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Luiz Eduardo Prado de Oliveira - Les Meilleurs Amis de La Psychanalyse

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Du même auteur www.pradodeoliveira.org

Les pires ennemis de la psychanalyse Montréal, Liber, 2009. Freud et Schreber, les sources écrites du délire, entre psychose et culture Toulouse, Érès, 1997. Organisateur Towards a postanalytical vieux of the Schreber case New York, SUNY, 1988. Schreber et la paranoïa : le meurtre d’âme Paris, L’Harmattan, 1996. Transmission et secret Le Coq-Héron, Toulouse, Érès, 2002. Traducteur Le cas Schreber, contributions psychanalytiques de langue anglaise Paris, Presses universitaires de France, 1979. Les Controverses entre Anna Freud et Melanie Klein Paris, Presses universitaires de France, 1996. Participations « Le contre–transfert, un exemple : le débat sur la psychanalyse et la pédagogie entre Anna Freud et Melanie Klein » L’Enfant et sa famille : entre pédagogie et psychanalyse Toulouse, Érès, 1997. « Sublimation et symbolisation : retrouvailles et fêtes » La fête de famille In Press Éditions, 1998. « Le contre-transfert et les origines de la technique analytique » Les femmes dans l'histoire de la psychanalyse Le Bouscat, L'Esprit du Temps, 1999. « On autism, schizophrenia and paranoia in children : the case of little Jeremy » A language for psychosis : the psychoanalysis of psychotic states Londres, Whurr Books, 2001.

Liminaire

Ce livre prend source dans la traduction des Controverses entre Anna Freud et Melanie Klein, publiée aux Presses universitaires de France, en 1996. À l’époque, leur traducteur, auteur du présent ouvrage, signalait que ce titre inadéquat recouvrait des conflits d’une autre ampleur, issus des contradictions de Freud et des premiers psychanalystes sur la formation et l’institution psychanalytiques. En effet, il est impossible de concilier « attention flottante », « précision chirurgicale », transmission et institution dans le domaine.

À partir de cette traduction des Controverses, vint au jour, Les pires ennemis de la psychanalyse : contribution à l’histoire de la critique interne, dont le titre aurait gagné à être précisément L’horreur de la psychanalyse, comme l’a suggéré notre ami, Jacques Sédat. Car la formation et l’institution psychanalytiques constituent les domaines où échoue cette libre association. Dans ce livre, l’auteur étudie de manière minutieuse les critiques faites à la transmission de la psychanalyse et à son institution dans leur histoire. Deux longs articles, dont un inédit, résument et apportent une contribution fraîche à la compréhension des Controverses. Contribution à l’histoire de la critique interne est un sous-titre qui fait référence aux luttes politiques qui ont succédé à la prise du pouvoir par le parti bolchevik en Russie.

En quelque sorte, ce titre de « pires ennemis » est un hommage posthume à Pierre Fédida. Questionné au sujet de l’existence des ennemis de la psychanalyse, notre ami de toujours a eu le courage de répondre : « Les pires ennemis de la psychanalyse se trouvent dans la maison des psychanalystes, parmi nous. »

Les pires ennemis de la psychanalyse : contribution à l’histoire de la critique interne, a connu un destin curieux, lié aux avatars des confusions entre institutions psychanalytiques et maisons d’édition. Il a été accepté dans une collection dirigée par un collègue d’une association psychanalytique de France pour une publication en 2009. À la lecture de son dernier chapitre, ce collègue a changé d’avis, communiquant son refus de poursuivre son travail éditorial à l’auteur. En même temps qu’il le faisait, il transmettait le manuscrit pour fabrication à notre maison d’édition, L’Harmattan, ce qui n’a été découvert qu’à l’occasion du livre actuel, Les meilleurs amis de la psychanalyse.

Il s’agît sans doute des suites de cette même ambivalence si présente dans certaines institutions. En effet, en 1986, lorsque j’ai présenté ma candidature en tant que membre de l’association en question, celle-ci a été retenue par six votes favorables contre trois votes défavorables. Une trentaine de personnes se sont abstenues. En démocratie, ce résultat correspond à une élection. Parfois, l’association psychanalytique a partagé un point commun avec certaines universités : celui de considérer un vote blanc ou une abstention

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comme vote négatif. C’est une pratique curieuse, dont le caractère démocratique est contestable. C’est une pratique sans fondement, qui rend impossible toute innovation ou transformation importante. En l’occurrence, des membres titulaires ayant participé à ce vote ont témoigné du déchaînement de violence : renversement d’une décision majoritaire à l’ombre de l’instauration d’une dynamique inamicale dans la vie institutionnelle, liée à l’ancienne ambivalence envers les analystes en formation. L’ambivalence a été signalée par un Reik ou un Balint. Les votes valent ce qu’ils expriment et rien d’autre. La correction est toujours un geste amical.

Les meilleurs amis de la psychanalyse sont certainement ceux qui la fréquentent, patients, psychanalystes, mais aussi éditeurs, libraires, bibliothécaires, centres de santé et ainsi de suite. Il est évident que, dans son existence, la psychanalyse a compté bien plus d’amis que d’ennemis. Ceux-ci, sauf exceptions nationales temporaires, n’ont jamais été bien méchants. Ceux qui crient « au loup » veulent fuir le débat d’idées ou, comme dans la fable, cherchent à attirer l’attention.

L’ami de la psychanalyse est un titre lié à Bleuler, déjà critique de l’habitude de Freud de se plaindre de persécutions imaginaires. Les meilleurs amis de la psychanalyse présente un moment important de l’histoire de cette discipline, quand des psychanalystes essaient de dépasser les traumatismes inauguraux de la psychanalyse au moyen d’échanges francs. Il gagne à être lu en parallèle aux livres déjà mentionnés, car les maux qui nous affligent, s’aggravent, en se tissant dans un langage ésotérique ou sectaire, éloigné du parler quotidien et littéraire, commun aux premiers psychanalystes. Ésotérisme et sectarisme tuent la psychanalyse au lieu de la revigorer.

Les pires ennemis ont montré les critiques dont souffre la psychanalyse. Les meilleurs amis montre comment travailler pour les surmonter nos difficultés : en décrivant nos croyances et nos manières de faire. Nous connaissons tous la prière d’Oscar Wilde : « Seigneur, protégez-moi de mes amis, car de mes ennemis je m’en occupe ! »

Traductions, philosophies, psychanalyses Quelques uns des principaux analystes du siècle dernier témoignent ici

de leur philosophie sur l’exercice de leur art et sur la formation qu’ils dispensent. Le faire, est une preuve d’amitié envers cette discipline et ce n’est pas un hasard si cela se passe en Grande-Bretagne. Ce sont :

Edward Glover, analysé par Karl Abraham, aurait dû être le successeur d’Ernest Jones et a conduit la psychanalyse anglaise pendant quelques décennies ;

James Strachey, analysé par Freud, a été l’organisateur et le traducteur principal de la Standard Edition ;

Marjorie Brierley, analysée par Glover, se démarque de lui avec finesse ; Anna Freud, analysée par son père, héritière de son œuvre, et deuxième

analyste de Winnicott ; Melanie Klein, analysée par Sandor Ferenczi et par Karl Abraham, avant

de devenir la première analyste de Winnicott, elle inspire la première révolution psychanalytique ;

Ella Freeman Sharpe, analysée par Sachs, première psychanalyste à s’intéresser à la question de la métaphore et à la théoriser ;

et, enfin, Sylvia May Payne, analysée par Sachs et ensuite par James Glover, elle fédère et inspire les psychanalystes de la Société britannique.

Chacun prend la parole et la plume : l’écrit fonde le dit, de manière à écarter la possibilité de dire une chose et son contraire ; les citations doivent être clairement référencées. Leurs témoignages forment ce noyau des controverses qui ont assailli le monde psychanalytique de langue anglaise et, en conséquence, ceux qui en dépendaient1. Quand les réunions administratives révèlent leurs limites, quand les explications théoriques tournent en rond, les explications personnelles et intimes s’imposent. Chacun se propose de dire ce qu’il entend par ce qu’il dit et par ce qu’il fait. Difficile exercice, qui exige du courage. C’est le mérite et la gloire du mouvement psychanalytique anglais dans sa rencontre avec son héritage d’Europe centrale et du nord, dont descend le groupe kleinien, qui articule la pensée des premiers psychanalystes entre eux : Freud, Abraham et Ferenczi, mais aussi Ophuijsen, Radó et Tausk, sans oublier ni la tradition empirique

1 Les controverses entre Anna Freud et Melanie Klein, Paris, PUF, 1996, édité par P. King et R. Steiner, préface d’A. Green, traduction revue et corrigée de l’édition originale par Prado de Oliveira et Marie-Christine Vila. Le présent volume correspond à la troisième partie de cet ouvrage. Son édition actuelle, séparée de son ensemble d’origine, est inspirée par Rosine J. Perelberg, de la Société britannique de psychanalyse, à qui je dois aussi d’avoir traduit les Controverses. Le séminaire animé par Dominique Caïtuccioli sur la psychanalyse britannique, à Espace Analytique, a permis de mûrir le désir de voir paraître ce texte. Sa publication a été amicalement permise par les Presses universitaires de France.

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anglaise ni Fairbairn2. La révolution kleinienne se situe à la convergence des travaux de ses auteurs.

L’histoire ancienne éclaire l’histoire contemporaine. Et ouvre des

chemins. De te fabula narratur. Le mot « excommunication » apparaît pour la première fois dans la littérature psychanalytique le 8 mars 1944, dans le Rapport définitif du Comité de formation de la Société britannique de psychanalyse. Il marque durablement et profondément l’histoire de la psychanalyse en France et est un symptôme des troubles du mouvement psychanalytique : la passion de l’excommunication. D’une manière générale, les sources britanniques de la « crise lacanienne » sont peu connues et moins étudiées encore. La pratique des « enquêtes » et comités afférents auprès des membres de la société date aussi de cette période. Par une perversion de l’institution, l’excommunication qui aurait dû frapper Melanie Klein est exportée et vient frapper Lacan, qui, contrairement à Klein, mais comme Glover, démissionne sans prendre de précautions. Ruptures d’amitié qui n’entament en rien la fidélité à une cause commune.

Les rapports ici en question mettent fin à une grave crise du mouvement psychanalytique. L’inimitié de Glover se transforme en solide amitié des autres membres de l’institution. C’est dire l’importance de ces rapports et celle des débats qui y eurent lieu pour la psychanalyse en général et pour la représentation que la psychanalyse française s’en est faite.

Vers la moitié des années 1940, la Société britannique était au bord de la fragmentation. Toute sorte de conflits s’y amoncelait : personnels, théoriques, institutionnels, sur fond de violentes relations transférentielles. Conflits violents entre Melanie Klein et sa fille, Melitta Schmideberg, d’une part, entre Melanie Klein et Edward Glover, d’autre part, aussi mélodramatiques ; conflits radicaux entre Glover, Rickman et Bowlby, axés aussi autour de la valeur de la participation de chacun à une guerre qui avait failli anéantir l’Angleterre et qui menace de les anéantir dans leur pensée ; conflits de principes entre Glover et Strachey.

Lors de cette crise, le mouvement psychanalytique anglais a été soumis à une tension particulière : celle de la confrontation des langues et de leurs traductions. Seul le mouvement psychanalytique américain a connu une tension similaire. Ces psychanalystes parlent différentes langues et traduisent.

2 Voir Prado de Oliveira, “L’enfant d’éléphant”, Cahiers Confrontation, Paris, Aubier-Montaigne, Printemps 1981 n° 5, pp. 157–170. Plus récemment aussi, S. Parmentier, Comprendre Melanie Klein, Paris, Armand Collin, 2009.

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Freud caricature la philosophie La traduction va de pair avec une philosophie, quand elle ne l’a pas

comme fondement. L’une des dernières lignes écrites par Freud est un commentaire philosophique au sujet de Kant, contre qui il prétend avoir raison, alors que l’un et l’autre semblent affirmer la même chose. Importance intime de la philosophie dans la création de la psychanalyse. Et énorme. En fait, le rapport de Freud à la philosophie est bien ambivalent. Il ne semble pas en être un studieux, ni s’y être intéressé vraiment, quoiqu’il semble aimer s’en parer, fût-ce pour la dénigrer ou comme argument d’autorité. En tout cas, les arguments qu’il déploie dans le texte mentionné par Strachey présenté ici sont surprenants. Freud propose une caricature de la philosophie qui tient des lieux communs. Ensuite, il revendique facilement un avantage à la psychanalyse. En effet, la philosophie est loin de partir « de quelques concepts de base rigoureusement définis, avec lesquels (elle) tente de saisir l’univers puis, une fois achevé, n’a plus de place pour de nouvelles découvertes et de meilleurs éléments de compréhension. » Comme nous ne savons pas à qui Freud se réfère, nous restons dans l’incompréhension. Et ce qu’il avance est douteux pour la plupart des philosophes. Ni même Kant ou Hegel, qui ont tellement marqué la pensée de Freud, ne présentent les traits qu’il décrit. La philosophie a été tout au long de son histoire bien plus proche de la pratique que Freud ne le prétend. La psychanalyse ne s’attache pas autant que Freud le propose « aux faits de son domaine d’activité ». Elle a été tentaculaire, s’étendant à une multiplicité de domaines et elle a défini des « principes immuables », que Freud prétend être le fait de la philosophie. En 1923, Freud affirme ces principes : « LES PILIERS DE LA THEORIE

PSYCHANALYTIQUE : l’hypothèse de processus animiques inconscients, la reconnaissance de la doctrine de la résistance et du refoulement, le prix accordé à la sexualité et au complexe d’Œdipe sont les contenus principaux de la psychanalyse et les fondements de sa théorie, et qui n’est pas en mesure de souscrire à tous ne devrait pas se compter parmi les psychanalystes3. » Non seulement la psychanalyse possède des principes immuables, mais ils excluent. L’excommunication est présente à ses fondements. Freud en tant que grand excommunicateur : de Stekel, d’Adler, de Jung, de Tausk, de Rank, menaçant d’excommunier Ferenczi, même après sa mort. Plus tard, l’Association psychanalytique internationale reprend cette vocation excommunicatrice : Fromm, Horney, Lacan, les plus connus. Aujourd’hui elle semble se raviser quant à l’intérêt d’une telle pratique, mais il n’en reste pas moins que tout rêve de « pureté » élimine et exclue : il lui faut, par définition, de la « souillure ». Certains « excommuniés » ont formé leur propre institution. D’autres, non. La « philosophie » apparaît comme l’un 3 S. Freud (1923), «“Psychanalyse” et “Théorie de la libido”», Œuvres Complètes, XVI, Paris, PUF, 1991, traduction de J. Prolégomènes et collaborateurs, pp. 197 et 183.

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des principaux domaines par rapport auxquels Freud entend démarquer la psychanalyse. Il entend exclure la philosophie.

Pourtant, aucune raison n’existe de les attaquer, philosophie ou philosophes. « Philosophie » veut dire simplement « amitié du savoir ou de la sagesse ». La psychanalyse est une philosophie pratique bien proche des stoïciens, ou encore de Hume, à qui Freud doit beaucoup, et ainsi de suite. Les questions relatives au désir, au rêve, au savoir et à la vérité sont autant psychanalytiques que philosophiques.

Dans les pages qui suivent, Strachey anticipe et critique la plupart des arguments contre la psychanalyse avancés par certains philosophes du XXème siècle. De même, Marjorie Brierley, formule ce qu’il convient d’entendre par « science » avec une précision qui devance tous les arguments de l’épistémologie. Ella Sharpe la reprend.

Confusions de langues Chacun des participants à ces débats a un rapport particulier à sa propre

langue et à la langue étrangère, dans un foisonnement dont l’axe principal était constitué par un tissage entre l’anglais, l’allemand et le hongrois. Strachey et sa femme font leur analyse avec Freud, en se partageant son divan, en même temps qu’ils commencent à le traduire. Edward Glover, son frère James et Melanie Klein en font autant avec Karl Abraham, quasiment en même temps. Anna Freud fait la sienne avec son père, qui voulait en garder le secret, de manière peu plausible. Sharpe et Payne font la leur avec Hans Sachs. Chacun passe de l’anglais à l’allemand, aller-retour.

Ces confusions de langues s’expriment souvent4. Confusion entre

l’anglais du XXème siècle et celui du XIXème, que revendique Strachey en théorie, sans la mettre tout à fait en pratique. Confusion de langues entre Strachey et sa femme, ayant un même analyste. Confusion de langues de Glover, qui utilise, pour comprendre l’institution psychanalytique, des modèles de raisonnement politiques. Confusion de langues entre un père-analyste et sa fille-patiente. Le symptôme le plus éclatant de ces confusions semble être l’anglais de Melanie Klein, dont Alix Strachey est la traductrice et, à ce titre, l’une des premières à commenter le caractère rocailleux de son langage, à la limite du supportable, certainement envahissant. La

4 Ferenczi a été le premier psychanalyste à évoquer, dans un autre domaine, la “confusion de langues”. Sa description correspond aux rapports de Freud, père, à sa fille Anna. Voir son article “Confusion de langue entre adultes et l’enfant”, Œuvres complètes, IV: 1927-1933, Paris, Payot, 1982, pp. 125-138, traduit par l’équipe de traduction du Coq-Héron. Au sujet de la psychanalyse et des langues, et particulièrement sur ce titre de Ferenczi, simplement “Catastrophe” dans l’original en hongrois, voir B. Cassin, “...et les langues”, dans Ferenczi après Lacan, sous la direction de J.-J. Gorog, Paris, Hermann Éditeurs, 2009.

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transmission se fait dans la confusion, jusqu’au moment où la dissémination de cette Babel impose des aménagements théoriques. Tout cela, je l’ai longuement et minutieusement étudié5.

Mais il y a aussi d’autres facteurs qui déterminent la langue de chacun. La langue de Glover est une langue de pouvoir institutionnel et administratif, même si elle comporte des conséquences théoriques de taille. Il ne doute pas que l’on puisse le contredire et, quand il se rend à l’évidence de cette contradiction, sa langue se raidit et se trouble. La langue de Strachey est celle du pouvoir créateur. C’est lui qui prépare la Standard Edition et qui détient la vérité de Freud en anglais. Son approche du pouvoir est différente de celle de Glover et il utilise l’humour, qui, pour être discret, est tout aussi puissant. Les implications théoriques des interventions de Strachey renforcent la démocratie et la circulation des idées. Marjorie Brierley a un esprit scientifique et elle l’apporte à la psychanalyse. Son anglais est légèrement guindé, ses mots sont recherchés. Problématique encore est la langue d’Anna Freud. Alors qu’elle maîtrise l’anglais, elle a peur et se sent offensée. Son anglais est tortueux. Elle en fait même une théorie : « Ce qui est naturel pour un auteur de langue allemande, allusions, analogies, imagerie, etc., est trop fleuri et inacceptable pour le lecteur anglais ; à l’inverse ce qui se donne comme expression précise en anglais, frappe l’allemand par son aridité. Il y a toujours les idiomes qui défient la traduction. Les citations familières aux lecteurs d’une culture ne séduisent pas transplantées dans une autre. Il y a encore les nuances d’expression locale, qui troublent tout étranger qui aurait appris la langue selon un autre usage local6. » En revanche, les langues de Melanie Klein, de Sylvia May Payne et d’Ella Freeman Sharpe, sont remarquablement précises et pratiques. Un peu trouble peut-être pour Melanie Klein, surprise de l’issue des événements, sans savoir au juste comment en bénéficier ; blessée, pour Ella Sharpe, mais pratique. Finies les fioritures et les considérations théoriques : il s’agit de s’organiser pour le travail.

Les pièges des langues Les pensées innovatrices exigent, ou du moins impliquent, une

transformation des langues où elles se formulent et se diffusent. En tout cas, il en a été ainsi de la psychanalyse. Freud est à l’origine d’une puissante création langagière, dont les notions de surdétermination, de sublimation ou de

5 Prado de Oliveira, Les pires ennemis de la psychanalyse : Contribution à l’histoire de la critique interne, Montréal, Liber, 2009, notamment sa deuxième partie « Deux exercices et une crise : histoire et épistémologie en psychanalyse ». 6 A. Freud, (1969), « James Strachey—1887–1967 », International Journal of Psycho-Analysis, 50: 129-132. Aussi, mon « De l’étrangeté des analystes », Les pires ennemis de la psychanalyse, déjà cité, pp. 150-159.

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castration sont parmi les meilleurs exemples. Ces créations, tendues, subissent des distorsions qui vont les rendre fécondes.

Certes, le terme d’inconscient existe bien avant Freud, mais articulé autrement. À partir de lui, il devient transparent dans son usage langagier, onirique, comme lieu du désir ou source de symptômes. Surdétermination ou sublimation, sont largement des innovations.

Les langues posent pourtant leurs pièges. Toute la tragédie grecque implique la polyvalence des mots, qui trompe7. Le justicier est criminel, le clairvoyant est aveugle. D’autres poètes excellent dans ces jeux de langage, depuis Tirso de Molina et ses Don Juan aux pantalons verts jusqu’à Shakespeare, qui en fait un art à part. En France, ce sont un Rabelais ou un Ronsard.

Tardivement, les langues modernes ont commencé à confondre pénis et phallus, membre masculin et son image en érection, emblème de la fécondité et de la puissance reproductrice, irréductible8. L’Encyclopédie est plus explicite : « Objet d’élaborations multiples, le phallus n’apparaît, dans l’Antiquité, ni comme une évidence anatomique ni comme une donnée biologique. Né d’une vision physiologique qui prédisposait l’organe viril à devenir une abstraction métaphysique, le phallus grec a pu, jusqu’à nos jours, inspirer de nombreuses allégories. … C’est à un faisceau d’instruments, physiques ou métaphysiques - objets quotidiens magiques, cultuels ou érotiques, mythes d’une province ou théories à vocation universelle, - que renvoient les figurations du phallus. Car, comme pour la tête, l’œil, le sexe féminin, le cœur ou la main, les valeurs significatives accordées aux représentations des parties ou des organes du corps sont modelées par les fables, les pratiques et les traditions locales, que déterminent souvent les pesanteurs du social9. » Le Robert donne en exemple la Philosophie de l’Art, de Taine : « Chez eux (les Anciens), l’âme ne siège pas à une hauteur sublime, sur un trône isolé, pour dégrader et reléguer dans l’ombre les organes qui servent à un moins noble emploi … Leurs noms ne sont ni sales, ni provocants, ni scientifiques. … L’idée qu’ils éveillent est joyeuse chez Aristophane. … Elle apparaît vingt fois dans une scène, en plein théâtre, aux fêtes des dieux, devant les magistrats, avec le phallus que portent les jeunes filles et qui lui-même est invoqué comme un dieu. » Les jeunes filles portent la promesses de reproduction. Lacan rétablit le sens ancien du mot et sort la psychanalyse de l’impasse stérile de la toute-puissance du pénis qui date de la philosophie aristotélicienne. Pourtant d’autres complications s’annoncent. Résoudre un problème implique d’en créer un autre.

Aristote définit le sexe mâle comme « ce qui augmente et diminue de volume » : « De plus, c’est là le seul organe qui, sans altération morbide, se

7 J.-P. Vernant et P. Vidal-Naquet, « Ambiguïté et renversement. Sur la structure énigmatique d’“Œdipe-Roi” », Œdipe et ses mythes, Paris, La Découverte, 1986, pp. 23-53 et, particulièrement, p. 36. 8 Voir P. Quignard, Le sexe et l’effroi, Paris, Gallimard, 1994. 9 Encyclopédie Universalis, 2007.

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gonfle ou s’abaisse ; car l’un de ces états est indispensable pour que l’accouplement ait lieu, et l’autre ne l’est pas moins à la disposition habituelle du corps, qui en serait fort gêné si l’organe était toujours dans le même état. » Ébahi, son traducteur commente « sans altération morbide » : « La remarque est exacte et très ingénieuse10. » Ainsi, la conception phallocentrique d’Aristote se perpétue et contredit l’expérience. Le ventre de la femme « se gonfle ou s’abaisse », « sans altération morbide » ; la femme enceinte est tout aussi phallique que le phallus-pénien en érection.

Le phallus ne se réduit pas au pénis et peut s’inscrire dans d’autres configurations. Mais, autour du phallus, une constellation signifiante se déploie, impliquant la castration, son angoisse, son complexe. Puis, la castration se confond avec l’émasculation, car celle-ci est la seule qui désigne clairement l’ablation du pénis, alors que la castration désigne plutôt l’ablation des testicules ou des ovaires. Les anciens castrats, qui chantaient à l’opéra, et les eunuques, avaient été ou sont soumis à la castration, mais nullement à l’émasculation. Ils pouvaient avoir des rapports sexuels, d’ailleurs, mais non pas se reproduire, ni souiller les corps avec du sperme. La confusion entre phallus et pénis se prolonge dans la confusion entre castration et émasculation.

La tragédie d’Œdipe est fréquemment mise en scène en Europe au cours du XIXème siècle et particulièrement à Vienne vers 188011. Des multiples références littéraires à son sujet sont bien antérieures à Freud. La plupart des tragédies, outre leur drame propre, comporte aussi un enjeu philosophique. Aristote commente Œdipe Roi dans sa Poétique. La démarche de Freud est strictement dépendante de celles, antérieures, de Hegel ou de Feuerbach, qui donnent un sens aux mythes et, ensuite, les « redressent ». Freud lie « l’angoisse de castration » au « complexe d’Œdipe », c’est une révolution dans les langues.

Les tragédies font intervenir le tertium datur. Depuis Anaximandre, s’est affirmée l’existence permanente d’un monde aux origines diversifiées et d’un tiers non exclu : l’être peut ne pas être, le roi est l’assassin. Anaximandre est cité par Freud à l’appui de ses thèses de Totem et tabou. En ce qui nous concerne ici, l’affirmation de l’impératif du tiers concerne la traduction et le jeu des langues entre elles. Dans « La tâche du traducteur », Benjamin est le premier à affirmer qu’aucune traduction ne se restreint à deux langues, mais fait intervenir toujours une troisième langue, sous la forme de la langue à venir, qui se construit au cours de la traduction et de la préparation de la convergence des langues entre elles. Depuis, cette thèse s’est généralisée. 10 Traités des parties des animaux et de la marche des animaux, Aristote, traduits en français pour la première fois et accompagnés de notes perpétuelles par Barthélémy-Saint Hilaire, membre de l’Institut, sénateur, Paris, Hachette, 1885. 11 R. Armstrong, Dept. of Modern and Classical Languages, University of Houston, Texas, “Œdipus as Evidence : The Theatrical Background to Freud’s Œdipus Complex”, http://www.clas.ufl.edu/ipsa/journal/articles/psyart1999/oedipus/armstr01.htm; F. Hadamowsky, Wien: Theater Geschichte: Von den Anfängen bis zum Ende des ersten Weltkriegs, Vienne, Jugend und Volk, 1988.

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Traductions Les enjeux de la traduction dépassent les textes ou les œuvres traduits et

s’inscrivent dans l’avenir des langues vers lesquelles ils sont traduits. Le traducteur travaille à la recréation de la langue commune d’avant Babel. La traduction de Strachey a façonné l’anglais du XXème siècle autant qu’elle a été façonnée par l’anglais du XIXème. L’anglais est devenu pour longtemps la langue commune. En Occident, seul l’espagnol, par endroits, s’en approche de loin. L’anglais est la langue d’accueil pour la psychanalyse et pour les psychanalystes une fois que leur exil de l’allemand s’impose. L’anglais est la langue internationale de diffusion de la psychanalyse, accompagné de l’espagnol. Aujourd’hui, avec l’allemand, seules ces langues disposent des œuvres complètes de Freud.

Le traducteur est critique, car « …critique et traduction sont structurellement parentes ». Critique et traduction contribuent à « enrichir » la langue et la littérature où elles viennent se poser12

La traduction française des Œuvres complètes de Freud en français est peu attentive à l’anglais. Elle est aussi peu attentive à l’allemand et au français lui-même. Contre le premier, elle prétend ériger une langue psychanalytique et oublie la dynamique propre de l’original13. Par rapport au deuxième, elle écarte tout travail préalable, toujours au bénéfice de cette hypothétique approche psychanalytique. Ainsi, le lecteur attentif de ma traduction des Controverses entre Anna Freud et Melanie Klein, - surtout s’il est très attentif, je crains - peut constater que cette traduction dresse un recensement des traductions de Freud en français, exemples et comparaisons à l’appui, comparaison motivée par un problème simples, à savoir l’existence de différents états de la traduction des œuvres de Freud en anglais : celle des Collected Papers, celle de la Standard Edition et celle personnelle des analystes qui interviennent et qui pouvaient lire Freud en allemand, proposant éventuellement leurs propres traductions. Toutes les traductions des citations de Freud faites par ceux qui participent à ces controverses ont été l’objet de consultations de différentes traductions anglaises et apparaissent en français en deux versions, indiquées dans la « Bibliographie » : la dernière en date et celle qui l’a précédée. À notre très grande surprise, au vu des débats qui agitent les milieux de la traduction et de l’édition en France, des différences majeures ne semblent pas exister, ou ne pas être systématiques, en français, entre les traductions plus anciennes et les contemporaines. Les traducteurs anciens n’étaient pas de renégats.

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A. Berman, Pour une critique des traductions : John Donne, Paris, Gallimard, 1995, pp. 40-42. C’est peu dire que de souligner le caractère émouvant de ce livre et de sa situation. 13 En effet, F. Robert, un des responsables des Œuvres complètes en français, s’est opposé à l’appareil critique strictement scientifique de M. Schroeter dans son édition allemande, en se réclamant d’une « lecture psychanalytique », qui reste à définir. Colloque de Cerisy, 20-21 janvier 2007, « Aux débuts de la psychanalyse : Freud, Fliess en français ».

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Quelques exemples. Premier : « Le moi-plaisir originel veut… s’introjecter tout le bon, jeter loin de lui tout le mauvais (« La négation », OC, XVII, 1992, 169) ; « Le moi-plaisir originel… veut s’introjecter tout le bon et jeter hors de lui tout le mauvais » (« La négation », Résultats, idées, problèmes, II, 1985, 137). Dans les deux cas, ce sont des traductions de Laplanche. Le bénéfice ? Passer de « hors » à « loin ».

Deuxième : « Il est clair, en outre, que l’acte de l’enfant qui suçote est déterminé par la recherche d’un plaisir déjà vécu et désormais remémoré… La première et la plus vitale des activités de l’enfant, la tétée du sein maternel (ou de ses substituts), a dû déjà se familiariser avec ce plaisir » (Trois essais sur la théorie sexuelle, Gallimard, 1987, 105) ; « Il semble bien aussi que l’enfant, quand il suce, recherche dans cet acte un plaisir déjà éprouvé et qui, maintenant, lui revient à la mémoire… C’est l’activité initiale et essentielle à la vie de l’enfant qui le lui a appris, la succion du sein maternelle, ou de ce qui le remplace » (Trois essais sur la théorie de la sexualité, Gallimard, 1962, 74). Problèmes, théoriques, cliniques et stylistiques, car la tétée ne « se familiarise » pas, ni l’activité. L’enfant, lui, se familiarise.

Troisième : « Vie intra-utérine et première enfance sont bien plus un continuum que la césure frappante de l’acte de la naissance ne nous le laisse croire. L’objet maternel psychique remplace pour l’enfant la situation fœtale biologique. Nous ne devons pas oublier pour autant que dans la vie intra-utérine la mère n’était pas un objet, et qu’en ce temps-là il n’y avait pas d’objets » (« Inhibition, symptôme et angoisse », OC, XVII, 1923-1925, PUF, 1992, 254) ; « La vie intra-utérine et la première enfance sont bien plus en continuité que ne nous le laisse croire la césure frappante de l’acte de naissance. L’objet maternel psychique remplace pour l’enfant la situation fœtale biologique. Ce n’est pas une raison pour oublier que dans la vie intra-utérine la mère n’était pas un objet pour le fœtus, et qu’il n’y avait alors pas d’objets » (Inhibition, symptôme et angoisse, PUF, 1972, 62-63). Bénéfice théorique, clinique ou stylistique ? Aucun. D’autres problèmes persistent : l’inexistence d’un ensemble cohérent et fiable en français, tels la Standard Edition ou les Obras Completas, inexistence qui se prolonge et dont la résolution n’est pas prévisible. Les Obras Completas ont immédiatement corrigé les difficultés des traductions en langue espagnole, dès que les premières critiques se sont faites entendre, en provenance de lecteurs de langue française à l’égard des traductions françaises ou de lecteurs de langue anglaise à l’égard de la Standard, ce qui fait que ces éditions espagnoles sont actuellement les plus fiables, même si elles ne disposent pas d’un appareil conceptuel comme celui de la Standard. Mais, en psychanalyse, d’autres problèmes urgent : cliniques, de formation, institutionnels ou politiques. L’horizon scintille de mille lueurs.

Schleiermacher, théoricien décisif de la traduction, établit une différence

entre interpréter (dolmetschen) et traduire (übersetzen). La traduction, dans ce

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dernier sens (Übertragen), est un cas particulier de la transmission, de triple manière : en tant que fondement herméneutique, en tant que moment dialectique et en tant qu’éthique de la compréhension14. Schleiermacher exclue du champ de la traduction la paraphrase. Il exclue aussi l’interprétation15. Pourtant, Strachey est obligé de réintroduire la paraphrase au moyen des notes de bas de page et, en fin de compte, à travers l’explication de l’appareil conceptuel qu’il crée. La traduction française des Œuvres complètes en fait autant. Probablement, il est impossible de faire autrement dans une œuvre comme celle de Freud, qui mélange de manière si serrée différents domaines du discours, en provenance de sources si différentes. Pourtant aussi, le traducteur ne cesse de faire de l’interprétariat. Il le fait même de manière intime et radicale, puisqu’il reconstitue la langue parlée à l’intérieur de la littéralité. En vérité, une fois le bilinguisme franco-allemand abandonné en faveur d’une perspective polyglotte, les différences entre interprétation et traduction s’estompent16. Le mot même d’interprétation ne recouvre peut-être pas les mêmes domaines en allemand et en anglais. Alors qu’en allemand il semble désigner l’activité commerciale, au moins dans le sens retenu par Schleiermacher et Berman, en anglais il concerne davantage le domaine religieux : on interprète les saintes écritures. Mais bien avant Schleiermacher, et en France, la traduction était comprise comme faisant partie de l’interprétation. Et elle la réintègre, plus tard.

Pendant un siècle, la langue anglaise a été la langue dominante de la psychanalyse, avant qu’elle ne s’élargisse et ne devienne le dénominateur commun des langues. Lisez : « Le modèle imaginaire que j’ai toujours gardé devant moi est celui des écrits de quelque homme de science anglais de large éducation né au milieu du dix-neuvième siècle. Et, dans un esprit d’explication non patriotique, je souhaite souligner le mot “Anglais”.

« Si je me tourne maintenant vers la question fondamentale de rendre le sens de Freud, je dois entrer en conflit avec ce que je viens de dire. Car à chaque fois que Freud devient difficile ou obscur il est nécessaire de s’approcher d’une traduction littérale au prix de toute élégance stylistique. Pour cette même raison, aussi, il est nécessaire de reprendre intégralement dans la traduction un certain nombre de termes techniques, des phrases stéréotypées et des néologismes qui ne peuvent pas être vus comme “Anglais”, même avec la meilleure bonne volonté au monde. Il y a aussi la difficulté particulière, qui apparaît, par exemple, dans L’Interprétation des

14 F. Schleiermacher, Des différentes méthodes de traduire, Paris, Seuil, 1999, traduction d’A. Berman et C. Berner, p. 33. Dans ce même livre, son « Le penchant à traduire », pp. 11-28, et aussi son L’épreuve de l’étranger : culture et traduction dans l’Allemagne romantique, Paris, Gallimard, 1984, pp. 232 et 248. 15 Idem, pp. 35 et 45. 16 G. Steiner, After Babel: Aspects of Language and Translation, Londres, Oxford, New York, 1975, p. 48. Après Babel : une poétique du dire et de la traduction, Paris, Albin Michel, 1998, traduction de L. Lotringer. Meschonnic a souligné la différence entre les deux titres dans son livre La poétique du traduire, Paris, Verdier, 1999, p. 66.

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rêves, dans la Psychopathologie de la vie quotidienne, dans le livre sur le mot d’esprit, qui est celle de matériaux impliquant des points verbaux intraduisibles. Ici, les alternatives faciles sont de prendre des raccourcis ou de les remplacer par quelque matériel équivalent en anglais. Nous devons battre en retraite vers les guillemets et les notes de bas de page, car nous sommes tenus par la règle fondamentale : Freud, tout Freud, et rien que Freud. » Les « règles générales » de Strachey sont reprises par l’équipe des traducteurs des Œuvres complètes en français. La paraphrase, écartée, revient.

Strachey poursuit : « En ce qui concerne le vocabulaire technique, en général, j’ai adopté les termes suggérés dans A New German-English Psycho-Analytical Vocabulary, d’Alix Strachey (1943), lui-même basé sur les suggestions d’un “Comité du glossaire”, mis en place par Ernest Jones vingt ans auparavant. Seulement dans quelques rares occasions je me suis départi de ces autorités. Quelques mots individuels qui soulèvent des points de controverse sont discutés dans une note séparée ci-dessous.

« J’ai essayé de garder autant que possible la règle générale de traduire invariablement un terme technique allemand par son équivalent anglais. … Il est à remarquer néanmoins que cette règle peut induire des malentendus. Par exemple, le fait que “psychisch” soit habituellement traduit par “psychique” et “seelisch” par “animique” peut induire la notion que ces mots ont des sens différents, alors que je les crois synonymes. La règle de la traduction uniforme cependant a été poussée plus loin et étendue à des phrases et en fait à des passages entiers. Comme il arrive si souvent, quand Freud avance le même argument ou raconte une même anecdote dans deux occasions (plutôt à des longs intervalles), j’ai essayé de le suivre, et d’utiliser les mêmes mots, s’il le fait, ou, s’il les modifie, d’en faire autant. Quelques points non sans intérêt sont ainsi préservés dans la traduction17. »

Strachey termine en remerciant ceux qui l’ont inspiré. Il reconnait le rôle du transfert dans son travail : « Finalement, peut-être je me permettrais la reconnaissance de ma dette envers celle qui a partagé ma tâche de traducteur pendant si longtemps. Cela fait presque un demi-siècle maintenant que nous avons passé deux ans ensemble à Vienne en analyse avec Freud, et après seulement quelques semaines de notre analyse, il nous a soudain dit de traduire – “Un enfant est battu” ». Il procède à la plus large reconnaissance du rôle de celle avec qui il a partagé sa vie et le divan de Freud, Alix, et qui l’a soutenu dans l’entreprise de la Standard Edition. Le partage du divan et l’analyse sont concomitants à l’exercice de traduction. Déjà Strachey était pris dans le piège du « sens de Freud », alors que le seul sens est celui d’un enchevêtrement infini de transferts, y compris du transfert envers les

17 J. Strachey (1966), « General Preface », The Standard Edition of the Complete Psychological Works of Sigmund Freud, Londres, The Hogarth Press and the Institute of Psycho-Analysis, vol. 1, 1966, p. XIX.

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langues. Les traducteurs français des Œuvres complètes n’échappent point à ce piège, y compris dans leur rêve de la restitution d’un face à face idyllique franco-allemand. Mais, comment faire, si « l’allemand » est viennois et, surtout, un yiddish viennois ? J’ai montré ailleurs les particularités de la langue et de la culture de Freud18. Le caractère « fastidieux de l’allemand de l’empire austro-hongrois » a été signalé19.

