L'occupation des grottes

du 111° au V· siècle et les invasions

germaniques dans la basse vallée du RhÔne

De nombreuses grottes de la basse vallée du Rhône offrent, en dehors des traces d'habitats ou de sépultures attribuables aùx époque pré- et protohistoriques, des vestiges non équivoques d'une occupation que l'on peut situer entre le III ' et le v ' siècle de notre ère.

Jusqu'à ce jour, ces témoins historiques n'ont jamais retenu l'attention des chercheurs, tout au moins dans la région envisagée (1) et les poteries grossières, qui constituent l'essentiel du matériel livré par ces habitats, on t été trop souvent attribuées à l'époque de la Tène. Des fouilles récentes pratiquées dans la grotte du Lierre, à Saint-Geniès-de-Comolas, ont pourtant démontré que, grâce à des dépôts monétaires, on pouvait assigner une date exacte à ce mobilier par ailleurs assez pauvre et peu caractéristique (2) .

C'est pourquoi nous avons cru utile de signaler ici quelques grottes de cette région qui ont livré des monnaies, en nous limitant toutefois aux gisements sur lesquels nous possédions des rensei­gnements précis. Nous espérons que les fouilles méthodiques qui se poursuivent activement à l'heure actuelle, notamment dans le bassin du Verdon, nous livreront, daus un avenir proche, des

(1) Pour les départements de l'Ariège et de la Haute-.Garonne, voir: Louis Méroc, Les Gallo-Romains dans les grottes de l'Ariège et de la Haute·Ga.ronne, dans Cahiers tl/Hutotre et d'Archéologie, 1946.

(2) Cf. S. Oagnlère et J. Oranier. Les niveau.%' historiques de la grotte du Lierre à Saint·Gentès-de-Co11Wlas (Gard). dans Provence Historique, no 48. .. vrU-juln 1962.

226 S. GAGNIERE ET J. GRANIER

indications encore plus précises. D'ores et déjà. nous essayons de dresser dans ces pages un rapide bilan de nos connaissances en la matière ainsi que d'établir un inventaire succinct des sites que nous connaissons.

VAUCLUSE

I. - GROTTE DE VALOUBEAU. A SAINT-SATURNIN-D'APT

Ce gisement. pillé autrefois par des collectionneurs. est surtout connu par ses dépôts du Paléolithique supérieur dont M. Maurice Paccard a tenté d'établir la stratigraphie. Ce fouilleur a recueilli. dans les terres de surface. deux petits bronzes du Bas-Empire. l'un de Gallien (260-268). l'autre de Sëverina. épouse d'Aurélien (270-275) .

II. - GROTTE DE SAINTE-GUIMELLE. AUX TAILLADES

Située à l'extrémité Nord-Ouest du Luberon. ceUe grotte contenait surtout des vestiges de sépultures chalcolithiques. A l'entrée. les couches superficielles ont livré à M. Dumoulin. conservateur des Musées de Cavaillon et d' Apt. un petit bronze de Pos/ume (258-267). antoninien d'imitation locale. Avers : PO.... tête radiée à droite. Revers : fruste. vraisemblablement VICTORIA AUG. (3) .

GARD

III. -- GROTTE DU LIERRE. A SAINTE-ANASTASIE

Cette grotte. d'accès très difficile. est située dans les gorges du Gardon. non loin du Castelas. Lors d'une fouille effectuée en 1959 dans le couloir central de ceUe cavité. M. Jean Reithmeyer a mis au jour. sous une mince couche de terre grise pulvérulehte, un petit foyer de 60 cm sur 80 cm. pour une épaisseur maxima de 6 cm. composé de débris charbonneux et d'os calcinés (débris de cuisine) et reposant directement sur l'argile rouge détritique stérile.

(3) Détermination de M. Henri Rolland.

L'OCCUPATION DBS GROTTBS DU BAS-RHÔNE 227

Ce foyer, de faible superficie, lui a fourni les documents snivants : plusieurs tessons de poterie gallo-romaine, des débris de verrerie, trois épingles en os, des clous et des fragments de fer tres oxydés, une broche circulaire en bronze émaillé, une plaque de plomb rectangulaire (lO X 15X6 cm), plusieurs lamelle de bronze, ainsi que vingt et une monnaies dont nous donnons la liste ci-dessous:

Incertaines 3 petits bronzes

Salonin (255-259) ... .. . . . .. . : . . .. .. . . .

