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Fonds de dotation OSINTPOL Décryptage 14 juillet 2015 OSINTPOL L’intelligence du bien commun Yannick Quéau

L'intelligence du bien commun

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Le concept de bien commun comprend davantage que la synthèse des intérêts particuliers, ou du moins des groupes ou individus disposant de suffisamment de ressources pour promouvoir efficacement leur cause. La notion renvoie à une forme de transcendance, à une ouverture à l’autre, à une empathie face à sa réalité et aux défis qui jalonnent son existence. Elle porte en elle l’idée de justice, de partage et même d’humanisme, autant de termes qui peinent à percer dans l’espace politique contemporain où l’accent est plus souvent mis sur ce qui divise et oppose les êtres humains plutôt que sur ce qui les unit ou ce qui pourrait les rassembler. C’est vrai à l’international comme au sein des États où l’intérêt collectif, l’impératif du vivre ensemble, s’éclipse devant les aspirations contradictoires d’une multitude d’acteurs.

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Fonds de dotation OSINTPOL

Décryptage

14 juillet 2015

OSINTPOL

L’intelligence du bien commun

Yannick Quéau

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OSINTPOL L’intelligence du bien commun

L’intelligence du bien commun

Le Fonds de dotation OSINTPOL est un laboratoire d'idées ou think tank. Il accomplit

une mission d'intérêt général en soutenant la recherche et la diffusion d’analyses en

science politique, notamment les domaines liés à la paix et aux relations

internationales. Il agit dans l'intérêt du bien commun en conformité avec les valeurs

humanistes qui sont les siennes et les idéaux de justice et de liberté énoncés dans la

Déclaration universelle des droits de la personne. Les travaux d’OSINTPOL

s'inscrivent pleinement dans les débats parcourant ses sphères d'intérêt. La démarche

est résolument critique et avant tout orientée vers la production et la diffusion aussi

large que possible des savoirs relatifs à ses domaines d'interventions. OSINTPOL ne

saurait accomplir efficacement sa mission d’information et de sensibilisation du

public sans le soutien de donateurs motivés par la défense du bien commun.

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Photographie : rassemblement place de la République à Paris le 11 janvier 2015 suite aux

attaques de Charlie Hebdo et de l’Hypercasher.

Laurent Sauvebois/CC BY-SA 2.0.

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L’intelligence du bien commun OSINTPOL

Biographie de l’auteur

Yannick Quéau assure la direction d’OSINTPOL. Il se consacre également à

la recherche, ses sphères d’expertise couvrant la sécurité internationale, les

relations transatlantiques, les aspects industriels, stratégiques et économiques

du commerce des armes, qu’elles soient classiques ou nucléaires, ainsi que les

règles de contrôle s’y rapportant. Il est l’auteur de nombreuses analyses et

rapports sur ces sujets qu’il couvre également par le biais de conférences. Il est

par ailleurs chercheur associé au Groupe de recherche et d’information sur la

paix et la sécurité (GRIP, Bruxelles). Il a auparavant travaillé au sein du

Groupe de recherche sur l’industrie militaire et la sécurité (GRIMS, Montréal)

et été rattaché à l’Observatoire de l’économie politique de la défense (OEPD,

Montréal). Il a collaboré en tant que chercheur associé avec la Fondation pour

la recherche stratégique (FRS, Paris) de novembre 2010 à août 2013. Il a aussi

officié comme analyste au Technopole défense et sécurité à Valcartier (Québec,

Canada), plus précisément, au Bureau de commercialisation et d’intelligence

des marchés, ainsi que comme enseignant pendant 3 ans pour le compte du

ministère de la Défense du Canada à Saint Jean-sur-Richelieu (Canada). Il a

aussi enseigné épisodiquement comme chargé de cours à l’université du

Québec à Montréal (UQAM), à l’université Paris 2 Panthéon-Assas et à

Sciences Po Paris. Yannick Quéau est diplômé de l’UQAM) et de l’université de

Bradford (Royaume-Uni).

Pour citer ce document

Yannick Quéau, « L’intelligence du bien commun », Décryptage d’OSINTPOL,

14 juillet 2015.