Même si ces traducteurs le remarquent, il leur est difficile d’établir un programme de traduction où cet éclatement des langues trouverait à s’inscrire. Strachey, à son époque, ne pouvait pas en faire une théorie, même s’il pouvait s’en faire l’écho, en acceptant de se contredire.

Et, dans la traduction de Strachey, sont à l’œuvre plus d’échos que ceux de la notion de l’enchevêtrement des langues et des transferts. L’écho de Dryden y est aussi présent, qui enseignait que la traduction est un art de la contradiction et du compromis. Mais Dryden, en 1680, est déjà un écho anglais de l’enseignement d’Étienne Dolet et de sa Manière de bien traduire d’une langue en aultre, de 1540, et de De l’interprétation, de Pierre-Daniel Huet, de 166120.

Les principes méthodologiques de Strachey – « tout Freud, rien que

Freud », le « monde imaginaire d’un homme éduqué du dix-neuvième siècle », la référence à l’Oxford English Dictionary, sont flexibles devant les tourmentes des variations de la langue. En voici quelques exemples :

Premier : Freud utilise indifféremment psychischer Apparat et seelischer Apparat. Ce serait évidemment une erreur de croire que l’utilisation de la majuscule en allemand ou en anglais obéit aux mêmes règles qu’en français : Anderen en allemand n’autorise nullement Autre en français. En revanche, les variations entre psychischer et seelischer sont présentes chez Freud, qui les rend synonymes dans son titre Psychische Behandlung (Seelenbehandlung), de 189021. La datation de cet article possède d’ailleurs une histoire exemplaire des confusions qui peuvent se produire alors que l’on s’attelle à des principes méthodologiques immuables. Ces confusions 18 Ces particularités mettaient Freud dans l’impossibilité de comprendre l’expression de Seelenmord, meurtre d’âme, pourtant signifiante et opérante dans la langue et la culture allemandes depuis longtemps. Voir mes travaux Freud et Schreber, les sources écrites du délire, entre psychose et culture et Schreber et la paranoïa : le meurtre d’âme. 19

I. Buruma, « “What Is There To Say ?” », The New York Review of Books, vol. LVII, n° 7, p. 23. 20 G. Steiner, After Babel, déjà cité, pp. 253 et 262. 21 S. Freud (1890), « Traitement psychique (traitement de l’âme) », Résultats, idées, problèmes, I, (1890-1920), Paris, PUF, 1984, 3ème édition, 1987, p. 1, traduction de M. Borch-Jacobsen, P. Kœppel et F. Scherrer. « Cet article est une contribution à un ouvrage de vulgarisation médicale à l’usage des familles... On a cru longtemps, en se basant sur une troisième édition de Die Gesundheit, qui ne mentionnait pas les précédentes, qu’il n’avait été publié qu’en 1905. ... L’erreur, relevée par Saul Rosenzweig, Washington University, Saint-Louis, a été rectifiée depuis par James Strachey... »

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font que le traducteur se glisse à l’intérieur de la matière traduite même quand il entend lui rester fidèle. Reste à étudier la possibilité d’une distribution chronologique différentielle de ces deux termes tout au long des écrits de Freud. Les traducteurs français des Œuvres complètes ont fait des choix qui mériteraient une étude attentive22.

Deuxième exemple : celui du terme Instanz, qui apparaît dans le quatrième chapitre de L’Interprétation des rêves et qui est rapproché de System. « Il est probable que Freud ait dérivé cette métaphore à partir de la terminologie légale, où elle se réfère au pouvoir ou à la juridiction d’un tribunal ou, de manière plus libre, au tribunal lui-même. En fait (comme le montre l’Oxford Dictionary) un usage similaire du mot instance existe en anglais. Il est devenu quasiment obsolète, néanmoins, sauf dans l’expression “un tribunal de première instance”. Le mot anglais possède, par ailleurs, une multiplicité d’usages communs modernes et, en tant que traduction de Instanz, il n’aurait amené qu’à des confusions. En conséquence, j’ai introduit le mot indéterminé agency, qui semble couvrir l’essence du concept allemand23. » Il convient par conséquent d’écarter la toute-puissance attribuée au dictionnaire par Strachey dans un premier temps. Les traducteurs français ont retenu huit mots allemands corrélés, allant de « instance parentale », terme abstrait, à des noms communs géographiques, comme « domaine », « province » ou « région »24. Cependant, sont gardées « instance de l’appareil animique » ou « instance critique dans le moi »25.

Troisième exemple : la traduction de Trieb. « Mon choix de ce terme a été attaqué par certains avec une sévérité considérable, mais, je crois, erronée. Le terme que les critiques proposent presque invariablement comme une alternative est celui de drive. Il y a plusieurs objections à cela. Premièrement, j’aimerais remarquer que drive, utilisé dans ce sens, n’est pas un mot anglais et, comme je l’ai expliqué dans ma préface, cette traduction vise à être une traduction en anglais. Cet usage du mot drive ne se trouve pas dans le grand dictionnaire Oxford, ou dans son premier supplément de 1933 (malgré qu’il ait été suffisamment mis à jour de manière à inclure le mot cathexis). Et il est impossible de le trouver dans tout livre habituel de psychologie. De toute évidence, les critiques l’ont choisi en vue de sa ressemblance superficielle avec l’allemand Trieb, et je suspecte que la plupart d’entre eux ont été en fait influencés par leur allemand d’origine ou par leur familiarité précoce avec la langue allemande. Il serait néanmoins absurde de rejeter le mot avec cet argument, si son introduction promettait des gains substantiels. Il y a peu de doutes que, du point de vue de la biologie moderne, Freud a utilisé le mot Trieb pour exprimer une diversité

22 F. Robert, « Glossaire », Traduire Freud, Paris, PUF, 1989, p. 317. 23 J. Strachey, (1966), « General Preface », déjà cité, p. xxiv. 24 F. Robert, « Glossaire », déjà cité, p. 272. 25 Par exemple, Œuvres complètes, XV, Paris, PUF, 1996, pp. 48 et autres.

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de concepts. … Il faudrait, je crois, quelqu’un de très courageux pour affirmer que la traduction de Trieb par drive clarifie la situation. Ce n’est pas l’affaire d’un traducteur d’essayer de classifier et de distinguer les différents usages faits par Freud de ce mot. Cette tâche peut assurément être laissée au lecteur, à condition que le même mot anglais soit utilisé invariablement pour l’original allemand. (En fait, Freud lui-même explique assez clairement ce qu’il entend par ce mot au moins dans une de ses significations au début de son texte métapsychologique sur Trieb und Triebshicksale. La seule chose rationnelle à faire dans ce cas me semble être le choix d’un mot vague et indéterminé, et de s’y accrocher. D’où mon choix du mot instinct. La seule petite complication est qu’une demi-douzaine de fois Freud lui-même utilise l’allemand Instinkt, toujours, peut-être, dans le sens de l’instinct des animaux. » Strachey ajoute ici une note de bas de page : « Néanmoins, au moins dans une de ces occasions, dans une lettre à Fliess du 15 octobre 1897, il utilise Instinkt en tant que synonyme complet de Trieb pour l’être humain. » Strachey rêve de garder un même mot anglais pour le mot allemand tout au long de sa traduction, mais il sait déjà que c’est impossible. Et, il termine, sur ce point : « Une autre considération, relativement sans importance, sauf pour un traducteur, est l’impossibilité de trouver un adjectif pour Trieb. Comment proposent les critiques de traduire Triebregung ? Je l’ai vu apparaître comme instinctual drive, ce qui est une mauvaise traduction autant qu’un échec. Drive impulse ? J’avoue préférer mon instinctual impulse26. » « Cathesis » est un mot disparu de l’usage courant, si jamais il en a eu un. L’usage de « drive » s’est généralisé, ce que Strachey ne pouvait pas prévoir, alors que « pulsion » ne peut pas se généraliser de manière similaire en français. Les nouvelles technologies, et au-delà, s’occupent des « drivers » (pilotes).

Les problèmes signalés par Strachey étaient bien réels, néanmoins. Au moins six termes sont venus traduire Trieb en anglais : instict et drive, déjà mentionnés, mais aussi impulse ou impulsion, urge et, enfin, motion. De même, des combinaisons entre ces termes ont fleuri, plus ou moins heureuses, plus ou moins malheureuses, dont les traductions seraient pulsion instinctuelle ou impulsion instinctuelle. « Le seul terme que le français a progressivement abandonné est celui-là même que Strachey a retenu : instinct27. » Les traducteurs des Œuvres complètes l’ont rétabli. Savoir si cela suffit à rétablir le terme si sévèrement critiqué par Lacan est une autre question. Quoi qu’il en soit, Strachey est obligé d’ouvrir une deuxième brèche dans son principe du « tout Freud, rien que Freud ». Une traduction

26 J. Strachey, « General Preface », déjà cité, pp. xxxiv-xxvi. 27 Mes notes de traduction dans Les controverses entre Anna Freud et Melanie Klein, Paris, PUF, 1996, pp. 19-23, où je discute la traduction française, à partir de l’anglais, des concepts liés aux notions d’instinct et de pulsion.

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qui établit des principes immuables, pour des œuvres de si longue haleine, s’étendant sur presque 35 ans, risque d’être rigide.

Dernier exemple : le mot allemand Unlust, traduit en anglais par Unpleasure. « Ici les critiques viennent de ce côté-ci de l’océan et ce sont eux qui déclarent qu’il ne s’agît pas là d’un mot anglais. Les premiers éditeurs ont fait écho à ces cris dans les Collected Papers, par exemple, et ont traduit Schmerz par pain et Unlust par “‘pain’” (avec cette sorte de guillemets). La reductio ad absurdum de ce subterfuge a été le passage dans Deuil et mélancolie où nous trouvons Schmerzunlust, qui aurait dû être traduit par “‘pain’pain’”. Heureusement, l’Oxford Dictionary vient ici encore à notre secours, cette fois-ci en sens opposé. Car il nous dit que unpleasure a été utilisé par le poète Coleridge en 1814 – révélation qui sans doute satisfera tout le monde. J’ai traduit invariablement Unlust par unpleasure, Schmerz par pain et peinlich par distressing28. » Heureusement, le français dispose de « déplaisir » et de « détresse ».

Il y a cet émerveillement devant la souplesse de Strachey. Les principes existent, certes, mais un jeu s’impose entre l’Oxford English Dictionary, solide institution gardienne de l’anglais, le monde imaginaire de l’homme éduqué du XIXème siècle et l’ambition du « tout Freud, rien que Freud », avec son allemand parfois problématique, peut-être au-delà de son caractère viennois et yiddish. Car le « tout Freud » n’existe pas. Le souhait d’uniformisation et même d’établir l’unicité de sa pensée est problématique. Au moment où Strachey traduit, des milliers de lettres de Freud restent censurées. Le texte même qu’il donne à traduire à son couple de patients, « Un enfant est battu », est un chaudron bouillant posé sur un carrefour. Savent-ils clairement, les Strachey, peuvent-ils au moins prendre en considération l’articulation entre ce texte de Freud, l’analyse de sa fille-Anna et son texte d’admission à la Société psychanalytique de Vienne sur les « Fantasmes de fustigation » ? Parmi les nombreux facteurs qui amènent Freud à leur donner à traduire ce texte, existe le souhait de partager un secret29. Le masochisme est présent dans cette première traduction ou, du moins, une misère de la traduction liée à la nostalgie d’une langue de rêve. Si le traducteur crée un monde imaginaire où il situe sa traduction, comme celui de « l’homme éduqué », un autre fantasme couve : celui des rivages évanescents alors même qu’on les atteint. Pourtant, il y a une évidence : une riche partie de la psychanalyse prend source dans la traduction. Freud traduit Stuart Mill et Charcot. Ce qui ne préjuge en rien de sa maîtrise de ces langues : nombre des meilleures traductions ont été faites dans une large ignorance des langues sources. Goethe ne connaissait pas le persan, Pound

28 Strachey, « General Preface », déjà cité, p. xxvi 29 Voir mes deux articles « Du secret et de la transmission en psychanalyse » et « Le secret des lettres : Incidences sur les cures des fantasmes relatifs à l’institution psychanalytique », Le Coq-Héron, 169, 2002, pp. 7-12 et 61-72.

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ne connaissait ni le japonais ni le chinois, Auden ne connaissait pas le russe. Seule la maîtrise de la langue d’arrivée leur a importé, et son élégance. Le mythe de la « traduction à partir de l’original », voire de sa maîtrise, cache la frayeur devant la langue cible et sa nudité, qui échappe entre les doigts de ceux qui traduisent.

Ces traducteurs français des Œuvres complètes ont réalisé un grand effort. Leurs résultats, du point de vue de la langue française, sont très problématiques : désormais, il faut beaucoup de courage à ceux qui souhaitent lire Freud dans cette traduction. Les étudiants s’en détournent ou la subissent, quand ils entendent bénéficier de son appareil critique, alors que le but premier de toute traduction est l’enseignement30. Ces traducteurs entendent faire comme si la langue anglaise n’existait pas pour la psychanalyse et comme si elle n’était pas la langue d’accueil en psychanalyse, appuyée par l’espagnol31. Ils ne sont pas attentifs à Strachey, qui n’est en aucun sens animé d’un « esprit bénédictin » et, en ne l’étant pas, ils oublient l’histoire. Or, l’histoire de la langue est le fondement de la traduction. Il y a une «…historicité radicale du langage. La traduction y joue un rôle majeur32. »

Pour ces traducteurs, l’horizon historique est la langue de Chateaubriand lorsqu’il traduit Paradise Lost33. Alors que l’horizon de la traduction est aussi son fondement, cette traduction française n’a pas d’emprise sur son temps : elle est passéiste en se justifiant d’être révolutionnaire, entre Essais sur les révolutions et Mémoires d’outre-tombe34. Peut-être ces traducteurs ont eu le sentiment de l’impératif d’un français « fastidieux », mais la multiplication des néologismes le rend encore plus lourd. Le Chateaubriand de Laplanche n’est pas le Coleridge de Strachey. Coleridge s’inscrit dans un romantisme qui est encore révolutionnaire, alors que Chateaubriand s’inscrit

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« La traduction est d’abord une technique pédagogique. » B. Colombat, J.-M. Fournier, C. Puech, Histoire des idées sur le langage et les langues, Paris, Klincksieck, 2010, p. 120-123. Depuis la pierre de Rosette. Avant d’être source de la poésie : Razos de trobar. 31

Accueil bien plus large que celui relevant de son espace propre. À la « confiscation de la langue et de la culture allemande par le nazisme » souligné par Altounian, dont le témoignage est celui de Klemperer, nous devons ajouter le témoignage de Canetti dans sa tétralogie, de La langue sauvée aux Années anglaises, quand la langue et la culture allemandes sont sauvées dans l’exil, en anglais, par un Bulgare. Elles se fondent souvent dans la langue et la culture anglaises, mais se gardent parfois à peu près intactes. Pour cette discussion, Voir, J. Altounian, « Une des richesses du texte freudien », Essaim, 2007/2, pp. 97-105. Malheureusement, l’auteure semble prise dans ce régime des oublis généralisés qui se prétendent emplis de rigueur de cette traduction française. 32 A. Bourguignon, P. Cotet, J. Laplanche, Traduire Freud, Paris, PUF, 1989, p. 6. Berman, qui les inspire, est très attentif aux traductions de John Donne en espagnol pour établir une bonne traduction française. Voir, A. Berman, Pour une critique des traductions: John Donne, déjà mentionné, pp. 84-85. Aussi H. Meschonnic, Poétique du traduire, déjà cité, pp. 62-63. 33 A. Bourguignon, P. Cotet, J. Laplanche, déjà cité, pp. 10 et 13 (note). 34 Sur la question de l’horizon de la traduction, souvent pluriel, voir Berman, juste cité, pp. 80-81, aussi 243.

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dans un romantisme qui devient réactionnaire. D’autre part, si ces traducteurs ont souhaité établir une traduction qui ferait référence à un français de l’époque de Freud, ils n’ont pas été attentifs à l’histoire de la pensée sur la traduction. Lorsque Lamennais traduit la Divina Commedia vers un français de l’époque de Dante, Littré le critique sévèrement, en exigeant un français contemporain à la date de la traduction, et non à l’époque de l’original35.

Le « tout Freud » de Strachey n’oublie jamais l’existence d’une langue cible, avec ses contraintes propres. L’univers sémantique de la traduction de Strachey est celui des gens cultivés du XIXème siècle anglais, tel que le comprenait le groupe de Bloomsbury, à cheval sur le siècle suivant36. Le XIXème, en Angleterre, comporte De Quincey et ses Confessions d’un mangeur d’opium, Les Hauts de Hurlevent, d’Emily Brontë, puis, Oscar Wilde, et, plus avant, à cheval sur le siècle suivant, Conrad, Kipling, Stevenson, Virginia Woolf.

D’après cette équipe de traducteurs, Freud se réclame de Lessing. En vérité, la référence de Freud à cet auteur est rare, discrète et parfois problématique. Il se réclame essentiellement de ses bons mots. Mais Freud se réclame de beaucoup d’auteurs. Thomas Mann le compare à Schopenhauer ; Zweig le compare curieusement à Stendhal ; et les traducteurs français en question à Schiller, tout en reconnaissant la multiplicité des styles auxquels ils s’affrontent et insistant, en même temps, pour créer un Freud unique37. Qui a-t-on oublié, dans cette liste ? Cervantès, Shakespeare et Goethe !

En n’étant pas attentifs à Strachey, ces traducteurs français n’apprennent pas avec lui et ne voient pas les difficultés insurmontables du projet de se vouloir fidèle à Freud ou de recréer une « langue freudienne » ou même une « langue psychanalytique ». Nous pouvons comprendre, de manière intuitive, que la langue écrite de Freud est différente de celle de Jung, de

35 G. Steiner, After Babel, déjà cité, p. 336. 36 P. Meisel et W. Kendrick, Bloomsbury/Freud, James & Alix Strachey correspondance, 1924-1925, Paris, PUF, 1990, traduction de C. Wieder et C. Palmer. On se demande pourquoi James et Alix se seraient écrit en « américain ». Par ailleurs, il convient de garder présent à l’esprit que souvent la traduction de Strachey vient se superposer à la traduction de Joan Riviere, faite alors qu’elle était en analyse avec Freud, probablement aussi son conseiller. Nous avons ainsi un palimpseste dont les couches originales sont l’allemand juif-viennois de Freud, son anglais, l’anglais d’une de ses patientes et, plus tard, celui de deux autres de ses patients. Un autre palimpseste se trouve dans l’édition des œuvres complètes de Freud en espagnol et il est important, à ce respect, de garder présent à l’esprit que Don Quichotte et Cervantès font partie des rêves freudiens d’adolescence. Voir S. Freud, 1871-1881, Lettres de jeunesse, Paris, Gallimard, 1990, traduction de C. Heim. Voir encore mon “Palimpsestes”, Cahiers Confrontation, Paris, Aubier, automne 1986. 37 A. Bourguignon, P. Cotet, J. Laplanche, Traduire Freud, déjà cité, pp. 24-34, quand la tâche du traducteur devient hagiographie. Et trop souvent ici !

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Stekel, d’Abraham ou de Ferenczi. Mais leur langue, y compris celle de Freud, reste accessible et ne croule pas sous les néologismes.

Si l’anglais de Strachey garde autant de problèmes que ces traducteurs le signalent, cela ne les empêche pas d’en créer d’autres en permanence. Voici : « Ce n’est pas dire autre chose que de parler de textes (ou de passages) métalinguistiques. Lorsque Freud s’exprime ainsi : « …leurs plaintes [Klagen] sont des plaintes portées contre [Anklagen] conformément au vieux sens du mot… », cette dernière réflexion porte évidemment sur le mot allemand : “Anklagen”, et non pas sur sa traduction française38. » Pourtant, « plainte » en français signifie : « (1538). Expression du mécontentement que l’on éprouve à l’égard de qqch. ou de qqn. », et encore « (V. 1100). …Dénonciation en justice d’une infraction par la personne qui affirme en être la victime39. » Quand le traducteur croit à la métalinguistique, ou quand il abuse de néologismes, ou quand il se sent obligé de citer le mot dans sa langue originale, il risque de devenir difficilement compréhensible et, selon cet exemple, à force de se soucier du mot original, il néglige sa propre langue.

Il n’est pas rare que Freud soit assez drôle. « Il n’est guère facile, sans entente préalable, de décider de la valeur et de la signification des termes40. » Il y a du Humpty-Dumpty chez Freud : « La question est de savoir si vous avez le pouvoir de faire que les mots signifient autre chose que ce qu’ils veulent dire… La question est de savoir qui sera le maître… un point, c’est tout41. » Freud semble croire que lui et ses interlocuteurs peuvent s’entendre sur ce qu’un mot veut dire et en devenir les maîtres. Faut-il que les traducteurs le suivent ? Ce ne serait pas seulement une « mauvaise traduction », comme Strachey craignait pour la sienne, mais une traduction qui se trompe de bout en bout sur la tâche du traducteur et sur l’état de la langue française au moment où elle est faite. C’est une traduction basée sur un projet malheureux, en ceci que ceux qui la lisent en souffrent42. La douleur de lire Freud dans cette traduction

38 Idem, p. 18. Impossible de comprendre le sens du mot “métalinguistique” ici. En quoi ces textes de Freud seraient-ils “métalinguistiques” ? Une démarche métalinguistique est conçue pour la description d’une langue particulière et doit servir à décrire d’autres langues. C’est en ceci qu’elles sont “méta”, au-dessus, au-delà, par-dessus, des langues. Ces traducteurs ne montrent en rien ce en quoi leur démarche serait “métalinguistique”. Elle l’aurait été si elle avait montré les articulations entre Klagen et “plainte”, ce qu’elle ne fait pas, et ignore, voulant privilégier l’allemand, alors que le français dit si bien ce qu’il dit. 39 Le Grand Robert de la langue française. 40 S. Freud & J. Breuer (1893), Études sur l’hystérie, Paris, Puf, 1971, p. 66, trad. A. Berman. 41 L. Carroll, Tout Alice, Paris, Flammarion, 1979, p. 281, traduction de H. Parisot. 42

A. Berman, Pour une critique des traductions : John Donne, déjà cité, pp. 36-37, quand l’auteur donne des indications précises sur le projet Traduire Freud, de l’équipe des Presses universitaires de France. Il est possible, néanmoins, de parler ici d’une « mauvaise traduction » : « est mauvaise la traduction qui remplace le risque du discours, le risque d’une subjectivation maximale du langage, son historicisation maximale, qui seule fait qu’il y a un texte, par les autorités, les garanties de la langue et du goût ambiant. » . H. Meschonnic, Poétique du traduire, déjà cité, p. 130.

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l’accompagne dès ses premiers pas : « Comme nous souffririons si nous devions lire Dostoïevsky dans un texte français chargé de “russité” ou Gombrowicz dans un texte français chargé de “polonité”. » C’est une réponse au projet de cette équipe de marquer le français d’une « germanité » de Freud43. En vérité, cette équipe met un place un projet romantique très tardif qui s’ignore, une tentative de maîtrise à contre-courant. La traduction faite par Lamennais de Dante n’a jamais été publiée. La « germanité » n’existe pas plus que la « francité ». Ce sont des vieilles lunes d’un pays d’autrefois qui haït le présent.

Toujours il est que Strachey ou Glover, Anna Freud ou Melanie Klein, Marjorie Brierley, Ella Sharpe ou Sylvia Payne sont autant interprètes que traducteurs. Chacun et chacune s’affronte aux difficultés du passage entre les langues. Quand les problèmes avec les mots, la langue, ou avec les langues, deviennent envahissants, quand les mots révèlent qu’ils peuvent échapper à toute emprise, le moment arrive de suivre l’exemple de nos prédécesseurs, viennois, allemands, hongrois ou britanniques et d’essayer de décrire notre manière de travailler en tant que psychanalystes et d’être avec nos patients. Freud en montre une voie possible : « Je n’ai pas toujours été psychothérapeute. Comme d’autres neurologues, je fus habitué à me référer aux diagnostics locaux et à établir des pronostics en me servant de l’électrothérapie, c’est pourquoi je m’étonne moi-même de constater que mes observations de malades se lisent comme des romans et qu’elles ne portent pour ainsi dire pas ce cachet sérieux, propre aux écrits des savants44. » La référence à la littérature et au style littéraire est un de ses soucis permanents. Néanmoins, le 24 avril 1932, en réponse à des remarques de Ferenczi au sujet de la chute de la qualité de la littérature psychanalytique, Freud soutient la mauvaise littérature : « Sans ces ruminations, ces retours sous forme d'innombrables modifications, sans ces mélanges et falsifications, l'assimilation du matériel ne pourrait pas se faire. » C’est peut-être un raisonnement problématique, mais il suppose l’appréciation de la qualité littéraire dans la transmission de la psychanalyse. C’est réjouissant de le rappeler. C’est triste de l’oublier.

Il reste que ce formidable appareillage théorique et méthodologique est au service d’une pratique, à savoir celle de la psychanalyse et de ce qu’elle implique d’éthique auprès de ceux qui la sollicitent. Lire et comprendre Freud et la psychanalyse dans leur histoire ne devrait pas être un fardeau, mais viser avant tout cette éthique et une clinique.

43

J. Le Rider, « Les traducteurs de Freud à l’épreuve de l’étranger », Actes des cinquièmes assisses de la traduction littéraire, Arles, 1988. 44 S. Freud & J. Breur, déjà cité, p. 127. Les traducteurs français des œuvres complètes citent ce passage, mais sans en donner les références et sans en tirer les conséquences pour leur propre traduction, qui ne se lit pas comme un roman. Voir, A. Bourguignon, P. Cotet, J. Laplanche, Traduire Freud, déjà cité, p. 31. Un mystère demeure au sujet de l’écart entre les précédentes traductions de Freud faites par Laplanche et celles des Œuvres complètes.

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Je rappelle ceci : « Il y a une politique du traduire. Et c’est la poétique. Comme il y a une éthique du langage, et c’est la poétique. Ou plutôt c’est l’inverse qui est fort : c’est que l’éthique n’est vraiment éthique que quand elle fait la poétique. J’essaie de mettre en rapport ces termes, parce qu’il me semble qu’on peut montrer qu’ils ne sont pas séparables. Qu’il y a à voir comment se tiennent la poétique et la politique45. »

La psychanalyse, elle aussi, navigue entre traduction, poétique, politique et éthique. Au service d’une clinique.

45

H. Meschonnic, Poétique du traduire, déjà cité, p. 73.

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Mémoire d’introduction par Edward Glover Président du Comité de formation Le 21 septembre 1942 La présente discussion perdrait un peu de sa confusion si l’on pouvait

préalablement se mettre d’accord sur le plus de points possibles. Trois problèmes principaux sont à considérer : 1 /Que doit-on enseigner ? 2/Qui doit enseigner ? 3 /Comment doit-on enseigner ? Pour faciliter un accord possible en ce sens, j’ai exposé par écrit ce que je considère personnellement comme des points essentiels de tout programme de formation. Je suggère que tous les membres du Comité en fassent autant

1 / Que doit-on enseigner ? Il n’y a, pour moi, qu’une seule réponse à cette question : le corpus

principal du savoir psychanalytique, en un mot, Freud principalement. À l’avenir, cet enseignement devrait être élargi, c’est même une obligation, dans toutes les directions possibles et légitimes, de manière à inclure les contributions de quiconque travaille dans le champ psychanalytique, pourvu que ces contributions soient globalement admises par les autorités compétentes. Les thèses controversées devraient elles aussi être présentées aux candidats, mais seulement dans un cours de niveau supérieur. Ce cours devrait être complet et inclure des thèses controversées de toutes sortes, et non pas quelques-unes seulement qui s’opposent ou s’excluent mutuellement. La critique raisonnée de toutes ces thèses controversées devrait constituer une part essentielle de ce cours. Même lorsque les thèses du professeur lui-même prêtent à controverse d’une façon que l’on pourrait appeler « légitime » (c’est-à-dire lorsqu’il s’agit de thèses et de méthodes qui, bien que diversement appréciées, ne semblent contredire aucun principe freudien essentiel), elles ne devraient pas être enseignées avant d’avoir été intégralement discutées et globalement admises par la Société, électrice du Comité de formation. Les candidats devraient aussi être initiés aux principales thèses qui s’opposent aux enseignements de Freud, qu’elles proviennent de l’intérieur ou de l’extérieur de la Société. Ce serait un cours d’initiation qui servirait à former à la « pensée analytique ».

2 / Qui doit enseigner ? Seuls doivent enseigner les analystes dont les thèses ne contredisent sur

aucun point d’importance le corpus principal de l’enseignement de Freud. Au cas où un professeur en exercice développe un désaccord important avec l’enseignement de Freud, il doit en informer le Comité de formation. En cas de doute, le Comité de formation détermine en premier lieu si les thèses en

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question vont à l’encontre de l’enseignement admis de Freud. S’il n’est pas en mesure de le faire, le problème doit d’abord être soumis pour discussion à la Commission internationale de formation (voir aussi la première partie pour les fonctions de la Société locale).

3 / Comment doit-on enseigner ? A — Buts positifs On doit enseigner de manière que : 1 / Les candidats soient complètement familiarisés avec l’œuvre de Freud et

avec l’importance d’étudier cette œuvre. 2 / Il soit permis aux candidats d’apprendre à partir de leur propre expérience

et qu’ils ne soient pas intimidés par la crainte de l’erreur. 3 / Les candidats soient autorisés et encouragés à former leur propre opinion

sur des questions de controverse « légitimes » et, si possible, à poursuivre des recherches à leur propos.

B — Méthodes d’élimination de l’erreur 1 /Erreur subjective de la part du candidat. Ce sont des erreurs soit

émotionnelles, soit idéationnelles. L’analyse didactique est supposée éliminer l’erreur émotionnelle, et d’autres enseignements l’erreur idéationnelle. Mais il est parfaitement évident que des transferts résiduels (qu’ils soient « positifs ouverts » ou « négatifs cachés ») demeurent fréquemment actifs chez les candidats tout au long de la dernière partie de leur formation, et continuent d’agir une fois le candidat admis dans la Société. Étant donné l’existence de ces « transferts de formation », tout devrait être fait pour y parer a) par un enseignement équilibré, b) en rappelant fréquemment aux candidats cette source d’erreur potentielle.

2 /Erreur due à un mauvais enseignement. Elle doit être nettement distinguée du parti pris émotionnel de la part du candidat, même si, naturellement, elle peut renforcer ce parti pris. Il faut se rendre à cette évidence que les analystes ne sont pas nécessairement nés enseignants, encore moins des gens formés à cette fonction, et qu’ils peuvent, par conséquent, soit brider, soit intimider leurs élèves. En outre, l’enseignement peut être mauvais car sciemment tendancieux.

De ce côté, les principaux pièges sont : La sous-estimation des enseignements centraux et admis de la

psychanalyse. La surestimation de certains aspects de l’enseignement admis. La surestimation du matériel encore au stade de la controverse légitime,

ou L’accent mis sur des thèses ou l’adoption de procédures analytiques qui

ne font pas légitimement partie de la psychanalyse ou qui peuvent être contraires aux thèses admises de la psychanalyse.

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La situation existante Le fait le plus significatif (et qui n’est pas dépourvu d’humour) est que

si, pour des raisons de convenance, nous partagions les membres du Comité de formation ou de la Société en trois groupes, tous trois affirmeraient souscrire, sans doute sincèrement, à la plupart des positions que je viens d’exposer. Donc, soit nous disons tous des absurdités et faisons chacun notre petite tempête personnelle dans un verre d’eau, soit il y a de véritables divergences qu’il serait hypocrite et peu souhaitable de dissimuler. La question est celle-ci : un accord peut-il être trouvé sur ces divergences ?

À mon avis la situation est la suivante : 1 / Le groupe « de Vienne » se considère comme un noyau typiquement

freudien ne différant en rien de tout autre groupe freudien46. 2/ Le groupe « Klein» se considère comme un noyau freudien, mais il

estime avoir ajouté des connaissances vitales à l’enseignement freudien et l’avoir élargi dans beaucoup de directions, sinon dans la plupart.

3 / Le groupe de Vienne considère que l’œuvre du groupe Klein constitue

sur de nombreux points importants (je ne saurais précisément dire combien) une déviation et parfois une opposition à la théorie et à la pratique freudiennes classiques.

4 / Le groupe dont la dénomination est incertaine (du milieu ? modéré ?

de compromis ? composite ? restant ?) se considère aussi comme un groupe freudien. Quant aux contributions des chercheurs analytiques autres que Freud, ils se réservent le droit de les rejeter ou de les accepter après discussion libre et complète dans un contexte authentiquement scientifique. Les réactions des membres de ce groupe à l’œuvre de Mme Klein sont variables. Ils pensent tous qu’elle a apporté des contributions à la psychanalyse, mais certains pensent que ce ne fut le cas qu’au début de ses travaux. D’autres pensent que ses derniers travaux contiennent aussi des idées de valeur, mais que celles-ci n’ont pas l’ampleur ou la validité suffisante pour servir de fondements à une nouvelle métapsychologie. D’autres encore pensent que ses derniers travaux négligent ou mésestiment certaines découvertes freudiennes classiques ou s’en écartent. Mais tous conviendraient qu’il n’est pas justifié de considérer les thèses de Mme Klein comme un progrès absolu en tous domaines. En bref,

46 (Note originale d’Edward Glover) “Ces labels sont de pure convenance. Dans le cas de la Société, le groupe dit de Vienne comprendrait sûrement certains anciens membres de Berlin et peut-être quelques collègues anglais dans l'expectative.”

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ils considéreraient susceptibles d’intégration à la structure générale de la psychanalyse telle et telle de ses découvertes en tant que contributions somme toute plutôt spécialisées, et les rangeraient, suivant les préférences, parallèlement aux contributions d’Abraham, Ferenczi, Jones, etc. En revanche, ils seraient d’accord avec le groupe « de Vienne » pour considérer l’enseignement de Freud comme la préoccupation majeure de la psychanalyse.

Ils considéreraient enfin que l’on a restreint la présente question de l’enseignement analytique de façon quelque peu artificielle. Ils estimeraient que la justesse ou l’erreur des thèses de Mme Klein doivent être évaluées de la manière et dans le lieu (scientifiques) qui conviennent, sans perdre de vue que ces questions particulières ne sont qu’un problème analytique parmi beaucoup d’autres ; mais ils diraient que la question la plus importante est celle de la liberté scientifique.

Les méthodes actuelles d’enseignement, de recherche et de discussion brident-elles le développement des étudiants et le progrès de la psychanalyse ? Mon impression est que tout le monde conviendrait que les méthodes actuelles brident l’un et l’autre.

Pour conclure, j’ajouterai quelques observations personnelles d’ordre général. Pour différencier, d’une part, la validité ou l’importance relative des thèses de Mme Klein et, d’autre part, les méthodes qui président à leur propagation, le seul critère pratique me semble être comportemental, à savoir les réactions des candidats au cours de la formation et après qu’ils ont été admis dans la Société ou qu’ils sont eux- mêmes devenus professeurs.

À en juger par l’histoire de la discussion scientifique dans la Société depuis, disons, 1923, il est possible de distinguer grossièrement trois stades :

de 1923 à 1928 ou 1929, où la discussion, bien que fade, était relativement libre ;

de 1928-1929 à, en gros, 1933-1934, où elle est devenue de plus en plus stéréotypée et monotone ; et enfin

depuis 1934, où elle est devenue plus animée par moments, mais beaucoup plus marquée par les allégeances et, du moins à certains égards, encore moins scientifique que lorsqu’elle n’était que stéréotypée.

Cela me semble appeler une révision radicale de nos méthodes d’enseignement. Aujourd’hui plus qu’à aucune autre étape du développement de la psychanalyse, il faut assurer un enseignement freudien sain et, en même temps, garantir la liberté à l’égard de tous les facteurs de suggestion, qu’ils tiennent au prestige ou à la timidité, qui tendent à paralyser la personnalité des étudiants et par conséquent leur aptitude à une recherche fructueuse.

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Mémoire de discussion par James Strachey

Membre du Comité de formation Le 24 février 1943 Le Comité de formation a reçu de la Société l’instruction d’examiner en quoi

les controverses théoriques actuelles affectent les questions de formation. J’aimerais, pour commencer, indiquer que le problème qui nous est soumis est, en dernière instance, politique et administratif et non scientifique. Un étudiant en psychologie, parvenu à ce qui lui semble être la vérité sur certains phénomènes, pourrait très bien, tel Henry Cavendish dans le domaine de la physique, se contenter d’en rester là — et décider de garder ses conclusions pour soi. Les membres de la Société de psychanalyse, pour des raisons diverses, ont au contraire souhaité répandre leurs conclusions aussi largement que possible, et la tâche de ce Comité est d’examiner la meilleure manière de mettre cette décision en œuvre. Nous ne sommes donc pas confrontés à des problèmes de théorie, mais d’opportunité pratique.

Cela n’implique en rien que nos problèmes soient sans importance. Il est assez probable, au contraire, que tout l’avenir de la psychanalyse dans ce pays dépendra de notre décision. Car si elle n’est pas judicieuse, une ou deux conséquences également néfastes peuvent, au pire, s’ensuivre. D’une part, la diffusion de la psychanalyse peut se restreindre à un point tel qu’une position à la Henry Cavendish puisse en effet se développer. À l’inverse, nous pouvons susciter la diffusion d’un très large éventail de thèses, mais si ces thèses n’ont avec celles de la psychanalyse qu’une ressemblance lointaine ou si elles leur sont franchement opposées, notre politique aura purement et simplement échoué. Entre ces deux extrêmes également indésirables, il nous revient de trouver le juste milieu. Mais vous aurez compris que, même si un problème politique n’est pas nécessairement moins important qu’un problème scientifique, il requiert une approche entièrement différente. Les problèmes scientifiques doivent être abordés avec une logique impitoyable et une cohérence sans tache : il n’y a pas de moyen terme entre le vrai et le faux. Les problèmes administratifs, avec leurs considérations d’opportunité et l’évaluation constante des probabilités, demandent flexibilité et compromis. Pourtant, il n’y a pas ici de contradiction. L’adaptabilité politique n’est nullement incompatible avec le plus strict respect de la vérité scientifique, pas plus que la rigidité avec laquelle une idée est mise en œuvre ne constitue la moindre preuve que cette idée soit vraie.

Avant de nous lancer dans cette discussion politique, cependant, nous avons à résoudre une question préalable concernant la nature des vérités en jeu en psychanalyse; la réponse que nous y apporterons aura une influence profonde sur toutes nos décisions. Il y a deux possibilités. Ou bien la psychanalyse choisit

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de se considérer comme un système fermé de vérités immuables et exhaustives, que l’on ne saurait ni élargir ni corriger. Dans ce cas, le problème de la formation de ses praticiens sera très simplifié à maints égards : on jugera de leur aptitude exclusivement en fonction de leur proximité avec les idées et les pratiques édictées par ce système, et la discussion portera principalement sur la signification précise des propositions dogmatiques qu’il recèle. Ou bien la psychanalyse adopte sur sa propre nature la conception de Freud lui-même, telle qu’il l’exprime dans un article dont on trouvera la traduction dans le dernier numéro de l’International Journal: «La psychanalyse, dit-il, n’est pas un système à la manière de ceux de la philosophie, qui part de quelques concepts de base rigoureusement définis, avec lesquels il tente de saisir l’univers puis, une fois achevé, n’a plus de place pour des nouvelles découvertes et de meilleurs éléments de compréhension. Elle s’attache bien plutôt aux faits de son domaine d’activité, tente de résoudre les problèmes immédiats de l’observation, s’avance en tâtonnant sur le chemin de l’expérience, est toujours inachevée, toujours prête à aménager ou modifier ses doctrines ». Cette conception alternative que nous donne Freud de la nature des vérités psychanalytiques nous promet des tâches administratives bien plus ardues. Je résisterai néanmoins à la tentation de suivre le chemin tout tracé que représente la première conception et supposerai acquis sans plus de discussion notre choix de la seconde voie, plus épineuse.