Victorin (265-267) ........ .

Claude Il, le gothique (268-270) 10

Tétricus père (268-276) .

Gallien (260-268) . . . ... ..... • .....

Salonine (épouse de Gallien) . ... .. . . ... . 1 denier d'argent

lV. - GROTTE DE L'HIRONDELLE DE FIROLLES

A SAINTE-ANASTASIE

Cette cavité, dont « l'occupation a été surtout intensive à l'époque romaine » (4), a fourni à MM. Maurice Louis et R. Bru­guière, outre quelques menus objets du Bas-Empire, trente mon­naies tres altérées aux effigies de Gallien (260-268), Claude Il le Gothique (268-270) et « de leurs voisins immédiats dans la chrono­logie impériale» (5).

V. - GROTTE DE PAQUES, A COLUAS

Bien connue des excursionnistes, cette grotte a livré occasion­nellement à l'un de nous un grand bronze de Trajan Dèce, sesterce frappé à Rome entre ~49 et 251. Avers : IMP. C.M. TRAIANUS DECIUS AUG., buste lauré à droite. Revers : DACIA, la Dacie debout, regardant à gauche, tenant un bâton surmonté d'une tête d'âne; dans le champ, S.C. (6).

(4) cap. M. Louis et M. R. Bruguière, La Grotte de l'Hirondelle. de Firolles, commune de Sainte·Anastaste (Gard), dans Bull. S.P.F., no 6, 1930.

(6) Idem, Ibidem. (6) Déterminations de M. Henri Rolland.

228 S. GAONIBRB BT 1. GRANIeR

FIG. 1. - Coupe stratlgraphlque transversale de la Grotte sépulcrale de Baze (Gard) : 1 : molasse burdlgalienne à Lithothamnium (plafond de la grotte) ; II: calcaires durs de l'Hauterlvlen (parois de la. grotte), - 1: couche moderne et moyenâgeuse; 2: couche du Bas Empire; 3: couche hallstattienne ; 4; niveau des sépultures de l'Age du Bronze; 5: couche de blocaille, apparem~ ment stérile. - A : poterie wÙilgothlque ; B : vestiges d 'un petit atelier de taille d'objets en os et en bois de cerf ; C : monnaie de Salonlne ; D : monnaie de Gall1en ; E : hache en bronze ; F et F ' : foyers. (Dessin J. Oranier.)

L'OCCUPATION DES GROTTES DU BAS-RHôNE 229

VI. - GROTTE SEPULCRALE DE SAZE

Située a 1 km 500 environ au sud du village de Saze, cette grotte, qui présente une belle ouverture exposée au midi, est creusée dans les assises hauteriviennes des collines qui s'étendent au Sud jusqu'au Rhône et forment, au Nord, la bordure méridio­nale de l'ancien étang de P ujaut. Elle offre une grande et unique salle bien éclairée, de 15 mètres de longueur sur 8 mètres de largeur maxima_

En 1880, la grotte de Saze fut fouillée par H_ Nicolas qui pratiqua un sondage dans la partie centrale et récolta quelques objets protohistoriques (7)_ En 1911, Mazauric vint également visiter le gisement et recueillit, dans les couches superficielles, quelques documents de l'époque ga llo-romaine (8)_ Enfin, de 1922 à 1939, au cou, s d'une série de fouilles effectuées avec l'aide de MM_ L. Germand et R. Bailly, l'un de nous a pu relever line succession de couches non remaniées, s'étendant de l'âge du bronze au Moyen Age (9) (voir figure 1).

