDP- CEFISEM, 1989 (ouvrage distribué par les

CRDP).

COMBETTES, Bernard : L'organisation du Texte, Metz, Université de Metz,

1992.

GARDES TAMINE, Joëlle : Pour une grammaire de l’écrit, Paris, Belin, 2004.

JEANDILLOU, Jean-François : L’Analyse Textuelle, Paris, Armand Colin, 1997.

LANE, Philippe : La périphérie du texte, Paris, Nathan, 1992.

LUNDQUIST, Lita : La Cohérence Textuelle: syntaxe, sémantique,

pragmatique, Copenhague, Nyt Nordisk Forlag Arnold Busck, 1980.

LUNDQUIST, Lita : L'analyse Textuelle. Méthode, Exercices, Paris, CEDIC,

1983. (Les ouvrages de Lundquist sont malheureusement difficiles à trouver. Voir, quand c'est

possible, les bibliothèques universitaires)

MOIRAND, Sophie : Une Grammaire des Textes et des Dialogues, Paris,

Hachette, 1990.

PERY-WOODLEY, Marie-Paule : Les Ecrits dans l'Apprentissage, Clés pour

Analyser les Productions des Apprenants, Paris, Hachette, 1993.

REBOUL, Anne et MOESCHLER, Jacques : Pragmatique du discours. De

l’interprétation de l’énoncé à l’interprétation du discours, Paris, Armand Colin,

1998.

REICHLER-BEGUELIN, Marie-José, DEVERNAUD, Monique, JESPERSEN,

Janine : Ecrire en français. Cohésion textuelle et apprentissage de l’expression

écrite, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 2ème

édition, 1989.

ROULET, Eddy : La description de l’organisation des discours, Paris, Didier,

1999.

VIGNER, Gérard : Lire : du texte au sens. Eléments pour un apprentissage et un

enseignement de la lecture, Paris, CLE international, 1979.

VIGNER, Gérard : Ecrire. Eléments pour une pédagogie de la production écrite,

Paris, CLE international, 1982.

Sitographie sélective

www.edufle.net

http://www.ciep.fr

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(les références ont ici été réduites à des portails institutionnels où l’internaute

retrouvera l’essentiel des ressources disponibles en FLE)

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Chapitre 1. Pour Introduire la Linguistique Textuelle

Une définition simple, voire simpliste, de la linguistique textuelle est de

concevoir ce développement scientifique relativement récent comme une

discipline appliquant une méthode mise en place par la linguistique générale, à

savoir la méthode structurale, à un objet plus large que celui que traite

traditionnellement la linguistique, à savoir la phrase, un objet plus large ayant

pour nom le texte. Une telle définition a le mérite de situer les problèmes

rencontrés par la linguistique textuelle.

1.1. Texte et Phrase

La phrase est l'unité maximale d'analyse de la linguistique générale, de

l'analyse grammaticale. Nous ne faisons ici que reprendre le point de vue

généralement admis par les linguistes, un point de vue que présente notamment

John Lyons, en s'appuyant sur Bloomfield:

"... une phrase est une forme linguistique indépendante, qui n'est pas incluse en

vertu d'une quelconque construction grammaticale dans une quelconque forme

linguistique plus grande."1

Pour Benveniste, la phrase peut être segmentée, mais ne peut être intégrée

dans une unité plus grande. En linguistique générative, Katz et Fodor indiquent

que les grammaires cherchent à décrire la structure d'une phrase, séparée des

1 LYONS, John: trad. française, Linguistique Générale. Introduction à la Linguistique

Générale, Paris, Larousse, 1970, p. 133.

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positions dans lesquelles elle peut se trouver dans les discours (écrits et oraux)

ou dans les contextes non linguistiques (sociaux ou physiques).

Le projet d'une linguistique textuelle relèverait-il d'une gageure?

Jean-Michel Adam ne manque pas de relever les difficultés de l'entreprise:

" Bien que l'analyse de discours, inaugurée par Z.S. Harris en 1952, ait donné à la

linguistique une orientation discursive, jusqu'à ces dernières années, dans le

domaine francophone du moins, cette célèbre remarque de Bakhtine2 a gardé

toute sa validité:

La linguistique... n'a absolument pas défriché la section dont devraient relever les

grands ensembles verbaux: longs énoncés de la vie courante, dialogues, discours,

traités, romans, etc. car ces énoncés-là peuvent et doivent être définis et étudiés,

eux aussi, de façon purement linguistique, comme des phénomènes du langage. ...

La syntaxe des grandes masses verbales ... attend encore d'être fondée; jusqu'à

présent, la linguistique n'a pas avancé scientifiquement au-delà de la phrase

complexe: c'est le phénomène linguistique le plus long qui ait été scientifiquement

exploré. On dirait que le langage méthodiquement pur de la linguistique s'arrête

ici... Et cependant, on peut poursuivre plus loin l'analyse linguistique pure, si

difficile que cela paraisse, et si tentant qu'il soit d'introduire ici des points de vue

étrangers à la linguistique."3

Que cherchent donc les spécialistes du texte dans une discipline où l'on

déclare qu'on ignore tout objet au-delà de la phrase? Quels arguments faire

valoir, pour légitimer une "continuité" de la phrase au texte?

Le premier est que nous parlons, écrivons, communiquons, construisons de

l'information, en produisant non des phrases isolées, mais en inscrivant les

phrases dans des entités plus larges, textuelles ou discursives. Tous les ouvrages

consacrés à la linguistique textuelle s'attachent, dans leur introduction, à mettre

en avant ce constat, et tirent les conséquences.

Le second argument procède du constat incontournable qui pose le texte

comme une suite de phrases, qui reprend en cela la définition du discours de

Harris. Comment admettre, à partir de là, une mutation entre la phrase et le texte,

une différence de "nature" entre la phrase et le texte? La question a des

implications tant sur le plan théorique que pratique. En admettant une coupure

de la phrase au texte, on admet que la phrase se prête à un jugement de

grammaticalité et le texte à un jugement d'un autre type, à un jugement de

"cohérence", de "logique". Les annotations portées par les enseignants dans la

marge des copies d'élèves font apparaître cette dichotomie, une dichotomie qui

2 BAKHTINE, Mikhail.: Esthétique du Roman, trad. Française, Paris, Gallimard, 1978, p. 59.

3 ADAM, Jean-Michel: Eléments de Linguistique Textuelle. Théorie et Pratique de l'Analyse

Textuelle, Liège, Mardaga, 1990, p. 7.

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n'est pas sans indiquer les limites de l'enseignement traditionnel de la grammaire

dans l'apprentissage de cette compétence textuelle qui se trouve sollicitée dès

qu'il y a production de suite suivie de phrases. Il n'est pas interdit de penser que

la difficulté à concevoir le texte masque une conception trop étroite de la notion

de phrase. Non seulement le texte est fait de phrases; mais encore les phrases

fabriquent du texte. Le principe d'autonomie syntaxique de la phrase n'est pas en

cela contesté. La lisibilité d'une entité textuelle est intimement liée à

l'organisation séquentielle de celle-ci. Après tout, une phrase, elle-même, est le

produit d'un découpage, puisqu'elle est agencement et ordination de constituants.

Il est possible de soutenir que le principe du texte est déjà présent dans la phrase,

que la phrase et le texte procèdent d'une même logique.

Pour "preuve", le troisième argument: certains problèmes éminemment

grammaticaux ne trouvent pas de solution dans le cadre étroit de la phrase. Nous

nous contenterons ici de citer quelques exemples.

Le pronom4 trouve bien souvent son antécédent dans la phrase qui précède

celle où il est placé. Les grammaires (de la phrase) nous disent que le pronom

permet d'éviter la répétition d'un même substantif dans un même texte. C'est là

une problématique qui trouvera une continuité "naturelle" dans la grammaire du

texte (cf. la coréférence comme outil de la cohésion).

Les grammaires de la phrase ont bien du mal à faire comprendre

l'opposition entre l'article défini et celui indéfini en se référant à la détermination

(en soi). "Le chat" que je rencontre dans une phrase donnée, peut effectivement

être l'animal générique, mais il est le plus souvent celui dont le texte a déjà parlé.

Individualisation, certes, mais individualisation produite par l'activité textuelle.

Dernier exemple: la grammaire des temps verbaux tient pour une large part

à la structuration du texte. Ainsi la valeur d'antériorité que l'on attribue au plus-

que-parfait ressortit-elle bien souvent moins à une chronologie objective qu'à

une mise en perspective, un acte d'écriture où le narrateur, en choisissant le

temps verbal, crée ce qu'on appelle une introduction.

La mise en relation de la phrase et du texte est de type dialectique. Une

continuité de la phrase au texte non seulement valide le modèle d'analyse

linguistique pour l'approche des textes, mais aussi interroge le mode de

fonctionnement "étroit" de la grammaire traditionnelle, de la grammaire de la

phrase, de cette grammaire où la règle se trouve illustrée par des phrases

4 Que ce soit le pronom qui se trouve le premier mis en avant est significatif. Exemplaire est

en effet le pronom dans sa fonction de substitut. Inscrit sur la chaîne du texte, le pronom est la

trace d'autre chose, d'un segment textuel placé devant ou derrière, ou d'un référent

situationnel. A partir de là, le pronom oblige à porter le regard, l'analyse, au-delà de lui-même.

On ne peut manquer de citer le travail d'Emile Benveniste sur les pronoms qui a interrogé la

dichotomie saussurienne Langue/ Parole, et qui constitue toujours aujourd'hui l'un des

passages obligés de la linguistique de l'énonciation (Cf. "La Nature des Pronoms", in

Problèmes de Linguistique Générale, Paris, Gallimard, 1966, pp. 251-257).

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décontextualisées5 . L'étude du texte, très vite, oblige à avoir un regard différent

sur la grammaire de la phrase.

1.2. Texte et Discours

En posant la question de la continuité de la phrase au texte, nous avons pu

laisser croire que les notions de phrase et de texte constituaient des notions sinon

simples, du moins "consensuelles".

Qui fréquente la linguistique générale aura vite fait de se rendre compte de

la complexité de la notion de phrase. Critiqué pour son sémantisme sournois,

pour sa référence au modèle normatif de l'écrit, le concept de phrase est le plus

souvent remplacé par celui d'énoncé. Il résiste chez les tenants de la grammaire

générative qui en font une unité "théorique". Dans son Introduction à la

Grammaire Générative, Nicolas Ruwet note qu' "une phrase grammaticale n'est

pas la même chose qu'un énoncé observé dans un corpus"6 . La phrase est une

unité théorique parce qu'une grammaire doit prévoir des énoncés non encore

réalisés, doit également rejeter certaines "performances" lacunaires, fautives,

quand bien même réalisées par des natifs. La phrase pose la question de la

norme, du traitement d'un usage qui ne fait pas systématiquement la loi7 .

En préférant généralement le concept d'énoncé à celui de phrase, la

linguistique signale son souci de prendre en compte le langage tel qu'il est, de se

démarquer des points de vue normatifs, introduit à terme le sujet, le locuteur.

L'énoncé annonce l'énonciation. D'une linguistique de l'objet nous passons à une

linguistique du processus.

Qui comprend la discussion des notions de phrases et d'énoncés n'est pas

loin de saisir celle qui se développe aujourd'hui sur les notions de texte et de

discours en linguistique textuelle et en analyse du discours.

La Grammaire du Sens et de l'Expression de Patrick Charaudeau8 est, à cet

égard, exemplaire. Le texte apparaît comme un produit:

5 Que penser ainsi de cette question que nous avons rencontrée dans un sujet d'examens:

"Analysez la valeur de l'imparfait dans l'énoncé suivant:

Tous les matins, il répétait ses exercices de piano." ?

6 RUWET, Nicolas, Introduction à la Grammaire Générative, Paris, Plon, 1968, p. 36.

7 cf. le débat sur la description et la prescription en linguistique

8 Paris, Hachette, 1992.

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11

"Le texte est la manifestation matérielle (verbale et sémiologique : orale/

graphique, gestuelle, iconique, etc.) de la mise en scène d'un acte de

communication, dans une situation donnée, pour servir de Projet de parole d'un

locuteur donné"

p. 645.

Reste alors à définir le discours. L'ouvrage de Charaudeau consacre toute sa

troisième partie aux "modes d'organisation du discours"9 , mais s'appuie sur une

définition extrêment lâche du discours, sur une définition que le lecteur doit

reconstituer, une définition qui fait du discours " ce qui fonde le langage"10 .

Une telle définition n'éclaire le débat que dans le sens où elle souligne sa

complexité. Elle laisse néammoins prévoir la proposition de plusieurs

typologies, la distinction entre les typologies de textes et les typologies de

discours.

Jean-Michel Adam fait état d'une distinction "assez communément admise

aujourdh'ui" entre le discours qui serait le texte avec les "conditions de

production" et le texte qui serait le discours sans les "conditions de production":

"En d'autres termes, un discours est un énoncé caractérisable certes par des

propriétés textuelles, mais surtout comme un acte de discours accompli dans une

situation (participants, institutions, lieu, temps)."11

Le texte devient dès lors un objet abstrait et la définition proposée par

Adam, à la suite de C. Fuchs et de D. Slatka12 , apparaît prendre le contre-pied

de celle avancée par Charaudeau (manifestation matérielle).

9 pp. 633- 833.

10 ... une grammaire qui se donne pour objectif de décrire les catégories de la langue du point

de vue du sens et de la manière dont elles sont mises en oeuvre par le locuteur pour construire

un acte de communication, une telle gramaire ne peut pas ne pas s'intéresser à ce qui fonde

véritablement le langage, à savoir : le discours.

Si les grammaires traditionnelles n'entrent pas dans ce domaine, en revanche, certaines

branches de la linguistique et de la sémiotique ont beaucoup exploré celui-ci depuis quelques

années, et ont proposé différents points de vue sous des dénominations diverses: analyse de

discours, grammaire du discours, grammaire de discours, grammaire communicative, etc.

Il en résulte une extraordinaire richesse de pensée, de théories et de méthodes concernant le

discours et le texte, mais aussi, malheureusement, une certaine difficulté à voir clair dans un

domaine qui, il faut le reconnaître, est relativement complexe."

op. cit., p. 633.

11 op cit, 1990, p. 23.

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Notre propos ici n'est pas de règler un débat terminologique: il est de

relever une question méthodologique essentielle. La linguistique textuelle doit-

elle se contenter d'analyser les marques attestées au niveau de la chaîne

textuelle? Nous pouvons déjà noter qu'un texte et ses marques attestées au

niveau de la chaîne textuelle ne se réduisent pas à la fonction référentielle et

n'ignorent pas l'énonciation. C'est le cas notamment quand le texte comporte une

adresse explicite au lecteur et une invite à un certain mode de lecture. Quand un

quotidien régional note, en page 7, en page locale , sous le titre d'un fait divers ,

"lire p. 5", faut-il considérer ce segment comme faisant partie de l'entité

textuelle? Et s'il faut l'inclure, peut-on alors oublier le journaliste, le scripteur et

son lecteur? L'exemple montre si besoin en est la très grande difficulté qu'il y a

à opérer une partition nette entre le texte et le discours. La complexité de la

question du bornage du texte y est pour quelque chose.

Le concept de discours, tel que nous venons de le développer, prend appui

et sur la définition de Harris (le discours comme suite), et sur l'acception

pragmatique (le discours comme action). Il est une autre entrée au concept de

discours qui complique si besoin en est la situation. Le discours, chez

Benveniste, est le plan d'énonciation qui s'oppose à l'"histoire"13 . Et cette

12 SLATKA, Denis: "L'Ordre du Texte", in Revue Etudes de Linguistique Appliquée, n° 19,

juillet-septembre 1975, pp. 30-42.

" Il s'agit d'articuler l'unité contradictoire du texte, objet formel abstrait et du discours,

pratique sociale concrète. Deux plans sont alors à spécifier comme "contraires s'excluant

mutuellement", mais aussi comme contraires complémentaires, dont il convient de marquer

les rapports. Le plan de la signifiance est cet aspect de la contradiction où s'explicitent les

possibilités de signifier (systèmes de potentialités linguistiques), l'autre aspect étant le champ

des significations concrètes réalisées dans les différentes pratiques discursives. D'où les deux

questions: (1) Comment penser la transformation de la signifiance en signification? Ou encore

(2) Sous quelles conditions s'opère la concrétisation des textes en discours réels?... La

signifiance est à comprendre comme un système de règles linguistiques formelles dont la

fonction est de déterminer, contradictoirement, un ensemble linguistique de possibilités et de

contraintes, et qui portent sur la structure suivante: texte - phrase - morphème. La

signification, au contraire, repose sur les transformations parallèles du TEXTE en discours

concret, de la PHRASE en ENONCE et du MORPHEME en MOT (p. 30)".

L'argumentaion de Slatka et, plus généralement, des tenants de l'analyse du discours pose ou

repose une question que la linguistique à la fois ne peut règler et ne peut ignorer: celle du sens.

Et la dichotomie saussurienne laisse déjà prévoir la difficulté en opposant une "langue" posée

comme virtuelle et une "parole" définie comme concrète, en laissant en suspens le type de

relation entretenue entre la "langue" et la "parole", une relation qui ne peut être conçue comme

une relation naïve de détermination, mais qui doit être pensée comme une relation

DIALECTIQUE.

13 BENVENISTE, Emile: "Les Relations de Temps dans le Verbe Français", in Problèmes de

Linguistique Générale, Tome 1, Paris, Gallimard, 1966, pp. 237-250.

Il est remarquable que dans l'opposition discours / histoire, Benveniste procède d'une

définition somme toute traditionnelle et commune du discours:

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13

nouvelle entrée au concept de discours n'est pas sans importance pour la

linguistique textuelle.

1.3. Texte et Ecrit

Il n'est pas possible d'échapper à la mise en parallèle naïve entre le texte qui

serait un produit scriptural canonique, qui aurait pour modèle exemplaire le texte

littéraire, et le discours qui serait d'emblée oral. Il y a deux façons de traiter

cette question.

La première consiste à introduire de la variété, de la pluralité dans les

ordres de l'oral et de l'écrit. On peut ainsi se reporter aux approches de l'écrit par

Sophie Moirand14 et Michel Dabène15 , à l'opposition établie par Jean Peytard

entre l'ordre oral et l'ordre scriptural16 . Les analyses ne se contentent pas d'une

opposition naïve, strictement binaire. Chaque ordre est posé dans sa complexité

et son hétérogénéité. D'où l'idée d'un continuum entre les différentes productions

orales ou scripturales, continuum balisé d'une part par l'écrit littéraire, d'autre

part par l'oral spontané.

La seconde façon de poser l'écrit consiste à mettre en retrait le vecteur, le

canal (phonique ou graphique), à mettre en avant le rapport au langage, un mode

d'énonciation. La dichotomie discours/ histoire de Benveniste procède de cette

attitude. Avec le discours, il y a implication, proximité de l'énonciateur; avec

l'histoire, distance, distanciation. Si le discours est illustré exemplairement par

l'oral spontané et l'histoire par les écrits "académiques", la coïncidence n'est que

statistique et nombre de productions langagières oscillent entre ces deux pôles.

Cette seconde attitude n'est pas antinomique par rapport à la première. Dans les

deux cas, le langage est compris comme une instance langagière et la perspective

"Il faut entendre discours dans sa plus large extension : toute énonciation supposant un

locuteur et un auditeur, et chez le premier l'intention d'influencer l'autre en quelque manière"

(pp. 241- 242).

14 MOIRAND, Sophie: Situations d'Ecrits, Paris, CLE International, 1979.

MOIRAND, Sophie: Une Grammaire des Textes et des Dialogues, Paris, Hachette, 1990.

15 DABENE, Michel: L'Adulte et l'Ecriture, Bruxelles, De Boeck,

16 PEYTARD, Jean: "Oral et Scriptural, deux Ordres de Situations et de Descriptions

Linguistiques, in revue Langue Française, n° 6, Paris, Larousse, 1970.

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14

est pragmatique. Et de nouvelles perspectives didactiques s'ouvrent qui en

appellent à une définition de la compétence scripturale ou textuelle, d'une

compétence qui ne saurait se réduire à une compétence grammaticale. Nous

reviendrons sur ces points au chapitre 5.

1.4. Texte et Pragmatique

En tant qu'entité large, le texte apparaît comme une totalité et s'inscrit de ce

fait dans une perspective pragmatique. Définie comme l'étude de l'action

humaine sur le monde par le langage, la pragmatique peut être précisée comme

"l'étude des conditions d'appropriété contextuelle des énoncés linguistiques".

Nous reprenons ici une définition proposée par Jef Verschueren qui veut

défendre l'idée de cohérence des multiples études sur les actes de langage, la

présupposition et la conversation17 .

Mais que peut être l'appropriété contextuelle pour un texte? Les discours

qui ont pour fonction d'évaluer les écrits, notamment scolaires, sont un début de

réponse. Un texte peut ainsi être jugé lacunaire par un correcteur parce qu'il ne

présente pas d'introduction, ou de conclusion, parce qu'il présente des répétitions

ou des contradictions, parce qu'il manifeste des formes trop familières, parce

qu'il n'argumente pas et se contente d'énumérer, etc. Les remarques qui annotent

les copies d'élèves vont à l'évidence au-delà de l'unité phrastique et ce quand

bien même les enseignants ne disposent pas aujourd'hui encore des outils

méthodologiques qui permettraient d'aller au-delà d'une évaluation trop souvent

"impressionniste". Notre référence à l'évaluation n'est pas fortuite. Il est

remarquable que le texte est un produit fortement institué, devant répondre à un

certain canon. D'où l'insistance de l'école à enseigner la compétence scripturale

ou textuelle. Nous trouvons le texte dès l'école primaire et jusqu'à l'université. Et

les enseignants savent combien reste fragile la maîtrise de l'écrit. Au-delà des

enjeux pédagogiques, il apparaît que le texte est un produit d'emblée prescriptif,

un produit devant répondre à un certain nombre de critères que doit identifier la

linguistique textuelle.

La pregnance de l'évaluation et de la prescription renforce la qualité

pragmatique du texte. La pragmatique est en effet, selon une autre définition

communément admise, l'étude du "rapport des signes à leurs utilisateurs"18 . Et

cette conception justifie les questions suivantes :

17 VERSCHUEREN, Jef: "A la Recherche d'une Pragmatique Unifiée", in Revue

Communications, n° 32, "Les Actes du Discours", Paris, Le Seuil, 1980, pp. 274 - 283.

18 cf. LUNDQUIST, Lita: La Cohérence Textuelle: Syntaxe, Sémantique, Pragmatique,

Copenhague, Nyt Nordisk Forlag Arnold Busck, 1980.

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15

Quelle idée nous faisons-nous du texte? Quel rôle social assignons-nous au

texte ?

1.5 Texte, paratexte, métatexte…voire hypertexte La notion de texte s’est enrichie de nombreux préfixes où il n’est pas

toujours simple de s’y retrouver. Citons par ordre alphabétique l’architexte, le

cotexte, le contexte, l’épitexte, l’hypertexte, l’intertexte, le métatexte, le

paratexte, le péritexte, le transtexte. Un tel classement n’est qu’un inventaire naïf

et il faut organiser ce champ19.

Avec l’architexte et l’intertexte, nous prenons en compte le réseau de

dépendances qu’entretient un texte avec l’ensemble culturel et historique dans

lequel il s’inscrit. Un texte se nourrit d’autres textes, s’en fait nécessairement

l’écho, porte la trace d’un intertexte. L’architexte se situe à un degré

d’abstraction plus grand que l’intertexte et vient reconnaître, par exemple,

l’appartenance d’un texte à un genre. Le caractère plus abstrait de l’architexte

explique que les ouvrages spécialisés utilisent davantage la notion

d’architextualité. La remarque vaut pour le couple transtexte / transtextualité.