Quelles sont donc nos difficultés ? Je débuterai par une difficulté très légère. Je ne la mentionne d’ailleurs que

pour montrer l’état d’esprit qui, à mon avis, doit présider au traitement des problèmes administratifs. Puisque ce n’est pas toute la vérité que la Société nous a donné instruction de répandre, mais seulement la vérité quant à un ensemble particulier et limité d’événements, nous commencerons par des sélections et des exclusions. Beaucoup de gens s’intéressent aux phénomènes de la géophysique ; mais nous n’insisterons pas pour que tous les candidats maîtrisent les vérités relatives à la tension de surface du globe, et nous déconseillerons même à ceux qui conduisent nos séminaires de s’étendre trop généreusement sur les lois qui déterminent l’épicentre des tremblements de terre. Par ailleurs, nombre de sciences empiètent plus ou moins sur la nôtre : d’autres branches spécialisées de la psychologie, certains secteurs de la médecine et de la physiologie, l’éducation, l’anthropologie, et ainsi de suite. Il est bien évident que nous encouragerons nos candidats à s’intéresser à ces domaines de la connaissance, même si, chacun demandant qu’on s’y consacre à plein temps, il est peu probable que nous attendions de chaque candidat qu’il soit expert en tout : il faudra nous contenter de chercher à avoir quelques praticiens en contact avec chacun de ces champs avoisinants. Mais cette question comme la définition précise des domaines qui entrent dans notre sujet ressortissent de toute évidence à ce que nous appellerons une solution

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quantitative, où la quantité sera déterminée en fonction de l’opportunité sans qu’il soit besoin de la fixer précisément, et pourra sans dommage varier entre certaines limites.

J’en viens sans attendre à la principale difficulté qui est la nôtre comme organisateurs de la diffusion de la psychanalyse. Elle est inhérente à la conception qu’avait Freud de notre science : quelque chose d’incomplet, susceptible d’être modifié. Car qui décidera qu’une extension particulière est justifiée ou une correction particulière nécessaire ? Seul un leader omniscient qui pourrait nous imposer son opinion ou quelque miracle qui nous ferait toujours parvenir à une conclusion unanime nous épargnerait cette difficulté. Or aucune de ces issues ne semble se proposer à nous. Une division de ce genre à propos d’une proposition d’extension et de correction de nos thèses est, nous le savons tous, cause de ces remarques ; de sorte que la façon dont ici, au Comité de formation, nous pouvons être affectés par une divergence d’opinions théoriques, nous est à tous familière. Le danger vient de ce que ceux qui soutiennent un ensemble de thèses soient tentés de déclarer ceux qui soutiennent l’ensemble de thèses opposées incompétents pour les activités de formation ; une telle attitude, si elle persiste, mènera assez inévitablement à un clivage irréductible dans l’aspect pratique de notre travail.

Il y a un autre point important à observer. Certains d’entre nous peuvent être enclins à penser que la divergence actuelle est d’une gravité extraordinaire ou même unique — une chose qu’on ne reverra sans doute jamais — et que, par conséquent, si seulement nous pouvions la surmonter (par la violence, si nécessaire), tout serait sauvé. Bien entendu, c’est pure illusion. Ce type particulier de crise, par la nature des choses, est voué à se reproduire. En vérité, si nous acceptons les mots de Freud que je viens de citer, nous devons nous attendre à une succession continue de situations similaires. Nous pouvons être certains que des propositions importantes d’extension ou de correction de nos thèses — et il faut espérer qu’il y en ait beaucoup — n’ont guère de chances d’être admises sans conflit ; et si, à chaque occasion, le désaccord est porté sur le terrain de la formation, nous devons nous attendre à une succession ininterrompue de ruptures. Il est difficile, dans ces conditions, de voir en rose l’avenir politique de la psychanalyse.

Il est donc du devoir de quiconque prend à cœur les intérêts de la psychanalyse d’y regarder à deux fois avant d’approuver un programme de déclenchement d’avalanches et, notamment, de passer au crible les postulats qui inspirent un tel programme. Il importe surtout de trouver une réponse à la question suivante, sur laquelle semblent se concentrer tant de nos maux : « En quoi et dans quelle mesure des thèses fausses ou déficientes sur les découvertes ou les théories de la psychanalyse impliquent-elles l’incompétence à conduire une analyse didactique, à accomplir un travail de

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contrôle, à diriger un séminaire ou à donner une série de conférences ? » Bien entendu, il ne s’agit pas d’une seule, mais de plusieurs questions connexes, et je n’entends pas les aborder une par une. Je dirai simplement quelque chose de ce qui est de toute évidence le nœud du problème : la partie de la question qui concerne les inaptitudes éventuelles à la conduite d’analyses didactiques.

« Tes thèses sont tellement déficientes que tu es incapable de conduire une analyse didactique, et n’importe quelle analyse, d’ailleurs », dit un protagoniste.

« Tes thèses sont tellement fausses que tu es incapable de conduire une analyse didactique, et n’importe quelle analyse, d’ailleurs », répond l’autre.

Il est essentiel de parler sans ambages et de poser les problèmes en ces termes extrêmes, puisque c’est ainsi que partisans et opposants convaincus d’une thèse nouvelle risquent de les voir, et que c’est bien à leurs positions respectives que nous avons affaire.

Tout d’abord, cependant, cette difficulté, comme celle des sujets d’étude à exclure ou à inclure dont j’ai déjà parlé, peut aussi être traitée, dans une certaine mesure, selon des critères quantitatifs. Il y a certains maxima de déficience et de fausseté qui provoqueront l’unanimité. C’est ainsi que nous nous refuserons tous à reconnaître comme analyste didactique quelqu’un qui n’aurait jamais entendu parler du complexe d’Œdipe ou qui croirait que la claustrophobie est provoquée par l’action des rayons de lune sur le cuir chevelu. Et il y a des minima de déficience et de fausseté qui provoqueront aussi l’unanimité. Ainsi, nous conviendrons que le fait de ne pas avoir lu un article de Federn publié dans le Zeitschrift en 1926, même s’il est regrettable, ne constitue pas une raison d’exclusion. Et quelqu’un qui croit que la période de latence commence plus souvent pendant la première moitié de la sixième année, de la vie que pendant la deuxième moitié de la cinquième année sera peut-être considéré comme compétent pour la conduite d’une analyse didactique, même par quelqu’un qui croit que la période de latence commence plus souvent pendant la deuxième moitié de la cinquième année de la vie que pendant la première moitié de la sixième année.

Ici encore, comme pour la difficulté d’exclure ou pas des sujets d’étude, la ligne de partage entre le maximum d’erreur qui implique l’exclusion et le minimum d’erreur qui permet l’inclusion sera tracée suivant des impératifs d’opportunité.

Mais il n’est pas facile de tracer cette ligne. Freud lui-même s’y est essayé plus d’une fois. Par exemple, dans l’article que j’ai déjà cité, il dit que « l’acceptation de processus psychiques inconscients, la reconnaissance de la doctrine de la résistance et du refoulement, la prise en considération de la sexualité et du complexe d’Œdipe sont les contenus principaux de la psychanalyse et les fondements de sa théorie », et il ajoute : « Qui n’est pas en

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mesure de souscrire à tous ne devrait pas compter parmi les psychanalystes47 ». Est-ce que nous conviendrions tous qu’il s’agit là d’un critère adéquat ? Ou bien certains d’entre nous pensent-ils qu’il faut l’élargir, le préciser ou l’affiner pour qu’il soit suffisamment sélectif ? Surtout, il y a une question d’époque. Freud a écrit ce passage en 1922. Se serait-il contenté des mêmes critères quinze ans plus tard ?

Il pourrait d’ailleurs être édifiant d’imaginer un instant ce qui se serait passé si toute la chaîne des découvertes et des théories de Freud avait été l’œuvre non pas d’un seul homme dans l’espace d’une vie, mais d’une succession d’hommes pendant plus longtemps. Quelle aurait été l’attitude d’analystes élevés dans la théorie sans nuances des névroses du « conflit moi-libido » envers l’homme qui, le premier, aurait ébauché le concept de narcissisme ? En quels termes des analystes habitués à accorder beaucoup d’importance aux sentiments passifs primaires de leurs patients de sexe masculin dépeindraient-ils les traitements du temps jadis, où il fallait tout expliquer, d’une façon ou d’une autre, en termes de complexe œdipien positif ? Il n’est pas invraisemblable d’imaginer que chaque modification de ce genre aurait provoqué des crises en tout point comparables à celle que nous connaissons aujourd’hui et aux nombreuses autres que l’avenir nous réserve peut-être. Pourtant, les choses se sont passées de telle manière que ces ruptures ne se sont pas produites : les innovations et les corrections se sont succédé dans la plus parfaite harmonie. Ne pourrions-nous donc profiter de cette leçon de choses ?

Je suis enclin à penser que l’une des causes principales de notre problème est une confusion à propos des relations entre découvertes et théories, d’une part, et procédures techniques, d’autre part. J’ai déjà indiqué que les gens ont tendance à dire de leurs contradicteurs : « Ses thèses sont erronées, sa technique doit donc être erronée. » En fait, c’est là le point de départ de nos investigations. Si l’on pousse un peu le raisonnement en demandant à notre interlocuteur comment sait-il que les thèses de son contradicteur sont erronées, la réponse tourne parfois en rond : « Oh ! Mais sa technique est erronée, donc ses thèses doivent être erronées. » Bien entendu, la vérité est que les relations entre procédures techniques, découvertes et théorie sont très compliquées. Ainsi, on peut très bien (comme je viens de le dire) utiliser une technique erronée tout en soutenant des thèses correctes. Je pense que les changements d’opinion de Freud montrent qu’il est tout aussi possible d’utiliser une technique valable et d’aboutir cependant à des conclusions fausses. Néanmoins, je n’hésite pas à souligner que, finalement, une technique valable n’est pas nécessairement, ni même principalement, le produit de nos découvertes et de nos théories scientifiques, mais plutôt l’instrument le plus efficace pour y parvenir. Et je suggère que le critère essentiel pour apprécier l’aptitude de quelqu’un à

47 S. Freud (1923), «“Psychanalyse” et “Théorie de la libido”», déjà cité, p. 203.

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conduire une analyse didactique ne porte pas sur la justesse de ses thèses en matière d’étiologie ou de théorie, mais sur la validité de sa technique. Si sa technique est valable, toutes les lacunes de son savoir (certainement nombreuses) et toutes les erreurs entachant ses déduction (qui, n’en doutons pas, ne seront pas rares) n’auront que ce que j’appellerais des effets locaux : elles ne susciteront aucune distorsion généralisée du tableau analytique, et il sera toujours possible, en outre, de combler les lacunes et de corriger les erreurs.

On objectera sans doute que les choses doivent aussi fonctionner dans l’autre sens : quiconque a sur l’objet de la psychanalyse des thèses incomplètes ou fausses finira nécessairement par utiliser une technique erronée. Je conviens qu’il en est ainsi jusqu’à un certain point ; mais je crois possible d’établir une distinction entre deux sortes d’erreurs différentes, dont l’une est bien plus fondamentale que l’autre. Pour prendre un exemple concret, imaginons l’analyste qui aurait analysé un patient de sexe masculin, par exemple un obsessionnel, avant que l’importance du complexe œdipien inversé n’ait été correctement évaluée. Sa technique était sans doute très fautive : il y avait une bonne part du matériel inconscient qu’il n’interprétait pas, et il avait tendance à insister à tort sur beaucoup de ce qu’il interprétait. Néanmoins, à condition qu’il ait utilisé ce que j’appelle une technique valable, son travail aurait été à mon avis inattaquable en ce qui concerne sa partie effectivement réalisée, et pouvait provoquer un effet salutaire indirect sur l’ensemble du psychisme du patient, y compris sur ce qu’en ignorait l’analyste, du fait de l’analyse approfondie de la partie limitée qu’il aurait compris véritablement. C’est d’ailleurs ainsi que doivent s’expliquer toutes les analyses réussies réalisées avant les découvertes tardives de Freud, et aussi toutes nos analyses réussies d’aujourd’hui — puisque j’ai l’imprudence de croire que les siècles ou les millénaires à venir verront la découverte de faits du psychisme humain que nous ignorons aujourd’hui. En revanche, je crois possible qu’un analyste possédant une connaissance complète et exacte de la nature du complexe œdipien inversé utilise cette connaissance pour conduire une analyse avec une technique si mauvaise (dans le maniement du transfert, par exemple) que nous hésiterions tous à le laisser travailler comme analyste didacticien. Ainsi, la validité plus fondamentale à laquelle je pense tient plus à la forme qu’au contenu : c’est une question de comportement de l’analyste plutôt que du savoir qu’il possède.

Je me rends compte, bien entendu, que cela ne fait que déplacer le problème. Il nous faut désormais examiner — même si je ne me propose pas de le faire aujourd’hui — quels sont les critères essentiels de cette technique correcte. Ce doit être notre première et notre principale tâche. Bien qu’on y ait apporté plus d’attention ces dix dernières années, la question de la technique est encore beaucoup trop négligée. Ses véritables détails

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demeurent enveloppés de trop de mystère. Malgré le questionnaire de Glover, que savons-nous, les uns et les autres, du véritable comportement d’analyste de chacun ? Peut-être en serions-nous choqués. Peut-être s’avérerait-il que, sur le fond, nos méthodes sont plus proches que nous ne le craignons. En tout cas, si ce Comité doit connaître des divisions, c’est sûrement sur cette question qu’elles doivent se produire et non à propos d’inférence et de théorie. Enfin, après avoir éclairci les différences qui apparaîtront, il nous restera encore à les traiter en questions politiques, c’est-à-dire à examiner un autre problème quantitatif: dans quelle mesure ces différences particulières sont-elles susceptibles de produire des résultats si faussés qu’ils cessent d’être fiables sur des points d’une réelle importance ?

Toutefois, il reste une possibilité dont je n’ai pas encore parlé. Jusqu’ici j’ai suivi l’hypothèse que, s’agissant de découvertes ou de théories controversées, chacun de nous était absolument et positivement certain qu’il avait raison et que ses contradicteurs avaient tort. J’ai examiné jusqu’ici dans quelle mesure, étant acquis que je suis absolument et positivement certain d’avoir raison, je serais néanmoins disposé, pour des raisons politiques (c’est-à-dire d’opportunité), à permettre à mon contradicteur d’exercer les fonctions d’analyste didacticien, même si je suis absolument et positivement certain qu’il est dans l’erreur. Comme je l’ai suggéré, je serais prêt à le faire si le conflit ne porte pas sur une question trop importante et si je peux me convaincre que la technique qu’il utilise est assez correcte pour que l’erreur ait une portée limitée et qu’il soit possible de la rectifier.

Mais que dire de la situation extraordinaire et tout à fait invraisemblable qui surviendrait si je n’étais pas absolument sûr et certain de toutes ces choses, si je considérais seulement qu’elles sont plausibles dans l’ensemble, voire, horreur des horreurs, si j’étais dans le doute le plus complet quant à la vérité ?

Il y a au moins ceci de certain : si chacun de nous avait un tant soit peu de circonspection à propos de ses propres conclusions et était un tant soit peu disposé à examiner celles des autres ; si chacun de nous pouvait supporter un peu d’incertitude sur quelques questions, les difficultés administratives du Comité de formation s’en trouveraient considérablement réduites. En revanche, sa mission urgente serait conforme à ce que j’ai déjà proposé, à savoir un examen rigoureux de ce que sont les aspects essentiels d’une technique valide. Car, en dernière instance, il n’y a d’autre manière de résoudre les doutes et les incertitudes que l’accumulation de faits nouveaux, et la crédibilité de ces faits dépend nécessairement de la fiabilité de l’instrument au moyen duquel on les observe.

Ainsi, l’action qui doit être entreprise par le Comité de formation se

décompose à mon avis en trois volets :

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Premièrement, nous devons décider, du mieux que nous pouvons, quels sont les aspects essentiels d’une technique psychanalytique valide.

Deuxièmement, nous devons tâcher de découvrir si les différents partis de nos controverses présentes divergent quant à ces aspects essentiels, et en quoi.

Troisièmement, forts de ces connaissances, nous devons traiter la question purement politique de l’opportunité d’empêcher ceux qui seraient concernés d’exercer les fonctions d’analyste didacticien ou toute autre activité éducative.

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Mémoire sur sa technique par Marjorie Brierley Note au Comité de formation sur la technique valide

Le 25 octobre 1943 Introduction M. Strachey a remarqué que les détails de la technique individuelle

« demeurent enveloppés de trop de mystère ». À moins d’éclaircir substantiellement ce mystère, je ne vois pas comment nous pourrions découvrir les limites à l’intérieur desquelles la technique peut varier tout en conservant sa validité, en particulier pour ce qui concerne la formation. Nous devons maintenant découvrir quelles techniques ont cours dans la pratique actuelle de manière à établir des critères empiriques plutôt que théoriques. Une certaine considération doit être apportée aux principes généraux, mais, si nous voulons obtenir les données dont nous avons besoin, il nous faut annoncer franchement ce que nous faisons et pourquoi nous le faisons. Pour autant, il est absolument impossible à quiconque d’entre nous, et a fortiori à nous tous, de donner un compte rendu complet de nos méthodes respectives. Sans parler de toutes les modifications délibérées que justifient les cas d’urgences de guerre, etc., mon propre comportement dans le quotidien de l’analyse varie tellement, dans le détail, d’un patient à l’autre, qu’il me semble souvent ne pas avoir de technique. Je crois néanmoins utile, pour maintenir la discussion sur le terrain de la conduite effective des cas, d’indiquer aussi brièvement que possible ma propre façon de faire, pour l’essentiel, à propos de quelques thèmes choisis. En nous fournissant quelques sérieuses pommes de discorde, une telle démarche peut nous aider à ne pas nous perdre en généralités.

Je me propose donc de commencer en déclarant aussi rapidement que possible ce que je considère être mon but et ma tâche d’analyste, comment je m’y consacre et ce qui me guide dans ce travail. J’apporterai ensuite un exemple de traitement d’un patient au début de la cure. J’ai choisi cet exemple en partie parce qu’il s’agissait d’un début, et qu’il est donc plus facile de résumer l’information dont je disposais alors, et en partie parce que sa validité me semble discutable, et que cela n’est pas sans rapport avec les problèmes actuels. Après une remarque sur les buts de la formation, je dirai dans quelle mesure et de quelle manière je considère que ma technique a été influencée par l’œuvre de Mme Klein. Je conclurai en indiquant, avec la même franchise et, je l’espère, la même brièveté, mes doutes quant à mes propres méthodes, quant à la technique freudienne classique ou conservatrice et quant à la technique de Mme Klein.

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But et tâche de l’analyse Le but de l’analyse se trouve condensé, pour moi, en une simple expression :

« rétablissement intégral du moi sur la base de la réalité ». Cette expression recouvre pour moi les nombreuses autres manières de décrire ce but, par exemple réadaptation, redistribution d’énergie entre des systèmes psychiques au bénéfice du moi, résolution des conflits, révision et réédition des défenses, travail de régénération, etc. Elle offre l’avantage d’exprimer ce que je tiens pour l’essence de la tâche de l’analyste : aider le patient à se libérer de la tyrannie du ça et/ou du surmoi et soutenir son moi jusqu’à ce qu’il devienne suffisamment maître chez lui pour se passer de mes services. Je me considère comme l’alliée du moi dans la tâche de médiation entre le ça, le surmoi et les exigences de l’environnement, et dans l’accroissement de la tolérance à la réalité externe et interne, accroissement nécessaire si l’on veut corriger des contrôles automatiques défaillants et renforcer le contrôle volontaire. Il me paraît exact que le soutien du moi soit mieux assuré, au moins au début de l’analyse, lorsque l’analyste est accepté comme un surmoi auxiliaire. Mais, à mon avis, l’intérêt de cette situation favorable est perdu si l’analyste s’allie au surmoi préexistant. Il est impossible de parvenir à plus de coopération entre les systèmes psychiques sous la conduite du moi, ou au bénéfice du moi, par le renforcement d’un surmoi réactionnel. À en juger par des cas que j’ai moi-même connus, certains, à Tavistock Square, peuvent commettre cette erreur. Ils analysent les contenus inconscients de préférence aux contrôles conscients. À cet égard, ce sont des réalistes partiels, alors qu’il me semble que la technique est d’autant plus valide qu’elle aboutit à un réalisme intégral. Il se trouve que, par nature, je n’éprouve pas de sympathie pour les surmois réactionnels et que j’ai peut-être trop d’indulgence pour les désirs du ça, et je suis bien consciente du type d’erreurs que cela me réserve. Néanmoins, il est vrai que je me considère incontestablement comme l’alliée du moi, son guide vers le réalisme, et que j’essaie de me conduire en conséquence.

Processus analytique et relation analytique Les remarques qui précèdent ne signifient évidemment pas que je considère

le processus analytique comme un processus moïque, ou la relation dynamique entre l’analyste et le patient comme limitée à une relation moïque. Le processus affecte toute la psyché et la relation qui le promeut est une relation totale dans laquelle l’interaction inconsciente est, en général, bien plus importante que le contact moïque. Le dynamisme dépend du rapport inconscient. Pour l’analyste, ce rapport semble demander un degré d’identification avec le patient assez important pour rendre l’empathie possible, mais pas au point de fausser son jugement et sa perspective. La preuve que ce rapport est adéquat se manifeste de différentes façons, tout comme la preuve qu’il est

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inadéquat, mais, dans tous les cas, c’est en tant que résonance affective qu’il m’est perceptible.

Méthode de travail J’ai commencé à pratiquer avec des idées marquées par trop d’optimisme

et de passivité. Ainsi, je voyais l’analyse comme un processus qui bénéficierait automatiquement au patient si je pouvais aider à écarter les obstacles de la résistance afin qu’il puisse suivre son cours. Je me considérais comme le destinataire passif du transfert. Je continue de penser que l’on peut seulement aider les patients à se guérir eux- mêmes, mais j’en suis venue à l’idée que l’analyste est davantage qu’un destinataire passif et un réflecteur. Aujourd’hui je le considère plutôt comme un partenaire actif et responsable dans un processus vivant dont le résultat final, dans les cas favorables, est un degré plus ou moins adéquat de rétablissement du moi. Je ne m’impose pas au patient, mais je crois qu’il a besoin d’une coopération active dans sa quête de soi. Je pense d’ailleurs être passée par une courte phase de suractivité, mais tout ce qu’il en reste dans ma pratique quotidienne est une tendance à interpréter trop tôt plutôt que trop tard et à faire quelque chose sous l’aiguillon de l’angoisse thérapeutique lorsqu’il vaudrait mieux, finalement, ne rien faire du tout. Mais je n’interviens pas, sauf en réponse au patient; ma réceptivité n’en est pas amoindrie. Dans le travail, mon jugement conscient fonctionne en permanence, particulièrement dans l’évaluation et le réexamen des impressions que je reçois et de mes impulsions à réagir. Mais le véritable travail me semble toujours s’effectuer par inférence inconsciente et par empathie beaucoup plus que par la pensée consciente. Pour moi, les phénomènes du contre-transfert sont de deux types, les réactions d’objet à l’égard du patient et les réactions d’identification au patient. De même que l’affect chez le patient est un indice de l’objet de son intérêt à un instant précis, je trouve dans l’empathie un indicateur utile de l’opportunité et du type de l’interprétation.

Naturellement, j’aborde chaque patient avec une foule de préconceptions techniques et théoriques plus implicites qu’explicites. Dans l’ensemble, il me semble que ces préconceptions sont comparables à une carte sur laquelle le patient trace son propre parcours. Elles n’imposent aucune forme à ce parcours, mais influencent certainement mes façons de l’appréhender et les termes dans lesquels je peux le décrire au patient. J’incline plus à modifier mes idées préconçues pour qu’elles correspondent au nouveau parcours du patient qu’à intervenir sur le parcours pour qu’il corresponde à mes idées. L’effort de comprendre pour pouvoir aider est aussi un processus continu qui consiste à apprendre du patient. Je trouve la conjonction de la thérapie et de la recherche extrêmement négative, car l’angoisse thérapeutique interfère avec l’apprentissage. J’apprendrais plus et plus vite si je pouvais penser au

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patient comme à une tirelire ou à un cobaye et, pour autant que je sache, de son côté, le patient pourrait mieux faire. Mais du début à la fin il reste obstinément un être humain, dont les besoins thérapeutiques priment sur les intérêts de la recherche.

Je n’ai d’autre règle quant au type ou à la profondeur de l’interprétation que la prise en compte de ce dont le patient semble avoir besoin à un moment donné. Certains patients demandent des interprétations plus profondes beaucoup plus précocement que d’autres. Je n’ai guère l’expérience de véritables psychotiques, mais à en juger par des cas limites que j’ai pu voir, j’imagine qu’ils auraient besoin d’interprétations profondes tôt dans la cure plus souvent que la moyenne des psychonévrosés. À mon avis, la validité de toute interprétation, profonde ou superficielle, dépend autant de sa pertinence immédiate pour le patient que de son exactitude. Une interprétation exacte venant au mauvais moment, par exemple le tableau véridique d’une situation inconsciente encore intolérable, peut avoir tous les effets néfastes que le Dr Glover décrit comme les résultats d’une interprétation inexacte.

Tout en étant d’accord avec M. Strachey quant à la plus grande efficacité du type d’interprétation qu’il considère comme capable de provoquer une mutation, je me trouve rarement en situation de donner une interprétation de transfert portant sur un drame complet avec toute la troupe en scène. Je suis plus habituée aux reprises transférentielles, scène par scène, et même mot à mot, et à un absentéisme fréquent. Je ne limite pas l’interprétation de transfert au transfert envers moi ; je la poursuis dans le monde extérieur à la recherche des dérivés et des déplacements instinctuels, mais, chaque fois que possible, je mets l’interprétation extra analytique en relation avec la situation analytique du moment. J’avance très prudemment avec les patients qui ne tolèrent pas l’interprétation directe de transfert et je saisis chaque opportunité d’analyser cette résistance jusqu’à ce qu’un certain degré de tolérance soit atteint. Je trouve utile de suivre, non seulement la succession des phases transférentielles, mais aussi la signification variable de la situation analytique par rapport aux phénomènes transférentiels. Par exemple, si un patient, en me saluant, arbore l’air maussade qu’avait sa mère quand elle était mécontente de lui, se plaint pendant sa séance du fait de devoir venir tous les jours à la même heure, et rechigne en outre aux associations, je mets cette grogne au compte de l’hostilité liée à l’apprentissage de la propreté. Une autre fois, il pourra me saluer avec exactement le même air maussade, mais si la signification de l’analyse a changé, par exemple si elle est devenue une salle de classe ou la chambre de ses parents, il s’agira alors d’une référence à une situation différente de sa vie. Aucun tableau émotionnel ne me satisfait tant que je ne peux pas le situer dans son cadre environnemental.

Cela a des conséquences pour l’interprétation relative aux « objets internalisés ». Très souvent, me semble-t-il, l’inquiétude face aux objets internalisés et le genre d’angoisses que Mme Klein attribue à la « position

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dépressive » se manifestent et doivent être interprétées par rapport à l’acquisition du contrôle sphinctérien. Les histoires de l’objet reflètent les tribulations de cette période de la vie même si, bien entendu, elles ne reflètent pas seulement ces événements-là. Pourtant, une jeune femme, patiente très fermement convaincue qu’elle ne possédait rien de bon en elle, qu’elle gâcherait toujours tout ce qu’elle entreprendrait et qu’elle ne serait ou ne ferait jamais rien de valable, avait souffert de dysenterie à un certain moment entre un an et demi et deux ans et demi. La période exacte est incertaine, mais l’évidence interne situe la maladie au moment où la patiente commençait à acquérir une certaine assurance de sa maîtrise, qui fut complètement brisée. La poussée dentaire, l’apprentissage de la marche et de la parole, interviennent également. Je propose donc rarement des interprétations d’objets internes en termes de relations affectives aux objets seulement, mais plutôt, chaque fois que possible, par rapport à une situation vitale qui semble en constituer le cadre. Je ne sais pas comment cela peut se passer avec de véritables psychotiques, mais, généralement, les psychonévrosés qui parlent librement en termes d’objets internes régressent ; ils fuient les situations œdipiennes. Néanmoins, lorsque l’histoire d’Œdipe est racontée, elle se révèle anormale, et il est vraisemblable que les positions vers lesquelles les patients régressent sont le plus souvent des positions où quelque accident s’est produit, qui a entravé tout à la fois le développement d’une situation œdipienne adéquate et une issue favorable à cette situation.

Illustration Une femme mariée, d’une trentaine d’années, me dit lors de son premier

entretien qu’il y avait en elle une sorte de démon qu’elle voulait que j’exorcise et qu’elle espérait recevoir de moi quelque chose de bon à mettre à la place du démon. Elle passa le reste de l’entretien et ceux qui suivirent, soit à décrire l’histoire de sa maladie (inquiétude obsessionnelle de la mort et peur d’un suicide compulsionnel), soit à me parler de son histoire personnelle et familiale. Il y était question de la perte précoce de sa mère et de la dévotion que dans son enfance elle avait eue pour son père. Chaque fois qu’elle parlait de son mari, elle insistait tant et tant sur sa bonté pour elle que j’eus la très nette impression qu’elle étouffait d’hostilité refoulée à son égard. Elle me dit aussi être frigide et n’avoir jamais réussi à être enceinte, malgré son sentiment de vouloir une famille nombreuse. Elle parlait très librement et je n’intervins que lorsqu’elle commença à se répéter. Ma première interprétation lui indiquait qu’elle espérait retrouver en moi la mère qu’elle avait perdue trop tôt et que ce qu’elle voulait me confier, mais qu’elle trouvait aussi monstrueux qu’injustifiable, était l’irritation accumulée et la déception amère qu’elle éprouvait envers son mari et sa vie conjugale. Malgré toute sa très réelle bonté, il était loin

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d’égaler le modèle établi par son père. Cela ouvrit les vannes de ses griefs. D’une part, son affection pour son mari se ranima et, d’autre part, sa rancune contre son père pour son remariage lorsqu’elle était adolescente ainsi que sa haine envers sa belle-mère vinrent à la surface, parallèlement à la crainte que je puisse me révéler une belle-mère. Bref, l’analyse semblait en marche. À notre surprise mutuelle, nous apprîmes quelque temps après qu’elle avait dû devenir enceinte à sa quatrième semaine d’analyse.

Mon traitement de ce cas était-il valide, ou constituait-il un parfait exemple de « connivence » avec les désirs du patient ? (Que se serait-il passé si l’analyste avait été un homme ?)

L’analyse didactique Pour l’essentiel, l’analyse didactique est la même que l’analyse

thérapeutique. Dans son intérêt comme dans l’intérêt de son patient, il est souhaitable qu’un candidat ait une bonne compréhension de sa propre mentalité et une tolérance suffisante de l’angoisse. Mais une fois le processus de rétablissement du moi bien entamé, et il y a des raisons de supposer que la pratique de l’analyse constitue une sublimation appropriée pour le candidat, le travail avec des patients peut soutenir les dernières étapes de son l’analyse, comme il peut, d’ailleurs, réduire la durée de son analyse personnelle. Je pense que la durée de l’analyse didactique restera une question ouverte : la durée optimale peut varier considérablement d’un candidat à l’autre, comme la durée optimale d’une analyse thérapeutique. La condition générale la plus importante est que l’analyse ait progressé jusqu’au point où le candidat commence à se découvrir et soit enfin capable de devenir relativement indépendant de son analyste tant dans sa vie que dans son travail. Si ce point est atteint, l’association postanalytique avec l’analyste contribuera à humaniser l’analyse et à desserrer les liens de transfert infantiles jusqu’à ce que, même si leur influence continue de se faire sentir, ils ne dominent plus les sentiments et le comportement.

L’objectivité sur soi-même n’est jamais complète et l’objectivité quant à son propre analyste est plus relative et plus difficile à obtenir. Mais c’est un objectif nécessaire de la formation. Un certain degré de dépendance au début, la demande de conseils, l’imitation consciente ou inconsciente des méthodes, etc., sont bien naturels, de même qu’il est naturel d’aller chercher conseil auprès des analystes de contrôle. Mais si l’analyste didacticien sait amener le candidat jusqu’au point à partir duquel celui-ci peut continuer à progresser et à tirer les enseignements de son expérience, et si ses contrôleurs peuvent lui donner de bonnes orientations pour l’aider à développer sa propre technique, ses meilleurs enseignants par la suite seront ses patients. Chaque nouveau patient poursuivra l’éducation, et sans doute aussi l’analyse personnelle, de son analyste sans la moindre pitié. Tout ce que la formation peut espérer procurer est un bon départ.

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Ce n’est qu’en affranchissant les étudiants de leur tutelle dès qu’ils sont en mesure de travailler seuls et en les encourageant à mûrir dans la voie qui est la leur que nous est permis l’espoir d’assurer un progrès constant de la technique de génération en génération.

Influence de l’œuvre de Mme Klein sur la technique Si je me demande quelle influence l’œuvre de Mme Klein a eue sur ma

propre technique, la réponse est : très peu quant aux principes, mais énormément quant à l’étendue des questions concernées. Par exemple, je fais autant d’interprétations sur le complexe d’Œdipe qu’à mes débuts, et sans doute davantage. La seule différence, c’est que désormais il m’arrive de pouvoir relier les particularités des situations spécifiquement œdipiennes à des expériences précédentes. Ainsi, une capacité hystérique d’amour de l’adulte avec exclusion de la génitalité et le besoin exagéré d’être aimé peut représenter un échec dans le dépassement d’une situation œdipienne pathologique en soi, car provenant de précédents échecs du développement. J’ai aujourd’hui une vision beaucoup plus claire des relations compliquées entre les aspects oral, anal et génital de l’expérience de chacun et du jeu existant entre la libido et l’agressivité. D’une manière générale, j’ai beaucoup plus de respect pour certaines découvertes cliniques de Mme Klein que pour sa façon d’en rendre compte ou pour les déductions qu’elle en tire. Je pense qu’elle perçoit ce que certains bébés ressentent en certaines circonstances. Je ne pense pas qu’elle sache nécessairement ce que tous les bébés ressentent en toute circonstance. Je me dis souvent qu’elle se concentre sur certains aspects au détriment d’autres. Néanmoins, je crois qu’elle a énormément élargi le champ de la recherche et éclairci beaucoup de problèmes obscurs. La question de savoir si nous admettons ou n’admettons pas ses points de vue ne me semble pas importante, à condition que nous étudiions le matériel de nos propres cas pour déterminer dans quelle mesure il les corrobore ou les infirme. Du point de vue de la pratique et de la formation, c’est la validité des découvertes cliniques qui doit être évaluée, et on ne saurait mieux le faire qu’en les comparant à d’autres découvertes cliniques.

Inquiétudes Technique personnelle. Les sources d’erreur les plus probables de ma

propre technique sont évidentes, et il n’est pas nécessaire ici d’entrer plus avant dans les détails.

La technique freudienne conservatrice. Il est inévitable que nos collègues

viennois se sentent une responsabilité spéciale dans le maintien de la « vraie» psychanalyse ; je trouve donc leurs inquiétudes quant au travail de

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Mme Klein naturelles et compréhensibles. Cependant, le risque existe que le souci de garder la psychanalyse « saine » incite à l’ultra-conservatisme et à l’hyper rigidité. Pour ceux d’entre nous qui ont tiré profit du travail de Mme Klein sans devenir ses disciples, « l’enseignement viennois » semble manquer un peu de vitalité et d’envergure. Il paraît inadapté, au même titre que l’article de Freud pour l’Encyclopédie après la publication du « Moi et du Ça ». Les erreurs, s’il y en a, tiennent à ce qui a été omis et non à ce qui a été commis. Il n’y a pas une once de psychanalyse « sauvage » ; seulement les dangers potentiels de l’hyper-conservatisme qui tend à limiter indûment les perspectives et la technique.

La technique de Mme Klein. Comme vous le savez tous, le travail de

Mme Klein m’intéresse beaucoup et je l’ai trouvé à la fois éclairant et utile. Mais il m’a toujours semblé qu’il manquait de perspective et qu’elle était trop encline à simplifier à l’excès ou à forcer le trait. J’ai éprouvé de l’inquiétude devant la vague d’enthousiasme qui a balayé la Société il y a quelques années, et qui précipitait des membres de la Société chez Mme Klein pour la consulter sur leurs cas. J’y ai vu quelque chose de si malsain que je demeure l’un des seuls membres à ne l’avoir jamais consultée ainsi. L’inconvénient le plus immédiat de cette attitude est, bien sûr, que je n’ai aucune connaissance de première main de ses véritables méthodes. Mes impressions que sa technique, ainsi que celle de ses collègues, comporte une tendance au stéréotype, à la valorisation sélective de certains points et à diverses formes de suggestion de transfert sont toutes des impressions de deuxième, de troisième ou de quatrième main, si l’on excepte les interventions faites dans les réunions.

La principale source de mes propres inquiétudes est l’impression directe et de première main que ni Mme Klein ni ses adeptes les plus proches ne font preuve d’un réalisme suffisant envers son travail. Je veux bien faire la part du regrettable concours de circonstances qui a favorisé l’intolérance aux critiques et l’encensement surproducteur de son travail. Je ne suis pas sûre que ces circonstances défavorables expliquent complètement le manque évident de réalisme. Notre Société connaissait déjà des conditions difficiles avant l’arrivée de nos collègues de Vienne. En vérité, nombre d’entre nous espéraient que leur arrivée nous aiderait à aboutir à un esprit plus authentiquement réaliste dans la Société. La communication que j’ai faite sur la méthode scientifique en 1939 était, en effet, à la fois une expression de cet espoir et un appel. La suggestion que j’ai faite alors d’une série de symposiums était prématurée. Quoi qu’on puisse dire des défauts et des difficultés de la présente série de réunions scientifiques spéciales et de cette enquête du Comité de formation sur la technique, elles représentent une tentative de résoudre nos controverses actuelles de manière réaliste, c’est-à-dire scientifique. Elles représentent aussi une tentative de résoudre notre crise de manière démocratique. Nous pouvons

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enfin dire ce que nous pensons, et Mme Klein reçoit maintenant en grande abondance les critiques qui auraient pu, pour son profit, lui parvenir à doses mesurées depuis plus longtemps. La science, comme toute chose, peut être idéalisée, mais la science n’est rien d’autre en soi que la systématisation du savoir. Les procédures scientifiques ne relèvent pas d’une perfection hors d’atteinte; elles ne sont que des développements particuliers de l’examen de la réalité, conçus pour établir le maximum de probabilité et le minimum d’erreur dans cet examen.