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OSINTPOL L’intelligence du bien commun

Fonds de dotation OSINTPOL

Introduction : dépasser l’élément de langage

Faire court, punché, formaté pour voyager rapidement sur les médias sociaux

(« être viral »), se limiter à quelques idées simples, faciles à retenir… Ces

préoccupations ont un temps été prises en compte au moment de se lancer

dans l’écriture de ce premier texte publié par le Fonds de dotation Open Source

Intelligence on Politics (OSINTPOL). Et puis, les critères se sont faits plus

précis. Court comment, au juste ? En 140 caractères ? Rien que le titre en

compte 29 espaces compris. Et puis, la réflexion quant au contenu a surpassé

les considérations de forme. Cette démarche correspond bien mieux à

l’approche d’OSINTPOL. Elle a finalement motivé le choix d’un essai pour

présenter plusieurs des éléments ayant présidé à la genèse de ce projet de

laboratoire d'idées au service du bien commun. Trop souvent le débat public

est en effet noyé sous du prêt-à-penser ou sous des éléments de langage

savamment choisis par une armée de spin doctors plus intéressés par l’image

projetée par leurs clients que par le fond des propos tenus. Or, pour

OSINTPOL, le concept d’élément de langage n’équivaut à rien d’autre qu’au

degré Kelvin de l’analyse. À ce stade, c’est sans espoir, toute nuance est

impossible, les neurones gèlent assurément.

Le bien commun est une notion qui mérite qu’on s’y arrête pour comprendre

jusqu’à quel point elle est actuellement malmenée. Tant pis si cette entorse au

rituel du prémâché fait reculer le nombre de lecteurs potentiels et nous vaut à

tord d’être taxé d’élitisme. La sphère politique qui constitue l’objet

d’OSINTPOL n’est pas le domaine de la facilité. La compréhension des

rapports sociaux qui la façonnent implique nécessairement de faire un effort,

en particulier de critique. S’y refuser, c’est limiter l’exercice de sa citoyenneté.

C’est aussi cautionner une communication des dirigeants dont l’incapacité à

justifier leurs choix se dissimule parfois derrière un « manque de pédagogie. »

Tout en donnant l’illusion d’une faute avouée (à moitié pardonnée ?), cette

expression accomplit simultanément deux fonctions : elle absout pour un

moment celui qui l’emploie de l’effort de justification tout rendant le peuple en

partie responsable cette situation à cause de son incapacité alléguée à se munir

des outils nécessaires à la compréhension des finesses du monde politique.

C’est une manière de mépriser la démocratie tout en justifiant la technocratie

ou plus exactement l’oligarchie.

Le concept de bien commun comprend davantage que la synthèse des intérêts

particuliers, ou du moins des groupes ou individus disposant de suffisamment

de ressources pour promouvoir efficacement leur cause. La notion renvoie à

une forme de transcendance, à une ouverture à l’autre, à une empathie face à

sa réalité et aux défis qui jalonnent son existence. Elle porte en elle l’idée de

justice, de partage et même d’humanisme, autant de termes qui peinent à

percer dans l’espace politique contemporain où l’accent est plus souvent mis

sur ce qui divise et oppose les êtres humains plutôt que sur ce qui les unit ou ce

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L’intelligence du bien commun OSINTPOL

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qui pourrait les rassembler. C’est vrai à l’international comme au sein des États

où l’intérêt collectif, l’impératif du vivre ensemble, s’éclipse devant les

aspirations contradictoires d’une multitude d’acteurs.