Les types de transtextualité … se caractérisent par leur abstraction qui va

croissant de l’un à l’autre. Si l’intertexte repose sur une présence simultanée

et strictement délimitable, les relations paratextuelles, métatextuelles et

hypertextuelles élargissent le champ d’investigation et font que l’analyse

s’éloigne toujours plus de son support immédiat. … dans la typologie de

Genette, le plus haut degré d’absraction est le propre de l’architextualité.

Jean-François JEANDILLOU, L’analyse Textuelle, Paris, Armand Colin, p.

135

Le métatexte n’est pas sans rappeler la fonction métalinguistique de

Jakoson par laquelle il est posé que le langage permet de parler de lui-même. Le

métatexte est un texte sur un texte, plus précisément, un texte qui signale ou

s’interroge sur son fonctionnement. Non seulement il peut, mais encore il doit

faire partie d’un texte. Il n’existe pas seul ; il n’existe qu’en terme de séquence,

que partie d’un texte.

" Dans la linguistique textuelle, l'on a pu voir s'insérer la division sémiotique de la linguistique

traditionnelle en trois domaines différents:

la syntaxe: le rapport des signes entre eux,

la sémantique: le rapport des signes à ce qu'ils désignent,

la pragmatique: le rapport des signes à leurs utilisateurs." (p. 17)

19 voir notamment GENETTE, Gérard : Introduction à l’architexte, Paris, Le Seuil, 1979.

- Palimpsestes, Paris, Le Seuil, 1982.

- Seuils, Paris, Le Seuil, 1987. -

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16

La remarque vaut pour le cotexte. Par cotexte nous entendons

l’environnement textuel, verbal d’un segment dans un texte. Le cotexte est

nécessairement endophorique (voir chap. 2, point 2.1.). Pour illustrer le cotexte,

il faut d’abord choisir un segment dans un texte (concrètement un mot ou une

suite de mots) : le cotexte est alors composé de ce qu’il y a avant et de ce qu’il y

a après le segment sélectionné.

Est-il possible de comprendre le contexte à partir du cotexte ? Le cotexte

n’est qu’un cas particulier de contexte, mais la question de l’entourage, facile à

admettre pour le cotexte est moins simple pour le contexte et oblige à préciser

l’idée que nous nous faisons du texte, du texte comme objet, comme produit

matériel. Le mot est-il réductible aux mots, à la chaîne verbale qu’il manifeste ?

Soit l’illustration suivante, soit la jaquette d’un roman de Camilleri20 :

Comment lit-on « comme ça » sur ce document ? En serait-il de même s’il

n’y avait pas cette grosse tâche rouge sur le fond bleu de la jaquette proposée

par l’éditeur ?

Dans le pronom « ça », il peut y avoir tout, notamment ce que l’on ne peut

pas ou ne veut pas nommer. Ceci explique que « ça » puisse désigner d’une part

l’idéal ( par définition, non atteint) dans l’expression « Désolé, ce n’est pas

encore ça ! » , d’autre part l’irrationnel, l’inexplicable, ou le fruit du hasard dans

l’expression « Marcel s’est inscrit en Master FLE comme ça ! ».

Avons-nous ce cas dans le document proposé ; retrouvons cette forme

figée du « comme ça » ? La tâche rouge qui nous est proposée ici représente le

20 La forme de l’eau, Paris, Le Fleuve Noir, 1998.

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17

sang et, par là, la violence extrême de la mort, de l’assassinat. Le « ça » renvoie

à cette tâche et sa signification. Si, maintenant, nous modifions la jaquette,

supprimons cette tâche ou modifions sa couleur, la valeur du « ça » se trouve

immédiatement modifiée. Et le « ça » de Camilleri devient celui de Marcel !

L’analyse du document ci-dessus nous oblige à clarifier la notion de

contexte, à choisir entre deux hypothèses méthodologiques.

Si nous comprenons le contexte dans le sens étroit de cotexte verbal

endophorique, le texte comme objet est réduit aux mots qu’il manifeste. La tâche

rouge du document ci-dessus est dans cette hypothèse considérée comme un

élément de la situation et le pronom « ça » du texte sera considéré comme

déictique.

Si, au contraire, nous comprenons le texte comme un objet sémiotique,

nous nous débarrassons d’une conception logocentriste du texte, et nous posons

que le texte d’emblée, dans sa mise en forme, prévoit les mots, la présentation et

les illustrations graphiques. Le « ça » dans le document ci-dessus est alors

considéré comme anaphorique et provoque un renvoi endophorique.

C’est la deuxième hypothèse méthodologique que nous retenons et nous en

tirons les conséquences : le contexte inclut le cotexte quelque soit le code mis en

œuvre. Il inclut ainsi le paratexte, c’est-à-dire les notes de bas de page, les

didascalies des pièces de théâtre, la présentation, les titres. Ce paratexte peut

correspondre au péritexte, mais absolument pas à l’épitexte de Genette21.

La notion d’hypertexte est également polysémique. Genette l’illustre

notamment par la reprise, par la parodie. Mais il est une entrée nouvelle de

l’hypertexte qui nous arrive de l’informatique. Celle-ci ne doit rien à la typologie

de Genette, mais enrichit la réflexion sur le texte. L’hypertexte peut qualifier un

mode de structuration (réticulaire), peut qualifier également un cyberespace, un

espace à n dimensions22. L’hypertexte est un texte non linéaire, est aussi un texte

21 Pour Gérard Genette, le paratexte comprend le péritexte et l’épitexte. Par épitexte, il faut

entendre, par exemple, la correspondance, les entretiens de l’auteur. 22 cf. LAUFER, Roger, SCAVETTA, Domenico : Hypertexte Texte,, Hypermédia, Paris,

PUF, coll. Que sais-je? , n° 2629, 1ère édition, 1992, pp. 3-4.

Une première définition très "classique":

Le texte est un ensemble de paragraphes successifs, réunis en articles ou chapitres,

imprimés sur du papier et qui se lisent habituellement depuis le début jusqu'à la fin.

Un hypertexte est un ensemble de données textuelles numérisées sur un support

électronique, et qui peuvent se lire de diverses manières. Les données sont

réparties en éléments ou noeuds d'information - équivalents à des paragraphes.

Mais ces éléments, au lieu d'être attachés les uns aux autres comme les wagons

d'un train, sont marqués par des liens sémantiques, qui permettent de passer de l'un

à l'autre lorsque l'utilisateur les active. Les liens sont physiquement "ancrés" à des

zones, par exemple à un mot ou une phrase.

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18

ouvert. Nous pensons que l’arrivée via l’informatique de l’hypertexte viendra

modifier à terme notre conception de l’écriture et de la lecture.

Nous avons pris du temps pour tenter de clarifier un champ extrêmement

prolifique en préfixes. Sous cette richesse terminologique, se pose à notre sens la

question du texte, du cœur du texte. Que doit-on considérer comme faisant partie

du texte (endophorique) ou étant extérieur (exophorique) ?

Conclusion : Le texte comme ensemble cohérent de phrases

L'exigence essentielle que doit manifester le texte est la cohérence. C'est la

cohérence qui fait d'une suite de phrases donnée non une suite aléatoire, mais

une suite organisée, logique. Lita Lundquist écrit:

"La cohérence fait partie de la compétence linguistique de deux manières: d'une

part, l'homme est capable de produire des textes, c'est-à-dire des suites cohérentes

de phrases, d'autre part, il est en mesure de décider si une suite de phrases est

cohérente ou non et si elle constitue un texte ou non.

C'est cette conception de la cohérence qui a fait dire à Maingueneau23 :

" La cohérence ne serait-elle pas pour le texte le concept équivalent de celui de

grammaticalité pour la phrase?"

Le texte, qui est ainsi défini comme une suite cohérente de ses phrases, peut se

réduire à la représentation formelle suivante:

Texte= Ph (+ C + Ph + C + .... Phn).

Le "C" de cette formalisation est à concevoir comme le fait de cohérence, comme

le lien cohésif, comme l'élément de connexion interphrastique."

(op. cit., p.10 )

Un seconde, des mêmes auteurs, moins "immédiate":

Le préfixe "hyper" est pris dans le sens mathématique d'"hyperespace", c'est-à-dire

d'espace à n dimensions. Pas plus qu'un hypercube, un hypertexte ou un

hypermédia n'est directement accessible à nos sens en tant que tels. Le

lecteur/visionneur, au fil de sa consultation, en extrait des pages, des images et des

sons, dont la suite constitue sa version personnelle, son point de vue sur

l'hypertexte.

23 MAINGUENEAU, Dominique: Initiation aux Méthodes de l'Analyse du Discours, Paris,

Hachette, 1976.

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19

Critère générique et universellement admis24 , la cohérence, se révèle à

l'usage difficile à manipuler car globale, ressortissant à l'évaluation de la macro-

structure du texte. La cohérence pour le texte, tout comme la grammaticalité

pour la phrase, exige donc une décomposition.

Nous proposerons à cet effet 4 (sous)critères.

Le premier est l'homogénéité thématique. La cohérence d'un texte ne résiste

pas à l'hétérogénéité. Un texte doit parler de quelque chose, d'un “sujet”, ne peut,

pour reprendre l'expression française consacrée, "sauter du coq à l'âne"25 .

Articulé au premier est le second critère, le critère de progression. Un texte

doit "avancer", manifester une dynamique. Nous développerons les notions

d'homogénéité thématique et de progression dans les chapitres 2 et 3.

Un texte doit également respecter le principe de clôture. Celui-ci se trouve

nécessairement au niveau global du texte, d'une entité qui doit ce statut au fait de

posséder une introduction, un développement et une conclusion. Les modes de

manifestation de la clôture sont multiples: graphiques, rhétoriques et

grammaticaux; ils fonctionnent également pour délimiter des parties dans un

texte long (cf. le paragraphe, par exemple). Nous y reviendrons au chapitre 4.

Un quatrième critère mérite notre attention: un texte doit avoir un type, une

identité institutionnelle. Reprenant Halliday et Hasan, Jean-Michel Adam note

que la "compétence textuelle générale se double d'une compétence spécifique, en

quelque sorte typologique"26 . Un lecteur sait distinguer différents genres de

textes, indépendamment de leur contenu référentiel. Par voie de conséquence, un

scripteur doit respecter les "lois du genre". Notre chapitre 4 développe la

question des typologies, typologies où les notions de texte et de discours restent

en concurrence.

L'ordre de présentation des 4 (sous)critères est méthodologiquement

significatif. Deux attitudes descriptives sont envisageables. Il est possible

d'aborder le texte en allant du local au global, de commencer par l'analyse des

relations transphrastiques. A l'inverse, on peut prendre appui sur l'approche

globale du texte, sur la planification. Ces deux perspectives semblent justifier

l'opposition faite entre les niveaux micro- et macro-textuel, entre la grammaire

du texte et la linguistique textuelle. Une telle opposition n'est pas sans poser une

question méthodologique difficile: comment justifier le passage ou la mutation

24 voir, par exemple, CHAROLLES, Michel : "Introduction aux Problèmes de la Cohérence

des Textes", in revue Langue Française, n° 38, Paris, Larousse, 1978, pp. 7-41.

25 L'expression "sauter du coq à l'âne" est idiomatique, mais nombre de langues proposent des

expressions similaires, des synomymes. D'où le postulat d'une exigence textuelle générale.

26 ADAM, Jean-Michel (1990), p. 15.

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20

du micro- au macro-textuel? C'est là une problématique qui dépasse largement le

présent domaine, une problématique que l'on retrouve en épistémologie quand,

au nom du principe holistique, on fait valoir que la valeur d'un tout n'est pas

réductible à la somme des valeurs de ses parties, ou constituants27 .

Activités d’approfondissement pour le chapitre 1

1. Si elle est un critère communément admis, la cohérence est déclinée

avec des variations sensibles selon les auteurs.

Ainsi, Michel Charolles propose 4 métarègles :

1. Méta-règle de répétition (MRI) : Pour qu’un texte soit microstructurellement ou

macrostructurellement) cohérent, il faut qu’il comporte dans son développement

linéaire des éléments à récurrence stricte….

2. Méta-règle de progression (MR II) : Pour qu’un texte soit microstructurellement ou

macrostructurellement cohérent, il faut que son développment s’accompagne d’un

apport sémantique constamment renouvelé.

3. Méta-règle de non-contradiction (MR III) : Pour qu’un texte soit microstructurellment

ou macrostructurellement cohérent, il faut que son développement n’introduise aucun

élément sémantique contredisant un contenu posé ou présupposé par une occurrence

antérieure ou déductible de celle-ci par inférence.

4. Méta-règle de relation (MR IV) : Pour qu’une séquence ou qu’un texte soient

cohérents, il faut que les faits qu’ils dénotent dans le monde soient reliées.

"Introduction aux Problèmes de la Cohérence des Textes", in revue Langue Française, n° 38,

Paris, Larousse, 1978, pp. 7-41.

Essayez d’illustrer ces 4 méta-règles en allant puiser dans vos

souvenirs d’élève ou de professeur, en songeant à vos rédactions ou

dissertations, notamment aux commentaires critiques écrits en rouge

sur vos copies.

2. Voici une « brève de comptoir » de Jean-Marie Gourio28 :

27 voir ADAM, Jean-Michel (1990), pp. 15-19. 28 Appellations données à ces petites histoires populaires entendues dans les lieux publics, notamment dans les

cafés.

Exemple: Ce qu'il a de bien quand tu vas dans le désert, c'est que t'es pas obligé d'apprendre la langue!

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21

- Vous avez du mal à marcher?

- Les jeunes filles me couraient après!

- Y pas que dans le Sud que ça vante.

- C’est le beaujolais.

- Y en a dans le monde entier du beaujolais, comment vous voulez...

- C’est grand le Beaujolais.

- Moins que le monde entier alors... j’ai été enregistrée au Panthéon

- De?

- Je suis née au Panthéon... Je suis née là où il y a en a qui meurent.

- C’est grand le Beaujolais comme région.

- On y passera tous...

- Je bois du bourbon...

- C’est pour ça...

- Non ça n’a rien à voir... mes jambes, c’est mes jambes...

- On y passera tous.

- Moi j’y suis déjà...

- C’est un vin qui représente la France...

- Surtout pour prendre l’avion, je bois ma demie-bouteille de whisky.

- Vous voyagez encore?

- Pas en ce moment, je bois de la bière.

- ... le beaujolais.

- Quelle chaleur.

- C’est l’orage.

- En avion, c’est l’horreur ça, et pourtant ça fait cage de Faraday

- Quand vous êtes en l’air, ça change rien.

Jean-Marie GOURIO, Brèves de Comptoir 1998 , Paris, Michel Lafon,

Ce document vous semble-t-il mériter le qualificatif de texte ?

3. Une carte routière est-elle, selon vous, un texte ?

Ces Brèves de Comptoir font l'objet d'une publication de Jean-Marie GOURIO chaque année. Un florilège de ces

Brèves de Comptoir a été mis en scène par Jean-Michel RIBES dans un théâtre parisien.

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22

(La question 3 ressemble de fait à la question 2 mais elle sollicite des

arguments différents … et complémentaires)

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23

Chapitre 2 . La Cohésion Textuelle

L'homogénéité d'un texte peut s'évaluer aux niveaux macro et micro-

structurel. Les notions méthodologiques que la linguistique textuelle propose

pour en rendre compte sont quelque peu instables et peuvent varier selon les

auteurs.

Nous pouvons nous appuyer sur Lundquist:

"Essentielles pour la cohérence textuelle sont les notions suivantes:

- la (co-)référence,

- la contiguité sémantique,

- les connecteurs." (1980, p. 28)

Mais les outils ici dégagés ressortissent à l'analyse des relations intra et

interphrastiques, à ce que J-M. Adam appelle la connexité:

" A la relation linéaire de connexité intra et inter-phrastique, il faut bien ajouter

une relation non linéaire de cohésion-cohérence, construction élaborée par

l'interprétant à partir d'éléments discontinus du texte." (1990, p. 14).

La connexité de J-M. Adam semble correspondre à ce que d'autres auteurs

comme Halliday et Hasan29 et Widdowson30 appellent la cohésion.

Sans vouloir trancher un débat terminologique, il nous apparaît que le

terme cohésion présente l'avantage d'être moins large que celui de cohérence et

plus communément admis que celui de connexité. Nous le reprendrons donc à

notre compte en ajoutant que notre analyse de la cohésion se fondera sur la

syntaxe et la sémantique, reprendra les notions de (co) référence, de contiguité

29 HALLIDAY, M.A.K. et HASAN R.: Cohesion in English, Londres, Longman, 1976.

30 WIDDOWSON, H.G.: (Traduction Française) Une Approche Communicative de

l'Enseignement des Langues, Paris, Hatier, 1981.

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sémantique et de connecteurs annoncées par Lundquist, ces notions qui illustrent

les liens cohésifs qui font d'une suite de phrases un texte.

2.1. Référence et Coréférence.

La référence est une problématique largement débattue en philosophie. On

peut notamment se reporter aux travaux de Russell, de Frege, à l'ouvrage de

synthèse de Léonard Linsky31 , au Dictionnaire Encyclopédique des Sciences du

Langage32 . C'est à la philosophie qu'on doit, par exemple, les énoncés célèbres

comme "Le chat est sur le paillasson" et "L'(actuel) roi de France est chauve",

énoncés repris dans les approches logiciennes de la pragmatique. Il faut donc

distinguer dans la pragmatique des philosophes, ces approches formalistes des

approches empiristes où l’on prend en compte non le langage tel qu’il devrait

être et qui est susceptible d’être soumis à des conditions de vérité, mais le

langage ordinaire qui a pour visée d’être socialement efficace. C’est le sens de la

démarche du philosophe anglais Austin33 qui oppose les énoncés performatifs à

ceux constatifs, de travaux dont se réclame largement aujourd’hui la didactique

des langues avec les actes de parole.

Pour la linguistique, la référence peut être définie comme la procédure ou

fonction par laquelle le langage renvoie au monde, c'est-à-dire à la réalité extra-

linguistique réelle ou imaginaire. La fonction référentielle est posée par certains

linguistes (Martinet et Mounin, par exemple) comme essentielle, centrale. La

fonction référentielle est alors confondue avec la fontion de communication.

Cette attitude méthodologique peut apparaître excessive et Jakobson, dans son

fameux schéma de la communication34 , refuse de faire de la fonction

référentielle la fonction rectrice des cinq autres.

La tradition sémiotique fait également une place à la référence et les

ouvrages de linguistique textuelle ne manquent pas de citer le triangle

sémiotique d'Odgen et

31 LINSKY, Leonard: (Traduction Française) Le Problème de la Référence, Paris, Le Seuil,

1974.

32 DUCROT, Oswald et TODOROV Tzvetan: Dictionnaire Encyclopédique des Sciences du langage, Paris, Le

Seuil, coll. "Points", 1972, pp. 317-324.

33 AUSTIN, John Langshaw : Quand dire, c’est faire, Paris, Le Seuil, 1970.

34 JAKOBSON, Roman: Essais de Linguistique Générale, Tome 1: Les Fondations du

Langage, Paris, Ed. de Minuit, 1963.

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Richards :

THOUGHT (or REFERENCE)

symbolises refers to

(a causal relation) (other causal relation)

SYMBOL stands for REFERENT

(an imputed relation)

Ce schéma reprend le triangle proposé par Peirce 35:

OBJET

« Réel, imaginable ou inimaginable »

(ex : la ville de Grenade »)

REPRESENTAMEN INTERPRETANT

image sonore ou visuelle image « mentale » associée

d’un mot (« grenade) avec ou sans mot (« ville »)

ayant ayant

une signification une signification reçue qui

indéterminée ou incomplète détermine ou complète

Le triangle sémiotique permet d'opposer à la conception saussurienne du

signe, une conception ternaire, où le référent s'ajoute au signifiant et au signifié,

35 PEIRCE: (Traduction française et commentaire de G. DELEDALLE) Ecrits sur le Signe,

Paris, Le Seuil, 1978, p. 229.

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pour constituer un signe "global". Comme Lundquist, mais pour des raisons

différentes36 , nous préférons la conception classique et binaire du signe

linguistique. La référence est l'acte de désignation du monde par le signe. La

référence introduit donc la réalité extralinguistique, une réalité qui a pour nom

référent. Le référent est nécessairement externe au signe. Nous ne voulons pas

confondre l'univers du signe et celui des objets, les mots et les choses.

Nous proposons donc une nouvelle forme de triangle sémiotique:

Référent

Pensée

Signifiant Signifié

La référence devient à partir de là l'un des paramètres de la conjoncture

linguistique, de la performance, de la parole, mais reste externe à la langue, au

signe proprement dit. C'est la raison pour laquelle, la référence est recherche

d'adéquation du langage au monde, recherche toujours avortée, approximative,

d'où le recours à cette autre fonction du langage qu'est la fonction

métalinguistique, fonction centrée sur le signifié, fonction qui vise en quelque

sorte à corriger les impropriétés du code.

Un exemple permettra de saisir la disjonction entre le langage et le monde,

entre les mots et les choses. Soit la couleur verte, soit le vert. Du point de vue de

la réalité, cette couleur se saisit dans un continuum chromatique, celui que

manifeste l'arc-en-ciel. Il est impossible de compter les couleurs. La désignation

de celles-ci se fait donc nécessairement par le langage, par la référence. Le

langage, une langue en l'occurrence, vient découper arbitrairement le continuum

chromatique naturel. D'où le fait bien connu que les langues humaines découpent

différemment les couleurs. Les langues comme le breton et le kabyle auront ainsi

un seul mot pour ce que le français distingue avec les mots bleu et vert. Et cette

particularité linguistique n'indique évidemment pas une insuffisance visuelle des

bretons ou des kabyles, n'interdit évidemment pas à ceux-ci de distinguer le bleu

36 cf LUNDQUIST, 1980, pp. 7- 8.

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et le vert tant avec leurs yeux qu'avec les métaphores de leur langue. Le kabyle

dira "comme la mer" pour le bleu et "comme l'herbe" pour le vert.

Le langage à ce niveau est représentation de la réalité et ne saurait se

confondre avec celle-ci. Et il faut comprendre langage dans un sens large.

Un tableau célèbre de Magritte n’a pas manqué d’attirer des remarques

pour sa « légende » : « ceci n’est pas une pipe ». Le lecteur retrouvera facilement

cette œuvre et les nombreux commentaires qu’elle a suscités en utilisant son

moteur de recherche favori sur internet. Il suffit de mettre en œuvre les

algorithmes booléens avec AND ou ET.

Exemple de requête : Magritte AND pipe

On peut vouloir trouver dans cette œuvre la manifestation d’une facétie,

une pratique chère aux surréalistes. Mais il est possible de prendre cette légende

pour une analyse qui vient constater qu’en peinture, quand bien même figurative,

quand bien même réaliste, la représentation ne produit pas, ne reproduit pas des

objets, mais ne fait que les représenter. Cette pipe de Magritte, même

ressemblante, n’est pas « fumable ». La peinture - plus généralement l’art - est

en ce sens langage et, comme le langage, est représentation, n’est pas fusion

avec la chose.

