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L’ordonnance Anton Piller : nature, exécution, application particulière en matière de saisies de données informatiques Danielle FERRON RÉSUMÉ Dans un monde où la fraude commerciale, la fraude en entre- prise, la concurrence déloyale, la piraterie, la contrefaçon et la violation des droits de propriété intellectuelle sont des réalités quotidiennes, l’ordonnance d’injonction de type Anton Piller est devenue pour plusieurs le recours judiciaire par excellence. Cer- tains décrivent d’ailleurs ce recours extraordinaire comme l’une des armes nucléaires de l’arsenal du droit civil. Cette ordonnance, qui ne doit pas être confondue avec un mandat de perquisition de nature criminelle, jumelle en quelque sorte l’injonction et la saisie avant jugement. Il s’agit en fait d’une ordonnance d’injonction de « se laisser saisir », qui est obtenue ex parte, devant un juge en son bureau. Le but de cette ordonnance est d’empêcher le défendeur de faire disparaître ou de détruire la preuve visée par l’ordonnance et que l’on désire protéger en vue d’un litige et qui serait sûrement perdue ou détruite si un avis était donné au défendeur. Elle permet aussi, dans certains cas, de faire respecter les droits de propriété du demandeur, de faire cesser immédiatement toute activité frauduleuse ou illégale, d’empêcher la libre circulation de biens piratés ou contrefaits et d’empêcher les reproductions illé- gales et non autorisées de marques de commerce ou de secrets commerciaux. Le texte parcourt l’historique de cette procédure, détaille les nombreuses conditions développées par la jurisprudence qui doivent être remplies pour obtenir une ordonnance Anton Piller, Revue du Barreau/Tome 64/Automne 2004 313

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L’ordonnance Anton Piller :nature, exécution, applicationparticulière en matière de saisiesde données informatiques

Danielle FERRON

RÉSUMÉ

Dans un monde où la fraude commerciale, la fraude en entre-prise, la concurrence déloyale, la piraterie, la contrefaçon et laviolation des droits de propriété intellectuelle sont des réalitésquotidiennes, l’ordonnance d’injonction de type Anton Piller estdevenue pour plusieurs le recours judiciaire par excellence. Cer-tains décrivent d’ailleurs ce recours extraordinaire comme l’unedes armes nucléaires de l’arsenal du droit civil.

Cette ordonnance, qui ne doit pas être confondue avec unmandat de perquisition de nature criminelle, jumelle en quelquesorte l’injonction et la saisie avant jugement. Il s’agit en fait d’uneordonnance d’injonction de « se laisser saisir », qui est obtenue exparte, devant un juge en son bureau.

Le but de cette ordonnance est d’empêcher le défendeur defaire disparaître ou de détruire la preuve visée par l’ordonnance etque l’on désire protéger en vue d’un litige et qui serait sûrementperdue ou détruite si un avis était donné au défendeur. Ellepermet aussi, dans certains cas, de faire respecter les droits depropriété du demandeur, de faire cesser immédiatement touteactivité frauduleuse ou illégale, d’empêcher la libre circulation debiens piratés ou contrefaits et d’empêcher les reproductions illé-gales et non autorisées de marques de commerce ou de secretscommerciaux.

Le texte parcourt l’historique de cette procédure, détailleles nombreuses conditions développées par la jurisprudence quidoivent être remplies pour obtenir une ordonnance Anton Piller,

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élabore sur le contenu possible d’une telle ordonnance et décrit defaçon pratique les étapes de son exécution. Il traite, entre autres,de la question de l’application ou non des Chartes, de certainesnotions peu connues comme le « Rolling Anton Piller » et l’« avocatsuperviseur indépendant », et étudie les possibilités de cassationde l’ordonnance, du retour de la preuve saisie ou de la condamna-tion à des dommages en cas d’abus. Une attention particulière estpar ailleurs accordée à l’application de l’ordonnance Anton Pillerdans le contexte où des données informatiques sont impliquées.

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L’ordonnance Anton Piller :nature, exécution, applicationparticulière en matière de saisiesde données informatiques

Danielle FERRON*

INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 319

1. QU’EST-CE QU’UNE ORDONNANCE ANTONPILLER ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 320

A. La description générale du type de recours . . . . . 320

B. L’historique de l’injonction Anton Piller . . . . . . . 322

C. L’ordonnance Anton Piller en droit canadien : sondéveloppement à la Cour fédérale du Canada . . . . 324

D. L’ordonnance Anton Piller reconnue au Québec . . . 325

E. L’ordonnance Anton Piller et les Chartescanadienne et québécoise . . . . . . . . . . . . . . . 327

2. CONDITIONS REQUISES POUR OBTENIR UNEORDONNANCE D’INJONCTION ANTON PILLER . . 328

A. Quant à l’injonction provisoire . . . . . . . . . . . . 328

B. Quant à l’ordonnance Anton Piller . . . . . . . . . . 329

(i) Un droit d’action prima facie et uncommencement de preuve très solideou très convaincant . . . . . . . . . . . . . . . 330

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* Avocate.

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(ii) Un préjudice réel ou possible, très grave pourle demandeur (forte probabilité d’un préjudiceou d’un dommage sérieux ou irréparable). . . . 331

(iii) Une preuve manifeste que le défendeur a en sapossession des documents ou des biens pouvantservir de preuve et qu’il est réellement possibleou probable que le défendeur détruise cettepreuve avant que ne puisse être introduiteune demande inter partes . . . . . . . . . . . . 333

(iv) Une pleine et entière divulgation des faitspertinents. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 336

3. LA PRÉSENTATION DE LA REQUÊTE ET SONAUDITION. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 338

A. La présentation ex parte et in camera . . . . . . . . 338

B. La suffisance prima facie de la preuve déposée(pièces et affidavit(s)) . . . . . . . . . . . . . . . . . 339

C. La preuve est considérée pour avérée . . . . . . . . 340

4. LE CONTENU POSSIBLE DE L’ORDONNANCE . . . 340

A. Les lieux visés « connus ou inconnus » où se trouveet où peut se trouver la preuve recherchée . . . . . . 341

(i) La notion du « Rolling Anton Piller » et deJohn et Jane Doe . . . . . . . . . . . . . . . . . 342

B. La description de la preuve recherchée. . . . . . . . 344

(i) L’importance de bien définir les élémentsde preuve visés . . . . . . . . . . . . . . . . . . 344

C. Les personnes autorisées à avoir accès (nombreet catégories) aux lieux et à la preuve . . . . . . . . 348

D. Les mesures d’exécution. . . . . . . . . . . . . . . . 353

E. Les droits des défendeurs et des autres personnesà qui l’ordonnance a été signifiée . . . . . . . . . . . 358

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F. Les obligations des défendeurs et des autrespersonnes à qui l’ordonnance a été signifiée . . . . . 360

G. La garde de la preuve saisie . . . . . . . . . . . . . 360

H. L’accès à la preuve saisie et la possibilité d’enfaire des copies. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 360

I. L’utilisation future de la preuve saisie . . . . . . . . 361

J. Les gestes interdits . . . . . . . . . . . . . . . . . . 361

K. Le refus d’obtempérer et l’outrage au tribunal . . . . 362

L. L’aspect injonction provisoire, interlocutoire etpermanente . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 362

M. La confidentialité (dossier scellé) . . . . . . . . . . . 362

N. L’engagement monétaire de garantie en cas dedommages ou la fixation d’une caution . . . . . . . . 363

O. La durée de l’ordonnance (dix jours) . . . . . . . . . 363

5. L’EXÉCUTION (VERSION PRATIQUE). . . . . . . . . 363

A. La signification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 363

B. L’explication de l’ordonnance et la périoded’attente . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 364

C. L’obtention du consentement à se soumettre àl’ordonnance ou l’outrage au tribunal . . . . . . . . 365

D. La perquisition ordonnée . . . . . . . . . . . . . . . 367

E. La saisie de la preuve obtenue . . . . . . . . . . . . 367

6. L’UTILISATION DE LA PREUVE SAISIE . . . . . . . 367

A. Dans le recours principal . . . . . . . . . . . . . . . 367

B. Dans les cas de requête en cassation de l’ordon-nance Anton Piller (audition de novo) . . . . . . . . 369

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C. Outrage au tribunal en cours d’exécution . . . . . . 370

7. L’ABUS DE LA PROCÉDURE ANTON PILLER ETSES CONSÉQUENCES . . . . . . . . . . . . . . . . . . 372

A. La cassation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 373

B. Le retour de la preuve saisie . . . . . . . . . . . . . 379

C. Les dommages . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 381

8. CONCLUSIONS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 381

318 Revue du Barreau/Tome 64/Automne 2004

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INTRODUCTION

Dans un monde où la fraude commerciale, la fraude en entre-prise, la concurrence déloyale, la piraterie, la contrefaçon ou laviolation des droits de propriété intellectuelle sont des réalitésquotidiennes, l’ordonnance d’injonction de type Anton Piller estdevenue pour plusieurs, le recours judiciaire par excellence.

Cette ordonnance civile d’injonction de « se laisser saisir »,obtenue ex parte devant un juge en son bureau a pour but d’em-pêcher le défendeur de faire disparaître ou de détruire la preuvevisée par l’ordonnance que l’on désire aller chercher en vue d’unlitige et qui serait sûrement perdue ou détruite si un avis étaitdonné au défendeur.

Ce recours qui, dans bien des cas, offre des avantages évi-dents sur l’obtention de la preuve nécessaire à un dossier, et par lamême occasion, sur le déroulement ultérieur des procédures,est unique. L’exécution d’une ordonnance Anton Piller permetd’ailleurs souvent une résolution à l’amiable rapide du litige entreles parties.

Son obtention nécessite toutefois que des conditions juris-prudentielles exigeantes soient remplies.

L’auteure entend donc parcourir l’historique de cette procé-dure, détailler les nombreuses conditions qui doivent être rem-plies pour obtenir une ordonnance Anton Piller, telles qu’établiesentre autres par la Cour d’appel du Québec, élaborer sur lecontenu possible d’une telle ordonnance et décrire les étapes deson exécution. Une attention particulière sera par ailleurs accor-dée à l’application d’une telle ordonnance dans le contexte où desdonnées informatiques sont impliquées.

Il est à noter que le présent texte1 n’est pas une analyseexhaustive de toutes les décisions rendues en matière d’ordon-

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1. J’aimerais d’entrée de jeu remercier l’honorable Lawrence A. Poitras, Me RobertCharbonneau, Me Alexis Pierre Bergeron, Me Mathieu Piché-Messier etMme Nicole Sarao, parajuriste, des collègues et collaborateurs qui m’ont fourniune aide inestimable dans la confection de ce texte, qui initialement, a été utilisélors d’une conférence donnée à l’occasion de l’Assemblée divisionnaire des jugesde la Cour supérieure du Québec.

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nance Anton Piller. Il se veut plutôt une revue, dans un cadrepratique, des principes de droit applicables.

1. QU’EST-CE QU’UNE ORDONNANCEANTON PILLER ?

Certains disent de l’ordonnance Anton Piller qu’elle est, avecl’injonction Mareva2, l’une des deux armes nucléaires du droitcivil3.

En fait, il s’agit d’un recours extraordinaire et discrétion-naire, à la limite des pouvoirs d’intervention des tribunaux civils.

A. La description générale du type de recours

C’est un recours qui en quelque sorte regroupe l’injonction etla saisie avant jugement. Il s’agit en fait d’une ordonnance d’in-jonction de se laisser perquisitionner et de se laisser saisir, afin deprotéger et conserver les éléments de preuve qui, sans l’inter-vention de la Cour, risqueraient d’être détruits ou de disparaître.Il permet aussi, dans certains cas, de faire respecter les droits depropriété du demandeur, de faire cesser immédiatement touteactivité frauduleuse ou illégale, d’empêcher la libre circulation debiens piratés ou contrefaits et d’empêcher les reproductions illé-gales et non autorisées de marques de commerce ou de secretscommerciaux.

La majorité des jugements sur les demandes de type AntonPiller au Canada émanent de la Cour fédérale et des provincescanadiennes de common law. En droit civil québécois, ce n’est querécemment, en octobre 2002, que l’ordonnance Anton Piller a étéanalysée en profondeur et reconnue par notre Cour d’appel4.

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2. L’ordonnance de type Mareva, qui tient son nom de l’affaire Mareva CompaniaNaviera S.A. v. International Bulk Carriers S.A. (The Mareva), [1980] 1 All E.R.213 (H.L.), est un autre recours extraordinaire ex parte, regroupant les qualitésde l’injonction et de la saisie avant jugement. Son obtention vise à conserver desbiens de la partie défenderesse afin de prévenir l’éventualité où elle tenterait detransférer ces biens hors de la juridiction de la cour et donc, hors de la portée despouvoirs de la cour. On cherche ainsi à empêcher la disparition des actifs de lapartie défenderesse en attendant un jugement final. Ce recours existe et est uti-lisé au Canada depuis près de vingt ans, le plus souvent à la Cour fédérale et dansles provinces de common law en matière de propriété intellectuelle, en droit mari-time et en matière de fraude.

3. Propos tenus par le juge Donaldson dans l’affaire Bank Mellat c. Nikpour, [1985]F.S.R. 87, à la p. 92 (H.C. R.-U.).

4. Raymond Chabot SST Inc. c. Groupe AST (1993) Inc., [2002] R.J.Q. 2715 (C.A.)[ci-après Raymond Chabot]. La Cour supérieure s’était toutefois déjà penchée

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L’ordonnance Anton Piller ne doit pas être confondue avec unmandat de perquisition ou de saisie criminelle. En effet, l’objectifde cette ordonnance de droit civil est avant tout de protéger etconserver la preuve.

L’arrêt Anton Piller KG c. Manufacturing Processes Ltd. d’oùle recours tient son nom, a été rendu au Royaume-Uni en 1976.Celui-ci énonce ce qui suit :

Let me say at once that no court in this land has any power to issue asearch warrant to enter a man’s house so as to see if there arepapers or documents there which are of an incriminating nature,whether libels or infringements of copyright or anything else of thekind. No constable or bailiff can knock at the door and demandentry so as to inspect papers or documents. The householder canshut the door in his face and say, “Get out”. That was established inthe leading case of Entick v. Carrington. None of us would wish towhittle down that principle in the slightest. But the order sought inthis case is not a search warrant. It does not authorize the plaintiffs’solicitors or anyone else to enter the defendants’ premises againsttheir will. It does not authorize the breaking down of any doors, northe slipping in by a back door, nor getting in by an open door or win-dow. It only authorizes entry and inspection by the permission of thedefendants. The plaintiffs must get the defendants’ permission. Butit does do this : it brings pressure on the defendants to give permis-sion. It does more. It actually orders them to give permission – with,I suppose, the result that if they do not give permission, they areguilty of contempt of court.5 (nos italiques)

Ainsi, l’ordonnance d’injonction Anton Piller ordonne audéfendeur de « se laisser saisir » et de « collaborer entièrement » enindiquant les endroits où se trouvent les éléments de preuverecherchés. Il est en effet ordonné au défendeur de permettre aux« personnes autorisées »6 de pénétrer dans les « lieux »7, afin de

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préalablement sur le sujet à quelques reprises. Certaines de ces décisions serontd’ailleurs discutées plus loin.

5. Anton Piller KG c. Manufacturing Processes Ltd., [1976] 1 All E.R. 779, auxp. 782-783 [ci-après Anton Piller].

6. Comme nous le verrons d’avantage sous le titre 4 : « Le contenu de l’ordonnance »,les « personnes autorisées » devraient être définies dans l’ordonnance, et ce, ennombre et en catégorie. On peut y trouver notamment les représentants dudemandeur, les procureurs du demandeur, des huissiers, des experts informati-ques, des juriscomptables, des enquêteurs privés, des agents de sécurité, des poli-ciers et toutes autres personnes dont la participation est justifiée.

7. La Cour devrait définir les « lieux » visés par l’ordonnance, tel que la résidence, laou les place(s) d’affaires, le ou les entrepôt(s) du défendeur. Il serait bon toutefoisde garder la description suffisamment large pour permettre au demandeur depouvoir exécuter partout où la preuve pourrait se trouver. De plus, l’ordonnance

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perquisitionner et saisir tout élément de preuve8. De plus, lafacette « injonction » de l’ordonnance, fait cesser les comporte-ments dits « illégaux ».

L’exécution de l’ordonnance ne peut être forcée9. Toutefois,un refus par le défendeur de se laisser saisir, de collaborer ou depermettre l’accès aux lieux est passible d’outrage au tribunal. Deplus, un tel refus pourrait et même devrait être considéré par laCour comme une forte présomption de la preuve des faits repro-chés.

L’injonction Anton Piller offre donc un moyen efficace de pré-server et conserver la preuve tout en faisant cesser les comporte-ments illégaux d’un défendeur. Par ailleurs, il est à noter quel’impact important et immédiat de l’exécution d’une telle ordon-nance a souvent pour effet de provoquer un règlement rapide desconflits, évitant ainsi aux parties un débat judiciaire long et labo-rieux.

B. L’historique de l’injonction Anton Piller

Le recours à l’ordonnance Anton Piller existe en droit depuisprès de trente ans. Tel que mentionné précédemment, son nomvient de l’arrêt Anton Piller KG c. Manufacturing Processes Ltd.,rendu en 1976 par la Cour d’appel d’Angleterre, division civile10,

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Anton Piller peut être de type « Rolling » permettant d’étendre l’exécution del’ordonnance à des lieux préalablement inconnus, mais découverts lors de l’exé-cution, tel que plus amplement décrit ci-après.

8. La définition de la « preuve » dans l’ordonnance autorisée par la Cour peutinclure entre autres le matériel illégal, piraté ou contrefait, de même que tousles documents pertinents aux gestes « illégaux » reprochés au défendeur. Cettequestion fera l’objet d’un développement plus approfondi plus loin.

9. En effet, bien que toutes les mesures nécessaires peuvent être employées afinque la signification de l’ordonnance soit effectuée, l’exécution de l’ordonnancene peut être faite sans le consentement du défendeur. C’est pourquoi l’utilisa-tion de forces policières doit être restreinte à la protection des personnes autori-sées. Il est bien important d’aviser toutes les personnes autorisées de ne pas« forcer » la perquisition. La sanction d’un comportement abusif par les person-nes autorisées peut être une décision de la Cour déclarant l’annulation del’ordonnance Anton Piller, l’octroi de dommages compensatoires au défendeur,ou une combinaison des deux.

10. Toutefois, selon l’auteur Jeff Berryman, l’ordonnance Anton Piller fut accordéepour une première fois en 1975 par le Banc de la Reine (Angleterre) dans E.M.J.Ltd. v. Pandit, [1975], où fut plaidée une ordonnance ex-parte demandantl’inspection et la saisie de documents et alléguant une violation des droitsd’auteur du demandeur (« Recent Developments in Anton Piller Orders :John and Jane Doe, Rolling Along in Canada », Oxford Intellectual PropertyResearch Centre Working Paper Series, No. 4 (November 2001), Oxford Intel-lectual Property Research Centre <http://www.oiprc.ox.ac.uk/EJWPO401.html>, à la p. 1 [ci-après Berryman]).

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dans une affaire de violation de droit de propriété intellec-tuelle11.

Dans ce jugement, la Cour d’appel d’Angleterre a énoncétrois conditions de base pour l’existence d’un tel recours :

There are three essential pre-conditions for the making of such anorder, in my judgment. First, there must be an extremely strongprima facie case. Secondly, the damage, potential or actual, must bevery serious for the plaintiff. Thirdly, there must be clear evidencethat the defendants have in their possession incriminating docu-ments or things, and that there is a real possibility that they maydestroy such material before any application inter partes can bemade.12

Le développement de l’ordonnance Anton Piller en droitanglais fut très rapide. Selon l’auteur Berryman entre 1975 et1980, environ 500 ordonnances furent rendues par année13. Cenombre a diminué au cours des années 1990, passant à environ 50ordonnances par an, ce qui reflète certaines réticences de la partdes tribunaux provoquées par des abus de droit, des annulationsd’ordonnances et le paiement au défendeur de dommages compen-satoires.

La propension des tribunaux anglais à accorder trop fré-quemment les ordonnances Anton Piller fut d’ailleurs critiquéedans l’affaire Columbia Pictures Industries Inc. c. Robinson14.