Dans des contextes sociaux tendus marqués par les effets d’une crise

économique durable, l’autre inspire plusieurs peurs propices au

développement du militarisme et du sécuritarisme. Une culture de l’insécurité,

qu’elle soit identitaire, matérielle ou physique, s’est ainsi peu à peu à installée

dans les sociétés occidentales. L’autre est devenu une menace devant être

contrée, un être sacrifiable. Les questionnements identitaires qui sont

instrumentalisés à des fins électorales autorisent son rejet de même que

l’effacement des idées de justice et de liberté. Si les responsables politiques

contribuent à cette situation (s’ils ne sont pas responsables, qui le serait ?), ils

détiennent aussi une large part de la solution. Ils ne sont toutefois pas les seuls

dans ce cas. Les représentants de la société civile et en fait chaque citoyen est

tout à la fois acteur du problème et de ses solutions. Il reste à cibler les aspects

néfastes de l’ordre établi, à en cerner les tenants et les aboutissants pour

ensuite afficher sa volonté de changement face à ceux et celles qui s’y

objecteront par souci de préserver leurs intérêts, leurs statuts, leurs privilèges.

Sécuritarisme et militarisme

Les discours sur la menace ont rarement occupé autant d’espace dans les

médias depuis la fin de la Guerre froide alors même que les analyses

statistiques et les études réalisées par les organismes indépendants montrent

que les sociétés occidentales n’ont peut-être jamais été aussi sûres. Cela ne

signifie pas que toutes les menaces ont disparu, mais l’empressement à exiger

des mesures radicales dès que l’une d’entre elles se matérialise n’est

certainement pas dénué d’arrières-pensées.

Lorsqu’au lendemain des attaques de Charlie Hebdo et de l’Hypercacher les 7

et 8 janvier 2015, des voix s’élèvent pour exiger la fermeté envers les

terroristes, elles instrumentalisent aussi pour certaines l’évènement afin de

mettre au plus vite leurs budgets à l’abri de l’effort collectif de redressement

économique et d’élargir leur mandat et donc leurs moyens. C’est la logique

suivie avec succès, depuis bien avant les attentats, par les appareils français de

défense et de sécurité.

Dans un contexte économique difficile, les budgets militaires ont ainsi été

« sanctuarisés » ; le choix du terme dans une république autant attachée à la

laïcité n’étant pas innocent. Pour la première fois depuis longtemps la courbe

des dépenses militaires françaises est appelée à dépasser les prévisions de la

Loi de programmation militaire, des prévisions qui sont historiquement

rarement atteintes, loin de là. En conséquence, les ressources devant permettre

de sortir de la crise devront être ponctionnées ailleurs que dans le budget de

défense.

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OSINTPOL L’intelligence du bien commun

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Or, si dans la lutte contre la menace terroriste, l’action policière est bien sûr

une option, le recours aux forces militaires est quant à lui beaucoup plus

questionnable. Depuis 2001, l’idée consistant à vouloir porter le combat en

Afghanistan, chez les terroristes islamistes, s’est plus souvent qu’autrement

avérée contre-productive. On ne compte plus les nouveaux théâtres du

Pakistan à la Syrie en passant par la Libye ou la Tunisie sans oublier l’Irak, le

Mali ou encore le Nigeria et le Yémen. L’Occident s’est précipité dans le piège

de la guerre globale au terrorisme. Après bientôt 15 ans, les diverses

chancelleries de l’OTAN n’ont formulé aucun objectif qui soit sérieusement

porteur de paix, de stabilité et de développement. Le déploiement durable de

troupes à l’étranger et/ou le bombardement des positions jihadistes font figure

d’horizon opérationnel indépassable, manière de confondre le moyen avec le

but. Il s’agit là d’une première victoire pour des groupes islamistes appliquant

la logique du Choc des civilisations et cherchant à épuiser les armées

occidentales dans des missions longues et onéreuses leur donnant l’occasion de

discréditer la capacité des « Croisés » à mettre les « combattants d’Allah » hors

d’état de nuire.

Une seconde victoire des terroristes islamistes réside dans les diverses versions

du Patriot Act américain implantées dans les démocraties occidentales et dans

l’ensemble des mesures administratives rognant chaque fois un peu plus les

libertés individuelles et collectives et attisant les suspicions à l’endroit des

Occidentaux de confession musulmane (une expression rarissime). Ces

mesures sont conformes à la stratégie de division poursuivie par les terroristes

qui doit conduire les États démocratiques vers l’autodestruction via le

renoncement progressif à leurs principes fondamentaux. La logique de

l’ennemi intérieur s’est imposée en Amérique du Nord comme en Europe, la

lutte contre les cinquièmes colonnes justifiant des mesures autoritaires.

