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L'ouvrage "Q'est ce que l'UNEF ?" (2010)

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L'ouvrage "Q'est ce que l'UNEF ?" (2010)

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Jean-Baptiste Prévost

Qu’est-ce quel’UNEF ?

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Si vous souhaitez recevoir notre catalogue

et être tenu au courant de nos publications,

envoyez vos nom et adresse, en citant ce livre,

aux Éditions de l’Archipel,

34, rue des Bourdonnais 75001 Paris.

Et, pour le Canada, à

Édipresse Inc., 945, avenue Beaumont,

Montréal, Québec, H3N 1W3.

ISBN 978-2-8098-0237-5

Copyright © L’Archipel, 2010.

L’Information citoyenne

une collection dirigée par Claude Perrotin

L’Information citoyenne,une collection

pour s’informer, comparer, décider…

e-mail : [email protected]://www.infocit.com

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Avant-propos

Sept ans après sa première parution, il nous est apparuqu’une nouvelle édition de l’ouvrage Qu’est-ce quel’UNEF ? dans la collection « L’Information citoyenne »devenait nécessaire. Parce que l’UNEF est à l’image de sonmilieu : elle est fougueuse et évolue vite. Mais aussi parceque la crise des banlieues en 2005, la mobilisation contre le CPE en 2006 et les mouvements lycéens et étudiantsdepuis 2007 sont autant de piqûres de rappel de la situationd’urgence de l’université et de la jeunesse.

Dans cet ouvrage, notre organisation dévoile son fonc-tionnement, ses orientations, son histoire. Cent ans de syn-dicalisme étudiant ont contribué à écrire bien des pagesd’histoire de notre pays, ses révolutions culturelles, seschangements économiques, ses mutations sociales. Ce quia toujours rassemblé la jeunesse engagée dans l’UNEF,c’est cette conviction qu’ensemble nous sommes plus forts.Et que la place qu’une société accorde à l’éducation déter-mine l’avenir d’un pays, tant sa réussite économique que sacohésion sociale.

L’UNEF et le syndicalisme étudiant sont aujourd’huirésolument tournés vers l’avenir. Nous pouvons être fiersdes réussites de l’université française, qui a su s’ouvrir mas-sivement à de nouveaux publics en l’absence de moyenspour accompagner cet effort. Mais l’échec en 1er cycle,la misère sociale des étudiants, le bizutage pédagogique,l’infime proportion de jeunes parvenant aux mêmes grandesécoles élitistes que leurs parents, le supplice de l’insertionprofessionnelle ne sauraient rester des secrets de famillehonteux. L’exigence de démocratisation nécessite un service

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public d’enseignement supérieur efficace, qui loin d’êtreliquidé doit au contraire être renforcé. C’est la contributionde l’UNEF à tous ces débats que nous vous proposons dedécouvrir.

Cet ouvrage n’est pas qu’un livre sur l’UNEF : c’est unprolongement de nos combats. Dans les choix déterminantspour demain, la jeunesse, première victime des politiquesde régression sociale, du chômage de masse et des discri-minations, doit avoir voix au chapitre.

Je tiens à saluer la démarche de cette collection : mieuxfaire connaître le mouvement syndical, c’est donner à com-prendre son utilité sociale, c’est participer à la réhabilitationde l’engagement collectif. Je tiens à remercier tout particu-lièrement Anna Mélin et Thierry Le Cras, pour leur travailde coordination et leur aide précieuse.

Cette singulière organisation qu’est l’UNEF a vu passerau fil des décennies des générations entières de militants,par un renouvellement continu qui fait la particularité dusyndicalisme étudiant. Que cet ouvrage soit dédié à tous cesétudiants qui, par leur engagement et leur confiance, fontvivre l’UNEF. Je formule le vœu qu’il puisse servir à tousceux, militants ou non, qui cherchent des points d’appuipour réfléchir et agir utilement.

Jean-Baptiste PrévostPrésident de l’UNEF

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Le syndicalismecomme réponse à la loterie libérale

Entre une manif devant la mairie d’Antony où siège leconseil municipal qui tient entre ses mains l’avenir de laplus grande cité universitaire d’Europe, un saut à Paris prèsde la place du Colonel-Fabien au local national de l’UNEFqu’il préside depuis décembre 2007 et un rendez-vous àl’Assemblée nationale, Jean-Baptiste Prévost trouve enchemin le temps d’une rencontre dans un café pour uneinterview. L’ennui, c’est qu’il s’agit de réaliser un portrait,le sien, et qu’il n’aime pas trop parler de lui. Pourquoi foca-liser sur une personne quand le syndicalisme est avant tout« une aventure collective » ? Quand il ne pourrait « rienfaire sans l’implication de tout le bureau national et dechacun des militants » ?

Vite apprivoisé, il se prête cependant au jeu, mais avecretenue. Il se reconnaît des goûts « assez classiques » pourla littérature depuis qu’il a redécouvert le plaisir de lire,« une véritable boulimie, c’est le seul loisir facilement com-patible avec des horaires de militant, on peut lire partout àtout moment ». Il lit, évidemment, « beaucoup de mémoiresou d’ouvrages militants », par exemple Sans patrie ni fron-tières de Jan Valtin ou les essais de la collection « Raisonsd’agir ». Parmi ses récentes lectures de loisir, il cite sponta-nément Aragon, les biographies historiques de Zweig et Zolaou Dumas (« sans modération »), et quelques romans poli-ciers, comme ceux de Fred Vargas ou la série Millenium. En

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musique, ses choix sont assez variés : « Une petite dose deWax Tailor ou Massive Attack pour se détendre, les groupesde la scène française, Noir Désir, Moriarty ou Les Têtesraides, mais aussi du classique : de l’opéra à petite dose, etsurtout les requiems de Mozart, Verdi ou Fauré… » Et puis,il y a le cinéma avec Tarantino et Dupontel, et les séries télé-visées comme 24 heures chrono ou The West Wing, « parceque c’est agréable de voir les autres stresser ».

Ancré à gaucheIl n’a plus d’engagement politique personnel direct, « par

nécessité, pour préserver l’indépendance de l’UNEF ». Pourautant, il ne « pense pas que l’on puisse changer la sociétéuniquement par l’action syndicale ». Au contraire, il croit en« la nécessité de transformer les aspirations exprimées parle mouvement social et les syndicats en une politique pour lepays ». Et, quand il fustige « la loterie libérale […], véritablemachine à reproduire les inégalités » et « l’hypocrisie del’hymne à la réussite individuelle dans le contexte actuel »,on devine aisément que ses convictions sont ancrées àgauche. Enfin, il se déclare « athée pratiquant », « religion »qu’il définit comme la volonté « d’être rationnel jusqu’aubout, sinon ça paralyse toute possibilité de changer leschoses ». Voilà pour ce qu’il peut dire de lui.

Ses amis, tout comme ses interlocuteurs, ajoutent sapassion d’expliquer, son don pour trouver la formule quifait mouche, son attachement à la laïcité (en 2003, il yconsacrera sa première contribution écrite pour l’UNEF) etson sens de l’humour. « Peut-être un peu froid ou distant aupremier abord, il est en réalité très jovial et amical », affirmeBruno Julliard qui l’a précédé à la présidence de l’UNEF etqui a ainsi eu le temps d’apprécier ses capacités à travailleren équipe, à s’emparer d’un dossier pour l’explorer et le faireaboutir, à s’investir avec force et enthousiasme dans les

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tâches syndicales quotidiennes comme dans les projetsd’envergure.

Derrière ses fines lunettes, il s’exprime clairement,argumente avec méthode et sobriété. Il mêle parfois une cer-taine distance ironique à son propos, comme pour signifierqu’il n’est pas dupe du personnage qu’il a endossé… ouqu’il est en train de devenir, c’est selon.

Au ministère de l’Enseignement supérieur et de laRecherche, ses interlocuteurs voient en lui « un pur produitde Sciences Po », ce qu’il ne veut surtout pas être. Mêmes’il est entré rue Saint-Guillaume tout juste bachelier etqu’il y effectue un master de sciences politiques option« Affaires publiques », il se voit plutôt en « pur produit »du syndicalisme étudiant : « L’UNEF m’a tout appris,affirme-t-il. Je lui dois tout de ma formation personnelle,intellectuelle et militante. L’UNEF, c’est un peu l’ENA buis-sonnière », l’École nationale d’administration où il envi-sage d’entrer. Ses interlocuteurs au ministère disent ausside lui que « c’est un techno, doublé d’un idéologue au sensnoble du terme ». Cela lui conviendrait, si l’appellation detechnocrate n’était si chargée de connotations négatives,parce qu’il admire « l’œuvre théorique et l’action politique de Robespierre » découvertes au cours de son master 1 d’histoire mené de front avec Sciences Po. « Un emmer-deur », dit un autre. Voilà qui le comble d’aise car ceux quilui donnent ce qualificatif l’expliquent par sa stupéfianteconnaissance des dossiers et sa propension à négocier jus-qu’à la dernière minute, « y compris sur des détails aux-quels ses prédécesseurs n’auraient jamais pensé ».

La découverte du mondeLongtemps élève sérieux et sage de l’école puis du col-

lège de Bihorel, près de Rouen où il est né en 1984, Jean-Baptiste Prévost affirme avoir « commencé à respirer au

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bahut », le lycée Corneille de Rouen, où il entre en 1999.Non content de s’inscrire en seconde option cinéma, il selance à corps perdu dans la gestion du foyer des lycéens etsurtout la réalisation du journal interne, L’Acide de Cor-neille. Cette publication insolente est entièrement réaliséepar une équipe de joyeux drilles qui ne résistent pas au plai-sir de la provocation, au risque d’aller au clash avec lesadultes. Comme lorsqu’ils distribuent leur journal avec, encadeau, un préservatif. Devant l’indignation des associa-tions de parents, le journal frôle l’interdiction. « Dans cegrand lycée bourgeois où l’on ne jurait que par les sériesscientifiques, cette seconde atypique formait une bande trèsfusionnelle et nous étions perçus comme des charlots sansambition », se souvient Jean-Baptiste Prévost. Il voit danscette expérience l’origine de son ouverture sur le monde.

Sa soif d’horizons le mène à effectuer l’année scolaire2000-2001 en Première S au lycée français de Vienne, enAutriche. À l’automne, il retrouve le lycée Corneille et fait« des pieds et des mains pour retourner en terminale litté-raire ». Mais « l’équipe de L’Acide s’était dispersée et iln’y avait plus le même esprit ». Ça tombe bien, lui aussi achangé. À Vienne, il a perçu la limite de ses talents pour le7e art, « une passion de gamin », et surtout, il a découvertle combat politique. « J’y ai été confronté à la réalité quo-tidienne d’une société conservatrice qui avait porté l’ex-trême droite au gouvernement. Tous les jeudis, il y avait unemanif devant le Parlement. » Enfin, il y a le bac à préparer.

Premiers engagementsLe 21 avril 2002, la qualification de Jean-Marie Le Pen

au second tour de l’élection présidentielle lui donne l’occasion de mettre en pratique ce qu’il a découvert enAutriche. Le nouvel adhérent du syndicat lycéen FIDL, quise sentait jusque-là « un peu seul dans son coin après

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quelques réunions en dehors du bahut et quelques distri-butions de tracts », vit des semaines intenses : « Des mil-liers de jeunes ont fait irruption dans le débat politique. Ce fut un grand moment de découverte, on débattait de toutà perte de vue, on refaisait le monde. » Loin des pro-grammes, à quelques semaines du bac, il ne touche plus unlivre. Jusqu’à la gueule de bois finale. Mais, si le « hold-upélectoral de Jacques Chirac » lui « laisse un goût amer »,l’expérience lui fait prendre conscience des limites de l’ac-tion spontanée et individuelle, et renforce chez lui « laconviction qu’il est nécessaire de construire son engagementdans la durée, dans un cadre structuré en prise avec la réa-lité sociale, pour être pleinement efficace ». Il se tourne alorsvers le Mouvement des jeunes socialistes. Ce n’est « qu’unbref passage ». L’expérience lui paraît « vite frustrante ».

Brillamment reçu au bac en juin 2002, il débarque àl’automne suivant à Sciences Po-Paris. Le premier contactavec « ces étudiants qui vous regardent comme s’il étaitnaturel pour eux d’être là puisqu’ils sont nés pour com-mander » réveille en lui un désir d’engagement. Sesparents, un père prof de maths futur proviseur et une mèrekiné à l’hôpital, sans engagement politique ou syndicalmais fermes dans leurs convictions de gauche, lui ont incul-qué « le sens des valeurs républicaines d’égalité et de soli-darité », « le respect d’un service public d’éducation, laïc,garant d’une égalité des droits effective ». Pas étonnantdonc que « l’esprit Sciences Po » affiché par ces jeunes« élus » le révulse.

Sans trop se poser de questions, il adhère à l’UNEF« parce que c’était le syndicat majoritaire dans l’école et,un peu, parce que c’était une façon de faire un pied de nezà tous ces jeunes pleins de morgue ». Dès la deuxièmeannée, il se retrouve sur la liste du syndicat candidat pourl’élection des représentants étudiants dans les différentes

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instances de l’IEP. Au conseil d’administration, il ferraille« contre les mandarins » et le directeur de l’établissement,Richard Descoings, qu’il soupçonne de vouloir liquiderl’enseignement public. « Nous nous sommes opposés àl’augmentation monstrueuse des droits d’inscription. Maissur d’autres points comme l’ouverture aux élèves venus deszones d’éducation prioritaire, l’UNEF s’est abstenue.C’était en effet un signal positif, mais en rien une solutionà la sélection sociale. » Ancien de Sciences Po et du bureaunational de l’UNEF, Raphaël Chambon se souvient d’avoir« repéré Jean-Baptiste en 2003, lors d’un débat à l’école,pour sa capacité à se passionner, à affirmer ses convictionstout en gardant la tête froide. Un certain culot aussi pourdéconstruire intelligemment les arguments “progressistes”de Descoings. »

Militant nationalSurvient la réforme du cursus universitaire en licence-

master-doctorat (LMD). L’UNEF est contre ; Jean-BaptistePrévost prend encore une part très active à la lutte et inter-vient, bien au-delà de Sciences Po, jusque dans des amphisde région parisienne. À quelque temps de là, Yassir Fichtali(président de l’UNEF qui a eu l’occasion d’apprécier sonengagement) l’appelle et lui propose de rejoindre le bureaunational.

Dans un premier temps, le jeune étudiant est chargé desrelations internationales du syndicat. Raphaël Chambon :« Jean-Baptiste s’est tout de suite adapté au rythme de mili-tant national : tôt levé, tard couché, souvent en déplace-ment, les week-ends studieux. Très vite, il a été un élémentmoteur de la réflexion. » Il réalise notamment un vieuxprojet du syndicat, autant de fois évoqué que repoussé : unerencontre, sur place, avec des étudiants palestiniens et israé-liens. « Il a pris les choses en main de manière très efficace,

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raconte Raphaël Chambon. Il a eu l’idée de monter un par-tenariat avec des universités en France et sur place qui adébouché de part et d’autre sur des contacts de très hautniveau et de très grand intérêt. »

De nouvelles responsabilités s’ajoutent bientôt. De 2004à 2008, Jean-Baptiste Prévost est en charge des questionspédagogiques, de la réforme universitaire, siège au Conseilnational de l’Enseignement supérieur et de la Recherche(CNESER) et au comité exécutif du syndicat européen desétudiants (European Students Information Bureau, ESIB).En 2005, sous son impulsion, l’UNEF passe d’une dénon-ciation ponctuelle et locale des frais d’inscription prélevésillégalement par les universités à un relevé systématique deces abus qui fait l’objet d’une communication nationale. Cefaisant, il oblige le ministre à se prononcer sur ces pratiqueset à faire reculer les universités. « Il a pris possession de sesdossiers avec une aisance étonnante, puis il m’a aussi rem-placé à la commission universitaire. La commission la plusimportante avec celle de l’aide sociale. Sur tous ces dos-siers, je l’ai très rarement vu pris en défaut », se souvientBruno Julliard qui fut président de l’UNEF de 2005 àdécembre 2007. « Quand je suis devenu président, nousavions déjà travaillé ensemble au bureau national et je luifaisais une confiance totale. Je lui ai demandé d’être le tré-sorier du syndicat. » Et, quand il quitte la présidence avantla fin de son mandat pour participer à l’élection municipaleà Paris, c’est « sans l’ombre d’une hésitation » que BrunoJulliard demande au bureau national de confier les rênes dusyndicat à Jean-Baptiste Prévost : « Sa candidature s’im-posait comme une évidence absolue. »

Au ministère de l’Enseignement supérieur, on se sou-vient encore de cette réunion de décembre 2007 où BrunoJulliard a présenté son successeur : « Dès ce premiercontact, où nous étions en plein conflit à propos de la

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réforme pour l’autonomie des universités, il nous a donnél’impression de quelqu’un possédant une excellenteconnaissance du fond du dossier et qui ne se laissait paségarer par des considérations stratégiques. Bref, un typeplutôt brillant. » Impression confirmée au cours des dix-huit mois qui ont suivi.

Sa forte implication lors de la lutte pour l’abrogation duCPE, en 2006, l’a aussi préparé à ces nouvelles fonctions.Responsable du secteur de la Sorbonne, le cœur de lacontestation parisienne, il a alors tout affronté : manifs avecdébordements, occupations, manipulations, double langage,récupérations, trahisons, chantage des politiques… « Uneexpérience éprouvante », reconnaît-il rapidement avant desouligner l’importance de ces mois qui ont vu se reformerle front syndical salariés et étudiants : « Une bataille diffi-cile, mais une formidable victoire à l’arrivée. Il a fallu ducourage et de la détermination à l’UNEF pour lever cettevague et la porter, souvent seule, pendant des semaines.Cela reste un de mes meilleurs souvenirs militants. » EtRaphaël Chambon note que « c’est là, au cours de ces troismois avec très peu de sommeil qu’il est vraiment devenu undirigeant, à l’aise sur le terrain, dans les AG comme dansla rue ou au ministère. Au côté de Bruno Julliard, il a apprisà ne pas avoir froid aux yeux. Depuis, il a su transformeren développement la notoriété acquise par l’UNEF, en faireune organisation capable de parler pour la jeunesse. Lesétudiants d’aujourd’hui lui doivent beaucoup. »

Endurci, « remarquablement formé par le syndicat et sagrande capacité à capitaliser ses expériences, il a perdu sonair de gamin émerveillé d’être dans la cour des grands, etil ne s’ébahit plus lui-même », s’amuse tel interlocuteur duministère qui relève aussitôt que « le revers de la médaille,c’est qu’il est encore plus techno… » Surtout, il ne laisserien passer. Raphaël Chambon se souvient encore de cette

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séance du CNESER où « il a interrompu le ministre pourexiger un nouveau vote. En effet, il avait observé que lesvoix de personnalités qui n’avaient qu’un statut d’observa-teurs ou de conseillers avaient été prises en compte indû-ment. Dans le feu de la discussion, aucun représentant,étudiant ou enseignant, n’y avait pris garde. »

Un pro en quelque sorte, gagné par une « haute idée dusyndicalisme et un profond respect admiratif pour ses pré-décesseurs », et doté d’un solide sens de l’humour qui s’ex-prime même au cours de négociations. Son mandat,renouvelé en avril 2009 à l’issue du 81e congrès de l’UNEFà Marseille, court jusqu’en 2011.

Stanislas Maillard

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Une jeunesse centenaire : brève histoire del’UNEF

Dès la fin du XIXe siècle, au moment où la IIIe Répu -blique réorganise l’enseignement supérieur, se constituentà Nancy, puis à Bordeaux, Lille, Dijon, Paris et Lyon lespremières Associations générales d’étudiants (AGE). Leurobjectif : « réunir les étudiants dans l’intérêt de leursétudes, établir entre tous leurs membres des liens de soli-darité et de fraternité, afin de procurer à chacun aide etassistance1 ». La IIIe République accueille avec bien-veillance ces premières AGE attachées aux valeurs républi-caines, qui sont de nature à arracher les étudiants « aucarcan des influences familiales et locales », « entrave àl’État nouveau2 ». Le 4 mai 1907, à Lille, les AGE se fédè-rent en une Union nationale des Associations généralesd’étudiants. La naissance de l’UNEF qui en résulte dépasseleurs espérances.

L’Union nationale se donne pour but de développer l’esprit d’association et de camaraderie chez les étudiants(salles de billard, fumoirs, bibliothèques, consultationsmédicales), mais aussi de présenter aux pouvoirs publicsleurs revendications (organisation des examens, conditions

1. Extrait des statuts de l’AGE de Paris. 2. J. Burney, Toulouse et son université, facultés et étudiants dans la France provinciale du XIXe siècle, Toulouse, 1988, p. 247.

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d’incorporation au service militaire après la session de sep-tembre) et de développer les œuvres susceptibles d’amélio-rer leur situation matérielle. Ces revendications serontclairement formulées au congrès de Nancy en 1909, et lesmoyens d’action définis : « à la dernière extrémité, la grèvede l’Université ».

L’UNEF n’est pas alors pensée comme un lieu decontestation sociale, ni comme un instrument de défensedes étudiants. La Première Guerre mondiale, puis la crisedes années 1930, vont accélérer son évolution : la popula-tion étudiante de 1920 n’est plus la même qu’en 1900.« L’UNEF se lance dans des réalisations matérielles pourles étudiants atteints par la dureté des temps3. »

Apolitisme ? Corporatisme ?Au début des années 1920, l’UNEF mène campagne

pour l’octroi de prêts d’honneur, revendique dès 1924 uneallocation d’études, obtient la création de la médecine pré-ventive universitaire, la construction du sanatorium deSaint-Hilaire-du-Touvet dans l’Isère (1924), la création despremiers restaurants universitaires, les premiers logementsétudiants (dont certains sont la reconversion d’anciennesmaisons closes…), la fondation de l’Office du tourisme uni-versitaire (1929) et du Bureau universitaire des statistiquesdestiné à élaborer des enquêtes sur les carrières, afin defaire face à l’engorgement des professions « intellec-tuelles ». L’UNEF devient l’outil par lequel l’enseignementsupérieur et les étudiants se structurent. Cela lui vaut d’êtrereconnue d’utilité publique4 par le président de la Répu-blique, Gaston Doumergue.

3. A. Monchablon, Histoire de l’UNEF, PUF, 1983, p. 15.4. Décret du 16 mai 1929, signé par G. Doumergue, président de la Répu-blique, et A. Tardieu, ministre de l’Intérieur.

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Le nombre de ses adhérents ne cesse d’augmenter(40 000 en 1932) ; les AGE sont des lieux permettantd’échapper à la solitude, mais le passage à l’UNEF permetaussi l’apprentissage de la vie publique, ministres, maires etpréfets étant les interlocuteurs ordinaires des représentantsétudiants. Cette culture civique et gouvernementale éloignel’UNEF de la tentation extrémiste de l’entre-deux-guerres etla protège de la stratégie d’affrontement que l’extrême droitedéveloppe dans le milieu étudiant, même si l’AGE de Parisest contrôlée par l’Action française dès 1925.

Les engagements de l’UNEF sont toutefois porteurs decertaines ambiguïtés. Militante de la paix dès 1919, elleprend l’initiative de la fondation de la Confédération inter-nationale des étudiants (CIE), reconnue et intégrée dans laSDN, mais ne rompt pas pour autant avec les organisationsétudiantes italiennes devenues fascistes et n’échappe pas auclimat xénophobe et antisémite qui se développe en 19355.De façon générale, l’UNEF s’oppose à tout élargissementsocial du recrutement des étudiants : elle organise desgrèves et manifestations contre l’accès des capacitaires à lalicence de droit en 1932 ou contre l’accès des bachelierssans latin à la licence de lettres. Elle se consacre à ladéfense des intérêts d’une élite constituée.

Pourtant, l’étudiant des années 1930 n’est déjà plusl’étudiant bien né du début du siècle. Le nombre des bour-siers a considérablement augmenté et, en novembre 1935,le gouvernement décide un doublement des droits universi-taires. L’UNEF lance alors un mot d’ordre de grève géné-rale pour les 11 et 12 février 1936. Cette grève estfinalement décommandée, témoignant des oppositions qui

5. L’UNEF demande des mesures restrictives pour la délivrance desdiplômes aux étrangers, notamment dans les domaines du barreau et de la médecine.

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secouent l’UNEF. S’il n’existe pas en son sein de clivageentre les partisans d’une université plus ouverte et lestenants d’une structure plus traditionnelle, il se dessine clai-rement l’émergence d’une sensibilité plus revendicative,capable de transcender les intérêts disciplinaires et déter-minée à utiliser la grève pour obtenir satisfaction.

L’institutionnalisation du syndicalisme étudiantLe congrès de Vichy (mars-avril 1937) marque un chan-

gement de cap : l’UNEF recentre l’ensemble de ses activi-tés autour de la question de l’aide sociale aux étudiants. Sanouvelle orientation, consécutive à l’accès à sa présidencede Claude Delorme, jeune étudiant socialiste, trouve unécho favorable du côté de Jean Zay, ministre de l’Éducationnationale soucieux de mettre en place une « politique géné-rale des étudiants ». Un Comité supérieur des œuvressociales est créé afin de gérer les réalisations étudiantes. Ilen résulte « une collaboration inédite » : pour la premièrefois, des représentants des étudiants sont appelés à siégeraux côtés des représentants de l’administration dans uneinstance ministérielle.

L’UNEF obtient le monopole en matière d’aide socialeet s’engage sur la voie de l’institutionnalisation. À partir dejuin 1938, le Courrier des étudiants6 publié par le CSOdevient l’organe officiel de l’Union nationale. Les relationsconstantes des dirigeants de l’UNEF avec le CSO renfor-cent le rôle de celle-ci vis-à-vis des AGE qui ont besoin dusoutien du bureau national pour défendre leurs demandesauprès du ministre. Une véritable Union nationale est née.En 1939, l’UNEF regroupe plus de 21 000 adhérents, soitun étudiant sur quatre. La guerre éclate à nouveau.

6. Cette publication est remplacée en 1956 par Étudiants de France.

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Les années noiresLes épreuves de l’Occupation mettent en évidence les

limites de l’apolitisme traditionnel de l’UNEF. Pour sesdirigeants, la ligne de conduite est simple : « maintenirl’UNEF pour maintenir les œuvres ». Jean David, nonmobilisé, fait fonction de président. « L’UNEF n’a jamaiscollaboré… Mais elle a continué à exister comme aupara-vant, ne prenant position ni au moment de la déclaration deguerre, ni lors de la défaite, ni au moment de la déporta-tion, ni à la Libération7. » Ceux de ses membres qui parti-cipent à la Résistance le font en dehors de l’UNEF. À laLibération, l’UNEF échappe de peu à la dissolution. Elleest concurrencée par un certain nombre de groupes poli-tiques ou confessionnels qui sortent de la guerre auréolésde gloire8.

C’est l’AGE de Lyon, où de nombreux étudiants avaienttrouvé la mort dans la Résistance (bien que l’AGE soitouvertement pétainiste), qui va s’attacher à reprendre ladirection de l’UNEF, reconstituée notamment avec des étu-diants revenus d’Allemagne. L’enjeu est d’importance. Leministre de l’Éducation René Capitant, proche des milieuxchrétiens de gauche, voulant limiter l’influence des com-munistes dans la jeunesse, vient d’instaurer9 ce que l’UNEFavait si longtemps réclamé : une représentation élue des étu-diants au sein des conseils. Les lyonnais, soutenus par Tou-

7. M. de la Fournière, F. Borella, Le Syndicalisme étudiant, Seuil, 1957,p. 44.8. Dès 1943, les étudiants socialistes, communistes, et la jeunesse étu-diante chrétienne se sont rassemblés autour des Forces unies de la jeu-nesse patriotique (FUJP). À la Libération, ils créent l’Union patriotiquedes organisations étudiantes (UPOE), elle-même membre de l’Unionpatriotique des organisations de jeunesse (UPOJ).9. Décret du 16 mai 1945.