La coucbe gallo-romaine, nettement caractérisée par des pièces typiques, était formée de terre cendreuse, grise, très fine. Elle a rourni, avec des morceaux de briques et d',amphores, des fragments d'alpe et d'ollae en céramique orangée, des tessons de poterie rouge a refl ets méta lliques, ornée quelquefois de stries parallèles faites il la molette, une épingle en os, un dé a jouer et les deux monnaies ci-après (0) :

a) Gallien (260-268) " Anloninien frappé a Rome, dans la quatrième officine (A),

lors de la 2· émission de 263 (Cohen 727) : Avers : GALLIENUS AUG., tête radiée il droite. Revers : PAX AUG., la Paix debout, regardant il gaucbe, tenant un rameau; dans le champ, il gau­che : .1.-

(7) Hector Nicolas, Le Bassin du Rhône, Congrès archéologique de France, LI~ session, F oix 1884, p . 489.

(8) Mazaurte. Recherches et acquisittons, Nl.mes 1911. p. 84. (9) 5, Oagnière et L. Oermand, Note SUT la Grotte Sépulcrale tU Sau

(Gard) , Rhodanta. C.R. du 6~ Congrès, Avignon 1924. S. Gagnlère, Grottes sépulcraleS à Saze (Gard), Bull. S.P.F., no 5. 1929. Dr F . Regnault et 8 . Ga.gn ière, Etude des cT/1nes de la Grotte sépulcrale

de Saze (Gard). Cahiers d'Histoire et d'Archéologie, no 3. 1931. (10) Déterminations de M. Henri Rolland.

230 s. GAGNIERE ET J. GRANIER

b} Salonine (épouse de Gallien) : Antoninien frappé à Rome, vraisemblablement en 266, date

où la légende UBERITAS apparaît dans le monnayage de Gallien: Avers : SALON INA AUG., buste diadémé à droite, soutenu d'un croissant. Revers: UBERITAS AUG., l'Abondance debout à gauche, tenant des épis renversés el une corne d'abondance (li).

yll. - GROTTE DU CRANE NOIR, A ROQUEMAURE

Cette grotte s'ouvre sur la paroi Nord de la « barre> rochense qui s'étend de Roquemaure à Saint-Laurent-Ies-Arbres. Utilisée comme sépulture au Chalcolithique, elle contenait également une couche gallo-romaine qui a fourni à M. Jacques Gagnière, oulre quelques tessons de céramique, les trois monnaies ci-après (12).

a} Valentinien J (364-375) : Centenionalis frappé entre le 25 février 364 et le 24 janvier 367,

dans la 3' officine de l'atelier d'Arles (Constantia) : Avers: D.N. VALENTINIANUS P.F. AUG., buste diadémé à droite. Revers : SECURITAS REIPUBLICAE, victoire allanl à gauche, lenant une couronne et une palme; dans le champ OF -III et à l'exergue CONST.

b} Pièce fruste (nom de l'empereur illisible). Demi-cenlcnionalis frappé à Rome (SMRQ) dans la quatrième officine; type courant chez les fils de Constantin J. Au revers, vraisemblablement enseigne entre deux soldats.

c} Jovien (363-364) : Centenionalis frappé en 363 ou 364, dans la troisième officine

de l'atelier d'Arles (Cohen 35) : Avers: D.N. IOVIANUS P .F. AUG., buste diadémé et drapé à droile. Revers: VOT. V. MULT. X, en quatre lignes dans une couronne de laurier; à l'exergue: TCONST.

VIII. - GROTTE DU LIERRE, A SAINT-GENIES-DE-COMOLAS

CeUe cavité est située dans la par lie occidenlale de la « barre de Roquemaure >, à environ 110 mèlres au-dessus de la plaine

(11) Note du détermlnateur : Cohen a donné cette pièce sous le no 109, mals avec une mauvaise interprétation de la. légende, où il croit voir une fa.ute (UBERTAS pour LIBERTAS) , ce qui l'amène à voir, dans les épis tenus par l'abondance, un bonnet de la Liberté.

(12) Déterminations de M. Henri Rolland.

FIG. 2. - En haut: stratigraphie de la grotte du Llette. à salnt,..Oenlès·d~ Comolas (Gard). La couche 4 correspond à l'occupation de la fin du II~ siècle.

En bas : une couche d'incendie à Vaison, quartier de « La Villasse ». On aperçoit nettement les tuiles renversées qui se sont écroulées sur les cendres. C'est sous un amas de décombres de ce genre que fut recueilli le célèbre buste en argent. (Clichés S. Gagnière.>

L'OCCUPATION DES GROTTES DU BAS'RHÔNE 231

a lluviale. Masquée par la végétatiou et d 'accès difficile, elle pré­sente un sol en pente, descendant du fond vers l'ouverture.

