Louis Gill Neoliberalisme

Embed Size (px)

Citation preview

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    1/92

    Louis GILLconomiste, professeur retrait du dpartement de science conomique, UQM

    (2004)

    Lenolibralisme

    2e dition entirement revue et mise jour.

    Un document produit en version numrique par Jean-Marie Tremblay, bnvole,professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi

    Courriel:[email protected] web pdagogique : http://www.uqac.ca/jmt-sociologue/

    Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"Site web: http://classiques.uqac.ca/

    Une collection dveloppe en collaboration avec la BibliothquePaul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec Chicoutimi

    Site web: http://bibliotheque.uqac.ca/

    mailto:[email protected]://www.uqac.ca/jmt-sociologue/http://classiques.uqac.ca/http://bibliotheque.uqac.ca/http://bibliotheque.uqac.ca/http://classiques.uqac.ca/http://www.uqac.ca/jmt-sociologue/mailto:[email protected]
  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    2/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 2

    Politique d'utilisationde la bibliothque des Classiques

    Toute reproduction et rediffusion de nos fichiers est interdite,mme avec la mention de leur provenance, sans lautorisation for-melle, crite, du fondateur des Classiques des sciences sociales,Jean-Marie Tremblay, sociologue.

    Les fichiers des Classiques des sciences sociales ne peuventsans autorisation formelle:

    - tre hbergs (en fichier ou page web, en totalit ou en partie)sur un serveur autre que celui des Classiques.

    - servir de base de travail un autre fichier modifi ensuite partout autre moyen (couleur, police, mise en page, extraits, support,etc...),

    Les fichiers (.html, .doc, .pdf., .rtf, .jpg, .gif) disponibles sur le siteLes Classiques des sciences sociales sont la proprit des Classi-ques des sciences sociales, un organisme but non lucratif com-

    pos exclusivement de bnvoles.

    Ils sont disponibles pour une utilisation intellectuelle et person-nelle et, en aucun cas, commerciale. Toute utilisation des finscommerciales des fichiers sur ce site est strictement interdite ettoute rediffusion est galement strictement interdite.

    L'accs notre travail est libre et gratuit tous les utilisa-teurs. C'est notre mission.

    Jean-Marie Tremblay, sociologueFondateur et Prsident-directeur gnral,LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES.

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    3/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 3

    Cette dition lectronique a t ralise par Jean-Marie Tremblay, bnvole, profes-seur de sociologie au Cgep de Chicoutimi partir de :

    Louis Gill, conomiste qubcois

    conomiste, professeur retrait du dpartement de science conomique, UQM

    LE NOLIBRALISME. Montral : Chaire dtudes socio-conomiques delUQAM. 2edition entirement revue et mise jour, 2004, 84 pp.

    Louis GILL est conomiste et professeur retrait du dpartement de sciencesconomiques de l'UQM o il a uvr de 1970 2001. Tout au cours de cettecarrire, il a eu une activit syndicale active. Il a publi plusieurs ouvrages, sur lathorie conomique marxiste, l'conomie internationale, lconomie du socia-lisme, le partenariat social et le nolibralisme, ainsi que de nombreux essais etarticles de revues et de journaux sur des questions conomiques, politiques, socia-

    les et syndicales.[Autorisation formelle accorde conjointement par lauteur, M. Louis Gill, et

    le directeur de la Chaire socio-conomique de lUQAM, M. Marc Hasbani le 4fvrier 2008 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

    Courriels : [email protected] [email protected].

    Polices de caractres utilise :

    Pour le texte: Times New Roman, 14 points.

    Pour les citations : Times New Roman, 12 points.Pour les notes de bas de page : Times New Roman, 12 points.

    dition lectronique ralise avec le traitement de textes Microsoft Word2004 pour Macintosh.

    Mise en page sur papier format : LETTRE (US letter), 8.5 x 11)

    dition numrique ralise le 12 fvrier 2008 Chicoutimi,Ville de Saguenay, province de Qubec, Canada.

    mailto:[email protected]:[email protected]:[email protected]:[email protected]
  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    4/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 4

    Nous sommes infiniment reconnaissant la direction de la Chaire socio-conomique de lUQAM de nous accorder la permission de publier, entexte intgral, ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.

    [Autorisation formelle accorde le 4 fvrier 2008 par le directeur de laChaire socio-conomique de lUQAM, M. Marc Hasbani, de diffuser celivre dans Les Classiques des sciences sociales.]

    Non seulement M. Hasbani nous a-t-il autoris diffuser ce livre maisgalement toutes les publications de la Chaire socio-conomique delUQAM.

    M. Marc Hasbani,DirecteurChaire socio-conomique de lUQAM.

    Courriel : [email protected] Tremblay, sociologueFondateur, Les Classiques des sciences socialesMercredi, le 9 fvrier 2008.

    http://www.cese.uqam.ca/mailto:[email protected]:[email protected]://www.cese.uqam.ca/http://www.cese.uqam.ca/
  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    5/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 5

    Louis Gillconomiste, professeur retrait du dpartement de science conomique, UQM

    LE NOLIBRALISME

    Un article publi dans la revue Recherches sociographiques, vol. 8, no 2,mai-aot1967, pp. 151-176. Qubec: Les Presses de l'Universit Laval.

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    6/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 6

    Table des matires

    Quatrime de couvertureAvant-propos1. Dfinition et origines du nolibralisme

    Le contexte conomique et politique de l'mergence du nolibralismeLes fondateurs

    La crise du modle conomique de l'aprs-Deuxime Guerre mondialeLe nolibralisme au pouvoir

    2. Quelques rsultats des politiques nolibrales

    Inflation, croissance, chmageLe dsastre argentinAccroissement des ingalits, crises financires, dsengagement de l'tatDes souverainets nationales soumises aux marchsL'intgration nolibrale de l'EuropeSous l'hgmonie amricaine

    3 . La dictature des marchs

    Libralisation et drglementationPrdominance de l'investissement spculatif court terme Gouvernance d'entreprise Des risques croissants de crise financire

    4. L'enronisme, enfant lgitime du nolibralisme

    Le scandale d'Enron

    rvlateur d'une fraude rige en systmeLa rvoltante escroquerie des options d'achat d'actionsLes preux chevaliers de l'Axe du Bien Nortel, Cinar

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    7/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 7

    5. Des crises en succession ou le cul-de-sac du programme nolibral

    Une autonomie trs relative de la sphre financire

    Le financement public des pertes privesL'clatement de la bulle de la nouvelle conomie Des masses de capital fictif qui s'croulent comme des chteaux de cartes

    6. S'adapter l'invitable ?

    Une opposition construireSur quel axe ?L'utopie irralisable d'un capitalisme civilis

    Bibliographie

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    8/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 8

    LE NOLIBRALISME

    Quatrime de couverture

    Retour la table des matiresCette brochure, dont la premire dition a t publie en 1999, pr-

    sente un expos synthtique du nolibralisme. Elle en situe loriginedans la crise du modle conomique keynsien de laprs-DeuximeGuerre mondiale et en dcrit le processus de gnralisation lchellemondiale depuis la fin des annes 1970.

    Elle en analyse les objectifs : libralisation complte des marchs,drglementation, dsengagement de ltat, privatisation, rigueur

    budgtaire, rgressivit de limpt ; et en value les rsultats, dvasta-teurs pour lcrasante majorit de la population : soumission de toutesles dimensions de la vie conomique et sociale la dictature des mar-chs financiers, chmage de masse, exclusion, prcarit, accroisse-ment des ingalits, risque chronique danantissement de lpargnedes petits pargnants et des fonds de retraite par les crises financires.

    Elle met en garde contre lattitude dfaitiste de ladaptation unetendance vue par certains comme invitable et en appelle la mobili-sation conjointe, au-del des frontires, de tous ceux et toutes cellesqui estiment quun radical changement de cap est ncessaire.

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    9/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 9

    Cette deuxime dition est un largissement substantiel de la pre-mire. Elle rend compte des importants dveloppements survenus de1999 2002, parmi lesquels la crise argentine, les mgascandales fi-

    nanciers et la fraude rige en systme dont la faillite du gant Enrona t le rvlateur, et l'clatement de la bulle boursire de la nou-velle conomie , celle des valeurs technologiques.

    Elle pose la question de l'axe sur lequel l'opposition au nolibra-lisme doit se construire et invite rflchir au choix qui se pose entrel'utopie d'un capitalisme civiliser , qu'on souhaiterait purger de sa dviance nolibrale mais qui serait toujours fond sur l'intrt

    priv et la concurrence, et le dfi collectif de l'dification d'une socitsocialiste dmocratique.

    ********

    Louis Gill a t professeur lUniversit du Qubec Montral (UQAM) de 1970 2001. Il a t un militant ac-tif du Syndicat des professeurs et professeures de lUQAM(SPUQ), dont il a occup divers postes de direction. Di-

    plm en Gnie lectrique de lUniversit McGill, il d-tient une matrise en sciences conomiques de lUniversit de Mon-tral et un doctorat en sciences conomiques de lUniversit de Stan-ford en Californie.

    Il a publi de nombreux ouvrages dont conomie mondiale et imp-rialismeen 1983,Les limites du partenariaten 1989 etFondements etlimites du capitalismeen 1996, aux ditions du Boral. Une versionespagnole de ce dernier ouvrage a t publie aux ditions Trotta deMadrid en 2002. Enfin, le Syndicat des professeurs de l'UQAM a pu-

    bli en 2002 un recueil de ses crits syndicaux intitul Trente ansd'crits syndicaux. Contributions l'histoire du SPUQ.

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    10/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 10

    LE NOLIBRALISME

    AVANT-PROPOS

    Retour la table des matires

    Cette brochure, dont la premire dition a t publie en 1999, pr-

    sente un expos synthtique du nolibralisme. Elle en situe loriginedans la crise du modle conomique keynsien de laprs-DeuximeGuerre mondiale et en dcrit le processus de gnralisation lchelle

    mondiale depuis la fin des annes 1970.

    Elle en analyse les objectifs : libralisation complte des marchs,drglementation, dsengagement de ltat, privatisation, rigueur

    budgtaire, rgressivit de limpt; et en value les rsultats, dvasta-teurs pour lcrasante majorit de la population : soumission de toutesles dimensions de la vie conomique et sociale la dictature des mar-chs financiers, chmage de masse, exclusion, prcarit, accroisse-ment des ingalits, risque chronique danantissement de lpargnedes petits pargnants et des fonds de retraite par les crises financires.