En France, de manière assez troublante, c’est dans une période où, suite aux

révélations d’Edward Snowden, la population prend conscience de l’utilisation

de ses métadonnées par les géants d’Internet ou par des gouvernements

étrangers que les dirigeants français ont cru bon de s’accaparer les

informations autorisant une connaissance fine de la vie privée de chaque

individu actif sur la toile à partir de l’hexagone. La mesure est une véritable

trahison au regard des idéaux démocratiques. Pour ceux et celles qui avaient

espéré voir dans l’État un moyen de préservation contre les éventuelles dérives

des entreprises privées dans l’exploitation des données personnelles, la

désillusion est majeure. C’est autant plus le cas que c’est aux militaires que le

gouvernement prévoit de confier une partie de cette mission. On aurait cru de

telles dispositions réservées aux dictatures.

Qu’on imagine seulement cette masse ahurissante de données à la disposition

d’un exécutif d’extrême droite et les quelques mécanismes de contrôle mis en

place apparaissent immédiatement comme n’étant que cosmétiques. Les cibles

traditionnelles des partis extrémistes auraient alors de quoi s’inquiéter (juifs,

musulmans, étrangers, homosexuels, communistes, francs-maçons…). Attendu

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L’intelligence du bien commun OSINTPOL

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les percées électorales réalisées par les partis populistes un peu partout en

Europe (Danemark, Belgique, France, Hongrie, Suède…), ce scénario ne peut

être écarté. Il est d’autant plus inquiétant que les idées de l’extrême droite ne

s’arrêtent aucunement aux frontières des partis politiques. Mais sans même

anticiper cette situation, l’accaparement sans discrimination des métadonnées

de tout à chacun porte en elle le germe de la criminalisation de la dissidence.

L’exécutif s’est octroyé la possibilité technique d’accéder à la vie privée de tout

opposant politique. C’est potentiellement bien plus qu’un bracelet électronique

virtuel passé à la cheville de chaque contestataire.

Pendant que les politiciens se lancent dans une surenchère sécuritaire teintée

fortement de militarisme, la réflexion sur les sources du terrorisme, c’est-à-

dire sur le terreau fertile de l’injustice et de la pauvreté qui permet aux groupes

armés violents de prospérer est totalement éclipsée. Le largage des bombes et

la criminalisation de la dissidence se sont imposés comme les premières

options par défaut de l’action gouvernementale.

L’effacement de l’idéal républicain

Il en va de même en matière de lutte contre l’immigration clandestine. Pour

contrer les drames humains faisant de la méditerranée le tombeau de milliers

de migrants les moyens militaires sont aussi mis de l’avant ; comme si la

destruction des navires des passeurs suffisait à régler le problème. Jusqu’à

présent, la principale conséquence de la surveillance policière et militaire des

migrants de la méditerranée a été de générer plus de chaos en forçant des

hommes et des femmes désespérés à prendre toujours plus de risques pour

rejoindre une terre synonyme d’avenir. Pour les membres de l’Union

européenne, il serait certainement plus rentable et efficace d’instaurer en

amont, de manière clairement accessible aux migrants, des processus

d’identification, d’accueil et d’insertion au sein de l’Union.

Dans un paysage médiatique dominé par les apprentis sorciers de l’identité

nationale cette mesure est cependant réputée invendable politiquement, au

contraire des options répressives. Pourtant, l’Europe vieillit, l’Allemagne, son

poumon économique, étant même plus proche de la fossilisation. Le continent

aurait bien besoin de la main d’œuvre qu’apporte l’immigration pour maintenir

sa prospérité économique, mais l’aspiration d’une frange non négligeable des

électeurs est tout autre : se bercer dans le fantasme revisité d’une Europe

blanche aux valeurs chrétiennes. Les migrants (on ne dit même plus immigrés,

histoire de marquer la permanence du processus de déplacement), qu’ils soient

de première, de seconde ou même de troisième génération, sont devenus les

boucs émissaires des maux de la société occidentale. Ils sont suspectés de ne

pas assez aimer leur pays d’accueil et même de lui en vouloir, de ne pas

accepter les valeurs de la majorité, c’est-à-dire de ne pas se conformer à une

identité nationale essentialisée, ce qui au passage revient à leur nier le droit de

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OSINTPOL L’intelligence du bien commun

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contribuer dans un processus dynamique à l’évolution du socle idéologique de

leur nouvelle nation.