Les recherches que nous avons effectuées, en 1961, dans la grotte du Lierre nous ont permis d'observer la stratigraphie suivanté :

1. - Couche de surface, actuelle ou subactuelle, constituée par des apports de sables éoliens et des plaquettes de calcaire (8 cm).

2. - Couche lenticulaire formée d'un sédiment sableux, très fin, mêlé à des débris de calcaire. Elle a fourni des tessons de poterie grise, très cuite, du type « pégau • très archaïque, ornés de décors estampés à la molette, avant cuisson. Cette céramique semble pouvoir être rapportée à l'époque carolingienne (10 cm).

3. - Couche constituée par de gros blocs éboulés : elle est absolument .stérile et doit être attribuée à une longue période d'abandon de la grotte (30 cm).

4. - Couche de l'habitat gallo.romain (20 cm) . Formée d'un sédiment sableux pulvérulent, elle présentait, à son sommet, une grande nappe cendreuse écrasée par les blocs de la couche 3, tandis que sa base était occupée par un petit foyer lenticulaire. Cette couche nous a 'livré de nombreux tessons de céramique que nous avons minutieusement décrits dans un précédent travail (13), une fusaïole en lerre jaune. un bouton circulaire en bronze, une épingle de coiffure en os, une certaine quantité d'ossements d'animaux plus ou moins calcinés (débris de cuisine), ainsi que cinq monnaies (14) :

a) Gallien (260·268) : Antoninien frappé dans la quatrième officine de l'a telier de

Rome, en 261 (Cohen 292) : Avers : GALLIENUS AUG., buste radié à droite. Revers : GENIUS AUG., le Génie de l'Empereur, nu, debout, la tête à gauche, tenant une patère et une corne d'abon· dance; à gauche Q; à droite, un enseigne.

(3) S. Gagnière et J. Granier, op. ctt. (14) Déterminations de M. Henri Roiland.

232 S. GAGNIERE ET J. GRANIER

b) Gallien: Antoninien frappé dans la septième officine de l'ale lier .!le

Rome, en 266 (Cohen 1075) : Avers : GALLIENUS AUG.; tête radiée à droite. Revers : VICTORIA AUG., la victoire debout, la tête à gauche.

c) Gallien: Antoninien frappé par la cinquième officine de l'atelier de

Rome, en 267-268 (Cohen 153) : Avers: GALLIENUS AUG.; buste radié à droite. Revers : DIANAE CONS. AUG.; biche marchant à droite, regardant à gauche; à l'exergue : E.

d ) Gallie'n : Antoninien frappé à Rome, en 267-268 (Cohen 979) : Avers:

GALLIENUS AUG., buste radié à droite. Revers: SOLI CONS. AUG., Pégase à droite, s'élevant dans l'air.

e) Salonine ( épouse de Gallien) : Antoninien frappé dans la quatrième officine de Rome, en

263 (Cohen 143) : Avers : SALONINA AUG., buste diadémé à droite; dessous, un croissant. Revers : VESTA, vesta assise à gauche, tenant une patère et un sceptre transversal; à l'exer­gue: Q.

5. - Couche stérile qui paraît correspondre, comme la couche 3, à une période d'abandon de la grotte (15 cm).

6. - La couche 6 est la plus basse atteinte par notre fouille , Encore ne l'avons-nous qu'effleurée car elle déborde du cadre de notre étude. D'après les documents qu'elle a livrés, elle peut en effet être attribuée à la fin de l'âge du Bronze, peut-être au début de l'Hallstatt.

IX. - GROTTE DES EUZIERES, A SAINT-GENIES-DE-COMOLAS

Située à quelques dizaines de mètres seu lement en contre­bas de la précédente, cette petite grotte est actuellement en cours de fouille. D'orcs et déjà, elle a fourni à M. Jean-Pierre Pupin, quelques fragment s de poterie du Bas-Empire, une petite boucle circulaire en bronze et les dix monnaies décrites ci-après (15)

(15) Déterminations de M. Henri Rolland.