    Elle met en garde contre lattitude dfaitiste de ladaptation unetendance vue par certains comme invitable et en appelle la mobili-sation conjointe, au-del des frontires, de tous ceux et toutes cellesqui estiment quun radical changement de cap est ncessaire.

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    11/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 11

    Cette deuxime dition est un largissement substantiel de la pre-mire. Elle rend compte des importants dveloppements survenus de

    1999 2002, parmi lesquels la crise argentine, les mgascandales fi-nanciers et la fraude rige en systme dont la faillite du gant Enrona t le rvlateur, et l'clatement de la bulle boursire de la nou-velle conomie , celle des valeurs technologiques.

    Elle pose la question de l'axe sur lequel l'opposition au nolibra-lisme doit se construire et invite rflchir au choix qui se pose entrel'utopie d'un capitalisme civiliser , qu'on souhaiterait purger de sa dviance nolibrale mais qui serait toujours fond sur l'intrt

    priv et la concurrence, et le dfi collectif de l'dification d'une socitsocialiste dmocratique.

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    12/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 12

    LE NOLIBRALISME

    1

    Dfinition et originesdu nolibralisme

    Retour la table des matires

    Le terme nolibralisme dsigne le courant de pense et de po-

    litiques conomiques qui sest implant partir de la fin des annes1970 en Grande-Bretagne et aux tats-Unis, pour se gnraliser

    lchelle mondiale au cours des deux dcennies suivantes et rgnerds lors en matre absolu, prtendant soumettre toute lactivit co-nomique et sociale aux seules lois du march. Ses mots dordre sont :libralisation complte des changes de marchandises et des mouve-ments de capitaux, rationalisation, flexibilit du march du travail,globalisation, rle minimal de ltat, hgmonie du secteur priv, r-glementation minimale.

    Ce sont l, derrire certaines formulations nouvelles, les prceptestraditionnels du libralisme conomique classique, noncs dabordpar Adam Smith dans son ouvrageLa richesse des nationspubli en1776, et qui ont marqu tout le XIXesicle et le dbut du XXejusqula dpression des annes 1930. Mais alors, pourquoi parler de no-libralisme ? Dabord, parce quil sagit bel et bien dun retour au li-

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    13/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 13

    bralisme aprs une priode de quelque quatre dcennies qui avaientvu triompher linterventionnisme tatique. Ensuite, parce que ce lib-ralisme est dun type nouveau dans la mesure o le champ de son d-

    ploiement est celui dune conomie dont la mondialisation est dsor-mais acheve.

    Dans ce nouveau contexte, le principe de la libert des changes at pouss un point tel que les tats en sont arrivs confier auxmarchs et aux institutions internationales qui en assurent la domina-tion intgrale des pouvoirs supranationaux, qui chappent la souve-rainet des tats et au contrle de la dmocratie parlementaire sur desquestions aussi importantes que le droit au travail, la sant publique,la protection de lenvironnement, dsormais dcids par les impratifsdu profit et de la comptitivit internationale. Le nolibralisme est ladictature des marchs.

    Le contexte conomique et politiquede lmergence du nolibralisme

    Retour la table des matires

    Il faut savoir que ce sont les limites mmes des lois du march,

    pourtant prsentes aujourdhui comme le rgulateur par excellencede lactivit conomique, seul capable dassurer lconomie mon-diale la croissance et la prosprit, qui ont donn naissance lintervention tatique. Force est de constater en effet que, laiss lui-mme, le comportement de lconomie sous le libralisme a t mar-

    qu tout au cours du XIXe sicle et au cours des trois premires d-cennies du XXe, de crises conomiques se succdant avec une prio-dicit de 7 10 ans. La violence particulire de la crise de 1929 et la

    profonde dpression quelle a provoque pendant toute la dcenniesuivante a amen mettre srieusement en doute les capacits desseules lois du march garantir une croissance soutenue, voire sim-

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    14/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 14

    plement assurer la relance dune conomie alors enlise dans la sta-gnation.

    Le recours une intervention directe de ltat dans lconomiepour en stimuler la croissance, mis de lavant notamment parlconomiste britannique John Maynard Keynes dans son clbre ou-vrage La thorie gnrale de lemploi, de lintrt et de la monnaie,

    publi en 1936 au cur de la Grande dpression, sest ainsi imposcomme une politique incontournable de lconomie de march, ausein de laquelle une panoplie de mesures interventionnistes a vu le

    jour 1, telles :

    - lutilisation des instruments de politique fiscale et montairedans la poursuite dobjectifs de redistribution des revenus, decontrle de linflation, de soutien de la demande globale et delemploi par le financement public de travaux dinfrastructure(rseaux routiers, aroports, gouts, aqueducs, assainissementde lenvironnement, etc.) et de dpenses militaires ;

    - le soutien direct de lentreprise prive par des subventions et

    des exemptions fiscales ;

    - la nationalisation dentreprises existantes et la crationdentreprises dtat nouvelles dans des secteurs considrscomme vitaux pour lconomie nationale ;

    - la rglementation et le contrle de lactivit conomique prive.

    Les mesures nouvelles dintervention de ltat, dveloppes par-tir des annes 1930, venaient sajouter la cration et au dveloppe-ment, depuis les deux dernires dcennies du XIXesicle, de ce quilest convenu dappeler ltat providence, expression qui dsigne la

    1 Voir ce sujet les chapitres 13 et 14 de mon ouvrageFondements et limites ducapitalisme.

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    15/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 15

    prise en main par l'tat de lensemble des services publics que sont lasant, lducation, le logement social, le transport en commun et la

    protection sociale des sans-emploi, des personnes inaptes travailler

    et des retraits.

    Les annes de la Deuxime Guerre mondiale (1939-1945) et lestrente annes qui lont suivie ont connu une gnralisation du recoursaux instruments keynsiens de politique conomique et une impor-tante extension des services publics, de mme que la prise en main parltat dactivits juges essentielles au dveloppement de lconomiedans certains secteurs de la production (extraction minire, sidrurgie,

    production automobile, etc.), de la commercialisation, de la finance etdu transport arien et ferroviaire. Dans la priode qui a suivi la guerre,les gouvernements de nombreux pays, particulirement en Europe, ont

    procd un grand nombre de nationalisations dentreprises existantesou la cration dentreprises tatiques nouvelles denvergure natio-nale dans de tels secteurs cls.

    Peu tendue aux tats-Unis, ayant connu un dveloppement relatifau Canada et au Japon, la nationalisation de lactivit conomique par

    la cration dentreprises publiques ou la participation de ltat desentreprises mixtes avec le capital priv a connu un essor important enEurope occidentale et, partir des annes 1950, une gnralisationcomplte dans les pays dEurope centrale et orientale. Dans le cas deces derniers, il va sans dire, cette gnralisation complte signifiait unchangement de rgime, le passage de lconomie de march lconomie planifie par ltat selon le modle qui leur avait t dict

    par lUnion sovitique o il tait en vigueur depuis les annes 1930.

    La nationalisation des entreprises et lintervention conomique deltat se prsentaient dans ce cadre comme les piliers dun nouvel or-dre social dont lobjectif, au moins en principe, tait de servir les int-rts de la socit dans son ensemble.

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    16/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 16

    Les fondateurs

    Retour la table des matires

    Le nolibralisme comme courant de pense sest dvelopp en r-

    action contre linterventionnisme tatique et ltat providence. Sonpre spirituel est lconomiste dorigine autrichienne, Friedrich vonHayek 2, dont le livre intitul The Road to Serfdom (La route de laservitude), publi en 1944, peut tre considr comme la charte fonda-

    trice du nolibralisme. Cet ouvrage est une attaque contre toute limi-tation par ltat du libre fonctionnement des mcanismes du march.

    Trois ans plus tard, en 1947, von Hayek est linitiative de la r-union, au Mont-Plerin en Suisse, dun regroupement dintellectuelsqui partagent son point de vue. Parmi eux, les conomistes MauriceAllais, Milton Friedman, Ludwig von Mises et Lionel Robbins, et le

    philosophe Karl Popper. Ils fondent la Socit du Mont-Plerin, dont

    lobjectif est de combattre le keynsianisme et les mesures sociales deltat providence et de mettre de lavant la perspective dun capita-lisme libr de toute entrave. Ils dnoncent lgalitarisme promu

    par ltat providence comme une atteinte la libert et prsententlingalit comme une valeur indispensable et une condition delefficacit conomique.

    Ils prcheront dans le dsert pendant plus de trente annes detriomphe de linterventionnisme tatique, jusqu ce que la croyance

    dans les vertus des recettes keynsiennes sestompe son tour face

    2 Rcipiendaire du prix de sciences conomiques en mmoire d'Alfred Nobel en 1974. Ce prix, institu en 1969 par la Banque royale de Sude et non parla fondation Alfred Nobel, est communment mais incorrectement dsigncomme le prix Nobel d'conomie . Voir Gilles Dostaler, Le libralisme deHayek, Paris, La Dcouverte, Collection Repres, no 310, 2001, p. 23-24.

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    17/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 17

    lincapacit, au milieu des annes 1970, de surmonter un phnomnenouveau, celui de lastagnationconomique accompagne dune forteinflation, phnomne qui sera dsign par le nologismestag-flation.

    Si les dfenseurs du nolibralisme sont des inconditionnels dunrle dterminant, voire exclusif, attribuer au march et la concur-rence et se prsentent ainsi comme les meilleurs dfenseurs du capita-lisme, il faut toutefois se garder de voir le keynsianisme comme uncourant anticapitaliste, qui serait vou la destruction du capitalismeen raison du rle conomique largi quil confie ltat. Le keynsia-nisme, au contraire, est une variante du libralisme, une variante douce face la variante radicale nolibrale.

    En fait, la thorie de Keynes soutient que le capitalisme arriv maturit ne peut raliser le plein emploi des ressources par la seuleactivit prive. Laiss lui seul, il est vou la stagnation.Lintervention de ltat est vue comme un levier conomique nces-saire pour stimuler linvestissement priv et lui servir de complmentdans la marche vers le plein emploi. De ce fait, elle est, crit Keynesdans la Thorie gnrale[p. 394], le seul moyen dviter une com-

    plte destruction des institutions conomiques actuelles et la conditionncessaire dun fructueux exercice de linitiative prive . Conscientde la menace que fait peser sur le systme de la proprit prive desmoyens de production la misre sociale cre par la crise, Keynes voitdans lintervention de ltat le moyen dviter le pire, cest--dire ladestruction des institutions capitalistes, et de rtablir les conditions delactivit conomique rentable.

