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Monsieur Jean Molinier L'évolution de la population agricole du XVIIIe siècle à nos jours In: Economie et statistique, N°91, Juillet-Août 1977. pp. 79-84. Citer ce document / Cite this document : Molinier Jean. L'évolution de la population agricole du XVIIIe siècle à nos jours. In: Economie et statistique, N°91, Juillet-Août 1977. pp. 79-84. doi : 10.3406/estat.1977.3127 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/estat_0336-1454_1977_num_91_1_3127

L'évolution de la population agricole du XVIIIe siècle …...SDR TROIS COLONNES du L'évolution XVIIIe siècle de la à population nos jours agricole # Bien qu'une étude statistique

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Page 1: L'évolution de la population agricole du XVIIIe siècle …...SDR TROIS COLONNES du L'évolution XVIIIe siècle de la à population nos jours agricole # Bien qu'une étude statistique

Monsieur Jean Molinier

L'évolution de la population agricole du XVIIIe siècle à nos joursIn: Economie et statistique, N°91, Juillet-Août 1977. pp. 79-84.

Citer ce document / Cite this document :

Molinier Jean. L'évolution de la population agricole du XVIIIe siècle à nos jours. In: Economie et statistique, N°91, Juillet-Août1977. pp. 79-84.

doi : 10.3406/estat.1977.3127

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/estat_0336-1454_1977_num_91_1_3127

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SDR TROIS COLONNES

L'évolution de la population agricole du XVIIIe siècle à nos jours

# Bien qu'une étude statistique sur une aussi longue période se heurte à de nombreuses difficultés, on peut distinguer trois grandes phases dans l'histoire de la population agricole française à partir du XVIII* siècle : augmentation continue de cette population jusqu'au milieu du XIX* siècle; à partir de 1850, le début de l'ère industrielle marque le départ d'une longue décroissance; celle-ci s'accélère très nettement après la deuxième guerre mondiale (de 1946 à 1968, la population active agricole a en effet diminué à un taux supérieur à 3 % par an alors que précédemment ce taux n'avait jamais durablement exédé 1 %).

Les données disponibles sur l'évolution de la population agricole française depuis le xvme siècle, proviennent d'estimations de divers auteurs 1 pour le xviii6 siècle et la première moitié du xixe, puis à partir de 1851 des recensements de la population et d'enquêtes agricoles à périodicité irrégulière. Ces données concernent soit la population agricole totale (population des familles d'agriculteurs), soit la population agricole active : exploitants, aides familiaux, salariés.

Les recensements du xixe siècle et de la première moitié du XXe chiffrent « une population vivant de l'agriculture » qui s'apparente à la « population des ménages agricoles » 2 (ménages dont le chef est un agriculteur) des recensements de population actuels, et une population agricole active comprenant tous les individus qui déclarent avoir l'agriculture comme activité principale, plus les membres de la famille de l'exploitant en âge de travailler, même s'ils se déclarent inactifs. Les recensements actuels chiffrent la population des ménages agricoles et la population agricole active à partir des déclarations individuelles.

Les enquêtes agricoles du xixe siècle ne concernent pas la population agricole totale (notamment les données de population agricole totale reprises dans les enquêtes pour 1882 et 1892 sont celles des recensements de 1881 et 1891), mais une population active composée essentiellement d'exploitants et de salariés. Les enquêtes agricoles actuelles portent sur une population

familiale totale formée des familles d'exploitants et sur une population active familiale formée des personnes travaillant régulièrement à temps complet ou partiel sur les exploitations agricoles. Il s'ensuit que la population familiale agricole saisie par les enquêtes agricoles actuelles est plus large que celle saisie par les recensements qui éliminent en principe les agriculteurs à temps partiel. Les deux séries de données ne sont donc pas, même actuellement, directement comparables.

Dans ce qui suit, nous utiliserons principalement les données des recensements de population qui ont l'avantage d'une périodicité régulière. Nous les avons soumises à un test de cohérence qui révèle en ce qui concerne la fin du xixe siècle une sous-estimation des données de population agricole active qui paraît confirmée par les intéressantes enquêtes agricoles de 1862, 1882 et 1892.