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louse et Paris-lettres, préparent le congrès de Grenobled’avril 1946. Ils font le choix de rénover la vieille UNEF.

La Charte de GrenobleCe congrès est celui d’une nouvelle naissance pour

l’UNEF : 134 délégués représentent 23 AGE de province et7 AGE parisiennes. L’UNEF regroupe 37 818 adhérents sur123 000 étudiants. Un texte essentiel y est adopté : laCharte de Grenoble10. Les étudiants y sont définis commede « jeunes travailleurs intellectuels », groupe social ayantdes intérêts spécifiques (indépendamment de toute originesociale) et des droits collectifs à défendre : « la prévoyancesociale, l’indépendance matérielle et le libre exercice desdroits syndicaux ». Il appartient aux étudiants de « faire pro-gresser la culture et de dégager le sens de l’Histoire ». L’in-dépendance de l’UNEF vis-à-vis de toute tutelle politiqueou étatique est réaffirmée, ainsi que sa nature syndicale etsa volonté de transformation sociale.

Les 6 et 7 juin 1947, la première grande grève étudianteorganisée sur le thème « Étudiant, on se fout de toi » connaîtun vrai succès. Elle s’oppose à l’augmentation des droitsuniversitaires et à la baisse des bourses. Profitant de la miseen place du nouveau pacte social de l’après-guerre, l’UNEFinspire la loi du 23 septembre 1948 qui étend aux étudiantsle bénéfice de la sécurité sociale. La gestion de celle-ci estconfiée aux étudiants eux-mêmes : c’est la naissance de laMutuelle nationale des étudiants de France (MNEF). Entre1947 et 195611, l’UNEF devient le « grand syndicat unique

10. Voir encadré p. 24-25. Ce texte fait écho à la Charte d’Amiens et ins-pirera en 1946 la Constitution de l’Union internationale des étudiants(UIE).11. La FFEC reconnaît l’UNEF en 1950. L’Union des grandes écoles (quia vu le jour en 1947) y adhère en 1956.

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LA CHARTE DE GRENOBLE

Préambule

Les représentants des étudiants français légalement réunis au

congrès national à Grenoble, le 24 avril 1946, conscients de la

valeur historique de l’époque ;

Où l’Union française élabore la nouvelle Déclaration des droits de

l’homme et du citoyen ;

Où s’édifie le statut pacifique des nations ;

Où le monde du travail et de la jeunesse dégage les bases d’une

révolution économique et sociale au service de l’homme ;

Affirment leur volonté de participer à l’effort unanime de reconstruc-

tion, fidèles aux buts traditionnels poursuivis par la jeunesse étudiante

française lorsqu’elle était à la plus haute conscience de sa mission.

Fidèles à l’exemple des meilleurs d’entre eux, morts dans la lutte du

peuple français pour sa liberté,

Constatant le caractère périmé des institutions qui les régissent,

Déclarent vouloir se placer, comme ils l’ont fait si souvent au cours

de notre Histoire, à l’avant-garde de la jeunesse française, en défi-

nissant librement comme base de leurs tâches et de leurs revendi-

cations les principes suivants.

Art. 1 – L’étudiant est un jeune travailleur intellectuel.

Droits et devoirs de l’étudiant en tant que jeune :

Art. 2 – En tant que jeune, l’étudiant a droit à une prévoyance

sociale particulière, dans les domaines physique, intellectuel et

moral.

Art. 3 – En tant que jeune, l’étudiant a le devoir de s’intégrer

à l’ensemble de la jeunesse mondiale et nationale.

Droits et devoirs de l’étudiant en tant que travailleur :

Art. 4 – En tant que travailleur, l’étudiant a droit au travail et au repos

dans les meilleures conditions et dans l’indépendance matérielle,

tant personnelle que sociale, garanties par le libre exercice des

droits syndicaux.

Art. 5 – En tant que travailleur, l’étudiant a le devoir d’acquérir la

meilleure compétence technique.

Droits et devoirs de l’étudiant en tant qu’intellectuel :

Art. 6 – En tant qu’intellectuel, l’étudiant a droit à la recherche de la

vérité, et à la liberté qui en est la condition première.

Art. 7 – En tant qu’intellectuel, l’étudiant a le devoir :

– De définir, propager et défendre la vérité, ce qui implique

le devoir de faire partager et progresser la culture et de dégager le

sens de l’Histoire.

– De défendre la liberté contre toute oppression, ce qui, pour

l’intellectuel, constitue la mission la plus sacrée.

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de la classe estudiantine », comme le dit Le Figaro. En1956, elle regroupe 80 000 membres, soit environ la moitiédes étudiants.

L’UNEF est devenue une force reconnue à l’échelonnational12, qui par l’intermédiaire des AGE colle de prèsà son milieu. Les AGE sont chargées de gérer matérielle-ment les services (bibliothèques, discothèques, clubsdivers…) et de formuler les revendications. Des officestechniques regroupent les étudiants d’une même disciplineet se soucient surtout de l’organisation des études et desdébouchés professionnels. Au niveau national, le fonc-tionnement de l’UNEF repose sur un bureau de 8 à12 membres élus au congrès, équipe de techniciens diri-gée par un président polyvalent.

Après les difficiles années de la guerre et de l’après-guerre, l’UNEF a pignon sur rue. Hébergée rue Soufflotdans des locaux du Comité parisien des œuvres, elle entre-tient de bonnes relations avec les institutions universitaires(doyens et recteurs), ainsi qu’avec le ministère, et reçoitpour ses activités des subventions publiques.

Sa situation est « ambivalente et paradoxale13 ». Éma-nation reconnue par tous d’une élite étudiante traditionnel-lement recrutée dans la bourgeoisie, elle a les allures d’ungroupe de pression, mais d’un groupe de pression original,car elle n’a rien à donner, ni argent ni influence électorale.Elle est aussi caractérisée par sa totale indépendance àl’égard des partis politiques ou du gouvernement. Étudiantsélus par des étudiants, les dirigeants de l’UNEF ont à trou-ver seuls les solutions des problèmes qui se posent à eux.

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12. En 1947, le ministre reconnaît l’UNEF comme seule organisationreprésentative.13. A. Monchablon, op. cit., p. 36.

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Ainsi, en 1956, sous le nouveau gouvernement Guy Mollet,l’UNEF obtient la cogestion des Œuvres par l’intermédiairedu Centre national des œuvres, successeur du CSO. La miseen place de l’allocation d’études, revendication adoptée aucongrès d’Arcachon en 1950, n’a jamais été aussi proche14,à tel point que le ministre René Billière l’insère dans sonplan de réforme.

« L’UNEF aux minos15 »Des divergences internes apparaissent dès que les

« minos », fidèles à l’exemple mythique de la Résistance,revendiquent le droit de prendre politiquement position,expliquant que l’indépendance vis-à-vis des partis ne signi-fie pas l’apolitisme.

L’UNEF semble avoir suivi l’évolution générale de lasociété française quant à sa direction. Jusqu’ici, l’organi-sation avait davantage connu les nuances et les opposi-tions personnelles que de véritables courants de penséeorganisés16. Peu à peu, hormis un certain scepticisme, les« majos » n’ont rien à opposer aux revendications desminos sur la démocratisation de l’enseignement supé-rieur, la cogestion de l’université et l’allocation d’études,qui avait été abandonnée par les majos entre 1953et 1956. Les corpos les plus dures quittent alors l’UNEF.Les majos sont politiquement hétérogènes, de l’extrême

14. En 1951 et en 1954, le projet a échoué deux fois à l’Assembléenationale.15. Les « minos », politiquement plus à gauche et favorables aux orien-tations syndicales de l’UNEF, ont été minoritaires dans l’organisationjusqu’en 1956. Les majos, de tendance corporatiste, l’ont dirigée de 1953à 1956.16. Les duels oratoires entre le communiste Emmanuel Leroy-Ladurie,délégué du cartel des ENS, et le fascisant Jean-Marie Le Pen, représen-tant de la corpo de droit de Paris, sont vifs.

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droite de Paris-droit à certains éléments socialistes, sansunité idéologique depuis que l’anticommunisme tradi-tionnel ne les fédère plus. Lyon et Grenoble, la FGEL deParis, le cartel des ENS et l’AGPLA sont pour les minos ;les communistes et les socialistes s’intéressant peu àl’UNEF17. C’est la jeunesse étudiante chrétienne qui donnele ton, encore auréolée par son rôle face au nazisme et àVichy18. Ils sont « coco-jécistes », comme le dit l’extrêmedroite. Alain Monchablon le constate : « Force montante ausein d’une force montante, la mino l’aurait sans douteemporté sans qu’interviennent les questions d’outre-mer.Elle a conquis la MNEF et diverses AGE. L’histoire va endécider autrement19. »

L’UNEF à l’heure algérienneLes débats liés à la situation en Afrique du Nord vont

progressivement gagner l’organisation. L’UNEF disposed’AGE à Alger, Tunis et Rabat. Au congrès de Marseille(1955), minos et majos font jeu égal. Dans le cadre d’unbureau d’union, les minos font reconnaître l’Union géné-rale des étudiants musulmans algériens (UGEMA) et lesassociations d’étudiants du Maroc (UNEM) et de Tunisie(UGET). En septembre 1955, le rappel et le maintien sousles drapeaux en Algérie de 175 000 jeunes ayant déjàaccompli leurs obligations militaires suscitent dans lesgares et dans les ports de nombreuses manifestations spon-tanées. L’Express, qui interroge l’UNEF sur sa positionsilencieuse, ouvre une crise interne qui s’achève par unenouvelle déclaration d’apolitisme. L’arrestation de treize

17. M. Rocard, par exemple, secrétaire général des Jeunesses socialistesen 1954, ne fera pas de l’UNEF un champ de développement.18. A. R. Michel, La JEC, 1938-1944, PUF de Lille, 1988.19. A. Monchablon, op. cit., p. 49.

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étudiants musulmans (et la mort de l’un d’eux), l’existencede « camps d’hébergement » et la « chasse au faciès »menée à Montpellier conduisent les minos à adopter uneposition sans ambiguïté. En mars 1956, l’AGE de Grenoblefait adopter un texte prônant des « négociations avec lesreprésentants qualifiés du peuple algérien ». Parallèlement,l’UGEMA durcit ses positions et demande « la proclama-tion de l’indépendance de l’Algérie, la libération de tousles patriotes emprisonnés, des négociations avec le FLN ».La position de l’UNEF est d’autant plus difficile quel’AGE d’Alger soutient ouvertement le Comité d’actionuniversitaire pour l’Algérie française, et que le gouverne-ment de Guy Mollet est entré dans une politique de guerrecoloniale.

Le drame algérien rompt définitivement le pacte deneutralité au sein de l’UNEF. Le tournant décisif a lieu auconseil d’administration du 30 juin 1956, où les minosl’emportent d’une voix sur le vote d’une reprise des rela-tions avec l’UGEMA, rompues un mois auparavant ; dèsaoût, l’UNEF est partie prenante d’une Conférence pourla solution du problème algérien où se retrouvent étudiantsfrançais, libéraux d’Alger et étudiants algériens prochesdu FLN. « Le schisme est consommé au Congrès de Parisen 1957. Les majos ont toujours considéré que l’Algérieest terre française. Ils se rendent compte qu’ils serontamenés à se prononcer contre les partisans de l’abandonet à se joindre au camp des nationaux. Cette contradictioninterne les déchire. Ils trahissent malgré eux leur principed’apolitisme20. »

De ce fait, l’UNEF est comme paralysée. En France, les arrestations d’étudiants se multiplient. L’UNEF choisit

20. A. Coutin, Huit siècles de violence au Quartier latin, Stock, 1969,p. 357-358.

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la prudence et limite ses démarches à des interventions indi-viduelles (souvent réussies) pour sauvegarder les sursis.Mais le 5 avril 1957, informée de l’existence d’exécutionssommaires et d’actes de torture, elle diffuse un communi-qué qui conclut : « S’il était vrai que la guerre d’Algérie nepût se poursuivre par d’autres moyens, c’est à cette guerreelle-même qu’il faudrait mettre fin. » Les AGE majos21

désavouent l’UNEF et « ses protestations morales ».L’UNEF renforce son audience, malgré la tentative de

création par les gaullistes du Mouvement des étudiants de France. Le MEF ne durera pas, mais le ton est donné :le monde étudiant ne restera pas sans contre-pouvoir.À partir de janvier 1958, l’UNEF dénonce les abus de laraison d’État et prend en charge la défense de nombreuxétudiants algériens pour lesquels le temps de l’exodesemble venu.

Au congrès de 1958, la présidence de l’UNEF, jus-qu’alors détenue par des jécistes, passe à Georges Danton,étudiant socialiste. Face aux événements d’Alger du 13 mai1958, l’UNEF, comme les syndicats français, dénonce l’atteinte aux institutions républicaines.

Le réveil du parti de la paix et de l’antifascismeLe 18 août 1959, le régime des sursis est modifié.

Le milieu étudiant est directement confronté à la guerre, et c’est sur cette question syndicale que l’UNEF affirme sa position. Le congrès de Lyon vote une motion décisiveoù sont demandées « des négociations avec le FLN sur lesconditions d’un cessez-le-feu et les garanties d’applicationde l’autodétermination ». La mention explicite du FLN faitl’effet d’une bombe.

21. Langues orientales, Paris-sciences, Le Cartel des arts, Montpellier,HEC, Paris-pharmacie, Aix, Dijon, Nantes.

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Le 6 juin 1960, un communiqué commun signé à Lau-sanne par l’UNEF et l’UGEMA rend publique la repriseofficielle des relations avec les associations d’étudiantsd’outre-mer. Le texte est audacieux : il s’y dessine la tenta-tion de l’insoumission et de l’aide directe au FLN. Le gou-vernement supprime la subvention de l’UNEF et menace dela déclarer non représentative.

L’UNEF doit-elle prôner l’insoumission ? Elle fait lechoix de l’action de masse et jette les bases de la premièremanifestation unitaire contre la guerre. Le 27 octobre,15 000 manifestants défilent dans la rue et se rendent à laMutualité ; Pierre Gaudez, président de l’UNEF, parle aunom de tous pour « la paix par la négociation, les garan-ties mutuelles de l’application loyale du principe de l’auto -détermination ». Pour l’UNEF, c’est l’apogée : il estpossible de concilier action de masse, captation des forcesouvrières traditionnelles et audace.

En 1961 et 1962, l’action contre la guerre d’Algériedevient la priorité de l’UNEF dans un cadre qu’elle sou-haite intersyndical. Mais au moment du putsch des géné-raux, l’UNEF se retrouve seule. Le gouvernementmenace de supprimer le CNO, puis impose la signatured’une charte d’apolitisme. L’UNEF refuse. Le 29 juin estcréée de toutes pièces la Fédération nationale des étu-diants de France (FNEF), immédiatement reconnue etsubventionnée par le pouvoir gaulliste qui lui donne adnotum une représentation au CNO. Cette ingérence gou-vernementale conduit l’UNEF à boycotter les électionsdès 1963.

La gangrène du fascisme s’est étendue en France. Ennovembre 1961, puis le 8 février 1962, l’UNEF organiseavec la CGT et la CFTC des manifestations contre l’OASet pour la paix en Algérie, interdites par les autorités. Descomités antifascistes constitués d’organisations politiques

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(UEC, ESU) et syndicales (UNEF, SNESUP, SGEN) sefédèrent en un Front universitaire antifasciste.

La signature des accords d’Évian inaugure une nou-velle période de reconversion de l’UNEF vers des reven-dications universitaires. Au congrès de Reims, elle exigede la France le respect absolu des accords d’Évian, et le règlement des problèmes universitaires. L’UNEFdénonce le caractère abstrait et cloisonné des formationset rappelle l’intérêt d’une allocation d’études. Elleréclame une nouvelle réforme du service militaire etl’ouverture de l’université pour en faire l’affaire de tous,y compris des confédérations ouvrières. Elle s’orientevers un syndicalisme responsable et unitaire, soucieux denégocier avec le gouvernement. Le nouveau ministreSudreau semble coopératif, et le congrès adopte uneposition modérée. Pour la première fois, les « minos » semontrent divisées entre les partisans d’une action reven-dicative intensive (proches de l’UEC) et les partisansd’une stratégie de temporisation. Au cours de l’année1962-1963, aucun projet n’aboutit. Le gaullisme n’a pubriser l’UNEF, mais il l’ignore et lui préfère la FNEFqu’il a fabriquée.

Les difficultés du syndicat ne sont pas surprenantes.Elles tiennent à la structure même du renouvellement desmilitants en milieu étudiant. Une génération s’est retirée, etavec elle la mémoire de l’organisation. Indifférente aumoralisme chrétien, la nouvelle génération semble fascinéepar le mouvement ouvrier. Au sein du FUA, les respon-sables de l’UNEF et les étudiants communistes de l’UECont noué des liens. Cette approche coïncide avec une UECde plus en plus en rupture avec le PCF22. Au congrès de

22. H. Hamon, P. Rotman, Génération, Seuil, 1987, t. 1, chap. 4,« Divorce à l’italienne ».

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Dijon (1963), la gauche parisienne tente en vain de prendrele pouvoir à elle seule23.

Radicalisation et marginalisation progressive de l’UNEF à l’aube de Mai 68

La majorité de gauche qui sort du congrès de Dijonengage bel et bien l’UNEF dans une « voie universitaire »autour de son nouveau président Michel Mousel ; mais lesclivages internes s’accentuent et, dès 1964, la coupure entreles tenants de la « gauche syndicale » et ceux de la « ligneuniversitaire » est profonde. Pour Le Monde, « à partir de1963, se dessine peu à peu à travers d’innombrables sou-bresauts, une nouvelle orientation visant à politiser le mou-vement étudiant de façon plus radicale et à en faire uninstrument de lutte idéologique en milieu universitairecontre la société bourgeoise, quitte à ne rassembler que laminorité d’avant garde24 ».

Le 54e congrès de Bordeaux (avril 1965) dure onzejours. Jean-François Nallet est élu président, mais n’a guèred’autorité pour diriger face à une forte contestation interneet à l’indifférence des étudiants quant aux débats entre cou-rants de gauche. Le congrès de Grenoble (1966) est marquépar la réaction d’AGE minos dites « gestionnaires » contrela dérive en cours dans laquelle l’UNEF devient « peau de

23. Les étudiants communistes entrent pour la première fois au bureaunational en 1963, où ils retrouvent des étudiants du PSU (ESU), unsocialiste SFIO et les jécistes. Parmi ces militants, souvent issus de laFGEL et de l’AGEMP, se trouvent J.-L. Péninou (PSU puis UEC, pré-sident de la FGEL), M. Kravetz (UEC, vice-président de la FGEL) etJ.-C. Polack (UEC, président de l’AGEMP), bientôt dissidents del’UEC. C’est sous leur impulsion que s’effectue la relance de l’actionsyndicale à l’UNEF.24. F. Gaussen, « Les deux UNEF », Le Monde, 11 mars 1971.

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chagrin25 ». À la rentrée 1966, l’UNEF est désemparée :l’AGE de Strasbourg tombe aux mains de l’Internationalesituationniste. Le bureau Terrel, fasciné par l’écho de larévolution culturelle chinoise, démissionne en janvier 1967sur un constat d’échec.

Le BN de l’UNEF est à prendre. Le PSU (Parti socia-liste unifié) s’y prépare d’autant plus que le PCF ne fait pasmystère de sa propre ambition de s’emparer de l’UNEF àpartir d’une UEC désormais « orthodoxe ». P. Vandenburiedevient président, chargé de « réinventer l’UNEF » à la têted’un bureau composé d’étudiants du PSU ; il est réélu dejustesse au congrès de Lyon en juillet 1967 contre l’UEC.

À la veille de Mai 1968, handicapée financièrement26

(acheter du papier ou des timbres est une aventure), géo-graphiquement rétrécie, devenue un enjeu d’affrontementsde groupes politiques, l’UNEF est encore au carrefour de tous les foyers d’agitation du monde étudiant. Elle nouede nouvelles relations avec la direction du SNESUP et demeure la seule organisation de masse en relation avecles centrales syndicales et capable d’assurer un relais en province.

Mai 68 : le rôle essentiel de l’UNEF27

C’est ce qui lui permet de jouer en mai 1968 un rôleessentiel dans le déclenchement et l’unification de la riposteétudiante suite à l’occupation de la Sorbonne par la policeet aux arrestations, puis dans l’extension de la solidarité

25. De 100 000 adhérents en 1960, l’UNEF tombe à 45 000 au congrèsde Grenoble en 1966.26. Depuis 1961, le pouvoir gaulliste subventionne quasi exclusivementla FNEF.27. On se reportera, sur cet épisode, au Livre noir des journées de mai,Seuil, 1968.

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syndicale avec les étudiants28. Ce rôle a été peu mis en évi-dence si ce n’est par l’évocation de Jacques Sauvageot, vice-président de l’UNEF et figure historique du mouvement.Comme le remarque Hervé Bourges29 : « Ce n’est pas sansironie que [les responsables de l’UNEF] relèveront, au coursde la crise, les démarches pressantes du gouvernement, sou-cieux de voir les étudiants défiler pacifiquement sous la hou-lette d’un mouvement dont il n’a cessé de contester lareprésentativité. »

Même si le sigle « UNEF » n’est pas discrédité pour lamasse des lycéens qui entrent à l’université en octobre 1968,le syndicat tente de se redéfinir comme « mouvement poli-tique de masse » en juillet. Échouant à unifier les formesdiverses que prend la contestation étudiante en 1968-1969,affaiblie par ses affrontements internes, l’UNEF se brise surla loi d’orientation d’Edgar Faure qui vient d’accorder unereprésentation aux étudiants dans les conseils d’université.Le congrès de Marseille (décembre 1968), qui reconduit unbureau tendance PSU présidé par Jacques Sauvageot,appelle au boycott des élections universitaires pour ne pas« cogérer l’université capitaliste ».

La création concurrente par l’UEC de comités UNEF-Renouveau qui participent aux élections de la loi Faure minel’organisation de l’intérieur. L’abandon de l’UNEF par plu-sieurs groupes d’extrême gauche accroît les surenchères en milieu étudiant lors des mouvements de grève, comme en médecine à la rentrée 1969. Malgré la tentative de l’UNEFde renaître en tant qu’organisation de masse dans le cadre de nouveaux statuts (instituant les « comités d’action UNEF »

28. Voir à ce sujet Au cœur des luttes des années 1960, les étudiants duPSU, Publisud, 2010.29. Préface à La Révolte étudiante, Seuil, 1968 ; J. Sauvageot,A. Geismar, D. Cohn-Bendit, J.-P. Duteil.

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et un « collectif national »), le dernier congrès unitaire d’Or-léans (1970) se résume à des affrontements entre tendances :UEC, trotskystes lambertistes de l’AJS (Alliance des jeunespour le socialisme), HR (Humanité rouge, maoïste) et les étu-diants du PSU. La proposition d’un bureau d’union étant reje-tée, la plus forte minorité (PSU) conserve un BN homogèneintitulé « bureau de gestion de crise ». Au collectif nationalde janvier 1971, le PSU annonce son départ de l’UNEF et leBN démissionne. Deux forces politiques animées d’une hainepolitique ancienne et durable, l’UEC et l’AJS, restent face àface. Chacune convoque un congrès de l’UNEF.

La scission de 1971Deux congrès de l’UNEF sont organisés début 1971.

Celui de l’UNEF-Unité syndicale à Dijon (la FEN, Forceouvrière et la CFDT sont présentes) et celui des UNEF-Renouveau à Paris (soutenues par la CGT et le SNESUP).Les raisons officielles de la scission sont non seulement desquestions de démocratie interne, mais surtout un désaccordau sujet des élections étudiantes aux conseils des universités.L’UNEF-Re est favorable à la participation à ces élections,l’UNEF-US y est opposée. Mais le conflit est plus fonda-mental. Pour l’UNEF-Re, le monde étudiant n’est pas homo-gène et l’on ne peut ignorer les inégalités d’origine socialeentre étudiants. L’essentiel n’est pas de lutter pour une hypo-thétique allocation d’études, mais de défendre les intérêts desfils “d’ouvrier” à l’université en privilégiant la revendicationd’un système de bourses. Il est exclu de développer un syn-dicalisme étudiant autonome par rapport au parti : le lien del’UNEF-Re avec le PCF ne sera jamais rompu. Le principedu centralisme démocratique régissant son fonctionnement,le droit de tendance n’existe pas. Les espaces de contestationet de critique sont inexistants ou gommés par l’appareil.L’UNEF-US, dirigée par des militants de l’AJS, cherche à

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adopter des revendications unifiantes pour l’ensemble desétudiants. Elle se présente aux élections aux CROUS, touten restant fidèle au principe de refus de la cogestion. Pen-dant dix ans, la position relative à la loi Faure continue d’en-tretenir les clivages. Au cours de son histoire, l’UNEF adéjà refusé la participation, assimilée à une tentative d’éta-tisation du mouvement étudiant. Dès 1963, elle a mêmedécidé le boycott des œuvres universitaires : elle n’y mettraun terme qu’en 1973.

Durant les années 1970, la politisation du milieu étu-diant est forte. Les sujets de mobilisation sont en généralextra-universitaires. Il s’agit en premier lieu des questionsde solidarité internationale (Viêtnam, Chili après 1973). Letravail revendicatif et syndical est mené par l’UNEF, maisles grandes grèves seront animées en dehors des syndicats,sous la forme de coordinations (1973, 1976). Le mouve-ment étudiant semble éparpillé30.

Toutefois, à partir de 1976, une dynamique poussant à laresyndicalisation de l’UNEF est manifeste. Dès 1973, la loiDebré sur le service militaire suscite une forte mobilisationétudiante et lycéenne. En 1976, la grève s’organise contre la

30. La majeure partie de la FNEF se radicalise à droite. Le Comité de liai-son des étudiants pour la réforme universitaire est créé. Des fédérations dis-ciplinaires autonomes (ANEMF en médecine, FNAGE en grandes écoles)se maintiennent. L’UNI (Union nationale interuniversitaire), très marquéeà droite, regroupe professeurs et étudiants pour s’opposer aux« marxistes ». En 1975, le Comité de liaison des étudiants de France ras-semble les associations nationales de droit et sciences économiques, demédecine, de pharmacie, dentaire et les associations de grandes écoles. En1982, la FNEF et le CLEF donnent naissance à la Confédération nationaledes étudiants de France qui cesse de fonctionner après 1986. En 1989, laFAGE se crée et fonctionne en cartel électoral reposant essentiellement surdes fédérations « monodisciplinaires » (médecine, dentaire). Cette organi-sation est secouée par une scission au début des années 1990, aboutissantà la naissance de Promotion et défense des étudiants (PDE).

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mise en place des 2e cycles de la réforme Saunier-Seïté :l’UNEF, reçue par le ministère, prend le pas sur les coordina-tions gauchistes. Le refus de la sélection fédère les énergies.

Réunification partielle : la fondation de l’UNEFindépendante et démocratique

Suite à son échec aux législatives de 1978, la gauchesocialiste fait de la reconstruction d’un outil syndical étu-diant un impératif premier. Les rocardiens comme les mit-terrandistes poussent à une unification permettant dedisposer à l’université d’un contrepoids face à l’UNEF-Renouveau. Le camp de la transformation sociale ne pourragagner s’il continue d’être émietté.