    Dans le mme sens, mme si elle est objectivement une mesure contenu socialiste, la nationalisation dentreprises est au contraire uninstrument par lequel les tats capitalistes se sont efforcs de consoli-der les conomies de march en dbcle et de dfendre le rgime de la

    proprit prive contre la menace de son expropriation. Lconomie mixte de coexistence du capital priv et du capital public, ou denationalisation partielle du capital priv au sein dune conomie dont

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    18/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 18

    les fondements demeurent ceux de lconomie de march, tait pourses protagonistes la solution de rechange permettant dviterltatisation intgrale de lconomie.

    Cette vision de lintervention de ltat comme un instrument de re-lance dconomies en droute, de prservation du capitalisme face aurisque de son effondrement et du cadre limit dans lequel les nationa-lisations doivent tre contenues si on veut leur faire jouer ce rle, a pudautant mieux se raliser quelle a reu ladhsion des composantes

    politique et syndicale du mouvement ouvrier.

    Les partis social-dmocrates en particulier, dont un grand nombreont exerc le pouvoir seuls ou en coalition avec dautres partis pen-dant de nombreuses annes en Europe, ont en effet tous abandonn larevendication de la proprit publique des moyens de production et la

    perspective du socialisme, pour rechercher une troisime voie , quise veut intermdiaire entre le capitalisme et le socialisme mais qui esten fait une simple variante de la premire voie, savoir un capitalisme visage humain ou capitalisme civilis , qui prserve la pro-

    prit prive et son moteur quest le profit, mais qui cherche pro-

    mouvoir le plein emploi et les politiques sociales par le biais de laconcertation entre partenaires sociaux 3. Le fait que la ralisation etla dfense de la proprit publique des moyens de production ensoient venues ne plus compter parmi les objectifs des principalescomposantes du mouvement ouvrier na rendu que plus facile le mou-vement de dnationalisation, cest--dire de privatisation, lorsquil at amorc grande chelle dans les annes 1980.

    3Voir ce sujet mon ouvrage Les limites du partenariat. Les expriences social-dmocrates de gestion conomique en Sude, en Allemagne, en Autriche et enNorvge.

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    19/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 19

    La crise du modle conomique

    de laprs-Deuxime Guerre mondialeLes remdes nolibraux mis de lavant

    Retour la table des matires

    La longue priode de croissance conomique amorce par le d-

    clenchement de la Deuxime Guerre mondiale en 1939 et stimule parles conditions exceptionnelles de laprs-guerre a commenc battre

    de laile la fin des annes 1960 pour entrer en crise au milieu desannes 1970, la premire depuis la grande crise de 1929. La confiancedans les remdes keynsiens auxquels on attribuait les succs cono-miques des trois dcennies de croissance soutenue de laprs-guerresen trouvait fortement branle. Rapparaissaient les crises dont onavait acquis la conviction quelles pouvaient jamais tre surmontesen compensant la rduction de lactivit conomique prive par desactivits induites par ltat ou par le jeu des stabilisateurs intgrs

    comme les prestations dassistance sociale ou dassurance-chmage.Terrain fertile sur lequel pouvaient dsormais fleurir les ides nolib-rales, avec dautant plus de force que le mouvement ouvrier avait taffaibli par des dcennies de partenariat social, de collaboration des

    partis staliniens (dnomms communistes ) et social-dmocratesavec les partis de la bourgeoisie et quil tait dsarm idologique-ment et politiquement face au conservatisme montant.

    Lincapacit de la politique keynsienne de raliser son objectif

    prioritaire, le plein emploi, par son instrument privilgi quest le re-cours lintervention conomique de ltat, et de contrler le dficit

    budgtaire et la drive de linflation qui en sont les corollaires, ouvraitla voie la politique nolibrale, une politique hostile au dirigismetatique et ne misant que sur linitiative prive, tournant le dos larecherche active du plein emploi et dsignant lquilibre budgtaire et

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    20/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 20

    la stabilit des prix comme les nouvelles priorits. Diamtralementoppose la vision keynsienne dune conomie voue la stagnationen labsence dune intervention de ltat, la vision nolibrale est la

    vision classique dune conomie tendant spontanment verslquilibre grce aux mcanismes naturels du march. Le rle deltat dans cette perspective doit se limiter garantir un encadrementstable au libre jeu de ces mcanismes.

    Le niveau de lemploi ainsi ralis comme rsultat des seules for-ces du march est dfini comme son niveau naturel. Le taux naturelde chmage refltant les donnes relles de lconomie, parmi les-quelles les caractristiques du march du travail, il serait illusoire dechercher le rduire en ayant recours des politiques fiscales ou mo-ntaires. long terme, ces politiques ne pourraient tre que gnratri-ces dinflation sans parvenir rduire le chmage. Tel est le dogmedu montarisme, dont le chef de file est lconomiste Milton Fried-man, membre fondateur de la socit du Mont-Plerin et prix desciences conomiques en mmoire d'Alfred Nobel 4 en 1976. Unmoyen vident de la rduction du taux naturel de chmage serait tou-tefois la suppression des rigidits dont souffrirait un march du

    travail soumis un pouvoir syndical condamn comme excessif. Pourles nolibraux en effet, les racines de la crise mondiale de 1974, quivoit se combiner pour la premire fois dans lhistoire une stagnationconomique et un taux de chmage lev avec un taux dinflation le-v, se trouvent dans le pouvoir excessif du mouvement ouvrier qui amis en chec laccumulation prive par ses revendications salariales etses pressions pour une augmentation des dpenses de ltat. Il nest

    pas tonnant de compter au nombre des remdes quils proposent la

    compression des salaires rels.

    Pour ce qui est de la stabilit des prix, qui constitue un objectifpremier de la politique nolibrale, la seule manire de lassurer, dansloptique montariste, est de limiter le rle de la politique montaire

    4 Voir la note 2 au sujet de la dnomination de ce prix.

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    21/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 21

    ltablissement dun taux de croissance stable de la masse montaireen circulation, en fonction du taux de croissance long terme de la

    production nationale. Ncessaire la stabilit des prix, lquilibre

    budgtaire est dsign comme un objectif essentiel raliser, par larduction des dpenses publiques, par la privatisation dentreprises deservices publics et par une tarification des services demeurs publics,rentabiliss selon les critres de lactivit prive.

    Rejetant la thorie keynsienne de stimulation de la demande ef-fective comme instrument de la politique conomique, le nolibra-lisme soutient que cest loffre globale qui doit tre stimule. sesyeux, un accroissement du fardeau fiscal et un dficit budgtaire des-tin financer des dpenses publiques touffent la production plusquils ne la stimulent. La seule responsabilit de ltat est donc desupprimer toute entrave au libre jeu du march et de crer les meilleu-res conditions de lexercice de linitiative prive par la drglementa-tion et surtout par linstauration dun rgime fiscal stimulant loffre detravail, lpargne et linvestissement. Le nolibralisme pose donccomme condition de la relance conomique une rduction des imptssur les revenus les plus levs et sur les profits des entreprises.

    La rduction de la progressivit de limpt est vue comme devantfavoriser lpargne de la couche de la population qui dispose des re-venus les plus levs et qui est par consquent le mieux en mesuredinvestir. Il ny aurait l aucune iniquit envers les travailleurs et lescouches dfavorises de la population. Un impt moins progressif se-rait au contraire un pralable lamlioration de leur sort. Commelexprime un reprsentant de ce courant du nolibralisme connu

    comme la thorie de loffre , George Gilder, dans un ouvrage inti-tulRichesse et pauvret[p. 67], le chemin vers la rduction des in-galits doit passer dans un premier temps par leur accroissement.Toute redistribution seffectuant au dtriment des travailleurs finira

    par servir leurs intrts en permettant lpargne, linvestissement et lacroissance ncessaires llvation future de leur niveau de vie. Une

    politique de redistribution, comme le propose la thorie keynsienne,

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    22/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 22

    est donc rejeter parce quelle a non seulement une influence nga-tive sur lpargne et linvestissement, mais parce quelle contribue,

    par la gnrosit des prestations sociales et dassurance-chmage,

    dcourager les travailleurs doffrir leurs services sur le march du tra-vail.

    Le financement public qui est vu comme un soutien vital de ltat la croissance et au progrs lorsquil donne lieu des subventions l'entreprise prive ou rsulte dallgements fiscaux en sa faveur, de-vient pur gaspillage sil est destin aux dpenses redistributives deltat, comme celles qui consistent payer des gens pour les encou-rager ne pas travailler, au moment o on pnalise les entrepri-

    ses parce quelles ont russi faire des profits ; de telles dpensesdficitaires de ltat sont vues comme une guerre de redistributioncontre la richesse, qui a pour rsultat dappauvrir tout le monde[Gilder, Richesse et pauvret, pp. 230-231].

    De ce point de vue, ltat mobilise des ressources au dtriment delentreprise prive. Mais surtout, les taxes quil prlve sur les agentsconomiques privs pour alimenter les dpenses publiques vincent

    lactivit prive, dtournant des ressources relles dun usage qui se-rait plus efficace dans le secteur priv. Ltat doit donc non seulementse retirer des activits productives o il entre directement en concur-rence avec le secteur priv, mais aussi rduire au maximum les dpen-ses associes ses activits improductives de sant et dducation pu-

    bliques, de protection sociale et de redistribution des revenus, demme que de certaines de ses fonctions administratives ou de fournis-seur dinfrastructures sociales. Les fonctions de ltat qui ne peuvent

    tre privatises doivent tre gres selon les normes de lentrepriseprive et rentabilises, faute de quoi elles doivent tre limines.Lobjectif vis, en somme, est la rcupration par le secteur priv dece dont il a t en quelque sorte expropri au fil des annes avec la

    place croissante prise par ltat ; il sagit de recapitaliser une co-nomie dont une part significative en tait arrive fonctionner enchappant aux rgles du capital ; de redonner un caractre capitaliste

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    23/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 23

    tout un ensemble dactivits dont le maintien et lexistence devrontdpendre de leur rentabilit et dont le fonctionnement sera partie int-grante de laccumulation du capital.