S’ils sont réels, les questionnements identitaires sont aussi, et même

principalement, des déflecteurs instrumentalisés par des forces politiciennes,

administratives et privées y voyant un vecteur utile pour la préservation de

leurs intérêts, qu’il s’agisse de mandats électifs, de budgets publics ou de

profits. Sur un plan matériel, on oppose ainsi volontiers le pauvre migrant au

pauvre du pays dans une tentative de faire des moyens de subsistance du

premier la cause du sort du second. L’autre, cet étranger, est sacrifiable pour le

mieux-être de « nationaux de souche », une expression évidemment porteuse

d’exclusion.

Mais cette logique est loin de se limiter aux « barbares » de l’extérieur comme

de l’intérieur. Elle s’applique de manière protéiforme dans des sociétés

stratifiées par des plafonds de verre indépassables (où est passé l’ascenseur

social ?) et cloisonnées par des corporatismes et des communautarismes. Si

l’on veut parfois bien entendre en période de crise économique des discours

prônant l’austérité et du sang et des larmes, la plupart des groupes sociaux

pensent d’abord au sang et aux larmes de leurs voisins. Chacun voit dans

l’autre celui devant se sacrifier pour la préservation de ses propres privilèges.

C’est le bouclier fiscal, la fronde des bonnets rouges, celle des Pigeons ou

encore la querelle entre les taxis et les véhicules de tourisme avec chauffeurs...

En sommes : des efforts collectifs, oui ! Mais que les autres s’y plient !

Après que le sécuritarisme et le militarisme aient entrepris d’écorner l’idéal de

liberté, c’est l’idée de fraternité qui est ici clairement mise à mal. Le

phénomène cache un autre processus d’effacement concernant la notion de

justice, ou d’égalité pour reprendre le vocable de la devise républicaine.

Or, il importe ici de rappeler une évidence trop souvent oubliée : soumettre les

peuples au dictat du marché et de la préservation des privilèges des uns en leur

faisant assumer au passage les coûts de leur surveillance et de leur répression

est un projet politique incompatible avec les notions de gouvernement du

peuple par le peuple, de justice et de liberté. Ce projet est autoritaire. Puisqu’il

se double d’une instrumentalisation des questionnements identitaires, il ne

faut donc pas s’étonner d’assister à la progression du vote en faveur de

l’extrême droite ou de voir ses thèses gangrener jusqu’à des partis s’affichant

par ailleurs comme sociaux-démocrates.

On ne peut que s’inquiéter de voir que c’est dans bien des cas aux juges qu’il

revient de préserver l’essentiel des libertés individuelles et collectives ; leur

tâche consistant à vérifier la conformité des mesures administratives et

législatives avec des chartes des droits et des libertés et des constitutions

d’inspiration libérale. Tout un corps politique se réclamant du libéralisme

semble avoir oublié que ce courant de pensée est aussi et peut-être surtout une

critique de la tyrannie.

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L’intelligence du bien commun OSINTPOL

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Acteurs du problème et de ses solutions

On peut concevoir que l’offre politique ne soit pas à la hauteur des aspirations

des peuples. La maxime voulant qu’en démocratie on ait les gouvernants

qu’on mérite ne tient pas. La situation au sein de l’Union européenne l’illustre

fort bien : peu importe le suffrage populaire, une caste politique entend ne

permettre que l’application d’une seule et même politique ; d’éventuelles

variations n’étant tolérées qu’à la marge. Ce principe d’action a quelque chose

d’indigne de la part d’une instance construite pour ne plus revivre le

cataclysme des guerres mondiales et les souffrances des régimes totalitaires,

mais qui ne semble que peu se préoccuper du déficit démocratique qui la

caractérise.