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11. Supra, note 5, résumé. « The plaintiffs were foreign manufacturers who ownedthe copyright in the design of a high frequency converter used to supply compu-ters. They learnt that the defendants, their English agents, were planning tosupply rival manufacturers with information belonging to the plaintiffs whichwould enable their rivals to produce a similar product. The plaintiffs wished torestrain the defendants from infringing the copyright, using confidential infor-mation or making copies of their machines, but they were afraid that the defen-dants, if notified, would take steps to destroy the documents or would send themout of the jurisdiction so that there would be none in existence by the time theaction reached the stage of discovery of documents. »

12. Ibid., à la p. 784.13. Supra, note 10, à la p. 1.14. Columbia Pictures Industries Inc. c. Robinson, [1987] 1 Ch. 38 (R.-U.), à la p. 76 :

« What I have heard in the present case has disposed me to think that the prac-tice of the court has allowed the balance to swing much too far in favour of plain-tiffs and that Anton Piller orders have been too readily granted and withinsufficient safeguards for respondents. The Draconian and essentially unfairnature of Anton Piller orders from the point of view of respondents againstwhom they are made requires, in my view, that they be so drawn as to extend nofurther than the minimum extent necessary to achieve the purpose for whichthey are granted, namely, the preservation of documents or articles whichmight otherwise be destroyed or concealed. Anything beyond that is, in my judg-ment, impossible to justify. »

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L’arrêt Lock International plc c. Beswick est au même effet15.

Les cours accordent maintenant beaucoup d’importance à laprotection des droits du défendeur.

Les mesures de protection en droit anglais sont allées jusqu’àl’attribution de dommages-intérêts en cas d’utilisation mal fondéeet abusive du recours à l’ordonnance Anton Piller, comme ce fut lecas dans l’affaire Columbia Pictures déjà citée16.

Le droit anglais en matière d’ordonnance Anton Piller cul-mina en 1997 par l’adoption d’une législation spéciale reconnais-sant de façon expresse ce type d’ordonnance et lui conférant deplus, le titre de « search order » (« ordonnance de perquisition »)17.

C. L’ordonnance Anton Piller en droit canadien :son développement à la Cour fédérale du Canada

La requête pour ordonnance Anton Piller est utilisée de façonassez fréquente devant notre Cour fédérale, particulièrementdans les cas de violation de propriété intellectuelle18.

Parmi les décisions rendues, notons l’arrêt Nintendo of Ame-rica Inc. c. Coinex Video Games Inc.19, portant sur les activités illé-gales de piratage de jeux électroniques et où une ordonnanceAnton Piller fut rendue en raison du fait que la preuve déposée parla demanderesse au soutien de la demande d’ordonnance exposaiten détail les dommages qu’elle subissait. Entre autres, preuve futfaite que le nombre de jeux électroniques piratés et copiés surpas-sait le nombre de jeux originaux. La preuve démontrait aussi qu’ily avait un risque sérieux et réel ou possible que la défenderessedétruise ou fasse disparaître la preuve (jeux électroniques piratéset copiés), puisqu’elle avait déjà changé d’identité corporative à

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15. Lock International plc c. Beswick, [1989] 1 W.L.R. 1268, à la p. 1279 (R.-U).« The practice of the court has allowed the balance to swing much too far infavour of plaintiffs and that Anton Piller orders have been too readily grantedand with insufficient safeguards for respondents. »

16. Supra, note 14, à la p. 87.17. Civil Procedure Act 1997 (R.-U.), c. 12, s. 7.18. Notons par ailleurs que l’utilisation des articles 52 de la Loi sur les marques de

commerce (L.R.C. (1985), c. T-13) et 34.1 et 38.1 de la Loi sur les droits d’auteur(L.R.C. (1985) c. C-42) permet un recours semblable à l’ordonnance AntonPiller.

19. Nintendo of America, Inc. c. Coinex Video Games Inc., [1983] 2 C.F. 189.

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maintes reprises dans le passé et avait aussi déjà déplacé, détruitou caché le matériel piraté en question après avoir été mise endemeure.

Dans le cadre de son analyse du recours, la Cour d’appel fédé-rale reprend les conditions énumérées dans la décision Anton Pil-ler20 :

Tout d’abord, il faut un commencement de preuve très solide.Deuxièmement, le préjudice réel ou possible doit être grave pour lerequérant. Troisièmement, il faut la preuve manifeste que lesdéfendeurs ont en leur possession des documents ou des objets pou-vant servir de pièces à conviction et qu’il est réellement possible queles défendeurs détruisent ces pièces avant que puisse être intro-duite une demande inter partes.21

Ce passage est depuis cité par nos tribunaux comme reflé-tant les conditions requises pour l’autorisation du recours.

D. L’ordonnance Anton Piller reconnue au Québec

D’après les propos tenus par la Cour supérieure, dansl’affaire Tossi Internationale Inc. c. Las Vegas Creations Inc., ils’agirait de la première ordonnance de type Anton Piller rendue endroit québécois22. Suite à cette décision, d’autres décisions furentrendues sur le sujet, dont certaines seront mentionnées plus loin.

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20. Supra, note 5.21. Supra, note 19, à la p. 198.22. Tossi Internationale Inc. c. Las Vegas Creations Inc., [1993] R.J.Q. 1482 (C.S.),

résumé. « La requête a été entendue ex parte, compte tenu de ses conclusions. Lademanderesse a déjà obtenu la délivrance d’un bref de saisie avant jugement envertu de l’article 734 paragraphe 1 C.P. Cette procédure est insuffisante pourque la demanderesse puisse atteindre les buts visés par la Loi sur le droitd’auteur. L’injonction Anton Piller, qui provient de la jurisprudence anglaise,est reconnue par la jurisprudence canadienne dans les cas reliés au droitd’auteur. De plus, il n’y a aucun autre recours efficace en vertu de la loi et il estnécessaire d’avoir recours à ce remède. Par ailleurs, le Code de procédure civileet la jurisprudence québécoise renvoient à la common law et reconnaissent quela cour supérieure a un pouvoir inhérent dans certaines circonstances. Enfin, cetype de requête, à caractère exceptionnel, doit satisfaire aux critères établis parla jurisprudence en matière d’injonction. Étant donné que la demanderesse, envertu de l’article 38 de la Loi sur le droit d’auteur, est réputée propriétaire detous les exemplaires contrefaits en litige, que les affidavits et les pièces dépo-sées en preuve démontrent de façon flagrante le droit de la demanderesse etqu’elle doit avoir accès aux documents appartenant aux défenderesses afin depouvoir présenter la preuve requise par la Loi sur le droit d’auteur, la requêteest accueillie. »

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Puis, comme nous l’avons mentionné précédemment, le 25octobre 2002, la Cour d’appel du Québec s’est penchée sur la vali-dité d’une ordonnance Anton Piller en droit civil québécois dansl’arrêt Raymond Chabot23.

Il s’agit ici d’une cause où un employé de la demanderesse,Groupe AST (1993) Inc. (« AST »), a démissionné et s’est joint à lafirme Raymond Chabot SST Inc., un compétiteur direct de lademanderesse dans le domaine des services-conseils en matièrede santé et sécurité au travail. La demanderesse, convaincueque son employé avait apporté avec lui chez le compétiteur desdocuments et études traitant de divers dossiers-clients de AST,s’adresse à la Cour pour obtenir, entre autres, une ordonnanceAnton Piller.

Suite à un jugement de la Cour supérieure accordant lademande, appel est fait afin de faire biffer les paragraphes dujugement de première instance constituant des conclusions detype Anton Piller.

La Cour d’appel, suite à une revue de la doctrine et de la juris-prudence sur le sujet, analysa les questions soulevées par les par-ties défenderesses qui, somme toute, « remettaient en cause lapossibilité que de telles ordonnances soient validement pronon-cées au Québec à cause du cadre législatif particulier qui s’yretrouve »24.

La Cour d’appel indique d’abord :

Cela étant dit, j’admets qu’il n’existe pas dans le Code de procédurecivile de dispositions autorisant spécifiquement une mesurehybride comme une ordonnance de type Anton Piller, qui tient à lafois de la saisie et de l’injonction. J’admets aussi que les règles rela-tives aux saisies avant jugement ne permettent pas d’aller recueil-lir de la preuve par une telle saisie, comme l’a souligné notre Courdans l’arrêt Expo Foods Canada Ltd. c. Sogelco International Inc.Enfin, je reconnais volontiers que, selon l’article 751 du Codede procédure civile, une injonction consiste normalement en uneordonnance de faire ou de ne pas faire et non en une ordonnance delaisser saisir des biens.

Toutefois, il me paraît important de ne pas oublier l’existence desarticles 20 et 46 du Code de procédure civile.

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23. Supra, note 4.24. Ibid., au par. 53.

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[...]

D’une part, il n’y a pas dans le Code de procédure civile de disposi-tions interdisant spécifiquement ce genre d’ordonnance. D’autrepart, il s’agit d’une ordonnance dont l’objet est différent de celui visépar les ordonnances de saisie avant jugement ou les ordonnancesd’injonction usuelles.25

Finalement, la Cour d’appel, maintenant l’ordonnanceAnton Piller, conclut :

En définitive, je suis d’avis qu’il n’y a pas incompatibilité entre lesrègles du Code de procédure civile et l’existence d’ordonnances detype Anton Piller et que les tribunaux peuvent prononcer de tellesordonnances au Québec en vertu des articles 20 et 46 du Code deprocédure civile.26

Toutefois, comme le faisait remarquer la Cour supérieuredans l’affaire Julien Inc. c. Québec Métal Recyclé (F.N.F.) Inc.,bien que le recours soit recevable, il ne doit être accordé que dansles cas extrêmes27.

E. L’ordonnance Anton Piller et les Chartes canadienneet québécoise

L’ordonnance Anton Piller est maintenant connue ici, toutcomme au Royaume Uni, sous le terme général d’ordonnance de« se laisser perquisitionner » (search order). Toutefois, la force etl’impact de l’ordonnance, l’étendue des droits qu’elle confère audemandeur et le fait qu’elle soit rendue ex parte, suscitent la cri-tique et l’inquiétude quant au respect des droits du défendeurdécoulant de l’article 8 de la Charte canadienne qui offre une pro-tection contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives28. Ceci

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25. Ibid., aux par. 57 à 60.26. Ibid., au par. 66.27. Julien Inc. c. Québec Métal Recyclé (F.N.F.) Inc., [2002] R.J.Q. 1079 (C.S.)

[ci-après Julien Inc.], à la p. 1085. « Dans l’arrêt Thermax Ltd. c. Schott Indus-trial Glass Inc., le juge Donaldson voit l’injonction « Anton Piller » comme unemenace pour les droits du défendeur et comme une invasion dans la vie de cedernier, qui n’a pu se défendre (ex parte). Le recours à ce type d’ordonnance amême été qualifié de « one of the law’s two nuclear weapons ». Cette expressionlaisse entrevoir que le recours à l’ordonnance « Anton Piller » doit être utiliséavec circonspection et seulement dans des cas extrêmes. Sa recevabilité doitdonc être encadrée en fonction de conditions d’application strictes. »

28. P. GODIN, « Anton Piller Orders in an Age of Scepticism : Charter Applicationand Other Safegards for Judicially Ordered Civil Searches », (1996) 54(1) U.T.Fac. L. Rev. 107.

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est d’ailleurs régulièrement soulevé dans le cadre des requêtes encassation, sujet qui sera abordé davantage plus loin.

Notons pour le moment que quant à la Charte canadienne, laCour suprême du Canada dans l’arrêt SDGMR c. Dolphin Deli-very Ltd.29 a unanimement décidé que la Charte ne s’appliquaitqu’aux actions gouvernementales et non pas aux litiges entre par-ties privées.

Quant au droit québécois, la Cour d’appel du Québec adébattu de ces questions dans l’arrêt Raymond Chabot, déjà cité.La Cour s’est penchée entre autres sur l’application de l’article 9.1de la Charte québécoise ainsi que de l’article 2858 du Code civil duQuébec dans le contexte d’une ordonnance Anton Piller. La Courd’appel a, dans les faits, conclu qu’une ordonnance Anton Piller neviole pas les droits fondamentaux, dans la mesure où l’ordonnanceest conforme aux conditions déterminées par la jurisprudence30.

La Cour d’appel du Québec a donc consacré et reconnul’existence et la légalité, sous réserve des conditions mentionnéesci-après, de l’ordonnance Anton Piller en droit québécois.

2. CONDITIONS REQUISES POUR OBTENIR UNEORDONNANCE D’INJONCTION ANTON PILLER

A. Quant à l’injonction provisoire

Outre les conditions ci-après mentionnées, développées pourles ordonnances Anton Piller, il faut se rappeler qu’il peut s’agirégalement d’une injonction provisoire obtenue ex parte. Ainsi, les

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29. SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573.30. Supra, note 4, au par. 71. « Il ressort de ces deux articles l’idée que les droits et

libertés fondamentaux ne peuvent être invoqués en tout temps, d’une façonabsolue, sans tenir compte des circonstances de l’espèce. Selon l’article 9.1 de laCharte, l’exercice de ces droits et libertés s’effectue en tenant compte « desvaleurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens duQuébec ». Il y a donc là un équilibre qu’il appartient aux tribunaux d’assurer. »La Cour ajoute aux par. 74 et 75 : « En ayant à l’esprit l’article 9.1 de la Charte etl’article 2858 du Code civil du Québec, un tribunal saisi d’une requête où sontclairement démontrées les trois conditions exigées pour le prononcé d’uneordonnance de type Anton Piller doit-il accueillir une telle requête ? Je suisd’avis qu’il y a lieu de répondre affirmativement. En effet, je crois que dans lescirconstances mentionnées ci-dessus, c’est le rejet d’une telle requête et non sonaccueil qui serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. LaCharte des droits et libertés de la personne, comme l’indique son article 9.1 nevise pas à permettre à l’auteur d’un dommage de se soustraire à ses obligationsen l’autorisant à supprimer les preuves de sa faute. »

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conditions établies par la jurisprudence quant aux demandesd’injonction provisoires, à savoir : (i) un droit apparent clair ;(ii) un préjudice irréparable ; (iii) la balance ou le poids des incon-vénients et (iv) l’urgence de la situation, doivent être remplies.

Outre ce qui précède, la jurisprudence a énoncé des condi-tions particulières à respecter pour qu’une ordonnance AntonPiller soit accordée.

C’est d’ailleurs ce qu’a mentionné la Cour supérieure dansl’affaire Semences Prograin Inc. c. Aalexx International Inc. et al.,dans le cadre d’une demande d’injonction provisoire de type AntonPiller qui fut refusée31. Notons que dans cette affaire, la Coursupérieure s’est questionnée entre autres sur le critère de l’ur-gence d’agir et a conclu que l’urgence est un facteur qui doit êtreappliqué dans le cadre d’un recours de type Anton Piller32.

B. Quant à l’ordonnance Anton Piller

Les conditions établies sont les suivantes33 :

(i) Un droit d’action prima facie et un commencement de preuvetrès solide ou très convaincant ;

(ii) Un préjudice réel ou possible, très grave pour le demandeur(forte probabilité d’un préjudice ou d’un dommage sérieux ouirréparable) ;

(iii) Une preuve manifeste que le défendeur a en sa possessiondes documents ou des biens pouvant servir de preuve etqu’il est réellement possible (probabilité) que le défendeur

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31. Semences Prograin Inc. c. Aalexx International Inc. et al., AZ-50305809 (C.S.),aux par. 22, 23 et 24. « L’ordonnance de type « Anton Piller » est d’abord et avanttout une ordonnance d’injonction provisoire qui n’échappe pas aux quatre critè-res habituels que je dois analyser. Ces critères sont : l’urgence ; l’apparence dedroit ; le préjudice irréparable que subira la requérante si l’ordonnance n’estpas accordée ; la balance des inconvénients ou encore l’impact sur la requérantedans le cas où l’ordonnance n’est pas accordée, balancé à l’impact sur les inti-mées si l’ordonnance est accordée. Cependant, dans le cas d’une telle ordon-nance, une cinquième série de critères doivent être considérés, c’est-à-dire ceuxque la jurisprudence a retenus comme essentiels à l’octroi d’une ordonnance quin’est, ni plus ni moins, que l’équivalent d’une perquisition totale et complète desbiens, livres, registres et propriétés des parties intimées, connues et mêmeinconnues. L’ordonnance « Anton Piller » a d’ailleurs déjà été qualifiée « d’armenucléaire ». Elle doit donc être utilisée avec circonspection. »

32. Ibid., aux par. 38 à 43.33. Supra, note 19, à la p. 198.

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détruise cette preuve avant que ne puisse être introduite unedemande inter partes ; et nous ajoutons,

(iv) Une pleine et entière divulgation des faits pertinents.

(i) Un droit d’action prima facie et un commencementde preuve très solide ou très convaincant

Pour satisfaire cette première condition nécessaire au pro-noncé d’une ordonnance de type Anton Piller, il a souvent été ditque le demandeur doit faire la preuve « d’un droit d’action primafacie fort ou très convaincant »34.

La Cour d’appel dans l’affaire Raymond Chabot35 a repris unpassage de l’auteur Ovadia36, qui lui-même citait l’arrêt de la Courfédérale Adobe Systems Inc. c. KLJ Computer Solutions Inc.37,citant à son tour l’arrêt Nintendo38, où on décrit plutôt cettepremière condition comme un « commencement de preuve trèssolide ». L’affaire Semences Prograin Inc., déjà citée, de la Coursupérieure, est également éloquente à ce sujet39.

Ce « commencement de preuve très solide » se fera à l’aided’affidavit(s) et de pièces démontrant prima facie le droit aurecours extraordinaire demandé.

À titre d’exemple, notons que dans l’affaire Nintendo40, déjàcitée, le demandeur déposa à titre de preuve prima facie, non

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34. D. OVADIA, « L’Ordonnance Anton Piller : développement en droit canadien »,dans Service de la formation permanente du Barreau du Québec, Développe-ments récents en droit de la propriété intellectuelle, vol. 157, Cowansville, Édi-tions Yvon Blais, 2001, 487, aux p. 489-490.

35. Supra, note 4, au par. 49.36. Supra, note 34, aux p. 489-490.37. Adobe Sytems Inc. c. KLJ Computer Solutions Inc., [1999] 3 C.F. 621.38. Supra, note 19.39. Supra, note 31, aux par. 45-46. « Ce critère est applicable que l’on considère

l’ordonnance recherchée sous le volet injonction ou sous le volet ordonnance« Anton Piller ». Qui plus est, l’ordonnance « Anton Piller » resserre le concept ensuggérant que la requérante doit faire preuve d’un droit ou d’une apparence dedroit très sérieuse (... « extremely strong prima facie case »... selon les mots utili-sés par le juge Ormrod dans « Anton Piller » K.G.) Que doit-on entendre par lesmots « extremely strong » ? Sommes-nous toujours dans le test traditionnel de la« serious issue to be tried » de American Cyanamid ? Je suis d’avis que dans lecas spécifique d’une ordonnance « Anton Piller », il faut aller plus loin et plushaut que le test en question. Il faut que le droit de la partie requérante soit à cepoint clair (sans être irréfragable) que l’on ne puisse espérer le mettre en brèchefacilement. Le degré de conviction du sérieux du droit invoqué pourra cepen-dant varier selon les circonstances. » (nos italiques)

40. Supra, note 19.

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seulement un affidavit d’un dirigeant de la compagnie, mais éga-lement ceux de ses enquêteurs privés, traitant entre autres d’ad-mission de contrefaçon de la part des défendeurs.

Il est à noter qu’en matière de contrefaçon ou de violation auxdroits de propriété intellectuelle, domaines du droit où ce typed’ordonnance est accordé le plus souvent, les tribunaux ont énoncécomme première condition, la démonstration par le demandeurd’une apparence de droit de propriété, droit qui ferait l’objet d’uneusurpation ou d’une violation par le défendeur41.

Toutefois, tout comme pour la délivrance d’une injonctioninterlocutoire, le fardeau de preuve exigé du demandeur pourdémontrer son droit à l’ordonnance de type Anton Piller n’est pasaussi important qu’il le serait lors de l’audition au fond42.

(ii) Un préjudice réel ou possible, très grave pourle demandeur (forte probabilité d’un préjudiceou d’un dommage sérieux ou irréparable)

Comme deuxième condition à remplir, le demandeur doiténoncer dans sa requête, appuyée des affidavit(s) et pièces néces-saires, le préjudice réel ou possible, très grave qu’il subit. On parleici d’un préjudice ou d’un dommage sérieux ou irréparable.

Ainsi, le demandeur doit énoncer que le préjudice pécuniaire,en plus de représenter des sommes d’argent importantes, est diffi-cilement quantifiable. Le demandeur peut aussi alléguer, preuveà l’appui, que par les gestes et actes du défendeur, il continue desubir une perte de réputation et de crédibilité envers ses fournis-seurs et ses clients, ce qui entraîne indubitablement une perte demarché et de revenus. De plus, le demandeur peut alléguer,preuve à l’appui, qu’il subira un préjudice réel et grave si la pré-sente ordonnance ne lui était pas accordée, puisqu’il ne serait pasen mesure d’évaluer le préjudice qu’il subira en raison des activi-tés illégales du défendeur.