    Libralisation, drglementation, dsengagement de ltat, privati-sation, stabilit montaire, rigueur budgtaire, fiscalit rgressive sontles lignes directrices au nom desquelles le nolibralisme a engagune offensive ouverte contre les acquis historiques du travail (droit autravail, scurit demploi, protection du pouvoir dachat, salaire mi-nimum, accs la syndicalisation, ...), contre les conqutes sociales etdmocratiques des organisations syndicales et populaires (droit lasant, lducation, la scurit sociale, etc.), cest--dire contrelcrasante majorit de la population. Si essentiels soient ces acquis,

    puisquils rpondent de rels besoins sociaux, ils sont un obstaclepour le capital, pour la production de profits, pour laccumulation pri-ve.

    Ce changement de cap tait-il pourtant apte raliser lobjectifpoursuivi, cest--dire de relancer sur une base soutenue lactivit ren-table ? Si le recours linterventionnisme conomique de ltat par-

    tir des annes 1930 na pas permis de rsoudre les problmes de fondde laccumulation au sein de cette conomie arrive maturit comme la dsignait Keynes, ne serait-il pas illusoire de croire que leretour au laisser-faire , cest--dire aux conditions mmes quiavaient rendu ncessaire le soutien tatique lactivit prive, soit legage dune reprise harmonieuse de lactivit conomique ?

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    24/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 24

    Le nolibralisme au pouvoir

    Retour la table des matires

    Dans la plupart des pays, on a dabord tent de rpondre au pro-

    blme de la stagflation et de surmonter la crise de 1974 par les mesu-res keynsiennes. Ce nest quau tournant de la dcennie, de 1978 1982, que le virage nolibral sest effectu dans un certain nombre de

    pays dterminants, principalement la Grande-Bretagne et les tats-

    Unis, pour se propager ensuite au reste du monde. Mais, dj au curdes annes 1970, des pas significatifs dans cette voie avaient t fran-chis. Ce fut dabord le laboratoire chilien sous la dictature du gnralAugusto Pinochet, au lendemain du coup dtat militaire qui a renver-s dans le sang le rgime dunit populaire dmocratiquement lu en1970 et dirig par le prsident Salvador Allende. Les mesures monta-ristes inspires de Milton Friedman y furent dployes en conjonctionavec une dnationalisation des entreprises nationalises sous le rgime

    Allende, la privatisation de services publics, des mesures de drgle-mentation, une intense rpression antisyndicale et une redistributionde la richesse en faveur des riches.

    Cest avec beaucoup dintrt que lexprience chilienne a t ob-serve, notamment par Margaret Thatcher, qui allait devenir Premireministre de Grande-Bretagne en 1979. Des liens troits seront par lasuite tablis entre son gouvernement et celui du gnral Pinochet aucours des annes 1980 5. La sympathie personnelle de Margaret That-

    cher lendroit du dictateur sanguinaire la amene se placer latte du mouvement en faveur de sa libration lorsqu la fin de 1998,lors dun sjour Londres, il a t plac en garde vue et soumis

    5 En particulier, lors de la guerre des les Malouines (Falklands) entrelArgentine et la Grande-Bretagne en 1982, Pinochet avait accord son appui la Grande-Bretagne et avait mis les bases militaires chiliennes sa disposition.

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    25/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 25

    des demandes dextradition formules dabord par le gouvernementespagnol, puis par plusieurs autres pays qui voulaient le juger pour lescrimes commis contre leurs citoyens aprs le coup dtat de 1973 6.

    On notera au passage que ce soutien dun dictateur par une noli-brale se rclamant dun rgime dmocratique pourrait sembler em-barrassante pour le nolibralisme. En fait, comme la soutenu vonHayek, la dmocratie nest pas une valeur promue par le nolibra-lisme. Elle peut au contraire ses yeux constituer un frein au pleindploiement de la libert essentielle daction des agents conomiqueset de leurs intrts privs, et cest cette libert, selon lui, qui doit pri-mer sur la dmocratie. On ne stonnera donc pas de ce que les thori-ciens chefs de file du nolibralisme, Friedman et von Hayek, aientobserv avec enthousiasme lexprience chilienne, dautant mieuxrussie leurs yeux quelle a donn lieu une croissance conomiquerelativement rapide 7. On ne stonnera pas non plus que MargaretThatcher, pour justifier son soutien au dictateur menac, ait vant lesmrites de celui qui on doit, selon elle, davoir libr le Chili de lamenace socialiste.

    Au moment o se ralisait le laboratoire chilien, des perces dansla voie nolibrale taient galement ralises en Europe et en Amri-que du Nord. En 1974, en Rpublique fdrale dAllemagne, la Ban-que centrale (Bundesbank) tournait le dos la politique de stimulation

    6 Aprs 503 jours d'assignation rsidence en Angleterre alors que la justiceespagnole tentait sans succs d'obtenir son extradition, le gnral Pinochettait l'objet de poursuites dans son propre pays ds son retour en mars 2000.En juillet 2002, la Cour suprme du Chili mettait dfinitivement un terme auxprocdures entreprises contre lui, en le dclarant mentalement inapte su-bir un procs. La Cour suprme confirmait ainsi la dcision de la Cour d'appelde Santiago, rendue l'anne prcdente, de suspendre les poursuites contre luipour cause de dmence vasculaire .

    7 Une analyse minutieuse des effets rels de la politique nolibrale en ce pays,au-del des apparences suggres par la seule volution du taux de croissancedu PIB, laisse plutt percevoir un accroissement du sous-dveloppement. Voirsur cette question louvrage de Xabier Arrizabalo Montoro cit dans la biblio-graphie.

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    26/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 26

    keynsienne de lconomie, mene par le gouvernement de coalitiondomin par le Parti social-dmocrate, et amorait un virage monta-riste qui allait sacrifier lobjectif du plein emploi la lutte contre

    linflation. Un virage analogue se produisait aux tats-Unis dans ladeuxime moiti de la dcennie sous la prsidence du Dmocrate Ja-mes Carter, qui donnait galement le coup denvoi la drglementa-tion et un recul des droits syndicaux.

    Le virage prit toute son ampleur avec llection des conservateursdirigs par Margaret Thatcher en Grande-Bretagne en 1979. Pour la

    premire fois, tait lu dans un pays capitaliste dominant, un gouver-nement dont lengagement tait la mise en uvre du programme no-libral. Lanne suivante, en 1980, Ronald Reagan tait lu la prsi-dence des tats-Unis avec le mme engagement. Amorc au Canadasous le gouvernement libral de Pierre-Elliott Trudeau avec lentreen vigueur de la politique montariste de la banque centrale en 1975,il se dploya au cours de la dcennie suivante lenseigne du reaga-nisme import des tats-Unis sous le gouvernement conservateur deBrian Mulroney ; les politiques mises en vigueur au niveau fdraltrouvrent leur prolongement dans des politiques analogues des diver-

    ses provinces, au Qubec en particulier sous le gouvernement libralde Robert Bourassa. Privatisation, drglementation, compressions

    budgtaires, diminution de la taille du gouvernement, tarification desservices publics, rentabilisation, retour au libre jeu des forces du mar-ch, fiscalit favorable linvestissement priv, tels furent dsormaisles mots cls au nom desquels fut mene la politique conomique.

    En 1982, en Rpublique fdrale dAllemagne, la coalition dmo-

    crate-chrtienne dirige par Helmut Kohl tait porte au pouvoir, poury rester jusquen 1998. Presque tous les pays dEurope occidentale duNord effectuaient par la suite un virage droite, lexception de laSude, de lAutriche et de la Norvge qui, lenseigne du partena-riat social , saccrochaient leur politique de plein emploi et demaintien de ltat providence. Mais cela ne devait tre quun sursis dequelques annes. Ds la fin des annes 1980, sous le poids dune co-

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    27/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 27

    nomie mondiale dsormais domine par le nolibralisme, le partena-riat social, au nom dun assainissement conomique dsigncomme incontournable, se transformait en instrument dimplantation

    des politiques nolibrales.

    De la mme manire, les espoirs crs en France, en Italie, en Es-pagne, au Portugal et en Grce par llection de gouvernements diri-gs par des partis socialistes, seuls ou en coalition avec dautres partisse rclamant de la classe ouvrire, comme les partis communistes, se-ront rapidement dus. Ces gouvernements, mme sils avaient t

    ports au pouvoir par lappui dune population aspirant des mesuresprogressistes, ont, ds leur arrive au pouvoir comme en Espagne, ouaprs une brve priode de respect de leurs engagements comme enFrance, tourn le dos ces engagements pour adhrer lorthodoxienolibrale des gouvernements de droite, abandonnant lobjectif du

    plein emploi pour donner la priorit la lutte contre linflation, aucontrle des dficits budgtaires, aux rformes fiscales favorables auxdtenteurs de capitaux, et aux privatisations.

    En Australie, et plus encore en Nouvelle-Zlande qui devint un cas

    extrme cit de par le monde par les protagonistes du nolibralismecomme lexemple suivre, les partis travaillistes au pouvoir pouss-rent plus loin que dans la Grande-Bretagne de Margaret Thatcher le

    programme nolibral.

    la fin des annes 1980, des vnements majeurs sont venus don-ner une nouvelle impulsion lexpansion plantaire du nolibra-lisme. La chute, de 1989 1991, des rgimes bureaucratiques stali-

    niens de lUnion sovitique et de ses satellites dEurope de lEst appa-raissait comme la dmonstration de linaptitude de lconomie planififonde sur la proprit tatique des moyens de production diriger lesdestines de lhumanit, et comme la conscration du triomphe deslois du march comme seul rgulateur possible de lconomie.

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    28/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 28

    De nombreux ex-membres dirigeants de lappareil politique (ex-apparatchiks) de la bureaucratie rpressive se rvlrent spontan-ment comme des aptres jusquau-boutistes des thories de von

    Hayek et de Friedman et devinrent les artisans dune thrapie dechoc destine faire passer sans transition lconomie planifie lconomie de march. Ils ont ralis, en grande partie leur bnfice

    personnel, de gigantesques programmes de privatisation dans des co-nomies o lessentiel des grands moyens de production taient tati-ques. De simples administrateurs bureaucratiques tout-puissants demoyens de production appartenant jusque-l l'tat, ils se sont trans-forms en propritaires privs de ces mmes moyens de production, seconstituant ainsi en une nouvelle composante nationale de la bour-geoisie mondiale, avec sa fraction mafieuse pratiquant une criminalit grande chelle.