Le signe linguistique est caractérisé par cette impropriété et l’homme a du

mal à accepter cette donnée. Nous retrouvons le vieux débat entre les analogistes

et les anomalistes sur la raison du nom. C’est le thème du Cratyle de Platon37 :

HERMOGENE

Cratyle, que voici, prétend, Socrate, qu’il y a pour chaque chose un

nom qui lui est naturellement approprié et que ce n’est pas un nom que

certains hommes lui ont attribué par convention, en lui appliquant tel ou tel

son de leur voix, mais que la nature a attribué aux noms un sens propre, qui

est le même chez les grecs et chez les barbares. Je lui demande donc, moi, si

Cratyle est, ou non, son nom véritable. Il dit que oui. Et celui de Socrate? ai-

je dit. - C’est bien Socrate, a-t-il répliqué. - Et pour tous les autres hommes,

le nom dont nous appelons chacun d’eux, c’est bien le nom de chacun? - Et

lui : “Non, pas pour toi, m’a-t-il répondu : ton nom n’est pas Hermogène,

même si tout le monde t’appelle ainsi. “Et comme je l’interroge, vivement

désireux de savoir ce qu’il peut vouloir dire, au lieu de s’expliquer, il me

traite avec ironie et il feint d’avoir une pensée de derrière la tête, comme s’il

savait sur ce sujet quelque chose qui, s’il voulait le dire, me forcerait à

l’approuver et à dire comme lui. Si donc tu as quelque moyen d’interpréter

l’oracle de Cratyle, j’aurai du plaisir à t’entendre, mais j’en aurai encore

davantage à apprendre de toi ce que tu penses sur la justesse des noms, si tu

veux bien le dire. 37 PLATON, Dialogues, Cratyle, Paris, Garnier-Flammarion, 1967, pp.391-392.

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SOCRATE

Fils d’Hipponicos, Hermogène, c’est un vieux dicton que les belles

choses sont difficiles à connaître en leur essence, et en particulier l’étude des

noms n’est pas une petite affaire. Ah! si j’avais déjà entendu de la bouche de

Prodicos la leçon de cinquante drachmes qui, à ce qu’il prétend, renseigne

pleinement ses auditeurs sur la question, rien ne t’empêcherait de savoir

immédiatement la vérité sur la justesse des noms, mais je n’ai entendu que la

leçon à une drachme. Aussi je ne sais pas ce que peut être la vérité en ces

matières ; mais je suis prêt à chercher en commun avec toi et Cratyle. Quant

à ce qu’il dit, qu’Hermogène n’est pas véritablement ton nom, j’ai comme

un soupçon qu’il plaisante. Il entend peut-être par là que tu cours après la

fortune et que tu la manques toujours38 . Mais je le répète, ces sortes de

questions sont difficiles à débrouiller. il faut donc réunir nos efforts pour

examiner si c’est toi qui as raison, ou si c’est Cratyle.

HERMOGENE

Pour moi, Socrate, après en avoir souvent raisonné et avec lui et

avec beaucoup d’autres, je ne saurais me persuader que la justesse du nom

soit autre chose qu’une convention et un accord. Il me semble que, quel que

soit le nom qu’on donne à une chose, c’est le nom juste, et que, si par la

suite on en met un autre à la place et qu’on renonce à celui-là, le second n’en

est pas moins juste que le premier. C’est ainsi que nous changeons le nom de

nos serviteurs, sans que le nom substitué soit en aucune façon moins propre

que celui qu’ils avaient reçu d’abord. Car aucun objet ne tient jamais son

nom de la nature, mais de l’usage et de la coutume de ceux qui l’emploient

et qui en ont créé l’habitude. S’il en est autrement, je suis, pour ma part, prêt

à m’instruire et à l'entendre non seulement de la bouche de Cratyle, mais de

n’importe quel autre.

L’une des premières questions que se posent les hommes sur le langage et

les langues concerne le rapport du mot, du nom à la chose et l’attitude analogiste

pose qu’il y a un lien “naturel” entre le nom et la chose que désigne ce nom.

Hermogène - littéralement, fils d’Hermès - ne pourrait s’appeler Hermogène car

sa vie ne ressemble en rien à celle attribuée au dieu grec Hermès, célèbre

notamment pour sa ruse et son habileté. Or Hermogène ne connaît pas la réussite

sociale ou matérielle. C’est ce que veut signifier Cratyle.

Si nous admettons facilement aujourd’hui l’impropriété et l’arbitraire du

signe, il faut quand même accepter l’idée que le souci analogiste est présent chez

tout locuteur. L’une des rationalités que nous donnons au langage, dans l’usage

effectif que nous en faisons, est le mythe et celui-ci est inhérent à la fonction

référentielle, à la représentation. C’est un argument défendu notamment par

38 Par quel hasard Hermogène, fils du riche Hipponicos, fut-il réduit à la pauvreté, nous

l’ignorons. Son frère Callias était au contraire extrêmement riche. (cf. note du traducteur, p.

498)

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29

Ernst Cassirer39. Le souci analogiste a pu être posé comme la manifestation

d’une pensée archaïque, mais nous pensons qu’il reste présent dans nos

productions actuelles. Ne disons-nous pas de quelqu’un qu’il est bien ou mal

nommé ! Ne plaisantons-nous pas avec le nom des choses et des personnes !

Complexe d’Œdipe aggravé pour Monsieur Périllat, car dans « Périllat » il y a

« père il y a » et « péril y a » ! Nous n’avons fait ici que reprendre un exemple

cité dans un pamphlet contre Jacques Lacan40.

39 CASSIRER, Ernst : Language and Myth, New-York, Dover Publications, 1953.

- « Le langage et la construction du monde et des objets », in Essais sur le Langage,

Paris, Ed. de Minuit, 1969, pp. 37-68.

- Substance et fonction. Eléments pour une théorie du concept, Paris, Ed. de Minuit,

1977. -

40 GEORGE, François : L’effet « y’au de poêle ». De Lacan et des lacaniens, Paris, Hachette,

1979.

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Le document ci-dessus41 représente Marc l’Evangéliste avec une tête de

cheval. Comme l’indique l’auteur de cette histoire de la Bretagne à qui nous

avons emprunté cette enluminure, il y a homophonie entre le nom de Marc et le

mot breton qui désigne le cheval en breton (mac’h). On peut s’en étonner si l’on

prend en considération que l’emblème de Saint Marc est le lion (cf. le lion de la

place Saint Marc à Venise, cf. le martyre de l’évangéliste qui fut jeté aux lions).

Mais à Penmarc’h, dans ce port du Finistère, Marc perd son bestiaire originel et

fait l’objet d’un jeu de mots en breton. Et le lion se fait cheval.

Autre exemple emprunté au contexte breton. Parmi les saints vénérés en

Bretagne, Saint Gurloës (en breton Sant Urlou), premier abbé ou prieur de

l’abbaye bénédictine de Sainte-Croix à Quimperlé, mort en 1057, est vénéré

comme saint guérisseur. Il est en particulier invoqué et sollicité pour la maladie

de la goutte, maladie qui se nomme « urloù » en Breton. Il semble bien qu’ici

l’habit ait fait le moine.

La pensée mythologique se manifeste plus souvent qu’on ne le croit. Elle

est dans l’étymologie42, dans la sociolinguistique

43 et dans le langage ordinaire

quand nous prenons les mots au pied de la lettre. Et Raymond Devos sommeille

en chacun d’entre nous.

Nous saisissons que la question de la référence dépasse largement la

linguistique textuelle et touche à l'essence même du langage. Le long

développement que nous venons de consacrer à la référence aura une incidence

sur notre conception de la coréférence.

La référence est procédure de renvoi du langage au monde, d'ancrage du

texte dans le monde. C'est la référence qui permet à un texte de parler de quelque

chose. La référence est renvoi externe, exophorique. Elle se distingue de la

coréférence qui est le renvoi d'un segment du texte à un autre segment du même

texte. La coréférence est interne, endophorique. La référence est renvoi à la

situation et au monde. La coréférence est renvoi au contexte, au co-texte.

TEXTE

Référence Coréférence

Monde Cotexte

Situation extra-textuelle Contexte intra-textuel

41 Cité par ELEGOUET, Louis : Bretagne. Une histoire, Rennes, CRDP, 1999, p. 56.

42 Voir GUIRAUD, Pierre : L’étymologie, Paris, Puf, Coll. « Que Sais-je ? », n° 1122, 3

ème

édition, 1972, 1972 (voir chapitre 1). 43 Cf. la théorie du reflet, par exemple.

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31

A l'intérieur du texte, le renvoi peut fonctionner d'aval en amont, ou

inversement. La coréférence sera de type anaphorique dans le premier cas; de

type cataphorique dans le second (cf. ci-dessous):

"Quand je serai grand, j'irai là." Et le doigt de l'enfant, après avoir glissé sur la

carte, s'arrêta à la frontière d'un pays d'Afrique équatoriale. Autour de lui, les

gosses se mirent à rire. Ah, ce Josef Teodor Konrad Korzeniowski, il était

vraiment impayable!...

Le Nouvel Observateur

Pour Josef Teodor Konrad Korzeniowski, nous avons je, j', l'enfant, lui en

position cataphorique; il en position anaphorique.

Procédure de reprise d'un même élément au fil du texte, la coréférence

assure en quelque sorte la trame, la "texture" de l'entité textuelle. Un segment du

texte peut renvoyer à un référent extra-textuel et être lui-même l'objet d'un

renvoi intratextuel de la part d'un autre segment du texte, être le référé d'un

référant.

(Monde) (Texte)

Référent Référant / Référé Référant

Référence Coréférence

Lunquist note : « Le passage de la référence à la coréférence se conçoit comme le

passage d’une relation externe à une relation interne : tandis que par la

référence, le locuteur crée une relation entre le texte et la réalité, il établit par

la coréférence des relations entre des éléments textuels. L’on constitue

d’abord, par la référence externe, le thème du texte, pour le faire évoluer

ensuite en une structure thématique par la coréférence. »

(1980, p.31)

Mais cette position ne nous apparaît pas pleinement compatible avec celle

proposée toujours par Lundquist dans le même ouvrage :

« Nous appelons coréférence le fait que plusieurs instances

linguistiques se réfèrent à un même objet du monde extralinguistique. »

(1980, p. 29) ou avec celle du Dictionnaire Larousse de Linguistique

44 :

44 Paris, Larousse, 1973, p.128.

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32

co-référence : Lorsque l’on a une phrase comme Pierre regarde

Pierre dans la glace, Pierre sujet et Pierre objet peuvent représenter la même

personne ; ils ont en ce cas le même référent ; ils sont co-référents au même

« objet ».

L’exemple choisi nous ramène façon exemplaire à la problématique de la

représentation. Ce Pierre-objet représente-t-il la même chose que ce Pierre-

sujet ? Pierre en tant que personne se confond-t-il avec l’image que lui donne,

que réfléchit le miroir ? Et avons-nous réellement la personne dans le Pierre-

sujet ? Nous avons plus précisément dans les deux occurrences de Pierre des

mots, des segments de texte. Le développement peut sembler abstrait, mais

l’analyse d’autres exemples peut révéler l’importance méthodologique de la

conception de la coréférence.

Soit l’extrait de texte ci-dessous : L’unique passion de Michel Strogoff était pour sa mère.... Lorsque son

fils la quitta, ce fut le cœur gros, mais en lui promettant de revenir toutes les

fois qu’il le pourrait, - promesse qui fut toujours religieusement tenue.

Jules VERNE, Michel Strogoff (extrait)

Si nous prenons appui sur la définition de la coréférence comme procédure

de renvoi interne qui fait qu’un segment du texte renvoie à un autre segment du

même texte, le segment sa mère est référant (anaphorique) du segment Michel

Strogoff (référé). Et son fils est référant (anaphorique) de sa mère. Nous nous

appuyons dans cette analyse sur des marques, les adjectifs possessifs en

l’occurrence. Bien entendu la solidarité des segments n’oblige pas à l’identité

référentielle. Nous ne confondons pas Michel Strogoff avec sa mère, ni son fils

avec sa mère. Nous posons seulement que le texte met en relation des segments,

met en relation des référants avec des référés.

Quand on pose la coréférence comme renvoi de segments d’un texte à un

même référent, on se situe sur un autre plan, on se place plus au niveau des

choses que des mots. Nous n’utiliserons pas pour cette raison le concept de

coréférent. Nous lui préfèrerons celui de référant.

Pour la même raison, nous considérons qu’il est impossible d’illustrer ou

d’exemplifier un référent, car cela exige une activité de représentation,

notamment par le langage.

Une conception strictement endophorique de la coréférence permet à notre

sens de mieux faire comprendre la construction progressive des réseaux qui vont

constituer la texture, la trame du texte, d’éviter une conception « décousue » de

la texture (cf. schéma ci-dessous).

Référent a TEXTE

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33

coréférent-a-1

Phrase 1 coréférent-a-2

coréférent-b-1

Référent b

coréférent –b-2

Phrase 2 coréférent-a-3

coréférent-a-4

… …

Référent n

Phrase n coréférent-n-1

coréférent-a-n

Une conception endophorique de la coréférence ne met pas en avant des

coréférents, mais des référants qui lient les segments d’un texte de phrase en

phrase.

Un référant peut ainsi devenir lui-même le référé d'un autre référant. Un

rapide exemple permet d'illustrer ceci:

Soit un texte où nous avons en phrase 1 "un homme à mine patibulaire". Je

peux avoir dans la seconde phrase "le bandit" et dans la troisième "il".

TEXTE

Phrase 1

Référent (Référence) Référé (un homme à mine patibulaire)

Phrase 2

Référant et Référé (le bandit)

(Coréférence)

Phrase 3

Référant (il)

(Coréférence)

Pour ce texte, "le bandit" est à la fois référé et référant, selon le segment

auquel je le rattache par coréférence.

Dans l’exemple proposé ci-dessus, on pourrait être tenté de retenir le

concept de coréférents pour les 3 segments reliés, mais sur l’extrait emprunté à

Jules Verne, on saisit mieux la différence :

L’unique passion de Michel Strogoff était pour sa mère....

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34

Lorsque son fils la quitta,ce fut le cœur gros,

mais en lui promettant de revenir toutes les fois qu’il le pourrait,

promesse qui fut toujours religieusement tenue.

Le fils atteint Michel Strogoff via la mère.

La référence permet d’introduire un élément nouveau dans un texte et il

appartient à la coréférence de le développer. La référence se manifeste très

souvent par des substantifs (cf. un homme à mine patibulaire, Michel Strogoff).

Les substantifs permettent l'acte de référence en découpant le continuum

sensible du monde. La référence peut également être effectuée par les déictiques,

ces éléments linguistiques qui n'ont pas de valeur en langue, mais dans l'acte de

parole, dans l'instant de l'énonciation. C'est le cas des adverbes spatio-temporels

(ex: "ici", "maintenant"), des pronoms personnels (ex: "je", "tu"), des pronoms

démonstratifs (ex: "ça"). Ces déictiques, pour fonctionner, pour référer,

supposent l'évidence de la situation pour les interlocuteurs. On les trouve donc

de manière spectaculaire dans l'oral spontané, dans la conversation en face à

face. D'où les commentaires qu'on doit nécessairement ajouter à la transcription

brute de certains dialogues. Si Jean dit "tu" devant Paul et Marcel, "tu" reste

ambigu tant qu’on ne précise pas à qui s'adresse précisément Jean. On ajoutera

donc une parenthèse en italiques avec, par exemple, après Paul "se tournant vers

Marcel".

L'analyse de la référence, en dehors du cas particulier des déictiques, nous

conduit à nous intéresser aux substantifs, aux syntagmes nominaux plus

précisément, car ce sont les déterminants du substantif, du noyau du syntagme

nominal, qui nous permettent de distinguer la référence de la coréférence.

Soit l'extrait de texte suivant:

Un nouvel accident mortel en scooter des mers, le troisième en cinq ans en

méditerranée, a coûté la vie lundi soir à Calvi (Haute-Corse), à un adolescent de

17 ans qui, les vertèbres cervicales brisées dans une collision avec un autre

appareil, n'a pu être réanimé...

L'accident est survenu lorsque le scooter piloté par la victime est entré en

collision, à 5OO m de la plage, avec celui de l'une de ses camarades...

Ce fait divers paru dans un quotidien régional, vient manifester nombre de

groupes nominaux, avec des expansions diverses utilisant des adjectifs, des

compléments de nom, des propositions relatives. Hors le cas particulier du nom

propre, le nom est précédé d'un déterminant obligatoire qui est ici l'article, mais

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qui pourrait être également un adjectif démonstratif, possessif, numéral, ou

indéfini.

Au début du texte les noms accident et adolescent apparaissent avec un

article indéfini, lequel n'indique pas l'indétermination ou l'imprécision du nom,

mais permet d'introduire dans le texte un référent. Ceci explique que le texte ci-

dessus ne puisse pas proposer dans sa première phrase Le nouvel accident... ou

l'adolescent de 17 ans. L'article défini, bien sûr, peut déterminer

grammaticalement le nom d'un référent ontologiquement unique (cf. le soleil),

mais, le plus souvent, dans un texte, l'article défini signale que le nom ainsi

déterminé renvoie à un autre placé en amont du même texte, indique par là un

énième renvoi à un référé. C'est le cas pour L'accident que nous trouvons au

début du second paragraphe de notre extrait. Après Un nouvel accident mortel et

une collision, il n'est plus possible d'avoir à cette place avec accident l'article

indéfini. L'accident est coréférentiel; un accident, référentiel. Et la coréférence

vient après la référence. La distribution dans le texte des déterminants permet de

reconnaître l'ordre des noms dans un texte, permet de reconstituer l'ordre originel

d'un texte mis en puzzle.

Les noms propres posent un problème particulier dans la mesure où,

grammaticalement, ils n'exigent pas de déterminants. Ces noms propres réfèrent

à des lieux ou des personnes. Deux hypothèses sont à considérer, selon que le

référent visé présente ou non un caractère d'évidence. C'est le cas pour Calvi

dans notre extrait. Le lecteur d'un quotidien régional français est présupposé

familier de la géographie française. Quand le référent visé est présupposé

"confidentiel", le texte doit impérativement accompagner le nom propre de

précisions, le faire précéder ou suivre immédiatement d'un nom commun. Dans

l'extrait ci-dessus, l'identité de l'adolescent apparaît après un adolescent de 17

ans. Possible, mais moins probable, est la disposition où l'identité est

immédiatement suivie du nom commun, où le nom commun est placé en

apposition.

Il convient d'ajouter que le caractère d'évidence n'est pas toujours...

évident. La communication repose pour part sur des connaissances partagées et

nombre de malentendus procèdent des savoirs différents conscients et surtout

insconscients des partenaires. Il est intéressant de noter dans le texte cité que le

journaliste a fait suivre le nom propre Calvi de la localisation départementale

(Haute-Corse). De là, on peut induire que le lecteur pressenti de ce fait divers

n'est pas de la région, n'est pas corse. Il est en l'occurrence celui d'un quotidien

breton, du Télégramme de Brest et de l'Ouest. L'accident aurait eu lieu à Brest,

qu'il n'y aurait pas eu (Finistère) après le nom de la ville.

Il est remarquable que le nom propre dont il est dit qu'il désigne un référent

unique n'est pas obligatoirement référentiel dans un texte45. Il ne l'est qu'à la

45 La linguistique générale qualifie le nom propre d’ « autoréférentiel », signifiant par là qu’il désigne un objet

extralinguistique unique. Le nom propre se distinguerait en cela du nom dit commun caractérisé quant à lui par la

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condition de répondre à la condition d'évidence, à une condition difficile à

évaluer et fluctuante. Les savoirs varient dans le temps, l'espace et la société (cf.

les trois axes de la variation sociolinguistique), sont la propriété particulière

d'individus particuliers.

Marques significatives sont également les adjectifs qui accompagnent le

nom. A la fin du second paragraphe de notre extrait, nous lisons ses camarades.

L'adjectif possessif ses fait du nom camarades un coréférent d'un autre nom, de

victime en l'occurrence. Dans les textes, nous avons des coréférences du même

type avec les adjectifs démonstratifs. Les adjectifs numéraux présentent un

fonctionnement quelque peu particulier. Non précédé de l'article défini, l'adjectif

numéral indique une référence et peut être considéré comme l'équivalent d'un

déterminant obligatoire du nom, d'un déterminant indéfini plus précisément.

Quand l'article numéral est précédé de l'article défini, le nom est clairement

coréférentiel. Pour un texte qui présente deux touristes d'une part, les deux

touristes d'autre part, je sais que le premier nom est référentiel et le second

coréférentiel, par là je connais la disposition de ceux-ci dans le texte.

L'analyse du réseau coréférentiel, de la trame du texte, ne doit pas se

contenter de la prise en compte des déterminants du nom (cf la définitivisation

ou définitivation). L'auteur d'un texte dispose d'outils linguistiques permettant de

renvoyer à un référent en évitant la répétition des unités lexicales. Il dispose en

premier lieu des substituts, des pronoms, de toute la gamme des pronoms. Ces

pronoms tissent la coréférence aussi bien au niveau intra qu'interphrastique.

Dans l'extrait cité, les pronoms qui et celui trouvent leur antécédent dans la

phrase où ils se trouvent placés. Substituts d'un type différent sont les unités

lexicales qui sémantiquement renvoient à d'autres du même texte. C'est ainsi

que, dans notre extrait, appareil est coréférentiel de scooter et victime

d'adolescent. Il est remarquable que certaines unités lexicales, de part leur

sémantisme même, sont prédisposées à devenir dans un texte des substantifs

coréférentiels. C'est le cas pour victime; c'est le cas également pour coupable,

condammé, ou encore innocent, pour ne citer que quelques exemples dans le

même champ.

polysémie, cette propriété du signe qui fait dire aux linguistes que les langues humaines ne sont pas des systèmes

d’étiquettes que l’on peut coller sur la réalité du monde. Les mots sont donc des principes de classement qui

permettent d’appréhender une réalité du monde indénombrable et rétive à tout inventaire. La polysémie du signe

est essentielle à l’économie du signe et c’est à celle-ci que les langues doivent de pouvoir toujours appréhender

un nouveau réel, une nouvelle réalité du monde.

Le développement que nous venons de faire ci-dessus à propos du caractère référentiel des noms propres se

situent sur un autre plan, prend en compte le fonctionnement du texte qui doit satisfaire deux nécessités :

l’introduction par référence d’une part ; le rappel par coréférence, d’autre part. C’est l’évidence, la connaissance

partagée ou supposée telle qui permet à un nom propre d’ancrer directement, par lui-même, la réalité, le référent

dans un texte.

Attention : l’évidence ou la connaissance partagée ne concerne pas le lecteur du présent polycopié, les étudiants

du Master FLE en l’occurrence : cela concerne l’auteur du texte soumis à l’analyse et son lectorat. C’est donc les

choix rédactionnels, les marques du texte lui-même qui permettent de décider.

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La coréférence avec variation de l'item lexical pose le problème plus

général de la contiguité sémantique.

2.2. Contiguité sémantique.

Deux unités sont en relation de contiguité quand elles présentent certains

traits communs. La relation de contiguité, considérée du point de vue interne à la

langue, peut être ou d'inclusion ou d'intersection.

Dans la relation d’inclusion les items lexicaux entretiennent entre eux des

relations d'hyperonymie et d'hyponymie, des relations que nous pouvons

représenter avec le schéma suivant:

hyperonyme

hyponyme

Félin est hyponyme pour animal, mais hyperonyme pour chat.

Le rapport d'intersection repose sur le fait que plusieurs items lexicaux

puissent présenter des sèmes communs. On peut ici se reporter à l'analyse

sémique, au fameux exemple développé par Bernard Pottier sur les "pour

s'asseoir". Dans le champ lexical délimité par le sème générique "pour s'asseoir",

un champ illustré par l'archilexème siège, unité hyperonyme pour toutes les

autres constitutives du champ, on peut avoir, par exemple, fauteuil, chaise et

canapé. L'intersection de chaise et fauteuil est importante. Les deux unités ont

pour sèmes communs, outre "pour s'asseoir", "pour une personne", "avec

matériau rigide", "avec des pieds" et "avec dossier". Le sème qui les distingue

animal

félin

chat

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est "avec accoudoirs" pour fauteuil et "sans accoudoirs" pour chaise. Et chaise

est moins proche de canapé que de fauteuil, puisque canapé, à la différence des

deux autres, ne présente pas le sème " pour une personne". Nous pourrions ici

schématiser les rapports d'intersection de la façon suivante:

Le recouvrement absolu des termes indique une parfaite synonymie, un

sémème identique46 .