L'OCCUPATION DES GROTTES DU BAS-RHÔNE 233

a) Constance Il (337-361) : Avers : D.N. CONSTANTIUS P.F. AUG., buste à droite, drapé

et diadémé. Revers: FEL. TEMP. REPARATIO, soldat furieux à gauche

tenant un bouclier et perçant d'une haste un cavalier tombé à terre (Cohen 45).

b) Constance Il : Avers : D.N. CONSTANTIUS P.F. AUG., buste diadémé et

drapé, à droite. Revers : SPES REIPUBLICE, Constance en habit militaire à

gauche, tenant nn globe et un sceptre (Cohen 188) .

c) Julien Il , l'Apostat (361-363) : Avers : D.N. IULIANUS P.F. AUG., buste drapé et diadémé

à droite (non barbu). Revers: SPES REIPUBLICE, Julien debout à gauche, tenant un

globe et un sceptre. Variante de Cohen (48) qui, avec le titre d'Auguste, ne connaît cette pièce qu'avec l'effigie barbue.

d) Pièce fruste, illisible. Peut-être Julie'n II.

e) Valentinien 1 (364-375) : Avers : D.N. VALENTINIANUS P .F. AUG., buste drapé et

diadémé à droite. Revers: SECURITAS REIPUBLICE, victoire marchant à gau­

che, tenant palme et couronne (Cohen 37).

f) Pièce fruste, illisible. Probablement Valentinien Il (1175-392).

g) Pièce fruste, pouvant être de Gratien (367-383) ou Valen­tinien Il (375-392).

h) Théodose 1 (379-394.) : Avers : D.N. THEODOSIUS P.F. AUG., buste diadémé et

, drapé à droite. Revers : VICTORIA AUGGG., deux victoires affrontées tenant

palme et couronne; entre elles deux points. A l'exergue : R.C ... (Cohen 43). L'indication de trois Augustes peut convenir à l'asso­ciation de Valentinien jeune, Théodose et Arcadius, en 383, ou mieux à la nomination d'Honorius comme Auguste, en 393.

i) Théodose 1 (379-994) : Avers : D.N. THEODOSIUS P.F. AUG., buste diadémé à

droite.

234 S. GAGNIERB BT J. GRANIBR

Revers : VICTORIA AUG. Sans doute frappée dans la deuxième officine d'Arles.

j) Pièce fru ste, illisible. A en juger par son module, elle doit appartenir à la même époque que les deux précédentes.

DROME

X. - GROTTE DES SARRAZINS A SAINTE-JALLE

Cette cavité a fourni à M. René Gras, de Nyons, un petit bronze de Gallien.

:.

En résumé, cela fait 76 monnaies récoltées dans dix cavités seulemeut, soit lrois dans le Vaucluse (2 gmttes), 72 dans le Gard (6 grottes) et 1 dans la Drôme (1 grolle). La plus ancienne de ces monnaies est celle de la grotte de Pâques (milieu du Ill' siècle), les aulres dépôts se rapportant soit à la fin du m ' siècle, soit à la fin du IV·, si l'on s'en tient pour chacun, conune il se doit, à la pièce la plus récente. Le monnayage le plus abondant est, san. contes le, celui de Gallien. On remarque, de. prime abord, que l'occupation la plus intensive des grottes de notre région se situe à la fin du m ' siècle (7 sur 10). Nous connaissons, en outre, dans la basse vallée du Rhône, de nombreuses cavités présentant des ·traces d'habitats gallo-romains qui n'ont pu être datés par des monnaies mais qui ont livré de la céramique pouvaut être attribuée, par analogie, à la période s'étendant de la fin du m ' au début du v' siècle.

Pourquoi ce relour au troglodytisme à une époque où la vie était organisée et oÙ les grottes, peu propices à l'habitat par leur inconfort et leur difficulté d'accès (16), constituaient en outre un monde mystérieux, peuplé par la mythologie de divinités infernales?

(6) A noter que la plupart des grottes citées dans ce travaU sont mal exposé~s, humides et souvent d'accès difficile (particulièrement la grotte du Lierre, à sainte-Anastasie) .