    Ces vnements ont largement contribu conforter la condamna-tion nolibrale de ltat providence, de lconomie mixte et delinterventionnisme tatique. La premire moiti de la dcennie 1990a ainsi pu voir le nolibralisme se consolider l o il tait dj im-

    plant, et stendre dautant plus facilement au reste du monde. En

    Grande-Bretagne, le thatcherisme a survcu Margaret Thatcher avecla victoire de John Major en 1992. En France, les socialistes ont tsupplants par la droite en 1993. En Italie, en 1994, tait lu SilvioBerlusconi 8 la tte dune coalition incluant une composante nofas-ciste. En Espagne, le Parti socialiste ouvrier tait vinc par le Parti

    populaire dirig par Jose Maria Aznar. En Sude, les social-dmocrates taient battus en 1991 par un front de la droite.

    Le nolibralisme stendit au mme moment en Amrique latine,terrain fertile en raison notamment de lhyperinflation chronique qui y

    8 cart du pouvoir au terme d'une brve priode de sept mois et remplac pardes coalitions successives de centre-gauche menant une politique de droite,Berlusconi y revenait en force en 2001, de nouveau en coalition avec des par-tis d'extrme droite, d'origine fasciste et xnophobes.

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    29/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 29

    rgnait et des remdes montaristes proposs pour sy attaquer. Aprsle laboratoire chilien, dont il a dj t question et qui a servi de mo-dle aux pays capitalistes industrialiss, en premier lieu la Grande-

    Bretagne, ce fut le laboratoire bolivien, o lconomiste nolibralamricain Jeffrey Sachs a expriment partir de 1985 les mthodesde la thrapie de choc quil a par la suite proposes et appliquesen Pologne et en Russie au dbut des annes 1990. Ce fut ensuite levirage nolibral mexicain partir de 1988 avec llection du prsi-dent Carlos Salinas de Gortari, virage qui atteignit lArgentine avecllection de Carlos Menem en 1989, le Brsil avec llection de Fer-nando Collor de Mello 9la mme anne, le Venezuela avec la rlec-tion de Carlos Andres Perez galement en 1989 et le Prou avecllection dAlberto Fujimori en 1990. Au Chili, les politiques implan-tes sous la dictature de Pinochet survivaient sous le gouvernement dePatricio Aylwin, lu en 1989, aprs la dfaite du dictateur lors du pl-

    biscite quil avait organis en 1988 pour solliciter un appui populaire la reconduction de son gouvernement.

    Dernire rgion du monde tre atteinte, lAsie nen subira queplus fortement les effets lorsquy clatera, en 1997, une crise finan-

    cire dont les contrecoups allaient atteindre toutes les rgions duglobe. Les conomies qui avaient t dsignes comme les tigres ou miracles asiatiques (Hong Kong, Core du Sud, Taiwan et Sin-gapour), et les autres dragons (Indonsie, Thalande, Malaisie,Philippines), o la libralisation et la drglementation ont donn lieu une extraordinaire extension des placements spculatifs et des ris-ques qui y sont associs, ont t les premires dvoiler les limitesdune vision des choses qui a russi simposer au monde entier.

    9 Destitu trois ans plus tard pour corruption, Collor de Mello tait le premierchef de ltat, aprs prs de quarante ans de dictature militaire, accder aupouvoir par le suffrage universel au Brsil. Il avait dfait par une mince majo-rit le candidat du Parti des travailleurs, Lus Incio da Silva, dit Lula . Sonsuccesseur, Fernando Henrique Cardoso, lu en 1994, tait porteur du mmeprogramme nolibral.

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    30/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 30

    la faveur de cette crise, les tats-Unis ont intensifi leur campa-gne contre les obstacles luniversalisation du nolibralisme queconstituaient encore le Japon et la Core du Sud dont les modles de

    dveloppement fonds sur le rle dirigeant de ltat en matire de po-litique industrielle et dallocation des ressources et sur une forte im-

    brication de ltat, des banques et de lindustrie, longtemps lous pourleur efficacit, taient dsormais qualifis darchaques, devant faire

    place une allocation des ressources par lintermdiaire de marchsentirement libres de contrles tatiques.

    Le tournant nolibral s'est galement implant en Chine partirde 1989, sur la base de l'crasement par l'tat, sur la Place Tienanmende Pkin, le 4 juin, du puissant mouvement social qui s'tait dveloppdans les annes 1980 contre les privilges de la bureaucratie et sonmonopole politique, et pour la dmocratie, l'galit et la justice so-ciale. Comme dans les pays de l'ex-Union sovitique et ses satellitesd'Europe centrale et orientale, les ex-apparatchiksy sont devenus leschampions de l'conomie de march, des privatisations et de l'inser-tion dans la mondialisation capitaliste.

    Maintenue dans un tat dramatique de sous-dveloppement par ladomination colonialiste, puis imprialiste, crase sous le poids d'unedette extrieure qui bloque toute possibilit de dveloppement, l'Afri-que porte le poids insupportable des politiques des pays capitalistesdvelopps et des organismes internationaux comme le FMI et laBanque mondiale 10qui ont ruin l'conomie de la quasi totalit des

    pays du continent 11. Pour les puissants de ce monde, la profonde crisedans laquelle se trouve l'Afrique serait attribuable ce que cette der-

    nire serait mal intgre dans le march mondial. La voie de sortie decette crise passerait donc par une acceptation des rgles du jeu impo-10 Voir en particulier Joseph Stiglitz,La grande dsillusion, Paris, Fayard, 2002.

    Prix de sciences conomiques en l'honneur d'Alfred Nobel en 2001, Sti-glitz a t vice-prsident et conomiste en chef de la Banque mondiale de f-vrier 1997 fvrier 2000.

    11 LAfrique du Sud constitue une exception.

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    31/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 31

    ses par le nolibralisme, comme le renforcement du secteur priv,l'ajustement aux rgles commerciales libre-changistes de l'Organisa-tion mondiale du commerce (OMC), une plus grande ouverture l'in-

    vestissement tranger et une intensification de la privatisation des ser-vices publics dj bien engage, autant de mesures mises de l'avant

    par ce Nouveau partenariat pour le dveloppement de l'Afrique, connupar son acronyme anglais NEPAD, qui a t endoss par la runiondes pays du G 8 en 2002 Kananaskis au Canada.

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    32/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 32

    LE NOLIBRALISME

    2

    Quelques rsultatsdes politiques nolibrales

    Inflation, croissance, chmage

    Retour la table des matires

    Les politiques nolibrales taient prsentes par leurs protagonis-

    tes comme le remde incontournable la stagflation des annes 1970.Elles devaient permettre dendiguer linflation et de remettrelconomie sur le sentier de la croissance. Sur le plan de la lutte contrelinflation, aprs des rsultats catastrophiques de 1979 1982, les po-litiques montaristes ont permis datteindre le but recherch. De 9%quil tait au cours de la dcennie 1971-1980, le taux annuel moyendinflation des pays de lOrganisation de coopration et de dvelop-

    pement conomique (OCDE), lorsquon en exclut les pays forte

    inflation 12

    , a t rduit 5% au cours des annes 1981-1990 et unpeu plus de 2% au cours des annes 1991-2000 13.

    12 Fonde en 1960 par vingt pays industrialiss dAmrique du Nord etdEurope, lOCDE comptait trente membres en 2002. Jusqu'en 2000, les pays forte inflation taient ceux dont le taux dinflation a t dau moins 10%en moyenne pendant les annes 1990. Ce sont dsormais les pays dont le tauxd'inflation a t d'au moins 10% au cours des dix dernires annes. Ces pays

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    33/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 33

    Pour ce qui est de la croissance conomique par contre, telle quemesurs par la croissance du Produit intrieur brut (PIB), de 3,5% en

    moyenne pour lensemble des pays de lOCDE dans les annes 1970,elle a diminu 3,0% pendant les annes 1980 et 2,65% pendant lesannes 1990. Le taux de chmage quant lui, rsultat direct delabandon de la lutte pour lemploi en faveur de la lutte contrelinflation, est pass de 4% en moyenne pour lensemble des pays delOCDE dans les annes 1970, 7% au cours des deux dcennies sui-vantes. Ces chiffres, qui sont des moyennes, sont dans certains caslargement dpasss, comme en Pologne et en Rpublique slovaque,mais aussi en Espagne, en Italie, en Finlande, en Grce et en France,et, un moindre titre, au Canada et en Australie. Quelque 35 millionsde personnes se trouvaient ainsi sans emploi au dbut des annes 2000dans ce seul club des pays riches quest lOCDE, sans compter lesmillions de personnes en situation de travail prcaire (temps partiel,contrats dure dtermine, ...), au nom dune flexibilit du marchdu travail rclame comme une condition de lamlioration conomi-que. Au cours des annes 1980 et 1990, lemploi temps partiel a re-

    prsent en moyenne entre 10 et 15% de lemploi total aux tats-Unis,

    en Allemagne et en France, entre 15 et 20% en Sude, au Canada et auJapon, entre 20 et 25% en Grande-Bretagne, en Suisse et en Australie(OCDE,Perspectives conomiquesno 65, juin 1999, p. 160).

    Sur le plan de la croissance donc, et de lemploi quelle devait g-nrer, lchec des politiques nolibrales est manifeste. Elles nont pasrussi assurer la relance et la stabilit de la croissance promises.Dans de nombreux cas, dont le plus percutant est celui de lArgentine,

    elles ont provoqu une marche la catastrophe.

    taient au dpart la Grce, la Hongrie, le Mexique, la Pologne, la Rpubliquetchque et la Turquie. Depuis 2000, ce sont la Hongrie, le Mexique, la Polo-gne et la Turquie.

    13 Ces chiffres sont tirs de divers numros de Perspectives conomiques delOCDE, publies en juin et en dcembre de chaque anne.

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    34/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 34

    Le dsastre argentin

    Retour la table des matires

    Pays qui avait dans les annes 1940 lun des niveaux de vie les

    plus levs du monde, lArgentine sest littralement effondre sousles effets cumuls dune gestion conomique nolibrale marque parune corruption gnralise, qui puise son origine dans la dictature mi-litaire dirige par le gnral Jorge Videla, au pouvoir de 1976 1983,

    et qui a connu son plein dploiement sous la prsidence du pronisteCarlos Menem de 1989 1998. Dsigne comme le meilleur lvedu Fonds montaire international , lArgentine a mis en uvre toutela gamme des mesures exiges de cet organisme.