Ainsi, à Nanterre en mai 1980, Jean-Christophe Camba-délis est élu président de l’UNEF-ID, qui rassemble toutesles forces de l’extrême gauche à la gauche socialiste, à l’ex-ception des communistes. Son orientation est claire : laCharte de Grenoble inspire son texte fondateur, la « Chartede Paris », en particulier sur la question de l’indépendancepolitique. Ses deux axes essentiels seront l’aide sociale (l’al-location d’études) et la lutte contre la sélection à l’université.

L’élection de François Mitterrand à la présidence de laRépublique en mai 1981 change la donne sur le plan de laparticipation aux élections. L’UNEF-ID, soucieuse de nepas laisser la représentation dans les conseils à l’UNEF-Re, devenue l’UNEF-SE (Solidarité étudiante), trouvedans la nouvelle loi Savary31 l’occasion de « brûler

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31. La loi Faure est abrogée au profit d’un nouveau dispositif qui instaurel’élection directe des conseils d’UFR et des trois conseils centraux, sansquorum réduisant le nombre d’élus, ce qui permet une augmentation despostes à pourvoir par les étudiants. Les directeurs d’UFR ou les prési-dents d’université doivent tenir compte de collèges étudiants pour leurélection. Des postes de vice-présidents étudiants sont créés.

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aujourd’hui ce qu’elle adorait hier, le dieu boycott ».Elle présente une première liste de candidats aux élec-tions du CROUS dès 1982, puis aux élections auCNESER, et devient rapidement la première organisationétudiante.

« Devaquet, si tu savais… » : l’UNEF contre la sélection

En septembre 1986, le ministre Devaquet du nouveaugouvernement RPR-UDF propose un projet de loi quiprévoit la multiplication par deux des droits d’inscrip-tion f ixés désormais librement par les universités, la mise en place d’une orientation forcée à la f in duDEUG et d’un examen pour accéder à la licence, ainsiqu’une forte réduction de la représentation étudiantedans les conseils. Immédiatement, la mobilisation contrece projet s’organise.

Les états généraux de l’UNEF-ID prévus pour le22 novembre 1986 se transforment en mouvement delutte contre le projet Devaquet et appellent à une mani-festation nationale le 27 novembre. L’ensemble de la jeunesse étudiante et lycéenne se met en grève. Le4 décembre, plus d’un million de personnes manifestent.Les affrontements avec la police conduisent à la mortd’un jeune, Malik Oussekine, le 5 décembre au soir.L’élargissement du mouvement, la solidarité de l’opinionet la crainte que les organisations de salariés ne rentrentégalement dans le jeu permettent d’obtenir le 8 décembrele retrait du projet et la démission du ministre.

Cette bataille particulièrement syndicale, qui faitécho aux combats menés par l’UNEF-ID depuis 1980, seconstruit autour d’un seul mot d’ordre unifiant : le retrait du projet. L’UNEF-ID en sort renforcée et les élections

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universitaires suivantes vont démontrer qu’elle n’a plusd’opposition syndicale en milieu étudiant32.

Les liaisons dangereusesAu sortir du mouvement Devaquet, l’UNEF-ID vit ses

plus belles années. Cependant, le retour au pouvoir de lagauche, en 1988, dont elle se sent proche va modifier lesrapports qu’elle entretenait avec l’appareil d’État. Peu pré-parée, l’UNEF-ID passe en quelques années du refus de laparticipation aux élections étudiantes à la dépendance vis-à-vis du gouvernement « qu’il ne faudrait pas gêner dansson combat ». Ainsi, en 1991, lorsque Lionel Jospin,ministre de l’Éducation nationale, propose aux organisa-tions étudiantes un Plan social étudiant qui préconisenotamment le développement de prêts bancaires étudiants,la direction de l’UNEF-ID appose sa signature. En 1992,lors des mobilisations étudiantes contre le projet du mêmeministre proposant la création d’un diplôme sanctionnant la1re année de DEUG qui nourrit la crainte d’une évaporationdes étudiants vers le chômage, l’UNEF-ID est muette. Sa légitimité est affaiblie. Manque d’indépendance, manquede démocratie et manque de perspectives syndicales uni-fiantes : la majorité s’effrite.

Cartellisation de l’organisationPeu à peu, les minorités du syndicat s’organisent pour

tenter de recréer une dynamique syndicale. Le tournant alieu en janvier 1993, lorsque le trésorier David Rousset etla secrétaire générale Emmanuelle Paradis quittent lamajorité animée par le président de l’UNEF-ID Philippe

32. L’UNEF-ID réalise le meilleur score de son histoire avec 37,5 % des voix au CROUS en 1987 et 35 % au CNESER de 1989. L’UNEF-SErassemble respectivement 18 et 16,38 % des voix.

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Campinchi pour participer à la création d’une nouvelle ten-dance baptisée « Indépendance et Action » (I & A). Ilsremettent en cause une orientation syndicale devenue peulisible dans le monde étudiant. En mai 1994, un congrès estconvoqué à Clermont-Ferrand et l’UNEF-ID échappe depeu à la scission. Chaque composante revendique la majo-rité, rien ne permet de les départager. Le syndicat est coupéen deux. Un accord est trouvé pour préserver l’essentiel :l’unité de l’UNEF. Mais le syndicat est en crise. Entière-ment préoccupée par sa propre recomposition, l’UNEFn’est plus de façon incontestée la première organisation étu-diante : la FAGE remporte les élections au CNESER enjuillet. Il est temps de tourner la page.

Un syndicalisme étudiant enfin…Il faut attendre le congrès de Paris en décembre 1994

pour que la minorité « I & A » portée par un courant desympathie de plus en plus large (elle est rejointe par la Tendance Avenir Syndicale) devienne majoritaire. PouriaAmirshahi est élu président. Une majorité de travail estconstituée avec la Tendance Reconstruire, animée par Oli-vier Girardin, afin de « reconstruire un syndicat débarrasséde la tutelle politique » et d’organiser syndicalement lesnouveaux adhérents issus de la « génération CIP », du nomdu mouvement victorieux contre la tentative du Premierministre Édouard Balladur d’instaurer un contrat de travailspécifique aux jeunes rémunéré à 80 % du Smic. L’objectifaffiché par la nouvelle majorité est de rendre l’UNEF-IDaussi forte dans la rue que dans les urnes.

Dès février 1995, la publication du rapport Laurent jettele trouble dans le monde universitaire. Le service publicd’enseignement supérieur semble menacé par la « révolu-tion libérale » qu’il propose, bien que le ministre de l’Édu-cation François Fillon recule. La précarité s’accentue dans

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le monde étudiant, et le projet de modification des condi-tions d’attribution des aides au logement (ALS) déclenchela colère. Jacques Chirac, nouvellement élu président de laRépublique, avait promis lors de sa campagne un projet deloi sur le « statut social de l’étudiant », mais son nouveauministre François Bayrou semble tergiverser.

À la rentrée 1995, des dizaines de milliers de manifes-tants défilent dans toute la France en réponse au planBayrou. Ce mouvement est alimenté par une situation bud-gétaire dramatique dans les universités. La jeunesse est éga-lement solidaire des salariés : l’UNEF-ID participe aumouvement social le plus important depuis Mai 1968 contreles projets de réforme de la sécurité sociale et des retraitesdu Premier ministre Alain Juppé. Dans certaines universi-tés, les cours sont presque totalement interrompus durantles mois de novembre et décembre 1995. Les universitésobtiennent une rallonge budgétaire. Même si elle estconfrontée maintes fois à des groupuscules gauchistes,l’UNEF-ID réussit à instaurer un nouveau rapport de forcede manière durable avec les pouvoirs publics.

« Pour la première fois, les étudiants ont imposéune réforme33 »

Au sortir du mouvement de novembre-décembre 1995,l’UNEF-ID est en position de force. Elle est à nouveau lapremière organisation étudiante devant la FAGE. À l’occa-sion d’états généraux qu’elle organise, la revendicationd’une nouvelle réforme pédagogique est mise en avant pourrépondre à l’échec de plus en plus massif dans les pre-miers cycles et pour « dépoussiérer » un système universi-taire qui n’a pas évolué depuis 1984 et qui reste assujetti au

33. Déclaration de Pouria Amirshahi au journal Le Monde du 5 février1997.

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poids d’un fort conservatisme, notamment en matièred’examens. Le ministre Bayrou accepte d’engager les dis-cussions avec les étudiants.

Dès avril 1997, une nouvelle réforme pédagogique voitle jour. Forte de sa légitimité, l’UNEF-ID en a en grandepartie inspiré le contenu. Elle obtient de nouveaux droitspour les étudiants, notamment en matière de cadrage natio-nal des diplômes et d’examens, et fait ainsi baisser le poidsdu mandarinat dans les universités. La mise en place duPlan social étudiant en 1999 s’inscrit aussi dans ce cycle devictoires. Pour la première fois, le principe d’aide à l’étu-diant en fonction de sa situation propre, et non en fonctionde celle de ses parents, est reconnu. Certes, les aides ainsimises en place sont contingentées, mais le principe de l’al-location d’études progresse.

Sur le terrain, les AGE vont batailler pendant plusieursannées pour voir appliquer les nouveaux droits issus desréformes de 1997 et de 1999. Il en résulte une progressionconstante lors des scrutins locaux et nationaux. Ainsi, en2000, l’UNEF-ID obtient 5 élus sur 11 au CNESER et5 élus sur 8 au CNOUS, atteignant 42,5 % des voix. De soncôté, et pour la première fois de son histoire, l’UNEF-SEperd sa qualité d’organisation représentative dans lesœuvres.

Vers l’unité retrouvée : le retour de la GrandeUNEF

Le mouvement de 1995 a permis de constater que les différences d’ordre revendicatif entre les deux UNEFs’estompaient de plus en plus. Dès son congrès de Mont-pellier en 1997, l’UNEF-ID, par la voix de son président,invite les deux UNEF à se retrouver « dans la maison com-mune ». Marie-Pierre Vieu, présidente de l’UNEF-SE, luirépond, mais rien ne se fait. L’unité d’action entre les deux

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UNEF commence alors sur le terrain mutualiste. L’UNEF-ID renoue progressivement avec la MNEF, dont les étu-diants ne présidaient plus les destinées. Au début des années1990, la mutuelle avait en effet été abandonnée au profitd’une équipe de « professionnels » qui la dirigeait dans uneperspective de rentabilité et de diversification de ses pres-tations. Sa direction est légitimement contestée lorsque desaffaires mettant en cause des ministres défrayent la chro-nique. En 1999, les listes communes UNEF-ID/UNEF-SE« Changer la MNEF » conduites par Pouria Amirshahil’emportent et permettent de renouer avec une gestion étu-diante et démocratique de la mutuelle. L’expérience étu-diante pourtant prometteuse ne durera que sept mois avantque les pouvoirs publics ne se décident, pour des raisonsélectorales, à liquider le sigle MNEF devenu soudaingênant. La MNEF, riche d’une histoire sociale de près decinquante ans, disparaît. Sur ses ruines, La Mutuelle desétudiants (LMDE) est créée en 2001. Elle est encadrée pardes parrains mutualistes, FNMF et MGEN, qui veillent àson indépendance…

Les conditions d’élaboration d’une stratégie d’unitéentre les deux UNEF semblent enfin réunies. La dominationmilitante et électorale de l’UNEF-ID, la perte de vitesse del’UNEF-SE, l’incompréhension des étudiants face à cesdivisions historiques devenues sans fondement sont tellesque les discussions s’accélèrent. Lors du scrutin auCNESER de l’année 2000, l’UNEF-ID et l’UNEF-SE fontliste commune. Le bon score obtenu et les rapprochementsidéologiques conduisent les deux organisations à mettre enplace des comités de liaison paritaires. En décembre 2000,une première tentative de réunification échoue.

Les discussions aboutissent enfin lors d’une assembléegénérale extraordinaire de réunification, les 23 et 24 juin2001 : la division du syndicalisme étudiant qui durait depuis

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presque trente ans est terminée. Yassir Fichtali est le premier président de l’UNEF réunifiée. Reconnue dans sonmilieu34, l’UNEF a désormais toutes les cartes en main pourêtre un émetteur puissant et efficace35. En mars 2002,à l’occasion de l’élection présidentielle, elle rassemblemille étudiants à la Sorbonne lors d’« états généraux pourl’autonomie des jeunes » et interpelle les candidats :« Qu’allez-vous faire de nos vingt ans ? »

Battre le FN « dans la rue et dans les urnes »Dès le soir du 21 avril 2002 qui voit le candidat de l’ex-

trême droite accéder au second tour de la présidentielle,l’UNEF est la première organisation à appeler à battreLe Pen « dans la rue et dans les urnes ». L’UNEF adresseà tous les candidats une « lettre de la jeunesse mobilisée »qui rappelle que « toute alliance avec l’extrême droite doitêtre refusée ». En pointe des manifestations anti-Le Pen, la jeunesse donne le ton et la société se mobilise dans sonélan. À la tête de cette mobilisation, l’UNEF se fixe commeresponsabilité d’organiser la « génération 21 avril » en luioffrant des perspectives d’engagement. Elle confirme dansles urnes le rôle central qu’elle joue durant cette période etsort victorieuse des élections au CNESER (5 élus sur 11) etau CNOUS (4 élus sur 8, en raison notamment de la percéede l’EMF36 allié pour l’occasion à la FAGE).

34. Avec 5 élus sur 11 au CNESER et 4 élus sur 8 au CNOUS lors desélections étudiantes de 2002, l’UNEF réunifiée confirme sa place cen-trale dans le mouvement étudiant.35. On pourrait penser sa situation enviable, puisqu’elle suscitera à nou-veau, semble-t-il, des jalousies qui se veulent assassines : le 24 février2003, la CFDT n’a pu résister à encourager le départ de quelques étudiantspour tenter de gonfler les rangs du syndicalisme d’accompagnement.36. Étudiants musulmans de France.

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Dès la rentrée, l’UNEF s’engage alors dans la défensedu service public d’éducation et contre la stigmatisation desjeunes portée par le gouvernement Chirac-Raffarin-Sar-kozy. « Quand vous ouvrez une école, vous fermez uneprison », écrivait Victor Hugo. L’UNEF en fait son slogan.Elle se mobilise également contre la suppression desMI/SE37. Le bilan d’activité présenté lors du 78e congrès,qui se tient à Lyon du 8 au 11 mai 2003, témoigne de la richesse de son activité syndicale : dans un contexte dif-ficile, elle obtient l’extension du « Locapass » aux étudiantssalariés et celle de la couverture maladie universelle auxétudiants.

« Être le moteur et le relais du combat d’unegénération38… »

En 2003, l’UNEF renoue avec la rue. Elle appelle lesétudiants à se mobiliser en mai et juin aux côtés des sala-riés pour défendre le droit à des retraites par répartition dehaut niveau menacé par la réforme Fillon, car les « étu-diants d’aujourd’hui sont les retraités de demain ». L’UNEFrevendique notamment la prise en compte des annéesd’études dans le calcul des annuités.

Engagée depuis plusieurs années dans le mouvementaltermondialiste39, l’UNEF donne une nouvelle dimensionà son action aux côtés de tous ceux qui travaillent à laconstruction d’un monde de justice et de paix : elle est

37. Maîtres d’internat, surveillants d’externat.38. Texte d’orientation adopté lors du 78e congrès national (Lyon, du 8au 11 mai) in Étudiants de France, n° 236, avril 2003.39. L’UNEF est membre du collège des fondateurs d’Attac. Elle parti-cipe notamment en octobre 2001 au 1er Forum mondial de l’éducation à Porto Alegre, ainsi qu’au 3e Forum social mondial à Porto Alegre en2002.

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présente au contre-sommet du G8 à Évian (juin 2003) ets’engage pleinement dans l’organisation du Forum socialeuropéen en novembre 2003 à Paris. En mars, elle appelleles étudiants à se joindre aux manifestations contre l’agres-sion américaine en Irak. Les 13 et 14 novembre, elle mani-feste à Bruxelles lors de l’euro-manifestation organisée àl’occasion du sommet de l’Union européenne.

Mais c’est sur le plan universitaire que l’UNEF engageson plus important combat. À l’issue de son 78e congrès enmai, elle appelle à la mobilisation contre le projet de loi demodernisation universitaire, qui généralise la concurrenceentre universités et menace l’existence de celles de moinsde 10 000 étudiants, et contre la réforme dite LMD (licence-master-doctorat) et les ECTS40, qui sous couvert d’harmo-nisation européenne remettent en cause le cadre nationaldes diplômes et les droits étudiants41. À l’automne, la fortemobilisation étudiante contraint le ministre Luc Ferry à reti-rer son projet dit de modernisation universitaire, dont l’exa-men prévu en juin avait déjà été différé. Cette victoiresyndicale marque les esprits : les étudiants imposent augouvernement son premier recul depuis 2002.

Forte de cette victoire, l’UNEF se saisit de la questiondu logement qui illustre la précarité grandissante queconnaissent les étudiants depuis plusieurs années. La cam-pagne qu’elle mène permet d’obtenir la suspension desdécrets diminuant les aides au logement pour les étudiantssalariés ; en février 2004, la publication du rapport parle-

40. Architecture des diplômes « licence-master-doctorat » (version fran-çaise des préconisations issues du processus d’harmonisation universi-taire européen de Bologne initié en 1999) et système de crédits européenscensés améliorer la reconnaissance des diplômes et la mobilité.41. « Les diplômes seront définis faculté par faculté. C’est la logique depôles d’excellence contre des facs poubelle », in Étudiants de France,n° 238, juin 2003.

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mentaire de Jean-Paul Anciaux appuie ses analyses sur lecaractère alarmant de la situation42 et reprend ses princi-pales revendications. L’UNEF obtient alors une avancéeimportante : Luc Ferry s’engage à ce que l’État finance laconstruction de 5 000 nouvelles chambres CROUS et laréhabilitation de 7 000 autres par an jusqu’en 2014.

Dans la foulée, l’UNEF enregistre une progression élec-torale et obtient plus de 40 % des voix aux élections auCROUS et 5 élus sur 8 au CNOUS. Les résultats des élec-tions au CNESER (5 élus sur 11) viendront confirmer enjuin que l’UNEF reste incontestablement la première orga-nisation étudiante.

« Fillon, si tu savais… »En juin 2004, si le nouveau ministre de l’Éducation

nationale François Fillon semble « plus ouvert au dialogueque son prédécesseur43 », la vigilance s’impose.

À partir du mois d’avril 2005, l’UNEF rouvre le « dos-sier non classé » du LMD. Mise en œuvre dès 2003 dansquinze universités, la réforme s’applique maintenant dans75 % des établissements et les concernera tous à la rentrée2005. L’heure du bilan est donc venue. Les étudiants« reprennent la main » et obtiennent localement le règle-ment de nombreux problèmes : suppression de notes élimi-natoires, réinstauration de sessions de rattrapage, remise enplace de la compensation entre les semestres, fin de la sélec-tion à l’entrée du master, accompagnement pédagogique,

42. La France dispose seulement de 150 000 chambres en résidences uni-versitaires (dont 70 000 fortement dégradées) pour plus de 2 millionsd’étudiants. Les loyers dans le parc privé ont augmenté de 10 % enquelques années, et 41 % des étudiants sont contraints d’habiter chezleurs parents.43. Étudiants de France, n° 246, juin 2004, p. 6.

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bourses de mobilité, etc. Le 16 avril 2005, des états géné-raux nationaux sont organisés à Paris pour débattre des dis-positifs de régulation à mettre en œuvre et adoptent uneplate-forme de « dix chantiers pour une autre réforme del’enseignement supérieur » qui réclame notamment de nou-veaux textes réglementaires pour garantir l’égalité entre étu-diants et le cadre national des diplômes.

D’avril à mai, l’UNEF s’engage aux côtés des lycéenscontre la réforme envisagée du baccalauréat. Après plu-sieurs semaines de mobilisation, le ministre recule.

L’activité internationale de l’organisation se développe.En février, l’UNEF organise un voyage d’études au Proche-Orient, et noue des relations avec des organisations étu-diantes israéliennes et palestiniennes œuvrant pour la paix.L’UNEF renforce son investissement au sein de l’ESIB(European Student Information Bureau44) et est élue au seinde son comité exécutif. Alors que les Français sont appelésà se prononcer en mai par référendum sur un projet de Traitéconstitutionnel européen (TCE), l’UNEF mène une cam-pagne active sur les campus contre un « texte qui passe lesservices publics à la trappe au nom de la concurrence libreet non faussée45 ». Le 29 mai, 55 % des Français, et la majo-rité des 18-25 ans, rejettent le texte et expriment leurs exi-gences sociales à l’égard de la construction européenne. Enjuillet, Bruno Julliard succède à Yassir Fichtali à la prési-dence de l’UNEF.

44. Syndicat étudiant européen dont l’UNEF est membre fondateurdepuis 1982. Elle en a occupé la présidence en 2000 (R. Bourdu). Le nom actuel de l’ESIB est ESU (European Students Union).45. B. Julliard, in Étudiants de France, n° 255, mai 2005.

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« Un droit à l’avenir pour tous les jeunes46 »« La croissance est en panne, la flexibilité est de mise,

et les jeunes en sont la première cible47. » En ce mois d’oc-tobre 2005, l’UNEF dénonce une situation d’« urgencesociale48 » et exige un Plan social étudiant en vue d’unerefonte globale du système d’aides. Elle mène égalementcampagne contre le scandale des frais d’inscription illé-gaux. Avec la suppression de postes aux concours de l’en-seignement49, le non-paiement des bourses en décembre50,la remise en cause par le Sénat des engagements pris pour le logement étudiant, le contexte est marqué par d’im-portantes régressions. Un mois après la flambée des ban-lieues et les réponses sécuritaires du gouvernement à lajeunesse, l’UNEF tient son 79e congrès à Reims, du 1er au4 décembre. À cette occasion, la tendance transformationsociale intègre la majorité du syndicat sous forme de sensi-bilité et permet la construction d’une direction renforcéequi va aider le syndicat à affronter les défis à venir.

À Reims, l’UNEF se fait le porte-voix de toute unegénération et réclame la reconnaissance du « droit à l’ave-nir » pour les jeunes. Elle déclare vouloir approfondir sonaction sur plusieurs sujets : les stages, la recherche, l’inser-tion professionnelle, la défense des étudiants étrangers. Sur-tout, Bruno Julliard affirme lors de ce congrès la volonté dusyndicat de « ne pas attendre patiemment une éventuelleéclaircie en 2007 » et de « créer les conditions d’une

46. Résolution générale du 79e congrès national de l’UNEF (Reims, du 1er au 4 décembre). 47. Étudiants de France, n° 259, octobre 2005, p. 13.48. Ibid. 49. 23 500 postes aux concours pour 2006, soit 30 % de moins qu’en 2005.50. L’UNEF, qui a organisé un rassemblement devant le ministère, obtientnéanmoins le déblocage de 20 millions d’euros supplémentaires.

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contestation étudiante, si possible en configuration inter-professionnelle51 ».

C’est dans ce contexte social difficile et à l’issue d’uncongrès offensif que l’UNEF apprend le 16 janvier 2006 la volonté du gouvernement Villepin de créer un contratpremière embauche (CPE52), au prétexte de la lutte contrele chômage des jeunes53. Le cynisme atteint des sommets.Le gouvernement déclare la guerre à la jeunesse.

Jeunes et jetables : à l’assaut !Le jour même de l’annonce de la création de ce nouveau

contrat, l’UNEF somme le Premier ministre de renoncer àson projet de « nouveau CIP ». Elle dénonce « une nouvelleattaque contre le code du travail » qui fait de la jeunesse« une main-d’œuvre bon marché, une variable d’ajustementpour les entreprises leur permettant d’embaucher des jeunessans contrainte et de les licencier à tout moment54 ». L’UNEFlance immédiatement une pétition exigeant le retrait du CPE,et appelle syndicats et organisations de jeunesse à se réunir55.Le bras de fer avec le gouvernement s’engage.

51. Discours de clôture de Bruno Julliard, président de l’UNEF à l’issuedu 79e congrès.52. Amendement à la loi sur l’égalité des chances, le CPE est un contratde travail destiné aux jeunes de moins de 26 ans, et instaurant une périoded’essai de deux ans pendant laquelle l’employeur peut licencier sansmotif. Il rend de fait impossible l’exercice de toute liberté syndicale etgénéralise la précarité.53. Le taux de chômage des jeunes s’élève alors à 23 % pour les moinsde 25 ans, alors qu’il est de 9,6 % pour l’ensemble de la population.54. Communiqué de presse de l’UNEF, 16 janvier 2006.55. Une intersyndicale rassemble les syndicats de salariés (CGT, CFDT, FO,UNSA, FSU, CGC, CFTC, Solidaires) et les organisations de jeunesse(UNEF, UNL, FIDL, Cé). Un collectif unitaire « Stop CPE » appelé parl’UNEF rassemble les organisations syndicales, politiques et associatives de jeunesse. L’unité sera l’un des facteurs essentiels de la victoire.

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Pendant un mois, l’action militante de l’UNEF sur lescampus permet une prise de conscience : l’opinion est alorsglobalement favorable au CPE et le gouvernement martèleque ce contrat est « mieux que rien ». Les premières assem-blées générales étudiantes sont encourageantes. Très vite,elles organisent la mobilisation sur les universités. Au len-demain de la première grande manifestation nationale du7 février, 2 000 étudiants votent la grève à Rennes 2. C’estl’étincelle. La mobilisation s’étend très vite à toute laFrance56.

Au-delà de la question du CPE, c’est le refus de la pré-carité qui frappe la jeunesse qui s’exprime dans ce mouve-ment. Autour de ce combat unifiant va se construire unemobilisation massive, au cœur de laquelle l’UNEF joue unrôle central au sein de l’intersyndicale comme dans lescoordinations étudiantes.

Le gouvernement demeure inflexible et utilise tous lesmoyens de pression pour décourager le mouvement (stig-matisation, tentatives de divisions, pourrissement57). Maisles anti-CPE tiennent bon. Durant douze semaines, étu-diants, lycéens, salariés, retraités, parents vont défiler

56. Le 16 mars, 69 universités sur un total de 89 sont concernées.57. En mars, les élections au CROUS donnent au gouvernement l’occa-sion d’un odieux chantage : déblocage des universités en grève contre le report des élections. L’UNEF refuse et, pour la première fois en vingt-cinq ans, appelle au boycott des élections au CROUS qui déterminentpourtant sa capacité d’intervention dans les instances paritaires et quifixent la représentativité étudiante à laquelle sont liées des subventions.Des recours devant les tribunaux administratifs annuleront par la suitesystématiquement ces scrutins maintenus malgré l’impossibilité de voterde près de 90 % des étudiants. Un certain nombre d’organisations étu-diantes ont pourtant fait le choix de légitimer par leur participation cesélections manipulées dans l’espoir, sans doute, de faire illusion sur leurreprésentativité. Suite à de nouvelles élections dans 14 académies,l’UNEF arrive en tête et rassemble plus de 44 % des suffrages.

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derrière les mêmes banderoles et scander les mêmes slo-gans dans l’unité et la solidarité. Ils sont 1,5 million dans larue le 16 février, et 3 millions le 28 mars. Dans une ultimetentative, après avoir eu recours au vote bloqué de l’article49-3 de la Constitution, le président de la République pro-mulgue la loi incluant le CPE le 31 mars, tout en annonçantqu’il ne l’appliquera pas. Trois millions de personnes luirépondent en manifestant le 4 avril. Après trois mois demobilisation, cinq journées nationales d’action unitaire,c’est la victoire : le gouvernement cède le 10 avril et retiredéfinitivement le CPE.