En effet, l’étendue des dommages subis par le demandeur, depar leur nature, n’est souvent connue qu’après l’exécution d’uneordonnance de type Anton Piller qui permettra d’avoir accès à la

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41. Voir, à ce sujet, les propos de J.A. LÉGER, « Analyse et Évolution des Ordon-nances Anton Piller et Mareva au Canada », (1990) 2 C.P.I. 377 [ci-après J.A.Léger], à la p. 383.

42. Ibid., à la p. 382.

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liste des clients, à l’état des ventes, aux factures, aux inventaires,aux documents comptables du défendeur, de même qu’aux autresinformations pertinentes au litige. Parfois, l’exécution permettramême d’obtenir de l’information sur d’autres défendeurs poten-tiels (i.e. fournisseurs, compétiteurs, etc.).

Ainsi, dans plusieurs cas, en l’absence d’une telle preuve,toute évaluation des dommages que pourrait faire le demandeurresterait spéculative.

Sur cette question de préjudice irréparable, les propos tenuspar la Cour suprême dans l’arrêt RJR-Macdonald Inc. c. Canada(P.G.) sont éloquents43. Par ailleurs, la Cour d’appel dans l’arrêtH. & R. Block Canada Inc. c. Trudeau et al., où il s’agissait d’unecause d’injonction interlocutoire, élabore également sur cettequestion de préjudice44.

À titre d’exemples concrets, dans l’affaire Nintendo45, déjàcitée, ce fardeau de preuve a été rempli « par des affirmations surla rapidité avec laquelle les défendeurs contrefacteurs avaient

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43. RJR-Macdonald Inc. c. Canada (P.G.), [1994] 1 R.C.S. 311, à la p. 341. « Leterme « irréparable » a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu’à sonétendue. C’est un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaireou un préjudice auquel il ne peut être remédié, en général parce qu’une partie nepeut être dédommagée par l’autre. Des exemples du premier type sont le cas oùla décision du tribunal aura pour effet de faire perdre à une partie son entre-prise (R.L. Crain Inc. c. Hendry (1988), 48 D.L.R. (4th) 228 (B.R. Sask.)) ; le casoù une partie peut subir une perte commerciale permanente ou un préjudice irré-médiable à sa réputation commerciale (American Cyanamid, précité) ; ou encorele cas où une partie peut subir une perte permanente de ressources naturelleslorsqu’une activité contestée n’est pas interdite (MacMillan Bloedel Ltd. c. Mul-lin, [1985] 3 W.W.R. 577 (C.A.C.-B.)). Le fait qu’une partie soit impécunieusen’entraîne pas automatiquement l’acceptation de la requête de l’autre partiequi ne sera pas en mesure de percevoir ultérieurement des dommages-intérêts,mais ce peut être une considération pertinente (Hubbard c. Pitt, [1976] Q.B. 142(C.A.)). » [nos italiques]

44. H. & R. Block Canada Inc. c. Trudeau et al., REJB 2000-19345 (C.A.), aupar. 12. « Quant au préjudice, il n’est pas exclusivement monétaire. La clause denon-concurrence vise à protéger l’espace exclusif du franchiseur qui voudrait yimplanter un nouveau franchise. La perte de clientèle est également difficile-ment mesurable et par conséquent malaisément quantifiable. Cela signifie quele préjudice est établi et qu’il est d’autant plus important que le droit del’appelante est clair. »

45. Supra, note 19. Voir aussi d’autres exemples cités par Daniel S. DRAPEAU,dans son ouvrage « L’Abézedaire des ordonnances Anton Piller et des sai-sies-revendication en droits fédéral et québécois », dans Service de la formationpermanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit de la pro-priété intellectuelle, vol. 215, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2004, p. 1, à lap. 9 [ci-après D.S. Drapeau].

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pénétré le marché du demandeur en l’inondant de copies contre-factrices pour environ la moitié du prix, les défendeurs épargnantévidemment tous les coûts de recherche et de développement »46.

De plus, il fut mentionné récemment dans une affaire onta-rienne de piratage de signaux satellites, DirecTV, Inc. c. Toth et al.(jugement non rapporté) que « the potential for damage to theplaintiff from the use of altered cards with the resulting loss ofsubscription revenues is obvious »47. Une cause similaire plusrécente de Bell ExpressVu c. Pomeroy et al. est au même effet48.

(iii) Une preuve manifeste que le défendeur a en sapossession des documents ou des biens pouvantservir de preuve et qu’il est réellement possible ouprobable que le défendeur détruise cette preuveavant que ne puisse être introduite une demandeinter partes

Dans les conditions énumérées par la Cour d’appel d’An-gleterre dans l’arrêt Anton Piller49, on note que la conditionsemblant être la plus importante pour obtenir l’autorisation durecours est celle reliée au risque de destruction50. La Cour supé-rieure dans l’affaire Semences Prograin Inc., déjà citée, note elleaussi la particularité de cette condition51. De plus, dans l’arrêt

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46. Supra, note 41, à la p. 383.47. DirecTV, Inc. c. Toth et al. (26 mars 2002), 02-CV-226455CM3 (Ont. Sup. Ct.),

au par. 8 [ci-après DirecTV].48. Bell ExpressVu c. Pomeroy et al. (26 septembre 2002), 02-CL-4687 (Ont. Sup.

Ct.), au par. 4 [ci-après Bell ExpressVu]. « Given the nature of the piracy invol-ved, including the boasted about large sales and the ability of the adjusted (the-reby becoming counterfeit) devices to be copied and reprogrammed, there is asignificant risk to the ongoing business of the plaintiff and an indeterminate,but highly expensive, amount of expense anticipated to be incurred in thefuture (as well as millions of dollars in the past) in attempts to stop this type ofpiracy. Thus there is the material risk of serious harm. »

49. Supra, note 5.50. Supra, note 5, à la p. 783 « It seems to me that such an order can be made by a

judge ex parte, but it should only be made where it is essential that the plaintiffshould have inspection so that justice can be done between the parties ; andwhen, if the defendant were forewarned, there is a grave danger that vital evi-dence will be destroyed, that papers will be burnt or lost or hidden, or takenbeyond the jurisdiction, and so the ends of justice be defeated : and when the ins-pection would do no real harm to the defendant or his case. » (nos italiques)

51. Supra, note 31, aux par. 28-29. « Ainsi la condition la plus particulière que l’ondoit considérer (par rapport notamment aux autres conditions habituelles del’injonction provisoire) est la nécessité de démontrer que sans une telle ordon-nance il existe une probabilité sérieuse de disparition ou de destruction de

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Youssif c. Salama, où il s’agissait d’un cas d’une dette due, et où onalléguait que des documents reliés à la dette et la prouvant, ris-quaient d’être détruits, la Cour d’appel se posa plusieurs ques-tions sur les risques de destruction52. Enfin, une autre décisionqui analyse particulièrement cette condition du risque que lapreuve soit détruite est l’affaire Godin c. Restaurants St-HubertBBQ Inc.53.

Est-ce un fardeau de preuve difficile à remplir ? Oui, mais ilest surmontable.

Considérant les difficultés de faire la preuve qu’il est réelle-ment possible que le défendeur détruise ces pièces à convictionavant que ne puisse être introduite une demande inter partes,les tribunaux ont accepté de présumer de ce risque à partir du

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biens ou de documents nécessaires à l’établissement des droits de la partierequérante. Dans Swedac Limited et al. c. Magnet & Southern PLC I., [1989]F.S.R. 243 at 248, on lit : « It is, of course, the fundamental and essential founda-tion for an Anton Piller order that the court is satisfied by evidence that there is astrong probability that, if the order is not made ex parte, the defendant will des-troy or conceal evidence or otherwise pervert the course of justice. » (nos itali-ques). Plus près de nous dans Chin-Can Communication Corp. et al. c. ChineseVideo Center Ltd. et al., (1983) 70 CPR (2d) 184 (C.F.), le juge Addy a refuséd’émettre une ordonnance de ce type au motif d’absence de preuve que les objetscontrefaits puissent être détruits avant la signification des procédures judiciai-res. Dans une autre affaire de Thermax Ltd. c. Schott Industrial Glass, (1989)FSP 282 at 291-292 on enseigne : « ...But in weighing what a company is likely todo, how it will react and what steps it will take, it is in my judgement very rele-vant to consider who are the directors of the company when assessing whetherit is a company of a type which is likely to act in a way which is unlawful or toallow its servants so to do. [...] One has to remember that Lord Denning used thewords « grave danger » twice in the passages that I read and referred to therehaving to be « grave danger of property being smuggled away or of vital evidencebeing destroyed. » I think in weighing the probability of such steps being takenthe nature of the company in question and its control is very relevant. » [nos ita-liques]

52. Youssif c. Salama, [1980] 3 All E.R. 405, à la p. 408. « First, are the documentssought to be seized essential to the plaintiff’s case ? If so, are such documents atserious risk (of being dishonestly destroyed) ? »Puis la Cour d’appel indique à la page 406 : « In many cases such an order wouldnot be granted. But in this case, there is evidence (if it is accepted) which showsthe first defendant to be untrustworthy. The plaintiff has a legitimate fear thatthe documents will be destroyed. »Et enfin, la Cour énonce également à la page 407 : « [...] there is a very clearprima facie case leading the court to fear that the defendant will conceal or des-troy essential evidence in the grossest possible contempt of the court, and (thisis an important second limb) that should he do so the whole processes of justicewill be frustrated because the plaintiff will be left without any evidence toenable him to put forward his claim. »

53. Godin c. Restaurants St-Hubert BBQ Inc., J.E. 98-2188 (C.S.).

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comportement malhonnête du défendeur54. La décision DunlopHoldings Limited v. Staravia Limited de la Cour d’appel del’Angleterre est particulièrement éloquente à ce sujet55.

Dans l’affaire DirecTV, déjà citée, la demanderesse qui estdistributeur de signaux de programmation télévisée par satellite,demandait le prononcé d’une ordonnance de type Anton Piller àl’encontre du défendeur, vendeur de matériel de piratage satellite.La Cour dans cette affaire a également regardé la question durisque de destruction et a finalement autorisé le recours56. Ce futle cas également dans l’affaire similaire Bell ExpressVu déjà citée,où la Cour indique, dans le cadre de ses motifs autorisant uneordonnance de type Anton Piller, que les activités de piraterie etles méthodes d’affaires frauduleuses des défendeurs permettentde conclure qu’en l’absence de l’ordonnance, il existerait un risqueimportant de destruction ou de camouflage de la preuve57.

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54. Voir à ce sujet les propos de Léger, supra, note 41, à la p. 384. « Évidemment, lapreuve directe que le défendeur agira de cette façon n’est pas facile, bien quenon insurmontable, surtout que depuis les cours au Canada, comme aupara-vant en Angleterre, ont quelque peu atténué le fardeau de preuve du deman-deur à cet égard. Par exemple, dans l’affaire Nintendo, le demandeur a soulevéune inférence découlant du fait que les compagnies visées n’étaient que desimples « vehicles of convenience » (expédients) capables de relocaliser ou dedisposer des biens contrefacteurs avec beaucoup de facilité pour ensuite sedissoudre. »Voir aussi D.S. Drapeau, supra, note 45, aux p. 10, 11 et 37.

55. Dunlop Holdings Limited c. Staravia Limited, [1982] 3 Can. L.R. 3 (L.A.).« Although in the original Anton Piller case [...], there was clear evidence of thepossibility that the evidence might be destroyed, it has certainly become custo-mary to infer the probability of disappearance or destruction of evidence whereit is clearly established on the evidence before the court that the defendant isengaged in a nefarious activity which renders it likely that he is an untrustwor-thy person. It is seldom that one can get cogent or actual evidence of a threat todestroy material or documents, so it is necessary for it to be inferred from theevidence which is before the court. »

56. Supra, note 47, au par. 8. « There is no doubt that the defendants have suchmaterial in their possession and given the nature of the activities in which theyare engaged there is every reason to believe that if advance notice were given ofthis motion, the material might well be destroyed. »

57. Supra, note 48, au par. 6. « The record indicates that the defendants Citywideand King have in their possession or under their control the counterfeit devices,apparently in large numbers. Given the nature of piracy and the relatively sur-reptitious way that the business has been conducted and the conclusion as tothe knowledge of illegality, I am satisfied that if notice of these proceedingswere given prior to the requested Anton Piller order and injunction being ser-ved on Citywide and King, the counterfeit devices and ancillary documentation,including material and information as to suppliers and customers, would bedestroyed or otherwise secreted. »

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Par ailleurs, dans une autre cause de piratage de signauxsatellite, Ontario Realty Corp. c. P. Gabriele & Sons Ltd. (2000), laCour, reprenant un passage de l’auteur P. Godin, déjà cité58, rap-pelle que les méthodes traditionnelles d’interrogatoires au préa-lable ne sont plus suffisantes dans les cas de fraude et contrefaçon,en particulier parce que les données informatiques souvent utili-sées peuvent être facilement détruites ou camouflées59.

Plus près de nous, dans l’affaire Julien Inc., la Cour supé-rieure s’exprime ainsi quant à la réelle possibilité que les défen-deurs détruisent de la preuve :

En effet, même s’il est impossible de démontrer avec certitude queMétal Recyclé détruira ou altérera l’information ou la documenta-tion recherchée par Julien, les allégations contenues à la déclara-tion assermentée de Sylvain Ouellet décrivant le stratagème utilisécontre Julien, soit l’utilisation de moyens malhonnêtes ou fraudu-leux pour la priver de certaines sommes d’argent lui revenant,paraissent suffisantes pour permettre au Tribunal d’en inférer qu’ilpourrait y avoir risque de destruction ou d’altération de documentsconcernant les transactions intervenues avec Julien et GhislainCroteau.60

Le demandeur devra donc prouver au tribunal que le défen-deur, par des agissements passés ou présents, ou en raison ducontexte « illégal » dans lequel ce dernier opère, sera incité àdétruire ou à cacher les éléments de preuve pertinents s’il y avaitsignification régulière des procédures, ce qui empêcherait ainsi lajustice de suivre son cours et le demandeur d’obtenir justice. Lapreuve d’éléments de fraude représente le genre d’agissement quipermet habituellement de respecter ce critère.

(iv) Une pleine et entière divulgation des faits pertinents

Bien qu’il ne s’agisse pas d’une condition d’autorisationdu recours telle qu’énoncée précédemment, dans les faits, toute

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58. Supra, note 28.59. Ontario Realty Corp. c. P. Gabriele & Sons Ltd. (2000), 50 O.R. (3d) 539 (Ont.

S.C.J. (Comm. List)), à la p. 546. « Traditional judicial methods of discovery areincapable of dealing with many modern cases of patent infringement, tradesecret theft, entertainment piracy, etc. Evidence of the infringement, such ascomputer records, computer programs, and portable electronic circuitry, caneasily be erased, destroyed, or hidden, and suppliers of pirated material areboth difficult to identify and highly mobile. »

60. Supra, note 27, au par. 38.

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demande ex parte, particulièrement dans le cas d’une demanded’ordonnance Anton Piller, se doit d’avoir fait l’objet devant le tri-bunal d’une pleine et entière divulgation des faits pertinents, sousrisque d’être cassée dans le cas contraire.

En effet, puisque le pré-requis pour l’obtention d’une ordon-nance Anton Piller est la nécessité de protéger une preuve maté-rielle vitale concernant par exemple du matériel piraté, illégal oucontrefait, ou encore des documents incriminants mentionnantles noms, adresses de clients, fournisseurs, manufacturiers, com-plices, associés, etc., et puisque qu’il doit y avoir des risques quecette preuve soit détruite ou cachée s’il y avait signification régu-lière de la requête en ordonnance Anton Piller, il est nécessaireque l’ordonnance soit obtenue ex parte61.

Toutefois, l’une des conditions d’un tel recours ex parte estque le demandeur est tenu de divulguer et d’alléguer, dans sarequête pour ordonnance Anton Piller, tous les faits dont il aconnaissance, avantageant ou non sa position, afin que le juge soità même de saisir, analyser et comprendre la situation, pour ainsilui permettre de rendre une décision (ordonnance) éclairée, fondéesur toutes les informations connues, nécessaires et requises62.

Toute dissimulation de faits par le demandeur ou son procu-reur peut entraîner une annulation de l’ordonnance et engager laresponsabilité du demandeur en dommages-intérêts compensa-toires à être versés au défendeur63. L’auteur Jacques A. Léger fait

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61. Voir les propos de Léger à ce sujet, supra, note 41, à la p. 380. En effet, si larequête pour ordonnance Anton Piller était, comme c’est normalement le cas,signifiée avec un avis de présentation, et même si l’avis de présentation étaittrès court (ex. : quelques heures), « l’effet de surprise » serait nul, permettantainsi au défendeur d’avoir le temps de faire disparaître la « preuve ».

62. Supra, note 27, à la p. 1085. « Le requérant doit cependant dévoiler, dans sa pro-cédure, tous les faits dont il a connaissance pour permettre au juge de rendreune ordonnance en ayant toutes les informations requises. Il est de l’essence dece type d’ordonnance que l’avocat du requérant dévoile tout ce qu’il sait, sansdistinction. »

63. Supra, note 15, à la p. 1279. « In a later affidavit, Mr. Hockley says that the fai-lure to disclose the post-1987 financial information was inadvertent. I acceptthis explanation. But the usual penalty for material non-disclosure, whetherinadvertent or not, is the discharge of the ex parte order, although I have a dis-cretion to maintain the order (see Brink’s Mat Ltd. v. Elcombe, [1988] 1 W.L.R.1350) and if I were satisfied that no injustice had been caused to the defendants,I would do so. In this case, however, I am firmly of the view that the order shouldnever have been made. »

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une bonne analyse de la jurisprudence portant sur ce devoir dedivulgation du demandeur64.

Il ressort de cette jurisprudence que la pleine et entièredivulgation des faits pertinents est essentielle au recours et undéfaut de ce faire pourra entraîner des dommages, la cassation oules deux.

3. LA PRÉSENTATION DE LA REQUÊTE ET SONAUDITION

A. La présentation ex parte et in camera

Le moment de présentation de la requête est primordial. Eneffet, il doit s’ancrer dans une planification et une stratégie axéesur la possible exécution de l’ordonnance sans délai. Ainsi, larequête qui en est une de nature urgente, doit être présentée leplus rapidement possible afin d’éviter la destruction d’élémentsde preuve et de réduire l’impact négatif des gestes fautifs du

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64. Supra note 41, aux p. 386-387. « Ainsi, dans l’affaire Bardeau Ltd. et al. c.Crown Ford Service Equipment Ltd. et al., le juge Steel de la Haute Cour de jus-tice de l’Ontario a consenti à la demande du défendeur d’être libéré d’une ordon-nance Anton Piller qu’il avait lui-même émise quelques jours auparavant surune question de dessins industriels, brevets et de secrets de commerce. Danscette cause, la non-divulgation volontaire de certains faits matériels concernaitl’existence d’une action en instance impliquant un litige civil entre certainesdes mêmes parties. Pour arriver à cette décision de rescinder l’ordonnanceémise précédemment, le juge Steele cita avec approbation l’affaire ThermaxLtd. c. Schott Industrial Glass Ltd., dans laquelle la Haute Cour d’Angleterreavait considéré qu’une non-divulgation d’un fait matériel important, même debonne foi, peut être fatale lors de la révision par le tribunal de l’ordonnanceAnton Piller une fois signifiée. [...] Tandis qu’une autre cause anglaise, l’affaireBrink’s Mat Ltd. c. Elcombe, suggérait qu’il n’y avait pas de droit absolu à pou-voir rejeter une ordonnance ex parte obtenue sans révélation complète et volon-taire, elle établissait néanmoins clairement que le demandeur dans une tellerequête présentée ex parte se devait de faire preuve d’un lourd devoir de sincé-rité et de candeur pour assister la cour à prendre une décision éclairée. Ainsi,une omission sérieuse, sans nécessairement avoir pour conséquence de faireannuler l’ordonnance rendue, peut rendre le demandeur passible de dommages.C’est d’ailleurs cette position qui a été adoptée par la Haute Cour de justice del’Ontario dans l’affaire 424618 Ontario Ltd. c. Go Vacations G.P. Ltd., où le jugeHollingsworth exprime le point de vue que la non-divulgation devait êtreévaluée par rapport au préjudice que subirait le demandeur si son ordonnanceex parte devait être annulée. »Voir aussi D.S. Drapeau, supra, note 45, aux p. 12, 13 et 14, Swedac Limited etal. c. Magnet & Southerns plc., [1989] 1 Fleet Street Reports 243 ; 414618 Ont.Ltd. c. Go Vacations GP Ltd., [1987] WL 727915 (Ont. H.C.), 1987 CarswellOnt2315 et Pulse Microsystems Ltd. c. Safesoft Systems Inc., [1996] 134 D.L.R. (4th)701.