    Aux prises avec une dette extrieure qui avait plus que quintuplen sept ans sous la dictature militaire 14, de 8 45 milliards de dollars,en raison notamment dune dilapidation et dun dtournement des

    fonds publics par la junte au pouvoir et de la hausse draconienne destaux dintrt qui a caractris la premire phase dapplication despolitiques nolibrales au dbut des annes 1980, lArgentine proc-dait, sous la prsidence de Carlos Menem partir de 1989, une pri-vatisation massive des services publics, offerts aux multinationales environ 30% de leur valeur, une hausse des taux dintrt, la lib-ralisation de lconomie et la dollarisation de la monnaie natio-nale, le peso, c'est--dire l'instauration de la parit entre le peso et ledollar amricain. Elle parvenait par cette dernire mesure juguler

    lhyperinflation en vigueur et allger le poids de la dette extrieurelibelle en dollars, et surtout instaurer un climat de confiance pour

    14 En dpit des bons soins du FMI qui a dmontr des gards particuliers lendroit de la junte militaire en collaborant systmatiquement avec elle et endlguant un missaire particulier, Dante Simone, auprs de la Banque cen-trale argentine pendant la dictature.

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    35/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 35

    les investisseurs trangers, mais en crant un nouveau problme, celuide la chute des exportations par la perte de comptitivit du pays surle march extrieur et dune hausse des importations.

    Il sensuivit une augmentation du dficit commercial et par cons-quent de la dette extrieure, qui atteignait ainsi les 150 milliards en2002, dans un contexte o on a permis impunment une vasion fis-cale massive des riches privant ltat de la moiti de ses recettes etune fuite des capitaux vers ltranger dont le montant atteignait les120 milliards la mme anne, soit presque le niveau de la dette ext-rieure. Le rsultat : une conomie en ruines, 30% de la population enchmage et prs de 50% sous le seuil de la pauvret dans un contexteo le rgime de protection sociale a t en grande partie liquid, une

    profonde rcession qui, au terme de quatre annes, a conduit lexplosion sociale la fin de 2001. L'onde de choc argentine setransmettait l'Uruguay quelques mois plus tard.

    Accroissement des ingalits, crises financires,dsengagement de l'tat

    Retour la table des matires

    Au cours de ces deux dcennies de politiques conomiques noli-

    brales, de 1980 2000, lexclusion et lingalit de la rpartition desrevenus et des richesses ont progress de manire renversante dans lemonde, entre riches et pauvres dans les pays riches, et entre pays ri-ches et pays pauvres. titre dexemple, selon des chiffres rvls en

    1998 par le Rapport mondial sur le dveloppement humain du Pro-gramme des Nations Unies pour le dveloppement (PNUD), la findes annes 1990, les 20% les plus riches de lhumanit accaparaient86% des richesses ; les 20% les moins riches, 1,3%. En 1960, le reve-nu des premiers tait 30 fois suprieur au revenu des seconds. En1995, il tait 82 fois suprieur. Dans plus de 70 pays, le revenu par

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    36/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 36

    habitant tait la fin des annes 1990 infrieur ce quil tait 20 ansplus tt. Les 225 plus grandes fortunes du monde dpassaient les 1000milliards de dollars, soit lquivalent du revenu annuel de prs de la

    moiti de lhumanit. Aux tats-Unis, le pays le plus riche du monde,45 millions de personnes vivaient sous le seuil de la pauvret, 40 mil-lions taient sans couverture mdicale, 52 millions taient illettres.En ce mme pays, selon une enqute de la revue Business Week, undirigeant dentreprise gagnait en moyenne 20 fois le salaire dun ou-vrier en 1980, 85 fois en 1990 et 530 fois en 2000.

    Lingalit, soi-disant ncessaire selon le dogme nolibral pourremettre lconomie sur le sentier de la croissance, tarde, cest lemoins quon puisse dire, produire les effets promis.

    Les mesures fiscales favorables au capital qui sont au cur des po-litiques nolibrales de relance de linvestissement ont certes contri-

    bu restaurer la rentabilit du capital, mais, conjugues aux mesuresde drglementation des marchs financiers, elles ont amplifi unmouvement de recherche dune rentabilit accrue dans les placementsspculatifs court terme, laissant pour compte linvestissement dans

    le domaine des biens dquipement qui est la condition sine qua nonde la croissance conomique relle, accroissant les risques de dstabi-lisation de lconomie et provoquant le dclenchement de profondescrises financires et boursires en 1987 et 1997-1998 et l'clatementde la bulle de la nouvelle conomie en 2000.

    La rduction de la fiscalit en faveur de linvestissement ne pro-duisant pas les rsultats escompts sur la croissance conomique et

    par consquent sur les revenus de taxation perus par ltat, on peutfacilement comprendre que le maintien dun niveau constant de d-penses publiques dans ces circonstances a eu pour effet damplifier undficit budgtaire et une dette publique par ailleurs accrus par les d-

    penses supplmentaires dassurance-chmage et dassistance socialeprovoques par la stagnation. Do la dtermination encore plus forte

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    37/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 37

    des gouvernements nolibraux rduire la taille de ltat , en sa-brant principalement dans les programmes sociaux.

    Le Qubec et le Canada nchappant pas cette tendance lourde, legouvernement du Parti qubcois sengageait en 1996 dans une opra-tion dassainissement des finances publiques et de poursuite delobjectif dune limination complte du dficit pour lexercice finan-cier de 1999-2000. Il pouvait dautant mieux sy atteler quil staitassur lappui de ses partenaires sociaux , au nombre desquels lesgrandes centrales syndicales ; parmi les consquences de cette adh-sion aux politiques nolibrales, des rductions draconiennes du fi-nancement public de la sant et de lducation. Au mme moment, legouvernement libral Ottawa se donnait les moyens de raliser sonobjectif de lquilibre, puis du surplus budgtaire, en refusant de cor-riger un dsquilibre fiscal grce auquel il accumulait des surplusalors que les provinces taient prives des fonds ncessaires au finan-cement de leurs programmes de sant et dducation, en dtournantillgalement vers le budget des revenus et dpenses du gouvernementles surplus de la caisse dassurance-emploi crs par lexclusion dedizaines de milliers de chmeurs ainsi privs de prestations, et en re-

    fusant de remettre aux plus gs de la socit les 3 milliards de dollarsde prestations dont ils ont t privs depuis 1993 par la ngligencegouvernementale de les inscrire parmi les rcipiendaires admissiblesau Supplment de revenu garanti.

    Des souverainets nationales soumises aux marchs

    Retour la table des matires

    La volont de libraliser les changes commerciaux et de faire re-

    culer le protectionnisme avaient t l'origine de cycles successifsde ngociations internationales qui se sont droules ds aprs laDeuxime Guerre mondiale, dans le cadre de lAccord Gnral sur lestarifs douaniers et le commerce ou General Agreement on Tarifs and

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    38/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 38

    Trade(GATT), sign Genve en 1947 sous les auspices des Nationsunies. Ils ont permis de rduire progressivement les tarifs douaniersdun nombre croissant de pays. Le dernier cycle de ngociations

    men terme, dsign cycle de lUruguay , sest toutefois conclupar un changement qualitatif majeur avec la cration le 1er janvier1995 de lOrganisation mondiale du commerce (OMC) 15. Venue re-

    joindre les grandes institutions internationales cres au lendemain dela Deuxime Guerre, comme le Fonds montaire international (FMI)et la Banque internationale pour la reconstruction et le dveloppement(BIRD) ou Banque mondiale, lOMC a ceci de particulier quelle estdote, par consentement des pays signataires de laccord, de pouvoirssupranationaux chappant au contrle parlementaire des tats natio-naux, quelle dispose du pouvoir dimposer des rgles de conduite ces tats nationaux, dont la souverainet peut ainsi tre mise en checsur des questions dimportance capitale comme la lgislation du tra-vail, la protection de lenvironnement, etc., si les rglementations ences matires sont juges contraires au principe suprme de la libertdu commerce !

    partir de ce point dappui quest lOMC, on a voulu tendre aux

    investissements la reconnaissance internationale du principe de la pluscomplte libert de mouvement, quil sagisse dinvestissements in-dustriels, commerciaux, immobiliers ou financiers, de transactions surles devises, les actions et les obligations, la proprit foncire ou lesressources naturelles. Cest au sein de lOCDE, et dans le plus grandsecret 16, quont t entames en mai 1995 les ngociations en vue deconclure un Accord multilatral sur linvestissement (AMI). Danslesprit de ses concepteurs, cet accord devait avoir le statut dun trait,

    15 Un nouveau cycle de ngociations multilatrales, dsign cycle du dvelop-pement, a t lanc en novembre 2001 Doha au Qatar sous lgide delOMC, o elle avait cherch refuge labri des protestataires aprs lchecdu rendez-vous de Seattle en dcembre 1999. Des manifestations antimondia-lisation denvergure avaient empch que sy amorce ce qui devait alors tredsign le cycle du millnaire .

    16 Le sige social de lOCDE Paris est, ironie du sort, le Chteau de la Muette.

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    39/92

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    40/92

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    41/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 41

    feu , l'exclusion de Cuba. Amorces Santiago, au Chili, en 1998et visant la conclusion d'un accord au plus tard en 2005, ces ngocia-tions, tout comme celles de l'AMI, s'taient, jusqu'au Sommet de Qu-

    bec en avril 2001, droules dans le secret, gardant en particulier horsde la connaissance des peuples concerns cette mme charte desdroits des multinationales qu'elles entendaient instaurer. Fort heu-reusement, comme dans le cas de l'AMI, une fuite en a dvoil lecontenu au bnfice gnral et ainsi contribu susciter contre ce pro-

    jet l'opposition consquente de ce qu'il est dsormais convenu d'appe-ler la socit civile .

    L'intgration nolibrale de l'Europe

    Retour la table des matires

    La mme philosophie de labandon des souverainets nationales et

    du contrle parlementaire des tats sur des lments cls de la politi-que conomique pour en livrer le sort des institutions supranationa-les et, en dfinitive, aux mcanismes du march dont elles sont les

    chiens de garde, a prsid la cration de la monnaie unique euro-penne, leuro, entre en vigueur le 1erjanvier 1999, et dune Banquecentrale europenne (BCE) dsormais responsable, en toute indpen-dance, de la politique montaire des pays membres 20. Le nouveaudispositif donne dans les faits une institution qui chappe toutcontrle, mme fdratif, des pays membres, un pouvoir effectifdorienter leurs politiques budgtaires, fiscales, conomiques et socia-les. Lindpendance de la BCE lgard des pays membres de

    20 Les onze pays participants de lUnion conomique et montaire europenne,ou pays de la zone euro , taient, lors de sa cration le 1er janvier 1999,lAllemagne, lAutriche, la Belgique, lEspagne, la Finlande, la France, l'Ir-lande, lItalie le Luxembourg, les Pays-Bas et le Portugal. La Grce a intgrla zone euro le 1er janvier 2001. Trois des quinze membres de l'Union euro-penne n'en faisaient pas partie en 2002, le Danemark, la Grande-Bretagne etla Sude.