Il est d'usage d'opposer au synonyme l'antonyme. Que des unités lexicales

soient des contraires n'impliquent en aucune façon que celles-ci présentent une

intersection minimale ou nulle. C'est-là un contresens naïf qui est fréquemment

commis. L'antonymie implique des contraintes sémiques fortes. Les antonymes

sont des termes "voisins" liés par un rapport de complémentarité (ex: grand

versus petit), ou de réciprocité ( prendre versus donner). L'antonymie se fonde

sur une relation forte, binaire. L'antonymie ne touche donc qu'une partie du

lexique, et assez peu les noms proprement dits. Ce n'est pas un hasard si nos

exemples sont des adjectifs qualificatifs et des verbes. Il n'est pas d'antonyme à

cheval. Etalon, par contre, peut s'opposer à jument, comme mâle à femelle. De là

à inférer que jupe est l'antonyme de pantalon, il est un pas à ne pas franchir. Et

la plupart des noms n'ont pas d'antonymes.

Nous venons de traiter de la contiguité sémantique d'un point de vue

strictement interne, comme fait de langue. A ce niveau, les noms propres ne sont

pas concernés. « Edith Piaf » n’est hyponyme de femme, pas plus que

« président » est hyperonyme de « Chirac ». A ce niveau, ne sont pas non plus

concernés les rapports du tout à la partie. « Roue » n’est pas hyponyme de

« voiture ». L’argument vaut pour « barreau » et « chaise ».

Dans l'acte de parole, dans le discours, dans un texte, c'est-à-dire également

dans une situation de production, la contiguité entre deux termes lexicaux peut

s'établir de façon conjoncturelle. Ici religion peut être associée à église ; là, à

mosquée. L'homme établit des relations entre les mots en fonction de sa propre

culture, de sa propre histoire. A ce niveau, les spécificités, les savoirs propres

46 Sémème (lexicologie): faisceau des traits sémiques, des sèmes constitutifs d'une unité

lexicale. Le sémème est à la lexicologie ce que le phonème est à la phonologie. Le parallèle

vaut pour sème et trait pertinent.

chaise

fauteuil

chaise

canapé

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apparaissent très vite, bien avant les frontières nationales ou linguistiques. La

lecture de la presse est un bon exercice pour s'en convaincre.

Soit cet extrait du quotidien Le Monde (28 novembre 91):

Chanson Plus Bifluoré

Les quatre compères visitent la chanson française avec talent et

humour...

La contiguité de Chanson Plus Bifluoré et de Les quatre compères ne vaut

que pour qui est familier de la chanson française en 9147 . Particulièrement

fragile quand elle prend appui sur un nom propre, la contiguité pose le problème

plus général de la présupposition pragmatique. Le scripteur présuppose que son

lecteur sait déjà un certain nombre de choses, peut, à partir de là, établir par lui-

même un lien entre des appellations différentes d'un même référent. Un texte ne

procède pas "ex nihilo"; il vient nourrir un savoir pré-existant.

L'homme établit également des relations "hic et nunc", en fonction de ce

qu'il est en train de raconter à un instant donné, dans un lieu donné, dans le cadre

d'une expérience particulière. Dans le cadre d'un cours qu'il assure, l'enseignant

et ses étudiants peuvent ainsi établir des relations de contiguité situationnelle

entre amphithéâtre, tableau, rétroprojecteur, et même chaleur pour le cas où le

local se trouve surchauffé. Les listes de possibles vont bien au-delà de celles

que peuvent établir les inventaires thématiques ou listes de vocabulaire qui font

la joie ou la douleur de certains cours de langues vivantes. Contrairement à la

contiguité en langue, la contiguité en parole est strictement subjective. Et

l'homogénéité textuelle est pour part dépendante du conformisme, de la

prévisibilité de la situation.

Soit

L'homme voulut entrer, mais coïnça sa jupe dans la porte.

Bien sûr, avec homme, on penserait plutôt à veste. Cela se passerait en

Ecosse que l'affaire deviendrait plus vraisemblable: les écossais portent des kilts.

Mais cela peut également arriver à Lorient, dans l'Ouest de la France, où se

déroule en août le festival interceltique. Et l'homme est peut-être un japonais,

joueur de cornemuse du Bag Pipe Band de Tokyo, venu avec son groupe

participer au dit festival. La vérité n'est pas toujours vraisemblable48. Un texte

47 Chanson Plus Bifluorée: nom d'un groupe musical français.

48 En l'occurrence, il y a bien eu des japonais, sonneurs de cornemuses en tenue écossaise au

festival de Lorient.

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peut donc surprendre. Il sera néammoins accepté, à la condition que le lecteur

présuppose la cohérence du texte qui lui est proposé et le professionnalisme de

l'auteur.

La contiguité sémantique, d'un point de vue fonctionnel, permet à un texte

de développer un même sujet sans reprendre les mêmes termes nominaux, sans

abuser non plus des pronoms qui peuvent poser des problèmes de lisibilité, de

reconnaissance. Un emploi imprudent des pronoms dans un texte peut faire de

ceux-ci des "provni", des "pronoms volants non identifiables"49 . Et les

enseignants savent combien les élèves ont du mal à construire dans leurs écrits

un réseau anaphorique efficace et lisible.

Le développement du réseau coréférentiel dans un texte ne se contente pas

de l'élégance permise par la variation des items lexicaux en relation de contiguité

sémantique, ni de l'économie autorisée par l'emploi des pronoms. Elle dispose

également d'outils linguistiques dont la fonction même est de mettre en rapport

les segments du texte. La mise en relation peut enfin être implicite.

2.3. Présupposition Cas particulier d’implicite, la présupposition a fait l’objet de nombreuses

études en philosopie et en linguistique. Nous n’avons pas l’intention de

reprendre ici l’historique de la notion50, mais, plus modestement, de poser les

enjeux de cette notion en linguistique textuelle.

Quand nous situons le présupposé en opposition avec le posé, nous

signalons la hiérarchie créée dans la phrase par la dynamique communicative.

Un texte qui se développe fait admettre qu’à un moment du texte, certaines

données sont acquises et, de ce fait, ne peuvent plus faire l’objet d’une

discussion. L’énoncé Le roi de France est chauve présuppose l’existence d’un

roi en France . Une histoire (ou texte) ne va pas répéter à chaque nouvelle phrase

ce qu’il a déjà présenté dans les phrases précédentes. La phrase n d’un texte

présuppose la phrase n-1, présuppose l’acceptation des phrases précédentes.

Nous y reviendrons dans notre chapitre 3 (cf. opposition thème / rhème).

Autre forme d’implicite est le sous-entendu. « Tandis que le présupposé se

déduit littéralement de la signification linguistique, le sous-entendu dépend de la

situation d’énonciation, et sera plus ou moins facile à interpréter », écrit Jean-

François Jeandillou (1997, p. 14). Si dans le cas du présupposé, l’analyse peut

49 PROVNI : jeu de mots, sur le modèle d'OVNI, sigle d'Objets Volants Non Identifiés, terme

utilisé par les journalistes pour désigner les apparitions non expliquées d'objets insolites dans

le ciel (les soucoupes volantes, par exemple).

50 Voir DUCROT, Oswald : Dire et ne pas dire, Paris, Hermann, 1972

- Le dire et le dit, Paris, éd. de Minuit, 1984. -

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s’appuyer sur la mise en forme de l’énoncé, du texte, dans le cas du sous-

entendu, il faut rattacher l’énoncé, le texte à une connaissance extérieure. Cette

connaissance peut être donnée par l’évidence situationnelle immédiate. Elle peut

être un capital accumulé qui va devenir un prérequis. Le sous-entendu est alors

un savoir plus ou moins partagé, dont le niveau de partage (ou le degré

d’évidence) va déterminer la réussite de la communication orale ou écrite. Dans

la communication orale, dans la conversation spontanée, l’évidence

situationnelle est prégnante ; à l’écrit, l’évidence est affaire de savoirs

préalables, de prérequis. Ainsi un texte sera-t-il plus ou moins facile à

comprendre, selon qu’il parle de choses que nous connaissons bien ou que nous

connaissons mal. Ainsi le scripteur devra-t-il constamment dans son acte

d’écriture prendre en compte son lecteur et ses connaissances. Le traitement de

la référence avec les noms propres est affecté par l’évaluation de l’évidence. Le

traitement de la coréférence également. Pour rattacher implicitement en 1991,

Chanson Plus Bifluoré à quatre compères (cf. exemple cité plus haut), il faut

avoir un minimum de connaissances musicales françaises contemporaines.

La question de la présupposition est liée à celle de l’inférence. La

compréhension du texte implique une activité inférentielle. Un texte ne dit

jamais tout et sollicite des connaissances. Le malentendu repose souvent sur une

« mauvaise » inférence.

2.4. Connecteurs. Avec les connecteurs, nous ne sommes pas dans le mode de l’implicite,

nous disposons de marques dont la fonction est d’assurer la cohésion. Un texte,

pas plus qu'une phrase, n'est apposition ou juxtaposition de segments, quand bien

même référentiellement récurrents. Les segments sont régis par des liens qui

construisent une hiérarchie. C'est là le principe même de la syntaxe. Ce principe

vaut pour le texte qui est construction logique, raisonnement. L'histoire de la

grammaire montre que les grammairiens ont voulu tout de suite identifier les

spécificités notamment fonctionnelles des mots, ont, de ce fait, distingué

différentes "parties du discours", "classes de mots". C'est ainsi que la

grammairiens ont fondé les concepts de préposition et de conjonction pour

désigner les types de mots à fonction de mise en relation dans le cadre de la

phrase. Au-delà de la phrase, au niveau du texte, nous disposons d'outils

complémentaires, des outils que la terminologie grammaticale traditionnelle

classe comme adverbes51 (ex: ainsi, donc, aussi, enfin), et locutions adverbiales

(ex: en revanche). La connexion peut être assurée autrement que par des mots

spécialisés. La langue permet à son utilisateur d'expliciter la cohérence de son

51 On saisit pour le coup la nécessité de revoir la terminologie grammaticale traditionnelle.

Véritable fourre-tout, la classe des adverbes est particulièrement concernée.

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discours. Il dispose pour cela de formules et peut même construire des

propositions "ad hoc" (ex: Ainsi qu'il a été démontré ci-dessus). Le métatextuel

peut être considéré comme l'une des manifestations du métalinguistique.

Les connecteurs peuvent apparaître proches des pronoms, dans la mesure

où, comme ceux-ci, ils assurent la connexion, la mise en relation. La similarité

s'arrête là car, à la différence des pronoms, les connecteurs établissent une

relation bipolaire d'une part; ont une charge sémantique en eux-mêmes d'autre

part.

Les pronoms, comme substituts, effectuent un renvoi ou anaphorique, ou

cataphorique. Les connecteurs présentent nécessairement ces deux qualités à la

fois. Et les connecteurs ne sont pas des substituts, lesquels, comme le nom

l'indique, n'ont pour valeur sémantique que celle du segment textuel auquel ils

renvoient. La valeur portée en propre par les connecteurs permet la classification

sémantique de ceux-ci. Nous reprendrons celle proposée par Lundquist (1980,

pp. 50-51):

"1. ADDITIF: et, de nouveau, encore, également, de plus, aussi, de même, or,

voire

2. ENUMERATIF: d'abord - ensuite - enfin, finalement, premièrement -

deuxièmement..., a) - b) - c)...

3. TRANSITIF: d'ailleurs, d'autre part, du reste, en outre

4. EXPLICATIF: car, c'est que, c'est-à-dire, en d'autres termes, à savoir

5. ILLUSTRATIF: par exemple, entre autres, notamment, en particulier, à savoir

6. COMPARATIF: ainsi, aussi, plus... , moins..., plutôt, ou mieux

7. ADVERSATIF: or, mais, en revanche, au contraire, par contre, d'un coté - d'un

autre coté

8. CONCESSIF: toutefois, néammoins, cependant

9. CAUSATIF / CONSECUTIF / CONCLUSIF : c'est pourquoi, donc, ainsi, en

effet, aussi, en conséquence, alors

10. RESUMATIF: bref, en somme, enfin

11. TEMPOREL: d'abord, ensuite, puis, en même temps, plus tard, alors

12. METATEXTUEL: voir p. , cf. p. , comme il été signalé plus haut."

La classification ci-dessus ne se veut pas universelle et son auteur note que "les

critères de classification et l'inventaire des connecteurs diffèrent d'un traité à

l'autre" (p. 50). Lundquist note également:

"Il convient de signaler que, d'une part un même connecteur peut se ranger dans

plusieurs catégories sémantiques ("aussi": additif + consécutif), et que, d'autre

part, plusieurs catégories se prêtent à des subdivisions plus fines, par exemple

selon leur degré d'insistance ("en revanche" est plus fort que "mais")." (p. 51)

Un tel constat conduit à s'interroger sur l'utilité du classement sémantique

des connecteurs. La valeur d'un connecteur n'est pas réductible à sa valeur en

langue. Il est significatif que la catégorie qui présente la plus grande cohérence,

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est celle des connecteurs métatextuels. La remarque signale, si besoin en est, les

difficultés qu'il y a à poser des frontières précises entre syntaxe, sémantique et

pragmatique.

Il est possible toutefois d'envisager une typologie d'une autre nature, une

typologie moins sémantique, partant d'une double propriété du langage: la

concaténation et l'ordination. La concaténation ou mise en chaîne des segments

linguistiques procède de la linéarité du langage. Parler, écrire, c'est mettre des

mots les uns à la suite des autres. Il y a donc une temporalité, une chronologie

dans les manifestations du langage, dans les textes, une chronologie somme

toute indépendante d'une chronologie évènementielle, imposée par le monde, et

ce même si dans le texte narratif, par exemple, il y a recherche de coïncidence

entre les deux types de chronologie. L'ordination établit entre les segments une

relation de type non chronologique, mais hiérarchique, logique. Le principe de

rection constitutif de la syntaxe ressortit à l'ordination. Et il y a également

ordination dans la planification d'un développement, dans l'organisation d'un

raisonnement.

La concaténation et l'ordination ne doivent pas être confondues, mais il faut

ajouter que la concaténation est une contrainte minimale incontournable de la

mise en texte. A partir de là, il est envisageable de distinguer deux types de

connecteurs: les forts et les faibles. Les faibles seraient strictement concaténants;

les forts seraient concaténants ET ordinants. La conjonction de coordination et

est l'exemple même du connecteur faible. C'est d'ailleurs là ce qui explique son

rendement, sa fréquence. Il est possible quasiment partout. D'autres connecteurs

peuvent fonctionner de façon similaire: c'est le cas notamment pour et puis alors,

et alors, et puis, ensuite, pour ces connecteurs qui se répètent dans les discours

spontanés et nombre de rédactions scolaires. Il est remarquable que les

connecteurs que nous venons de rajouter sont considérés comme temporels. Les

connecteurs à qualité double exigent la possibilité de relation logique entre deux

segments textuels. C'est le cas pour mais qui ajoute une valeur d'opposition et

pour donc qui qualifie la relation comme consécutive. Ces deux connecteurs sont

plus exigeants sémantiquement. Leur fréquence est moins grande et leur

manipulation plus délicate. La pratique des productions langagières amène à

nuancer la remarque: à l'oral spontané, il y a souvent neutralisation de la valeur

d'ordination du connecteur. C'est ainsi que donc peut être observé avec une

valeur strictement concaténante.

A une typologie positiviste du type de celle proposé par Lundquist, il est

possible de substituer une typologie plus dynamique, plus dialectique, plus

pragmatique, où les connecteurs s'inscrivent sur un axe délimité par deux

repères, deux pôles, l'un fort qui est l'ordination (ou connexion avec hiérarchie),

l'autre faible qui est la concaténation (ou stricte connexion). Il est donc

prévisible qu'il existe entre les extrêmes une zone molle, floue. La grammaire

traditionnelle repère celle-ci quand elle hésite à définir sémantiquement certaines

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propositions circonstancielles (cf. les causales ou consécutives qu'on peut

qualifier de temporelles, ou inversement).

Les valeurs que la grammaire attribue aux différents connecteurs sont des

valeurs en langue, des valeurs théoriques, virtuelles, "par défaut". Dans l'acte de

parole, les connecteurs peuvent venir confirmer ou modaliser ces valeurs. Cela

vaut notamment pour la zone molle mentionnée ci-dessus. Les extrêmes résistent

mieux.

Les études sur les connecteurs, le plus souvent, insistent sur les relations

interphrastiques. Il nous apparaît que cette focalisation est discutable, car les

relations interpropositionnelles nous semblent concernées au même titre. Faire

une phrase complexe, lier deux propositions par un connecteur pose des

problèmes similaires.

Soit l'exemple donné par Lundquist: I. 1) Pierre n'a plus d'argent. 2) Il ne va pas au cinéma.

II. 1) Pierre n'a plus d'argent. 2) C'est pourquoi il ne va pas au cinéma.

Une autre transformation par connexion est envisageable:

III. Comme il n'a plus d'argent, Pierre ne va pas au cinéma.

Et cette dernière nous semble plus conforme à ce que nous attendons dans

la production textuelle. Ceux qui enseignent l'écrit portent leur attention non

seulement sur la mise en relation des phrases, mais encore sur la maîtrise de la

phrase complexe, voire la segmentation phrastique.

Conclusion.

La cohésion dans un texte est marquée, mais peut-on évaluer la cohésion à

la puissance du réseau coférentiel, au degré de contiguité sémantique entre les

unités lexicales, au nombre de connecteurs? La lecture de l'histoire du rhume

chez Ionesco peut nous instruire :

Le pompier : "Le Rhume" : Mon beau-frère avait, du coté paternel, un cousin

germain dont un oncle maternel avait un beau-père dont le grand-père paternel

avait épousé en secondes noces une jeune indigène dont le frère avait rencontré,

dans un de ses voyages, une fille dont il s'était épris et avec laquelle il eut un fils

qui se maria avec une pharmacienne intrépide qui n'était autre que la nièce d'un

quartier-maître inconnu de la Marine britannique et dont le père adoptif avait une

tante parlant couramment l'espagnol et qui était, peut-être, une des petites-filles

d'un ingénieur, mort jeune, petit-fils lui-même d'un propriétaire de vignes dont on

tirait un vin médiocre, mais qui avait un petit-cousin, casanier, adjudant, dont le

fils avait épousé un bien jolie jeune femme, divorcée, dont le premier mari était le

fils d'un sincère patriote qui avait su élever dans le désir de faire fortune une de ses

filles qui put se marier avec un chasseur qui connut Rothschild et dont le frère,

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après avoir changé plusieurs fois de métier, se maria et eut une fille dont le

bisaïeul, chétif portait des lunettes que lui avaient données un sien cousin, beau-

frère d'un Portugais, fils naturel d'un meunier, pas trop pauvre, dont le frère de lait

avait pris pour femme la fille d'un ancien médecin de campagne, marié trois fois

de suite dont la troisième femme...

M. Martin : J'ai connu cette troisième femme, si je ne me trompe. Elle mangeait

du poulet dans un guêpier.

Le pompier : C'était pas la même.

Mme Smith : Chut !

Le pompier : Je dis : ... dont la troisième femme était la fille de la meilleure sage-

femme de la région et qui, veuve de bonne heure ...

Mme Smith : Comme ma femme.

Le pompier : ... s'était remariée avec un vitrier, plein d'entrain, qui avait fait, à la

fille d'un chef de gare, un enfant qui avait su faire son chemin dans la vie ...

Mme Smith : Son chemin de fer ...

M. Martin : Comme aux cartes.

Le pompier : Et avait épousé une marchande de neuf saisons, dont le père avait un

frère, maire d'une petite ville, qui avait pris pour femme une institutrice blonde

dont le cousin, pêcheur à la ligne...

M. Martin : A la ligne morte ?

Le pompier : ... avait pris pour femme une autre institutrice blonde, nommée elle

aussi Marie, dont le frère s'était marié à une autre Marie, toujours institutrice

blonde...

M. Smith : Puisqu'elle est blonde, elle ne peut être que Marie.

Le pompier : ... et dont le père avait été élevé au Canada par une vieille femme

qui était la nièce d'un curé dont la grand-mère attrapait, parfois, en hiver, comme

tout le monde, un rhume.

Mme Smith : Curieuse histoire. Presque incroyable.

M. Martin : Quand on s'enrhume, il faut prendre des rubans.

M. Smith : C'est une précaution inutile, mais nécessaire.

La Cantatrice Chauve (Extrait, Scène VIII)

Enfant direct, néammoins facétieux du F.L.E., Eugène Ionesco joue avec

les ressources de la langue. Le non sens en littérature procède de l'exploitation

forcenée des liens entre les segments du texte. Nous avons dans l'histoire du

rhume un texte

- qui implique une très forte contiguité sémantique (cf. les termes de

parenté),

- qui emprunte à un discours fortement ritualisé et contraint,

- qui impose une homogénité thématique (la déclinaison d'un arbre

généalogique),

- qui manifeste sur la fin des connecteurs forts (comme, puisque, mais);

mais

- qui énonce des absurdités

- et qui, sur l'ensemble, masque son projet narratif, le retarde jusqu'à la fin

extrême, moment où apparaît l'incongruité d'une histoire prétendument drôle et

qui ne l'est que par l'absurde, parce qu'elle n'est pas drôle précisément.

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Activités d’approfondissement pour le chapitre 2

1. soit le texte suivant :

Marcel et Robert décident de s’affronter dans une course à pied. Le premier,

malheureusement, n’a plus les jambes de ses 20 ans et termine second, à la grande joie du

second qui franchit le premier la ligne d’arrivée.

Quelles remarques vous inspire la construction des réseaux

coréférentiels dans le texte ci-dessus ? Pouvait-on faire mieux ?

2. Soit le texte ci-dessous :

Sa carte bancaire étant défectueuse, un client du Crédit

Agricole obtient de son banquier une nouvelle carte. La

première, volée plus tard, sera utilisée. Dans ce cas, a jugé

la Cour de Cassation dans un arrêt du 10 janvier, le titulaire

et le banquier sont co-responsables: le premier parce qu’il a

rangé sa carte avec son code, le second parce qu’il n’a pas

récupéré et détruit la carte soi-disant inutilisable...

Libération, mardi 17 janvier 95

Quel référé attribuez-vous au segment La première ?

3. Nombre d’articles de presse, notamment dans la rubrique des faits

divers, utilisent le mot « victime(s) ». Consultez vos journaux, à défaut

imaginez des titres d’articles avec le mot « victime ». Quels sont les

conditions nécessaires à l’emploi des segments « la victime » ou « les

victimes » dans un titre de presse ?

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Chapitre 3. La dynamique communicative

Il n'échappe pas au lecteur que le texte de Ionesco cité en conclusion du

chapitre précédent doit sa drôlerie pour partie au déséquilibre qu'il manifeste.

L'histoire du rhume se réduit fonctionnellement à l'histoire de quelqu'un qui

attrapait, parfois, en hiver, comme tout le monde, un rhume. Cette phrase

interminable du pompier qui énumère une généalogie intercontinentale et

multifamiliale n'apporte rien à l'histoire proprement dite; pire, elle distrait

dangereusement l'attention du destinataire. En un mot, avec un tel début de

phrase, on ne voit pas où le pompier "veut en venir", selon une expression

familière, mais parlante. Un début doit laisser prévoir la fin, quitte à surprendre à

l'instant final. Pour raconter une histoire, un texte (mono ou pluriphrastique) doit

construire et indiquer un itinéraire. Un texte doit manifester une "dynamique

communicative", selon l'expression de Firbas, reprise par Slatka52 . La

dynamique communicative est équilibrage de deux nécessités: la cohésion et la

progression. Il ne suffit pas que les segments du texte entretiennent des relations

de cohésion; il faut en plus que cette cohésion serve et ne s'oppose pas à un

développement. Ceci explique que les segments du texte évoluent, changent de

statut au fil de l'histoire qui se construit progressivement. Pour rendre compte de

la progression, la linguistique textuelle utilise les concepts de "thème" et de

"rhème".