Après la défaite du gouvernementAvec le retrait du CPE, le mouvement social a proba-

blement remporté sa plus grande victoire depuis 1995, et asans conteste infligé au gouvernement sa plus lourde défaitedepuis 2002. L’UNEF sort renforcée de cette mobilisation :porte-voix de la jeunesse, elle a la confiance pleine etentière des étudiants et noue de nouvelles relations avec les confédérations syndicales de salariés.

La mort du CPE réchauffe les cœurs, mais chacun saitque de nombreux droits restent à défendre ou à conquérir.L’UNEF lance une vaste campagne de syndicalisation pouroffrir des cadres d’engagement à la génération CPE. Elles’engage également dans les nombreuses batailles qu’exigela politique du gouvernement. Au moment où la loi Sarkozysur l’immigration58 menace de faire des étrangers en Franceune population de seconde zone, l’UNEF fait de l’égalité de

58. Le 3 mai, l’Assemblée nationale commence l’examen de la réformedu Code d’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA)qui met en place des Centres pour les études en France (CEF) chargés desélectionner en amont les étudiants étrangers dans le cadre de « l’immi-gration choisie ».

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droits entre étudiants français et étudiants étrangers unerevendication essentielle. Elle s’investit dans le collectif« Unis contre l’immigration jetable » et participe en juilletà la fondation du Réseau université sans frontières (RUSF).En novembre, son action commence à payer : elle obtient la suppression de l’autorisation administrative de travail etl’élévation de la limite hebdomadaire de travail de 17 à21 heures pour les étudiants étrangers.

Le face-à-face se poursuit pendant un an. À six mois del’élection présidentielle, le gouvernement s’essaie à l’ins-tauration de la sélection à l’entrée du master : l’UNEF semobilise et le fait reculer.

L’UNEF a cent ans : « faisons-nous entendre ! »À la veille de son 80e congrès, l’UNEF interpelle les

candidats à l’élection présidentielle sur les sept exigencesdes étudiants : instauration d’une allocation d’autonomie,investissement massif dans l’enseignement supérieur,réforme pédagogique, égalité des droits entre étudiants fran-çais et étrangers, garanties pour une insertion profession-nelle durable, 30 % d’étudiants logés en cité-U, plan pourl’accès des jeunes à la santé. Quand le candidat Sarkozyannonce son souhait de réformer l’université sur le modèleaméricain et déclare que « le problème des droits de scola-rité devra franchement être posé » et que « l’État n’est pasobligé de financer les filières qui conduisent au chômage »,l’UNEF pose alors très clairement des lignes jaunes à nepas franchir. Lors de son congrès, qui se tient à Lille du 22au 25 mars 2007, l’UNEF accueille les candidats à l’élec-tion présidentielle qui viennent lui répondre et s’engager endirection de la jeunesse. Mais ce 80e congrès est aussi celuidu centenaire de l’UNEF. Renouant avec son passé, souventchaotique, l’UNEF célèbre avec tous ses anciens le rôlejoué par le mouvement étudiant dans l’Histoire.

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Bras de fer avec le gouvernementEn mai 2007, les urnes parlent. L’UNEF, après avoir

appelé les étudiants à battre un candidat aux orientationsincompatibles avec son projet syndical, prend acte de l’élec-tion de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République.La défiance entre les jeunes et le nouveau pouvoir est forte,mais le nouveau gouvernement, profitant de l’état de grâceconsécutif à l’élection, annonce sa volonté de réformerl’université « avant l’été ».

L’UNEF dénonce la logique des choix du candidat Sar-kozy sur l’université. Elle obtient un premier recul : le Pre-mier ministre annonce que la réforme ne modifiera ni lelibre accès à l’université, ni les droits d’inscription. Maisl’UNEF dénonce la volonté de passage en force du gou-vernement. Suite au refus de ce dernier de desserrer lecalendrier et consciente du rapport de force défavorableaux étudiants qui ne sont plus présents sur les campus,l’UNEF s’investit en juin dans les négociations pourdéfendre leurs droits.

Quand Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignementsupérieur, présente son avant-projet de loi sur « l’autonomiedes universités », le ton monte. « Mascarade de plus, et detrop… » selon l’UNEF, qui dénonce un texte « jusqu’au-boutiste » affaiblissant le service public d’enseignementsupérieur. L’UNEF dénonce en particulier les reculs de ladémocratie universitaire, l’instauration de la sélection àl’entrée du master et le caractère optionnel de l’autonomiequi créerait des universités à deux vitesses. L’UNEF votecontre ce projet lors de sa présentation au CNESER le22 juin. Nicolas Sarkozy fait marche arrière sur certainspoints : le nombre de membres des CA d’université passede 20 à 30, les statuts d’université à deux vitesses sont sup-primés, et la sélection à l’entrée du master n’est plus d’ac-tualité. Le gouvernement s’engage à augmenter le budget

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de l’enseignement supérieur de 5 milliards sur cinq ans. Laloi est définitivement adoptée par le Parlement le 11 août.L’UNEF dénonce une loi mauvaise et dangereuse pour leservice public et les étudiants.

« Sarkozy, c’est 15 milliards pour les riches. Et combien pour les étudiants59 ? »

À la rentrée 2007, non content d’avoir imposé une loicontestée, le gouvernement ne respecte pas ses engage-ments budgétaires destinés à accompagner la réforme. Lorsde son collectif national d’octobre, l’UNEF lance une cam-pagne offensive et appelle les étudiants à se réunir en AG età se mobiliser contre le désengagement de l’État introduitpar la loi et amplifié par l’absence de moyens.

Le mouvement prend vite de l’ampleur, dans uncontexte de mobilisation contre la réforme des régimes spé-ciaux de retraite. Fin novembre, 46 universités sont blo-quées. Malgré des désaccords au sein du mouvement sur lesrevendications ou certaines actions, l’UNEF maintientl’unité indispensable à l’amplification du rapport de force.L’objectif du gouvernement est clair : fort de sa légitimitéélectorale, il cherche, en affichant une fermeture à touteépreuve, à briser durablement les capacités de résistance dumouvement étudiant, suivant en cela l’exemple de Marga-ret Thatcher face aux cheminots britanniques dans lesannées 1980. Fin novembre, la mobilisation montre ses pre-miers signes de stagnation. L’UNEF affiche dès lors sadétermination à transformer le rapport de force établi parles étudiants en avancées pour faire face aux principauxdangers de la loi. Le 27 novembre, la ministre apporte enfindes débuts de réponses à la mobilisation étudiante : mise en

59. Slogan de la campagne lancée par l’UNEF en octobre 2007.

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place d’un cadrage national des diplômes, création d’un6e échelon de bourses et déblocage de 730 millions d’eurospour la réussite en licence. À la fin de l’année, au momentoù le plan licence60 revendiqué par l’UNEF est accordé parle gouvernement, Bruno Julliard quitte la présidence del’UNEF. Le 8 décembre, Jean-Baptiste Prévost lui succède.

L’UNEF prend sa revancheAprès une année 2007 chargée, l’UNEF inscrit en 2008

son action dans le temps long du sarkozysme au pouvoir.Jean-Baptiste Prévost déclare que « les étudiants ne serontpas les figurants du sarkoshow » et que l’UNEF entendobtenir les réponses aux inquiétudes qu’ils expriment.L’UNEF est sur tous les fronts. Elle s’attache à défendre auquotidien les étudiants confrontés à des problèmes d’ins-cription, d’examen ou de carte de séjour. Aux côtés desenseignants, elle appelle les étudiants à manifester le 24 jan-vier contre les suppressions de postes dans l’éducation. Enfévrier, elle lance une campagne dénonçant la pénurie inac-ceptable de logements étudiants et obtient le déblocage decrédits pour rattraper les retards du plan Anciaux. En juin,elle dénonce la volonté de la ministre du Logement Chris-tine Boutin de baisser les aides au logement étudiant enmodifiant leurs critères d’attribution. Face à la pression, legouvernement recule. Un an après l’élection présiden-tielle, le mécontentement et l’inquiétude ont relancé la combativité sociale.

60. Dédoublement des cours en amphi, augmentation du volume horairehebdomadaire des enseignements, introduction de la pluridisciplinaritédans certains cursus, suivi individualisé. Un an après, le bilan du planlicence dressé par l’UNEF est sans appel : sans création d’emplois niamélioration de l’encadrement, les universités n’ont pas eu les moyensde le mettre en œuvre.

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C’est dans ce contexte que se tiennent les élections ausein des universités et des CROUS : de leur résultat dépendla capacité de l’UNEF à se faire entendre dans un contexteoù le gouvernement ne dissimule pas sa volonté d’affaiblirles étudiants. Les résultats sont clairs : l’UNEF obtient44 % des sièges (77 élus) aux CROUS, soit 38 élus de plusqu’au dernier scrutin ; elle est majoritaire dans 18 acadé-mies61 sur 25. Sa victoire au CNESER est elle aussi sansappel : 5 élus sur 11 et 774 voix (soit 38,3 %). Les étudiantsrenouvellent leur confiance dans l’UNEF et se prononcentclairement contre la politique universitaire du gouverne-ment. L’écart s’est creusé avec les autres organisations, la deuxième obtenant moins de la moitié des voix del’UNEF.

Du devenir des promesses budgétaires en temps de crise…

« Profs : défilés d’angoisses62 », « Forte mobilisationdes enseignants contre les réformes Darcos63 », « Des mil-liers de manifestants dans les grandes villes64 » : la presserelaie l’ampleur des inquiétudes à la rentrée 2008. Au coursde l’été, le gouvernement a annoncé ses projets : suppres-sion de milliers de postes dans l’éducation, réforme de la formation des enseignants et suppression des IUFM,réforme du lycée, attaques sur l’école maternelle, réformede l’allocation des moyens aux universités. Il cherche àouvrir plusieurs fronts à la fois pour mieux affaiblir lescapacités de résistance.

61. Aix-Marseille, Amiens, Besançon, Caen, Clermont, Créteil, Rouen-Le Havre, Lille, Lyon, Nantes, Nancy-Metz, Montpellier, Nice, Orléans-Tours, Paris, Rennes, Toulouse, Versailles.62. Libération, 20 octobre 2008. 63. Le Figaro, 20 octobre 2008.64. France-Soir, 11 février 2008.

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Le manque de moyens est au cœur des inquiétudes de la rentrée 2008. L’université est à son tour touchée par ledogme libéral de la baisse de l’emploi public. La suppres-sion de 900 postes résonne comme une provocation : le gouvernement trahit ses propres promesses budgétaires !Dès le mois d’octobre, l’UNEF accuse la politique de Nico-las Sarkozy d’être « coupable d’atteinte aux droits étu-diants65 » et appelle à des assemblées générales sur lesuniversités. Plusieurs universités rejettent leur budget, jugéinsuffisant66. Alors que près de 25 000 étudiants perdentleur bourse suite à la modification des critères d’attributiondécidée par Valérie Pécresse, l’UNEF se mobilise et obtientla réouverture exceptionnelle du système de bourses. Elleréclame un 10e mois de bourse versé en septembre. Le 20 novembre, 220 000 personnes sont dans la rue pourla défense du service public d’éducation. En décembre,l’UNEF appelle les étudiants à se mobiliser pour défendreles moyens des IUT, menacés par le budget global instaurépar la loi sur l’autonomie. Syndicat de transformationsociale, l’UNEF s’engage également pour défendre la laï-cité67, et assume également son rôle de solidarité interna-tionale : le 12 décembre 2008, elle appelle à une journée desolidarité avec la jeunesse de Grèce, et condamne en jan-vier 2009 l’offensive israélienne dans la bande de Gaza.

65. Slogan de la campagne de rentrée de l’UNEF dénonçant le bilan dela politique de N. Sarkozy dans l’enseignement supérieur et les pro-messes budgétaires non tenues : « baisse du pouvoir d’achat étudiant »,« suppressions de postes à l’université », « creusement des inégalitésentre établissements ».66. Rouen, Le Havre, Montpellier 3, Besançon. Ces deux dernières universités obtiendront des rallonges budgétaires et des postes supplé-mentaires.67. Elle dénonce le financement et la reconnaissance des diplômes desétablissements privés confessionnels par l’État.

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En cette fin d’année 2008, la combativité des jeunes enFrance inquiète le gouvernement. L’UNEF s’engage auxcôtés des lycéens pour dénoncer la réforme du lycée, pré-texte à des suppressions de postes. Le mouvement massifdes lycéens l’oblige à retirer sa réforme. Ensemble, lycéenset étudiants font reculer le gouvernement.

De la crise économique… à la crise universitaireLe gouvernement cherche à éteindre l’incendie qu’il a

lui-même allumé dans la jeunesse. Nicolas Sarkozyannonce que 2009 sera « l’année de la vie étudiante » etnomme dans l’urgence Martin Hirsch « haut-commissaireà la Jeunesse ». Il y a urgence ! En janvier, alors que lesjeunes sont en première ligne de la crise économique et del’explosion du chômage, l’UNEF accuse le gouvernementde mettre l’avenir de la jeunesse « en solde ». Les jeunessont les grands oubliés du plan de relance. La colère gronde.

Fin janvier, c’est à l’université qu’elle s’exprime. Aveu-glé par son approche idéologique du monde de l’université,le gouvernement s’enferme dans la logique de l’autonomiedes universités qui affaiblit le service public. Au lieu d’amé-liorer l’encadrement, il modifie le statut des enseignants-chercheurs pour les pousser à travailler plus dans de moinsbonnes conditions. Au lieu de répondre aux inquiétudes desétudiants sur leur avenir, il rajoute du chômage au chômageen supprimant des milliers de postes et rend plus difficilel’accès aux métiers d’enseignant par la mastérisation de leurformation. Après avoir appelé à des AG au premiersemestre, l’UNEF appelle désormais les étudiants à semobiliser aux côtés de leurs enseignants.

Pendant quatorze semaines, enseignants, chercheurs,étudiants et personnels administratifs réussissent à formerun front uni de contestation de la politique universitaire.D’assemblées générales en manifestations, grèves et

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blocages, la forte mobilisation du monde universitaire, quibénéficie du soutien de l’opinion publique, se heurte aumépris du gouvernement. Sous la pression, celui-ci estcontraint de céder sur certains points en annonçant le reportd’un an de la réforme de la formation des enseignants, l’arrêt des suppressions d’emplois à l’université, la réécri-ture partielle du décret modifiant le statut des enseignants.Mais il refuse d’assumer ces reculs et joue le pourrissement.À l’approche des examens, le mouvement décroît. Dénon-çant « le cadeau fait au gouvernement » par ceux qui enten-dent menacer l’organisation des examens, l’UNEF refuseque les étudiants soient pénalisés par l’attitude fermée dugouvernement et obtient de Valérie Pécresse un mois debourse supplémentaire pour ceux dont les partiels seraientdécalés. Toutes les batailles engagées n’ont pas été gagnées,et les raisons de la colère sont encore nombreuses, mais ladétermination de l’UNEF et les actions menées par les syn-dicats de l’enseignement supérieur et les organisations desalariés ont fait évoluer le rapport de force. À l’issue de cesemestre, Valérie Pécresse est sur la défensive.

L’UNEF, porte-parole de toute une génération…C’est dans ce contexte de crise économique et de mobi-

lisation universitaire que se tient à Marseille du 23 au26 avril 2009 le 81e congrès national de l’UNEF. À cetteoccasion, elle affirme sa volonté d’ancrer le syndicalismeétudiant dans le paysage syndical de notre pays enaccueillant les secrétaires généraux des principaux syndi-cats de salariés. Elle se fait le porte-parole des inquiétudeset des aspirations des jeunes en réclamant un plan d’urgencepour les protéger de la crise. Elle interpelle le président dela République en exigeant un changement de cap en matièrede politique économique et éducative, et s’alarme : « Nousne sommes pas au sommet d’une crise, mais bien à son

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réveil si une prise de conscience ne s’opère pas68. » Elledénonce la politique universitaire de Valérie Pécresse repo-sant sur l’autonomie qui « tourne le dos à la mission éman-cipatrice de l’université, pour l’enfermer dans des logiquesde court terme » et pose les bases d’autres réformes au ser-vice de la démocratisation. Malgré un contexte difficile,l’UNEF adresse également un message de confiance : « Auxétudiants qui souffrent de la précarité sociale, aux étudiantsqui crient leur colère contre les inégalités entre universités,aux jeunes qui sont tentés de laisser tomber, l’UNEFrépond qu’elle ne baissera pas les bras, et qu’il ne peut yavoir de réussite durable que fondée sur un rapport de forcesolide et permanent. » Enfin, dans le prolongement de laréforme statutaire votée lors de son précédent congrès, elleappelle à l’unité du mouvement étudiant et affirme vouloir« s’ouvrir et organiser en son sein toute la jeunesse pourporter sa voix et faire avancer ses droits69 » sur la base « detrois principes : le respect du pluralisme reposant sur ledroit de tendance, la construction de cette démarche au seinde la “maison commune” qu’est l’UNEF, et le syndicalismede transformation sociale70 ».

Parmi tous les défis qu’elle devra relever, celui du ras-semblement n’est pas le moindre. L’UNEF a désormais toutesles cartes en main pour être un émetteur puissant et efficace.Par son histoire, par son unité et ses convictions, gageons quel’UNEF abordera ces défis avec confiance et détermination.

Yvette Ladmiral

68. Discours d’ouverture du 81e congrès de Jean-Baptiste Prévost, pré-sident de l’UNEF. 69. Texte d’orientation adopté lors du 81e Congrès national, in Étudiantsde France, n° 288, hors série, mars-avril 2009, p. 19.70. Ibid.

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Notre organisation

L’Union nationale des étudiants de France, bien queconsidérée comme un syndicat, est régie par la loi de 1901et a donc le statut d’association. En 1929, elle est reconnued’utilité publique par décret présidentiel. Elle est aussiagréée organisation Jeunesse et Sport depuis 1945, et faitnaturellement partie des organisations étudiantes représen-tatives telles que les définit la loi Jospin de 1989. Mais, bienévidemment, sa véritable légitimité lui vient tant de sesadhérents que de son poids dans l’enseignement supérieur,acquis dans les urnes et dans les mobilisations.

Chaque année universitaire, les étudiants adhèrent direc-tement à l’UNEF par le biais d’une cotisation annuelle.À titre indicatif, pour 2009-2010, l’adhésion est fixée à20 euros. Une quote-part est versée au niveau national,l’autre partie allant à l’assemblée générale des étudiants(AGE) à laquelle appartient l’étudiant.

La structuration de l’UNEF au niveau localEn province, il y a une seule AGE par ville universitaire

(AGET-UNEF pour Toulouse, AGEG pour Grenoble…),tandis qu’en région parisienne, il existe une AGE par univer-sité (UNEF Paris-1, UNEF Marne-la-Vallée…). L’unité debase dans le syndicat est l’AGE. Cette dernière dispose de la personnalité juridique et ses statuts sont déposés en pré-fecture. À ce titre, dans chaque AGE, un président, un secré-taire général et un trésorier sont élus au sein du bureau d’AGE.Le bureau d’AGE assume les fonctions d’exécutif. Il peutaussi être complété par un ou plusieurs vice-présidents, ainsique par des membres simples. Le bureau est élu par l’AG desadhérents de l’AGE lors de chaque congrès local.

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Ainsi, comme le note Robi Morder, « tout comme la loide 1884 légalise la classe ouvrière, la constitution des AGE,avec l’appui apporté par les autorités universitaires, vadans le même sens1 ». Et de citer Durkheim : « Ces massesénormes de jeunes gens ne pouvant rester à l’état inorga-nique, il faut que l’étudiant […] ne se sente pas perdu dansla foule anonyme […] de multiples groupes se sont crééspour cela. Il y a d’abord l’AG des étudiants de Paris qui apour rôle de défendre les intérêts communs2. » Le fait de seconstituer en AGE sur une ville universitaire n’est pasanodin. En effet, cette structuration regroupe dans unemême association tous les étudiants d’un même lieu géo-graphique, quelle que soit leur filière, ce qui contribue àrompre avec le corporatisme et à instituer une identité étu-diante au détriment des particularismes de discipline, d’ori-gine ou d’opinion.

S’il y a une seule AGE par ville, il peut toutefois y avoirplusieurs comités d’action syndicaux (CAS) par AGE. LeCAS correspond à une zone géographique donnée(exemple : CAS de l’université de Toulouse 2, de l’AGE deToulouse). Au sein des CAS, les militants inscrivent leuraction syndicale quotidienne conformément aux orienta-tions définies par le bureau d’AGE.

Dans chaque AGE, le collectif d’AGE, composé desreprésentants des CAS et du bureau de l’AGE, assume lerôle de parlement. Plusieurs fois par an est réunie l’assem-blée générale de tous les adhérents de l’AGE.

1. R. Morder, « La construction sociale de l’étudiant », in Les Étudiants.Informations sociales, n° 99, 2e trimestre 2002, p. 24.2. É. Durkheim, « Histoire de l’Université de Paris », in La Vie univer-sitaire à Paris, Armand Colin, 1918, p. 28.

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La structuration de l’UNEF au niveau nationalL’exécutif du syndicat est représenté par le bureau natio-

nal (BN). C’est lui qui applique entre deux collectifs natio-naux la politique de l’UNEF. L’apparition publique del’UNEF, sa parole, est déléguée par le BN. C’est en son seinque siègent le président et le secrétaire général, ainsi que letrésorier national. Il se réunit environ une fois par semaine,en général le vendredi après-midi, au siège national,112 boulevard de la Villette à Paris (XIXe).

Le travail quotidien du BN s’organise au sein de com-missions. Les commissions, réunissant des représentants detoutes les tendances, sont des groupes de travail permanentssur des sujets spécifiques (la commission aides sociales, la commission universitaire, questions de société…). Ellesse réunissent pour examiner les dossiers correspondant àleur champ de responsabilité, assurer les concertations etpréparer les débats des instances délibératives.

Le parlement de l’UNEF est le collectif national (CN). Ilse réunit tous les quatre mois environ, et dure le temps d’unweek-end. Il est composé de l’ensemble des présidentsd’AGE, des membres du BN, ainsi que des membres de lacommission administrative, représentant les différentes ten-dances du syndicat. À chaque CN, le bilan d’activité ainsique le projet d’orientation du syndicat sont soumis au vote.

Lorsqu’un conflit apparaît au sein de l’UNEF, il est arbi-tré par la commission de contrôle, qui veille au respect desstatuts.

Le congrès est l’instance suprême du syndicat. Il seréunit tous les deux ans. En 2009, a ainsi eu lieu à Marseillele 81e congrès de l’UNEF.

Au sein de l’UNEF, il existe plusieurs fédérations. Laplus connue est la Fédération des étudiants en résidenceuniversitaire de France (FERUF). Dans un domaine parti-culier de la vie des étudiants, la FERUF relaie au quotidien

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l’action de l’UNEF, permettant au syndicat d’agir au plusprès des préoccupations des étudiants.

La vie démocratique de l’UNEFLe fonctionnement de l’UNEF repose sur le droit de ten-

dance et le vote des adhérents. Le droit de tendance est fon-damental : il permet le bon fonctionnement des débats et lerassemblement d’étudiants aux opinions parfois différentesau sein d’une même organisation. Dominique Wallon, pré-sident de l’UNEF en 1961, se remémorait ainsi : « Ce quia permis à l’UNEF de traverser l’épreuve de la guerre d’Algérie en préservant l’essentiel, c’est également l’idéemême de la démocratie interne et sa conception dans l’UNEFpar la reconnaissance du droit de tendance. Ce qui m’afrappé, c’est la réalité démocratique de l’UNEF. Tout était endébat tout le temps. Tout pouvait être remis en cause enassemblée générale. C’est ce débat qui avait lieu sans arrêtavec les étudiants, entre militants syndicalistes. Il y a un élé-ment qu’on pourrait dire d’appareil, mais qui en fait est unélément de la démocratie, c’était l’organisation de la mino-rité dans une structure propre de réflexion. Il n’y avait pas undébat dans les instances officielles de l’UNEF sans que la ten-dance mino se réunisse, discute de la position à prendre3. »

La contrepartie du droit de tendance est évidemmentque l’expression publique du syndicat est une et que chacundoit se conformer à l’hypothèse de départ : « Ce qui nousrassemble est plus fort que ce qui nous divise. » Il existeainsi un accord tacite : l’UNEF ne doit pas être une avant-garde coupée de l’ensemble du milieu étudiant. Le rôle dusyndicat est de tracer la voie, mais, en même temps, il nedoit pas se mettre en situation de rupture, au risque de

3. Colloque de Ressy, à l’occasion du 50e anniversaire de la Charte deGrenoble, Paris, 1996.

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fragiliser sa représentativité. L’UNEF incarne cet équilibrequi permet à chacun d’en faire sa maison commune.

Tous les deux ans a lieu le congrès où sont élues les ins-tances internes, qu’elles soient locales ou nationales.À chaque congrès, chaque adhérent vote à la fois pour oucontre le bilan d’activité et choisit une orientation. Chaquetendance présente un texte d’orientation. Ce texte permetaux adhérents de se rassembler au sein d’une tendance enfonction de leurs opinions syndicales.

Le congrès se déroule d’abord au niveau local, danschaque AGE où tous les adhérents sont invités à voter. Lecongrès national peut se réunir une fois passés tous lescongrès locaux au sein desquels ont été élus les membresdu bureau d’AGE et les délégués de l’AGE au Congrèsnational.

C’est au congrès national qu’est comptabilisé pourchaque tendance et AGE le nombre de mandats. Les man-dats sont calculés selon une équation prenant en compte le nombre d’adhérents ainsi que le nombre de votants danschaque AGE. Ce système des mandats s’explique par deuxraisons essentielles. L’une est historique, dans la lignée del’organisation du mouvement ouvrier, puisque ce systèmepermet de ne pas divulguer le nombre d’adhérents du syn-dicat, ce qui demeure un élément appréciable du rapport deforce avec les pouvoirs publics et un instrument de protec-tion de l’organisation. La deuxième permet d’inciter eninterne les AGE à une syndicalisation maximale de leurmilieu et à encourager la participation des adhérents. Cepen-dant, depuis 1907, au moment des CN, chaque AGE disposed’une seule voix, quel que soit le nombre de ses adhérents.

C’est donc au congrès national qu’est définie l’orienta-tion du syndicat. Le bureau national est élu par le congrès.Toutes les instances de l’UNEF, locales ou nationales, sontélues à la proportionnelle, ce qui permet à chaque tendance

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d’être représentée au niveau où les adhérents souverainsl’ont placée. Ces rapports de force internes du syndicat nebougent pas entre chaque congrès et permettent donc à ladirection de mettre en œuvre l’orientation syndicale fixée.

La réforme statutaire de 2007Le 80e congrès, en 2007, a entériné une réforme statu-

taire afin de renforcer les droits des tendances minoritaires.Dorénavant, celles-ci peuvent enrichir par des amende-ments les textes d’orientation proposés lors des CN ou descongrès par la tendance majoritaire. Leur capacité à pesersur l’orientation s’en trouve renforcée : elles ne sont pluscontraintes d’accepter ou de refuser l’orientation proposée.

Cette réforme statutaire donne également une plusgrande lisibilité aux tendances minoritaires puisqu’ellespeuvent publier une tribune libre dans Étudiants de France.

L’UNEF édite :• une revue bimestrielle, Étudiants de France, envoyée

à tous ses adhérents ;• une revue mensuelle, La Lettre des élus, destinée à

tous les élus étudiants ;• un bulletin hebdomadaire, Le Bulletin de liaison des

AGE, destiné aux responsables locaux et nationaux du syndicat ;

• une newsletter électronique hebdomadaire (inscriptionsur le site : www.unef.fr).