Les ménages agricoles

Le tableau I reprend l'évolution de la population totale telle qu'elle ressort d'estimations ou des recensements, comparée à l'évolution de la population totale et de la population rurale. Cette comparaison ne fait pas apparaître d'anomalies flagrantes et malgré l'imprécision des définitions et l'incertitude des données, nous retiendrons les chiffres de ce tableau comme grossièrement représentatifs de l'évolution de la population agricole totale. Ces chiffres ne sont pas corrigés des modifications du territoire national :

territoire actuel moins Savoie, Haute- Savoie et une partie des Alpes-Maritimes jusqu'en 1861; territoire actuel moins Moselle, Bas-Rhin et Haut-Rhin de 1870 à 1921; territoire actuel en 1861 et à partir de 1921.

La population agricole active ''

En revanche, la population active agricole telle qu'elle ressort des données des recensements (tableau 2) présente des fluctuations qui traduisent beaucoup plus des changements dans les définitions et la prise en compte des actifs agricoles, qu'une évolution réelle d'effectifs. Ceci est particulièrement net quand on regarde l'évolution du pourcentage des femmes par rapport aux hommes dans la population active agricole. Ce pourcentage passe en effet de 84 % en 1851 à 36 % en 1872, 44 % en 1881, 43 % en 1891, 60 % en 1911, 69 % en 1936 et 78 % en 1946. Or l'activité agricole des femmes par rapport à celle des hommes n'a certainement pas évolué de cette façon dans la réalité et les variations de ce pourcentage sont dues en fait à des changements dans la comptabilisation des effectifs. Aussi considère-t-on généralement comme non significative la série de population agricole active totale (hommes + femmes) et se réfère- t-on le plus souvent à la seule population active masculine.

Toutefois, même en ce qui concerne cette dernière, les données des recensements présentent des évolutions aberrantes ayant également pour origine des changements de définition des actifs agricoles 3. D'après les recensements de la population, les effectifs de la population agricole active masculine seraient passés en effet de 7,8 millions en 1851, à 5,3 millions en 1861,

1. Cf. J.-C. Toutain : « La population de la France de 1700 à 1959 », Cahiers de l'ISEA, Paris 1963. 2. Les deux notions ne se recouvrent cependant pas exactement, surtout de nos jours car certains membres des ménages agricoles vivent d'activités principalement non agricoles, tandis qu'à l'inverse, plus rarement toutefois, certains membres des ménages noD agricoles vivent d'activités principalement agricoles. 3. Une telle modification est intervenue notamment entre 1946 et 1954. H. Febvay a recalculé les résultats de 1954 sur la base de la méthodologie de 1946. Cf. « La population agricole », Étude* et conjoncture, ÏNSEE, août 1956. '■'.'.'

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TABLEAU 1 ^

Évolution de la population des ménages agricoles de 1789 à 1968

Année Population

totale (en millions)

Population rurale

en millions Part dans

la population totale (%)

Population vivant de l'agriculture (ménages agricoles)

en millions Part dans

la population rurale (%),

Part dans la population totale (%)

1700. 1789 1801 1821 1846 1861 1872 1881 1891 1901 1911 1921 1931 1936 1946 1954 1962 1968

19 27 27,5 30,5 35,4 37,4 36,1 37,7 38,3 38,9 39,6 39,2 41,8 41,9 40,5 42,8 46,5 49,8

16,1 20,9 21,2 23,4 26,8 26,6 24,9 24,6 24,0 23,0 22,1 21,0 20,4 19,9 19,0 18,8 17,8 17,2

83 78 77 76 76 71 69 65 63 59 56 54 49 47 47 44 38 35

18,2 18,2 18,9 20,1 19,9 18,5 18,2 17,4 16,1! 15,1 ! 13,8 ! ll,5i 10,61 10,2 9,5 8,1 7,3

87 86 81 75 75 74 74 73 70 68 66 56 53 54 51 46 42

67 66 62 57 53 51 48 46 42 38 35 28 25 25 22 17 15

1. Interpolations de J.-C. Toutain.

Sources : Recensements de la population et J.-C. Toutain, < La population de la France de 1700 à 1959 », Cahiers de VISE A, Paris, 1963.