3.1. Thème et Rhème.

Les concepts de thème et de rhème sont largement développés par l'Ecole

de Prague (cf. Danes et Mathesius). L'idée fondamentale est que l'information se

répartit fonctionnellement dans la phrase, une information "nouvelle" devant se

rajouter à une "ancienne". Au chapitre précédent, nous faisions remarquer qu'un

52 cf. SLATKA, Denis (1975, pp. 36-37).

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texte ne procède pas "ex nihilo", s'appuie sur des savoirs présupposés partagés.

A ce niveau de présupposition extratextuel, va se rajouter un niveau de

présupposition intratextuel. La phrase (n) du texte présuppose la lecture de la

phrase (n-1), présuppose plus précisément la lecture du texte jusqu'à la phrase

(n-1). A la phrase (n), l'auteur ne peut donc répéter ce qu'il a déjà écrit jusqu'à la

phrase (n-1). Il ne peut pas non plus oublier cet amont du texte. La phrase (n)

doit donc porter la trace économique du savoir accumulé jusqu'à la phrase (n-1).

La fonction de rappel est assurée par les outils de la cohésion que sont les noms

coréférentiels et les pronoms. C'est le cas dans les deux exemples ci-dessous:

a) La terre a tremblé en Californie. La secousse a provoqué des

dégâts très importants.

b) Un séisme de forte amplitude a secoué la Californie. Il a provoqué

des dégâts très importants.

Les segments La secousse en a) et surtout Il en b) illustrent le rappel

économique du thème, un thème qui, dans les deux cas, se trouve placé à gauche

dans la phrase et constitue le sujet grammatical de celle-ci. A partir de là,

surgissent deux premières questions:

- Comment identifier le thème à la première phrase d'un texte?

- Quels types de critères permettent de reconnaître le thème d'une

phrase?

Au niveau de la première phrase, nous ne pouvons pas nous appuyer sur la

coréférence, sur cette procédure de renvoi qui indique par définition un rappel,

un déjà connu. Nous pouvons envisager trois situations, illustrées par les trois

premières phrases suivantes:

a) Chirac prend quelques jours de vacances en Corrèze.

b) Il était une fois une princesse atteinte d'une maladie mystérieuse.

c) La conférence de presse de Tony Blair a surpris les journalistes.

En a) et c), nous avons un fort ancrage situationnel, la référence à une vie

politique, à une histoire précise. Tel n'est pas le cas de b) qui est en quelque sorte

hors du temps (cf. le une fois), et qui procède en quelque sorte de zéro53 . Entre

a) et c), il est une différence d'ancrage. Si a) et c) impliquent un ancrage

situationnel, c), ajoute à celui-ci, un ancrage intertextuel, présuppose la

connaissance du texte de la conférence de presse donnée par le premier ministre

britannique.

53 une nuance doit être apportée, de par le caractère rituel de la formule il était une fois qui

introduit nombre de contes.

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Il ressort que la thématique, au niveau d'un texte qui démarre, peut être

déjà donnée, et, dans ce cas, être référentielle ou intertextuelle. Dans cette

hypothèse, il est possible de supposer que ces données se retrouveront

naturellement dans ce segment de la phrase que la linguistique textuelle appelle

le thème.

Mais y-a-t-il une relation d'équivalence entre l'acception vulgaire du mot

"thème" et le concept du même nom de la linguistique textuelle? Quand on parle

trivialement du "thème" ou du "sujet" d'un texte, on identifie une qualité, à

savoir la thématique générale de celui-ci; on ne distingue absolument pas au

niveau de chaque phrase le segment thématique de celui rhématique, on ne prend

pas en compte la distribution fonctionnelle des segments dans la phrase. Or c'est

là précisément la perspective de la linguistique textuelle. Un texte dont la

première phrase doit présenter la thématique ou le sujet, dont la première phrase

ne peut s'appuyer sur des présupposés, doit, de ce fait, considérer la thématique,

au sens familier du terme, comme "nouvelle". Mais, du point de vue de la

linguistique textuelle, cette thématique pourra être exprimée aussi bien par le

segment thématique que par le segment rhématique de la phrase.

L'exemple b) avec la formule présentative Il était une fois fait de notre

princesse, certes, le sujet, le "thème" ou thématique de notre histoire, mais

surtout le rhème de notre première phrase. Mais rien n'interdit à cette princesse

d'intégrer le segment thématique. C'est le cas dans la phrase suivante:

Une princesse atteinte d'une maladie mystérieuse se mourait lentement

dans le château du roi.

La notion de thème pose à l'évidence une difficulté de manipulation,

laquelle ressortit à la résistance de l'acception vulgaire du terme. Il faut d'emblée

admettre que la linguistique textuelle propose une définition propre du thème.

Au fil du texte, un même segment peut évoluer. Thème dans telle phrase, il

pourra être rhème dans une autre. La reconnaissance du thème et du rhème dans

une phrase se fait au niveau de cette phrase, quand bien même cette

reconnaissance peut s'appuyer sur le contexte, sur l'amont du texte.

Concrètement, en linguistique textuelle, nous courons constamment le

risque de confondre l’opposition thème/rhème avec les oppositions

connu/inconnu ou référence/coréférence. C’est le scripteur et lui seul qui est

responsable de l’organisation du thème et du rhème dans la phrase qu’il propose

à son lecteur. Et rien n’interdit à un auteur d’introduire dans la dernière phrase

de son texte un élément nouveau et de le placer dans le segment thématique de

cette phrase.

Ex : Une enquête a été diligentée par le procureur de la république.

… pour un texte où il n’aurait jamais été question d’enquête jusqu’à cette

dernière phrase. Mais la remarque est superfétatoire, dans la mesure où nous

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aurions eu, dans ce cas, une marque de renvoi à référé sur enquête (ex :

l’enquête, cette enquête…).

Sans doute faut-il à terme renoncer à définir l’opposition thème/rhème

comme une opposition ancien/nouveau, ou encore connu/inconnu, voire

datum/novum ; sans doute faut-il préférer aujourd’hui l’opposition topic / focus.

Ces concepts ont en effet le mérite de toucher l’essentiel. La répartition

thème/rhème est de l’ordre du texte et non de la réalité extralinguistique, de

l’ordre des mots et non des choses. La thématisation verrouille la négociation,

oblige à consentement sans discussion ; la rhématisation autorise, voire invite à

la négociation de l’information, de la partie signifiée dans le segment rhématique

plus précisément. On comprend à partir de là que les logiciens se soient

interrogés sur les conditions de vérité d’un énoncé comme « le roi de France est

chauve », a fortiori sous la forme « l’actuel roi de France est chauve ». La

formulation d’un tel énoncé, cette mise en forme de l’information, présuppose

l’existence effective d’un roi de France, en cela n’autorise la discussion, ou

contestation que sur la calvitie de ce personnage. Il n’y a que la calvitie qui doit

répondre aux conditions de vérité, se soumettre à une évaluation Vrai/Faux.

La compréhension de la dichotomie thème/rhème suppose la

reconnaissane de la pluralité des points de vue, des niveaux d’analyse.

La linguistique textuelle entend développer une perspective "fonctionnelle"

et reconnaît trois approches dans le domaine: morphosyntaxique, sémantique et

thématique. Celle thématique ne se distingue pas facilement des deux premières

et le métalangage grammatical tend à confondre les perspectives. Bernard

Combettes note54 :

"Si l'on s'en tient d'ailleurs à la "grammaire scolaire", à la tradition grammaticale

classique, on pourra observer que ces trois plans sont plus ou moins intuitivement

sentis, mais sont souvent confondus. Examinons en effet quelques définitions,

quelques concepts; dans un même manuel, il est possible de relever des

constatations du type : "la préposition est un mot invariable qui introduit un

complément", "le complément d'objet direct supporte l'action exprimée par le

verbe", "le sujet de la phrase est ce dont on parle, le prédicat est ce que l'on en

dit". Nous pourrions citer bon nombre d'autres définitions, qui montreraient que

l'on se place souvent à des niveaux différents d'analyse; ainsi, dans les exemples

que nous venons de choisir, le niveau syntaxique, purement formel, s'attache aux

"constructions" (la préposition), le niveau sémantique concerne les "rapports de

sens" entre les constituants (l'objet "supporte" l'action), le niveau "logique"

définissant "ce que l'on dit" et "sur quoi" (c'est essentiellement le sujet et le

prédicat qui sont concernés). Ce sont là les trois niveaux souvent mêlés dans

l'analyse traditionnelle; les deux premiers surtout: une même définition, une

54 COMBETTES, Bernard: Pour une grammaire Textuelle. La Progression thématique,

Bruxelles-Paris, De Boeck-Duculot, 1983.

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même dénomination, contiennent parfois les deux critères; l'expression

"complément d'objet direct", par exemple, dans laquelle objet relève du niveau

sémantique, direct du niveau syntaxique (absence de préposition); ou encore, dans

une définition comme: "un circonstant est un complément "libre" (niveau

syntaxique) qui permet d'exprimer la manière, le lieu, le temps (niveau

sémantique)". Nous remarquons toutefois que le niveau qui nous intéresse au

premier chef, le niveau thématique, qui concerne la façon dont l'information se

répartit sur la phrase, n'est d'ordinaire pas pris en compte par la grammaire

scolaire; en effet le niveau "logique", s'il a des liens avec le niveau

"informationnel" ne doit pas être confondu avec lui."

(p. 12)

De la même façon qu'elle doit se garder de la terminologie générale, la

linguistique textuelle doit se démarquer de l'héritage grammatical. Même si dans

la phrase Le gendarme attrappe le voleur, je peux trouver une coïncidence

absolue, puisque Le gendarme est le sujet grammatical, l'agent sémantique et le

thème, je ne peux pour autant confondre les trois niveaux d'analyse.

Se pose dès lors un problème méthodologique délicat: quels critères faire

jouer pour l'identification du thème de la phrase?

3.2. La Disposition

Certains auteurs cherchent à reconnaître des correspondances entre

l'organisation des idées et l'organisation des phrases. C’est le cas de Henri Weil

dans un ouvrage de 184455 :

" Les mots sont les signes des idées : traiter de l’ordre des mots est donc, par

conséquence, traiter de l’ordre des idées. Les grammairiens se sont beaucoup

occupés des mots considérés isolément ; ils en ont étudié l’enchaînement ; mais la

plupart n’ont pas donné une grande attention à l’ordre dans lequel les mots

peuvent se succéder " (p.1)

L’apport remarquable de l’ouvrage est de clairement dissocier

l’organisation des idées de celle syntaxique, de s’interroger à partir de là sur les

types d’organisation des idées dans des langues très différentes, anciennes et

modernes, de rediscuter à ce niveau une classification entre des langues qui

seraient analogues, ou logiques et d’autres, transpositives ou inversives. Dans les

premières, l’organisation de la pensée épouserait l’organisation syntaxique ; dans

les secondes, tel ne serait pas le cas. 55 WEIL, Henri : De l’ordre des mots dans les langues anciennes comparées aux langues

modernes, 3ème édition, Paris, Vieweg, 1879.

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Au niveau de la proposition, Henri Weil reconnaît dans les termes de son

temps, l’opposition que nous faisons aujourd’hui entre le thème et le rhème :

" La proposition est l’expression totale d’un jugement, dont les deux parties ne devront

jamais se confondre, mais bien se suivre dans l’ordre de l’opération logique de l’esprit." (p.

14)

Pour Weil, dans la proposition, on doit reconnaître un « point de départ »

ou « notion initiale » et un « but du discours » (cf. pp. 20-21). L’argumentation

développée sera reprise plus tard, notamment à Prague, par Mathésius. En

France, le critère de la disposition sera repris par Denis Slatka (1975):

"La distinction Thème (Th) - Rhème (Rh) est opérante au plan de la linéarité des

constituants; il s'agit d'expliciter les notions vagues de début, de milieu et de fin

de la phrase. Dans la Perspective Fonctionnelle de la Phrase (FSP)56 , la phrase

est conçue comme devant constituer un message organisant la communication et

l'information. Aussi se trouve mis en place par Firbas le concept fondamental de

"dynamique communicative" (DC), qui dénote "une qualité manifestée par la

communication dans son développement". Autrement dit, chaque groupe

linguistique porte, selon sa place, un degré de DC. Ce qui permet de préciser dans

quelle mesure chacun des groupes contribue au développement de la

communication. On pose alors que la DC augmente par degré du début à la fin de

la phrase. Ainsi, le premier groupe (le plus à gauche) - qui constitue le Thème

(Th) - porte le plus bas degré de DC; au dernier (le plus à droite) - ou Rhème (Rh)

- est assigné le plus haut degré de DC. Entre le thème et le rhème se situe la

transition (tr)..." (pp. 36-37)

La prise en compte du critère de la disposition présente des avantages

remarquables. Critère formel, la disposition est d'une fiabilité incomparablement

plus forte que celle des jugements sémantiques ou subjectifs. Le critère de la

disposition, de plus, permet de rendre compte des cas où le thème de la phrase

n'est pas porté par le sujet grammatical. C'est à sa position dans la phrase et non

à sa fonction syntaxique, que le segment sujet peut devoir sa qualité de thème.

Dans la mesure où nombre de phrases en français commencent par le groupe

sujet, il est prévisible que le thème soit fréquemment assuré par celui-ci. Mais la

coïncidence est strictement statistique et peut être infirmée par des

contrexemples:

a) Avec Notre Temps57 , vos droits ne prendront pas leur retraite.

56 FSP : Functional Sentence Perspective.

57 Notre Temps: journal français qui s'adresse aux retraités.

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b) En période de crise, les consommateurs restent frileux.

c) Si tu veux la paix, prépare la guerre.

d) Omo est là et la saleté s'en va.58

e) Grillé Pelletier, le savoir-faire de demain.59

Nous trouvons en position initiale, en position de thème, des compléments

circonstantiels, une proposition circonstancielle et une proposition indépendante.

La phrase e) enfin ne comporte pas de verbe.

Le critère de la disposition nous semble toutefois devoir être pondéré dans

le cas des constructions segmentées (ou anacoluthes), une construction que les

manuels de grammaire présentent le plus souvent comme un écart stylistique,

une mise en relief. Cette conception de la construction segmentée ne nous

semble pas adéquate pour toutes les productions langagières, ne nous semble pas

convenir plus précisément à certains oraux spontanés, productions où les

locuteurs sont en situation d'urgence. La prudence que nous avons à l'encontre de

la construction segmentée ne nous interdit pas toutefois de reconnaître un thème

à gauche et un rhème à droite dans le slogan publicitaire suivant:

J'aime ça, les Frosties de Kellog's.

Le critère de la disposition est applicable au niveau de la phrase et ne fait

appel ni au co-texte, ni à la situation. S'il permet d'identifier le début du segment

thématique, ce critère ne livre pas pour autant la fin du thème. L'approche

fonctionnelle de la phrase a prévu la difficulté en posant entre le thème (Th) et le

rhème (Rh), la transition (tr), en indiquant que le degré de la dynamique

communicative va croissant du début à la fin de la phrase. La gradation est

applicable au sein même de chaque segment. Ce principe est clairement présenté

par Denis Slatka (1975):

" ... tout ce qui sera situé avant transition sera dit thème; et tout ce qui sera placé

après transition sera dit Rhème. Cependant, la première place sera spécifiée en

Thème propre (Thp) et la dernière en Rhème propre (Rhp). S'il apparaît d'autres

thèmes après le thème propre, il suffira de les graduer: Thp ----- Th1 ----- Th2...;

chacun portant un degré plus haut de DC au fur et à mesure que la phrase

s'amplifie à droite. S'il y a deux thèmes, le second est communicativement plus

important que le premier; il en va de même quand deux rhèmes se succèdent, on

58 Publicité pour la lessive de marque OMO.

59 Publicité pour un produit alimentaire industriel.

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précisera: la position initiale (Thp) porte le bas degré de DC, alors que la position

finale (Rhp) porte le plus haut. Soit:

En France (Thp), tout parlementaire (Th) désire (Tr) un petit journal (Rh) pour sa

circonscription (Rhp).

A propos de la place de la transition, il convient aussi d'opérer une distinction

importante: toute forme verbale complexe sera scindée en transition propre (Trp)

et Transition (Tr) (i.e. le verbe). Ainsi dans:

Mon ami (Th) a (Trp) rencontré (Tr) son député (Rh)

Les positions abstraites dans la phrase (la gradation étant continue entre Thp et

Rhp) sont donc:

Thp ---Th1...Thn---Trp---Tr---Rh1...Rhn---Rhp" p. 37

Dans la mesure où c'est la transition qui permet de séparer le thème du

rhème, dans la mesure où cette transition est assurée par le segment verbal, la

syntaxe "vient au secours" de la disposition. Mais des difficultés subsistent qui

tiennent à la diversité et à la complexité des constructions phrastiques soumises à

examen.

En raison de ces difficultés, le repérage et le bornage des segments

thématiques et rhématiques s'appuient également sur des tests, des tests

d'identification du rhème, partant du principe qu'une transformation vient

toucher prioritairement le segment de la phrase essentiel du point de vue

informationnel.

3.3. Les critères pragmatiques

Le test de la contradiction ou de la dénégation

La contradiction peut mettre en oeuvre une transformation négative, peut

manifester une opération syntaxique, mais elle ne ressortit pas en propre à la

grammaire, au niveau syntaxique. Le test de contradiction se situe au troisième

niveau, au niveau pragmatique.

La distinction peut sembler abstraite, mais un exemple pourra, nous

l'espérons, clarifier le débat, à défaut en indiquer la complexité.

Dans un album de Hergé consacré aux aventures de Tintin, à savoir On a

Marché sur la Lune, l'irascible capitaine Haddock vient de se moquer des deux

Dupont, détectives particulièrement médiocres, qui viennent de confondre le

cirque lunaire d'Hipparque avec le cirque du parc. D'où le trait du capitaine:

"Si je le savais (qu'il y avait un cirque sur la lune)?... Bien sûr.

Tout le monde sait cela!... J'ai même appris qu'ils avaient besoin de

deux clowns... Vous feriez parfaitement l'affaire!"

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Informés par le professeur Tournesol de la vraie nature du cirque

d'Hipparque, les deux Dupont comprennent progressivement la perfidie de la

remarque du capitaine Haddock, s'emportent et en viennent à exiger des excuses.

Sous la pression, le capitaine s'exécute et déclare:

"Eh bien! Soit!... Je retire ce que j'ai dit!... Le cirque

d'Hipparque n'a pas besoin de deux clowns: vous ne pouvez donc pas

faire l'affaire! Etes vous satisfaits?"

Il est clair que les deux opérations syntaxiques, les deux transformations

opérées par le capitaine Haddock ne conduisent pas celui-ci à retirer ce qu'il

avait dit, bien au contraire: il s'agit d'une nouvelle moquerie, que les malheureux

détectives auront bien du mal à décrypter... mais là n'est pas notre propos.

L'exemple que nous venons de développer permet de distinguer la contradiction

qui est une opération pragmatique de la négation qui est une opération

syntaxique. Et quand elle fait référence à la négation, la linguistique textuelle, en

fait, pense à la contradiction.

Soit l'exemple, a priori simple, proposé par Bernard Combettes (1983, p.

22):

a) Il boit pour oublier.

b) Pour oublier, il boit.

Pour oublier, de par la disposition, est rhème en a), thème de b). La

transformation syntaxique de ces phrases donne:

c) Il ne boit pas pour oublier.

d) Pour oublier, il ne boit pas.

La phrase c) ne vient pas nier le segment rhématique; la phrase d) touche

bien le rhème, mais conduit à une phrase pragmatiquement contestable, une

phrase qui ne satisfait pas à la condition d'appropriété. C'est plus l'ébriété que la

sobriété qui permet l'oubli. Dans la mesure où elle touche le verbe, la

transformation négative est peu discriminante. La transformation de b) en d) ne

conduit au rhème de la phrase b) que parce qu'ici la phrase s'achève par un

verbe, un verbe qui, contrairement à la plupart de ses occurrences, ne fonctionne

pas comme transition. Si nous nous plaçons du point de vue pragmatique, les

transformations par contradiction que nous pouvons faire subir aux phrases a) et

b) ci-dessus sont certes

c) "Il ne boit pas pour oublier",

mais également

e) "Ce n'est pas pour oublier, qu'il boit".

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On identifie ici plus clairement le segment rhématique, mais encore faut-il

prouver que telle transformation par contradiction porte bien sur telle phrase

source, et autoriser la liberté que l'on prend avec le critère de la disposition (cf.

e) pour a) et c) pour b))!

Le test de la question

La question n'est pas réductible à une transformation interrogative de la

phrase soumise au test. Comme la contradiction, la question se situe au niveau

pragmatique.

Soit la phrase:

La semaine dernière, au festival interceltique de Lorient, j'ai vu des

joueurs de cornemuses japonais.

Cette phrase peut appeler questions suivantes:

a) Quand, au festival interceltique de Lorient, as-tu vu des joueurs de

cornemuses japonais?

b) Que faisaient les japonais que tu as vus au festival interceltique de

Lorient, la semaine dernière?

c) Dans quel cadre, à Lorient, la semaine dernière, as-tu vu des joueurs de

cornemuses japonais?

d) Qui étaient les joueurs de cornemuses que tu as vus la semaine dernière

à Lorient?

e) De quoi jouaient les japonais que tu as vus la semaine dernière au

festival interceltique de Lorient?

f) Que faisaient avec des cornemuses les japonais que tu as vus la semaine

dernière, à Lorient, au festival interceltique?

g) Qu'as-tu vu la semaine dernière à Lorient, au festival interceltique?

h) Où as-tu vu des joueurs de cornemuses japonais?

voire

i) Hein! Quoi?

La question peut porter sur de multiples segments, plus ou moins longs, du

texte. Mais comment justifier que la phrase de référence est la réponse à telle ou

telle question? La seule situation où nous pouvons décider est celle où un texte

donné nous propose en amont de la phrase une question. Autrement dit, la

question n'est pas tant un test que nous pouvons élaborer et soumettre "in vitro" à

une phrase donnée, qu'une information coréférentielle que l'amont du texte nous

fournit.

Nous saisissons pour le cas, les limites du vocabulaire que nous venons

d'utiliser pour désigner les tests de reconnaissance du rhème de la phrase. Les

notions de contradiction et de question ont le mérite de prendre distance quant à

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celles, syntaxiques, de transformations négative et interrogative, mais le tort de

rester "expérimentales". L'analyse fonctionnelle de la phrase doit non pas tant

chercher à appliquer un test, à transformer celle-ci, qu'à chercher ou une

question en amont, ou une dénégation en aval. Elle s'appuie de ce fait sur le

cotexte, quitte à aboutir à des résultats qui viennent infirmer ceux que donne

l'application stricte de la règle de la disposition au sein de la phrase (cf. la

Dynamique Communicative).

La modalisation

Il existe des procédés autres que celui de la disposition qui permettent à

l’émetteur d’indiquer, de signaler l’importance d’un segment dans une phrase.

Prenons, pour exemple, la phrase d'un journaliste qui en 1968 déclare à la radio

ou la télévision:

A son retour d'Allemagne, le général de Gaulle s'est adressé en uniforme à

la nation.