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L’UNEF dans son milieu

L’enseignement supérieur compte aujourd’hui plus de2,2 millions d’étudiants, alors qu’il n’en comptait quequelques dizaines de milliers au début du siècle. L’UNEF,en tant qu’organisation, a bien évidemment évolué en fonc-tion des préoccupations du milieu étudiant. C’est sous sonimpulsion que la plupart des réalisations destinées à l’amé-lioration des conditions de vie des étudiants ont vu le jour.

Plusieurs structures bien connues aujourd’hui par laqualité des services offerts sont directement issues descongrès de l’UNEF et ont ensuite évolué au cours desannées. Certaines de ces structures ont ainsi été transféréesà l’État. Les Centres régionaux des œuvres universitaireset scolaires (CROUS), chargés de gérer les bourses, les res-taurants et les résidences universitaires, ont été mis en placeet gérés par l’UNEF avant d’être transférés à l’État en 1955pour devenir le service public de la vie étudiante. D’autresont évolué pour devenir des associations loi 1901 comptanttoujours aujourd’hui l’UNEF au sein de leur conseil d’ad-ministration. C’est le cas de l’Union des centres sportifsde plein air (UCPA) dont la mission est de renforcer l’ac-cès des jeunes et étudiants aux activités sportives.

Très concernée par la santé des étudiants, l’UNEF créeen 1923 la Fondation santé des étudiants de France(FSEF), initialement destinée à la lutte contre la tubercu-lose avec son célèbre sanatorium de Saint-Hilaire-du-Touvet, et tournée depuis plusieurs années vers les actionsde « soins-études » au sein d’un réseau d’établissementsmédicaux destinés aux lycéens et étudiants.

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Le syndicat étudiant s’est également attaché à dévelop-per le mutualisme et le coopératisme au sein du monde étu-diant. L’UNEF est ainsi à l’origine de la création d’unrégime spécifique de sécurité sociale pour les étudiants etd’une mutuelle nationale chargée de le gérer : la Mutuellenationale des étudiants de France (MNEF) et son héri-tière La Mutuelle des étudiants (LMDE). Afin de déve-lopper la solidarité au cœur des campus, l’UNEF a tissé unréseau de coopératives étudiantes regroupées au sein del’Union des coopératives étudiantes de France (UCEF).

Au-delà de l’amélioration des conditions de vie étu-diante, l’UNEF s’est investie dans la création d’outils asso-ciatifs en lien avec les préoccupations des étudiants. Ainsi,au lendemain du mouvement étudiant contre le CIP en1994, l’UNEF participe à la création de l’Association pourfaciliter l’insertion professionnelle des jeunes (AFIJ).L’UNEF fait également partie des membres fondateursd’Attac.

Par ces réalisations, qui précèdent la mise en place d’unvéritable statut social du jeune en formation, l’UNEFentend non seulement œuvrer à l’amélioration des condi-tions de vie étudiante en répondant à des besoins sociaux eten ouvrant la voie à des politiques publiques qui font sou-vent défaut, mais elle souhaite également faire la démons-tration que les étudiants peuvent gérer par eux-mêmes leurspropres affaires.

LE RÉSEAU DES ŒUVRES UNIVERSITAIRES

(LES CROUS)

Au début du XXe siècle, l’élite sociale qui constitue la population des universités finit par être touchée par les effets économiques, sanitaires et sociaux de la Première

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Guerre mondiale, puis par les conséquences de la crise de1929. Les AGE de l’UNEF jouent alors un rôle d’entraide,créent des services locaux (foyers) puis suscitent la créationd’organismes nationaux. Au lendemain de la guerre, les pre-miers restaurants universitaires sont ainsi créés par l’UNEFet gérés par elle. C’est la qualité d’adhérent à l’AGE qui enpermet l’accès.

Face aux besoins grandissants, l’État prend quelquesinitiatives. En 1919, un crédit de subventions destiné auxAGE est inscrit par le Parlement au budget. Le ministre del’Instruction publique en confie la gestion à la Commissiondes recteurs, notamment pour la création des premièrescités universitaires au début des années 1930. Mais c’estsous le Front populaire en 1936 que le ministre de l’Édu-cation nationale Jean Zay crée le Comité supérieur desœuvres en faveur de la jeunesse scolaire et universitaire(CJSO). À la Libération, ce comité se développe et devientle Centre national des œuvres de la jeunesse universitaire etscolaire, relayé en province par des antennes régionalesdotées de statuts d’association de loi 1901.

C’est la loi du 16 avril 1955 qui confère aux œuvres unstatut d’établissement public. La loi leur confie ainsi lesmoyens théoriques d’améliorer les services en faveur des étu-diants, prioritairement la restauration et le logement. Jusqu’en1961, l’UNEF est la seule organisation étudiante à siéger ausein de ces établissements à parité avec l’administration.

En 1987, un décret donne aux œuvres la forme et l’organisation administrative qu’on leur connaît aujour-d’hui. À cette occasion, le gouvernement fait le choix derompre la parité de représentation État-étudiants dans lesconseils d’administration. En 1992, les œuvres se voientconfier la gestion de toutes les aides directes (les bourses)à travers le Dossier social étudiant.

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Les CROUS aujourd’huiOn compte aujourd’hui vingt-huit CROUS, correspon-

dant aux différentes académies. Les CROUS sont mis enréseau et dirigés au niveau national par le Centre national(CNOUS). Ce dernier permet d’assurer l’égalité de traite-ment des étudiants sur l’ensemble du territoire. Le CNOUSfixe ainsi chaque année le prix du ticket de Resto U et attri-bue à chaque CROUS, au travers d’une contractualisationannuelle ou triennale, des subventions d’investissements.

Ainsi, la politique d’aide aux étudiants relève de l’État,et non de l’université ou d’une collectivité locale comme laRégion, ce qui permet de garantir qu’elle soit définie enfonction de priorités sociales et non de critères d’attractivitéde l’université ou du territoire qui la détourneraient de sonobjectif.

En plus de l’attribution des bourses et de la gestion desrestaurants et de résidences universitaires, les CROUSgèrent également le Fonds national d’aides d’urgence(FNAU) et travaillent au développement culturel de la vieétudiante grâce aux aides à projet du fonds « Cultur’action »et à de multiples initiatives locales et nationales.

Les CROUS en quelques chiffres• 157 000 étudiants sur 2,2 millions sont logés par les

CROUS. 91 300 étudiants résident dans des chambres tra-ditionnelles (de 9 m2), près de 65 700 en appartements. Il existe 220 résidences universitaires traditionnelles, la plu-part construites dans les années 1960. Les CROUS recen-sent également plus de 50 000 logements de particuliers àtravers le service de « logement en ville ».

• Plus de 54 millions de repas sont servis chaque annéedans 365 restaurants universitaires et 220 cafétérias.

• Plus de 550 000 étudiants bénéficient d’une bourse surcritères sociaux, dont le montant s’élève jusqu’à 4 139 euros

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annuels. Ces bourses sont calculées selon les revenus desparents de l’étudiant.

Le réseau des œuvres universitaires, constitué à partirde 1955, est ainsi né de l’initiative de l’UNEF, laquelle aprécédé l’action de l’État dans le domaine de l’aide socialeaux étudiants. Les CROUS constituent aujourd’hui un ser-vice public de la vie étudiante indispensable, même s’ilsn’ont pas reçu les moyens nécessaires pour accompagner laforte augmentation des effectifs étudiants depuis les années1960 : moins d’un étudiant sur dix peut ainsi bénéficierd’une chambre en résidence universitaire, les bourses sontinsuffisantes en nombre et en montant, et la non-prise encompte de la situation personnelle de l’étudiant dans le calcul des bourses conduit plus de 800 000 étudiants àtravailler pour financer leurs études.

(Plus d’informations sur www.cnous.fr)

L’UNION DES COOPÉRATIVES ÉTUDIANTES

DE FRANCE (UCEF)

Afin d’apporter une réponse solidaire aux besoinssociaux des étudiants, l’UNEF développe dès les années1920 des foyers et met en place des actions d’entraide quiseront les prémisses des œuvres universitaires. Le dévelop-pement de services par le syndicat en direction de ses adhé-rents s’inscrit dans l’histoire du mouvement ouvrier, dont le coopératisme est un des piliers.

Aujourd’hui, l’UNEF développe de nombreux servicesà destination des étudiants et de ses adhérents dans sescoopératives au sein des campus. L’Union des coopérativesétudiantes de France (UCEF) gère les différentes coopéra-tives étudiantes et organise le développement des services.

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Les nouvelles « caisses de secours » étudiantes que sontles coopératives permettent de couvrir les besoins des étu-diants et de mutualiser certains services pour les rendreaccessibles à bas coût. C’est une des manières de défendreles intérêts matériels des étudiants. Dès lors, les coopérativesétudiantes gérées par l’UCEF n’ont pas vocation à faire deprofit : elles organisent la solidarité et permettent au plusgrand nombre d’accéder à des services à prix coûtant.

L’augmentation des effectifs étudiants et la création denouvelles universités ont encouragé l’ouverture de nom-breux commerces à proximité des campus, dont la préoc-cupation première est de réaliser des profits. La création etle développement par l’UNEF d’un réseau national decoopératives étudiantes dans la plupart des universitésreprésentent une alternative à cette logique. Dans la périodede crise et de baisse du pouvoir d’achat actuelle, le rôle deces coopératives est rendu plus que jamais nécessaire pourpermettre à tous les étudiants de pouvoir bénéficier de ser-vices à tarifs réduits sur les universités.

Les coopératives de l’UCEF sont organisées selondiverses modalités : elles peuvent être gérées entièrement pardes militants coopératistes, ou être ouvertes par des salariéssous la direction administrative et politique de militants

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LES DIFFÉRENTS SERVICES PROPOSÉS

AUX ADHÉRENTS DE L’UNEF :

• La carte ISIC (International Student Identity Card) qui permet à

tous les étudiants de bénéficier du statut d’étudiant à l’étranger ;

• Les livres (d’occasion lors des bourses aux livres, les codes

civils à prix réduit…) ;

• Le matériel pour les étudiants en sciences (blouses et trousses

de dissection, annales en médecine) ;

• L’accès à des avant-premières au cinéma ;

• La restauration au sein des coopératives ;

• Des photocopies gratuites ou à prix coûtant.

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coopératistes. Ces coopératives ont vocation à être de vraislieux de vie au sein des universités en faisant vivre la soli-darité entre étudiants.

LA FONDATION SANTÉ DES ÉTUDIANTS DE FRANCE

(FSEF)

« La Fondation sanatorium des étudiants tire son ori-gine d’une initiative prise par le plus important groupementd’étudiants français, l’Union nationale des étudiants deFrance, qui est la fédération des Associations généralesd’étudiants de toutes les villes universitaires françaises etreprésente […] la totalité des étudiants français. C’est aucours du congrès qu’elle tient, en mai 1923, à Clermont-Ferrand, que l’UNEF décida de créer un sanatorium spé-cial où les étudiants tuberculeux pourraient, tout en sesoignant, garder le contact avec leurs études. » C’est parces phrases que le docteur Daniel Douady ouvrait en 1952son ouvrage sur les sanatoriums universitaires1.

Au lendemain immédiat de la Première Guerre mon-diale, la création de la FSEF est la seule initiative destinéeà protéger la santé des étudiants. Et c’est encore l’UNEFqui, dans ce même souci, va créer la Médecine préventiveuniversitaire (MPU) ainsi que le Bureau universitaire de sta-tistique (BUS).

Pendant que dans les universités, les étudiants font des collectes pour réunir les fonds, la Fondation est reconnued’utilité publique par décret présidentiel, le 23 mai 1925. Lapremière construction de sanatorium se fit à Saint-Hilaire-du-Touvet (Isère). Grâce à l’appui de Jean Zay, le site initialement

1. D. Douady, Les Sanatoriums universitaires français, éd. par la Fonda-tion, 1952, p. 1.

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prévu pour 120 lits put accueillir 200 étudiants et 50 étudiantesdans les années 1930. La Fondation ouvre très vite de nou-veaux sites : Neuf-Moutiers-en-Brie (1945), Aire-sur-l’Adour(1949), Vence (1950), Varennes-Jarcy (1950).

Au cours des années 1950, avec le recul de la tubercu-lose, la Fondation change de nom et devient l’actuelle Fon-dation santé des étudiants de France. Elle intervient autourde nouvelles pathologies des jeunes, notamment psychia-triques, toujours au travers d’une double prise en chargesoins-études. Ce concept fondamental peut encore aujour-d’hui être résumé tel qu’Alfred Rosier, élu au CNO, et JeanSarvonat, président de l’UNEF, le posaient en 1952 : « Sansnégliger ni compromettre un seul instant le côté purementmédical du problème que posait la condition des étudiantsmalades, encore fallait-il édifier une organisation spécialequi leur permît de ne pas interrompre leur travail2. »

Aujourd’hui présidée par Jean-Claude Colliard (égale-ment président de l’université Paris-1), la Fondation crééepar l’UNEF regroupe onze établissements sanitaires tournésvers le traitement des pathologies psychiatriques, la méde-cine physique et de réadaptation, et le handicap, au sein des-quels elle accueille environ 2 500 jeunes. La FSEF gèreégalement des foyers d’hébergement pour étudiants ensituation de handicap lourd, non autonomes, et des Bureauxd’aide psychologique universitaires (BAPU).

Les anciens étudiants malades des établissements de laFSEF sont regroupés au sein de l’Association Guy-Renard,qui a transformé son site Internet en 2009 en une plate-forme d’aide aux jeunes malades scolarisés.

(Plus d’informations sur http://www.fsef.net ethttp://www.guy-renard.fr)

2. Ibid., avant-propos, p. VIII.

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LA SÉCURITÉ SOCIALE ET

LA MUTUALITÉ ÉTUDIANTE

L’histoire de la mutualité étudiante est étroitement liéeà celle de l’UNEF, qui a été à l’origine de la création durégime étudiant de sécurité sociale. Lors du fameux congrèsde Grenoble (1946) qui adopte la charte du même nom,l’UNEF indique qu’« en tant que jeune, l’étudiant a droit àune prévoyance sociale particulière dans les domaines phy-sique, intellectuel et moral ». La loi du 23 septembre 1948satisfait cette revendication en créant un régime étudiant desécurité sociale « intégré dans le régime général sans luiêtre confondu ».

Non seulement cette loi, votée à l’initiative de la dépu-tée Marcelle Devaud, instaure un régime étudiant, uniqueexemple au monde, mais elle pose également le principed’une gestion étudiante de ce régime. « Nous pensons quenous ne pouvons pas faire la distinction entre les étudiants,selon leur origine et la situation de leurs parents. […] Nousentendons que ce soit la catégorie des étudiants, en tant quetelle, qui participe au régime général de la sécurité sociale[…] et nous pensons qu’il y aurait un intérêt majeur à ceque les sections de paiement s’occupant de la sécuritésociale des étudiants soient gérées par les mutuelles d’étu-diants […], mutuelles qui exerceraient un contrôle effectif,et en même temps développeraient chez les étudiants le sensde leurs responsabilités, notamment celui de leur respon-sabilité sociale3. » C’est ainsi que, le 25 octobre 1948,l’UNEF réunit les représentants de ses AGE en assemblée

3. M. Devaud, extrait du discours « Octroi aux étudiants de certainesprestations de la sécurité sociale », devant le Conseil de la République,séance du 10 juin 1948, p. 1447-1448.

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constitutive de la Mutuelle nationale des étudiants deFrance (MNEF). Cette assemblée décide la constitution desections locales de la mutuelle s’appuyant sur les moyensmatériels et humains des AGE de l’UNEF. Rapidement, cessections MNEF supplanteront les sections locales universi-taires (SLU) prévues dans les textes législatifs pour gérer la sécurité sociale étudiante.

Où en est la mutualité étudiante aujourd’hui ? Quelsrapports entretient-elle avec l’UNEF ? Les choses ont évi-demment beaucoup évolué. La création dans les années1970 des mutuelles étudiantes régionales, sous l’impulsiond’une droite revancharde suite aux événements de Mai 68,a entraîné une bipolarisation de la mutualité étudiante : la MNEF perd son monopole. Dans le même temps,l’UNEF est en pleine crise, déchirée par une scission en1971 et ballottée par des querelles idéologiques qui traver-sent le mouvement étudiant après 1968. Pourtant, les liensentre la MNEF et l’UNEF sous ses diverses composantes nese sont jamais rompus.

Modes d’organisation combinés du mouvement ouvrierdès la fin du XIXe siècle, le syndicalisme et le mutualismerenouent avec des relations étroites au début des années2000, après une décennie qui a vu la MNEF sombrer fauted’une gestion étudiante et démocratique. En matière syndi-cale et mutualiste, le milieu étudiant constitue une excep-tion. Leur objet social voisin et la réalité qu’elles partagentau quotidien sur les campus ont permis à l’UNEF et à la LMDE, héritière en 2001 de la MNEF, de conserver unevéritable complémentarité.

Ces liens uniques entre mutuelle et syndicat n’en ont pasmoins constamment évolué, de la participation symboliquede l’UNEF jusqu’à l’investissement actif de celle-ci dans lagestion de La Mutuelle des étudiants (LMDE). Des combatscommuns ont été gagnés. Montrer que les jeunes pouvaient

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participer à la solidarité nationale et gérer eux-mêmes leursécu n’avait rien d’évident au départ, tout comme le faitd’obtenir en 1996 la majorité sociale à dix-huit ans. L’ob-jectif partagé de « contribuer au bien-être matériel et moralde l’étudiant » amène logiquement le syndicat et la mutuelleà travailler ensemble. Aujourd’hui, avec la LMDE, l’UNEFrevendique par exemple la création de maisons de santé ausein des universités, pour y regrouper de nombreux spécia-listes (gynécos, ophtalmos, psys), ainsi que la mise en placede chèques santé pour favoriser l’accès à une complémen-taire santé (15 % des étudiants n’ont pas de complémentaire).

(Plus d’informations sur www.lmde.com)

L’ASSOCIATION POUR FACILITER L’INSERTION

PROFESSIONNELLE DES JEUNES DIPLÔMÉS (AFIJ)

L’AFIJ est née du désir des organisations étudiantesreprésentatives et des mutuelles étudiantes d’intervenirconcrètement pour apporter des solutions au problème del’insertion professionnelle des jeunes diplômés. Depuisl’origine, l’UNEF en occupe la vice-présidence. Créée enaoût 1994, suite au mouvement étudiant contre le CIP d’Édouard Balladur, l’AFIJ a été inscrite dès mars 1995dans le plan gouvernemental en faveur des jeunes. Ellereçoit depuis cette date le soutien de l’État. Clément Boudinest président de l’AFIJ depuis novembre 2009.

L’action de l’AFIJ est soutenue et financée par les pou-voirs publics (ministères de la Jeunesse, de l’Éducationnationale, de l’Enseignement supérieur, des Affaires sociales,du Travail). Grâce à la reconnaissance de son expérience,l’AFIJ recueille également le soutien financier de nombreusescollectivités locales. L’AFIJ dispose enfin de conventionsnationales avec Pôle Emploi, l’APEC, l’ONISEP, le CIDJ et

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Centre Info, ainsi que de conventions avec les partenaireslocaux (missions locales, universités, rectorats…). Tous lesservices proposés par l’AFIJ sont entièrement gratuits.

Les actions menées par l’AFIJL’AFIJ a pour finalité de faciliter et d’améliorer l’inser-

tion professionnelle des étudiants et des jeunes diplômésen les préparant à l’accès à l’emploi au travers d’actionsde terrain. Elle les accompagne tout au long de leurrecherche de manière collective. Elle assure un accompa-gnement individuel dans le cadre d’actions ciblées auprèsde publics en difficulté. Elle s’adresse en priorité auxjeunes issus de l’enseignement supérieur : étudiants,jeunes diplômés, mais aussi jeunes en échec durant un1er cycle universitaire, et jeunes en emploi précaire oubénéficiaires de contrats spéciaux.

• L’AFIJ propose ses services aux étudiants et jeunesdiplômés dans ses 50 relais et 150 permanences :

– une information sur l’emploi lors de diverses mani-festations organisées dans les établissements, les salonsemploi ou sur son site Internet ;

– des centres de documentation au sein des relais AFIJqui proposent des informations sur les techniques derecherche d’emploi, sur les secteurs, les métiers, les entre-prises, et qui mettent à disposition la presse locale et natio-nale et l’accès aux sites Internet emploi ;

– l’organisation de modules de formation aux stratégiesde recherche d’emploi qui permettent de mieux appréhen-der le monde du travail ;

– la diffusion d’offres d’emploi, de contrats en alter-nance et de stages ;

– l’organisation de rencontres entre jeunes et recruteurs(plus de 300 événements organisés chaque année) ;

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– l’accompagnement individuel de publics en difficulté(jeunes diplômés allocataires du RSA, jeunes diplômés rési-dant dans les quartiers difficiles).

• L’AFIJ mène également des actions auprès desemployeurs : entreprises, administrations, entreprises del’économie sociale (associations, mutuelles, coopéra-tives…), collectivités locales. Elle organise l’interface entreles jeunes et les professionnels, et propose une informationdétaillée sur les différents types de contrats, les conditionset les statuts d’embauche, sur les formations et lesdiplômes. Elle appuie également les actions de lutte contreles discriminations des recruteurs : politique de diversifica-tion des recrutements, recrutement de jeunes travailleurshandicapés ou de jeunes femmes…

• L’AFIJ a vocation à intervenir auprès des établis -sements supérieurs pour leur proposer des dispositifs d’accompagnement de leurs étudiants vers des stages et de leurs jeunes diplômés vers l’emploi. Elle intervient dansles BAIP (bureaux d’aide à l’insertion professionnelle) et propose des modules de formation aux universités.

• L’AFIJ propose une expertise sur l’insertion profes-sionnelle des jeunes. Elle interroge régulièrement ses inscrits.Le « baromètre AFIJ » a ainsi pour objectif de mieuxconnaître la réalité de la préparation par les étudiants de leurentrée dans la vie active, leurs techniques de recherche d’em-ploi, leurs expériences, le recours aux organismes d’insertionprofessionnelle, leur intérêt pour une aide à la recherched’emploi, ainsi que les thèmes concrets sur lesquels ils sou-haitent des formations et des informations. Cette enquêtepermet à l’AFIJ de faire évoluer les services qu’elle propose.

(Plus d’informations sur www.afij.org)

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Notre conception du syndicalisme

Qu’est-ce qu’un syndicat,qu’est-ce que le syndicalisme ?

Il est d’autant plus aisé pour le mouvement étudiant derépondre à cette question que l’UNEF a oscillé entre plu-sieurs formes d’organisation au cours de son histoire : cor-poratisme, association, syndicat. En un siècle, notreorganisation est passée d’un apolitisme revendiqué à ladétermination des principes de base de l’action syndicale.La forme syndicale actuelle de l’UNEF est donc le fruitd’une maturation progressive afin de l’ancrer dans le campdes organisations luttant pour la transformation sociale.Pourquoi cette évolution ? Parce que le syndicalisme estapparu comme la forme d’action la plus efficace pourrépondre aux besoins sans cesse plus importants d’unepopulation étudiante qui se démocratise.

Le syndicalisme, pour reprendre la définition de laCharte d’Amiens1, est une forme d’organisation que choi-sissent des individus afin de se regrouper pour assurer ladéfense de leurs intérêts matériels et moraux, et cela indé-pendamment des opinions politiques, philosophiques oureligieuses de chacun. Le syndicalisme a vocation à trans-former le réel, il « poursuit la coordination des effortsouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par

1. La Charte d’Amiens a été adoptée par le congrès de la CGT enoctobre 1906. En France, la CGT, FO, l’UNSA, l’Union syndicale Soli-daires, et la FSU se réclament toujours de la Charte d’Amiens.

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la réalisation d’améliorations immédiates2 ». Il agit dans lebut d’une émancipation des individus. Le syndicalisme estla forme d’organisation des plus faibles, il s’inscrit dans unelogique conflictuelle. Son objectif n’est pas la conquête dupouvoir, mais la construction de rapports de force afin deréaliser des prises d’avantage pour ceux qu’il défend. Lerôle du syndicat est donc fondamental, même s’il ne peutporter à lui seul le poids de l’émancipation universelle.

Mais, au regard de cette définition, peut-on parlerde « syndicalisme étudiant » ?

Oui, même s’il faut reconnaître qu’il y a toujours eudébat autour de cette notion. Pour certains, « le vrai syndi-calisme n’aurait de sens que pour les salariés » car « lesétudiants ne constituent pas une classe sociale3 ». Il est vraique les étudiants ne font pas face à un patron, et que la rela-tion de subordination entre employeur et salarié ne seretrouve pas à l’identique au sein de l’université. La fonc-tion d’un syndicat étudiant n’est pas aussi claire que dansle monde du travail. Pourtant, elle est bien réelle et l’UNEFrevendique et assume son ancrage syndical. Certes, les étu-diants ne constituent pas une classe sociale homogène et lemilieu étudiant est traversé par les mêmes inégalitéssociales que le reste de la société. Mais la jeunesse se carac-térise par une condition commune, la précarité, par unmême besoin, celui d’un haut niveau de formation, et parune aspiration commune à l’autonomie. Dès lors, l’UNEFest porteuse de la défense des intérêts matériels et morauxdes étudiants, et nous nous battons pour que tous les jeunesaccèdent à une formation initiale. Le rôle de l’UNEF sedéfinit bel et bien à partir de l’opposition entre des intérêts

2. Extrait de la Charte d’Amiens, 13 octobre 1906.3. P. Voirin, Le Syndicalisme étudiant, Dalloz, 1953, p. 17.

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contradictoires. Ceux-ci parcourent l’ensemble de la sociétéet ne sont pas ceux d’une « classe sociale étudiante » contreune autre. Il existe au sein de la société des forces socialesqui refusent la démocratisation de l’université, et d’autresqui souhaitent soumettre l’enseignement supérieur aux inté-rêts à court terme des employeurs. À chaque forme desociété correspond un type d’université. En luttant pour uneuniversité plus démocratique, permettant un accès de tousau plus haut niveau de qualification et donnant à chaquecitoyen les armes intellectuelles pour exercer pleinementson esprit critique, c’est à la transformation de la sociétédans son ensemble que nous œuvrons.

Le syndicalisme est une des formes d’action collective. Est-ce la plus efficace ?

Historiquement, le syndicalisme s’est montré bien plusefficace que les formes d’organisations corporatistes qui ontmené le mouvement étudiant dans des impasses. L’UNEF alongtemps hésité avant de rompre avec le corporatisme. Audébut du siècle, elle était uniquement conçue comme uneforme d’entraide entre des étudiants peu nombreux et majo-ritairement issus d’une élite sociale. Elle se gardait bien dese préoccuper des problématiques universitaires plus géné-rales ou des questions de société. Cette attitude corporatistea atteint son paroxysme durant la Seconde Guerre mon-diale. Sans collaborer activement, l’UNEF a continué d’agirdans le cadre des institutions et des lois en vigueur et n’apris position ni pour le gouvernement de Vichy, ni pour laRésistance, au nom de son « apolitisme ». Lorsque l’UNEFadopte la Charte de Grenoble en 1946, elle fait le choix derompre avec le corporatisme. Pierre Gaudez4 souligne fort

4. P. Gaudez, Les Étudiants, Julliard, 1966, p. 41.

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justement que ce point de rupture qui marque la naissancedu syndicalisme étudiant ne vient pas d’une modificationdes structures universitaires ou du recrutement social desétudiants, mais d’une prise de conscience de certainsd’entre eux. Dans la Résistance, ils firent l’expérienceconcrète d’une communauté non plus refermée sur elle-même, mais ouverte à toutes les classes sociales. Pourautant, il faut attendre 1956 pour que l’UNEF se donne unedirection réellement syndicale œuvrant à la transformationsociale à l’occasion du débat sur la guerre d’Algérie.