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défendeur. Toutefois, elle doit être présentée seulement lorsque lecommencement de preuve recueillie par le demandeur est « assezsolide » pour convaincre la Cour, car un jugement rejetant larequête pourrait et même devrait tout de même être transmis parla Cour au défendeur65, lui donnant le temps de détruire ou cacherla preuve avant que le demandeur n’ait pu bonifier sa preuve.Enfin, le moment choisi doit permettre l’exécution rapide del’ordonnance, en tenant compte du temps nécessaire à la bonnepréparation de l’exécution et de la durée de validité de l’ordon-nance.

L’ordonnance Anton Piller s’obtient donc de façon ex parte,sans signification au défendeur de la requête la demandant, et àhuis clos (souvent devant le juge en son bureau).

Pourquoi un tel niveau de secret ? Pour ne pas avertir et doncrisquer que le défendeur ne détruise la preuve avant qu’elle ne soitsaisie. Pour maintenir l’effet de surprise recherché, la rapidité etle secret sont nécessaires. La Cour reconnaît cette réalité, d’où cesmesures spéciales.

B. La suffisance prima facie de la preuve déposée(pièces et affidavit(s))

L’ensemble des procédures et le texte de l’ordonnance AntonPiller doivent être rédigés de façon claire et précise afin que lejuge, le défendeur, et toutes autres parties visées par l’ordonnance(i.e. le demandeur, les mises en cause, les John Doe, Jane Doe(cette notion est plus amplement approfondie plus loin), etc.),puissent facilement en comprendre les tenants et aboutissants.

Lors de la présentation de la requête, l’ensemble de la preuvedisponible sera l’élément essentiel analysé par la Cour. Consé-quemment, toutes les pièces disponibles recueillies par le deman-deur et démontrant son droit d’action, doivent être mises à ladisposition de la Cour. En effet, le tribunal doit justifier touteordonnance Anton Piller par un « commencement de preuve trèssolide ».

Finalement, la requête et les pièces doivent être appuyéesdes affidavits du demandeur et de toutes autres personnes impli-

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65. Art. 473 C.p.c.

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quées. Puisqu’à cette étape aucun témoignage n’est entendu, cesaffidavits constituent la preuve. Il est donc essentiel de s’assurerque les affidavits soutiennent toutes les allégations de la requêtesoumise.

C. La preuve est considérée pour avérée

Comme pour les autres types d’injonction, la jurisprudence aconfirmé que pour ce genre de recours, la preuve telle que pré-sentée, doit être tenue à l’étape de la demande, pour avérée.

4. LE CONTENU POSSIBLE DE L’ORDONNANCE

Dans l’affaire Adobe, déjà citée, la Cour suggère que l’ordon-nance inclue les points suivants :

1) L’entrée et la perquisition doivent être effectuées, aux mo-ments précisés, par l’avocat du demandeur, accompagné d’unnombre restreint de personnes autorisées par lui ;

2) L’avocat du demandeur doit informer la personne à qui estsignifiée l’ordonnance qu’elle peut consulter un avocat pourobtenir un avis juridique ;

3) Tous les documents saisis doivent être reproduits dès que pos-sible et restitués sur-le-champ ;

4) Un dénombrement des biens saisis doit être préparé, et lesbiens en question doivent être préservés et utilisés uniquementaux fins du procès civil ;

5) Le demandeur doit s’engager à respecter toute condamnation àdes dommages-intérêts pouvant être prononcée par la Cour à lasuite d’une exécution non autorisée de l’ordonnance ou à lasuite de l’annulation de l’ordonnance ; et

6) Le défendeur peut faire modifier l’ordonnance ou obtenir main-levée de l’ordonnance moyennant un court préavis au deman-deur.66

Voici divers éléments dont devrait tenir compte l’ordon-nance, et particulièrement certains visant les données informati-ques.

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66. Supra, note 37, à la p. 635.

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A. Les lieux visés « connus ou inconnus » où se trouve etoù peut se trouver la preuve recherchée

L’ordonnance Anton Piller devrait prévoir de façon suffisam-ment précise les lieux où la perquisition peut être faite, et ce, afind’éviter les abus. En effet, bien que l’intrusion dans le cours desaffaires d’une entreprise puisse lui occasionner des dommages, ilest évident que l’intrusion dans la résidence d’un défendeur affec-tera son droit à la vie privée. Voir à ce sujet les propos de la Coursupérieure dans l’affaire Shermag Inc. c. Jerry Zelnicker67.

Par ailleurs, dans le cadre de son ordonnance, la Cour tien-dra aussi compte de la possibilité que le défendeur possède des élé-ments de preuve à divers endroits. Il est en effet fréquent de nosjours, particulièrement avec l’usage des ordinateurs, de l’Internetet de la numérisation, que des copies de documents constituant lapreuve recherchée, soient détenues ou conservées à plusieursendroits. L’ordonnance devrait donc également prévoir les cas oùle défendeur pourrait vraisemblablement utiliser plusieurs lieuxdifférents.

Ainsi, selon les faits du dossier et de la preuve soumise, il sepeut que la perquisition doive être faite non seulement aux lieuxd’affaires du défendeur, mais également et simultanément à sarésidence, dans ses entrepôts, dans sa voiture, etc.

Enfin, l’ordonnance devrait aussi prévoir l’ajout possible delieux à la suite de découvertes faites en cours d’exécution, soit une« Rolling » Anton Piller.

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67. Shermag Inc. c. Jerry Zelnicker, REJB 2004-69078 (C.S.), aux par. 27, 28, 29.« On voit que la saisie-injonction vise principalement la résidence du défendeur.Quoique généralement la résidence soit un endroit très privé, un sanctuaire, onpeut faire exception et tenir compte du fait affirmé dans un affidavit du prési-dent de la demanderesse, que dans le cadre de ses fonctions, le défendeur avaitla flexibilité de travailler à distance au moyen de ses ordinateurs, télécopieurs,téléphones personnels et cellulaire et ce, à partir de son domicile. S’il y a preuvede mauvaise foi, on donne ouverture à la présente procédure. Il y a aussi un dan-ger que l’on retrouve dans l’appartement ou dans les ordinateurs des documentspersonnels ou des éléments de vie privée. Pour le même motif expliqué au para-graphe précédent, ce fait ne doit pas empêcher la présente procédure. Si onplace dans un même ordinateur des éléments privés et professionnels, au cas demauvaise foi dans sa vie professionnelle, on expose aussi sa vie privée. Toute-fois, les personnes qui exécuteront le présent jugement, prendront soin de neretenir et photocopier que ce qui est pertinent à la cause. Elles ont l’obligationd’ignorer et de garder confidentielle, toute autre information qu’elles pour-raient apprendre. Une obligation générale de bonne conduite leur incombe. »

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(i) La notion du « Rolling Anton Piller » et de John etJane Doe

Contrairement au mandat de perquisition criminel, qui nepermet la perquisition et la saisie qu’aux seuls endroits précisésdans le mandat, l’ordonnance Anton Piller connaît une varianteappelée ordonnance « Rolling » Anton Piller.

Étant fondée sur les mêmes critères que l’ordonnance AntonPiller normale, l’ordonnance « Rolling » Anton Piller permet, dansle cadre ou à la suite de l’exécution de l’ordonnance contre le défen-deur, d’utiliser la preuve recueillie lors de l’exécution pour déter-miner d’autres lieux où pourrait se trouver de la preuve etprocéder à l’exécution continue de l’ordonnance. Il s’agit donc icide lieux qui, lors du prononcé de l’ordonnance, étaient inconnusdu demandeur, tels que d’autres résidences, d’autres placesd’affaires, des entrepôts, des espaces de rangement ou même unbureau de comptables, des véhicules, des boîtes postales, etc.

Ainsi, par son ordonnance « Rolling », la Cour évite audemandeur d’avoir à revenir devant elle pour demander une nou-velle ordonnance ou une ordonnance amendée, éliminant ainsides délais additionnels qui pourraient être cruciaux et augmente-raient les risques de destruction dans des lieux qui, autrement,ne seraient pas couverts par l’ordonnance initiale. En effet, ledemandeur pourra dès lors aller exécuter l’ordonnance surd’autres lieux ainsi découverts, et ce, sans la nécessité d’obtenirune seconde (ou nouvelle) ordonnance.

Il arrive aussi parfois, au moment ou à la suite de l’exécution,que les noms d’associés ou de complices soient découverts lors del’analyse de certains éléments de preuve saisis. Afin de prévoir cespossibilités, le demandeur indiquera, dans sa requête en ordon-nance « Rolling » Anton Piller, certains « John Doe et Jane Doe » àtitre de parties défenderesses « inconnues » du demandeur aumoment de la demande, mais connues du défendeur. Leur nomvéritable pourra être ajouté par amendement postérieurement.

La mention « John Doe et Jane Doe » permettra de signifierl’ordonnance Anton Piller à toute personne qui, dans les faits, estvisée par l’ordonnance, et permettra d’exécuter contre cette per-sonne, avec son consentement (sous peine d’outrage au tribunal),la fouille et la saisie de la preuve visée par l’ordonnance.

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Ainsi, une ordonnance « Rolling » Anton Piller pourraits’appliquer à l’égard de toute personne initialement inconnue aumoment de l’obtention de l’ordonnance mais qui, sous réserve de lajuridiction du tribunal, enfreint les droits du demandeur dans lecadre du litige principal. La liste initiale des défendeurs peut doncs’allonger en cours d’exécution de l’ordonnance sans pour autantfaire l’objet de procédures supplémentaires, autres qu’unerequête subséquente pour amendement afin d’identifier formelle-ment les défendeurs signifiés sous l’appellation « John Doe ouJane Doe ».

La Cour fédérale a utilisé ce genre de recours en matière depropriété intellectuelle68.

Notons que quant à l’usage des ordonnances « Rolling » AntonPiller, la Cour dans l’affaire DirecTV, Inc. c. Gray et al., indique :

The defendant also seeks the modification of the order to limit itsapplication to third parties. I would dismiss that application. Theform of the order is essentially similar to the orders granted by thecourts in Toth and Tedmonds and, in my view, is necessary toenable the plaintiff to pursue whatever civil claims it may haveagainst both upstream equipment suppliers and downstreamusers, who the defendant is alleged to have assisted by aiding andabetting and circumventing the plaintiff’s system.69

Notons que la « Rolling » Anton Piller est également utiliséepar les tribunaux de droit commun québécois70.

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68. Voir J. Léger, supra, note 41, aux p. 398-399. « Lorsque les tribunaux exercentune juridiction en équité, ils sont aptes à façonner de nouveaux recours pourrégler des situations nouvelles. C’est d’ailleurs de cette juridiction inhérented’équité qu’est née l’ordonnance Anton Piller. En ce qui concerne la Cour fédé-rale ... lui aura permis de se mettre à la page en modernisant ses recours enéquité afin de contrer la difficile réalité moderne de la contrefaçon endémiquedes droits de propriété intellectuelle. En émettant des ordonnances Anton Pil-ler contre des défendeurs alors inconnus du demandeur au moment de larequête pour l’émission d’une telle ordonnance, la Cour fédérale a finalementreconnu les problèmes particuliers de signification et d’exécution de tellesordonnances auxquels sont confrontés les titulaires de droits d’auteur, mar-ques de commerce et de propriété commerciale lorsqu’ils essaient d’arrêter desventes d’articles contrefacteurs par des vendeurs qui n’ont pas d’adresse fixe oude place d’affaires, ou sans aucun bien identifiable : c’est ainsi que sont nées, envariantes aux Anton Piller, les ordonnances soi-disant « John Doe ». »

69. DirecTV, Inc. c. Gray et al., 2003 BCSC 1509, au par. 78.70. Parmi les décisions rendues, qui sont souvent non rapportées, notons les affai-

res : Bell ExpressVu Société en commandite c. AVR3 et al., no 200-05-017678-025, 22 novembre 2002 (C.S.) ; Bell ExpressVu Société en commandite c.

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B. La description de la preuve recherchée

(i) L’importance de bien définir les éléments de preuvevisés

L’ordonnance Anton Piller devrait comprendre des paragra-phes définissant et délimitant de façon explicite les éléments depreuve que le demandeur sera en droit de saisir. La désignationprécise de la preuve recherchée par l’ordonnance est d’une impor-tance capitale dans l’évaluation de l’étendue et de la pertinencedes fouilles exécutées.

Ainsi, l’ordonnance Anton Piller devrait comprendre un oudes paragraphe(s) décrivant le plus précisément possible les élé-ments de preuve recherchés afin d’assurer que l’ordonnance per-mette au demandeur de saisir et fouiller toute forme de preuvepouvant être pertinente au dossier sans toutefois permettre unepartie de pêche. On peut notamment y retrouver le matérielillégal, piraté ou contrefait, de même que tous les documents per-tinents au litige, y compris les documents permettant au deman-deur de quantifier ses dommages, en tout ou en partie.

Par ailleurs, notons que la description des éléments depreuve recherchés est particulièrement importante dans le cas dedocuments ou données informatiques. En effet, il existe des dis-tinctions évidentes entre les documents papier et les documentsélectroniques, différences qui, à notre avis, devraient être considé-rées au moment de rendre de l’ordonnance71.

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Easybuy2000.com et al., no 500-17-013816-031, 15 janvier 2003 (C.S.) ; BellExpressVu Société en commandite c. Ti-Cul.com et al., no 500-17-013817-039,15 janvier 2003 (C.S.) ; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Lis et al.,no 500-17-018294-036, 5 décembre 2003 (C.S.).

71. L’auteur James HUGUES, dans « Seizing confidential computer data beforejudgment », (2000) 60 R. du B. 143 et s., à la p. 146, énonce fort bien la réalité desannées 2000 : « At a more general level, the Court of Appeal in D&G was right toreopen the door to the seizure before judgment of confidential information inthe form of computer data given that a private or commercial enterprise’s ope-rations are increasingly reliant upon the virtual storage of financial, marke-ting, employee and other information. Perhaps more importantly, the ease andsimplicity of transmitting very large volumes of computer data from one site toanother whether by e-mail, network, download or otherwise requires that aremedy be given to the owner to freeze the confidential data in the hands of jus-tice until the merits of the claim are determined. This is the age of informationwhere the most valuable asset a person can possess is located in his mind or hiscomputer. »

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Parmi les distinctions importantes entre les données surpapier et les données informatiques, notons les suivantes :

a) Volume :

De nos jours, de plus en plus d’information se retrouve sousformat électronique. Il est évident que l’une des distinctionsimportantes entre les données sur papier et les données informa-tiques est la possibilité d’emmagasiner un volume importantd’informations à un seul endroit. Un ordinateur peut en effetcontenir des dizaines, pour ne pas dire des centaines de milliers dedocuments et de données. Il est donc parfois impossible pour ledemandeur, au moment de l’exécution, de vérifier la pertinence dechacune des données saisies, le volume de données étant tropimportant. Bien que l’usage de mots-clés peut parfois permettred’identifier des éléments de preuve recherchés, cette méthoden’est pas infaillible.

b) Contenu varié :

Ainsi, il est évident que dans un même ordinateur pourrontse retrouver des éléments de preuve ou des biens visés parl’ordonnance, de même que de l’information confidentielle appar-tenant au défendeur.

Il est fréquent que parmi les données contenues dans un ordi-nateur, divers sujets soient touchés. Ainsi, il faut tenir pouracquis que la saisie d’un ordinateur, d’un disque dur ou la copiemiroir de celui-ci, impliquera presque automatiquement la saisiede données appartenant au défendeur et non pertinentes au litige.

Il y aura donc lieu de prévoir, dans les cas où se retrouve-raient au même endroit des données visées par l’ordonnance et desdonnées confidentielles ou personnelles du défendeur, que malgréson impact sur la vie privée du défendeur, l’exécution de l’ordon-nance aura priorité72.

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72. Voir l’affaire Shermag, supra, note 67, au par. 27, 28, 29. « Il y a aussi un dangerque l’on retrouve dans l’appartement ou dans les ordinateurs des documentspersonnels ou des éléments de vie privée. Pour le même motif expliqué au para-graphe précédent, ce fait ne doit pas empêcher la présente procédure. Si onplace dans un même ordinateur des éléments privés et professionnels, au cas demauvaise foi dans sa vie professionnelle, on expose aussi sa vie privée. Toute-fois, les personnes qui exécuteront le présent jugement, prendront soin de neretenir et photocopier que ce qui est pertinent à la cause. Elles ont l’obligationd’ignorer et de garder confidentielle, toute autre information qu’elles pour-raient apprendre. Une obligation générale de bonne conduite leur incombe. »

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c) Localisation :

Outre les ordinateurs stationnaires et les portables, il existedivers outils informatiques permettant d’emmagasiner des don-nées. Que l’on pense à des disquettes, CD-Rom, serveurs, clefs oudispositifs de « stockage » de mémoire usb, disques durs externes,ou autres, la facilité de sauvegarder, copier, transporter, camou-fler, etc. de l’information est quasi infinie. L’ordonnance devradonc prévoir tous les médias informatiques qu’elle entend viser.

d) Rapidité de diffusion et de destruction :

Par ailleurs, avec l’usage de l’Internet, des intranets etautres réseaux de communications informatiques, il est possiblede transférer, en quelques secondes, un volume impressionnantde données, d’un endroit à un autre, partout dans le monde, et ce,parfois, sans qu’il ne soit possible d’identifier le destinataire ou lescoordonnées de celui-ci.

De plus, contrairement aux documents format papier, lacopie de données informatiques, en tout ou en partie, est très facileet pratiquement instantanée. Par ailleurs, il existe une multitudede logiciels et d’outils permettant d’encoder ou d’« encrypter » undocument afin d’en empêcher sa lecture sans l’aide de mots depasse ou de clefs.

Il est donc prudent, pour ne pas dire essentiel, de prévoirdans l’ordonnance des conclusions d’injonction pour empêcher ladiffusion, transmission, copie, destruction, altération, etc. desdonnées visées par l’ordonnance. L’ordonnance devrait égalementprévoir la collaboration du défendeur à fournir les mots de passeou clefs nécessaires à l’accès et à l’ouverture de l’ordinateur et detoutes données informatiques.

Notons toutefois qu’au niveau de la destruction, il est parfoispossible pour un expert informaticien, de récupérer, du moins enpartie, les données informatiques qui auraient été effacées d’unordinateur. Ainsi, à moins qu’un ordinateur n’ait été physique-ment détruit ou ait disparu, il y aura possibilité que le demandeurpuisse tout de même récupérer la preuve recherchée.

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e) Identification précise :

Il est important que l’ordonnance spécifie clairement lesbiens ou la preuve visés par la saisie, et en particulier dans le casde données informatiques73.

Par ailleurs, bien que l’ordonnance se doive d’être précise,elle doit être suffisamment large pour couvrir tous les médias élec-troniques pouvant être visés. Ainsi, les experts informaticienssuggèrent de faire attention à la terminologie utilisée. Il existe eneffet des distinctions entre un PC, un ordinateur, un serveur, unagenda électronique, un disque dur, un CD-ROM, une disquette,un téléphone, un télécopieur, etc.

L’utilisation d’une description détaillée permettra ainsid’éviter une opposition par un défendeur voulant éviter ou limiterl’application de l’ordonnance à certains médias74.