Je n’ai absolument pas changé d’opinion sur le profit très réel à tirer de l’œuvre de Mme Klein. En revanche, les exposés que nous avons entendus jusqu’ici ne m’ont en rien rassurée sur la justesse de l’évaluation et de la présentation que ses collègues font de son travail. Il faut bien que nous nous demandions à quel point le type d’erreur dont ils font preuve dans leur théorie se retrouve, ou non, dans leur pratique. Il s’agit d’une question sur laquelle nous ne devons nous en remettre à personne, et dont il nous faut juger par nous-mêmes sur la base des éléments que Mme Klein peut nous apporter si elle le souhaite. Ce que j’appelle le manque de réalisme manifesté par les fervents partisans de l’œuvre de Mme Klein est également ressenti par de nombreux membres, et a été relevé à divers moments et de diverses manières. Voici comment je puis l’exprimer maintenant le plus simplement et le plus directement : ils tendent à traiter l’œuvre de Mme Klein comme un objet idéalisé. J’espère que Mme Klein comprendra que je ne porte pas d’accusations et que je ne cherche pas à être impolie ou offensante. Je considère qu’il est urgent de dire clairement, en particulier à Mme Klein elle-même, l’impression troublante que j’éprouve constamment et pourquoi cette impression éveille en moi des doutes quant à sa technique. Le doute essentiel est le suivant : ces personnes promeuvent-elles ou non une solution réaliste aux problèmes infantiles de l’ambivalence, et notamment de l’ambivalence à l’égard de la mère ?

À mon avis, un « objet idéalisé» est quelque chose de très différent d’un « bon objet » correctement investi. Personnellement, je suis convaincue qu’une satisfaction adéquate pendant la phase de la tétée est un facteur majeur de prédisposition à la formation libidinale de l’objet et au développement stable du moi, c’est-à-dire à une intégration moïque suffisamment globale. Je suis sûre que le développement du moi et de la libido peut être compromis d’emblée par une privation excessive pendant la période de la tétée, et a fortiori par un sevrage traumatique. Aussi, je pense que les premières expériences de tout-ou-rien du bébé ont une intensité affective rarement atteinte et peut-être jamais dépassée par la suite. Elles sont sporadiques mais, pour autant que les expériences du plaisir et de la douleur soient distinctes, on peut dire qu’elles alternent. Que l’objet de l’instinct soit psychologiquement objectivé au cours des toutes premières expériences me paraît sujet à caution, mais je ne doute pas que ces

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premières expériences, ces expériences qui se différencient par leurs sentiments, soient les matrices à partir desquelles se développeront les systèmes d’objets bons et mauvais. Ce que je veux souligner, c’est que la bonne expérience infantile, quelque extravagante qu’elle paraisse en regard de celle de l’adulte, est réaliste en ceci qu’elle résulte d’une satisfaction réelle, qu’elle soit immédiate ou hallucinée, tout comme la mauvaise expérience résulte d’une privation réelle. L’ambivalence véritable, en tant que distincte d’expériences affectives successives, la véritable ambivalence au sens de la reconnaissance du fait que l’on peut à la fois aimer et haïr la même personne, ne peut assurément se développer que si l’intégration du moi et de l’objet est déjà assez avancée. Sur la base de preuves intrinsèques tirées de cas d’adultes où l’analyste apparaît soudain au patient comme une personne assez différente, j’incline à penser que l’objet du cannibalisme continue d’alterner avec l’objet nourricier réconfortant et que les théories inconscientes, comme celle qui attribue le sevrage à une punition du cannibalisme, acquièrent une forme cohérente peu après cet événement.

Mais nous savons de façon certaine que les systèmes du moi et de l’objet apparaissent suffisamment tôt pour être bien établis vers la fin de la deuxième année, et que la période de la vie où l’enfant acquiert le contrôle sphinctérien, période qui coïncide bien sûr avec la poussée dentaire, l’apprentissage de la marche, le début de la compréhension des mots et de l’apprentissage de la parole et le début de l’intérêt sexuel personnel, peut se caractériser par une véritable ambivalence, intense et intolérable. Une façon de tenter de résoudre ce problème est la régression, en séparant de nouveau l’objet de sentiments ambivalents en deux objets qui correspondent aux deux séries d’expériences bonnes et mauvaises qui alternaient auparavant. Là où cela se produit, le bon demi-objet n’est plus simplement un objet investi par des affects intenses liés à la libido primaire de la tétée ; il est un objet considéré meilleur que dans la réalité, tandis que le mauvais demi-objet apparaît proportionnellement pire. Plusieurs choses peuvent se produire, de l’ordre du déplacement, de la répartition d’identifications, etc., qui tendent à stabiliser cette situation ; elle n’en reste pas moins potentiellement dangereuse, car l’ambivalence elle-même demeure et l’objet idéalisé risquera toujours de se transformer en son opposé dénigré, à moins que son caractère de bon objet ne soit constamment renforcé par un amour surcompensateur et qu’il ne soit constamment protégé de l’agression. C’est cet objet idéalisé qui doit être protégé contre la destruction par morsure, etc. La question qui se pose est : la technique kleinienne par rapport au bon objet, et aux bons objets maternels en particulier, favorise-t-elle ce type de solution irréaliste aux problèmes de l’ambivalence, ou favorise-t-elle le dépassement de l’ambivalence dans une direction réaliste ? Les kleiniens prennent-ils suffisamment en considération le fait que, par exemple, le développement futur de la petite fille est mieux garanti si elle en vient

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réellement à aimer davantage son père que sa mère ? Je suis bien consciente que cette défense oscillant entre idéalisation et dénigrement est profondément ancrée dans la nature humaine et qu’il est sans doute normal de l’utiliser dans une certaine mesure. Ici comme dans tant d’autres situations, c’est le facteur quantitatif qui peut être décisif. En tant que solution partielle ou transitoire, qui peut être temporairement réactivée à l’adolescence, cette oscillation peut être considérée comme normale, et des millions de gens continueraient de trouver normal qu’elle persiste comme solution religieuse. Il ne s’agit pas moins d’une solution irréaliste, dont l’analyse peut devoir s’accommoder pour certaines personnes mais qu’il ne lui appartient pas d’encourager. C’est uniquement le suivisme des adeptes de Mme Klein, leur excès de sollicitude et leur hypersensibilité qui suscitent de tels doutes et conduisent à s’interroger sur la validité de leur maniement de certaines phases du transfert.

Cela comporte une double conséquence pour la formation. En premier lieu, nous ne pouvons pas nous permettre de former des candidats à mettre en œuvre des solutions irréalistes à leurs propres sentiments ambivalents ou à ceux de leurs patients. En second lieu, si les candidats, à l’issue d’une formation kleinienne, identifiaient effectivement leur analyste à un objet « idéalisé », ils tendraient inévitablement à s’identifier totalement à leur formateur et n’auraient qu’à devenir de fidèles imitateurs. Ils resteraient soumis à la nécessité psychique d’ingurgiter leur formation d’une seule bouchée sans rien avoir à redire sur ce qu’on leur apprendrait. Dans ces circonstances, il faudrait abandonner l’espoir d’un progrès régulier et s’en remettre au hasard d’une révolution. Mais si le candidat en formation restait à l’image de son formateur, le résultat, tant pour la théorie que pour la pratique, ne saurait être que répétition stérile.

J’aimerais souligner que, pour ma part, je suis fermement déterminée à ne pas préjuger de cette question. J’insiste, au contraire, sur mon droit de ne fonder ma décision que sur les preuves que Mme Klein aura la bonté, je l’espère, de nous fournir, tant au cours de cette enquête que dans ses prochains textes. Je tiens aussi à souligner que nous ne pouvons pas cristalliser la psychanalyse ; nous ne pouvons la figer dans aucune forme, quelque désirable que paraisse cette forme à tel ou tel moment. L’analyse ne peut pas vivre sans mûrir, et elle ne peut mûrir sans subir des transformations. L’essence de l’analyse, comme de toute science, est le réalisme. Nous pouvons sans danger confier l’analyse aux soins des prochaines générations si notre formation en fait des réalistes, mais à cette condition seulement.

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Mémoire d’Anna Freud

Communication au Comité de formation, en date du 29 septembre 1943, concernant la portée des controverses actuelles sur la formation des candidats par Anna Freud48.

Dernièrement, le Comité de formation a été critiqué par la Société pour

avoir retardé le rapport sur la portée des controverses actuelles sur la formation, comme si ce renvoi constituait une tentative délibérée de sabotage des efforts réalisés pour clarifier la situation dans la Société. Il me semble que ces critiques étaient injustes et que, conformément à la position actuelle de la Société, aucune déclaration sérieuse ne saurait être faite sur ces questions, sinon sur la base du résultat des discussions sur ces controverses scientifiques et en rapport étroit avec lui.

Mais s’il faut que nos recommandations soient présentées à la Société malgré cela, le Comité de formation doit à mon avis examiner deux points :

1/ Les nouvelles découvertes et théories de Mme Klein mènent-elles nécessairement à des transformations et à des innovations dans la procédure technique, et,

2/ Si tel est le cas, le Comité de formation considère-t-il qu’il a pour mission d’enseigner une théorie et une technique analytiques principales, ou bien souhaite-t-il créer un forum ouvert au libre enseignement de toutes les théories analytiques actuelles et des techniques qui en découlent ?

Premier point Il n’est pas nécessaire de rappeler aux analystes que, tout au long du

développement de la psychanalyse, la théorie et la technique se sont avérées indissolublement liées, de sorte que chaque avancée nouvelle dans la théorie a amené des changements dans la technique et que chaque innovation technique a amené de nouvelles découvertes que les anciennes méthodes n’auraient pu faire émerger.

Les deux premières pierres de l’édification de la technique psychanalytique ont été le remplacement de l’hypnose par la libre association, ainsi que le contrôle et la réduction à un minimum des relations réelles entre l’analyste et le patient. La première résultait de la découverte de l’importance dynamique de la résistance ; la seconde de la découverte des faits du transfert. La règle technique de la libre association est restée relativement incontestée durant tout le développement de la psychanalyse. Les règles techniques qui gouvernent le comportement de l’analyste, et donc tout le dispositif analytique, ont été 48 Le texte d'Anna Freud porte la date de sa rédaction et non celle de sa présentation (communication personnelle de Mme Pearl King).

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souvent remises en question et ont subi ou ont repoussé des tentatives successives de révision et de transformation résultant de diverses théories sur l’importance capitale de tel ou tel des facteurs pathogènes dans la formation des névroses. Les innovations techniques ont surtout visé à créer les conditions de réapparition de ces facteurs pathogènes particuliers dans les névroses de transfert.

En voici quelques exemples : 1 / Une valorisation particulière de l’inhibition de la libido comme agent

pathogène a été responsable de la thérapie dite « active » de Ferenczi et Rank. 2/ Le traumatisme de la naissance de Rank comme agent pathogène majeur a

eu pour résultat la règle technique de la fin programmée de l’analyse. 3 / La grande importance attribuée par Ferenczi à certaines frustrations

subies par le nourrisson au cours des premières phases de sa relation à sa mère a conduit à édicter des prescriptions techniques sur une attitude indulgente de l’analyste, laquelle attitude prépare délibérément une invitation à reproduire la relation mère-enfant entre l’analyste et le patient.

4/ Reich, qui a attribué l’échec du développement normal des facultés génitales au refoulement précoce des attitudes agressives, a élaboré un ensemble de règles techniques spécifiquement destinées à la reproduction de scènes agressives entre l’analyste et le patient, etc.

Mais revenons-en à ce qui peut résulter de cette énumération pour la présente controverse sur les théories de Mme Klein. Jusqu’ici Mme Klein n’a pas indiqué expressément les changements techniques qui découlent de sa nouvelle conception d’ensemble de la théorie des névroses. Il semble donc vain de discuter de ce point tant que le sujet ne figure pas au programme des discussions scientifiques de la Société. Avant que cela n’arrive, il est seulement possible d’aborder certains points où les différences de technique entre Mme Klein et ce qu’on appelle l’analyse orthodoxe sont bien connues ou peuvent se déduire des écrits de Mme Klein. La plus notable de ces différences me semble être l’intérêt presque exclusif que Mme Klein accorde à tout matériel de transfert par rapport au matériel qui apparaît dans les rêves, les associations verbales, les souvenirs et les souvenirs-écrans. Dans la technique freudienne, la valeur de ces diverses sources de matériel était considérée comme assez équivalente, même si l’on estimait que les souvenirs appartenant à une époque préverbale ne pouvaient émerger autrement que dans le comportement de transfert. Les interprétations du comportement de transfert, bien qu’importantes dès le début d’une analyse, le devenaient donc de plus en plus à mesure qu’on progressait vers des stades plus avancés du traitement, là où l’interprétation tente d’atteindre des niveaux encore plus profonds. Dans la théorie de Mme Klein, l’importance des phantasmes préverbaux est démesurée comparée au rôle pathogène d’événements postérieurs à l’acquisition de la parole. Dans sa technique, cela a pour conséquence de minorer la contribution de toutes les autres sources de matériel jusqu’au

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point où l’interprétation du comportement transférentiel devient la principale arme technique de l’analyste, du début à la fin du traitement. Dans sa théorie, ce à quoi elle accorde le plus d’importance se trouve déplacé de stades plus tardifs du développement au stade le plus précoce, et cela se traduit, dans sa technique, par un déplacement symétrique.

Évoquons d’autres différences : l’interprétation du transfert selon l’orientation freudienne se fonde sur l’hypothèse théorique que le contact initial et superficiel avec l’analyste (comme avec tout objet) obéit à des attitudes rationnelles normales, et que le transfert des émotions depuis des couches plus profondes se produit avec une force croissante lorsque le contact s’approfondit et que ce qu’on nomme névrose de transfert a eu le temps de s’établir. L’interprétation que fait Mme Klein des réactions transférentielles au début d’une analyse semble fondée sur une hypothèse théorique inverse : que les pouvoirs des réactions transférentielles sont plus grands lorsque le partenaire est encore inconnu, c’est-à-dire un objet phantasmatique, et que les distorsions de ce transfert sont progressivement corrigées et atténuées par l’expérience réelle, dans laquelle l’objet devient connu et familier. Il est clair que le maniement technique d’une situation diffère en fonction des hypothèses théoriques qui l’inspirent.

Le but de la technique freudienne est avant tout de défaire les refoulements ; elle s’appuie sur la conviction que l’élargissement de la conscience qui ramène sous le contrôle du moi davantage de matériel psychique est le principal agent thérapeutique. La théorie de Mme Klein attribue le plus d’importance pathogène aux mécanismes de l’introjection et de la projection et, par conséquent, escompte surtout des résultats bénéfiques des réductions et des transformations des objets dits internalisés et de leurs relations avec la réalité externe. On voit mal comment les mêmes procédés techniques peuvent servir l’un et l’autre objectif.

Il y a d’autres différences de technique qui doivent, je pense, se dégager du postulat de Mme Klein selon lequel les réactions qui jouent un rôle dans la toute première phase (prépsychologique) de l’existence de l’infans sont toujours présentes dans la vie adulte et réapparaissent dans la situation du transfert. Les réactions envers l’analyste seront ainsi interprétées comme un désir de le « garder à l’intérieur », de l’expulser, etc., réactions qui, dans cette phase prépsychologique, peuvent avoir pris la place des sentiments ultérieurs d’amour et de haine.

Comme on l’a déjà dit, il ne semble pas correct d’entrer dans des discussions de ce genre avant que Mme Klein n’en ait elle-même pris l’initiative en formulant les relations entre ses théories et sa technique personnelles, et avant que nous n’en ayons entendu davantage sur le rôle qu’elle attribue au refoulement et à la régression dans la formation des névroses. C’est précisément le concept théorique de régression qui, dans l’analyse freudienne, a le plus de conséquences sur la technique.

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Second point L’Institut en tant que forum ouvert Lors d’une précédente réunion du Comité de formation, M. Strachey a émis

la suggestion que l’Institut analytique pourrait constituer un forum ouvert où seraient enseignées les théories et techniques analytiques actuelles sans qu’aucune préférence ne soit donnée à l’une quelconque d’entre elles. Cela semble une solution possible à un moment où, comme aujourd’hui, diverses théories analytiques existent côte à côte et revendiquent un droit égal à être considérées comme des tentatives sincères d’atteindre la vérité.

J’aimerais signaler qu’un tel changement de programme, loin de diminuer les difficultés actuelles, poserait à l’Institut toute une série de problèmes nouveaux, pour la solution desquels le Comité de formation n’est guère préparé à l’heure actuelle. Quelles théories actuelles seraient enseignées ? S’agirait-il uniquement de théories émanant d’auteurs membres de la Société, ou du Comité de formation, ou de l’Association psychanalytique internationale, ou bien le programme comprendrait-il des gens de l’extérieur ? (Actuellement les candidats de cet Institut ne reçoivent à peu près aucune orientation sur les nouveaux développements de la théorie et de la technique psychanalytiques dans d’autres pays, par exemple ceux d’Alexander, de Radó, de Horney, etc.) Où passerait la frontière entre les théories actuelles à inclure dans le programme d’enseignement et celles que l’on néglige ? Qui prendrait la responsabilité d’opérer des distinctions de ce genre, et serait-ce moins difficile que d’évaluer, aujourd’hui, la valeur relative des conceptions de l’analyse que soutiennent les deux principaux groupes de cette Société ? Mais même en laissant de côté le choix des théories à retenir, l’organisation d’un programme d’enseignement aussi nouveau (un forum ouvert) ne pourrait être qu’une conséquence du travail théorique nécessaire pour distinguer clairement ces théories les unes des autres, pour définir leurs points de convergence et leurs points de divergence ; pour éviter toute confusion, ces théories devraient être identifiées soit d’après les noms de leurs auteurs, soit en fonction de leur principe fondamental. Puisque le point de vue généralement admis est celui d’une relation étroite entre la théorie et la technique, chaque théorie devrait être enseignée de concert avec la procédure thérapeutique qui en découle.

Pour séduisante que puisse sembler de prime abord l’idée d’un forum ouvert pour l’enseignement psychanalytique, je doute personnellement qu’elle puisse effectivement être mise en pratique; je me demande si le résultat serait à la hauteur des intentions et s’il ne ressemblerait pas plutôt à des instituts tels que la Tavistock Clinic, avec tous les défauts qu’on leur connaît. Si une telle démarche d’enseignement avait été adoptée depuis le début du développement de la psychanalyse, la psychanalyse d’aujourd’hui inclurait, par exemple, les enseignements théoriques et techniques de Stekel, d’Adler, de Jung, de Rank,

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etc. (un institut psychothérapique de ce type a effectivement été créé en 1934, à Berlin [l’Institut Gœring], sous la pression et selon le vœu exprès du régime nazi).

Si, malgré ces arguments et d’autres du même ordre, le développement des instituts psychanalytiques s’orientait dans cette voie, cela mènerait probablement à la dissolution graduelle des sociétés psychanalytiques qui, après tout, ont été fondées pour la propagation et le développement d’une théorie et d’une méthode plus ou moins unifiées et cohérentes. Il se peut d’ailleurs que cette désintégration des sociétés et de l’enseignement psychanalytiques soit inévitable. Dans ce cas, et comme aux premiers temps de la psychanalyse, c’est des efforts individuels qu’il faudrait attendre des progrès et des développements nouveaux, et non de l’activité de sociétés et d’instituts. Il y a, dans les cercles psychanalytiques du monde entier, de nombreux facteurs qui convergent en ce sens.

Les conclusions et recommandations à la Société doivent, selon moi,

consister en ceci : il doit être indiqué à la Société que, dans les circonstances présentes, le Comité de formation fait face à une tâche qu’il ne peut pas accomplir de manière satisfaisante. La formation des candidats oscille entre deux principes : d’une part, un enseignement unifié, d’autre part, la création d’un forum ouvert. Il est impossible de mener à bien un programme d’enseignement basé sur une théorie principale, les divergences opposant les membres du Comité de formation étant beaucoup trop profondes pour permettre une telle unification. Par ailleurs, il est impossible d’accorder une égalité de statut à deux théories ou plus, étant donné que les points où ces théories coïncident ou divergent sont encore mal définis et que les différentes techniques ne sont pas clairement imputées aux théories dont elles font organiquement partie. Le premier pas vers la clarification a été accompli quand le Comité de formation a décidé que l’analyste didacticien et l’analyste contrôleur de chaque candidat devaient au moins partager les mêmes conceptions théoriques, ce qui veut dire qu’aucun candidat n’est censé traiter techniquement un cas si ce n’est à partir de l’expérience de sa propre analyse. Avant que cette décision n’intervienne, les candidats étaient parfois mis en situation de travailler avec des patients sur la base d’une théorie analytique alors que leur propre analyse avait été conduite conformément à une autre.

Il faut préciser à la Société que l’attribution des nouveaux candidats

demeure aujourd’hui plus ou moins soumise au hasard, sauf dans les cas où le nouveau candidat se présente armé d’un savoir qui lui permet d’exercer son choix entre les diverses écoles de pensée analytique. Cela arrive rarement et est rendu plus difficile par le fait que l’analyse « orthodoxe » et les théories de Mme Klein ne se distinguent par aucune dénomination. Et

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pourtant, cette attribution aléatoire d’un candidat à tel ou tel analyste didacticien détermine généralement l’orientation théorique du futur analyste.

Il faut informer la Société d’un autre inconvénient sérieux : dans les circonstances actuelles, les membres du Comité de formation ont, par nécessité, le droit de juger du statut de candidats à la formation desquels ils n’ont pas participé parce qu’elle a été conduite par des analystes didacticiens et contrôleurs d’autres écoles de pensée avec lesquels ils sont eux-mêmes en désaccord. De même, ils doivent prendre part à l’élection des analystes didacticiens et de contrôle, quand bien même ceux-ci appartiennent à une école de pensée analytique qu’ils combattent. Dans les deux cas, il ne leur est guère possible d’exercer leurs fonctions dans l’esprit qui convient. Ou bien ce sont des individus qui videront leur querelle sur les questions de théorie, ou bien, pour éviter les blocages et parvenir aux accords pratiques nécessaires, les décisions du Comité de formation seront acquises au prix de marchandages mesquins, au lieu de se fonder, comme ce devrait être le cas, sur les idées, les opinions et les convictions de ses membres.

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Mémoire sur sa technique par Melanie Klein Melanie Klein, le 25 octobre 1943 Afin de déterminer où résident les différences en matière de technique,

nous devons discuter de notre manière d’appliquer le principe fondamental de l’analyse, c’est-à-dire le type d’approche que chacun de nous emploie pour analyser les processus mentaux inconscients, le transfert, la résistance et le refoulement, la sexualité infantile, le complexe d’Œdipe, etc. Puisque nous avons convenu que ce premier exposé serait bref, j’ai choisi d’évoquer seulement deux caractéristiques de ma technique; malgré cela, je suis obligée de le faire de manière épigrammatique.

À partir de mon travail avec de jeunes enfants, je suis parvenue à certaines conclusions qui, jusqu’à un certain point, ont influencé ma technique avec les adultes. Prenons d’abord le transfert. Je me suis aperçue qu’avec les enfants le transfert (positif ou négatif) est actif depuis le début de l’analyse, puisque, par exemple, même une attitude d’indifférence masque de l’angoisse et de l’hostilité. De même, avec les adultes (mutatis mutandis), je me suis aperçue que la situation de transfert est présente d’emblée, d’une manière ou d’une autre, et j’en suis donc venue à utiliser des interprétations de transfert tôt dans l’analyse.

D’après mon expérience, la situation de transfert imprègne toute la vie réelle du patient pendant l’analyse. Une fois la situation analytique établie, l’analyste prend la place des objets originels, et le patient, comme nous le savons, est à nouveau confronté aux sentiments et aux conflits qu’il est en train de revivre, avec les mêmes défenses que celles qu’il utilisait dans la situation originelle. Ainsi, tout en répétant dans sa relation à l’analyste certains de ses premiers sentiments, phantasmes et désirs sexuels, il en déplace d’autres de l’analyste à différentes personnes et situations. Cela a pour effet de détourner de l’analyse en partie les phénomènes de transfert. En d’autres termes, le patient « met en acte » une partie de ses sentiments transférentiels dans un cadre différent, à l’extérieur de l’analyse.

Ces faits ont une conséquence importante sur la technique. À mon avis, ce que le patient montre ou exprime consciemment quant à sa relation à l’analyste n’est qu’une petite partie des sentiments, pensées et phantasmes qu’il éprouve à son égard. Ceux-ci doivent donc être dévoilés dans le matériel inconscient du patient par l’analyste qui tire parti, grâce à l’interprétation, des nombreuses façons de fuir les conflits revécus dans la situation de transfert. Par cette application élargie de la situation de transfert, l’analyste découvre qu’il

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joue une grande variété de rôles dans le psychisme du patient, et qu’il ne représente pas seulement des personnes réelles du présent et du passé de celui-ci, mais aussi les objets qu’il a internalisés depuis ses premiers jours, construisant ainsi son surmoi. Nous sommes ainsi capables de comprendre et d’analyser le développement de son moi et de son surmoi, de sa sexualité et de son complexe d’Œdipe depuis leur commencement.

Si nous sommes constamment guidés par la situation de transfert au cours de l’analyse, nous sommes sûrs de ne pas négliger les expériences réelles passées et présentes du patient, car elles apparaissent et réapparaissent sans cesse à travers la situation de transfert49.

À condition qu’une interprétation cohérente soit apportée à l’interaction entre réalité et phantasme, et donc entre conscient et inconscient, la situation et les sentiments de transfert ne seront ni brouillés ni obscurcis.

Cette interaction permanente entre les processus conscients et inconscients, entre les produits de la phantasmatisation et la perception de la réalité, trouve sa pleine expression dans la situation de transfert. C’est là que nous voyons, à certains stades de l’analyse, comment l’on passe des expériences réelles aux situations phantasmatiques et aux situations internes — ce par quoi j’entends le monde objectal que le patient ressent comme établi à l’intérieur de lui —, pour revenir aux situations externes qui peuvent apparaître plus tard sous un aspect soit réaliste, soit phantasmatique. Ce mouvement de va-et-vient est lié à l’alternance des figures, réelles et phantasmatiques, externes et internes, incarnées par l’analyste.

Il y a un autre aspect de la situation de transfert sur lequel je dois insister. Les figures que l’analyste vient à représenter dans le psychisme du patient appartiennent toujours à des situations spécifiques, et ce n’est qu’en examinant ces situations que nous pouvons comprendre la nature et le contenu du sentiment transféré à l’analyste. Cela signifie que nous devons comprendre ce que représente inconsciemment l’analyse dans le psychisme d’un patient à un moment donné, afin de découvrir quels sont les phantasmes et désirs associés à ces premières situations, contenant toujours des éléments tant de la réalité que du phantasme, qui ont fourni le modèle des situations ultérieures.

En outre, la nature de ces « situations » particulières veut que, dans le psychisme du patient, d’autres personnes que l’analyste soient incluses dans la situation de transfert. C’est dire qu’il ne s’agit pas seulement d’une relation individuelle entre le patient et l’analyste, mais de quelque chose de plus complexe. Par exemple, le patient peut éprouver des désirs sexuels envers l’analyste, ce qui suscite à la fois de la jalousie et de la haine envers un tiers lié à l’analyste (un autre patient, une personne se trouvant chez l’analyste, ou bien rencontrée en allant chez lui, etc.) qui, dans le phantasme du patient, représente un rival qu’on lui préfère. C’est ainsi que nous découvrons la manière dont 49 (Note originale de Melanie Klein) “Je souscris pleinement au texte de James Strachey sur « La nature de l'action thérapeutique de la psychanalyse”.

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les premières relations d’objet, les premières émotions et les premiers conflits du patient ont façonné et affecté le développement du conflit œdipien et que nous élucidons les diverses situations et relations qui, dans l’histoire du patient, ont été la toile de fond du développement de sa sexualité, de ses symptômes, de son caractère et de ses attitudes émotionnelles.

Ce que je veux souligner ici, c’est que c’est en ne dissociant pas les deux choses dans le transfert — sentiments et phantasmes d’une part, situations spécifiques d’autre part — que nous sommes à même de faire comprendre au patient comment il en est arrivé à développer les formes particulières de ses expériences.

J’en viens maintenant à ma technique d’analyse des mécanismes de défense (qui n’est évidemment pas sans rapport avec l’analyse de la résistance, mais ce n’est pas mon propos ici). Je dois à l’analyse des jeunes enfants une plus large compréhension des premières relations d’objet et une vision plus claire de l’origine de l’angoisse, de la culpabilité et du conflit. Ces découvertes m’ont permis de développer une technique d’analyse des enfants à partir de l’âge de 2 ans. Cette technique a non seulement ouvert un champ prometteur à la thérapie et à la recherche, mais a aussi fortement influé sur la technique à utiliser avec les adultes. La thèse selon laquelle ce sont les impulsions destructrices dirigées contre l’objet aimé qui suscitent l’angoisse et la culpabilité m’a amenée, dans mon travail auprès des adultes, à attacher une importance particulière à ces deux dernières et à considérer que les mécanismes de défense sont initialement développés par le moi pour lutter contre l’angoisse en provenance de ces sources.

Chaque étape franchie dans l’analyse de l’angoisse, de la culpabilité et

des mécanismes de défense envisagés de ce point de vue conduit aussi, d’après mon expérience, à une compréhension plus large de toutes les autres émotions. Cela implique une analyse approfondie de la vie phantasmatique et de l’inconscient en général, ainsi que du mécanisme de défense et du moi, c’est-à-dire de l’ensemble de la personnalité. Non seulement une telle approche n’est pas incompatible avec l’analyse complète de la libido, mais, d’après mon expérience, elle en constitue une condition. Car les angoisses qu’éveillent les impulsions destructrices ont une influence permanente sur la libido — tantôt inhibant, tantôt stimulant les désirs libidinaux —, de sorte que les vicissitudes de la libido ne peuvent se comprendre pleinement qu’en relation avec les angoisses précoces auxquelles elles sont intimement liées.

Avec certains adultes, il peut s’écouler une longue période au cours de laquelle nous ne pouvons ni détecter d’angoisse manifeste ni rendre manifeste l’angoisse virtuelle. D‘après mon expérience, l‘analyste procède alors en dévoilant dans le matériel les défenses contre l’angoisse et la

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culpabilité. Plus nous connaissons les mécanismes de défense précoces, plus nous sommes en mesure de les détecter, de voir également ceux qui surviennent plus tard à l‘œuvre dans le matériel de nos patients, et donc d‘accéder à l’angoisse et à la culpabilité, aux sentiments dépressifs et à toutes les autres émotions. Inutile de dire que ma technique varie suivant les cas et les maladies, même si cette approche particulière de l‘angoisse et de la culpabilité reste un principe directeur. J‘aurais souhaité l‘illustrer ici par des exemples, mais je dois me limiter à l‘exposé du principe général.

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Mémoire sur sa technique par Ella Freeman Sharpe Portant sur le problème de la technique et de la formation (le 24 novembre 1943)

Dans ses œuvres choisies, parlant des règles techniques qu‘il a développées à

partir de son expérience, Freud dit : « J’espère que leur prise en compte épargnera beaucoup de dépense inutile

aux médecins dans l’activité analytique et les préservera de nombre de bévues ; mais je dois dire expressément que cette technique s’est révélée la seule appropriée à mon individualité ; je n’ose pas disconvenir qu’une personnalité médicale constituée tout autrement puisse être poussée à préférer une autre attitude envers le malade et envers la tâche à mener à bien50. »

Que Freud est loin, par sa vision, sa tolérance et son bon sens, des craintes et du besoin de certitude sans faille qui assaillent ceux de ses disciples qui voudraient figer en l’état et imposer aux autres une technique inflexible. Il appelle analystes des praticiens qui n’adoptent pas sa technique et il dit franchement que la technique est adaptée à sa personnalité.

J’aimerais apporter ce commentaire : la technique freudienne n’est une méthode vitale que lorsqu’elle est employée par des gens qui ont trouvé en elle la seule méthode qui leur convienne en tant qu’individus. Certaines règles de la technique freudienne peuvent être enseignées et appliquées, mais cela n’a rien à voir avec la découverte d‘une technique qui convienne à la personnalité du praticien.

La technique de Freud en tant que méthode qui lui convenait personnellement n’aurait que peu de poids si elle n’avait révélé ces vérités fondamentales sur lesquelles repose la science psychanalytique. Freud n‘a pas inventé ces vérités, elles existaient avant Freud. Il les a découvertes par des méthodes empiriques. Il a poursuivi ses découvertes, mais je ne sache pas que le fait d’avoir révélé par la suite une structure plus complexe de l’appareil mental ait eu pour effet de modifier ses méthodes d’approche et de recherche. Ce que la technique de Freud requiert de nous, c’est de reconnaître inséparables sa technique et ses découvertes. Nous croyons qu‘aucune autre méthode n’aurait permis d‘établir les fondements d’une psychologie dynamique. De même qu’il n’a pas « inventé » ses découvertes, sa technique n’a pas été « inventée » ; elle a été « élaborée ». Observée en perspective, la succession de ses révélations sur la vie psychique révèle un processus évolutif et sa conception de l’analyse telle que la réalise sa technique est celle d’un « processus ». Il dit que l’analyse met un processus en mouvement, ou qu’elle met un processus en fonctionnement. 50 S. Freud (1912), “Conseils au médecin dans le traitement psychanalytique”, La technique psychanalytique, Paris, PUF, 2007, pp. 84-94, traduction R. Lainé et P. Cotet.

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Le processus, dit-il, suit son propre cours — le processus étant la répétition d’une histoire psychique, avec l’analyste comme substitut des figures parentales et familiales. Mais il ne peut avancer qu’à son propre rythme, affirme Freud, il ne peut pas être forcé car il est déterminé par un ensemble de facteurs qu’on ne peut jamais mesurer dans sa totalité. « Depuis le début, Tu as vu la fin », dit-on de Dieu ; le scientifique, lui, se satisfait de découvrir dans le résultat final le motif dessiné les fils qu’il parvient à suivre et seulement jusqu’au point où il les distingue clairement. Les concepts de « rythme » et de « processus » me semblent essentiels à une technique valide, en ce qu’ils réfrènent notre hâte et notre espérance d’effets magiques. Les changements profonds surviennent lentement, car ils supposent la redistribution des énergies psychiques. La perception intuitive du praticien ne pèse pas d’un grand poids et ce qu’il en communique au patient non plus : le fait est que le développement psychique authentique dépend de ce que l’on comprend émotionnellement par soi-même. L’analyste peut aider à ouvrir la voie, mais il ne peut pas accomplir la tâche qui incombe au patient.

Pour essayer de comprendre quelques-unes des raisons pour lesquelles des

analyses ont été réussies, j’ai repris et étudié de ce point de vue les cas de trois patientes dont j’ai pu avoir des nouvelles récentes.

J’ai conduit l’analyse de l’une d’elles il y a vingt-deux ans. D’une autre il y a dix-sept ans, et de la troisième il y a quinze ans. La première était une jeune fille de 16 ans, qui souffrait d’une profonde dépression avec des périodes de surdité psychique ; la deuxième était une femme paranoïde ayant une histoire familiale marquée par la folie. La troisième était un cas de délire, une jeune femme d’une vingtaine d’années qui avait des hallucinations et qui vint me voir au sortir d’un état confusionnel.

Si la guérison est tant soit peu le critère d’une technique valide, ces cas ont résisté à l’épreuve du temps ; quinze, dix-sept et vingt-deux ans sans que ces patientes n’aient repris une analyse. La jeune fille de 16 ans est aujourd’hui une femme mariée ; elle a trois enfants. Ils sont restés à Bristol pendant tous les bombardements sans conséquences fâcheuses. La femme paranoïde enseigne toujours dans sa soixante-dixième année et jouit d’une vieillesse relativement sereine après avoir vécu dans la souffrance psychique la moitié de son existence. La jeune délirante, maintenant dans la quarantaine, mène une vie active et ancrée dans la réalité selon des choix qu’elle a faits elle-même. Comme vous tous, je pourrais mentionner d’autres cas, mais j’ai choisi ceux-ci parce qu’une seule de ces trois femmes était psychonévrosée au sens strict, et parce que j’ai traité ces personnes alors que je connaissais relativement peu la structure de ces maladies mentales. J’en sais beaucoup plus aujourd’hui et je ne pourrais pas souhaiter de meilleurs résultats thérapeutiques, même s’il est vrai que je pourrais m’attendre à une meilleure compréhension intellectuelle. De quels outils disposais-je alors ?

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D’abord, j’avais une croyance absolue dans le déterminisme psychique. Ensuite, je croyais au « processus » ; je croyais que l’on met le processus en mouvement. Il fallait susciter chez le patient, dans une atmosphère favorable, l’émergence des secrets si jalousement gardés. Aujourd’hui j’appelle cela « traiter les résistances ».

Connaissant bien mieux désormais les défenses du moi, je ne traite pas les résistances de façon plus efficace qu’il y a vingt ans, quand j’avais seulement la sensation aiguë que le patient éprouvait une peur mortelle, ce qui est après tout la raison de son refoulement. Seule la compréhension émotionnelle des peurs du patient peut orienter subtilement la technique vers leur apaisement ; sinon, les « résistances » peuvent très bien être interprétées comme des mensonges délibérés et des « manipulations ».

Avec les années, ma croyance dans le « processus » s’est affermie, et non affaiblie. Que le « rythme » du « processus » puisse être gêné par un manque d’habileté dans le maniement des résistances de transfert, c’est indéniable, mais, quelque habileté que l’on démontre, je continue de croire à un « rythme » fixé en dernière instance par la psyché individuelle en question et je pense que le « rythme » de l’analyste, s’il ne se règle pas sur celui du patient, peut faire dérailler le processus. Que des résultats puissent être obtenus, je ne le conteste pas, mais ce ne sont pas les résultats du patient. Le premier affect transférentiel spontané dont une patiente, dernièrement, a fait preuve envers moi en tant qu’individu séparé s’est produit exactement quatorze mois après le début de son analyse. Elle avait décidé d’adopter un enfant et, en m’en parlant, elle se mit à exprimer les premiers signes d’ambivalence à mon égard. Le jour où elle me le dit s’avéra être l’anniversaire de sa sœur unique, née quand elle avait 14 mois. Pendant ces quatorze mois d’analyse, la patiente avait atteint une pseudo stabilisation, nécessaire et inévitable pour une progression ultérieure de son analyse, entièrement fondée sur l’unité magique avec la mère qui existait jusqu’à la désillusion causée par l’arrivée de l’enfant suivant. La lente prise de conscience par la patiente de mon existence séparée m’a permis de me rendre compte une fois encore du « processus » déclenché par l’analyse, une profonde « répétition », qui, dans ce cas au moins, n’a été ni hâtée, ni retardée, ni brouillée par toutes mes interprétations pendant quatorze mois.

Il y a vingt-deux ans, je n’étais jamais dominée par le désir de guérir, mais par celui de comprendre. Pour moi, la guérison accompagnait la révélation des causes cachées de la maladie. Les interprétations étaient simples et n’allaient pas au-delà de ma compréhension immédiate de la partie du travail dans laquelle j’étais engagée. Je considérais le transfert comme le lieu de rencontre des fixations émotionnelles passées et présentes, et l’expression du transfert hostile comme plus libératrice encore pour la psyché que le transfert positif infantile. Le transfert n’avait qu’un objectif : l’accession du refoulé à la conscience, il ne servait à rien d’autre. Je croyais

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aux parents réels, ainsi qu’aux imagos, aux événements réels autant qu’aux événements imaginaires. Je croyais, et je crois encore, que le phantasme, aussi terrifiant qu’il soit, doit être plus acceptable pour la personne hantée par lui que la réalité. Il me fallait comprendre pourquoi, où et comment les deux étaient associés dans un monde spatio-temporel.

Je croyais, et je crois encore, au conseil de Freud selon lequel l’analyste doit se satisfaire de la devise d’un vieux chirurgien : « Je le pansai, Dieu le guérit51.» Il y a quelque chose qui ne relève pas de nous, malgré toute notre habileté, lorsqu’un patient atteint la guérison, et il nous faut nous incliner devant la réalité et reconnaître qu’il y a des maladies qui ne se guérissent pas. Un analyste de notre Société me disait très sérieusement il n’y a pas très longtemps : « Seules les limites temporelles empêchent la guérison de tous les désordres psychiques.» Cette croyance ne concorde pas avec la réalité; c’est à l’éternité qu’elle se rapporte.