Mais l’Union européenne est elle aussi un bouc émissaire commode pour les

personnes composant au sein des États membres le groupe des dirigeants

politiques. Ces dernières sont les principales responsables de la situation

actuelle. Depuis qu’il ne s’agit plus essentiellement que de gérer les affaires

courantes quand ce n’est pas défaire ce qu’il reste de l’État-providence ou de

désarmer encore un peu plus économiquement les acteurs publics pour laisser

l’entreprise privée agir avec toujours plus de liberté, la fonction de politicien a

perdu de son attrait et n’attire plus, sauf en de rares exceptions, les candidats

les plus brillants. Défaire est moins stimulant que faire. Les partis souffrent

aujourd’hui de manière assez évidente de cette situation. Le désaveu de la

population envers les appareils politiques est palpable. Partout, une portion

croissante des électeurs se lasse de voir les chefs de file des formations

politiques installés depuis des lustres dans des fonctions de décideurs jouer les

contorsionnistes pour adapter leurs discours à chaque joute électorale et

continuer de prétendre incarner l’avenir.

De plus, comme la caste dirigeante montre une fâcheuse tendance à se

reproduire par adoubement quand ce n’est pas par parthénogenèse, le paysage

politique n’évolue que très peu et très lentement, à l’inverse d’un contexte

économique et social en ébullition constante. S’il est parfois teinté de

populisme, les termes de « noblesse d’État » ou de « Gatsby » (on peut

s’étonner au passage que le terme oligraque soit réservé aux Russes) désignant

un monde étranger aux réalités partagées par l’immense majorité de la

population ne sont pas nécessairement usurpés. Les allégeances des uns et les

liens de solidarité qui unissent élus du peuple, hauts fonctionnaires et

décideurs du milieu des affaires participent à une vie politique et sociale ou les

solidarités de caste, les statuts, les postures et les habiletés

communicationnelles autojustificatrices l’emportent trop souvent sur les

compétences de fond et sur la capacité à formuler un projet porteur pour

l’intérêt général.

Ce jeu de posture confine parfois ni plus ni moins qu’à l’imposture. La

commission Charbonneau sur la corruption dans le milieu de la construction

au Québec, les enquêtes sur la FIFA, l’affaire Pétrobras au Brésil, les

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OSINTPOL L’intelligence du bien commun

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révélations d’Edward Snowden, les WikiLeaks, LuxLeaks et autres SwissLeaks

(liste non exhaustive) ont au moins une chose en commun : ces affaires

montrent que bien des dirigeants politiques et économiques de ce monde sont

moins dérangés par le fait de s’adonner à des pratiques questionnables voir

illégales que par le fait que le public en soit informé.

Dès lors, les diverses initiatives législatives visant à faire du journaliste

d’investigation et de ses sources des espions mus par la volonté de nuire à des

acteurs privés ou publics (c’est aussi ce qui se cache sous le terme de « secret

des affaires ») ou des lanceurs d’alertes des traîtres passibles de poursuites

prennent un tout autre sens. On peut apparemment prôner la mise sous

surveillance des populations tout en œuvrant à faire en sorte que les

conséquences de cette mesure soient différenciées selon les acteurs. Il y a

quelque chose d’incongru à voir la classe politique française s’indigner des

écoutes pratiquées par les États-Unis sur les plus hauts responsables de

l’hexagone le jour même où elle vote la collecte massive des informations

auparavant privées de tout un chacun. Les décideurs français ont semblé

découvrir pour l’occasion que la pêche au chalut des métadonnées est moins

drôle pour le poisson que pour le pêcheur.

Pourtant, les dirigeants politiques sont nécessairement appelés à faire partie de

la solution. Les travers des uns ne doivent pas faire oublier l’investissement des

autres. Les atteintes envers le bien public méritent d’être questionnées et

combattues et elles le sont aussi grâce à la vigilance d’élus, d’associations, de

fonctionnaires, d’entrepreneur, d’employés ou de simples citoyens n’hésitant

pas si nécessaire à se mettre en porte à faux avec leur hiérarchie, le parti

auquel ils appartiennent ou même la loi (cas de délit de solidarité, par

exemple) pour continuer de faire vivre la notion d’intérêt général et la

préservation des idéaux de justice, de liberté et d’humanisme. Ces cas sont plus

nombreux et quotidiens qu’on ne pourrait parfois le penser et constituent le

socle sur lequel refonder le bien commun.