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73. 2946-1993 Québec inc. c. Sysbyte Telecom Inc., REJB 2001-24940 (C.S.),résumé. « Les requérants ont toutefois raison de prétendre que la saisieeffectuée dépasse ce qui a été autorisé par le tribunal. Ce que le bref autorisait,c’est la saisie des codes sources repérés dans le logiciel annoncé sur leur siteInternet. Il faut cependant convenir qu’il est pratiquement impossible de saisirun programme informatique sans également prendre possession des supportssur lesquels ce programme ou ses copies se trouvent installés, imprimés, gravésou reproduits de quelque manière. Le tribunal considère donc qu’il faut assimi-ler à la « planche » définie à l’article 2 de la loi (sur les droits d’auteur) le disquedur d’un ordinateur, les disquettes, CDROM ou autres supports informatiquesdestinés à la confection, à la copie, à la transmission ou à la reproduction d’unproduit informatique qui constitue une oeuvre au sens de la loi, tel un pro-gramme informatique, un logiciel ou un fichier. Par contre, on ne saurait assi-miler à une telle « planche » l’ordinateur lui-même, lequel n’est que la machine,ou l’instrument, qui utilise les supports du produit informatique. Dans les cir-constances, il y a donc lieu d’ordonner à l’intimée d’accéder aux supports infor-matiques des requérants pour repérer les codes sources, les copier et les effaceret de remettre ensuite aux requérants les ordinateurs, les accessoires et lematériel informatique saisis. »

74. Voici un exemple pouvant permettre d’éviter les embûches techniques : « Toutdocument, enregistrement, article, note, information, instruction, correspon-dance envoyée et/ou reçue, message, courrier électronique ou écrit, mémoran-dum interne ou externe, donnée, papier, électronique et/ou informatique peuimporte son enregistrement, emplacement et/ou support électronique, incluanttout ordinateur et/ou support informatique, dispositif, technologie, produit,matériel, appareil installé sur tous les serveurs, disques durs internes et/ouexternes d’ordinateurs, matériel informatique, CD-Rom, disquette « floppy »,disque, jeton et/ou dispositif usb, cassette magnétique, audio et/ou vidéo, DVD,cassette de sauvegarde, disquette « zip », carte de mémoire « flash card »,mémoire de téléphone ou de télécopieur, et tout autre enregistrement électro-nique et/ou digital de données. »

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f) Accès

L’ordonnance devrait aussi prévoir l’obligation de fournir lesmots de passe, codes d’accès, clefs et autres mesures de sécuritémises en place, afin de donner plein accès aux experts du deman-deur.

C. Les personnes autorisées à avoir accès (nombreet catégories) aux lieux et à la preuve

L’ordonnance Anton Piller devrait comprendre un paragra-phe désignant les catégories et le nombre par catégorie de person-nes autorisées à exécuter l’ordonnance de la Cour.

Ainsi, seules les personnes mentionnées à l’ordonnance doi-vent être considérées comme ayant obtenu l’autorisation d’agir dela Cour. De plus, le nombre de personnes autorisées pouvant setrouver en même temps, sur chacun des lieux connus ou inconnus,doit être déterminé de façon précise afin d’assurer l’optimisationet l’efficacité de l’exécution de l’ordonnance sans toutefois per-mettre les abus.

En effet, il peut être difficile pour un défendeur de protégerses droits et pour l’avocat superviseur indépendant de voir au bondéroulement de l’exécution, s’il y a trop de personnes autoriséessur les lieux en même temps. Par contre, il est parfois nécessaire,pour qu’une exécution soit efficace, qu’un nombre important depersonnes soit autorisé. En effet, à défaut d’avoir plusieurs per-sonnes, l’exécution dans certains cas pourrait prendre plusieursjours, faisant augmenter les risques de destruction d’éléments depreuve, et prolongeant la période durant laquelle la vie et les affai-res du défendeur sont incommodées.

Il existe plusieurs catégories de personnes autorisées. Voiciles principales :

a) Un ou plusieurs représentants du demandeur ;

� Notons qu’il est fréquent que le demandeur et ses représen-tants, soient les plus aptes à pouvoir identifier les éléments depreuve pertinents ;

� Toutefois, particulièrement dans les cas où le demandeur et ledéfendeur sont des compétiteurs directs, par exemple dans desdomaines spécialisés, la Cour pourrait juger plus approprié

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d’interdire au demandeur d’être présent. Ceci pourrait éviter dedonner au demandeur de l’accès à de l’information confiden-tielle appartenant au défendeur et qui ne serait aucunementliée au litige ;

b) un ou plusieurs représentants des procureurs du deman-deur ;

� Encore ici les procureurs du demandeur ont souvent un rôleprimordial à jouer dans la gestion de l’exécution et dans l’identi-fication de ce qui est pertinent au litige ;

� De plus, ils pourront s’assurer que l’exécution est faite confor-mément à l’ordonnance rendue ;

� Enfin, ils pourront discuter de l’ordonnance avec le défendeurou ses procureurs, de son exécution et des prochaines étapes dudossier de cour ;

c) un ou plusieurs avocat(s) superviseur(s) indépendant(s)(dont le rôle est plus amplement décrit ci-après) ;

d) un ou plusieurs huissiers ;

� Ils s’occuperont de la signification des procédures au défen-deur et assisteront à la perquisition. En vertu de la Loi sur leshuissiers de justice, à moins d’une disposition légale ou régle-mentaire à cet effet, seul un huissier a le pouvoir et l’autorité deprocéder à une saisie75.

� Ce sont eux qui procéderont à la saisie des éléments de preuvedécouverts et à la rédaction des constats d’huissier ;

�L’ordonnance devrait prévoir que l’huissier pourra être assistéde toutes personnes qu’il jugera appropriées dans les circons-tances ;

� Ainsi, par exemple, dans certains cas, la présence d’un serru-rier peut être nécessaire. Pensons à un défendeur qui accepte-rait de donner accès mais dont une partie de la preuve setrouverait dans un endroit verrouillé ; (il arrive effectivementqu’au moment d’une saisie, le défendeur prétende vouloir colla-borer mais ne pas pouvoir le faire faute de clefs)76 ;

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75. L.R.Q., c. H-4.1, art. 8 et 14.76. Voir l’affaire Ontario Realty, supra, note 59, à la p. 550. « The second element

about the sheriff using reasonable force including the services of a locksmith

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e) un ou plusieurs enquêteurs spécialisés en informatique ;

� Ils sont habituellement désignés par le demandeur ou ses pro-cureurs afin, entre autres, de localiser, identifier, rechercher,retrouver et reproduire toute forme de données informatiques,magnétiques et électroniques ;

� À l’exception des cas où la saisie physique des ordinateurs oude tous autres médias est autorisée, dès qu’il doit y avoir manu-tention de médias informatiques, un expert informaticiendevrait être exigé. Il en va de la protection des données viséespar la saisie, de même que de celles appartenant au défendeur.

�En effet, la saisie par un huissier seul ou par un technicien malinstruit ou inexpérimenté, pourrait affecter le succès del’extraction des données, altérer toute l’information del’ordinateur et toute sa fiabilité et rendre la preuve irrecevable,en plus de possiblement causer des dommages indus au systèmeinformatique du défendeur.

� Par ailleurs, la description du ou des experts dans la liste despersonnes autorisées devrait être suffisamment générale pourinclure tout représentant d’une firme spécialisée et non pas seu-lement un individu en particulier. En effet, il y a des cas pluscomplexes où l’expert choisi pourrait avoir recours à l’expertiseou l’aide de plusieurs autres membres de sa firme. À titred’exemple, le volume d’information ou de supports informati-ques pourra parfois requérir les services de plusieurs expertssur place et en même temps, afin de permettre une exécutionplus rapide et plus efficace de la saisie.

f) un ou plusieurs experts ;

� Il est parfois nécessaire, dans certains domaines spécialisés,d’avoir recours à des experts, tels des experts juricomptables,afin d’identifier les éléments de preuve plus techniques ;

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was candidly acknowledged by counsel for the ORC as being inappropriate andthat on reflection he should not have included this in the draft order. However,it is I in the result who must bear the responsibility and blame for such lan-guage. Does this language imply that there may be a forced entry to the premi-ses in question ? I think not. [...] Further, once the Defendant has permitted thesearch, that permission would carry with it free entry to any locked premises,equipment or storage places. Having granted permission to enter for the purpo-ses of the search the defendant is not allowed to pick and choose what portion ofthe premises may be searched. »

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g) un ou plusieurs gardes de sécurité ou enquêteurs privés ;

� Encore ici dans certains cas, ceux-ci peuvent être utiles afin desécuriser les lieux et d’aider à l’exécution de l’ordonnance ;

� Ceux-ci pourront également, si l’ordonnance le prévoit, filmerles lieux avant et après l’exécution, de même que tout élémentde l’exécution qui pourrait s’avérer pertinent quant à la preuvesubséquente à faire dans le dossier ;

h) un ou plusieurs policiers (facultatif)

� La présence d’un agent de la paix (policier) est aussi parfoisrecommandée afin de maintenir l’ordre, garder la paix et d’assu-rer une protection efficace des personnes autorisées77.

Il est évident que le défendeur et son avocat ont droit d’êtreprésents. En fait, il est souvent préférable qu’ils le soient. Ceux-cipourront ainsi assister les personnes autorisées à localiser et àextraire les données visées par la saisie.

De plus, ceux-ci auront ainsi la possibilité de s’objecter quantà la pertinence ou la confidentialité de certaines données, ce quipermettra, dans certains cas, de saisir de telles données sousscellé, sans analyse préalable, et ce, jusqu’à ce que la Cour en aitpris connaissance et ait tranché les objections soulevées78.

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77. En effet, l’exécution d’une ordonnance Anton Piller, bien que non contestée parle défendeur, peut parfois devenir difficile, voire même agressive. La présencede policiers rend souvent l’exécution beaucoup plus calme et ordonnée. Par ail-leurs, il peut survenir des situations dans lesquelles des éléments de nature cri-minelle sont découverts par les personnes autorisées (armes à feu, drogues,matières illicites). La présence d’un agent de la paix peut s’avérer fort utile enraison du fait que ces éléments ne feront manifestement pas partie de la preuveà saisir.Voir à ce sujet l’affaire Ontario Realty, supra, note 59, à la p. 550. « First, it isclear that the purpose of the police officer being there is not to do anything but toensure public order and the avoidance of a disturbance by anyone. This wouldinclude not only the defendants and third parties – but also anyone from theplaintiff’s side. I would suggest that the wording in this part might be clarifiedsomewhat to avoid ambiguity. »

78. Celanese Canada Inc. c. Murray Demolition Corp., 1 C.P.C. (6th) 254, 244D.L.R. (4th) 33, 190 O.A.C. 329, 73 O.R. (3d) 64, à la p. 6. « On the defendants’side, the mistakes included failure by their counsel to more closely monitor theelectronic documents that were being seized and failure to demand strict com-pliance with the terms of the order, particularly the term that no documentswere to be removed until a list had been prepared and the defendant companyhad been given a reasonable opportunity to check it. »

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L’avocat superviseur indépendant

Parmi les personnes autorisées susmentionnées, l’avocatsuperviseur indépendant (Independent Supervising Solicitor« ISS »), a, à notre avis, un rôle primordial dans la bonne exécutionde l’ordonnance Anton Piller.

D’ailleurs, à ce sujet, la Cour d’appel dans l’arrêt RaymondChabot a emboîté le pas de la Commission Staughton auRoyaume-Uni, qui suggère qu’« un avocat indépendant, c’est-à-dire, n’appartenant pas à la firme d’avocats représentant lerequérant d’une ordonnance Anton Piller, supervise l’exécutiond’une telle ordonnance »79.

Ainsi, l’ordonnance peut nommer un avocat indépendant etexiger sa présence lors de l’exécution. Son nom sera souvent sug-géré par le demandeur et aux frais de ce dernier. Il aura pour rôlede surveiller l’exécution de l’ordonnance et de veiller à ce qu’ellesoit respectée. L’ISS sera les yeux et les oreilles de la Cour.

De façon plus pratique, l’ordonnance sera signifiée par huis-sier en présence de l’ISS et du procureur du demandeur. Aumoment de la signification, l’ISS expliquera entre autres le droit àl’assistance d’un avocat et le délai mis à la disposition du défen-deur pour obtenir conseil, tel que nous le verrons plus loin. Par lasuite, l’exécution de l’ordonnance sera supervisée par l’ISS.

À ce moment, l’ISS s’assurera entre autres que l’exécutionest faite conformément à l’ordonnance. Il s’assurera que les droitsdu défendeur sont respectés et notera tout abus de la part des per-sonnes autorisées. Il veillera aussi à ce que le défendeur respecteses obligations en vertu de l’ordonnance et notera toute violation àce sujet, ouvrant ainsi, le cas échéant, la porte à l’outrage au tribu-nal.

L’ISS peut aussi être chargé de noter les objections de lapartie adverse et de prendre possession, à titre de gardien pour laCour, des biens ou documents faisant l’objet desdites objections.Le juge décidera de la pertinence de chaque élément de preuve lorsd’une audition subséquente. Parfois même, l’ISS sera appelé àrédiger un rapport écrit et à le soumettre au tribunal pour produc-tion au dossier de la Cour.

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79. Voir l’arrêt Raymond Chabot, supra, note 4, au par. 102.

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D. Les mesures d’exécution

L’ordonnance Anton Piller peut contenir des paragraphestraitant des mesures d’exécution. Entre autres, on pourra inclureun paragraphe permettant sa signification pendant ou hors desheures de bureau.

De plus, il est prudent de prévoir, quant à la signification,qu’il sera permis de prendre toutes mesures nécessaires pour quecelle-ci puisse être effectuée sans délai, tel que l’usage d’un serru-rier. En effet, ceci permettra de s’assurer que le défendeur reçoivesignification en bonne et due forme de l’ordonnance, même dansles cas où le défendeur refuserait d’ouvrir la porte, ce qui éviteraainsi que le défendeur ait le temps de procéder à la destruction dela preuve, puisque dès la signification, toute destruction seraitalors clairement un cas d’outrage au tribunal.

Bien entendu, l’usage d’un serrurier ne devrait toutefois pasêtre permis pour exécuter l’ordonnance sans la permission dudéfendeur80.

L’ordonnance devrait également prévoir que suite à la signi-fication, l’ISS et toute personne qu’il jugera nécessaire, pourrarester dans les lieux afin de s’assurer qu’aucune destruction depreuve n’ait lieu. Ainsi, même dans les cas où le défendeur refuse-rait de permettre l’exécution de l’ordonnance, jusqu’à ordonnanceà l’effet contraire, l’ISS protégerait la preuve pendant que la Course pencherait sur la question de l’outrage au tribunal.

D’autre part, il est important de prévoir à l’ordonnancequ’une fois l’autorisation accordée par le défendeur, celle-ci nepourra plus être retirée sans un ordre de la Cour. En effet, on veutainsi éviter que le demandeur perquisitionne et trouve de lapreuve, et que celle-ci ne puisse ensuite être saisie, s’il y avait,entre temps, retrait d’autorisation.

De plus, il serait prudent de prévoir que l’exécution, une foisdébutée, pourra se continuer même hors des heures de bureau,

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80. Voir l’affaire Shermag, supra, note 67, au par. 32. « On demande aussi, subsi-diairement, qu’au cas où le défendeur serait absent, qu’il soit permis aux huis-siers exécutants d’ouvrir toute porte ou verrou nécessaire à l’exécution duprésent jugement. Comme les ordonnances de type Anton Piller ne sont pas desmandats civils d’exécution mais plutôt une ordonnance de se laisser saisir, souspeine d’outrage au Tribunal (arrêt Chabot, précité, par. 98), cette conclusion estrefusée. »

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voire même toute la nuit, ou selon la situation, que le demandeurpuisse prendre tous les moyens nécessaires afin de sécuriser leslieux dans la mesure où l’exécution de l’ordonnance doive êtrecontinuée au lendemain en raison de sa complexité et de l’étenduede la preuve trouvée.

Par ailleurs, l’ordonnance devrait prévoir des mesuresd’exécution précises quant à la saisie de données informatiques. Àce sujet, la Cour devrait déterminer si elle ordonne la copie miroirdes données informatiques ou plutôt la saisie des supports infor-matiques. Voici quelques critères pouvant affecter la décision dela Cour à ce sujet.

a) Objectifs de l’ordonnance

L’ordonnance visant la récupération d’une liste de clients oude documents précis dans l’ordinateur personnel d’un ancienemployé qui a démarré une entreprise à son compte ne devrait pasêtre traitée de la même façon que si l’employé s’est joint à un com-pétiteur, qui peut ne pas savoir que l’employé a emporté avec luides documents appartenant au demandeur.

L’accès aux données informatiques d’une entreprise dont lesactivités sont illégitimes pourra être plus intrusif que l’accès chezune entreprise légitime.

Chaque cas est un cas d’espèce. L’ordonnance devra donc êtrerédigée selon les faits du dossier et les objectifs visés.

b) Droits des parties

La Cour devrait par ailleurs considérer les droits de toutesles parties, tant ceux du demandeur, que ceux du défendeur, etmême parfois ceux de tiers qui pourraient être affectés par lasaisie de données les concernant.

Les gestes reprochés au défendeur, de même que toutepreuve d’agissements passés démontrant un ensemble d’activitésillégales, dolosives ou évasives, du défendeur, pourront aussi êtreconsidérés dans l’analyse du droit des parties. Encore ici, lesdroits d’un fraudeur notoire auront moins de poids que ceux duprésident d’une entreprise renommée.

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c) Poids du préjudice causé au défendeur

Il faut toutefois se rappeler qu’une ordonnance Anton Pillerest présentée ex parte et que seule la version du demandeur estprésentée à la Cour. Bien qu’il soit par la suite possible pour ledéfendeur d’attaquer la validité de l’ordonnance, l’exécution auradéjà été faite.

Prendre une copie miroir d’un disque dur, laissant ainsi audéfendeur l’ensemble des données informatiques qui s’y retrouve,et ce, de façon intacte, est beaucoup moins préjudiciable que desaisir le disque dur lui-même.

Par contre, dans certains cas, le but recherché est de sous-traire les données afin que le défendeur ne puisse plus les utiliser.Il y a alors lieu de déterminer s’il est préférable d’analyser surplace, afin d’identifier les données pertinentes pour ne retirer quecelles-ci, ou s’il est préférable de saisir le tout pour rendre plustard ce qui n’était pas pertinent.

Par ailleurs, dans tous les cas où les données doivent êtreretirées, il faudra permettre à l’expert du demandeur de prendreles mesures nécessaires pour s’assurer que le défendeur, ou unexpert mandaté par lui, ne puisse, de façon subséquente, récupé-rer les données retirées.

d) La protection des renseignements personnels etconfidentiels non reliés à l’objet des procédures

Dans les cas où la Cour est soucieuse de protéger les rensei-gnements personnels et confidentiels non reliés à l’objet des procé-dures, la Cour pourrait ordonner qu’une copie miroir soit faite, etce sans aucune analyse préalable des données. Les copies pour-raient ensuite être scellées et mises sous la garde d’un tiers indé-pendant afin de permettre au défendeur de soulever les objectionsqu’il juge appropriées. Les documents ou données visés peuventensuite être révisés par les parties ensemble ou par la Cour, avecou sans l’aide d’un expert dans le domaine, afin de juger du bienfondé ou non des objections ainsi faites. Tous renseignementsjugés non pertinents, personnels ou confidentiels pourraient êtreretirés de la copie miroir avant que le demandeur ne puisse y avoiraccès.

L’inverse peut aussi être fait, soit « fouiller » à l’aide demots-clés autorisés par la Cour, sur place durant la saisie, ou par

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la suite, sur la copie miroir, afin de ne consulter que les documentsreliés aux mots-clés. Cette analyse peut d’ailleurs se faire en pré-sence des parties, ou par un expert indépendant qui sélectionne-rait les données semblant être reliées aux mots-clés visés. Encoreici, tout document contesté pourra faire l’objet d’un débat devantla Cour.

e) Préservation de l’intégrité de la preuve sansempêcher le défendeur de continuer ses affaireslégitimes

Lorsque les faits de la cause le permettent, l’usage d’unecopie miroir a l’avantage qu’une fois faite, le défendeur a toujourspossession intégrale de ses données et peut donc continuer devaquer à ses occupations légitimes, à moins qu’une ordonnanced’injonction ne l’en empêche.

f) Protection du contenu à un moment précis

Tant la saisie du média qu’une copie miroir de celui-ci, per-met de saisir les données telles qu’elles existent à un momentdonné. En effet, la copie miroir constitue une copie parfaite desdonnées. Notons d’ailleurs que lorsque possible, l’expert ne mettramême pas en marche l’ordinateur, et ce, afin d’éviter touts change-ments internes et automatiques, tel qu’un changement de dates.

g) Délais

Il faut noter qu’il pourrait être très long de faire la copiemiroir de certains médias informatiques, voire prendre plusieursheures et même parfois plusieurs jours (par exemple lorsqu’ils’agit de faire la copie de données contenues dans de gros ser-veurs).

La Cour devrait donc aussi tenir compte, dans le cadre de sonordonnance, des délais possibles afin de (i) permettre l’accès à plu-sieurs experts ; (ii) permettre l’exécution hors des heures norma-les d’affaires et pendant plusieurs jours, si nécessaire ; (iii) prévoirles mesures de protection nécessaires devant s’appliquer dans lecours de l’exécution en cas de suspension de celle-ci pour un cer-tain temps (par exemple la nuit) ; et (iv) permettre la saisie phy-sique des médias lorsque le volume et les délais de transcriptionou de copie la rendent nécessaire.