FIG. 3. - Carte partielle de la vallée du Rhône, montrant la situation des divers gisements étudiés. (Dessin J. Granier.)

236 s. GAGNIERE ET J . GRANIER

Il faut en chercher l'explica tion dans l'anarchie et les invasions qui précipitèrent la dislocation de l'Empire romain. L'insécurité qui résulta de cet état de choses contraignit les populations « à prendre des Dlesures conservatoires en faveur des biens comme des personnes > (17) et à se réfugier en partie dans les grottes. A la même époque s'observe également une nette recrudescence de l'occupation des oppida : rocher des Doms à Avignon (18), oppidum de Saint-Blaise, ville haute de Glanum (19), etc.

Ces troubles s'étendent sur une assez longue période qui fut certainement une des plus sombres de l'histoire et qui fut marquée par trois phases par ticulièrement critiques, la première corres­pondant aux courses alamaniques de 259-260, la seconde aux invasions de la fin du /II ' siècle (270-280), enfin la troisième aux incursions des Vandales qui marquèrent les débuts du v' siècle.

Toutefois, dans les différents sites que nous avons pu étudier, deux périodes seulement d'occupation ont été constatées. Nous pouvons ainsi ranger ces habitats occasionnels en deux groupes, le premier se rapportant aux invasions de 270-280 (grottes de Valoubeau, de Sainte-Guimelle, de Sain le-An astasie, de Saze, du Lierre et de Sainte-Jalle) , le second à celles du début du v' siècle (grottes du Crâne noir et des Euzières).

Jusqu'à présent, les destructions observées dans le Sud-Est de la France étaient généralement imputées aux courses alama­niques de 259-260 et cette région paraissait être demeurée à peu près à l'écart des invasious de la période 270-280 (20).

Pourtant, l'examen des fails que nous venons d'exposer semble prouver exactement le contraire. En effet, dans la quasi-totalité des grottes du premier groupe, la plupart des monnaies sont largement

(17) Louis Méroc, op. cft . (18) S. Oagnlère, J. Granier et R. perrot. Un oppidum de la Basse Vallée

du Rhône : le Rocher des Doms, à Avignon, dans Cahiers Ligures de Préhistoire et d'Archéologte, lI, 1962. Cf. également, S. Gagnière et J. Granier, Le Rocher des D oms, berceau d'Avignon, Guide illustré d'Avignon, 1962.

(19) Henri Rolland, Fouilles de Glanum, 11e supplément à. Gallia, 1958 (stratigraphie).

(20) Cf. notamment, H. Koethe, carte et liste, 119, de la période 27~280. (Cité par E. Demougeot, cl. note 23'>

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STRATIGRAPHIE DES FOUILLES DE VAISON Quartier de « Ia Villasse •

BASSIN à EXEDRES FOUILLES de 1954 MAISON du DAUPHIN (Fouilles J . Sautel, 1953) (Joseph Sautel) (Fouilles S. Gagnière et L. Gennand, 1956)

Poteries moyenâgeuses (pégaus)

Céramique sigillée grise, dite « Wisigothique • Dallages grossiers

Terre cendreuse, bols calciné, Terre cendreuse grise ('avec poterie) tulles et colonnes renversées

(Incendie de la fin du IV' ou du début du V' s. ?)

Matériaux réemployés, aménagement de ruines Couche de cendrés et de ruines: incendie de la fin du III' siècle

Monnaies de Tetricus 1 Poteries orangées de Gallien Poteries orangées Grand bronze de Maxime

Poteries du Il' siècle (Antonin) Poteries du Il' siècle

Céramique des FI3viens Céramique Céramique flavienne

des Il' et 1" siècles Poteries jullo-claudlennes Poteries jullo-

cIaudlennes Vestiges de constructions du l'' siècle avant J .-C.

Sol géologique Sol géologique Sol géologique (gravier) (gravier) (Dépôts marécageux, gravier)

238 S. GAGNIERB 8T J. GRANIER

postérieures à 260. Seule l'occupation (1) de la groUe de Pâques pourrait remonter à la première invasion.