5,5 millions en 1881, 5,0 en 1891, 5,5 en 1901 (tableau 2). Une telle évolution est en contradiction avec celle dégagée à partir des résultats des enquêtes agricoles de 1861, 1882 et 1892, qui fournissent des renseignements extrêmement intéressants, et n'ont plus d'équivalent dans la première moitié du xxe siècle, à l'exception toutefois de l'enquête de 1929 qui n'est cependant pas parfaitement comparable aux précédentes. Ces enquêtes qui saisissent principalement la population agricole active masculine 4, montrent une sensible diminution des actifs agricoles de 1862 à 1929 (tableau 3). En outre, si l'on examine les rapports entre l'ensemble des effectifs d'actifs agricoles et la population des ménages agricoles, on s'aperçoit que ces rapports, sauf en 1851, étaient dans la deuxième moitié du xixe siècle inférieurs à ce qu'ils sont actuellement. Ceci est contraire à

tout ce que l'on sait sur l'évolution de l'activité des membres des ménages agricoles, sur l'évolution de l'agriculture et sur l'évolution économique en général tant actuelle que passée. Il est en effet difficile de croire qu'à la fin du xixe siècle, la proportion des actifs agricoles (à définition constante) dans une famille paysanne, pouvait être inférieure à ce qu'elle est aujourd'hui, si l'on songe qu'à cette époque, la scolarisation était très faible, le travail des enfants était la règle générale, les retraites n'existaient pas, le travail industriel à domicile avait fortement régressé et les emplois non agricoles en milieu rural étaient rares.

Une telle anomalie ne peut pas non plus s'expliquer par une modification de la proportion des enfants et des vieillards dans la population agricole car la part de l'ensemble des moins de 15 ans et des plus de 65 ans dans la population française était de 34,8 %

en 1891 et de 35,4 % en 1954 (sa relative stabilité s'explique par le fait que la diminution du nombre des moins de 15 ans est compensée par l'augmentation du nombre des plus de 65 ans).

La proportion des actifs agricoles dans la population rurale et la population des ménages agricoles, telle qu'elle ressort des données du xixe siècle est donc certainement sous- estimée. Cette sous-estimation provient fort probablement d'une sous-estimation de la population active agricole

4. La population des travailleurs agricoles que saisissent ces enquêtes « représente les chefs d'exploitation et les salariés (y compris les servantes de ferme) en laissant de côté la famille à laquelle se rattache la majorité des femmes, les enfants et les vieillards non travailleurs. C'est dans ces conditions que cette population a été relevée en 1862, 1882, 1892 ». Résultats généraux de l'enquête de 1892, p. 380. 80

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TABLEAU 2

Évolution de la part de la population agricole active (totale et masculine) dans la population rurale et la population des ménages agricoles

Année

1851 1861 1872 1881...: 1891 1901 1911 1921 ;,... 1931 1936... 1946 1954 1962 1968

Population rurale

(millions)

26,6 26,6 24,9 24,6 24,0 23,0 22,1 21,0 20,4 19,9 19,0 18,8 17,8 17,2

Population des ménages

agricoles (millions)

19,7 19,9 18,5 18,2 17,4 16,1 15,1 133 11,5 10,6 10,2 9,5 8,1 7,3

Population agricole active

(hommes + femmes) (millions)

14,3 7,6 7,2 7,9 7,2 8,2 8,6 9,0 7,6 7,1 7,4 5,1 3,9 3,0

Population agricole active

masculine (millions)

7,8 5,3 5,3 5,5 5,0 53 5,5 5,0 4,4 4,2 4,2 3,3 2,6 2,1

Part de la population

des ménages agricoles dans la

population rurale (%)

74 75 74 74 73 70 68 66 56 53 54 51 46 42

Part de la population

agricole active

dans la population

rurale (%)

54 29 29 32 30 36 39 43 37 37 39 27 22 17

Part de la population agricole active masculine dans la population rurale (%)