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    42/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 42

    lUnion europenne nest que le pendant de sa dpendance lgard desmarchs financiers.

    La cration de la monnaie unique est le dernier acte constitutif del'intgration conomique de l'Europe, une intgration amorce au len-demain de la Deuxime Guerre mondiale l'enseigne de la coordina-tion des politiques publiques et des investissements et de la rglemen-tation des marchs, avec la cration de la Communaut europenne ducharbon et de l'acier (CECA) en 1951 et de la Communaut conomi-que europenne (CEE) en 1957, mais dont les tapes dcisives struc-turant l'Europe comme un march unique des biens et services, du tra-vail et des capitaux ont t franchies dans les annes 1980 et 1990sous l'influence du nolibralisme triomphant, avec l'adoption del'Acte unique de 1986 et des traits de Maastricht de 1993 et d'Ams-terdam de 1997. Dans ce cadre, en prsence d'une monnaie unique quiexclut les anciennes dvaluations comptitives des monnaies nationa-les, les capitalistes de chaque pays ne disposent plus que de la sou-

    pape des rductions des salaires et des conditions de travail en gnralpour amliorer leur comptitivit, ce qui laisse entrevoir de fortespressions la baisse sur ces conditions de travail dans le sens de leur

    homognisation vers le bas, dans un contexte o les mouvements dedlocalisation du capital sont largement favoriss par llimination desrisques de fluctuations et des cots de conversion dune devise lautre. La Charte sociale adopte en 1989 et raffirme dans le traitdAmsterdam en 1997 ne fournit aucune garantie contre cette volu-tion incontournable, ntant que lnonc de vagues principes gn-raux sans valeur contraignante, comme le droit un emploi juste-ment rmunr , une protection sociale adquate et une re-

    traite suffisante .

    Libre de tout contrle des tats membres, la Banque centrale euro-penne est investie d'une seule obligation, la prservation de la stabili-t des prix par le jeu des taux d'intrt. Les mesures de soutien de l'ac-tivit conomique et de l'emploi que sont les politiques budgtaires etfiscales demeurent, selon un principe de subsidiarit , une prroga-

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    43/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 43

    tive des tats membres, mais la marge de manuvre des tats en lamatire est svrement circonscrite par l'obligation qui leur est faite decontenir leurs dficits budgtaires en de de 3% de leur Produit int-

    rieur brut. Il va sans dire que cette rgle est de nature favoriser ledmantlement des services publics et des rgimes de protection so-ciale, pour le plus grand bien des capitaux privs qui attendent le mo-ment de s'investir dans la privatisation de ces services. Quant au bud-get communautaire, sa taille insignifiante d'un peu plus de 1% du PIBeuropen 21, le prive de tout rle significatif dans la mise en uvre demesures d'intervention. Ce maintien du poids du budget communau-taire sa plus simple expression, conjugu au refus de doter l'Unioneuropenne de vritables structures dmocratiques et de pouvoirs f-dratifs 22, illustre bien le fait que l'achvement de l'dification d'uneEurope conomique, pleinement adapte aux besoins du capital selonles principes nolibraux, a eu pour corollaire, voire pour condition, lanon-dification d'une Europe politique dote d'instances dmocrati-ques exerant un contrle de la sphre conomique.

    Ces institutions supranationales, comme lOMC et la BCE, aux-quelles les tats ont abandonn leur souverainet dans des champs

    dcisifs, sont autant de rouages de cette nouvelle constitution no-librale mondiale du XXIesicle en voie dachvement, une constitu-tion adapte aux besoins de la globalisation , cest--dire de lamondialisation du capital. Le terme globalisation , pass dans levocabulaire quotidien pour rendre compte dune ralit laquelle ilny aurait dautre choix que sadapter, traduit le fait que dans le cadreactuel, celui du capital mondialis, les activits des sphres de la pro-duction et de la commercialisation sont guides par une stratgie

    21 titre de comparaison, le budget de l'tat fdral aux tats-Unis est de 10%du PIB.

    22 Le Parlement europen est lu au suffrage universel, mais le pouvoir lgislatifest dtenu par le Conseil des ministres, auquel le Parlement peut faire des re-commandations. Les institutions investies du pouvoir vritable sont la Com-mission europenne, la Cour de justice et la Banque centrale, qui n'ont pas delgitimit lectorale.

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    44/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 44

    globale , portant simultanment sur les zones dapprovisionnement,la localisation de la production et la mise en march. De mme, dansla sphre financire, sont dtermins par une stratgie globale les

    choix dterminant la composition des portefeuilles dactifs (actions,obligations, devises, etc.) et les marchs sur lesquels ces actifs sonttransigs lchelle mondiale [Chesnais, 1996, p. 11]. Dans cette glo-

    balisation, la sphre financire occupe une place prpondrante.

    Sous l'hgmonie amricaine

    Retour la table des matires

    Si significatif soit ce dveloppement dinstitutions supranationales

    auxquelles sont abandonns des pouvoirs demeurs jusqualors natio-naux, ce serait toutefois une erreur que den conclure leffacementdes tats nationaux devant un capitalisme mondial et leur subor-dination ces institutions supranationales. La ralit est au contrairecelle de la subsistance dune hirarchie dtats nationaux rivaux,soumis lhgmonie conomique, politique et militaire du puissant

    imprialisme amricain. Si daucuns pouvaient encore en douter, lesattentats du 11 septembre 2001 sont venus brutalement le leur rappe-ler, avec le renforcement sans prcdent de lappareil militaire et delappareil de scurit aux tats-Unis et avec linjonction signifie aux

    pays allis dagir dans le mme sens : Vous tes avec nous ouvous tes contre nous ! . Larrogance du puissant sest galementexprime, entre autres, par son mpris des institutions internationalescomme lONU et des conventions de Genve sur les prisonniers deguerre, par son refus de signer le protocole de Kyoto sur la rduction

    des gaz effet de serre, par son opposition la cration et son boycottde la Cour pnale internationale cre aux fins de juger et de condam-ner pays et individus en cas de crimes de guerre, de gnocides et decrimes contre lhumanit. Se prsentant comme les plus ardents d-fenseurs du libre change, les tats-Unis n'ont pas hsit en renierles principes chaque fois qu'il en allait de leur intrt, en recourant par

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    45/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 45

    exemple en 2001-2002 des mesures protectionnistes pour limiter lesimportations dacier en provenance de lUnion europenne, de la Rus-sie et du Japon et les importations de bois duvre en provenance du

    Canada, et en octroyant de gnreuses subventions aux fermiers am-ricains pour les aider faire face la concurrence des producteursagricoles trangers, agissant ainsi en totale contradiction avec leursengagements pris en novembre 2001 Doha au Qatar dont un objectifdclar tait la libralisation de lagriculture.

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    46/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 46

    LE NOLIBRALISME

    3

    La dictature des marchsfinanciers

    Libralisation et drglementation

    Retour la table des matires

    Les mesures de libralisation et de drglementation mises en vi-

    gueur par les tats-Unis et la Grande-Bretagne entre 1979 et 1982 ontdonn lieu un dcloisonnement interne et externe des systmes fi-nanciers nationaux, auparavant compartiments (entre les activitsrserves aux banques, aux socits de fiducie, aux socitsdassurance, aux maisons de courtage, etc.) et ferms sur lextrieur.Elles ont permis lmergence dun systme financier mondialis, do-min par les tats-Unis en raison de limportance de leur dollar jouantle rle de monnaie internationale, et de la dimension de leurs marchs

    boursiers et dobligations.

    Traditionnellement au centre des activits de financement dans leurfonction d intermdiaire entre les pargnants et les emprunteurs,les banques ont en quelque sorte perdu leur statut privilgi pour seretrouver en concurrence avec une diversit dorganismes financiers

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    47/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 47

    non bancaires. Le dcloisonnement des tablissements financiers aproduit un phnomne de dsintermdiation par lequel les em-prunteurs ont court-circuit les banques pour solliciter directement les

    pourvoyeurs de fonds en mettant des titres sur les marchs financiers.Quant aux pourvoyeurs de fonds, ils se sont en partie dtourns des

    placements traditionnellement peu rmunrs des banques, pour orien-ter davantage leurs pargnes vers les fonds communs de placement(fonds mutuels ), les fonds de retraite (ou fonds de pension) et lesactions en bourse. Dans les pays d'Europe continentale, o l'interm-diation bancaire a traditionnellement eu un poids relatif plus importantqu'aux tats-Unis et en Grande-Bretagne, l'introduction de la monnaieunique en 1999, par l'limination du risque de change, l'effacementdes barrires entre les marchs nationaux des capitaux et la crationd'un march europen des capitaux, a donn une forte impulsion ladsintermdiation bancaire.

    Engags dans une dure concurrence, les tablissements financiersont dvelopp toute une gamme de nouveaux instruments financiers,comme les produits drivs , tels les contrats terme (futures), lesoptions d'achat et de vente de titres et les contrats dchange (swaps),

    dont la valeur est drive dactifs financiers ou rels sous-jacents etdont la raison dtre est, en principe, la protection contre le risque,mais, en ralit, la spculation en vue dun rendement accru. Sont ap-

    parus galement avec la mme finalit les fonds hautement spculatifsque sont les fonds de couverture (hedge funds), dont la dnomina-tion indique que la recherche de la protection est un but premier. Enfait, la finalit des fonds de couverture est dabord la recherche durendement maximum par le recours des montages financiers et aux

    placements spculatifs. Les fonds de couverture sont des fondsdinvestissement pour gens fortuns. La mise de fonds initiale tait, l'origine, de plusieurs centaines de milliers de dollars. Des fonds plusaccessibles, pour une mise initiale minimum de quelque milliers dedollars, sont apparus par la suite.