A Vaison, les fouilles du quartier de • la Villasse >, notam­ment dans la maison du Dauphin, ont permis de retrouver, sous la couche d'incendie du début du v' siècle, les traces très neUes d'une première destruction sous la forme d'une couche de terre noire parsemée de bois brûlés, sur laquelle sont venus s'écrouler les colonnes, les débris de charpentes et les tuiles des toitures (voir le tableau stratigraphique page 237 et la figure n ' 2) (21).

De semblables indices, datant de la même période, s'observent également dans de nombreux sites antiques de la région, notamment à Glanum, au Châtelard-de-Lardiers (B.-A.) et à Arles où M. Fernand Benoît a relevé des traces de destructions dans les couches de la seconde moitié du III' siècle, avant la restauration de Constantin (22). C'est dans ceUe dernière localité que Grégoire de Tours, dans son His/oria FJ"allcorum (vers 591), situe la capture et l'exécution du roi Chrocus, chef des barbares, à qui la légende aUribue sans distinction tous les • tumultes > de la fin de l'Empire. Faut-il voir en lui le chef des invasions de 259-260, comme le propose Emilienne Demougeot (23), ou plutôt de celles de 270-280? Il parait peu probable toutefois qu'il ait un rapport quelconque avec les grandes invasions du début du v' siècle, comme le prétendait le pseudo­Frédégaire (vers 660), suivi par plusieurs érudits modernes.

Le fait est que Chrocus, « Chef des barbares pillards, persé­cuteur de chrétiens appartenant à des cités souvent très éloignées les unes des autres, est un personnage sinon légendaire, du moins difficile à situer dans le temps comme dans J'espace > (24). On lui impute géuéralement des destructions et des méfaits sans nombre et, pour le moins, les martyres des quatre saints clermontois et de saint Privat de Mende. L'exhortation de saint Amatius d'Avignon énumère onze prélats tués par ses hordes et, quoique

(21) Cf. également C.R. de la. communication de S. Oa.gnlère sur les recherches stratigraphiques dans les !oumes récentes de Vaison·la.Romatne. dans Journées archéologiques d'Avignon, 1956. Palais du Roure, Avignon 1957.

(22) Cité par E. Demougeot (cf. note 23). (23) Emil1enne Demougeot, Les Martyr! imputés à Chrocus et les invasions

alamaniques en Gaule méridionale, Annales du Midi, tome 74. no 57. Toulouse. janvier 1962.

(24) E. Demougeot. op. clt.

L'OCCUPATION DBS GROTTBS DU BAS-RHôNS 239

cet écrit soit purement hagiographique (il aurait même été forgé de toutes pièces par Polycarpe de la Rivière), comme l'a pertinem­ment démontré Mgr L. Duchesne (25), il exprime bien le souvenir d'épouvante qu'ont laissé, dans l'esprit des méridionaux, les terribles invasions de la seconde moitié du lII ' siècle. Trop souvent, dans les ouvrages historiques, on ne tient pas suffisamment compte de ces premières incursions barbares, alors qu'elles ont failli détruire prématurément l'Empire, ruinant définitivement le limes (26) et ouvrant ainsi la voie aux autres envahisseurs.

Non moins cruel fut le déferlement des Vandales au début du v' siècle, auquel semble correspondre l'occupation des grottes du 2' groupe, et dont l'action dévastatrice, poursuivie et achevée par les Huns, les Lombards, les Burgondes, les Goths et les Francs, précipita le monde civilisé dans la nuit du haut Moyen Age.

A l'issue de ce travail, nous adressons tous nos remerciements à ceux qui nous ont aidés et en particulier à MM. H. ·Gallet de Santerre, de qui nous avons obtenu les autorisations de fouilles, Henri Rolland, qui a déterminé la plupart de nos monnaies, André Dumoulin, Jean Reithmeyer, Jean-Pierre Pupin, Maurice Paccard et René Gras, qui nous ont confié les monnaies qu'ils avaient recueillies.

S. GAGNIERE et J. GRANIER.

(25) Mgr L. Duchesne, FlUt .. épiscopaux <le l'ancienne Gaule, 1 (cité pa,· E. Demougeot, op. clt. ).

(26) Cf. notamment. André Plganlo1, Esquisse d'Histoire romaine (1931) : c A partir de 260. le limes est ruiné, ses ga.rnisons ont disparu 1.