29 20 21 22 21 24 24 24 22 21 22 18 15 12

Part de la population agricole active dans la population des ménages agricoles (%)

72 38 39 43 41 51 57 65 66 67 73 54 48 41

Part de la population agricole active masculine dans la population des ménages agricoles (%)

40 27 29 30 29 34 36 36 38 40 41 35 32 29

Pourcentage des femmes par rapport aux hommes dans la population active agricole (%)

84 42 36 44 43 48 60 79 72 69 78 54 50 48

Sources : J.-C. Toutain, « La population de la France de 1700 à 1959 ». Recensements de la population. Mme Cahen : • Évolution de la population active en France depuis cent ans », INSÉE, Études et conjoncture, mai-juin 1953.

TABLEAU 3

Évolution de la population agricole d'après les enquêtes agricoles de 1862 à 1929 En milliers

dont : Exploitants non compris journaliers (1). ...... Journaliers propriétaires (2) Journaliers non propriétaires (3) Ouvriers et domestiques agricoles (4)

Total salariés agricoles (5) = (2) + (3) + (4)

dont : journaliers (6) — (2) + (3) Total exploitants +

salariés (7) = (1) + (5).

1862

4388

3254 1134

869 2096

4099 2003

7353

1882

4188

3461 727 753

1972

3452 1480

6913

1892

4192

3 603 589 621

1848

3058 1210

6661

1929

3656

3 656

928

1153

2 081 928 1

5737

Taux moyens annuels de diminution (%) 1862-1892

-0,2

-2j -1,1 -0,4

-1,0 — 1,7

-03

1892-1929

-0,4

-13

-1,0

-0,4

1862-1929

-0,3

-0,9

-1,0

-0,4

1. Ouvriers temporaires. < A vrai dire », précisent les auteurs de l'enquête de 1929, «il y a dans certaines régions des journaliers qui ont le caractère d'ouvriers permanents... On les classera cependant parmi les ouvriers temporaires ».

CHRONIQUES 81

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TABLEAU 4

Comparaison entre les résultats des recensements et les minimum» calculés sur la base des données de 1954

En millions

Année ■

1851. 1861. 1872, 1881 1891 1901 1911 1921 1931 1936 1946

Population des ménages

agricoles

19,7 19,9 18,5 18,2 17,4 16,1 15,1 13,8 11,5 10,6 .10,2

Population agricole active

reconstituée ■ sur la base des données de 1954 »

10,6 10,7 10,0 9,8 9,4 8,7 8,2 7,5 6,2 5,7 5,5

d'après les données des recensements

7,6 7,2 7,9 7,2 8,2 8,6 9,0 7,6 7,1 7,4

Population agricole active masculine

i reconstituée » sur la base des données de 1954*

7,0 7,0 6,5 6,4 6,1 5,6 5,3 4,8 4,0 3,7 3,6

d'après les données des recensements

5,3 5,5 5,0 5,5 5,4 5,0 4,4 4,2 4,2

1. Part de la population agricole active dans la population des ménages agricoles en 1954 : 54 %. 2. Part de la population agricole active masculine dans la population des ménages agricoles en 1954 : 35 %.

car la série « population vivant de l'agriculture » comparée aux séries population totale et population rurale n'apparaît pas aberrante, nous l'avons vu. Et bien que le ménage agricole pose des problèmes de définition, il n'en reste pas moins une réalité plus facilement appréhendable que l'actif agricole car le partage des activités des membres du ménage entre travaux agricoles, travaux domestiques, travaux non agricoles et inactivité est très arbitraire.

La sous-estimation des données du XIXe siècle pour la population active agricole apparaît clairement si sur la base de la série « population des ménages agricoles » retenue comme valable, on reconstitue une série de population active agricole, en appliquant aux effectifs des ménages agricoles les rapports constatés en 1954 entre actifs agricoles et ménages agricoles (tableau 4). Pour les raisons indiquées précédemment, les chiffres ainsi obtenus pour le xixe siècle sont certainement inférieurs à la réalité. Or, ces chiffres ainsi calculés sont supérieurs aux données des recensements antérieurs à 1911, à l'exception du recensement de 1851. A partir de 1911, les chiffres fournis par les

recensements sont supérieurs aux mini- mas calculés et ne présentent pas de fluctuations aberrantes, compte tenu des effets des guerres de 1914-1918 et 1939-1945. Il nous paraît donc que les données des recensements compris entre 1851 et 1911 en ce qui concerne la population agricole active sont assez largement sous-estimées.