À côté de ces trois réussites, je place deux échecs majeurs, un cas d’alcoolisme et un cas de conversion hystérique avec des racines psychotiques. Peut-être ces patients étaient-ils guérissables, peut-être ne l’étaient-ils pas. S’ils l’étaient, la technique d’alors fut inefficace — je ne parle pas de « validité », mais d’« efficacité » —, et je ferais vraiment preuve d’arbitraire si je n’envisageais pas la possibilité qu’une technique différente eût donné de meilleurs résultats.

Freud dit que les résultats de chaque analyste se limitent à ce que permettent ses propres complexes et résistances. Qu’il est rare, aujourd’hui, d’entendre, si peu que soit, que la technique, le succès ou l’échec sont conditionnés par les complexes et les résistances de chaque analyste ! Et pourtant, celui qui pense autrement est sûrement aveugle aux limites particulières qui sont fixées par sa personnalité tout entière. La nature et l’intensité des résistances et des complexes sont variables. Je parle de praticiens « analysés », et non des « inanalysés ». Ainsi les différences entre analystes quant à la nature et à la qualité de leur perception sont-elles dues aux mêmes raisons — les résistances et les complexes. Je ne crois pas qu’il y ait une seule personne pour voir « toute la vérité et rien que la vérité » au sujet d’un seul patient. Le degré de perception qu’une personne peut avoir dans un sens s’accompagne souvent d’un aveuglement équivalent dans un autre sens. Rien, peut-être, n’est mieux marqué du sceau du génie dans l’œuvre de Freud que l’étendue du champ de ses découvertes, la conscience d’une telle diversité de facteurs dans les phénomènes psychiques et la complexité, non la simplicité, qui met la technique au défi.

Freud dit : « ... les diverses formes de maladie traitées par nous ne peuvent être liquidées par la même technique52. » Celui qui parle est encore l’homme qui devance ses disciples. Une technique « différente » peut être une technique

51 En français dans l’original. 52 S. Freud (1919), « Les voies de la thérapie psychanalytique », La technique psychanalytique, Paris, PUF, 2007, pp. 157-168, traduction J. Altounian et P. Cotet.

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psychanalytique valide si elle est élaborée de façon à traiter des maladies différentes. Les gens sont des individus qui ont une histoire individuelle. Une technique fondée sur l’hypothèse a priori que tout le monde souffre de la même maladie est une technique statique, et donc une technique morte. Elle a des règles et une phraséologie qui peuvent être apprises et appliquées mécaniquement. Une technique valide est adaptable aux besoins spécifiques d’un individu, ce n’est pas un modèle intangible. Elle n’est pas établie d’avance, mais élaborée à mesure que se déploie le « processus », même si ce « processus » révélera sans doute que tous les patients souffrent de l’angoisse de castration et ont peur de leurs propres instincts.

Il y a un an, je marchais de long en large à Devonshire Place avec un patient dont l’angoisse avait atteint un tel paroxysme de terreur que le meurtre et le suicide étaient des possibilités imminentes. La crise n’avait pu être prévue à cause de la concomitance d’un traumatisme refoulé qui approchait de la conscience et d’un événement externe inattendu. La méthode de l’association libre sur le divan était hors de question. Je devais m’en remettre à mon psychisme inconscient pour tirer les interprétations adéquates de tout ce qu’il avait emmagasiné au cours des analyses précédentes, conduites selon une orientation classique. Elles sont venues inopinément et peu à peu l’angoisse s’est atténuée. Ma technique, dans ce cas, a été valide. Mais, dans mon enseignement, je ne me baserais pas sur une telle exception, qui s’est produite une fois en vingt ans. Je la raconterais comme une expérience, avec tous les détails qui lui sont associés. Je n’en déduirais pas de règles générales pour conseiller des étudiants dans le traitement de leurs cas. La communication de telles expériences est utile si notre but est d’encourager les étudiants à acquérir une technique flexible qui puisse faire face à une urgence. De ce point de vue, mon travail a été enrichi par la perception particulière de la vie inconsciente qu’a manifestée Mme Klein. Je regarde avec suspicion ses formulations théoriques ; j’attends de sa part davantage de détails sur sa technique. Mon évaluation du phantasme est différente, l’utilisation que j’en fais est différente, mais je constate que la plupart des précisions qu’elle a apportées sur la vie phantasmatique de l’inconscient sont utilisables dans une analyse conduite selon une orientation générale classique.

Lorsqu’un jeune étudiant de 19 ans me raconte pendant une heure les faits suivants, j’y trouve de quoi vérifier ce constat. Il se souvient d’avoir volé dans le garde-manger de sa mère et de la peur qu’il éprouvait alors. Il se souvient d’une certaine armoire dans les escaliers de la nursery, d’avoir osé parfois y mettre la tête, mais jamais assez longtemps pour dissiper ses craintes. Parfois il passait devant, le nez en l’air, affectant de l’ignorer. Quelque temps après il osait à nouveau y mettre la tête. Il parle alors du nombre de filles avec qui il a eu des relations, du fait qu’il n’ait pu établir de liaison amoureuse, même fugace, avec aucune. En fait, il a seulement osé

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mettre la tête dans des armoires. Puis il a froid, il voit la couverture sur le divan. Il dit : « je ne vais pas m’en recouvrir. Je vais l’ignorer. » Le sens de ce qu’il dit est évident et je reconnais que le travail clinique de Mme Klein en a favorisé et approfondi la compréhension. Je pourrais ajouter que ce jeune étudiant n’a lu aucun livre de psychanalyse.

Une perception de la vie phantasmatique inconsciente telle que celle de Mme Klein est un don particulier, dont je me permets de dire qu’il s’est avéré précieux, d’une manière ou d’une autre, à beaucoup d’entre nous.

Mais je crois que les résultats de chaque analyste sont limités par ses propres complexes. Cela vaut pour Mme Klein comme pour tous les autres analystes, et des dons particuliers de perception d’un aspect de la vie mentale ne signifient pas nécessairement qu’on ait une perception globale de l’ensemble des phénomènes mentaux.

S’il doit devenir un bon technicien, l’étudiant découvrira par lui-même, à nouveau, par des méthodes scientifiques, ce qu’a découvert Freud, et c’est selon la même démarche que seront redécouvertes les découvertes de Mme Klein si elles sont valides — non pas ses formulations, mais ses découvertes. Nous croyons qu’il y aura d’autres découvertes, mais puisque, à ce jour, un seul génie s’est révélé capable à la fois de découvrir et de formuler des principes, nous devons faire confiance à ceux qui ont un jugement scientifique pondéré pour évaluer les théories qu’élaborent les auteurs de découvertes.

Que l’on puisse enseigner de la même façon une technique valide et des faits, c’est pour moi une illusion. Le fait de tirer des déductions valides des phénomènes que nous observons dans notre cabinet dépend d’une forme particulière de savoir et de conscience qui est toujours limitée et conditionnée par la personnalité du praticien.

Nul ne peut transmettre une technique toute faite, sauf comme artefact. Le savoir peut être transmis d’une génération à l’autre, mais son utilité dépend d’autres facteurs que la compréhension intellectuelle. En tant que corpus de savoirs la science psychanalytique ne contribuera pas plus que n’importe quelle autre science à construire un monde plus sain. Ce n’est qu’en tant que savoir appliqué qu’elle œuvrera à ce but. Aussi, je crois que nous ne pouvons pas transmettre la « technique », car elle relève de facteurs qui dépassent l’application consciente des règles et règlements de quelqu’un d’autre. Chaque génération de psychanalystes devra l’élaborer par elle-même en repartant de zéro. Il faut refaire le chemin fait par Freud, le commencer là où il l’a commencé, et non pas là où il l’a quitté. Il n’y a pas de raccourci. Pour être convaincante, l’expérience doit être vivante et de première main. Je n’ai aucune raison de penser que beaucoup de gens iront plus vite que Freud pour recueillir les données utiles à l’élaboration théorique, surtout s’ils les méditent autant que Freud l’a estimé nécessaire, quand bien même ils auraient emmagasiné dans leur tête tout le savoir accumulé par lui. Une technique fondée sur une conception statique d’ensemble ou de détail, qui s’arrête à la plus ancienne des

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découvertes de Freud ou à celle du dernier « découvreur » en date, est une technique morte.

Qu’est-ce qui fait l’essentiel d’une technique valide ? La croyance en la détermination psychique, qui repose sur la conviction profonde des vérités fondamentales de la science psychanalytique.

La croyance en un « processus » mis en marche par la méthode de la libre association, dans lequel les modèles psychiques se reproduiront; la croyance que ce processus s’accomplit à un rythme inhérent qui lui est propre, même lorsque les résistances sont gérées avec toute l’habileté possible. La croyance que la guérison, si elle est possible, avance de concert avec les efforts du praticien pour parvenir à la compréhension des problèmes du patient. La croyance que le maniement du transfert est le problème crucial de la méthode analytique, et que les erreurs à ce niveau pèsent plus lourd que toutes les interprétations inadéquates du matériel en tant que tel. Il n’y a qu’un usage légitime du transfert, c’est celui qui profite au patient. C’est dans les affects de transfert que se révèle la signification du malaise du patient et c’est là seulement que réside la possibilité de le résoudre.

En ce qui concerne l’attitude à adopter envers le travail analytique, j’en reviens aux mots de Freud sur la psychanalyse elle-même : elle ne part pas de quelques concepts de base rigoureusement définis, avec lesquels elle tente de saisir l’univers. Elle s’attache bien plutôt aux faits de son domaine d’activité, tente de résoudre les problèmes immédiats de l’observation, s’avance en tâtonnant sur le chemin de l’expérience.

Une technique valide s’élabore lentement à partir d’une expérience de première main que l’on n’acquiert pas sans commettre d’erreurs. Un bon technicien ne niera pas que ses résultats sont limités par ses résistances et ses complexes personnels, et cela ne le découragera pas.

Une technique valide sera susceptible d’adaptation aux besoins particuliers de cas particuliers. Elle restera valide, quel que soit son écart par rapport aux normes, si l’écart en question est inspiré par les postulats que nous venons d’évoquer. Mais les principes généraux de la technique ne peuvent pas être formulés à partir de cet écart. Des maladies différentes relèvent de techniques différentes.

Une technique valide ne vise pas à soutenir une quelconque théorie, elle vise à un seul objectif : l’investigation des problèmes psychiques d’un individu donné, sans hypothèses a priori.

Mon critère de la fonction d’un analyste « contrôleur » est le suivant : suscite-t-il les capacités d’observation de l’étudiant ? Attire-t-il son attention sur ce qui est négligé ? L’aide-t-il à évaluer par lui-même son matériel ? Remet-il en cause les conclusions faciles, rapides, spécieuses et aide-t-il l’étudiant à supporter les incertitudes ? Est-il capable aussi de concevoir que l’étudiant puisse peut-être avoir raison, et lui-même tort ? Est-il prêt à laisser l’étudiant acquérir la technique à son propre rythme,

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sachant que ce dont celui-ci n’est pas convaincu, ou n’est pas encore en mesure d’apprécier seul, n’a pas beaucoup de valeur ? Je crois que ceux qui dirigent des séminaires ou donnent des exemples de technique devraient se demander : « Est- ce que je montre comment je travaille, comment je parviens à des conclusions à partir de certaines données, ou est-ce que je dis : c’est ainsi qu’il faut faire et voici les interprétations correctes ? » L’une de ces attitudes est scientifique, l’autre personnelle et arbitraire. Ce qu’il nous faut communiquer, c’est la méthode et le type d’approche.

Une dernière remarque. La quantité de travail de contrôle accomplie par chacun des membres de ce comité doit être très minime. Pour la plupart, nous nous sommes forgés, chemin faisant, une technique qui vaut ce qu’elle vaut en affrontant nos problèmes directement et quasiment sans aide. Nous avons appris d’abord par l’essai et l’erreur ; nous avons eu l’avantage inestimable de discuter du matériel de nos cas avec des amis et des collègues. Il n’y avait ni guides ni guidés ; nous étions indépendants. L’aide était réciproque. Nous avions le même statut et le même élan. J’attribue une partie de la liberté qui nous semblait aller de soi, de la liberté que nous ressentions, au fait que nous étions séparés de nos propres analystes par la Manche, rempart d’indépendance à bien des égards. Les trois patientes que j’ai eues en analyse il y a si longtemps ont toutes quitté Londres. Le problème auquel est confrontée la Société est celui d’une consanguinité psychologique due au faible nombre de ses membres, ce faible nombre étant composé essentiellement d’analystes et de gens analysés par eux. Il est presque inévitable dans une telle situation que de jeunes praticiens soient incapables d’exercer un jugement relativement indépendant et de jouir d’une certaine liberté dans le développement analytique dont nous, les membres plus âgés, avons bénéficié. Nous n’étions pas rassemblés autour de sources ou fontaines de vérité. Nous nous aimions, ne nous aimions pas ou nous tolérions les uns les autres en tant que personnes, mais nous adhérions sans réserve à la science de la psychanalyse. Je ne prétends pas que nos étudiants ne doivent pas recevoir plus d’aide que nous n’en avons eu, mais il se peut que l’aide soit donnée au prix de l’indépendance si les étudiants évoluent trop longtemps dans l’orbite de leur analyste plutôt que dans la leur propre. La dissolution du transfert des étudiants est la seule méthode de nature à établir et à sauvegarder la santé et l’indépendance psychologiques dans la Société telle qu’elle est constituée aujourd’hui.

Nous avons besoin des dons particuliers et de la perception que chaque chercheur peut apporter. Nous avons besoin de connaître les variations de technique qui ont résolu avec succès des problèmes particuliers. Mais la liberté des étudiants doit être sauvegardée. Les variations individuelles de technique ne doivent pas leur être imposées comme la seule méthode valide. Il y a une seule chose sur laquelle nous soyons en droit d’insister dans la formation des étudiants : la conviction quant à ces aspects fondamentaux de la psychanalyse

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qui ne peuvent être soumis ni à discussion ni à controverse et l’acquisition de la technique qui a révélé ces vérités, car ces vérités et cette technique vont de pair et constituent la théorie et la pratique fondamentales de la psychanalyse.

Pour conclure, je ne vois qu’un critère de la rectitude scientifique de tout psychanalyste. Est-il prêt à admettre que sa technique est la mieux adaptée à sa propre personnalité ? Croit-il que ses résultats sont conditionnés par la nature de ses propres complexes et de ses propres résistances ? Une réponse affirmative préserve de toute prétention à l’infaillibilité.

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Mémoire sur sa technique par S. M. Payne

Contribution à la discussion sur les aspects fondamentaux de la technique (le 4 novembre 1943)

Ma principale difficulté pour rédiger cette contribution à la discussion a été

de décider s’il était plus important d’apporter des détails concernant l’application de la technique que j’estime fondamentale ou s’il valait mieux se concentrer sur des points d’une signification technique plus générale.

J’en suis venue à la conclusion que ma première tâche était de définir ce que je considère devoir être l’attitude de l’analyste envers la psychanalyse, dans la mesure où cette attitude détermine certainement l’effet de la technique, de quelque façon qu’on l’applique. Je dirais donc qu’aucune technique analytique, de quelque façon qu’on l’applique, n’est correcte si l’analyste la considère comme la seule méthode pour sauver le patient et comme une méthode exacte dont la réussite serait fonction de cette exactitude.

Dans la formation, notre but est de préparer les candidats à observer et à juger avec objectivité, l’idéal étant qu’ils parviennent à observer avec leurs propres yeux et non plus seulement à travers ceux de leur analyste ou de leurs contrôleurs.

Il est évident que ce qu’un analyste donné juge fondamental dans l’application de la technique est sujet à des variations qui tiennent au type de cas pour lequel le traitement paraît indiqué. Si le traitement se restreint aux psychonévrosés et à des gens souffrant de difficultés de caractère mineures, la technique sera appliquée avec plus de rigidité et d’exactitude que s’il s’agit d’entreprendre le traitement de cas limites et de psychopathes. Il peut paraître évident que ces cas ne peuvent être guéris, mais on peut les aider, les maintenir en dehors des asiles, les empêcher de se suicider, souvent leur faire acquérir une adaptation limitée, compatible avec une santé et un bonheur relatifs. Le traitement est donc justifié. À mon avis, le premier entretien doit permettre l’établissement d’un diagnostic, et si le consultant entend conduire lui-même le traitement, il inaugure un contact d’un certain type. C’est-à-dire que l’on peut établir les bases d’un transfert qui ne fasse pas immédiatement renaître l’angoisse productrice d’imagos parentales, mais qui établisse la base d’une croyance à une figure d’un type nouveau, compréhensive et secourable. Si le consultant transmet le cas à quelqu’un d’autre, le contact créé doit être suffisant pour permettre d’établir un diagnostic, mais il n’est nul besoin de faire plus, l’instauration rapide d’un transfert dynamique pouvant rendre plus complexes les étapes préliminaires de l’analyse du patient. Naturellement, il est souvent impossible d’influencer le patient à ce sujet : c’est lui qui détermine la nature du transfert. Dans la conduite du traitement proprement dit, je considère la position sur le divan prescrite par Freud

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comme essentielle dans la formation et dans les cas habituels. Il y a des exceptions à la règle, qui doivent être dictées par l’expérience. Il est certain qu’être allongé sur le divan constitue la position favorable au développement des états dissociés et cela doit rester présent à l’esprit lorsqu’on traite des patients psychotiques.

Le but de l’analyste est de créer les conditions favorables à la libre

association du patient. En règle générale, lors des premières phases de l’analyse les interprétations portent sur du matériel préconscient et sont associées, si nécessaire, à une certaine part d’explication. Les interprétations de transfert dans les phases inaugurales sont données lorsqu’un apport soudain de matériel le justifie ou lorsqu’elles deviennent évidentes à partir de ce que le patient dit ou fait.

Chacun conviendra, j’en suis sûre, qu’un maniement correct du transfert constitue la partie la plus importante de la technique analytique. Freud conseillait de ne pas analyser le transfert avant d’avoir la preuve qu’il déterminait la résistance. Une résistance de transfert inconsciente et dynamique peut s’éveiller lors du premier entretien, dans ce cas elle a une représentation consciente. Par exemple, un cas se présente pour un traitement, en proie à une ambivalence aiguë exprimée à travers ce que les amis et la famille disent à propos de l’analyse : il est nécessaire d’interpréter immédiatement la peur consciente d’être blessé, peut-être volé et rendu licencieux par les analystes. En d’autres termes, le patient craint les impulsions du ça et l’on pourra sans doute mettre en relation la peur de l’analyste et la peur d’être à la merci des impulsions primitives. Dans d’autres cas, le transfert peut porter au début sur une figure puissante et critique, possédant certainement des représentations préconscientes qui peuvent être détectées et interprétées. Je ne ferai pas d’interprétation en termes de situation inconsciente, à moins que quelque chose de très inhabituel ne se produise.

Dans nombre de cas ces résistances de transfert ne surgissent pas immédiatement. Il est évident que les différences d’opinion quant à la technique tournent autour de la méthode à suivre pour donner des interprétations de transfert.

Il serait utile que nous reconnaissions avec objectivité les modifications survenues peu à peu dans notre technique du fait du progrès des connaissances et de l’expérience, des échanges d’idées et de l’influence de caractéristiques individuelles qui prennent nécessairement la forme de préférences pour des variations quantitatives dans l’application de la technique dès lors que, l’expérience aidant, l’analyste gagne en confiance.

Lorsque j’ai commencé ma formation avec James Glover, en 1919, je m’asseyais dans un fauteuil face à lui et il notait chaque mot que je disais. Nous avons fait ainsi du bon travail. Puis, après sa formation avec le Dr

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Abraham, à Berlin, il modifia sa technique : le patient s’allongeait sur le divan, l’analyste assis derrière lui. Les interprétations étaient faites surtout à la fin des séances, mais pas exclusivement. Les interprétations de transfert étaient faites lorsque survenait une résistance de transfert et que le matériel en apportait la preuve. L’analyste était très passif.

Lorsque j’ai travaillé avec le Dr. Sachs la technique était assez

semblable, à cette différence près que les interprétations étaient beaucoup plus systématiques. Les reconstructions étaient plus nombreuses et, là encore, le transfert n’était interprété que lorsqu’il constituait une résistance.

Au cours des années suivantes, avant que Mme Klein ne vienne à Londres, j’ai remarqué que certains analystes anglais employaient les interprétations de transfert de façon beaucoup plus active que le Dr. Sachs, et que certains avaient tendance à rapporter immédiatement à la situation de transfert toutes les relations dont parlait le patient en les interprétant dès le début du traitement.

Je n’ai pas tout à fait adopté cette technique, mais j’ai eu tendance à augmenter le nombre de mes interprétations de transfert, et j’ai, en effet, commencé à interpréter de manière plus active qu’auparavant, mais je n’interprétais pas activement le transfert dès le début du traitement, sauf si le véritable matériel apparaissait, ce qui arrive souvent.

Je crois comprendre que Mme Klein est favorable à l’interprétation directe et immédiate du transfert inconscient, dès le début, en toute situation, et qu’elle estime opportun de rapporter au transfert toute expérience interne ou externe.

En tant que médecin ayant pratiqué par le passé la suggestion, avec ou

sans hypnose, il me semble indéniable que l’interprétation directe en termes de transfert dès le début agit comme une suggestion et ranime, si elle est probante, les imagos inconscientes des parents qui fonctionnent lorsqu’on introduit l’hypnose.

Certes, ces imagos finiront par être transférées à l’analyste ; la question est de savoir si l’on a avantage à provoquer le transfert de cette façon active, si l’on doit en user dans tous les cas ou seulement dans certains cas précis. D’après mon expérience des psychonévrosés, la névrose de transfert est très rapidement installée avec l’ancienne méthode. Elle résulte non seulement de l’interprétation du transfert, en fonction du matériel présenté, mais aussi de l’interprétation du contenu des phantasmes, des rêves et des résistances du moi grâce à laquelle la perception se trouve renforcée. Le travail accompli selon cette orientation inclut l’analyse du matériel préconscient et inconscient, ainsi que la reconstruction de l’expérience infantile.

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Cette méthode a deux avantages : 1 — L’établissement d’une identification avec une figure secourable

ancrée dans la réalité ; 2 — L’analyse précoce du matériel préconscient, qui est un substitut du

phantasme inconscient et doit être analysé à un moment ou à un autre. Les inconvénients possibles d’une technique plus active sont : 1 — Le patient risque davantage d’interrompre le traitement durant ses

premières phases ; 2 — II semble que la résolution d’une situation de transfert induite

activement par suggestion directe puisse s’avérer plus difficile. Au cours de la période où les suggestions directes sont faites, le moi est activement dominé par l’analyste qui joue le rôle de l’imago toute-puissante du parent. Il est clair que, à ce moment en tout cas, le moi ne peut guère se renforcer. Je suis pleinement consciente que l’objectif ultime est de résoudre les situations d’angoisse associées aux relations d’objet primitives dans le moi, mais, en les résolvant ainsi, ne favorise-t-on pas la persistance d’une imago parentale toute-puissante d’un genre bienveillant plutôt qu’un moi indépendant et intégré ? Il importe de dire ici que ce peut être le meilleur résultat possible dans certains cas où il n’y a aucun espoir de génitalité complète et d’indépendance adulte. La question que je pose est : doit-on accepter l’emploi généralisé de cette méthode ?

3 — À mon avis, si l’interprétation de transfert accompagne régulièrement et

inévitablement toute interprétation, elle peut devenir une simple formule et perdre sa signification dynamique.

4 — J’ai vu des cas où l’interprétation directe du transfert était considérée

par le patient comme une façon déguisée d’avoir une relation d’amour avec l’analyste, gratifiante pour le patient, et dont l’absence se traduit par une privation.

Je soulève ces questions pour inviter au débat, et non pas pour rejeter la méthode de l’interprétation de transfert immédiate et directe. Je suis d’avis qu’il faut l’employer dans des cas à tendances psychotiques ainsi que dans des cas où prédominent les difficultés prégénitales et où les patients sont entièrement dominés par les imagos inconscientes. C’est beaucoup plus la question de savoir quand ce mode d’interprétation doit être employé qui m’intéresse que sa justesse dans l’absolu. Puisque l’expérience a prouvé la rapidité du développement du transfert avec une approche moins active et l’avantage très net que présente l’analyse du matériel préconscient tant du point de vue du

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transfert que du point de vue du moi, toute technique qui semble minorer ou écourter cet aspect du travail ne saurait, à mon avis, être admise sans la plus extrême prudence.

Les différences de technique se produisent non seulement entre individus d’un même groupe, mais aussi d’un groupe à l’autre. Je pense qu’il existe des différences entre la technique de tous les analystes britanniques et celle de nos collègues viennois. L’analyste britannique est plus actif dans l’interprétation du transfert et dans l’interprétation du matériel prégénital. J’ai aussi l’impression que les analystes britanniques ne jugent pas aussi important de se concentrer sur l’interprétation des résistances du moi avant l’interprétation du contenu du phantasme.

Personnellement, je crois ces différences inévitables et je ne pense pas qu’il soit possible aujourd’hui de juger des résultats comparés. Certes, les étudiants reconnaissent les différences de technique même mineures, mais pourvu qu’ils comprennent que la méthode et ses différences ne sont pas fondamentales, leur formation n’en souffre guère, quand bien même elle est rendue provisoirement plus difficile. Ces différences sont comparables aux différences d’opinion qui existent entre médecins dans toutes les formes de thérapie. La thérapie ne peut pas être une science exacte.

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Rapport préliminaire du Comité de formation

Rapport préliminaire du Comité de formation à propos des effets des controverses scientifiques actuelles sur la formation des candidats

Instructions données au Comité de formation Au cours de son Assemblée générale du 29 juillet 1942, la Société

britannique de psychanalyse a chargé le Comité de formation d’un rapport sur les effets des controverses scientifiques actuelles sur les questions de formation. Au cours de l’Assemblée générale du 21 juillet 1943, un rapport provisoire a été présenté par le Comité, à qui la Société a alors demandé de présenter son rapport définitif le plus vite possible.

Entre-temps le Comité a reçu à ce propos des mémoires de la majorité de ses membres individuels et a tenu sur ce sujet des discussions nombreuses, longues et franches. En conséquence, il a l’honneur de rapporter à la Société ce qui suit :

Examen préliminaire du problème Le problème soumis au Comité de formation est censé se restreindre à la

controverse pendante dans la Société. Néanmoins, le Comité estime qu’il ne serait pas satisfaisant de proposer l’adoption d’une solution superficielle et de circonstance. Ce serait une erreur d’imaginer que la situation actuelle est d’une gravité extraordinaire ou unique. Il est presque certain, au contraire, que les causes sous-jacentes qui l’ont provoquée mèneront à une succession de difficultés similaires, et seul l’examen de ces causes sous-jacentes peut offrir quelque perspective de parvenir à une solution plus durable.

Le Comité de formation est un organe exécutif de la Société, chargé de l’organisation et de la supervision de la formation des futurs praticiens (et, dans une moindre mesure, des futurs chercheurs en psychanalyse). Le Comité n’est donc pas directement concerné par la véracité ou la fausseté des thèses sur la théorie et la pratique soutenues par les membres de la Société. Il lui revient seulement de juger lesquelles de ces thèses représentent le mieux l’opinion générale de la Société et d’apprécier la meilleure manière de les incorporer dans un projet de formation. Bref, ses fonctions sont administratives plutôt que scientifiques.

Mais il y a une question préalable dont la réponse détermine tout le caractère des fonctions exécutives du Comité. Les opinions des membres de la Société constituent-elles un système fermé de vérités immuables et exhaustives, que l’on ne saurait ni élargir ni corriger ? Ou bien sont-elles un corpus de généralisations basées sur l’observation, constamment sujet à l’expansion et à la

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modification à la lumière d’une expérience qui s’accroît ? Si la première thèse était acceptée, les fonctions du Comité en seraient très simplifiées et il pourrait tranquillement se consacrer à l’interprétation des assertions dogmatiques qui le concerneraient. Néanmoins, le Comité suit Freud sans hésitation en acceptant comme correcte la seconde thèse sur les principes de la psychanalyse.

Dès lors, il semble que doivent s’ensuivre les difficultés dont la présente controverse n’est qu’un exemple. Car chaque fois qu’un ajout sera apporté à notre savoir, des demandes surgiront pour que l’on révise des thèses jusqu’alors communément défendues, et ces demandes susciteront inévitablement discussions et oppositions. Si notre Société était purement scientifique, nous pourrions allégrement laisser le temps et l’accumulation des faits nouveaux résoudre ces problèmes ; mais l’aspect éducatif de notre travail, dont le Comité de formation est responsable, requiert plus qu’une politique d’attente.

En effet, il a été suggéré que l’existence dans la Société de deux ensembles contradictoires d’opinions théoriques interdirait nécessairement tout fonctionnement effectif du Comité de formation. Comment, a-t-on demandé, le Comité pourrait-il décider si tel candidat doit être adressé aux tenants d’un ensemble d’opinions ou d’un autre pour son analyse didactique ? S’il décide d’envoyer tous les candidats aux tenants d’un ensemble d’opinions (quel qu’il soit), il prononcera, de fait, une sentence d’excommunication à l’encontre de l’autre. Alors que si, en toute impartialité, il envoie un nombre égal de candidats aux tenants des deux ensembles d’opinions, il divisera les futurs membres en deux partis inconciliables, conduisant ainsi la Société à un schisme irrémédiable. Le Comité de formation est d’avis que ce dilemme est irréel, mais que, pour s’en affranchir, un examen plus détaillé des buts de la formation doit être entrepris.

La formation des candidats relève de trois catégories : a) les analyses didactiques ; b) les analyses de contrôle ; et c) les séminaires et conférences. Nous les examinerons séparément.

Les buts de l’analyse didactique On affirme avec autorité qu’une analyse didactique ne doit différer en rien

d’une analyse thérapeutique ; c’est un postulat auquel le Comité souscrit pleinement. Mais ce postulat suffit en soi à réfuter le prétendu dilemme présenté au paragraphe précédent. Il n’est guère contestable, en effet, que dans une analyse thérapeutique l’analyste n’escompte ni ne désire l’acceptation par son patient de ses propres vues théoriques sur les questions psychanalytiques. Si cela arrive néanmoins, c’est plutôt comme effet second de l’analyse — effet qui peut apparaître plus suspect que satisfaisant. Selon le Comité, tout cela vaut particulièrement pour une analyse didactique. L’objectif premier d’une analyse didactique, comme d’une analyse thérapeutique, doit être de faciliter un fonctionnement mental normal. Dans

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toute la mesure du possible, elle devrait donc viser, entre autres choses, à libérer le candidat de l’influence des préjugés inconscients, y compris ceux issus du transfert, de manière qu’il puisse librement faire des observations indépendantes, juger sans arrière-pensées et tirer des conclusions valables de ce qu’il observe. Ce serait la meilleure garantie contre les insuffisances et les erreurs inévitables dont le savoir théorique du meilleur des analystes didacticiens n’est pas exempt. Car le candidat, pour autant qu’il ait été libéré de ses préjugés inconscients, sera en mesure d’accepter celles des thèses de l’analyste qui peuvent être confirmées, de compléter celles qui se révèlent incomplètes et de corriger ou de rejeter celles qui semblent fausses. En revanche, l’adoption automatique et sans critique par un candidat des vues théoriques de son analyste didacticien ne peut qu’indiquer l’échec de son analyse dans l’un de ses objectifs principaux ; quant à l’inclination qu’aurait un analyste didacticien à susciter un tel résultat, elle dénoterait, dans son psychisme, la présence de contre-transferts non résolus et, dans sa technique, des erreurs qui en sont la conséquence. Il ne fait guère de doute, pour le Comité, que la tentation est bien plus grande d’influencer les vues théoriques d’un analysant dans le cas d’une analyse didactique que dans celui d’une analyse thérapeutique ; c’est une tendance devant laquelle il faudrait donc être particulièrement vigilant lors de la sélection d’analystes didacticiens. Il semble devoir s’ensuivre que les personnes qui portent un fort intérêt émotionnel à la prééminence de leurs propres vues théoriques dans les générations présente et futures de psychanalystes — quelle qu’ait pu être l’importance des services qu’elles ont rendus à la science psychanalytique — ne sont vraisemblablement pas les mieux placées pour accomplir les fonctions particulières d’analyste didacticien. Ainsi, dans toutes les circonstances où, comme c’est le cas actuellement, une controverse théorique aiguë est en cours dans la Société, il semblerait raisonnable, pour la nomination d’analystes didacticiens, d’écarter ceux qui sont principalement concernés dans l’un et l’autre parti de la controverse.

Les buts de l’analyse de contrôle Beaucoup de ces considérations s’appliquent tout autant à la sélection

des analystes contrôleurs, dont la mission, quoique moins fondamentale, a une importance et des difficultés qui lui sont propres. Car l’analyste contrôleur peut être considéré comme responsable en premier lieu de la formation du candidat au niveau conscient, formation qui rend ce dernier capable de tirer le meilleur parti des transformations plus profondes qu’il subit pendant l’analyse didactique. L’analyste contrôleur évitera naturellement d’empiéter sur la sphère de l’analyste didacticien, et il ne serait pas souhaitable, pour cette raison même, que leurs conceptions respectives des problèmes analytiques soient violemment discordantes. Pour

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autant, ce doit être l’un des objectifs de l’analyste contrôleur que d’élargir l’horizon du candidat, d’attirer son attention sur des possibilités qui lui ont échappé et de discuter avec lui d’explications alternatives aux phénomènes qu’il a observés.

(À ce propos il sera en position de recommander des orientations de lecture au candidat ou de lui indiquer où des lacunes dans sa connaissance de la littérature demandent à être comblées.) Il reviendra donc presque inévitablement à l’analyste contrôleur d’aider le candidat, au cours de discussions impartiales et sans le troubler indûment, à mesurer les mérites et les torts d’opinions divergentes soutenues par divers membres de la Société sur des questions de théorie. Si l’on rappelle aussi que l’analyste contrôleur est responsable en dernière instance de la sauvegarde de l’intérêt du patient en contrôle, il devient assez évident que le bon accomplissement de sa tâche exige des qualités singulières de jugement, d’équilibre et de tact, qualités qu’il est peu probable de voir associées à une conception rigide ou extrémiste des problèmes psychanalytiques.

Les buts des séminaires et conférences La situation est très différente, selon le Comité, en ce qui concerne les

séminaires et conférences. Il semble n’y avoir aucune espèce de raison d’en exclure des questions de controverse. Le Comité estime important, au contraire, qu’aucune tentative ne soit faite pour protéger le candidat de l’impact de ce que l’on peut considérer de tel ou tel côté comme des croyances hétérodoxes. Ce devrait être une part essentielle de la formation de tout candidat que d’assister à des conférences ou à des séminaires donnés par des partisans, et même par des partisans extrémistes, de toutes les tendances de pensée en conflit ayant cours dans la Société.

Les fonctions du Comité de formation La supervision des divers processus de formation qui viennent d’être

énumérés est de la responsabilité du Comité de formation, et la question de savoir si cette supervision s’exerce de manière adéquate ou inadéquate doit, à l’évidence, être du ressort des membres de ce comité, qui dépend à son tour des votes de l’ensemble de la Société.

Le Comité ne peut éviter le soupçon que, dans le passé, la Société ait été guidée par des considérations non appropriées dans l’exercice du choix des membres du Comité de formation. Jusqu’à présent la Société a été encline à nommer au Comité de formation des membres qui s’étaient distingués de diverses manières — par leur position éminente dans le mouvement analytique, par leurs capacités intellectuelles, par leur proximité avec l’orientation principale de la tradition analytique, par l’originalité de leur

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contribution à notre science, voire par leur situation de chef de file d’une tendance controversée de la pensée analytique. L’examen des fonctions réelles du Comité de formation suggère qu’aucune de ces caractéristiques (pour admirables qu’elles soient) ne constitue véritablement la compétence requise pour les tâches assez particulières qui sont les siennes. Certaines de ces caractéristiques en seraient même l’inverse, et on peut notamment se demander s’il est raisonnable de choisir pour superviser la formation de jeunes praticiens ceux qui ont participé ou participent activement aux controverses et cèdent à l’amertume et aux attaques personnelles. Il existe même un risque de voir l’analyse didactique globalement considérée comme un moyen de diffusion d’ensembles particuliers d’opinions, de sorte que le Comité de formation pourrait cesser d’être un organe d’éducation et devenir plutôt un champ de bataille pour des groupes en guerre, une position politique stratégique dont le contrôle décidera du destin de telle ou telle faction de la Société.

Si les nominations au Comité de formation doivent obéir régulièrement à de telles orientations, il sera difficile à la Société d’éviter une succession de ruptures tant dans ses activités didactiques que dans l’ensemble de son travail.

Remèdes Il semblerait donc que les moyens d’éviter ces fâcheux résultats soient

entre les mains de la Société elle-même, en particulier lorsqu’elle choisit les membres du Comité de formation. Si les analyses didactiques doivent être conduites en se concentrant entièrement sur le seul point essentiel, qui est l’amélioration du fonctionnement psychique du candidat, si les analyses de contrôle doivent apporter à celui-ci une aide bienveillante, mais non dictatoriale, lors de ses premières tentatives, si les séminaires et les conférences doivent lui offrir un terrain de controverse véritablement impartial, alors le Comité de formation doit être lui-même doté de qualités telles que la patience, la modération, la tolérance, l’ouverture d’esprit et (dans l’ordre pratique) du goût du compromis. Ajoutons que ne semblent pas y avoir leur place des ingrédients tels qu’un excès d’enthousiasme pour l’innovation ou un excès de rigidité dans l’opposition à cette innovation, sans parler des sentiments personnels d’inimitié ou de ressentiment.

Le remède proposé par le Comité de formation apparaîtra sans doute trop drastique à certains et trop timoré à d’autres. Il décevra, notamment, ceux qui ont à cœur l’approbation ou le rejet d’un ensemble particulier d’opinions. Le Comité se permet néanmoins de signaler qu’il est peu probable que l’utilisation de l’appareil de formation aux fins d’établir ou d’éliminer une opinion scientifique soit efficace à long terme. Les propositions du Comité offrent de reporter les espoirs à plus tard ; pas

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nécessairement de les abandonner définitivement. Avec le temps, et ce temps peut être très court, ce qui est aujourd’hui une innovation peut devenir solidement établi et ne plus donner lieu à controverse ; en revanche, il ne se passera peut-être guère de temps que l’on ne reconnaisse cette innovation comme une hypothèse erronée ou superflue et que tout le conflit ne sombre dans l’oubli. Mais que l’une ou l’autre de ces conséquences s’ensuive ou que le problème reste en suspens, cela ne peut résulter que de l’évolution du consensus de la Société dans son ensemble - consensus qui s’appuiera sur l’accumulation graduelle des données scientifiques et se reflétera dans le choix variable mais mesuré de la composition des Comités de formation successifs.

Recommandations Avant de procéder à l’exposé de ses recommandations spécifiques, le Comité

désire aborder la question de la date à laquelle elles entreront en vigueur. Même s’il n’est pas souhaitable que la situation délicate que nous connaissons actuellement perdure au-delà du nécessaire, le contexte d’une guerre mondiale n’est pas le plus opportun pour tenir une élection, fût-ce d’un Comité de formation. Le Comité fait également valoir que le programme de la formation a été effectivement exécuté au cours des années difficiles qui viennent de s’écouler - à échelle réduite, il est vrai, et non sans quelques frictions, mais avec des résultats qui, tout bien considéré, ne sont cependant pas mauvais. Le Comité estime donc (considérant la probabilité d’une clarification de l’ensemble de la situation à assez brève échéance) qu’il doit être possible de poursuivre le travail didactique sur ses bases actuelles jusqu’à la fin de la guerre.