Cette phrase est historiquement située, fait référence aux "évènements de

mai 68", à une période où, pendant quelques jours, il y a vacance du pouvoir, au

point de conduire le chef de l'Etat de l'époque auprès du général Massu, chef des

forces militaires françaises stationnées en Allemagne, ce pour s'assurer la

loyauté de l'armée... au cas où... Fort de l'appui obtenu, le général de Gaulle veut

reprendre les choses en mains et veut le signaler par une allocution musclée à la

nation.

L'affirmation de l'autorité passe par l'uniforme, et le symbole n'échappe à

personne en France, puisque le général, depuis la libération de la France,

n'affiche son uniforme militaire que très rarement et dans des circonstances

graves. Pour le journaliste, il importe peu de choisir entre:

a) A son retour d'Allemagne, le général de Gaulle s'est adressé en

uniforme à la nation.

ou

b) A son retour d'Allemagne, le général de Gaulle s'est adressé à la nation

en uniforme.

S'il veut mettre l'accent sur le circonstant en uniforme, il peut certes le

placer à la fin de la phrase, mais il peut aussi marquer le découpage syllabique

de ce segment (EN - U - NI- FORME). La transcription orthographique essaie de

rendre compte de cette modalisation en utilisant les tirets, les majuscules ou le

soulignement. A l’oral, la modalisation s’accompagne d’une gestualité déictique.

Si le principe d'une dynamique communicative semble incontestable,

l'identification précise de la charge informationnelle des différents segments de

la phrase n'apparaît pas aisée. Nous devons admettre qu’il peut y avoir

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opposition entre l’intention du scripteur et la compréhension du lecteur. Nous

devons également prendre en compte le degré de probabilité d’une information.

Une information complètement incongrue ou invraisemblable attirera l’attention

du récepteur, quelque soit la disposition choisie par l’émetteur.

3.6. Progression Thématique

L'homogénéité d'un texte suppose l'unité de la thématique, mais cette

dernière accepte une pluralité de thèmes, au sens précis que la linguistique

textuelle donne à ce terme. De la même façon que chaque phrase du texte

progresse du thème au rhème, tout texte progresse d'une phrase à l'autre. Cette

progression se fait sur la base de la reprise d'éléments des phrases précédentes.

Mais les possibilités de reprise sont de différents types.

La progression linéaire La progression linéaire semble la plus "logique", la plus immédiatement

prévisible. Le thème de la phrase (n) reprend le rhème de la phrase (n-1). La

progression linéaire semble la plus "logique", dans la mesure où, avec elle, le

référent nouveau désigné par un rhème devient connu, donc thème, à la phrase

suivante.

Phrase 1: Th 1 Rh2

Phrase 2: Th2 Rh2

Phrase 3: Th3 Rh3

La progression linéaire peut être illustrée par le segment suivant:

L'homme fit quelques pas dans le salon. Celui-ci était très faiblement

éclairé. Dans la pénombre se détachait une silhouette...

La progression à thème constant

Avec la progression à thème constant, le thème de la phrase reprend

fidèlement celui de la phrase précédente.

Phrase 1: Th 1 Rh2

Phrase 2: Th2 Rh2

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Phrase 3: Th3 Rh3

exemple: Donar allait de son pas élastique, enfermant dans son coeur la promesse de

l'aventureuse tentative qui commencerait cette nuit. Il connaissait le petit port, où

il espérait découvrir un navire en partance (...) Donar était tout à ses pensées

quand il en fut tiré brusquement par un martèlement de sabots de chevaux qui

apparaissaient à un tournant de la piste et, au galop, ventre à terre. Le fugitif se

jeta aussitôt derrière un rocher...

René Guillot: Le Champion d'Olympie, Paris, Hachette, Bibliothèque verte, 1965, p. 40.

Une consultation "sauvage" ou aléatoire de textes authentiques a vite fait de

révéler que les progressions linéaires et à thème constant se développent

rarement de façon aussi simpliste dans un texte. Le plus souvent, le thème d'une

phrase est non reprise stricte, mais extraction intelligente d'un segment ou

thématique ou rhématique de la phrase précédente. D'où les progressions à

thèmes dérivés.

La progression à thème dérivé d'un hyperrhème Cette progression est un cas particulier de la progression linéaire. Le thème

de la phrase reprend mais partiellement le rhème de la phrase précédente.

Soit la phrase:

Le premier mai a vu à Paris le traditionnel défilé des ouvriers venus de

tout l'hexagone.

Si nous reprenons le critère de la disposition, le rhème propre est venus de

tout l'hexagone et la transition est constituée du verbe a vu. Le reste du rhème

est à Paris le traditionnel défilé des ouvriers .

Cette phrase autorise de multiples suites, dont:

a) La capitale n'avait pas connu pareils embouteillages depuis plusieurs

années.

b) Le cortège dépassait cette année les trois kilomètres.

c) Aux ouvriers s'étaient joints les étudiants et les fonctionnaires.

et même,

d) Les DOM-TOM également étaient représentés.

Nous n'avons évidemment pas épuisé la liste des possibles, des possibles à

partir de la reprise partielle du segment rhématique de la phrase source. Les

possibilités d'extraction du segment sont proportionnelles à la longueur de celui-

ci.

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Il en est une autre, plus subtile, qui est indépendante de la longueur du

segment source, qui ressortit à la contiguité sémantique. Elle est disponible

aussi bien pour le thème dérivé d'un hyperrhème que pour le thème dérivé d'un

hyperthème.

La progression à thème dérivé d'un hyperthème

Soit la phrase:

Le français présente des qualités multiples.

à partir de laquelle, nous proposons:

Le normand est indécis. Le corse est fainéant. Le breton est têtu.

L'auvergnat est avare. Le dauphinois est renfermé. Le parisien est prétentieux.60

Nous avons ici un thème dérivé par inclusion sémantique (rapport

d'hyponymie).

La progression à saut (ou à trou)

Dès lors qu'il se développe, un texte se complexifie. Le thème d'une phrase

n'est pas obligatoirement reprise totale ou partielle du thème ou du rhème de la

phrase précédente. Un thème peut d'une part introduire un nouveau référent,

lequel s'intègrera à la thématique du texte; d'autre part reprendre un élément

d'une phrase placée au-delà de la phrase précédente.

Soit l'extrait suivant: Au centre, un mince jet d'eau jaillissait d'une vasque de marbre. Une boule

dorée dansait au sommet de son panache irisé.

Le Champion d'Olympie, p. 64.

Une boule dorée, quand bien même au sommet du panache dorée du jet

d'eau jaillissant de la vasque de marbre, est une référence nouvelle dans le texte.

Ce thème n'est pas annoncée dans les phrases précédentes, mais contribuera au

développement de l'histoire.

Le terme "progression à saut" est souvent réservé à la désignation de

l'apparition, de l'introduction d'un thème référentiellement nouveau dans un

texte. Il est possible de discuter la validité de l'appellation "progression à saut"

dans cette occurrence, car il s'agit en fait moins de progression à saut, que de

suspension de la progression. Un thème présentant un nouveau référent ne

connaît en effet aucun ancrage dans l'amont du texte.

La progression à saut désignerait, à notre sens plus judicieusement, la

reprise à distance, totale ou partielle, d'un thème ou d'un rhème.

60 Toute ressemblance avec une personne ayant existé ou vivante est purement fortuite.

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ex: ...Abdou, le mulâtre, revenait au port rasséréné.

Bormo le berger, au même moment, dans sa cabane, parlait à son chien...

Le Champion d'Olympie, p. 63.

Bormo le berger est un personnage que le lecteur a déjà rencontré. Il est

dans l'histoire depuis la page 26.

Une même histoire peut mettre en parallèle (cf. en même temps) plusieurs

évènements mettant en action différents personnages... à la condition que ceux-

ci, au bout du compte, avant le dénouement de l'histoire, viennent se croiser,

pour le moins croisent un personnage commun.

Quand elle rattache son thème à un segment cotextuel situé en amont de la

phrase immédiatement précédente, nous avons une progression véritablement "à

saut", ou encore à "thème résurgent".

Progression à thème résumatif

Par thème résumatif, nous comprenons un segment thématique qui porterait

en lui-même le capital accumulé du texte, de l’amont du texte plus précisément.

L’anaphore résomptive constitue un outil exemplaire pour ce type de thème (ex :

Tout ça…). Autre exemple : un texte dont la dernière phrase commence par

Cette histoire…

Conclusion

L'analyse fonctionnelle de la phrase essaie de rendre compte

scientifiquement du texte comme entité dynamique. Même si elles sont

complexes à manipuler, les notions développées dans le présent chapitre sont

essentielles pour qui veut comprendre qu'un texte est un itinéraire, un trajet, où

l'information se construit petit à petit et conduit à une fin. Un même référent

change de statut au fil du texte. Selon qu'il est désigné au niveau du rhème ou du

thème, le référent est ou n'est pas susceptible de négociation. Le dialogue

pratique le thème et le rhème de façon spectaculaire. Qu'on songe à ces

questions de journalistes auxquelles refusent de répondre les hommes politiques.

Une question, en imposant le thème, construit nécessairement une partie de la

réponse, n'est donc pas neutre. D'où le souci fréquent qu'a le questionné de

reformuler la question. Le thème n'est tant l'ancien, le déjà connu du texte que

l’information non négociable, le savoir imposé.

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Activités d’approfondissement pour le chapitre 3

1. Soit le document suivant :

Paru la veille de la finale de la coupe d’Europe des nations de football,

finale opposant la France à l’Italie, cet article propose un titre « curieux » :

Barthez – Toldo : un seul but, les éviter.

Comment comprenez-vous et expliquez-vous ici l’emploi du segment

but ?

( Pour les non spécialistes : Barthez vaut pour le gardien de but de l’équipe

de France, Toldo pour celui de l’équipe italienne.)

2. Analysez dans les titres de presse le fonctionnement des deux points ( : ).

Comment peut-on faire quand on ne dispose pas de ce signe de ponctuation ?

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3. Soit le texte suivant :

Sa carte bancaire étant défectueuse, un client du Crédit Agricole

obtient de son banquier une nouvelle carte. La première, volée

plus tard, sera utilisée…

Pouvait-on avoir pour seconde phrase La première sera volée plus tard et

utilisée ?

Quelles remarques vous suggère cette transformation ?

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Chapitre 4. Les Types de Textes (ou de Discours)

Aux chapitres 2 et 3, nous avons étudié le texte au niveau de la phrase et

des relations interphrastiques. C'est là la perspective de la grammaire du texte.

Une approche plus globale entend comprendre le texte comme une totalité, une

totalité où le texte présente un bornage et s'identifie à un type.

4.1. La Clôture du texte

Qu'il raconte une histoire ou développe une argumentation, un texte

construit un itinéraire qui pose un point de départ et conduit à un dénouement.

La dynamique communicative est en quelque sorte morbide, puisqu'une

progression bien construite conduit à une phrase conclusive.

Selon qu'on est à l'oral ou à l'écrit, selon qu'on est en situation d'urgence ou

que l'on dispose d'un temps de préparation, le balisage de l'itinéraire pose des

problèmes différents. Combien de locuteurs natifs sont incapables de raconter

une histoire quand bien même connue! A ceux-là nous conseillons les "brèves de

comptoir" . La compétence textuelle exige certes la mémoire, mais surtout la

capacité à gérer les informations au fil du texte, à mettre en quelque sorte à

distance l'information ponctuelle qu'il faut rapporter et inscrire dans un projet

d'ensemble.

Quelques exemples:

1. C'est l'histoire de Toto61 à l'école, une histoire venue de l'école primaire.

Pendant la dictée, Toto demande à la maîtresse d'aller aux toilettes. La maîtresse

refuse en rétorquant à Toto qu'il faut toujours terminer ce que l'on a commencé.

Arrive la récréation, occasion qui permet donc et enfin à Toto de se soulager. A

la reprise des cours, la maîtresse, en colère, pose à la classe la question suivante:

"Qui a utilisé tout le papier dans les toilettes". Toto avoue son crime, mais

61 Faire référence à Toto, c'est en France, introduire une histoire drôle (cf. cette autre formule

introductive - remarquablement xénophobe: C'est une histoire belge!)

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ajoute: "Mais, Maîtresse, c'est vous qui avez dit que quand on commence

quelque chose, il faut toujours le terminer!"

Ceci, c'est pour une histoire éminemment drôle et bien racontée. Mais

l'histoire en question est rarement rapportée aux amis et parents sous cette forme.

Tout se gâte généralement à l'épisode "récréation", car l'enfant narrateur aura

tendance à raconter que Toto, pendant la récréation, est allé aux toilettes et a

utilisé tout le papier du même nom, aura tendance, par là, à gâcher son histoire

drôle, en anticipant sur le dénouement.

Un narrateur efficace doit donc mettre en réserve une information qu'il

connaît, mais qui ne doit être proposée au destinataire que dans la dernière

phrase, au niveau de la "chute". La compétence suppose la capacité de gestion de

l'itinéraire narratif.

2. Soit un exposé de lycéen, ou d'étudiant. Nous connaissons tous le

"pensum". On sait quand un exposé commence, rarement quand il se termine.

L'une des clôtures possibles ressortit à la contrainte horaire, où le combat cesse

"à la cloche". Une autre annonce le plan de l'exposé, qui permet au destinataire

de se repérer. C'est ainsi que souvent le narrateur, avant son exposé, écrit au

tableau ou distribue le plan de son exposé. En dépit de la pauvreté des

connecteurs utilisés, en dépit du caractère accumulatif de l'exposé, le destinataire

pourra se repérer et saura attendre et prévoir la fin. Il est remarquable qu'ici l'oral

s'appuie sur l'écrit.

A la différence de l'oral, l'écrit signale d'emblée l'entité textuelle, ne serait-

ce que par le fait que le texte, couché sur le papier, délimite une surface. A l'écrit

nous disposons en quelque sorte de "signes extérieurs" de textualité. A l'oral, la

clôture du texte est strictement interne, au point d'obliger ceux qui manquent

d'imagination à dire: "pour conclure", "et ce sera là le mot de la conclusion",

voire, devant un auditoire déstabilisé : "C'est fini!". Pour des récits fortement

ritualisés, la clôture est plus facile à repérer. C'est le cas de l'histoire drôle avec

la chute; c'est également le cas avec le conte qui s'achève avec "Ils se marièrent,

vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants".

A l'écrit, l'une des façons de clôre le texte est de le circonscrire

matériellement. Un roman est un objet isolable, à l'achat, au transport, à la

lecture. Un fait divers dans un quotidien régional est inscrit sur une surface qui

émerge comme entité avant même qu'on ait pris connaissance du texte et des

textes voisins. D'où l'expression "coupure de presse". A la différence du roman,

ou de l'essai philosophique, le journal n'est pas un texte mais un ensemble de

textes. La pluralité tient moins à la pluralité des scripteurs qu'à la pluralité des

textes. Même écrit à quatre mains, un roman ou essai reste UN texte. Un journal

ayant un seul rédacteur est une collection de textes. L'unité matérielle ne suffit

donc pas à fonder l'unité textuelle. Nombre de romans ont été publiés sous la

forme du feuilleton.

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De ceci découle un premier principe: la circonscription d'un texte ne peut

être créée par le seul balisage matériel. Celui n'intervient qu'après. Le principe

de clôture est immanent au texte. Le texte, même écrit, ne doit sa clôture qu'à

son unité, sa cohérence, laquelle sera éventuellement soulignée par un balisage

externe. Ce balisage externe peut aller très loin, mettre en oeuvre des plans, des

sommaires, des index.

Un texte n'est pas toujours strictement verbal. Il peut être multicodique. Il

l'est clairement quand il propose en même temps que le texte au sens étroit du

terme, au texte défini comme une suite de phrases, des illustrations graphiques

iconiques ou schématiques (photos, dessins, tableaux, diagrammes, etc.). Il l'est

également, de façon plus discrète, quand le scripteur met en oeuvre des outils

typographiques (caractères, styles, corps, etc.). Ces outils créent du sens ou

signalent l'organisation du texte. Il faut cependant faire ici la part de ce qui crée

en propre du sens et de ce qui ne fait que souligner l'organisation immanente du

texte.

Le probème de la clôture du texte ne saurait se poser seulement à la

périphérie du texte. Si une unité textuelle est composée sur la base d'une

pluralité de phrases, c'est que le principe de l'unité et de la clôture implique celui

de la segmentation. Le propos semble paradoxal, mais il est aisé de comprendre

qu'un texte long se contente difficilement d'une seule phrase. La lisibilité d'un

texte est pour partie dépendante de sa segmentation. Le découpage du texte en

paragraphes, loin de la perturber, facilite et structure l'activité de lecture. La

linguistique textuelle essaie de reconnaître l'organisation séquentielle du texte et,

pour cela, propose en sus de la notion de paragraphe, celles de pause, de période,

de séquence.

On pourra saisir le principe de l'organisation séquentielle du texte dans

l'extrait. La compétence textuelle permet au lecteur de sélectionner

intelligemment une suite donnée de phrases. La sélection peut s'opérer sur la

base de critères référentiels (cf. les unités de temps, de lieu ou d'action), mais

peut également faire appel à des marques linguistiques.

Soit une histoire à raconter, du type de celles que les enseignants donnent à

composer à l'école: une journée à la mer.

La narration va prendre appui sur la chronologie, rapportera, par exemple,

le lever, le déjeuner, le départ, le voyage, l'arrivée à la mer, le premier contact

avec la plage, le déjeuner, la partie de badminton, la baignade, le goûter, le

rassemblement et l'inventaire des objets et des personnes, enfin le voyage-retour.

Il n'y a entre les évènements constitutifs de la journée aucune hiérarchie. A

tel point que nombre d'élèves en arrivent à proposer pour introduction les

premiers moments de la journée et pour conclusion le retour au bercail. Le

développement, plus important, plus long, peut se contenter d'enchaîner des

phrases simples, mais peut également avec des phrases complexes mettre en

perspective les évènements rapportés par les propositions. La mise en

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68

perspective fait que les deux référents ne sont plus perçus dans une successivité,

mais dans un rapport de hiérarchie. Ce rapport est signifié par la subordination; il

est également marqué par les temps verbaux (cf. le passé simple de premier plan

versus l'imparfait de second plan).

Soit une phrase du type: "Le voyage avait été très pénible". Le choix du

plus-que-parfait dans notre narration n'est pas anodin. Passé du passé, le plus-

que-parfait ne vise pas tant à faire du voyage un évènement objectivement passé

ou antérieur, qu'à créer une séquence nouvelle. Avec le plus-que-parfait, le

narrateur indique qu'il a fini de raconter le voyage et qu'il commence un nouvel

épisode. Le plus-que-parfait introduit la nouvelle séquence.

Une séquence qui s'ouvre doit pouvoir se fermer et le narrateur dispose à

cet effet du futur du passé. Notre narration peut ainsi proposer: " Le voyage

serait pénible". Une telle phrase ne peut intervenir que dans un épisode qui

précède le récit du voyage proprement dit. Elle peut ainsi conclure efficacement

la séquence consacrée aux préparatifs du départ.

Nous venons d'effleurer la question de l'organisation séquentielle du texte,

de justifier le paradoxe qui veut que l'unité implique la segmentation. Mais n'est-

ce pas là une relation nécessaire que nous pouvons prévoir dès lors que nous

notons qu'une unité textuelle est construite par une pluralité de phrases!

4.2. Le Texte comme type

Les critères communs auxquels doivent satisfaire les textes ne conduisent

pas à l'uniformisation des productions textuelles. Les textes vont se distinguer

les uns des autres en s'inscrivant dans des typologies instituées. Devant une

collection de textes variés, le lecteur est capable d'opérer un tri, un classement.

Les critères de classement peuvent être somme toute naïfs. Un conte pourra être

reconnu par ses formules introductives et conclusives, un article journalistique

par son support, un article scientifique par son lexique et son référent, etc. Même

naïf, un classement n'est pas le tri subjectif et ponctuel d'un réel. Il s'appuie

nécessairement sur des critères, lesquels peuvent être plus ou moins conscients.

La référence à "conte" ou à "article" présuppose ainsi la pratique, la familiarité

et une certaine connaissance des textes. Et l'on ne classe qu'à partir de

classifications déjà établies.

La linguistique textuelle n'ignore pas les classifications vulgaires des

textes, mais souhaite proposer de nouveaux critères de classement. Les

propositions, à ce niveau, sont particulièrement nombreuses et il n'est pas dans

notre intention de décliner toutes les typologies existantes. Il faudrait y

consacrer tout un ouvrage. En dépit de la production dans le domaine, il est

possible de reconnaître deux grands principes de classement, selon que le texte

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est analysé ou du point de vue de l'énonciation, ou du point de vue de la

séquentialité.

Le second point de vue est illustré notamment en narratologie, et les

travaux publiés en 1928 par Propp sur le conte62 peuvent être considérés

comme la référence originelle. En 1966, un numéro de la revue

"Communications" (n° 8), numéro consacré à l'analyse structurale du récit63 , va

stimuler en France les études universitaires sur les types narratifs. Les

recherches contemporaines de Jean-Michel Adam, auteur suisse que nous avons

largement cité dans le présent cours, s'inscrivent dans cette perspective. Les

typologies fondées sur la séquentialité font du texte un modèle d'histoire, de

parcours, d'itinéraire, de scénario. Le conte devra ainsi présenter une suite

précise et imposée de séquences (cf. les concepts de "quête", d'"épreuves").

Si le texte est récit en narratologie, il est plutôt discours pour les

linguistiques qui fondent les typologies sur les marques de l'énonciation. La

Grammaire du Sens et de l'Expression de Patrick Charaudeau (1992) consacre sa

troisième et dernière partie à ces questions. La compréhension des modes

d'organisation du discours suppose la mise en avant de différents paramètres,

lesquels permettent d'établir différents types de classement. Charaudeau, ainsi,

insiste successivement sur la situation, sur les modes d'organisation du discours,

sur les textes enfin. Ces trois paramètres nous permettent de revenir sur une

difficulté relevée au chapitre 1, difficultés concernant la définition des notions

de texte, de discours et d'écrit.

La prise en compte de la situation est prioritaire et permet de distinguer une

production langagière interlocutive d'une production monolocutive64 . Le modèle

exemplaire de la première est l'oral spontané, le dialogue; de la seconde, les

écrits académiques. Le développement de la didactique de l'écrit est, selon nous,

largement dépendant de la bonne compréhension des situations. Le sens du texte

62 PROPP, Vladimir: Morphologie du Conte, traduction française, Paris, Le Seuil, 1965 et

1970.

63 cf. le sommaire du numéro:

Roland BARTHES: "Introduction à l'analyse structurale des récits."

A.J. GREIMAS: "Eléments pour une théorie de l'interprétation du récit mythique."

Claude BREMOND: "La logique des possibles narratifs."

Umberto ECO: James Bond: "une combinatoire narrative."

Jules GRITTI: "Un récit de presse: les derniers jours d'un "grand homme"."

Violette MORIN: "L'histoire drôle."

Christian METZ: "La grande syntagmatique du film narratif."

Tzetan TODOROV: "Les catégories du récit littéraire."

Gérard GENETTE: "Frontières du récit."

64 cf. CHARAUDEAU, P. (1992), pp. 636-641.

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70

(cf. les critères constitutifs de la cohérence) n'est pas donné avec la compétence

naturelle du locuteur .