Dans ces conditions, nous avons établi (tableau 5) une série de population active agricole en retenant comme valable le chiffre du recensement de 1851 et en substituant aux données des recensements de la fin du XIXe siècle un minimum calculé sur la base 1954, et un maximum calculé sur la base 1851. Pour la période antérieure à 1851, on a admis que le rapport entre population active agricole et population vivant de l'agriculture était au moins égal au rapport de 1851.

Les trois grandes phases de l'évolution de la population agricole

Compte tenu de ces corrections, l'état actuel de notre information conduit à distinguer très grossièrement trois grandes phases dans l'évolution

de la population agricole française depuis le xvme siècle : une première phase allant du début du XVIIIe siècle au milieu du xixe, une seconde phase qui va du milieu du xixe siècle au milieu du xxe; enfin une dernière phase couvrant la période actuelle depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

• Première phase : début du XVIIIe siècle-milieu du XIXe.

Cette phase paraît être marquée par une croissance continue de la population agricole, qu'il s'agisse de la population vivant de l'agriculture (« ménages agricoles ») ou de la population active agricole. Pendant le xvine siècle et la première moitié du xixe siècle, l'augmentation des ressources dont disposaient les exploitants agricoles a entraîné un accroissement de la population des ménages agricoles. Celle-ci, qui pouvait être de l'ordre de 15 millions au début du xviii6 siècle, aurait crû jusqu'au milieu du XIXe siècle, atteignant alors près de 20 minions de personnes (tableau 1). Toutefois, l'ensemble de la population française s'accroissant dans le même temps, sa part dans la population totale aurait décru constamment passant de près de 70 % vers 1789 à environ 55 % vers le milieu du XIXe siècle. La population active agricole aurait connu, semble-t-il malgré l'incertitude des données, une évolution analogue (tableau 5), sa part dans la population active totale passant d'environ 70 % vers 1789 à 65 % vers 1850.

• Deuxième phase : siècle-milieu du XXe.

milieu du xixe

Les grands chantiers de construction de voies ferrées, qui vers le milieu du xixe siècle puisent dans une main- d'œuvre paysanne devenue trop nombreuse, marquent le début d'une nouvelle époque pour la démographie agricole française. C'est semble-t-il le moment où la population agricole française « quitte la route qui monte pour prendre celle qui descend » 5.

5. Cette expression est empruntée à Augé- Laribé qui lui donne une portée plus générale, mais aussi plus contestable, car il l'applique à < notre histoire agricole ». Cf. La politique agricole de la France de 1880 à 1940, Paris 1950, p. 75.

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TABLEAU 5 £.-..-f .:■..■.. ; ' ^-^^v-

Évolution de la population agricole depuis 1789 En millions

Population des ménages agricoles. . . .

Population agricole active

dont :

— Salariés. — Aides familiaux... Population agricole ac

tive masculine

Vers 1789

18,0

13,0 3

a a n

7,2»

Vers 1800

18,2

13,1»

« a ii

7,3»

Vers 1850-1860

20

14,3

3,3» 4,1» //

7,8

Vert 1890

17,5

9,4 *- 12,6 3

3,6» 3,1» //

6,1* -6,8»

Vers 1930

11,5

7,6

II 2,1» //

4,4

1946

10,2

7,4

2,3 *

5,1

4,2

1954 >

9,5

6,3

1.9 4,4

3,6

1954'

9,5

5,1

1,9 1,1 2,1

3,3

1962

8,1

■&

1,7 0,8 1,4

2,6

1968

7,3

3,0

1,4 0,6 1,0

2,1

Taux annuels moyens de diminution

1850-1954 (%)

- 0,7

- 0,8

- 0,6» // u

- 0,7

1954-1968 (%)