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    48/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 48

    Les fonds de couverture n'taient l'origine soumis aucune r-glementation effective en matire de capitaux propres. Lun deux, lefonds amricain Long Term Capital Management (LTCM), sest fait

    connatre par sa faillite retentissante en 1998. Avec des capitaux pro-pres peine suprieurs 2 milliards de dollars, LTCM dtenait unportefeuille de 200 milliards de dollars et des produits drivs dunevaleur de 1250 milliards de dollars. Aprs avoir rapport ses action-naires des taux de rendement de 43% en 1995, 41% en 1996 et 17%en 1997, il sest trouv au bord de la faillite en 1998. Il nest pas inu-tile de mentionner que les deux grands spcialistes des produits dri-vs, les rcipiendaires du prix de sciences conomiques en mmoired'Alfred Nobel en 1997, Myrton Scholes et Robert Merton, taientdes associs de LTCM. Grce une intervention extraordinaire de laRserve fdrale de New York qui a runi en quelques heures lesfonds ncessaires, le LTCM a pu tre sauv.

    Compte tenu, en particulier, des difficults croissantes de fructifi-cation du capital investi dans lactivit conomique relle (productionet commerce), des masses de plus en plus grandes de capital ont cher-ch se valoriser dans la sphre proprement financire. Au cours de la

    premire dcennie de libralisation et de drglementation des mar-chs financiers, le taux de croissance annuel moyen du stock dactifsfinanciers a t trois fois suprieur celui de la formation brute decapital fixe dans les pays de lOCDE. Premier volet des marchs fi-nanciers entrer dans la mondialisation financire avec leffondre-ment du systme montaire international de Bretton Woods en 1971 etlavnement dun rgime de taux de change fluctuants, le march desdevises est devenu un march dont la premire fonction est la spcula-

    tion. la fin des annes 1990, le volume quotidiende transactions surce march atteignait quelque 1800 milliards de dollars, alors que levolume annueldes changes internationaux de marchandises tait de5500 milliards de dollars. En supposant 300 jours par annedouverture des marchs financiers, on peut vrifier que pour chaquemilliard de dollars de transactions commerciales internationales, on

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    49/92

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    50/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 50

    leur taille, de leur grande volatilit et de leur rpartition (diversifica-tion) lchelle de la plante en qute du meilleur rendement, les in-vestissements des fonds de retraite et des fonds communs de place-

    ment constituent une source majeure daccroissement de linstabilitdes marchs financiers et des risques de crise financire mondiale. Etcette situation ne peut que samplifier au cours des prochaines annesavec le vieillissement de la population et laccroissement destin se

    poursuivre des actifs des caisses de retraite. Ceux-ci sont passs de29% du PIB en 1987 38% en 1996 dans les pays de lOCDE, selonles chiffres de cet organisme.

    Gouvernance d'entreprise

    Retour la table des matires

    Une vritable dictature des marchs financiers sest installe, leurs

    exigences simposant, au sein des entreprises industrielles, par le prin-cipe de la gouvernance d'entreprise (traduction de l'expressioncorporate governance). En vertu de ce principe qui s'est dvelopp

    aux tats-Unis partir de la fin des annes 1980 et qui s'est transmisau reste du monde par l'internationalisation de la dtention des ac-tions, les actionnaires, mais essentiellement les gestionnaires degrands blocs dactions dune entreprise, sont investis du pouvoir de

    participer sa gestion et d'influencer son orientation. Les motivations court terme des principaux dtenteurs de blocs dactions que sontdevenus les gestionnaires de fonds communs de placement et de fondsde retraite en arrivent ainsi lemporter sur la logique long terme delinvestissement industriel crateur demploi. Les entreprises indus-

    trielles elles-mmes sont catapultes dans cette logique, une partie deleurs investissements tant dirigs vers les marchs financiers. La san-t des marchs financiers est ds lors une condition essentielle de leurrentabilit, au mme titre que la flexibilit du march du travail, ladiscipline salariale, la rationalisation des oprations et les licencie-ments qui en dcoulent.

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    51/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 51

    Cette tendance, luvre lchelle mondiale, a modifi jusqula vision du dveloppement dans les pays sous-dvelopps. Alors

    quon dsignait encore il ny a pas si longtemps de Nouveaux paysindustriels ou Nouveaux pays en voie dindustrialisation (NPI)ceux qui, parmi les pays moins dvelopps, avaient franchi des pasdans la voie de lindustrialisation, et quon se proccupait des inves-tissements directs ltranger (IDE) qui y taient effectus dans lasphre productive, on parle dsormais, pour dsigner les mmes pays,de marchs mergents , cest--dire de marchs financiers olinvestissement qui domine est celui qui obit dabord la logiquefinancire, linvestissement de portefeuille court terme de naturespculative.

    Des risques croissants de crise financire

    Retour la table des matires

    La drglementation financire amorce au dbut des annes 1980et les pratiques qui se sont dveloppes dans son sillage ont fait res-surgir les conditions de lmergence de crises financires. Le recoursexcessif l'endettement est l'une de ces pratiques Sa motivation est lasuivante. Les profits plus levs rsultant dun capital global dont lataille est augmente par un capital emprunt venant sajouter au capi-tal propre de linvestisseur procurent un taux de rendement plus levsur ce capital propre. Un taux de rendement de 10% sur un capital de100 dollars constitu de 10 dollars de capital propre et de 90 dollars

    de capital emprunt permet de doubler la mise initiale de 10 dollars 23.Le taux de rendement sur les fonds propres est ainsi port 100%

    23 En fait, un peu moins, puisquil faut soustraire du rendement brut les fraisdintrt sur le capital emprunt.

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    52/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 52

    alors que le taux de rendement sur l'ensemble du capital investi n'estque de 10%.

    Cest ce quon appelle leffet de levier24. Et plus la partie emprun-te est leve, plus grand est leffet de levier. On aura compris toute-fois quil y a une contrepartie cet effet multiplicateur. Tant que toutva bien, l'effet de levier est bnfique. Mais si les choses se mettent mal aller, si les taux dintrt sur le capital emprunt augmentent et sile taux de rendement sur l'ensemble du capital investi baisse, leffet delevier se dploie en sens inverse et cest la catastrophe. Pourtant, dansl'optique de la gouvernance d'entreprise , qui accorde la primaut la rentabilit financire immdiate recherche par les grands dten-teurs de blocs d'actions, le taux de rendement sur les fonds propres estdevenu un critre privilgi d'valuation de la rentabilit des entrepri-ses. Il s'agit de toute vidence d'un trompe-l'il. Un rendement spcu-latif lev a toujours pour contrepartie un risque lev. La faillite djmentionne du fonds de couverture LTCM en 1998 en est un exemple

    percutant. Les difficults observes dans le secteur bancaire depuis lesannes 1980 en sont un autre exemple.

    Dclasses de leur statut dacteur principal dans la sphre finan-cire par la drglementation, les banques ont tent de reconqurirleur part du march en sorientant davantage vers des prts risquelev (prts aux pays sous-dvelopps, spculation immobilire, parti-cipation des montages financiers dans le cadre dacquisitionsdentreprises finances en partie par lmission dobligations hautrendement mais risque trs lev (appeles obligations de pacotilleou junk bonds). Ds les annes 1980, une multitude de banques se

    24 Par analogie avec le principe mcanique qui consiste, laide dune barre ri-gide appuye sur un pivot pos sur le sol, soulever un poids dpos lunedes extrmits de la barre en appliquant une pression vers le bas lautre ex-trmit. Pour une distance donne entre le pivot et lextrmit de la barre ose trouve le poids soulever, leffet de levier est dautant plus puissant que ladistance est grande entre le pivot et lextrmit o sapplique la pression versle bas.

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    53/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 53

    sont retrouves en srieuse difficult dans plusieurs pays. Aux tats-Unis, des centaines de banques ont fait faillite au cours de cette d-cennie, sur les 13 000 que comptait alors le pays. La plus spectacu-

    laire de ces faillites est celle des Caisses dpargne et de crdit (Savings and Loans Institutions). Protges pendant des dcennies parune rglementation contrlant rigoureusement les marges entre lestaux dintrt sur les prts et sur les dpts, de manire protgerlargent des petits pargnants, elles ont t emportes par les effets dela drglementation bancaire vote sous la prsidence de Ronald Rea-gan au nom du libralisme.

    Au mme moment, le secteur bancaire traversait une crise dansdautres pays, plus particulirement dans les pays scandinaves (Nor-vge, Finlande, Sude) et au Japon. Dans les pays scandinaves, on a

    procd un sauvetage gouvernemental qui a conduit en 1992 unenationalisation effective des principales banques. Rsultat qui ne peutmanquer dtre soulign lorsquon sait que la privatisation est une descomposantes principales du programme nolibral. Autre entorse re-marque ce programme, la fragilit des banques, qui sest dvelop-

    pe comme rsultat de la drglementation des annes 1980, a ironi-

    quement forc les principaux pays industrialiss se concerter au seindes organisations internationales pour tablir partir de 1992 de nou-velles normes rglementaires en vue dassurer la solvabilit des ban-ques.

    Dans la sphre financire, largent semble faire de largent sansrapport avec le processus rel de production des valeurs. Des transac-tions boursires portant sur les actions dune entreprise peuvent pro-

    duire un rendement financier suprieur celui que cette mme entre-prise obtient dans la sphre relle par la fabrication et la vente de mar-chandises. Une envole des cours boursiers peut trs bien se produire un moment o lconomie est stagnante. Comme fruit des politiquesnolibrales, dans un monde o les marchs financiers dominentlconomie de part en part, la spculation tend devenir le mode defonctionnement normal de la sphre financire. Il y a plus de cin-

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    54/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 54

    quante ans, Keynes dcrivait dans les termes suivants les risquesdune telle volution :

    La spculation ne fait pas de mal quand elle nest quune bulle sur un flotcontinu dactivits productives ; ce nest plus le cas lorsque lactivit pro-ductive nest quune bulle dans un tourbillon spculatif. Lorsque dans unpays le dveloppement du capital devient le sous-produit des activits duncasino, on peut sattendre de mauvais rsultats. [Thorie gnrale, p.174]

    De par sa nature, la sphre financire est par ailleurs le lieu propicede la manipulation et de la fraude, le lieu o les initis sefforcent

    dinfluencer les fluctuations des valeurs des titres pour en tirer un pro-fit. L'clatement de la bulle financire du dbut des annes 2000 en at une illustration frappante.

  • 8/12/2019 Louis Gill Neoliberalisme

    55/92

    Louis Gill, LE NOLIBRALISME (2008) 55

    LE NOLIBRALISME

    4

    L'enronisme, enfant lgitimedu nolibralisme

    Retour la table des matires

    Dsignons par le terme