Le choix du syndicalisme représente un choix fonda-mental pour l’UNEF : c’est à partir de l’existence des pro-blèmes universitaires et en fonction de l’attitude critiquequ’il doit prendre face à eux que le mouvement étudiantlégitime son existence. La réflexion syndicale porte désor-mais sur l’analyse du travail étudiant et sur une conceptionglobale de l’université. Et c’est cette forme d’action syndi-cale qui a permis à l’UNEF d’obtenir de nombreuses avan-cées pour les étudiants au cours de l’Histoire.

Aujourd’hui, nous sommes des militants qui ont prispour cadre d’action le syndicalisme. Il s’agit pour nous d’unoutil. Nous nous reconnaissons ainsi dans la définition deJaurès : « Le syndicalisme dépasse nécessairement enampleur, en largeur, l’action corporatiste, l’esprit corpora-tif […]. Le syndicalisme ne se propose pas seulementd’améliorer dans l’ordre actuel les conditions de vie de la classe ouvrière. Il veut lui donner le désir et la force de transformer tout le système social, la capacité de gérerle monde nouveau5. »

5. J. Jaurès, « Permanence et évolution », L’Humanité, 4 septembre 1913.

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Mais beaucoup estiment que le syndicalisme estun cadre d’engagement dépassé, en particulierpour les jeunes…

Il s’agit d’une opinion, et non d’une analyse objective.Je remarque d’ailleurs que les observateurs éclairés du« déclin » du syndicalisme sont les principaux artisans deson dénigrement. Soyons sérieux. Le syndicalisme est-ilconfronté à des difficultés en termes de syndicalisation ?Oui, et cela ne concerne pas uniquement le syndicalismeétudiant. Le syndicalisme salarié doit-il évoluer et s’ouvriraux jeunes ? À l’UNEF, nous le pensons. C’est aux syndi-cats de s’adapter aux évolutions du salariat, et non l’inverse.Le syndicalisme est-il une forme d’organisation collectivedépassée et à laquelle les jeunes ne croiraient plus ? Non,et les preuves de cette confiance renouvelée sont quoti-diennes. Les syndicats sont l’un des seuls contre-pouvoirsqui conservent une certaine crédibilité, et qui ont une capa-cité de mobiliser sans égale, malgré le faible niveau de syn-dicalisation. Dans divers sondages récents6, les salariésréaffirment leur confiance aux syndicats pour défendre leursintérêts, même s’ils émettent des critiques sur une institu-tion perfectible. Pour ce qui concerne les étudiants, cetteconfiance se manifeste à l’occasion des mobilisations syn-dicales, ou encore lors des élections étudiantes, où ils fontmajoritairement le choix du syndicalisme et de l’UNEFmalgré un taux de participation évidemment trop faible. Larécurrence des mobilisations de la jeunesse depuis 2002 est

6. Sondage IFOP du 28 mars 2009 : 57 % des Français ont déclaré accor-der leur confiance aux syndicats, qui apparaissent comme des « acteursmajeurs de la vie politique et sociale ». Ce niveau de confiance en pleinecrise économique avoisine ceux enregistrés en décembre 2002 (56 %) ouseptembre 2005 (57 %), mais il marque une progression par rapport aumois d’avril 2006, lors du mouvement contre le CPE.

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d’ailleurs la démonstration que les jeunes croient en l’ac-tion collective et organisée pour changer les choses. Noussommes loin de l’image d’Épinal d’une « génération zap-ping » dominée par l’individualisme et qui ne s’engageplus. Les ressorts de l’engagement des jeunes sont mul-tiples, les cadres d’engagement sont divers (humanitaires,collectifs, thématiques, engagement politique). Contraire-ment à certains observateurs « avisés », les jeunes n’oppo-sent pas ces cadres d’engagement entre eux et lesconsidèrent comme complémentaires. Mais pour changerles choses au quotidien dans sa fac et dans sa vie d’étudiant,le syndicalisme a toujours la cote.

Pour autant, cette confiance ne se matérialise pas néces-sairement par une hausse de la syndicalisation, et cela doitnous interpeller et faire évoluer nos cadres d’engagementinternes. La répression contre les syndicalistes étudiants estaussi un frein à l’adhésion. Quand il faut militer la peur auventre de ne pas passer en année supérieure ou de ne pasêtre inscrit dans le master de son choix si l’on ne vote pasle budget de la fac, on y réfléchit à deux fois. C’est pour-quoi le syndicalisme étudiant sera une forme d’action col-lective d’autant plus efficace qu’elle sera implantée sur tousles lieux d’étude et respectée par les autorités universitaires.

Le syndicalisme doit-il être une structure de lutte,de résistance, de cogestion ?

Le syndicat doit être capable, selon les contextes, deprendre toutes ces formes. À ses origines, l’UNEF organisel’entraide, un peu à la manière dont les bourses du travail ontstructuré le monde ouvrier. C’est la période où naissent les res-taurants universitaires, la médecine préventive, le Centre natio-nal des œuvres… C’est sans doute parce que cette UNEF-làn’entretenait pas une culture de lutte, et encore moins de transformation sociale, qu’elle va perdre progressivement

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la gestion de ces organismes. C’est l’époque du triomphe ducorporatisme où l’apolitisme limite toute action.

Aujourd’hui, l’UNEF participe à la gestion des CROUS,siège dans les conseils des universités, et des étudiants issusde ses rangs gèrent la principale mutuelle étudiante. Cepoids électoral est un élément du rapport de force, mais cen’est pas une fin en soi : cela n’a de sens que pour permettreaux étudiants de faire respecter leurs droits. Cette forme desyndicalisme est nécessaire, ne serait-ce que pour montrerque les jeunes sont capables de gérer leurs propres affaires.Mais elle est indissociable d’une forme de syndicalisme quise donne tous les moyens d’action afin de peser sur le réel,pour défendre les droits étudiants et en acquérir de nou-veaux. Au-delà du rapport de force électoral, l’UNEF estun syndicat de résistance et de lutte quand il le faut. Son his-toire le démontre : en 1986 pour mettre en échec le projetDevaquet, en 1994 pour rejeter le CIP d’Édouard Balladuret son « Smic-jeunes », en 2006 contre le CPE, ou plusrécemment en 2007 contre l’autonomie des universités.

Nous refusons la fausse division entre, d’un côté, le syn-dicalisme de lutte, et de l’autre le syndicalisme d’accom-pagnement. Seul un syndicalisme de transformation sociale,alliant rapport de force construit et recherche permanentede débouchés concrets pour les étudiants permet d’éviterdeux déconvenues : celle de nombreuses luttes étudiantesrestées stériles et inefficaces car incapables de trouver destraductions pour les étudiants ; mais aussi celle de l’exis-tence d’une bureaucratie étudiante qui se juge suffisante àelle seule pour négocier dans l’intérêt des étudiants endehors de tout rassemblement majoritaire.

C’est pourquoi nous nous efforçons de construire unsyndicalisme de masse et d’adhérents, car nous ne nous considérons pas comme une « avant-garde éclairée »chargée de montrer la voie, mais plutôt comme un outil que

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les étudiants, dans leur grande majorité, doivent s’appro-prier. Le rôle de l’organisation syndicale est de prendre encompte l’hétérogénéité du milieu qu’elle défend, en la com-battant par des revendications susceptibles de l’unifier. Il nefaut pas tenter une convergence des aspirations particulièrespour en faire une synthèse à tout prix. La somme des inté-rêts particuliers ne fonde pas l’intérêt général. L’organisa-tion syndicale doit jouer un rôle d’émetteur dans son milieu.

Quelle est aujourd’hui la démarche syndicalede l’UNEF ?

Notre démarche syndicale s’appuie sur la constructionpermanente du rapport de force dans la perspective assu-mée d’obtenir des avancées pour ceux que nous défendons.Elle articule protestation (la marque de l’indépendance),mobilisation (pour avoir gain de cause), négociation (parcequ’il faut savoir prendre acte d’un rapport de force) et pro-positions. Nous estimons indispensable que l’UNEFmarche sur ses « deux jambes ». La mobilisation, car il n’ya pas de négociation victorieuse sans rapport de forceconstruit, et que nous ne comptons jamais a priori sur labonne volonté de nos interlocuteurs. Et la négociation parcequ’un pas vaut mieux que mille programmes, et que chaquevictoire est un point d’appui pour aller plus loin.

Une fois notre démarche affirmée, c’est en fonction ducontexte dans lequel nous nous trouvons que nous choisis-sons notre mode d’action syndical : ce qui nous guide est laseule analyse des faits. L’UNEF ne nourrit aucun fétichismequant aux modalités d’action. Elle utilise tous les moyensmis à sa disposition pour faire entendre sa voix, et elle n’ex-clut aucun moyen d’action, de la pétition à la grève avec blo-cage. L’UNEF n’appartient qu’aux étudiants, et c’est aveceux que ces modalités d’action doivent être définies, en fonc-tion du contexte. La seule limite à la forme que peuvent

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prendre les actions de l’UNEF, c’est celle qui est décidéesouverainement par ses adhérents. C’est de cette manièreque l’UNEF est efficace et reconnue.

Pensez-vous que syndicalisme et politique soientnécessairement liés ?

Nous nous inscrivons dans la tradition du mouvementsyndical de notre pays : celle du regroupement de tous dansle syndicat, quelles que soient les opinions politiques, phi-losophiques et religieuses de chacun. Pour être le syndicatde tous les étudiants, l’UNEF revendique son indépendanceà l’égard « des partis et des sectes qui, en dehors et à côté[du syndicat], peuvent poursuivre en toute liberté la trans-formation sociale », comme le dit la Charte d’Amiens. Celan’a évidemment rien à voir avec l’apolitisme que nous reje-tons farouchement. Nos revendications ne sont pas isoléesdu reste de la société.

Dans l’histoire du mouvement syndical, les relationsentre partis et syndicats ont non seulement suscité beaucoupde débats théoriques, mais ont aussi eu des répercussionsconcrètes. Le IIe congrès de l’Internationale communiste àTours, en 19207, a défini la conception du syndicat comme« courroie de transmission » du parti. Cette conceptionn’est pas la nôtre. Ce n’est pas une simple posture intellec-tuelle. Cela s’appelle l’indépendance. L’organisation syndi-cale n’appartient pas à tel ou tel appareil politique qui lacontrôlerait. Le syndicat est la propriété de ses seuls adhé-

7. Vingt et une conditions y sont adoptées, permettant l’admission des partis au sein de l’Internationale. La neuvième condition porte surles rapports entre parti et syndicat : « Des noyaux communistes doiventêtre formés, dont le travail opiniâtre et constant conquerra la majoritédes syndicats au communisme. […] Ces noyaux communistes doivent êtrecomplètement subordonnés à l’ensemble du Parti. »

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rents, qui choisissent son orientation et élisent sa direction.La définition de nos positions à travers une analyse de lasituation et de notre projet conditionne seule notre inter-vention. L’UNEF s’est suffisamment battue au cours de sonhistoire pour débarrasser le syndicalisme étudiant de sesanciennes tutelles politiques, et pour que cette indépendancesyndicale soit aujourd’hui la prunelle de nos yeux. Cetteindépendance ne se pose pas par rapport au camp de la trans-formation sociale, puisque l’UNEF comme syndicat y estlogiquement intégrée. L’indépendance n’est pas l’apolitisme.La nature et le fonctionnement de l’UNEF sont à cet égardprimordiaux. Le choix de l’orientation, de réaliser l’unitésyndicale, de rassembler plus largement que ceux qui sereconnaissent dans un des multiples groupes politiques exis-tants, ne peut se concrétiser que si l’UNEF est justementindépendante des partis politiques. La pluralité de l’UNEF,l’existence du droit de tendance sont les conditions de sonexistence comme syndicat, et non comme relais d’un autremouvement. Par ailleurs, l’indépendance doit être pensée parrapport à l’administration universitaire et au gouvernement.

Certains ont parfois du mal à comprendre que syndicatet parti sont deux formes d’organisation différentes. C’estLéon Jouhaux qui le résume le mieux : « L’attitude de neu-tralité du syndicalisme à l’égard des partis politiques estdavantage qu’une méfiance des méthodes électorales etparlementaires. S’il en était ainsi, ce pourrait n’être qu’uneposition momentanée et révisable. Dans la réalité, cetteneutralité traduit l’idée que le syndicalisme s’étend et faiteffort sur un plan très différent des partis politiques, quel’action politique et l’action professionnelle s’exercent surdeux terrains distincts8. » C’est sur ce terrain syndical que

8. L. Jouhaux, La CGT, ce qu’elle est, ce qu’elle veut, Gallimard, 1937,p. 81.

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nous nous situons, permettant à notre modeste mais justemesure de donner aux jeunes des formes d’organisation quileur permettent de conquérir de nouveaux droits. Sur cesbases, en toute indépendance mais sans aucune espèce dedéfiance, l’UNEF a vocation à interpeller les partis poli-tiques républicains, notamment à l’occasion des élections.

Qu’en est-il de vos relations avec les autres organisations syndicales ?

L’UNEF entretient évidemment des relations de travailnourries avec les syndicats agissant dans son champ d’in-tervention traditionnel, l’éducation. Mais l’UNEF estaujourd’hui considérée par la majorité des confédérationscomme un partenaire syndical à part entière et nous nousen réjouissons.

La mobilisation contre le CPE a en effet permis unenouvelle rencontre entre syndicalisme étudiant et syndica-lisme salarié. Nous sommes sortis d’une certaine distancequi nuisait à l’efficacité de nos combats. La double unitéd’action intersyndicale et intergénérationnelle, en 2006, aété l’un des facteurs déterminants de la victoire finale. Nouscroyons à la nécessité de renforcer les liens entre le mondede la formation et le monde du travail, et ces relations inter-syndicales sont un levier pour cela. Parce que chaque nou-velle génération qui entre sur le marché du travail est priseen otage par une nouvelle déréglementation, nous avons laresponsabilité de travailler ensemble, pour améliorer l’in-sertion professionnelle des jeunes et les conditions d’em-ploi de l’ensemble des salariés. De plus, le syndicalismesalarié ne peut être indifférent à l’expérience d’action col-lective et militante que peuvent acquérir ces étudiants d’au-jourd’hui qui seront très certainement les syndiqués dedemain. Nous travaillons donc régulièrement avec les syn-dicats de salariés, en particulier la CGT, FO, la FSU et

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l’UNSA, pour définir des revendications communes sur lesretraites, sur la reconnaissance des qualifications, sur lesstages…

L’UNEF se tient à équidistance des confédérations syn-dicales de salariés. Elle n’a pas à faire le choix d’une orga-nisation au détriment d’une autre. Ce n’est pas auxétudiants de décider à la place des salariés comment ils doi-vent s’organiser. En retour, nous attendons le même respectde l’autonomie du mouvement étudiant, qui est capable des’organiser par lui-même en toute indépendance et qui estrassemblé à l’instigation de l’UNEF. Nos relations avecceux qui ont fait le choix de la division en entretenant finan-cièrement leur propre structure étudiante minoritaire dansles universités se sont donc dégradées et ne pourront se nor-maliser que par un changement de stratégie de leur part ànotre égard.

On dit souvent que la division syndicale estune des causes de la faiblesse du syndicalisme.Comment se présente l’unité syndicale dansle milieu étudiant ? Le rassemblement syndicaly est-il possible ?

Pendant un siècle, l’UNEF a incarné la volonté d’unitédu mouvement étudiant. La réunification syndicale entrel’UNEF-ID et l’UNEF-SE en 2001 a permis de refermertrente années de division. Mais il est aujourd’hui nécessaired’aller plus loin. Il existe en dehors de l’UNEF des formesd’engagement qui pourraient trouver leur pleine efficacitésyndicale si elles étaient rassemblées. Dans le contexte uni-versitaire et social actuel, la division fait le jeu de nos adver-saires. Nous ne pensons pas que la pluralité syndicale soitun moyen de syndiquer plus d’étudiants. Elle suscite leurincompréhension face à ce qu’ils considèrent légitimementcomme d’inutiles batailles de chapelle.

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Il est donc grand temps que le mouvement étudiantreprenne sa difficile mais indispensable marche en avantvers l’unité. La responsabilité de l’UNEF est pour celamajeure. Nous avons posé les premières pierres de cettedémarche en votant en 2007 une réforme statutaire renfor-çant le droit de tendance et la démocratie interne pour fairevivre la diversité d’opinion en notre sein, et en privilégiantlors des mouvements étudiants l’unité d’action la plus large.Nous avons également lancé en octobre 2008 un appel aurassemblement du mouvement étudiant à l’ensemble desorganisations et des groupes organisés dans le monde étu-diant. Ce rassemblement doit se construire selon trois prin-cipes : le respect du pluralisme reposant sur le droit detendance et sur une démocratie interne permettant à chaqueadhérent de peser sur l’orientation de son organisation ; le rassemblement au sein de la « maison commune » histo-rique du mouvement étudiant en France qu’est l’UNEF ; le choix du syndicalisme de transformation sociale quitourne le dos au corporatisme. Il appartient désormais àchacun de prendre ses responsabilités devant les étudiants.L’unité ne se décrète pas, elle se construit. L’unité ne se faitpas seule, elle nécessite des partenaires. L’unité ne se fait pas sans but, elle doit être un outil au service de la jeu-nesse étudiante. Les étudiants ne sauraient attendre pluslongtemps.

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Changer l’universitépour transformer la société : le projet syndical de l’UNEF pourla jeunesse et l’enseignement supérieur

Pour une nouvelle étape dela démocratisation de l’enseigne-ment supérieur : vers l’université des 3 millions d’étudiants

Depuis les années 1960, les portes de l’enseigne-ment supérieur se sont ouvertes et le nombred’étudiants est passé de 300 000 à plus de 2,2 mil-lions aujourd’hui. Pourtant, depuis plusieursannées, le nombre de jeunes poursuivant leursétudes stagne, voire tend à diminuer. Quelles sontles raisons de cette désaffection naissante pourl’enseignement supérieur ?

On constate en effet que les bacheliers ont de moins enmoins tendance à poursuivre leurs études dans l’enseignement

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supérieur. Après deux années de baisse des effectifs, leministère de l’Enseignement supérieur prévoit même unebaisse de 154 000 étudiants d’ici à dix ans (- 6,9 % deseffectifs1) ! Paradoxalement, cette tendance se confirmemême en période de crise économique, alors que lors descrises précédentes, la proportion de jeunes Français pro-longeant leurs études progressait nettement. C’est d’ailleursce que l’on observe actuellement au Royaume-Uni ou auxÉtats-Unis. Nous identifions deux raisons. La première estdémographique : le nombre d’élèves de terminale sera ennet recul jusqu’en 2012, du fait de la baisse des naissancesen France au début des années 1990 ; il s’agit d’un effetgénérationnel. La seconde est plus inquiétante : les diffi-cultés que rencontrent aujourd’hui l’université et les étu-diants ont tendance à décourager les jeunes de poursuivreleurs études. L’aspiration des jeunes à se former pour se pro-téger du chômage ne se dément pas. En revanche, c’est lapossibilité même de poursuivre des études supérieures quisemble diminuer : l’échec élevé en 1er cycle et l’augmenta-tion de la précarité sont des freins puissants. Les obstaclesfinanciers sont parmi les premières causes de renoncementou d’abandon des études.

La nature du débat public sur l’université peut aussi par-tiellement expliquer cette tendance. Les attaques de Nico-las Sarkozy contre certaines filières jugées non rentablescontribuent à miner l’aspiration des jeunes à faire des étudessupérieures. Le discours défaitiste sur l’enseignement connaîten effet un nouveau regain : « Les diplômes ne valent plusrien », « Les profs sont mauvais », « Les universités publiquesseraient coupées du monde de l’entreprise », etc. Pour la

1. Prévision des effectifs dans l’enseignement supérieur de 2008 à 2017(note d’information 08.32 de la DEPP, ministère de l’Enseignement supé-rieur, novembre 2008).

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droite au pouvoir, ce discours a l’intérêt de discréditer lesrécentes vagues de démocratisation scolaire et universitairenées sous l’impulsion de gouvernements de gauche. Plusétonnant, de nombreux responsables politiques de gauchereprennent ce discours à leur compte et prétendent désor-mais améliorer l’école ou l’université avant d’envisager deles ouvrir davantage. Il s’agit d’une véritable inversion ducours de l’Histoire : c’est le progrès social, le mouvementqui commande les réformes, et non l’inverse. D’ailleurs,parlerait-on de la nécessité des réformes s’il n’y avait paseu de démocratisation ?

Il y a donc urgence à contrarier ce mouvement naissantde désaffection universitaire. S’il se confirmait, il s’agiraitd’une rupture historique avec l’effort de massification uni-versitaire réalisé depuis les années 1960. Celle-ci ouvriraitla voie à une régression sociale sans précédent.

Pourquoi la poursuite de la démocratisation uni-versitaire est-elle indispensable ?

D’abord, du fait que la massification de l’enseignementsupérieur est loin d’être aboutie. L’enseignement supérieuraccueille moins d’un jeune sur deux après le bac : l’ambi-tion doit être de donner à tous les jeunes une formation ini-tiale en construisant l’université des 3 millions d’étudiants.En effet, la France ne souffre pas d’avoir trop d’étudiants :elle n’en a pas suffisamment et se trouve même en dessousde la moyenne des pays de l’OCDE2.

2. En France, une génération est diplômée de licence à 42 %, quand lesobjectifs européens sont fixés à 50 %. De même, notre pays ne forme que10 000 docteurs par an, alors que l’Allemagne en diplôme 23 000 chaqueannée (rapport INSEE, France portrait social. Vue d’ensemble – Éduca-tion, 2009).

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Surtout, l’enseignement supérieur représente un enjeumajeur pour toute la société. L’accès au savoir et aux qua-lifications détermine l’avenir du pays, tant dans sa réussiteéconomique que sa cohésion sociale. C’est par l’élévationdu niveau de connaissances de ses citoyens que notresociété fera face aux obscurantismes et pourra poursuivreson développement intellectuel. C’est une condition dubon fonctionnement démocratique de nos sociétés :chaque citoyen doit être en capacité d’effectuer ses choixen exerçant son esprit critique. Enfin, le diplôme reste la meilleure arme individuelle face au chômage.

L’élévation du niveau de qualification de toute une géné-ration représente un défi économique pour le pays : dessalariés plus qualifiés sont plus productifs, une année sup-plémentaire de formation rapporte entre 3 et 6 % supplé-mentaires de croissance à long terme3. La poursuited’études participe pleinement au développement écono-mique : nous sommes tous plus innovants, plus riches, etplus qualifiés collectivement. Il faut donc se battre contrel’idée dominante selon laquelle l’investissement dans l’édu-cation est un investissement à perte. Bien au contraire,chaque euro investi dans l’éducation permet de préparerl’avenir et de faire progresser la société. À l’heure où notrepays connaît une pénurie de main-d’œuvre qualifiée, unepolitique ambitieuse renforçant l’accès de tous à la forma-tion doit être mise en place, et le droit à un haut niveau deformation pour chaque jeune doit être garanti.

Quelle analyse faites-vous de la situation universitaire aujourd’hui ?

Contrairement à certaines idées reçues, l’universitépublique est un outil puissant et performant. En trente ans,

3. OCDE, Regards sur l’éducation, 2006.

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elle a multiplié par dix ses effectifs permettant aux étudiantsissus des milieux populaires d’accéder à l’enseignementsupérieur. Véritable vecteur de transformation sociale, ellea réussi l’exploit de concilier recherche de haut niveau et service public d’enseignement supérieur non sélectif.L’accueil de nouveaux publics étudiants a permis des évo-lutions dans les habitudes universitaires : création de nou-velles filières, construction de bâtiments, adaptation decertaines méthodes pédagogiques, émergence de filièresprofessionnelles. Nous devons être fiers des formidablesréussites de l’université française, qui a su s’ouvrir massi-vement en l’absence de moyens suffisants pour accompa-gner cet effort.

Pourtant, si l’outil est bon, l’absence de vision politiquede long terme et la pénurie budgétaire ont conduit à unedégradation des conditions d’étude et de recherche. À forced’opposer concurrence élitiste et accueil du plus grandnombre, l’université française ne parvient plus ni à démo-cratiser l’accès au savoir, ni à faire reconnaître au niveauinternational la qualité de sa production scientifique. L’enseignement supérieur français marche sur la tête. Lesélites richement dotées, par l’argent ou le capital culturel deleurs parents, se reproduisent au sein des grandes écoles àl’écart de l’université et de la recherche. L’université, quiaccueillait moins de 5 % d’une classe d’âge dans les années1960, accueille aujourd’hui la moitié d’une génération.Pourtant, son organisation n’a pas suffisamment suivi l’évo-lution de son public. L’architecture globale entre ses diffé-rents pôles (prépas, IUT, écoles) est entièrement à revoir.Elle ne souffre pas de l’absence de sélection, mais d’unesélection insidieuse par l’échec dans des premiers cyclessous-dotés. Les inégalités s’y reproduisent et s’y accen-tuent. L’université d’aujourd’hui n’est plus celle de la réus-site et de l’ascension sociale.

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Nous refusons de fermer les yeux sur ces difficultés.L’échec massif en premier cycle, la misère sociale des étu-diants, le bizutage pédagogique, l’infime proportion dejeunes parvenant aux mêmes grandes écoles élitistes queleurs parents, le supplice de l’insertion professionnelle,l’opacité de l’offre de formations, l’absence de mobilité,tous ces sujets ne sauraient rester des secrets de famille hon-teux. Le statu quo n’est ni possible ni souhaitable.

La crise traversée par l’université ne se limite pas à unequestion de moyens. Il s’agit également d’une crise deconfiance et d’une crise d’identité. Confiance de la sociétéet des jeunes en notre système d’enseignement supérieur,confiance des enseignants-chercheurs en leurs missions à lasuite des dénigrements organisés depuis le plus haut sommetde l’État. Crise d’identité également, puisque le gouverne-ment n’a à aucun moment posé la question – pourtant essen-tielle – de la finalité et des objectifs de l’enseignementsupérieur avant de le réformer.

Les récentes réformes, notamment la loi sur l’autonomie de 2007, ont-elles permis de répondreà ces difficultés ?

Il est incontestable que le chemin pris depuis plusieursannées par les gouvernements va dans le sens d’une uni-versité toujours plus élitiste. La réforme LMD, en 2003,sous couvert d’harmonisation européenne, a remis en causele cadrage national des diplômes. Ceci au risque d’affaiblirleur reconnaissance sur le marché du travail en renforçantl’autonomie pédagogique des universités. La loi LRU de2007, en confiant davantage d’autonomie de gestion auxuniversités, a affaibli la démocratie universitaire – et lareprésentation étudiante – et a renforcé la concurrence entreuniversités. Dans leur course en avant vers la concurrence,les établissements mènent des politiques malthusiennes en

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réservant l’essentiel de leurs moyens à quelques formationsélitistes et en délaissant les formations de premiers cycles,en particulier dans les secteurs jugés les moins porteurs(lettres et sciences humaines, STAPS…). Au fondement deces réformes repose l’idée que la compétition entre établis-sements est un gage de l’excellence. L’accroissement del’autonomie des universités nourrit l’espoir de l’apparitiond’une poignée de grandes universités compétitives sur le territoire, tirées vers le haut par la concurrence entre lesgrandes universités mondiales. Le risque est grand de voirnotre système se scinder entre universités d’élite (et derecherche) et universités ghettos, où la masse des jeunespatienterait avant le chômage. Cette politique repose sur lalogique simpliste de démission de l’État ; c’est finalementla loi de la jungle libérale appliquée à l’université.