-1,9

- 3,7

-2,2 - 4,2 - 5,2

..- 3,2

1. Définition de 1946. ' • 2. Nouvelle définition (cf. H. Febvay — Étude» et conjoncture — août 1956). 3. Chiffres calculés en appliquant aux effectifs des ménages agricoles les rapports constaté* en 1851 entre actifs agricoles et ménages agricoles. 4. Minimum calculé eu appliquant aux effectifs des ménages agricoles les rapports constatés en 1954 entre actifs agricoles et ménages agricoles. 5. Période 1860-1954. 6. Données des enquêtes agricoles. Pour 1862 et 1892, les «journaliers propriétaires » recensés dans ces enquêtes ont été classés parmi les salariés. II s'agit là en effet généralement de salariés propriétaires de jardins familiaux. ' : :

En effet, l'industrie, qui au xvme siècle et au début du xixe siècle avait été diffuse dans les campagnes, commence à se concentrer au détriment des divers types d'artisanat rural et de travail à domicile dans les villages. Et tandis que les progrès de l'industrie et de l'économie en général créent un appel de main d'œuvre en dehors de l'agriculture, apparaissent des conditions nouvelles pour la production agricole (extension des herbages et introduction du machinisme), qui à la fois entraînent une diminution des besoins en main-d'œuvre et rendent plus difficile l'accès des plus pauvres à la terre.

Ce sont bien en effet, semble-t-il, au xixe siècle tout au moins 6, les plus défavorisés qui partent : entre 1862 et 1892, le nombre des « journaliers » diminue de près de moitié alors que les effectifs des exploitants qui ne sont pas en même temps des « journaliers » 7 auraient eu tendance à augmenter ce qui peut signifier non seulement que des journaliers sont partis, mais aussi que d'anciens journaliers, petits exploitants qui devaient précédemment se louer à la journée, seraient devenus des exploitants travaillant exclusivement à leur compte. Une telle hypothèse n'est pas

semblable, l'exode de certains membres d'une famille vivant sur une exploitation pouvant entraîner pour ceux qui restent à la fois un surplus de ressources et la nécessité de consacrer plus de temps sur l'exploitation, ce qui rend moins nécessaire et en tout cas plus difficile le fait de travailler ailleurs.

Toutes réserves étant faites sur la comparabilité des données en raison des modifications du territoire et de la ' méthodologie des enquêtes, il ressort du tableau 3 que l'ensemble des salariés agricoles aurait diminué à un rythme annuel moyen de — 1 % entre 1862 et 1929 (de près de moitié en valeur absolue), alors que les effectifs des exploitants n'auraient décru qu'à un rythme de — 0,3 % par an.

Vers le milieu du xixe siècle, époque où elle atteint probablement son maximum en même temps que la population rurale, la population des ménages agricoles s'élève à environ 20 millions de personnes, soit 75 % de la population rurale et plus de la moitié de la population totale. A partir de ce moment, elle va diminuer constamment : en 1946 avec un effectif de 10,2 millions de personnes, elle représente 25 % de la population totale et 54 % de la population rurale.

La population agricole active se réduit elle aussi probablement à partir de la même époque (tableau 5) passant de 14,3 millions de personnes en 1851 à 7,4 millions en 1946. La part des actifs agricoles dans la population active totale, qui était de l'ordre de 65 % en 1851, passait à 36 % en 1946.

• Troisième phase : depuis la deuxième guerre mondiale.

., Cette part n'était plus que de 15 % en 1968. A partir de la deuxième guerre mondiale en effet, en raison notamment des besoins en main d'œuvre des secteurs non agricoles, des progrès considérables des moyens de transport, d'information et de formation et de la mécanisation de l'agriculture, le rythme de diminution de

6. Selon Ph. Ariès, l'exode rural aurait principalement concerné au xix* siècle les éléments les plus défavorisés des campagnes, puis après la guerre de 1914-1918, les plus favorisés. « La migra tion de la misère > aurait fait ainsi place à une < émigration de la qualité ». Cf. Histoire des populations françaises, nouvelle édition, Paris 1971. 7. Les enquêtes agricoles de 1862, 1882, 1892 distinguent deux catégories de < journaliers > (les manouvriers ou brassier» de l'ancien régime) : — les journaliers propriétaires, petits propriétaires qui cultivent leur bien et se louent à la journée, et sont donc aussi classés parmi les exploitants; — les journaliers non propriétaires.