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h) Facilité de copie dans des lieux spécialisés pource faire

Par ailleurs, bien que dans plusieurs cas l’expert puisse agirsur place (i.e. chez le défendeur), dans certains cas, le volume desdonnées ou l’utilisation de matériel sophistiqué requerra quel’expert travaille à son bureau.

Pensons aux cas où des centaines de disquettes non identi-fiées sont trouvées et saisies : il serait très long et fastidieux pourl’expert d’analyser chacune de celles-ci ou d’en faire des copies surplace.

i) Analyse préliminaire ou non sur place

Tel que mentionné précédemment, l’ordonnance de la Courdevrait prévoir les cas où il est préférable de procéder, sur place, àune analyse préliminaire des données, afin de ne saisir que ce quiest pertinent. Il est évident que dans de tels cas, l’aide tant dudemandeur que du défendeur permettra de faire une sélectionplus précise et plus rapide.

Toutefois, encore ici, outre les délais requis par une telle ana-lyse, il est possible que le demandeur accède à des documents nonreliés au litige et qui pourraient être considérés personnels ouconfidentiels.

Par ailleurs, dans bien des cas, seule une analyse pluspoussée permettra d’identifier les éléments recherchés.

j) L’effacement sur l’ordinateur du défendeur desdonnées dont le demandeur se prétend propriétaire

Dans certains cas, particulièrement lorsqu’on parle de droitde propriété et de secrets de commerce, le demandeur voudra nonseulement obtenir la preuve que ceux-ci se trouvaient sans droitentre les mains du défendeur, mais il voudra de plus que lesditesdonnées soient par la suite effacées afin d’empêcher le défendeurde continuer à les utiliser.

Cette permission d’effacer pourrait entre autres être accor-dée dans les cas où les données visées sont facilement repérablessans avoir à perquisitionner ou à accéder à d’autres donnéesappartenant au défendeur. Alternativement, l’ordonnance quipermettrait par ailleurs de perquisitionner pour repérer les don-

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nées visées, devrait spécifier le type de perquisition autorisée.Bien entendu, il s’agit clairement d’une question de cas par cas81.

Par ailleurs, la copie miroir préalablement faite permettrade garder copie de ces données enlevées en cas de contestation dudéfendeur.

E. Les droits des défendeurs et des autres personnes àqui l’ordonnance a été signifiée

L’ordonnance devrait énoncer également les droits du défen-deur. On peut noter entre autres les droits suivants :

(i) Le droit à une explication immédiate de l’ordonnance parl’ISS :

L’ordonnance devrait prévoir que l’une des tâches de l’ISSconsiste, dès la signification, à expliquer au défendeur de façonobjective le contenu de l’ordonnance.

(ii) Le droit à une explication immédiate de la présence des poli-ciers :

L’ordonnance devrait aussi prévoir que l’ISS explique très rapi-dement la raison de la présence (souvent intimidante) des poli-ciers. Ceux-ci n’étant présents que pour garder la paix, ledéfendeur devrait être avisé qu’il s’agit ici d’une ordonnancecivile et non d’une ordonnance de nature criminelle ou pénale.

(iii) Le droit à l’assistance d’un avocat et le délai de consultation :

L’ordonnance devrait également prévoir que le défendeur, sursignification de l’ordonnance dûment autorisée par le juge, doit

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81. Voici un exemple de conclusion permettant une analyse sur place et l’enlè-vement des données appartenant au demandeur : « AUTORISE que la Deman-deresse, un de ses représentants, ainsi que ses huissiers soient, entre autres,chargés de l’exécution du bref de saisie avant jugement, et soient accompagnésd’un technicien informatique ou d’un expert informatique, soit, entre autres, M.� de la compagnie �, pour que, en présence des huissiers, ce dernier recherchesur les disques durs des ordinateurs, serveurs, disquettes, CD-Rom et/ou ban-des magnétiques de la défenderesse, la technologie informatique, codes sour-ces, pilotes de communication et/ou logiciels appartenant à la Demanderesseet/ou tous logiciels et pilotes de communication (« drivers ») développés par ledéfendeur à même la technologie informatique de la Demanderesse, afin de lesidentifier et de les reproduire sur un autre support informatique et afin quecette personne enlève cesdits disques durs d’ordinateurs, disquettes, CD-Romou bande magnétique toute information et technologie, codes sources et/ou logi-ciel appartenant à la Demanderesse ; »

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être avisé immédiatement de son droit de recourir à l’assistanced’un avocat.

À cet effet, l’ordonnance devrait prévoir que le défendeur puisserefuser l’accès aux lieux au demandeur et à la plupart des per-sonnes autorisées, sans être passible d’outrage au tribunal,pour une période de temps (ex. : deux heures suivant la signifi-cation), et ce, afin de lui permettre de communiquer avec sonprocureur et de permettre à celui-ci de se rendre sur les lieux oud’analyser l’ordonnance. Cette période ne doit toutefois pas êtretrop longue, car non seulement empêche-t-elle le début del’exécution, mais elle augmente le risque de destruction de lapreuve.

Lors de cette période de « grâce », l’ordonnance devrait identifierles seules personnes autorisées à pénétrer dans les lieux, telsl’ISS, les policiers, etc. Le rôle de l’ISS à ce moment consiste doncà prendre note de tout ce qui pourrait survenir dans les lieuxpendant cette période (i.e. respect ou non de l’ordonnance), àl’exception de la teneur de toutes communications entre ledéfendeur et son avocat, et à s’assurer que la preuve ne soit pasdétruite82.

(iv) Le droit de contester la pertinence et le droit d’opposer laconfidentialité ou le privilège d’avocat à l’égard de certainséléments de preuve saisis.

Il est bon de prévoir les cas où le défendeur s’objecterait en toutou en partie à l’exécution de l’ordonnance et plus précisément, àla saisie de certains éléments de preuve. En effet, un désaccordquant à la pertinence ou le privilège de certains des élémentsde preuve peut survenir lors de l’exécution de l’ordonnance.L’ordonnance pourrait ainsi prévoir que ces objections serontprises en note par l’ISS et les éléments de preuve « sous objec-tion » seront alors conservés dans des contenants scellés et iden-tifiés par l’ISS jusqu’à ce que les objections soient débattuesdevant la Cour.

(v) Le droit de modifier l’ordonnance ou d’en obtenir la cassationdans un court délai :

L’ordonnance devrait également informer le défendeur qu’ilpeut, le cas échéant, contester en tout ou en partie l’ordonnance

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82. Les avocats superviseurs indépendants peuvent prendre diverses mesurespour éviter la destruction de la preuve et alors prendre note de toute tentativede dissimulation des éléments de preuve de la part du défendeur.

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rendue ex parte et son exécution, et ainsi prévoir les délais et laméthode pour ce faire.

F. Les obligations des défendeurs et des autrespersonnes à qui l’ordonnance a été signifiée

L’ordonnance devra donc clairement indiquer au défendeurqu’il reçoit un ordre judiciaire de (i) permettre l’accès aux lieux ;(ii) permettre la perquisition ; (iii) collaborer à l’identification deet à l’accès à la preuve et aux lieux où celle-ci se trouve et (iv) assis-ter les personnes autorisées dans l’exécution de l’ordonnance.

L’ordonnance Anton Piller exige que le défendeur se laissesaisir et permet aux personnes autorisées l’accès aux lieux. L’or-donnance prévoit que les personnes autorisées doivent être auto-risées à perquisitionner, examiner, analyser, saisir et conservertoute la preuve découverte sur les lieux.

De plus, l’ordonnance pourra exiger du défendeur de collabo-rer entièrement avec le demandeur et son procureur, tel querépondre aux questions posées quant aux endroits où la preuve sesitue, à l’étendue des opérations du défendeur, quant à l’existenceet à l’emplacement d’autres éléments de preuve et quant à l’iden-tité de tout co-conspirateur.

G. La garde de la preuve saisie

L’ordonnance devrait prévoir celui qui aura la garde de lapreuve saisie. En général, cette garde sera remise au demandeur,à l’huissier, à l’ISS, au greffe de la Cour ou à toute autre personneque la Cour désignera.

Notons toutefois que quant aux données informatiques, cer-tains médias sont fragiles et doivent être conservés dans des lieuxpropices. Les chocs, l’humidité, la poussière sont des élémentssusceptibles d’endommager la preuve recueillie.

H. L’accès à la preuve saisie et la possibilité d’en fairedes copies

L’ordonnance devrait également prévoir ceux qui pourrontavoir accès pour fins de révision et d’analyse à la preuve saisie et àquelles conditions, selon qu’il s’agira d’accès en présence de toutesles parties, d’accès supervisé par l’ISS, d’accès seulement dans lescas autorisés subséquemment par la Cour, etc.

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De plus, l’ordonnance devrait prévoir la possibilité pour ledemandeur et pour le défendeur de prendre copie, à leurs frais res-pectifs, de la preuve saisie. L’ordonnance prévoira aussi ce qui doitadvenir des originaux.

Quant aux cas particuliers d’accès aux données informati-ques saisies, l’ordonnance devra aussi prévoir non seulement qui,parmi les personnes autorisées, auront accès aux données saisies,mais également quand et sous quelles conditions. Parfois cet accèsne sera permis qu’après que le défendeur aura pu faire valoir sesobjections. Parfois, l’urgence justifiera l’accès immédiat.

De plus, dans certains cas exceptionnels, la Cour voudrapeut-être superviser l’accès aux données ou d’une partie de celles-ci. Parfois cette supervision se fera en présence des deux parties,parfois par le biais d’un expert indépendant.

Par ailleurs, lorsque l’accès est permis, il est recommandéque les parties en obtiennent des exemplaires additionnels afinque l’original de la copie miroir soit intégralement préservé et soitainsi protégé le mieux possible de toute corruption.

L’un des avantages qui en découle est que chaque partie peutainsi procéder à ses propres analyses sans avoir à divulguer à lapartie adverse certains de ses arguments juridiques ou sans atti-rer l’attention sur des données plus sensibles dont la partieadverse pourrait ignorer l’existence.

I. L’utilisation future de la preuve saisie

Encore ici, l’utilisation future de la preuve saisie peut êtredéfinie dans l’ordonnance. Elle peut, entre autres, être limitée audossier en l’instance, ou au contraire, être utilisée dans d’autreslitiges impliquant les mêmes parties ou même impliquant destiers.

J. Les gestes interdits

L’ordonnance pourrait également spécifier les gestes quisont interdits au défendeur.

On pense ici bien entendu à tout geste qui entraînerait ladestruction ou la disparition de la preuve. Toutefois, dans cer-tains cas, on peut aussi prévoir d’autres interdictions, telles que

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l’interdiction de discuter avec tous tiers ou de leur divulguerl’existence et le contenu de l’ordonnance.

K. Le refus d’obtempérer et l’outrage au tribunal

Compte tenu qu’il est essentiel que l’exécution d’une ordon-nance Anton Piller soit efficace et immédiate pour atteindre sonbut ultime, l’expression « time is of the essence » prend toute sonimportance. La sanction de ne pas obtempérer à l’ordonnances’obtient entre autres par le biais d’une condamnation pouroutrage au tribunal et par les présomptions qui en découleront.

Tel que mentionné précédemment, contrairement au man-dat de perquisition criminel, l’usage de la force est interdit dansle cadre de l’exécution d’une ordonnance Anton Piller. Ainsi, leseul moyen d’inciter un défendeur qui refuse d’obtempérer àl’ordonnance est de lui signifier, le plus rapidement possible, uneordonnance de comparaître à une accusation d’outrage au tribu-nal.

Ainsi, idéalement il serait souhaitable que le ou la juge ayantrendu l’ordonnance Anton Piller soit disponible le jour même del’exécution, afin de pouvoir si nécessaire lui présenter immédiate-ment une requête pour ordonnance de comparaître devant la Courpour répondre à une accusation d’outrage au tribunal basée surles faits relatifs aux tentatives d’exécution, appuyés par affidavit.

L. L’aspect injonction provisoire, interlocutoireet permanente

L’ordonnance pourra aussi prévoir des conclusions habituel-les d’injonction, soit de faire ou de ne pas faire quelque chose.

M. La confidentialité (dossier scellé)

Compte tenu de la nature de l’ordonnance Anton Piller (exparte et à huis clos), l’ensemble des défendeurs ne doit pas avoirconnaissance de l’existence de l’ordonnance avant qu’elle ne leursoit signifiée83.

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83. Il est essentiel de garder l’ordonnance confidentielle entre les différents défen-deurs jusqu’à ce qu’ils soient tous signifiés afin d’assurer l’efficacité du butultime de la procédure.

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En effet, surtout dans les cas de « Rolling » Anton Piller, laconfidentialité du processus entourant le prononcé et l’exécutionde l’ordonnance est importante. Les défendeurs « inconnus » ouplus communément appelés « Jane Doe et John Doe » ne doiventthéoriquement pas avoir connaissance de l’ordonnance, avantqu’elle ne leur soit également signifiée.

Ainsi, l’ordonnance prévoit que le demandeur, ses procu-reurs et plus particulièrement toute partie ou personne ayantreçu signification de l’ordonnance, y compris les défendeurs, doi-vent garder le dossier confidentiel jusqu’à ordre contraire de laCour. De plus, l’ordonnance prévoira que le dossier de Cour soitmis sous scellé et gardé confidentiel jusqu’à nouvel ordre.

N. L’engagement monétaire de garantie en cas dedommages ou la fixation d’une caution

Parmi les mesures de protection du défendeur contre lesdommages causés par le prononcé ou par l’exécution d’une ordon-nance Anton Piller, les tribunaux ont prévu l’obligation pour ledemandeur de fournir une caution, ou dans certains cas, de four-nir l’engagement monétaire de garantie en cas de dommages.L’ordonnance devrait donc prévoir cette question.

O. La durée de l’ordonnance (dix jours)

L’ordonnance Anton Piller et celle en injonction provisoiresont valables pour une période de dix jours84.

5. L’EXÉCUTION (VERSION PRATIQUE)

A. La signification

Tel que mentionné précédemment, l’effet de surprise estimportant pour éviter la destruction des éléments de preuve.Ainsi, il est important que le dossier de Cour soit scellé et gardéconfidentiel tant et aussi longtemps que la signification à toutesles parties visées n’ait eu lieu et cela aussi longtemps que néces-saire. Ceci peut de plus inclure toute personne encore inconnue aumoment du prononcé de l’ordonnance (« John Doe », « Jane Doe »).

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84. Art. 753 C.p.c.

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Par ailleurs, lorsqu’il y a lieu de signifier plusieurs défen-deurs ou lorsque plusieurs lieux sont couverts par l’ordonnance, ilest souvent préférable que la signification soit faite de façonsimultanée à tous les lieux visés. En procédant ainsi, on évite lesrisques de destruction de preuve.

De plus, afin d’éviter de se faire opposer que la preuverecherchée a été détruite avant la signification de l’ordonnance, etdonc avant que le défendeur n’ait eu connaissance de l’ordon-nance, éliminant tout outrage au tribunal, l’huissier peut prendretoutes les mesures nécessaires pour procéder à la significationentre les mains de toute personne semblant être en charge deslieux. Cette personne devient alors responsable d’autoriser ou nonl’exécution de l’ordonnance, et se voit dès lors sujette à une accusa-tion d’outrage au tribunal si elle contrevient à l’ordonnance.

Dès que les procédures sont signifiées par l’huissier, celui-cicède sa place à l’ISS qui fournira dès ce moment les explicationsnécessaires.

Notons que la présence de policiers lors de la significationpermet d’assurer le maintien de l’ordre et de la paix.

B. L’explication de l’ordonnance et la période d’attente

Une fois la signification faite, l’un des rôles de l’ISS estd’expliquer au défendeur le but de sa présence et son rôle d’officierde la Cour. Par la suite, il est souhaitable qu’il présente les person-nes qui l’accompagnent et leurs rôles respectifs.

Ensuite, l’ISS devrait décrire brièvement l’objet de l’ordon-nance, le fait qu’elle est confidentielle et le droit à un avocat. L’ISSpourrait d’ailleurs avoir avec lui, à la disposition du défendeur,une liste d’avocats qu’il sait connaissent ce qu’est une ordonnanceAnton Piller. Il expliquera au défendeur que celui-ci s’est vu accor-der un délai de grâce pour comprendre ce qui se passe, poser desquestions et parler à un avocat quant à ses droits et obligations.Il lui expliquera également que durant ce délai, bien que l’ordon-nance lui soit opposable, et bien que le rôle de supervision de l’ISSet des gens qu’il estime nécessaires pour le seconder dans ce rôles’applique, la portion perquisition et saisie ne sera pas exécutée.

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Très rapidement, l’ISS verra à prendre les lieux en chargeafin de s’assurer que dans l’intervalle, aucune preuve ne seradétruite. Il pourra entre autres demander que toutes les person-nes présentes dans les lieux soient appelées à se rendre au mêmeendroit afin qu’elles reçoivent toutes significations de l’ordon-nance, s’assurant ainsi qu’aucune personne ne détruira la preuve,sans être passible d’outrage au tribunal.

Également, l’ISS s’assurera que le défendeur ne discute del’ordonnance avec personne d’autre que ses procureurs et lesautres défendeurs déjà signifiés, le tout afin que l’ordonnancedemeure confidentielle.

Une fois les points les plus urgents mentionnés, l’ISS pourraassister le défendeur ou ses procureurs dans la lecture et la com-préhension de l’ordonnance. Il sera toutefois indiqué que l’ISS,étant officier de la Cour, ne pourra conseiller le défendeur dans lesdécisions qu’il aura à prendre.

C. L’obtention du consentement à se soumettre àl’ordonnance ou l’outrage au tribunal

Une fois le délai écoulé (ou avant, si le défendeur l’accepte), ledéfendeur devra aviser l’ISS de sa décision de se soumettre àl’ordonnance ou non.

Certains pourraient croire que puisque le défendeur peutrefuser, l’ordonnance perd de son efficacité. Ce n’est pas le cas.Reprenons à cet égard les propos de la Cour d’appel d’Angleterredans l’affaire Anton Piller :

Nevertheless, in the enforcement of this order, the plaintiffs mustact with due circumspection. On the service of it, the plaintiffsshould be attended by their solicitor, who is an officer of the court.They should give the defendants an opportunity of considering itand of consulting their own solicitor. If the defendants wish to applyto discharge the order as having been improperly obtained, theymust be allowed to do so. If the defendants refused permission toenter or inspect, the plaintiffs must not force their way in. Theymust accept that refusal, and bring it to the notice of the court after-wards, if need be on application to commit.

One might think that with all these safeguards against abuse, itwould be of little use to make such an order. But it can be effective inthis way : it serves to tell the defendants that, on the evidence put

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before it, the court is of opinion that he ought to permit inspection –nay, it orders him to permit – and that he refuses at his peril. It putshim in peril not only of proceedings for contempt, but also of adverseinferences being drawn against him ; so much so that his own solici-tor may often advise him to comply.85 (nos italiques)

En cas de refus (qui sont fort heureusement très rares), ledemandeur devra s’adresser à la Cour afin d’obtenir une ordon-nance de comparaître à une accusation d’outrage au tribunal leplus rapidement possible.

La préparation à une telle éventualité et la disponibilité de laCour à ce sujet deviennent primordiales. En effet, le temps quis’écoule a pour effet de contrecarrer le but de l’ordonnance et faitaugmenter les risques de destruction de la preuve.

L’ordonnance Anton Piller constitue l’un des jugements lesplus percutants à être rendus. Toutefois, pour être efficace, l’or-donnance, dès sa signification, doit être immédiatement res-pectée. Il est donc essentiel que le texte de l’ordonnance ne laissepas de doute quant à sa portée et quant à l’obligation du défendeurd’y donner suite. Si la Cour a jugé que les conditions requises pourl’obtention de cette ordonnance extraordinaire ont été réunies etqu’elle en a autorisé l’exécution, il n’appartient pas au défendeur,au moment de l’exécution, d’en décider autrement.

Le défendeur doit donc être immédiatement appelé à répon-dre de son outrage au tribunal, qui ne doit pas être toléré. Il y vanon seulement des droits du demandeur, mais de la nécessité queles jugements rendus par la Cour soient respectés.

À ce sujet, dans les affaires reliées EchoStar Satellite Corp. etal., DirecTV Inc. et Bell ExpressVu Limited Partnership c. JoshuaLis et al., la Cour supérieure a récemment jugé que certains desdéfendeurs étaient coupables d’outrage au tribunal pour avoirdésobéi à des ordonnances de type Anton Piller86.