En conséquence, le Comité de formation recommande : 1 - Que la Société procède à l’élection d’un nouveau Comité de formation

aussitôt que possible après la fin de la guerre en Europe. 2 - Que, lors du choix des membres du nouveau Comité de formation, la

Société tienne le plus grand compte de l’inopportunité de la nomination de personnes fortement impliquées dans de graves controverses scientifiques ou personnelles.

3 - Qu’il soit donné au nouveau Comité de formation l’instruction expresse d’éviter autant que possible de retenir pour les fonctions d’analyste didacticien ou de contrôle des personnes dont le désir d’imposer leurs thèses extrêmes ou rigides semblent devoir affecter la justesse de leur technique ou l’impartialité de leur jugement.

4 - Qu’en revanche, il soit donné au nouveau Comité de formation l’instruction expresse que tout candidat, par sa participation à des séminaires et à des conférences, ait l’opportunité d’accéder à la connaissance la plus approfondie et la plus complète de tous les secteurs d’opinion de la Société, y compris les plus extrêmes.

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Répercussions du rapport préliminaire

du Comité de formation Commentaires d’Edward Glover et d’autres membres du Comité de

formation à propos du rapport préliminaire sur la formation dans la Société. Edward Glover 1 / Sur le mandat donné au Comité. Un rapport à propos des effets des

présentes controverses sur la formation doit indiquer le fait que le Comité se trouve lui-même irrémédiablement divisé entre : 1 / le parti kleinien (Klein, Rickman) ; 2/ le parti freudien (A. Freud, Glover) ; 3/ le parti autrefois désigné comme Middle group (Brierley, Payne). La position de Mlle Sharpe n’est pas certaine, mais elle est bien plus freudienne que kleinienne. Néanmoins je pense qu’on peut considérer qu’elle appartient toujours au « Groupe du milieu ». Autrement dit, la plupart des membres du Comité sont en complet désaccord. Si c’est sans conséquence sur la question de la formation je veux bien être pendu !

2 / M. Strachey dit : « Ce serait une erreur d’imaginer que la situation

actuelle est d’une gravité extraordinaire ou unique. » À quoi je réponds : les schismes dans le mouvement psychanalytique ne sont peut-être pas uniques, mais le présent schisme kleinien est certainement d’une gravité extraordinaire pour la Société britannique, ne serait-ce que parce que, dans les conditions actuelles de la formation, les thèses schismatiques peuvent devenir à terme, du fait des transferts didactiques et de la politique d’élection et de sélection qui s’ensuivra, l’enseignement analytique orthodoxe.

3 / Je cite : « Le Comité n’est pas directement concerné par la véracité ou la

fausseté des thèses soutenues par les membres de la Société. » C’est escamoter le problème : assurément, le Comité est directement concerné par la véracité ou la fausseté des thèses dont il permet officiellement l’enseignement en tant que thèses psychanalytiques. Il a, par exemple, nommé Mme Klein, le Dr Rickman, Mme Isaacs, etc., analystes didacticiens officiels, analystes contrôleurs, conférenciers, etc. Ce faisant, non seulement il entérine leurs thèses, mais il leur fournit des occasions uniques de les enseigner.

4 / Sur les systèmes didactiques ouverts ou fermés. La question n’est pas de

savoir si les thèses de Mme Klein peuvent être enseignées en vertu d’un « système ouvert », mais si elles sont valides. Ce que dit implicitement ce paragraphe, c’est que les thèses de Mme Klein ne sont pas incompatibles avec les enseignements de Freud. Une partie importante du Comité dit qu’elles sont

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incompatibles. L’ensemble de la page 2 (du rapport préliminaire) est un parfait exemple de ce que j’appellerais « avoir la tête dans les nuages » face à une difficulté très pratique, à savoir le démantèlement de notre système de formation.

5 / Je cite : « Le Comité de formation est d’avis que ce dilemme » (le

dilemme en question résultant de l’attribution des candidats à des analystes qui soutiennent un seul ensemble de thèses ou bien de leur répartition entre des analystes qui représentent des ensembles de thèses opposés) « est irréel ». C’est en contradiction totale avec les faits. Le Comité se trouve bien devant un dilemme ; l’équipe de formation se trouve devant un dilemme ; les candidats se trouvent devant un dilemme. Seule est irréelle, dans cette situation, l’affirmation susmentionnée.

6 / Je cite : « Ce postulat suffit en soi à réfuter le prétendu dilemme. » (Le

postulat était que l’analyse didactique ne devrait différer en rien d’une analyse thérapeutique.) Aucun postulat ne peut réfuter un dilemme réel. Il n’y a rien de mal, bien entendu, dans l’aspiration que suggère ce postulat. Il ne « devrait » y avoir aucune différence entre une analyse didactique et une analyse thérapeutique. Mais il y en a (dans ce pays, au moins). La véritable conclusion est que, dans ce pays, au vu des résultats, les analyses didactiques diffèrent des analyses thérapeutiques. Incidemment, les patients ne sont pas analysés pour devenir analystes, mais parce qu’ils sont malades. Les patients peuvent soutenir toutes les thèses qu’ils voudront sur la théorie et la pratique de l’analyse : cela n’a aucune importance. Mais cela a une importance quand des interprétations incorrectes sont enseignées aux candidats et qu’ils sont incapables (à cause du transfert) d’acquérir leur liberté scientifique.

7 / Sur les buts d’une analyse didactique. Tout cet exposé est pure

« idéalisation » de l’analyse didactique. Si « l’adoption automatique et sans critique par un candidat des vues théoriques de son analyste didacticien » est une indication d’échec, la plupart des analyses didactiques conduites ces dix dernières années ont « échoué » et souvent « échoué de façon manifeste ». Si toutes ces idéalisations étaient vraies, le candidat serait un peu plus avancé que son analyste didacticien et pourrait analyser son analyste avec quelque avantage pour ce dernier.

8 / Je cite : «Ainsi, dans toutes les circonstances où, comme c’est le cas

actuellement, une controverse théorique aiguë est en cours dans la Société, il semblerait raisonnable, pour la nomination d’analystes didacticiens, d’écarter ceux qui sont principalement concernés dans l’un et l’autre parti de la controverse. » À quoi bon suggérer que des analystes « partisans » ne doivent pas être nommés comme didacticiens, tant que les plus violents des partisans

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font partie non seulement du Comité mais, d’ores et déjà, de l’équipe didactique, et qu’ils y demeureront vraisemblablement ? Si c’était là le véritable remède, il ne serait efficace qu’à condition que les partisans aujourd’hui enseignants soient écartés de l’équipe didactique. Mais, une fois encore, on présume que les partisans ne sont que des impulsifs légitimes dont le désaccord se résume à des points secondaires. Or la question est tout autre : il s’agit de la validité des thèses de Mme Klein. Il en va de même en ce qui concerne les remarques sur les analyses de contrôle — là aussi, l’idéalisation est patente et le remède, assez inadéquat, suppose la validité potentielle des thèses de Mme Klein.

9 / Le rapport préliminaire parle de l’inconvénient d’une « conception rigide

ou extrémiste » chez un analyste contrôleur. Or la présente controverse ne porte ni sur la « rigidité » ni sur « l’extrémisme », mais sur le fait de savoir si les thèses professées par Mme Klein appartiennent ou non à la psychanalyse.

10 / Je cite : « Certaines de ces caractéristiques en seraient même l’inverse,

et on peut notamment se demander s’il est raisonnable de choisir pour superviser la formation de jeunes praticiens ceux qui ont participé ou participent activement aux controverses et cèdent à l’amertume et aux attaques personnelles. Il existe même un risque de voir l’analyse didactique globalement considérée comme un moyen de diffusion d’ensembles particuliers d’opinions, de sorte que le Comité de formation pourrait cesser d’être un organe de formation et devenir plutôt un champ de bataille pour des groupes en guerre, une position politique stratégique dont le contrôle décidera du destin de telle ou telle faction de la Société. Si les nominations au Comité de formation doivent obéir régulièrement à de telles orientations, il sera difficile à la Société d’éviter une succession de ruptures tant dans ses activités didactiques que dans l’ensemble de son travail. » Les commentaires sur le mode d’élection dans la Société sont assez justes en eux-mêmes, mais ils laissent supposer que les électeurs ne vont plus voter de la même façon. Comment le vote pourrait-il ne pas être partisan tant que les innovateurs considéreront leurs thèses comme essentielles au progrès de la psychanalyse et que les freudiens orthodoxes les considéreront comme non analytiques et délétères pour la psychanalyse ? On ne peut résoudre le problème qu’en examinant les thèses en question et, si on les trouve incorrectes, en empêchant qu’elles soient enseignées comme correctes.

11/ Sur les remèdes. La première phrase est un pur excès d’idéalisation

fondé sur une pure supposition. 12 / Je cite : Le Comité signale qu’il est peu probable que l’utilisation de

l’appareil de formation aux fins d’établir ou d’éliminer une opinion scientifique soit efficace à long terme. » Quelle est l’échéance de ce « long terme » ? Le fait

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incontestable est qu’à court terme, disons en cinquante ans, l’appareil (qui, en pratique, vit du transfert et du contre- transfert) peut tout à fait, soit établir, soit éliminer une opinion scientifique chez les candidats. Pour l’amour du ciel, regardez les faits tels qu’ils apparaissent dans les produits finis de la formation, c’est-à-dire chez les membres de la Société. Tant que nous n’avions pas « d’extrémistes » dans la Société, ses membres, à défaut d’être particulièrement inspirés, avaient un comportement raisonnable. Dès lors que les « opinions » ont fait rage, les membres formés par les « extrémistes » sont devenus des partisans dévoués agissant avec une ferveur pseudo religieuse, et à moins de congédier l’équipe et de nommer des non partisans, vous ne changerez jamais la situation. Je doute que vous la changiez, même en congédiant les partisans. C’est pourquoi j’ai suggéré de supprimer l’équipe didactique, au moins pour un temps, et d’autoriser tout analyste qualifié à analyser des candidats.

13/ La croyance que la Société formera son jugement à partir de

l’accumulation des données scientifiques. Quel espoir cela représente-t-il à présent ?

14/ Sur les recommandations. Il est suggéré qu’au cours des années difficiles

qui viennent de s’écouler la formation a eu lieu non sans quelques frictions mais « avec des résultats qui, tout bien considéré, ne sont cependant pas mauvais ». Il y a ici une « confusion éclairante ». Le Comité n’a travaillé en douceur et sans friction que pendant l’année du bombardement, quand le parti kleinien était absent. Avant la guerre le Comité était déjà dans l’impasse, et il connaît un état de conflit aigu depuis qu’il est revenu à ses conditions de fonctionnement d’avant guerre. D’ores et déjà, il ne peut poursuivre son travail sans partager la formation en deux sections au moins (les kleiniens et les non-kleiniens), voire trois (kleiniens, freudiens et du Middle group). La première décision quant à la séparation de la formation a déjà été prise : il est franchement malhonnête de ne pas le dire à la Société.

Quant aux décisions recommandées, je n’ai qu’une question à poser : est-ce que le Comité dira franchement que les partisans actuels doivent se retirer de la formation ? S’il ne le fait pas, il n’est pas un comité scientifique.

Commentaire final. Le rapport préliminaire ne représente pas les opinions des membres du Comité et ne donne pas un compte rendu objectif des délibérations du Comité. Il présente une version dilatoire de la véritable situation.

Edward Glover, président.

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Extraits des minutes du Comité de formation lundi 24 janvier 1944

Le Dr Payne préside. Membres présents : Dr Payne, Mlle Freud, Mlle

Sharpe, Mme Klein, M. Strachey. Le Dr Brierley et le Dr Rickman sont absents et excusés. 1 — Les minutes de la dernière réunion sont lues et approuvées. 2 — Le Dr Glover avait prévenu qu’il n’assisterait pas à la réunion du

Comité de formation et il a envoyé ses commentaires sur le rapport préliminaire soumis par M. Strachey. La secrétaire rapporte que le Dr Glover lui a écrit pour annoncer qu’il démissionnait de sa qualité de membre de la Société britannique de psychanalyse et de l’Institut de psychanalyse. Le Comité de formation n’a pas jugé souhaitable, en la circonstance, d’examiner le rapport préliminaire, les membres souhaitant avoir le temps de réfléchir à la situation nouvelle créée par la démission du Dr Glover. M. Strachey propose l’ajournement de l’examen du rapport ; cette proposition est soutenue par Mlle Sharpe et adoptée.

Mlle Freud demande si elle est l’un des partis auxquels faisait allusion le rapport préliminaire de M. Strachey, et dit que si c’est le cas elle le prend comme une insulte et souhaite démissionner du Comité de formation. Les autres membres du Comité lui demandent de ne pas prendre de décision ce soir même et de réexaminer la situation.

Mlle Sharpe indique qu’elle souhaite lire une brève communication concernant le mémoire du Dr Glover soumis au Comité lors de sa dernière réunion :

Je ne soutiens pas la proposition du Dr Glover de rapporter à la Société que la formation a échoué, scientifiquement et pratiquement. Au point de vue scientifique, le Comité de formation attend maintenant une décision de la Société précisant quels aspects théoriques et techniques du travail de Mme Klein sont des développements légitimes de la théorie freudienne, lesquels sont erronés ou subversifs et lesquels ne sont pas prouvés. Il faut sûrement dire ce fait à la Société, lui dire aussi qu’il est de sa responsabilité d’élire un Comité de formation qui mettra en œuvre sa décision sur l’enseignement à donner aux candidats. Cette situation est entre ses mains, pas entre les nôtres.

D’un point de vue pratique, la formation n’a pas échoué. Nous pouvons faire état de sa diminution et des difficultés qui nous assaillent, difficultés insolubles pour l’instant. Un compte rendu exact de ce qui s’est effectivement passé depuis quatre ans et demi peut être présenté : le nombre d’étudiants qui ont été ou sont en analyse ; les analystes de ces étudiants ; le nombre d’étudiants en contrôle, et avec qui ; le nombre de ceux qui assistent à des séminaires, et les noms de ceux qui dirigent ces séminaires; les conférences données, et par qui. Un relevé portant sur ces quatre années et demie montre que quelque 10 (?) à 12 (?)

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candidats ont été en rapport quasi exclusif, soit avec des spécialistes freudiens, soit avec ceux qui, tout en accordant une certaine valeur aux données cliniques de Mme Klein, n’ont jamais reconnu ses théories comme démontrées en tant que telles.

J’aimerais distinguer le constat de ce qui s’est effectivement passé pendant ces années, dans un rapport, des difficultés qui doivent être résolues pour parvenir à un Comité de formation doté d’une politique unifiée basée sur les décisions de la Société. Le fait est que, pour l’instant, je crois que nous avons deux étudiants analysés par Mme Klein ou par des analysants de Mme Klein — tous les autres sont essentiellement en contact avec les méthodes et les principes freudiens. Le Dr Glover semble glisser sur les quatre années et demie qui précèdent et sur ce qu’on peut en conclure pour la période antérieure.

J’aurais souhaité que le Dr Glover ne se laisse pas aller à attaquer ses collègues anglais, qui pendant ces années ont consacré aux étudiants et à leur bien-être l’attention la plus assidue et la plus constante, croyant préparer ainsi le terrain le plus sûr pour des jugements sensés. Il semblerait qu’il ne reconnaisse ni la portée ni la signification de ce travail discret, patient et désintéressé, effectué selon des principes freudiens sûrs. “Timide“, “indifférent”, “incohérent”, “désorganisé”, telles sont les épithètes qu’il s’autorise. Voilà tout ce que le Dr Glover semble voir ou comprendre. Ce qu’il y a de pire dans ce genre d’attaques inconsidérées, c’est qu’elles provoquent des contre-attaques. Je fais partie, moi aussi, de ce comité depuis quinze ans, et aurais de bonnes raisons d’accuser le Dr Glover de « timidité ». Mais cela ne ferait pas avancer notre problème. Traitons des problèmes qui se posent à nous maintenant, et où intervient, c’est en effet possible, un héritage d’erreurs commises par nous tous dans le passé, le Dr Glover compris.

Encore une fois, j’aurais pu me sentir personnellement offensée par l’affirmation du Dr Glover selon laquelle la principale faille de notre système didactique a été la sélection de professeurs n’ayant pas, à proprement parler, la qualification requise pour enseigner à cette créature hautement impressionnable (ce qui n’est qu’une demi-vérité) qu’est l’étudiant en formation. Est-ce qu’il se réfère ici, oui ou non, au groupe timide, incohérent et désorganisé qui a fait beaucoup pour la formation effectivement réalisée pendant les quatre années et demie qui précèdent ? Le Dr Glover devrait certainement exprimer clairement sa pensée, faute de quoi il commet une injustice envers des gens qui sont, dans la pleine acception du terme, qualifiés pour enseigner.

Les problèmes des affects de transfert et des allégeances dans la Société sont en effet cruciaux, mais je dis avec gravité que ses manifestations positives et négatives ne proviennent pas d’une seule source. Nous devons l’envisager comme un problème commun à nous tous, et non pas unilatéral.

Je prie le Dr Glover de comprendre que pendant les quatre années et demie

qui précèdent il a eu des collègues qui ne poursuivaient aucun intérêt personnel,

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n’avaient aucun désir de « s’emparer de la Société » pour promouvoir leurs propres conceptions théoriques, sont prêts à démissionner de leurs fonctions à tout moment, mais ont toutefois apporté, avec leurs qualités et leurs limites, une contribution solide qui peut encore porter ses fruits dans l’avenir.

Je n’approuverai donc aucun rapport destiné à être soumis à la Société qui n’accompagnerait pas le constat de nos problèmes didactiques d’un compte rendu des résultats pratiques obtenus au cours des quatre années et demie qui précèdent.

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Première lettre de démission d’Edward Glover

adressée à Sylvia Payne 18 Wimpole Stree, W. 1. 24 janvier 1944 Chère Dr Payne, J’envisage, depuis maintenant presque deux ans, de rompre mes relations

avec la Société britannique de psychanalyse. Depuis de nombreuses années — en fait depuis 1933 — j’ai eu l’impression que tôt ou tard les divergences scientifiques dans la Société, et particulièrement au sein du Comité de formation, deviendraient de plus en plus aiguës. Mais je n’avais jamais pensé démissionner avant les bombardements, lorsqu’une discussion, scientifique à l’origine, sur « Les relations de la Société P.-A. au public » devint politiquement organisée. Ce développement politique a coïncidé avec le retour à la participation aux affaires de la Société de quelques membres qui, pour une raison ou une autre, avaient été absents auparavant depuis un certain temps. Il est alors devenu clair pour moi que la Société ne pouvait plus prétendre au statut de société scientifique, de même qu’il était improbable qu’elle puisse demeurer une société purement freudienne. De fait, elle a été chaque fois moins freudienne à partir de 1933-1934, c’est-à-dire quand Mme Klein commença à esquisser des théories appartenant à ce que j’ai appelé ailleurs sa « seconde période ».

Le cours que prirent ensuite les événements vous est familier : a) l’organisation des « séries de discussions de controverses » pour examiner les doctrines soutenues et enseignées par Mme Klein et ses disciples ; b) la nomination d’un Comité pour examiner le système d’élection des responsables de la Société ; c) le mandat donné au Comité de formation afin de faire un rapport concernant l’effet des controverses actuelles sur la situation de la formation. Vers la fin 1943, toutes ces activités étaient suffisamment avancées pour permettre une estimation exacte des tendances futures et du développement de la Société. À la suite de l’assemblée annuelle de 1943, j’ai décidé, comme vous le savez, de démissionner de mon poste et de ma qualité de membre. Je n’ai été incité à ajourner ma décision que par les demandes pressantes de certains membres de la Société. Néanmoins, j’ai dit alors que je n’irai pas plus loin que Noël 1943.

Voici comment je vois la situation présente : la série de discussions de

controverses finira en fumée. En fait, il est déjà inutile de les poursuivre. Le groupe kleinien continuera à soutenir soit que ses thèses sont strictement freudiennes soit qu’elles sont légitimes, voire qu’elles constituent des extensions précieuses de l’œuvre de Freud, Le « vieux Middle group » cherchera des échappatoires, mais finira par dire qu’il ne voit pas de raisons

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pour une scission. Les membres isolés seront perplexes, mais ne verront aucunement la nécessité d’une scission. Seuls les freudiens viennois et quelques membres isolés continueront à maintenir que les thèses kleiniennes ne sont pas analytiques, et ceux-là seront mis en minorité par la coalition du groupe kleinien avec n’importe quel jeune groupe moins intéressé par les controverses actuelles que par l’administration future de la Société, de sorte que l’issue est déjà décidée depuis longtemps.

Mais à mon avis, indépendamment de ces orientations politiques, la poursuite de ces discussions n’a aucune justification scientifique. La nouvelle métapsychologie kleinienne qui nous a déjà été présentée n’est pas seulement opposée de manière fondamentale à la métapsychologie freudienne, mais elle peut servir d’exemple pour n’importe quelle théorie clinique que ses défenseurs décideraient de mettre en avant.

Ma vision de la situation est confirmée par les activités du Comité chargé du règlement et du Comité de formation. Le premier présentera un rapport majoritaire où l’importance des divergences scientifiques sera sous-estimée et où les troubles de la Société seront attribués au mode d’élection des responsables.

Le Comité de formation présentera un document irréaliste et « dans les nuages » laissant entendre qu’il n’y a pas, dans la Société, de véritable dilemme, ou un rapport majoritaire suggérant d’éliminer les problèmes par un changement d’état d’esprit de ceux qui élisent le Comité. Il est peu probable, selon moi, que le Comité de formation rapporte à la Société les faits saillants, à savoir que depuis longtemps le Comité est, en pratique, dans l’impasse et que depuis un an il a en effet sanctionné l’existence, pour ainsi dire sous un même bonnet, d’au moins deux systèmes de formation entièrement différents. Il ne recommandera certainement pas la démission d’un membre quelconque de l’équipe de formation ou la suspension pendant une période indéfinie du système d’analystes didacticiens, laissant par conséquent la conduite de l’analyse didactique entre les mains de n’importe quel membre qualifié de la Société.

Outre ces trois principales raisons de ma démission, j’ai l’impression, en étudiant les événements récents, que la Société s’apprête à développer, dans un proche avenir, de nouvelles orientations. Par exemple, il est probable a) qu’elle se rapprochera de la psychiatrie en général, comme cela se passe en Amérique, et b) qu’elle en viendra à mettre beaucoup d’énergie dans la technique de la psychologie statique plutôt que dans celle de la psychologie dynamique.

Tout bien considéré, je ne vois donc aucune raison de repousser plus longtemps le moment de démissionner. En effet, si je reportais ma décision jusqu’à l’assemblée annuelle, il est vraisemblable que cela encouragerait d’autres personnes à suivre mon exemple. Or ce sont des décisions que chacun doit prendre personnellement. Je pense, pour ma part, qu’il est souhaitable qu’une nouvelle société freudienne se forme tôt ou tard : en fait, je pense qu’il

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en ira probablement ainsi. Mais tous les membres n’ont pas une position aussi indépendante que la mienne et je ne veux aucunement les influencer. En fait, il ne m’apparaît pas du tout certain que je doive épauler le développement d’une nouvelle société.

De toute façon, je veux que ma démission prenne effet le 25 janvier, c’est-à-dire le lendemain de la réunion du Comité de formation convoquée pour étudier son rapport préliminaire à la Société. Les commentaires sur ce rapport que j’ai envoyés par un courrier séparé pourront donc encore être pris en compte lors des délibérations du Comité de formation et figurer dans les minutes. Tous les aspects pratiques du processus de passation des pouvoirs en seront, je pense, facilités.

Sincèrement vôtre, Edward Glover.

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Extrait d’une lettre de Melanie Klein à son groupe Après cette réunion, Melanie Klein écrivit ce qui suit aux membres de son

groupe, le 25 janvier 1944 : Je vous écris pour vous faire part d’une information importante. Le Dr

Glover a démissionné de sa qualité de membre de la Société. Nous en avons été informés hier soir au Comité de formation, de sorte que cette information est strictement confidentielle jusqu’à la prochaine assemblée ordinaire, où elle sera annoncée.

La cause directe de sa démission est que la majorité des membres du Comité de formation, qui ne m’ont pas du tout consultée à ce sujet, se sont unis contre lui et ont exprimé leur méfiance devant sa partialité...

(Archives Melanie Klein, The Wellcome Institute, Londres.)

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Deuxième lettre de démission d’Edward Glover adressée à l’ensemble des membres de la Société

1er février 1944 18 Wimpole St. W.1. Chère Dr Payne, Dans votre lettre du 25 janv. vous me demandez de vous envoyer une

« déclaration » au sujet de ma démission de la Société P.-A. pour présentation à l’assemblée administrative du 2 fév. Je crois que ma lettre de démission vous en fournit déjà une : je vous propose donc de la lire ainsi que la présente réponse à un point particulier soulevé dans votre lettre. Je pense aussi qu’il serait plus correct de distribuer ma contribution originale à la discussion du Comité de formation, avec mes « Commentaires sur le rapport préliminaire du Comité de formation à la Société », rapport préliminaire qui a finalement décidé de ma démission. Je vous rappellerai bien sûr que depuis que les discussions des relations de la Société avec le public ont pris une connotation politique, il y a eu pléthore de « déclarations » de toute part, et que j’ai précisé ma position au sein du Comité chargé du règlement, du Comité de formation et dans les discussions des controverses. Ces thèses figurent dans les diverses minutes.

Pour en revenir à votre lettre : vous dites que nous avons travaillé en collaboration jusqu’à ce que les troubles dans la Société deviennent aigus, et que depuis nos buts se sont opposés en ceci que j’ « œuvrais pour la scission » et vous « pour un compromis ». Il ne me revient naturellement pas de commenter personnellement la seconde partie de cette affirmation. Je me contenterai de dire que le compromis scientifique doit se distinguer de la conciliation administrative en ce sens que le compromis sur des questions de principe finit souvent par accélérer les clivages qu’il veut prévenir — comme ce fut le cas, en effet, en cette occasion. D’autre part, votre opinion selon laquelle « je préparai la “scission” » (même si elle ne concerne qu’une période précise) peut facilement provoquer une fausse impression. J’aimerais donc affirmer catégoriquement n’avoir jamais travaillé pour une scission, n’avoir jamais demandé à personne de scissionner, avoir refusé de le faire lorsqu’on me l’a demandé et avoir fermement refusé de prendre part aux fréquentes manœuvres qui se sont déroulées dans les coulisses de la Société depuis 1928. J’exerce simplement à présent le privilège de me retirer de la Société a) parce que sa tendance générale et sa formation sont devenues non scientifiques et b) parce qu’elle devient de moins en moins freudienne et qu’elle manque donc à ses buts originaux.

Depuis 1934, lorsque le parti kleinien a adopté la théorie d’une Klein

« position dépressive centrale » (avec toutes les connotations de cette théorie)

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j’ai critiqué, il est vrai, de plus en plus vigoureusement et clairement la déviation kleinienne. Mais ces critiques, loin d’œuvrer « pour la scission », constituaient un exercice légitime de critique scientifique. Lorsque peu après la publication du livre de Rank, Das Trauma der Geburt, feu James Glover et moi-même avons préparé une riposte critique d’ensemble de sa théorie de la naissance de la neurogenèse, personne n’a suggéré que nous œuvrions pour une scission, même si cette riposte attaquait la théorie de la naissance à une époque où beaucoup d’analystes l’avaient gobée en totalité. Entre parenthèses, la question actuelle pourra s’éclaircir davantage si je signale que les dernières théories de Mme Klein, malgré leur différence de contenu par rapport à celles de Rank, constituent un même type de déviation de la psychanalyse. Les implications en sont identiques et les théories en sont malsaines exactement pour les mêmes raisons que celles de Rank. Cette ressemblance entre les deux déviations est en effet frappante.

Puis-je encore signaler qu’au cours de ce que j’ai appelé la « première

période » de la théorisation de Mme Klein (c’est-à-dire avant 1934), je me suis écarté de mon chemin pour chercher une base commune entre certaines de ses thèses et l’enseignement freudien classique. Tous ceux qui ont participé aux congrès psychanalytiques savent parfaitement que même ses premières thèses n’étaient admises par aucune branche de l’Association psychanalytique, sauf par la Société britannique, et d’ailleurs même pas par toute la Société britannique. Au Congrès d’Oxford j’ai consacré tout un texte au compromis et j’ai été lourdement accusé pour ce fait par nombre de ceux qui étaient alors nos collègues européens. Mais déjà pendant la « première période » j’ai été profondément troublé par deux manifestations qui se sont développées dans la Société : a) la mise en berne de la discussion scientifique dans la Société, au sein de laquelle l’acceptation ou le refus des thèses de Mme Klein sont devenus une sorte « d’épreuve » religieuse, b) la politique du Comité de formation.

Je souhaiterais terminer cette lettre par quelques autres commentaires sur la

situation de la formation telle qu’elle s’est développée de 1928 jusqu’à aujourd’hui. J’ai toujours soutenu que le pouvoir d’influencer l’avenir de la psychanalyse réside, non dans les discussions scientifiques de la Société, mais dans la politique du Comité de formation. L’opération des transferts et contre-transferts didactiques en est le facteur décisif. Quand les différences d’opinions se font aiguës, ces transferts rabaissent automatiquement le niveau de la formation du plan scientifique à un plan presque religieux. Malheureusement, ce fait n’a jamais été ouvertement admis dans le Comité de formation. On se payait tellement de mots sur le mythe de « l’analyste formé (et donc sans préjugés) » que c’en est quasiment devenu, à mon avis, de l’hypocrisie consciente. Les conséquences de cette politique n’auraient pas pu être retardées indéfiniment : déjà avant la guerre le Comité avait été amené à considérer la

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possibilité de l’existence de différents systèmes de formation, et pendant la guerre deux systèmes distincts et opposés ont ouvertement été accueillis. Les candidats qui veulent une formation kleinienne se voient attribuer des analystes et des contrôleurs kleiniens. Les candidats qui préfèrent une formation purement freudienne sont dirigés vers des analystes et des contrôleurs freudiens. Ceux qui n’ont pas de préférence particulière ont la place du pauvre, leurs opinions futures et leurs carrières étant en définitive déterminées par le hasard. Malgré tout cela, jusqu’à ces dernières années j’ai évité que le Comité de formation ne scissionne. Mais je vois maintenant que cette position est intenable, non seulement pour les candidats, mais pour la psychanalyse elle-même.

Et donc, quand il est devenu clair à partir de ce rapport préliminaire que le

Comité était toujours prêt à faire semblant de croire que ce véritable problème est un « faux dilemme », il ne me restait qu’à conclure qu’il n’y avait pas de perspective de progrès scientifique dans la Société elle-même. Car si la formation n’est pas scientifique quel espoir nous reste-t-il d’établir des normes scientifiques parmi des membres dont l’entrée dans la Société dépend de leur conformité au régime du Comité de formation ? Il vaut beaucoup mieux mettre ce système au rancart et tout recommencer.

Sincèrement vôtre, Edward Glover. P.-S. J’ai appris depuis que Mlle Freud avait démissionné du Comité de

formation. C’est à peine si je dois dire que malgré le fait qu’elle ait pris sa décision indépendamment de toute action de ma part, je n’en suis pas du tout surpris. La façon dont le rapport préliminaire de M. Strachey insiste sur la prétendue capacité des analystes didacticiens à encourager l’objectivité chez leurs candidats est en si flagrante contradiction avec les faits de la situation actuelle que, comme je l’ai dit dans mon « Commentaire », si tel était vraiment le cas, les candidats seraient déjà plus avancés que leurs analystes didacticiens, et donc en position de les analyser avec quelque profit pour eux, didacticiens.

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Extrait des minutes de la réunion du Comité de formation

du 9 février 1944 La secrétaire estime qu’il n’apparaît pas clairement dans les minutes que

Mlle Freud a finalement décidé de démissionner ; cette opinion est partagée par tous les autres membres, à l’exception de Mme Klein. Il est convenu que Mlle Freud considère sans doute que l’envie de démissionner, exprimé oralement, doit prévaloir malgré la demande qui lui a été faite de le reconsidérer, puisqu’elle a ultérieurement informé ses collègues et ses candidats de sa démarche.

Mme Klein lit une déclaration sur ce qu’elle pense du rapport préliminaire diffusé aux membres du Comité de formation. Une copie de cette déclaration est annexée aux minutes. Après discussion complémentaire, il est décidé que M. Strachey doit reconsidérer certains points de son rapport et soumettre une ébauche de la version révisée à la critique et aux commentaires des membres du Comité de formation.

La secrétaire informe le Comité que le rapport définitif doit être diffusé avec les minutes de la dernière assemblée ordinaire, vu les références à ce rapport dans la déclaration faite par le Dr Glover à propos de sa démission.

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Déclaration de Melanie Klein au Comité de formation

mercredi 9 février 1944 Je souhaite faire une déclaration au Comité de formation, au sujet de la

discussion du rapport préliminaire de M. Strachey. Si ce rapport est accepté en l’état par le Comité de formation, je veux aussi soumettre à la Société un rapport minoritaire obéissant à l’orientation de cette déclaration. Je l’ai discuté avec le Dr Rickman et je parle en son nom autant qu’au mien.

Je souhaite aborder le rapport de M. Strachey sous deux angles différents : la validité d’un certain nombre de ses conclusions et la question politique.

Je pense que l’idée qu’un analyste qui aurait rendu « d’éminents services à la science psychanalytique » ne soit pas le « mieux placé » pour s’occuper d’analyses didactiques est fondamentalement contradictoire. Personne n’aurait pu rendre d’importants services à la science psychanalytique sans être un bon, et même un très bon analyste. L’idée que nous puissions posséder une combinaison de qualités et de défauts telle que nous serions : a) de bons analystes pour des gens non candidats, ce qui présuppose b) ; b) étant l’offre « d’éminents services à la science psychanalytique », qui ne saurait pas être autre chose que a), sans toutefois dépendre tellement de préjugés émotionnels qui leur rendraient impossible toute analyse de candidats, cette idée me semble fallacieuse.

J’aurais pu accepter l’idée qu’un analyste puisse rendre à la psychanalyse des services, et même d’éminents services, de toutes sortes — administratifs, présentations et influences publiques, y compris de l’enseignement, etc. — sans rendre service à la science, mais en faisant avancer le savoir.

Le travail de recherche analytique se poursuit dans le travail quotidien de l’analyste et pas ailleurs. Aucun analyste ne peut élargir notre connaissance théorique indépendamment de sa sensibilité et de ses passions — c’est-à-dire indépendamment de l’Ics de son patient et du sien. Il n’y a pas d’autre voie de développement de la théorie psychanalytique. Il est possible d’être un bon analyste sans rien apporter à la théorie — que ce soit à cause d’un manque d’intérêt ou d’une incapacité à formuler ce qui aurait été compris et utilisé en pratique. Le contraire cependant ne peut jamais se produire, un analyste qui contribue avec quelque nouveauté au développement de notre science ne sera jamais soumis à des préjugés émotionnels, ne sera jamais si narcissique qu’il soit impossible de lui laisser analyser un candidat grâce à la procédure appropriée et impartiale qu’il applique à ses patients ordinaires.

Je soutiens intégralement la thèse bien connue, soutenue aussi par M. Strachey, et que j’ai toujours défendue : le but de l’analyse didactique est exactement le même que celui de toute analyse. Nous savons que les besoins de tout candidat en analyse sont exactement les mêmes que ceux des autres analysants. Le problème de l’utilité que l’analyse aura pour lui, dans sa vie

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émotionnelle, est souvent plus grand que celui des patients qui se présentent avec des symptômes sérieux et ouvertement reconnus. Cependant, en dehors de nos difficultés actuelles, le transfert et le contre-transfert sont beaucoup plus compliqués à gérer dans le cas des candidats — non pas à cause des différences inhérentes à leurs analyses, mais parce que passé un certain stade de l’analyse il y a bien plus de contacts personnels réels et une relation externe capable de provoquer rapidement des conflits émotionnels aigus. C’est, dans une certaine mesure, le cas dès qu’un candidat est accepté pour la formation. Nous sommes sûrement tous d’accord pour admettre que c’est seulement par une véritable analyse, sans que s’exerce aucune influence, que nos candidats peuvent être analysés de manière satisfaisante.

Mais, encore une fois, il semble erroné de prétendre que le problème particulier de l’analyse des candidats est moins aigu dans le cas des analystes n’ayant pas contribué de manière particulièrement importante à l’avancement de la théorie. Une pensée relativement désintéressée (et c’est toujours relatif, aussi bien pour les patients que pour les analystes, indépendamment du « groupe » auquel ils appartiennent) doit être un des précieux produits secondaires de toute analyse. Si nous apportons à nos analysants en formation une plus grande liberté et une plus grande stabilité émotionnelles, ils acquerront aussi une plus grande objectivité de pensée, qu’elle porte ou non directement sur la théorie analytique. Cependant, l’orthodoxie ou l’excès de prudence de la part de l’analyste peuvent facilement inhiber le propre désir du candidat de jouer un rôle dans les discussions théoriques. De même, le contre-transfert peut faire que l’analyste didacticien hésite à prendre position sur des enjeux précis par rapport aux nouvelles théories encore en discussion et, bien plus, à apporter ses propres contributions originales.

Lorsque M. Strachey sous-entend que les candidats puissent être influencés par des analystes didacticiens qui élaborent de nouvelles hypothèses et qui les amèneraient à accepter leurs propres thèses, il ne semble pas reconnaître le fait que dans ce cas les candidats parviennent à leurs convictions à travers l’expérience même de leurs propres analyses. J’illustrerai par un exemple ce que je veux dire : Radó, Helene Deutsch, Edward Glover, James Glover et Mme Strachey ont été, tout comme moi-même, en analyse avec Abraham. Ce n’est sûrement pas une coïncidence si tous ces gens ont manifesté une plus grande compréhension des facteurs oraux que bien d’autres collègues. Je soutiens cependant qu’Abraham n’a jamais essayé dans son analyse de m’influencer dans ce sens, et je suppose donc qu’il ne l’a pas fait avec ses autres analysants. Nous pouvons supposer que s’il avait vécu, il aurait été plus loin dans sa compréhension des premières phases du développement. Il est indubitable qu’il aurait utilisé ces découvertes dans l’analyse de ses analysants et que, parmi eux, les plus doués pour la pensée théorique auraient sûrement été des représentants de ces thèses. M. Strachey, lui-même si profondément intéressé par le développement de la théorie et si convaincu de la valeur de la liberté de pensée

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analytique, laisserait-il croire que ceux qui sont capables d’utiliser au mieux leur propre analyse dans l’analyse de leurs étudiants pourraient, à cause de cela, ne pas être considérés comme capables d’enseigner ?

Je fais ces remarques pour vous montrer que le problème est plus complexe et difficile que ne semble le croire M. Strachey. À mon avis, il est si réel et si difficile qu’il n’y a pas de solution aussi simple que celles proposées par M. Strachey, Trancher le nœud gordien comme il le fait signifie sûrement que nous aurions ensuite pour tâche de rassembler tous les bouts coupés, au risque peut-être de les trouver plus enchevêtrés que jamais à cause de nos tentatives pour esquiver les difficiles questions inhérentes à notre situation.