Contrer le fatalisme, oser l’intelligence

Malgré la morosité ambiante, il convient de ne pas céder au cynisme. Ce serait

habiller de prétentions analytiques sa propre apathie et faire le jeu de ceux et

celles qui incarnent le projet de dilution du bien commun à travers le

détournement des ressources et des outils de l’action collective au service des

intérêts de groupes sociaux spécifiques. Dans une optique similaire, il faut

aussi rejeter le passéisme prôné par divers groupuscules n’hésitant pas à

idéaliser les sociétés d’antan pour justifier des programmes politiques

réactionnaires faisant de cibles minoritaires et vulnérables les responsables des

maux contemporains.

Mais la pire menace planant actuellement sur le politique est sans conteste le

fatalisme. Plusieurs catégories d’acteurs s’évertuent à présenter les mesures

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L’intelligence du bien commun OSINTPOL

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qu’elles imposent à la collectivité, occasionnellement de manière violente,

comme inéluctables. Des pans entiers du discours médiatique s’échinent en

effet à marteler l’idée qu’il n’existerait pas d’alternative à la soumission au

chantage à la fuite des capitaux, à l’abandon partiel des libertés individuelles et

collectives et à la militarisation d’enjeux sécuritaires toujours plus larges. Les

liens de solidarité orchestrés par l’État-providence seraientt appelés à

disparaître pour le plus grand profit des individus. Qu’importe que les ultra-

riches deviennent de plus en plus riches et que les pauvres n’aient plus de

raison d’espérer, le travail, lorsqu’il leur est accessible, ne payant souvent plus

assez. Qu’importe si la fronde gronde dans les quartiers populaires comme au

sein d’une classe moyenne atrophiée, les soldats de la nation (sur)veillent,

traquant les ennemis de l’intérieur comme ceux de l’extérieur.

Se soumettre à ces discours fatalistes, c’est renier l’idéal républicain pour se

faire le fossoyeur de l’idée même de bien commun. Il ne faut pas s’y tromper,

ce fatalisme est un phénomène construit résultant de rapports de forces

sociaux non neutres sur un plan idéationnel comme matériel. Il est véhiculé

par le biais d’un ensemble d’artifices rhétoriques visant à décrédibiliser

d’emblée toute critique. Ce fatalisme aurait ainsi le monopole de la raison, de la

pondération, du sens des responsabilités et du pragmatisme voir de

l’hyperpragmatisme, la surenchère étant encouragée. Ce rapt sémantique est

une manière de faire des contradicteurs éventuels des doux rêveurs

irresponsables sombrant dans l’irrationnel des utopies. Les ravisseurs peuvent

alors se draper dans une forme de condescendance leur faisant l’économie du

débat. Le militant écologiste est ainsi qualifié de « tree hugger », le critique du

sécuritarisme et du militarisme de « bisounours ». Le partisan d’une Union

européenne davantage démocratique et moins sourde à la souffrance causée

par ses politiques austéritaires sans effets positifs depuis une crise débutée en

2008 est étiqueté comme « populiste ». Le chercheur travaillant sur le

formidable creusement des inégalités et décodant le risque qu’il fait planer sur

la démocratie est un gauchiste adepte de l’hypertaxation (surenchère, là aussi)

à combattre sur tous les fronts, que ce soit via les études de la Heritage

Foundation les cours dispensés dans certaines écoles de commerce, les

colonnes du Financial Times à celle du Figaro, Thomas Piketty en sait quelque

chose.