Ces catégories disparaissent des statistiques ultérieures.

CHRONIQUES 88

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LES AGRICULTEURS

Tome I : Clés pour

une comparaison sociale

• Un effort de recherche L'agriculteur ne restera plus le « mal-connu » des Français. Pour la première fois, il fait l'objet d'une analyse précise. Les chiffres et données actuellement disponibles, réunis dans ce volume, permettent de situer l'agriculteur parmi les autres groupes sociaux.

• Cinq grands domaines approfondis La première partie traite de l'évolution et de la structure actuelle de la population agricole et de la population active agricole. La seconde considère l'intensité du travail, le travail extérieur et le travail familial. L'étude des revenus et des conditions de vie des exploitants agricoles fait l'objet des troisième et quatrième parties. L'analyse des revenus et des conditions de vie des salariés agricoles complète ce dossier.

• Un dossier complet Ce volume est le premier tome d'une importante étude qui constitue en 2 volumes un vaste panorama statistique de la vie des agriculteurs en France. Il contribue à une meilleure compréhension des problèmes des agriculteurs. Le tome II sera consacré à une analyse des clivages internes de l'agriculture et à l'utilisation de ces clivages pour une meilleure description sociale.

Les « Collections de l'INSEE », série E, « Entreprises », n° 46-47 Un volume broché - format 21 x 29,7- 436 pages - Prix :60 F

EN VENTE: Dans les Observatoires économiques régionaux de l'INSEE et chez les libraires spécialisés.

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la population agricole est très supérieur à ceux des périodes précédentes. De 1946 à 1968, la population agricole active diminue au taux de 3,1 % par an alors que précédemment ce taux n'avait probablement pas excédé 1 %. A partir de 1954, le rythme de diminution s'accélère et il atteint près de 4 % entre 1962 et 1968, soit une diminution d'environ 150 000 personnes par an. Mais cela ne signifie pas pour autant que 150 000 personnes ont au cours de cette période quitté l'agriculture pour une autre activité.

La diminution de la population agricole active est en effet la résultante de plusieurs mouvements : — les entrées dans l'activité agricole qui sont soit des entrées effectives, soit des entrées qui correspondent simplement à l'arrivée à l'âge actif (16 ans actuellement) d'enfants d'agriculteurs jusqu'alors classés comme inactifs ; — les décès d'agriculteurs actifs; — les cessations d'activité par départ à la retraite; — les mutations professionnelles qui se traduisent par l'abandon de l'activité agricole au profit d'une autre activité. Ces dernières concernent presque exclusivement des jeunes, aides familiaux et salariés.

Comme précédemment en effet, ce sont surtout ces catégories dont les effectifs diminuent le plus rapidement : les effectifs recensés des salariés agricoles régressent entre 1954 et 1968 à un taux supérieur à 4 % de même que ceux des aides familiaux alors que le nombre des exploitants baisse d'un peu plus de 2 % par an.

Les mutations professionnelles d'exploitants jouent un rôle très faible dans cette évolution : on estime qu'au cours de cette période, moins de 3 000 chefs d'exploitation auraient annuellement quitté l'agriculture pour une autre activité. Indépendamment de l'attachement des agriculteurs à leur terre, cela s'explique par les importants obstacles à la mobilité que sont notamment l'âge des chefs d'exploitation — en 1967, l'âge moyen des chefs d'exploitation était compris entre 52 et 53 ans — et l'insuffisance de formation car en 1967, 97,7 % des agriculteurs exploitants n'avaient aucune formation ou seulement une formation primaire 8.

Jean MOLINIER * ■

8. Statistique agricole, supplément, série < Études », n° 86, octobre 1971. * Jean Molinier est chef du service agricole du Commissariat général du Plan. 84