Dans cette affaire, les défendeurs, après avoir donné leurconsentement à l’exécution d’une ordonnance Anton Piller, quis’est poursuivie sur deux jours, ont procédé durant la nuit du pre-mier jour, à détruire et cacher de la preuve visée par les ordonnan-ces Anton Piller.

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85. Voir l’arrêt Anton Piller, supra, note 5, à la p. 783.86. Bell ExpressVu Partnership et al. c. Lis et al., J.E. 2004-1420 (C.S.) (désiste-

ment d’appel).

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Dans sa décision sur la sentence, la Cour rappelle que c’estl’article 761 C.p.c. qui s’applique aux cas d’outrage à l’encontred’une ordonnance d’injonction, y compris les injonctions de typeAnton Piller87. Dans cette affaire, la Cour supérieure, condamnachacun des défendeurs visés à une amende de 25 000 $ CAN et à60 jours d’emprisonnement.

D. La perquisition ordonnée

Dans les cas où la permission est donnée par le défendeur dedébuter l’exécution de l’ordonnance, la perquisition pourra alorscommencer, méthodiquement et de façon ordonnée.

Plus vite la perquisition sera faite, moins le défendeur ensubira les inconvénients et plus tôt il pourra vaquer à ses occupa-tions. Toutefois, la rapidité ne devrait pas pour autant entraînerdes abus et servir de prétexte à la saisie de biens ou de documentsnon pertinents.

E. La saisie de la preuve obtenue

Tout bien ou document considéré comme constituant un élé-ment de preuve par le demandeur sera saisi et placé entre lesmains du gardien nommé par la Cour. L’ordonnance devra déter-miner les conditions d’accès et d’utilisation de la preuve saisie.

6. L’UTILISATION DE LA PREUVE SAISIE

A. Dans le recours principal

Comme nous l’avons vu, le but premier de l’ordonnanceAnton Piller est de protéger la preuve qui sera utilisée par la suitedans le cadre du recours principal.

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87. Bell ExpressVu Partnership et al. c. Lis et al., B.E. 2004BE-727 (C.S.), désiste-ment d’appel, aux par. 3 et 4 : « L’ordonnance « Anton Piller » est assimilée àl’injonction puisqu’elle prévoit, à la fois, une injonction et une saisie avant juge-ment pour les fins de conservation d’une preuve qui pourrait être détruite ouperdue. Dans les cas d’outrage à l’encontre d’une ordonnance d’injonction,l’article 761 C.p.c. prévoit que : Toute personne nommée ou désignée dans uneordonnance d’injonction, qui la transgresse ou refuse d’y obéir, de même quetoute personne non désignée qui y contrevient sciemment, se rendent coupablesd’outrage au tribunal et peuvent être condamnées à une amende n’excédant pas50 000 $, avec ou sans emprisonnement pour une durée d’au plus un an, et sanspréjudice à tous recours en dommages-intérêts. Ces pénalités peuvent êtreinfligées derechef jusqu’à ce que le contrevenant se soit conformé à l’injonc-tion. »

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Cette preuve permettra de prouver non seulement les faitsreprochés au défendeur, mais parfois, permettra également deprouver les dommages en découlant.

Toutefois, dans les faits, l’exécution d’une ordonnance AntonPiller met souvent fin au litige en poussant les parties à régler.

Comme le disait l’auteur Jacques A. Léger :

Il ne faut surtout pas minimiser l’efficacité des ordonnances AntonPiller ; le meilleur indice pour mesurer leur utilité étant l’absencerelative de causes au mérite impliquant des ordonnances AntonPiller dans les divers recueils de jurisprudence canadiens. Cela estcertes dû au fait que de telles ordonnances, rendues in camera, per-mettent le plus souvent durant leur exécution de saisir du matérielet de la preuve compromettants, et qui, par leur nature même ouleur importance, place la défenderesse dans une position juridiqueindéfendable. Suivant tel scénario, il devient alors loisible à lapartie demanderesse d’obtenir un jugement soit par défaut ou parconsentement. La réalité est que très peu de causes sont contestées.Partant, et bien que la mise en place et l’exécution de telles ordon-nances soient généralement coûteuses à amorcer, elles permettrontgénéralement à la partie demanderesse de sauver les coûts et letemps qu’il aurait normalement fallu consacrer à plaider la causeau mérite.88

Il existe une certaine jurisprudence à l’effet que la preuve ainsirecueillie, ne doit être utilisée que dans le cadre du litige entre lesparties.89

Toutefois, malgré ce qui précède, l’utilisation de la preuvedans d’autres dossiers de Cour pourra être permise dans certainscas. À titre d’exemple, dans les cas de piraterie de signaux desatellites90, il est fréquent que la preuve découverte permette lapoursuite d’autres défendeurs, tant par le biais du « Rolling »Anton Piller, qu’au moyen de procédures subséquentes.

Ainsi, toujours à titre d’exemple, les factures ou bons delivraison trouvés chez un premier défendeur – vendeur, pourrontpermettre au demandeur d’identifier le ou les fournisseurs decelui-ci, et qui deviendront possiblement de nouveaux défen-deurs – manufacturiers des produits piratés visés. Il serait con-

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88. Voir J. Léger, supra, note 41, à la p. 378.89. Voir J. Léger, supra, note 41, à la p. 393. Voir aussi l’affaire Adobe, supra, note

37, à la p. 635 et l’affaire Julien, supra, note 27, à la p. 1086.90. Voir les affaires Bell ExpressVu, supra, note 70.

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traire à l’intérêt de la justice que la preuve saisie permettant defaire ces liens vers d’autres défendeurs ne puisse être utiliséecontre ceux-ci.

B. Dans les cas de requête en cassation de l’ordonnanceAnton Piller (audition de novo)

Les cours sont partagées sur la pertinence de procéder à uneaudition sur la cassation de l’ordonnance Anton Piller avantl’audition au fond du litige91.

En effet, la Cour d’appel d’Angleterre dans l’affaire W.E.A.Records Ltd. c. Visions Channel 4 Ltd., est d’avis qu’une foisl’ordonnance exécutée, il serait absurde et contre les intérêts del’administration de la justice de revoir si au stade de l’obtention, lejuge saisi avait en main tous les éléments nécessaires à l’octroi del’ordonnance92. Dans l’affaire Dormeuil Frères SA and another c.

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91. À ce sujet, l’auteur Jacques A. Léger résume bien la situation à supra note 41, àla p. 395 : « Les autorités anglaises sont partagées sur la nécessité de procéderainsi. Dans l’affaire W.E.A. Records Ltd. c. Visions Channel 4 Ltd., la cour émitl’opinion qu’annuler l’ordonnance une fois que le défendeur s’était conformé neservirait à rien puisque l’ordonnance était consommée (« épuisée »). Quelquesannées plus tard, dans la cause Dormeuil Frères, le défendeur, qui commerçaitdes produits de contrefaçon en violation des droits du demandeur, déposa unerequête pour être libéré d’une ordonnance Anton Piller sur la foi d’absence dedivulgation complète et volontaire. Réitérant la cause W.E.A. Records, la courdécidait que « setting aside the Anton Piller order cannot undo what has alreadybeen done » et que « the sole relevance of the question « should the ex parte orderbe set aside ? » is to determine the question of whether the plaintiff is liable onthe cross undertaking in damages ». La Cour ayant conclu que cette dernièredétermination n’était pas une question urgente, il était donc préférable de lais-ser cette question au juge du procès au fond à la lumière de toutes les circons-tances de la cause et après avoir entendu les contre-interrogatoires de tous lestémoins. Entre l’affaire de W.E.A. Records et celle de Dormeuil Frères, la Courd’appel considéra dans la cause Booker McConnell qu’une ordonnance AntonPiller, même complètement exécutée, pouvait toujours être annulée avant leprocès advenant le cas où, si elle devait être maintenue, elle pourrait affecter laréputation du défendeur « in a public and material way ». »

92. W.E.A. Records Ltd. c. Visions Channel 4 Ltd., [1983] 2 All E.R. 589 (C.A.), à lap. 594. « In the instant case the Anton Piller order is spent in the sense that ithas been executed. However, the defendants seek to go back to the beginning ofthe action saying that, regardless of whether the fruits of the order are such asto show that it was abundantly justified, the judge had insufficient material tojustify his action at the ex parte stage. They therefore invite us to set the exparte order aside and to order the return of the affidavits to the two personaldefendants and the seized material to the defendants’ solicitors. I regard this aswholly absurd. The courts are concerned with the administration of justice, notwith playing a game of snakes and ladders. If it were now clear that the defen-dants had suffered any injustice by the making of the order, taking account ofall relevant evidence including the affidavits of the personal defendants and the

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Nicolian International (Textiles), la Cour d’Angleterre tenait despropos semblables93.

Malgré ce qui précède, notons que nos cours ont acceptéd’entendre dans certains cas, les demandes de cassation ou derévision des ordonnances Anton Piller rendues. L’affaire Ray-mond Chabot, déjà citée94 en est un exemple.

De plus, dans la récente affaire Nadeau c. Nadeau, la Coursupérieure a non seulement accepté d’entendre une requête enannulation de l’ordonnance Anton Piller, mais elle a effectivementannulé celle-ci, jugeant que les critères jurisprudentiels n’avaientpas été respectés95.

Dans l’éventualité où la Cour accepterait d’entendre unedemande en cassation d’une ordonnance Anton Piller, il a été éta-bli que la Cour devrait alors prendre en considération non seule-ment la preuve déposée au soutien de la demande initiale, maiségalement tous les faits entourant l’exécution de l’ordonnance, demême que la preuve saisie.

En effet, une décision de la Cour fédérale en cette matière,l’affaire Viacom Ha ! Holding Co. c. Jane Doe, mentionne que lors

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fruits of the search, the defendants would have their remedy in the counter-undertaking as to damages. But this is a matter to be investigated by the HighCourt judge who is seized of the matter, and only when he has reached a deci-sion can this court be concerned. I would dismiss this appeal, not on the merits,but on the grounds that it is an abuse of the process of the court. Lest it bethought that that is an opprobrious phrase, let me explain that by that I meanthat it is wholly inappropriate for this court to entertain an appeal from theorder of Mervyn Davis J made ex parte when not only has it been executed, butthe matter has subsequently come back to and is in the process of being conside-red by other High Court judges. »

93. Dormeuil Frères SA and another c. Nicolian International (Textiles), [1988] 3All E.R. 200 et 201. « Where an Anton Piller order has been made ex parte, in thevast majority of cases the order has been executed before the inter partes hea-ring. Setting aside the Anton Piller order cannot undo what has already beendone. [...] In my judgment, therefore, in the ordinary case it is wrong on the hea-ring of an inter partes motion to go into the huge complexities involved in see-king to disentangle at that stage whether there was full disclosure when the exparte order was obtained. The matter should normally be dealt with at trial inthe way I have indicated. The right course therefore, would normally be toadjourn an application to set aside the ex parte order to be dealt with at trial. »

94. Voir l’arrêt Raymond Chabot, supra, note 4.95. Nadeau c. Nadeau, AZ-50308886 (C.S.), dont au par. 53 : « Enfin, lorsque

l’ordonnance a été émise par le juge en chambre et qu’elle a été exécutée, ledéfendeur peut se pourvoir en annulation ou en modification de l’ordonnance etpeut alors faire valoir tous ses moyens. Le Tribunal procède alors de novo etentend toute la preuve portant sur les motifs et l’exécution de l’ordonnance. »

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de l’audition pour la révision (de novo) de l’ordonnance AntonPiller, il est possible de tenir compte des éléments de preuverecueillis lors de l’exécution de l’ordonnance Anton Piller96.

C’est aussi la conclusion à laquelle en arrive la Cour suprêmede Colombie-Britannique dans une affaire, où un défendeur ten-tait de « set aside an Anton Piller order », soit l’affaire DirecTV c.Gray, déjà citée97. On note dans cette affaire que la Cour, auxparagraphes 70 à 72 du jugement, analyse et tient compte dans lecadre de sa décision sur la validité de l’ordonnance Anton Piller,de certains éléments de preuve saisis lors de l’exécution de cettedernière.

Par ailleurs, dans l’affaire Tamec Inc. c. Publications Info-search Inc. et al., la Cour indique :

Au stade de la révision de l’ordonnance de Madame la juge Cour-ville, le juge saisi, le cas échéant, ne sera pas appelé à siéger enappel de l’ordonnance rendue, mais procédera à un ré-examen denovo et pourra tenir compte de toute preuve additionnelle préala-blement présentée, le cas échéant. À ce titre, le Tribunal réfèrenotamment aux deux décisions suivantes qui traitent de cet aspect :Adobe Systems Inc. c. K.L.J. Computer Solutions Inc. et PulseMicrosystems Ltd. et al. c. Safesoft Systems Inc. et al.98

Notons que la récente décision Nadeau, déjà citée99, a faitl’objet d’un appel où la Cour d’appel a refusé d’intervenir dans ladiscrétion du juge de première instance. Elle indique toutefois :« bien que je ne sois pas convaincu du bien-fondé de la décision dupremier juge de refuser que soit mis en preuve le résultat de la

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96. Viacom Ha ! Holding Co. c. Jane Doe, [2000] 6 C.P.R. (4th) 36, à la p. 47. « [48.]Further, it is well established that the hearing of a review of an Anton Pillerorder is an examination de novo and that I am entitled to consider any additio-nal evidence available from both parties... [49.] On this review motion, the evi-dence obtained through the search discloses a strong prima facie case ofinfringement against the proposed defendants. On May 23, 1999, Toys inMotion was clearly offering for sale counterfeit merchandise, approximately80 % of the store’s contents. »

97. Voir l’affaire DirecTV, supra, note 69, au par. 69. « Ultimately, the Anton PillerOrder is an order that the court issues to protect its own process. Here, I am ofthe view that the nature of the information in the evidence put before the courton June 24 justified that order. The initial evidence obtained by the plaintiffwhen the order was executed on June 26 does not cause me to vary my opinion. »

98. Tamec Inc. c. Publications Infosearch Inc. et al., EYB 2003-49933 (C.S.), à lap. 1.

99. Supra, note 95.

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saisie, aux fins de trancher les requêtes dont il était saisi, jen’interviendrais pas dans l’exercice de sa discrétion. »100.

C. Outrage au tribunal en cours d’exécution

Par ailleurs, même dans les cas où la perquisition et la saisiesont autorisées par le défendeur, il peut arriver que durant ledéroulement de l’exécution, le défendeur pose des gestes qui cons-tituent malgré tout, des outrages au tribunal.

Les faits qui surviennent durant l’exécution peuvent eux-mêmes constituer une preuve de cet outrage. De plus, certains élé-ments de preuve saisis, pourraient eux aussi être utilisés pourprouver l’outrage. À titre d’exemple, pensons à des documentscachés, effacés, déchirés ou déchiquetés101.

7. L’ABUS DE LA PROCÉDURE ANTON PILLER ETSES CONSÉQUENCES

Comme le mentionne la jurisprudence constante et non équi-voque, l’ordonnance Anton Piller est un recours extraordinairequi, afin de minimiser le risque d’abus, ne doit être accordée quedans les rares cas où les conditions requises sont remplies.

Les propos mentionnés en première instance dans la récenteaffaire Nadeau, déjà citée, méritent d’être repris ici au long, en cequ’ils résument plusieurs des points déjà couverts :

Il n’est pas douteux que l’ordonnance de type Anton Piller entre enconflit avec les articles 5, 6, 7 et 8 de la Charte des droits et libertésde la personne. Pour cette raison, la prudence doit guider le tribu-nal dans l’examen d’une telle demande. Monsieur le juge Dalphond,alors qu’il était encore de la Cour supérieure, écrivait dans l’affaire3108406 Canada inc. c. Ken-a-trix (Lubricants) inc., après avoirmentionné l’atteinte aux droits fondamentaux que comportait l’or-donnance Anton Piller :

For this reason, the Court accepts, almost as a minimum, thethree-fold test enunciated in the Anton Piller case : there mustbe a very strong prima facie case for the injunction sought bythe applicant ; the damage likely to be caused to the applicantmust appear very serious ; and the applicant’s allegations must

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100. Nadeau c. Nadeau, AZ-50313163, à la p. 2 (C.A.).101. Voir l’affaire Bell ExpressVu, supra, note 86.

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disclose a real possibility that the respondent will destroy orsecrete relevant documents or things if there is no order to pre-vent it.

Cette mise en garde a été répétée par monsieur le juge Journet dansla décision Godin c. Restaurant St-Hubert B.B.Q. inc. :

L’ordonnance « Anton Piller » est une procédure extraordinairequi reçoit rarement application. Ce n’est, en effet, que lorsqu’ily a probabilité qu’un objet ou une preuve soit détruite ou dispa-raisse que l’on prendra des mesures visant sa conservationpour les fins d’un procès éventuel.

Une telle ordonnance est rendue ex parte. Ce n’est qu’excep-tionnellement qu’un tribunal rend une décision sans donner àune partie la chance d’être entendue. Cette procédure doit êtreutilisée avec beaucoup de prudence afin d’éviter des abus dedroit et de procédure. L’audition ex parte permet une saisie« surprise » qui a pour but d’éviter la destruction des biens à sai-sir. L’élément de fraude, de dol ou d’obstruction à la justice de lapartie qui a en main les objets ou biens à saisir sont essentiels àl’ordonnance « Anton Piller ».102

C’est en effet en vertu de ces prémisses et suite à une analysedes faits de la cause, que la Cour supérieure dans l’affaire Nadeauen viendra à la conclusion qu’aucune des conditions requises pourl’ordonnance Anton Piller n’était remplie. Elle procéda donc à lacassation de l’ordonnance.

A. La cassation

Comme mentionné précédemment, même dans les cas d’abusde procédures, la cassation de l’ordonnance ne sera pas automa-tique. Tout dépendra des faits de la cause, des abus en question, del’intérêt de la justice, etc.

À ce sujet, notons que dans l’affaire Tamec Inc. c. Publica-tions Infosearch Inc. et al., où il s’agit d’une demande d’annulationde saisie avant jugement, la Cour rappelle que « la forme ne doitpas l’emporter sur le fond » et donc, que pour obtenir cassation del’ordonnance pour vices de procédures, le défendeur se devait deprouver qu’il avait subi un préjudice103.

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102. Voir l’affaire Nadeau, supra, note 95, à la p. 15.103. Tamec Inc. c. Publications Infosearch Inc. et al., EYB 2004-69273 (C.S.), à la p. 4.

« Mais il a plus. Pour obtenir la cassation de saisie pour non-respect de formali-

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Plusieurs arguments peuvent toutefois être soulevés par ledéfendeur à l’appui d’une demande en cassation de l’ordonnanceAnton Piller. Entre autres, on note (i) l’insuffisance ou la faussetéde la preuve soumise à l’appui de la requête initiale ; (ii) le fait queles conditions nécessaires au recours n’étaient pas remplies ;(iii) une divulgation incomplète de la part du demandeur ; (iv) lefait que l’ordonnance est contraire aux Chartes, (v) le fait que danscertains cas, elle force l’auto-incrimination, de même que (vi) tousles arguments entourant l’exécution abusive de l’ordonnance.

Sans s’arrêter à chacun de ces arguments, notons que la vio-lation des droits prévus en vertu des Chartes est assez régulière-ment soulevée par les défendeurs, et ce, même depuis la décisionde la Cour d’appel dans l’affaire Raymond Chabot, déjà citée.

En ce qui concerne la Charte canadienne, comme nousl’avons mentionné, dans l’arrêt Dolphin Delivery104 déjà cité, laCour suprême a conclu que la Charte canadienne ne s’appliquequ’au gouvernement105.