L’idée que les analystes qui ont fait de nouvelles contributions devraient en conséquence se trouver exclus du travail didactique ne me semble guère sage. Ceux qui avancent de nouvelles théories — ou qui rejettent des théories nouvelles — sur des bases autres que celles strictement scientifiques doivent assurément être exclus du travail didactique. Mais il est peu vraisemblable qu’ils aient rendu « d’éminents services » à notre science. Ils ne devraient pas être jugés d’après leurs théories, mais strictement d’après leurs attitudes émotionnelles envers : a) leurs propres théories, ainsi qu’envers celles d’autres personnes ; et b) envers leurs collègues. Ceux qui ne peuvent pas soumettre leurs thèses, anciennes ou nouvelles, à la discussion libre et coopérative ne sauront vraisemblablement analyser aucun type d’analysant. Il en va de même pour ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas participer à une discussion libre et coopérative sur la théorie des autres.

Nous sommes tous amenés à vaincre ou succomber par nos attitudes personnelles face à ces questions. Et ces attitudes doivent être évaluées à chaque fois selon leurs critères propres. Le fait qu’un membre participe activement, et même de manière enthousiaste et passionnée, à la discussion ne signifie pas, loin de là, qu’il puisse avoir des préjugés. C’est la qualité des arguments employés, la réaction personnelle face aux critiques et le degré d’objectivité qui importent. Je suis parfaitement d’accord avec M. Strachey lorsqu’il dit que ceux qui ont des attitudes extrêmes ou rigides sur les questions théoriques — et qui les rendent personnelles —, ne conviennent pas. L’objectivité stricte, nous en conviendrons tous, n’équivaut pas à l’illusoire notion de neutralité qui conduit à un repli timide sur soi-même empêchant de s’engager dans l’une ou l’autre voie. Elle n’équivaut pas non plus à la soumission aux théories bien établies. Nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas juger nos collègues en analyse selon la qualité des arguments qu’ils utilisent. Nous avons le droit et même le devoir de le faire en décidant qui élire au Comité de formation et qui nommer comme analyste didacticien.

Aucun analyste didacticien ne doit non plus être jugé d’après les théories auxquelles adhèrent ses analysants — qu’elles coïncident ou qu’elles diffèrent des siennes —, mais seulement par les qualités et les attitudes personnelles, et d’abord et surtout par les qualités analytiques de ses analysants. Dans tout cela,

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nous ne devons pas établir une norme de perfection absolue et irréelle, mais nous ne devons pas nier non plus que nous éprouvions tous des sentiments vis-à-vis de ces questions. L’idée que quelqu’un, ou un groupe, qu’il soit de droite, de gauche ou du centre, puisse être complètement libre de préjugés ou d’esprit partisan est fausse et irréaliste. Ces questions sont relatives et doivent être jugées de manière relative.

En outre, nous ne devrions pas oublier que les transferts et les contre-transferts font partie de la vie normale, qu’ils se produisent partout où des gens s’engagent dans un travail commun, et, en particulier, que ce sont les transferts qui nouent de manière essentielle les relations entre les enseignants et les élèves. Il ne faut donc pas les condamner comme déplacés, ni les reprocher à ceux qui s’y trouvent engagés, comme le font le Dr Glover et, d’une manière différente, le Dr Brierley. Les transferts et les défenses qu’ils suscitent jouent leur rôle dans tout travail productif.

J’admets avec M. Strachey que les controverses théoriques actuelles se reproduiront vraisemblablement. Les nouvelles théories, dès qu’elles prennent de l’importance ou de l’ampleur, sont l’objet d’un débat vif et passionnel ; dès qu’elles sont admises par un certain nombre de membres, mais pas par d’autres, elles soulèvent les problèmes pratiques pour la formation de manière plus ou moins aiguë. Et je conviens que les nouvelles théories qui se trouveront en fait bien fondées tisseront de manière lente et silencieuse l’ensemble de la pensée psychanalytique, qu’elles feront partie du corps des doctrines établies et enseignées, sans aucun doute.

Je n’accepte pas que le débat et la vérification des nouvelles théories doivent toujours être aussi difficiles et envenimés que le nôtre. Nous savons tous qu’au cours de ces dix dernières années des raisons très spéciales ont fait que les discussions et les considérations sur les nouvelles théories sont devenues très personnalisées et envenimées. Une conjonction de circonstances accidentelles et extérieures a provoqué les tensions très personnelles et aiguës d’origines diverses. Elles se sont révélées très dangereuses, avec leur tonalité particulière et leurs déformations des enjeux strictement scientifiques, et ce d’une manière telle que nous devons espérer que cela ne se reproduise pas dans le développement à venir de la théorie psychanalytique.

Pour toutes ces raisons, il est possible que s’imposent, dans la situation actuelle, des mesures qui ne seraient pas nécessaires dans le cadre d’une politique générale de formation. Je suis prête à examiner cette possibilité. Mais avant de le faire, je veux ajouter deux autres points qui s’appliqueraient à une situation plus normale.

J’aurais cru bon que des vues théoriques différentes soient représentées au Comité de formation — à la seule condition que ceux qui les représenteraient soient de bons analystes et possèdent les qualités personnelles requises, comme nous l’avons déjà discuté. Si ceux qui soutiennent de nouvelles théories, ou des théories non encore universellement admises, se trouvent en minorité au Comité

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de formation, comme c’est le cas maintenant, il n’existe aucun danger pratique qu’ils battent les autres membres du Comité aux élections, en imaginant le cas peu probable qu’ils aient voulu le faire.

Les analystes didacticiens, tout comme les membres du Comité de formation, doivent être choisis pour leurs aptitudes analytiques éprouvées, ainsi que pour leur capacité de coopérer, indépendamment de leurs théories. Les analystes contrôleurs doivent être choisis selon leurs capacités en tant qu’analystes, conjointement avec leurs qualités en tant qu’enseignants. Tous les analystes didacticiens ne font pas de bons contrôleurs. J’accepte ce que dit M. Strachey sur les qualités requises, mais je n’admets pas l’insistance excessive sur les théories qui les soutiennent.

Pour résumer cette partie de mes commentaires : si le principe du rapport de M. Strachey est adopté, il se peut que de nombreux analystes se retiennent d’avancer des thèses nouvelles, de crainte d’être étiquetés comme « controversés » et d’être donc exclus de toute participation à la formation. Le développement du savoir scientifique en sera par conséquent entravé. Pénaliser l’originalité me semble extraordinairement dangereux, car la science avance grâce aux différences d’opinion, par la discussion, à travers les aventures théoriques et le courage, et en corrigeant ses erreurs. Si nous craignons l’étiquette de « controversé », notre savoir n’avancera pas.

J’en viens maintenant à certains points qui concernent des questions plus personnelles. Je dois ici traiter aussi de certaines conclusions du Dr Brierley dans sa contribution sur la technique, car elles sont intimement liées. Je parlerai franchement et ouvertement car je crois que c’est ce dont nous avons tout particulièrement besoin au point où nous en sommes. Mais je ne pourrai que préciser mes opinions sans les discuter complètement. Je demanderai une autre réunion au Comité afin que nous puissions convenablement échanger nos idées.

Je viens de me référer à l’enchaînement inhabituel de circonstances accidentelles et externes qui, au cours des dix dernières années, ont introduit dans la discussion des problèmes théoriques des sentiments personnels intenses, qui ne lui appartiennent aucunement. Je suis forcé d’y venir, car il s’agit de l’une des principales sources des difficultés de la situation à laquelle le rapport préliminaire de M. Strachey essaye de répondre. Vous comprendrez qu’il ne m’ait pas été toujours facile de garder une attitude complètement distante et impersonnelle au cours de toutes ces discussions de la Société, où un élément si fortement personnel a été introduit. Je ne prétends pas l’avoir toujours totalement fait ; néanmoins, de nombreux membres, y compris certains de ceux ici présents, m’ont exprimé en privé leur estime pour avoir, avec un certain succès, maintenu une attitude scientifique face aux fortes provocations humaines m’incitant à faire autrement, ainsi que pour la patience et pour l’endurance dont j’ai réussi à faire preuve. Ce n’est qu’après que des questions pratiques de politique ont été soulevées par divers membres à l’automne 1941 — questions relatives aux règlements et à l’administration, etc. — que j’ai pris

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une part active à la « controverse » avec d’autres qui s’opposaient à certains aspects de l’administration de cette Société et que j’ai exprimé de sérieuses critiques contre cet état des choses ; pourtant même alors, je l’ai fait sur des bases objectives. Vous vous souvenez comment certains membres condamnaient violemment et totalement tout ce que je faisais ou tout ce que faisaient ceux qui acceptaient mes opinions théoriques. Les divers textes que nous avons lus sur les problèmes soulevés constituent des preuves documentaires de nos efforts pour demeurer objectifs. Malgré les erreurs que nous avons faites de temps en temps, je me demande si un observateur extérieur à cette Société et impartial pourrait considérer que les deux « partis » des présentes « controverses » ont été également rancuniers, dans leurs implications et dans leurs préjugés.

Pour en revenir à la question scientifique, bien plus importante, il est vrai que certains de mes élèves et certains de mes analysants ont manifesté, et manifestent encore, un enthousiasme considérable par rapport à ce qu’ils croient avoir appris dans leur travail avec moi. Cet enthousiasme est assez naturel lorsque les gens croient avoir acquis par eux-mêmes une compréhension théorique précieuse ou un instrument utile pour un meilleur travail avec leurs patients. Il s’agit d’un phénomène quotidien dans le travail scientifique quel qu’il soit, indépendamment de l’objet d’étude. Sans cet enthousiasme pour les théories psychanalytiques lorsqu’elles furent apprises pour la première fois, personne ne se serait jamais donné la peine de créer des cliniques, des systèmes de formation, etc. Bien plus important, cependant, que de savoir si les gens s’enthousiasment pour les théories qu’ils soutiennent est de savoir s’ils sont prêts à en discuter avec ceux qui les critiquent.

Il est malheureusement vrai que les théories que j’ai moi-même produites, par mon propre travail, n’ont pas été — au début — convenablement discutées par mes collègues. Dans les premières années après mon arrivée en Angleterre, pour diverses raisons que je ne peux pas aborder, mon travail ne reçut pas assez de critiques. J’aimerais dire, cependant, que dès cette époque Mlle Sharpe avait déjà présenté ses critiques, et qu’elle le fait depuis, toujours de manière objective. Cette absence générale de critique n’a certainement pas été bénéfique, ni pour mon travail ni pour la formation des candidats. Mais à partir de cette date, comme vous le savez tous, ce qui était blanc devint noir, et certains membres influents ont exprimé contre moi, toutes les fois qu’il a été possible, des critiques personnelles, pleines de ressentiment, totales. Cela non plus n’a pas favorisé une véritable discussion de mes contributions. Et, dans mon désir d’éviter que cet élément personnel n’intervienne dans la Société, cela m’a amené à m’abstenir de présenter des textes ou de faire d’autres contributions. En fait, je n’ai présenté aucun texte entre 1934 et 1939. Je ne suis plus sûre maintenant que cette patience ait été tout à fait louable ou utile. Je sais que de nombreux membres se sont trouvés dans une telle détresse par rapport à la situation de la Société qu’ils n’ont pas non plus présenté de contributions

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pendant ces années. Mais j’avais l’espoir que la situation finirait par s’arranger d’elle-même ou que l’ensemble des membres trouverait un moyen de la résoudre plus efficacement.

En attendant, moi-même et d’autres avons fait de notre mieux pour permettre qu’une discussion scientifique impersonnelle se poursuive. Dans nos discussions privées, des critiques assez sévères des idées des uns et des autres s’exprimaient librement, mais nous avons aussi précisé à nos collègues viennois dès leur arrivée à Londres que nous étions très désireux de nous unir à eux dans une discussion libre à tout instant.

Mme Riviere et Mme Isaacs se sont chargées de ces discussions avec nombre de membres anglais et, plus tard, allemands et viennois. Dès mon retour à Londres, en 1941, j’ai insisté auprès de Mlle Freud au sujet de la valeur des discussions privées sur les différences théoriques. Après des propositions répétées, j’ai pu convaincre Mlle Freud de la sagesse de cette voie. Nous nous sommes entendues au sujet des membres qui seraient invités à nous rejoindre, puis nous sommes convenues d’une date où nous devrions nous rencontrer chez Mlle Freud. Puis, soudainement, Mlle Freud a changé d’avis et elle a complètement abandonné ce projet de discussions privées.

Après avoir mûrement réfléchi, nous pensons — moi, Mme Isaacs, par exemple, et aussi le Dr Brierley — que l’actuelle série de « discussions sur des thèses controversées » aurait été bien plus fructueuse si elle avait eu lieu en privé entre quelques membres, car le climat qui règne dans la Société a rendu infiniment plus difficile la discussion approfondie, patiente et impartiale. Mais je comprends que Mlle Freud et quelques autres membres ne soient pas d’accord là-dessus, certainement pour des raisons politiques.

Je souhaite maintenant aborder certains points du Dr Brierley. Dans ses contributions sur la technique, non seulement elle considère que l’enthousiasme de mes élèves s’oppose à mon travail analytique — point dont j’ai déjà traité —, mais elle s’interroge aussi sur le point de savoir si ma technique conduit ou non mes analysants à considérer mon œuvre comme un « objet idéalisé ». Elle n’a que trop raison de nous rappeler l’importance d’un fait auquel j’ai moi-même consacré une grande attention et que j’ai traité en détail dans mon livre et dans d’autres textes, à savoir comment l’ambivalence —plutôt que de se réduire — peut être résolue de manière insatisfaisante, d’abord au moyen du clivage de l’objet et ensuite par la sur-idéalisation du bon objet. Elle se demande ensuite si mon travail ne laisse pas à ceux qui se forment avec moi l’image d’une mère sur-idéalisée, et donc une mauvaise figure paternelle. Je ne vois pas sur quoi se fondent ces critiques du Dr Brierley. Le fait que mes élèves, dans leurs opinions théoriques, reconnaissent l’importance du rôle de la mère dans les premiers jours de la vie ne prouve pas les insinuations du Dr Brierley. Freud attribuait une importance bien plus grande que moi au rôle de la mère et une importance moindre au rôle du père, au moins dans la vie mentale précoce de la femme. Il est naturel et compréhensible que ces dernières années mes amis aient été moins

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disposés qu’ils n’auraient pu l’être dans d’autres circonstances à exprimer leurs critiques envers moi et mes théories en public, dans la Société, étant donné l’hostilité personnelle dont diverses personnes ont fait preuve à mon égard. Mais cela ne peut pas continuer. L’œuvre de Freud, d’Abraham, d’Ernest Jones et de beaucoup d’autres « figures paternelles » est pleinement reconnue, et moi et mes élèves nous en servons. Je peux prétendre que personne n’a contribué davantage que moi et certains de mes collègues à confirmer, appliquer et développer l’œuvre de Freud. Il serait très difficile de prouver que moi ou ceux qui ont accepté mes théories sous-estimons ou déprécions l’œuvre de Freud.

Il est vrai que le Dr Brierley, lorsqu’elle avance des doutes plutôt sérieux, insiste aussi sur le fait qu’elle ne cherche pas à préjuger des conclusions et qu’elle se décidera d’après les preuves que je fournirai dans un proche avenir. Cependant, sa manière de présenter ces doutes semble préjuger de la conclusion. Ses raisons de douter ne me semblent pas appropriées, en particulier lorsqu’elle admet elle-même n’avoir aucune connaissance directe de ma technique. Or, l’unique base d’évaluation convenable de la technique psychanalytique est la connaissance directe qu’on peut en avoir, que ce soit lors d’un contrôle de cas ou lors de discussions privées sur la technique et les cas. Si les membres de ce Comité se donnaient la peine de participer à mes séminaires, non seulement ils auraient les véritables moyens de former leurs propres opinions sur ma technique, mais ils seraient convaincus que l’on attend de mes étudiants qu’ils expriment leurs doutes et leurs critiques très librement, et qu’ils le font — ce qui est très différent, d’après ce que l’on m’a dit, de la façon dont Mlle Freud conduit ses séminaires. Je n’attends jamais de mes étudiants qu’ils croient mes affirmations, sans preuves pertinentes, et ils se sentent libres de remettre à tout instant en cause ces preuves.

Cela m’amène à une proposition au sujet de notre travail dans le Comité de formation. Ce serait l’une des tâches du Comité de formation dans un proche avenir d’instituer des discussions fréquentes et régulières sur la technique, dans un ou plusieurs groupes d’analystes didacticiens choisis, en vue d’un véritable échange d’expériences, je considère que c’est là l’une des rares manières que nous avons de pouvoir vraiment « résoudre » nos controverses et faire avancer notre science.

Un problème plus grave surgit ici : quels sont nos critères pour juger de la réussite ou de l’échec de l’analyse de nos candidats ? Il a été suggéré qu’un enthousiasme excessif et l’idéalisation de la figure maternelle seraient des signes possibles de l’échec de mes analyses de candidats. Comme je l’ai précisé, je ne vois pas sur quoi se fondent ces propositions. J’ai précisé que si la défense de théories particulières était un moyen d’évaluer la valeur du travail des analystes didacticiens, il ne nous faudrait pas nous y arrêter. Si nous devons évaluer et comparer la valeur de nos techniques respectives à partir de leurs effets sur nos analysants, il y a des points bien plus vitaux à considérer. Nous devons examiner les analysants de chacun des analystes didacticiens selon les

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critères de la résolution de leurs névroses, des transformations de leur caractère et de leurs relations intimes en fonction des résultats de leurs analyses (ainsi que de la richesse de leur travail clinique d’après leurs patients). Ce sont là quelques critères que nous appliquons à nos patients qui ne sont pas en formation, et il faudrait les appliquer aussi aux candidats. Ces facteurs sont bien plus importants que les théories qu’il leur arrive de soutenir. Cette recherche serait très difficile et compliquée. Mais si nous ne voulons pas l’entreprendre, ni utiliser ces critères pour parvenir à nos conclusions sur l’utilité de nos techniques respectives et la validité de nos théories, la seule alternative est celle que je maintiens comme étant la seule procédure convenable pour des analystes didacticiens, à savoir, la discussion de notre technique entre nous.

Les psychanalystes plus que d’autres devraient pouvoir se passer de slogans. J’affirme que « enthousiasme excessif », « fanatisme », etc., appliqué aux analystes qui travaillent avec mes théories, sont de purs slogans, en vérité très exagérés.

En tout cas, ces candidats en troisième cycle et les autres qui ont reçu mes théories « avec enthousiasme », les ayant clairement acceptées, ne représentent qu’une infime partie des collègues qui m’ont rejoint pour l’analyse et l’enseignement. Je propose en outre l’établissement d’une politique claire d’attribution des candidats pour un travail de contrôle à des analystes didacticiens de différentes opinions théoriques. Par exemple, je pourrais adresser mes candidats à Mlle Sharpe, au Dr Brierley, au Dr Payne ou à M. Strachey. Et, de la même manière, j’accueillerais leurs candidats à venir travailler avec moi. Ce serait aussi une manière d’apprendre mutuellement quelque chose de nos techniques respectives.

Je souhaite à présent, sur ces bases, soumettre aux membres de ce Comité un projet de réexamen du rapport préliminaire de M. Strachey. Il se peut que ce rapport préliminaire doive être divulgué dans la Société étant donné les circonstances actuelles. Mais j’insiste pour que cette nécessité ne vienne pas empêcher le Comité de formation soit de le revoir, soit de présenter un deuxième rapport préliminaire à partir de la discussion de ce soir. Nous devons nous rappeler que le rapport préliminaire de M. Strachey malgré l’effet qu’il a exercé sur Mlle Freud — n’a jamais été discuté par le Comité de formation et qu’il garde donc tout son caractère préliminaire. De mon point de vue, nous ne nous sommes jamais liés à ce rapport préliminaire, pas avant de l’avoir discuté et d’avoir pris nos décisions à son égard.

Tout dépend de savoir si le Comité de formation se sent obligé d’adhérer à ces formulations. Ici et là j’ai avancé diverses considérations que je crois avoir été négligées dans le projet de ce rapport, alors que je crois qu’elles doivent constituer les fondements d’une nouvelle politique à partir de laquelle notre travail didactique serait réorganisé. À long terme, je crois parfaitement que cette politique pourrait créer de bonnes conditions de coopération. En outre, il n’est pas vraiment évident que ce projet suscite beaucoup d’opposition, même à court

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terme, et dès maintenant. Les émotions ont été très intenses récemment, mais la dernière assemblée administrative a semblé éveiller la promesse de leur tassement assez rapide et un retour relativement rapide à des conditions plus normales. En fait, si nous prenons les individus en eux-mêmes, il semblerait qu’à très peu d’exceptions près, l’immense majorité acceptera sans grande difficulté l’orientation du Comité de formation sur ces questions.

Il est clair, à partir de ce que j’ai dit, que je crois important pour le travail de la Société que je reste dans le Comité de formation. Mais je veux affirmer maintenant en termes très clairs que je comprends parfaitement la nécessité actuelle pour moi-même, ainsi que pour tous ceux qui soutiennent mes thèses, de rester dans les coulisses pour l’instant, et de ne pas participer aux discussions de manière trop marquante, ni de présenter des textes, à moins d’y être spécialement invitée. Nous ne pensons pas non plus qu’il soit souhaitable que nous acceptions des postes dans la Société actuellement. Nous sommes parfaitement prêts à renoncer à présenter nos futurs textes dans les discussions scientifiques actuelles de la Société, si vous le souhaitez. Je crois que ces considérations devraient rassurer le Comité au sujet des possibilités d’autres crises dans la Société.

En tout cas, j’espère que vous puissiez garder confiance à ma capacité de coopérer avec vous dans le but commun d’aplanir les difficultés et de frayer un chemin au travail productif dans la Société.

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Rapport définitif du Comité de formation

Les effets des controverses scientifiques actuelles sur la formation des

candidats (Ce rapport a été adopté en assemblée ordinaire le 8 mars 1944.) Instructions données au Comité de formation Au cours de son Assemblée générale du 29 juillet 1942, la Société

britannique de psychanalyse a chargé le Comité de formation d’un rapport sur les effets des controverses scientifiques actuelles sur les questions de formation. Au cours de l’Assemblée générale du 21 juillet 1943, un rapport provisoire a été présenté par le Comité, à qui la Société a alors demandé de présenter son rapport définitif le plus vite possible.

Entre-temps le Comité a reçu à ce propos des mémoires écrits de la majorité de ses membres individuels et a tenu sur ce sujet de nombreuses discussions. À l’issue de celles-ci, un rapport préliminaire a été établi et soumis aux membres du Comité, mais avant qu’il ne soit examiné ou discuté par le Comité, deux de ses membres, le Dr Edward Glover et Mlle Anna Freud, ont démissionné de leur qualité de membre du Comité. Le rapport préliminaire ayant été examiné et amendé par le Comité, il a maintenant l’honneur de rapporter à la Société ce qui suit.

Examen préliminaire du problème Le problème soumis au Comité de formation était censé se restreindre à la

controverse pendante dans la Société. Néanmoins, le Comité a eu dès le début le sentiment qu’il ne serait pas satisfaisant de proposer l’adoption d’une solution superficielle et de circonstance. Et même si des événements récents ont mis fin à tout espoir d’un règlement amiable du conflit actuel, ils serviront à souligner combien il est nécessaire d’établir un système qui permette, à l’avenir, d’éviter que des situations semblables ne se reproduisent, ou d’en supprimer le caractère catastrophique. Car ce serait une erreur d’imaginer que la situation actuelle est d’une gravité extraordinaire ou unique. II est presque certain, au contraire, que les causes sous-jacentes qui l’ont provoquée mèneront à une succession de difficultés similaires. Seul l’examen de ces causes sous-jacentes peut offrir quelque perspective de parvenir à une solution plus durable. C’est pourquoi, dans ce qui suit, le Comité pense qu’il sera plus fructueux d’examiner les causes profondes et générales des difficultés de la formation que de se concentrer sur les circonstances particulières qui ont conduit aux désaccords récents.

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Le Comité de formation est un organe exécutif de la Société, chargé de l’organisation et de la supervision de la formation des futurs praticiens (et, dans une moindre mesure, des futurs chercheurs) de la psychanalyse. Le Comité n’est donc pas directement concerné par la véracité ou la fausseté des thèses sur la théorie et la pratique soutenues par les membres de la Société. Il lui revient seulement de juger lesquelles de ces thèses représentent le mieux l’opinion générale de la Société et d’apprécier la meilleure manière de les incorporer dans un projet de formation. Bref, ses fonctions sont administratives plutôt que scientifiques.

Mais il y a une question préalable dont la réponse détermine tout le caractère des fonctions exécutives du Comité. Les opinions des membres de la Société constituent-elles un système fermé de vérités immuables et exhaustives, que l’on ne saurait ni élargir ni corriger ? Ou bien sont-elles un corpus de généralisations basées sur l’observation, constamment sujet à l’expansion et à la modification à la lumière d’une expérience qui s’accroît ? Si la première thèse était acceptée, les fonctions du Comité en seraient très simplifiées et il pourrait tranquillement se consacrer à l’interprétation des assertions dogmatiques qui le concerneraient. Néanmoins, le Comité accepte sans hésitation comme correcte la seconde thèse sur les principes de la psychanalyse, thèse adoptée par Freud lui-même.

Dès lors, il semble que doivent s’ensuivre les difficultés dont la présente controverse n’est qu’un exemple. Car chaque fois qu’un ajout sera apporté à notre savoir, des demandes surgiront pour que l’on révise des thèses jusqu’alors communément défendues, et ces demandes susciteront inévitablement discussions et oppositions. Si notre Société était purement scientifique, nous pourrions allégrement laisser le temps et l’accumulation des faits nouveaux résoudre ces problèmes ; mais l’aspect éducatif de notre travail, dont le Comité de formation est responsable, requiert plus qu’une politique d’attente.

En effet, il a été suggéré que l’existence dans la Société de deux ensembles contradictoires d’opinions théoriques interdirait nécessairement tout fonctionnement effectif du Comité de formation. Comment, a-t-on demandé, le Comité pourrait-il décider si tel candidat doit être adressé aux tenants d’un ensemble d’opinions ou d’un autre pour son analyse didactique ? S’il décide d’envoyer tous les candidats aux tenants d’un ensemble d’opinions (quel qu’il soit), il prononcera, de fait, une sentence d’excommunication à l’encontre de l’autre. Alors que si, en toute impartialité, il envoie un nombre égal de candidats aux tenants des deux ensembles d’opinions, il divisera les futurs membres en deux partis inconciliables, conduisant ainsi la Société à un schisme irrémédiable. Bien que, à première vue, les événements récents semblent confirmer la validité de ce dilemme, le Comité de formation est d’avis qu’il est artificiel — c’est-à-dire fondé sur des prémisses émotionnelles plutôt que réalistes. Mais pour s’en affranchir, un examen plus détaillé des buts de la formation doit être entrepris.

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La formation des candidats relève de trois catégories : a) les analyses

didactiques, b) les analyses de contrôle, et c) les séminaires et conférences. Nous les examinerons séparément.

Les buts de l’analyse didactique Il a été affirmé avec autorité qu’une analyse didactique ne doit pas différer

fondamentalement d’une analyse thérapeutique, que ce soit dans ses visées ou dans ses méthodes. Le Comité est en accord avec ce postulat et estime que, s’il pouvait être établi que l’on avait toujours admis ce postulat et agi en conséquence, la pierre angulaire d’un système de formation viable aurait été posée. En outre, comme on le verra dans ce qui suit, ce postulat suffit en soi à réfuter le prétendu dilemme présenté au paragraphe précédent. Une analyse didactique, comme une analyse thérapeutique, est une expérience, une investigation empirique. Les activités de l’analyste doivent, en effet, être largement fondées sur la théorie, et des conclusions théoriques se dégageront sans doute de l’investigation — à des degrés variables de certitude — mais, en ce qui concerne l’analysant, ce ne seront que des effets seconds du processus principal. Le prétendu dilemme suppose qu’un candidat adopte nécessairement les conceptions théoriques de son analyste didacticien, et que celui-ci recherche nécessairement ce résultat ; mais ces allégations n’offrent guère de cohérence avec le tableau qui vient d’être dressé du rôle joué par la théorie dans une analyse.

L’objectif premier d’une analyse didactique, comme celui d’une analyse thérapeutique, doit être de faciliter un fonctionnement mental normal. Dans toute la mesure du possible, elle devrait donc viser, entre autres choses, à libérer le candidat de l’influence des préjugés inconscients, y compris ceux issus du transfert, de manière qu’il puisse librement faire des observations indépendantes, opérer des jugements sans préjugés et tirer des conclusions valables de ce qu’il observe. Ce serait la meilleure garantie contre les insuffisances et les erreurs inévitables dont, par la nature même des choses, le savoir théorique du meilleur des analystes didacticiens n’est pas exempt. Car le candidat, pour autant qu’il aurait été libéré de ses préjugés inconscients, sera en mesure d’accepter celles des thèses de l’analyste qui peuvent être confirmées, de compléter celles qui se révèlent incomplètes et de corriger ou de rejeter celles qui semblent fausses. En revanche, l’adoption automatique et sans critique par un candidat des vues théoriques de son analyste didacticien ne peut qu’indiquer l’échec de son analyse dans l’un de ses objectifs principaux ; quant à l’inclination qu’aurait un analyste didacticien à susciter un tel résultat, elle dénoterait, dans son psychisme, la présence de contre-transferts non résolus et, dans sa technique, des erreurs qui en sont la conséquence.

Il y a en effet des raisons de penser que, même si analyses didactiques et

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analyses thérapeutiques sont similaires pour l’essentiel, une analyse didactique présente pour l’analyste des difficultés plus grandes, particulièrement dans la question cruciale du maniement du transfert et du contre-transfert. Aussi, l’inévitabilité de contacts extra-analytiques nombreux, tout au moins aux derniers stades d’une analyse didactique, complique sûrement la situation. Il en va sans doute de même du fait que le candidat soit conscient que les perspectives réelles de sa carrière dépendent dans une large mesure de l’opinion que son analyste a de lui. Par ailleurs, un analyste didacticien ayant de puissants intérêts théoriques — qu’ils soient de caractère conservateur ou novateur — peut éprouver la tentation d’utiliser l’instrument du transfert pour aider ses propres thèses à prévaloir dans la nouvelle génération d’analystes, pour fonder ou pour préserver une école d’analystes où se manifestent des loyautés personnelles à son égard.

Mais l’existence de ces difficultés particulières ne modifie en rien les buts de l’analyse didactique elle-même ; elles attirent simplement l’attention sur le fait qu’un analyste didacticien doit être particulièrement bon analyste pour que ces buts soient atteints. La question de ce que l’on entend par « bon analyste » sera approfondie plus loin dans ce rapport. Il suffit pour l’instant de remarquer que la tâche probablement la plus importante et aussi la plus difficile du Comité de formation est la sélection avisée des analystes didacticiens.

Les buts de l’analyse de contrôle La mission des analystes contrôleurs, quoique moins fondamentale, a une

importance et des difficultés qui lui sont propres. Car l’analyste contrôleur peut être considéré comme responsable en premier lieu de la formation du candidat au niveau conscient, formation qui rend ce dernier capable de tirer le meilleur avantage des transformations plus profondes qu’il subit pendant son analyse didactique. L’analyste contrôleur évitera naturellement d’empiéter sur la sphère de l’analyste didacticien. Pour autant, ce doit être l’un des objectifs de l’analyste contrôleur que d’élargir l’horizon du candidat, d’attirer son attention sur des possibilités qui lui ont échappé et de discuter avec lui d’explications alternatives aux phénomènes qu’il a observés. Sans doute y aurait-il donc avantage à ce que l’un au moins des analystes contrôleurs du candidat soit choisi à dessein pour sa différence de caractère, d’intérêts et de méthode d’approche de la psychanalyse avec l’analyste didacticien. Il devrait être ainsi particulièrement capable de corriger toute tendance unilatérale dans les interprétations du candidat — tendance consistant à insister outre mesure sur un ensemble de facteurs ou à en négliger d’autres —, que celle-ci résulte d’un préjugé correspondant de l’analyste didacticien ou de la structure psychique particulière du candidat. On peut ajouter, à ce propos, que l’analyste contrôleur sera également en position de recommander des orientations de lecture au candidat ou de lui indiquer des lacunes à combler dans sa connaissance de la

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littérature. De plus, il reviendra presque inévitablement à l’analyste contrôleur d’aider le candidat, au cours de discussions impartiales, à mesurer les mérites et les torts d’opinions divergentes soutenues par divers membres de la Société sur des questions de théorie. Si l’on rappelle aussi que l’analyste contrôleur est responsable en dernière instance de la sauvegarde de l’intérêt du patient de contrôle, il devient assez évident que le bon accomplissement de sa tâche exige, outre le don de transmettre du savoir, des qualités singulières de jugement, d’équilibre et de tact.

Les buts des séminaires et conférences La situation est un peu différente, selon le Comité, en ce qui concerne les

séminaires et conférences. Il semble y avoir moins de raisons d’insister ici sur la nécessité d’un même degré d’équilibre et de qualité de jugement. Le Comité estime important qu’aucune tentative ne soit faite pour protéger le candidat de l’impact de ce que l’on peut considérer de tel ou tel côté comme des croyances réactionnaires, hétérodoxes ou infondées. Ce serait une part utile de la formation de tout candidat que d’assister à des conférences ou à des séminaires donnés par des partisans, et même par des partisans extrémistes, de toutes les tendances de pensée en conflit pouvant avoir cours dans la Société.

Les fonctions du Comité de formation La tâche de superviser et de préserver les divers processus de formation

énumérés plus haut est de la responsabilité du Comité de formation. Il a déjà été avancé que, parmi ses nombreuses responsabilités, celle qui est de loin la plus lourde consiste dans la sélection des analystes didacticiens. C’est là (comme le prouvent les événements récents) le récif contre lequel le travail didactique et tout le travail de la Société risquent le plus de se briser en cas de divergences d’opinions. Pour le Comité, la seule manière possible d’éviter ce désastre est l’acceptation par tous du principe fondamental selon lequel les analystes didacticiens doivent être nommés d’abord parce que ce sont de bons analystes. Restent donc deux problèmes à examiner : premièrement, qu’est-ce qu’un bon analyste ? Deuxièmement, comment le reconnaître ?

Le Comité ne se propose pas d’entrer ici dans une discussion très

approfondie de ces deux questions. Un bon analyste, pour ce qui nous occupe ici, semble être un analyste ayant une bonne technique analytique. Et cela, bien entendu, soulève une autre question encore : qu’est-ce qu’une bonne technique analytique ? Beaucoup pourrait sans doute être dit sur le sujet, mais le Comité croit qu’il y aura un accord général dans la Société pour considérer que le meilleur critère d’évaluation de la technique d’un analyste est son maniement du transfert et du contre-transfert ; c’est, en effet, la seule chose qui permette en

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dernière instance de déterminer si c’est la technique psychanalytique qu’il utilise, ou quelque autre procédure psychologique.

Les meilleurs analystes eux-mêmes étant des êtres humains (fait qui semble parfois négligé), il s’ensuit que même eux auront des imperfections dans leur technique. Par exemple, une concentration de son intérêt, temporaire ou permanente, sur quelque aspect particulier du fonctionnement mental peut conduire l’analyste à privilégier quelque peu ce facteur dans le matériel analytique, au détriment d’un autre facteur. Mais les sources d’imperfection les plus répandues sont à rechercher dans le domaine précis du transfert. Chacun conviendra qu’à un moment ou à un autre tout analyste est tenté de faire du transfert un usage non analytique. Le comportement du parfait analyste serait, évidemment, totalement exempt de ces tentations — il n’y serait même jamais soumis. Mais le fait est que le comportement de l’analyste humain en sera affecté, quoique de manière très variable. Deux cas extrêmes ont trait à la présente discussion. Dans l’un, l’analyste utilise directement le transfert, à des degrés variables, pour pousser l’analysant à accepter ses thèses ; dans l’autre, l’analyste, réagissant contre cette inclination, hésite à présenter, si peu que ce soit, ses propres thèses à l’analysant et tend vers une inertie complète. Si ces deux cas extrêmes se produisent dans la sphère de la théorie psychanalytique, nous aurons, d’une part, un enthousiaste en quête de convertis à sa propre façon de penser et, d’autre part, un sceptique timide, paralysé par son souci d’impartialité, de modération et de compromis. Ces deux cas extrêmes seront, sans équivoque, de mauvais analystes ; mais il semble probable, au vu de ce qui vient d’être dit, que même les meilleurs analystes soient sujets à ces imperfections, ne serait-ce qu’à un faible degré.

Il est important, selon le Comité, que le Comité de formation soit pleinement conscient de ces imperfections potentielles et en évite autant que possible les effets. C’est même l’une des fonctions essentielles des analyses de contrôle, des séminaires et des conférences que de contrebalancer ces défauts inévitables de l’analyste didacticien. Un autre point mérite d’être examiné, en rapport avec les deux directions fautives opposées décrites au paragraphe précédent. Il a été établi au début de ce rapport qu’il n’y a pas de distinction de principe entre les analyses didactiques et les analyses thérapeutiques. Cela est vrai, sans aucune réserve, de l’analyse idéale. Mais comme en pratique aucune analyse n’est parfaite, il semble possible que certains types de défauts soient plus fâcheux que d’autres dans certains types d’analyses. Ainsi, dans une analyse thérapeutique, il se peut tout à fait qu’un petit défaut dans la direction de ce que, pour aller vite, on appellera l’enthousiasme soit moins néfaste qu’un défaut de même importance dans la direction de la timidité. En revanche, il semble soutenable que ce soit l’inverse dans une analyse didactique. Cette question requiert au moins toute l’attention du Comité de formation et doit nécessairement influer sur son choix des analystes didacticiens.

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Il doit être bien entendu que la distinction entre différents types de défauts ne contredit pas ce qui a été posé plus haut comme principe fondamental : que les analystes didacticiens doivent être nommés d’abord parce que ce sont de bons analystes. Ce doit toujours être le critère déterminant et ce n’est que dans les occasions où la balance semble égale de ce point de vue qu’il convient de prendre en compte les effets plus lointains des diverses formes d’imperfection de la technique.

Reste alors le second problème : à savoir, comment le Comité de formation peut-il savoir qu’un analyste est bon technicien au sens où on l’entend ici ? Il y a apparemment diverses manières de se forger une opinion à ce sujet — en observant les résultats des traitements de l’analyste, par exemple, ou les relations qui en résultent entre l’analysant et son analyste d’une part, et entre l’analysant et ses collègues d’autre part, ou encore en effectuant un travail de contrôle auprès des candidats en analyse avec lui. Certaines de ces méthodes, cependant, ne semblent pas satisfaisantes et dépendent beaucoup trop de témoignages recueillis indirectement et par ouï-dire. En fait, c’est l’une des grandes difficultés du travail psychanalytique en général qu’il soit si difficile d’obtenir une connaissance vraiment détaillée des méthodes techniques d’autres analystes. Il a été suggéré (et le Comité soutient chaleureusement cette idée) que le Comité de formation pourrait peut-être se faire une idée plus fidèle de la technique des analystes didacticiens si certains de ses membres avaient de temps en temps la possibilité d’assister aux séminaires cliniques de tel ou tel analyste didacticien. Il serait en outre hautement bénéfique que cela devienne une pratique admise pour les membres du Comité de formation et les analystes didacticiens d’avoir ensemble des discussions fréquentes sur le détail réel de leur procédure technique.