Nous considérons que les partisans de cette vision de l’uni-versité restent enfermés dans une approche idéologique dépas-sée. Aujourd’hui, dans un contexte de crise du libéralisme,bien des gens révisent leurs certitudes. Beaucoup sont prêts àentendre ce qu’hier encore ils refusaient d’écouter. Mais alorsque se construit un monde nouveau, il faudrait en rester àl’université d’hier ? En rester à une université entièrementtournée vers l’objectif d’attractivité et de concurrence ? Uneuniversité où il n’y aurait plus de place pour la recherche et lessciences humaines jugées non rentables ? Nous ne le pensonspas, cette politique conduisant l’université dans une impasse :elle affaiblit le service public et fragilise les plus petits éta-blissements ou les universités de masse qui ont été le fer delance de la démocratisation et qui n’ont pas la capacité d’af-fronter un désengagement politique de l’État.

L’université que nous défendons représente bien davan-tage qu’un simple service public. C’est un idéal social. Sebattre pour l’accès de tous à l’université, c’est affirmer defaçon permanente un humanisme militant : nous croyons

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que tout jeune individu est perfectible et que l’accès auxsavoirs et aux qualifications est la clé de cette émancipa-tion. C’est parce qu’elle tourne le dos à cette mission éman-cipatrice de l’université – pour l’enfermer dans des logiquesde court terme – que nous nous opposons à la politique uni-versitaire du gouvernement.

Quelles pistes de réformes proposez-vous pourl’enseignement supérieur ?

Sortons de la chronique d’un déclin annoncé et appuyons-nous sur les formidables réussites de nos universités. Ce quia fait la force des politiques universitaires passées, c’est latransformation de la société qu’elles ont permise. Il convientdonc de fixer un cap avant de formuler des propositionsconcrètes. L’allongement de la durée de la vie, le progrèsscientifique et technique, l’évolution des savoirs et desconnaissances posent à la société française un double défi :organiser la formation supérieure de toute une génération etfaire bénéficier l’ensemble de la société des savoirs réservésjusqu’ici à quelques-uns. Ce défi est de taille et constitue unchoix de société majeur. Nous prônons une véritable révolu-tion universitaire au service de la société. Il faut mettre l’uni-versité au service des étudiants, au service des besoins de lasociété en matière de qualification, de savoir, de recherche etd’innovation, en réaffirmant sa double mission : l’émancipa-tion par l’accès au savoir et la préparation d’une insertionprofessionnelle réussie par l’obtention de qualifications pro-tectrices et reconnues dans le monde du travail. Les pouvoirspublics doivent donner un nouveau souffle à la démocratisa-tion de l’enseignement supérieur.

Cette ambition pour l’université de demain ne se concré-tisera que dans le cadre d’un service public renforcé, doté demoyens financiers et humains conséquents, seul à même derésister aux logiques de rentabilité à court terme pour viser

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l’objectif d’élévation du niveau de qualification du plusgrand nombre. Pour relever le défi de la démocratisation, lapolitique universitaire ne doit pas avoir pour objectif de tirerquelques établissements du lot, mais bien d’emmener l’en-semble vers l’excellence. Un changement de cap s’impose :il convient de remettre l’égalité au cœur du service publicd’enseignement supérieur. La démo cratisation ne peut sefaire sans égalité territoriale, sans péréquation en matière definancement, sans aider les universités qui en ont le plusbesoin, sans garanties publiques relatives à l’absence desélection et à la fixation des frais d’inscription.

Nous estimons qu’une réforme universitaire doit s’arti-culer autour de trois objectifs. Il est tout d’abord nécessairede donner clairement la priorité aux premiers cycles et de faire converger tous les efforts vers l’objectif impératifde réussite du plus grand nombre : il n’est plus acceptableque les meilleurs bacheliers bénéficient de conditionsd’études beaucoup plus favorables dans les filières sélec-tives, bien mieux dotées en financement, que les étudiantsdes universités qui subissent un véritable bizutage sur lesbancs de la fac. Cette priorité nécessite un plan de recrute-ment massif d’enseignants-chercheurs et de personnelsIATOSS, afin de pallier le sous-encadrement chronique.

Les universités doivent ensuite être remises au cœurde l’enseignement supérieur, comme seul modèle per-mettant d’articuler la formation et la recherche. Les formations supérieures dans leur ensemble doivent pro-gressivement être ramenées dans leur giron afin d’unifier le paysage de l’enseignement supérieur autour du modèleuniversitaire.

Enfin, l’université doit être celle de tous les métiers etdoit mieux préparer à l’insertion professionnelle. Cettedernière doit se faire de manière durable et non en fonctiondes besoins à court terme des bassins d’emplois locaux. Le

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cadrage national des diplômes doit être réinstauré, afin degarantir l’égalité et la mobilité étudiante sur le territoire.

La massification de l’enseignement supérieur apermis d’augmenter le nombre de diplômés, maisl’échec en premier cycle avoisine les 40 %. Commentl’expliquez-vous et comment y faire face ?

Commençons par cesser de culpabiliser les étudiants :c’est un système universitaire inadapté qui est responsablede leur échec, et non chacun d’entre eux à titre individuel !Il faut reconnaître que la massification ne s’est accompa-gnée ni des moyens budgétaires, ni de l’amélioration del’encadrement qui étaient nécessaires. Mais il ne s’agit passimplement d’une question de moyens : le contenu desenseignements et les modes de transmission des savoirsfavorisent les initiés et la reproduction sociale. L’universitéreste structurée par et pour la recherche, alors que moins de1 % des étudiants s’y destinent. Si on ajoute à cela quebeaucoup d’étudiants font le choix de l’université pardéfaut, notamment les bacheliers professionnels et techno-logiques refusés en IUT ou en BTS, on comprend mieuxpourquoi la sélection par l’échec joue à plein.

Les premières victimes de cet échec sont les jeunes issusdes milieux les plus défavorisés. Notre système universi-taire ne fait pas que reproduire les inégalités sociales, il encrée en son sein. Seulement 17 % des étudiants de licencesont enfants d’ouvriers, quand 29 % sont des enfants decadres. Cet écart se creuse ensuite : en doctorat, 4,5 % desinscrits sont enfants d’ouvriers et 38 % enfants de cadres4 !

L’UNEF revendique une véritable révolution pédago-gique : l’augmentation des volumes horaires de cours,

4. Repères et références statistiques sur les enseignements, la formationet la recherche, DEPP, ministère de l’Enseignement supérieur, 2009.

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la fin du bizutage pédagogique que représentent les coursen amphi, la généralisation des cours en petits groupes, laformation des enseignants à la pédagogie. L’organisation despremiers cycles doit être totalement repensée. Pluridiscipli-naire dans ses premières années, la licence doit progressive-ment se spécialiser pour permettre les réorientations. La licence doit à la fois garantir une sortie qualifiante versle marché du travail et la poursuite d’études en master.

Les partisans de la sélection à l’entrée de l’université justifient sa mise en place pourrépondre à l’importance de l’échec universitaire.Que leur répondez-vous ?

Proposer la mise en place d’une sélection à l’entrée del’université pour éviter l’échec en premier cycle est àcontretemps des défis de l’université d’aujourd’hui. Lespolitiques de sélection ont toujours dissimulé un objectif deréduction des effectifs, alors même que la France manquede diplômés et que l’enjeu est de franchir une nouvelleétape de la démocratisation.

Mais sourtout l’incapacité actuelle de l’université à per-mettre la réussite de tous n’est pas une fatalité ! En revanche,instaurer la sélection serait une solution de facilité. On vou-drait nous convaincre que nous avons accepté trop d’étudiantsà l’université et que certains n’y auraient plus leur place.Nous considérons au contraire que c’est l’université qui n’apas su s’adapter aux étudiants. C’est à elle de changer !

Sélectionner les étudiants a priori sans tenir compte desconnaissances acquises pendant la formation est un procédépédagogiquement absurde. C’est aussi une solution socia-lement injuste : toute sélection académique dissimule unesélection sociale. Un enfant issu d’un milieu modeste a parexemple deux fois moins de chances de réussir que lesautres le concours d’entrée de l’IEP de Paris. Une telle

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sélection serait une double peine pour ces étudiants : déjàvictimes de l’échec scolaire, ils se trouveraient ainsi empê-chés de poursuivre les études de leur choix. Et ceci alorsmême que l’orientation par défaut est déjà une des causesde l’échec. Le remède serait encore pire que le mal.

Les universités contribuent également au développement scientifique par le biais de leurs activités de recherche. Ces dernières années,la recherche a été profondément restructurée. Comment analysez-vous cette nouvelle organisation ?

Le paysage de la recherche a été modifié en profondeurpar la loi recherche de 2006. Celle-ci a eu pour consé-quences d’accroître les financements sur projets au détri-ment des financements récurrents des laboratoires et laremise en cause de pans entiers de la recherche jugés « nonrentables », comme les sciences humaines et sociales. Alorsqu’en 2004, le mouvement des chercheurs avait mis enlumière la situation des jeunes chercheurs (absence destatut, conditions de travail dégradées…), leur situation nes’est guère améliorée depuis : 40 % des doctorants aban-donnent leur thèse en cours, faute de financement, et les car-rières de la recherche ne sont pas assez attractives. Pourrépondre aux enjeux économiques et culturels actuels, il estnécessaire de rompre avec ces orientations en garantissantl’équilibre entre recherche fondamentale et recherche appli-quée. L’accroissement du financement public s’impose : laFrance était au 7e rang mondial en 1995 en termes de pour-centage du PIB investi dans la recherche ; elle a chuté cesdernières années au 14e rang5.

5. Rapport OCDE, « Principaux indicateurs de la science et de la tech-nologie », 2007.

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Pour un statut social pour les jeunes en formationPetits boulots, galères de logement, étudiantsbénéficiaires d’Emmaüs… : nombreux sont lessignes de la précarité grandissante des étudiants.Comment expliquez-vous cette précarité ?

Voici quelques années, nous devions convaincre que lesétudiants n’étaient plus cette population insouciante vivantd’amour et d’eau fraîche en se prélassant dans la cour de laSorbonne ! Aujourd’hui, la précarité étudiante est une réa-lité reconnue. Mais il convient de se méfier de la mise enavant exclusive de situations extrêmes qui contribue à confi-ner à des cas exceptionnels une situation qui concerne l’im-mense majorité des étudiants : la prostitution étudiante, parexemple, existe, mais elle reste marginale. Ce qui ne l’estpas, par contre, c’est la précarité qui peut dans certains casextrêmes y pousser.

Les pouvoirs publics n’ont pas accompagné la haussedes effectifs étudiants par une politique sociale ambitieuse :il y avait 150 000 logements en cité-U du CROUS dans lesannées 1960 pour 300 000 étudiants, nous en dénombronsaujourd’hui à peine 155 000 pour 2,2 millions d’étudiants !C’est d’autant plus paradoxal que les nouveaux publics étu-diants sont issus des milieux sociaux plus défavorisés qu’au-paravant. Le système d’aides sociales conçu dans les années1950 pour un monde étudiant encore privilégié est aujour-d’hui complètement dépassé et déconnecté de la réalité étu-diante, ce qui pousse les étudiants à galérer pour étudier.

Mais cette situation n’est pas que le fruit d’un abandoninvolontaire des étudiants au cours de l’Histoire. Chez unegrande partie de nos dirigeants, l’idée selon laquelle il seraitnormal que la jeunesse soit synonyme de galère est large-ment répandue. Au-delà de la question des moyens, c’est de

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la reconnaissance sociale d’une nouvelle période de la vie,celle de la formation, qu’il est question.

Vous parlez d’un système de bourses « dépassé et

déconnecté de la réalité ». Qu’entendez-vous par là ?La France fait reposer son dispositif d’accompagnement

social sur deux piliers : les bourses sur critères sociaux etles exonérations fiscales pour les familles. S’y ajoutent denombreux dispositifs (type aides au logement) devenusindispensables pour vivre et étudier.

Ce système est tout d’abord illisible : plus de 150 dis-positifs d’aides aux étudiants, nationaux et locaux, coexis-tent. Il est insuffisant : le montant maximal d’une bourse estde 345 euros par mois (calculé sur 12 mois), et les aides aulogement sont plafonnées à 150 euros (180 euros à Paris !).Mais ce système est surtout socialement injuste. Chaqueannée, l’État dépense plus en exonérations fiscales pour lesfamilles les plus aisées assujetties à l’impôt sur le revenu(1,7 milliard d’euros de déduction de la demi-part fiscaleau titre d’un enfant étudiant) que pour les bourses verséesdirectement aux étudiants les plus modestes (1,4 milliardd’euros). Le montant des bourses étant calculé en fonctionde la situation sociale des parents, ce système reproduit lesinégalités et représente un frein à l’autonomie des étudiants.Ceux issus des classes moyennes sont quasiment exclus deces dispositifs.

Quelles sont les conséquences de cette précaritépour les étudiants ?

Elles sont malheureusement nombreuses : 100 000 étu-diants vivent sous le seuil de pauvreté6, 23 % d’entre eux

6. Source : rapport de J.-F. Dauriac, ancien directeur du CROUS de Créteil, sur la situation sociale des étudiants (février 2000).

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déclarent renoncer à des soins pour des raisons finan-cières7, 26 % consacrent moins de 100 euros par mois pourse nourrir8. Nous assistons à une augmentation des aban-dons ou des renoncements d’études pour raisons finan-cières. Et la hausse du chômage liée à la crise économiqueactuelle risque d’amplifier le phénomène.

En l’absence d’aides sociales adaptées et suffisantes, laplupart des étudiants sont contraints de choisir entredépendance familiale et précarité des petits boulots pourfinancer leurs études. Un étudiant sur deux est obligé detravailler à côté de ses études pour les financer. L’insuffi-sance du système d’aides conduit même quatre boursierssur dix à travailler pour financer leurs études. Ces expé-riences professionnelles souvent précaires et sous-rémunérées, comme dans la restauration rapide ou le télé-marketing, ne sont en rien des « petit plus » pour un projetd’études, mais bel et bien une contrainte nécessaire pourpayer ses études ! Parfois présenté comme une solution, letravail salarié est incompatible avec la poursuite d’unprojet d’études : non seulement les étudiants qui tra-vaillent doivent renoncer à certaines filières exigeantes surle plan horaire (médecine, grandes écoles, classes prépas),mais ils rencontrent 40 % d’échec supplémentaire à l’uni-versité ! La vocation sociale d’un étudiant, c’est d’étu-dier ! La condition pour permettre à chacun de réussir,quelle que soit son origine sociale, est de se consacrerpleinement à son travail universitaire. L’absence de pro-tection sociale adaptée pour les étudiants est un puissant

7. Source : La Mutuelle des étudiants (LMDE).8. Source : enquête sur les habitudes alimentaires des étudiants réaliséepar le CROUS d’Aix-Marseille (2008). Or, à raison de 2 repas au res-taurant universitaire par jour (soit 40 dans le mois), un étudiant dépenseenviron 116 euros par mois (le repas étant fixé à 2,90 euros l’unité).

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facteur de reproduction sociale et ne permet pas à chaquejeune de réussir.

Les étudiants sont contraints de choisir « entre

dépendance familiale et précarité des petits

boulots », dites-vous. Comment mettre fin à cetteforme de mépris social ?

Cette situation pose l’exigence de nouvelles protectionssociales en phase avec la société. Une véritable mise ensécurité sociale de la période de formation est indispensablepour faire face aux défis de l’après-crise et refuser l’accroissement des inégalités : qui ose aujourd’hui contes-ter l’apport de la qualification au progrès social, écono-mique et technologique ? En 1945, l’apparition d’une vieaprès le travail a conduit à la mise en place d’un système deretraite solidaire pour protéger les « vieux travailleurs » dela précarité ou de la dépendance vis-à-vis de la solidaritéfamiliale. De la même manière, la massification de l’ensei-gnement supérieur combinée aux évolutions économiqueset sociales survenues au cours des quarante dernièresannées a conduit à l’émergence d’un nouveau temps de lavie qui s’étend de la fin des études secondaires à l’entréedans un emploi stable. La jeunesse, c’est ce temps de la for-mation et de l’insertion, caractérisé par la précarité et uneaspiration commune des jeunes à l’autonomie. La jeunessedoit s’accompagner d’un statut social protecteur qui repré-sente une alternative à la précarité et à la dépendance fami-liale prolongée. Ce statut social doit ouvrir à de nouveauxdroits pour les jeunes : accès au logement, à la santé, à laculture, aux loisirs… Mais par-dessus tout, le statut socialdoit garantir à chaque jeune le même droit à l’accès et à laréussite dans son projet de formation.

Pour l’UNEF, la pierre angulaire de ce statut serait la mise en place d’une allocation d’autonomie : prestation

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universelle pour tous les jeunes en formation, calculée enfonction de leur situation propre – et non déduite de celledes parents – et garantissant à chacun les moyens d’acqué-rir le plus haut niveau de qualification sans cumuler emploiet études.

Nous ne voulons pas de la charité accordée par ceux quiveulent se donner bonne conscience. Nous ne réclamons pasun « revenu minimum » d’inactivité ni l’extension des minimasociaux aux moins de 25 ans, qui seraient significatifs d’unesociété incapable de nous insérer ! Ce que nous voulons, c’estla reconnaissance par la société de l’intérêt d’un haut niveaude qualification pour sa jeunesse et la mise en place d’uneallocation liée à la réalisation d’un projet de formation etd’insertion. Ce statut mettrait un terme à la situationactuelle qui consiste à faire reposer le financement desétudes sur les étudiants et leur famille : il relève au contraired’un investissement de toute la société pour son avenir.

La prise en charge des jeunes par leur famillesemble naturelle pour beaucoup. Pourquoi présentez-vous la dépendance familiale commeun problème ?

Les jeunes sont perpétuellement renvoyés à la dépen-dance vis-à-vis de leur famille. À 18, 20 ou 25 ans, il n’estpas admissible pour des citoyens majeurs de n’avoir d’autrechoix que de demeurer socialement des enfants « àcharge ». Au-delà des cas de ruptures familiales qui se mul-tiplient, cette situation de dépendance est le signe d’unesociété qui ne donne pas leur place aux jeunes.

Il ne s’agit pas de faire l’apologie de la rupture fami-liale après 18 ans. Mais au contraire de dire que la dépen-dance familiale est un problème lorsqu’elle est subie : 70 %des étudiants vivant chez leurs parents l’expliquent par descontraintes financières ! En matière de financement des

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études, la dépendance familiale est un puissant facteur dereproduction sociale : quand les choix de filières ou la duréedes cursus dépendent des ressources familiales ou de lalocalisation du domicile parental, il ne faut pas s’étonnerque les études restent toujours impossibles pour certains.Le statut social que nous revendiquons a également pourobjectif de permettre à chaque jeune d’être autonome poureffectuer ses choix d’études et d’orientation, ou pour assu-mer ses choix de vie ou ses orientations sexuelles.

Quel doit être le montant de l’allocation d’autonomie ? Comment financer un tel projet ?

L’allocation d’autonomie doit être d’un montant suffisantpour que chaque jeune puisse vivre, se loger et se former sansdépendre de sa famille ni cumuler emploi et études. Ce mon-tant doit être calculé en fonction de la situation propre dujeune, et non celle de ses parents. Les besoins mensuels d’unjeune indépendant de sa famille vivant à Paris sont estimésautour de 900 euros9. Son montant devra être indexé surl’évolution du coût de la vie, pour éviter le décrochage quenous constatons actuellement avec la valeur des bourses.

Son financement doit s’appuyer sur le redéploiement desprestations versées aux familles (exonérations fiscales10, allo-cations familiales) qui permettrait déjà de multiplier par 2,5le budget des aides directes à moyens constants. Nous pro-posons également la fusion de l’ensemble des aides exis-tantes (bourses, aides au logement). Mais il faudra aller plusloin et mobiliser des ressources supplémentaires pouratteindre un montant global d’environ 15 milliards d’euros.L’UNEF propose ainsi un financement complémentaire

9. Source : Observatoire de la vie étudiante (OVE).10. L’exonération de la demi-part fiscale au titre d’un enfant étudiantreprésente par exemple 1,7 milliard d’euros chaque année.

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reposant sur une nouvelle cotisation sociale payée par lesemployeurs afin d’assurer la pérennité du système. Il ne seraitpas anormal de mettre à contribution les entreprises qui béné-ficient des gains de productivité liés à la formation initiale aufinancement de la formation des jeunes.

Il faut envisager cette allocation d’autonomie en fonc-tion de la dynamique qu’elle produira : plus de jeunesauront accès à une formation, le niveau de qualificationgénéral progressera, et elle permettrait de libérer des cen-taines de milliers d’emplois aujourd’hui occupés par lesétudiants. Loin d’être une charge, l’allocation d’autonomies’inscrit dans le cadre d’une politique d’investissement dansl’avenir : chaque année d’étude supplémentaire augmentela productivité de 8 % !

L’accès au logement est un véritable parcoursdu combattant pour les jeunes. Le logement estpourtant une condition essentielle de l’accès à l’autonomie. D’après vous, quelles sont les solutions qui permettraient à tous les jeunesd’accéder à un logement autonome ?

Si la crise du logement frappe l’ensemble de la société,elle a une dimension particulière pour les jeunes : l’accès àun logement indépendant et adapté conditionne la possibi-lité même de faire des études ! Si plus de deux tiers des étu-diants vivent dans un logement indépendant, le parc delogements sociaux gérés par les CROUS est si faible queseulement 7 % des étudiants ont accès à une chambre encité-U. Les étudiants sont le plus souvent contraints derester chez leurs parents ou de louer un logement dans leparc privé, souvent très cher ou insalubre. Le poids du loyerreprésente plus de la moitié du budget d’un étudiant. Lesloyers des petites surfaces, au moment de l’installation, aug-mentent beaucoup plus rapidement que l’inflation.

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Pour remédier à cette situation, il faut développer leparc locatif des CROUS et se fixer un objectif de 30 %d’étudiants logés en cité-U. Les constructions n’ont passuivi l’augmentation des effectifs étudiants. Les gouver-nements successifs n’ont même pas respecté les objectifsdu plan Anciaux de 2004, pourtant réalistes ! Il y aurgence à rattraper ce retard. Il faut débloquer des créditset mettre à disposition le foncier nécessaire. La construc-tion de nouveaux logements publics gérés par les CROUSdemeure la priorité. Non seulement parce que ces loge-ments répondent à un impératif social (les loyers sontmodérés, l’attribution des chambres se fait sur critèressociaux), mais aussi parce que la construction de nou-velles chambres aura pour conséquence de faire baisser lesloyers sur le marché privé. D’ailleurs, une action efficaceen faveur du logement étudiant ne peut pas se passer d’uneintervention forte sur le parc locatif privé. Il est urgent deréguler les loyers, de réquisitionner les logements videscomme le permet la loi, d’encadrer les baux à la reloca-tion et les loyers des petites surfaces, d’exonérer tous lesétudiants de la taxe d’habitation, de développer les sys-tèmes de cautionnement solidaire et d’augmenter les aidesau logement, qui n’ont quasiment pas évolué depuis 1994alors que les loyers ont plus que doublé !

Vous faites de la bataille pour l’égalité des droitsune priorité. Comment agissez-vous concrètementpour améliorer les conditions de vie et d’accueildes étudiants étrangers ?

Chaque année, 261 000 jeunes étrangers font le choixde venir étudier en France11. Cependant, les politiques de

11. La France est le quatrième pays le plus attractif en matière d’étudessupérieures.

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mobilité des universités ne s’intéressent qu’à une infimepartie d’entre eux12 : seuls 10 % de ces étudiants étrangersbénéficient de programmes d’échange. L’écrasante majoritéest venue à titre individuel (90 % des cas). Pour ces étu-diants, venir étudier en France relève d’un véritable par-cours du combattant. L’obtention d’un visa est soumise àune procédure longue, coûteuse et arbitraire. Une fois enFrance, les étudiants étrangers subissent une triple précaritéqui les expose à tous les abus. Précarité sociale, le systèmesocial du CROUS n’offrant que des aides très limitées13.Précarité pédagogique, en raison de la faiblesse des dispo-sitifs d’accompagnement et d’encadrement et des multiplesobstacles liés à l’intégration dans un nouveau système édu-catif, à commencer par la langue. Précarité administrative,en raison de la lourdeur et de l’incertitude des démarchesadministratives : les préfectures disposent d’un pouvoir dis-crétionnaire en la matière et l’exercent hors de toute consi-dération pédagogique ou scientifique.

La législation régissant l’accueil des étudiants étrangersen France a connu d’importants changements visant àconsolider une politique migratoire de gestion des « flux »au détriment du développement et de l’attractivité de nosuniversités. Au nom de cette politique, les étrangers venuspour étudier dans notre pays doivent faire face à unemachine administrative implacable qui fait basculer des cen-taines d’entre eux dans l’irrégularité. Ils sont les victimesimpuissantes de règles de plus en plus contraignantes rela-tives aux conditions de séjour dans notre pays, conditions qui

12. Trop peu d’établissements proposent des cours de langue françaisepour les étrangers et de méthodologie, par exemple.13. Les bourses sur critères sociaux des CROUS sont accessibles sur critères de nationalité et excluent les étudiants étrangers hors Union européenne.

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restreignent la liberté de circulation des étudiants et desconnaissances. Ces étudiants ne sont pas perçus comme unechance par l’administration, mais comme des clandestins enpuissance dont il convient de se protéger.

L’UNEF milite pour que les universités disposent desmoyens suffisants pour accueillir les étudiants internatio-naux. Ces étudiants cotisent à la sécurité sociale étudiante,suivent régulièrement leurs études, remplissent les mêmesexigences universitaires que n’importe quel autre étudiantfrançais, mais ne bénéficient pas du même droit aux études.Égaux en devoirs au sein du système universitaire, ils doi-vent l’être également en droits face à la loi. Nous réclamonsla régularisation des étudiants sans-papiers. Nous revendi-quons la primauté des critères universitaires sur les critèresdiplomatiques ou migratoires : à une inscription universi-taire décidée par un établissement doit correspondre un titrede séjour pluriannuel couvrant la totalité de la formation.L’UNEF revendique enfin l’accès de tous aux aides sociales.

Les militants de l’UNEF tiennent des permanences juri-diques au quotidien dans toutes les universités et font ainsirégulariser plusieurs dizaines d’étudiants. Nous effectuonsce travail avec des associations comme le GISTI et laCIMADE, mais aussi des associations d’étudiants étrangersque nous avons réussi à fédérer autour de nous. Ce travail apermis d’obtenir en 2006 la suppression de l’autorisationadministrative de travail, mais aussi l’élévation du quotahebdomadaire de travail de 17 à 21 heures. C’est un encou-ragement à poursuivre.

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Lutter contre le chômage et favoriser l’emploi des jeunesLe taux de chômage des jeunes a explosé enFrance ces derniers mois. Avant la crise, il flirtaitavec les 25 %, un des plus hauts taux d’Europe.Beaucoup estiment que les formations supérieuresconduisent à des impasses et ne sont pas suffisamment adaptées aux exigences du mondedu travail. Qu’en pensez-vous ?