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tés ou pour vices de procédure, les requérantes se devaient de démontrerqu’elles ont subi un préjudice en raison de l’inobservance de ces règles imposéespar le Code de procédure civile. Dans l’affaire Association des agents distribu-teurs des messageries dynamiques inc. c. Groupe Québécor inc., la Cour d’appeltranchait : « Suivant l’article 2 C.p.c. « les règles de procédure édictées par cecode sont destinées à faire apparaître le droit et en assurer la sanction ; et àmoins d’une disposition contraire, l’inobservation de celles qui ne sont pasd’ordre public ne pourra affecter le sort d’une demande que s’il n’y a pas étéremédié alors qu’il était possible de le faire. » À cette règle, il faut ajouter cellequi a été posée par la jurisprudence, savoir que le saisi, dans les circonstances,démontre qu’il a subi un préjudice en raison de l’inobservance de la règle, ... »Plus loin, sous la plume de monsieur le juge Jacques, elle ajoutait : « Les droitsdu saisissant sont aussi importants que ceux du saisi. » Monsieur le juge Forget,alors à la Cour supérieure, rappelait ces mêmes principes dans l’affaire deTsuru c. Montpetit. »

104. Voir l’arrêt Dolphin Delivery, supra, note 29.105. Ibid., à la p. 600. « While in political science terms it is probably acceptable to

treat the courts as one of the three fundamental branches of government, that islegislative, executive and judicial, I cannot equate for the purposes of Charterapplication the order of a court with an element of government action. This isnot to say that the courts are not bound by the Charter. The courts are, of course,bound by the Charter as they are bound by all law. It is their duty to apply thelaw, but in so doing they act as neutral arbiters, not as contending parties in adispute. To regard a court order as an element of governmental interventionnecessary to invoke the Charter would, it seems to me, widen the scope of theCharter application to virtually all private litigation. All cases must end, ifcarried to completion, with an enforcement order and if the Charter precludesthe making of the order, where a Charter right would be infringed, it wouldseem that all private litigation would be subject to the Charter. In my view,that approach will not provide the answer to the question. A more direct and

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Les tribunaux ont aussi confirmé à plusieurs reprises, qu’enmatière d’ordonnances Anton Piller, la Charte canadienne nes’applique pas106. Au Québec, la Cour supérieure, dans l’affaireJulien inc., déjà citée, est au même effet107.

Les défendeurs soulèvent parfois l’argument à l’effet quel’ordonnance Anton Piller va à l’encontre du privilège permettantà quiconque de ne pas s’auto-incriminer.

Sur ce point, puisque la Charte canadienne ne s’applique pasaux ordonnances Anton Piller, tout argument fondé sur l’article 13de la Charte canadienne devrait être en soi irrecevable. D’ailleurs,à notre connaissance, il n’existe aucune décision canadienne ouquébécoise qui aurait refusé de rendre ou casser une ordonnanceAnton Piller en raison de ce privilège.

Au contraire, dans l’affaire Titan Sports Inc. c. MansionHouse (Toronto) Ltd.108, la Cour fédérale, dans sa décision parlaquelle est prononcée une ordonnance Anton Piller en faveur dudemandeur, ne considère pas qu’il y a pour autant accroc au privi-lège de ne pas s’auto-incriminer109.

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precisely-defined connection between the element of government action and theclaim must be present before the Charter applies. » Voir aussi Tremblay c.Daigle, [1989] 2 R.C.S. 530, à la p. 571. « This is a civil action between two pri-vate parties. For the Canadian Charter to be invoked there must be some sort ofstate action which is being impugned. »

106. Voir l’affaire Ontario Realty, supra, note 59. Voir entre autres l’affaire Viacom,supra, note 96, aux par. 79-80. « [...] when a court order is granted to resolve aprivate litigation based on the common law, it cannot be a government action towhich the Charter applies. It is well established that an Anton Piller order isissued in the context of a private pending dispute between private parties “withthe purpose of preserving property as to which there is strong prima facie evi-dence that it consists of articles infringing the plaintiff’s copyright, trade-markor other rights”. Thus, I am of the opinion that the Charter cannot be invoked toset aside an Anton Piller order. » (nos italiques)

107. Supra, note 27, p. 1091, au par. 40. « [...] ces ordonnances ne viennent pas en con-travention avec l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés nil’article 24.1 de la Charte des droits et libertés de la personne selon l’étude decette question qui a été faite dans les décisions suivantes : en effet, l’exécutiond’une ordonnance « Anton Piller » constitue une procédure de nature purementcivile qui n’est pas sujette aux exigences requises pour l’émission d’un mandatde perquisition. Il n’est donc pas besoin d’autorisation préalable basée surl’existence de « motifs raisonnables et probables » tel qu’exigé par le Code crimi-nel du Canada. L’ordonnance « Anton Piller » ne constitue ni une saisie, ni uneperquisition ; c’est une ordonnance d’un tribunal civil. »

108. Titan Sports Inc. c. Mansion House (Toronto) Ltd., [1990] 1 C.F. 448.109. Ibid., au par. 19. « I note the serious reservations expressed by Addy J. in

[Chin-Can] about similar terms of an order there sought, and his refusal toagree to such terms. Yet this term, requiring information about the source and

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Notons aussi que l’auteur Paciocco a analysé la jurispru-dence sur l’interprétation de « témoin », dans nombreuses législa-tions canadiennes afin de déterminer si l’on pouvait y inclure undéfendeur d’une ordonnance Anton Piller, et a conclu que la posi-tion canadienne devrait être négative110.

Quant aux arguments concernant l’exécution fautive de l’or-donnance, dans l’affaire Nadeau, déjà citée, bien que la Cour aitcassé l’ordonnance, entre autres en raison du fait que les condi-tions du recours n’étaient pas respectées, elle se pencha égale-ment sur divers cas d’abus soulevés par les défendeurs et leurimpact, tels que (i) la pertinence des documents saisis ; (ii) lesavocats des défendeurs qui n’ont pas eu accès aux lieux ; (iii) l’in-ventaire qui n’a pas été fait correctement par les huissiers ; (iv) lesdéfendeurs qui auraient refusé de collaborer avec les deman-deurs, et (v) l’absence d’accès aux documents111.

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supplier of the unscrambler, is consistent with the terms of the orders issued inboth All Can. Sports Promotions Ltd. v. Sun Lite Systems, supra and All Ca.Sports Promotions Ltd. v. Unauthorized Receivers of the Leonard vs. HearnsTelecast, supra. Despite reservations, in this case I agreed to an order of thenature sought, in view of the apparent widespread practice of unauthorizedaccess and presentation of the applicantsrsquo [sic] copyright program on a pre-vious occasion and its expectations that the same would now be repeated. Moreo-ver, control of unauthorized pirating of programs broadcast infrequently forclosed circuit television may only be accomplished if those seeking to protecttheir interests in their copyright can solidify their positions to do so with eachsuccessive event by gaining information about sources of distribution of unau-thorized unscramblers or decoders. »Voir aussi les propos de l’auteur Léger, supra, note 41, à la page 398 : « Les dispo-sitions pénales créées par les sous-articles 42(f) et (g) de la Loi sur le droitd’auteur, incluant la possibilité d’être condamné à une amende d’un million dedollars et à cinq ans d’emprisonnement, pourront peut-être susciter l’intérêtdans le débat de savoir à quel point la Charte et les principes de common lawcontre l’auto-incrimination sont susceptibles d’avoir un impact sur la naturemême d’une ordonnance Anton Piller. La question de savoir si les dispositionscontenues dans une ordonnance Anton Piller prévoyant une révélation généralepar le défendeur vont à l’encontre de l’article 13 de la Charte a été soulevée dansl’affaire Chin-Can, mais n’a finalement pas été décidée parce que la cour refusad’émettre l’ordonnance recherchée par le demandeur. Cependant, il y fut notéque le défendeur qui fait les révélations au moment où il se voit signifierl’ordonnance n’est pas à ce moment un témoin dans quelque procédure, non plusqu’il ne sera obligé de le devenir, et par conséquent, sur cette base seulement, soncas tomberait alors en dehors du sens littéral dudit article 13. »

110. D.M. PACIOCCO, « Anton Piller Orders : Facing the Threat of the PrivilegeAgainst Self-Incrimination », (1984) 34 University of Toronto Law Journal 26, àla p. 43 : « The common law privilege to refrain from answering incriminatingquestions and to produce incriminating documents does not extend to AntonPiller respondents.... »

111. Voir l’affaire Nadeau, supra, note 95, à la p. 16.

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La Cour se pose en fait la question : L’ordonnance AntonPiller a-t-elle été exécutée correctement ?112 Pour répondre à cettequestion, la Cour a entre autres procédé à l’analyse de la perti-nence des documents saisis113.

Ceci est un bel exemple de la nécessité d’avoir parmi les per-sonnes autorisées, des personnes pouvant identifier la preuve per-tinente.

Toutefois, l’analyse de la Cour sur la prise d’inventaire sou-lève à notre avis des problèmes pratiques importants :

Le paragraphe 29 de l’ordonnance Anton Piller énonce :

29. ORDONNE aux huissiers instrumentant de faire rapportde la signification et de l’exécution du présent jugement et dedresser un inventaire complet et précis des biens et d’en pro-duire un exemplaire au greffe de la Cour dès que possible.

Les procès-verbaux qu’on retrouve à I-84, I-86 et I-87 ne répondentpas à cette exigence. À titre d’exemple, le procès-verbal du huissierJean Légaré concernant le 955 de Bourgogne fait état d’un lot dedocuments corporatifs tels que états financiers, contrats, corres-pondance, actes de vente, états comptables, documents de succes-sion, etc.

On peut dire la même chose des autres procès-verbaux qui ne cons-tituent en rien un inventaire complet et précis des documents sai-sis.114

Bien que parfois les faits de la cause requièrent d’ordonnerque l’inventaire soit très précis, la plupart du temps, ce haut degréde précision ne sera pas nécessaire, contre-indiqué et voire mêmequasi-impossible compte tenu des circonstances, dont notammentle volume des éléments de preuve saisie.

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112. Voir l’affaire Nadeau, supra, à la p. 15. « Or, le témoignage des huissiers montrequ’ils n’étaient pas au courant du litige et qu’ils ne connaissaient que les termesde l’ordonnance Anton Piller. Ils n’ont pas non plus reçu d’instructions quant àla façon de choisir les documents à retenir. [...] En outre, ils n’ont pas vérifié lecontenu des disquettes et des films saisis et ne sont pas en mesure d’en détermi-ner la pertinence. [...] Le tribunal n’a aucune hésitation à conclure que la perti-nence des disquettes et des films saisis à la résidence de monsieur JacquesNadeau n’a pas été vérifiée comme l’exigeait l’ordonnance. Cela suffit pour qu’ilssoient retournés à leur propriétaire. [...] C’est donc dire qu’en ce qui concerne lasaisie pratiquée au siège social et au local d’entreposage, environ 13 boîtes dedocuments ont été enlevées sans être pertinentes. Ce constat suffit pour que lasaisie soit annulée, que les documents soient retournés à leur propriétaire. »

113. Voir l’affaire Nadeau, supra à la p. 15.114. Voir l’affaire Nadeau, supra à la p. 16.

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En effet, l’exécution d’une ordonnance Anton Piller est habi-tuellement compliquée, longue et laborieuse. Exiger un tropgrand degré de précision dans la prise d’inventaire aurait poureffet non seulement d’allonger et alourdir le processus, d’impor-tuner le défendeur pour plusieurs heures ou jours supplémentai-res, mais également d’augmenter les risques d’erreur. Le jugetiendra compte de ces contraintes dans la rédaction de l’ordon-nance. Il pourra entre autres créer un processus permettant audéfendeur de rapidement s’objecter à tous éléments saisis qu’iljugerait non pertinents au litige ou privilégiés. Ainsi, un débatsubséquent à ce sujet n’aurait pas pour objet d’automatiquementannuler l’ordonnance Anton Piller (sauf parfois en cas d’abus),mais simplement de retourner au défendeur les items dont l’ob-jection serait maintenue par la Cour.

Par ailleurs, notons que dans la récente affaire ontarienneCelanese Canada Inc. c. Murray Demolition Corp., le 21 avril2005, la Cour suprême a accordé le droit d’en appeler d’une déci-sion de la Cour d’appel d’Ontario du 1er octobre 2004, qui ren-versait la décision de la Cour supérieure d’Ontario (chambredivisionnaire), dans un cas où l’on demandait de faire déclarer lesprocureurs du demandeur inhabiles à agir, suite à l’obtentiondans le cadre de l’exécution d’une ordonnance Anton Piller, dedocuments privilégiés entre un client et son avocat115.

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115. Supra, note 78, à la p. 5. « It is undisputed that in the exception of the Anton Pil-ler order, efforts were made to segregate privileged documents (both paper andelectronic) from those that were not. Despite such efforts, a number of privilegedelectronic documents were seized. It is further undisputed that within a day ortwo of the search, Cassels and Kasowitz obtained possession of the privilegeddocuments (as well as many hundreds of unprotected electronic documents) andmade copies of them. It is also accepted that Todd Colvard, a lawyer with Kaso-witz, reviewed all of the electronic documents recovered from the defendantcompany. In doing so, he segregated certain ones (the contents of which heclaims he did not review) that he thought might be protected by solicitor andclient privilege. »Puis la Cour indique, à la page 12 : « On the motion to disqualify, the motionjudge made a number of findings of fact that are not challenged. Among them, hefound that Cassels and Kasowitz had come into possession of the privilegeddocuments as a result of mistakes made by both sides. On the plaintiffs’ side, themistakes included Cassels’ failure to incorporate a specific clause into the AntonPiller order dealing with privileged documents ; failure on the part of the execu-ting team to comply strictly with the terms and conditions of the Anton Pillerorder ; and, failure on the part of Cassels’ counsel to obtain the consent of oppo-sing counsel before breaking the seal on a package, which, unbeknownst toanyone at the time, contained the privileged electronic documents. On thedefendants’ side, the mistakes included failure by their counsel to more closelymonitor the electronic documents that were being seized and failure to demand

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Parmi les arguments soulevés par le requérant, à l’appui desa demande de permission d’en appeler devant la Cour suprême,on note le fait qu’il n’existe au Canada aucune règle de procédurequant à l’exécution d’une ordonnance Anton Piller qui permettraitd’assurer entre autres, un minimum de protection quant au privi-lège avocat-client. Il sera donc intéressant de voir ce que la Coursuprême décidera à ce sujet.

B. Le retour de la preuve saisie

Il est évident que la cassation aura souvent pour effet deretourner au défendeur la preuve saisie.

Une réflexion toutefois s’impose : la Cour qui déciderait pourl’un ou l’autre des motifs susmentionnés qu’il y a lieu de casserl’ordonnance, doit-elle automatiquement ordonner le retour del’ensemble de la preuve saisie ? En effet, qu’en est-il des cas oùsuite à l’exécution de l’ordonnance, la preuve se révèle évidenteque la Cour est en présence d’un cas de fraude ou de piraterie.

Dans l’affaire Louis Vuitton Malletier, S.A. et al. c. BagsO’Fun Inc. et al.,la Cour fédérale a répondu ainsi à cette question :

These breaches cannot be excused by the fact that there is a primafacie case that the goods are in fact counterfeit and that the personswhose property has been seized have not taken the trouble toappear to defend their interests. The purpose of the review is to

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strict compliance with the terms of the order, particularly the term that no docu-ments were to be removed until a list had been prepared and the defendant com-pany had been given a reasonable opportunity to check it. »Enfin, la Cour conclut aux par. 51 et 52 : « In sum, so far as the Anton Piller orderis concerned, given the motion judge’s finding that the privileged documentsended up in the hands of Cassels and Kasowitz through inadvertence, any mis-takes attributable to the plaintiff companies that contributed to that outcome donot, in my view, feature significantly in the “disqualification” determination.Manifestly, while mistakes of the kind made here are to be discouraged, the riskof disqualification will probably act as a sufficient deterrent. To do more wouldrisk putting an undue chill on Anton Piller orders and prevent their legitimateuse in appropriate circumstances. That said, it should be emphasized that whenit comes to the protection of a defendant’s confidentiality rights, plaintiffs whoobtain and execute Anton Piller orders should make every effort to avoid thekind of mistakes made here. The very nature on an Anton Piller places a particu-lar onus on parties who obtain them to execute them carefully and properly,especially where privileged documents may be among the documents being sei-zed. If that care is not taken, it may be hard in the Anton Piller context to charac-terize any resulting mistake as inadvertent. »

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allow the Court to assess the conduct of the plaintiffs’ agents intheir execution of an extraordinary remedy. The fact that the plain-tiffs’ rights have been infringed is the raison d’être for the AntonPiller Order. It cannot be the justification for the failure to complywith its terms.

[...]

In this case, counsel for the plaintiffs took strong objection to thepossible return of the seized goods ... since the evidence is that theyare counterfeit and their only use to the individuals in question isas inventory. The difficulty is that the prima facie proof of counter-feiting was obtained as a result of an unlawful seizure. To ignorethe unlawful seizure is to condone it. I decline to do so.

[...]

They (the defendants) should note carefully that the Court has notapproved in any way their right to sell the goods which are the sub-ject of this motion. There is evidence before the Court that the goodsare counterfeit. If they are counterfeit and Ms. Lin and Mr. Chancontinue to sell them, they expose themselves to the possibilityof further action including injunction, and a claim for damagesincluding punitive damages. The dismissal of this motion is with-out prejudice to the right of the plaintiffs to apply for a new order,but upon fresh evidence only, should it be shown that counterfeitgoods are being sold.116

Par ailleurs, tel que mentionné précédemment, outre la cas-sation pure et simple de l’ordonnance, la Cour pourra égalementjuger bon dans le meilleur intérêt de la justice, entre autres dansles cas où elle déterminerait qu’il y a absence de pertinence,d’ordonner le retour d’une partie de la preuve saisie. Il en sera éga-lement ainsi dans les cas d’application du privilège de confidentia-lité des documents échangés entre le défendeur et ses procureurs.

Ce faisant, la Cour tout en préservant les droits du défendeurquant à la pertinence ou le privilège de certains documents,permettra au demandeur de conserver la preuve visée par l’ordon-nance.

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116. Louis Vuitton Malletier, S.A. et al. c. Bags O’Fun Inc. et al., [2000] 8 C.P.R. (4th)348. Voir aussi Tommy Hilfiger Licensing, Inc. et al. C. Jane Doe et al., [2000] 8C.P.R. (4th) 194 et Havana House Cigar & Tobacco Merchants c. Jane Doe,[1999] 1 C.P.R. (4th) 521 (ci-après « Havana House »).

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C. Les dommages

Peu importe que la Cour casse ou non l’ordonnance, ouordonne ou non le retour de la preuve saisie, dans les cas d’abus, laCour pourra juger pertinent d’octroyer des dommages au défen-deur117.

Outre la démonstration des dommages effectivement subispar le défendeur, le type d’abus, le caractère volontaire ou non deces abus et la bonne ou mauvaise foi du demandeur, auront sûre-ment un impact important sur le montant ainsi octroyé.

8. CONCLUSIONS

Considérant l’impact de l’ordonnance Anton Piller, il n’estpas surprenant que ce recours soit en plein essor en droit civil qué-bécois. Il est maintenant chose du passé de l’associer uniquementaux recours de common law ou à ceux présentés en Cour fédérale.En effet, particulièrement depuis la décision de la Cour d’appeldans Raymond Chabot, les demandes devant la Cour supérieuredu Québec pour de telles ordonnances augmentent rapidement.

Ainsi, bien qu’au premier abord l’ordonnance Anton Pillerpuisse être intrusive dans les affaires ou la vie privée du défen-deur, l’ordonnance pourra prévoir des mesures de protection quipermettront d’en diminuer l’impact sur le défendeur, lorsquenécessaire.

Dans certains cas toutefois, notamment en matière de fraudeet lorsque la preuve le justifie, l’impact de l’intrusion sera minimecomparativement aux faits reprochés, de sorte qu’on voudra privi-légier et donner préséance aux objectifs du demandeur.

Les juristes auront malgré tout raison de se rappeler qu’ils’agit d’un recours extraordinaire qui ne s’applique pas à tous lesdossiers. Par ailleurs, avant de rendre une telle ordonnance, lescours seront bien fondées de s’assurer que toutes les conditionsnécessaires à son octroi sont rencontrées.

Et, dans les cas où ces conditions sont remplies, l’ordonnanceelle-même devra circonscrire, dans un texte précis, les droits et

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117. Voir J. Léger, supra, note 41, aux p. 386-387. Walt Disney Co. c. Jane Doe, [2001]11 C.P.R. (4th) 69 ; Havana House, supra, note 116.

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obligations de chacune des parties, de même que le cadre et leslimites imposées de son exécution.

Le demandeur prudent s’assurera par la suite de ne pasoutrepasser ses pouvoirs, sous peine de voir l’ordonnance casséepour exécution abusive ou sous peine d’une condamnation pourdommages.

Quant au défendeur, bien qu’il ait techniquement le « choix »d’en refuser l’exécution, ce choix entraînerait alors la possibilitéd’être condamné pour outrage au tribunal en matière d’injonctionet les conséquences très sérieuses de celui-ci.

En conclusion, comme « arme nucléaire », la puissance del’ordonnance Anton Piller est considérable et sans précédent dansnotre système judiciaire. En pratique, elle permettra souventd’anéantir toute possibilité de défense fallacieuse ou dilatoirede la part du défendeur. Ne serait-ce qu’à cette fin, elle est d’uneefficacité redoutable.

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