Toutefois, même avec l’aide de cette mesure nouvelle, il ne sera jamais facile au Comité de formation de se prononcer avec certitude sur les compétences techniques d’un analyste didacticien. Il serait donc sage de mettre fin au système jusqu’ici en vigueur d’avoir une catégorie particulière d’analystes reconnus expressément comme « analystes didacticiens ». Il vaudrait mieux que le Comité de formation désigne au cas par cas un analyste en particulier pour chaque candidat. Il serait ainsi possible au Comité de formation d’observer les résultats du travail d’un analyste didacticien nouvellement nommé et, s’ils ne s’avèrent pas satisfaisants, de l’écarter de la liste des analystes didacticiens de manière bien moins draconienne que les dispositions actuelles ne le demandent. Le Comité estime en effet qu’une certaine souplesse dans ce domaine serait bénéfique.

Il faut enfin rappeler que, outre les fonctions susmentionnées, le Comité de formation a aussi la responsabilité, en premier lieu, d’accepter ou de refuser les candidats ainsi que de décider du moment où ils peuvent être considérés comme des psychanalystes qualifiés. Cet aspect du travail du Comité de formation, quoique de première importance, n’est pas abordé dans le présent rapport.

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Néanmoins, le Comité souhaite saisir l’occasion qui lui est donnée d’exprimer ses vues pour dire que l’une des meilleures garanties du développement harmonieux du travail de la Société serait une forte augmentation du nombre de ses membres. Car, outre les nombreux autres avantages qui en résulteraient, il ne fait guère de doute que les divergences internes qui peuvent provoquer la dislocation d’une Société réduite seraient assimilées assez aisément par une Société plus nombreuse.

Les responsabilités de la Société Le problème qui se pose à la Société est de concevoir un appareil de

formation qui, d’une part, assure la préservation de la structure fondamentale de la science psychanalytique dont Freud a jeté les bases, et qui, d’autre part, donne une grande latitude aux modifications et aux extensions de cette structure qu’une connaissance accrue exige. La Société peut déterminer elle-même les principes qui gouverneront le système de formation, mais la mise en œuvre de ces principes, clé du problème, doit nécessairement rester aux mains du Comité de formation. Tout dépendra donc d’un choix judicieux des membres du Comité. Il paraît possible que la Société n’ait pas été suffisamment consciente de ses responsabilités à cet égard. Elle a peut-être eu tendance à considérer le choix du Comité de formation comme une affaire de routine, qui ne mériterait qu’une attention superficielle. Ou bien, elle a peut-être eu tendance à fonder son choix sur des considérations non pertinentes, par exemple la longévité à des postes administratifs dans la Société. En particulier, le risque existerait parfois que, lors de l’élection du Comité de formation, les membres de la Société accordent leur vote à quelqu’un en fonction de ses opinions plutôt que de ses qualités personnelles. Ce procédé paraît impliquer que le système de formation et les analyses didactiques elles-mêmes doivent être considérés comme un moyen approprié de diffusion d’ensembles particuliers d’opinions. Si cette perspective dangereusement erronée rencontrait une approbation générale, le Comité de formation pourrait cesser d’être un organe d’éducation et devenir plutôt (comme il en a couru le risque dernièrement) une arène d’affrontements théoriques et une position politique stratégique dont le contrôle déciderait de la prédominance de tel ou tel groupe de la Société.

Le Comité est donc d’avis que le choix des membres du Comité de formation doit obéir principalement à des considérations de caractère et d’attitude d’esprit. Les tâches qui incombent au Comité de formation indiquent suffisamment la nature des qualités requises, mais on peut suggérer qu’y figureraient avantageusement, entre autres, la patience, la modération, la tolérance de l’opposition et de la critique, l’ouverture d’esprit, la largeur de vues, un caractère lucide, l’aptitude à la coopération et (dans l’ordre pratique, et non théorique) le goût du compromis. Un Comité de formation qui pourrait puiser à un tel fonds aurait une bonne chance de mener à bien ses difficiles

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fonctions exécutives, et gagnerait même, plutôt qu’il n’y perdrait, à toutes les différences d’opinions ou de perspectives qui se manifesteraient parmi ses membres.

Recommandations En conséquence, le Comité de formation recommande : 1 / Que la Société adopte une résolution approuvant en termes généraux les

principes établis par le présent rapport pour l’organisation future de la formation.

2 / Que, dès que possible, le présent Comité de formation soit déchargé de ses fonctions, puis que la Société procède à l’élection d’un nouveau Comité de formation.

3 / Que, lors du choix des membres du nouveau Comité de formation, la Société tienne le plus grand compte des compétences indiquées ou impliquées par le présent rapport.

4 / Qu’il soit donné au nouveau Comité de formation l’instruction de suivre autant que possible les orientations proposées par le présent rapport pour la nomination d’analystes didacticiens ou contrôleurs, l’organisation de séminaires et conférences et la supervision des activités didactiques.

(signé) Marjorie Brierley, Melanie Klein, Sylvia Payne, John Rickman, Ella Sharpe, James Strachey.

Pour conclure

Rarement s’accomplissent les prédictions. Suffit-il qu’elles existent pour

ne jamais tout à fait s’accomplir. Ainsi des prédictions de Glover qui ne se sont jamais accomplies en Angleterre. Les tendances de fond qui ont provoqué le rapprochement entre la psychiatrie et la psychanalyse ailleurs dans le monde, notamment aux États-Unis, en France ou en Allemagne, étaient anciennes. Freud les avait déjà combattues. Elles étaient largement indépendantes de la pensée kleinienne ou du rapprochement entre Melanie Klein, John Bowlby et John Rickman.

Les sociétés psychanalytiques ne se sont pas non plus « désintégrées » en

lien avec l’essor de cette pensée, comme le prédisait Anna Freud, dont les analyses et questions sont d’une naïveté surprenantes. En effet, « freudien » est un mot complexe. À chaque jour, nous assistons à son utilisation compliquée. Mais, en fin de compte, il en va de même de toute adjectivation des noms : « chrétiens », « marxistes », « kleinien », « lacanien », etc. Freud ne se revendique pas non plus « Groddeckien » quand il utilise le concept de « ça », par exemple, ni ne se revendique « kleinien », lors de la modification de ses thèses sur l’angoisse ou sur la sexualité féminine. Les prises de position de Melanie Klein aussi restent surprenantes. Elle semble se considérer en permanence au-dessus de tout soupçon de prosélytisme ou d’avoir été en conflit avec autrui.

En même temps, ces discussions eurent lieu dans un monde précis et durant une période précise de notre histoire. Les premières purges staliniennes se déroulent entre 1928 et 1931. Elles sont accompagnées d’un idéal de purification. Le 30 juin 1934 est la Nuit des longs couteaux, quand les chefs des SA nazis sont éliminés. Le 1er décembre de la même année commence la plus grande purge de tout le règne de Staline. Les grands procès de Moscou arrivent courant 1936 et d’autres s’en suivent immédiatement les années d’après. Le 9 novembre 1938 les nazis déclenchent la Nuit de Cristal, contre les Juifs. Les purges staliniennes acquièrent une dimension toute-puissante avec le meurtre de Trotski en 1940. Elles ne s’arrêteront qu’avec la mort de Staline en 1953. C’est dans ce climat que les analystes de la Société britannique ont vécu ces déchirements de la psychanalyse53. Leur langue était marquée de l’empreinte de leur monde, car la psychanalyse utilise les métaphores du temps.

La pureté est un idéal dangereux. Le « purement psychanalytique » comme le « purement psychologique », la « philosophie pure » comme « l’art pur ». Le fantasme même de pureté est l’envers d’un autre, effrayant. 53 Voir mon article déjà mentionné « Deux exercices et une crise : histoire et épistémologie en psychanalyse », dans Les pires ennemis de la psychanalyse.

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Les « principes » constituent des idéaux dangereux. Rarement sont-ils tenus et, quand ils deviennent rigides, des catastrophes se préparent.

Glover a été animé de cet idéal de pureté psychanalytique, tout comme Anna Freud, Melanie Klein et d’autres après eux. Glover était prêt à déclencher les systèmes de persécution et d’excommunication qui accompagnent l’idéal de pureté. Il a démissionné de la Société britannique de psychanalyse, mais non pas de l’Association psychanalytique internationale à laquelle il est resté rattaché par l’intermédiaire de la Société suisse. Il avait pris la précaution de demander son affiliation à ce groupe dès qu’il a entrevu la possibilité de sa démission. En revanche, les analyses du Comité de formation se sont montrées extrêmement bien fondées : les scissions se sont multipliées, les sociétés psychanalytiques qui ont su s’élargir ont atténué leurs répercussions, du moins quand elles l’ont fait en évitant les tendances charismatiques ou mystiques de leurs membres.

Cinq ans plus tard à la fin de ces débats, Lacan s’inspire de Glover dans

sa participation à la rédaction du « Règlement et doctrine de la Commission de l’enseignement déléguée par la Société psychanalytique de Paris », dont il est le principal rédacteur. Il rêve, lui aussi, de quelque « pureté ». Le mot de « doctrine » marque longuement la psychanalyse française, sans qu’on semble s’aviser qu’une science ne peut pas être doctrinaire et que l’on ne s’étonne pas de ce rapprochement inouï entre ambition scientifique et prétention dogmatique.

La démission de Glover lui a permis de se consacrer à l’Institut pour le traitement social de la délinquance (ISTD). Son élève, Melitta Schmideberg, fille de Melanie Klein, a été la première à utiliser la technique psychanalytique auprès d’une population carcérale. La démission de Lacan aura d’autres conséquences pour le mouvement psychanalytique et, après tout, pour l’élaboration théorique aussi bien en psychanalyse qu’en philosophie, comme dans l’ensemble des sciences humaines en France ou inspirées de la culture française. Pourtant, la richesse de l’élaboration théorique n’a pas empêché des mots d’ordre de se former : « ne pas céder sur son désir » est plus un symptôme qu’une orientation de recherche ; les « nouages » épatent et voilent et ainsi de suite. Ailleurs, on a cru pouvoir dépasser Strachey en s’agrippant à des « principes » : contre-affect, contre-pensée, contre-souhait, non pas sans une certain fondement, mais sans un fondement certain, sans l’inspiration littéraire chère à Freud. Un monde et une langue contrariés, contrés, controversés. Les excommunications portent préjudice à la langue et à la culture.

Plus d’un demi-siècle s’est écoulé, les solutions des controverses

britanniques rendent toujours possible des renaissances psychanalytiques, parallèlement aux gigantesques et innombrables confusions où le

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mouvement a plongé. La langue de bois, les jargons et le double langage recouvrent les confusions, des égarements méthodologiques et épistémologiques. Finalement, les modes de fonctionnement qui font des psychanalystes leurs pires ennemis ne leur sont pas exclusifs. Certains peuvent les transformer et devenir ainsi les meilleurs amis de la psychanalyse. Chaque corporation, quand elle se ferme sur elle-même, que ce soit celles de l’université, de la magistrature, des hôpitaux ou des armées et de ceux qui y travaillent, avec de petites variations, fonctionnent de manière similaire, avec des rituels semblables et des exclusions similaires. L’absurde fait partie de la vie institutionnelle comme l’illégalité fait partie de la légalité. Dans leur parcours, alors que les institutions surgissent en obéissant à des idéaux, leur histoire leur apporte des problèmes. Cela correspond au désarroi et à la détresse des groupes humains.

Un des principaux outils de la renaissance de la psychanalyse après la

guerre a été l’appel à la claire explication des manières de travailler de chacun. C’est un fondement de la démarche proprement scientifique, basée sur la description et non pas sur la prescription, point important sur lequel Lacan insiste. C’est la seule manière d’assurer une transmission qui ne soit pas doctrinale ou dogmatique. Dogmes et doctrines prennent fin. La description de l’expérience féconde. L’exposé dénudé de cas cliniques en psychanalyse ou l’étude de situations pratiques singulières ailleurs, ne sont jamais exempts de biais théoriques ou autres visées. Mais, au moins permettent-ils d’entrevoir ce qui se fait. Pour s’affirmer dans sa scientificité, la psychanalyse ne saura s’y dérober, s’ouvrant ainsi à l’amitié.

LES PARTICIPANTS

Marjorie Brierley

(1893-1984) Élue membre associé de la Société britannique de psychanalyse en 1927, elle en devient membre titulaire en 1930. Diplômée de médecine en 1928, elle avait déjà un diplôme de psychologue et quatre ans d’analyse, dont deux avec Fluegel et deux avec Edward Glover. Elle est décrite comme « petite et svelte, avec un visage extraordinairement bien dessiné ». Aussi, sa voix était hésitante, mais sa pensée très perspicace, « et elle avait probablement une meilleure compréhension des principes scientifiques que n’importe qui d’autre54. Lors de son décès, en 1984, depuis trente-cinq ans déjà elle ne participait plus à la vie de la Société. Son mari, professeur de botanique, ex-époux de Susan Isaacs, prend sa retraite vers la fin des années quarante. Ils s’établissent alors dans le Cumberland. Pendant le quart de siècle de sa vie active, elle publie beaucoup, participe à tous les comités de la Société et joue un rôle décisif dans les controverses de 1940, ainsi que dans leur résolution. Ses principaux articles portent sur la féminité, sur les affects, sur la métapsychologie et sur les problèmes de la diffusion de la psychanalyse dans la société. Son livre a été publié en 1951, sous le titre de Trends in psycho-analysis, où elle réunit, réécrit et développe ses articles. Elle est l’un des premiers auteurs à critiquer la « ego theory ».

Anna Freud

(1895-1982) Célèbre, cette célébrité même la dessert, car certains de ses principaux champs d’actuation sont oubliés, à l’ombre de son père. En effet, Anna Freud et son amie Dorothy Burlingham ont mis toute leur énergie, leur prestige et leur fortune au service du sauvetage des enfants des camps de concentration nazis et dans la protection des enfants victimes des bombardements de Londres. Dans ce sens, elles ont développé un important programme psychologique auprès des armées nord-américaines. Les œuvres complètes d’Anna Freud comportent plusieurs volumes et plusieurs de ses textes ont été traduits en français. Ce sont : « Fantasme d'"être battu" et "rêverie" », qui constitue son mémoire d’admission à la Société psychanalytique de Vienne et expose les principaux thèmes de son analyse par son père ; « About loosing and being lost », texte probablement comportant des éléments auto-analytiques importants, car se perdre était un des

54 Les controverses entre Anna Freud et Melanie Klein, déjà cité, p. 4.

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principaux symptômes de son enfance ; Enfants sans famille ; Le traitement psychanalytique des enfants ; La première année de la vie de l'enfant (genèse des premières relations objectales) ; « The concept of developmental lines », qui contient peut-être sa principale contribution théorique à la psychanalyse ; Le moi et les mécanismes de défense ; Le normal et le pathologique chez l'enfant ; Initiation à la psychanalyse pour éducateurs ; Psychanalyse d'un enfant de deux ans ;L'enfant dans la psychanalyse, où apparaissent ses articles sur les enfants des camps de concentration ; et, enfin, Les conférences de Harvard.

Ella Freeman Sharpe (1875-1947) Professeur d’anglais de formation, elle commence son analyse en 1917 à la Clinique médico-psychologique de Londres. Elle se rend ensuite à Berlin, en 1920, où elle suit une analyse avec Hans Sachs. En 1923, elle devient membre titulaire de la Société britannique, où son enseignement sur la technique psychanalytique est très apprécié. Elle participe activement aux Controverses et ses interventions reflètent à quel point l’ensemble de la Société était agacée par le discours de Glover. Elle est le premier psychanalyste à écrire plusieurs articles consacrés à la métaphore et au langage. Elle se consacre aussi au théâtre de Shakespeare, à la poésie, à la créativité et à la sublimation. Lacan la lit avec attention.

Edward Glover (1888-1972) Psychiatre de formation, avec son frère, James Glover, aussi psychanalyste, Edward Glover suit une analyse avec Karl Abraham, à Berlin, quasiment en même temps que Melanie Klein. Très vite, il passe de membre associé à membre titulaire de la Société britannique. Lorsque James meurt, en 1926, Edward le remplace dans la plupart de ses fonctions auprès de cette Société. Il est le deuxième analyste de Marjorie Brierley. Il soutient Melanie Klein avant d’analyser sa fille, Melitta Schmideberg. Il retourne cotre Klein, peu avant les controverses de 1940. Il se dispute en même temps avec Bowlby, Rickman et Strachey, alors que les deux premiers sont des héros de guerre. Il est l’auteur de plus d’une centaine d’articles et livres, notamment sur la technique psychanalytique, sur la psychopathologie, sur la criminalité, sur la délinquance et un certain nombre de travaux en défense de ce qu’il considère être la psychanalyse pure freudienne. Lorsqu’il démissionne de la Société britannique et qu’il intègre la Société suisse, il crée avec Melitta Schmideberg l’Institut pour le traitement social de la délinquance, basé à New York. C’est l’une des premières institutions à offrir un soutien psychanalytique en prison.

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Melanie Klein

(1882-1960) Melanie Klein suit une analyse avec Ferenczi, puis une autre avec Abraham. Elle maîtrise parfaitement l’ensemble de la littérature psychanalytique de son temps. Après Budapest et Berlin, elle s’installe à Londres. Curieusement, aucune trace n’existe de son admission à la Société britannique de psychanalyse, ni de son élection en tant que membre titulaire. Elle est l’auteur d’un grand nombre d’articles qui explorent les articulations entre le complexe d’Œdipe, les différentes positions de la sexualité, la psychopathologie, les mécanismes de défense, les sublimations et les symptômes, notamment dans leur inscription en fonction de la différence des sexes. Quelques uns de ses travaux sont particulièrement révolutionnaires : « Les stades précoces du conflit œdipien », « Contribution à la psychogenèse des états maniaco-dépressifs » ; « Le deuil et ses rapports avec les états maniaco-dépressifs » et sa trilogie dédiée aux « Rôle des situations anxiogènes dans la formation du moi », puis à leur retentissement « sur le développement sexuel de la fille » et « sur le développement sexuel du garçon ». Melanie Klein a une grande influence sur la psychanalyse, à travers ses trois amies Paula Heimann, Susan Isaacs et Joan Riviere, relayées peu après par John Bowlby et John Rickman, avant d’être reprise par des auteurs aussi variés que Wilfred Ruprecht Bion, Hanna Segal, Didier Anzieu, Frances Tustin, Geneviève Haag ou André Green.

Sylvia May Payne (1880-1976) Sylvia Payne n’a pas beaucoup écrit. Mais sa vie est héroïque à plus d’un titre. En tant que médecin généraliste, elle a reçu la médaille de Commander of the British Empire pour son travail auprès des blessés de guerre entre 1914 et 1918. C’est elle qui a pris l’initiative de sauvegarder par écrit l’ensemble des discussions des Controverses de la Société britannique de psychanalyse. C’est encore elle qui met au premier plan l’importance et la valeur des discussions et des divergences d’opinions. Elle montre, chiffres à l’appui, que les allégations de Glover au sujet de la main mise de Melanie Klein sur la Société sont fausses. Analysée par Hans Sachs, à Berlin, elle reprend son analyse auprès de James Glover, à Londres. Mariée à un médecin, elle ne dépend ni de Jones ni d’Edward Glover pour recevoir des patients. Elle est décrite comme « honnête, courageuse et clairvoyante ». Ses contributions théoriques les plus importantes portent sur la féminité, sur le fétichisme et sur la formation des psychothérapeutes.

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James Strachey

(1887-1967) Éditeur de la Standard Edition, James Strachey, tout comme son épouse, Alix, a été analysé en même temps par Freud, qui leur confiait aussi ses textes en traduction. Son nom se confond avec celui de Freud, en anglais, dont Strachey est quasiment le porte-parole pour la théorie. La Standard Edition, néanmoins, a une histoire. Elle commence comme Collected Papers, avant que Strachey soit nommé responsable de « l’Édition commémorative » de l’œuvre de Freud, qui deviendra la Standard. James Strachey n’a pas fait d’études universitaires. Il a arrêté ses études de droit et il n’a pas suivi le conseil donné par Jones de suivre des études de médecine en vue de sa formation psychanalytique. Plutôt, il s’est rendu auprès de Freud. Il devient membre associé de la Société britannique en 1922 et membre titulaire l’année suivante. Dix ans plus tard, il enseigne la technique psychanalytique et, en 1939, lors de la retraite de Jones, il le remplace en tant qu’éditeur de l’International Journal. Il supporte très mal les Controverses, croit pendant un moment qu’elles sont dues à la présence d’étrangers dans la Société, avant de se raviser et comprendre le rôle néfaste des thèses de Glover. Malgré sa faible participation aux discussions, il prend des positions décisives pour la réorientation de la Société. Grand lecteur, il écrit sur les facteurs inconscients de la lecture et sur Strindberg ; analyste didacticien, il écrit sur la nature de l’action thérapeutique de la cure analytique.

OUVRAGES UTILISES ET INSTRUMENTS BIBLIOGRAPHIQUES UTILES

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INDEX

A A New German-English Psycho-

Analytical Vocabulary, 17 Abraham Karl, 7, 10, 24, 30, 73, 100, 106 Adler Alfred, 9, 54 After Babel: Aspects of Language and

Translation, 16 Alexander Franz, 54 Allemagne, 119 Altounian Janine, 22, 64 analyse de contrôle, 44, 81, 85, 87, 111,

114 buts, 79

analyse didactique, 28, 33, 34, 36, 44, 78, 79, 81, 84, 85, 92, 99, 110, 111, 112, 114, 116 analyse thérapeutique, 44, 111, 114

analyse thérapeutique, 44, 84, 111, 114 analyse didactique, 84, 112, 114

analyse véritable, 100 analyses réussies

avant les découvertes tardives de Freud et aujourd’hui, 36

analyste bon, 99, 112 analyste de contrôle, 55, 56, 67, 79, 80,

82, 83, 85, 103, 112, 113 analyste didacticien, 36, 37, 38, 44, 55,

56, 79, 82, 83, 84, 92, 97, 100, 101, 103, 106, 107, 111, 112, 113, 114, 115, 117 fin de la catégorie, 115

Anaximandre, 13 Angleterre, 8, 23, 119 Après Babel : une poétique du dire et de

la traduction, 16 Aristophane, 12 Aristote, 12, 13 Auden Wystan Hugh, 22 Autre

Anderen, 18

B Babel, 11, 14 Barthélémy-Saint Hilaire Jean, 13 Benjamin Walter, 13 Berman Antoine, 16, 22 Bloomsbury

groupe, 23 Borch-Jacobsen Mikkel, 19 Bourguignon André, 22, 23 Bowlby John, 8, 119 Breuer Joseph, 24 Brierley Marjorie, 7, 10, 11, 25, 83, 87,

102, 103, 105, 106, 107, 117 Brontë Emily, 23

C Cahiers Confrontation, 8 Caïtuccioli Dominique, 7 Canetti Elias, 22 Carroll Lewis, 24 Cassin Barbara, 10 Cavendish Henry, 31 Cervantès Miguel de, 24 Charcot Jean-Martin, 22 Chateaubriand François René de, 23 Coleridge Samuel Taylor, 21, 23 Collected Papers of Sigmund Freud, 21 Colombat Bernard, 22 Confessions d’un mangeur d’opium, 23 confusion

de langues, 10 de traduction, 19 découvertes et théorie, 35 des débats, 27 éclairante, 86 méthodologiques, 19 procédures techniques, 35

Conrad Joseph, 23 Conseils au médecin dans le traitement

psychanalytique, 61 contre-transfert, 41, 100, 112, 113 Coq-Héron, 10 Cotet Pierre, 22, 23, 64

D Das Trauma der Geburt, 96 De l’interprétation, 18 De Quincey Thomas, 23 Deuil et mélancolie, 21 Deutsch Helene, 100 Die Gesundheit, 19 Divina Commedia, 23 Dolet Étienne, 18 Don Juan aux pantalons verts, 12

134

Dryden John, 18

E Encyclopédie Universalis, 12 épigrammatique, 57 Espace Analytique, 7, 147 Essais sur les révolutions, 23 États-Unis, 119 excommunication, 8, 9, 78, 110, 120 exemple clinique

Ella Freeman Sharpe, 62, 64, 65 Marjorie Brierley, 43

F Fairbairn Ronald, 8 Fantasmes de fustigation et rêves

diurnes, 21 Federn Paul, 34 Fédida Pierre, 5 Ferenczi Sandor, 7, 9, 24, 30, 52

technique de, 52 Fliess Wilhelm, 20 formation, 32, 92, 96, 97, 111

affectée par les controverses, 31 au cours de séminaires et conférences,

80 auprès des patients, 44 buts, 44, 71, 78 démantèlement, 84 imitation, 49 kleinienne, 49 pendant la guerre, 88, 97 problèmes, 31, 32 scientifique, 97 séminaires et conférences, 113 succession de ruptures, 33 technique, 46 transfert, 96

Fournier Jean-Marie, 22 France, 8, 119, 120 Freud Anna, 5, 7, 10, 11, 21, 25, 83, 87,

98, 105, 106, 107, 119, 120 Freud Sigmund, 5, 6, 7, 9, 10, 11, 12, 16,

17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 27, 28, 29, 30, 32, 33, 46, 61, 62, 64, 66, 67, 71, 78, 83, 91, 105, 106, 110, 116, 119 changements d'opinion, 35 datation de la définition de sa théorie, 35 principes de la psychanalyse, 34 règles techniques, 61

succession de crises, 33 théories et découvertes, 35 tolérance et bon sens, 61 traducteur, 22

Freud Sigmund, 10 Fromm Erich, 9

G Glover Edward, 7, 8, 10, 11, 25, 42, 86,

87, 88, 95, 97, 98, 100, 102, 119, 120 erreurs, 88 offenses, 88 prédictions, 92 questionnaire, 37

Glover James, 10, 72, 96, 100 Goethe Johann Wolfgang von, 22, 24 Gorog Jean-Jacques, 10 Green André, 7 Groddeck Georg, 119 guerre, 8, 39, 81, 82, 85, 86, 121

H Hadamowsky Franz, 13 Hegel Friedrich, 9 Heim Conrad, 23 Histoire des idées sur le langage et les

langues, 22 Horney Karen, 9, 54 Huet Pierre-Daniel, 18 Hume David, 10 Humpty-Dumpty, 24

I Inhibition, symptôme et angoisse, 15 Institut Gœring, 55 Institut pour le traitement social de la

délinquance, 120 Internationale Zeitschrift für

Psychoanalyse, 34 interprétation, 16, 73

d’objets internes, 43 des phantasmes, 73, 75 des psychotiques, 42 des résistances, 73, 75 des rêves, 73 du matériel inconscient, 72 du transfert, 42, 52, 73, 74, 75 extra analytique, 42 opportunité, 41

135

profonde, 42 suggestion, 73

Isaacs Susan, 83, 105

J Jones Ernest, 7, 17, 30, 106 Jung Carl Gustav, 9, 24, 54

K Kant Immanuel, 9 Kendrick Walter, 23 King Pearl, 7, 51 Kipling Rudyard, 23 Klein Melanie, 5, 7, 8, 10, 11, 25, 29, 30,

39, 42, 46, 47, 48, 49, 52, 53, 55, 57, 65, 66, 73, 83, 85, 86, 87, 88, 91, 92, 96, 98, 117, 119, 120 accusations contre, 47 dernières théories, 96 déviation, 96 doutes quant à sa technique, 47 erreurs, 47 idéalisation, 46, 47 influence, 45 interpétation du transfert, 53 manque de réalisme, 47 œuvre, 45 questionnement sur les thèses, 85 Société britannique de psychanalyse,

103 technique, 46, 52 théorie, 51, 52, 53 validité de ses thèses, 85

Klemperer Victor, 22 Kœppel Phillippe, 19

L L’épreuve de l’étranger : culture et

traduction dans l’Allemagne romantique, 16

L’Interprétation des rêves, 17, 19 La langue sauvée, 22 La nature de l'action thérapeutique de

la psychanalyse, 58 La négation, 15 Lacan Jacques, 9, 12, 120 langues, 8

allemand, 10, 11, 16, 17, 20, 21 majuscule, 18

selon traducteurs français, 24 anglais, 10, 11, 14, 16, 17, 19, 20, 21

confusion, 10 de Strachey, 10, 24 majuscule, 18

avenir, 14 chinois, 22 cible, 22, 23 confusion, 10 création, 11 de bois, 121 de Freud, 21, 24 distorsions, 12 espagnol, 14 étrangères, 10 français, 18, 21, 22 hongrois, 10 innovation, 12 japonais, 22 modernes, 19 originale, 24 persan, 22 pièges, 12 problèmes, 25 propre, 10 psychanalytique et son temps, 119 russe, 22 transfert envers, 18 transformation, 11 yiddish viennois, 18, 21, 23

Laplanche Jean, 15, 22, 23 Le Grand Robert, 12 Le moi et le ça, 46 Le mot d’esprit et son rapport à

l'inconscient, 17 Les Hauts de Hurlevent, 23 Lessing Gotthold Ephraim, 23 libre association, 67, 72 Lotringer Louise, 16

M Manière de bien traduire d’une langue en

aultre, 18 Mann Thomas, 23 Meisel Perry, 23 Mémoires d’outre-tombe, 23 Meschonnic Henri, 16, 22, 25, 26, 129 métalinguistique, 24 métaphore, 19, 119 Middle group, 83, 86, 91 Mill John Stuart, 22 Molina Tirso de, 12

136

N Nuit de Cristal, 119 Nuit des longs couteaux, 119

O objet

bon sur-idéalisé, 105 clivage, 105 dénigré, 48 du cannibalisme, 48 idéalisé

différent d'un bon objet, 47 intégration avec le moi, 48

Ophuijsen J. H. Van, 7 Oxford

Congrès, 96 English Dictionary, 18, 19, 21

P Palmer Catherine, 23 Paradise Lost, 23 Parmentier Sabine, 8 Payne Sylvia May, 7, 10, 11, 25, 83, 87,

95, 107, 117 cas clinique, 72

Perelberg Rosine Joseph, 7 périodes historiques, selon Glover, 96 philosophie, 9, 10

caricature, 9 Philosophie de l’Art, 12 Poétique, 13 Poétique du traduire, 22, 129 position dépressive, 43, 95 Pound Ezra, 22 Pour une critique des traductions: John

Donne, 22 Prado de Oliveira, 7, 8, 11, 130, 147 Presses universitaires de France, 5 Prolégomènes Jean, 9 psychanalyse, 61 psychanalyse système fermé de vérités

immuables, 31 psychanalyse avenir, 33, 35 psychanalyse avenir en Angleterre, 31 psychanalyse épicentre des tremblements

de terre, 32 psychanalyse lue comme des romans, 25 psychanalyse philosophie, 32 psychanalyse problèmes, 32

psychanalyserapetissement de sa diffusion, 31

psychanalysestéréotypée, 30 psychanalyste enthousiaste, 114 psychanalyste timide, 114 psychanalyste identification avec le

patient, 40 psychanalytique

allégeances, 30 déviation, 29 discussions stéréotypées, 30 institution, 10 littérature, 25 mouvement anglais, 7 mouvement nord-américain, 8

Psychische Behandlung (Seelenbehandlung), 19

Psychopathologie de la vie quotidienne, 17

Puech Christian, 22

Q Quignard Pascal, 12

R Rabelais François, 12 Radó Sandor, 7, 54, 100 Rank Otto, 9, 52, 54, 96 Reich Wilhelm, 52 résistance, 57

de l'analyste, 64 de transfert, 63 importance dynamique, 51

Rickman John, 8, 83, 87, 99, 117, 119 rituels, 121 Riviere Joan, 23, 105 Robert François, 14 Ronsard Pierre de, 12 Rosenzweig Saul, 19

S Sachs Hans, 7, 10, 73 Scherrer Ferdinand, 19 Schiller Friedrich von, 24 Schleiermacher Friedrich, 16 Schmideberg

Melitta, 120 Schmideberg Melitta, 8 Schopenhauer Arthur, 23

137

Schroeter Michael, 14 science, 10, 33, 47, 49, 61, 67, 81, 103

accumulation de données, 86 doctrine, 120 liberté, 84 psychanalytique, 101, 116

adhésion à, 68 scientifique

démarche, 121 discussion, 96, 105

périodes, 30 société, 91 travail, 104

Sédat Jacques, 5 séminaires et conférences

buts, 80 Shakespeare William, 12, 24 Sharpe Ella Freeman, 7, 10, 11, 25, 83,

87, 104, 107, 117 cas clinique, 62, 64, 65

slogans, 107 société

purement freudienne, 91 Société britannique de psychanalyse, 7,

30, 31, 32, 46, 52, 55, 68, 77 Melanie Klein, 103 nécessité de l'augmentation du nombre

de ses membres, 116 prédictions faites par Glover, 92 arrivée des Viennois, 46 psychanalyse groupes, 29, 54 instruction donné au Comité de

formation, 31 périodes de son histoire, selon Glover,

30 Société psychanalytique de Paris, 120 Société psychanalytique de Vienne, 21 Société suisse de psychanalyse, 120 Staline, 119

meurtre de Trotsky, 119 purges, 119

Standard Edition, 11, 18 Steiner George, 16, 18, 23 Steiner Richard, 7 Stekel Wilhelm, 24, 54 Stendhal Marie-Henri Beyle, 23 Stevenson Robert Louis, 23 Strachey Alix, 10, 17, 18, 21, 100 Strachey James, 7, 9, 10, 11, 14, 16, 17,

18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 39, 42, 54, 83, 87, 97, 99, 100, 101, 102, 103, 107, 117 juste milieu, 31

politique et science, 31 rapport discuté par Melanie Klein, 99

sublimation, 11, 44 surdétermination, 11 symptômes, 8, 10, 59, 100 System, 19

T Taine Hyppolite, 12 Tausk Victor, 7, 9 Tavistock Clinic, 40, 54 technique, 36, 37, 39, 40, 41, 44, 45, 46,

51, 53, 54, 57, 59, 61, 64, 66, 67, 68, 69, 71, 72, 73, 75, 106, 113, 115 active, 74 adaptée à la personnalité, 61 apprendre du patient, 41 classique et utilisation d’éléments

kleiniens, 65 comparaison, 106, 107 de Melanie Klein, 46, 52, 59, 60 de Wilhelm Reich, 52 d'interprétation systématique du

transfert, 53 erreurs, 111 façon de faire, 39 fin programmée, 52 flexible, 65 freudienne, 45, 52, 53, 61 imperfection, 114 indulgente, 52 inflexible, 61 innovations, 51, 52 kleinienne, 48 libre association, 51 maniement du transfert et du contre-

transfert, 113 mauvaise, 36 méthodes respectives, 39 morte, 65 mystère, 37 ne pas en avoir, 39 objet idéalisé, 105 personnelle, 45 personnelle de Melanie Klein, 53 prudence, 75 psychologie statique, 92 sources d'erreur, 45 théorie, 107 valable, 36, 37

questionnement, 44 valide, 62, 65

138

variations selon patient, 39 terminologie légale, 19 théorie, 10, 51, 54

cohérente, 55 d'après les noms de leurs auteurs, 54 de Melanie Klein, 52 inconsciente, 48 principale, 51 principe fondamental, 54 rôle dans l'analyse, 111 travailler selon, 55

Totem et tabou, 13 traduction, 7, 8, 9, 10, 16, 19, 20, 24, 25,

32 à partir de l'original, 22 anedocte, 17 arguments, 17 clarification, 20 confusion, 19 controverses, 17 critiques, 21 dette, 17 échec, 20 en anglais, 19 française, 22, 24

difficultés, 24 guillemets, 17 invariable, 20 littérale, 17 malentendu induit par règles, 17 masochisme, 22 mauvaise, 20 monde imaginaire, 22 mots intraduisibles, 17 néologismes, 17, 24 nostalgie, 22 note de bas de page, 17, 20 phrases stéréotypées, 17 préservation, 17 psychanalyse, 22 règle, 17 termes techniques, 17

transfert, 17, 42, 46, 51, 52, 53, 57, 58, 59, 63, 71, 72, 112, 113, 114

de formation, 28 des adultes, 57 des enfants, 44, 57 didactique, 96 dissolution, 68 établissement, 71 inconscient, 73 interprétation, 72, 73, 74, 75 maniement, 36, 49, 67, 72 névrose de, 73 phases, 42 provoquer activement, 73 résistance, 72, 73 situation de, 57 usage légitime, 67 usage non analytique, 114

transmission, 11, 66 Triebe und Triebshicksale, 20 Trois essais sur la théorie sexuelle, 15 Trotsky Lev Davidovitch Bronstein dit

Trotsky, 119

U Un enfant est battu, 18, 21

V Vernant Jean-Pierre, 12 Vidal-Naquet Pierre, 12 Vila Marie-Christine, 7

W Wieder Catherine, 23 Wilde Oscar, 6, 23 Winnicott Donald Woods, 7 Woolf Virginia, 23

Z Zweig Stefan, 23

TABLE

Liminaire..............................................................................................................5

Traductions, philosophies, psychanalyses .......................................................7 Freud caricature la philosophie ....................................................................9 Confusions de langues ...............................................................................10 Les pièges des langues ...............................................................................11 Traductions ................................................................................................14

Mémoire d’introduction par Edward Glover .....................................................27 1 / Que doit-on enseigner ?............................................................................27 2 / Qui doit enseigner ?..................................................................................27 3 / Comment doit-on enseigner ? ...................................................................28

La situation existante .................................................................................29 Mémoire de discussion par James Strachey.......................................................31

Quelles sont donc nos difficultés ? ............................................................32 Mémoire sur sa technique par Marjorie Brierley ...............................................39

Note au Comité de formation sur la technique valide....................................39 Introduction................................................................................................39 But et tâche de l’analyse ............................................................................40 Processus analytique et relation analytique................................................40 Méthode de travail .....................................................................................41 Illustration ..................................................................................................43 L’analyse didactique ..................................................................................44 Inquiétudes.................................................................................................45

Mémoire d’Anna Freud .....................................................................................51 Premier point..............................................................................................51 Second point...............................................................................................54 L’Institut en tant que forum ouvert ............................................................54

Mémoire sur sa technique par Melanie Klein ....................................................57 Mémoire sur sa technique par Ella Freeman Sharpe..........................................61 Mémoire sur sa technique par S. M. Payne........................................................71 Rapport préliminaire du Comité de formation...................................................77

Instructions données au Comité de formation............................................77 Examen préliminaire du problème.............................................................77 Les buts de l’analyse didactique ................................................................78 Les buts de l’analyse de contrôle ...............................................................79 Les buts des séminaires et conférences......................................................80 Les fonctions du Comité de formation.......................................................80 Remèdes.....................................................................................................81 Recommandations......................................................................................82

Répercussions du rapport préliminaire ..............................................................83 Première lettre de démission d’Edward Glover .................................................91

140

Extrait d’une lettre de Melanie Klein à son groupe ...........................................94 Deuxième lettre de démission d’Edward Glover ...............................................95 Déclaration de Melanie Klein au Comité de formation .....................................99 Rapport définitif du Comité de formation........................................................109

Instructions données au Comité de formation..............................................109 Examen préliminaire du problème...............................................................109 Les buts de l’analyse didactique ..................................................................111 Les buts de l’analyse de contrôle .................................................................112 Les buts des séminaires et conférences........................................................113 Les fonctions du Comité de formation.........................................................113 Les responsabilités de la Société..................................................................116 Recommandations........................................................................................117

Pour conclure ...................................................................................................119 LES PARTICIPANTS............................................................................................123 Marjorie Brierley .............................................................................................123 Anna Freud ......................................................................................................123 Ella Freeman Sharpe........................................................................................124 Edward Glover.................................................................................................124 Melanie Klein ..................................................................................................125 Sylvia May Payne ............................................................................................125 James Strachey.................................................................................................126 OUVRAGES UTILISES ET INSTRUMENTS BIBLIOGRAPHIQUES UTILES ................127 INDEX ...............................................................................................................133