Économie, environnement, sécurité et défense… autant de théâtres

d’affrontement entre des groupes sociaux, experts inclus, en lutte pour imposer

leurs conceptions du savoir comme celui faisant autorité et devant guider

l’action politique. Les experts justement, leurs compétences analytiques de

déconstructions des mécanismes politiques sont cruciales, car elles sont un

facteur essentiel de changement ou… de justification de l’ordre établi. Les

groupes sociaux les plus puissants l’ont parfaitement compris tant le

financement d’une recherche indépendante relève aujourd’hui de l’exception.

Les entreprises privées, mais aussi des acteurs publics en lutte avec d’autres

pour leurs ressources, ont investi les laboratoires de recherche du milieu

universitaire et des think tanks. Le contrôle ainsi exercé sur le robinet

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OSINTPOL L’intelligence du bien commun

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budgétaire est un incitatif à orienter les travaux dans le sens des intérêts des

bailleurs de fonds ou, à tout le moins, à s’abstenir publiquement de critiques

radicales ou répétées. Ce contrôle est d’autant plus grand que la fonction de

chercheurs se paupérise en même temps qu’elle se précarise. Combien

d’arrangements de conscience pour assurer ses moyens de subsistance ?

C’est pour permettre à autant de chercheurs que possible de ne jamais à avoir

se poser cette question que des simples citoyens de France, de Belgique et du

Québec se sont réunis pour fonder OSINTOL. Agissant de manière

désintéressée, ils ont assemblé autour d’eux des chercheurs capables de mettre

bénévolement leur expertise au service du bien commun en n’acceptant pour

guides que l’indépendance et la rigueur de leurs travaux et les idéaux de liberté,

de justice et de fraternité incarnés notamment dans la Déclaration universelle

des droits de la personne. L’intelligence en source ouverte à laquelle

OSINTPOL se réfère n’a rien à voir avec une quelconque activité de

renseignement, elle qualifie l’action de tous ceux et celles désireux de soutenir

par leurs dons ou la mise à disposition de leurs compétences une recherche

affranchie, critique, facteur d’évolution et librement accessible. Si ce projet

peut un jour s’autoriser quelque ambition ce sera grâce à ces personnes.

***

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Fonds de dotation OSINTPOL

OSINTPOL

Questionner, informer, éduquer, innover

L’action d’OSINTPOL est axée sur la production et la diffusion aussi étendue

que possible des savoirs relatifs à la sphère politique au sens large. L’organisme

participe pleinement via ses analyses aux débats contemporains parcourant ses

domaines d’intervention. Un des objectifs poursuivis est de contribuer au

renouvellement des idées politiques dans le monde francophone et même au

delà en favorisant les échanges avec les chercheurs-es de tous horizons. Parce

qu’innover c’est aussi inévitablement questionner l’ordre établi, la démarche

d’OSINTOL est résolument critique. Par son action, ce laboratoire d’idées au

service de la société civile entend renforcer la capacité des décideurs politiques

et de tous les citoyens à faire leurs choix.

OSINTPOL s’est donné pour premiers objectifs de couvrir les enjeux liés aux

liés à la paix, à la défense et à la sécurité en croisant, en autres, les domaines de

la science politique, du droit, de l’économie, de la sociologie et de l’histoire. Les

expertises indépendantes en cette matière sont particulièrement rares et

d’autant plus précieuses.

Trois premiers observatoires ont ainsi été mis sur pied :

L’observatoire des armements conventionnels ;

L’observatoire de la dissuasion nucléaire ;

L’observatoire de géopolitique énergétique ;

Le soutien de citoyens-ennes engagés-es

OSINTPOL ne saurait accomplir efficacement sa mission d’information et de

sensibilisation du public sans le soutien de donateurs-trices motivés-es par la

défense du bien commun. En soutenant OSINTPOL, vous contribuez au

renforcement d’une recherche indépendante et de qualité au service de la

société civile sur de nombreux sujets qui sont parfois malheureusement

monopolisés par des organismes publics ou privés en lutte pour leur budgets

ou leurs profits. Vous permettez aussi aux chercheurs d’OSINTPOL de

s’investir dans la formation d’une relève étudiante en fournissant un

encadrement propice à la transmission des savoirs et, surtout, des

compétences nécessaires à l’analyse critique des enjeux de société. Rejoignez-

nous sur osintpol.org.