Contrairement à certaines idées reçues, l’université n’estpas responsable du chômage des jeunes ! Le diplôme– quelle que soit la discipline – reste la meilleure arme indi-viduelle face au chômage ; les plus touchés par le chômagesont les jeunes pas ou peu qualifiés. Prétendre que l’inadé-quation des formations avec le monde du travail est la causedu chômage des jeunes masque en réalité la volonté de cal-quer les formations sur les besoins à court terme du marchéde l’emploi. Nous refusons cette logique « adéquation-niste », l’enseignement supérieur devant au contraire per-mettre une insertion professionnelle durable. Personne n’esten capacité de savoir quelles seront les perspectives derecrutement par secteur d’ici 5 à 10 ans. Il est nécessaire demieux préparer les jeunes aux futures reconversions quijalonnent désormais un grand nombre de vies profession-nelles. L’adéquation parfaite entre filières et débouchés pro-fessionnels est une illusion que certains entretiennent pourmieux se défausser de leurs propres responsabilités. Pour-quoi les entreprises ne reconnaissent-elles pas les qualifi-cations de leurs jeunes salariés par un contrat stable et unerémunération décente ? Elles savent pourtant profiter de laproductivité des jeunes diplômés en les embauchant, mêmelorsqu’ils sortent d’une université. La réalité, c’est que lapression exercée par le chômage de masse sur les conditions

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d’entrée dans la vie active des jeunes permet à certainesentreprises d’embaucher sans y mettre le prix. Et que cettesituation leur convient. Par ailleurs, depuis quand les entre-prises sont-elles exonérées de tout effort en matière de for-mation professionnelle ? Elles attendent désormais dusystème éducatif qu’il forme des salariés « prêts à l’em-ploi », sans avoir elles-mêmes à prendre en charge unepartie de leur formation comme cela était le cas par le passé.

Cela ne doit pas pour autant être un argument pour nepas agir dans l’enseignement supérieur. Les universités doi-vent donner à chaque étudiant les armes lui permettant des’insérer sur le marché du travail : prévoir des stages enca-drés et rémunérés, préparer aux entretiens d’embauche, à la rédaction de CV, améliorer l’enseignement des langueset de l’informatique, et enseigner le droit du travail à tousles futurs salariés.

Certains remettent en cause le rôle protecteur dudiplôme face au chômage et parlent au contraired’une « inflation scolaire » qui dévaloriseraitles diplômes. Quelle est votre analyse ?

Les partisans de la sélection à l’université estimentqu’elle permettrait d’améliorer la qualité des formations endiminuant les effectifs au motif que « ce qui est rare estcher ». A contrario, nous pensons que la valeur du diplômen’est pas inversement proportionnelle au nombre de diplô-més, mais qu’elle est liée à son contenu et au niveau d’exi-gence. Si l’on s’en tient aux données les plus récentes del’insertion (celles du CEREQ) sur la génération sortie en2004, observée sur le marché du travail en 2007, le diplômeest le meilleur atout pour obtenir un salaire décent et se pré-munir du chômage. Pour ce qui est du chômage, il passe de29 % pour les hommes sans diplôme à 9 % pour les titu-laires du niveau licence-maîtrise ; pour les femmes, les taux

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de chômage sont respectivement de 38 % et de 8 %. Sur lelong terme, l’élévation du niveau scolaire de la populationn’a certes pas permis de résoudre le problème du chômagede masse engendré par la croissance ralentie depuis 1973 ;mais elle a permis – comme l’ont montré Marc Gurgand,Éric Maurin, Dominique Goux et Cyril Nouveau14 – d’évi-ter que le chômage lié à l’offre d’emploi ne soit renforcé parl’insuffisance d’employabilité. L’école ne peut sans doutepas résoudre à elle seule le problème du chômage, maisaucun pays riche ne se sortira des impasses actuelles sansdes investissements massifs pour améliorer le système deformation.

Différents gouvernements ont été tentés de mettreen place des mesures spécifiques (CIP, CPE) pourrésoudre le problème du chômage des jeunes.N’est-ce pas la seule solution ?

Le problème du « chômage des jeunes » n’existe pas,c’est avant tout un problème de chômage de masse dont lesjeunes sont les premières victimes. Si les jeunes sont plusexposés au chômage que les autres salariés, notamment enpériode de crise, c’est qu’ils sont plus touchés par la préca-rité dans l’emploi. Pour diminuer le taux de chômage chezles jeunes, il faut donc avant tout créer de l’emploi au seinde l’économie. Toute réponse spécifique s’est traduite dansle passé par des dispositifs discriminants, reposant sur l’idéeque les droits des jeunes salariés seraient des « freins àl’embauche ». Sur le marché du travail, les jeunes aspirentau contraire à accéder au droit commun.

Il est donc nécessaire de mettre un terme au bizutagesocial imposé aux jeunes lors de l’entrée dans la vie pro-fessionnelle. Nous réclamons ainsi des sanctions contre le

14. Voir bibliographie p. 133.

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recours abusif aux CDD et à l’intérim, la limitation de l’em-ploi précaire dans les entreprises, une réglementation desstages, la reconnaissance des qualifications dans les conven-tions collectives et dans la fonction publique. Il faut égale-ment mettre un terme aux exonérations du droit du travailqui frappent les jeunes : pourquoi un jeune salarié en CDDde moins de 25 ans n’aurait-il pas droit à la prime de pré-carité lorsqu’il travaille l’été comme tout autre salarié ? Ilfaut enfin ouvrir de nouveaux droits aux jeunes sur lemarché du travail. Le droit à un accompagnement vers l’em-ploi et à une mise en sécurité sociale de la période d’inser-tion professionnelle par une aide à la recherche du premieremploi, à l’heure où plus de 300 000 jeunes actifs au chô-mage de moins de 25 ans ne bénéficient d’aucune indem-nisation ni minima sociaux, doit être reconnu. Pour cela, ilfaut tordre le cou au discours patronal sur le prétendumanque d’expérience des jeunes, qui justifie tous les abus :les jeunes d’aujourd’hui n’ont jamais été aussi qualifiés !

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L’UNEF, une organisationde transformation socialeQuelle définition l’UNEF donne-t-elle à son engagement internationaliste aujourd’hui ?

Cette dimension de notre action est au cœur de la Chartede Grenoble. L’UNEF est internationaliste parce que soncombat de transformation sociale par l’éducation est unvecteur universel du progrès et de la paix. L’UNEF s’inves-tit donc pleinement sur les questions internationales afin decontribuer à faire de l’éducation un droit universel. L’His-toire a d’ailleurs démontré que la jeunesse a souvent étémoteur des combats pour la paix et la démocratie à traversle monde.

L’UNEF est souvent sollicitée par des organisations étu-diantes à l’étranger pour apporter son soutien à leurs com-bats, lorsque les jeunes et les étudiants d’autres pays sontconfrontés à la précarité (Grèce, à l’hiver 2008), auxréformes libérales de l’enseignement supérieur ou auxconflits internationaux. Elle apporte son soutien à la jeu-nesse du monde qui tente de faire progresser la société versun État de droit, ou de conquérir de nouvelles libertés,comme au Maghreb notamment. L’UNEF se fixe aussicomme objectif de donner une grille de lecture aux étudiantssur la situation internationale. Notre intérêt pour la dyna-mique de transformation sociale à l’œuvre en Amériquelatine tend à se matérialiser par un voyage d’études sur place,afin de contribuer à une juste information des étudiants fran-çais. Nous combattons toute lecture ethnico-religieuse desconflits internationaux, et toute importation de ces derniersau sein des universités françaises. Parce que notre interna-tionalisme est avant tout un anti-impérialisme, l’UNEF estacteur du mouvement pacifiste. Elle a été amenée à prendre

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position contre des conflits internationaux, au Proche-Orient ou contre la guerre en Irak récemment.

Alors que le taux d’abstention lors des électionseuropéennes est toujours plus important, notamment chez les jeunes15, que représente l’Europe pour votre génération ?

Le sentiment européen des jeunes est assez paradoxal.L’Europe est pour notre génération une évidence : il existeincontestablement une communauté de destin pour lesjeunes Européens qui aspirent à la paix et au progrès. Maisla construction d’un espace de paix ne suffit pas pour unegénération qui a été moins marquée par la guerre sur le continent que les précédentes. Or, la construction euro-péenne est peu à peu devenue synonyme de mise en concur-rence et d’alignement sur le moins-disant social. Elle n’estplus protectrice pour ses citoyens, ni synonyme de progrèssocial. Partout en Europe, les jeunes refusent la perspectivede vivre moins bien que leurs parents au même âge : l’Europe y répond par davantage de précarité et de remiseen cause des services publics. L’abstention lors des électionseuropéennes exprime ce désaccord des jeunes avec uneEurope qui se construit sans eux, et souvent à l’encontre deleurs intérêts.

Dans l’enseignement supérieur, l’Europe est devenue lecheval de Troie du libéralisme. Sous couvert de mise enœuvre de la stratégie de Lisbonne ou d’application du pro-cessus de Bologne, il existe une pression à la libéralisationdes systèmes éducatifs. Cette politique a fait l’objet defortes contestations dans de nombreux pays européens de la part des étudiants en Italie, en Allemagne, ou enFrance. C’est pour l’ensemble de ces raisons que l’UNEF

15. 71 % d’abstention aux européennes de 2009.

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s’est engagée dans la bataille du « non » au référendumconstitutionnel en 2005. Les jeunes ne s’y sont pas trompés,puisque plus de 55 % des 18-25 ans ont voté non.

Un grand dessein, fût-il européen, ne fait pas forcémentune bonne politique. Les orientations de la construction euro-péenne doivent changer de cap. Nous aspirons à une Europeplus démocratique, dans laquelle les citoyens ont prise sur lesdécisions qui les concernent. Le passage en force sur le traitéde Lisbonne est de ce point de vue une insulte à tousles citoyens européens. L’Europe de l’éducation doit voir lejour. Nous demandons l’élaboration d’un traité européen surl’éducation, assorti d’un budget spécifique, et garantissantune harmonisation par le haut des droits étudiants (libre accèsà l’université, limitation des droits d’inscription, statut socialde l’étudiant européen, cadre européen des formations per-mettant une reconnaissance effective des diplômes). Lamobilité étudiante doit devenir un droit pour tous. Un fondseuropéen à la mobilité destiné à compenser les différences decoût de la vie des étudiants en mobilité doit être créé, ainsiqu’un fonds de cohésion universitaire, afin de lutter contre le« dumping universitaire ».

Comment les étudiants s’organisent-ils au niveaueuropéen ?

Face à l’européanisation des enjeux éducatifs, il nousest apparu indispensable de construire une réponse syndi-cale au niveau européen. En 1983, l’UNEF a été à l’originede la fondation de l’ESIB, devenue l’ESU (European Stu-dent Union). Elle constitue la fédération des organisationsétudiantes européennes. La diversité des traditions syndi-cales constitue parfois une difficulté. Au sein de l’ESU,l’UNEF tente de convaincre l’ensemble des organisationsde prendre des positions syndicales sur la question des ser-vices publics ou sur celle de la démocratisation.

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Vous dites que vous vous battez pour l’égalitéentre les femmes et les hommes. Ce combat est-iltoujours d’actualité ?

Plus que jamais. C’est même certainement l’un des plusdifficiles en ce qu’il remet en cause des millénaires dedomination masculine. Cette domination est présente danstoutes les sphères de notre société : dans le droit, le travail,les rapports familiaux, l’école… Et la réalité est toujoursviolente. À poste égal, les femmes touchent 20 % de salaireen moins. Une femme sur dix subit des violences conju-gales. Si, en France, les femmes sont majoritaires parmi lesétudiants (56 %), elles sont nettement minoritaires dans lemonde de la recherche : elles représentent un tiers des cher-cheurs et 40 % des maîtres de conférences. Les femmesreprésentent 76,4 % des effectifs étudiants dans les filièreslittéraires et 27,8 % dans les filières scientifiques. Plus onmonte dans la hiérarchie professionnelle, moins on trouvede femmes. Ainsi, en 2006, on dénombre seulement 18,5 %de femmes professeurs d’université16. Au CNRS, lesfemmes ne représentent que 25 % des directeurs derecherche 2e classe et 12 % des directeurs de recherche1re classe17.

Le principe de laïcité a été fortement remisen cause ces dernières années. Quelle est votreposition ?

Cent ans après le vote de la loi de 1905, la laïcité estplus que jamais un combat d’actualité. Le fait religieux, quel’on croyait sur le déclin, renaît et occupe une place de plusen plus importante dans la société. Nous assistons au délitement du vivre ensemble républicain au profit du

16. E. Latour, Mouvements, 2008. 17. Enquête CNRS, dirigée par Catherine Marry, 2005.

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communautarisme, particulièrement encouragé par NicolasSarkozy. À l’échelle internationale, le monde est traverséde conflits politiques dégénérant en affrontements ethnico-religieux. Face aux développements du communautarismeet aux replis religieux, la laïcité accepte et respecte l’autreavec ses différences, mais refuse que la différence soit exal-tée en droit à la différence ; elle refuse l’enfermement dansune identité particulariste qui sépare ou oppose. La laïcitépermet de définir des règles protectrices : elle garantit laliberté religieuse dans la sphère privée et protège l’espacepublic des atteintes à l’universalisme.

Par manque de volonté politique ou par renoncement,les forces progressistes ont bien souvent été en recul surcette question. Nous entendons au contraire porter lecombat laïc avec ambition, car la lutte contre l’emprise surla société de vérités révélées, se posant comme infaillibles,est une condition de la transformation sociale et de l’éman-cipation. Pour l’UNEF, ce combat est particulièrementconcret. Il se mène de front avec le combat contre toutes lesdiscriminations. La liberté de conscience de chacunimplique que l’institution universitaire soit préservée de la diffusion de toute parole religieuse, au sein et hors desenseignements. L’université est le domaine de la science, du débat, de la critique. La foi relève de l’intime convictionet ne souffre pas la contestation : elle ne trouve donc pas sa place dans l’espace universitaire. Nous refusons parexemple l’instauration de règles spécifiques en fonction desobligations religieuses des étudiants. Si les établissementsdoivent essayer, dans la mesure du possible, de tenir comptedes dates des principales fêtes religieuses pour l’organisa-tion des examens, il serait inacceptable de vouloir imposerun calendrier à l’ensemble des étudiants au nom descroyances personnelles de quelques-uns. De même, s’il estnormal de généraliser le choix entre les plats aux RU pour

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respecter les choix de chacun, il serait scandaleux de servirdes plats préparés selon les rites de telle ou telle religion.Nous nous battons pour un enseignement supérieur fondésur la science et la raison. La puissance publique ne doit pasvalider de diplôme sanctionnant des études religieuses. Enrevanche, l’enseignement supérieur doit permettre uneapproche historique et scientifique des religions. Nous refu-sons le financement et la reconnaissance des diplômes desétablissements privés confessionnels par l’État.

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Jeunesse en crise…

La mobilisation contre le CPE a mis en évidence les dif-ficultés des jeunes. La crise économique actuelle les amplifie.La situation de la jeunesse appelle un débat et des réponsespolitiques qu’il est désormais impossible d’éviter.

À l’occasion de l’élection présidentielle de 2007, un faitsemble être passé inaperçu. Pour la première fois dans uneélection présidentielle, le chef de l’État n’a pas été élu avecles voix de la jeunesse. Alors que Jacques Chirac obtenait55 % des voix des 18-24 ans en 1995, et que François Mit-terrand en obtenait 60 % en 1981, Nicolas Sarkozy ne ras-semble que 42 % des suffrages des moins de 25 ans. Lafracture générationnelle constatée dans la rue lors de mobili-sations de la jeunesse s’est confirmée dans les urnes : ce sontles générations les plus anciennes qui ont décidé de l’orien-tation politique de la nation pour les jeunes générations.

Ce résultat fait éclater au grand jour le rapport difficiledes jeunes à la politique face auquel nous ne pouvons restersans réponse : abstention record, malgré une vague d’ins-criptions sur les listes électorales à la hauteur des espoirsplacés dans ce scrutin, effacement du clivage gauche-droite,décrochage entre les aspirations des jeunes et les réponsesdes partis, sentiment d’impuissance du politique.

Mais ce constat ne peut se limiter à une simple péripé-tie de sociologie électorale : il doit être considéré comme lerévélateur d’une crise bien plus profonde, d’un décrochagedangereux entre les jeunes et la représentation politiquesource de défiance grandissante. Il témoigne non seulementdu décalage entre le candidat de l’UMP et une jeunesse quirefuse que son avenir se limite à « travailler plus pour

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gagner plus », mais également de l’inquiétude d’une géné-ration qui sait qu’elle vivra moins bien que les générationsprécédentes. Et qui a trop souvent le sentiment de ne pasêtre entendue.

Depuis de nombreuses années, nous sentons montercette lame de fond d’une jeunesse qui refuse le sort qui estle sien et l’avenir qu’on lui réserve. Manifestations au len-demain du 21 avril 2002, mouvement étudiant en 2003,lycéen en 2005, révoltes dans les banlieues la même année,mobilisation contre le CPE en 2006, mouvement étudiant etlycéen en 2007, 2008 et 2009 : tous les bilans n’ont pas ététirés des mobilisations de la jeunesse qui se sont accéléréesces dernières années. Elles exprimaient pourtant un mêmemalaise : celui d’une « génération CPE » qui refuse la pré-carité qu’on lui impose, les discriminations qui la frappent,les inégalités qui la minent, l’absence totale de reconnais-sance qui la condamne au silence.

Ces mouvements à répétition sont un avertissement trèsgrave. Notre société traverse une crise démocratique etsociale majeure. Nous assistons à une déconnexion crois-sante entre les attentes des citoyens et les politiques misesen place. Pire, il n’existe plus aucun moyen de se faireentendre. Le bulletin de vote n’apparaît plus comme unmoyen décisif de peser sur le cours des choses, les mobili-sations sociales sont ignorées, les mouvements de jeunessesont méprisés. Les violences dans les banlieues ne sont queles tristes expressions de cette crise. Non reconnus, non pro-tégés socialement, les jeunes font face à une société quirenonce à leur offrir des perspectives d’ascension socialepar l’école.

Pire, un sentiment de trahison gronde : ces jeunes que l’on encensait hier lors de l’élection sont aujourd’huistigmatisés par une politique du bouc émissaire. Fichagehonteux dès 13 ans qui considère les mineurs comme des

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délinquants en puissance, durcissement de la justice des mineurs, instauration de peines planchers qui enfermentdans la récidive plutôt que d’accompagner vers la réinser-tion : parce que c’est porteur électoralement, le gouverne-ment cherche à faire peur à la société dans son ensemble enmontrant du doigt une jeunesse que décidément il ne sait niécouter ni comprendre.

Le « malaise de la jeunesse » n’est ni un vague à l’âmepassager, ni un léger moment de dépression. La jeunesse n’estpas « une maladie dont on guérit vite », comme le prétend la présidente du MEDEF, Laurence Parisot. Ma génération estplongée dans un univers d’une violence inouïe dans lequel la peur du lendemain vient amputer le dynamisme naturel de l’âge. C’est, pour la jeunesse, la fin de l’insouciance.

Même si les jeunes sont frappés par les inégalitéssociales qui traversent notre société, la jeunesse se caracté-rise par une condition sociale commune marquée par la pré-carité, un même besoin de formation et une aspirationcommune à l’autonomie. C’est pour ces raisons que nousrefusons la division entre deux jeunesses aux aspirations etaux besoins contradictoires, l’une scolarisée et privilégiée,l’autre exclue de toute formation et en déshérence. Ceuxqui font des études sont perdus dans la complexité des par-cours, la vétusté des lieux d’enseignement, l’absence debourses et de logements étudiants. Ceux qui ne font plusd’études sont soit au chômage, soit trop souvent employésdans des conditions de précarité scandaleuses. Pas étonnantsi les jeunes voient l’avenir avec désespoir : ils se retrouventen concurrence avec des salariés aussi bien formés qu’euxet dix fois moins chers ; la crise économique actuelle leurprépare des années de galère ; la crise démographique leurrappelle qu’ils commenceront très tard à financer très malune retraite très basse ; la crise écologique enfin leur laisseentendre que le monde sera de plus en plus étouffant. La

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violence de la société est une réalité pour tous les jeunes.Est-elle plus acceptable que la violence qui s’exprime par-fois en retour ? Je ne le crois pas. Le malaise s’exprimeaujourd’hui dans l’ensemble de la jeunesse.

La démocratisation scolaire s’est heurtée à l’insuffi-sance des moyens et à des renoncements politiques quiaujourd’hui la fragilisent. Si le diplôme reste une protectioncontre le chômage, il n’est plus une perspective d’ascensionsociale. C’est le signe d’une société qui régresse. L’excep-tionnelle ambition de former au plus niveau une partieimportante de la jeunesse a été peu à peu délaissée. C’estnotamment parce que la République a abandonné ce des-sein que la jeunesse s’inquiète pour son avenir.

L’emploi, autrefois passage vers le monde adulte, estdevenu une « chance », à tel point qu’il faudrait en accep-ter toutes les conditions, même les plus humiliantes. Ledéveloppement du chômage de masse exerce une pressionà la baisse sur les droits des jeunes, qui entraîne déqualifi-cation et précarité sur le marché du travail.

La France vieillit, la jeunesse s’appauvrit. Cette évolu-tion démographique accrédite l’idée d’un deal passé sur ledos des jeunes. Pourquoi donc s’acharner à reculer l’âge dedépart en retraite ou à favoriser le cumul entre retraite etemploi à l’heure ou 25 % des 18-25 ans sont au chômage ?

La jeunesse n’est pas reconnue socialement. Elle esttenue pour une génération a priori suspecte, sommée de pré-senter un certificat de civisme, voire de moralité, avant depouvoir prétendre à une formation ou à un emploi stable. Elleest même parfois culpabilisée pour le bénéfice de servicespublics auxquels elle ne contribuerait pas suffisamment, enparticulier l’université qu’il faudrait rendre payante pourmieux « responsabiliser » les étudiants.

Ces difficultés d’une jeunesse à l’abandon sont ampli-fiées en période de crise économique. Celle-ci, plus dure,

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risque d’avoir les effets les plus longs pour les populationssocialement fragiles. Pour les jeunes en formation, en inser-tion ou au chômage, elle amplifie l’absence de statut social.La précarité de l’emploi place les jeunes en première lignedes destructions d’emplois et de l’augmentation du chô-mage. Ils affrontent ces difficultés sans aucune protectionsociale : exclus des minima sociaux avant 25 ans, ils sont300 000 jeunes actifs au chômage sans aucune indemnisa-tion ! Les jeunes insérés au lendemain de la crise de 1993connaissent aujourd’hui encore des conditions d’emploi etde rémunération moins bonnes que les autres. Si rien n’estfait rapidement, c’est donc une génération entière qui risquede traîner comme un boulet ses difficultés d’insertion duesà la crise.

Cette situation vient heurter de plein fouet les hymnesà la réussite individuelle. Pendant les années 1980 et 1990,le discours dominant a consisté à faire miroiter la réussiteà ceux supposés s’en donner les moyens. C’était le tempsrêvé des années Tapie et de la génération des golden boys.Mais les jeunes ne sont plus dupes de ce mythe dela réussite individuelle qui laisse surtout jouer à plein lesinégalités. Par leurs mobilisations, ils expriment aucontraire leur résistance à l’individualisme et au dressagelibéral des esprits auxquels la précarité les soumet. Ilsrefusent cette société plus injuste, plus inégale, plus dure,où seuls ceux disposant des rentes issues de la naissancepeuvent s’en sortir. Ils aspirent à un autre horizon desociété que celui que le libéralisme leur propose. Ils expri-ment une même demande d’égalité, garantie par le servicepublic, et le besoin de nouvelles protections collectives,sans lesquelles l’émancipation ne resterait réservée qu’àquelques-uns.

Pour répondre aux difficultés de la jeunesse, il ne suffitdonc pas de rajeunir le casting lors des élections ou de

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mettre des jeunes au premier rang des meetings pour capterleurs suffrages. Il convient de porter une attention sincère àleurs aspirations. Et d’offrir un débouché politique à leursinquiétudes. Il est plus que temps que la société s’adresse àsa jeunesse et lui offre des perspectives.

La crise pose l’exigence de nouvelles protectionssociales pour les jeunes en phase avec la société. Le statutsocial pour les jeunes en formation et l’allocation d’auto-nomie ne sont plus de doux rêves inatteignables. Ils doiventtrouver une traduction dans les politiques à venir. Un nou-veau souffle doit être donné à la démocratisation universi-taire et les réformes doivent tendre vers l’objectif impératifde réussite du plus grand nombre, au lieu d’enfermer l’uni-versité dans la concurrence et des logiques de court terme.Les difficultés des universités ne proviennent pas d’une tropgrande présence de l’État, mais plutôt des renoncementssuccessifs de celui-ci. Il est enfin nécessaire de mettre unterme au « bizutage social » imposé aux jeunes lors de l’en-trée dans la vie professionnelle.

Voilà quelques pistes de réflexion faisant écho auxrevendications exprimées ces dernières années. Nous lan-çons donc un avertissement très clair : si la société n’ad’autre perspective à offrir à sa jeunesse que la déqualifica-tion, la précarité et le chômage, elle pose les bases d’unerupture durable avec notre génération. Et les jeunes n’at-tendront pas sagement une hypothétique alternative en 2012pour obtenir des réponses.

Jean-Baptiste PrévostPrésident de l’UNEF

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Table

Avant-propos 7

Le syndicalisme comme réponse à la loterie libérale 9

Une jeunesse centenaire : brève histoire de l’UNEF 18

Notre organisation 63

L’UNEF dans son milieu 69

Notre conception du syndicalisme 82

Changer l’université pour transformer la société : le projet syndical de l’UNEF pour la jeunesse et l’enseignement supérieur 95

Pour une nouvelle étape de la démocratisation de l’enseignement supérieur : vers l’université des 3 millions d’étudiants 95

Pour un statut social pour les jeunes en formation 107

Lutter contre le chômage et favoriser l’emploi des jeunes 117

L’UNEF, une organisation de transformation sociale 121

Jeunesse en crise… 127

Bibliographie 133

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Pour contacter l’UNEF

UNION NATIONALE

DES ÉTUDIANTS DE FRANCE

112 boulevard de la Villette 75019 Paris

Tél. : 01 42 02 25 55Fax : 01 42 02 01 22

e-mail : [email protected] : www.unef.fr

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(Suite de la page 4)

Jean-François Bernardin, À quoi sert une chambre de commerce et d’industrie ? (3

e

éd. en préparation)

Alain Griset, À quoi sert une chambre de métiers ?Luc Guyau, À quoi sert une chambre d’agriculture ?

Qu’est-ce que la Ligue des droits de l’Homme ?Qu’est-ce que SOS Racisme ?Qu’est-ce que la Ligue de l’enseignement ?Qu’est-ce que l’Office central de la coopération à l’école ?Qu’est-ce que l’UNAF ?Qu’est-ce que la Fédération unie des auberges de jeunesse ?

Claude Perrotin, Yvette Ladmiral, Oui ou non à la Constitution euro-péenne ?

Claude Perrotin, Yvette Ladmiral, Élections européennes 2009 – le guide.

Claude Perrotin, Élysée 2007, le guide de la présidentielle.Claude Perrotin, Pour qui voter ? Présidentielle 2007.

À PARAÎTRE

Qu’est-ce que le SNUIPP ?Qu’est-ce que la Fédération Santé Action sociale CGT ?Christine Boutin, Qu’est-ce que le Parti chrétien-démocrate ?Qu’est-ce que Greenpeace ?

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Ouvrage composé par Atlant’Communication

au Bernard (Vendée).

Achevé d’imprimer sur offset par

La Flèche (Sarthe)en mars 2010

pour le compte des Éditions de l’Archipeldépartement éditorial

de la S.A.S. Écriture-Communication.

Imprimé en FranceN° d’impression :

Dépôt légal : avril 2010

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