Le texte, tel qu'il est défini par Charaudeau comme "manifestation

matérielle de la mise en scène d'un acte de communication, dans une situation

donnée, pour servir le projet de parole d'un locuteur donné" (1992, p. 645),

semble retrouver l'acception vulgaire, mais se trouve justifé par des "modes de

discours dominants" (cf. schéma ci-dessous):

TYPES DE TEXTES MODES DE DISCOURS

DOMINANTS

AUTRES MODES DE

DISCOURS

Publicitaires

-affiches de rue

- magazines

Enonciatif

(simulation de dialogue)

variable mais Descriptif dans

le slogan

Narratif

(lorsqu’une histoire est

racontée)

Plus Argumentatif

Dans les revues spécialisées

Presse

- faits divers

- éditoriaux

- reportages

- commentaires

Narratif et Descriptif

Descriptif et Argumentatif

Descriptif et Narratif

Argumentatif

Enonciatif

Selon les cas, effacement ou

intervention du journaliste

Tracts politiques Enonciatif (appel) Descriptif

(liste des revendications)

Narratif

(action à accomplr)

Manuels scolaires Variable selon les disciplines

mais omniprésence du

descriptif et du narratif

Enonciatif (dans les

consignes de travail)

Plus Argumentatif

(dans certaines disciplines:

mathématiques, physique,

etc.)

D’information

-recettes

- notices techniques

- règles de jeux

Descriptif

Descriptif et narratif (Faire)

Descriptif et narratif

Récits

- romans

- nouvelles

- de presse

Descriptif et Narratif

Enonciatif

Intervention variable de

l’auteur-narrateur selon genre

(autobiographie, témoignage,

nouvelle, etc.)

1992, p. 646.

Le tableau de Charaudeau, avec les modes de discours, fait apparaître

clairement ce qui inspire la plupart des typologies de textes (ou de discours)

proposées par les linguistes et reprises par les pédagogues.

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71

Le classement développé par Bernard Combettes65 , sans se confondre avec

lui, reste ainsi compatible avec celui de Charaudeau66 :

Modes d’organisation du discours

chez Patrick Charaudeau

Types de textes

chez Bernard Combettes

- Enonciatif

- Descriptif

- Narratif

- Argumentatif

-Narratif

-Descriptif

- Argumentatif

-Informatif

- Injonctif

Chez Combettes, un premier critère permet de distinguer les textes narratifs

et descriptifs des autres. Les textes narratifs et descriptifs sont centrés sur le

référent, alors que ceux argumentatifs, informatifs et injonctifs accordent le

primat aux rapports de l'émetteur et du récepteur:

"- Texte argumentatif: l'intention est de remplacer une croyance (supposée

chez le récepteur) par une autre croyance (jugée meilleure). L'argumentation part

donc du principe que le lecteur (ou l'auditeur) a déjà une opinion sur la question.

- Texte informatif: l'objectif est ici de donner une connaissance sur une

question: le récepteur est supposé ne pas avoir d'idée, de savoir, sur le problème; il

ne s'agit pas réellement de convaincre. On pourrait d'ailleurs distinguer le texte

"purement" informatif du texte explicatif: l'explication est une conduite

particulière, une sous-catégorie dans les façons d'informer. Le texte explicatif

suppose habituellement qu'il y ait un problème, une difficulté de compréhension,

d'où la nécessité d'une démarche plus "pédagogique".

- Texte injonctif: le but est de faire agir l'interlocuteur, à plus ou moins court

terme." Quelques Jalons..., p. 181.

Partageant la fonction centrée sur le référent, les textes narratifs et

descriptifs se distinguent par leur rapport au temps et à l'espace. La narration

renvoie à une réalité, à des faits situés dans le temps, et implique de ce fait une

chronologie. La description n'est pas fondée sur un déroulement temporel et

désigne une réalité où les éléments sont perçus comme simultanés, sont perçus

65 cf. notamment, Quelques Jalons pour une Pratique Textuelle de l'Ecrit, Dir. scientifique:

COMBETTES, Bernard, Clermont-Ferrand, CEFISEM, 1989.

66 cf. CHARAUDEAU,P. (1992), pp. 641-642.

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72

dans l'espace. Les textes narratifs et descriptifs manifestent des indices

linguistiques spécifiques que nous pouvons énumérer.

La narration utilise des déictiques temporels (ex: avant); la description, des

déictiques spatiaux (ex: à gauche). Une forte présence de connecteurs

interphrastiques temporels (ex: ensuite) est indice de narration. L'emploi des

temps verbaux est également significatif. L'imparfait, avec son bornage

imprécis, caractérise la description; le passé simple, en permettant d'inscrire avec

précision une chronologie, construit la narration. On retrouve ici somme toute ce

que la grammaire traditionnelle nous dit de l'opposition imparfait/ passé simple.

L'imparfait de description va "naturellement" avec les verbes duratifs (ou de

répétition) et le passé simple avec les verbes ponctuels. L'opposition imparfait /

passé simple peut reprendre la distinction état / action. Et l'on s'intéresse dès lors

au sémantisme des verbes. Le texte descriptif utilise des verbes duratifs; celui

narratif, des verbes ponctuels. Autre critère: la progression thématique qui est à

thème constant pour la narration et linéaire pour la description.

A partir de ces caractéristiques, il est possible de construire des textes

fortement contrastés.

Exemple de texte narratif:

Wilheim Fermtag s'approcha de l'entrée du pavillon. Il sonna et,

sans attendre, ouvrit la porte. Fermtag inspecta du regard le vestibule

puis fit un pas en avant. Il aperçut alors ....

Exemple de texte descriptif:

Au milieu de la pièce était installée une grande table. A gauche,

une cheminée. Posé bien au centre du manteau, un candélabre

éclairait faiblement le lieu. Celui-ci était donc occupé...

La présentation que nous venons de faire des textes narratifs et descriptifs

est extrêmement rapide et réductrice : elle appelle quelques remarques critiques.

Peut-on gommer le paramètre temps dans la description? Deux arguments

obligent à conserver ce paramètre. Le premier procède d'une contrainte

incontournable du langage: la linéarité. Les segments phrastiques se construisent

nécessairement les uns après les autres et construisent de ce fait une chronologie

textuelle. Même si les éléments d'une description peuvent être présentés dans

différents ordres, la mise en texte impose un choix. Le deuxième argument vaut

pour une description "dynamique", pour une description qui fait découvrir un

lieu par le biais d'un regard ou d'une déambulation. Je peux ainsi découvrir un

espace en promenant mon regard de gauche à droite, ou de droite à gauche. Dans

cette hypothèse, "à gauche" peut être traduit verbalement par un "d'abord" ou un

"enfin".

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73

L'opposition ponctuel / duratif pose également problème, a fortiori si l'on

confond ici le temps verbal et le sémantisme du verbe. Le sémantisme du verbe

ressortit à la valeur propre du radical lexical."Durer" est un verbe duratif et

"surprendre", un verbe ponctuel, ce indépendamment de la conjugaison

présentée. Si elle semble évidente pour certains verbes, l'opposition ponctuel /

duratif est plus délicate à reconnaître pour d'autres. Soit le verbe "s'étaler". Je ne

peux pas poser d'emblée son caractère sémantique. Dans "Au pied de la

montagne s'étale une plaine immense"; "s'étaler" est duratif, verbe d'état; dans

"Marcel s'étale sur la piste de danse"; "s'étaler" est ponctuel, verbe d'action.

L'identification sémantique des verbes prend donc en compte l'emploi attesté, le

contexte. Et ce n'est pas le sémantisme du verbe qui impose le temps verbal. Si

tel était le cas, les verbes présenteraient des conjugaisons syncopées. Les verbes

duratifs n'auraient pas de passé simple; ceux ponctuels, pas d'imparfait. La

remarque peut sembler évidente, mais l'expérience des copies d'élèves,

notamment en F.L.E., révèle que la confusion est fréquente. Dans les textes au

passé, c'est très souvent le sémantisme du verbe qui vient imposer le choix ou du

passé simple ou de l'imparfait.

Exemple relevé: Les villageoises sautèrent à terre et continuaient à pied.

Les grammaires du français ont leur part de responsabilité dans cet emploi

fautif des temps verbaux. En décontextualisant les phrases exemples, en

rattachant avec excès le temps à la chronologie, les manuels tendent à occulter,

du moins à faire à occulter la valeur aspectuelle des temps verbaux, partant à

priver les apprenants de la clé du problème. Les linguistes ont certes proposé des

études et des ouvrages67 qui distinguent le temps de l'aspect dans le verbe, mais

force est de constater que les manuels traditionnels continuent à inspirer

l'enseignement des temps verbaux dans la classe de langue.

Le rattachement de l'imparfait à la description et du passé simple à la

narration peut laisser comprendre que ces temps verbaux fonctionnent

indépendamment, alors qu'ils ne valent que l'un par l'autre. La pratique des textes

aboutit immanquablement à ce constat de solidarité. Dans un texte, l'utilisation

de ces deux formes permet de mettre en perspective des phrases, des

propositions (cf. notions de premier et de second plans). Et ce n'est pas tant le

référent qui vient imposer le choix que l'acte d'écriture de l'auteur. Les Exercices

de Style de Raymond Queneau en sont une célèbre illustration.

Le critère de la progression thématique, enfin, est lui-même fragile, car il

est difficile d'imaginer un texte (descriptif ou narratif) qui se contenterait d'un

seul type de progression.

67 cf. notamment, WEINRICH, Harald: Le Temps, le Récit et le Commentaire, Paris, Le Seuil,

1973.

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Les remarques critiques que nous venons de formuler montrent que la

narration et la description sont sans doute moins des types de textes que des

types de séquences textuelles, voire, comme l'indique Charaudeau, des modes

d'organisation du discours. Il est remarquable que la difficulté des typologies est

relevée par les auteurs68 , dont Combettes69 lui-même qui écrit que "force est de

reconnaître que, dans la majorité des situations, les textes sont

polytypologiques".

Conclusion

Avec la question des types, au bout compte, nous ne savons pas exactement

ce que nous classons ; en même temps nous reconnaissons la nécessité de

classer. La formulation peut apparaître paradoxale, mais nous signifions ici que

la compétence textuelle pour le consommateur (scripteur ou lecteur) des textes

repose nécessairement sur la capacité à nommer et identifier un produit, un

produit que le consommateur va apparenter à des produits similaires. Le

consommateur non spécialiste n’a pas attendu le critère d’architextualité de

Gérard Genette70 pour identifier un produit textuel en le rattachant à un genre. Et

le genre est un critère de classement d’autant plus efficace qu’il impose des

contraintes formelles fortes. Les genres dits littéraires ont souvent cet avantage.

C’est le cas du poème en vers qui impose très souvent une structure étroite. C’est

le cas du sonnet ; c’est aussi le cas du haïku, ce poème traditionnel japonais de 3

vers, avec le premier et dernier pentasyllabiques, le second heptasyllabique. Il

est remarquable que le définition même du genre est liée à la contrainte formelle.

C’est le cas du calligramme, ou, pour prendre un autre exemple, du lipogramme

où le scripteur s’interdit l’usage de certains outils de la langue, certaines lettres

en l’occurrence. Un exemple célèbre est La disparition de Georges Pérec, texte

où l’auteur se refuse l’emploi de la voyelle « e », d’où le titre de l’oeuvre. Et

dans la traduction italienne, c’est la voyelle « i » qui se trouve prohibée.

68 Quelques références pour approfondir la question des typologies:

- ADAM, Jean-Michel: Le Texte Narratif, Paris, Nathan, 1985.

- ADAM, J-M. et PETITJEAN, A.: Le texte Descriptif, Paris, Nathan, 1989.

- HAMON, Philippe: Introduction à l'analyse du Descriptif, Paris, Hachette, 1981.

- TODOROV, Tzetan: Les genres du Discours, Paris, Le Seuil, 1978.

- Revue "Communications", Le texte, de la théorie à la recherche, Paris, Le Seuil, n° 19,

1972.

- Revue "Pratiques", Les Types de texte, Metz, CRESEF, 1987.

69 COMBETTES, Bernard et TOMASSONE, Roberte: Le Texte Informatif, Aspects

Linguistiques, Bruxelles, De Boeck, 1988. 70 GENETTE, Gérard : Introduction à l’architexte, Paris, Le Seuil 1979.

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La contrainte imposée qui fait la définition d’un genre peut valoir pour

certains documents non littéraires. C’est le cas du télégramme et de la petite

annonce, par exemple.

Pour des documents plus ouverts, plus longs, plus libres, l’identification

apparaît nettement plus complexe. C’est à dessein que nous venons de proposer

le terme « documents », terme qui a le mérite, selon nous, d’appartenir à la

terminologie usuelle, et de ne pas rechercher une définition théorique, comme

ceux de « textes » et de « discours ». La possibilité d’identification et de

classement a besoin d’arguments, doit s’appuyer sur des traces visibles, des

marques. Le texte comme manifestation concrète d’une activité langagière,

comme produit, en propose. C’est moins vrai pour le discours qui veut prendre

en compte le texte et les conditions de production. Le discours pose le problème

plus général de la complexité du langage, d’une action où le message peut

signifier autre chose ou plus que ce qu’il semble dire, où la performativité d’un

acte de parole n’est pas toujours signifiée par un performatif explicite (cf.

Austin). Ceci explique, à notre sens, et pour une large part, que les typologies

savantes aient quelques difficultés à s’imposer à l’école qui tend à prendre appui

sur une classification mettant en oeuvre le métalangage naturel.

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Activités d’approfondissement pour le chapitre 4

1. Dans un ouvrage destiné aux élèves de 6

ème, un éditeur parisien bien connu de

manuels scolaires propose une leçon consacrée à la publicité, leçon où la

publicité est définie comme un document comportant une image et un texte.

Cette définition vous semble-t-elle pertinente ? Avez-vous des propositions

autres pour définir la publicité, ou le document publicitaire ?

2. Pourquoi et comment enseigne-t-on le texte argumentatif ?

3. Comment comprenez-vous la notion de récit quand elle veut qualifier un type

de texte ?

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Chapitre 5. De la linguistique textuelle à la didactique de

l’écrit

5.1. Le rapport à l’écrit

Faut-il admettre qu’il existe des difficultés particulières dans

l’apprentissage de l’écrit, de la lecture et de l’écriture, et ce indépendamment de

la langue utilisée ? L’importance des études, les débats – largement médiatisés -

sur l’illettrisme, les querelles sur l’orthographe, les constants réitérés sur les

« lacunes » rédactionnelles des élèves et des étudiants, nous invitent à clarifier

une question où se mêlent des arguments épistémologiquement divers.

Une affaire de représentation L’écrit fait partie des pratiques sociales et reflète celles-ci. Un individu est

plus ou moins exposé ou invité dans son environnement social à l’écrit et l’école

de par le statut qu’elle accorde à l’écrit peut apparaître ou en harmonie ou en

conflit avec les pratiques, les habitudes ou valeurs sociales du sujet71. Un

apprenant arrive à l’école avec des représentations, lesquelles laissent prévoir

des attitudes ou positives d’adhésion ou négatives de rejet. L’analyse des

représentations permet de comprendre l’inégalité des chances à l’école, mais ne

définit pas pour autant une pratique pédagogique. Elle recommande cependant

une politique éducative qui admet les inégalités de départ72.

Une affaire de technique La question du rapport à l’écrit n’est pas épuisée par la problématique des

représentations sociales. Il est usuel de lire dans les ouvrages de linguistique et

d’ethnologie que toutes les langues ne s’écrivent pas, quand bien même toutes se

parlent. L’expression «société sans écriture » est sans doute ethnocentriste, et il

est préférable de partir du constat qu’à l’intérieur d’une société reconnue comme

disposant de l’écriture, il existe des exclus, des individus qui n’accèdent ni à la

lecture, ni à l’écriture.

71 Voir DABENE, Michel : L’adulte et l’écriture. Contribution à une didactique de l’écriture en langue

maternelle, Bruxelles, De Boeck, 1990.

72 Une attitude plus radicale consiste à remettre en cause les programmes eux-mêmes. On peut ici citer l’Anti-

Manuel de Français de Claude DUNETON et Jean-Pierre PAGLIANO, publié en 1978, au Seuil.

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78

Nous retrouvons ici l’illettrisme, une réalité qu’une enquête

(méthodologiquement contestable) évalue à 41% pour la population française73.

Orgueil hexagonal mis de coté, l’écrit ne se donne pas au sujet social qui doit,

pour l’obtenir, « travailler » et accepter l’intervention de l’école. C’est en ce sens

que nous posons ici que l’écrit est moins acquisition qu’apprentissage.

Il y a avec l’écrit apprentissage d’un code second, d’un système de

transcription (l’orthographe) ; il y a aussi apprentissage de la rédaction, du texte.

L’écrit suppose à ce niveau la maîtrise d’une technique74 et par technique

nous comprenons la nécessaire mise à distance des données de l’information et

l’artifice de la sélection, de la hiérarchisation, de la mise en forme des données.

Pouvant surprendre, voire heurter, notre référence à la technique mérite

quelques explications. Nous posons que l’écrit, dans sa spécificité, ressortit non

au langage, mais à l’outil75. L’argument que nous ne développons pas ici peut

apparaître comme un axiome, mais nous voulons signifier que l’homme a la

propriété du langage et de l’outil, lequel permet à l’homme de soumettre son

activité à une analyse, de définir des projets, des processus, des étapes, des

moyens. Contrairement à l’instrument que l’homme partage avec l’animal,

l’outil est « virtuel » (comme le signe linguistique) et se trouve pensé, conçu

avant et en dehors de la tâche qu’il doit accomplir.

L’outil est « abstrait », comme l’argumentation présente, mais qu’on songe

à ces magnifiques cadeaux offerts à l’occasion des fêtes et anniversaires (le

robot ménager ou la perceuse, par exemple) qui continuent à dormir au fond des

espaces de rangement domestiques ! Qu’on songe, également, à ces objets que

nous avons placés dans notre sac aujourd’hui et qui, ce soir, à la fin de la

journée, n’auront servi à rien ! Allez donc essayer de convaincre le singe le plus

intelligent de transporter sur lui, dans un sac, un bout de bois qui pourrait lui

servir à décrocher un régime de bananes trop haut pour une cueillette

« manuelle » et pour le cas il se trouverait dans cette éventualité en situation

d’avoir faim!

Pour l’écrit, il faut apprendre l’orthographe et les règles de la rédaction

avant de produire en situation authentique. La dictée n’a strictement aucune

73 Enquête internationale parrainée par l’OCDE (Organisme de Coopération et de Développement Economiques)

et réalisée en 2000. Pour la critique de cette enquête, voir POSTEL-VINAY, Olivier : « Chers illettrés », in

revue La Recherche, nov.2000, p. 114.

Voir sur la question de l’illettrisme FRIER, Catherine : « Illettrisme : métissage culturel et rumeur sociale », in

Regards sur la lecture : textes et images, Grenoble, Ellug, 1989, pp. 7-25.

74 En rattachant l’écrit à la technique, nous avons bien conscience d’attirer des critiques qui peuvent voir dans la

technique une médiation contre nature qui peut tuer, castrer toute créativité, notamment à une étape du

développemnt où la libre expression doit être le moteur de la motivation et de l’apprentissage. Mais, à ces

critiques, les tenants de l’OULIPO (Ouvroir de Littérature Potentielle), dont Georges PEREC (cf. La disparition,

par exemple), et les spécialistes de la créativité ont déjà apporté des réponses.

75 Il existe des troubles de l’écriture sans troubles du langage, sans aphasie. Et, dans ce cas, les troubles de

l’écriture ne sont que l’une des manifestations de troubles plus généraux de l’apraxie.

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visée pragmatique, sinon d’obtenir une bonne note à l’école ou d’être sélectionné

pour le concours orthographique de Bernard Pivot, qui, tel le beaujolais nouveau,

se consomme et se célèbre rituellement une fois l’an.

Il est reconnu que la communication écrite, par opposition à celle orale, est

une communication différée. Au-delà de ce constat, nous pensons que l’écrit,

parce qu’il ressortit à l’outil, est plus fondamentalement une production

langagière caractérisée par la distanciation. Il doit sa difficulté à cette propriété.

5.2. Compétence linguistique et compétence textuelle Définie comme la capacité à produire – voire comprendre – un nombre

infini de phrases dans une langue donnée, la compétence linguistique reste

limitée. En didactique des langues et en pragmatique on insiste aujourd’hui sur

la compétence communicative qui prend en compte l’appropriété sociale des

énoncés, c’est-à-dire la capacité à produire et comprendre l’énoncé dans son

contexte social. On tutoie son copain, mais pas une vieille dame qu’on ne

connaît pas. Au-delà de cette illustration triviale, il y a le postulat que le langage

ne peut pas se réduire à un système de signes, à la grammaire, que le langage, en

tant que totalité pragmatique, sollicite outre la compétence grammaticale (ou

linguistique au sens strict du terme) d’autres compétences : communicative,

discursive et … textuelle.

La compétence communicative (ou sociolinguistique) n’est pas, à notre

sens, une macro-compétence qui engloberait toute les autres, dont la liste serait

de plus provisoire76. Pour nous, la compétence communicative est une

compétence spécifique qui n’est pas de même nature que les compétences

grammaticale, discursive et textuelle.

La compétence textuelle ressortit à une compétence plus large, technique,

est capacité à distancier l’activité, à soumettre l’activité de représentation à une

activité de notation. L’argument peut sembler quelque peu abstrait et mérite une

illustration.

Quand je veux raconter une histoire (avec des faits, des évènements) ou

donner un point de vue (avec des idées), je peux « sortir » ce que je sais, ce dont

je me souviens, ce que j’ai sur le cœur, ce que je pense. Il suffit pour cela de le

manifester par la parole ou l’écriture. Le produit de cette activité sera une suite

et aussi un « tas », c’est-à-dire un capital accumulé et mis à disposition par

l’activité linguistique. Tout le monde est capable de faire cela, mais cette activité

ne garantit pas l’émergence d’un texte. Il faut, comme on dit familièrement, 76 Il n’y a pas lieu, selon nous, de poser une compétence référentielle, une notion épistémologiquement

contestable et provoquant des contresens avec les usages déjà attestées de la notion de référence.

La référence, nous la trouvons dans le schéma de la communication de Jakobson et la fonction référentielle est

aussi la fonction de communication, fonction par laquelle le langage désigne, représente la réalité du monde. La

référence chez Jakobson retrouve la référence de la philosophie et de la linguistique textuelle. On saisit pour le

coup l’ambiguité de la notion de fonction de communication chez Jakobson.

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savoir raconter, non seulement savoir, mais aussi savoir faire. Le texte est de

l’orde du savoir faire, d’un savoir-faire qui donne de la cohérence à une suite de

phrases (cf. chapitre 1).

La nécessité de cohérence impose au texte une mise en forme

contraignante, avec notamment une gestion de la durée. Le scripteur doit résister

à la pression de l’instant, doit penser son texte comme un ensemble. Même

averti, le scripteur est souvent pris en défaut. C’est ainsi qu’un étudiant de la

maîtrise FLE, dans un mémoire rédigé en mai 2001, en haut de sa page 47,

annonce 3 remarques, propose pour les indexer un système de numérotation.

Mais il fait apparaître en bas de cette même page, un « 4 », lequel commence

par « un autre point… ». Le correcteur relève cette anomalie et peut même la

sanctionner comme un défaut de rigueur. L’étudiant admet le reproche qui lui est

fait et s’étonne de ne pas avoir vu et corrigé lui-même cette anomalie. Il l’aurait

sans doute fait si ce « 4 » n’avait pas été placé dans son texte aussi loin du

segment « trois remarques ». Nous pouvons trouver des problèmes similaires

pour la gestion de l’accord et la psychologie cognitive aime mesurer ce type de

difficultés. Les correcteurs orthographiques de nos traitements de texte actuels

sont souvent piégés par la distance séparant deux segments dans un texte.

Le scripteur ne doit jamais oublier que le texte qu’il écrit doit être un

ensemble où les parties sont solidaires, doit savoir gérer une distance, une

longueur, un trajet, un volume. C’est à ce prix qu’il évite ces remarques

fréquentes dans la marge des copies, ces références des correcteurs au

raisonnement, à la rigueur, à la logique, à la répétition, à la contradiction.

Poser la compétence textuelle dans sa spécificité, la distinguer de la

compétence linguistique, c’est, à notre sens, mieux comprendre le débat sur le

fond et la forme. C’est également distinguer deux niveaux d’intervention dans la

pratique de l’écrit. Ces deux niveaux sollicitent différemment la mémoire (cf.

opposition faite entre la mémoire à court terme et la mémoire à long terme) et la

maîtrise de la phrase ressortit aux opérations de bas niveau. Prenons l’exemple

de l’apprenti lecteur qui mobilise toute son attention pour le déchiffrage du texte.

L’effort ici consenti va se payer et l’apprenti lecteur à ce stade va se révéler

généralement incapable de donner du sens au texte lu, déchiffré. Pour réaliser

une lecture « intelligente », il faut pouvoir se libérer quelque peu des opérations

de bas niveau. Parlant de la compréhension des textes, Jocelyne Gyasson77

compare l’activité de lecture à la pratique du vélo, activité qui dans les premiers

moments de l’apprentissage apparaît très difficile, voire douloureuse, car

l’apprenant doit tout de suite tout faire en même temps. Pour la rédaction écrite,

les opérations de haut niveau comprennent le travail ingrat, mais nécessaire du

brouillon. On pense ici à la construction d’un plan, à la planification. On pense

aussi à un travail d’écriture long , où il faut revenir sans cesse et jusqu’à la fin

77 GIASSON, Jocelyne : La compréhension en lecture, Bruxelles, De Boeck, 1990, p. 5.

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sur son texte (cf. la révision). La didactique de l’écrit fait souvent référence à ce

sujet aux travaux de la psychologie cognitive78 et au schéma de Hayes et

Flower79.

La compétence textuelle opère au niveau des opérations de haut niveau et

n’est pas réductible à la compétence linguistique qui est engagée au bas niveau.

La dissociation des niveaux et des compétences permet de comprendre

certaines spécificités de la didactique de l’écrit en fonction du contexte

d’apprentissage. En FLE l’apprenant doit constamment contrôler son

expression, la syntaxe de ses phrases et il est possible de considérer qu’à ce

niveau l’expression écrite est plus difficile dans une langue étrangère que dans la

langue maternelle. La maîtrise des opérations de haut niveau est d’une autre

nature et les apprenants, dans la rédaction en langue étrangère, peuvent réutiliser

des savoir faire mis en place en langue maternelle. Il y a donc une transversalité

partielle des questions de didactique de l’écrit, transversalité qu’il convient de

prendre en compte et pour évaluer les écrits des apprenants et pour construire

une pédagogie.

5.3. Oral et écrit : question de diglossie et de continuum ? En posant les notions d’oral et d’écrit, on tend à mettre l’accent sur le

vecteur, le canal mis en œuvre dans l’activité langagière. L’oral suppose

phonation et audition ; l’écrit, scription et lecture. Mais c’est évidemment dans la

tête, au niveau du cerveau, que l’essentiel se passe. Dans l’opposition oral / écrit,

il y a reconnaissance de deux ordres langagiers régis par des règles propres80 et

devant être décrits dans leur écosystème.81

Quand il est illustré par la conversation ordinaire, l’oral est spontané et doit

ses particularités à l’immédiateté de la situation. L’oral, dans cette situation,

fonctionne avec des partenaires qui souvent se connaissent, participent à une

même expérience, partagent une situation, qui rarement se trouvent en situation

de construire, d’élaborer une argumentation formelle. Dans cet échange

78 COIRIER, Pierre, GAONAC’H, Daniel et PASSERAULT, Jean-Michel : Psycholinguistique textuelle.

Approche cognitive de la compréhension et de la production des textes, Paris, Armand Colin, 1996

79 HAYES, J.R : « Un nouveau modèle du processus d’écriture », in BOYER, DIONNE et RAYMOND (dir.) :

La production des textes. Vers un modèle d’enseignement de l’écriture. Montréal, Les éditions Logiques, 1995,

pp. 49-72.

- BARRE-DE MINIAC, Christine : Le rapport à l’écriture. Aspects théoriques et didactiques, Lille, Presses

Universitaires du Septentrion (voir Première partie, chapitre 2).

80 PEYTARD, Jean : « Oral et scriptural, deux Ordres de Situations et de Descriptions Linguistiques », in revue

Langue Française, n°6, Paris, Larousse, 1970.

81 Se libérant progressivement de l’héritage saussurien, d’une conception unifiante de la langue, la linguistique

met aujourd’hui en avant la variation et l’adapation au milieu. Voir, par exemple, CALVET, Louis-Jean : Pour

une écologie des langues du monde, Paris, Plon, 1999 .

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conversationnel, nous allons touver les marques, la grammaire de l’oral ; nous

n’allons pas, par contre, trouver les critères constitutifs du texte.

On parle de choses et d’autres, de la pluie et du beau temps et puis… et

puis…c’est pas le tout, mais, avec ça, moi, j’ai autre chose à faire, salut !

J’ai, par exemple, à rédiger une dissertation.

Il ne saurait être question dans ce contexte, de parler de la pluie et du beau

temps. Ce serait attirer les foudres de mon correcteur qui me reprocherait de

mélanger les torchons et les serviettes, de sauter du coq à l’âne.

Ce qui est normal et prévisible pour l’oral spontané et immédiat n’est pas

admis dans l’écrit formel ou académique. Nous retrouvons à ce niveau la

question de l’appropriété pragmatique : il existe différents emplois du langage,

avec des règles, des marques et des rituels pour chacun d’entre eux.

Le texte n’est pas attendu dans l’oral spontané ; il l’est, par contre dans

l’écrit académique, dans ce mode de production différé qui prévoit une

préparation et une planification. Incongruité méthodologique que de vouloir

analyser ou regarder l’oral et l’écrit avec les mêmes critères… incongruité qui

nourrit, malheureusement, les attitudes normatives. Mais l’oral a sa place dans

une didactique de l’écrit, car l’écrit se construit notamment par opposition à

l’oral. Il importe que l’apprenant puisse reconnaître et manipuler ces deux ordres

langagiers dans leur opposition maximale d’abord, dans des situations plus

complexes ensuite.

La question du vecteur phonique ou graphique est à ce niveau secondaire et

une conversation ordinaire, même transcrite, ressortit à l’ordre de l’oral

(immédiat). C’est le cas, par exemple, de la « brève de comptoir » que nous

avons insérée au chapitre 1. Dans les romans, les deux ordres langagiers sont

présents. Il est remarquable que les dialogues portent les marques de l’oral et que

le texte dispose d’outils de signalisation de ces parties (les tirets, les guillemets,

les incises...). L’exercice de l’exposé est hybride dans la mesure où la passation

est orale, mais présuppose la collecte, le tri, la hiérarchisation de données ou

ressources, exige une préparation. Comment à la fois s’appuyer sur et se libérer

de ses notes ? Peut-on se contenter de lire un exposé ? Dans conversation

téléphonique, il y a certes « phonique », mais aussi « télé » et il n’est pas facile

d’accepter l’artifice de l’outil qui met à distance et masque l’allocutaire. Il a fallu

apprendre à se servir du téléphone, apprendre à se présenter autrement que par

« allo, c’est moi ! », apprendre à présenter le lieu où l’on se trouve. Le répondeur

téléphonique ajoute de la distance en ne proposant pas, à la différence du

téléphone, la communauté de temps. On pourrait multiplier les exemples en

prenant appui notamment sur les nouvelles communications médiatisées par

l’informatique et internet. Le clavardage (ou «chat ») est synchrone ; le forum,

asynchrone. La prise de notes que nous pratiquons depuis le collège est un

exercice que nous savons bien ne pas réduire à de la stricte transcription, voire

de la sténographie. Il s’agit de comprendre ce que veut dire l’enseignant et pour

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cela il faut savoir rattacher ce qui est dit à ce qui a été déjà dit et ce qui va l’être.

D’où la nécessité de relire ses notes et de les réorganiser.

5.4. Place de la grammaire Au début de l’apprentissage de l’écrit, il y a l’orthographe, le passage à

l’écrit compris dans sa fonction de transcription. Mais au-delà de cette première

étape admise par tous, les choses se compliquent. La difficulté à poser la

spécificité de l’écrit et la nature de la compétence textuelle explique que le

pégagogie de l’écrit ait eu du mal à se distinguer d’une pégagogie de la

grammaire. Manifestation exemplaire de l’écrit, le texte littéraire met en œuvre

des structures linguistiques qu’il convient d’enseigner. L’écrit devient alors un

registre de langue valorisé par l’institution scolaire et l’occasion de travailler la

langue (morphologie et syntaxe) et le lexique.

Les choses évolueront lentement, à partir de travaux menés dans le champ

de la didactique du français langue maternelle. Dans une thèse soutenue en 1994,

Maurice Mas82, retrace l’histoire de ce renouveau méthodologique et fait

clairement comprendre l’origine de la préoccupation :

« Intéressé par l’étude de la langue, mais peu enthousiasmé – bien qu’y

réussissant honorablement – par les activités de production d’écrit qui

étaient alors proposées à l’école, au collège, l’élève que j’étais avait

empiriquement acquis, comme tous ceux qui étaient dits « bon en français »,

deux intuitives convictions : la première était que , au-delà de la correction

des phrases, la maîtrise de l’écrit relevait de compétences mettant en jeu des

savoirs et des savoir-faire que l’école n’enseignait pas explicitement, sinon à

travers les fréquentes injonctions à « lire davantage » en vue d’une

imprégnation diffuse par la lecture et une imitation – souvent maladroite –

des « bons auteurs » ; la deuxième intuition… était que, pour réussir en

français, il valait mieux être capable de « détecter » les attentes implicites de

l’eneignant en matière.

Devenu enseignant et formateur de maîtres, je me suis trouvé confronté

non seulement avec les difficultés de la production d’écrits divers mais

surtout avec les affres et les aléas de la « correction » des écrits des élèves en

classe, que mes expériences d’élève et d’étudiant ne me permettaient pas

d’ignorer. » (pp. 6-7)

La pression de la demande est évidemment beaucoup plus forte en

didactique de la langue maternelle qu’en didactique d’une langue étrangère.

Mais il ne suffit pas de constater un problème pour le résoudre. C’est la

linguistique textuelle qui va proposer les premiers outils pour dépasser le cadre

de la phrase et de la grammaire. Combettes, Fresson et Tomassone proposeront

82 MAS, Maurice : Recherches sur l’évaluation des écrits des élèves. Problématique didactique, notions de

critère d’évaluation et de contenus d’enseignement (dir. Michel Dabène), Grenoble, 1994.

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ainsi un manuel destiné aux élèves des collèges et intitulé De la phrase au

texte83.

Les nouvelles propositions peuvent à notre sens être regroupées en 2

rubriques. La première se place au niveau du macro-texte et s’intéresse

notamment aux typologies de textes ou de discours. Le manuel propose ici des

documents, des questions, des exercices, des activités, des tâches sur l’article de

presse, le texte théâtral, les textes argumentatif, descriptif et narratif. La

deuxième rubrique correspond à des préoccupations plus locales, à la prise en

compte des relations interphrastiques. On trouvera, par exemple, les activités de

repérage de la trame du texte à partir de la construction du réseau de coréférence.

La reconstruction justifiée de texte peut viser le même objectif. On travaillera

également à ce niveau la maîtrise des connecteurs, ou encore la progression

thématique.

L’arrivée de la grammaire de texte, de la linguistique textuelle à l’école

signifie-t-elle à terme la mort de la grammaire, de la grammaire de la phrase ?

Une certaine pratique scolaire de la grammaire est menacée, mais il convient de

penser l’avenir en terme non de disparition, mais d’évolution.

L’évolution peut être intégration. On travaille les connecteurs quand on

étudie le texte argumentatif, la nominalisation avec l’article de presse. On met

ainsi la grammaire en situation, en évitant autant que possible l’exercice scolaire.

Avec l’intégration, la situation de la grammaire à l’écrit est comparable à celle

de la grammaire à l’oral dans le cadre de l’approche communicative, quand les

structures linguistiques sont soumises aux actes de parole.

Une autre forme d’évolution peut toucher la grammaire. La didactique de

l’écrit d’une part, les recherches sur le texte d’autre part, peuvent amener à

penser différemment certains problèmes grammaticaux. Citons pour exemple les

déterminants définis dans les grammaires actuelles84, y compris dans des

collections où l’on n’attend pas habituellement la modernité85. Et n’oublions pas

l’approche des temps verbaux à la lumière du texte, à la recherche menée

notamment par Harald Weinrich.86. Ces développements ne doivent pas tout à la

linguistique textuelle et il ne faut occulter ni Gustave Guillaume, ni Emile

Benveniste. Ils confortent cependant l’idée selon laquelle la bonne

compréhension de l’emploi des temps verbaux suppose la mise en perspective

des différentes formes, mise en perspective que ne proposent pas véritablement

83 Paris, Delagrave,1990. 84 - CHARAUDEAU, Patrick : Grammaire du sens et de l’expression, Paris, Hachette, 1992.

- SALINS (de), Geneviève : Grammaire pour l'enseignement/apprentissage du FLE,

Paris, Didier/Hatier, 1996.

- 85 BESCHERELLE : La conjugaison, l’Orthographe, la Grammaire, France-Loisirs, 1999.

86 WEINRICH, Harald : Le temps. Le récit et le commentaire, Paris, Le Seuil, 1973 (titre original : Tempus,

1964)

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les manuels de grammaire qui citent des exemples décontextualisés, mais mise

en perspective qu’on trouve « naturellement » dans les textes. C’est à l’épreuve

du texte qu’il est possible de comprendre et de faire comprendre la notion de

plans et de comprendre la hiérarchie créée par la distribution du passé simple et

de l’imparfait.

L’analyse des relations de la didactique de l’écrit à la grammaire est en

conséquence marquée par la linguistique textuelle et il est possible d’observer un

double mouvement : un premier qui permet de sortir de la grammaire stricte de

la phrase ; un second qui fait paradoxalement revenir la grammaire, mais une

grammaire revisitée.

Le texte éclaire la grammaire et la grammaire éclaire le texte.

5.5. Diversité et intérêt des ressources : du texte littéraire au « document

authentique »

Faut-il privilégier le texte littéraire ? La place de la littérature dans la classe

a connu une longue évolution et son statut reste complexe. Il nous apparaît

judicieux de désacraliser le texte littéraire en didactique de l’écrit, de cesser de le

poser comme modèle idéal proposé à l’admiration des foules, un modèle qui

renvoie l’apprenant à ses limites et nourrit ses inhibitions.

Faut-il, dans un mouvement inverse, ne prendre en compte que les textes

fonctionnels, les modes d’emploi, les recettes de cuisine, ou encore les constats

amiables d’accident de la circulation routière ? Nous avons ici les deux extrêmes

et un choix ainsi formulé ne propose pas d’arguments méthodologiques sérieux.

Le point de vue que nous défendons est que tout document présente un intérêt

pédagogique dès lors qu’il permet de faire comprendre et de faire travailler la

compétence textuelle.

A la fin du chapitre 2 du présent cours nous avons cité un extrait d’une

oeuvre de Ionesco. La raison de l’insertion de ce document à l’évidence littéraire

n’a rien à voir avec un souci littéraire de notre part. Ce document est proposé

dans notre chapitre 2 parce qu’il illustre la nécessité pour le texte d’équilibrer la

cohésion et la progression. L’illustration se fait par l’absurde chez Ionesco, mais

elle est révèle par là-même ce qu’un texte doit être pour fonctionner

« normalement ».

Nous justifions notre utilisation de la brève de comptoir au chapitre 1 de la

même façon. Notre souci à ce niveau n’est pas de rire avec les lecteurs de Jean-

Marie Gourio ; il est de montrer que toute suite de phrases, quand bien même

transcrite sur du papier et publiée dans un livre, ne fabrique pas un texte, ne

garantit pas la cohérente, l’existence d’un projet (narratif).

Faut-il au nom de la diversité en appeler à toute la gamme des documents

dits authentiques ? Nous passerons rapidement sur le paradoxe de la notion de

« document authentique » puisque cette notion est une création des didacticiens

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et vient qualifier des documents qui n’ont pas été faits originellement pour la

classe et qui, de fait, cessent d’être authentiques dès qu’ils font l’objet d’une

pédagogisation. Peu importe finalement que ces documents soient vraiment

authentiques ou fabriqués. Il importe par contre qu’un document proposé dans

la classe de langue soit placé dans un contexte pragmatique, ne soit pas proposé

sans ce contexte.

Prenons par exemple le fait divers de la presse régionale, un type de

document que l’on trouve souvent dans les manuels aujourd’hui.

Indépendamment de sa qualité ou de son intérêt intrinsèque, la coupure de presse

s’adresse à un lectorat précis, est placée à certaines pages d’un périodique à

livraison précise (quotidienne, hebdomadaire…). Pourquoi trouvons-nous dans

un quotidien régional en page 7 ( page locale), sous un titre la mention « (lire en

page 5) » ? Pourquoi avons-nous « un mort » pour cet événement en page 5 et

« deux morts » en page 7 (page toutes éditions) ? En posant le contexte

pragmatique pour la coupure de presse, nous faisons valoir que le lecteur de la

page locale, de la page dédiée à une ville par exemple, attend des informations

concernant la ville. Si un accident de la circulation fait deux victimes et que

l’une des victimes est originaire de cette ville, en page locale on pourra ne

retenir que cette victime. Pour trouver la seconde, il faudra aller à la page

« toutes éditions » du journal. La coupure de presse permet ainsi de travailler la

prise en compte du destinataire, du lecteur, une prise en compte qui apparaît

notamment dans l’organisation des pages du journal. Priver un article de presse

de son contexte revient à interdire ce travail, tant en lecture qu’en écriture. Ce

n’est donc pas l’authenticié du document qui importe ; c’est son ancrage

pragmatique. Ceci a été bien compris par les tenants des simulations en

didactique des langues… moins par les adeptes du document authentique.

Une grille du type « Quoi ? Qui ? Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? »

est sans doute trop générale pour l’approche des documents authentiques. Nous

regrettons également une certaine pratique du document authentique dans la

classe de langue où l’on retrouve une exploitation unique, où l’on propose un

document qui fait l’objet, après lecture, de questions de compréhension et sert de

support ou modèle à des activités d’écriture « à la manière de ». Cette pratique

d’une part a le tort de provoquer l’ennui à force d’être répétée, d’autre part ne

s’appuie pas sur un projet didactique, ne repose pas sur une conception de l’écrit.

La diversité des ressources, des documents ne garantit ni la richesse, ni

l’adéquation des exploitations pédagogiques. Il est plus facile de mettre en avant

les documents que les (sous)compétences constitutives de la compétence

textuelle (ou scripturale). La prise en compte du lecteur renvoie à l’une de ces

(sous)compétences. Et quand nous mettons en avant, non le document, mais la

compétence, nous nous plaçons délibérément dans une perspective didactique où

la nature du document n’a pas d’importance en soi.

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Pour travailler la prise en compte du destinataire, il n’y a pas que le fait

divers dans la presse régionale. Nous pensons par exemple aux guides

touristiques, mais aussi à la littérature quand elle pose la question du regard de

l’autre. L’excentricité des anglais tient pour Alphonse Allais à cette manie

qu’ils ont de donner à leurs lieux publics des noms de défaites militaires (ex :

Trafalgar Square, Waterloo Station). Mais si nous travaillons la prise en compte

du destinataire, il importe, quelque soit le document choisi, de proposer une

exploitation ad hoc, de respecter l’objectif préalablement défini.

Mais les objectifs ne se donnent pas immédiatement. Ils sont construits à

partir d’une réflexion théorique sur l’écrit, sur la compétence textuelle. La prise

en compte du destinataire, du lecteur n’est que l’une des composantes de la mise

à distance de l’information caractéristique du texte. La soumission de l’instant à

la gestion de la durée en est une autre et c’est à partir de là que le sens du texte

comme totalité construite peut prendre corps chez l’apprenant.

Conclusion Les pages que nous venons de consacrer aux rapports entre la linguistique

textuelle et la didactique de l’écrit sont rapides et retrouvent la dialectique

théorie/pratique. Il serait naïf de penser que les travaux de linguistique textuelle

trouvent une application immédiate en didactique de l’écrit, en pédagogie

devrions-nous préciser, puisqu’il s’agit bien là du terrain d’intervention visé.

La pratique de la classe en langue maternelle et en langue étrangère met le

doigt sur les difficultés et les résistances de l’expression écrite et l’enseignant

apparaît souvent désarmé. Concrètement, il sait intervenir ponctuellement sur les

problèmes de syntaxe au niveau de la phrase et sur le lexique, mais, au-delà de la

phrase, il se contente de signaler de façon vague les problèmes de rédaction qui

touchent à la cohérence. Ce sont les grandes accolades dans la marge des copies

d’élèves ou d’étudiants, avec pour légende les mots « raisonnement »,

« logique » , écrits en rouge et suivis de points d’exclamation, de suspension et

d’interrogation rageurs.

On a pu intervenir en venant proposer des modèles, des bons ou des beaux

textes, en venant constater qu’avec les textes des apprenants ce n’était pas

encore ça ? Mais qu’est-ce que c’est que ça ? Comment l’enseignant peut-il

comprendre et faire accéder à ce ça ? Il nous apparaît que la rénovation de la

pédagogie de l’écrit passe par un double travail, par un double

approfondissement théorique. Le premier concerne le texte qu’il faut savoir

définir et décrire. C’est l’apport de la linguistique textuelle. Le second

s’intéresse aux rapports du scripteur au texte, aux mécanismes cognitifs mis en

œuvre dans la pratique rédactionnelle. Ces données sont développées davantage

par la psycholinguistique et la didactique des langues que par la linguistique

textuelle, laquelle reste aujourd’hui une science de l’objet, moins du processus.

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Activités d’approfondissement pour le chapitre 5

1. Quelle place accordez-vous à l’oral dans l’enseignement de l’écrit ?

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2. Comment imaginez-vous le traitement de la presse dans l’enseignement de

l’écrit ?

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3. Quelles pistes proposez-vous pour travailler le récit en classe ?

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CONCLUSION

L'objectif du cours est modeste: il s'agit d'introduire un développement

récent des études linguistiques. La grammaire du texte ou la linguistique

textuelle apporte aujourd'hui moins de solutions que de problèmes. Elle n'en

demeure pas moins incontournable, car la bonne compréhension du langage

exige l'analyse de segments verbaux plus larges que ceux phrastiques. Faut-il

pour cela inventer une nouvelle discipline, créer un nouvel appareil conceptuel?

Ce serait là pérenniser la coupure que nous dénonçons entre la phrase et le texte.

Il nous semble plus intéressant et il nous apparaît épistémologiquement légitime

de reprendre certains savoirs établis dans le cadre de la description de la phrase à

la lumière, à l'épreuve du texte. Et déjà peuvent se saisir des convergences

intéressantes. Le pronom sert le texte en tissant économiquement un réseau

coréférentiel. La rupture ou segmentation phrastique aide à comprendre le

principe de clôture du texte.

Il est un autre enjeu à la linguistique textuelle, un enjeu cette fois

pédagogique. La linguistique textuelle peut-elle nourrir la réflexion didactique?

Et nous serions tenté de répondre à cette question par la négative, si la

linguistique textuelle en restait à la description d'un objet (le texte) et ne venait

pas s'intéresser à l'activité langagière (le processus) qui produit cet objet. La

théorie du texte doit être impérativement accompagnée d'une théorie de la

compétence textuelle, de cette compétence qui doit être à l'oeuvre dans nombre

de productions langagières, notamment scripturales, notamment scolaires.

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